fractures et chutes: 2 marqueurs de la fragilité chez la ... · d’intervention), la précocité...

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Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 7 - septembre 2012 200 www.grio.org GRIO Coordonné par : T. Thomas (Saint-Étienne) Fractures et chutes : 2 marqueurs de la fragilité chez la personne âgée J.B. Gauvain* L e terme de “fragilité” en gériatrie n’est ni synonyme de maladie ou de handi- cap, ni adéquat pour caractériser des sujets très âgés. Il s’apparente à un processus continu physiopathologique par lequel l’inter- connexion progressive de plusieurs facteurs (maladies, traitements, dénutrition, manque d’activité, environnement inadapté) devient délétère sur le plan clinique. L’ostéoporose et la sarcopénie en sont des conséquences bien connues, et la diminution des capacités de réserve va freiner les efforts physiques de la personne âgée. Le cercle vicieux qui s’installe ainsi de façon insidieuse aggrave la sarcopénie, de même que le risque de chutes et d’événements fracturaires. Une définition de la fragilité comme syndrome clinique (1) a permis de cibler ce profil de patient. La per- sonne âgée n’est pas toujours consciente de cet état de fragilité, de son instabilité, et le banalise : or, c’est justement l’inverse, le caractère encore réversible doit inciter à s’y intéresser. L’existence d’une chute au cours de l’année passée constitue chez la personne âgée un mode d’entrée dans la fragilité qui témoigne d’une désadaptation de l’individu à son environnement. La fréquence des fractures et des chutes est en augmentation du fait de plusieurs phéno- mènes qui se conjuguent : arrivée à l’âge de la retraite de la génération des baby-boomers depuis 2005, profil des patients qui change (plus de comorbidités), avec un niveau de “fragilité” qui s’accroît (2). L’incapacité liée à la fracture de l’extrémité du col du fémur est d’autant plus importante que l’âge ou le nombre de comorbidités est élevé et que les troubles de la marche sont importants. Par exemple, le suivi prospectif sur 5 ans, avec une approche holistique, de plusieurs indi- cateurs chez 193 personnes âgées montre la forte prévalence de la sarcopénie (71 %) et de la dénutrition (58 %) [3]. Les caractéris- tiques du patient au moment de la fracture influencent les capacités de récupération, mais aussi le processus de soins (le délai d’intervention), la précocité de la mobilisa- tion, l’impact d’une intervention gériatrique, l’adhésion à la réhabilitation, voire le recours aux compléments nutritionnels, même si ce dernier point reste discuté. Mais toute la question est de repérer des facteurs de risque, facilement mesurables, et modifiables, soit pour permettre une récupération postopératoire plus rapide, soit pour mieux prévenir les chutes et anticiper les événements fracturaires. Une démarche préventive telle que recommandée par la Haute Autorité de santé fait consensus (4). Le risque de chutes répétées résulte davantage de l’accumulation de facteurs que d’un facteur unique : c’est donc une démarche holistique qui permet d’élaborer des recommandations efficaces. Il est ainsi recommandé de s’intéres- ser au mécanisme de la chute, à la recherche de facteurs intrinsèques dépendant de l’état de santé de l’individu (pathologies neurolo- giques et rhumatologiques, vision, traitements médicamenteux, etc.), mais aussi d’éléments extrinsèques (chaussures, éclairage, obstacles au sol) et comportementaux (capacité aux transferts, aides techniques à la marche). L’appui monopodal inférieur à 5 secondes, le get up and go test supérieur à 20 secondes, la vitesse de marche inférieure à 0,8 m/s et la variabilité du pas sont prédictifs de chutes (5). Les résultats des études d’intervention dif- fèrent selon leurs objectifs (diminution du nombre de chutes, de leur gravité ; maintien de l’autonomie, de la qualité de vie), mais l’effet d’une intervention est d’autant plus important que la population ciblée est à risque de chute. Or, le principal facteur de risque de chute est le fait d’en avoir déjà fait une. Le développement de consultations gériatriques pluridisciplinaires spécifiques de la chute répond à une démarche consensuelle relevant d’une approche plurifactorielle qui s’attache à corriger les principaux facteurs de risque de chute repérés et à remettre en route la pratique d’une activité physique. Le manque d’intérêt des personnes âgées pour ces activités est le témoin de leurs difficultés d’adhésion aux différentes recommandations. Plus la personne âgée avance en âge, plus le suivi de ces recommandations nécessite donc un travail interdisciplinaire organisé en réseau : chutes et fractures sont bien l’affaire de tous. * Gérontologie, hôpital Porte-Madeleine, CHR d’Orléans. 1. Fried LP, Tangen CM, Walston J et al. ; Cardiovascular Health Study Collaborative Research Group. Frailty in older adults: evidence for a phenotype. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2001;56(3):M146-56. 2.Faber MJ, Bosscher RJ, Chin AP et al. Effects of exercise pro- grams on falls and mobility in frail and prefrail older adults: a multicenter randomized controlled trial. Arch Phys Med Rehabil 2006;87:885-96. 3. Fiatarone Singh MA, Singh NA, Hansen RD et al. Methodology and baseline characteristics for the Sarcopenia and Hip Fracture Study: a 5-year prospective study. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2009;64A(5):568-74. 4.HAS 2009 : www.has-sante.fr/portail/upload/docs/applica- tion/pdf/2009-06/chutes_repetees_personnes_agees_-_argu- mentaire.pdf. 5. Abellan Van Kan G, Rolland Y, Andrieu S et al. Gait speed at usual pace as a predictor of adverse outcomes in com- munity-dwelling older people. An International Academy on Nutrition and Aging (IANA) Task Force. J Nutr Health Aging 2009;13(10):881-9. Références

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Page 1: Fractures et chutes: 2 marqueurs de la fragilité chez la ... · d’intervention), la précocité de la mobilisa-tion, l’impact d’une intervention gériatrique, l’adhésion

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 7 - septembre 2012200

w w w . g r i o . o r g

G R I O Coordonné par : T. Thomas (Saint-Étienne)

ADA 2O12American Diabetes Association

Le Rendez-vous Français

Philadelphie, États-Unis,8-12 juin 2012

Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition remercie les congressistes français ainsi que les laboratoires Novo Nordisk pour leur implication dans la réussite de ce Rendez-vous Français à l’ADA.

Prochain “Rendez-vous Français” à l’ADA, 21-25 juin 2013, Chicago, États-Unis

Avec le soutien institutionnel de

Fractures et chutes : 2 marqueurs de la fragilité chez la personne âgéeJ.B. Gauvain*

L e terme de “fragilité” en gériatrie n’est ni synonyme de maladie ou de handi-cap, ni adéquat pour caractériser des

sujets très âgés. Il s’apparente à un processus continu physiopathologique par lequel l’inter-connexion progressive de plusieurs facteurs (maladies, traitements, dénutrition, manque d’activité, environnement inadapté) devient délétère sur le plan clinique. L’ostéoporose et la sarcopénie en sont des conséquences bien connues, et la diminution des capacités de réserve va freiner les efforts physiques de la personne âgée. Le cercle vicieux qui s’installe ainsi de façon insidieuse aggrave la sarcopénie, de même que le risque de chutes et d’événements fracturaires. Une définition de la fragilité comme syndrome clinique (1) a permis de cibler ce profil de patient. La per-sonne âgée n’est pas toujours consciente de cet état de fragilité, de son instabilité, et le banalise : or, c’est justement l’inverse, le caractère encore réversible doit inciter à s’y intéresser. L’existence d’une chute au cours de l’année passée constitue chez la personne âgée un mode d’entrée dans la fragilité qui témoigne d’une désadaptation de l’individu à son environnement.La fréquence des fractures et des chutes est en augmentation du fait de plusieurs phéno-mènes qui se conjuguent : arrivée à l’âge de la retraite de la génération des baby-boomers depuis 2005, profil des patients qui change (plus de comorbidités), avec un niveau de

“fragilité” qui s’accroît (2). L’incapacité liée à la fracture de l’extrémité du col du fémur est d’autant plus importante que l’âge ou le nombre de comorbidités est élevé et que les troubles de la marche sont importants. Par exemple, le suivi prospectif sur 5 ans, avec une approche holistique, de plusieurs indi-cateurs chez 193 personnes âgées montre la forte prévalence de la sarcopénie (71 %) et de la dénutrition (58 %) [3]. Les caractéris-tiques du patient au moment de la fracture influencent les capacités de récupération, mais aussi le processus de soins (le délai d’intervention), la précocité de la mobilisa-tion, l’impact d’une intervention gériatrique, l’adhésion à la réhabilitation, voire le recours aux compléments nutritionnels, même si ce dernier point reste discuté.Mais toute la question est de repérer des facteurs de risque, facilement mesurables, et modifiables, soit pour permettre une récupération postopératoire plus rapide, soit pour mieux prévenir les chutes et anticiper les événements fracturaires. Une démarche préventive telle que recommandée par la Haute Autorité de santé fait consensus (4). Le risque de chutes répétées résulte davantage de l’accumulation de facteurs que d’un facteur unique : c’est donc une démarche holistique qui permet d’élaborer des recommandations efficaces. Il est ainsi recommandé de s’intéres-ser au mécanisme de la chute, à la recherche de facteurs intrinsèques dépendant de l’état

de santé de l’individu (pathologies neurolo-giques et rhumatologiques, vision, traitements médicamenteux, etc.), mais aussi d’éléments extrinsèques (chaussures, éclairage, obstacles au sol) et comportementaux (capacité aux transferts, aides techniques à la marche). L’appui monopodal inférieur à 5 secondes, le get up and go test supérieur à 20 secondes, la vitesse de marche inférieure à 0,8 m/s et la variabilité du pas sont prédictifs de chutes (5).Les résultats des études d’intervention dif-fèrent selon leurs objectifs (diminution du nombre de chutes, de leur gravité ; maintien de l’autonomie, de la qualité de vie), mais l’effet d’une intervention est d’autant plus important que la population ciblée est à risque de chute. Or, le principal facteur de risque de chute est le fait d’en avoir déjà fait une. Le développement de consultations gériatriques pluridisciplinaires spécifiques de la chute répond à une démarche consensuelle relevant d’une approche plurifactorielle qui s’attache à corriger les principaux facteurs de risque de chute repérés et à remettre en route la pratique d’une activité physique. Le manque d’intérêt des personnes âgées pour ces activités est le témoin de leurs difficultés d’adhésion aux différentes recommandations. Plus la personne âgée avance en âge, plus le suivi de ces recommandations nécessite donc un travail interdisciplinaire organisé en réseau : chutes et fractures sont bien l’affaire de tous. ■

* Gérontologie, hôpital Porte-Madeleine, CHR d’Orléans.

1. �Fried LP, Tangen CM, Walston J et al. ; Cardiovascular Health Study Collaborative Research Group. Frailty in older adults: evidence for a phenotype. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2001;56(3):M146-56.

2. �Faber MJ, Bosscher RJ, Chin AP et al. Effects of exercise pro-grams on falls and mobility in frail and prefrail older adults: a multicenter randomized controlled trial. Arch Phys Med Rehabil 2006;87:885-96.

3. �Fiatarone Singh MA, Singh NA, Hansen RD et al. Methodology and baseline characteristics for the Sarcopenia and Hip Fracture Study: a 5-year prospective study. J Gerontol A Biol Sci Med Sci 2009;64A(5):568-74.

4. �HAS 2009 : www.has-sante.fr/portail/upload/docs/applica-tion/pdf/2009-06/chutes_repetees_personnes_agees_-_argu-mentaire.pdf.

5. �Abellan Van Kan G, Rolland Y, Andrieu S et al. Gait speed at usual pace as a predictor of adverse outcomes in com-munity-dwelling older people. An International Academy on Nutrition and Aging (IANA) Task Force. J Nutr Health Aging 2009;13(10):881-9.

R é f é r e n c e s