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LE COURRIER SAMEDI 27 AVRIL 2013 11 E-CHANGER SUPPLÉMENT Le Forum Social mondial (FSM) 2013 s’est tenu, du 26 au 30 mars, dans la capitale tunisien- ne, berceau du Printemps arabe et d’un nouvel âge de mobilisa- tions sociales, qui a notamment inspiré *Los Indignados* (indi- gnés) espagnols, les *Occupy* étasuniens, ainsi que plusieurs autres mouvements protesta- taires, et suscité des mobilisa- tions dans différentes régions du monde. Cinquante mille représentant-e- s de plus de 4500 organisations, en provenance de 130 pays s’y étaient donné rendez-vous, en soutien à la lutte des Tunisiens démocrates pour leurs droits et contre le risque de confiscation de leur révolution par les forces de la droite islamiste conserva- trice. Avec un millier d’ateliers et acti- vités autogérées et une organi- sation générale de grande qua- lité, cette édition 2013 du Forum Social Mondial a été une totale réussite. Le FSM s’affirme une fois de plus comme le principal espace de la société civile mondiale. Et comme une plate-forme de recherche d’alternatives au modèle économico-financier, écologique et culturel, qu’impo- sent les élites locales, les gou- vernements du Nord, et les insti- tutions financières internatio- nales telles que la Banque Mondiale, le FMI ou l’OMC. La tenue en Tunisie de cette édi- tion du FSM est significative car la «Révolution de jasmin», essentiellement non violente mais insurrectionnelle, jeune et populaire, a généré de grands espoirs pour les Tunisiens et pour les peuples du Maghreb/Machreck. Reseau social «non virtuel» Ce fut aussi un Forum social de toute la région, avec des déléga- tions importantes du Maroc, d’Algérie, d’Égypte, de Palestine, du Liban notamment. C’était souvent, pour eux, une première occasion de se rencontrer et de créer un véritable réseau social «non virtuel» pour potentialiser leurs luttes respectives. Le FSM a permis la rencontre sans précédent d’un millier d’associa- tions et de mouvements sociaux locaux et de la région, qui ont pu se nourrir des expériences d’autres luttes ailleurs, en Europe et en Amérique latine en particulier. C’est dire combien les discus- sions autour de l’annulation de la dette publique et les alterna- tives macro-économiques aux politiques néolibérales, comme la Banque du Sud et l’ALBA, pro- mues en Amérique Latine, étaient d’actualité en Tunisie. De même que le modèle de l’audit réalisé en Equateur et qui pour- rait être valable pour le pays hôte du Forum. Sans parler des questions sou- levées par l’exploitation du gaz de schiste, dont des gisements ont été découverts dans le Sud de la Tunisie (un pays qui n’a pas de pétrole). Ou encore des désastres écologiques dus à une politique extractive intensive: le bassin minier de Gafsa, au centre du pays, n’apporte que misère aux populations locales alors qu’il représente pour l’Etat une de ses principales sources de devises. Une réalité qu’on retrouve, sous d’autres aspects, dans presque toutes les nations du Sud. Il fut question également de promouvoir la solidarité entre les peuples, à l’heure où l’Union Européenne et la Suisse, comme le Nord en général, défendent leurs propres entreprises qui délocalisent leur production. Notamment dans des pays «off shore», comme la Tunisie, n’y payant pas d’impôt tout en employant de la main d’œuvre locale bon marché et corvéable à merci. Ces mêmes pays impo- sent leurs propres modalités à des accords bilatéraux qui péna- lisent les intérêts du Sud, au bénéfice des grandes multina- tionales établies en Europe ou en Amérique du Nord. Active présence suisse Il faut enfin souligner une pré- sence suisse importante. La délégation co-organisée par E- CHANGER et Alliance Sud a ras- semblé plus de 60 personnes, dont une dizaine de représen- tant-e-s du monde politique – au nombre desquels-les Maya Graf, présidente du Conseil National – ainsi que de nom- breux-ses syndicalistes d’UNIA, de Syndicom et du SSP; étaient également du voyage des dizaines de représentant-e-s d’ONG de coopération et des droits humains, ainsi que des journalistes. Au moins une demi-douzaine d’ateliers ont été proposés ou co-gérés par des organisations helvétiques. Sans oublier les autres acteurs sociopolitiques suisses présents à Tunis, notamment la déléga- tion menée par Solidarités, qui a assuré la présence au FSM de militants politiques et syndi- caux, avec à leur tête Rémy Pagani, maire de Genève. Pour conclure, ce sont la solida- rité active, exprimée dans les manifestations de masse d’ou- verture, le 26 mars, ou de clôtu- re, le samedi 30, en faveur de la Palestine, l’échange actif entre des représentante-e-s de mou- vements sociaux, d’ONG, d’as- sociations et de réseaux inter- nationaux, les partages de savoirs et d’expériences, qui ont nourri le rassemblement de Tunis. Ce Forum Social Mondial a mon- tré que, loin de toute résignation, les acteurs sociaux, la société civile internationale, continuent à se mobiliser, à chercher des alternatives et à rêver (oui, l’im- portance de rêver!) à un «autre monde possible». La révolution arabe revivifie le mouvement altermondialiste Bernard Borel et Sergio Ferrari FORUM SOCIAL MONDIAL L’active participation locale et maghrébine a marqué le ton du FSM de Tunis. La manifestation d’ouverture, le 26 mars, a réuni plus de trente mille participant-e-s. Photo: Andrea Tognina DOSSIER 2 ÈME PARTIE En tant que présidente du Conseil national, j’ai eu l’occasion de participer cette année tant au Forum Economique Mondial de Davos, qu’au Forum Social Mondial, à Tunis. Organisé de manière privée, le Forum Economique Mondial (WEF) a lieu depuis plusieurs années, en janvier, à Davos, où des chefs d’Etat et des grands patrons développent des contacts personnels et où plus d’un millier d’invités assistent à des confé- rences au Centre de congrès, sur des thèmes économiques et politiques actuels. Le temps était glacial cette année, et l’appareil de sécurité gigan- tesque. Durant la dernière semaine de mars, un soleil printanier a, au contraire, réchauffé les quelque 50’000 partici- pants au Forum Social Mondial, dans la capitale tunisienne. La participation était ouverte à tous. Excepté durant la marche d’ouverture à travers la capita- le, la police n’a eu à gérer que la circu- lation. Durant ces quatre jours, l’Université s’est transformée en un marché mondial, vivant et coloré, des citoyennes et des citoyens. Des thèmes tels que la démocratie et les droits humains, les droits des femmes, l’accaparement des terres, le tournant énergétique ou encore la réduction de la dette des pays du Sud, ont été débattus et discutés de manière engagée à l’occasion de plus d’un mil- lier d’ateliers. J’ai également été impressionnée par le Forum parlementaire international, où des député-e-s de tous les conti- nents ont pu s’entretenir de la mise en œuvre des valeurs de justice et de liberté qui sont celles du Forum Social Mondial. Les thèmes globaux actuels et les solutions possibles ne devraient pas être décidés par les seuls chefs d’Etat et les élites économiques, mais doi- vent également mobiliser la société civile et ses représentant-e-s. À ce titre, il est intéressant de constater que le fondateur du Forum Economique de Davos, Klaus Schwab, a choisi cette année une devise ana- logue à celle du FSM: «Engagé à amé- liorer l’état de la planète». Le Forum Social Mondial, quant à lui, proclame depuis sa création qu’ «Un autre monde est possible», devise accompa- gnée cette année du sous-titre – qui a pris toute son importance avec le Printemps arabe: «Dignité!» Il m’est apparu encore plus clairement sur place à quel point ces deux conceptions d’un monde meilleur pour demain sont éloignées l’une de l’autre. Le fossé est énorme entre la réalité quotidienne de l’élite mondiale des pays industrialisés et celle des popula- tions du reste du monde, qui se bat- tent pour leur pain quotidien et pour la participation démocratique. Pour un pays comme la Suisse, cela implique justement de s’investir de manière engagée à ces deux niveaux. * Maya Graf, présidente actuelle du Conseil national, faisait partie de la délégation de plus de 60 personnes au FSM, co-organisée par E-CHANGER et Alliance Sud DAVOS ET LE FSM, RENCONTRE DES CONTRAIRES? Maya Graf*

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  • LE COURRIERSAMEDI 27 AVRIL 2013

    11E-CHANGERSUPPLMENT

    Le Forum Social mondial (FSM)2013 sest tenu, du 26 au 30mars, dans la capitale tunisien-ne, berceau du Printemps arabeet dun nouvel ge de mobilisa-tions sociales, qui a notammentinspir *Los Indignados* (indi-gns) espagnols, les *Occupy*tasuniens, ainsi que plusieursautres mouvements protesta-taires, et suscit des mobilisa-tions dans diffrentes rgionsdu monde.

    Cinquante mille reprsentant-e-s de plus de 4500 organisations,en provenance de 130 pays sytaient donn rendez-vous, ensoutien la lutte des Tunisiensdmocrates pour leurs droits etcontre le risque de confiscationde leur rvolution par les forcesde la droite islamiste conserva-trice.

    Avec un millier dateliers et acti-vits autogres et une organi-sation gnrale de grande qua-lit, cette dition 2013 du ForumSocial Mondial a t une totalerussite.

    Le FSM saffirme une fois de pluscomme le principal espace de lasocit civile mondiale. Etcomme une plate-forme de

    recherche dalternatives aumodle conomico-financier,cologique et culturel, quimpo-sent les lites locales, les gou-vernements du Nord, et les insti-tutions financires internatio-nales telles que la BanqueMondiale, le FMI ou lOMC.

    La tenue en Tunisie de cette di-tion du FSM est significative carla Rvolution de jasmin,essentiellement non violentemais insurrectionnelle, jeune etpopulaire, a gnr de grandsespoirs pour les Tunisiens etpour les peuples duMaghreb/Machreck.

    Reseau social non virtuel

    Ce fut aussi un Forum social detoute la rgion, avec des dlga-tions importantes du Maroc,dAlgrie, dgypte, de Palestine,du Liban notamment. Ctaitsouvent, pour eux, une premireoccasion de se rencontrer et decrer un vritable rseau socialnon virtuel pour potentialiserleurs luttes respectives. Le FSMa permis la rencontre sansprcdent dun millier dassocia-tions et de mouvements sociauxlocaux et de la rgion, qui ont puse nourrir des expriences

    dautres luttes ailleurs, enEurope et en Amrique latine enparticulier.

    Cest dire combien les discus-sions autour de lannulation dela dette publique et les alterna-tives macro-conomiques auxpolitiques nolibrales, commela Banque du Sud et lALBA, pro-mues en Amrique Latine,taient dactualit en Tunisie. Demme que le modle de lauditralis en Equateur et qui pour-rait tre valable pour le payshte du Forum.

    Sans parler des questions sou-leves par lexploitation du gaz deschiste, dont des gisements ontt dcouverts dans le Sud de laTunisie (un pays qui na pas deptrole). Ou encore des dsastrescologiques dus une politiqueextractive intensive: le bassinminier de Gafsa, au centre dupays, napporte que misre auxpopulations locales alors quilreprsente pour lEtat une de sesprincipales sources de devises.Une ralit quon retrouve, sousdautres aspects, dans presquetoutes les nations du Sud.

    Il fut question galement depromouvoir la solidarit entre

    les peuples, lheure o lUnionEuropenne et la Suisse, commele Nord en gnral, dfendentleurs propres entreprises quidlocalisent leur production.Notamment dans des pays offshore, comme la Tunisie, nypayant pas dimpt tout enemployant de la main duvrelocale bon march et corvable merci. Ces mmes pays impo-sent leurs propres modalits des accords bilatraux qui pna-lisent les intrts du Sud, aubnfice des grandes multina-tionales tablies en Europe ouen Amrique du Nord.

    Active prsence suisse

    Il faut enfin souligner une pr-sence suisse importante. Ladlgation co-organise par E-CHANGER et Alliance Sud a ras-sembl plus de 60 personnes,dont une dizaine de reprsen-tant-e-s du monde politique au nombre desquels-les MayaGraf, prsidente du ConseilNational ainsi que de nom-breux-ses syndicalistes dUNIA,de Syndicom et du SSP; taientgalement du voyage desdizaines de reprsentant-e-sdONG de coopration et desdroits humains, ainsi que des

    journalistes. Au moins unedemi-douzaine dateliers ont tproposs ou co-grs par desorganisations helvtiques.

    Sans oublier les autres acteurssociopolitiques suisses prsents Tunis, notamment la dlga-tion mene par Solidarits, qui aassur la prsence au FSM demilitants politiques et syndi-caux, avec leur tte RmyPagani, maire de Genve.

    Pour conclure, ce sont la solida-rit active, exprime dans lesmanifestations de masse dou-verture, le 26 mars, ou de cltu-re, le samedi 30, en faveur de laPalestine, lchange actif entredes reprsentante-e-s de mou-vements sociaux, dONG, das-sociations et de rseaux inter-nationaux, les partages desavoirs et dexpriences, qui ontnourri le rassemblement deTunis.

    Ce Forum Social Mondial a mon-tr que, loin de toute rsignation,les acteurs sociaux, la socitcivile internationale, continuent se mobiliser, chercher desalternatives et rver (oui, lim-portance de rver!) un autremonde possible.

    La rvolution arabe revivifie

    le mouvement altermondialiste

    Bernard Borel et Sergio Ferrari

    FORUM SOCIAL MONDIAL

    Lactive participation locale et maghrbine a marqu le ton du FSM de Tunis. La manifestation douverture, le 26 mars, a runi plus de

    trente mille participant-e-s. Photo: Andrea Tognina

    DOSSIER 2ME PARTIE

    En tant que prsidente du Conseilnational, jai eu loccasion de participercette anne tant au ForumEconomique Mondial de Davos, quauForum Social Mondial, Tunis.

    Organis de manire prive, le ForumEconomique Mondial (WEF) a lieudepuis plusieurs annes, en janvier, Davos, o des chefs dEtat et desgrands patrons dveloppent descontacts personnels et o plus dunmillier dinvits assistent des conf-rences au Centre de congrs, sur desthmes conomiques et politiquesactuels. Le temps tait glacial cetteanne, et lappareil de scurit gigan-tesque.

    Durant la dernire semaine de mars,un soleil printanier a, au contraire,rchauff les quelque 50000 partici-pants au Forum Social Mondial, dans lacapitale tunisienne. La participationtait ouverte tous. Except durant lamarche douverture travers la capita-le, la police na eu grer que la circu-lation. Durant ces quatre jours,lUniversit sest transforme en unmarch mondial, vivant et color, descitoyennes et des citoyens. Desthmes tels que la dmocratie et lesdroits humains, les droits des femmes,laccaparement des terres, le tournantnergtique ou encore la rduction dela dette des pays du Sud, ont tdbattus et discuts de manireengage loccasion de plus dun mil-lier dateliers.

    Jai galement t impressionne parle Forum parlementaire international,o des dput-e-s de tous les conti-nents ont pu sentretenir de la mise enuvre des valeurs de justice et delibert qui sont celles du Forum SocialMondial.

    Les thmes globaux actuels et lessolutions possibles ne devraient pastre dcids par les seuls chefs dEtatet les lites conomiques, mais doi-vent galement mobiliser la socitcivile et ses reprsentant-e-s. cetitre, il est intressant de constaterque le fondateur du ForumEconomique de Davos, Klaus Schwab,a choisi cette anne une devise ana-logue celle du FSM: Engag am-liorer ltat de la plante. Le ForumSocial Mondial, quant lui, proclamedepuis sa cration qu Un autremonde est possible, devise accompa-gne cette anne du sous-titre qui apris toute son importance avec lePrintemps arabe: Dignit!

    Il mest apparu encore plus clairementsur place quel point ces deuxconceptions dun monde meilleur pourdemain sont loignes lune de lautre.Le foss est norme entre la ralitquotidienne de llite mondiale despays industrialiss et celle des popula-tions du reste du monde, qui se bat-tent pour leur pain quotidien et pour laparticipation dmocratique. Pour unpays comme la Suisse, cela impliquejustement de sinvestir de manireengage ces deux niveaux.

    * Maya Graf, prsidente actuelle duConseil national, faisait partie de ladlgation de plus de 60 personnes auFSM, co-organise par E-CHANGER etAlliance Sud

    DAVOS ET LE FSM,RENCONTRE DESCONTRAIRES?Maya Graf*

  • LE COURRIERSAMEDI 27 AVRIL 2013

    12 E-CHANGERSUPPLMENT

    FORUM SOCIAL MON

    Tunis na certes pas la majest dAlger La Blanche vuedu large. Pour autant, la cit, btie en retrait de quelqueskilomtres de la mer, demeure le point crucial reliant lesdeux Mditerrane, celle de lest et celle de louest.Cre il y a trois mille ans Carthage par des marinsintrpides venus de lactuel Liban, les Phniciens, elle aconnu le fate de sa puissance sous Hannibal, qui enva-hit lEspagne et lItalie, menaant jusqu Rome, avantden subir la loi Zama, toute proche, en 202 av. J.-C.,sous laction de Scipion lAfricain au terme de laDeuxime Guerre punique, puis dtre rase au terme dela Troisime, pour dfrer lappel rpt de CatonlAncien dtruire Carthage (Carthago delenda est),en 146, lanne mme de la prise de Corinthe par lesRomains.

    Elle sera ds lors, pendant la moiti de son histoire,avec lintermde dun sicle de domination vandale, unfleuron de lEmpire romain dOccident puis dOrient,marque par lart byzantin que reflte bien aujourdhuison Muse du Bardo. Diocse voisin de celui de SaintAugustin, vque de Hippo Regius (prs de Bne,aujourdhui Annaba), Tunis vivra quelques sicles dechrtient avant de cder aux guerriers omeyyades enroute vers lEspagne et la France, qui les arrtera en 732,entre Tours et Poitiers. Du XVIe au XIXe sicle, elle passe-ra lislam ottoman, reprsent par un bey, avant desubir sept dcennies de protectorat franais et deretrouver, depuis prs de soixante ans, sa pleine ind-pendance. Conquise par Habib Bourguiba, puis confis-que par Ben Ali, elle sera enfin reprise par le peuple enune victoire encore fragile, lors du Printemps arabe, audbut de 2011.

    Cest dire que Tunis est, de par son histoire, un forum,pas seulement un forum romain, lieu de rencontres et dedbats, mais aussi un carrefour dinfluences multiples etrciproques. Il tait donc plus que bienvenu dy tenir, du26 au 30 mars, le neuvime FSM (Forum social mon-dial), accueilli dans des conditions idales par les gensdu lieu et riche en rflexions fructueuses. Une certainematurit de grands thmes, lancs Porto Alegre en2001 et rediscuts chaque dition, sest fait jour, sansdoute favorise par les checs cuisants du nolibralis-me partir de 2008.

    La dette des pays du Sud, Europe mditerranennecomprise, ncessite dsormais une reconsidration surla base dun audit (inspir de celui men par le prsidentquatorien, Rafael Correa) mettant en question aussibien les termes des changes commerciaux que la lgi-timit des flux financiers; la jurisprudence de la detteodieuse a dailleurs plus dun sicle et a t utilise parle Mexique, par le Costa Rica et par les tats-Unis(contre Cuba et, en 2003, contre lIraq). Cela supposedes traits plus quitables, notamment une protectiondes investissements moins lonine que par le pass:notre pays a ici bien du chemin parcourir. Dans lamme optique, il faut un mcanisme efficace de saisie etde restitution des avoirs de potentats, sujet sensiblepour la Tunisie daprs Ben Ali, dans lequel en revanchela Suisse est la pointe des efforts de justice, mais quine peut se rgler en un coup de baguette magique,mme si la vitesse des procdures rgulires doit trebeaucoup amliore, au Sud comme au Nord.

    La gouvernance mondiale est craquele de partout etdes chemins intressants, quoique escarps, se dessi-nent pour contourner au moins lhgmonie indue desagences purement conomiques (Organisation mondia-le du commerce, Fonds montaire international, Banquemondiale) et les coordonner avec les instances qui trai-tent dcologie (Programme des Nations Unies pourlenvironnement, confrences sur le climat), dnergie(Agence internationale de lnergie atomique), de social(Organisation internationale du travail, Organisationmondiale de la sant, UNESCO, Programme des NationsUnies pour le dveloppement), pour ne citer que lesprincipales. Il sagit en priorit de les assujettir toutes auprincipe dquilibre des impratifs quexige le dvelop-pement durable.

    La monte en puissance des mouvements sociaux estla pierre angulaire de ldifice: sans leur apport, nourride comptences dans lchange, garanti par les droitshumaines intgraux, les socits ne pourront faire clo-re leur dmocratie. La leon la plus roborative de laRvolution tunisienne, par-del les incertitudes, rsidedans la force de la libert dexpression qui sy est ins-taure et des associations qui lexercent. Carthage futdtruite, Tunis vit.

    Pour la premire fois dans lhistoire des Forums, laquestion du pouvoir lchelle plantaire nest plustaboue. De nombreux ateliers ont abord la questionde la gouvernance, de la dmocratie ou de lacitoyennet mondiales. Cet intrt a surpris jus-quaux organisateurs des ateliers, qui navaientprvu aucune Assemble de convergence sur cethme. Et pourtant, 1000 Cahiers de propositionsPour un mouvement dmocratique cosmopolitai-re ont t distribus, et si nous en avions imprim10'000, ils seraient partis aussi facilement. Il existedonc une forte demande de rflexions, de proposi-tions et de stratgies pour organiser politiquementle monde, de manire la fois plus dmocratique etplus respectueuse des droits.

    Le mouvement altermondialiste a contribu dedeux manires lhistoire rcente de lhumanit:dune part, il a rendu possible quaujourdhui, surlensemble de la plante, soit partag un mmeconstat de ltat du monde, de limbrication descrises, de leurs consquences sur les populations etles cosystmes les plus fragiles; dautre part, il admontr que la condition humaine est dorna-vant universelle et solidaire. Il pousse lHumanit se penser aujourdhui en communaut-monde, se constituer en socit-monde et, la maniredune nation-monde, dfendre collectivement sasurvie et son avenir.Nous vivons actuellement un moment charnire dela modernit politique, o la dmocratie, fragilisedu local au national, est inexistante au seul niveauo se posent les enjeux cruciaux de lHumanit:

    celui du systme mondial.

    Seule la constitution dune forme quelle quellesoit de pouvoir politique plantaire pourrait don-ner le cadre dune socit monde. Ni le systmeinternational ou onusien contemporain, fond sur ladiplomatie bi- ou multilatrale, ni bien sr le G8 ou leG20 ne savrent oprants pour mettre en uvreune gouvernance mondiale dmocratique.

    En largissant la base sociale du mouvementaltermondialiste aux acteurs frustrs et fragilisspar les blocages actuels (reprsentants de petitsEtats ou dinstitutions internationales, etc.), lemouvement dmocratique cosmopolitaire seraprcisment un mouvement davantage politique(mta-idologique) que social, comme lont tavant lui les mouvements nationalitaires au XIXmeet les mouvements de libration nationale au XXmesicle. Sa mission historique est de crer les condi-tions politiques de la rorganisation des forcessociales dans un cadre la fois plus mondial et plusdmocratique. Il tendra disparatre au moment ocet Etat mondial sera cr. Les luttes politiques etidologiques se recomposeront alors dans ce nou-veau cadre, au niveau politique adquat: celui o sejoue lavenir de la plante et de lhumanit.

    1 - Jean Rossiaud, Qui gouverne le monde. Pour un mouvement dmo-cratique cosmopolitaire.FnGM, novembre 2012, 44 pages.http://www.world-governance.org/IMG/pdf_952_Rossiaud_-_MDC_20130314-2.pdf

    CARTHAGE FUT DTRUITE, TUNIS VIT.Luc Recordon - conseiller aux tats (Les Verts, VD), membre du Comit dE-CHANGER

    UN DSIR DE POLITIQUE MONDIALEJean Rossiaud - sociologue et militant genevois, coordinateur au Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale (FnGM)

    FEMMES ET JEUNES, LES PRINCIPAUX PROTAGONISTES Jalel Matri, Association des Tunisiennes et Tunisiens en Suisse, prsent au FSM

    Le FSM 2013 a eu lieu unmoment dterminant pour lalutte en faveur des liberts enTunisie et particulirement dela rsistance des femmestunisiennes pour faire valoir etmaintenir leurs droits dans lasocit.

    LEtat a accompli son travailen contribuant la russite delvnement, pour montrer aumonde entier que noussommes une dmocratie nais-sante; sans oublier que larussite de ce Forum auradimportantes retombes co-nomiques et touristiques pourle pays.

    Pendant 5 jours, plusieursdbats se sont drouls, ayant

    comme sujets principaux lesdroits humains, le respect desliberts entre laques etmusulmans, le rle des syndi-cats, lmigration et le soucide lenvironnement, sujetsque les Tunisiens considrentcomme prioritaires pour lave-nir.

    Quelques provocations desislamistes et des partis dex-trme gauche nont pas per-turb le bon droulement duForum. Nous ne pouvons queconfirmer que lambiancegnrale tait bonne et que lemoment est propice pour undialogue avec tous les autrescourants politiques du pays, ycompris celui des islamistes.La marche pour la Palestine a

    cltur le Forum en rassem-blant toutes les forces asso-ciatives autour de cette cause(plus de 20000 participants).

    La jeunesse tunisienne, trsdynamique, tait bien impli-que et voulait changer,couter et proposer des idesen partenariat avec des asso-ciations internationales. Lesouhait de ces jeunes est decontinuer participer cegenre dvnement afin dedvelopper des liens avec cesassociations plus expri-mentes. Lide est de crerun Forum Mditerrane, pourcontinuer renforcer lessocits civiles dans cesrgions et crer une solidaritentre elles.

    La solidarit avec lAfrique et la Palestine et lexigence de relations mondiales plus justes, axes d

    La rencontre Tunis des acteurs citoyens les plus divers a renforc le rseau social plantairedans la main. Photos: Sergio Ferrari

  • LE COURRIERSAMEDI 27 AVRIL 2013

    13E-CHANGERSUPPLMENT

    NDIAL - TUNIS - MARS 2013

    Le samedi 30 mars, la 9e dition du Forumsocial mondial (FSM) sest termine dansla capitale tunisienne sur une note des-poir, avec une forte affluence et une orga-nisation pratiquement sans faille. Depuis2003, la Fdration genevoise de coopra-tion (FGC) a choisi dencourager sonrseau participer au FSM. Dans cettedition, cest un important groupe dunedizaine de personnes issues des asso-ciations et des instances qui a reu unsoutien pour se rendre Tunis en faisantpartie de la dlgation suisse co-orga-nise par E-CHANGER et Alliance Sud. LaFGC, mouvement, rseau et associationfatire regroupant une soixantaine dONGde solidarit internationale, revient sur lapertinence dun tel Forum.

    Soutenir une socit civile en efferves-cence

    Au-del des nombreux changes etcontacts que ces forums facilitent, ilsconstituent de formidables lieux deconvergence dans lesquels la socit civi-le plantaire, et particulirement les asso-ciations du Sud, peuvent mettre en avantleurs revendications, exprimer leurs

    proccupations tout en confrontant despoints de vue, partager les solutionsapportes des problmes tels que ladette extrieure, les droits des femmes ouencore loecumnisme. Dans le contextetunisien dun monde associatif naissant etencore fragile, ce type de rencontres estune grande chance pour ce secteur de lasocit qui ne demande qu mieux seconnecter avec les rseaux mondiaux.Depuis la rvolution de janvier 2011, lasocit civile tunisienne et celle duMaghreb sont en bullition et des milliersdassociations ont pouss comme deschampignons aprs la pluie. Quand on saitque cette socit tait pratiquementinexistante (ou du moins trs faible) il y adeux ans peine, on ne peut que se rjouirdu chemin parcouru. Reste maintenant renforcer la lgitimit et lancrage de cesorganisations naissantes qui devrontaussi apprendre travailler ensemble.Pour la FGC, ce soutien la socit civileest fondamental.

    Promouvoir une solidarit de proximitau quotidien

    Pour la FGC et ses membres, ces forums

    sont aussi une occasion inespre de tis-ser des liens avec les mouvementssociaux, puisque leurs leaders et divers-e-s reprsentant-e-s sont prt-e-s dia-loguer et partager leurs expriencesdans les nombreux espaces mis dispo-sition. Mais plus que tout, cest aussi unebonne occasion pour les reprsentant-e-s du Sud de participer et de contribuer,dgal-e gal-e avec les ONG des paysdu Nord, la ralisation concrte de cetautre monde possible. Les organisateursdu FSM avaient vu juste, dbut 2011,lorsquils avaient annonc leur volontdorganiser ce grand rassemblementaltermondialiste dans un pays o lesouffle des rvolutions populairesemportait tout sur son passage.La Tunisie, deux ans aprs la rvolution,est une socit qui est, bien desgards, sur la brche, avec desrieuses menaces de chavirer danslobscurantisme ou le conflit arm.Organiser le FSM Tunis en 2013, ctaitaussi un signal clair et fort de soutienaux forces progressistes de ce magni-fique pays. Parions que le FSM reviendraprochainement dans cette rgion dumonde.

    UNE RVOLUTION DANS LE FORUM Luisa Cruz-Hefti et Yanik Marguerat - Fdration genevoise de coopration

    Le 16 octobre 2012, la Suisse et la Tunisieont sign un accord de promotion et pro-tection des investissements. Ct tuni-sien, laccord a t paraph par RiadhBettaeb, ministre de lInvestissement etde la Coopration internationale etmembre du parti islamiste Ennahda. Selonles enqutes menes par les mdias tuni-siens, Riadh Bettaeb, comme dautresmembres du gouvernement domin par lesislamistes, dtient de nombreux capitaux ltranger, notamment en France. Cest unentrepreneur florissant et un libralconvaincu.

    Si ledit accord a suscit un dbat nourriau sein du parlement suisse qui a quandmme fini par le ratifier les Tunisiens nesavent mme pas quil existe. En attendantlorganisation dlections, lAssemblenationale constituante, charge dlaborerla nouvelle constitution, fait office de par-lement en grant les affaires courantes.Mais vu la crise politique trs grave quetraverse le pays, notamment aprs lassas-

    sinat du militant de gauche, Chokri Belad,le 6 fvrier dernier, les Tunisiens ne sint-ressent pas la Suisse, lexception de latrs mdiatise restitution des fonds deBen Ali. Focaliss sur lUnion europenneet le partenariat privilgi en cours dengociation, qui devrait libraliser encoredavantage le commerce entre les rivesnord et sud de la Mditerrane, les mouve-ments sociaux sont loin de se douter quela Suisse a propos leur pays, quelquesdiffrences prs, le mme accord sur lesinvestissements qui la lie lUruguay. Unaccord sur la base duquel Philip MorrisInternational, sis Lausanne, a portplainte contre Montevideo pour une lgis-lation anti-tabac juge excessive, rcla-mant deux milliards dUSD de dommageset intrts.

    loccasion du FSM, Alliance Sud a orga-nis un atelier pour discuter de cet accordet, plus gnralement, des investisse-ments trangers. Le constat des partici-pants tunisiens au Forum tait unanime: le

    gouvernement actuel poursuit la mmepolitique conomique librale que Ben Ali,qui a fait le lit de la profonde crise socialeayant amen la rvolution de janvier 2011.

    En mettant cet accord sur la table, lesparticipants suisses ont voulu alerter lopi-nion publique. Car des accords plus quili-brs existent et, avant de ratifier celui quileur est propos, les autorits tunisiennesdevraient y rflchir deux fois, voiredemander quil soit rengoci. Desmembres de lAssemble nationale consti-tuante sy sont intresss et ont voulu ensavoir plus. Mais sont-ils ceux qui vont rati-fier cet accord? Ou le parlement venir, onne sait quand? Vu le flou institutionnel quirgne en Tunisie, nul ne sait avec prcisionqui est responsable de quoi et ce qui va sepasser dans les mois venir. Mais le dbatest lanc. Aux Tunisiens dexiger un contr-le dmocratique de la politique cono-mique du gouvernement, notamment desaccords internationaux quil signe et quiont un impact sur leur vie.

    POUR UN CONTRLE DMOCRATIQUE DES ACCORDS INTERNATIONAUXIsolda Agazzi - Alliance Sud (Swissaid/ Action de Carme/ Pain pour le prochain/ Helvetas/ Caritas/ Eper)

    Sil y a un vrai rempart contre les forcescontraires la rvolution, ce sont lesfemmes. Par ces mots, la prsidente delAssociation tunisienne des femmesdmocrates (ATFD), Ahlem Belhadj, aouvert lassemble des femmes qui adonn un premier coup denvoi au Forumsocial mondial. Depuis la chute du dicta-teur Ben Ali, les femmes tunisiennes sebattent contre la fminisation de la pau-vret et rclament une justice sociale quimette femmes et hommes sur un pieddgalit. Or, durant cette priode detransition dmocratique, le chmage est

    en augmentation et deux tiers des nou-veaux chmeurs sont des femmes. Si lesforces politiques majoritaires du partiEnnahdha cherchent amener lesfemmes quitter lespace politique,celles-ci continuent se battre pour faireentendre leur voix. Lorsquen dcembre2010, les soulvements contre le rgimede Ben Ali se sont multiplis, les femmestaient dans la rue. La femme sestlibre et elle est sortie de son cocon, cejour-l, affirme Fatma Dhaouadi, unesyndicaliste venue la rencontre de ladlgation suisse. Elle renchrit: Nous

    sommes des mres de martyrs. Nousavons lutt contre le rgime de Ben Ali, etnous militerons contre le rgime qui veutnous mettre hors de lhistoire.Le grand enjeu est celui dancrer dans lanouvelle Constitution tunisienne les droitsciviques et politiques des femmes. Desdbats tels que la complmentarit dela femme lhomme et la polygamiedbordent sur lespace public, alorsmme que la Tunisie tait lavant-gardeen stipulant, en 1956 dj, le statut d-galit homme-femme. Souvenons-nousquen Suisse, les femmes ont d attendre

    1971 pour obtenir le droit de vote! Toutsemble tre mis en uvre pour dtour-ner lattention publique de labsence devision politique pendant que la rsolutiondes vrais problmes se fait attendre. Faceau chmage, la prcarit conomiqueet la monte de la violence sociale, lesTunisiennes et Tunisiens ont limpressionde reculer dans lhistoire et que la rvolu-tion leur a t confisque.Tandis que certains dfendent la thoriedu complot en pensant que les intrtsconomiques et religieux du Qatar et delArabie saoudite tlguident le gouver-

    nement tunisien, dautres plaident pourlimmaturit politique du parti islamisteEnnahdha. Le projet final de la nouvelleConstitution, le 27 avril prochain, mon-trera si dmocratie et religion peuventfaire bon mnage en respectant lesvaleurs de lacit, de libert individuelleet de droits humains fondamentaux, dontlgalit homme-femme.Les nombreux ateliers et assemblesorganiss lors du FSM taient sans douteun lieu extraordinaire pour donner unnouveau souffle la cause des femmestunisiennes et du Maghreb.

    LE RLE DES FEMMES DANS LE PROCESSUS DMOCRATIQUE TUNISIEN Martina Schmidt - secrtaire romande, Pain pour le prochain--e

    s-,s-eeees-rrss

    Alors que les femmes ont t les premires actrices dela rvolution tunisienne, aujourdhui elles se battentpour prserver leur statut de citoyennes part entire.

    Pour elles, le printemps arabe ntait pas un printemps, disent certaines. En effet, la tendance isla-miste se renforce qui cherche taire leur voix et les

    renvoyer derrire les fourneaux. La socit tunisienneoscille entre dsenchantement et mobilisation socialesans prcdent.

    es de cette 9me dition centralise du FSM. Photo: Sergio Ferrari

    taire non virtuel. Laltermondialisme et la rvolution arabe main

  • LE COURRIERSAMEDI 27 AVRIL 2013

    14 E-CHANGERSUPPLMENT

    FORUM SOCIAL MONDIAL

    Q: Quels ont t les aspectsles plus importants de cettenouvelle dition du FSM?

    R: Il y a eu une forte participa-tion tunisienne. Nous l'avonsvu, par exemple, dans les ate-liers et activits ddis ladette. galement dansl'Assemble des MouvementsSociaux du vendredi 29. Legrand intrt de la jeunesse etdes mouvements sociaux pourcette initiative tait vident.

    Q: Cela signifie-t-il que leFSM sort renforc de cettesession au Maghreb?

    R: Cela ne fait aucun doute. LeFSM vit une crise videntedepuis quelques annes dj.En particulier le ConseilInternational, comme instancefacilitatrice, rencontre des dif-ficults normes trouver unenouvelle dynamique... Et dansle mme temps, le ForumSocial, de manire incontes-table, reste le seul lieu et cadremondial o se rencontrent lesmouvements sociaux. Et dansce sens le FSM reste trsimportant. tant donn que lasocit tunisienne et celles dela rgion sont activementmobilises, cela a apport unsouffle d'air frais et de renou-veau cet espace internatio-nal. Le Forum Social, enentrant en contact avec unesocit en mouvement, enbullition, produit une ractionchimique, une interactionextrmement intressante, etnous l'avons constat lors decette dition.

    Q: Selon votre bilan, le fait deconvoquer le FSM dans unpays et une rgion en bulli-tion pourrait aussi, l'avenir,servir d'antidote contre toutrisque dinstitutionnalisationde cet espace mondial...

    R: Tout fait. Nous pourrionsimaginer une prochaine ditiondu FSM en Egypte si un grouped'organisations de ce pays dsi-rait le recevoir. En effet,l'Egypte vit une situation totale-ment lectrique avec un mou-vement syndical proportionnel-lement plus fort dans le secteurindustriel qu'en Tunisie, avecune paysannerie fortementfrappe par les politiques no-librales de la Banque Mondialeet la privatisation des terres.Mais des explosions socialespourraient avoir lieu dansd'autres parties du monde etdivers scnarios sont imagi-nables.

    Q: Comment dbloquer lesdifficults et la forme deparalysie laquelle estconfront le ConseilInternational du FSM?

    R: Je n'ai pas de solutions. Jeconstate qu'une srie de forcesqui composent le Conseil dsi-rent continuer jouer ce rle.Ce que Tunis nous enseigne,c'est qu' un certain moment ilfaut librer le terrain et laisserde l'espace de nouvellesforces. Nous, en tant queCADTM, continuons tremembres du ConseilInternational et nous savonsqu'il y a des acteurs trs int-

    ressants et dynamiques en sonsein, avec lesquels nous colla-borons troitement. Mais nousvoyons galement qu'il y a unesrie de forces trs institution-nalises qui grent la marquedu Forum Social selon leursintrts.

    Q: Dans le cadre de ce bilanoptimiste, quels ont t leslments ngatifs qui ressor-tent de cette dition?

    R: Parmi les organisations quiont install leur stand se trou-vait l'USAID, qui est l'organismede coopration des Etats-Unis,prsent dans toutes les opra-tions de dstabilisation autourdu globe. Donc cette organisa-tion n'a rien faire au Forum.C'est un lment proccupant,d'autant qu'il implique une vio-lation de la Charte desPrincipes de 2001. Je com-prends donc les participantsqui sont alls vider cette orga-nisation du primtre du cam-pus universitaire El Manar.Nous avons galement vu quela monarchie marocaine aenvoy une centaine de per-sonnes payes pour se fairepasser pour des membres d'or-ganisations non-gouvernemen-tales et sociales. Une partied'entre elles sont des policiersqui sont venus empcher ques'exprime dans cet espace larevendication du droit un tatSaharaoui indpendant... Il fauttrouver les moyens de protgeren particulier les activistesmarocains qui ont le courage dedfendre le droit dmocratique la souverainet nationale.

    Outre les portes sociale, cultu-relle, conomique, politique, ido-logique et autres du Forum SocialMondial tenu Tunis et qui a prisfin le 30 mars 2013, lvnementa constitu une opportunit derencontres et dchanges, nonseulement entre les jeunes, maisaussi entre les diffrentes gn-rations, diffrentes nationalits etethnies du globe. Louverture dece Forum, qui se tenait pour lapremire fois dans un pays arabe,a bien incarn cette porte uni-verselle.

    Lambiance qui rgnait mardi 26mars avait transform le centre-ville en un village cosmopolitepris dassaut par des jeunes etdes moins jeunes venus desquatre coins du monde. Leurarrive a apport une brise defracheur, une note deuphorie une capitale en berne et un pays lhumeur maussade.

    En effet, ds le matin, les diff-rentes artres de Tunis ont connuune fbrilit jamais vcue jusque-l. Les grappes de jeunesaffluaient au fil des heures surlavenue Bourguiba, peu avant lecoup denvoi de ladite marche.Des organisations et associationsdu monde entier, des syndica-listes, des activistes et autresmilitants de tout ge, se sontconfondus dans la mare humai-ne qui avait envahi la place 14-Janvier.

    Tunisiens, Arabes, Africains,

    Asiatiques, Europens, Latino-Amricains et autres ont investiespaces commerciaux, espla-nades et cafs aux alentours delavenue Bourguiba. Ils cher-chaient une connexion Wifi, qui dequoi manger, et immortalisaientlinstant par des photos-souve-nirs. Via leurs comptes Twitter,Facebook et autres modes vir-tuels, ils ont tout de suite relayde belles images qui ont fait letour du monde en quelquesminutes

    C'tait un grand festival de sonset de couleurs o gadgets, bal-lons, musique, danses et slogansse fondaient dans une harmonietotale, faisant monter ladrnalinechez plusieurs Tunisiens venusassister la manifestation, et quinont pas hsit aller plongerdans la gigantesque foule.

    16h00, le grand cortge sestlanc sur lavenue Mohamed Vpour un dfil de plus de 35000personnes. Marchant petits pas,les groupes de manifestants sesont succd, chacun avec descouleurs distinctives, parfoiscelles-mmes de leurs drapeauxnationaux, linstar desTunisiens, des Palestiniens, desEgyptiens ou des Algriens.Dautres faisaient flotter avecorgueil les fanions de leurs orga-nisations ou de la communautquils reprsentaient: cologistesen vert, marxistes en rouge, etc.La manifestation avait aussi prislallure dune fte foraine avec de

    la musique, du chant et un foison-nement de couleurs

    Les messages taient aussi dis-parates que leurs auteurs. Ils plai-daient pour des causes aussidiffrentes que contradictoires,allant de la protection dessystmes cologiques, jusqu lalutte contre la discrimination.Certes, on a enregistr une domi-nance des tendances socialistes,anticapitalistes et altermondia-listes. La cause palestinienne,celle des Sahraouis, ainsi quecelle des minorits en Amriquelatine ont t, entre autres, aucentre des revendications pro-mues par plusieurs groupes demilitants et activistes. Certainsgroupes taient issus de plu-sieurs nationalits et dautres desmmes origines. La solidarit, l-galit, la dignit, la prennit desressources naturelles et lquitentre les genres, les gnrations,les Etats et les strates sociales,ont figur dans la majorit desslogans brandis par les manifes-tants.

    Ce fut une marche qui resteragrave, certes, dans les annalesdu Forum Social Mondial, mmesi elle naura pas gal celle dePorto Alegre au Brsil. Ilnempche, elle aura marqu aufer rouge la jeunesse tunisiennequi a ouvert, travers ce Forum,des canaux dchanges avec seshomologues dans le mondeentier. Ctait plus quunemarche, un festival

    LE MONDE TUNIS UNE MOSAQUE DE COULEURS, UNE PORTE UNIVERSELLENizar Hajbi, journal tunisien La Presse, Magazine du dimanche, 31 mars 2013

    Responsable ditorial: E-CHANGER, Rue St-Pierre 10, CH-1700 Fribourg Responsable de ldition du dossier ForumSocial Mondial: Sergio Ferrari Textes: Bernard Borel, Maya Graf, Luc Recordon, Jean Rossiaud, Luisa Cruz-Hefti, YanikMarguerat, Isolda Agazzi, Martina Schmidt, Jalel Matri, Nizar Hajbi Journal La Presse/Tunis, Sergio Ferrari Photos: AndreaTognina, Adeline Aubry, Sergio Ferrari Traduction: Hans Peter Renk, Jrmie Cravatte Correction: Claude Desimoni Miseen page: Pascal Messerli Exemplaires: 9'000 (dition quotidienne Le Courrier) et 300 (tir part) www.e-changer.ch

    E-CHANGER, ONG SUISSE DE COOPRATIONSOLIDAIRE NORD-SUDwww.e-changer.chAVEC LE SOUTIEN DE:

    Interview-bilan de l'historien et militant belge Eric Toussaint, coordinateur duComit pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM), membre duConseil International du FSM depuis ses dbuts

    RACTION CHIMIQUE POSITIVESergio Ferrari - Traduit par Jrmie Cravatte et Hans Peter Renk

    Le FSM, espace essentiel de la socit civile internationale. A Tunis, plus de 1000 activits autogres, avec une significative participation de la jeunesse. Photo: Adeline Aubry