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impact science et société

Vol. XXIII, no 3, juillet-septembre 1973

L'adaptation évolutive du comportement humain lrenäus Eibl-Eibesfeldt L a thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ? llya Prigogine (interview) Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine D. A. Hamburg et H . K. H . Brodte La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle P. K. Anokhine D e l'humanisation de la nature humaine Léon Eisenberg Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement Andrea Bissanti C o m m e n t lutter contre les bruits d'origine mécanique pour réduire la tension psychologique Gosta Carlestam

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Dans les numéros précédents Illustration de la couverture: Jean-Louis Chauvin Alan Iselin

Rédacteur: Jacques Richardson

Secrétaire de rédaction: Ariette Pignolo

Abonnement annuel : [A] 16 F ; £1.20; $4 Le numéro : [ A ] 5 F ; 4 0 p ; $ 1 . 2 5

Adressez les demandes d'abonnement aux agents généraux (voir liste), qui vous indiqueront les tarifs en monnaie locale. Toute notification de change­ment d'adresse doit être accompagnée de la dernière bande d'expédition.

Les articles paraissant dans Impact expriment l'opinion de leurs auteurs, et non pas nécessairement celle de l'Unesco ou de la rédaction.

Vol. X X I I (1972), n° 4 Des prix Nobel méditent sur ¡a science

L'éthique des rapports entre la science et la société, par Eugène P. W I G N E R . U n impératif social : organiser les structures et les applications de la science, par Jan T T N B E R G E N . Le progrès scientifique et la condition humaine, par Giulio N A T T A .

Les perspectives d'une homéostasie mondiale, par F. M . B U R N E T .

D u bon usage de la connaissance et de l'intelligence, par Albert S Z E N T - G Y Ö R G Y I . La science et les droits de l'homme, par René CASSIN.

Vol. X X m (1973), n° 1 Fonctions biologiques et comportement — /

Le comportement humain et l'origine de l'homme, par M . J. RALEIGH et S. L. W A S H B U R N .

Les dimensions du comportement social de l'homme, par Michael R. A . C H A N C E . Les manipulations génétiques, par David KLEIN. Protection de la mère et de l'enfant: des résultats en Répu­blique populaire de Chine, en République démocratique du Viêt-nam et à Cuba, par Alexandre M I N K O W S K I . Fonction du corps et langage pour l 'homme, par Germaine A n n e R I B I È R E . La droite et la gauche ou l'asymétrie interne, par Santosh K U M A R . Comment l'acupuncture permet de supprimer la douleur, par Ronald M E L Z A C K .

Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, 7, place de Fontenoy 75700 Paris (France)

Vol. XXIII (1973), no 2 La science et le sub-Sahara

Problèmes du développement scientifico-technique en Afrique, par Landing S A V A N E . La planification et l'enseignement scientifique adaptés aux besoins du pays, par Thomas R . O D M A M B O . Approche pratique d'une éducation technique précoce, par M . O . C H I J I O K E .

La voie tanzanienne du développement, par Jimoh O M O -FADAKA. L'agri-sylviculture : pour accroître la production alimen­taire de la nature, par James S H O L T O - D O U G L A S . La schistosomiase : un défi à la société — la lutte contre une maladie d'origine humaine, par A K L I L U L E M M A .

Imprimerie Corbaz Montreux (Suisse)

S C 73/I.87/F

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impact science et société

Vol. XXIII , n° 3, juillet-septembre 1973

Fonctions biologiques et comportement 2

Présentation

Irenäus Eibl-Eibesfeldt L'adaptation évolutive du comportement humain

Dya Prigogine (interview)

D . A . H a m b u r g et H . K . H . Brodie

P. K . Anokhine

Léon Eisenberg

Andrea Bissanti

L a thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

L a formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

D e l'humanisation de la nature humaine

Les bases pharmocologiques du traitement des troubles du comportement

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213

233

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Gösta Carlestam C o m m e n t lutter contre les bruits d'origine mécanique pour réduire la tension psychologique 259

Appel aux lecteurs

N o u s serons heureux de publier des lettres contenant des avis motivés — favorables ou non — sur tout article publié dans Impact ou présentant les vues des signataires sur les sujets traités dans notre revue. Prière d'adresser toute correspondance à: Rédacteur, Impact: science et société, Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris (France). © Unesco 1973.

Les articles publiés dans Impact peuvent être reproduits, sous réserve de l'autorisa­tion préalable du rédacteur.

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B o n anniversaire !

La première réunion internationale de météorolo­gues a eu lieu le 23 août 1853 à Bruxelles ; les spécialistes du temps y étaient venus à titre person­nel. Et c'est vingt années plus tard, à Vienne, du 2 au 16 septembre 1873, que s'est tenu le premier congrès météorologique international, rassemblant des spécialistes de la météorologie représentant officiellement leurs gouvernements respectifs. Bien que l'Organisation météorologique internationale n'ait été créée qu'en 1878, peu avant le deuxième congrès qui devait se réunir au printemps suivant, à R o m e , l'Organisation météorologique mondiale ( O M M ) , qui lui a succédé, célèbre cette année son centième anniversaire, en faisant remonter son origine à l'assemblée qui s'est tenue il y a un siècle en Autriche.

L ' O M M est l'une des institutions spécialisées de l'Organisation des Nations Unies ; elle compte plus de 130 Etats membres et a son siège à Genève. Fonctionnant dans le monde entier en tant que service consultatif et normatif, l ' O M M non seule­ment aide à éviter les dévastations causées par les forces de la nature, mais indique aussi comment utiliser le temps au mieux des intérêts sociaux et économiques de l'humanité.

CORRIGENDUM

Nous prions nos lecteurs de nous excuser de l'erreur qui s'est glissée dans l'article du professeur Alexandre Minkowski paru dans le numéro 1, vol. XXIII , de janvier-mars 1973.

A la page 38, le second sous-titre doit être lu c o m m e suit : Santé des enfants par districts.

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Présentation

Dans ce second numéro consacré aux bases biologiques du comportement humain, l'accent est mis sur le proces­sus de décision et son importance dans la détermination de notre comportement. L'éventail des spécialités de nos collaborateurs va de l'anthropologie aux sciences de l'ingénieur, en passant par la pharmacodynamic et la psychiatrie. Cette diversité des points de vue devrait con­sidérablement intéresser le lecteur non spécialisé.

L'éthologiste Irenäus Eibl-Eibesfeldt (de Munich) montre comment les sociologues étudient les conclusions des spécialistes du comportement animal dans leur recherche persévérante de nouvelles explications du comportement humain. L e psychiatre Léon Eisenberg (de Cambridge, Mass.) préconise des conceptions plus humai­nes et plus rationnelles que dans le passé, tandis que la recherche scientifique s'oriente dans de nouvelles direc­tions, afin d'encourager l'épanouissement de la person­nalité humaine.

Pour que notre étude bénéficie du processus rigou­reux d'analyse du cybernéticien, nous nous sommes adressés à Petr Anokhine (de Moscou), qui explique comment se décident probablement les options élémen­taires dont dispose l'organisme vivant. Dans le cadre d'une expérience d'un type assez nouveau, Ilya Prigogine et ses collègues de 1'« école de Bruxelles » vont participer avec nous à une table ronde où ils se proposent d'expri­mer, sous la forme d'une conversation, leur avis sur la façon dont on peut interpréter les lois de la thermo­dynamique afin de permettre une nouvelle compréhen­sion de l'ordre biologique. C o m m e cette partie du numéro

Impact: science et société, vol. X X H I (1973), n° 3 161

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risque d'être d'une lecture un peu difficile pour certains abonnés, Impact : science et société les invite tout parti­culièrement à faire part de leurs observations sur cet entretien de groupe.

Les médecins David H a m b u r g et Keith Brodie (de Stanford) continuent le dialogue entamé pour rapprocher les sciences sociales et les sciences exactes et natureUes, longtemps séparées par un abîme. Ils expliquent la néces­sité de nouer des liens solides entre l'aspect biologique et l'aspect psychosocial de la recherche, dans les efforts que fait l 'homme pour comprendre et dominer ses tendances agressives. D e Milan, Andrea Bissanti passe en revue pour nous les méthodes et les moyens pharmacologiques que l'on peut employer pour atténuer diverses anomalies du comportement de l'être humain.

U n spécialiste d'un autre type de technologie, l'ingé­nieur urbaniste Gösta Carlestam (de Stockholm), pro­pose un programme visant à ôter de sa gravité au problème de plus en plus irritant du bruit dans notre environnement. Il traite en particulier des niveaux sonores élevés liés à la propulsion des aéronefs et montre com­ment un aménagement avisé de l'espace urbain et rural peut régler le problème que pose cette nuisance quasi universelle.

Initialement, notre Comité de rédaction avait prévu de consacrer un seul numéro à'Impact au thème « Fonc­tions biologiques et comportement ». Maintenant qu'un second numéro paraît sur le m ê m e sujet, il se peut que nos lecteurs souhaitent un troisième numéro dans la m ê m e série. Ils sont invités à écrire ou à téléphoner pour faire connaître leur avis sur la suite à donner à cet examen d'un domaine d'étude important.

IMPACT

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L'adaptation évolutive du comportement humain1

par Irenäus Eibl-Eibesfeldt

Toutes les sciences du comportement postulent que le comportement des organismes obéit à des lois qu'on peut découvrir, et qu'il devrait être possible de le pré­voir quand les circonstances qui les déterminent sont connues. Au cours de ces dernières années, l'éthologie, qui était à l'origine l'étude du comportement animal, a pris une importance qui dépasse largement les limites de la biologie. Les spécialistes des sciences sociales suivent avec attention les résultats des recherches éthologiques et la façon dont ces résultats peuvent aider à mieux comprendre l 'homme, ses m œ u r s et ses valeurs.

Il est admis que l'animal et l'homme sont

dotés de programmes de comportement

sujets à rappel et c'est quand on s'inter­

roge sur l'origine de ces programmes que

le principal point de désaccord apparaît.

Pour un grand nombre de représentants

du point de vue environnementaliste

encore prédominant, c'est presque un

dogme que tous les « programmes » de

Le professeur Eibl-Eibesfeldt s'est spécialisé dans l'étude des signaux corporels. Adresse : Arbeits­gruppe für Humanethologie, Max-Planck-lnstitut für Verhaltensphysiologie, Enzianweg 12, 8136 PerchaIStarnberg (République fédérale d'Alle­magne).

l'homme sont appris, d'ordinaire, dans le

cadre d'une culture particulière; en ce

qui concerne le comportement, l'homme

à sa naissance est une table rase. Ashley

Montagu [1] 2, par exemple, affirme que

rien, sauf quelques réflexes, n'est inné

dans l'être humain.

Les biologistes ont découvert très tôt

que les animaux possèdent à la naissance

1. Adapté de l'original allemand avec l'auto­risation des directeurs de la publication Mitteilungen a. d. Max-Planck-Gesellschaft, Munich (République fédérale d'Allema­gne).

2. Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.

Impact: science et société, vol. XXIII (1973), n° 3 163

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Irenäus Eibl-Eibesfeldt

certaines aptitudes. Le papillon s'envole peu de temps après sa sortie de la chrysa­lide. L'araignée des jardins tisse sa toile sans aucun apprentissage dès qu'elle a atteint un certain stade de développe­ment. O n expliquait ces faits par 1'« ins­tinct », sans chercher à définir ce qu'on entendait par « instinct ». Tout au plus entendait-on par là quelque chose de « non appris ». Certains biologistes con­sidéraient m ê m e l'instinct c o m m e la manifestation d'une force vitale mystique.

Les travaux de Konrad Lorenz et de Nico Tinbergen ont montré que les ani­m a u x sont, si l'on peut dire, préprogram­més, d'une façon qu'on peut définir avec précision, par adaptation phylogénique (évolution de l'espèce). Les animaux pos­sèdent des aptitudes motrices innées et sont capables de réagir à certains stimuli clés, sans apprentissage, d'une manière propre à préserver l'espèce. U n certain mécanisme physiologique qui sert de mécanisme de transmission est également inné. Les animaux n'attendent pas passi­vement les événements. Suivant l'humeur du momen t , ils cherchent des situations de stimulus qui permettent le déroulement de certains types de comportement. M ê m e les processus d'apprentissage sont pro­grammés de manière à permettre à l'orga­nisme de modifier son comportement de façon adaptive, c'est-à-dire de façon à contribuer à sa survie. Les animaux n'ap­prennent pas tout aussi bien à n'importe quel m o m e n t ; mais ils font preuve d'une sélectivité fondée sur des dispositions à l'apprentissage spécifiques et innées.

Le comportement humain est-il préprogrammé ?

C o m m e l ' homme a également été sou­mis à des processus évolutifs, on peut raisonnablement se demander si le com­portement humain ne serait pas lui aussi préprogrammé. U n e réponse positive don­née à cette question — par la découverte que l ' homme agit et réagit suivant des normes spécifiques de son espèce et résul­tant d'une adaptation phylogénique — aurait de toute évidence des conséquences très importantes pour toutes les sciences humaines, et en particulier pour l'éduca­tion et la sociologie.

Sans vouloir généraliser directement des animaux inférieurs à l 'homme, nous pouvons néanmoins tirer des hypothèses de travail de l'étude des animaux. Dans quelle mesure ces hypothèses s'appliquent à l 'homme, c'est ce qu'il faudra déter­miner par l'étude de l ' homme lui-même. La méthode employée est celle de la morphologie comparative. Quand nous constatons une analogie entre l'animal et l 'homme, il peut s'agir d'un hasard. Mais le hasard devient moins probable quand la structure ou le type de comportement apparaît complexe. Il est alors rai­sonnable de rechercher si l'homologie, ou l'analogie, est due à des causes com­munes.

Nous savons que l'analogie résulte souvent d'une m ê m e contrainte de la sélection. L a nécessité de se déplacer dans l'eau, par exemple, s'est traduite par des adaptations comparables chez les pois­sons, les reptiles marins, les pingouins et les baleines. Les modèles de comporte­ment parental, c o m m e dans le cas de l'alimentation ou de la toilette, ont évo-

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L'adaptation évolutive du comportement humain

lue indépendamment pour devenir un rituel établissant un lien chez les m a m m i ­fères et les oiseaux. Il s'agit là de ce qu'on appelle des analogies, par opposition aux homologies qui reposent sur une ascen­dance c o m m u n e . D e nombreux cas d'ho-mologie ont été étudiés (par exemple, l'origine du rire et du sourire chez l'hom­m e et d'autres primates) mais ce sont souvent les analogies qui intéressent particulièrement l'éthologiste.

Il n'est pas rare que cette distinction ne soit pas faite assez nettement dans les critiques des études du comportement animal. M ê m e des experts soutiennent parfois que seule l'étude des espèces les plus proches de nous peut aider à mieux comprendre le comportement humain, alors que l'étude des poissons ou des oiseaux est bien moins révélatrice à cet égard. Mais c'est parfois tout le contraire qui arrive. Si l'on veut parvenir à com­prendre les lois qui régissent certains types d'adaptation, c o m m e une hiérarchie de dominance ou la monogamie, il faut veiller à choisir convenablement les orga­nismes que nous allons étudier. Il est évident que l'étude du comportement du chimpanzé n'aiderait guère à expliquer le phénomène de la monogamie, car cette espèce n'a pas développé cette forme d'adaptation. Il vaut mieux entreprendre l'étude du plus grand nombre possible d'espèces monogames — que ce soit des poissons, des insectes ou des oiseaux.

Ainsi le chercheur parviendra à découvrir les conditions dans lesquelles certaines particularités du comportement se sont formées, ou auxquelles elles se sont adaptées, et les caractéristiques qui leur correspondent. Ainsi est-il possible

de définir des lois qui sont indépendantes d'un rapport phylogénique plus étroit entre les organismes étudiés. Les princi­pes qui régissent la monogamie chez les insectes, les reptiles, les oiseaux et les mammifères peuvent contribuer à expli­quer l'existence du m ê m e phénomène dans les sociétés humaines, du moins avec un degré significatif de probabilité.

Le savoir inné

U n jeune canard frais éclos possède toute la coordination nécessaire pour marcher et nager. Des séries de mouvements c o m ­plexes du bec permettent au jeune canard de filtrer la boue pour chercher sa nour­riture ; il sait nettoyer et huiler ses plu­mes, plonger quand un danger le menace, et bien d'autres choses encore. Pour qu'un calculateur électronique puisse reproduire tous les comportements du jeune canard, il faudrait qu'il possède des circuits vrai­ment très complexes. U n e expérience sim­ple montre que le canard nouveau-né n'apprend pas de sa mère ces formes de comportement. Quand un œuf de cane a été couvé par une poule, il en sort un canard dont le comportement est celui-là m ê m e de son espèce. Il n'imite pas sa mère adoptive en picorant le grain. Et quoi qu'elle fasse, la poule ne peut détourner le jeune canard du besoin de chercher l'eau ou de barboter dans la boue.

Les premières formes de comporte­ment du jeune canard sont innées, elles sont transmises par les gènes. Les m o u ­vements de ce genre ont été appelés Erbkoordinationen, ou modèles d'action fixes. A m o n avis, cette terminologie prête

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Irenäus Eibl-Eibesfeldt

à confusion, car elle donne lieu à un grave malentendu, les éthologistes sem­blant vouloir dire par là que ces modèles sont d'une rigidité absolue. Tel n'est, bien entendu, pas le cas. Plus précisément, les structures organiques qui servent de base au comportement apparaissent conformé­ment à un « plan » inscrit dans le code génétique. Le développement des cellules nerveuses, des organes sensoriels et effec­teurs et de leur connection dans des cir­cuits spécifiques se fait par un processus d'autodifférenciation. C'est ce que nous voulons dire quand nous employons les termes « inné » ou « adapté du point de vue phylogénique ».

Les modèles d'action fixes n'existent pas nécessairement à la naissance sous leur forme définitive. Le canard colvert mâle ne sait pas faire les mouvements de parade dès sa naissance, mais a-t-il besoin de les apprendre ? O n peut facilement démontrer que ce n'est pas le cas. Si le canard est élevé isolément, il exécute quand m ê m e les mouvements de parade spécifiques de son espèce quand il atteint la puberté. O n peut également montrer, en isolant des sujets de toute impression sonore, que les chants de certains oiseaux sont préprogrammés.

Pour les mammifères, qui ont une grande capacité d'apprentissage, les m o ­dèles d'action fixes ne sont pour la plu­part que de courtes séquences d'activité motrice. Ces séquences se combinent, par l'apprentissage, pour constituer de plus grandes unités fonctionnelles. Les rats ont à la naissance un répertoire de mouvements de construction de nid ; mais ils n'apprennent à les coordonner de façon fonctionnelle que par la pra­tique.

Le comportement inné de l'écureuil

Pourtant, m ê m e chez les mammifères, on découvre de temps en temps des séquen­ces de comportement plus complexes qui sont innées. L'écureuil Sciurus vulgaris cache des noisettes et des glands à l'au­tomne pour avoir une provision d'hiver. D cueille une noisette, descend à terre, explore les environs jusqu'à ce qu'il trouve ce qui lui convient : tronc d'arbre, grosse pierre ou autre point de repère. Là il creuse un trou avec ses pattes de devant, y dépose la noisette et la cale par quelques rapides coups de museau ; puis il recouvre la noisette de terre m e u ­ble avec ses pattes de devant et tasse la terre. Les écureuils nouveau-nés sont incapables d'exécuter cette série de m o u ­vements, car ils naissent aveugles, sans fourrure, immatures et faibles, bref incapables de pourvoir à leur nourriture.

Si cet écureuil nouveau-né est élevé dans l'isolement social et sans avoir la possibilité de s'instruire par autocondi­tionnement — étant nourri uniquement de liquides et gardé dans une cage sans litière — il ne peut donc ni creuser, ni manipuler des objets. Q u a n d il est devenu adulte, si on lui offre alors pour la pre­mière fois des noisettes, l'écureuil en m a n g e quelques-unes. U n e fois rassasié, l'animal ne laisse pas simplement tomber les noisettes. Il explore le sol de l'enceinte expérimentale en portant une noisette dans sa bouche, tout en manifestant un vif intérêt pour les structures verticales. Enfin, l'écureuil se met à gratter au bas d'un pied de chaise ou dans un coin. Après quelques mouvements de grattage, il dépose la noisette, l'enfonce pour la caler avec son museau, puis fait les

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L'adaptation évolutive du comportement humain

gestes de la recouvrir de terre et de tasser celle-ci bien qu'il n'ait pu creuser aucun trou dans le plancher dur.

O n voit ainsi se dérouler une séquence de comportement d'une rigidité presque absolue, qui est acquise généti­quement par adaptation phylogénique. Tous ceux qui possèdent un chien peu­vent confirmer l'existence de types de comportement rigoureusement définissa­bles qu'ils ont pu observer : le chien qui chercher à « enterrer » son os dans un sol dur, puis qui le couvre de « terre » ; ou qui tourne en rond une ou deux fois avant de se coucher pour dormir, c o m m e s'il voulait aplatir l'herbe. Et il y a d'au­tres exemples de la façon dont les c o m ­portements se transmettent opiniâtrement par l'hérédité, m ê m e quand ils ne sont plus adaptés aux conditions ambiantes.

N o s comportements moteurs innés

Peut-on observer des phénomènes c o m ­parables chez l ' h o m m e ? L ' h o m m e est-il, lui aussi, doté de comportements moteurs innés ? L'observation des nouveau-nés permet de répondre facilement à ces questions, car on constate l'existence de divers comportements innés. Et, après tout, si le nouveau-né humain devait apprendre à coordonner les mouvements de respiration et de déglutition en tétant le sein de sa mère, il passerait son temps à s'étrangler et mourrait probablement de faim ! Les enfants aveugles et sourds grandissent dans le silence et l'obscurité perpétuels ; pourtant, à partir d'un certain âge, ils rient et pleurent sans avoir jamais eu la possibilité de l'apprendre par imita­tion. Q u a n d ils sont en colère, ces m ê m e s

enfants froncent les sourcils et tapent du pied. E n d'autres termes, le développe­ment de ces mouvements complexes fait partie de la maturation. Certes, il n'est pas niable que cette mimique puisse s'appren­dre par le toucher, par exemple, du visage d'autres personnes ; mais ce contact ne peut avoir une importance décisive. Les enfants victimes de la thalidomide, nés aveugles, sourds et sans bras, n'en savent pas moins rire, et de la m ê m e façon.

O n voit m ê m e , chez les enfants aveu­gles et sourds, se développer normalement des attitudes sociales fondamentales, quel­quefois malgré les efforts des éducateurs qui voudraient obtenir le résultat con­traire. L a plupart des gens qui sont en contact avec ces enfants s'efforcent de leur donner un sentiment de sécurité par une attitude amicale. O r les enfants font la différence entre les étrangers et ceux qu'ils connaissent (ils distinguent les deux groupes par l'odorat) et ils se détournent des étrangers. Cette hostilité se manifeste d'abord par une crainte de l'étranger. Plus tard, la réaction devient agressive et l'enfant cherche, par exemple, à frapper de la main l'étranger. Et ce comportement social apparaît sans que l'enfant ait eu à souffrir du contact avec des étrangers.

Cependant, les informations qu'on peut tirer de l'observation des enfants aveugles et sourds sont limitées. U n grand nombre des formes relativement c o m ­plexes de l'interaction humaine sont déclenchées à distance par des signaux que perçoit l'œil ou l'oreille. Nous sou­rions à quelqu'un, nous flirtons avec cer­tains mouvements des yeux, ou bien nous faisons un compliment en prononçant des paroles aimables, et nous recevons les réponses correspondantes. C'est pour-

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Irenäus Eibl-Eibesfeldt

quoi il nous faut recourir à d'autres moyens pour essayer de découvrir les aspects innés de formes de comportement de plus en plus complexes. Nous pouvons commencer par observer les aveugles-nés, car ils sont très sensibles à la parole.

C o m m e je complimentais une fillette aveugle de dix ans sur son jeu au piano, elle m e fixa brièvement de son regard mort ; ses yeux, d'ordinaire toujours en mouvement, s'immobilisèrent. Puis elle baissa la tête, sourit c o m m e si elle était embarrassée et tourna de nouveau les yeux vers moi : la m ê m e série de gestes que font les fillettes qui voient lorsqu'elles sont embarrassées. Et, récemment, j'ai filmé un jeune aveugle de naissance qui se cachait la figure dans sa main.

U n patrimoine génétique c o m m u n

Les comparaisons interculturelles peuvent nous apporter d'autres éléments. Si l'on admet la tendance de l ' h o m m e à modifier par la culture tout ce qui peut l'être, les conventions socio-culturelles font notam­ment l'objet de modifications rapides. L'évolution des mœurs et du langage en est une preuve évidente. Mais si certaines formes de comportement restent les m ê m e s dans leurs détails, c o m m e on peut l'observer chez des peuples aussi éloignés que les Esquimaux, les Papous, les Boshi-mans ou les Indiens Waika d'Amérique du Sud, il est très probable que la conser­vation de ces caractères est due à un patrimoine génétique c o m m u n . Certaines analogies sont peut-être dues à des expé­riences infantiles qui se retrouvent sous une forme identique dans toutes les cul­tures. Prenons l'exemple des nourrissons

qui, dans toutes les sociétés, tètent le sein de leur mère : quand ils ont assez bu, ils lâchent le mamelon et détournent la tête. Telle est peut-être l'origine de certains gestes de refus. Mais si l'on ne peut expliquer de cette façon d'autres compor-ments qu'on retrouve universellement, nous pouvons alors les attribuer à un fonds phylogénique c o m m u n .

Pour étudier les constantes du com­portement humain, nous avons besoin de documents filmés objectifs. Il nous faut des films montrant des relations sociales qui ne soient pas jouées ; il est difficile de trouver ce genre de documents m o n ­trant des comportements naturels. Les filmothèques anthropologiques existantes contiennent des quantités d'images sur des activités culturelles c o m m e la poterie, le tissage et la préparation du pain. Mais là où nous manquons de documents, c'est sur la façon dont les mères dorlotent leurs enfants dans différentes cultures, ou sur la façon dont les gens se saluent ou flirtent (pour ne citer que quelques exemples).

Nous savons qu'en l'absence de docu­ments interculturels montrant des rela­tions sociales non jouées ces types de comportement ne laissent (pour la plu­part) aucune trace «fossile». J'ai passé un certain temps à chercher, presque en vain, des films montrant ce qui se passe quand des tribus primitives rencontrent pour la première fois des Européens. Avant tout, les occasions étaient limitées ; mais nous nous sommes mis à rassembler des films et des bandes d'enregistrement montrant ce type de comportement au naturel, en nous attachant au caractère rapidement changeant des sociétés «pri­mitives ».

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L'adaptation évolutive du comportement humain

O r les gens sont timides ; o u bien, simplement, ils réagissent différemment dans une situation sociale donnée s'ils savent q u ' o n les observe.

C h e z tous les peuples, le sourire est u n geste d'accueil

M o n collègue H a n s Hass a conçu une caméra capable de filmer de côté grâce à u n objectif à miroir, ce qui permet d'éviter les réactions de peur devant le matériel d'enregistrement K Cela nous a permis d'obtenir des documents qui m o n ­trent de remarquables analogies intercul­turelles. N o u s avons découvert, par exemple, que dans toutes les cultures les gens sourient quand ils s'accueillent les uns les autres amicalement, puis ils incli­nent la tête en haussant les sourcils d 'un m o u v e m e n t rapide qui ne dure q u ' u n sixième de seconde. J'ai filmé ce geste d'accueil par u n rapide m o u v e m e n t de sourcils chez des Indiens qui habitent la jungle d u Haut-Orénoque au Brésil, chez des Papous, des habitants de S a m o a , des Balinais, des Européens et beaucoup d'autres peuples.

Bien qu'il y ait certaines différences entre les cultures, elles ne concernent que la facilité avec laquelle ce comportement peut se manifester. Les Japonais estiment qu'il est inconvenant de se montrer démonstratif et l'on voit rarement ce signal dans les rapports entre adultes. (Mais o n accueille familièrement les enfants par u n m o u v e m e n t des sourcils.) Les habitants de S a m o a relèvent i m m a n ­quablement les sourcils pour confirmer leurs dispositions accueillantes. Les Euro­péens se trouvent à peu près à mi-chemin

de ces deux extrêmes, mais ils font grand usage de ce signal avec de bons amis, pour montrer une acceptation enthou­siaste, o u quand ils flirtent. O n peut juger de l'importance de ce m o y e n n o n verbal de communication, qui est essentiellement une acceptation du contact social, par les soins attentifs que les f e m m e s donnent à leurs sourcils. A l'origine, ce m o u v e ­m e n t des sourcils est sans doute l'expres­sion d 'une surprise agréable ; c'est ce que veulent dire les poètes quand ils parlent d 'un « regard qui s'éclaire » ; à ce signal, nous réagissons tous inconsciemment, sinon par réflexe.

O n retrouve d'autres formes de c o m ­portement et de manifestation d'affection dans les cultures les plus différentes. M ê m e les chimpanzés s'étreignent et s'embrassent. Les chimpanzés se prennent dans les bras pour se saluer et leurs lèvres se touchent. Il arrive à ces bêtes de nourrir leurs petits de bouche à bou­che quand elles les ont sevrés, et c'est ce que font b o n n o m b r e de mères humaines. L e baiser des chimpanzés et des humains peut donc s'interpréter c o m m e une for­m e ritualisée de l'alimentation. Les archi­ves d'éthologie humaine de l'Institut M a x Planck rassemblent des films sur ces for­m e s , no tamment , de comportement social naturel ; ils sont extrêmement utiles pour la poursuite de nos études sur les constan­tes interculturelles d u comportement humain .

1. Chaque fois qu'un film est tourné, nous notons ce que le sujet faisait avant et a fait après le film et le contexte dans lequel s'est déroulé le comportement. O n peut ainsi minimiser les jugements subjectifs dans l'analyse corrélative des données qui est faite ensuite.

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Irenäus Eibl-Eibesfeldt

Réponse à des stimuli

Les animaux sont capables de réagir à des stimuli spécifiques par des actions spécifiques, m ê m e quand ils les perçoi­vent pour la première fois. Cette aptitude innée à répondre à des stimuli clés simples suppose l'existence d'un mécanisme qui filtre les stimuli spécifiques et qui ne libère les séquences comportementales corres­pondantes que quand ces stimuli se pro­duisent. Le têtard gratte les algues avec ses mâchoires qui sont spécialisées pour cette tâche. U n e fois transformé en gre­nouille, la m ê m e créature sort de l'eau et n'a pas besoin d'apprendre à attraper les mouches d'un coup de langue.

Les stimuli non conditionnés qui libèrent des réactions de ce genre ne sont pas forcément visuels. L e coassement de la grenouille, le cri du grillon, l'appel de l'oiseau déclenchent des réactions non conditionnées, c o m m e le comportement de cour. L a mère poule reconnaît les appels de détresse de ses petits. Il existe aussi des signaux chimiques : le vairon blessé avertit les autres membres de sa troupe en dégageant une substance dans l'eau. Les êtres humains sont eux aussi capables d'interpréter les données de l'environnement grâce à des détecteurs innés. O n observe qu'un enfant de deux semaines qui n'a jamais eu l'occasion de recevoir u n coup sur le visage lève une main pour se protéger quand il voit un objet se rapprocher rapidement de sa tête. Pourtant des formes qui se déplacent transversalement devant le regard de l'enfant ne provoquent pas ce genre de réaction.

Les enfants ont une aptitude innée à associer des impressions visuelles et tacti­

les. Dans les expériences faites par Bower, des images d'objets étaient projetées sur un écran devant un jeune sujet. L e sujet tendait la main pour saisir «l'objet» et se montrait surpris de son échec, c o m m e le montrait l'accélération de son pouls. Par contre, le pouls ne variait pas quand on laissait l'enfant saisir l'objet qu'il cher­chait à atteindre. N o u s ne pouvons que conclure qu'il existe une capacité innée à attendre des conséquences tactiles de certaines impressions visuelles.

L a perception olfactive témoigne d'une adaptation phylogénique. Par exem­ple, la f e m m e est plus sensible que l'hom­m e à l'odeur de certaines substances musquées [2]. Elle perçoit ces substances à u n taux de dilution qui échappe à l'odorat de l ' homme . Mais la f e m m e n'acquiert cette aptitude qu'à la puberté ; elle la perd à la ménopause. E n outre, le seuil de perception subit des variations cycliques : cette finesse d'odorat aug­mente au m o m e n t de l'ovulation. N o u s en concluons que des facteurs hormonaux jouent ici un rôle essentiel. D e fait, on peut abaisser le seuil de perception chez l ' h o m m e par des injections d'hormone œstrogène.

Pulsions internes, dispositions à l'apprentissage

Les animaux ne sont pas de simples automates m u s par des réflexes et ne fai­sant rien d'autre que réagir à des stimuli. Leur comportement est aussi l'effet de pulsions internes. N o u s savons que les pulsions de l ' h o m m e sont sujettes à des fluctuations périodiques qui ne sont pas seulement déterminées par des change-

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L'adaptation évolutive du comportement humain

Bande dessinée de la série B.C., reproduite avec l'autorisation de Graph-Lit Service.

ments de l'environnement. H peut se trou­ver en état de faim, d'excitation sexuelle ou d'agressivité ; cet état le pousse à manger, à s'accoupler ou à se quereller. Des gens exaspérés qui regardent un film de boxe, par exemple, peuvent réduire leur état de tension en s'identifiant avec les combattants du match. L'agressivité est une pulsion dont nous reconnaissons l'existence ; mais elle est plus ou moins innée, les spécialistes exprimant à ce sujet des avis différents.

Q u a n d les conditions changent rapi­dement, le comportement doit se modifier pour s'y adapter. Les animaux doivent être capables d'utiliser l'expérience acquise. Les études des psychologues et des psychanalystes nous ont appris qu'il existe dans le développement de l ' h o m m e des périodes réceptives au cours desquel­les les comportements fondamentaux sont acquis et fixés par un processus analogue à celui de l'impression. Par exemple, c'est dans sa seconde année d'existence que l'être humain acquiert la confiance fon­damentale qui lui permet, par la suite, d'édifier une personnalité saine et qui est la condition préalable d'une vie sociale normale. Il est très difficile aux enfants hospitalisés, séparés de leur mère, de s'adapter aux changements d'infirmière. L'enfant souffre à chaque fois du choc de la séparation et s'efforce de s'adapter à une nouvelle personne de référence. D e tels changements peuvent à la longue produire un traumatisme irréversible, amener un grand nombre d'enfants à se replier sur eux-mêmes et retarder leur développement.

Des essais faits récemment dans le cadre de c o m m u n e s pour élever les enfants sans lien particulier avec leurs

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Irenäus Eibl-Eibesfeldt

parents reposaient sur l'idée (fausse) que les liens individuels sont à l'origine d'un comportement social égocentrique. L e but de l'éducation en c o m m u n est de former des êtres humains pour qui les liens sociaux essentiels sont ceux qui les ratta­chent à la collectivité. C'est ne pas tenir compte du fait que l'enfant veut établir, sur la base du programme de son évolu­tion, un lien permanent avec une per­sonne de référence. L a répression de ce besoin fait naître un sentiment de dépri­vation. C e danger a été souligné par Bruno Bettelheim [3] dans le cas d'enfants élevés dans un kibboutz. Sans doute ces enfants, qui souffrent d'être séparés de leurs parents (qu'ils ne voient que deux heures par jour), s'attachent étroitement au groupe. Mais l'initiative individuelle et l'aptitude à formuler des jugements sont toutes deux sensiblement réduites. L ' amour que l'enfant éprouve pour sa mère constitue, semble-t-il, un moyen simple et naturel de développer chez lui des sentiments altruistes (confiance dans les autres, amour fraternel).

L e jeune en quête de valeurs

L'identification à la norme du groupe se produit d'ordinaire au cours de la période réceptive de la puberté, quand le jeune

est à la recherche de valeurs. C'est à cet âge qu'on devient un Allemand, u n Fran­çais, un Russe ou un Américain. Parvenu à maturité, l'individu reste généralement attaché aux valeurs du groupe auquel il s'est identifié. C e phénomène est la con­dition de la continuité des différentes cultures et de la diversité pittoresque de l'humanité.

Les formes culturelles décrites par les éthologistes et autres auteurs sont des modèles qu'il ne faut pas laisser se figer. L e changement est possible, la modifica­tion nécessaire. Mais, de m ê m e que l'évo­lution biologique procède par petites étapes, de m ê m e doit-il en aller pour le développement culturel. E n fait, les parti­sans d'idéologies radicales — qui tendent à provoquer une rupture totale de la tra­dition — risquent de préparer la destruc­tion, et non l'évolution, d'une structure sociale donnée [4].

Il importe de découvrir la nature de l ' h o m m e si l'on ne veut pas que l'évolu­tion culturelle se fasse de manière tâton­nante. L a connaissance approfondie des rapports et de leurs causalités, notamment en ce qui concerne les facteurs.de pré-programmation chez l ' homme, devrait se révéler extrêmement utile dans notre recherche de solutions pour remé­dier à une vie sociale manifestement perturbée.

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L'adaptation évolutive du comportement humain

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique?

Table ronde avec Ilya Prigogine et ses collaborateurs de 1'« école de Bruxelles »

Les progrès récents dans la compréhension du fonc­tionnement des systèmes vivants rendent nécessaire une discussion de la position de la biologie face aux grandes lois d'organisation de la physique. C'est plus particulièrement la relation entre l'origine et le main­tien de l'ordre biologique et la thermodynamique.qui nous confronte directement à ce problème. La thermor dynamique se préoccupe en effet de la description globale du comportement de systèmes formés d'un très grand nombre d'éléments, c'est-à-dire de systèmes macroscopiques. Or m ê m e le fonctionnement du plus simple des organismes vivants met en jeu des milliers de constituants et relève donc de la description thermo­dynamique. L'ordre structurel et fonctionnel extrêmey ment complexe résultant de la coordination des milliers de réactions chimiques simultanées de la cellule vivante a cependant suscité les plus sérieux doutes quant à la compatibilité de la biologie et des lois de la thermodynamique dans leur interprétation classique. Les derniers développements de la thermodynamique, dus principalement aux travaux de I'« école de Bruxel­les », nous ouvrent de nouvelles perspectives en ce qui concerne la possibilité de résoudre le problème du statut de l'ordre biologique.

Ilya Prigogine, né à Moscou, est professeur à la Faculté des sciences de l'Université libre de Bruxelles. Il est membre notamment de l'Aca­démie royale de Belgique et de la National Academy of Sciences (États-Unis) ; il est également directeur du Center for Statistical Mechanics and Thermodynamics à l'Université du Texas. Ont participé avec lui à cet entretien : Mmes Agnessa Lambert-Babloyantz (d'origine iranienne) et Marcelle Herschkowitz-Kaufman, MM. Grégoire Nicolis (d'origine grecque) et René Lefever — tous les quatre attachés à l'Université libre de Bruxelles — et Mlle Isabelle Stengers, stagiaire de recherches au Fonds national de la recherche scientifique. Leur adresse : Service de chimie physique II, Institut de physique, avenue Antoine-Depage, 1050 Bruxelles (Belgique).

Impact: science et société, vol. X X m (1973), n° 3 175

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Table ronde avec Ilya Prigogine

(a)

Conservation de l'énergie

C e principe répond à l'équivalence fonda­mentale des diverses formes d'énergie (méca­nique, électrique, énergie chimique des combustibles, énergie thermique). Dans les opérations de conversion de l'énergie d'une forme dans une autre (comme dans le moteur d'automobile à combustion interne), la con­servation est totale. Le travail affecté à la propulsion du. véhicule, si l'on y ajoute la chaleur perdue (par le radiateur, par exem­ple) est égal à la quantité d'énergie chimique consommée dans la combustion de l'essence.

M Transfert de chaleur Pour Instaurer l'ordre dans un système, un certain travail est nécessaire. Laissé à lui-même, le système évolue de telle sorte que le désordre augmente. La quantité mesurant ce désordre est appelée entropie.

Iîî?5

Le gaz est enfermé dans un espace délimité (à gauche). A mesure que l'espace disponible augmente, les molécules de gaz occupent l'esp'ace vide sup­plémentaire 2 . Le système évolue vers l'état 3, qui est un état de désordre maximal, les molé­cules étant réparties également dans l'espace global. A mesure que le caractère aléatoire de la distribution des molécules s'accroît, l'entropie augmente aussi. L'évolution vers l'état 3 est irré­versible ; aucune modification spontanée ne ramènera le système à l'état initial où toutes les

—molécules se trouvent dans la partie gauche. _

M Zéro absolu (cette loi n'est pas examinée à la table ronde).

La chaleur expérimentée au niveau macrosco­pique est de la matière en mouvement au niveau microscopique. Une température cor­respondant au zéro absolu (— 273,16° C) au niveau macroscopique signifie qu'au niveau microscopique le mouvement molécu­laire est Interrompu et que toutes les molécu­les ont pristine position fixe. A la température zéro, l'entropie est donc égale à zéro, ce qui est sa valeur absolue minimale. Dans la réa­lité, toutefois, le zéro absolu ne peut jamais être effectivement atteint

F I G . 1. Comprendre les lois de la thermodynamique.

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique 7

L'ordre thermodynamique

Pouvez-vous nous rappeler ce qu'est la thermodynamique ?

Curieusement, on peut faire remonter sa fondation au travail,

complètement méconnu à son époque, de l'ingénieur français

Sadi Carnot (1796-1832), qui étudiait le rendement des

machines à vapeur et la production de puissance motrice

grâce à la chaleur. Il est intéressant de remarquer qu'au cours-

de son développement, la thermodynamique est longtemps

demeurée en marge des théories mécaniques élaborées paral­

lèlement pour rendre compte du comportement de la matière.

Consacrée initialement à l'étude des conversions de

l'énergie entre ses différentes formes, la thermodynamique est

fondée sur deux principes fondamentaux qui régissent l'en­

semble des transformations physico-chimiques au sein des

systèmes observables, ou macroscopiques. L e premier prin­

cipe affirme la conservation de la quantité totale d'énergie à

travers ces transformations (voir fig. 1 A ) . D'après le second

principe, il existe une grandeur S, appelée entropie, qui,

lorsque le système est isolé *, ne peut que croître à la suite

des conversions entre les diverses formes d'énergie et qui,

au bout d'un certain temps, atteint un m a x i m u m ; cette

valeur maximale de l'entropie correspond à l'état d'équilibre

thermodynamique du système isolé, état dans lequel aucune

conversion d'énergie créant de l'entropie n'est plus possible.

Depuis sa formulation, le second principe a été au

centre des préoccupations de beaucoup de philosophes et

d'historiens de la science ; il introduit dans la physique le

concept d'évolution unidirectionnelle dans le temps, c'est-à-

dire d'irréversibilité. Il est clair que le temps intervient dans

1. O n définit généralement u n système macroscopique d'après les relations existant entre la portion de l'espace qu'il occupe et l'espace environnant, ou « m o n d e extérieur ». Trois cas peuvent se présenter : le système isolé, qui n'échange ni énergie ni matière avec le m o n d e extérieur, le système fermé, qui n'échange que de l'énergie avec le m o n d e extérieur, et le système ouvert, qui échange énergie et matière avec le m o n d e extérieur. Dans les systèmes ouverts et fermés, lorsque l'interaction avec l'espace environnant le permet, un état d'équilibre thermodynamique où toute activité créant de l'entropie est impossible peut également être atteint. C e n'est cependant plus alors le m a x i m u m d'entropie mais l'extremum d'autres fonctions (liées à l'entropie) qui carac­térise cet état.

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Table ronde avec Ilya Prigogine

toutes les lois de la physique, mais le trait original de la thermodynamique est que le temps y apparaît avec une direc­tion déterminée ; ses lois décrivent l'évolution vers l'état final d'équilibre. A l'opposé, les lois dynamiques, telles que celles qui régissent le mouvement planétaire, ne contiennent pas cette orientation ; elles restent les m ê m e s , qu'on les interprète en fonction de l'avenir ou du passé.

Quelle est la signification profonde de l'évolution irréversible prévue par le second principe ?

Cette question soulève le problème de la signification de l'augmentation de l'entropie à l'échelle moléculaire. Il a été largement élucidé par les recherches de Ludwig Boltzmann (1844-1906): l'entropie est une mesure du désordre molé­culaire (fig. IB). L a loi de croissance irréversible de l'entropie est une loi de désorganisation progressive, d'oubli des conditions initiales particulières.

L'apparition de structures ordonnées serait donc exclue par le second principe ?

L e second principe est généralement interprété c o m m e syno­n y m e de «loi du plus grand désordre». Mais c'est une simplification de la situation réelle. L'état d'équilibre en direction duquel le second principe prévoit l'évolution est déterminé par les conditions imposées au système par l'expérimentateur ou, dans la nature, par le milieu.

Dans u n système isolé, l'évolution se fait toujours vers l'état le plus désordonné. Par contre, pour des systèmes fermés ou ouverts, l'état final n'est pas forcément homogène, dépourvu de toute différenciation spatiale. D a n s u n système non isolé, une évolution vers un état d'équilibre ordonné, à faible entropie, est possible pour des conditions physiques particulières. U n exemple caractéristique est celui de la cristallisation, lorsque la température du système est suffi­samment basse (voir fig. 1C) .

L e cristal est typiquement une « structure d'équilibre ». U n e fois formée, une telle structure n'exige plus aucun flux d'énergie en provenance du milieu extérieur pour se main­tenir. Elle possède en fait toutes les caractéristiques de l'état d'équilibre ; en particulier, toute activité créant de l'entropie lui est interdite.

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

Un processus du type de celui de la cristallisation peut-il expliquer la formation des structures biologiques ?

Les propriétés des structures d'équilibre s'accordent mal avec les caractéristiques fondamentales de la vie : les organismes vivants, systèmes ouverts par excellence, sont le siège d'un échange permanent d'énergie et de matière avec leur envi­ronnement afin d'assurer le fonctionnement d'un métabolisme complexe. D est évident que, si une structure vivante est privée des produits nutritifs nécessaires, non seulement sa croissance s'arrête mais elle meurt très rapidement. D'autre part, l'existence de mécanismes de coordination introduit un ordre « fonctionnel » remarquable qui se superpose à l'ordre architectural.

Enfin, les systèmes biologiques fonctionnent hors de l'équilibre: les produits de réaction sont soit rejetés, soit envoyés vers d'autres sites, pour y remplir d'autres fonctions, ce qui implique le maintien d'une distribution non homogène de la matière.au sein de chaque cellule par des réactions chimiques et u n transport actif. Pour tenter d'expliquer l'ordre biologique, il est donc nécessaire d'élargir le cadre de la thermodynamique, limitée pendant longtemps à l'étude de l'état d'équilibre, et d'étudier les situations de non-équili­bre dans des systèmes ouverts ou fermés.

Quelles sont les propriétés spécifiques des états de non-équilibre ?

U n état de non-équilibre est provoqué par des contraintes que le milieu exerce sur le système. Ces contraintes, qu'elles consistent en un apport constant d'énergie ou de certaines espèces chimiques, ont pour effet de rendre impossible l'état d'équilibre thermodynamique, c'est-à-dire d'imposer au sys­tème de produire de façon permanente de l'entropie. Pour de faibles contraintes, l'état de non-équilibre atteint par le système est simplement une extrapolation continue de son état d'équilibre et présente donc les m ê m e s propriétés quali­tatives. Par contre, lorsque les contraintes éloignent de façon importante le système de l'équilibre, un fait nouveau peut intervenir : l'apparition de « structures dissipatives ». Celles-ci sont des structures ordonnées qui, à l'opposé des structures d'équilibre, ne se maintiennent que par des échanges per­manents avec le m o n d e extérieur. Il apparaît donc que le

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Table ronde avec Ilya Prigogine

non-équilibre peut être une source d'ordre ; u n ordre tout différent de celui d'équilibre.

U n exemple très simple d'une structure dissipative est, en hydrodynamique, le phénomène de Bénard : une couche horizontale de liquide est chauffée par le bas (fig. 2). Par suite de l'application de cette contrainte qui impose une différence de température au sein du système, celui-ci s'écarte de l'état d'équilibre qui correspond au maintien d'une tem­pérature uniforme dans la couche. Pour de petites différences de température, la chaleur est transportée par conduction. Mais, à partir d'une valeur critique de cette différence de température, on constate une augmentation brutale de la quantité de chaleur transportée à la suite de l'apparition d'un mouvement de convection. O n observe que ce mouvement forme un arrangement régulier de « cellules » hexagonales. Cette structure est réalisée par la coopération de millions de molécules qui s'organisent en u n mouvement cohérent. Le franchissement du seuil critique du gradient thermique est le phénomène déterminant qui permet la structuration du système ; c'est ce qu'on appelle une « instabilité ».

F I G . 2. L'instabilité de Bénard, un exemple de structure dissipa­tive en hydrodynamique (voir le texte). La figure montre les cellules de convection dans le spermaceti photographiées vertica­lement. O n remarque l'arrangement régulier des cellules, qui ont une forme hexagonale. (D'après La recherche, avec permission.)

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L a thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

O n peut se représenter la situation physique c o m m e suit : de petits mouvements de convection apparaissent con­tinuellement en tant que « fluctuations » i. Mais, en dessous de la valeur critique du gradient, c'est-à-dire de l'écart à l'état d'équilibre, ces fluctuations régressent et disparaissent rapidement. A u contraire, au-delà de ce point critique, certaines fluctuations sont amplifiées et donnent naissance au courant de convection macroscopique. U n nouvel ordre

, apparaît donc, correspondant essentiellement à une fluctua­tion géante stabilisée par les échanges avec l'environnement : c'est F« ordre par fluctuation ».

L'élément aléatoire a donc, dans la théorie des structures dissipatives, une importance particulière ?

Certainement A u sein de tous les systèmes macroscopiques se produisent sans cesse des fluctuations autour des valeurs moyennes que permettent de calculer les lois macroscopiques. Mais la description de ces systèmes est néanmoins statisti­quement déterministe si les fluctuations régressent et disparaissent. C e n'est pas le cas pour la description des phénomènes loin de l'équilibre qui fait donc intervenir, imbriqués et inséparables, le « hasard » des fluctuations et la « nécessité » des lois statistiques. O n vient de le voir, l'appa­rition d'une structure dissipative résulte toujours de l'ampli­fication d'une fluctuation au sein d'un système qui a atteint un seuil d'instabilité.

C'est la «nécessité» (la constitution physico-chimique du système et les contraintes que le milieu lui impose) qui détermine le seuil d'instabilité du système. C'est le « hasard » qui décide quelle fluctuation est amplifiée après que le système a atteint ce seuil et vers quelle structure, vers quel type de fonctionnement le système se dirige, parmi tous ceux que rendent possibles les contraintes imposées par le milieu.

1. L'existence de fluctuations est la conséquence inévitable du fait que les valeurs macroscopiques ne sont que la moyenne du comportement d'un très grand nombre de molécules. C'est pour­quoi la valeur d'une quantité macroscopique telle que la tempé­rature de cette pièce, par exemple, fluctue continuellement autour de sa valeur moyenne. Les fluctuations sont ces écarts à la valeur moyenne.

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Table ronde avec Ilya Prigogine

Les contraintes du milieu jouent donc un rôle primordial ?

C e sont elles qui, en maintenant le système loin de l'équilibre, rendent possibles des états qui, dans le cadre des conceptions de la mécanique statistique ou de la thermodynamique d'équi­libre, semblaient pratiquement exclus. Ainsi il est évident que, lorsqu'on se réfère à ces conceptions, l'apparition et le main­tien d'une structure organisée et fonctionnelle constituent un événement d'une probabilité infime. O r , de tels événements, nous en observons tous les jours en laboratoire ; avec le phé­nomène de Bénard, par exemple, où des millions de molécules s'organisent spontanément en un courant de convection cohé­rent pendant des temps macroscopiques. N o u s ne pouvons comprendre ce type d'état que dans le cadre de la théorie des structures dissipatives où l'organisation est de règle.

N o u s pouvons alors nous rendre compte que le calcul de la probabilité d'une organisation fonctionnelle résultant de la collaboration de millions de molécules — c o m m e si toutes les situations différentes réalisables par l'ensemble de ces molécules avaient la m ê m e probabilité à priori — n'a plus de sens dans ces systèmes éloignés de l'équilibre. Il s'agit en effet de systèmes en interaction étroite avec le milieu et dans lesquels cette interaction favorise très fortement certains types d'écarts ordonnés. D est dès lors extrêmement impor­tant de constater que, dans certaines conditions, des phéno­mènes semblables à l'instabilité de Bénard existent dans des systèmes ouverts de réactions chimiques liées à des phéno­mènes de transport.

Quelles sont ces conditions ?

E n plus de l'écart de l'équilibre, il faut que les réactions chimiques contiennent des mécanismes d'autocatalyse où la formation d'une substance est favorisée par sa propre pré­sence ; ou bien des mécanismes de « cross-catalyse » ou catalyse mutuelle grâce auxquels la formation d'une sub­stance est favorisée par la présence d'une autre substance et réciproquement ; ou bien encore, d'« inhibition » où la pro­duction d'une substance est arrêtée par la présence d'un certain produit. C e sont les phénomènes de « feedback » ou rétroaction, bien connus des informaticiens.

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

L'étude de modèles chimiques, comportant des étapes non linéaires de ce type, a m e n é aux résultats suivants : alors qu'à l'équilibre thermodynamique, et aussi pour de petites déviations par rapport à cet état, on observe une homogénéité spatiale et temporelle, on peut prévoir l'exis­tence, pour de grands écarts à l'équilibre, d'un seuil d'insta­bilité (dépendant de la valeur des paramètres cinétiques et des constantes de diffusion) au-delà duquel le système peut présenter un comportement périodique dans le temps, une rupture spontanée de l'homogénéité spatiale et m ê m e des phénomènes encore plus complexes.

Instabilité, structures dissipatives et biologie

Ce serait donc de l'ordre par fluctuation que relève selon vous l'ordre biologique ?

N o u s constatons en effet que les propriétés de ce type d'ordre sont précisément celles qu'on observe associées à l'ordre biologique. Tout d'abord, le fait remarquable est que ces structures sont créées et maintenues grâce à des échanges continus avec le m o n d e extérieur, dans des conditions de non-équilibre. C'est pour cette raison qu'on les appelle structures dissipatives (qui dissipent de l'énergie). D e plus, les structures. dissipatives, contrairement aux structures d'équilibre, ne correspondent pas à un état inerte mais à une organisation au régime de fonctionnement le mieux adapté aux conditions que le milieu impose au système.

Les boucles de catalyse dont la présence est indispensable ne rappellent-elles pas forte­ment les mécanismes de coordination des réactions chimiques du métabolisme cellulaire?

' Il est significatif en effet que les réactions chimiques c o m ­plexes dont nous venons de parler soient essentielles dans les métabolismes de la vie : réactions comprenant des étapes cata­lysées par des enzymes, contrôle de l'activité de celles-ci par des processus d'activation et d'inhibition, phénomène de trans­port par diffusion, passage d'ions à travers les membranes, pour n'en citer que quelques-uns. E n s o m m e , le fonctionne­ment des systèmes biologiques semble remplir toutes les con­ditions nécessaires pour l'apparition des structures dissipatives.

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Table ronde avec Ilya Prigogine

Quelques réactions enzymatiques importantes ont été étudiées en détail de ce point de vue ; en particulier, la glycolyse. Les données expérimentales existant actuellement montrent que les concentrations des constituants chimiques participant à ces réactions présentent des oscillations tem­porelles maintenues. O n connaît suffisamment le mécanisme réactionnel de la glycolyse (fig. 3) pour pouvoir élaborer des modèles mathématiques. Ceux-ci indiquent que ces oscilla-

ATP

glucose.

[glucose 6-Pt

J^ fructose G-P AMP—&+f |i

^"fructose I-6-1

k , phospho-enol-pyruvatel

s, 7 JDP glucose *Ȓf

| acides gras I

t - •ma lony l coA

oxaloacétate I citrate |E

. Í ^ . » ¿>AMP maIale-4-glyoxylafe*-,d-îsocifrate J A D P

\ Je I oxalosuccinate succinate $ > '

F I G . 3. L'ordre biologique recouvre en fait deux types d'ordres extrêmement sophistiqués : l'ordre fonctionnel et l'ordre architectural. Dans les cellules, le déroulement normal du méta­bolisme nécessite une coordination entre des milliers de réactions chimiques. Les mécanismes de coordination constituent l'ordre fonctionnel. Les réactions intervenant dans la glycolyse en sont un exemple (à gauche). Certaines molécules synthétisées activent ou inactivent, par des systèmes de contre-réaction plus ou moins complexes, les enzymes intervenant dans d'autres

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

tions, remarquables par leur stabilité de période et d'ampli­tude, prennent naissance au-delà de l'instabilité d'un état stationnaire de non-équilibre. E n d'autres termes, la glycolyse est une structure dissipative temporelle.

C o m m e il s'agit de réactions essentielles pour l'énergé­tique des cellules vivantes, c'est u n résultat important quant au rôle des structures dissipatives dans le fonctionnement actuel des organismes vivants.

réactions. Ces réactions nécessitent en particulier des catalyseurs spécifiques, les enzymes, qui sont des macromolécules ayant une organisation spatiale fort complexe (à droite). Cet ordre architectural déterminé par le code génétique permet une spécialisation très fine de ces enzymes qui induiront certaines réactions bien précises. [Avec l'autorisation de La recherche et de R . Dickerson et I. Geis (The structure and action of proteins, N e w York, N . Y . , Harper and Row).]

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Table ronde avec Ilya Prigogine

Vous pouvez donc distinguer de manière précise entre vie et non-vie ?

Il serait trop simple de dire que la notion de vie et celle de structure dissipative se confondent. Bien sûr, pour situer les structures biologiques, il semble essentiel de s'écarter des principes liés à l'ordre d'équilibre et de tenir compte de ce que les phénomènes biologiques caractéristiques se déroulent loin de l'état d'équilibre thermodynamique. Mais ce n'est pas une instabilité qui a permis de franchir le seuil entre vie et non-vie; c'est une succession d'instabilités dont nous c o m m e n ç o n s à dégager certaines étapes.

D'autre part, il ne faut pas oublier que des structures d'équilibre apparaissent également en biologie. N o u s en citerons u n exemple frappant : le virus n'est pas une structure dissipative, c'est bel et bien une structure d'équilibre dont les lois de formation sont analogues à celles de la cristallisation. Il faut se rendre compte cependant que cette structure d'équi­libre n'est compréhensible que dans le cadre de la théorie des structures dissipatives ; c'est exclusivement au sein d'une cellule (une structure de non-équilibre) que peut se repro­duire u n virus. Isolé, le virus reste stable mais est également inerte ; ce n'est qu'au contact d'une cellule et intégré à elle qu'il acquiert une activité proprement biologique et qu'il est capable de se multiplier. L e virus est une structure d'équilibre dont les conditions de formation relèvent de la thermodyna­mique de non-équilibre.

Comment comprenez-vous le phénomène d'évolution des molécules biologiques et la formation du code génétique par une succession d'instabilités ?

Il faut en fait considérer trois étapes dans le processus qui, suppose-t-on, a abouti à l'apparition des premiers êtres vivants. O n connaît relativement bien la première étape: elle m è n e à la constitution de molécules organiques simples parmi lesquelles figurent celles qui composent les polymères biologiques actuels ; par exemple : les acides aminés, qui forment les protéines ; les monocléotides, qui entrent dans la composition de l'acide désoxyribonucléique — A D N — constituant le matériel génétique actuel; le sucre, qu'on trouve dans tous les organismes vivants (fig. 4).

Citons à ce propos les expériences de Miller qui, en 1952, montrèrent que la synthèse de tels produits était possi-

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Sous-unité adenine Sous-unité guanine

liée à la cytosine liée à la thymine

Composants des protéines

1 Apportés par l'ARN fde transfert-

} Assemblés par l'ARN messager"

La clé de l'évolution est l'ADN, molécule en hélice à deux chaînes liées par quatre types de sous-unités chimiques que réunissent des ponts (en dessous do f hélice). La séquence selon laquelle ces sous-unités sont rangées détermine l'hérédité.

La synthèse finale des protéines met en jeu deux types d ' A R N . Le premier, l'ARN de « transfert » (en bas), se déplace dans la cellule sous l'impulsion de forces électriques et rapporte.au ri'bosome des maté­riaux bruts pour les protéines (figure sphérique, é droite). Là, le « moule > A R N attend, avec ses points de connexion exposés; assemblant peu à peu les composants qui lui parviennent selon la structure que lui a transmise initialement l'ADN.

F I G . 4. Les structures fondamentales de la vie. Chaque chromosome de chaque cellule de chaque individu contient la substance chimique dont sont faits les gènes — une molécule miraculeuse qui fait que la souris est une souris et que l 'homme est un h o m m e . Cette molé­cule est appelée A D N . Dans sa structure en hélice (croquis de gauche), la disposition de ses quatre sous-unités chimiques joue le rôle d'un ensemble codé d'instructions génétiques pour tout l'organisme. Le nombre des séquences possibles est supérieur au nombre de particules subatomiques dans l'univers et permet, théoriquement, un nombre égal d'individus différents. (Extrait de : Evolution, Life Science Library. Illustration de George V . Kelvin, © 1962, 1964, Time, Inc.)

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Table ronde avec Ilya Prigogine

ble dans les conditions de température, de pression et de composition chimique qui, nous le pensons, étaient celles de l'atmosphère il y a plusieurs milliards d'années.

L e second stade verrait la formation, à partir de ces molécules simples, de polymères doués de propriétés autoréplicatives, c'est-à-dire capables d'activer leur propre synthèse.

L'existence d'une substance déjà constituée faciliterait donc la formation même des molécules ?

C'est exact. L a présence d'un tel polymère augmente la vitesse de synthèse de polymères de séquence plus ou moins identique. L e polymère autoréplicatif constituerait une sorte de moule (ou template) assez grossier mais permettant néan­moins d'assurer la prédominance de certaines types de synthèse sur d'autres. O n voit déjà ici une caractéristique propre à la molécule qui constitue le matériel génétique des êtres vivants, l ' A D N (fig. 4).

L a troisième étape concerne l'évolution ultérieure de ces polymères biologiques. A ce stade devrait apparaître une espèce de code génétique ; ce problème a été envisagé dans les travaux de l'Allemand Manfred Eigen.

Pourrait-on faire des modèles ?

Oui, des modèles ont été construits. L e problème concernant la formation de polynucleotides possédant un rôle catalytique est peut-être le plus simple. O n peut penser en effet qu'il existe deux mécanismes de polymérisation : l'un, le plus sim­ple, serait la mise bout à bout des monomères ; l'autre, l'utilisation des propriétés de « m o u l e » bien connues pour les polynucleotides.

L'étude de modèles mathématiques a montré que, près de l'équilibre, les deux mécanismes se déroulent indépen­d a m m e n t et mènent à peu près au m ê m e résultat : peu de polymères sont formés. Mais, à partir d'un écart critique de l'état d'équilibre, sous influx constant de monomères, la polymérisation «coopérative» sur moule devient pré­dominante et l'on observe une nette augmentation de la quantité de polymères formés. Cela constitue la première instabilité.

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

Nous en arrivons ainsi au problème étudié par Eigen ?

E n effet, Eigen a étudié l'évolution d'une population de biopolymères actifs dans un milieu soumis à un flux continu d'énergie et de matière. N o u s avons déjà mentionné qu'un polymère autocatalytique est certainement, à ce stade, d'une grande imprécision ; un m o n o m è r e de la chaîne peut par hasard être remplacé par un m o n o m è r e erroné ; ainsi la molécule formée est différente du moule initial. C'est ce qu'on appelle une mutation. Si la nouvelle substance est capable de catalyser sa propre synthèse avec plus d'exacti­tude, elle constitue une amélioration et prendra l'avantage sur les autres polymères. C e phénomène de replication impliquant inévitablement des erreurs permet en s o m m e un type nouveau de « fluctuations » au sens thermodyna­mique.

O n peut s'imaginer que l'évolution a c o m m e n c é à se produire de cette façon-là, avec des mutations successives de substance en substance encore meilleure. C'est en fait une « succession d'instabilités ». Le système évolue, sous l'effet des fluctuations que provoquent les imprécisions dans les mécanismes autocatalytiques, d'état stationnaire en état stationnaire, chaque état stationnaire étant caractérisé par la survie pratiquement exclusive de l'espèce de polymère qui permet la précision optimale. L'amplification d'une fluctua­tion est possible si elle entraîne l'apparition d'un nouveau polymère capable de meilleures performances que le polymère dominant.

Les travaux d'Eigen montrent que, alors que ni les protéines ni les polynucleotides — pris isolément — ne peuvent construire un mécanisme suffisamment stable par rapport aux erreurs de l'autocatalyse (la succession d'instabi­lités se prolonge indéfiniment), une interaction cyclique entre polynucleotides et protéines permettrait au système d'attein­dre un m o d e d'évolution optimal. Cela aboutirait finalement à l'instauration d'un code génétique tel qu'on le connaît actuellement, remarquablement stable par rapport aux « erreurs ».

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Table ronde avec Ilya Prigogine

Les rapports entre la physique et la biologie

Comment la discipline rigoureuse du physicien pourrait-elle contribuer à l'étude des

sciences de la vie ?

Il faut d'abord souligner que la biologie contemporaine est fondée sur une utilisation intensive de méthodes d'analyse proprement physiques • ou physico-chimiques, telles que rayons X , radio-activité, spectroscopic et Chromatographie. C'est dans une large mesure à la puissance exceptionnelle des moyens d'investigation mis à la disposition de la biologie par la physique qu'on doit les progrès rapides réalisés dans la compréhension du fonctionnement des êtres vivants depuis la seconde guerre mondiale.

Cependant, n'est-il pas possible de concevoir, entre la physique et la biologie, d'autres liens que ceux, purement pratiques, que constituent les techniques d'analyse ? Certains ne prétendent-ils pas réduire l'étude de la vie à une explication en termes de concepts purement physiques ?

Disons immédiatement que nous ne croyons pas à la possi­bilité de fondre ou de confondre les deux disciplines. Certes, la direction suivie par les biologistes et la nôtre convergent. Les biologistes étudient des systèmes de plus en plus simples alors que nous essayons d'aborder des systèmes physico-chi­miques de plus en plus complexes. Mais cela ne veut pas dire que le physicien puisse envisager d'appliquer directement sa science à l'étude des êtres vivants ; cela ne veut pas dire que le physicien puisse faire de la biologie. L a perspective qui se dessine n'est donc pas celle de la réduction de la biologie à la physique.

N o u s tentons plutôt, avec les structures dissipatives, de mettre au point le langage physique dans lequel pourraient être formulées les propriétés les plus générales communes aux êtres vivants. Prenons un exemple simple : celui des rapports entre la mécanique quantique et l'étude de la structure de molécules relativement complexes telles que le benzène *.

Hydrocarbure aromatique incolore, C ß H ß , utilisé dans la fabri­cation de nombreux composes chimiques organiques. ( N D L R . )

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

Le problème de la structure du benzène n'a pas été réduit à un problème de mécanique quantique. O n a d'ailleurs calculé que le temps nécessaire à la plus puissante machine à calculer existant actuellement pour déduire les propriétés du benzène à partir de l'équation de Schrodinger (équation fondamentale de la mécanique quantique) dépasserait l'âge de l'univers.

Il n'empêche que le développement de la mécanique quantique a fourni au physico-chimiste des concepts et un langage nouveau qui lui ont permis de formuler de manière précise et efficace le problème du benzène. L e langage de la mécanique quantique constitue en quelque sorte le cadre de référence naturel à partir duquel on exprime le problème du benzène.

Et c'est un tel « cadre de référence naturel » que les structures dissipatives constitue­raient pour la biologie ?

E n quelque sorte, oui. Notez que cette perspective n'est pas nouvelle. A u cours du développement récent de la biologie, des concepts physiques ont déjà joué un rôle de ce genre.

Pourriez-vous préciser à quelle occasion ?

Après la seconde guerre mondiale, un certain nombre de jeunes physiciens se sont tournés vers la biologie et ont contribué de façon décisive au progrès spectaculaire de cette discipline. Beaucoup d'entre eux avaient été influencés par la lecture de Qu'est-ce que la vie ?, dans lequel le célèbre physicien Schrodinger tentait de poser les problèmes les plus fondamentaux de la biologie en termes physiques. C'est ainsi que des concepts appartenant à la thermodynamique, à la cybernétique et, surtout, à la théorie de l'information ont pu jouer un rôle crucial dans le développement de la biologie moléculaire à partir des années cinquante.

Chacun sait que les termes de « message », d'« informa­tion », de « code » apparaissent sans cesse dans les exposés de la biologie contemporaine. Peut-être la description géné­rale que nous tentons de mettre au point apparaîtra-t-elle dans l'avenir aussi évidente et banale que ce vocabulaire de la biologie moléculaire qui est étroitement lié à certaines théories physiques. Peut-être cette description deviendra-t-elle

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Table ronde avec Ilya Prigogine

aussi élémentaire que ces autres idées qui, à l'origine, appa­rurent c o m m e profondément surprenantes : la lutte des classes ou l'existence de l'inconscient.

A propos de la biologie moléculaire, il faut remarquer que Schrödinger et, à sa suite, la plupart de ceux qui ont tenté de formuler les problèmes de la biologie en langage physique, l'ont fait à partir de notions relevant de la thermo­dynamique d'équilibre. L'intérêt de la tentative actuelle est qu'elle a pour point de départ la constatation que les con­ceptions anciennes de l'ordre thermodynamique sont, sinon fausses, du moins profondément insuffisantes.

Ce cadre de référence naturel de la biologie moléculaire serait donc dépassé ?

D u moins, il s'avère trop étroit. D faut cependant souligner que cela ne remet pas en question la biologie moléculaire elle-même. Mais cela remet en question certaines concep­tions générales à propos de l'ordre biologique qu'on a déduites des résultats obtenus par la biologie moléculaire.

Faites-vous allusion au livre du professeur Monod, L e hasard et la nécessité ?

Parmi beaucoup d'autres, oui. L e rôle généralement attribué en biologie au « hasard » et à la « nécessité » se fonde direc­tement sur les conceptions traditionnelles de la thermodyna­mique d'équilibre. N o u s l'avons dit, dans ce cadre, l'origine de la vie ne peut apparaître que c o m m e une espèce de miracle, perfectionné et amélioré par une série de mutations sélectionnées.

N o u s aboutissons alors à cette image de la vie, numéro gagnant d'une loterie extrêmement défavorable puisque, pour un seul gagnant, elle aurait un nombre de numéros perdants égal à la dixième puissance de 1010.

Et c'est cette image que la théorie des structures dissipatives vous permet de nuancer ?

Oui puisque, on l'a vu, dans la genèse des structures dissipa­tives, le hasard et la nécessité ne s'opposent plus mais s'impli­quent et se complètent mutuellement.

L e problème de la position de la vie par rapport aux lois de la physique ne pose donc plus le dilemme suivant: ou bien la vie est entièrement déductible de ces lois, ou bien

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

elle est totalement imprévisible et seulement compatible avec elles. Avec la théorie des structures dissipatives, nous pensons être en mesure d'apprécier la question de manière plus nuan­cée. N o u s pouvons espérer que, dans ce qu'elle a d'essentiel, la vie est déductible des lois de la thermodynamique et de la mécanique statistique.

U n e autre conséquence du fait que toute structure au comportement organisé et cohérent a toujours son origine dans une fluctuation est qu'on peut légitimement attribuer à ce type de structure une histoire, qui n'est ni le récit d'une suc­cession de hasards — c o m m e l'évolution telle que la décrivent encore trop de biologistes contemporains — ni l'accession à un état entièrement déterminé par des lois macroscopiques, c o m m e le processus de cristallisation. L a thermodynamique des systèmes loin de l'équilibre unit donc indissolublement les notions de structure, de fonction et d'histoire.

Un système purement physique pourrai donc avoir une histoire. Ne s'agit-il pas là, pourtant, d'une notion qui est traditionnellement revendiquée par les sciences humaines ?

Absolument. L a notion de temps historique, par opposition au temps spatial de la dynamique et m ê m e au temps irré­versible de la thermodynamique, marque traditionnellement une limite qu'on croyait infranchissable entre les sciences de la nature et les sciences humaines. Ici, nous voyons que le temps historique apparaît dans certains systèmes physiques, et ce, après le seuil d'instabilité qui correspond à la discon­tinuité entre la description fondée sur la thermodynamique d'équilibre et celle des phénomènes loin de l'équilibre.

D e part et d'autre de cette discontinuité, on a donc deux mondes distincts, deux états de la matière qualitativement différents. Là encore, vous pouvez constater que nous ne visons pas à réduire la biologie à des concepts physiques. A u contraire, nous assistons à un élargissement, à une géné­ralisation de la physique telle que la biologie semble devoir y trouver sa place naturelle sans qu'il soit nécessaire de nier ou de réduire les propriétés qui lui sont spécifiques.

Son seulement la biologie mais encore les sciences humaines ?

Cette perspective reste fort lointaine. Il ne faut pas perdre de vue l'extrême simplicité des systèmes actuellement acces-

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Table ronde avec Ilya Prigogine

sibles à notre étude. O n ne peut cependant s'empêcher d'être frappé par la similitude entre notre description et celle, par exemple, qu'a mise au point Piaget, à propos des mécanismes d'assimilation et d'apprentissage chez l'enfant. Il est certain que la théorie de l'apprentissage — lorsqu'elle met en jeu des rapports complexes et circulaires entre le passé du sys­tème nerveux, sa maturité et les stimulations et contraintes qui proviennent du milieu — évoque assez irrésistiblement la genèse et l'évolution des structures dissipatives.

Cette analogie ne doit cependant pas être poussée trop loin. Bornons-nous à constater que la description de systèmes hautement complexes, tels que le système nerveux, semble se situer, pour certains aspects essentiels, dans le prolongement naturel de la description de systèmes infiniment plus simples loin de l'équilibre.

Vous aboutissez finalement à une conception nouvelle de la vie ?

L e plus important est que la vie n'apparaît plus c o m m e un miracle précaire, une lutte contre un univers qui la refuse. Avec la généralisation de la thermodynamique, on arrive à comprendre que l'entropie n'est pas forcément synonyme de désordre et de mort ; dans certaines conditions particulières, c'est l'organisation et, finalement, c'est la vie, qui est la règle.

D nous faut apprendre à abandonner le dualisme rigide du hasard et de la nécessité, à dépasser cette conception anti­nomique. L'être vivant n'est pas l'étrange produit du hasard, il n'est pas l'improbable gagnant d'une immense loterie.

Pour terminer par une note critique, quelles difficultés pourraient faire obstacle à la perspective que vous venez d'esquisser ?

C o m m e nous l'avons dit, cette perspective exclut la confusion des disciplines. C'est dire que, si les nouvelles conceptions thermodynamiques sont en effet appelées à constituer le langage permettant de formuler les propriétés les plus géné­rales de l'être vivant, c'est avant tout aux biologistes — ou à des physiciens qui, à proprement parler, seraient devenus des biologistes — qu'il appartient de réaliser la synthèse concrète entre ces conceptions et les recherches qu'ils mènent

Dans le passé, c'est à l'occasion d'un nouveau type de recherches, de l'exploration intensive du fonctionnement des

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La thermodynamique peut-elle expliquer l'ordre biologique ?

bactéries et des virus, que la théorie de l'information a pu s'intégrer à la biologie en tant que cadre conceptuel. Il est actuellement impossible de prévoir à l'occasion de quel type de recherches proprement biologiques pourraient être adop­tées de manière concrète les conceptions de la thermodyna­mique généralisée.

Mais nous ne devons pas nous faire d'illusions ; actuel­lement, m ê m e si nous étudions des situations où l'analogie avec la biologie est de plus en plus frappante, m ê m e si nous découvrons des fonctionnements éloignés de l'équilibre au sein de systèmes biologiques, nos recherches sont encore loin de tenir compte de l'extrême complexité du plus simple des organismes.

POUR APPROFONDIR LE SUJET

L'ordre thermodynamique

G L A N S D O R F F , P . ; P R I G O G I N E , I. Structure, stabilité et fluctuations. Paris, Masson et 0 , 1 9 7 1 . G U G G E N H E I M , E . A . Thermodynamique. Paris, Dunod, 1965. P R I G O G I N E , I. Introduction to thermodynamics of irreversible processes, 3e éd. N e w York,

Wiley, 1967.

Instabilités, structures dissipatives et biologie

E I G E N , M . Selforganization of matter and the evolution of biological macromolecules. Die Naturwissenschaften, vol. 58, no 10, 1971.

P R I G O G I N E , I. La thermodynamique de la vie. La recherche, n" 24, juin 1972. ; N I C O L I S , G . ; B A B L O Y A N T Z , A . Thermodynamics of evolution. Physics today, vol. 25,

no 11-12,1972.

Rapports physique/biologie

B R I L L O U I N , L . Vie, matière et observation. Paris, Albin Michel, 1959. I A C O B , F . La logique du vivant. Paris, Gallimard, 1970. LwOFF, A . L'ordre biologique. Paris, Laffont, 1969. M O N O D , J. Le hasard et la nécessité. Paris, Éditions du seuil, 1970. S C H R Ö D I N G E R , E . Qu'est-ce que la vie ? Paris, Club français du livre, 1949.

. Théorie générale des systèmes ; physique, biologie, psychologie, sociologie, philosophie. Paris, Dunod-Bordas, 1973.

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bientôt

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ou de nouvelles solutions aux problèmes sociaux urgents entraînés par l'industrialisation

Numéro d'octobre-décembre 1973

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Recherches psychobîologiques sur l'agressivité humaine

Les comportements agressifs bénéficient d'un mouve­ment d'intérêt scientifique et sociologique sans précé­dent. Y a-t-il, dans les sociétés modernes, des sources de tension qui agissent sur la biologie de l 'homme pour accentuer les tendances hostiles ? Les plus patents et les plus dangereux de ces comportements ont-ils un fondement biologique ? Peut-on utiliser les connaissan­ces biologiques pour diminuer les risques résultant de la haine et de la violence ? Une compréhension globale de l'agressivité chez l 'homme exige qu'on associe l'ap­proche biologique et l'approche psychosociale dans les nouvelles recherches.

Des études récentes faites sur le chim­panzé, l'être vivant le plus proche de l'homme, se dégage une conception évo­lutive de l'agressivité. Le chimpanzé pré­sente de nombreuses similarités avec l 'homme du point de vue des chromoso­mes, de l ' A D N , des protéines du sang, des réactions d'immunisation et de la

Les Drs David Hamburg et Keith Brodie sont des médecins spécialisés dans les études sur l'agressivité chez l'homme et les autres primates. Le premier est directeur du Département de psychiatrie de l'École de médecine de l'Univer­sité Stanford, Stanford, CA 94305 (États-Unis d'Amérique) ; le second est chargé de cours dans ce département.

par D . A . H a m b u r g et H . K . H . Brodie

structure du cerveau. Pour ce qui est du comportement, les études les plus récen­tes faites sur le terrain ont confirmé les impressions déjà acquises dans les labo­ratoires et les zoos, à savoir que le com­portement du chimpanzé est, à certains égards, remarquablement semblable à celui de l 'homme. D e nouveaux résultats obtenus à l'aide de divers indicateurs bio­logiques ont à nouveau mis en lumière cette relation.

Les situations qui tendent à susciter des attitudes de menace ou d'attaque chez les chimpanzés comprennent : la lutte pour la nourriture, surtout si des aliments

Impact: science et société, vol. X X m (1973), n° 3 197

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D . A . Hamburg et H . K . H . Brodie

très appréciés sont concentrés en un m ê m e lieu ou sont peu abondants ; la protection d'un nouveau-né par sa mère ; la lutte de préséance entre deux individus de m ê m e rang social ; le rapport de l'agressivité sur un animal situé plus bas dans la hiérarchie ; la non-obéissance à un signal donné par l'agresseur (par exemple, lorsqu'un chimpanzé refuse d'en épouiller un autre) ; le fait pour un chim­panzé connu des autres de prendre un aspect insolite, si par exemple il est blessé ; le changement de suprématie avec le temps, surtout entre mâles ; la forma­tion des couples au m o m e n t du rut ; la rencontre de chimpanzés relativement étrangers ; la chasse et la capture de petits animaux ; enfin, la souffrance, qui provoque une irritabilité excessive.

L'agressivité chez les chimpanzés peut être prévenue, atténuée ou éliminée par une série de manifestations qu'on désigne globalement sous le n o m de c o m ­portement de soumission. Quatre des formes les plus importantes de ce c o m ­portement sont : la présentation de la croupe en direction de l'autre animal en posture basse, sans qu'il y ait nécessaire­ment là un signal sexuel ; l'accroupisse-ment ou la courbette (ce qui ressemble beaucoup aux marques de déférence chez l 'homme) ; le baiser (souvent à l'aine, accompagnant Faccroupissement ou la flexion) ; les mouvements de la main ou du bras (consistant notamment à toucher l'autre animal sans trop s'approcher de lui et aussi à tendre le bras, la paume de la main vers le haut, tout en haletant bruyamment et en s'approchant lentement de l'autre animal).

Lorsqu'un animal manifeste ainsi sa soumission, cela a des chances d'inciter

l'autre à le toucher, le caresser, l'étrein-dre, le monter, l'embrasser. Toutes ces manifestations signifient que l'animal agressif veut rassurer, ce qui apaise la tension ou l'appréhension de l'animal sou­mis. Le comportement des chimpanzés révèle donc une séquence complexe d'atti­tudes dans le domaine qui nous intéresse ici : menace d'attaque —»- soumission - > apaisement.

Chez les primates supérieurs, il est tout à fait possible que le comportement agressif ait eu, pendant longtemps, des avantages sur le plan de l'évolution. Il avait notamment pour effet de renforcer les moyens de défense, de permettre l'accès à des ressources appréciées c o m m e la nourriture, l'eau et les femelles en rut, de contribuer à l'utilisation efficace de l'habitat en répartissant les animaux en fonction des ressources disponibles, de résoudre les différends graves à l'intérieur du groupe, de fournir un environnement social favorable, de donner une direction au groupe, en particulier dans les situa­tions de danger, enfin de permettre une reproduction différentielle dans laquelle les mâles les plus agressifs ont davantage de chances que leurs congénères moins agressifs de transmettre leurs gènes aux générations ultérieures.

L'avantage sélectif et les hormones

S'il est probable que le comportement agressif a présenté un avantage sélectif au cours de l'évolution, il n'est pas moins certain que les pressions exercées par celle-ci ont également fourni les moyens de réduire et de régulariser ce comporte­ment. Les primates disposent de signaux

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Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

bien définis qui indiquent généralement la fin d'une séquence agressive et ils possèdent un répertoire élaboré de mani­festations de soumission. O n constate chez eux une hiérarchie de pouvoir sta­ble qui contribue au caractère favo­rable de l'environnement social, et des séquences claires, nettes, d'agression-soumission-apaisement, qui ont des élé­ments c o m m u n s avec les comportements humains.

Il est très vraisemblable que l ' h o m m e ait hérité, en tant que m e m b r e du groupe vertébré-mammifère-primate, de tendan­ces agressives qui lui ont été transmises par les mécanismes biologiques et sociaux. Pour comprendre la nature du compor­tement humain, il importe de se pencher sur les sources et les catalyseurs de l'agres­sivité, tels qu'ils ont été transmis au cours de l'évolution, et de considérer les méca­nismes biologiques de contrôle et de régulation. Tout héritage de tendances agressives dû à l'évolution est nécessaire­

ment médiatisé par les influences géné­tiques sur les mécanismes du cerveau (voir la figure) et les hormones qui agis­sent sur le cerveau. E n tout état de cause, ces mécanismes dépendent nécessaire­ment beaucoup de l'environnement, sur­tout de l'environnement social.

Les effets des différences hormonales au début de l'existence sur l'organisation du cerveau et, par la suite, sur le c o m ­portement, ont fait l'objet d'importantes recherches scientifiques au cours de la décennie écoulée. II existe déjà une s o m m e considérable de travaux qui ont permis d'établir un lien entre les h o r m o ­nes mâles et le comportement agressif chez les petits mammifères et, plus récem­ment, chez les primates. Aujourd'hui, on peut particulièrement bien analyser les relations entre les hormones et l'agressi­vité grâce aux nouvelles techniques bio­chimiques qui permettent de mesurer avec précision et exactitude les hormones et les molécules apparentées.

Circonvolution du corps calleux

Lobe pariétal

Hypothalamus

Noyau amygdallert

Lobe temporal

Mésencéphale 1

Suite lachldlan Moelle épinière

Coupe médio-longitudinale du cerveau, illustrant globalement les relations entre les structu­res fondamentales et le contrôle du comportement agressif. Le noyau amygdalien, situé dans les profondeurs du lobe temporal, est indiqué en pointillé. (D'après Daniels, Gilula et Ochberg.)

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D . A . Hamburg et H . K . H . Brodie

Les chercheurs se sont intéressés à l'influence des androgenes (composés similaires aux hormones mâles) sur le développement des nouveau-nés, puis sur le comportement des adultes en utilisant c o m m e sujets d'expérience de petits m a m ­mifères, des primates autres que l ' homme et parfois des sujets humains. E n injectant une hormone mâle (la testosterone) à des rates nouveau-nées, par exemple, on sup­prime définitivement chez elles tout c o m ­portement sexuel féminin et l'on constate une accentuation des modes de compor­tement masculins, notamment de diverses formes d'agressivité. Des rats mâles cas­trés à la naissance manifestent au combat un comportement semblable à celui des femelles lorsqu'on leur fait subir des chocs au cours d'une expérience.

L'aggravation des actes agressifs

Ces dernières années, les chercheurs ont étendu les travaux de ce genre aux pri­mates, en utilisant l'espèce macaque rhé­sus, bien connue des laboratoires, us ont administré de la testosterone à des gue­nons gravides pendant une période correspondant approximativement au deuxième quart de la gestation. Malgré la difficulté de préserver la grossesse dans ces conditions, les expériences ont produit des femelles anormales présentant dans leur anatomie et leur comportement cer­taines caractéristiques du singe mâle. Ces femelles masculinisées se montrent mena­çantes, prennent l'initiative, du jeu et, se livrent à des jeux violents plus fréquem­ment que les sujets témoins. C o m m e les mâles normaux, elles se dérobent moins souvent devant les initiatives,, menaces

ou avances d'autres sujets. A l'âge adulte, elles continuent à avoir un comportement menaçant à l'égard des autres singes, mais les autres caractéristiques agressives s'atténuent dans les conditions de labora­toire appliquées jusqu'ici.

Les expériences qui viennent d'être décrites amènent à poser la question des effets éventuels des androgenes sur le développement des nouveau-nés humains du sexe féminin. L'étude de deux groupes d'enfants du sexe féminin exposés à l'ac­tion de composés androgenes dans l'utérus semble montrer que, chez l'être humain c o m m e chez les autres primates, le c o m ­portement lié au dimorphisme sexuel peut subir très tôt l'influence d'hormones.

U n groupes de dix fillettes dont les mères avaient absorbé des androgenes au cours de leur grossesse pour éviter une fausse couche a été étudié à l'Université Johns Hopkins. Des entretiens avec les fillettes et leur mère et des tests psy­chologiques ont révélé que neuf des dix fillettes étaient des «garçons manques». E n effet, elles manifestaient une préfé­rence marquée pour les jouets de garçon et les activités de plein air exigeant de l'énergie et (contrairement aux fillettes d'un groupe témoin) ne s'intéressaient guère aux vêtements féminins, aux bébés, aux poupées et aux travaux ménagers.

L e deuxième groupe se composait d'enfants victimes d'une affection dénom­m é e hyperplasie surrénale congénitale. D u fait d'une lacune génétique dans leur aptitude à fabriquer l'hormone princi­pale de la cortico-surrénale, ces enfants ont été exposées dans l'utérus à de gran­des quantités d'androgènes sécrétés par leurs propres glandes surrénales. Vingt-trois de ces enfants du sexe féminin ont

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Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

été étudiées pendant leur enfance puis leur adolescence, après guérison de l'affec­tion dont elles étaient atteintes. Leurs traits psychologiques accusaient quelques tendances masculines. Les femmes chez lesquelles on constate le syndrome sur-réno-génital ressemblent, par leur ten­dance à être des garçons manques, aux enfants du sexe féminin dont les mères ont absorbé des androgenes au cours de leur grossesse. Les deux groupes mani­festent, au moins modérément, une agres­sivité plus accentuée que la normale.

Ces constatations amènent à la ques­tion fondamentale de savoir comment cet effet peut se produire. O n sait que chez les rongeurs, la testosterone est absorbée par le cerveau, notamment par l'hypothala­m u s , qui se situe dans la partie la plus ancienne du cerveau. Il est concevable que nous ayons ici une certaine différencia­tion, au sens biologique, des circuits de l'hypothalamus, ou des circuits hypothala-mo-limbiques, qui peuvent alors médiati­ser les comportements agressifs ultérieurs. Cela pourrait signifier que l'exposition du cerveau à l'action de l'hormone au cours d'une période vulnérable de développe­ment détermine un schéma de comporte­ment bien défini. Cela peut aussi vouloir dire qu'une exposition précoce aux andro­genes influe sur le tempérament et l'orientation générale de la personnalité.

Les hormones et le senil de réaction

U n e exposition précoce aux androgenes est très probablement le cas chez les pri­mates, du fait que l'apprentissage revêt chez eux une grande importance. Il est vraisemblable que ce genre d'exposition

aux hormones influe sur la facilité d'apprentissage des comportements agres­sifs et la propension à les apprendre plu­tôt qu'elle ne suscite des comportements ayant pratiquement le caractère de réflexes qui deviendraient immuables. Peut-être l'exposition précoce aux hor­mones abaisse-t-elle le seuil de réaction à certains stimuli qui déclenchent le c o m ­bat ou peut-être donne-t-elle plus de valeur à certains modes d'action tels que les grands mouvements musculaires qui présentent une telle importance dans les affrontements ; par exemple, dans les jeux brutaux auxquels les jeunes primates mâles s'adonnent plus volontiers que les jeunes femelles.

Si l'on songe à l'extraordinaire capa­cité d'apprentissage qui caractérise l'espè­ce humaine, il semble peu probable que l'exposition précoce des cellules du cer­veau à l'action des hormones sexuelles mâles puisse établir pour la vie entière certaines formes complexes fixes de c o m ­portement agressif ; ce qui est plus vrai­semblable, c'est que les hormones mâles déterminent sans doute très tôt une orien­tation générale, une préférence pour cer­tains stimuli ou une inclination naturelle qui font que l'individu se sent attiré par certains comportements agressifs et les acquiert facilement. II y a là de larges possibilités de recherche sur le développe­ment de l'enfant.

C e que nous venons de dire concerne les effets des androgenes sur le dévelop­pement de l'enfant. Des recherches ont également été faites sur les effets des Ste­roides sur des sujets adultes. Lorsqu'on leur injecte de la testosterone à l'âge adulte, les rates normales et les rats cas­trés à la naissance ne manifestent pas une

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propension plus grande à se battre lors­qu'on leur fait subir des chocs au cours d'une expérience. D e m ê m e , l'agressivité ne diminue pas chez les rats castrés plus tard, contrairement au cas des rats castrés à la naissance — ce qui confirme qu'il existe une période précoce sensible au cours de laquelle la testosterone exerce un effet profond et durable sur la média­tisation de l'agressivité. Chez les primates autres que l 'homme, des recherches sur le terrain ont montré que le comportement de plusieurs espèces change de façon frap­pante pendant l'adolescence, généralement dans le sens d'un renforcement des ten­dances combatives. C e phénomène est peut-être lié à des changements du niveau hormonal au m o m e n t de la puberté.

E n ce qui concerne l 'homme, plu­sieurs rapports publiés récemment tou­chent directement au rôle des hormones sexuelles dans le développement de la personnalité chez l'adolescent et le jeune adulte. Ils montrent qu'en administrant des androgenes à l'adolescent, on accen­tue son agressivité. Il y a, dans le plasma de l'adolescent, de nombreux composés androgéniques qu'il faudrait étudier. Des études biochimiques ont montré que la concentration des androgenes varie selon le sexe, le stade de développement de l'in­dividu et les changements cycliques des hormones elles-mêmes.

Il est bien établi, par exemple, que chez la f e m m e , le cycle menstruel s'ac­compagne souvent de fluctuations de l'humeur. E n règle générale, les jours qui précèdent l'apparition des menstrues coïn­cident avec une phase d'irritabilité et de dépression accrues. D e m ê m e chez l'hom­m e , il peut se produire des fluctuations cycliques ide la testosterone qui peuvent

modifier les réactions aux stimulations provocatrices ou auxquelles on peut imputer un abaissement du seuil de frus­tration. L a question de savoir si ces fluc­tuations cycliques des androgenes causent des réactions psychologiques mérite éga­lement d'être étudiée plus avant.

Adrénaline et irritabilité

E n dehors des effets des hormones sexuel­les sur le comportement agressif, il res­sort des observations cliniques que certaines hormones n'intéressant pas la reproduction pourraient favoriser l'appa­rition d'un comportement agressif chez l 'homme. Les observations les plus frap­pantes à cet égard sont celles qui ont trait à l'accroissement très sensible de l'irrita­bilité qu'entraîne l'hyperfonction de la cortico-surrénale ainsi que celle de la glande thyroïde. Les patients atteints de la maladie de Cushing, qui souffrent d'une sécrétion excessive d'hormones cortico-surrénales, de concentrations très élevées de ces hormones dans le système circu­laire, sont souvent décrits c o m m e irasci­bles. Lorsque la maladie est traitée avec succès, ce comportement tend à s'atténuer.

O n a fait des observations similaires sur des patients auxquels avaient été administrées des doses considérables d'hormones cortico-surrénales exogènes. A un taux élevé d'hormone thyroïdienne en circulation, quelle qu'en soit l'origine, correspond une forte tendance à réagir avec colère aux circonstances engendrant un sentiment de frustration. Q u a n d la concentration d'hormone thyroïdienne décroît, l'irritabilité tend à faire de m ê m e . Les mécanismes par lesquels ces hormo-

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nés influent sur la médiatisation du c o m - connu sous le n o m de synapse. C e méca-portement agressif restent encore, eux nisme de libération est vraisemblablement aussi, à élucider. déclenché par la dépolarisation de la

L a classe de composés connus sous m e m b r a n e neuronale. Lorsqu'il a été libe­le n o m d'aminés biogéniques comprend ré par un nerf, le neuromédiateur active trois substances chimiques qui transmet- un site récepteur sur le neurone adjacent, tent probablement les impulsions électri- qui à son tour propage l'impulsion élec-ques d'une cellule nerveuse à une autre trique le long de ce deuxième nerf, dans le cerveau. Ces neuromédiateurs, la O n peut étudier la corrélation entre dopamine, la noradrématine et la séroto- les amines présentes dans le cerveau et nine, sont présents, en concentrations l'agressivité en augmentant ou en dimi-diverses, dans différentes parties du cer- nuant sélectivement le niveau de ces veau, Ils sont synthétisés par la cellule amines à l'aide de certaines substances et nerveuse à partir de précurseurs qui sont en étudiant les effets de cette manipula-des acides aminés circulant dans le. pías- tion sur le comportement agressif. Ces m a . U n e fois synthétisé, le neuromédia- manipulations agissent sans doute sur la teur est stocké dans un granule à circulation des impulsions dans les cir-l'intérieur de la cellule nerveuse pour être cuits qui médiatisent le comportement ensuite libéré au point de transmission agressif.

Injection et élimination de l'agressivité dans le cerveau du rat O n a constaté que, chez les rats, l'agressivité spontanée —

cette forme du comportement qui se traduit par des postures et des gestes hostiles en l'absence de tout stimulus artificiel — est liée à la concentration de dopamine dans le cerveau. Les drogues L-Dopa (qui accélèrent la synthèse de la dopamine) et apomorphine (qui active les récepteurs dopaminergiques) provoquent une augmentation de l'agressivité spontanée. O n a constaté que, chez l 'homme, l'administration de dopa accentue l'irascibilité.

Les expériences auxquelles on a procédé avec la noradre­naline ont révélé une corrélation entre cette amine et l'agres­sivité par des chocs. La quantité de noradrenaline active dans le cerveau peut être modifiée de différentes façons. O n a constaté qu'en administrant du D O P S , un précurseur de la noradrenaline qui ne forme pas de la dopamine, on renforce également certains types de comportement agressif chez le rat.

Les expériences faites en ce qui concerne la Serotonine ont montré que l'administration d'une substance chimique appelée para-chlorophénylalanine entraîne la diminution de cette amine dans le cerveau. Cette substance provoque chez le rat une augmentation de l'agressivité prédatrice, qui lui fait tuer les souris. O n a constaté en revanche que l'administration de 5-hydroxytryptophane, précurseur de la Serotonine, atténue le comportement prédateur chez le rat.

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Pour le m o m e n t , on n'a pas encore réussi à délimiter entièrement les voies neuronales spécifiques qui médiatisent les impulsions électriques associées aux c o m ­portements agressifs. Lorsqu'on y aura réussi, il sera peut-être possible de savoir à laquelle des amines biogéniques on doit le plus attribuer la médiatisation de l'agressivité. Il sera peut-être aussi pos­sible de mieux voir quelles amines cor­respondent aux différents aspects du comportement agressif. Il est fort pos­sible que cela facilite le traitement phar-macologique de ceux qui souffrent d'accès involontaires d'hostilité et de violence.

Neurophysiologie de l'agressivité

Les recherches visant à comprendre les structures complexes du cerveau et leurs fonctions permettent d'analyser les fonde­ments neuro-physiologiques de l'agressi­vité. Parmi les méthodes d'examen employées pour déterminer la relation entre les structures du cerveau et le c o m ­portement, on trouve : les électro-encé­phalogrammes qui mesurent l'activité neuro-électrique spontanée de certaines régions du cerveau dans divers états de comportement ; la stimulation artificielle, électrique ou chimique, de certaines régions du cerveau par l'implantation d'électrodes, suivie de l'observation du comportement résultant ; enfin, l'ablation chirurgicale d'une partie du cerveau, sui­vie également de l'observation du c o m ­portement qui en résulte.

O n a constaté que les comportements violents dépendent surtout des structures de l'aire limbique du cerveau, laquelle, du point de vue de l'évolution, comprend

certaines des parties les plus anciennes du cortex. Différents types d'agressivité peu­vent être encouragés ou inhibés par l'abla­tion ou la stimulation de différentes régions du complexe amygdaloïde et d'autres régions du système limbique. Le noyau amygdalien est un élément particu­lièrement important ayant d'étroites con­nexions avec de nombreuses portions du système limbique ainsi qu'avec le mésen-céphale et l'hypothalamus.

Ses connexions avec l'hypothalamus sont extrêmement développées et le noyau amygdalien contribue beaucoup à moduler l'activité émotionnelle. Les ana-tomistes ont pu définir, à l'intérieur de ce noyau, de neuf à quatorze régions anato-miques différentes, dont chacune peut avoir une fonction distincte. Les modifi­cations de la structure ou de la fonction du noyau amygdalien d'un animal entraî­nent invariablement des changements dans son comportement, qui peut aller de la placidité à la rage la plus terrible.

Les expériences auxquelles on a pro­cédé sur des singes ont montré que l'abla­tion du noyau amygdalien a un effet apaisant. D'autres expériences ont m o n ­tré que la destruction chez le chat ou le rat de petits éléments du noyau ventromédian de l'hypothalamus rend l'animal constam­ment féroce. Les résultats de ces expérien­ces donnent à penser qu'étant donné l'existence de nombreuses connexions de fibres entre ce noyau hypothalamique et le noyau amygdalien celui-ci est peut-être fortement soumis à l'influence de celui-là, puisque l'ablation du noyau hypothalami­que entraîne une excitation prolongée du noyau amygdalien — indiquée par la pro­pension à attaquer. Par contre, l'ablation du noyau amygdalien empêche la mani-

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Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

festation d'un comportement agressif face à une provocation normale.

L a connaissance du cerveau et de ses mécanismes a conduit à de nouvelles techniques de traitement des anomalies cérébrales qui augmentent la probabilité d'un comportement violent. Ces a n o m a ­lies peuvent être causées par des d o m m a ­ges structuraux infligés au cerveau tels que ceux qui résultent d'une tumeur, d'une blessure à la tête, d'une infection virale ou d'un m a n q u e d'oxygène. Les d o m m a g e s causés à nombre de structures du cerveau perturbent l'équilibre entre le système limbique et le néocortex, c o m ­promettant leur coordination et, partant, le contrôle de l'agressivité.

L'environnement et ses effets

Des corrélations ont été établies entre certaines dysfonctions du cerveau et cer­tains types de comportements anormaux. C e qui nous intéresse particulièrement ici, ce sont les anomalies du système limbi­que affectant les profondeurs du lobe temporal, en particulier l'hippocampe et le noyau amygdalien, car des déficiences du fonctionnement de ces régions céré­brales peuvent être à l'origine d'un c o m ­portement impulsivement violent

O n peut localiser les cellules céré­brales malades en implantant dans le cerveau de petites électrodes qui permet­tent d'enregistrer par électro-encéphalo-

Le cas de l'épilepsie

Dans l'épilepsie temporale, la désorganisation électrique se manifeste dans le cerveau par une décharge électrique très nette marquée par une augmentation de l'amplitude et de la fréquence des ondes cérébrales. Le malade atteint d'épilepsie de ce genre peut ressentir au cours de ses crises un sentiment accentué de dépression ou de peur auquel il peut réagir en devenant agressif. De plus, il peut être victime de troubles de la perception par suite de phénomènes de dépersonnalisation, d'automatismes mentaux ou d'hallucinations. Il peut traverser une brève période d'activité musculaire violente suivie d'épui­sement et de soulagement. Enfin, il peut passer par des phases de violence incontrôlée encore que la plupart de ces malades ne soient pas spontanément violents.

Les cliniciens ont constaté que ces phénomènes sont analogues à ceux qui précèdent un accès d'agressivité impul­sive chez certains individus enclins à la violence. Ces individus n'ont pas de crises au sens ordinaire de ce terme ; il n'y a chez eux ni perte de conscience ni perte de mémoire de l'évé­nement c o m m e c'est le cas chez la plupart des épileptiques, mais beaucoup des symptômes du comportement sont tout à fait semblables. Cela donne à penser qu'une anomalie fonction­nelle du lobe temporal peut prédisposer certaines personnes à des accès de violence m ê m e lorsqu'elles s'efforcent de les éviter. Cependant, nous ne savons pas encore quelle propor­tion de la population peut souffrir de pareils troubles.

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g r a m m e des décharges électriques spontanées et des décharges produites artificiellement au m o y e n d'une stimula­tion : on repère ainsi les cellules respon­sables des schémas anormaux de décharge. E n faisant passer un courant suffisant par une électrode, on peut détruire un très petit nombre de cellules anormales dans une région déterminée avec précision. Cette forme de thérapie peut en définitive se révéler efficace, après des recherches cliniques très approfon­dies, pour le traitement des quelques patients dont la violence est imputable à une affection du tissu neuronal. Cepen­dant, ce groupe est probablement res­treint et il faut rechercher d'autres thérapies pour les personnes souffrant de troubles qui les prédisposent à la violence.

Les effets psychobiologiques que peuvent causer certaines conditions d'environnement, en particulier le sur­peuplement et le contact avec des étran­gers, présentent un intérêt particulier aujourd'hui, en raison de la croissance constante des grandes villes. Il est cer­tain que la concentration, dans les villes, d'individus étrangers les uns aux autres, dépasse tout ce qu'on avait connu jus­qu'ici, et ce de plusieurs points de vue : le très grand nombre de personnes agglo­mérées ; la mobilité qui amène sans cesse des individus étrangers dans chaque ville ; enfin, la complexité de la vie qui met presque quotidiennement chacun de nous en contact avec de nombreux étrangers que nous ne reverrons pour la plupart jamais. D e plus, cette concentration se fait dans un milieu où existent de n o m ­breuses ressources appréciées, souvent considérées c o m m e relativement rares :

objets, lieux, activités et personnes aux­quelles on attache du prix. Ces condi­tions sont favorables aux conflits entre individus et entre groupes.

Les travaux faits sur les rongeurs ont abouti à quelques observations inté­ressantes sur les réactions physiologiques et biochimiques provoquées par le sur­peuplement, le contact avec des individus étrangers et les interactions agressives. O n a procédé au cours des dernières années à un certain nombre d'études sur les relations qui existent entre la densité de la population, les fonctions endocri­niennes, les fonctions des amines biogé-niques et le comportement.

Des travaux sur les fonctions endo­criniennes chez le rat donnent à penser que, si la densité de la population aug­mente, la fonction des glandes surrénales tend à s'intensifier considérablement. D e plus, de telles augmentations de la den­sité de la population sont associées à une tendance frappante à adopter un com­portement agressif — soit que ce com­portement s'accuse, soit qu'on voie apparaître des formes tout à fait inhabi­tuelles d'agressivité. Les effets de l'aug­mentation de la densité de la population sur le comportement et les réactions endocriniennes varient cependant beau­coup moins selon le génotype et l'expé­rience antérieure de l'animal.

Perturbation de la stimulation : un modèle

L'étude de la toxicité des amphétamines chez la souris est particulièrement inté­ressante car elle fournit un modèle expé­rimental des troubles provoqués par des

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Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

niveaux élevés de stimulation. Le sur­peuplement augmente de façon significa­tive la toxicité des amphétamines (et substances chimiques analogues) chez la souris. Les premières recherches ont m o n ­tré que les souris vivant en groupe étaient beaucoup plus vulnérables à une dose déterminée d'amphétamines que les souris vivant isolément. U n e étude a per­mis de constater, par exemple, que l'amphétamine était environ dix fois plus toxique chez les souris vivant en groupe que chez les souris vivant isolément. L'observation de ces souris a révélé un niveau extraordinairement élevé d'excitation accompagné de combats entre les animaux vivant dans la pro­miscuité.

U n e expérience faite avec des ron­geurs a ainsi montré que le surpeuple­ment et le contact avec des individus étrangers tendent à exercer une forte influence sur le comportement agressif, la toxicité des médicaments, les fonctions endocriniennes et la fonction des ami­nes biogéniques. D e nombreuses condi­tions particulières d'environnement qui suscitent un comportement agressif chez des animaux d'expérience peuvent égale­ment provoquer le m ê m e comportement chez l'être humain. L à encore, il y aurait lieu d'étudier d'urgence dans quelle mesure la vie dans les grandes villes est préjudiciable aux populations humaines et de rechercher les causes psychobiolo­giques de ces effets.

Bien que les recherches biologiques sur l'agressivité humaine soient encore assez peu développées par rapport aux autres secteurs dans lesquels s'exercent ces recherches, le sujet a suscité une con­troverse passionnée.

A u x niveaux de la violence indivi­duelle et de la violence entre personnes, il ne fait guère de doute que les approches biologiques et médicales peuvent apporter quelques éléments intéressants. Les liens établis entre l'alcool ou les amphétami­nes et la violence méritent, par exemple, d'être largement connus du public. Des méthodes thérapeutiques ou préventives efficaces visant à réduire au m i n i m u m l'emploi excessif de ces substances con­tribueraient à diminuer la haine et la violence. D e m ê m e , une meilleure c o m ­préhension des mécanismes cérébraux et endocriniens qui prédisposent certaines personnes à la haine ou à la violence pourrait conduire à un traitement effi­cace et, en conséquence, à une réduction du nombre des individus portés à la violence.

Tout cela ne présente guère de diffi­culté lorsque les intéressés sont inquiets de leur propre tendance à la haine ou à la violence et désirent par conséquent se faire soigner. Cependant, il est à craindre que la connaissance des mécanismes bio­logiques qui sont à la base du comporte­ment agressif ne puisse être exploitée par les éléments dominants d'une société pour en contrôler les éléments les plus faibles. C o m m e c'est le cas pour toutes les connaissances, l'information dans ce domaine peut faire l'objet d'utilisations très diverses — certaines visant à soula­ger la souffrance humaine, d'autres non. Il faut espérer qu'à l'avenir, on donnera à ces questions une plus large publicité, en s'efforçant de trouver les moyens d'assurer une utilisation raisonnable­ment équitable des bienfaits potentiels de la science.

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D . A . Hamburg et H . K . H . Brodie

L'amphétamine, l'alcool et l'agressivité

Deux médicaments d'usage courant sont connus pour leurs effets pharmacologiques sur le cerveau, parmi lesquels une tendance à provoquer un comportement hostile et m ê m e vio­lent chez l 'homme. L'amphétamine a tout d'abord été synthé­tisée c o m m e succédané de la noradrenaline. O n pense qu'elle provoque une décharge de noradrenaline par les terminaisons nerveuses dans la synapse et inhibe la réabsorption de la nora­drenaline dans le neurone. Pour ce qui est du comportement, l'administration d'amphétamine a notamment pour effet de provoquer un comportement compulsif, stéréotypé et fréquem­ment violent. Les expériences contrôlées auxquelles on a procédé sur des sujets humains ont montré qu'administrée à des doses modérées, l'amphétamine tend à susciter des réactions de méfiance et d'hostilité. Les utilisateurs chroniques d'amphétamine deviennent extrêmement méfiants, manifestent des tendances paranoïaques et sont portés à attaquer toute personne qui leur paraît dangereuse.

L'éthanol (alcool éthylique) est une autre substance qui présente un intérêt particulier en raison des comportements violents qu'elle peut provoquer. De nombreux chercheurs pen­sent que l'action pharmacologique de l'éthanol résulte de ses effets sur le mécanisme de libération des neuromédiateurs et sur le métabolisme des amines biogéniques. L'éthanol peut stimuler l'activité neuronale en augmentant la concentration de neuromédiateurs au niveau de la synapse. Une proportion importante des homicides sont commis sous l'influence de l'alcool éthylique. Le fait que seul un petit pourcentage de personnes qui absorbent de l'alcool recourent à la violence indique peut-être que ces personnes métabolisent différemment cette substance ou que son effet sur la neuromédiation est différent, peut-être en raison d'une quelconque prédisposition génétique. O n étudie actuellement les effets de l'alcool et de l'amphétamine sur la fonction cérébrale avec l'espoir de déter­miner les facteurs qui font que ces composés éveillent l'agres­sivité chez certaines personnes.

L e dilemme : saint ou pécheur ?

A u niveau des groupes humains et de

l'espèce tout entière, une controverse d'un

genre différent a vu le jour. Bien que la

base scientifique du problème soit encore

rudimentaire, certains spécialistes ont pris

parti et discutent avec passion la propo­

sition selon laquelle la nature biologique

de l ' homme le prédispose d'une certaine

façon à u n comportement agressif, y com­

pris aux conflits entre groupes. Ces dis­

cussions rappellent beaucoup la vieille

polémique dans laquelle s'opposait le

saint au pécheur. Elles établissent une

dichotomie simpliste sur un sujet très

complexe et préjugent les résultats des

recherches qui restent à faire. Partout

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Recherches psychobiologiques sur l'agressivité humaine

dans le m o n d e , notre espèce est évidem­ment capable d'une coopération, d'un attachement, d'une tendresse et d'une compassion extraordinaires — mais aussi de haine, de cruauté, de violence et de destruction. Il ne paraît guère utile de définir l 'homme c o m m e un saint ou un pécheur ; il est beaucoup plus intéressant de rechercher les conditions qui peuvent donner lieu à tel ou tel comportement.

• C o m m e nous l'avons indiqué, l'étude des primates autres que l 'homme, notam­ment des chimpanzés, semble montrer que le comportement agressif de ceux-ci présente certaines analogies de forme et de contexte avec les comportements agres­sifs de l 'homme. Les primates supérieurs sont particulièrement enclins à l'agressi­vité lorsqu'ils veulent se défendre ou accéder à des ressources appréciées. L e surpeuplement causé par la présence d'individus étrangers accentue ces réac­tions agressives. L e fait d'avoir un c o m ­portement agressif dans des contextes de défense et d'accès à des ressources appré­ciées a fort bien pu conférer un avantage sélectif, du point de vue zoologique, aux primates supérieurs. Lorsqu'il est conve­nablement régi, pareil comportement peut permettre de satisfaire à de nombreuses exigences d'adaptation, par exemple en ce qui concerne la nourriture, l'eau et la chasse.

L'adaptabilité du comportement agressif dans les environnements anté­rieurs ne donne d'ailleurs aucune garantie que semblable comportement fonctionne­rait de manière adaptative dans l'envi­ronnement très différent de l 'homme contemporain. Peut-être les tendances agressives de ce genre ont-elles été pré­servées au cours des deux à trois millions

d'années pendant lesquelles l ' h o m m e a vécu de la chasse et de la cueillette ; on a toutefois quelque raison de penser qu'elles ont été renforcées par l'appari­tion de l'agriculture et de la sédentarité il y a huit mille à dix mille ans.

L'équipement biologique de l'orga­nisme humain est certainement très ancien. Certaines de nos tendances affec­tives et de nos aptitudes à apprendre font probablement partie intégrante de cet équipement car elles ont facilité l'adapta­tion de l'organisme durant des milliers et m ê m e (pour certaines caractéristiques de l'organisme) des millions d'années. Depuis que la révolution industrielle a commencé , il y a deux siècles, il s'est écoulé bien peu de temps pour que cette structure change, et pourtant les circon­stances de notre vie actuelle sont très largement le produit de cette révolution.

U n e conquête offerte à la science

Si les recherches futures parvenaient à préciser certaines tendances de toute l'espèce au comportement agressif, ainsi que les mécanismes de ce comportement, on peut suppposer que les conclusions à en tirer seraient profondément découra­geantes et laisseraient m ê m e présager le caractère inévitable de la destruction massive. Mais nous ne le pensons pas.

N o u s serions beaucoup plus à m ê m e d'exercer un contrôle efficace sur les c o m ­portements agressifs si nous connaissions mieux, du point de vue scientifique, la nature de l 'homme, y compris l'histoire unique de son évolution.

U n comportement qui, pendant des millions d'années, a présenté des avanta-

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D . A . Hamburg et H . K . H . Brodie

ges sur le plan de la sélection, risque de continuer à faire partie du patrimoine humain qui se transmet biologiquement et socialement. Lorsque l'environnement change rapidement, il est difficile aux organismes d'évoluer au m ê m e rythme. L'évolution génétique est très lente si on la considère du point de vue du temps historique. L'évolution culturelle elle-m ê m e , bien que pouvant être beaucoup plus rapide, traîne souvent en longueur. Les modifications introduites par l'hom­m e dans son environnement physique et social sont aujourd'hui plus rapides qu'auparavant. N o u s pensons ici avant tout aux changements intervenus depuis la révolution industrielle — un laps de temps très court dans l'évolution de

l 'homme — changements qui se sont accélérés surtout pendant le siècle actuel.

L a meilleure façon de nous adapter à cette situation sans précédent est de comprendre de façon approfondie la nature de l'organisme humain, les prin­cipales forces qui l'ont formé au cours de son évolution et les modalités selon les­quelles les récentes transformations de l'environnement affectent notre équipe­ment très ancien — gènes, cerveau et cou­tumes. Les interactions des processus biologiques, psychologiques et sociaux dans le développement de l'agressivité humaine devraient constituer un des prin­cipaux domaines d'investigation de la science au cours des vingt années à venir.

POUR APPROFONDIR LE SUJET

B R A D L E Y , M . D . Bio-policy and bio-medical engineering. Futures, vol. 4, n° 3, septembre 1972.

D A N I E L S , D . M . ; G I L U L A , M . F. ; O C H B E R G , F. M . (dir. publ.). Violence and the struggle for existence. Boston, Little Brown, 1970.

EccLES, J. C . The physiology of synapses. Berlin, Springer Verlag, 1964. E I B L - E I B E S F E L D T , I. Love and hate: the natural history of behaviour patterns. N e w York,

Holt, Rinehart and Winston, 1972. F R I E D E N , E . The chemical elements of life. Scientific American, vol. 227, n» 1, juillet 1972. G A R A T T I N I , S. ; S I G G , E . B . (dir. publ.). Aggressive behaviour. N e w York, Wiley, 1969. H A M B U R G , D . A . Crowding, stranger contact and aggressive behaviour. Dans : I. L E V I (dir.

publ.). Stress, society, and disease. N e w York, University Press, 1971. J A Y , P. (dir. publ.). Primates: studies in adaptation and variability. N e w York, Holt, Rinehart

et Winston, 1968. V A N L A W I C K - G C O D A L L , J. Animal behaviour monographs I (3). J. M . Cullen et C . G . Beer

(dir. publ.). Londres, Baillière, Tindall and Cassell, 1968. M I C H A E L , R . P. (dir. publ.). Endocrinology and human behaviour. N e w York, Oxford

University Press, 1968. T I G E R , L . ; Fox, R . The imperial animal. Londres, Seeker and Warburg, 1972. Comprendre l'agressivité. Revue internationale des sciences sociales, vol. X X H J , n° 1, 1971.

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NOTE DE LA RÉDACTION

L'organisme hongrois Artisjus, chargé de la protection des droits d'auteur, a demandé à Impact : science et société de signaler que l'interview de M . Albert Szent-Györgyi qui a paru dans le volume X X I I , n° 4, a été réalisée initialement par une journaliste hongroise, M m e Magdolna Munkácsy. Cette interview fera partie d'une biographie que M m e Munkácsy prépare actuellement à Budapest.

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La formation d e l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

par P. K. Anokhine

Il n'est peut-être pas, dans la science moderne, de problème plus intéressant que celui du fonctionnement des structures moléculaires et globales du cerveau humain. Ces connaissances pourraient être appliquées à un contrôle judicieux du cerveau et à l'établissement de lois régissant son activité, qui seraient pour l'huma­nité le point de départ d'un nouveau progrès technique. Malgré le développement de la bionique, ¡I n'existe pas encore de modèle suffisamment complet d'intelligence artificielle. C'est seulement lorsqu'un pont conceptuel solide reliera nos connaissances du fonctionnement de l'intelligence véritable et de l'intelligence artificielle que nous pourrons tirer pleinement parti de notre savoir en matière d'activité cérébrale.

Les tentatives de ces dernières années pour concevoir une «intelligence artifi­cielle» ont imposé aux chercheurs la

Petr Kouzmitch Anokhine, physiologiste, est également physicien et membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des sciences médi­cales de l'URSS. Sa théorie du système fonction­nel (publiée en 1935) annonçait les écoles modernes de cybernétique, ou commande de la communication. L'auteur est à l'heure actuelle directeur de l'Institut Setchenov de physiologie, premier institut de médecine de Moscou. Adresse personnelle : Koutouzovsky Prospekt 19, Kv. 38, Moskva Zh-151 (Union des républiques socialistes soviétiques).

nécessité de définir l'intelligence et de découvrir ses traits caractéristiques, cela afin de faciliter le contact entre les neuro­physiologistes, les psychologues et les spécialistes de l'agencement technique des caractéristiques principales de l'intelli­gence dans les modèles et les dispositifs de fonctionnement. Si la construction d u perceptron par Warren McCulloch (Bos­ton) a été une réussite, c'est sans doute grâce à la précision avec laquelle son auteur a isolé u n certain n o m b r e de traits logiques caractéristiques de l'activité céré-

Impact: science et société, vol. X X H I (1973), n» 3 213

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P. K . Anokhine

brale, puis les a utilisés pour construire

une machine « pensante », capable de

discernement [1] *. (Un perceptron est un

ordinateur expérimental conçu pour lire

des textes manuscrits ou imprimés et

réagir à des ordres oraux.)

Grâce à des recherches de ce genre,

le problème de l'intelligence artificielle a

été attaqué sur un front particulièrement

vaste par les neurocybernéticiens, et non

par les neurophysiologistes. Ces derniers

étaient restés fidèles à l'école neurophysio­

logique traditionnelle, qui voulait qu'on

pense en termes de réflexes, ce qui excluait

la compréhension des propriétés détermi­

nantes de l'activité intellectuelle. Cette

situation a naturellement résulté en une

conception imprécise des propriétés neu­

rophysiologiques de l'intelligence, et une

absence de formules scientifiquement

objectives, ce qui a considérablement

freiné les progrès auxquels des contacts

entre neurophysiologistes et spécialistes

de cybernétique auraient pu conduire.

Les constructeurs de modèles d'intel­

ligence artificielle, cependant, appro­

chaient de plus en plus de ces propriétés

m ê m e de fonctionnement du cerveau, que

les physiologistes n'avaient m ê m e pas

effleurées dans leurs recherches. C'est l'un

des premiers constructeurs de modèles

- cybernétiques qui a conclu qu'il ne pou­

vait être question de comprendre le phé­

nomène de l'intelligence et de construire

une « machine intelligente » si le système

employé ne possédait pas la capacité de

prévision [2]. Ainsi distinguait-on nette­

ment entre le cerveau humain et les plus

: élaborées des machines cybernétiques : le

cerveau prévoit, la machine, non.

L a théorie du réflexe conditionné, de

Pavlov, est indubitablement fondée sur

la prévision, puisque la réaction condi­

tionnée est préventive. L e réflexe condi­

tionné fait sûrement appel à un procédé,

créé au cours du processus de formation

de l'organisme, qui permet l'appréciation

ou l'évaluation (par exemple) de la nour­

riture offerte au chien salivant, dans la

célèbre expérience de Pavlov. Pourtant les

neurophysiologistes n'ont pas du tout

considéré ce point, étant donné que le

principe directeur de l'activité nerveuse

— l'arc réflexe — n'est pas capable de

prévoir l'avenir.

Conception des mécanismes

de c o m m a n d e

Selon la théorie du réflexe, l'excitation

nerveuse causée par l'irritation d'un récep­

teur se propage le long d'un arc réflexe

en progression linéaire, ou de point en

point. L'essence m ê m e du processus,

cependant, suggère qu'il se produit un

bond en avant des excitations. E n d'autres

termes, on constate au début de l'activité

réflexe les caractéristiques et les méca­

nismes physiologiques qui ne devraient

intervenir qu'à la fin de l'activité [3]. C e

genre d'activité nerveuse a été évoqué au

cours de la Conférence interdisciplinaire

internationale sur les systèmes autorégu-

lés, en 1960 [3a]. Mettant l'accent sur la

conception finalisée des mécanismes de

c o m m a n d e , un chercheur a affirmé que

l'ordinateur pouvait calculer en perma­

nence, pour chaque c o m m a n d e , un m o u -

1. Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

vement dont la probabilité (d'aboutir au but recherché) avait été prouvée dans le passé. C e m ê m e chercheur souligne l'influence d u but vers lequel tendent tous les mouvements , en tant que guide d'approche des événements futurs [4].

D è s 1966, une équipe de trois auteurs traitait à fond d u rôle de la finalité dans la prévision, pour la construction de modèles évolutifs d'intelligence artificielle [5]. Après avoir défini l'intelligence arti­ficielle, ces spécialistes recherchaient les attributs que l'intelligence naturelle et l'intelligence artificielle pouvaient avoir en c o m m u n . Ils centrent leur attention — à juste titre, m e semble-t-il — sur la « logique des mécanismes » dont est faite l'intelligence plutôt que sur le détail et l'exécution précise de chaque opération. Ds attachent une importance prioritaire aux mécanismes de prise de décision et de prévision, ou à la fixation d'objectifs. Il est plus exact, en d'autres termes, de défi­nir l'intelligence c o m m e le comportement de celui qui cherche à atteindre u n objec­tif, et de mesurer son intelligence à la pertinence de ses décisions. Cette défini­tion de l'intelligence englobe ainsi les formes les plus complexes de l'activité comportementale : finalité, prise de déci­sion, prévision.

Cela est exact, mais le point faible de cette définition est que des faits impor­tants et typiques concernant l'intelligence se présentent de façon fragmentaire, et non selon l'enchaînement logique qui les lie distinctement d'un fil déterministe. E n fait, le but est souvent défini c o m m e donné à l'avance, la chaîne des actes comportementaux dirigés vers la réalisa­tion de cet objectif ne c o m m e n ç a n t à se

former qu'ultérieurement. L a question est de savoir c o m m e n t cet objectif s'est fait jour. Quels facteurs, quels processus maté­riels ont précédé son apparition et en ont déduit u n effort parfaitement spécifique de l'organisme ?

C e que ces spécialistes et d'autres [6] négligent entièrement est la phase du pro­cessus de raisonnement qui précède l'ap­parition de l'objectif. Sans une définition du fondement déterministe de l'apparition d u but, l'affirmation de ce caractère pri­mordial risquerait d'aboutir à diverses spéculations « vitalistes ». D a n s ce cas, la construction d'une intelligence artifi­cielle n'a plus ni crédibilité, ni portée progressiste.

L a décision la mieux adaptée

Il en est de m ê m e de la prise de décision. Quels sont les facteurs qui poussent l'or­ganisme à prendre telle décision plutôt que telle autre ? Existe-t-il clairement une sélection permanente de la décision la mieux adaptée dans u n ensemble de cir­constances donné ? Si oui, c o m m e n t cela se fait-il? Et quels mécanismes neuro­physiologiques font qu 'un m o d e de c o m ­portement est choisi parmi les millions de comportements possibles ? E n général, on étudie ces questions séparément et sans tenir compte de leur relation logique avec l'acte comportemental dans son ensemble. Aussi les facteurs de l'intelli­gence naturelle que sont la prévision, la finalité et la prise de décision, m ê m e correctement formulés, restent-ils parfois des fragments d'intelligence dénués de cohésion.

Si l'on évalue la situation, le princi-

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P. K . Anokhíne

pal défaut de cette quête est l'absence d'un modèle universel qui unirait par des liens logiques toutes les étapes de l'élabo­ration des actes intelligents. U n tel modèle devrait être naturellement suffisant pour reproduire les mécanismes neurophysio­logiques de chaque fragment du processus d'intelligence.

Évoquant l'importance de toutes les tentatives faites pour construire des modèles de processus d'intelligence au niveau des perceptrons, un chercheur a formulé les ambitions de ceux qui étu­dient les processus de prise de déci­sion [7]. Il laisse entendre que, dans un avenir très proche, il sera probablement nécessaire d'élaborer tout un programme d'expériences psychologiques portant sur des animaux et des êtres humains afin de compléter notre connaissance des caractéristiques des modèles pensants. Q u a n d nous en arriverons là, nous emploierons ces modèles c o m m e des machines à prévoir, capables de calculer, peut-être approximativement au début, des données spécifiques non encore obser­vées. L'application ultime d'un modèle de cerveau, du point de vue de l'intérêt psychologique, serait la prévision correcte de phénomènes encore non révélés dans les systèmes biologiques.

Cependant, pour que ces modèles prévoient de façon correcte et soient des guides sûrs à l'égard des phénomènes futurs, il leur faudra prendre la place des propriétés et des mécanismes du cerveau qui permettent à celui-ci de formuler un objectif comportemental, prévoir par eux-m ê m e s le résultat du comportement, et contrôler constamment le degré de con­cordance du résultat obtenu avec l'objectif antérieur.

L a décision, la fixation d'objectifs, la prévision

C e sont justement là les propriétés qui font défaut dans tous les modèles du cerveau, c'est-à-dire les intelligences arti­ficielles, existant à ce jour. Cependant il ne sera possible de construire un modèle répondant aux besoins des chercheurs qu'à condition de recourir constamment à des données neurophysiologiques et de corriger continuellement le travail effec­tué sur le modèle. Malgré l'attention considérable accordée ces dix dernières années aux problèmes de la prise de déci­sion, de la fixation d'objectifs et de la prévision, toutes les tentatives qu'on a faites pour créer une intelligence artifi­cielle en sont encore à leurs balbutiements.

L'étude scientifique de la prise de décision et de la fixation d'objectifs gagne du terrain, avec une opiniâtreté particu­lière, au-delà des limites des systèmes purement biologiques. Déjà des centaines d'ouvrages qui se fondent entièrement sur l'utilité pratique d'un système artificiel tentent d'appliquer le concept d'intelli­gence artificielle aux systèmes économi­ques et sociaux. C'est là, sans aucun doute, l'origine de la «théorie de l'uti­lité», dont on parle tant à l'heure actuelle [8].

J'aimerais à présent m e pencher plus particulièrement sur le travail directement lié à l'intellectualisation des actes c o m ­portementaux, et par conséquent recher­cher des mécanismes permettant de cons­truire un modèle d'intelligence artificielle qui soit aussi proche que possible du cerveau véritable (et qui ait donc la plus grande utilité pratique possible). L'appli­cation pratique des principes de l'activité

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

intelligente est u n problème largement traité dans les ouvrages de psychologie. U n auteur dont la contribution est parti­culièrement abondante [9] décrit u n cer­tain n o m b r e de processus d'intellectuali­sation des corrélations économiques. Il écrit, par exemple, que la théorie part d u principe que l ' h o m m e doit agir de façon rationnelle, c'est-à-dire avoir toujours une sorte de préférence et faire u n choix qui maximise l'utilité réelle (ou m ê m e l'utilité escomptée) découlant de son processus de pensée. D a n s les travaux des psychologues sur la prise de décision, et dans la construction de modèles de processus d'intelligence, la notion d'utilité est une considération capitale, et s'applique aussi bien aux théories économiques et sociales. Ainsi l'utilité, tant du point de vue de l'individu que de celui de la collectivité, est un principe parfaitement établi.

Mais il en va autrement quand il s'agit de l'étude des systèmes biologiques. Ici la tradition veut que tout acte c o m ­portemental se termine en action et, de fait, le résultat utile de l'action n'est jamais inclus dans le processus en tant que catégorie physiologique indépen­dante. II y a précisément sur ce point une incompréhension tragique entre cher­cheurs en neurophysiologie et chercheurs en psychologie, deux domaines par ail­leurs très voisins. Pour le second, la fixa­tion d'objectifs et la prise de décision sont devenus des facteurs essentiels dans l'étude des processus psychiques. C'est à la cybernétique q u ' o n doit d'avoir intro­duit en psychologie u n certain n o m b r e de conceptions hardies, qui ont contraint les sciences d u comportement à accepter des notions synthétiques c o m m e celles de finalité, d'utilité et de prévision.

L e rôle de la haute synthèse

O n s'est beaucoup penché, ces dernières années, sur le problème de la prise de décision dans les situations les plus diver­ses, avec et sans l'élément de risque [10], dans des conditions spécifiques o u pour une situation entièrement indéterminée [11, 12]. O n trouve, parmi les articles issus d u colloque sur les systèmes auto-régulés mentionnés plus haut [3a], une description des caractéristiques de l'intel­ligence artificielle. Sur la voie d 'une étude exhaustive des propriétés de l'intelligence, la création en France, à Nice, de l'Institut des hautes synthèses, est u n événement qui mérite d'être noté. C e centre étudie les processus supérieurs d u cerveau en mettant l'accent sur une évaluation c o m ­parative de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle. Et au X X e C o n ­grès international de psychologie, qui s'est tenu l'an dernier à T o k y o , u n colloque sur les aspects dynamiques de la prise de décision a été l'occasion d'examiner les attributs fondamentaux tant de la prise de décision que de l'exécution [13] et s'est surtout attaché aux corrélatifs phy­siologiques de la prise de décision et aux états affectifs tant positifs que négatifs correspondants [14].

U n modèle d'intelligence artificielle

L ' u n e des tendances essentielles de la neurophysiologie moderne est d'isoler chacun des mécanismes psychiques pour faciliter les expériences qui visent à en étudier les propriétés. Cette méthode est c o m m u n e à de nombreuses sciences bio­logiques, mais elle n'est valable et utile

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P. K . Anokhine

Connaissance de l'intelligence: où nous en sommes

L'effort accompli jusqu'ici pour étudier la transmission de l'intelligence et l'attribution de traits caractéristiques à l'activité intelligente peut se résumer ainsi : 1. Des spécialistes de divers domaines scientifiques étudient

sérieusement les traits fondamentaux de l'intelligence naturelle, et appliquent leurs constatations à la construc­tion d'une intelligence artificielle. L'utilisation de ces résultats par l'électronique, la médecine et l'enseignement pourrait faire accomplir à ces branches un progrès sans précédent.

2. Il n'existe pas de définition bien nette du concept m ê m e d'intelligence, de la composition de celle-ci, ou des m é c a ­nismes qui régissent les opérations qui la composent. Les mécanismes nodaux de l'intelligence les plus synthé­tiques et caractéristiques ont fait l'objet d'une étude neu­rophysiologique approfondie, mais leurs interactions opé­rationnelles lors de l'accomplissement de l'acte d'intelli­gence restent à découvrir.

U n e des plus graves lacunes que présente notre conception de l'intelligence tant naturelle qu'artificielle est probablement le m a n q u e d'unité logique dans l'architecture m ê m e des actes intelligents : on n'a pas établi de relation déterministe entre les mécanismes nodaux de l'intelligence (prévision, etc.). Pour les besoins de la recherche [15], on a considéré chaque m é c a ­nisme c o m m e une entité distincte, indépendante des autres propriétés et fonctions de l'intelligence.

qu'à un stade bien défini de la recherche, à savoir la collecte du matériel de départ et la préparation des conclusions générales.

Toutes les fonctions de l'organisme, et notamment celles du système nerveux, sont essentiellement intégrales. L a com­préhension réelle de leurs implications biologiques dépend de cette haute syn­thèse dans laquelle chaque mécanisme a sa place propre et dont il fait partie inté­grante. E n physiologie (et en biologie en général), 1'« approche systémique » a pour objet d'unir en une architecture organi­quement soudée des mécanismes qui, pour les besoins de la recherche, sont d'habi­tude étudiés séparément. Prenons l'exem­

ple de la mémoire : la recherche dans ce domaine s'est émancipée, et m ê m e isolée, à un point tel qu'on a vu apparaître un nouveau groupe de scientifiques connus sous le n o m de spécialistes de la mémoire. U n autre exemple nous est fourni par les problèmes liés aux émotions.

Dans la branche qui est la mienne, l'inconvénient de la recherche isolée est que le chercheur, une fois qu'il a extrait certains mécanismes nodaux de l'ensem­ble de l'acte comportemental, perd inévi­tablement de vue la relation logique et néglige par conséquent les mécanismes physiologiques qui interviennent entre les diverses composantes de l'acte d'intelli-

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

gence. O n ne peut guère espérer que cette façon d'aborder le problème puisse con­tribuer à la formation d'une intelligence artificielle.

T o u s ces phénomènes complexes que sont la mémoi re , l'émotion, la fixation d'objectifs et la prise de décision, for­ment l'architecture unifiée de l'acte d'in­telligence; chacun occupe dans cette structure une place spécifique. Mais quelle place les émotions occupent-elles dans u n acte d'intelligence? O ù la mémoi re rejoint-elle la définition d'objectifs en vue de l'action? Il est parfaitement naturel que nous nous trouvions dans l'obligation de concevoir une architecture universelle fonctionnelle capable de donner u n sens véritable, dans l'organisation d 'un pro­cessus d'intelligence, à chacun de ces facteurs complexes.

A u cours de m e s recherches, en 1935, sur le processus de compensation des fonctions détruites, j'ai constaté que tous les facteurs complexes de l'activité (mé­moire, émotion, finalité) formaient une union organique et que seule cette union était capable de rétablir une fonction détruite. N o u s avons appelé une union fonctionnelle de ce type « système fonc­tionnel ». C'est l'unité complète d'activité d'un organisme vivant; elle consiste en un certain n o m b r e de mécanismes nodaux qui assurent la formation logique et physiologique de l'acte comportemental (fig. 1).

L a prise de décision

Le système fonctionnel élimine la fai­blesse structurelle des diagrammes d'intel­ligence existants. L e mécanisme de prise

de décision, que la plupart considèrent c o m m e primaire et fondamental pour tous les autres processus d 'un acte d'intel­ligence, ne peut suffire au chercheur objectif. C e dernier sait que la prise de décision doit être précédée d'une élabora­tion extrêmement complexe de données diverses. N o u s appelons «synthèse affé­rente » cette étape de l'acte d'intelligence, car il se produit simultanément avec elle une élaboration des informations extrê­m e m e n t variées que le système nerveux central reçoit des milieux interne et externe de l'organisme humain. Il n'est besoin que d'énumérer les excitations sur lesquelles se fonde cette synthèse pour voir que cette période de « prédécision » est aussi la partie la plus indispensable de l'activité systématisée o u , en psychologie, l'amorce de tout acte d'intelligence.

Cette étape, c o m m e d'ailleurs l'acte comportemental dans son entier, ne peut se former sans la prédominance d 'une émotion o u d'une motivation, qu 'en ter­m e s de psychologie o n n o m m e volonté o u besoin. L'expérimentation sur des for­m e s simples de besoin (faim, soif, désir sexuel) montre que cette excitation pré­dominante est capable d'extraire des nombreuses synapses d u cerveau tout ce qui a été lié dans le passé à la satisfaction o u à l'élimination d u besoin qui prévaut à cet instant précis. Et, dans le processus de transmission de l'excitation par les neurones cérébraux, l'accumulation des facteurs de la situation extérieure produit inévitablement une nouvelle excitation.

Ainsi, la démonstration expérimen­tale en a été faite, chaque neurone d u cortex cérébral est le point de convergence d'excitations nerveuses simultanées c o m ­m e le montre la figure 2 : à) excitation

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'Excitations etférentes

F I G . 1. Schéma général du système fonctionnel en tant que modèle logique de l'acte compor­temental, sous la forme des mécanismes nodaux les plus typiques de l'activité intellectuelle. A . Développement de l'acte comportemental jusqu'au stade de la production d'une excitation afférente à la périphérie et de la formation de l'action. O n voit que l'accepteur de résultats d'actions, qui constitue une anticipation des propriétés des futurs résultats, est déjà formé à ce stade. B . Réception des résultats de l'action, formation d'une « afférentation » en retour et arrivée de celle-ci à l'accepteur de résultats d'actions, où les propriétés des résultats programmés sont comparées aux résultats effectivement reçus.

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

F I G . 2 . L e nombre et la répartition spatiale des synapses déterminent l'état du neurone à un m o m e n t donné de la transmission à l'axone de divers modes d'excitation (a, b, c). Ces excitations constituent un code reflé­tant la s o m m e des excitations que le neurone reçoit des différentes sources.

interne liée à la formation d'une moti­vation dominante; b) excitation externe représentée par l'action d'une circonstance donnée ; c) excitation m n é m o n i q u e décou­lant à la fois de la motivation et d 'une afférentation circonstancielle donnée. Seuls le traitement simultané des excita­tions et la confrontation de toutes leurs combinaisons avec l'expérience passée permettent à l'organisme de prendre telle ou telle décision en vue de l'obtention d'un résultat utile qui corresponde à la motivation dominante d u m o m e n t . D'après les expériences, il en résulte que toutes ces excitations, auxquelles s'ajoute parfois u n facteur déclenchant particulier (par exemple, u n signal convenu), peu­vent se rencontrer simultanément sur u n seul et m ê m e neurone, ou , pour être plus précis, sur chacun des millions de neuro­nes que compte le système nerveux.

A u stade de la prédécision, ou syn­thèse afférente, une réponse est apportée,

dans tous les cas de formation d 'un acte comportemental, à une question essen­tielle : quel est le résultat utile recherché dans une situation donnée et pour une combinaison donnée des excitations cons­tituant cette synthèse afférente 7

L a décision la plus adéquate

C e n'est certes pas en négligeant le stade de la prédécision q u ' o n parviendra à une explication déterministe parfaitement claire de la prise de décision. L'étude de neurones individuels du cortex cérébral au m o y e n de micro-électrodes a prouvé, en fait, que le traitement de toutes les informations de base est effectué par une multitude de mécanismes dont la finalité biologique est d'assurer la décision la mieux adaptée à une situation donnée et l'exécution aussi précise et concrète que possible de cette décision.

Les mécanismes d'activatio n de la région subcorticale (l'hypothalamus et la formation réticulée), par exemple, assu­rent la réussite maximale de la formation d'associations et l'extraction de processus de la mémoire . Ces excitations stimula-trices améliorent considérablement les diverses capacités des éléments nerveux d u cortex, et augmentent de façon très nette leurs possibilités de réception d'exci­tations hétérogènes convergentes. Il con­vient d'ajouter à cela l'intensification de la réverbération des excitations entre le cortex et les régions subcorticales qui stimule la recherche de la synthèse la plus productive correspondant à la prise de décision imminente.

Lorsque, après des centaines d'expé­riences faisant appel aux méthodes les

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plus élaborées, nous avons découvert ce m o n d e de processus dynamiques qu'on appelle platement, d'ordinaire, «traite­ment de l'information», nous avons compris quelle erreur cela avait été de négliger tout ce qui précède la prise de décision. Cette dernière ne devient un phénomène scientifiquement objectif qu'à partir de l'établissement expérimental de liens entre la décision et un mécanisme spécifique de synthèse afférente.

Les préalables neurologiques

Pour comprendre cet important processus de synthèse de l'activité intelligente, nous devons considérer chaque neurone et ses millions de semblables c o m m e un sys­tème disposant d'innombrables degrés de liberté, représentés dans le cerveau par les connexions synaptiques multilatérales entre neurones.

U n calcul mathématique simple m o n ­tre que le nombre de « degrés de liberté » existant dans le cerveau est si grand que la ligne de chiffres manuscrits de taille normale qu'il faudrait pour l'écrire aurait plus de 104 millions de kilomètres de long ! Avec un si grand nombre de pos­sibilités, le cerveau est un clavier qui permet de jouer des centaines de millions de mélodies différentes (actes de c o m ­portement ou d'intelligence).

A un m o m e n t donné, quel qu'il soit, le cerveau et, partant, l'organisme tout entier possèdent une telle multitude de degrés de liberté que leur mise en jeu simultanée aboutirait à un fantastique chaos comportemental. Il s'ensuit donc que le comportement organisé de l'hom­m e et de l'animal nécessite une certaine

limitation dans cette extraordinaire diver­sité des degrés de liberté. L a prise de décision, par sa nature m ê m e , consiste à sélectionner le degré de liberté unique qui répond le mieux aux besoins d'une situa­tion donnée, c'est-à-dire qui assure la satisfaction d'un besoin existant. Le cœur du problème est donc de savoir de quelle manière le cerveau sélectionne ce degré de liberté approprié. Si nous avons recours à une approche systémique, nous nous trouvons ici dans l'obligation de considérer l'ensemble du processus de formation d'un acte comportemental à la lumière d'un système fonctionnel.

Si nous étudions soigneusement le m o d e général de développement séquen­tiel des mécanismes nodaux d'un système fonctionnel, nous constatons que la prise de décision est liée au résultat qui cor­respond à la motivation dominante à un m o m e n t donné. Les travaux de ces der­nières années donnent à penser que la mémoire, au stade de la synthèse affé­rente, fait appel non seulement aux carac­téristiques générales de la situation exté­rieure, mais également aux paramètres des résultats obtenus antérieurement dans des situations similaires sur le plan de la motivation et de l'émotion.

E n d'autres termes, notre cerveau a une étonnante capacité de généralisa­tion systémique de l'excitation, une capa­cité de percevoir non seulement les particularités d'un événement mais aussi le degré de réussite ou d'utilité des résul­tats obtenus dans le passé. Il est probable que c'est là un phénomène courant de l'activité intelligente. N o u s avons tous entendu parler du jeu silencieux de Paga­nini s'exerçant sur son violon avant un concert. Si la méthode avait pour but

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

d'améliorer, la qualité d u jeu, il faut qu 'une « oreille intérieure » ait « enten­d u » le résultat de chaque m o u v e m e n t (le résultat audible de mouvement s simi­laires accomplis dans le passé).

L'exemple d u chant muet

C e phénomène a été récemment étudié de façon très détaillée au Conservatoire de M o s c o u . M m e E . A . Krasotina a dirigé une expérience sur l'apprentissage d 'un chant sans sa composante audible ; ses élèves étaient capables d'interpréter par­faitement et avec une grande sensibilité n'importe quelle partition vocale sans avoir corrigé leur chant, c o m m e c'est l'usage, en fonction de la partie audible de la mélodie [15]. Notre langage quoti­dien aussi témoigne a b o n d a m m e n t d u fait que, une fois que des excitations de motivation se sont manifestées dans les structures émotionnelles que sont l'hypo­thalamus et la formation réticulée, elles irradient ces structures cervicales et emmagasinent dans la mémoi r e les résul­tats des diverses satisfactions obtenues dans le passé pour la m ê m e motivation.

L'appétit, par exemple, est engendré par l'irritation continue d u noyau latéral de l'hypothalamus par u n sang « affamé ». Cette excitation s'élève jusqu'au cortex, où elle mobilise les éléments de l'expé­rience passée qui se rapportent à cette motivation précise. L e cerveau se m e t à trier les possibilités de satisfaire cette motivation : en langage clair, nous cher­chons u n endroit o ù manger . (Ne disons-nous pas fréquemment que nous ne vou­lons pas aller au restaurant X « parce qu 'on n 'y m a n g e pas bien»?)

Q u e signifie cette situation, sur le plan neurophysiologique ? Pour satisfaire le besoin de manger , nous trions les pos­sibilités (fig. 1, de nouveau), en tirant de la mémoi re non seulement des n o m s de restaurants mais aussi les résultats des visites que nous y avons faites antérieure­ment . Grâce à la motivation dominante, c'est la presque totalité d u système fonc­tionnel avec tous ses mécanismes, notam­men t l'évaluation des résultats, qui est tirée de la mémoire . Il est remarquable que l'intelligence fonctionne c o m m e une combinaison harmonieuse des principaux facteurs d u fondement neurophysiologi­que de la prise de décision : l'ensemble de la situation pertinente (faim), et la totalité multiforme des expériences passées liées à la satisfaction de motivations de faim [16].

Pour en revenir à la prise de déci­sion (qui se présente dans notre schéma c o m m e le résultat d'une précédente syn­thèse afférente), nous devons reconnaître que le stade de la synthèse afférente prend la forme d 'un tri universel de tous les résultats antérieurs tirés de la mémoire et de leur évaluation en fonction de la motivation dominante d u m o m e n t . C'est pour ce processus décisif que le phé­n o m è n e de « réverbération » est néces­saire, et mobilise tout ce qui est emmagasiné dans la mémoire . Ainsi, le diagramme de prise de décision de notre figure 1 représente des décisions résul­tant des options possibles parmi les résul­tats appropriés conservés en mémoi re . E n neurophysiologie, ce processus de sélec­tion d ' un degré de liberté unique impli­que clairement l 'examen minutieux per­manent des différents résultats, l'étalon utilisé pour cet e x a m e n étant la motiva­tion dominante du m o m e n t [17].

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Les résultats de l'action

N o u s arrivons à l'analyse de l'appareil neurophysiologique qui constitue, pour ainsi dire, le point de convergence des principaux axes le long desquels, dans le passé, on a cherché la réponse aux énigmes posées par le psychisme humain (finalité, prévision, erreur, mémoire, attente, et bien d'autres). Tous ces fac­teurs ont un m ê m e noyau neurophysio­logique au m o m e n t bien précis où une décision est prise (ou juste après). Dans cet appareil de prédiction, ou accepteur de résultats d'actions, se trouvent concentrés tous les indicateurs afférents du résultat final en vue duquel la décision est prise.

U n exemple : si je décide de soulever un verre, tous les indicateurs afférents (données externes), par exemple les pro­priétés tactiles du verre telles qu'elles affectent les récepteurs de la peau, la température du verre, etc., seront con­centrés dans l'appareil de détection cor­respondant L'idée en est la suivante: cet appareil, qui anticipe et prévoit les propriétés du futur résultat (action de soulever le verre), devrait recevoir à la fin de l'action toute l'information concer­nant les paramètres du fait de prendre un verre en main. A u m ê m e instant, le résultat attendu par l'accepteur (action de soulever le verre) est comparé, dans le système nerveux central, aux résultats déjà obtenus [18].

A u m o m e n t de la comparaison des deux ensembles d'excitations, notre sys­tème nerveux est prêt à vérifier les résultats de l'acte exécuté. S'il ressort de la comparaison que les paramètres atten­dus du futur résultat (la prévision) par l'accepteur coïncident parfaitement avec

les paramètres effectivement obtenus, l'action en cours est alors terminée et ses résultats servent à former l'étape suivante du comportement.

Si, par contre, l'afférentation en retour (les paramètres du résultat réel de l'action) ne concorde pas avec les para­mètres attendus, cette divergence stimule fortement la construction et le choix d'un nouveau programme d'action qui puisse mieux assurer l'obtention des résultats prévus.

Puisque tout notre comportement est en fait un continuum de résultats plus ou moins grands [19], des comparaisons de ce genre s'effectuent dans notre sys­tème nerveux pratiquement sans interrup­tion. Ouvrir la porte palière, descendre l'escalier, monter dans l'autobus, tous ces résultats d'actions, si insignifiants qu'ils soient, sont évalués et forment une chaîne de résultats successifs. Il est pos­sible de les décomposer en résultats encore plus petits : mettre le pied sur la première marche de l'autobus, sur la deuxième, etc. Notre système nerveux reçoit obligatoirement de chacun de ces «petits» résultats une information trai­tée par l'accepteur de résultats d'actions approprié. L e moindre résultat discordant ou douteux qui ne corresponde pas à la prévision soulève immédiatement de nou­velles réactions. D e là le n o m d'« accep­teur», du verbe latin accept are, qui signifie à la fois « recevoir » et « sélec­tionner ».

Évolution de l'intelligence

Il se pose à présent une question de pre­mière importance : les principaux méca-

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La f ormation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

Essai de l'appareil de prévision humain

D e nombreuses expériences ont été réalisées dans notre labo­ratoire aux niveaux cellulaire et neurochimique caractérisant la création de l'appareil de prévision et le rôle qu'il joue dans l'ensemble du système fonctionnel. Nous pouvons à présent évaluer l'importance de ce mécanisme pour l'activité intellec­tuelle des êtres humains et des animaux, et déterminer sa place dans une intelligence artificielle.

Dans toutes nos actions, les résultats obtenus s'accordent ou au contraire sont en désaccord avec un but fixé au préala­ble. Il est donc parfaitement évident que l'accepteur de résul­tats d'actions est en m ê m e temps un appareil finaliseur. Il en découle qu'un objectif, selon notre interprétation et d'après nos expériences, n'est pas quelque chose d'initial mais plutôt le résultat d'un énorme travail de préparation s'effectuant dans le système nerveux au stade de la synthèse afférente. Cela nous permet d'exprimer le concept psychologique d'objectif en termes de mécanismes neurophysiologiques et de relations causales entre processus cérébraux. En conséquence, de n o m ­breuses questions idéologiques liées à cette « matérialisation » du concept d'objectif trouveront une réponse très nettement matérialiste.

L'étude électrophysiologique de la formation d'un appareil de ce type montre que de nouveaux éléments peuvent être à volonté introduits dans, ou tirés de, l'accepteur de résultats d'actions. Cet enrichissement de l'accepteur augmente consi­dérablement notre maîtrise de cet élément important de l'acti­vité intellectuelle. Je suis persuadé que les problèmes d'intelli­gence artificielle seraient plus vite résolus si les électroniciens, les cybernéticiens et les neurophysiologistes unissaient leurs efforts.

nismes de l'intelligence décrits ci-dessus

sont-ils spécifiques des niveaux supérieurs

du développement animal et, notamment ,

du cerveau humain ? C'est la question clé,

intimement liée à d'autres : Les animaux

ont-ils une intelligence? A quel stade et

où l'intelligence est-elle apparue dans le

processus de l'évolution animale? Il y

a eu au moins une tentative intéressante

pour produire u n modèle évolutif d'intel­

ligence artificielle capable de parfaire ses

caractéristiques initiales en élaborant de

nouveaux mécanismes au cours des

« générations » successives du modèle

[20].

Afin de contribuer à la solution des

problèmes évoqués, je m e permettrai

d'exposer la principale conclusion à

laquelle m e s collègues et m o i - m ê m e s o m ­

m e s arrivés après de nombreuses années

de travail sur les caractéristiques de

l'intelligence traitées plus haut. L a voici :

aucune des caractéristiques de l'activité

cérébrale que nous avons définies c o m ­

m e indicateurs typiques de l'intelligence

n'est apparue brusquement au cours d u

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processus évolutif. Il n'y a pas de ligne de démarcation en deçà de laquelle une pro­priété n'existerait pas et au-delà de laquelle elle serait brusquement présente. A u contraire, toutes ces propriétés sont apparues en m ê m e temps que la vie elle-m ê m e ; toutes, dès le départ, apparte­naient à la structure physiologique dynamique de la vie. D e plus, elles étaient une condition sine qua non de l'évolu­tion des êtres vivants.

Cela peut paraître étrange, étant donné qu'on décrit si souvent l'intelli­gence avant tout c o m m e l'apanage des espèces supérieures les plus parfaites du règne animal. Cette impression disparaît vite si l'on considère ce qui s'est passé dans la réalité. Prenons, par exemple, la prévision d'événements à venir ou du résultat de l'activité de n'importe quel système fonctionnel clairement défini. Quelles sont les conditions absolues de cette activité, dans les milieux interne et externe de l'animal, sans lesquelles la prévision est impossible ?

L a condition essentielle pour la pré­vision est que la série d'événements dans laquelle elle se produit se soit répétée plusieurs fois dans le passé, à l'intérieur de certaines limites spatio-temporelles. Si notre intelligence peut prévoir que le soir succédera au jour, et la nuit au soir, c'est seulement parce que cet enchaîne­ment constant des événements s'est répé­té pendant des millions d'années — aussi bien quand des êtres vivants (notamment, l 'homme) existaient que bien longtemps avant leur apparition.

Ici nous devons nous éloigner quel­que peu des processus et mécanismes neu­rophysiologiques concrets, pour introduire certaines généralisations plus vastes.

L a loi de l'univers

M a x Planck note, à juste titre, que le continuum spatio-temporel de la matière en mouvement est la «loi abso­lue de l'univers». Mais cette loi existait bien avant l'apparition de la vie sur terre. Les êtres vivants, bon gré mal gré, ont dû « s'insérer » dans cette loi fondamen­tale ; leur survie n'était assurée qu'à cette condition. Cela signifie que 1'« insertion » des êtres vivants et leur réflexion du continuum spatio-temporel constituent le préalable indispensable de la pré­vision.

A partir de là, nous avons formulé notre principe de réflexion anticipée, réflexion par le cerveau de l'enchaîne­ment réel des événements du m o n d e exté­rieur. C'est précisément cette propriété qui est la caractéristique première des processus protoplasmiques qui existent déjà chez les animaux inférieurs. Pour ceux-là, le changement de vie dû par exemple aux phénomènes saisonniers (le cycle été-automne-hiver-printemps-été) est une constante depuis des millions d'années. L a découverte de Pavlov du réflexe con­ditionné a été essentiellement la décou­verte de la réflexion anticipée du m o n d e extérieur dans un substrat hautement spé­cialisé, le système nerveux. Ainsi, lors­qu'un chien salive en réponse à la son­nerie d'une cloche, ce n'est pas parce que la salive est nécessaire pour digérer la cloche, mais parce que, dans l'avenir, apparaîtra une nourriture qu'il faudra digérer. L a répétition de la succession de causes déterminantes dans le m o n d e exté­rieur a pour résultat la création par notre organisme d'une chaîne de réactions faci-

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

Le principe de la réflexion anticipée

Un phénomène paradoxal a pendant des années déconcerté les naturalistes : la larve du bracon (sorte de guêpe) survit à l'hiver sous forme de ver blanc, pour reprendre au printemps son cycle de développement. C o m m e n t la larve, dont le corps contient une quantité considérable d'eau, peut-elle arriver à survivre à des températures avoisinant — 40°C ? Cette question laissait les naturalistes perplexes. O n aurait pu croire en effet que l'eau contenue dans la larve se serait progressivement congelée, que les processus protoplasmiques de ses cellules auraient été perturbés et qu'elle serait morte. Des recherches ultérieures ont montré, cependant, que le ver blanc du bracon a une capacité d'adaptation remarquable, et qu'il anticipe (prévoit) de façon étonnante la suite des phénomènes naturels. Déjà les premières gelées d'automne, selon toute apparence, agissent sur la larve en l'incitant à accélérer la formation et l'accumulation de glycérine dans son protoplasme cellulaire ; cela abaisse considérablement le point de congélation de la larve, et donc la protège.

A propos de ce phénomène, un fait mérite qu'on s'y arrête : le point cryoscopique du protoplasme tombe beaucoup plus bas que la chute effective de température ne l'exige. A l'épo­que des gelées automnales, la larve est déjà adaptée pour résister à un froid de — 40°C.

Cela signifie que la prévision — la création des conditions permettant une réaction dont on n'aura besoin que dans l'avenir — est un phénomène universel inhérent à la vie, à la seule condition que le continuum spatio-temporel se répète de façon rythmique. Cette répétition peut être due soit à la suc­cession des processus dans la matière inorganique, soit au retour d'événements causés par les mouvements actifs de l'animal dans son environnement. Ainsi nous voyons que l'anti­cipation d'événements futurs est une propriété fondamentale de la vie, grâce à laquelle les êtres vivants réfléchissent la loi fondamentale du m o n d e Inorganique : le continuum spatio­temporel de la matière en mouvement.

litées ; celles-ci n'ont besoin que d'une

impulsion de départ pour que les réac­

tions chimiques du protoplasme s'étendent

dans l'avenir par l'entremise du système

nerveux, c o m m e la réaction d'une fusée

retard anticipant l'évolution ultérieure des

événements extérieurs.

A u x stades supérieurs de l'évolution,

l'organe de ce processus d'anticipation est

devenu le système nerveux, qui intensifie

et accélère les processus d'anticipation. C e

système nous permet de faire des voyages

presque fantastiques dans l'avenir, en

réponse à tout stimulus ou signal du

m o n d e extérieur à l'organisme. Avec le

temps, le cerveau est devenu u n m é c a ­

nisme capable de combiner en lui-même le

passé, le présent et l'avenir. L a méthode

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des micro-électrodes dont nous avons parlé plus haut nous permet de vérifier que certains neurones, à la réception d'un stimulus actuel, incorporent l'expérience accumulée dans le passé à la formation de processus ayant les caractères du résul­tat de l'action qui ne se produira que plus tard. Dans notre laboratoire, nous appelons ces cellules nerveuses du cer­veau « neurones à trois temps ».

U n exposé de la prévision, pivot de l'évolution de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle, devrait souligner qu'elle apparaît aux niveaux élevés de l'activité intellectuelle c o m m e le produit le plus élaboré du processus prototypique mis en jeu dans la réflexion anticipée de la réalité par le protoplasme.

Dans la suite des événements qui concourent à la formation des actes c o m ­portementaux aux niveaux les plus éle­vés, nous avons vu que le processus de synthèse afférente conduit à la prise d'une décision résultant d'un choix entre diffé­rents résultats possibles. Ces résultats sont organiquement liés, dans le passé, à une motivation donnée. Et nous avons vu qu'en conséquence de ces motivations se produit l'un des phénomènes cérébraux les plus frappants : la formation de m o d è ­les neuraux comportant tous les indica­teurs et propriétés du futur résultat, à cause duquel et pour lequel se sont développés les processus de synthèse afférente.

U n modèle de pensée artificielle

Toutes ces considérations nous portent à croire que la solution des problèmes théo­riques et pratiques de gestion des systè­

mes biologiques et socio-économiques dépend de l'identification réussie des principales caractéristiques de l'intelli­gence naturelle. Lorsque nous compren­drons le mécanisme interne des opérations de haute synthèse (comportementales) de l'intelligence, nous pourrons parfaire notre modèle d'intelligence artificielle. Celle-ci pourra alors servir d'inter­médiaire dans des opérations de ges­tion visant à améliorer des systèmes technico-socio-économiques c o m m e l'en­seignement, la médecine, l'industrie, etc.

Pour atteindre ces objectifs, la neu­rophysiologie moderne a besoin d'une série entièrement nouvelle d'instruments conceptuels ainsi que d'une nouvelle approche méthodologique de la recher­che elle-même : une meilleure stratégie de recherche, hardie, ambitieuse, inter­disciplinaire. L'état actuel de la recher­che des principales caractéristiques de l'intelligence artificielle montre qu'une neurophysiologie fondée sur les techni­ques traditionnelles d'analyse ne peut espérer résoudre ce problème.

L a grande force du réflexe condi­tionné de Pavlov est que cette théorie combine deux époques de la recherche neurophysiologique : la conception beha-vioriste et la conception réflexologique. Les décennies suivantes ont vu s'accroî­tre la nécessité d'étudier certains pro­blèmes à des niveaux de synthèse plus élevés : ceux du comportement social des êtres humains c o m m e ceux de l'intellect. Les processus cérébraux de synthèse se sont imposés c o m m e facteurs essentiels de l'évolution de la vie, et les remarqua­bles observations de la naturaliste britan­nique Jane van Lawick-Goodall sur une

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La formation de l'intelligence naturelle et de l'intelligence artificielle

espèce de vautour d'Afrique en sont une excellente illustration.

Alors qu'elle roulait en jeep sur une piste de sable, elle remarqua l'un de ces oiseaux qui scrutait attentivement les alentours. Ayant découvert u n œ u f d'autruche dans le sable, l'oiseau vola vers un affleurement rocheux voisin, y choisit une pierre de poids convenable, la saisit, retourna à l'endroit où se trouvait l'œuf et laissa tomber la pierre dessus. Aussi­tôt l'œuf cassé, l'oiseau l'ouvrit pour en boire le contenu. C e processus se répéta plusieurs fois de suite.

Mais une fois, pendant que l'oiseau était parti chercher une autre pierre, M m e

van Lawick-Goodall et ses assistants peignirent u n œ u f en rouge. Revenant avec sa pierre, le vautour aperçut sou­dain l'œuf peint. Il est amusant de consta­ter que sa réaction fut analogue à celle d'un humain : il s'arrêta, ouvrit u n large bec et laissa tomber la pierre sur le sable.

Appliquons la théorie des systèmes fonctionnels. Q u e s'est-il passé quand l'oiseau aperçut pour la première fois l'œuf d'autruche et alla chercher une pierre? N o u s s o m m e s ici en présence d'une situation externe dominante orien­tée vers la nourriture : l'œuf apparaît, et des éléments mnémoniques déterminent l'ensemble de la synthèse afférente. L'oiseau prend une décision. Ramasser une pierre loin de l'œuf ne signifiait pas encore la satisfaction du besoin de se nourrir. Cet acte était une décision inter­médiaire dans u n sous-système intermé­diaire appartenant à la hiérarchie de l'acte comportemental entier. L e résultat final d u fonctionnement de ce vaste sys­tème sera la consommation de l'œuf, qui,

par l'afférentation en retour, renforce l'ensemble du processus par lequel le vau­tour se procure sa nourriture.

Les composantes d'un acte d'intelligence

Notre raisonnement est-il correct? L e vautour a-t-il u n accepteur (des résultats de son action) sous la forme d'un modèle comportant tous les paramètres afférents de l'œuf? L'expérience montre que le fait de peindre l'œuf en rouge a suscité une divergence par rapport au modèle afférent réel de l'œuf. Cela produit à son tour une nette réaction d'orientation-investigation, assortie d u relâchement des muscles du bec (inhibition d u système permettant de tenir la pierre) et de la chute de la pierre.

Tous les éléments de la structure uni­que de l'acte comportemental sont donc les m ê m e s que les composantes de tout autre acte d'intelligence. D a n s les actes sociaux complexes, le contenu de cette structure revêt une importance qualita­tive différente : ce contenu est celui de l'activité humaine consciente d'un être social. Seul le lien structurel entre les composantes reste le m ê m e ; c'est là le facteur historique qui fait que la vie évolue vers sa forme suprême, l ' h o m m e .

D e s exemples c o m m e celui du vau­tour et de l'œuf d'autruche démontrent que le problème de l'intelligence peut révéler des parallèles historiques extrê­m e m e n t intéressants, et nous ancrer encore plus dans notre conviction que la théorie des systèmes fonctionnels peut être appliquée avec succès à la solution du problème de l'intelligence. Ses m é c a -

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P. K . Anokhine

nismes nodaux concrets de synthèse, physiologie, la psychologie et tous les

découlant du réflexe conditionné, per- problèmes que nous rencontrons à

mettent au scientifique d'élaborer ce mesure que nous pénétrons plus profon-

fameux pont conceptuel entre la neuro- dément les secrets de l'intelligence.

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P O U R APPROFONDIR LE SUJET

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De l'humanisation de la nature humaine1

par L é o n Eisenberg

En raison de l'accélération constante de l'évolution éco-sociale, comprendre la nature de l'homme est devenu la condition m ê m e d'un meilleur épanouissement de l'individu et, en fait, de la survivance de l'espèce. C o m ­prendre la nature de l'homme est l'objectif central de la recherche, de l'apprentissage et de l'enseignement à l'université, mais ce processus suscite à son tour une évolution scientifico-technique permanente. Nous avons c o m m e n c é à nous demander ce que nous devons faire et non pas simplement ce que nous pouvons faire. Nous nous trouvons devant un défi lancé à notre capacité de prévoir les conséquences secondaires et tertiaires de toutes nos interventions dans l'ensemble de notre envi­ronnement physique et socio-culturel.

Si nous arrivions à nous comprendre les uns les autres ne serait-ce qu'à moitié aussi bien que nous comprenons l'énergie stellaire, nous nous épargnerions peut-être les horreurs auxquelles nous devons faire face pour avoir transformé l'énergie en armes qui mettent en péril toutes les formes de vie. Si elle ne peut encore étayer solidement cette compréhension, la

Le D r Eisenberg est professeur de psychiatrie à la Harvard Medical School et directeur du ser­vice de psychiatrie du Massachusetts General Hospital, Boston M A 02114 (États-Unis).

psychiatrie peut néanmoins être utile en dissipant les mythes et les pseudo-con­naissances qui obscurcissent la recherche de la vérité.

Il y a dans la nature humaine autre chose qu'un « singe nu » âpre à défendre son territoire et m û par des instincts agressifs. Cette conclusion peut paraître d'un optimisme excessif à une époque

1. Version révisée d'un article publié anté­rieurement dans Science, vol. 176, 1972, p . 123-128. © 1972, American Association for the Advancement of Science.

Impact: science et société, vol. X X H I (1973), n» 3 233

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Léon Eisenberg

marquée par une longue suite d'actes de violence. C o m m e n t , au mépris d'une évi­dence aussi criante, refuser de croire Morris, Ardrey ou Lorenz [1]x ? Com­ment contester ce qu'écrivait Freud [2], dont les illusions sur la civilisation avaient été ébranlées par la barbarie de la première guerre mondiale : « L'injonc­tion m ê m e du commandement — " T u ne tueras point" — prouve incontestable­ment que nous descendons d'une série interminable de générations de meur­triers qui avaient le goût du meurtre dans le sang c o m m e nous l'avons peut-être aussi nous-mêmes... » O u encore [3] : « L a tendance à l'agression est une dis­position innée, indépendante, instinctuelle de l 'homme.. . » Qu 'en est-il donc ?

Il ne s'agit pas ici d'un simple exer­cice théorique destiné uniquement à ceux qui étudient le comportement. Les planè­tes continueront à se mouvoir c o m m e elles l'ont toujours fait, que notre con­ception du ciel soit géocentrique ou hélio-centrique. Seules les équations que nous établissons pour rendre compte de leurs mouvements seront plus ou moins com­plexes ; les mouvements des planètes sont superbement indifférents à notre astro­nomie à ras de terre. Mais le comporte­ment de l ' homme n'est pas indépendant des théories du comportement humain adoptées par les h o m m e s . U n exemple peut être présenté à l'appui de cette thèse.

Tant qu'on a cru à la « nature » vio­lente de la folie et que les fous ont été enchaînés, battus et enfermés dans des cellules, ils ont écume de rage. Lorsqu'on entreprit, au début du xrxe siècle, de leur appliquer un traitement « moral », la vio­lence dans les asiles psychiatriques dimi­nua très nettement [4]. Cent ans plus

tard, on expliqua la « nature » de la folie par une inadaptation sociale : on « proté­gea» les malades contre les tensions et l'établissement hospitalier prit toutes les décisions. O n leur témoigna une sollici­tude mal orientée qui les dépouilla de leur dignité d'adultes et en fit des auto­mates obéissants. Il en résulta que les arrière-salles de nos hôpitaux psychiatri­ques publics se remplirent de malades chroniques. Il y a une génération, le concept de milieu thérapeutique et la redécouverte de l'autonomie et de la res­ponsabilité personnelles c o m m e bases de la réadaptation sociale commencèrent à renverser la tendance à une hospitalisation se perpétuant d'elle-même.

La psychose est psychobiologique

O n assista alors à une diminution du nombre des patients qui n'avaient cessé d'augmenter dans les hôpitaux psychiatri­ques des États-Unis. Et cette diminution s'amorça avant l'introduction des médi­caments psychotropes [5]. Comprenez-moi bien. La psychose n'est pas une simple convention sociale ; elle a une existence psychobiologique indépendante des systèmes de croyance. Mais ses mani­festations et son cours sont profondément influencés par le terrain social où évoluent le patient et ceux qui le soignent. Les systèmes de croyance ont des effets non moins profonds sur le reste de l'humanité. La présence du médecin suffit à calmer la douleur. Les résultats des élèves dépen-

1. Les chiffres entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.

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D e l'humanisation de la nature humaine

dent de ce que les maîtres attendent d'eux. La conviction des citoyens que l'ordre social est bon en assure la stabilité.

L'idée que nous nous faisons de l 'homme a une incidence sur le compor­tement des h o m m e s car elle détermine ce que nous attendons les uns des autres. Les théories relatives à l'éducation, aux sciences politiques et à l'économie et les politiques des gouvernements eux-mêmes se fondent sur des conceptions implicites de la nature de l 'homme. Est-il éducable ? N'est-il m û que par son propre intérêt? Est-il une créature aux appétits si redou­tables que seule la soumission à une autorité souveraine peut le sauver de lui-même ?

C e que nous choisissons de croire au sujet de la nature de l 'homme a des conséquences sociales. Il faudrait peser ces conséquences avant de décider à quelle croyance adhérer, m ê m e provisoirement, compte tenu de l'absence de preuve incon­testable à l'appui des théories actuelle­ment à la m o d e . E n insistant sur la double nécessité d'une estimation des « extrants » (output) potentiels et d'un examen critique des « intrants » (input), je ne veux nulle­ment laisser entendre que nous fermons les yeux sur les preuves scientifiques lors­qu'elles ne répondent pas à nos naïfs désirs. Toute volonté de construire un m o n d e meilleur doit commencer par une rigoureuse appréciation des faits connus. Ce que je veux démontrer, c'est que l'extrapolation théorique des instinctivis-tes, des éthologistes, des behavioristes ou des psychanalystes ne repose sur aucun fondement solide malgré un plaidoyer souvent fort séduisant pour ceux qui appellent de leurs v œ u x une « science réelle » du comportement.

Mieux encore, la croyance aide à modeler la réalité parce que, dans le domaine social, les prophéties s'accom­plissent d'elles-mêmes. Croire que l'agres­sivité de l 'homme, ou son âpreté à défen­dre son territoire, est inhérente à la nature animale, c'est confondre quelques h o m ­m e s avec tous les h o m m e s , la société contemporaine avec toutes les sociétés possibles et, par une extraordinaire trans­formation, justifier ce qui est en le con­sidérant c o m m e ce qui doit forcément être. L a répression sociale devient une riposte à la violence humaine plutôt qu'une des causes de celle-ci. Le pessi­misme au sujet de l 'homme sert à main­tenir le statu quo. C'est un luxe pour les nantis, un alibi pour ceux qui se sentent coupables de leur inaction politique, un soulagement pour ceux qui continuent à jouir d'agréables privilèges. L e pessimisme est trop coûteux pour les déshérités ; s'ils lui cèdent, c'est au prix de leur salut. D e façon tout aussi évidente, le faux opti­misme des arguments quelque peu gratuits en faveur d'une technologie du compor­tement (behavioural engineering), qui ne tiennent pas compte des variations biolo­giques et de la créativité individuelle, font abstraction de l'humanité de l 'homme.

C e qu'on sait de la force des motiva­tions socio-psychologiques du comporte­ment humain nous oblige à conclure que, parmi les axiomes d'une théorie de la nature humaine, doit figurer un impératif catégorique kantien : il faut que les h o m ­mes et les femmes croient l'humanité capable de devenir pleinement humaine pour que notre espèce puisse atteindre à l'humanité. Encore une fois, une vue raisonnablement optimiste des possibilités de l 'homme (fondée sur la reconnaissance

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Léon Eisenberg

de ses réalisations, mais tempérée par la conscience de ses faiblesses) est une con­dition préalable à une action sociale visant à faire du possible une réalité.

Politisation du plan scientifique

Certains lecteurs s'élèveront peut-être contre la politisation de ce qui devrait être un débat scientifique. Je soutiens qu'il faut rendre manifeste ce qui est contenu implicitement dans les traités sur la nature «innée» de l 'homme. Consi­dérons par exemple le cas de Lorenz. Certes, ceux qui ont été charmés par le film qui le montre guidant à travers la basse-cour une couvée d'oisons sauvages se refuseront à voir quoi que ce soit de politique dans ses ouvrages. Q u ' y a-t-il donc de politique dans les schémas innés, les mécanismes déclencheurs innés, les modes d'accouplement propres à chaque espèce, etc. ? Bien des choses, c o m m e ses écrits le montrent lorsque de tels con­cepts, qui ne sont pas applicables sans réserve au comportement animal lui-m ê m e [6], sont transposés directement à l ' homme sans se préoccuper des diffé­rences entre les espèces et des niveaux phylétiques.

Lorenz a cru pouvoir écrire, en 1940, que les effets de la civilisation sur les humains sont comparables à ceux de la domestication sur les animaux [7]. Chez les animaux domestiques, a-t-il affirmé, les mutations dégénératives font disparaître les mécanismes déclencheurs propres à l'espèce et répondant aux sché­m a s innés qui régissent les modes d'accouplement et servent dans la nature à maintenir la pureté de la race. Des phé­

nomènes similaires sont considérés com­m e un sous-produit inévitable de la civi­lisation, à moins que l'État ne soit vigilant.

« L a seule résistance qu'une h u m a ­nité saine puisse opposer... à l'introduc­tion de symptômes de dégénérescence se fonde sur l'existence de certains schémas innés... Notre sensibilité à la beauté et à la laideur des membres de notre espèce, sensibilité propre à notre espèce, est étroitement liée aux symptômes de dégé­nérescence, causés par la domestication, qui menacent notre race... D'ordinaire, un h o m m e de haute valeur éprouve un vif dégoût lorsqu'il perçoit de légers symptô­mes de dégénérescence chez des h o m m e s d'une autre race... Dans certains cas, toutefois, nous constatons non seulement l'absence d'une telle sélectivité... mais m ê m e , au contraire, une attirance pour les symptômes de dégénérescence... L'art décadent offre de nombreux exemples d'un tel revirement. Le taux extrêmement élevé de reproduction des imbéciles est un fait établi de longue date... Partout, ce phénomène permet... à un matériau humain socialement inférieur... d'enva­hir et, finalement, d'anéantir, une nation saine. La sélection orientée vers l'endu­rance, l'héroïsme, l'utilité sociale... doit être effectuée par quelque institution humaine si l'on ne veut pas que l'huma­nité, faute de facteurs sélectifs, ne soit victime de la dégénérescence due à la domestication. L'idée raciale sur laquelle se fonde notre État a déjà fait beaucoup à cet égard. Le moyen le plus efficace de préserver la race consiste... à renforcer au m a x i m u m les défenses naturelles... N o u s devons faire confiance à la santé morale de notre élite et la charger de la

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D e l'humanisation de la nature humaine

sélection qui déterminera la prospérité ou la déchéance de notre peuple... » [7]. (Le passage en italique a été souligné par nous.)

Il semblerait ainsi que la science autorise la société à prononcer des inter­dits sociaux pour remplacer, parce qu'ils sont dégénérés, les schémas innés garan­tissant la pureté raciale. L a logique «scientifique» de Lorenz a justifié les lois des nazis prohibant les mariages avec les non-Aryens. Les extrapolations hardies de la domestication à la civi­lisation, des parades nuptiales des ani­m a u x au comportement humain, des espè­ces aux races, sont si grossières et si peu scientifiques, les conclusions évoquent si fortement les camps de concentration, que davantage de commentaires seraient superflus. Peut-être est-il malséant de rap­peler en 1973 des choses écrites en 1940 mais, pour m a part du moins, je trouve difficile d'oublier 1940. Je crois, en effet, qu'il ne faut pas l'oublier, sous peine de nous trouver un jour, pour les meilleures raisons « scientifiques », dans le m o n d e de 1984 décrit par Orwell.

Il ne faudrait pas croire pour autant que je condamne les études de psycholo­gie comparée ou la recherche de moti­vations biologiques du comportement humain c o m m e si de telles activités avaient intrinsèquement un caractère fasciste. C e contre quoi je m'élève, c'est la formulation d'arguments pseudo-scien­tifiques en faveur d'idéologies sociales à priori qui sont projetées sur la nature et non pas « découvertes » en elle. Cette pseudo-science ne tient pas compte des différences entre les espèces et des niveaux phylétiques et travestit l'analogie en homologie. Par exemple, on peut obser­

ver un comportement d'attaque chez des êtres organisés aussi divers que l'insecte, l'oiseau, le carnivore, le singe et l'hom­m e . Il peut être déclenché chez le pre­mier par des traces de produits chimiques; chez le deuxième, par l'instinct de défense du territoire, mais seulement pendant la saison de la reproduction ; chez le troi­sième, par une proie, mais seulement si l'état d'excitation interne approprié est présent ; chez le quatrième, par l'appari­tion d'un prédateur, si la fuite est impos­sible et si la troupe est menacée ; et, enfin, chez l ' homme, par une simple insulte, si le contexte social et l'expérience indivi­duelle antérieure font de l'attaque la réac­tion socialement appropriée.

Donner un n o m n'est pas expliquer

L'observation, chez des espèces différen­tes, de comportements similaires qui cadrent avec l'appellation générique de «comportement d'attaque» ne permet pas de conclure à l'existence d'un instinct agressif sous-jacent sans une étude détail­lée des conditions qui suscitent, et des m é ­canismes qui gouvernent, le comporte­ment de chacune. D e telles « explications » concrétisent ou réifient une étiquette descriptive appliquée sans discernement à des niveaux nettement différents d'orga­nisation du comportement, c o m m e si n o m m e r était la m ê m e chose qu'expliquer.

E n effet, les études sur le comporte­ment animal [8] n'apportent aucune con­firmation au concept d'un instinct agres­sif qui serait une force de motivation indé­pendante analogue à la faim. E n effet, on ne constate pas de périodicité prévisible, pas de modifications mesurables des para-

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Léon Eisenberg

mètres internes (comme le taux de glu­cose dans le sang), et aucune preuve d'un « besoin » d'attaquer en l'absence de pro­vocation. Nous ne nions pas pour autant que la promptitude de l'attaque et les cir­constances dans lesquelles elle est suscitée diffèrent selon les espèces, ni que les hor­mones, les androgenes notamment, peu­vent exercer une influence considérable sur la probabilité d'un combat plutôt que d'une fuite chez les organismes supé­rieurs [9]. Les caractéristiques de l'espèce, le matériel génétique de l'organisme indi­viduel, son expérience antérieure et les stimuli immédiats se combinent pour pro­duire le comportement constaté. Des comportements similaires peuvent résul­ter de mécanismes sous-jacents tout à fait différents ; c'est seulement lorsque ces mécanismes ont été identifiés qu'il devient possible de faire des comparaisons signi­ficatives.

O n pourrait multiplier les exemples. A u niveau le plus général, le problème naît d'une orientation vers une fin : le comportement est expliqué par son résul­tat plutôt que par une analyse de son ontogenèse. O n suppose que la cause pré­existe dans l'organisme à l'état d'instinct ou de structure de comportement innée. L'idéal platonicien est immanent dans l'organisme. Mais où est-il, quand appa­raît-il et comment prend-il naissance? M ê m e le plus ardent instinctiviste ne sou­tiendrait plus que F« instinct » d'agres­sion, ou de la parade nuptiale, ou de l'édi­fication du nid, est présent dans l'œuf fécondé. O n affirme cependant avec assu­rance qu'il doit avoir été précodé et être prêt à se manifester parce qu'il appa­raît sans qu'un apprentissage préalable soit apparemment nécessaire.

Mettons-nous d'accord : le comporte­ment, c o m m e la structure, est génétique­ment déterminé. Des animaux de deux espèces, élevés dans le m ê m e milieu, se comporteront néanmoins différemment. L'argumentation en faveur du caractère inné — au sens d'élément hérité — est convaincante lorsque la distribution d'une caractéristique donnée chez les sujets d'une génération peut être prévue, si l'on connaît sa distribution chez leurs géni­teurs et leur m o d e d'accouplement.

Comprendre les mécanismes biochimiques

Les preuves génétiques, toutefois, n'auto­risent pas à employer, c o m m e on le fait, le mo t « inné » dans un autre sens — celui d'immuabilité du développement, d'imperméabilité aux influences de l'envi­ronnement. L'environnement influe sur le développement par des mécanismes qui ne se rattachent pas nécessairement à l'apprentissage. C'est ainsi que certaines mutations de la structure de l'aile et de l'œil de la drosophile sont sensibles à la température ; si les œufs sont maintenus à 18°C l'aile ou l'œil se développent nor­malement malgré la présence du gène mutant. Il ne s'agit guère d'un « appren­tissage», mais cela prouve que l'expres­sivité dépend de l'environnement. La caractéristique n'est pas moins génétique parce que son expression phénotypique est modifiée par la température. Mais le chercheur, qui a découvert toute une série de facteurs de ce genre, a com­mencé à identifier les mécanismes bio­logiques sous-jacents à l'action des gènes.

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D e l'humanisation de la nature humaine

Dans l'étude du développement, le problème central est celui des inter­actions entre le développement program­m é mais modifiable du génome (ensem­ble des différents chromosomes présents dans chaque noyau cellulaire d'une espèce), son enveloppe cellulaire et l'environnement Si le noyau d'une cel­lule intestinale de grenouille transplanté dans un œuf de grenouille énucléé donne naissance à un animal normal [10], cela signifie que les divers types de cellules, malgré toutes les différences phénotypi-ques qu'ils présentent, ont le m ê m e appa­reil génétique — ce que nous savions être nécessaire — mais un appareil dont l'expressivité est déterminée par le cyto­plasme aussi bien que par le noyau.

M ê m e dans des espèces très proches, les différences sont plus révélatrices que les ressemblances lorsqu'on cherche à élucider les principes qui régissent le comportement. Prenons le cas du chant des oiseaux, qui, en dehors de sa fascina­tion intrinsèque, peut nous aider consi­dérablement à comprendre l'imitation du son par l 'homme [11]. C'est un exemple graphique d'une caractéristique de com­portement qui fait apparaître de remar­quables différences ontogéniques dans des espèces très proches. Des moineaux chan­teurs, isolés de leurs congénères et élevés par des canaris, n'en chantent pas moins c o m m e les oiseaux de leur espèce. Mais les pipits des prés, isolés de la m ê m e manière lorsqu'ils ne sont encore que des oisillons, chantent c o m m e des oiseaux de l'espèce adoptive : gobe-mouches Conto-pus virens, gorges-jaunes, ou merles de la famille des Icteridae [12].

Le cas du moineau Zonotrichia leu-cophrys est encore différent : il doit

entendre le modèle adulte de son chant à une « période réceptive » de son déve­loppement pour pouvoir l'acquérir ; néan­moins, si l'oisillon est mis en contact simultanément avec des congénères et deux autres espèces occupant le m ê m e territoire, il n'« apprend » que son propre chant. Quand il l'a appris, il ne l'oublie pas m ê m e si on l'isole à l'âge adulte. Quant au chardonneret adulte, il est capa­ble d'apprendre d'autres espèces de nou­veaux chants de vol [13]. Ces quelques exemples ne font qu'indiquer la com­plexité d'un champ d'investigation qui va en s'élargissant. Nous devrons examiner de très près les différences entre les espè­ces, les rapports entre ces différences et l'écologie de l'espèce, et, enfin, iden­tifier les mécanismes nouveaux de base, pour pouvoir élaborer des modèles qui aient une valeur heuristique dans l'étude du comportement imitatif chez l 'homme.

L'appareil biologique de l 'homme est plus que jamais un sujet d'étude capital. Cet appareil a évolué au cours des cinq millions d'années qui se sont écoulés entre les hominidés que sont les austra­lopithèques et YHomo sapiens ; il a rendu possible la survie dans un environnement non encore modifié par la main de l'homme. L'extension de notre espèce et sa multiplication rapide pendant les cinq derniers millénaires attestent que cet appa­reil biologique s'est fort bien adapté à des circonstances qui n'existaient pas lors de son élaboration. Il devient tristement évident que les changements que nous avons opérés au cours des cinquante dernières années menacent notre avenir, si nous considérons que la population s'accroît à un taux exponentiel. Il faut

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Léon Eisenberg

maintenant se demander jusqu'à quel point l ' homme peut s'adapter. L a simple perpétuation de l'espèce, sans s'inquiéter de la qualité de la vie, est-elle un critère suffisant pour l 'homme, m ê m e si elle en a été un pour la nature? Grâce à son intelligence, l 'homme peut choisir cons­ciemment ses objectifs, et cela le distingue de tous les autres êtres animés.

Programmation génétique du langage

C o m m e n t donc appréhender la nature de l ' homme? D e u x approches générales se présentent à l'esprit : l'une est compara­tive tandis que l'autre est axée sur le développement de l 'homme. Dans le pre­mier cas, on compare et on oppose les caractéristiques des h o m m e s et des fem­mes dans les diverses sociétés qui peuplent notre planète avec l'espoir de découvrir des dénominateurs c o m m u n s exprimant la « nature essentielle » de l 'homme. Dans le second cas, on étudie les interactions entre l'individu et son environnement social et biologique depuis l'enfance jusqu'à l'âge adulte.

Le langage est une chose que tous les h o m m e s ont en c o m m u n . L'espèce humaine étant la seule à le posséder, l'aptitude à l'acquérir doit donc être d'or­dre génétique. C o m m e Chomsky l'a sou­ligné [14], parmi les aspects uniques en leur genre de l'apprentissage du langage humain, il convient de mentionner l'apti­tude de l'enfant à déduire des règles de syntaxe à partir d'un ensemble limité d'échantillons et, par conséquent, à for­mer avec une extraordinaire facilité des phrases grammaticales qu'il n'a jamais entendues. Le langage qu'il parle est

déterminé par le langage qu'il entend, mais l'aptitude au langage doit résulter de la programmation génétique des réseaux du cerveau qui réagissent à la maturation et à l'expérience.

Les langues, dans la mesure où on les a étudiées, semblent avoir les m ê m e s structures fondamentales, une universa­lité qui donne à penser qu'il existe des structures de base communes, non encore identifiées, dans le système nerveux cen­tral. Rappelons-nous l'exemple du moi­neau qui, tout en devant apprendre son propre chant, est structuré de telle sorte que son système nerveux n'est sensible qu'à un nombre restreint de séquences harmoniques extérieures. Les données de la linguistique semblent indiquer que la forme du langage et la nature des structu­res grammaticales sont soumises à une restriction analogue ; elles laissent sup­poser que les configurations nerveuses sous-jacentes aux structures du langage ont une variabilité limitée. U n e connais­sance plus poussée de ces universaux cognitifs nous permettra peut-être de proposer des modèles de mécanismes nerveux qu'il faudra ensuite chercher à découvrir expérimentalement.

Benzer [15] a appliqué les instru­ments de l'analyse génétique aux muta­tions qui influent sur le comportement chez les drosophiles. Grâce à l'emploi ingénieux de mosaïques dont les carac­téristiques phénotypiques permettent l'identification morphologique de cellules individuelles portant ou non le gène mutant qui détermine la réaction à la lumière (phototaxie), il a pu découvrir que la déviation du comportement est liée aux anomalies de l'œil atteint. Chez les mouches dont un seul œil présente une

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D e l'humanisation de la nature humaine

mosaïque, les techniques histologiques et les examens de cellules isolées peuvent donner une idée encore plus précise de la carence. Les marqueurs cellulaires « four­nissent de puissants moyens pour suivre en détail les lignées de cellules au cours du développement ainsi que pour la dis­section génétique du système nerveux en fonctionnement» [16]. L a complexité du système nerveux central de la drosophile, si relative qu'elle soit, défie l'analyse par les techniques actuelles, mais on a fait un premier pas important en rattachant les différences de comportement généti­quement déterminées aux mécanismes physiologiques sous-jacents.

Le langage est un des traits c o m m u n s de la culture humaine mais les divers comportements que façonnent les cultu­res et qui sont façonnés par elles sont encore plus intéressants. C e qui est tenu pour masculin et attribué à la nature mâle dans une culture est considéré c o m ­m e féminin dans une autre. Dans une culture, on laisse les enfants donner libre cours à leur sexualité mais ils deviennent des adultes monogames ; dans une autre, les rapports sexuels avant l'âge adulte sont sévèrement désapprouvés alors que la monogamie des adultes, affirmée publi­quement, est violée en privé. Les enfants peuvent être confiés à la cellule familiale ou au groupe. Les Esquimaux netsilik, qui sont des parents aimants et dévoués, peuvent laisser mourir sans soins une fillette qui n'est pas «promise» en vue d'un mariage arrangé d'avance, si un n o m ne lui a pas été donné et si, de ce fait, elle n'est pas encore un être humain.

L ' h o m m e est-il pacifique ?

Inconnu dans une société, le phénomène de la guerre n'apparaît dans une autre que sous la pression de l'environnement, mais, dans une troisième, c'est un jeu meurtrier sans profit matériel apparent. E n fait, si nous nous laissions aller à soutenir que plus la société est primitive et plus le comportement de ses membres correspond à la nature originelle de l 'homme, il nous faudrait conclure c o m m e Sahlins [17] que «la guerre est d'autant plus acharnée, sanglante et longue que la culture est plus évoluée... et elle atteint son paroxysme dans la civilisation moder­ne ». Aussi séduisante qu'elle soit, la thèse du caractère pacifique de l ' homme à l'état de nature, non corrompu par la société, est inadmissible. Malgré leur technologie primitive, les tribus contemporaines qui pratiquent la chasse et la cueillette ont une culture aussi complète et aussi c o m ­plexe que la nôtre — l 'homme n'est un h o m m e que dans la société.

C e qui est frappant dans cet inven­taire très partiel, c'est la remarquable diversité du comportement humain que suscitent des cultures très différentes mais viables. Si nous expliquons les expéditions meurtrières des Indiens du Brésil par l'existence d'un instinct d'agression inné, nous devrons inventer une théorie c o m ­pliquée, faisant intervenir les notions de refoulement, de formation réactionnelle et de sublimation, pour rendre compte du caractère pacifique des Esquimaux. N e serait-il pas plus simple de supposer dès le départ que les h o m m e s ne sont par nature ni agressifs ni pacifiques, mais plutôt qu'ils deviennent agressifs ou paci­fiques à la suite d'une interaction c o m -

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Léon Eisenberg

plexe entre un ensemble de conditions biologiques données, modifiables dans une large mesure mais non pas à l'infini, et les influences formatrices de l'environnement biologique, du milieu culturel et de l'expérience individuelle ?

E n raison de l'omniprésence m ê m e de la violence dans la société occidentale, quelle que soit notre explication de sa genèse historique, il est certain que les enfants auront surabondamment l'occa­sion de s'initier à la violence. L'enfant s'aperçoit que la violence paie. Il est mis en présence de modèles adultes de c o m ­portement violent auxquels il s'identifie (la télévision n'est rien à côté de la vie réelle). E n tant que m o y e n de résoudre les conflits entre groupes, la violence est approuvée par les dirigeants nationaux. Quelles valeurs morales représentent-ils? Lorsque la violence est approuvée, elle s'accroît. O n peut alors s'attendre qu'elle s'étende à des situations qui ne sont pas censées bénéficier de l'indulgence des autorités. L'apprentissage de la violence n'explique peut-être pas entièrement l'agressivité humaine, mais les forces sociales qui encouragent son développe­ment dans la société contemporaine sont si évidentes [18] qu'il est presque irréaliste de se préoccuper d'hypothétiques facteurs biologiques.

E n mettant l'accent sur les différences très nettes entre les cultures, on risque de laisser dans l'ombre ce qui a été, jusqu'à une date récente, une tradition conserva­trice à l'intérieur de chacune d'elles. Les enfants élevés au sein d'un système de valeurs particulier pouvaient s'attendre à y demeurer toute leur vie. Aujourd'hui les valeurs changent si rapidement que ce qui a été enseigné à un enfant par ses

parents pourra ne plus être applicable lorsqu'il sera devenu un adolescent et, à plus forte raison, un adulte.

Maintien de l'équilibre psychique

L a g a m m e des comportements dont l ' h o m m e est capable est très étendue, c o m m e le montre la comparaison d'une société avec une autre ; développer la faculté d'adaptation d'un individu en modifiant radicalement ses comporte­ments pendant son existence est néan­moins une tout autre affaire que de développer celle d'un peuple au cours de son histoire. II ne s'agit donc plus maintenant de savoir jusqu'à quel point l ' h o m m e est malléable mais c o m ­bien de changements il peut subir tout en conservant un bon équilibre psy­chique.

N o u s manquons ici de données empiriques. U n e évolution aussi rapide est sans précédent. L'intérêt fondamental des études sur le développement de l'en­fant nous apparaît clairement. Dans une société stable, le prix de l'acculturation peut ou non avoir été trop lourd mais il était manifestement supportable, sinon cette société ne se serait pas perpétuée. Les études sur le développement de l'en­fant n'en étaient pas moins importantes, ne serait-ce que pour déterminer comment alléger ce fardeau. Mais si nous voulons rendre nos enfants capables de se mesurer avec un m o n d e que nous comprenons à peine sous sa forme actuelle et dont nous n'entrevoyons qu'obscurément la configu­ration future, nous nous trouvons embar­qués dans une entreprise qui est la base m ê m e des sciences de la survie.

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D e l'humanisation de la nature humaine

Je m'abstiendrai d'entrer dans le détail de ce que nous savons déjà et dont nous ne tenons pas compte au péril de la nouvelle génération. L e cerveau du fœtus et du nourrisson, qui se développe très vite, a absolument besoin d'une nutrition adéquate [19]. Il n'est certes pas néces­saire d'accumuler de nouveaux faits scientifiques pour justifier une action internationale visant à protéger les enfants à naître et les nouveau-nés. Il est tout aussi évident que le cerveau a besoin, pour se développer, d'une nourriture affective et intellectuelle autant que d'ali­ments proprement dits. Les enfants ont un besoin immense de la sollicitude et des soins des adultes : ils ont ainsi une occa­sion incomparable de se développer m e n ­talement et affectivement, mais ils sont vulnérables et toute négligence à ce stade peut leur causer un grave préjudice [20]. Le développement des jeunes enfants pla­cés dans les orphelinats est nettement retardé, malgré une alimentation normale, s'ils ne sont pas entourés d'affection.

Notre connaissance de ce dévelop­pement au cours des premières années présente à vrai dire des lacunes. Q u e faut-il faire exactement pour le stimuler au m a x i m u m , dans quelle mesure doit-on satisfaire ou contrarier les désirs de l'en­fant, le faire participer à la vie sociale ou le laisser seul ? N o u s en savons cepen­dant assez pour que rien n'excuse ce qui, par notre faute, arrive à des enfants sans défense qui souffrent de l'opprobre dont nous couvrons leurs parents. Chaque nourrisson est différent des autres. Il n'en est pas deux, à l'exception de jumeaux identiques, qui aient un génome c o m m u n , et m ê m e des jumeaux identiques peuvent être phénotypiquement différents par suite

d'inégalités pendant la gestation. N o u s ne connaissons pas suffisamment les différen­ces entre individus pour pouvoir façonner un environnement optimal pour chaque enfant mais cela n'atténue en rien le fait que nous n'avons pas été capables de pourvoir, au moins, aux besoins d'ordre général c o m m u n s à tous les enfants [21].

L'ignorance, ainsi que l'absence d'en­gagement, devient un handicap lorsque les enfants arrivent à l'âge où ils doivent recevoir une éducation en règle. Les insuf­fisances des théories existantes de l'ap­prentissage limitent notre capacité de répondre aux différences individuelles quant à la manière dont les enfants façonnent leur personnalité et acquièrent des connaissances [22]. N o u s aurions peut-être beaucoup à apprendre d'études comparatives sur l'apprentissage animal — assurément, nous sommes nous-mêmes des primates mais des primates d'un genre très spécial. N o u s n'en sommes pas moins soumis au conditionnement tant classique qu'opérant, à l'apprentissage, par tâton­nement, etc. ; nous sommes cependant capables de modes supérieurs d'apprentis­sage verbal et ceux-ci devraient être étu­diés beaucoup plus à fond qu'ils ne l'ont été jusqu'ici. Il ne s'agit plus pour nous de transmettre des solutions qui ont réussi dans le passé, mais d'aider nos enfants à acquérir, pour résoudre les problèmes, des attitudes et des dispositions qui leur permettront de répondre à des désirs que nul n'a encore imaginés.

La condition préalable de la survie

Nous avons beaucoup moins bien su encourager le développement de valeurs

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Léon Eisenberg

humaines fondées sur la reconnaissance du fait que nous formons une seule espèce. L'idée de fraternité n'est pas neuve mais — ce qui est particulier à notre temps — la fraternité est devenue la con­dition préalable de la survie. Il pouvait suffire dans le passé d'inciter un enfant à étudier pour la simple satisfaction de réussir. A en croire nos étudiants, appren­dre pour orner son esprit ou pour excel­ler dans un domaine ne satisfait plus une génération extrêmement consciente de l'injustice et de l'instabilité des cho­ses. Apprendre doit devenir une entre­prise sociale, animée par le souci des autres [23].

Cela est possible. L ' h o m m e est son propre artisan. Le nourrisson qui décou­vre qu'il peut commander les mouvements de ses doigts cesse d'être un observateur pour devenir un acteur. L'enfant qui sait lire découvre les richesses du patrimoine mondial. L'adolescent qui tient absolu­ment à réexaminer dans un esprit critique les idées reçues se transforme en adulte. Et l'adulte qui s'intéresse, par-delà la famille et la nation, à l'humanité est devenu pleinement un h o m m e .

E n agissant au n o m de notre espèce, nous devenons des h o m m e s et des fem­mes. Dans un m o n d e où la guerre fait rage, où des gouvernements répressifs asservissent les peuples, où la recherche du profit personnel ravage un environ­nement qui doit appartenir à tous, il est impossible d'être neutre. U n e lourde res­ponsabilité incombe aux membres de la communauté universelle du fait du privi­lège qui leur est accordé ; ils ont le devoir de se mettre au service de l 'homme pour que la connaissance puisse se transformer en sagesse.

L'engagement dans la lutte pour a m é ­liorer le sort de l 'homme donne tout son sens à l'étude de l 'homme. C'est une lutte et elle se poursuivra. Il n'est pas facile d'ébranler les privilèges ni de dissiper les erreurs. L'optimisme dont je vous invite à faire preuve au sujet des possibilités de l 'homme ne consiste pas à puiser un récon­fort dans la lecture de l'histoire considérée c o m m e le geste d'une libération progres­sive qui sera achevée un jour. Il importe, et il nous importe beaucoup à tous, que ce jour vienne le plus tôt possible.

Sa venue ne dépend pas de l'histoire mais des h o m m e s et des femmes qui font l'histoire. C'est ce qu'a affirmé avec beau­coup d'éloquence le poète cubain Padilla. Voici les derniers vers de son poème intitulé Occasions importantes [24] :

L'histoire va nous sauver, pensions-nous, Nous sauver ? — Était-ce un rêve ? Elle n'était pas qu'insurrections, barrica-

[des, incendies. Dans nos esprits, c'était une robe d'écume

[frissonnante, Une fille du Rhin aux yeux clairs, sou-

[riante, Debout devant la porte, la main tendue Vers un peuple affamé et en attente. Maïs il n'y avait personne sur le seuil. Personne dans la maison. Nous avons trébuché. On nous a poussés A l'intérieur. On nous a brisé les dents, Fracassé les mâchoires. Nous avons trouvé des outils et des armes

[et nous nous sommes battus. Battus, nous avons lutté, nous avons tra­

vaillé, Et nous avons continué A nous battre. Mais tu as raison, vieux

[Marx,

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D e l'humanisation de la nature humaine

L'histoire ne suffit pas

Les occasions importantes

C'est l'homme qui les crée,

C'est un homme réel, vivant.

Qui s'échine et combat.

L'histoire par elle-même ne fait rien

Rien, mes chers amis.

Absolument rien.

P O U R APPROFONDIR LE SUJET

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11. 12.

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Léon Eisenberg

20. E I S E N B E R G , L . Dans : B A R N E S , A . (dir. publ.). The social responsibility of gynecology and obstetrics. Baltimore, John Hopkins Press. 1965.

21. C A L D W E L L , B . Amer. J. Orthopsychiat., vol. 37,1967, p. 8. E I S E N B E R G , L . Ibid., vol. 39,1969, p. 389.

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24. P A D I L L A , H . D'après la traduction de P. B L A C K B U R N , N.Y. Rev. Books, 3 juin 1971, p. 5.

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Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement

par Andrea Bissanti

Depuis un temps immémorial, l 'homme a cherché les moyens d'influencer le comportement de ses sembla­bles. Les philtres des sorciers et sorcières, les rites magiques et propitiatoires, les cérémonies initiatiques de la puberté, les cérémonies religieuses et les hymnes chantés à la veille des batailles en sont quelques exemples. Aujourd'hui, la publicité, les études de para­psychologie et la guerre psychologique constituent un prolongement de ces rites anciens. Quant aux médecins, ils se sont engagés dans une voie différente, quoique voisine, pour modifier le comportement humain : avec des produits chimiques, ils s'efforcent d'en traiter les anomalies.

Le traitement des troubles du comporte­ment est aujourd'hui une branche impor­tante de la psychiatrie, d'autant plus qu'au cours des vingt dernières années des contributions nombreuses et décisives sont venues renforcer la possibilité d'uti­liser à cette fin de nouveaux médicaments appelés psychotropes. L a psychopharma­cologie est une science relativement

L'auteur, docteur en médecine et en chirurgie, est directeur de la recherche médicale de la société Lepe tit, S.p.A., et maître de conférences en statistique médicale et en biométrie à l'Uni­versité de Gênes. Adresse : via Arosio 4, 20148 Milano (Italie).

récente et très spécifique pour diverses raisons, générales ou particulières, qui ont trait à ses applications aux troubles du comportement. N o u s n'examinerons pas ici les difficultés inhérentes à l'étude de la psychopharmacologie ; mais, pour donner un aperçu suffisamment complet de la question qui nous occupe, il est néces­saire de signaler au moins les principales.

L a plus importante de ces difficultés est de transposer à l ' h o m m e les données de la pharmacologie expérimentale. E n général, pour toute substance susceptible de devenir un médicament, le processus

Impact: science et société, vol. X X H I (1973), n° 3 247

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normal, une fois terminées les vérifica­tions chimiques et physico-chimiques, passe par deux étapes fondamentales : la pharmacologie expérimentale et la phar­macologie clinique. Les premières études relatives au m o d e d'action et à la toxicité (aiguë, subaiguë et chronique) d'une subs­tance sont effectuées sur différents ani­m a u x , et ce n'est qu'une fois acquise l'idée précise des effets de cette substance sur l'organisme animal qu'on peut élabo­rer un plan théorique de recherches chez l 'homme. C e plan se référera à : a) des données de toxicité qui constitueront le fondement des indications de posologie maximale pour l ' homme, à la période d u traitement, ainsi qu'aux cycles que c o m ­portera de toute façon l'administration de la substance; b) des données d'activité, lesquelles constitueront la base des indi­cations de posologie maximale pour des types de maladies justifiant l'utilisation du nouveau produit pharmaceutique.

Dans les études de psychopharmaco­logie, le propos change non seulement pour les données relatives à la toxicité, mais encore et surtout pour celles qui ont trait aux modes d'action. O n peut, en effet, étudier par exemple l'activité d'un médicament anti-infectieux chez un ani­mal qui a été soumis expérimentalement à un processus infectieux tellement sembla­ble à une infection spontanée chez l'hom­m e , provoquée par le m ê m e type de germe pathogène, qu'il permet d'avancer l'hypo­thèse — que la pharmacologie clinique se chargera de vérifier—que ce produit agira également sur l ' homme. C e m ê m e raison­nement (en prenant toujours les précau­tions nécessaires) peut être tenu pour d'au­tres types de médicaments, par exemple pour ceux qui agissent sur le système endo­

crinien, pour les antiarthritiques, les anti­diabétiques, les hypotenseurs, etc.

La psyché de l 'homme et de ranimai

S'il en est ainsi, c'est parce qu'on réussit toujours à trouver une espèce animale où, disons, le comportement du système endo­crinien, des facteurs relatifs aux processus arthritiques ou au diabète, ou encore à l'hypertension artérielle dans des condi­tions expérimentales déterminées, est suf­fisamment semblable ou vraiment super-posable à celui de l 'homme, de manière à autoriser l'accomplissement du proces­sus typique de transfert qui permet de supposer une action plus ou moins ana­logue chez l ' homme (en tenant compte d'une marge de sécurité raisonnablement prévisible). Il est tout aussi évident que le problème est nettement différent lorsqu'il s'agit d'étudier l'action d'un produit phar­maceutique sur le psychisme, du fait qu'il n'existe en pratique aucune espèce ani­male — sauf peut-être les primates, et encore de façon limitée à quelque aspect secondaire — chez laquelle il serait possi­ble de supposer une certaine analogie avec la psyché humaine.

Toutes les études de psychopharma­cologie expérimentale réalisées chez les espèces animales inférieures et supérieures ne peuvent être reportées sur l 'homme avec la facilité — parfois automatique — avec laquelle on traite les données con­cernant tous les autres médicaments. E n conséquence, ce transfert est bien plus difficile et riche en facteurs inconnus.

U n e deuxième difficulté réside dans le fait qu'un pourcentage assez élevé des cas relevant de ce type de thérapeutique

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Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement humain

est constitué par des enfants ; chez ceux-ci, presque tous les médicaments psycho­tropes présentent un effet différent et par­fois m ê m e radicalement contraire à celui qui est exercé sur les adultes. E n outre, m ê m e dans des conditions normales, l'en­fant se caractérise par une instabilité psy­chologique tellement marquée, au cours de son développement, que cela complique­rait ultérieurement l'étude de l'action d'une substance psychotrope ; enfin l'enfant est un sujet chez lequel tout examen psychia­trique est difficile à réaliser, notamment parce qu'il ne connaît pas l'introspection.

E n troisième lieu, nous voyons surgir une autre considération d'ordre général : l'effet placebo. C e terme désigne ce qui se passe lorsqu'on administre à un malade des substances qu'il ignore être inertes, mais qu'il croit être actives du point de vue pharmacologique. Il existe désormais sur ce sujet une bibliographie très riche, tant en psychopharmacologie que dans d'autres domaines d'étude ; pour ne citer qu'un seul de ces travaux, rappelons que, dans une monographie classique, Beecher indique 3 3 , 2 % c o m m e limite statistique de la possibilité de l'effet placebo. E n d'autres termes, il est possible d'obtenir un résultat tangible chez un tiers des sujets par la seule administration de substances absolument inertes.

Technique des expériences de contrôle

L'étude du placebo n'est bien entendu pas une fin en soi, mais c'est l'une des contre-épreuves actuellement considérées c o m m e indispensables pour l'évaluation objective de tout médicament et, en particulier, d'un

médicament psychotrope dont l'activité sera précisément confrontée, dans les m ê m e s conditions, avec celle du placebo. L'expérience est réalisée de façon telle que des analyses statistiques successives permettent d'évaluer le caractère signi­ficatif des différences rencontrées. Cette technique des expériences de contrôle par l'effet placebo s'est développée précisé­ment au cours des vingt dernières années, parallèlement aux études psychopharma-cologiques, bien que le champ d'applica­tion de cette technique ne se limite évidemment pas à ces dernières.

Outre l'effet placebo direct, c'est-à-dire qui est dû directement au malade et qui est c o m m u n à la pharmacologie cli­nique de tous les médicaments, il faut tenir compte, dans le cas des médicaments psychotropes, d'un autre effet placebo, qui peut se substituer ou venir s'ajouter au précédent et qu'on peut qualifier d'indi­rect : c'est celui qu'exercent les personnes qui assistent, soignent ou surveillent un malade (médecin, infirmier, familier, enseignant, etc.).

C e type indirect d'effet placebo est, en un certain sens, c o m m u n à presque tous les médicaments. O n connaît l'impor­tance, pour le succès de presque tous les traitements thérapeutiques, de l'in­fluence qu'exerce le médecin et qui est due à son prestige, à son habileté, à sa capacité à s'imposer ou seulement à la confiance qu'il inspire au malade ou à sa famille. U n e méthode pratique a été étu­diée pour surmonter durant la phase d'expérimentation clinique une grande partie des difficultés provenant de cette influence du médecin : il s'agit de la technique dite du double blind (double insu), qui consiste à cacher le type du

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traitement (par exemple: médicament actif ou placebo, présentés de manière à ne pas pouvoir être distingués l'un de l'autre) non seulement au malade, mais aussi au médecin ; ainsi celui-ci, de m ê m e que son patient, lorsqu'il se prononce sur le traitement appliqué, n'est pas induit en erreur par la connaissance préalable du produit mis à l'étude.

C e deuxième type d'effet placebo intéresse certainement les médicaments psychotropes ; il revêt dans leur emploi une importance si nette que, par exem­ple, l'évaluation de l'efficacité thérapeuti­que de ces produits est menée à bien grâce à des procédés particuliers qui pré­voient, entre autres : a) des examens effectués par plusieurs observateurs, dont les jugements permettent d'établir une moyenne utilisée par la suite ; b) divers coefficients de pondération attribués à l'attitude du médecin, favorable ou non à la thérapeutique étudiée ; c) la technique habituelle du double blind est parfois transformée en un triple blind (non seu­lement le malade et le médecin traitant ignorent quel est le médicament à l'étude, mais il en est de m ê m e pour le médecin qui évalue la consistance effective du syn­drome. Par les implications qu'il c o m ­porte, ce raisonnement vient compliquer ultérieurement le tableau déjà complexe du fait des difficultés énumérées jusqu'ici.

Les psychiatres attribuent à juste titre une importance notable à une quatrième considération, qui est la suivante : la psy­chopharmacologie du traitement des ano­malies du comportement ne joue et ne peut jouer qu'un rôle auxiliaire. E n fait, elle s'insère et s'intègre dans un système thérapeutique complexe et polymorphe qui ne se limite pas au traitement des

manifestations (c'est-à-dire les troubles du comportement), mais qui s'étend aussi et surtout à l'élimination des causes de ces troubles ; ces causes peuvent résider dans les circonstances d'ordre social, familial ou environnemental dans lesquelles le patient vit et travaille, dans des stimuli anormaux, dans des conditions nerveuses et mentales franchement pathologiques. D e nombreux psychiatres pensent, par conséquent, qu'il est plus juste et plus cohérent de parler non de la psychophar­macologie des troubles du comportement, mais de la psychopharmacologie utilisée dans ces troubles.

C o m m e on le voit, le raisonnement vient s'inscrire dans un cadre assez bien délimité : nous nous en tiendrons à ce cadre dans le présent exposé.

La biochimie du comportement

La pharmacologie moderne du compor­tement ne s'est pas seulement brusque­ment enrichie de contributions toujours plus importantes ; elle se présente en outre sous un jour tout à fait nouveau : une comparaison des seules têtes de chapitre d'une publication actuelle sur ce sujet avec ceux d'une publication d'il y a quinze ans suffirait à illustrer l'évolution accom­plie. D e nos jours, on ne parle plus tellement d'acquisition et de réflexes con­ditionnés, ou de facteurs émotifs, qui constituaient les chapitres les plus impor­tants de la pharmacologie du comporte­ment d'hier ; à l'heure actuelle, le développement scientifique est en évolu­tion constante et, de ce fait, un examen mis à jour court néanmoins le risque de se trouver dépassé dès le départ.

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Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement humain

D u point de vue historique, si l'on retient que, dans les deux altérations reconnues depuis un certain temps c o m m e les plus typiques du comportement, à savoir la dépression et la manie, il existe des profils biochimiques bien précis, c'est essentiellement en raison du succès sur­prenant qu'obtint une thérapeutique phy­sique, l'électrochoc, inventée par l'Italien Cerletti en 1938. E n effet, l'un des événe­ments les plus mémorables de la médecine est cette transformation d'un malade pro­fondément déprimé, retardé, désillu­sionné, anorexique, en un sujet normal, à la suite d'un cycle bref de convulsions provoquées par l'électricité. Bien que le mécanisme d'action de l'électrochoc soit encore à peu près totalement inconnu, le premier pas était accompli ; aujourd'hui, on admet le concept suivant lequel tout médicament antidépresseur (et, dans un sens plus large, tout médicament psycho­trope) exerce son effet thérapeutique en agissant sur les anomalies biochimiques responsables de la maladie.

L a biochimie psychiatrique repose avant tout sur l'étude des amines biogènes du système nerveux central. Le terme «amines biogènes» désigne certaines mono-amines particulières, composés cli­niques à un seul groupe N H 2 : les m o n o ­amines cérébrales comprennent trois catecholamines (ainsi appelées parce qu'elles contiennent un noyau de catechol ou pyrocatéchine), la dopamine, la nor­adrenaline et l'adrénaline, ainsi qu'une indolamine, la Serotonine, qui contient un noyau indolique. Selon une théorie qui est confirmée par des arguments de plus en plus sérieux, les mono-amines cérébrales, sauf l'adrénaline, agissent c o m m e média­teurs chimiques des impulsions directes

ou indirectes, réglant ainsi l'intervention effectuée par les substances.

Il est désormais établi que toutes les situations qui influent sur l'émotivité d'un individu font varier l'excrétion urinaire des catecholamines ; ainsi, la colère s'as­socie à des variations du taux hématique et donc de l'excrétion urinaire de la nor­adrenaline, tandis que la peur et l'anxiété provoquent des variations tant de la noradrenaline que de l'adrénaline.

Rappelons, cependant, que la bar­rière hémato-encéphalique empêche la pénétration de l'adrénaline dans le cerveau, sauf dans la région hypothala-mique : l'adrénaline agira alors soit direc­tement sur les centres hypothalamiques, soit indirectement par des variations somatiques subjectives qui rappellent celles de l'état d'anxiété. D'autre part, une maladie mentale caractérisée par une altération marquée du comportement, telle que la schizophrénie, s'accompagne de certaines anomalies du métabolisme de la catecholamine : certaines recherches font apparaître une oxyméthylation anor­male de la noradrenaline, d'autres des anomalies dans le métabolisme de la Sero­tonine, d'autres encore des perturbations dans le processus de transmethylation. Toutes ces anomalies métaboliques con­tribueraient à la formation de metabolites anormaux toxiques, à l'action desquels il faudrait justement attribuer les altéra­tions significatives du comportement.

L'avènement des substances psychotropes

Les perturbations biochimiques n'appa­raissent pas seulement dans la schizophré-

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nie, mais aussi dans de nombreux autres rendues possibles grâce à l'emploi des syndromes psychopathologiques ; beau- psychotropes, ce qui n'est pas le moindre coup de ces troubles relèvent du métabo- mérite de ce groupe de substances, par lisme des amines biogènes. O n a décrit, ailleurs très hétérogène. Afin de pouvoir par exemple, des altérations du métabo- se retrouver aisément parmi la masse des lisme du triptophane (un acide aminé pré- psychotropes, on se sert habituellement curseur de la Serotonine) et des réductions de certaines des classifications de ces de l'élimination urinaire de la dopamine, substances qui reposent en général, soit Certains symptômes typiques des formes sur le mécanisme d'action supposé ou dépressives vont de pair avec une diminu- connu, soit sur le type de l'action clinique, tion de la concentration de catecholamine N o u s disposons de nombreuses classifi-et d'indolamine dans le tissu cérébral. cations des psychotropes, ce qui montre

D e nombreuses études sur les amines qu'elles ne permettent pas, ainsi qu'il était cérébrales ont été entreprises et, souvent, inévitable, de définir et de différencier, de

Classification des psychotropes

1. Les psycholeptiques (le préfixe est dérivé du terme grec psyché, â m e ) ou médicaments qui induisent la relaxation et la dépression de l'activité mentale ; on les appelle aussi des psychosédatifs. Ils se subdivisent en : a) thymo-leptiques (le préfixe est dérivé du grec thumos, esprit) ou dépresseurs des émotions, qui régularisent les oscil­lations du tonus émotionnel, réduisant ainsi les manifesta­tions hyperactives ; ce sous-groupe comprend : les neuro­leptiques, ou tranquillisants majeurs, qui, outre l'effet thymoleptique, exercent également une action neurolepti­que, c'est-à-dire sédative sur les fonctions nerveuses (chlorpromazine et autres phénothiazines, réserpine, buty-rophénones); les tranquillisants mineurs, qui induisent un état de tranquillité (méprobamate, benzodiazepine) ; b) les nooleptiques (le préfixe est dérivé du grec noos, intelligence) ou dépresseurs de la vigilance, qui réduisent l'activité de l'intellect et abaissent le niveau de con­science, produisant un état hypnotique et le sommeil (barbituriques, anticonvulsivants).

2. Les psychoanaleptiques ou stimulants de l'activité m e n ­tale. Ils comprennent : a) les thymoanaleptiques ou stimu­lants de l'humeur, avec, de plus, une action antidépressive (inhibiteurs de la mono-amino-oxydase, tricycliques) ; b) les nooanaleptiques ou stimulants de la vigilance et de l'activité mentale (amphétamines).

3. Les psychodysleptiques ou perturbateurs psychiques: hallucinogènes ou dépersonnalisants (mescaline, diethy­lamide de l'acide lysergique, psilocybine).

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Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement humain

façon exhaustive, une matière aussi multi­forme et complexe. E n fait, tant les classifications pharmacologiques auxquel­les ne correspondent pas de distinctions cliniques que les classifications fondées sur l'activité clinico-thérapeutique se révèlent pratiquement inutiles, car la plupart des psychotropes ont des effets divers et distincts.

Pour le présent exposé, nous utili­serons, avec quelques légères modifica­tions, une des classifications les plus connues, celle de Delay-Deniker, qui s'appuie sur des critères phénoménologi­ques et cliniques et divise les psychotropes en trois groupes fondamentaux ; ces der­niers, à leur tour, comprennent divers sous-groupes pour chacun desquels nous indiquerons ci-après la ou les substan­ces pharmaceutiques les plus connues.

Si une classification des psychotro­pes présente des difficultés et des lacunes, on risquerait de se heurter à un obstacle très élevé en essayant d'établir une clas­sification des troubles du comportement.

Les troubles du comportement

Les difficultés et les lacunes d'une telle classification peuvent à peine être imagi­nées si l'on parcourt, par exemple, la liste des éléments fondamentaux nécessaires à l'établissement d'un cadre diagnostique des troubles du comportement, rédigée par Tibaut, pédopsychiatre connu. (Nous rappelons que cette étude, qui s'attaque aux caractéropathies, est surtout intéres­sante et importante dans le cas des enfants.) Voici les données de Tibaut : o) les conditions du milieu social dans lequel vit le malade ; b) les facteurs psy­

chologiques (généraux et individuels) qui agissent sur le malade ou qui ont agi sur lui depuis sa naissance ; c) l'état somati-que, c'est-à-dire la constitution du malade et les conditions dans lesquelles il se trouve au m o m e n t de l'examen ; d) l'état psychique « statique », c'est-à-dire les fonctions intellectuelles et les facteurs du tempérament; e) le niveau de matu­rité mentale et la phase du développement structural ; f) les discordances et les dés­équilibres dans un ou plusieurs des aspects du développement ; g) le dévelop­pement des divers aspects de la vie é m o ­tive et instinctive ; h) la manière dont le malade s'est comporté en face des problèmes que lui a posés la vie, les formes d'adaptation et de défense, les mécanismes qui se sont ainsi déve­loppés.

D e nombreux auteurs ont tenté d'établir des classifications qui ne sont souvent que des enumerations de symp­tômes. E n regroupant ces symptômes sans tenir compte des causes ou des modalités de développement, D e Negri a suggéré l'identification de quelques rubriques fon­damentales, qui ne représentent que des aires symptomatiques auxquelles corres­pondent des sphères d'action ou d'influence pharmacologique déterminée. C'est une liste qui sert suffisamment les fins que nous nous proposons.

1. Excitation psychomotrice (instabilité psychomotrice, hyperactivité, hyper-réactivité, impulsivité, colère) et son contraire (hypoactivité, déficience de la volonté).

2. Hyperémotivité (instabilité du tonus affectif, timidité, symptômes psycho­somatiques, bégaiement avec sa c o m ­posante d'émotivité).

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3. Anxiété (terreurs nocturnes, phobies, inhibitions, Onychophagie (manie de se ronger les ongles), tics à c o m p o ­sante psychogénétique, agitation anxieuse).

4. Dépression de l'humeur (apathie, tristesse) et son contraire (euphorie).

Précisons tout de suite que ces aires symptomatiques n'apparaissent pratique­ment jamais de façon isolée et indépen­dante. Il est bien plus fréquent de cons­tater qu'elles s'enchevêtrent et se compli­quent à des degrés divers en agissant l'une sur l'autre, ce qui explique le polymor­phisme significatif des manifestations cliniques de chacun des troubles du c o m ­portement.

C e polymorphisme clinique qui fait de chaque malade un cas en soi et l'interaction entre les différentes aires empêchent d'établir des indications théra­peutiques bien nettes et définies, automa­tiques. Pour chaque sujet souffrant de troubles du comportement, le psychiatre doit évaluer avec une attention extrême et avec le plus grand soin, les divers fac­teurs qui composent le syndrome et doit considérer ensuite, pour chacun d'eux et pour leur ensemble, les indications préfé­rentielles des différents psychotropes.

L'emploi des psychotropes

L a chloropromazine, c o m m e les phéno-thiazines en général, se révèle particulière­ment utile dans le traitement des troubles du comportement caractérisés par l'anxiété et l'excitation psychomotrice ; elle exerce une action de type sédatif, accompagnée parfois de somnolence, d'hypersomnie et de symptômes extra­

pyramidaux (tremblements, rigidité), sans incidence cependant sur le tableau patho­logique de base. Son indication est désor­mais classique dans le traitement des états d'excitation, dans les explosions de vio­lence, dans les comportements bruyants et destructeurs, tant de la schizophrénie que des syndromes cérébropathiques chroniques, dans les états agressifs, lors­que l'impulsivité n'est pas maîtrisée, dans les troubles psychonévrotiques.

L a réserpine, également, est indiquée surtout en cas de troubles de la sphère de l'excitation, accompagnés d'hyper-activité, d'irritabilité et d'agressivité, mais dépourvus de l'état d'anxiété contre lequel elle est peu indiquée. Parmi les autres troubles du comportement, de type névrotique, on peut signaler c o m m e réa­gissant favorablement à la réserpine : les tics et les stereotypies, par exemple la répétition monotone et dépourvue de sens de gestes stéréotypés.

Les butyrophénones (le représentant principal de ce groupe est l'halopéridol) ont une action sédative marquée, d'où leur indication principale dans les trou­bles caractérisés par une excitation psy­chomotrice associée à des manifestations hyperkinétiques prononcées ; cette action puissante s'accompagne, assez souvent, d'un état d'anxiété.

Les tranquillisants mineurs sont ainsi appelés parce qu'ils exercent, sur le sys­tème nerveux central, une action moins forte que les neuroleptiques. C'est pré­cisément ce maniement facile qui a per­mis leur emploi, parfois sans discrimina­tion, et m ê m e par le malade agissant de sa propre initiative ; en outre, leur diffu­sion est favorisée par le nombre élevé de substances synthétisées et mises sur le

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Les bases pharmaco logiques du traitement des troubles du comportement humain

marché. Ils ont un effet marqué, notam­ment dans le domaine de l'anxiété et de l'hyperémotivité ; on leur attribue une action puissante sur les troubles de type névrotique ou caractériel réactif, plutôt que sur les caractéropathies psycho-orga­niques ou éducatives. E n outre, ces médi­caments sont connus pour l'absence d'effets secondaires, tout au moins lors­qu'ils sont administrés à doses moyennes ; le principal risque que présente leur utili­sation réside dans un éventuel abus, pro­longé de manière déraisonnable, sans le moindre contrôle de la part d'un médecin.

L e méprobamate est actif dans les troubles du comportement de type hyper-kinétique, en cas d'hyperactivité motrice chez les enfants qui présentent des ten­dances destructives, surtout en liaison avec des états d'anxiété ou de désordre émotionnel.

Les benzodiazepines sont également indiquées dans les troubles du comporte­ment et pour calmer l'excitation psycho­motrice.

Les barbituriques tendent à réduire et vont jusqu'à bloquer (suivant les doses) l'activité motrice mais, en m ê m e temps, ils compromettent l'efficacité du c o m ­portement, si bien qu'ils diminuent sensi­blement, par exemple, la capacité de conduire une voiture. Leur principal domaine d'indication est constitué par les formes d'excitation psychomotrice et, en particulier, par les troubles du comporte­ment des malades psychotiques, notam­ment des épileptiques ; les doses faibles donnent une sensation subjective de sti­mulation et de bien-être initial qui, à des doses plus importantes, est suivie par des altérations du jugement, la somnolence et l'assoupissement.

Les psychoanaleptiques et surtout les antidépresseurs constituent l'une des plus grandes conquêtes de la psychopharma­cologie moderne ; mais ils ont peu d'indi­cations dans le domaine des troubles du comportement.

Les inhibiteurs de la mono-amine-oxydase (une enzyme qui joue un rôle essentiel dans les processus métaboliques des amines biogènss du système nerveux central) induisent une augmentation de la Serotonine et de la noradrenaline céré­brales ; leur emploi est limité aux états caractéropathiques dépressifs de l'enfant, accompagnés dTiypoactivité psychotique et mentale.

Les nooanaleptiques et, en particulier, les amphétamines exercent une action sti­mulante sur l'activité intellectuelle et dynamisante sur les sujets nonchalants et apathiques ; par un effet paradoxal, leur emploi peut aussi se révéler utile chez les sujets à personnalité psychopathique, ca­ractérisés par un comportement agressif, un m a n q u e de maturité et une hyperréacti-vité. D a n s la pratique, cependant, on a cessé d'utiliser les amphétamines en psychiatrie.

Les psychodysleptiques ne sont pra­tiquement pas utilisés dans le traitement des troubles du comportement et, en psy­chiatrie, leurs indications sont également de plus en plus réduites ; cela est dû sur­tout aux risques très graves que comporte leur utilisation, à savoir l'apparition de graves syndromes psychotiques, anxieux ou dépressifs, ou d'états confusionnels qui peuvent rendre l'individu qui les prend dangereux pour les autres ainsi que pour lui-même ; ils accentuent aussi le détachement et la dissociation de la vie réelle, ainsi que les processus d'aliénation et d'incommunicabilité.

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Quelques questions d'éthique

Les nombreux médicaments psychotro­pes disponibles, dont une faible partie seulement ont été passés en revue, et qui agissent sur les troubles du comporte­ment, altèrent certainement le métabo­lisme et l'activité physiologique des ami­nes biogènes : on l'a démontré soit chez les animaux, soit chez l ' homme.

Mais l'interprétation de ces résultats est limitée, car la très grande majorité des données recueillies sur les animaux repré­sente les effets d'administrations inten­sives, tandis que c'est l'administration chronique qui est presque toujours requise pour obtenir des effets cliniques.

E n outre, il n'arrive presque jamais qu'un médicament intervienne dans le métabolisme ou dans l'activité d'une seule de ces substances, car elles sont toujours toutes ou presque toutes con­cernées en m ê m e temps dans une mesure plus ou moins grande : cela fait évidem­ment penser à des processus complexes d'interaction biologique entre les médica­ments et les amines biogènes, au niveau du tissu cérébral. Malgré quelques don­nées controversées, la plupart des cher­cheurs admettent que les médicaments qui élèvent le tonus peuvent faire augmenter la concentration de telle ou telle amine biogène aux sièges des récepteurs céré­braux, tandis que ceux qui abaissent le tonus provoquent une diminution de cette concentration.

Ces résultats confirment, d'une part, nombre de considérations préalables à l'emploi des psychotropes dans le traite­ment des troubles du comportement et, partant, le justifient sur le plan scientifi­que ; d'autre part, ils constituent, à leur

tour, la base d'études ultérieures et de recherches appliquées dans cette branche importante de la pharmacologie.

L'expérimentation clinique et l'em­ploi thérapeutique des psychotropes dans les cas de troubles du comportement ont soulevé toute une nouvelle série de pro­blèmes. Mentionnons, en premier lieu, ceux d'ordre éthique : le point crucial est constitué par le «consentement libre et éclairé», selon une expression emprun­tée à l'Organisation mondiale de la santé ( O M S ) , qui l'a tirée de documents offi­ciels émanant d'importantes réunions d'étude (charte de Nuremberg, Helsinki, etc.). C e principe est une condition essen­tielle pour l'application expérimentale des médicaments chez l ' homme.

E n effet, le rapport technique n° 403 de l ' O M S , stipule q u e : «les sujets doi­vent... être informés de la nature et de l'objectif de l'essai ainsi que de ses risques et avantages éventuels» et qu '«on s'efforcera d'obtenir le [fibre] consente­ment du malade ».

L'obstacle, en matière de recherche psychopharmacologique, réside précisé­ment dans cette difficulté d'obtenir le « consentement libre et éclairé » requis ; peut-on vraiment juger libre le consente^ ment exprimé par un sujet affecté de trou­bles du comportement? Parmi les fac­teurs déterminants de cette décision, quelle est la part du contexte social et familial dans lequel vit et travaille le malade et, surtout, celle de l'influence (négative ou positive) du médecin? Ces m ê m e s questions se posent dans la pra­tique thérapeutique, bien qu'aucune dis­position n'exige que le malade consente à être guéri. O r qui a le droit de dire non seulement qu'un comportement donné

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Les bases pharmacologiques du traitement des troubles du comportement humain

est anormal, mais encore qu'il sera con­venablement soigné par des médicaments psychotropes? O n comprend fort bien que la difficulté de répondre à cette question laisse la porte ouverte aux abus, souvent de la part des pouvoirs établis.

Où commence l'abus?

Il semble permis de souligner ici combien on risque de s'engager sur un terrain miné, mais où la réalité n'a que trop pris pied depuis un certain temps: il suffit d'évoquer la polémique et les discussions qu'ont déclenchées un peu partout les thé­rapeutiques appliquées dans les hôpitaux psychiatriques, dans certains pays ; la possibilité inhérente à tous les systèmes sociaux existants d'imposer d'en haut la correction d'un certain comportement, sans se soucier d'en découvrir et d'en sup­primer les causes exogènes, ou pis, en les cachant et les dissimulant volontairement; la profonde violation de la personnalité qui est potentiellement inhérente au traitement psychopharmacologique et qui peut toujours aboutir à un d o m m a g e réel ; l'aspect très délicat de tout procédé qui agit en profondeur sur le comportement ou, dans un sens plus large, sur la psyché, en modifiant et en altérant la partie la plus noble de l'être humain. U n e fois de plus, cette problématique est encore

aggravée par le fait que l'on opère très souvent sur des enfants.

L a chimie moderne a mis à la dis­position du médecin une nouvelle et importante série d'armes ; celles-ci peu­vent être valablement utilisées dans de nombreuses circonstances, exerçant des effets bénéfiques permettant très souvent de faire face à des cas pour lesquels il n'existait aucun traitement. Mais c o m m e toutes les nouvelles armes, elles exigent de celui qui est autorisé à les utiliser — du médecin — des décisions délicates et difficiles à prendre, empreintes d'un senti­ment toujours plus conscient de responsa­bilité, d'une conception toujours plus complexe et mouvante de la vie moderne, d'une interprétation toujours plus cohé­rente et plus profonde de son propre rôle, d'une participation toujours plus tolé­rante et ouverte à la réalité d'une société en constante évolution.

« Je n'acquiescerai à aucune deman­de tendant à m e faire administrer du poison à quelqu'un, ni ne donnerai jamais de conseil de ce genre. » Afin de donner une interprétation moderne et efficace à ce vieux précepte d'Hippocrate, c'est seulement sur les bases que je viens d'esquisser que le médecin pourra contri­buer de façon valable à une solution réelle et positive des problèmes qui se posent dans cet important domaine du traitement des troubles du comportement.

POUR APPROFONDIR LE SUJET

C A R R A Z , G . Le cerveau des passions. Grenoble, Presses universitaires, 1972. C O P P E N , A . The biochemistry of affective disorders. Brit. J. Psychiat, vol. 113, 1967, p. 1237. K L E R M A N , G . Psychotropic hedonism vs. pharmacological Calvinism. The Hastings Center

report, vol. 2, n° 4, septembre 1972.

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Andrea Bissanti

D E N E G R I , M . La psicofarmacologia dei disturbi del carattere età evolutiva. European Congress on Child Psychiatry, Report no. 2. R o m e , 1963.

Pharmacology symposium: Types of behaviour on which drugs act. Fed. Proc, vol. 23, 1964, p. 799.

S C H I L D K R A U T , J. Neuropsychopharmacology and the affective disorders. New Engl. J. Med., vol. 281,1969, p. 197, 248, 302.

V A L Z E L L I , L . Element! di psicofarmacologia sperimentale e clinica. Milan, Manfredi, 1970.

258

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C o m m e n t lutter contre les bruits d'origine mécanique pour réduire la tension psychologique1

par Gösta Carlestam

Les bruits indésirables sont l'un des principaux « dé­chets » de notre époque et posent aux sociétés indus­trialisées un problème de plus en plus préoccupant. Ces déchets proviennent presque entièrement de la production de l'énergie, dont nous consommons des quantités croissantes, que ce soit pour l'industrie, pour les transports ou m ê m e pour les activités de loisirs. Le citadin, exposé aux sous-produits sonores de son envi­ronnement technique, mais doté d'un conservatisme biologique qui lui est propre, réagit à ces agressions par la tension psychologique et sociale. Lorsque les bruits sont provoqués par des avions, par exemple, une plani­fication urbaine et régionale judicieuse peut atténuer la gravité du problème.

La vie au sein d'une société industrialisée, urbanisée, se distingue par plusieurs traits caractéristiques de celle que peuvent mener les membres d'une communauté moins avancée dans son évolution. Les gens vivent pour la plupart groupés en

M. Gosta Carlestam, Dr ¿s Sei. Ing., a dirigé la section de recherche et développement du Conseil du comté de Stockholm. Il dirige actuel­lement, à l'Institut de recherche sur le bâtiment, le groupe de recherche sur la planification com­munautaire. Adresse : Statens Institut för Byggnadsforskning, Fack 27163, 102 52 Stock­holm 27 (Suède).

agglomérations ; à mesure que leurs occupations se spécialisent, les agglomé­rations se différencient, certaines étant plutôt des lieux de résidence, d'autres des lieux de travail ; les diverses régions urbaines se différencient également. Pour tirer parti de cette spécialisation, on multi­plie les mouvements de marchandises et de personnes entre les villes et à l'inté­rieur des villes ; et l'on c o n s o m m e tou-

1. D'après un article paru dans la revue sué­doise Ambio, vol. 1, n° 3. Adaptation autorisée par la revue.

Impact: science et société, vol. X X H I (1973), n° 3 259

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Gösta Carlestam

50100200300 400 SOO 600

VOLS PAR MILLE

F I G . 1. Comparaison entre un certain nombre d'aéroports internationaux : nombre de vols, distance jusqu'au noyau urbain, représentés par rapport à l'étendue probable de l'aggloméra­tion urbaine de Stockholm en 1985.

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Comment lutter contre les bruits d'origine mécanique

jours davantage d'énergie pour se chauffer, produire des biens et services, se déplacer et rendre la vie plus confor­table et plus agréable.

L a consommation croissante d'éner­gie, quels qu'en soient la forme et l'objet, s'accompagne d'une production accrue de ces déchets particuliers que sont les bruits indésirables. L e bruit est devenu l'un des fléaux de la société industrielle.

Prenons, par exemple, les ondes sonores provenant d'une seule et m ê m e source : l'avion. Elles sont une gêne pour un nombre croissant de personnes, en rai­son m ê m e de l'urbanisation, qui n'est autre que l'agglutination délibérée d'une masse d'êtres humains. Les communautés urbaines d'aujourd'hui ne couvrent, en fait, qu'un très faible pourcentage de la superficie des terres émergées du globe.

Tandis que le processus d'évolution sociale, sous toutes ses formes, soumet l'individu à des agressions toujours plus violentes, provenant non seulement de l'énergie du bruit mais d'autres stimuli, l 'homme conserve sa structure et sa phy­siologie d'autrefois. Or , si nous som­mes capables de « fermer les yeux » pour ne rien voir, nos oreilles ne disposent d'aucune défense du m ê m e ordre — m ê m e pendant notre sommeil. Ainsi le conflit entre un environnement créé par la technologie et le conservatisme bio­structurel de notre corps conduit à ce qu'on appelle des réactions de « stress » (ou tension nerveuse).

L a tension nerveuse est, en bref, la réaction non spécifique de l'organisme à toute agression venue de l'extérieur. Il en résulte un schéma d'adaptation stéréo­typé, hérité par Phylogenese, schéma dont le premier objet est de préparer le

corps à une activité physique c o m m e le combat ou l'évasion. Ces réactions de tension peuvent être induites par de n o m ­breux facteurs psychosociaux aussi bien que par des sons, des bruits inhérents à toute grande ville. L a tension physiolo­gique peut entraîner un état de malaise mental et physique, parfois m ê m e des lésions organiques. C'est donc un méca­nisme corporel qui, dans certaines situa­tions, peut entraîner la maladie (voir fig. 2).

Quelques causes de contrariété

Parmi les facteurs qui provoquent des réactions de contrariété, on peut citer: les sons qui s'opposent à ce que l'individu souhaite faire, que ce soit dormir, se reposer, se détendre, converser, écouter la radio, regarder la télévision ou télé­phoner ; les attitudes à l'égard de la néces­sité du bruit ou de la possibilité de le

Tension physiologique

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. ? FIG . 2. Relation entre la tension physiologi­que et les différents niveaux de stimulation. La privation de stimuli, de m ê m e que la surstimulation, s'accompagne d'une augmen­tation de la tension.

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Gösta Carlestam

prévenir; le sentiment qu'on éprouve à l'égard de la source de bruit et de l'intérêt de ses fonctions primaires ; la mesure dans laquelle d'autres éléments de l'envi­ronnement résidentiel sont déjà désagréa­bles au sujet ; enfin la mesure dans laquelle la crainte est associée au bruit. L'une des constatations les plus significa­tives des enquêtes sociales'est qu'on ne peut expliquer par une modification du seul environnement sonore qu'environ 25 % de la variabilité des nuisances signa­lées. Plus de 70 °/o des différences s'expli­quent par la variabilité des attitudes et des expériences personnelles.

Le citadin est constamment exposé aux sons, dans une mesure qui peut varier. Pour pouvoir s'orienter, l'individu a d'ail­leurs besoin de sons qui lui transmettent des informations sur le m o n d e extérieur, informations extrêmement importantes pour lui. Le son peut varier en intensité et en durée. Des intensités sonores très fortes, de 120 à 130 décibels, ou dB(A) », perçues pendant une courte durée, peu­vent affecter l'ouïe c o m m e peuvent le faire des sons de 80 dB(A) et plus, s'ils durent assez longtemps. D'autres sons, ne transmettant aucune information sur le m o n d e extérieur, peuvent être dépourvus de toute signification pour l'individu, qui doit donc appliquer son énergie mentale à trier ces sons et à éliminer cet élément « statique » du flux des informations. A u sens strict, seuls ces sons dénués d'intérêt devraient être appelés bruits. E n fait, dans le langage quotidien, l'acception du terme « bruit » est plus large, et comprend à la fois la signification du son et son niveau ; elle embrasse, en d'autres termes, les aspects psychologiques et physique du son (voir fig. 3).

O n peut donc penser que ce qui compte par-dessus tout, c'est l'interpréta­tion que l'individu lui-même donne du son. Car c'est ce processus mental qui décide si l'individu est exposé à un bruit gênant (signification) ou à un simple bruit (niveau sonore). L'aménagement régional et urbain doit donc s'efforcer de tenu-compte de principes généraux, qui aide­ront à déterminer c o m m e n t la majorité des individus réagit aux sons et ce qu'il convient de considérer c o m m e un bruit gênant. N o u s s o m m e s plus ou moins capables de donner une description cor­recte du son en tant que phénomène physique ; mais la connaissance de la perception subjective du son est du domaine de l'illusion. U n e très faible variation des critères de base selon les­quels on détermine la manière dont l ' h o m m e perçoit les bruits et y réagit peut entraîner d'immenses conséquences sociales et économiques, puisque les recommandations qui s'adressent aux planificateurs reposent sur ces critères.

L a figure 4 illustre schématiquement quelques-uns des principes auxquels se rattachent les mesures adoptées pour réduire le bruit : atténuation à la source, augmentation de la distance protectrice et isolation du receveur. A u stade de la planification d'ensemble du développe­ment régional et général, on peut adopter

1. Le décibel ou d B , taux qui s'exprime loga-rithmiquement, indique l'intensité du son. U n décibel « A » ou dB(A) est une mesure prise à travers un filtre et représente un niveau proche du seuil de perception de l'oreille humaine. E n Suède, par exemple, le niveau de 35 dB(A) est recommandé c o m m e volume maximal à l'intérieur des habitations pendant la journée ; le niveau de 25 dB(A) est recommandé pendant les heures nocturnes.

[262

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C o m m e n t lutter contre les bruits d'origine m é c a n i q u e

limite de la douleur.

avion ä réaction (15 mètres). . 130

klaxon automobile (1 mètre).

(50 mètres)

avion DC-9 (intérieur)

bicyclette â moteur.

camion sur autoroute, voiture accélérant.

aspirateur domestique. (3 mètres)

chuchotement. (1,5 mètre)

limite auditive

(décibels) 140 v presse hydraulique (1 mètre)

120

110

100

90

S0

70

60

50

40

30

20

10

. sirène (30 mètres)

, orchestre rock

scie mécanique (15 mètres)

.motoneige sans pot d'échappement (15 mètres)

tracteur agricole (15 mètres) -motoneige (15 m ) modèle 1970

motoneige (15 m ) modèle 1972 . Intérieur d'une automobile

roulant â SO km/heure

-conversation normale (1 mètre)

bureau normal

studio d'enregistrement

Fio. 3 . L e s augmentat ions o u diminutions d e bruit sont m e s u r é e s sur u n e échelle logarithmi­que. Si la m e s u r e d u bruit a u g m e n t e (ou d i m i n u e ) d e 3 décibels, le bruit est d o u b l é (ou divisé par d e u x ) . Inversement , si o n ajoute d e u x bruits d e 8 0 décibels c h a c u n , o n obtient u n bruit de 83 décibels, et n o n d e 160 . (Reproduit avec l'aimable autorisation d e Québec science.)

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Gösta Carlestam

des formules se rattachant à la troisième mesure, par exemple, tandis que l'aména­gement détaillé du territoire peut tirer un meilleur parti des mesures 2 et 4. D a n s le cadre de l'aménagement détaillé d u ter­ritoire, il n'est possible de protéger des individus contre le bruit des avions que par des mesures des types 2 et 3, c'est-à-

dire une distance suffisante et une archi­tecture adéquate des bâtiments.

D u point de vue fonctionnel, on s'efforce d'implanter les aéroports au point focal de leur « aire de captage », en d'autres termes des territoires où se trou* vent les populations qu'ils sont appelés à desservir, c'est-à-dire en définitive aussi

1. Moyens Juridiques et techniques de lutie contra le bruit ayant leur point d'application à l'émetteur gênant (y compris la reconstruction de l'émetteur)

2 . Isolation et protection du receveur gêné

3. Augmenter la distança par rapport à l'émetteur gênant

4 . Réduire la propagation du bruit

Aménagement détaillé, choix des types de maisons, pian des étages, fenêtres offrant une protection acoustique élevée

Aménagement d'ensemble du territoire

Aménagement d'ensemble du territoire et aménagement détaillé Choix du terrain, effets d'écran, réflexion et absorption du bruit

F I G . 4. Représentation schématique des possibilités de lutte contre le bruit, dans le cadre des travaux d'aménagement (par l'auteur).

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Comment lutter contre les bruits d'origine mécanique

près que possible du noyau urbain. Mais c o m m e le trafic aérien produit différents déchets d'énergie, sous la forme de pol­luants atmosphériques et de bruit, en m ê m e temps que d'autres nuisances, le choix de l'emplacement se ramène à un compromis entre la nécessité d'être pro­che des agglomérations de populations (noyau urbain) et le souci de protéger la population contre l'intrusion des avions. Ces deux nécessités contradictoires deviennent d'autant plus difficiles à con­cilier que la zone urbaine se développe davantage. L a figure 1 montre l'emplace­ment d'un certain nombre d'aéroports internationaux par rapport au noyau urbain desservi par chacun d'eux et l'am­pleur du trafic aérien qu'ils assurent. C e schéma est surimprimé à une carte de la zone métropolitaine du grand Stockholm, à laquelle on a donné les dimensions qu'elle atteindra, selon les prévisions, en 1985.

L'exigence d'un plus grand espace vital

U n e fois que la densité de la construction, dans une zone urbaine en expansion, a constitué une zone tampon, des pressions continuent à s'exercer, toujours plus for­tes à mesure que le trafic aérien augmente en raison de l'accroissement de la popu­lation et de l'élévation du niveau de vie. Cela provoque à son tour la demande d'un plus grand espace vital, chacun dési­rant plus de place dans son habitation, pour ses loisirs et dans les différents ser­vices que lui offre la collectivité. Dans une région en expansion, en particulier, les conflits entre l'étendue des zones bâties

et les intérêts de l'aviation ne peuvent que devenir plus aigus, pour ne pas dire redoutables. Différents pays ont mis au point diverses méthodes de planification pour éliminer ces conflits d'utilisation des sols. Les directives reflètent non seulement les aspirations d'une société et les instru­ments dont elle dispose pour protéger ses citoyens contre les nuisances du milieu ambiant, mais aussi la tendance technico-économique de cette société.

L a question des avantages et des inconvénients du trafic aérien — avanta­ges pour ses utilisateurs, inconvénients que représente le bruit des avions pour les communautés voisines des aéroports — peut être considérée c o m m e une question d'affectation des ressources. Selon une étude faite par le Conseil du comté de Stockholm, une dépense d'équipement supplémentaire de 25 millions de dollars permettrait, en donnant une autre direc­tion aux pistes d'envol et d'atterrissage, de supprimer des bruits d'avion qui gênent 11 000 personnes.

L a figure 5 est une schématisation de la succession des tâches nécessaires pour évaluer l'étendue d'une zone gênée par les bruits d'avions. L a procédure techni­que est complexe et élaborée. Il faut d'abord rassembler les renseignements nécessaires au m o y e n de diverses sortes de prévisions économétriques et techni­ques, estimer la demande de services aériens et imaginer les types d'avion qui seront mis en service d'ici à 1985. A chaque phase de cette procédure s'attache, de toute évidence, une marge d'incerti­tude ; mais c'est certainement dans le rectangle qui se trouve dans le bas à droite de la figure 5 que nos connaissances présentent les lacunes les plus graves : il

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Gösta Carlestam

L_

D e m a n d e de trafic aérien: prévisions

Vols, nombre d'envols et d'atterrissages

Tapis sonore provenant des différents avions

Structure des trajectoires de vol, contrôle du trafic

Estimation de l'étendue de la zone gênée par le bruit des avions

Evaluation de la planification, conflits avec, l'utilisation du sol existante et prévue, nombre de personnes «fortement gênées»

Types d'avions: prévisions

Profil de montée

J Données relatives au son

<-+

Normes relatives à l'évaluation socio-médicale des bruits d'avion (exemple : bruit critique)

i l i

Recommandations relatives à l'utilisation du sol, répartition des activités par zones, régulation des services aériens dans le temps et dans l'espace

F I G . 5. Schématisation de la marche à suivre pour évaluer la zone gênée par le bruit des avions et le n o m b r e de personnes fortement gênées.

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Comment lutter contre les bruits d'origine mécanique

s'agit des « normes relatives à l'évaluation socio-médicale des bruits d'avion ». U n e faible modification de ces normes aurait une incidence considérable sur l'estima­tion de la zone tampon nécessaire. E n d'autres termes, que peut tolérer l'orga­nisme humain? Quel est le bruit accep­table ?

U n e des méthodes utilisées en Suède consiste à déterminer le « bruit critique »; cette méthode d'évaluation est fondée sur le rapport présenté en 1956 par une c o m ­mission gouvernementale d'enquête et intitulé « L e problème social des bruits d'avions». C e rapport indique, dans ses recommandations, un volume sonore maximal dont il faudrait tenir compte dans la planification de l'utilisation du sol pour une fréquence donnée, dite fré­quence S E D . O n appelle S E D (summa ekvivalente dagflygröreher) la s o m m e annuelle des vols de jour équivalents, c o m m e le montre le tableau ci-dessous.

Limite de bruit critique Fréquence SED par an [en dBUft

95 150 - 500 90 500 - 1 000 85 1 000 - 5 000 80 5 0 0 0 - 1 5 000 75 15 0 0 0 - 5 0 000

La fréquence S E D est un total pondéré du nombre de vols correspondant à la plus grande gêne possible provoquée par le bruit des avions, aux heures de pointe et en dehors des pointes, à raison des vols de jour et des vols de nuit.

Volume sonore à ne pas dépasser

Pour dresser le tableau ci-dessus, la com­mission d'enquête est partie d'une exposi­

tion au bruit équivalant à huit vols quotidiens effectués de jour pendant toute une année, et d'un volume sonore maxi­mal de 85 d B . Elle a supposé que cette exposition gênait gravement 2 0 % des résidents. Pour une densité supérieure ou moindre, un volume sonore à ne pas dépasser a été déterminé en fonction d'une équation qui repose elle-même sur le prin­cipe de l'égalité d'énergie : l'hypothèse est que la gêne causée par quelques vols d'un volume sonore intense peut être égale à la gêne causée par de nombreux vols de faible niveau sonore. Les normes aux­quelles ces méthodes d'évaluation permet­tent d'aboutir doivent être considérées c o m m e des normes minimales. D'ailleurs, cette méthode qui repose sur des données empiriques assez limitées sera révisée par la commission gouvernementale qui étu­die actuellement le bruit provoqué par la circulation automobile sur les routes et les autoroutes.

Les estimations faites selon la méthode du bruit critique ont conduit à délimiter des zones tampon plus étendues que celles qui résultent de méthodes d'éva­luation du m ê m e genre appliquées à l'étranger. Les critères suédois sont con­firmés, dans une certaine mesure, par une grande enquête sociologique menée sur le terrain pour le compte de la National Aeronautics and Space Administration ( N A S A ) des États-Unis. L a figure 6 illus­tre la relation existant entre gêne grave et exposition au bruit, selon les méthodes américaines fondées sur cette étude. Les critères suédois qui permettent de déter­miner le bruit critique, c'est-à-dire le bruit qui cause une gêne grave à 20 % des rési­dents d'une zone, sont légèrement supé­rieurs au seuil au-dessous duquel la gêne

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reste constamment à un faible niveau, quelle que soit l'exposition au bruit. Ensuite la gêne s'aggrave rapidement à mesure que l'exposition au bruit aug­mente, c'est-à-dire à mesure qu'on se rapproche de l'aéroport. Fait assez curieux toutefois, dans la zone immédia­tement voisine de l'aéroport, l'exposition au bruit diminue.

Permettez-moi de signaler la méthode d'estimation suédoise telle qu'elle a été appliquée à Arlanda, aéroport interna­tional situé à 40 k m environ au nord du centre de Stockholm. E n 1985, le seuil de bruit critique sera atteint sur environ 330 k m 2 dans certaines conditions, selon les types d'avions en service, le volume du trafic, le comportement des avions en vol, etc. A cette date, Arlanda devrait pouvoir accueillir annuellement environ 140 000 avions, soit 2,5 millions de voya­geurs. Sur la figure 7, on a représenté géométriquement la zone exposée au bruit critique minimal. A supposer que les populations soient gênées conformément aux plans régionaux en vigueur en 1971, il a été établi que plus de la moitié de ces personnes seront gravement gênées par le bruit.

Les zones gênées par le bruit changent de forme

Il se peut qu'un écart par rapport aux trajectoires de vol théoriques fasse qu'un grand nombre de personnes soient gênées par le bruit des avions ou, pour être plus précis, par leur « empreinte sonore » (voir tableau, p. 267. E n effet, la dispersion verticale et horizontale des trajectoires réelles de vol augmente à mesure qu'on s'éloigne des pistes d'envol et d'atterris-

% 100'

90-

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Seuil de bruit critique

N o r m e suédoise (bruit critique)

87 97 107 117 127

Indice d'exposition au bruit

FIG. 6. Relations entre l'exposition au bruit des avions et la réaction des résidents (pour­centage de la population qui est gravement gênée), d'après les données fournies par la N A S A . La norme suédoise représentée sur la figure est approximative.

sage considérées. Cela signifie que la région gênée par le bruit changera de forme selon les variations du réseau de trafic aérien auquel on aboutira. L e bruit dû aux avions peut donc être considéré c o m m e un « ensemble de déchets d'éner­gie», probablement influencé par des facteurs tels que les changements de tem­pérature et de direction du vent, ainsi que les conditions de vol (poussée du moteur, par exemple).

Aussi est-il impossible de définir uni­formément et définitivement une zone à l'intérieur de laquelle le bruit atteindra à l'avenir le seuil critique. Dans certains cas, l'incertitude des données sur lesquel­les se fonde l'estimation peut aboutir à une variation sonore, en plus ou en moins, de 5 d B , ce qui, sur le terrain, représente une différence (en plus ou en moins) de 0,5 k m dans le sens de la largeur et de 5 k m dans le sens de la longueur de la zone gênée par le bruit d'avions.

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F I G . 7. Bruit des avions à Arlanda. E n 1985, 115 000 personnes vivront à l'intérieur de la zone délimitée par la ligne K b — 5 d B , 20 000 à l'intérieur de la ligne K b , 2 000 à l'intérieur de la ligne K b + 5 d B . E n 1970, environ 12 000 personnes vivaient à l'intérieur de la ligne en poin­tillé F F A K b et étaient considérées c o m m e «gravement gênées», d'après la définition qui suit. Le bruit critique K b est un dosage de 85 dB(A) attribuable à 8 vols par jour. C'est la limite au-dessous de laquelle le bruit peut être tolerable dans l'intérêt public et du point de vue sanitaire, mais au-dessus de laquelle une intensité croissante du bruit augmente le risque d'«inconvénients pour la santé», tels qu'ils sont définis par la loi suédoise pour la santé publique.

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Gösta Carlestam

E n conséquence, les délimitations portées sur la figure 7 doivent être inter­prétées c o m m e une série d'avertissements, indiquant la nécessité de multiplier les restrictions imposées aux constructions nouvelles, surtout pour les protéger du bruit, notamment dans les zones résiden­tielles ou au voisinage de cliniques et d'hôpitaux. L e tracé de ces limites dépen­dant de légères variations des hypothèses retenues, il faut trancher les conflits d'uti­lisation du sol, entre les intérêts de l'avia­tion et ceux de la population, d'une

manière qui tienne compte de la difficulté de fixer des limites permanentes, c'est-à-dire des limites qui séparent nettement la gêne de l'absence de gêne.

Ainsi, il faudra prévoir une zone tampon assez étendue autour des aéro­ports. Cette zone devra être suffisamment spacieuse pour englober tout l'espace aérien et la superficie au sol qui, selon des estimations réalistes, risquent d'avoir à souffrir un jour du trafic aérien (voir fig. 8). Si les progrès réalisés dans la technologie de l'aviation permettent de

Limites des zones où seraient imposées des restrictions, lors de la construction d'immeubles destinés à des activités sensibles au bruit (fonctions résidentielle, médicale, éducative)

Limites de bruit critique correspondant aux différents cas de contrôle du trafic

F I G . 8. Zones où l'on recommande d'imposer des restrictions, aux alentours des sites gênés par les bruits, dans tous les cas où un contrôle du trafic semble devoir être institué dans l'avenir.

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Comment lutter contre les bruits d'origine mécanique

construire des avions beaucoup moins bruyants qu'il ne le sont aujourd'hui, il sera facile de réduire cette zone tampon. E n revanche, l'élargir serait difficile, pour ne pas dire impossible. Les gouvernements nationaux et les autorités locales devraient être en mesure d'exiger que les avions soient adaptés à la zone tampon, et non le contraire, c o m m e c'est actuellement le cas.

A court terme, on peut résoudre cer­tains problèmes aigus en mettant au point un système de contrôle automatique des services aériens dans lequel on se servirait de microphones pour enregistrer les inten­sités sonores dans les zones bâties expo­sées au bruit. Cela permettrait de prendre immédiatement des mesures pour modi­

fier les courants de trafic dès que le bruit atteindrait le seuil critique.

U n problème de contrôle plus délicat se pose, il est vrai, à l'égard des transpor­teurs qui n'ont pas d'horaire régulier ( c o m m e il y en a encore très peu dans un pays c o m m e la Suède). U n e conclusion : la planification des trajectoires de vol devrait être intégrée à l'ensemble de l'amé­nagement du territoire, à l'échelon régio­nal c o m m e à l'échelon national. C'est là une pratique admise dans le cas des véhicules de surface — par exemple, lors­qu'il s'agit de planifier et de construire des réseaux routiers. Le système techni­que actuel, pratiquement autonome, que représente l'aviation civile a également besoin d'être modifié.

POUR APPROFONDIR LE SUJET

C A R L E S T A M , G . ; et al. Plan, 1972. (Numéro spécial non numéroté, consacré à l'aménagement des zones rurales et urbaines.)

L E V I , I. (dir. publ.). Society, stress and disease. Londres, Oxford University Press, 1971.

271

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PRAMAMA in Sanskrit has many meanings, not the least significant of

which is 'source of reliable knowledge', an appropriate name indeed for the new

physics journal to be published by the Indian Academy of Sciences in collabora­

tion with the Indian Physics Association. The outcome of serious nation-wide

discussions and the co-operative efforts of the majority of Indian physicists,

Pramana will serve as a vehicle for rapid publication and widespread dissemina­

tion of the best research papers from India and elsewhere. It is expected to

become essential reading for physicists everywhere.

Initially, Pramana will publish original research papers in all

branches of physics. It is hoped that by 1975, Pramana will branch out into theme

journals devoted to areas like solid state physics, nuclear physics, cosmic

physics and other fields in which there is the necessary demand.

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Honorary Editor & Chairman: S . Ramaseshan, Bangalore

Joint Editor: B. M . Udgaonkar, Bombay

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Executive Editor: S . Arunachalum

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PUBLICATIONS D E L'UNESCO: AGENTS G É N É R A U X

Afrique du Sud

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Antilles françaises

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Autriche Belgique Birmanie

Bolivie Brésil

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Haïti

V a n Schaik's Bookstore (Pty.) Ltd., Libri Building, Church Street, P . O . Box 724, P R E T O R I A . N . Sh. Botimeve Nairn Frasheri, T I R A N A . Institut pédagogique national, 11, rue Ali-Haddad (ex-rue Zaâtcha), A L G E R , Société nationale d'édition et de diffusion ( S N E D ) , 3, boulevard Zirout Youcef, A L G E R . Deutscher Buch-Export und Import G m b H , Leninstrasse 16,701 L E I P Z I G . Verlag Dokumentation, Postfach 148, Jaiserstrasse 13, 8023 M Ü N C H E N -PULLACH. « Le Courrier », édition allemande seulement: Bahrenfelder Chaussee 160, H A M B U R G - B A H R E N F E L D . C e p : 27 66 SO. Librairie « A u Boul. Mich», 1, rue Perrinon et 66, avenue du Parquet, 972 F O R T - D E - F R A N C E (Martinique). G . C T . Van Dorp & Co. (Ned. Ant) N . V . , W I L L E M S T A D (Curacao N . A . ) . Editorial Losada, S.A., Aisina 1131, B U E N O S A I R E S . Publications: Educational Supplies Pty. Ltd., Box 33, Post Office, B R O O K -V A L E 2100, N . S . W . Périodiques : Dominie Pty. Ltd., Box 33, Post Office,BROOKVALE2100,N.S.W. Sous-agent: United Nations Association of Australia, Victorian Division. Sth Floor, 134-136 Flinders St., M E L B O U R N E 3000. Verlag Georg Fromme & Co. , Arbeitergasse 1-7, lOSl W I E N . Jean D e Lannoy, 112, rue du Trône, B R U X E L L E S , 5. Trade Corporation no. (9), 550-552 Merchant Street, R A N G O O N . Librería Universitaria, Universidad San Francisco Xavier, apartado 212, SUCRE. Fundação Getúlio Vargas, Serviço de Publicações, caixa postal 21120. Praia de Botafogo 188, Rio D E J A N E I R O (GB). H e m u s , Kantora Literatura, bd. Rousky 6, S O F D A . Le Secrétaire général de la Commission nationale de la République fédérale du Cameroun pour l'Unesco, B . P . 1061, Y A O U N D E . Information Canada, O T T A W A . Editorial Universitaria, S .A . , casilla 10220, S A N T I A G O . « M A M », Archbishop Makarios, 3rd Avenue, P . O . Box 1722, N I C O S I A . Librería Buchholz Galeria, avenida Jiménez de Quesada 8-40, apartado aéreo 49-S6, B O G O T Á . Distrilibros Ltda., Flo Alfonso Garcia, carrera 4.*, n.°» 36-119 y 36-125, C A R T A G E N A . J. Germán Rodriguez N . , calle 17, 6-59, apartado nacional 83, G I R A R D O T (Cundinamarca). Editorial Losada Ltda, calle 18A, n.» 7-37, apartado aéreo S829, apartado nacional 931, B O G O T Á . Sous-dépôts: Edificio L a Ceiba, oficina 804, M E D E U Í N . Calle 37, n.°" 14-73, oficina 305, B U C A R A M A N G A . Edificio Zaccour, oficina 736, C A L I . Librairie populaire, B . P . 577, B R A Z Z A V I L L E . Korean National Commission for Unesco, P . O . Box Central 64, S E O U L . Librería Trejos, S .A. , apartado 1313. S A N J O S É . Teléfonos 228S y 3200. Centre d'édition et de diffusion africaines, B . P . 4S41, A B I D J A N P L A T E A U . Distribuidora Nacional de Publicaciones, Neptuno 674, L A H A B A N A . Librairie nationale, B . P . 294, P O R T O N O V O . Ejnar Munksgaard Ltd., 6 Norregade, 1165 K B B E N H A V N K . Librería Dominicana, Mercedes 49, apartado de correos 656, S A N T O DOMINGO. Librairie Kasr El Nil, 38, rue Kasr El N U , L E C A T R E . National Centre for Unesco Publications, 1 Talaat Harb Street, Tahrir Square, C A I R O . Librería Cultural Salvadoreña, S.A. , Edificio San Martín, 6.* calle Oriente n.° 118. S A N S A L V A D O R . Casa de la Cultura Ecuatoriana, Núcleo del Guayas, Pedro Moncayo y 9 de Octubre, casilla de correo 3542, G U A Y A Q U I L . Toutes les publications: Ediciones Iberoamericanas, S.A. , calle de Oñate IS, M A D R I D 20. Distribución de Publicaciones del Consejo Superior de Investi­gaciones Científicas, Vitrubio 16, M A D R I D 6. Librería del Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Egipciacas IS, B A R C E L O N A . «Le Courrier» seulement: Ediciones Liber, apartado 17, O N D Á R R O A (Viscaya). Unesco Publications Center, P . O . Box 433, N E W Y O R K , N . Y . 10016. National Commission for Unesco, P . O . Box 2996, A D D I S A B A B A . Akateeminen Kirjakauppa, 2 Keskuskatu, H E L S I N K I . Librairie de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris; C C P 12598-48. Presbyterian Bookshop Depot Ltd., P . O . Box 195, A C C R A . Ghana Book Suppliers Ltd., P . O . Box 7869, A C C R A . The University Bookshop of Ghana, A C C R A . The University Bookshop of Cape Coast The Univer­sity Bookshop of Legon, P . O . Box 1, L E G O N . Anglo-Hellenic Agency, 5 Koumpari Street A T H T N A I 18, Comisión Nacional de la Unesco, 6.* calle 9.27, zona 1, G U A T E M A L A . Librairie « A la Caravelle», 36, rue Roux, B . P . 111, P O R T - A U - P R I N C E .

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Haute-Volta

H o n g - k o n g Hongrie

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K e n y a République khmère

Koweït Liban

Libéria République arabe libyenne

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Mali Malte

M a r o c

Maurice Mexique

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Nicaragua

Niger Nigeria

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Librairie Attie, B.P . 64, O U A G A D O U G O U . Librairie catholique « Jeunesse d'Afrique », O U A G A D O U G O U . Swindon Book Co. , 13-15 Lock Road, K O W L O O N . Akadémiai Könyvesbott, Vaci u. 22, B U D A P E S T V . A.K-V.Kõnyvtárosok Boltja, Népkõztársasag utja 16, B U D A P E S T VI. Orient Longman Ltd.: Nicol Road, Ballard Estate, B O M B A Y I; 17 Chit, taranjan Avenue, C A L C U T T A 13; 36A Anna Salai, Mount Road, M A D R A S 2; B-3/7 Asaf Ali Road, N E W D E L H I I. Sous-dépôts: Oxford Book and Stationery C o . , 17 Park Street, C A L C U T T A 16, et Scindia House, N E W D E L H I . Publications Section, Ministry of Edu­cation and Youth Services, 72 Theatre Communication Building, Con-naught Place, N E W D E L H I 1. Indira P.T. , JL Dr. Sam Ratulangie 37, J A K A R T A . McKenzie's Bookshop, Al-Rashid Street, B A G H D A D . University Book­store, University of Baghdad, P . O . Box 75, B A G H D A D . Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue Iranchahr Chomali n° 300, B .P . 1533, T E H E R A N . Kharazmie Publishing and Distribution Co., 229 Daneshgahe Street, Shah Avenue, P . O . Box 14/1486, T E H E R A N The National Press, 2 Wellington Road, Ballsbridge, D U B L I N 4. Snaebjõrn Jonsson & Co. , H . F . , Hafnarstraeti 9, R E Y K J A V I K . Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstores: 35 Allenby Road et 48 Nachlat Benjamin Street, T E L A V I V ; 9 Shlomzion Hamalka Street, J É R U S A L E M .

L I C O S A (Librería Commissionaria Sansoni S.p.A.), via Lamarmora 45, casella postale 552,50121 F R E N Z E . Sangster's Book Stores Ltd., P . O . Box 366, 101 Water Lane, K I N G S T O N . Maruzen C o . Ltd., P . O . Box 5050, T O K Y O I N T E R N A T I O N A L , 100-31. The E S A Ltd., P . O . Box 30167, N A I R O B I . Librairie Albert Portail, 14, avenue Boulloche, P H N O H - P E N H . The Kuwait Bookshop C o . Ltd., P . O . Box 2942, K U W A I T . Librairies Antoine A . Naufal et Frères, B.P . 656, B E Y R O U T H . Cole & Yancy Bookshops Ltd., P . O . Box 286. M O N R O V I A . Agency for Development of Publication and Distribution, P . O . Box 34-35 TRIPOLI.

Eurocan Trust Reg., P . O . Box 5, S C H A A N . Librairie Paul Brück, 22, Grand-Rue, L U X E M B O U R G . Toutes les publications: Commission nationale de la République mal­gache. Ministère de l'éducation nationale, T A N A N A R I V E . « Le Courrier » seulement: Service des oeuvres post- et péri-scolaires, Minis­tère de l'éducation nationale, T A N A N A R I V E . Federal Publications S d n B h d . , Balai Berita, 31 Jalan Riong, K U A L A LUMPUR. Librairie populaire du Mali, B .P . 28, B A M A K O . Sapienza's Library, 26 Kingsway, V A L L E T T A . Toutes les publications: Librairie « A u x belles images», 281, avenue M o h a m m e d - V , R A B A T (CCP 68-74). « Le Courrier » seulement (pour les enseignants) : Commission nationale marocaine pour l'Unesco, 20, Zenkat Mourabitine, R A B A T (CCP 324-45). Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, P O R T - L O U I S . CILA (Centro Interamericano de Libros Académicos), Sullivan 31Ms, M E X I C O 4, D F . British Library, 30, boulevard des Moulins, M O N T E - C A R L O . Salema & Carvalho Ltda., caixa postal 192, B E I R A . Librería Cultural Nicaragüense, calle 15 de Septiembre y avenida Bolivar, apartado n.° 807, M A N A G U A . Librairie Mauclert, B . P . 868, N I A M E Y . The University Bookshop of Ife. The University Bookshop of Ibadan, P . O . B O X 2 8 6 , I B A D A N . The University ofNsuka. The University Bookshop of Lagos. The Ahmadu Bello University Bookshop of Zaria. Toutes les publications: Johan Grundt Tanum, Karl Johans gate 41/43, OSLOI. «Le Courrier» seulement: A / S Narvesens Litteraturtjeneste, Box 6125, O S L O 6. Reprex S A R L , B.P. 1572, NOUMEA. Government Printing Office, Government Bookshops: Rutland Street, P . O . Box 5344, A U C K L A N D ; 130 Oxford Terrace, P . O . Box 1721, CHRIST-C H U R C H ; Alma Street, P . O . Box 857, H A M I L T O N ; Princes Street, P.O. Box 1104, D U N E D T N ; Mulgrave Street, Private Bag, W E L L I N G T O N . Uganda Bookshop, P . O . Box 145, K A M P A L A . The West-Pak Publishing Co. Ltd., Unesco Publications House, P .O. Box 374, G . P . O . , L A H O R E . Showrooms: Urdu Bazaar, L A H O R E , et 57-58 Murree Highway, G/6-1, I S L A M A B A D . Pakistan Publications Bookshop: Sarwar Road, R A W A L P I N D I ; Mirza Book Agency, 65 Shahrah Quaid-e-azam, P . O . Box 729, L A H O R E - 3 . Melchor Garcia, Eligió Ayala 1650. A S U N C I Ó N . N . V . Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, S ' G R A V E N H A G E . Systemen Keesing, Ruysdaelstraat 71-15, A M S T E R D A M .

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Pérou

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Portugal Rhodesie du Sud

Roumanie

Royaume-Uni

Sénégal

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Soudan Sri Lanka

Suéde

Suisse

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Thaïlande Togo

Tunisie Turquie

URSS Uruguay

Venezuela

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« Le Courrier » seulement: Editorial Losada Peruana, apartado 472, L I M A . Autres publications: Distribuidora I N C A , S.A., Emilio Althaus 470, Lince, casilla 3115, L I M A . The Modern Book C o . , 926 Rizal Avenue, P . O . Box 632, M A N I L A . Osrodek Rozpowszechniania Wydawnictw Naukowych F A N , Palac Kul-tury i Nauki, W A R S Z A W A . Dias & Andrade Lida., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, L I S B O A . Textbook Sales (PVT) Ltd., 67 Union Avenue, S A L I S B U R Y . I .C.E. LIBRI, calea Victoriei nr. 126, P . O . Box 134-135, B U C U R E S T I . Abonnements aux périodiques: Rompresfîlatelia, calea Victoriei nr. 29, B U C U R E S T I . H . M . Stationery Office, P . O . Box 569, L O N D O N , SEI 9 N H . Government bookshops: London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, Manchester. La Maison du livre, 13, avenue R o u m e , B . P . 20-60, D A K A R . Librairie Clairafrique, B . P . 2005, D A K A R . Librairie « Le Sénégal », B . P . 1594, D A K A R . Federal Publications Sdn Bhd., Times House, River Valley Road, SIN­G A P O R E 9. Al Bashir Bookshop, P . O . Box 1118, K H A R T O U M . Lake House Bookshop, Sir Chittampalam Gardiner Mawata, P . O . Box 244, C O L O M B O 2. Toutes les publications: A / B C . E . Fritzes KungL Hovbokhandel, Freds-gatan 2, Box 16356,103 27 S T O C K H O L M . «Le Courrier» seulement: Svenska F N - Förbundet, Skolgränd 2, Box 15050, S-104 65 S T O C K H O L M . Europa Verlag, Rãmistrasse 5, Z Ü R I C H . Librairie Payot, 6, rue Grenus 1211 GENÈVE 11. Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B.P. 704, D A M A S . Dar es Salaam Bookshop, P.O. Box 9030, D A R ES SALAAM. S N T L , Spalena 51, P R A H A 1 (Exposition permanente). Zahranicni litera­tura, 11 Soukenicka, P R A H A 1. Pour la Slovaquie seulement: Alfa Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6, 893 31 B R A T I S L A V A . Suksapan Panit, Mansion 9, Rajdamnern Avenue, B A N G K O K . Librairie évangélique, B . P . 378, L O M É . Librairie du Bon Pasteur, B . P . 1164 L O M É . Librairie moderne, B . P . 777, L O M É . Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, T U N I S . Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, I S T A N B U L . Meihdunarodnaja Kniga, M O S K V A G-200. Editorial Losada Uruguaya, S .A. / Librería Losada, Maldonado 1092 / Colonia 1340, M O N T E V I D E O . Lebreria Historia, Monjas a Padre Sierra, Edificio Oeste 2, n."> 6 (frente al Capitolio), apartado de correos 7320-101, C A R A C A S . Librairie-papeterie Xuân-Thu, 185-193, rue T u - D o , B . P . 283, S A I G O N . Jugoslovenska Knjiga, Terazije 27, B E O G R A D . Drzavna Zalozba Slové­nie, Mestni Trg. 26, L J U B L J A N A . La Librairie, Institut national d'études politiques, B . P . 2307, K I N S H A S A . Commission nationale de la République du Zaïre pour l'Unesco, Ministère de l'éducation nationale, K I N S H A S A .

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