Georges BECK – lettre du 22 juin 1915

Chère Camille,

Je reçois à la minute ta lettre du 18, je m’empresse d’y répondre.

Tu es d’abord toute heureuse de me faire connaître que vous êtes encore en vie, que lesavions ne vous ont pas encore tués ou blessés, j’espère bien comme cela, pourquoivoudrais-tu qu’ils te fassent du mal à toi ma Mimie ? Mais tu dois bien penser que je ne leveux pas et que je leur interdit formellement semblable intention. Oh mais non, ilsn’auront pas la peau de ma cocotte, pas plus que la mienne d’ailleurs.

Et puis il faut que je te dise aussi que ma jardinière de la rue du Montet, tu la connais,c’est la grosse Mimie, m’écrit qu’elle est toute fière, sa récolte sera merveilleuse. Ellemange des petits pois, des fraises, des cerises, ses haricots poussent etc… A-t-elle de lachance d’avoir de la chance. Mais tu dois bien te fatiguer d’arroser comme cela, car il fautque tu arrose beaucoup pour que ça pousse comme tu dis. Ici les jardins sont secs, rien nevient, d’ailleurs il n’est pas facile d’arroser : il faut tirer l’eau des puits qui est à 40 ou 50mètres, on n’en voit pas le fond.

Tu pourrais repiquer dès maintenant tes choux navets si les replants sont assez forts, ilsera encore temps dans une quinzaine, mais pour que tes replants grossissent il faut bienles éclaircir. Tu pourras mettre encore des haricots si tu n’en a pas beaucoup et puis deschoux à la place des pommes de terre, enfin tu sais bien et tu n’as qu’à demander à tesvoisins.

Tu m’as fait part de la mort du pauvre grand Gérardin, c’est épouvantable, tous mescamarades vont y passer si cela continue. Sa pauvre femme avec son petit bébé n’ont pasde veine, ce doit être bien cruel d’apprendre la mort des siens dans de telles circonstances.Pense donc les pauvres personnes qui ne sauront jamais où son enterrés les leurs.Toutefois, il y en a beaucoup qui sont enterrés dans des cercueils mais ceux qui sonttombés à la première ligne, ce n’est pas facile, on les identifie et l’on fait une fossecommune. Les noms en sont relevés et plus tard on parviendra tout de même à connaître laplace.

J’ai reçu la carte de Pierrot, Suzanne est bien aimable d’avoir guidé sa petite main, pourme dire ce qu’il pense, mais il me dit qu’il joue avec une petite fille de son âge et que jeme dépêche de revenir. Je ne comprend pas bien, serait-ce pour que je fasse la demande enmariage à la maman de la petite fille, je ne comprend pas : dis-lui qu’il me donne plusd’indications sur l’empressement qu’il a à me revoir. Tu es peut-être au courant de sesidées.

Ma petite fille, en attendant que j’aille faire la demande, je t’embrasse bien fort et j’espèreencore t’embrasser de nombreuses fois avant que cela se fasse.

Georges