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1 Géométrie a photo 1 ci-dessous représente un polyèdre flexible appelé flexaèdre. Un polyèdre, c'est un assemblage de facettes rigides, fixées (à l'aide de charnières) deux à deux le long de leurs arêtes. Ce polyèdre est flexible car il peut être déformé dans l'espace. Ce n'est pas le cas pour un cube, qui, lui, ne peut être déformé sans retirer des facettes. On dit qu'il est rigide. Un théorème d'Augustin Cauchy, remontant à 1813, affirme que, plus généralement, un polyèdre convexe est rigide. Crédit Photo 1. GEMS, University of Texas at Dallas Le flexaèdre n'est pas rigoureusement un poly- èdre, car souvent, quatre facettes se rejoignent le long d'une même arête. Il a fallu attendre 1977 pour que le mathématicien américain Robert Connelly trouve un véritable polyèdre flexible, voir photo 2. Le théorème de Cauchy (accompagné du contre- exemple de Connelly) est le prototype de la grande famille des problèmes de rigidité en géométrie. En voici une variante différentielle. La coque du poly- èdre flexible constitue une surface munie d'une dis- tance intrinsèque invariable (une fourmi qui vit à la surface ne se rend pas compte que son univers se déforme à l'intérieur d'un autre univers possédant une dimension de plus). Chaque disposition de la coque dans l'espace donne une façon de prolonger la distance à la dimension supérieure, en respectant une propriété caractéristique de la distance eucli- dienne : sa courbure est nulle. Plus généralement, étant donnée une métrique lisse sur le bord d'une variété de dimension 3, on cherche à la prolonger à l'intérieur en exigeant que la courbure soit nulle. Il s'agit d'un problème d'équations aux dérivées par- tielles non linéaire avec condition aux limites, analo- gue au problème de Dirichlet en électrostatique. Dans une version non euclidienne, on va prescri- re une courbure constante mais non nulle. En di- mensions supérieures, la prescription de la courbure donne un problème mal posé. Il faut remplacer cet- te condition par les équations d’Einstein (analogue en signature positive des équations de relativité générale). Il s'agit d'un domaine peu exploré mais prometteur. Revenant à la dimension 3, on peut aussi cher- cher à l'intérieur une métrique lorentzienne à cour- bure constante. Il s'agit d'un problème important. En effet, sa version polyédrale consiste à prescrire les angles dièdres plutôt que les longueurs des arêtes. Le théorème d'existence et de rigidité correspondant (dû à E. M. Andreev en 1970) est la pierre angulaire de la méthode d'uniformisation de William Thurston pour les variétés de dimension 3 suffisamment grandes. L'énoncé de rigidité présent dans le théorème d'Andreev est proche d'un autre théorème de rigidité fameux, celui de G. Daniel Mostow, qui affirme que si une variété compacte de dimension 3 ou plus, sans bord cette fois, possède une métrique à cour- bure constante négative, elle n'en possède qu'une. L Crédit Photo 2. Institut des Hautes Etudes Scientifiques.

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Géométrie

a photo 1 ci-dessous représente un polyèdre flexible appelé flexaèdre. Un polyèdre, c'est un assemblage de facettes rigides, fixées (à l'aide de charnières) deux à deux le long de leurs arêtes. Ce polyèdre est flexible car il peut être déformé dans l'espace. Ce n'est pas le cas pour un cube, qui, lui, ne peut être

déformé sans retirer des facettes. On dit qu'il est rigide. Un théorème d'Augustin Cauchy, remontant à 1813, affirme que, plus généralement, un polyèdre convexe est rigide.

Crédit Photo 1. GEMS, University of Texas at Dallas

Le flexaèdre n'est pas rigoureusement un poly-

èdre, car souvent, quatre facettes se rejoignent le long d'une même arête. Il a fallu attendre 1977 pour que le mathématicien américain Robert Connelly trouve un véritable polyèdre flexible, voir photo 2.

Le théorème de Cauchy (accompagné du contre-exemple de Connelly) est le prototype de la grande famille des problèmes de rigidité en géométrie. En voici une variante différentielle. La coque du poly-

èdre flexible constitue une surface munie d'une dis-tance intrinsèque invariable (une fourmi qui vit à la surface ne se rend pas compte que son univers se déforme à l'intérieur d'un autre univers possédant une dimension de plus). Chaque disposition de la coque dans l'espace donne une façon de prolonger la distance à la dimension supérieure, en respectant une propriété caractéristique de la distance eucli-dienne : sa courbure est nulle. Plus généralement, étant donnée une métrique lisse sur le bord d'une variété de dimension 3, on cherche à la prolonger à l'intérieur en exigeant que la courbure soit nulle. Il s'agit d'un problème d'équations aux dérivées par-tielles non linéaire avec condition aux limites, analo-gue au problème de Dirichlet en électrostatique.

Dans une version non euclidienne, on va prescri-

re une courbure constante mais non nulle. En di-mensions supérieures, la prescription de la courbure donne un problème mal posé. Il faut remplacer cet-te condition par les équations d’Einstein (analogue en signature positive des équations de relativité générale). Il s'agit d'un domaine peu exploré mais prometteur.

Revenant à la dimension 3, on peut aussi cher-cher à l'intérieur une métrique lorentzienne à cour-bure constante. Il s'agit d'un problème important. En effet, sa version polyédrale consiste à prescrire les angles dièdres plutôt que les longueurs des arêtes. Le théorème d'existence et de rigidité correspondant (dû à E. M. Andreev en 1970) est la pierre angulaire de la méthode d'uniformisation de William Thurston pour les variétés de dimension 3 suffisamment grandes.

L'énoncé de rigidité présent dans le théorème

d'Andreev est proche d'un autre théorème de rigidité fameux, celui de G. Daniel Mostow, qui affirme que si une variété compacte de dimension 3 ou plus, sans bord cette fois, possède une métrique à cour-bure constante négative, elle n'en possède qu'une.

L

Crédit Photo 2. Institut des Hautes Etudes Scientifiques.