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1 France - Japon, les âmes en résonance Témoignage 1 - Jeudi 11 avril 2019 - Hugo - Le témoignage de Bruno sur son parcours, le 9 novembre 2017, me touche intensément. Sensation vive d’une résonance. Il me suffit de substituer le terme Médecine par Art pour avoir l’impression d’écouter un témoignage qui coïncide étrangement avec mon vécu. Pour commencer, l’insatisfaction ressentie au sein du milieu professionnel. Le milieu de la médecine pour Bruno, le milieu artistique dans mon cas. L’obligation de changer de milieu par cycles successifs pour être au cœur d’une pratique plus juste, plus en rapport avec une orientation intérieure. Mes années de lycée me mènent tout droit à une carrière d’ingénieur. Je tourne le dos de cette carrière pour préparer le concours d’une école de cinéma, au grand désespoir de mes parents. Sorti de Louis Lumière, j’ai toutes les cartes en main pour être opérateur et réalisateur dans le milieu du cinéma traditionnel. Je fais alors l’expérience de quelques tournages, une routine s’installe, la sensation d'un certain confort - un confort extérieur et un inconfort intérieur - et je quitte assez vite ce milieu pour creuser un autre sillon, celui du cinéma expérimental. C’est une période très riche où je m'immerge avec bonheur dans ce cinéma. Je découvre des centaines de films : ceux des cinéastes des années 20 aux expériences visuelles des cinéastes contemporains. Je crée en 1997 une structure dédiée à la pratique et la diffusion du cinéma expérimental. Expérience fondatrice. Je suis au service de la pratique des cinéastes et je développe la mienne en parallèle. Les échanges entre les cinéastes sont riches et porteurs de sens. Aventure artistique aussi bien qu'humaine. En 2004, ma pratique évolue des films aux installations. Je projette mes images sur des volumes et sur les matériaux de la sculpture. Cela me fait quitter le milieu du cinéma expérimental pour m’aventurer dans un autre champ, celui de l'art contemporain. Mes installations s'exposent en galerie. A nouveau, un nouveau milieu, de nouveaux codes, de nouvelles pratiques. La vente d’œuvres, le milieu des galeries, le milieu des artistes contemporains. Dans ce milieu, on peut s’y attendre, il y a peu d’intérêt réel pour l’histoire de l’art, davantage le désir de reconnaissance, ça c'est du côté des artistes, et de réussite financière, ça c'est du côté des galeristes. Je n’y resterai pas non plus, je me sens attiré par ce qui se joue dans les nouveaux médias et l’art numérique. Les centres de création numérique comme Le Cube, à Issy les Moulineaux m’intéressent vraiment de près. J’y resterai plusieurs années au croisement de la recherche, de l’enseignement et de la pratique de l’art numérique. Au gré de mes rencontres, je découvre une constellation d’artistes et nous nous regroupons au sein d’une Agence d’art numérique, il s’agit du Pixel Blanc, créée en 2014 et dans laquelle je poursuis mes aventures. Je me sens à nouveau à ma place : au service des artistes tout en faisant avancer ma pratique en parallèle.

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France - Japon, les âmes en résonance

Témoignage 1 - Jeudi 11 avril 2019 - Hugo - Le témoignage de Bruno sur son parcours, le 9 novembre 2017, me touche intensément. Sensation vive d’une résonance. Il me suffit de substituer le terme Médecine par Art pour avoir l’impression d’écouter un témoignage qui coïncide étrangement avec mon vécu. Pour commencer, l’insatisfaction ressentie au sein du milieu professionnel. Le milieu de la médecine pour Bruno, le milieu artistique dans mon cas. L’obligation de changer de milieu par cycles successifs pour être au cœur d’une pratique plus juste, plus en rapport avec une orientation intérieure. Mes années de lycée me mènent tout droit à une carrière d’ingénieur. Je tourne le dos de cette carrière pour préparer le concours d’une école de cinéma, au grand désespoir de mes parents. Sorti de Louis Lumière, j’ai toutes les cartes en main pour être opérateur et réalisateur dans le milieu du cinéma traditionnel. Je fais alors l’expérience de quelques tournages, une routine s’installe, la sensation d'un certain confort - un confort extérieur et un inconfort intérieur - et je quitte assez vite ce milieu pour creuser un autre sillon, celui du cinéma expérimental. C’est une période très riche où je m'immerge avec bonheur dans ce cinéma. Je découvre des centaines de films : ceux des cinéastes des années 20 aux expériences visuelles des cinéastes contemporains. Je crée en 1997 une structure dédiée à la pratique et la diffusion du cinéma expérimental. Expérience fondatrice. Je suis au service de la pratique des cinéastes et je développe la mienne en parallèle. Les échanges entre les cinéastes sont riches et porteurs de sens. Aventure artistique aussi bien qu'humaine. En 2004, ma pratique évolue des films aux installations. Je projette mes images sur des volumes et sur les matériaux de la sculpture. Cela me fait quitter le milieu du cinéma expérimental pour m’aventurer dans un autre champ, celui de l'art contemporain. Mes installations s'exposent en galerie. A nouveau, un nouveau milieu, de nouveaux codes, de nouvelles pratiques. La vente d’œuvres, le milieu des galeries, le milieu des artistes contemporains. Dans ce milieu, on peut s’y attendre, il y a peu d’intérêt réel pour l’histoire de l’art, davantage le désir de reconnaissance, ça c'est du côté des artistes, et de réussite financière, ça c'est du côté des galeristes. Je n’y resterai pas non plus, je me sens attiré par ce qui se joue dans les nouveaux médias et l’art numérique. Les centres de création numérique comme Le Cube, à Issy les Moulineaux m’intéressent vraiment de près. J’y resterai plusieurs années au croisement de la recherche, de l’enseignement et de la pratique de l’art numérique. Au gré de mes rencontres, je découvre une constellation d’artistes et nous nous regroupons au sein d’une Agence d’art numérique, il s’agit du Pixel Blanc, créée en 2014 et dans laquelle je poursuis mes aventures. Je me sens à nouveau à ma place : au service des artistes tout en faisant avancer ma pratique en parallèle.

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Je n’ai pas eu de mal à quitter ces différents milieux. L’enseignement spirituel du Paraclet - Castalie nous forme au discernement. Discernement entre la voie de la personnalité et la voie de l’âme. Dans ces différents milieux professionnels que j’ai pu évoquer, les ressorts de la personnalité jouent à fond. Et l’âme court loin devant… Les seuls moments lumineux, c'est quand on est sincèrement dans le partage et dans l'échange. Ce que j'ai pu vivre par deux fois : l'aventure de l'Etna, structure avec laquelle je garde des liens et celle actuelle du Pixel Blanc qui me porte toujours. Donc le cinéma et l'art numérique. Dans le témoignage de Bruno, en plus du détachement à l’égard des milieux professionnels, j’entends la volonté d’articuler une pratique médicale à une pratique spirituelle, de conjuguer l’exotérique avec l’ésotérique, le visible et l’invisible. Cette recherche, je l’ai à l’esprit mais j’ai entretenu jusqu’à présent des rapports conflictuels entre cette aspiration vers l’art et cette aspiration vers le spirituel. Le témoignage de Bruno résonne en moi car il apporte une perspective pour relier la sphère spirituelle avec la sphère professionnelle. C'est possible ! Et le simple fait que ce soit possible me donne du baume au cœur. Et finalement, à bien y réfléchir, c'est quoi ce trait d'union entre l'aspiration professionnelle et l'aspiration spirituelle ? C'est quoi le moteur profond ? C'est le service. La volonté de servir, pour qu'elle s'exprime, doit retrouver une pureté originelle. Elle doit faire l'économie de tout ce pour quoi ce monde nous modèle : la réussite professionnelle. On ne peut pas conjuguer la réussite professionnelle avec la réussite spirituelle. Par ailleurs, la réussite professionnelle passe par une série de codes. Il convient de maitriser un vocabulaire et un savoir. On est dans l'artifice de la communication. Ce que l'on appelle "les éléments de langage" en politique. On sait aujourd'hui qu'il vaut mieux faire l'économie d'un tel langage, qu'il encombre l'esprit. C'est vrai pour l'artiste comme pour le chercheur en spiritualité. En cette soirée du 9 novembre, je m'empresse de dire à Bruno comment je suis touché par son témoignage. Et déjà nous évoquons les estampes japonaises qui semblent être une entrée privilégiée où l’expérience artistique et l’expérience spirituelle fusionnent. Car le Docteur Bréchemier est à sa façon un Docteur Gachet, ouvert au monde de l'art et qui entretient un lien étroit avec le travail des artistes. De mon côté, je partage aussi cette attirance pour le Japon. Ce pays porte en lui un passé riche d’expériences spirituelles et artistiques. L’archipel nippon porte en lui des germes de lumière et un parfum d’avenir. - En 2012, lorsque je travaillais à la constitution de la Rayothèque, j’ai relevé un profil psychologique particulier. L’association rare et féconde du 4 et du 7. Une note en avance sur son temps, une note très aquarienne. On la retrouve en étudiant les œuvres et la biographie de

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deux peintres, Hiroshige et Hokusaï. C’est une première touche pour moi avec le Japon par le biais de la Rayothèque. J’ai retrouvé ces notes lors d’un témoignage que j'ai donné en 2013 :

4 et 7 : Les artistes magiciens Le thème constant de leurs œuvres : nous faire accéder à une vision spirituelle. Leur vision de la spiritualité est profondément en lien avec le monde sensible. Le corps importe. Le corps n’est pas un vain mot… Nous sommes esprit en puissance mais nous sommes aussi incarnés dans des corps. C’est en assumant pleinement cette réalité qu’est le corps que nous accèderons à l’esprit. L’homme importe. Nous sommes des initiés en puissance mais nous sommes aussi des hommes. C’est en assumant pleinement notre réalité humaine que nous accèderons à l’initiation. Une association de mots résume à merveille cette association de rayons : la spiritualisation des formes. Ces artistes sont des organisateurs de la forme. Ils partent de la forme pour nous faire accéder à une dimension supérieure, celle de l’esprit. En cela, les artistes qui incarnent les énergies du 4ème et du 7ème rayon sont des révolutionnaires, ils sont les pionniers d’une approche qui est amenée à se développer dans l’avenir. Voici 6 personnalités sur ces rayons : Phidias, architecte, sculpteur et peintre. Masaccio et Leonard de Vinci, les artistes peintres de la Renaissance. Hokusai, Hiroshige, les maitres de l'estampe japonaise Barnett Newman, architecte, sculpteur et peintre : "Le peintre actuel ne s'intéresse pas à ses propres sentiments ni au mystère de sa propre personnalité, mais cherche à pénétrer le mystère du monde. Son imagination tente donc de creuser des secrets métaphysiques. Pour cela, son art est concerné par le sublime. "En essayant d'aller au-delà du monde visible et connu, il travaille avec des formes qui lui sont inconnues. Il est donc engagé dans un véritable acte de découverte dans la création de nouvelles formes et de nouveaux symboles qui auront la qualité vivante de la création."

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Suite à l’analyse de leurs œuvres, on peut résumer ainsi leur conception de l’art : la forme est pour ces artistes une barque qui nous mène vers les rives de l’esprit. - Deuxième touche pour moi en 2014 par une approche plus concrète, en réalisant une installation générative nommée « Vue de Kanazawa » inspirée d’une estampe d’Hiroshige, où je cherche à donner vie à ce mot magique « Ukiyo-e » : les images du monde flottant. J’ai, à cette période-là, une culture très imparfaite des liens qui unissent Le Japon et la France. Je perçois le lien avec quelques peintres impressionnistes… Van Gogh, Monet mais sans plus de détail. L’idée du travail à mener avec Bruno me donne le désir de faire une mise au point historique sur cette période, de mieux comprendre les liens réels qui ont existé dans le champ artistique entre le Japon et la France. La perspective de travail est belle et on devine qu’il y a comme un fil d’or à tisser qui relierait le passé au présent, et sans le moindre doute, le présent à l’avenir. En ce mois de novembre 2017, sur ce bout de trottoir face au forum 104, nous n’en sommes qu’aux prémices d’une recherche, mais nous pressentons qu’elle peut nous porter loin. Ce que nous avons entrevu par la suite, de lieu en lieu, d’expositions en expositions, entre peintures, installations numériques et architectures, a donné un contenu et un relief saisissant à cette première impression. Et bien que nous ayons avancé depuis, nous avons encore le sentiment d’être au tout début d’une recherche… Tant le champ à découvrir est vaste. - Bruno - Les deux témoignages de l’automne 2017 ont été une excellente occasion de regarder vers mon passé, la quarantaine d’années d’activité médicale et la trentaine d’années de présence au Paraclet - Castalie. Observer ce qui s’est tissé entre le passé et le présent, en témoigner ici, afin de faciliter ensuite le passage à autre chose, allant du présent vers l’avenir, vers un nouvel horizon. Dans ces deux heures de témoignage, je décrivais mon double parcours professionnel et spirituel se rapprochant et s’enroulant de plus en plus l’un autour de l’autre, un peu à l’image des deux serpents du caducée. A partir de 2012, suite à ma formation à l’hypnose et à l’évolution de Castalie vers davantage de méditations, ces deux parcours (professionnel et spirituel) ont fini par s’intriquer complètement, par fusionner grâce à un double changement en moi : 1) cesser de prioriser l’acquisition de connaissances, qu’elles soient exotériques médicales ou ésotériques castaliennes et 2) laisser grandir en moi un espace intérieur connecté à l’inconscient, à l’invisible, à l’intuition, à la créativité, au pouvoir de l’âme. C’est en me connectant à cette dimension intérieure, en lâchant au maximum « la tête », que je me sens apte à conduire des séances d’hypnose et vivre ma vie spirituelle. Au milieu de mon deuxième témoignage, cherchant à évoquer ce changement de paradigme dans ma vie, le discours jusque-là chronologique (les faits, les dates…) a laissé la place à une

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façon plus imagée, plus suggérée, plus hypnotique de parler, évoquant par touches successives quelques propos sur l’hypnose ainsi que sur quelques contacts marquants avec le monde spirituel, dont un à Tokyo. Quelques extraits de ces témoignages : Une citation de François Roustang à propos de l’hypnose : « L'attitude du thérapeute peut se définir comme une intensité de présence attentive, dépouillée de toute intention particulière. » Une autre du Dr Christophe André à propos de la méditation : « C'est rester là, présent, dans une attitude mentale particulière. Rester là en renonçant à contrôler, à trouver une solution. Mais rester là. Faire confiance à ce qui va arriver. Sans naïveté, mais avec curiosité, sans cesser d'être attentif. Comme un nageur qui interrompt ses mouvements et se laisse porter par le cours du fleuve. Il ne s'agit pas de passivité mais de présence. » Et à propos du « contact » : Tokyo, Avril 2017 Fête d’Hanami dans le Parc Ueno On y célèbre la Beauté des cerisiers en fleurs, Sakura Sakura, Métaphore de l’éphémère L’éphémère de la beauté mais aussi de la vie L’impermanence Pays de l’impermanence, pays de séismes, de typhons, de tsunamis Maisons légères, cloisons coulissantes transparentes Le visible et l’invisible Tout peut s’effacer d’un coup L’individu s’efface devant le groupe Tout au bout de l’Orient, une autre civilisation… si différente Dépaysement, perte des repères, l’ego s’efface peu à peu, qui suis-je vraiment ?... A l’extrémité du Parc Ueno, le Musée National de Tokyo A chaque saison, collection renouvelée d’estampes, de paravents, de kimonos Près de l’entrée, Amitabha, le Bouddha de la Terre pure Sensation de rétrécir encore davantage devant Sa présence Une citation de Pascal entendue en cours résonne en moi La connaissance de notre petitesse est la seule chose en nous qui ne soit pas petite Je vais de pièce en pièce Je promène ma petitesse Une salle entière consacrée à l’écriture dans le bouddhisme zen Calligraphies à l’encre noire de différentes périodes anciennes du Japon Mon attention est attirée par un poème waka déployé sur un grand paravent blanc et or à six panneaux agrémentés de motifs floraux (poème Waka, par Konoe Nobutada, 1565-1614) Et là, soudain… Il entre en moi par le côté gauche de ma cage thoracique En un souffle, Il remplit mes poumons… mon cœur En une fraction de seconde, Sa Présence répond à toutes mes interrogations Je suis saisi par Sa Présence

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Que va-t-il rester de moi si je Lui laisse toute la place ? Suis-je en train de disparaître ? de me transformer ? Après un long moment, je tente de sortir de cette salle n°8 Ma marche est différente, mon corps est différent Je ne peux me détacher de ce lieu peuplé de calligraphies zen de toutes tailles Je reste là une heure, une heure et demi, peut-être plus… Je ne peux plus partir de cette salle Je laisse s’ancrer en moi Sa Présence J’attends… Ne rien faire Etre juste là, présent Je suis là Je suis à ma place, je suis comme arrivé à MA destination Cela ne s’explique pas C’est Et je finis par sortir de cette salle… Repas dans un restaurant du musée Magnifiques arbres en fleurs dans le vaste parc Communion avec l’espace Marcher dans la ville Etre mouvement, présence Un état de transe spirituelle dans les rues de Tokyo Sensation que rien ne sera plus jamais comme avant Hasard du calendrier, ce deuxième témoignage tombait un 9 novembre, une date où il s’est passé de nombreux évènements historiques dans le monde. En Europe, dans l’histoire allemande en particulier, avec la chute du mur de Berlin le 9/11/1989 et en Asie, dans l’histoire du Japon, où le 9/11/1867 (exactement 150 ans en arrière) est la date d’entrée de ce pays dans unerégénérationtotale:laRénovationdeMeiji(MeijiIsshia:la«Rénovationéclairée».MeijivientduchinoisMing,quisignifie«clarté»)et l’ouverture du Japon au monde extérieur après 250 ans de fermeture totale. A la sortie de ce deuxième Témoignage, la longue discussion avec Hugo devant le 104 fait partie de ces moments magiques de la vie où quelque chose de totalement inattendu advient et impulse aussitôt un mouvement original vers un horizon inconnu. Nous parlons art, hypnose, Japon, estampes en particulier. Les méditations sur les tableaux sont entrées dans nos habitudes castaliennes depuis un moment. Dans un cours, JDR nous dit que dans chaque estampe japonaise, il y a une zone claire, autour de laquelle tout s’organise, permettant d’accéder à la dimension intérieure de l’oeuvre. Information qu’il tient du Pr Shinada. Avec Hugo, au fil de cette discussion, nait en nous l’envie de partir à l’aventure et rechercher ensemble la façon d’entrer dans une estampe par la voie méditative. L’art, un sésame pour accéder au monde intérieur du Japon.

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Ce que nous ne savions pas à l’époque, c’est que les voies de la recherche sont souvent …inattendues. En particulier, lorsqu’on focalise son attention sur le monde japonais ! Le Japon ne se dévoile pas facilement, que ce soit ici, à 11 000 km de distance ou sur place, lors d’un voyage. A l’image de son peuple tout en retenue, il nous a fallu avancer pas à pas. Une citation de Dominique Buisson, un spécialiste du Japon (dans l’ouvrage collectif Esthétiques du quotidien, p.45, Edition du Regard) : « Au Japon, est raffiné ce qui ne se voit pas ou du moins ce qui demande un effort pour être vu. Rien de brillant, de clinquant, de démonstratif, de preuve d’excellence, mais une force spirituelle qui témoigne de la beauté. C’est plutôt dans l’absence qu’il faut chercher, dans le vide entre deux formes, dans l’intervalle, la pause, le repos, la marge. Dans l’absolu, le beau doit rester inachevé, en devenir. » Une autre citation de Jun’ichiro Tanizaki, extraite de l’Eloge de l’ombre, un ouvrage classique sur l’architecture japonaise : «… car un laque décoré à la poudre d’or n’est pas fait pour être embrassé d’un seul coup d’œil dans un endroit illuminé, mais pour être deviné dans un lieu obscur, dans une lueur diffuse qui, par instants, en révèle l’un ou l’autre détail, de telle sorte que, la majeure partie de son décor somptueux constamment caché dans l’ombre, il suscite des résonances inexprimables. » Le monde japonais s’est progressivement ouvert à nous au fil des mois. Nous avons cheminé ensemble dans cette recherche qui s’est élargie à l’esthétique japonaise en général, une esthétique présente dans l’art, dans l’artisanat, dans l’art de vivre, une esthétique très fortement influencée par le bouddhisme zen. Qu’en dit Jacques Sourmail dans son magnifique livre Japon, une histoire secrète (p. 109) ? : « Les plus grands poètes, les plus célèbres peintres ont été des adeptes du Zen. Ils lui ont dérobé cette lumière dont ils éclairent leurs œuvres. Ils ont su rendre par des mots, par des traits de pinceau, ce qui flotte d’insaisissable derrière la réalité, « cette subtile immensité dans la contemplation de laquelle le sage trouve sa joie. » Début 2018, notre aventure commence en allant regarder de plus près des estampes au Musée Guimet (Musée national des arts asiatiques) à Paris. Les fameuses « images du monde flottant » ou ukiyo (monde flottant) – e (image) en japonais. Surprenante expression qui questionne. Vous connaissez tous la fameuse estampe d’Hokusai : la grande vague bleue devenue l’image iconique du Japon (« Sous la vague au large de Kanagawa »). On y voit plusieurs plans de vagues dont cette immense vague verticale sur la gauche, trois barques ballotées par les flots où se tassent quelques humains. Au fond, la mer est calme et, dans sa parfaite forme conique, apparait le Mont Fuji, la montagne la plus sacrée du Japon, l’image éternelle du pays du Soleil Levant. Méditer devant cette célèbre estampe peut être une bonne façon d’aborder l’univers japonais. Elle n’est sans doute pas devenue aussi représentative de ce pays sans raison. « La forme est, pour ces artistes, une barque qui nous mène vers les rives de l’esprit. » disait Hugo plus haut.

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- Hugo - Comme Bruno l'a indiqué, nous allons faire un tour au musée Guimet. J'y avais fait de belles découvertes 5 ans auparavant pour préparer mon travail sur l'œuvre dont je vous en ai parlé : "Vue de Kanazawa", en hommage au peintre Hiroshige. Je vous donne le contexte. Une société foncière sur Paris voulait décorer son hall d'accueil avec une œuvre de grande dimension et cherchait des idées. La Seine était juste à côté. J'ai proposé de revisiter une estampe avec la présence de l'eau et un paysage de montagne. Rapidement, une estampe s'est imposée, "Clair de lune sur Kanazawa" du peintre Hiroshige. J'ai retravaillé les motifs de l'estampe pour créer davantage de vide dans le ciel et dans l'eau, afin de peupler ce vide d'images mouvantes. Le cartel disait ceci : Il s'agit d'une méditation sur l'impermanence du monde. Le monde est un étang où plusieurs réalités se font jour, s'interpénètrent et disparaissent. Des méduses se devinent sous la surface de l'eau, des lotus immenses ondulent parmi les pécheurs, des nuages passent dans le ciel et se reflètent dans l'eau, des comètes illuminent le ciel de leur éclat surnaturel et des villes qui nous sont connues se dévoilent dans une pluie de particules. Les panneaux de la composition mettent en scène, comme au travers de fenêtres enchantées, le passage du temps et la nature éphémère de la vie. Dans des variations infinies le numérique

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donne vie à une estampe issue d'un courant artistique que les japonais nomment Ukiyo-e, les images du monde flottant. A cette époque, je cherchais à me documenter sur les œuvres. Je voulais voir et toucher du doigt de vraies estampes. J'avais beau chercher, je ne trouvais ici et là que des ouvrages avec des reproductions d'estampes mais malheureusement pas d'estampes authentiques. La maison de la Culture du Japon me conseille alors le musée Guimet et je découvre un des rares lieux sur Paris, et peut-être même en France, où l'on peut avoir ce privilège de voir de près et de toucher des estampes japonaises. C'est ce que nous avons pu faire avec Bruno en février 2018. Visite au musée Guimet. Nous nous y sommes rendus plusieurs fois. Le lieu en soi vaut vraiment le détour. Il s'agit d'un des premiers musées en France consacré à l'art asiatique. Le musée Guimet est né du projet d’un industriel lyonnais, Émile Guimet, de créer un musée des religions de l’Égypte, de l’antiquité classique et des pays d’Asie. Des voyages en Égypte, en Grèce, puis un tour du monde en 1876 en compagnie du peintre Félix Régamey, avec des étapes au Japon, en Chine et en Inde lui permirent de réunir d’importantes collections qu’il présenta à Lyon en 1879. Par la suite, il va transférer ses collections dans un musée qu’il fait construire à Paris et qui fut inauguré en novembre1889. Petite citation d'Emile Guimet à Félix Régamey : « Tâchez d’être mon compagnon, nous passerons ainsi dix mois qui éclaireront tout le reste de notre vie. » proposa Émile Guimet au peintre Félix Régamey pour le convaincre de faire ensemble le tour du monde à partir de Philadelphie en 1876. En regardant les peintures de Régamey, on y découvre Emile Guimet au contact de moines bouddhistes plongés dans la découverte et la compréhension des spiritualités orientales. A l'étage, est conservée intacte la bibliothèque historique d'Emile Guimet, classée aujourd'hui au titre des monuments historiques. Nous vous invitons à y faire un tour. Il y règne une ambiance particulière. Lors de l'inauguration du musée, les murs de la bibliothèque ont vu s’y dérouler les toutes premières cérémonies de moines bouddhistes tibétains auxquelles ont assisté des personnalités comme Georges Clémenceau et Alexandra David Neel. Au rez-de-chaussée, un véritable trésor. Des milliers d'estampes avec des tirages allant du 18ème siècle au milieu du 20ème siècle. N'y allez pas avec un grand sourire en demandant à voir des estampes de tels ou tels peintres, ça ne marche pas comme ça. Il faut se plier au protocole. Vous recherchez la référence de l'ouvrage que vous voulez voir. Références que vous inscrivez sur une fiche. On vous apportera ensuite sur un charriot à roulette les précieux ouvrages et des albums de grande taille contenant les estampes.

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Ne cherchez pas à amadouer les gardiens du temple pour avoir des conseils ou des noms de peintres, ça ne sert à rien... Les gardiens semblent totalement hermétiques à l'esprit de leurs collections. Après avoir respecté méthodiquement le protocole, nous avons pu tourner les pages de ces albums d'estampes. La représentation de la nature, des arbres, des montagnes, de la neige, la vie des oiseaux sur les branches de cerisiers. Chaque page est un émerveillement. A feuilleter ces albums d'estampes, on comprend mieux l'engouement des peintres occidentaux pour l'art japonais. Toutes ces représentations du monde et du vivant sont portées par le souffle de la spiritualité. Dans les estampes les plus connues d'Hokusai, comme les 36 vues du mont Fuji, les hommes s'insèrent harmonieusement dans un paysage qui semble vivant et mystérieux. Tout est à la contemplation du paysage. La tâche du peintre est de traduire la magie de l'instant et du lieu. Le chemin du peintre est de se perfectionner sans cesse pour réussir à traduire cet impalpable, à rendre visible l'invisible. C'est ce que l'on comprend en étant attentif à ces estampes. Et quand on écoute les paroles d'Hokusaï, c'est on ne peut plus limpide. Il a 75 ans quand il écrit ceci : Depuis l’âge de six ans, j’avais la manie de dessiner la forme des objets. Vers l’âge de cinquante ans, j’avais déjà publié une infinité de dessins, mais tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans ne vaut pas la peine d’être compté. C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait encore plus de progrès ; à quatre-vingt-dix ans, je pénétrerai le mystère des choses ; à cent ans, je serai décidemment parvenu à un degré de merveille, et quand j’aurai cent-dix ans, chez moi, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Écrit à l’âge de soixante-quinze ans par moi, autrefois Hokusaï, aujourd’hui Gakyōrōjin, le vieillard fou de dessin. Ce peintre incarne merveilleusement la spiritualité japonaise. Cette capacité à être attentif au monde et à pénétrer le mystère des choses, on le retrouve déjà dans ces vers du 17ème siècle : Vivre uniquement le moment présent, se livrer tout entier à la contemplation de la lune, de la neige, de la fleur de cerisier et de la feuille d’érable… ne pas se laisser abattre par la pauvreté et ne pas la laisser transparaître sur son visage, mais dériver comme une calebasse sur la rivière, c’est ce qui s’appelle ukiyo. Par Asai Ryōi (1612 - 1691) Ecrivain et prêtre bouddhiste La spiritualité qui affleure dans les estampes, il semble qu'elle vienne de loin...

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A l'image d'Emile Guimet, les artistes français vont commencer à collectionner les estampes. A commencer par Emile Zola, Edouard Manet puis Whistler, Claude Monet, Alfred Sisley, Paul Gauguin, Théo et Vincent Van Gogh. On connait la suite. C'est le rejet de l'académisme en peinture et la naissance d'un mouvement pictural qui marquera durablement les esprits : l'impressionnisme. En avance sur son temps, Emile Guimet avait su comprendre son époque : " Le japonisme est avant tout un fait d'esthétique mais la révélation qu'il apporte d'un univers merveilleusement neuf et rénovateur n'est nullement dépourvue d'aspects moraux et spirituels." La révélation que fut la découverte du Japon pour les peintres impressionnistes est donc tout à la fois d'ordre esthétique et spirituel. - Bruno - Notre recherche bénéficie d’une belle synchronicité. Un évènement de grande ampleur a lieu en France en 2018 afin de célébrer le 160ème anniversaire des relations diplomatiques entre le Japon et la France. Son nom : Japonisme 2018, les âmes en résonance. Cette manifestation présente les multiples facettes de la culture japonaise des temps anciens à nos jours. Elle est une belle opportunité pour avancer dans notre parcours. La France et le Japon sont deux pays totalement différents, aux antipodes l’un de l’autre sur beaucoup de points et, cependant, ont établi entre eux une puissante et profonde relation d’âme à âme. C’est de Paul Claudel que vient ce sous-titre les âmes en résonance donné à cette grande manifestation culturelle. Claudel fut ambassadeur au Japon de 1921 à 1927 et grand admirateur de la culture japonaise. Il a vraiment plongé dedans, s’en est imprégné, écrivant de belles pages sur ce pays, sa civilisation, son art, et le théâtre Nô en particulier dont les pièces très codifiées sont jouées exactement de la même façon depuis 600 ans ! Il a beaucoup contribué au rapprochement entre nos deux pays. Dans le cadre de cette manifestation, nous décidons de nous rendre un matin à Giverny au Musée des impressionnismes pour l’exposition Japonismes Impressionnismes et, à quelques pas de là, dans la Maison de Claude Monet avec son magnifique jardin et son bassin aux nymphéas. Nous sommes en avril 2018, la nature est belle, les premières floraisons, les premières senteurs d’un printemps qui revient. Là, le Japon est tout proche. L’âme du Japon flotte de façon impalpable dans les œuvres présentées, dans les sensations qu’elles éveillent, dans la nature omniprésente. Dans le livret de présentation de l’exposition, l’ambassadeur du Japon en France, écrit : « En tant qu’ambassadeur du Japon en France, j’aime à dire que ce sont les Français qui

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comprennent le mieux la culture japonaise et inversement. Ma conviction est que c’était déjà le cas à l’époque de l’impressionnisme. » Les âmes en résonance… Avec l’hypnose et le travail sur l’inconscient, je me suis rendu compte à quel point ce mot de résonance était au cœur de la pratique thérapeutique. Toute séance d’hypnose suppose une synchronisation avec le patient durant laquelle le thérapeute, l’accompagnant, se met en harmonie physique et psychologique avec la personne accompagnée. Cet accordage (c’est le terme utilisé en hypnose) est essentiel, déterminant, pour la qualité de la séance d’hypnose. Sans cette synchronisation, sans cette harmonisation physique et psychologique, rien ne se passe. Les inconscients ont besoin de cette synchronisation pour s’ouvrir et entrer en résonance. Retournons quelques instants vers l’histoire du Japon. Après des siècles de guerres entre fiefs, entre chefs de clans, après une longue période féodale du 14 au 16ème siècle au cours de laquelle ont fleuri et se sont affinées dans le même temps toutes les formes d’art et d’artisanat spécifiquement japonaises, trois grands guerriers, trois shoguns d’exception (Oda Nobunaga, Totoyomi Hideyoshi, Tokugawa Ieyasu) ont réussi à fédérer les fiefs et instaurer l’unité du pays. Nous sommes en 1603. Commence alors le Sakoku, la fermeture totale du Japon au monde extérieur pendant 250 ans, une longue période d’isolationnisme économique et culturel. Vingt-cinq générations de shoguns Tokugawa se succèdent au pouvoir et gouvernent le pays d’une main de fer. C’est la Période d’Edo (1603-1853), du nom de la capitale (Edo) qui deviendra Tokyo. Malgré cette fermeture totale, le Japon connait un âge d’or de sa production artistique… et il se regarde. De là, nait une nouvelle forme artistique : les estampes, ukiyo-e, les images du monde flottant, les images du monde du quotidien, de l’instant présent, du flux mouvant de la vie, de l’éphémère capté, de l’impermanence. Les 3000 îles de l’archipel nippon reposent sur la ceinture de feu du Pacifique, sur un sol qui chaque jour s’éprouve mouvant. L’éphémère est au cœur de l’esthétique japonaise, comme l’impermanence l’est au cœur du bouddhisme. Comme le disait Hugo : « l’expérience artistique et l’expérience spirituelle fusionnent. » En 1853, la flotte américaine entre de force dans la baie de Tokyo et contraint le Japon à établir des relations commerciales avec le reste du monde. C’est bientôt le début de la Rénovation de Meiji qui va bouleverser la civilisation japonaise : plus de shoguns, plus de samouraïs, tout l’édifice social est chamboulé et même une partie du patrimoine bouddhiste est détruit. Seul l’empereur reste en place en raison de sa haute dimension sacrée ! Une rénovation politique et culturelle d’une grande ampleur, une véritable crise initiatique pour ce pays. Une première bombe atomique en quelque sorte. Et le Japon s’ouvre au reste du monde… En cette deuxième moitié du 19ème siècle, Paris est la capitale mondiale de l’Art. Les estampes japonaises y arrivent dans les années 1860 et vont provoquer une révolution artistique sans précédent. André Malraux, l’ancien ministre de la culture sous le Général de Gaulle et grand admirateur du Japon, disait : « L’art est le plus court chemin de l’Homme à l’Homme. » Les faits lui donnent raison. L’arrivée de l’esthétique japonaise entraine le rejet des conventions établies depuis la Renaissance, le rejet de la sacro-sainte perspective et la naissance d’un mouvement pictural

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porté par la vision novatrice des artistes du Japon (composition novatrice, cadrages originaux, perspective avec plusieurs points de vue en un seul, d’où la mobilité de l’œil et la combinaison de plusieurs points de vue dans une même image, l’utilisation des aplats de couleurs pures), un mouvement pictural qui va inciter les peintres à quitter leurs ateliers et à aller au contact de la nature, sur le terrain. C’est cette immersion totale des impressionnistes dans la nature qui leur permet de fixer sur la toile la vibration fugace de la lumière, de capter les sensations, les impressions vivantes de l’instant présent. Sur le tableau, l’éphémère devient l’éternel. Cette philosophie de l’impermanence est une aubaine pour ces jeunes peintres qui veulent capter le flux même de la vie (Pissaro, Manet, Monet, Degas, Van Gogh, Signac, Bonnard…). Un peu plus tard, Bergson suivra le même chemin. La découverte de l’esthétique japonaise prend chez eux l’allure d’une leçon de liberté. Le japonisme est pour l’essentiel l’expression d’artistes de l’avant-garde en quête de renouveau. Si le dernier tiers du XIXè siècle signe une des périodes les plus riches de la peinture française, c’est en grande partie au Japon qu’il le doit, aux résonances multiples qu’il a éveillé chez les artistes français et européens. Le phénomène du japonisme demeure un magnifique symbole de l’intégration réussie et féconde par l’Europe de valeurs culturelles étrangères, et de l’assimilation de celles-ci dans la perception esthétique de nombreux européens. Un phénomène en miroir de ce qui se passe au Japon depuis des époques très anciennes : l’assimilation d’éléments culturels étrangers (religions, écritures, arts…) venus d’Asie (Chine, Corée) puis d’Occident (Europe, USA) et qui, peu à peu, sont « japonisés ». C’est ainsi que la civilisation japonaise s’est construite depuis deux millénaires. Après avoir visité l’exposition Japonismes Impressionnismes, nous nous rendons dans la maison de Claude Monet. Il a été un des plus grands collectionneurs d’estampes et les murs colorés de sa maison en sont entièrement couverts. Nous sommes plus que jamais au Japon dans ce coin de Normandie ! Les toiles de Monet, et en particulier ses nymphéas, sont présentes dans les musées du monde entier. Au Japon, j’ai pu me rendre compte à quel point Monet était considéré comme un « Dieu ». On doit retirer ses chaussures pour entrer dans les salles où sont exposées ses œuvres, en signe de respect. On trouve même une reproduction de la maison de Giverny quelque part au sud de l’île de Shikoku ! Devant la maison se déploie un vaste jardin aux parterres de fleurs colorés et encore un peu plus loin, nous attend le célèbre bassin aux nymphéas avec son pont japonais. La végétation est généreuse : bambous, ginkgos biloba, érables, pivoines arbustives du Japon, lis, saules pleureurs… Là, le Japon est intensément présent et nous invite à la méditation… ce que nous avons fait avec Hugo. Et si, vous aussi, maintenant, là, vous fermiez vos yeux quelques instants, juste pour vous laisser transporter dans ce lieu où flotte une atmosphère si japonaise… et si vous vous laissiez porter par le plaisir de juste vous sentir inviter à une promenade hypnotique… comme si c’était peut-

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être le moment pour vous de partir dans une méditation sur la beauté de cet univers… de ses résonances multiples… et vous pouvez prendre plaisir à être juste pour quelques instants dans ce bassin aux nymphéas… à côté… ou peut-être même posé sur l’eau… comme un nénuphar… et sentir le flux mouvant de la vie… la vibration de l’eau… les reflets renversés du ciel dans ce miroir liquide… les jeux de lumière qui dansent et illuminent… l’atmosphère palpable de ce monde flottant… et peut-être, là, palper l’impalpable… vous laisser toucher par l’invisible omniprésent… juste quelques instants, comme le souffle de l’esprit du lieu qui s’offre à vous… éphémères sensations d’une immensité cachée… au-delà des apparences… lumière qui approfondit la contemplation… aller vers cette lumière, cette clarté… cette zone claire en soi autour de laquelle tout s’organise… se laisser guider… se laisser imprégner… impressionner par la magie de l’instant et du lieu… vibrations… sensations… grains de lumière… être là et ailleurs… et vivre pleinement l’expérience … Prendre son temps pour capter l’impalpable… l’éphémère… l’impermanence… et sentir flotter la légèreté en soi… une légèreté qui rend tout possible… une légèreté qui, comme des ailes d’oiseau vous permet aussi de revenir dans cette pièce… à votre rythme… tranquillement… - Hugo - Nous avons eu la chance de ne pas passer à côté d'un des points d'orgue des célébrations de l'année 2018 autour du japonisme. Il s'agit de l'exposition Jakuchu (1716-1800) au Petit Palais. Et cette chance nous la devons à l'invitation d'une amie japonaise, Yuka Toyoshima qui me disait simplement "Hugo, il faut que tu ailles voir l'exposition Jakuchu. C'est très rare et très important." On était alors à trois jours de la fermeture... Chère Yuka, nous t'exprimons notre gratitude ! Nous nous sommes donc retrouvés avec Bruno, un 10 octobre au matin devant le petit Palais. Plus d'une heure et demi d'attente pour obtenir le sésame et avoir la joie de découvrir une exposition en tout point exceptionnelle. La salle du petit Palais baigne dans une lumière tamisée. Chaque rouleau en soie est dans une niche éclairée et protégée par une vitre de protection. Le Royaume coloré des êtres vivants désigne une série de trente rouleaux relevant du genre des peintures de fleurs et d'oiseaux (Kachugo en japonais). Fleurs, arbres, oiseaux, insectes et poissons. A l'origine, Le Royaume coloré des êtres vivants a été peint comme un ornement censé magnifier la triade du Bouddha Sakyamuni, placé au centre de l'ensemble. Le Royaume coloré des êtres vivants représente une foule d'êtres vivants réunis pour écouter l'enseignement du Bouddha. Ce ne sont pas des estampes mais de la peinture sur soie de grande taille : 140 cm par 90 cm. Chaque œuvre est un exemplaire unique.

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Ce qui frappe au premier contact, c'est la minutie extrême du dessin et la splendeur des couleurs. Plus on s'approche, plus on plonge dans une multitude de détails colorés, chatoyants. Cela ressemble à un puits sans fond. On pourrait réellement passer des heures devant chaque tableau. Ce qui ressort aussi de la rencontre avec ces tableaux, c'est la dimension du sacré. Ces animaux que l'on voit ne sont plus des animaux mais semblent être les représentants les plus évolués du règne animal. Un peu comme si on était en présence des initiés de chaque espèce animale. Initié perruche, initié coq, initié faisan... Et souvent un regard pointe dans notre direction. Peut-être est-ce nous qui sommes scrutés en cet instant par ces animaux merveilleux ? Splendeur du règne animal. Splendeur et mystère de la vie incarnée. Il y a véritablement une dimension mystique dans cette rencontre. Le Bouddha enseigne et les représentants les plus dignes du monde animal écoutent cet enseignement. Tout devient conscience. Il ne manque que les humains. Mais finalement nous sommes présents. C'est nous... Les spectateurs des tableaux. Sans trop en être conscient, nous participons en tant que spectateurs à ce rituel sacré. Nous sommes pour un instant les représentants d'une humanité attentive au propos d'un maitre de la sagesse. Et tout est relié, tout est connecté, tout est transparent. Le règne végétal, le règne animal, l'humanité, les maitres de la sagesse, il n'y a plus de séparation. C'était la première exposition en Europe. Les tableaux sont repartis au Japon, remis dans les conditions de l'obscurité pour plusieurs mois, peut-être plusieurs années avant toute nouvelle exposition. Ne reste plus que des questions… Qui est ce peintre ? A quelle époque a-t-il peint cette œuvre étonnante ? Comment s'est-il formé à la peinture ? Quelle était son intention en peignant cette œuvre ? A qui était-elle destinée ? En cherchant un peu et grâce à un catalogue d'exposition très bien réalisé, on trouve des débuts de réponse. Elles vont dans le sens de ce qui a été entr'aperçu. Pour commencer, Jakuchu est l'enfant de son temps. Et son temps est une période de prospérité et de mutation. On est à mi-parcours de l'époque d'Edo. Comme Bruno l'a évoqué, c'est durant cette période que le Japon se ferme. Il rentre en lui-même, approfondi sa relation à l'âme. La tradition n'est pas un vain mot pour les japonais. C'est le socle à partir duquel la société japonaise se développe. La classe dominante - les guerriers - placée sous l'autorité des shoguns avait une position vis à vis de la culture qui peut se résumer par une expression tirée des Entretiens de Confucius : "Transmettre sans inventer", autrement dit une attitude conservatrice.

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Cette classe dominante faisait appel aux peintres officiels, peintre de père en fils et dont le lignage remontait à l'époque précédente et dont le style reposait sur l'application des canons de la peinture traditionnelle chinoise. A l'opposé des guerriers, les classes populaires voient leur pouvoir économique s'élever et développent une culture pleine de créativité, en réaction à celle des guerriers. C'est le cas dans les grands centres urbains : Edo, Kyoto, Osaka et Nagoya. On assiste à l'éclosion d'une forme de liberté d'expression et des idées propres aux citadins. Le nombre d'amateurs qui se vouent à la peinture connait un accroissement considérable. Bien qu'issu d'une famille de marchand de Kyoto, Jakuchu va se passionner pour la peinture dès son plus jeune âge (une quinzaine d'années) et décider à près de 40 ans de laisser l'affaire familiale pour se consacrer entièrement à la peinture. Il y a donc une nouvelle génération d'artistes qui arrive, un air frais et des idées nouvelles qui sont partagées entre citadins, entre lettrés. Par son appartenance au milieu des citadins de Kyoto, Jakuchu devint une des personnalités représentatives de la culture et des arts de cette catégorie sociale. Pour autant, le rapport à la tradition est toujours extrêmement présent. L'apprentissage de la peinture se fait par la copie des maitres anciens. La peinture de l'école Kano. Se reporter en particulier aux peintures de Kano Motonobu (1477-1559). Et l'influence des peintres chinois venus du continent en entrant au Japon par Nagasaki. C'est le cas du peintre Shen Quan (1682 - 1760), nom de pinceau Nanpin. Car même si le Japon s'est fermé, il y a un mince filet d'ouverture qui passe par le port de Nagasaki. Le Japon se révèle ainsi dans un subtil dosage entre tradition et modernité, c'est à dire dans un équilibre entre les opposés. La tradition est essentielle. Et la modernité ne peut surgir qu'après une parfaite assimilation de ce qui est porté par la tradition. Une modernité fermement ancrée dans la tradition... C'est un paradoxe, mais avec le Japon, on n'est pas à un paradoxe près. L'histoire de la peinture est là pour nous le rappeler. Lors de leur période d'apprentissage les peintres devaient copier à l'identique les toiles des maitres. Jakuchu aurait ainsi copié plus d'un millier de tableaux de maitres anciens. Des tableaux qui avaient été réalisés d'après nature, mais qu'il fallait copier pour ces apprentis. "Copier, copier... " soupirait-il. Lui qui aspirait à peindre le monde. "les choses, les choses !" C'est donc à près de 40 ans qu'il réalise son rêve et commence à peindre ses premiers animaux en peignant d'après nature avec des poules et des coqs dans son jardin.

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Mais du coup, quel souci de perfection, quelle vigueur, quel désir de se surpasser sans cesse ! Jakuchu réalise des prouesses techniques pour le rendu des couleurs avec une peinture réalisée à la fois sur le recto et le verso de la soie. Toutes sortes de nuances se dévoilent ainsi. Il excelle également dans le rendu des blancs obtenu avec de la poudre de coquillages. Le peintre exprime aussi sa subjectivité et sa nature contemplative dans ses compositions. J'ai envie de vous décrire un des rouleaux. Le 29ème rouleau s'intitule "Chrysanthèmes et ruisseau". On y voit un long ruisseau qui serpente de bas en haut du tableau. On est immédiatement attiré par le haut de la composition qui ressemble à un feu d'artifice de fleurs. C'est un bouquet de chrysanthèmes. Le rendu de chaque pétale est éclatant. Blanc sur fond beige. On perçoit le volume et le rayonnement de ces fleurs. Ce bouquet semble en apesanteur dans la composition. Comment fait-il pour tenir ? Alors on aperçoit une branche et on descend le long de cette branche par une courbe qui nous mène jusqu'à l'arbre. Une fois arrivé au pied de l'arbre, on retrouve l'entrée vaste du ruisseau et on chemine à nouveau. Nous montons... Et un oiseau posé sur l'arbre nous montre le chemin. Oui, vers le haut... Et en dérivant de la sorte on atteint à nouveau cette explosion de fleurs et de pétales. On réalise alors que le ruisseau qui guide notre course se poursuit au-delà du tableau. Encore un peu plus haut... Au-delà de l'air. Sans doute un chemin qui nous mène jusqu'au rien, jusqu'au vide. Ce tableau est une invitation à la légèreté, à l'élévation et au dépouillement. Pour aller vers l'invisible, vers ce qui est caché, vers le vide. Dans le vi(d)e, il y a une vie cachée. Le visible et l'invisible. Le naturel et le surnaturel. La vie et le vide. La recherche de l'équilibre dans la perception des paires d'opposés.