folio #2 - presse ecrite iscpa

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Ne pas jeter sur la voie publique folio.com #MARS 2012 4,90FOLIO FIN DE KYOTO: QUELLE EST LA SUITE ? ENVIRONNEMENT L’AGRICULTURE EN JACHÈRE ERYTHRÉE LIBERTÉS EN DANGER FRANCE ACTA S'ATTAQUE AUX MÉDICAMENTS SCIENCES MONDE CRISE DU LOGEMENT: UN CHANTIER URBAIN PORTFOLIO PARIS ENVAHI PAR LES SPACE INVADERS TROP PÉDÉS POUR DONNER DON DU SANG

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Ce magazine de 132 pages a été réalisé par les étudiants en journalisme de troisième année, en spécialisation Presse Ecrite à l'ISCPA - Institut des Médias de Paris

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Page 1: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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uefolio.com#MARS 20124,90€

FOLIO

FIN DE KYOTO: QUELLE EST LA SUITE ?

ENVIRONNEMENT

L’AGRICULTURE EN JACHÈRE

ERYTHRÉE LIBERTÉS EN

DANGER

FRANCE

ACTA S'ATTAQUE AUX MÉDICAMENTS

SCIENCES

MONDE

CRISE DU LOGEMENT: UN CHANTIER URBAIN

PORTFOLIO

PARIS ENVAHI PAR LES SPACE INVADERS

TROP PÉDÉSPOUR DONNER

DON DU SANG

Page 2: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

2 À WALID...

Ave que toi je suis Solude

Page 3: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

3

FOLIOUne publication réalisée par les étudiants de l'ISCPA- Paris

LJ3 - Presse Ecrite

ISCPA- Institut des Médias

12, rue Alexandre Parodi 75010 Paris

Tel: 01 40 03 15 56

Fax +33(0)1 40 03 15 31

www.iscpa-paris.com

Directeur de la rédaction: Eric Ouzounian

Rédactrice en chef: Kahina Sekkai

Directeur des informations: Hicham Barrouk

Secrétaire générale de rédaction: Sarah Sudre

Directeur artistique : Gary Assouline

Journalistes : Boussayna Akaiz,

Gary Assouline, Najoua Azlag, Hicham Barrouk, Fabien Dézé,

Emmanuelle Grimaud, Henri Lahera, Marie Lanen, Pierre Le

Goupil, Sarah Mazelier, Geoffrey Priol, Jean-Baptiste Salvat,

Sarah Sudre, Corentin Vilsalmon, Margot Ziegler.

Il a contribué à ce numéro: Samuel Larbi (photos)

Sommaire4 DOSSIER DE LA REDACTIONTrop «PD» pour donnerPar Kahina Sekkai et Margot Ziegler

14 ACTUALITESMonde 18 Politique 20 Economie 22 Société 23 Sciences 24 Sports 26 Médias

26 DOSSIERL’Erythrée dans les griffes d’Issaias AfeworkiPar Emmanuelle Grimaud

34 INTERNATIONALDe quel modèle allemand parle-t-on?38 Super Tuesday, un combat d’éléphants interminable 44 Guerre des Malouines, l’anniversaire du désaccord48 Poutine, l’homme fort de la Russie

52 DOSSIERL’après Kyoto, vers un statu quo écologique?Par Najoua Azlag

60 HISTOIREUne fausse paix pour une «sale guerre»

66 SOCIETECrise du logement: un chantier urbain avant toutPar Hicham Barrouk72 Dossier: Brevet sur le vivant, la gêne du monopolePar Corentin Vilsalmon82 Le travail, est-ce vraiment la santé?86 Collège de France: il enseigne tout, à tous90 Autisme, le grand débat96 Dossier: L’agriculture devant un champ d’incertitudesPar Fabien Dézé

104 PORTFOLIOSpace Invaders: Ils sont partout!

112 PORTRAITEmmanuelle Payet, le blues d’une judoka

114 HI-TECHJeux vidéos: une occasion de tuer le marché118 Test de la PSVita

122 CULTURESéries: Fini la fiction, place à la réalité124 Une Joconde peut en cacher une autre126 Les choix DVD de Folio128 Disques et littérature

130 Billet: Le film le plus longPar Pierre Le Goupil

COMME UN MALAISEPAR KAHINA SEKKAI

C’est une inégalité qui ouvre ce deuxième numéro de «Folio»: l’interdiction imposée depuis 1983 aux hommes homosexuels de donner leur sang. La crainte du Sida et des hépatites, désormais détectables, domine toujours, entre clichés et traumatisme de l’affaire du sang contaminé. Combat social symbolique, «mais pas prioritaire» parmi la communauté gay, il est loin d’être gagné.

Puis «Folio» se penche sur un territoire largement méconnu, plongé dans un trouble humanitaire: l’Erythrée. Dirigé d’une main de fer par Issaias Afeworki, cet Etat vit depuis près de 20 ans dans la terreur, et le peuple le fuit peu à peu. Autre pays mené par un homme puissant, la Russie de Vladimir Poutine, ex et vraisemblablement futur président du pays le plus vaste du monde, et ce malgré les soulèvements de «l’hiver russe».

Militants différents, à échelle mondiale cette fois, les écologistes luttent, politiquement isolés, contre le réchauffement clima-tique. A l’approche de la fin du protocole de Kyoto, la communauté internationale n’a trouvé aucune solution, obnubilée par la crise finan-cière. Autre tourment, celui du logement en France, où est mise de côté la question de l’urbanisme, sujet clé.Au moment où les Anony-mous et autres activistes mènent la lutte contre ACTA, ce traité comporte un aspect peu étudié, celui de la brevetabilité du vivant, notamment des médica-ments génériques. «Folio» a cherché à comprendre les enjeux de cette bataille où se mêlent droits d’auteur, laboratoires et pays en développement. Retour en France à l’occasion du Salon de l’agriculture, une plongée dans un secteur touché de plein fouet par la crise, provoquant un drame, et un vide culturel dans un pays autrefois majoritairement agricole.Bonne lecture à tous.

ÉDITO

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MONDE

4

HIVER ARABE

Don du sang

Les homos toujours exclus

Yohan Bonnet©

LE DOSSIER DE LA RÉDACTION

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MONDE

5

Don du sang

Les homos toujours exclus

PRÈS DE 20 ANS APRÈS L’INTERDICTION, LA COMMUNAUTÉ GAY EST TOUJOURS EXCLUE DU DON DU SANG. MALGRÉ LE COMBAT ACHARNÉ DES ASSOCIATIONS ET LES MULTIPLES DÉCLARATIONS, LA SITUATION NE SEMBLE PAS S’ARRANGER. LES MILITANTS ESPÈRENT POURTANT QUE LA PRÉSIDENTIELLE POURRA FAIRE ÉVOLUER LES CHOSES VERS L’OUVERTURE DES ESPRITS ET SURTOUT DE LA LOI.

Par Kahina Sekkai et Margot Ziegler

Page 6: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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SOCIÉTÉ

Lorsque l’on parle du don du sang, on ignore souvent

qu’une partie de la population est exclue de ce droit à don-ner. En France, les hommes homosexuels ont l’interdiction formelle de donner leur sang, privant ainsi plus de 10000 per-sonnes d’une transfusion san-guine. Pourtant, ils seraient des milliers, aujourd’hui, à vouloir faire don de ce précieux liquide. Pour comprendre d’où vient cette interdiction, il faut revenir aux années 80. C’est à New York qu’une nouvelle maladie fait son apparition. Tout d’abord appelé le «cancer gay», le Syndrome d'immuno-déficience acquise (Sida) est né. Les symptômes de cette maladie sont difficilement identifiables: perte de poids, forme rare de cancer, mala-dies de peau... Pour les méde-cins, c’est l’incompréhension. Mais ils constatent rapidement que seules certaines caté-gories de la population sont touchées. C’est ce que l’on appelle les «4H»: les homo-sexuels, les hémophiles, les Haïtiens et les héroïnomanes. Le rapprochement entre la contamination et le sang est alors rapidement fait mais il faudra plusieurs années avant que tous les modes de conta-mination ne soient découverts. Durant cette période, une psy-chose s’installe. Les malades sont rejetés et mis à l’écart. Des médecins et infirmières évitent de soigner les séro-positifs de peur de contrac-ter le Sida. Des membres du corps médical refusent même de toucher les personnes at-teintes du virus de l'immuno-déficience humaine (VIH). A l'époque, la maladie fait peur, on ne sait ni s’en protéger, ni la traiter. Pour l’association de lutte contre le Sida Act Up, le VIH était avant tout un motif de discrimination: «Nous

avons considéré dès le départ, en 1989, que le Sida n’était pas une épidémie comme les autres, mais une épidémie politique, dans la mesure où elle concer-nait en premier lieu les minori-tés: les gays, les transsexuels, les migrants, etc».

UN TOURNANT: LE SANG CONTAMINÉFace à la situation et afin d’assurer un maximum de sécurité lors des transfu-sions sanguines, l’Etablisse-ment français du sang (EFS) réagit en mai 1983, en faisant paraître une circulaire inter-disant les collectes de sang chez les personnes dites «à risques». Les homosexuels sont alors exclus du don du sang. La population gay a été la première visée et son com-portement sexuel laisse à pen-ser qu’elle serait plus apte à transmettre le Sida. Pour Fré-deric Pécharman, président de l’association Homodonneur qui lutte pour la réouverture du don du sang aux hommes homosexuels, cette exclusion était alors tout à fait justifiée: «Avant, on ne savait pas com-ment le Sida se transmettait, ou très peu. On n’avait aucun test. Il était normal d’exclure une population dont on voyait qu’elle avait des signes cli-niques manifestant un gros

problème, d’autant qu’on sa-vait que ça se transmettait par voie sanguine. On commençait à avoir des soupçons très forts, quand on voyait que les hémo-philes étaient très touchés. Il était légitime d’exclure tous ces gens. Imaginons demain qu’une nouvelle maladie ful-gurante touche les catholiques pratiquants et les homosexuels. On ignore les modes de trans-mission, tout. Nous serions les premiers à demander à ce que ces personnes soient exclues. Le principe de précaution s’applique tant que l’on ignore l’étendue du risque. On met à l’écart temporairement une population, une pratique.»

Cependant, entre le moment où le Sida est apparu et la réac-tion des autorités sanitaires, les contaminations ont conti-nué à se propager, notamment lors des dons. C’est le scan-dale du sang contaminé. A la fin de l’année 1983, l’Organi-sation mondiale de la santé (OMS) déclarait plus de 90 cas de séropositifs en France. Fin 1984, les chercheurs décou-vrent que chauffer le plasma permet d’inactiver le VIH. Mais faute de capacités de traite-ments, des poches non-chauf-fées sont distribuées jusqu’en 1985. Les contaminations via les transfusions sanguines sont alors nombreuses car les poches sont infectées. Ce n’est qu’en juillet 1985 que les autorités prennent conscience de l’épidémie grandissante et réagissent. Un arrêté qui rend le dépistage obligatoire pour les donneurs de sang est annoncé par le Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius. A partir de ce moment, chaque donneur est dépisté lors d’un don du sang et les poches de produits sanguins sont toujours chauffées. L’ur-gence sanitaire est pleinement

LES «EXCLUS» DU

DON DU SANG

Pour donner son

sang, il faut être

âgé de 18 à 70

ans. Mais il existe

certains cas qui

justifient une

exclusion au don

du sang selon

l’EFS.

L’EXCLUSION

TEMPORAIRE

• 1 jour pour le

traitement d’une

carie

• 7 jours pour un

détartrage

• 4 mois pour un

piercing ou un

tatouage

• 7 jours à 4

mois pour une

intervention

chirurgicale

• 4 mois lors d’un

changement de

partenaire, même

si le rapport était

protégé

L’EXCLUSION

DÉFINITIVE

• Si vous êtes un

homme et que

vous avez (ou avez

eu) des relations

sexuelles avec un

autre homme.

MARGE

"Act Up-Paris est une association issue de la communauté homosexuelle, veillant à défendre toutes les populations touchées par le sida." Arthur Vuattoux, vice-président d'Act-Upcr

édit

MZ

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mesurée. Malheureusement, on considère qu’entre 1983 et 1985, un hémophile sur deux a été infecté par le VIH.

UNE MOBILISATION S’ORGANISEAujourd'hui, le scandale du sang contaminé laisse des traces et les préjugés sont te-naces. En première ligne pour les combattre, des associa-tions multiplient leurs actions afin d’ouvrir le don du sang aux hommes homosexuels. Outre les très connues Act Up et SOS Homophobie, de plus petites structures se forment dans toute la France. Ainsi, Cyril Chevreau s’est lancé fin août 2008 après ce qu’il nomme un «quiproquo». Militant au sein de Gaylib (un mouvement de réflexion concernant les ques-tions autour de l’homosexua-lité à l’UMP), le jeune homme apprend par une connaissance que le don du sang est rou-vert aux gays. Ancien donneur régulier, «avant d’assumer d’être homo», Cyril entre sans souci sous le chapiteau ins-tallé par l’EFS à la Défense. Mais quand il évoque «son» partenaire, le médecin lui annonce: «Désolé, mais je ne vais pas pouvoir prendre votre

sang». C’est le coup de massue pour Cyril, récemment nommé chargé des questions de santé au sein de Gaylib, qui se voit proposer deux solutions par un ami: «Soit tu t’assoies sur le don du sang, soit tu montes au créneau». Le choix est rapi-dement fait, et Pourquoi Sang Priver voit le jour quelques mois plus tard.

De l’autre côté de la France, c’est à Toulouse qu’une autre association agit. Homodon-neur est un collectif plus récent, fondé en février 2010. Frédéric Pécharman, son président, est homosexuel, ancien donneur régulier et ex-employé de l’EFS. C’est entouré de Maxime Lecourt et de Sabine Imbart, respecti-vement porte-parole et secré-taire, qu’il affirme se battre pour «changer les critères d’exclusion au don du sang». En appliquant la part de la population donneuse, à savoir 4%, aux homosexuels, le trio toulousain avance «25 à 30 000 donneurs possibles en plus», refusés car gays. Soit «environ cinq jours de réserve de sang». Pour militer, Homodonneur organise régulièrement des «blood-ins», c’est à dire des

AFFAIRE DU SANG CONTAMINÉ: LES CONDAMNATIONS

Après l’affaire du sang contaminé, les dirigeants de l’époque et les

responsables ont été jugés.

• En 1992, Michel Garretta, ancien directeur du Centre national des transfusions

sanguines (CNTS) a été jugé pour non-assistance à personne en danger et a été

condamné à 4 ans de prison ferme et 500 000 francs d’amende.

• Jacques Roux, ancien directeur général de la santé avait été jugé et condamné à 3 ans

de prison avec sursis.

• En 1998, Laurent Fabius, ancien Premier ministre, est jugé pour la mort de trois personnes et la contamination de deux

autres. Il sera relaxé.

• Georgina Dufoix, ancienne ministre des Affaires sociales, a été jugée pour avoir

sciemment freiné la mise en place du dépistage avant le don, pour des raisons

financières. Elle a été relaxée.

• Edmond Hervé, ancien secrétaire à la Santé, a été jugé pour manquement à une

obligation de sécurité mais a été dispensé de peine.

• En 1999, Claude Evin, ancien ministre de la Santé a été jugé pour homicide involontaire

mais son procès s’est fini par un non-lieu.

JUSTICE

SOCIÉTÉ

Crédit: Pierre Boussel

C'est souvent lors de l'entretien médical que les homosexuels apprenent qu'ils ont l'inter-diction de donner leur sang. Yohan Bonnet©

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SOCIÉTÉ

«haies de bras donneurs, pour symboliser tout le sang qui ne sera pas prélevé». Comme le précise Frédéric Pécharman, homos et hétéros travaillent main dans la main au collectif. Il ajoute en riant qu'il est «le seul homo de la salle!»

DES REFUS DOULOUREUXCe rejet, les homos sont nom-breux à l’avoir subi. «Certains se sentent extrêmement mal dans leur peau car du coup, ça les stigmatise et les renvoie à une image de l’homosexualité qu’ils n’ont pas d’eux», ex-plique Elisabeth Ronzier, la présidente de SOS Homopho-bie, qui reçoit chaque mois des témoignages de gays refoulés aux centres de dons. D’autres choisissent de mentir pour pouvoir donner, un compor-tement désapprouvé par les associations, qui souhaitent une reconnaissance complète aux yeux de la loi. De plus, réside une inéga-lité dans l’inégalité: face aux dons, les personnes homo-sexuelles ne sont pas sur un pied d’égalité. Les lesbiennes sont, elles, depuis 2000, au-torisées à donner leur sang. Moins touchées par le VIH que les gays, certaines se voient pourtant parfois refuser la prise de sang en raison de leur orientation sexuelle. «Une anormalité», rappelle Frédéric Pécharman, qui insiste sur le

fait que l’EFS désapprouve ces actes. «Si un médecin refuse de prélever une jeune femme parce qu’elle est lesbienne, il faut immédiatement en infor-mer l’EFS, qui effectuera un rappel à l’ordre», explique-t-il. «On sait bien que les les-biennes ne sont quasiment pas à risques pour le VIH. Mais le problème qui a été démontré par l’étude sur la sexualité des Français, c’est qu’elles n’ont quasiment pas été visées par les campagnes de prévention. […] Elles ont une prévalence vis à vis des infections sexuelle-ment transmissibles (IST, Ndlr) supérieure à la population dite "normale". Et pourtant, elles peuvent donner.»

ORIENTATION, COMPORTE-MENT ET PRÉJUGÉSA l’occasion de la présiden-tielle, Cyril Chevreau, le prési-dent de Pourquoi Sang Priver, passe à l’action. Au mois de février, il est parti à la ren-contre de tous les candidats à l’Elysée pour leur remettre un courrier demandant «leur positionnement, s’ils feront évo-luer les choses en cas d’élec-tion et, surtout, un calendrier précis». Son but: «Eviter les déclarations sans actes», qui se sont multipliées. Mais le militant est réaliste: «On sait que ça ne se fera pas l’année prochaîne. C’est un combat de longue haleine, tout comme

«UN VAGIN EST FAIT POUR AVOIR DES RAPPORTS SEXUELS, UN ANUS NON »

Fin janvier, une polémique a éclaté entre les associations LGBT et l’EFS. Un médecin de l’Etablissement français du sang a tenu des pro-pos qualifiés «d’homophobes et de transphobes» par les associations de défense des homosexuels. Jean-Pierre Calot, docteur depuis des

années au don du sang, a déclaré lors d’une collecte que les homo-sexuels devaient rester interdit de don du sang. Pour lui, «un vagin est fait pour avoir des rapports sexuels alors qu’un anus n’est pas fait pour ça.» Le médecin a ensuite ajouté «qu’un homme “normal“, marié, père de famille, et qui va de temps en temps avoir un rapport avec un travesti n’a pas l’impression d’être homosexuel parce qu’il a un rapport

avec un homme déguisé en femme. L’homosexuel, le vrai, il ne va pas avoir un rapport avec un travesti parce qu’il n’aime pas les femmes, alors il aime encore moins les ersatz de femmes.» Suite à ces propos et aux vives réactions des associations LGBT, l’EFS a lancé une procédure en interne et a décidé de se désoli-dariser du médecin.

K.S et M.Z

L'EFS, qui organise les collectes de sang, refuse toujours d'accorder le don de sang aux hommes homosexuels.Crédit: Yohan

Bonnet

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les revendications lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT) en général.» Il raconte ses nom-breuses entrevues avec Xavier Bertrand, ministre de la Santé, peu concluantes. Pourtant, «il suffit d’appliquer la directive européenne», martèle-t-il. Ce texte est un rappel à l’ordre, envoyé en 2004, selon lequel le «comportement sexuel» doit être un «critère d’exclusion temporaire pour les candidats à des dons homologues», et non l’orientation sexuelle. S’il était appliqué en France, les homosexuels qui attesteraient n’avoir pris aucun risque pour-raient donner au même titre que les hétérosexuels.

«Sur un individu, l’orientation sexuelle ne change rien. C’est au niveau du comportement de la personne que l’on sait si à un moment X ou Y elle peut don-ner ou pas. L’EFS, lui, part dans une logique de population et non d’individus», déplore Maxime Lecourt, d’Homodonneur. Cette différenciation entre orientation et comportement sexuels est l’un des fers de lance des associations, reje-tée par l’EFS. «Il ne doit pas y avoir de notion de population à risque, répond Cyril Che-vreau en écho. Quand je vais donner mon sang, je ne suis pas représentatif d’une popu-lation, je suis représentatif de moi-même. Je n’ai pas à être stigmatisé pour le comporte-ment du voisin.» «L’épidémie est plus forte chez les homos, mais les pratiques à risques concernent tout le monde», rappelle Arthur Vuattoux, le vice-président d’Act Up. Les préjugés ont toujours la vie dure, et l’image des homo-sexuels à la vie sexuelle débri-dée prône toujours. «Le don du sang, c’est une démarche responsable, altruiste, donc franchement, les gens qui ne

Yohan Bonnet©

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SOCIÉTÉ

se protègent pas, qui se foutent de leur vie et de celle de leurs partenaires, vous pensez que c’est leur préoccupation de donner leur sang?», demande Cyril Chevreau. «Ce n’est pas un prélèvement aléatoire», ajoute Frédéric Pécharman, qui poursuit: «Avant, quand un hétérosexuel allait voir une prostituée, c’était un an d’exclusion. Il a une relation homosexuelle, c’est l’exclu-sion à vie. Il y avait comme une échelle de moralité, comme si le virus était beaucoup plus vi-cieux selon la façon dont il était transmis. Avec une prostituée, il va mettre un an à être détecté, et avec l’homosexualité, il peut être caché à vie.» «C’est vrai-ment une méconnaissance de la sexualité de chacun qui fait qu’on entretient des clichés», affirme Cyril Chevreau, le fondateur de Pourquoi Sang Priver.

DES COUACS PARMI LES ASSOS

Cependant, ce combat ne fait pas l’unanimité parmi le monde associatif. «On est confronté à une question dans les associations LGBT, explique Sabine, d’Homodonneur. Est-ce vraiment un combat prio-ritaire? Est-ce qu’il n’y a pas plus important?» La légalisa-tion du mariage et de l’adop-tion pour les couples homo-sexuels domine parmi les revendications au sein de la communauté. Mais la jeune femme s’interroge: «Est-ce qu’il faut vraiment hiérarchi-ser, prioriser les combats?» «C’est un sujet qui a été, et qui reste, un problème au sein de la communauté LGBT», selon Frédéric Pécharman. Même à l'intérieur des structures demandant la réintégration des gays au don du sang, des différences se font ressentir. «On a un regard différent sur l’appréciation, sur l’homopho-bie», explique Cyril Chevreau. Comme son collègue toulou-sain, il estime que l’EFS n’est

pas homophobe mais use de «surenchère du principe de précaution». «Un homophobe ne fait pas la différence entre un homo féminin et un homo masculin, il est homophobe avec tout le monde. Et surtout, avant l’affaire du sang conta-miné, cette différence n’exis-tait pas. Donc on ne comprend pas pourquoi, d’un coup, tout le monde serait devenu homo-phobe, c’est ridicule».

UN HORIZON POLITIQUEMENT SATURÉLe blocage politique semble bel et bien ancré, malgré de nombreuses déclarations. Dès 2002, le comité national d’éthique se prononce pour la levée de l’interdiction du don du sang pour les homosexuels. Deux ministre de la Santé, Xa-vier Bertrand puis Roselyne Bachelot, se sont prononcés en faveur de l’ouverture, res-pectivement en 2006 et 2007. En 2006, la Haute autorité de lutte contre les discrimina-

LE CAS DES TRANSSEXUELS

Si les gays et les bisexuels ont

l’interdiction de faire don de leur sang, le cas des

transsexuels reste flou. Dans la

loi, ces hommes devenus femmes

ou ses femmes devenues hommes

peuvent donner. Mais tous cela est

en théorie, car dans la pratique, ils sont presque

systématiquement refusés lors de

l’entretien médical. L’association

Homodonneur précise: «On a

croisé un homme qui est devenue

une femme mais il y a quatre ans, elle

a eu une relation avec un homme. Maintenant c’est

une femme, et quatre ans, c’est

largement suffisant pour effectuer les tests de dépistage

du sida mais elle ne peut pas donner.

La question trans est une question

qui fout le bordel!»

Yohan Bonnet©

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10 11

SOCIÉTÉ

tions et pour l’égalité (Halde) se déclare en faveur d’un changement, et le Défenseur des droits Dominique Baudis a de nouveau réaffirmé cette position en novembre der-nier. L’année suivante, c’est le président de l’EFS lui-même, Jacques Hardy, qui explique que ces règles sont dépassées. «Au final, c’est le patron de l’EFS qu’on a changé», regrette Cyril Chevreau.

En 2009, c’est un nouveau coup porté au don du sang qu’inflige Roselyne Bachelot. Après avoir changé d’avis, la ministre de la Santé inscrit l’interdiction dans la loi. Ce qui n’était qu’une circulaire en vigueur depuis 1983 devient un arrêté ministériel, «dix jours après que le Premier ministre François Fillon ne déclare le don de vie Grande Cause pour l’année 2009», rappelle Cyril Chevreau. «Beau paradoxe», souligne le fondateur de Pour-quoi Sang Priver. Le scandale du sang contaminé et les mi-nistres sur les bancs des accu-sés semblent avoir une grande influence sur les politiques, frileux quant à ce sujet.

«ILS ONT RÉINTÉGRÉ LES HOMOS, PAS LES SEXUELS» Pourtant, ce n’est pas l’opi-nion publique qui est crainte, comme en témoigne la large méconnaissance de cette interdiction, confirmée par les associations sur le ter-rain. «A chaque opération, on est sciés», explique Cyril Chevreau. «Il y a peu de gens qui savent que le don du sang est interdit aux homosexuels, ou qui ne se posent même pas la question de qui provient le sang qu’ils reçoivent.» D’après l’institut de sondages BVA, en 2009, seuls 17% des Français trouvaient cette interdiction «justifiée», contre une vaste majorité des sondés (76%), qui avaient répondu que la loi en vigueur était «non-justifiée».

Au sein de l’Union européenne, plusieurs pays ont déjà ouvert le don du sang aux hommes homosexuels: l’Italie, l’Es-pagne et le Portugal n’ont connu aucun incident depuis le changement, respective-ment en 2001, 2006 et 2007. Le dernier pays en date à lever l’interdiction est la Grande-Bretagne. Seulement, le

règlement impose aux gays un an d’abstinence sexuelle avant un don de sang. «Ils ont réintégré les homos, mais pas les sexuels», ironise Cyril Chevreau, avant de mettre en garde les législateurs fran-çais: «C’est pile l’exemple qu’il ne faut pas prendre». Même son de cloche du côté de Toulouse et d’Homodon-neur. Pour Maxime Lecourt, «l’exclusion d’un an ne se jus-tifie pas, notamment grâce à la validité des tests. Au-delà des quatre mois, ça ne sert à rien. De fait, ils sont exclus à vie et peuvent difficilement militer puisqu’on leur a donné le droit.» «Un an d’abstinence, même les curés n’y arrivent pas, comme on dit!», plai-sante Frédéric Pécharman, pour qui «c’est le grand pas en arrière». Mais il y croit tou-jours: «Ils [l’EFS] savent bien que ce n’est plus tenable, que la décision est politique. Et que les politiques prendront leurs responsabilités».

Malgré nos demandes réitérées d’interview, l’EFS et l’association Aides nous ont opposé une fin de non-recevoir.

L’Italie, l’Espagne et le Portugal ont ouverts le don aux hommes homosexuels, respectivement en 2001, 2006 et 2007. Le dernier pays en date à lever l’interdiction est la Grande-Bretagne. Seulement, le règlement impose aux gays un an d’abstinence sexuelle avant un don de sang.

L'EUROPE DU DON

INFOGRAPHIE

Page 12: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

12

Quand et pour quelles raisons Geoffrey Léger a t-il déposé plainte ?Il a saisi le tribunal administratif d’une requête le 9 juillet 2009. Il a contesté le refus qui lui avait été opposé par le médecin responsable de la collecte du sang à Metz. Il a indiqué qu’il se sentait victime d’une discrimination lorsqu’on lui a refusé de donner son sang, lors d’une collecte le 29 avril 2009, au motif qu’il est homosexuel.

Il a donc déposé plainte pour discrimination ?Oui, il a invoqué l’illégalité de l’arrêté sur le fondement duquel la décision de refus du don du sang lui a été opposé.

Quand la décision sera t-elle prise ?Le tribunal administratif devrait examiner cette requête vraisemblablement en mars ou avril 2012.

Cette décision, quelle soit positive ou non, pensez-vous qu’elle fera jurisprudence ?Aucune décision de justice en droit français ne fait jurisprudence parce que chaque décision de justice ne vaut que pour le cas qu’elle tranche. Néanmoins, si le tribunal

administratif venait à considérer que le refus de donner son sang qui a été opposé à monsieur Léger était illégal, ce serait un pas important en direction de l’égalité de traitement pour les personnes qui veulent donner leur sang, notamment pour les homosexuels.

Le soutien des associations est-il important dans ce combat ?Dans ce combat, oui. Je pense que le soutien des associations est important parce qu’elles ont une expertise que n’a pas le ministère de la Santé. Ce ministère a pris un arrêté, qui est daté du 12 janvier 2009, qui fixe les critères de sélection des donneurs de sang. Dans ce texte, il est dit expressément que si la personne qui veut donner son sang fait partie des personnes qui risquent de transmettre le VIH (notamment les hommes ayant eu des rapports sexuels avec des hommes), et bien il s’agit d’une contre-indication permanente pour accepter ce don du sang.

Pensez-vous que des raisons politiques soient derrière cette interdiction ?I l me semble que cette interdiction a une base erronée. Elle se fonde uniquement sur le

fait que des hommes aient pu avoir des rapports sexuels avec d’autres hommes, donc elle vise les gays. Or, en réalité on sait que le risque ne résulte non pas de l’homosexualité, mais de la multiplicité de rapport que l’on peut avoir. Et ça, ça concerne aussi bien les hétérosexuels que les homosexuels. Le critère pour refuser un don du sang devrait être le type de pratique de celui qui veut donner son sang. On peut être un homme, gay, sans avoir de multiples rapports sexuels et donc être sans risques. Mais à côté de ça on peut être un homme hétérosexuel, avoir de multiples rapports et donc être une personne «à risques».

Comment et quand la situation peut-elle évoluer ?La situation peut évoluer de deux manières: soit on a une décision judiciaire du tribunal administratif qui remet en cause l’arrêté du 12 janvier 2009, soit on a une décision politique du ministère de la Santé qui abroge cet arrêté et qui définit de nouveaux critères pour refuser le don du sang. Des critères qui ne seraient pas fondés sur l’orientation sexuelle.

Propos recueillis par Margot Ziegler et Kahina Sekkai

Caroline Mécary: «On peut être un homme, gay, sans avoir de multiples rapports sexuels»Caroline Mécary est une avocate spécialisée dans le droit de la famille au barreau de Paris. Depuis plusieurs années, elle s’occupe de procès défendant les droits des lesbiennes, gays, bi et trans (LGBT). Sa dernière affaire en date: le procès attenté par Geoffrey Léger, un jeune homosexuel, afin de faire ouvrir le don du sang aux hommes homosexuels.

CULTURESOCIÉTÉ

INTERVIEW

Caroline Mécary, avocate spécialisée

dans le droit de la famille au barreau de

Paris.

«ON SAIT QUE LE RISQUE

NE RÉSULTE NON PAS DE

L’HOMOSEXUALITÉ, MAIS DE LA

MULTIPLICITÉ DE RAPPORTS»

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SOCIÉTÉ

Walid Djaghlouf et Alison en couple depuis 7 mois

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MONDE

ADIEUDestruction de la demeure de Ben LadenLes travaux de démolition de la maison de Ben Laden ont commencé le 25 février, à Abbottabad. Une décision prise par les autorités pakistanaises, qui n’ont pas donné les raisons de cet acte. Un responsable américain s’est toutefois exprimé sur CNN, en déclarant que le gouvernement ne voulait pas que la dernière demeure du fondateur d’Al-Qaïda devienne un lieu de pèlerinage ou d’attraction touristique. En effet, la maison, où Ben Laden était caché depuis plusieurs années, attirait quotidiennement des centaines de visiteurs.

POLÉMIQUELes étudiantes de Cambridge contre DSKSi la Chine accepte volontiers les conseils économiques de Dominique Strauss-Kahn, les jeunes étudiantes anglaises sont d’un autre avis. Invité dans la prestigieuse école britannique afin de donner une conférence sur l’état de l’économie mondiale, l'ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) fait face à une pétition de certaines élèves. D’après Ruth Graham, porte parole du syndicat des étudiants, cette invitation est «une tribune pour s'exprimer (...) alors que les personnes qui ont survécu à des agressions sexuelles sont ignorées». La pétition comptait déjà plus de 350 signatures en ce début de semaine.

CHAT ALORSHank for Senator!Caligula avait nommé son cheval favori au Senat romain, c’est désormais un matou américain qui est concerné!Matthew O’Leary a ainsi présenté Hank, son chat de gouttière, pour le poste de sénateur de Virginie, d’après le Huffington Post. Expert en réseaux sociaux, le félin tweet ses convictions politiques de manière régulière: «Hank sait que la clé pour un avenir meilleur est la création d'emplois, des emplois qui permettront d'améliorer la rue, la ville, l'État, et la nation». Ses adversaires George Allen et Tim Kaine n’ont qu’à bien se tenir…

BREF USA

VERS UN SECOND BIG ONE?

Les Etats-Unis, avant d’être en proie à des problèmes écono-miques, sont exposés depuis des siècles à un gigantesque problème sismique.Alors que le plus grand tremblement de terre de tous les temps, le «Big One», est attendu avant 2032 sur la côte ouest, un autre péril in-téresse les géologues et les médias amé-ricains. Le 21 février dernier, un tremble-ment de terre survenu à New Madrid dans le Missouri semble éveil-ler les doutes de nom-breux experts. Les 3000 habitants de la ville ont été réveillés aux alen-tours de quatre heures du matin par une se-cousse de magnitude quatre sur l’échelle de Richter. Un séisme jugé bénin (il y en a environ 6200 par an), mais qui d’après les statistiques de requête Google, a

piqué la curiosité des foules.Les internautes ont ainsi pu découvrir que cette région fut tou-chée par un millier de tremblements de terre de magnitude 8 lors de l’hiver 1811. Un constat alarmant lorsque l’on sait que ce sont les plus puissants recen-sés hors des zones à risques américaines. En effet, l’Etat du Mis-souri est situé à des centaines de kilo-mètres des limites des plaques tectoniques, et ne présente pas, à pre-mière vue, un risque sismique aussi impor-tant.

Après diverses ana-lyses, les géologues ont découvert une faille sous le lit majeur du fleuve Mississipi, qui borde l’Etat. A cet en-droit précis, la croûte terrestre s’amincit et provoque un immense affaissement, et donc un risque potentiel de séisme beaucoup

plus important. Cette zone sismique élargie couvre des parties de cinq Etats américains: L’Illinois, le Missouri, l’Arkansas, le Kentucky et le Tennessee.Le département amé-ricain d’études géo-logiques (USGC) s’est penché sur la question et annonce les pre-mières statistiques: «Dans les cinquante prochaînes années, il y aurait 25 % à 40 % de risques de survenue d'un séisme de magni-tude de plus de 6, et entre 7 % et 10 % de risques pour un séisme de plus de 7,5».

Il n’en fallait pas plus pour que l’«Examiner», journal local, appelle les habitants à envisa-ger les pires scénarios possibles en faisant des réserves d'essence, d'eau potable, de den-rées alimentaires et de fournitures d’urgence…

Henri Lahera

Cette infographie du National Geographic

Society montre que

la faille de New Madrid traverse six

Etats des Etats-Unis.

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PROCÈS

SANTÉ

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PRESCRIPTION : L’ARME SECRÈTE DE BERLUSCONI

L’ancien chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, ne sera pas assigné de corruption de témoin dans le procès Mills. Il était accu-sé d’avoir acheté des faux témoi-gnages de son ancien avocat, le britannique David Mills, dans deux procédures durant les années 90 pour 600 000 dollars. Le 25 février au tribunal, Berlusconi a déclaré que les faits, dont il était incri-miné, étaient prescrits pour une procédure qui dure depuis cinq ans. Le juge en charge de l’affaire, Francesca Vitale, lui a donné raison au plus grand regret du procureur Fabio de Pasquale. Silvio Berlusconi dit subir un acharnement de la part de la magistrature, tout en déclarant via un message diffusé par son porte-parole Paolo Bonaiuti que

«le procès Mills n’est que l’un des nombreux procès inventés contre moi. Au total, plus de cent procédures, plus de 900 magis-trats se sont occupés de moi et de mon groupe, 2 600 audiences en 14 ans, plus de 400 millions d’euros d’honoraires d’avocats et consultants.» Encore trois autres procès attendent le Cavaliere parmi lesquels celui du Rubygate où il est accusé de prostitution sur mineure et d’abus de pouvoir, l’affaire de Mediaset pour fraude fiscale et celle d’Unipol concer-nant une violation du secret de l’instruction. Pour cette dernière, les accusations sont dues à la publication par le journal Il Gior-nale, appartenant aux Berlusconi, de plusieurs retranscriptions de conversations couvertes par le secret de l’instruction.

Geoffrey Priol

AVORTEMENTS SÉLECTIFS AU ROYAUME-UNI

Une enquête du journal anglais «The Daily Telegraph» a révélé qu’un certain nombre de médecins anglais autori-saient l’avortement à cause du sexe de l’enfant. Les jour-nalistes se sont fait passer pour des patientes dans neuf centres médicaux. Trois mé-decins (à Manchester, Birmin-gham et Londres) ont accepté de procéder à un avortement. Deux scènes, filmées en ca-méra cachée, sont disponibles sur le site Internet du journal où l’internaute peut voir deux des trois médecins accep-ter l’avortement. Dans l’une d’elles, on peut voir le méde-cin plaisanter sur la raison de l’interruption de grossesse en

déclarant que c’est «une forme d’infanticide féminin, n’est-ce pas?», et d’ajouter, suite à la demande de la fausse patiente de trouver une autre raison pour jus-tifier sa décision d’avorter, «je vais mettre "trop jeune pour être mère", ça vous va?» Au Royaume-Uni, les femmes qui souhaitent avorter doivent donner une justification à deux médecins, qui à leur tour, choisiront d’accepter ou non d’inter-rompre la grossesse. Elles ont jusqu’à 24 semaines pour avorter. Suite aux révélations du «Daily Telegraph», le ministère britannique de la santé a demandé l’ouverture d’enquêtes policières et admi-nistratives dans les centres

médicaux concernés. Les trois médecins ayant accepté l’avortement sur une base du sexe du fœtus ont été radié de l’ordre. Le ministre de la santé, Andrew Lansley, a réa-git dans le journal: «Pratiquer un avortement uniquement à cause du sexe de l’enfant est de mon point de vue totale-ment répugnant». Geoffrey Priol

MONDE

Après avoir, une nouvelle fois, évité de justesse une condamnation, pour l’affaire David Mills, Silvio Berlusconi a encore trois procès qui l’attendent devant les tribunaux. Crédit photo : torre.elena

C’est dans cet hôpital NHS à Manchester que Prabha Sivaraman a accepté un avortement à une fausse patiente sans vouloir connaître les raisons. Crédit photo :

GENEPOOL

«IL Y A TOUJOURS DES BELLES FILLES À MES DÎNERS MAIS CE SONT DES REPAS NORMAUX. […] JE N’AI RIEN À ME FAIRE PARDONNER, LES ITALIENS SAVENT QUE JE SUIS UNE PERSONNE BIEN.» SILVIO BERLUSCONI POUR LE MENSUEL AMÉRICAIN «THE ATLANTIC»

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MONDE

La Syrie subit depuis un an une répression sanglante qui a commencé le 15 mars 2011, lors de la première manifestation d’envergure dans le pays. 50 manifestants avaient été violemment arrêtés par la police à Damas, la capitale syrienne. Considérée comme étant «presque un crime contre l’humanité» par le secrétaire général de l’ONU le mois dernier, la répression aurait fait au moins 7 600 morts depuis le début de la mobilisation de la population syrienne. Le 3 février dernier aura été la journée la plus meurtrière. Selon le Conseil national syrien (CNS, inspiré du Conseil de transition libyen), environ 260 civils auraient été tués lors d’une attaque au mortier et aux chars par les forces militaires, à Homs. Cette même ville où ont péri plusieurs journalistes, dont les deux français Gilles Jacquier et Rémi Ochlik les 11 janvier et 22 février derniers, et où la population continue d’être bombardée par les forces fidèles au président Bachar el-Assad. A ce propos, Frédéric Joli,

porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (ICRC) en France, insiste sur le fait que «les négociations continuent pour extrader les blessés. Il y a beaucoup de combats à Homs. On a de véritables inquiétudes pour les gens qui sont dans cette ville, et les blessés dont l’état ne s’est pas arrangé. Il est crucial de réussir à négocier leur extradition et de les sortir de là.» Pour exemple: à la date du 29 février, la journaliste française Edith Bouvier attendait toujours d’être rapatriée en urgence. Malgré ses différents vétos lors des réunions du Conseil de sécurité de l’ONU au sujet de la Syrie, la Russie a affirmé sa volonté de ne pas entraver les efforts réalisés sur le plan humanitaire par l’ONU et le ICRC.

150 morts ont été dénom-brés lors du weekend du référendum pour une nou-velle Constitution, le 26 février dernier. Les syriens ont approuvé à 89,4% cette dernière qui devrait instau-rer un pluralisme politique; nouvelle réforme pour un

pays qui a connu 50 ans de suprématie pour le parti Baas de Bachar el-Assad. La répression et les tirs de mortier et d’obus ont pour-tant repris de plus belle dans les quartiers en proie à la guerre civile. «Les consé-quences de cette situation sont extrêmement importantes, explique Frédéric Joli. Les gens se terrent chez eux, ils ont peur des bombardements, il n’y a plus de nourriture, plus d’accès aux soins, à l’eau».

Pour les habitants de ces quartiers plus démunis que les autres, la situation sanitaire et médicale est alarmante. Si bien que l’ICRC a monté en février des opérations de distribution de nourriture, de kits d’hygiène et de soins à plus de 12 000 personnes dans l’ouest du pays. L’autre volonté prioritaire de l’ICRC est de réussir à négocier une trêve humanitaire dans le pays afin d’endiguer les massacres et sécuriser le personnel humanitaire sur place «qui prend des risques incroyables pour sauver des vies», conclut Frédéric Joli.

Corentin Vilsalmon

SYRIE

crea

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s

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C’EST LE NOMBRE D’ENFANTS TUÉS

DANS LA VILLE DE HOMS DEPUIS LE 4

FÉVRIER 2012 (SOURCE : AMNESTY

INTERNATIONAL).

Un an après les débuts de la révolte syrienne contre le pouvoir en place, la violente répression militaire instiguée par le président Bachar el-Assad a déjà fait près de 8 000 morts.

LA SITUATION HUMANITAIRE DEVIENT ALARMANTE

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Coeur sans nam

our, jardin sans fleurs

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POLITIQUE

BIEN SUIVRE LA CAMPAGNE EN LIGNE Encore balbutiante en 2007, l’utilisation du web est au cœur de la campagne présidentielle de 2012. Le flux d’information à digérer en est d’autant plus important. Folio a sélectionné les meilleurs sites de décryptage.

•LE BLOG «DÉSINTOX» DE LIBÉRATION Créé en 2008 et animé par Cédric

Mathiot, Guillaume Launay et Alain Brillon, Désintox (desintox.blogs.liberation.fr) est «un observatoire des mensonges et des mots du discours politique». A voir également, le «Bobaromètre», classement hebdomadaire des plus gros «menteurs» de la présidentielle. Vous pouvez aussi écouter ces journalistes, tous les vendredis à 19h15 sur RTL, dans l'émission «On refait la présidentielle».

•LE «VÉRITOMÈTRE» D’OWNI ET ITÉLÉiTélé s'associe à la rédaction d’Owni (itele.

owni.fr) pour pratiquer le «fact-checking». Objectif: vérifier l'exactitude des propos tenus par les candidats et mesurer leur crédibilité. Retrouvez la chronique de Sylvain Lapoix, journaliste chez Owni, tous les mercredis à 23 heures, dans La Grande édition, sur iTélé, évidemment.

•LE «SCAN» DU FIGAROLe Scan (elections.lefigaro.fr/le-scan/) est le baromètre des opinions

exprimées sur Internet. Il suit l'évolution de la popularité, l’activité et la progression des personnalités politiques françaises en fouillant sur les sites d'information et les réseaux sociaux. Chaque semaine, il mesure également leur volume de citations, leur exposition médiatique, etc.

•LES «DÉCODEURS» DU MONDE.FRAnimé par le service politique du «Monde»,

le blog participatif (decodeurs.blog.lemonde.fr/) propose d’analyser, avec les internautes, la véracité des déclarations, à partir de sources fiables et transparentes. Le site passe au crible les propos des politiciens pour y démêler le vrai du faux. JB. S

PRÉSIDENTIELLE 2.0 PLUS DE SOUS

LE FN A COURT DE LIQUIDITES

Pas de parrainages, pas d'argent. C'est en substance le message que veut faire passer le Front national. D’ailleurs, par manque de moyens, le meeting de Marine Le Pen au Polydôme de Clermont-Ferrand, le 25 mars prochain, vient d'être annulé. «La campagne de Marine Le Pen est en stand-by», a déclaré Erik Faurot, responsable du FN en Auvergne, la semaine dernière au quotidien «La Montagne». Le Front national évoque donc à nouveau les «sacrifices» de sa candidate, après un déplacement annulé aux Antilles, en février, ou encore la suppression de réunions publiques.Par la suite, la présidente frontiste a vu son recours, concernant la confidentialité des parrainages, rejeté par le Conseil constitutionnel. La chasse aux signatures est, donc, devenue une priorité urgente qui coûte cher et qui oblige le parti à se restreindre. Pourtant, créditée entre 17% et 20% d’intentions de votes, la candidate nationaliste serait sûre de dépasser le seuil des 5% qui permet le remboursement des frais de campagne. Fin février, à l’occasion de l’émission «Des paroles et des actes» qui lui était consacrée, Marine Le Pen déclarait avoir recueilli «à peu près 450 parrainages». Mais qu’adviendrait-il si elle ne rassemblait pas les 500 signatures qu’elle dit avoir tant de mal à obtenir? C’est là que le bât blesse. Selon Erik Faurot, les banques refusent d'«aller plus loin» avec la candidate, car elles craignent qu'elle ne puisse pas se présenter in fine, et donc se retrouver incapable de les rembourser.

Jean-Baptiste Salvat

INDUSTRIENicolas Sarkozy en visite à FlorangeNicolas Sarkozy a promis de faire des «propositions très précises» pour l’usine sidérurgique de Florange. Le chef de l’Etat se dit prêt à investir près de 150 millions d’euros pour relancer l’activité de cette industrie. L’annonce fait suite au blocage de l’usine initié par les syndicalistes de CGT/CFDT/FO. Le prolongement de l’arrêt des deux hauts-fourneaux avait été décrété par manque de financement. Le président de la République a visité, fin février, l’usine d’ArcelorMittal de Florange en Moselle. Lors de cette sortie, il a assuré que «la France ne laissera pas tomber son industrie sidérurgique».

TAXEFrançois Hollande défend sa proposition de taxer les plus riches Le lundi 27 février, le candidat socialiste François Hollande a annoncé vouloir imposer les plus riches, lors de sa visite au Salon de l’agriculture. Le concurrent de Nicolas Sarkozy prend le contre-pied de l’annonce concernant les réformes sur la taxation des plus riches. Alors que le président s’attaque au salaire des patrons et au parachute doré, François Hollande préfère élever l’imposition des plus aisés à 75%. Cette mesure a été critiquée par l’UMP comme par le centre, François Bayrou constatant que «le déconomètre fonctionne à plein tube».

BREF

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EN BREF

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SCIENCES

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ÉCONOMIE

UNE HAUSSE PASSÉE INAPERÇUE

Le plan de rigueur annoncé en novembre par le gouvernement vient de mettre à jour une mesure presque passée inaperçue. Cette dernière va conduire à une hausse du nombre de foyers soumis à un impôt sur le revenu; un changement qui concerne entre 100 000 et 200 000 personnes. Explication: l’impôt sur le revenu est découpé en tranches de revenus, auxquelles s’appliquent différents taux d’imposition. Mais les salaires augmentant avec l’inflation, des foyers risquent de devenir imposables, ou de passer à la tranche supérieure, et ceci, sans que leurs revenus réels n’augmentent. Cet impôt était jusqu’alors indexé sur le taux d’inflation et réévalué chaque année. Ce n’est plus le cas depuis le 1er décembre 2011, date à laquelle la loi a été votée à l’Assemblée nationale. Bon nombre de ménages vont se retrouver imposables sans que leur situation économique n’ait changé. Ils devront alors payer des impôts, mais ils pourraient aussi perdre des droits liés à leur tranche (tarifs réduits à la cantine, dans les transports...). Cette mesure anodine en apparence risque aujourd’hui de toucher même les classes moyennes. Le seul véritable gagnant de cette hausse de l’impôt sur le revenu est l’Etat, qui devrait récolter 1,7 milliard d’euros en 2012, et le double en 2013.

Najoua Azlag

DES BAISSES DE PRIX ANNONCÉES APRÈS LES MANIFESTATIONS

Les prix de l’essence, de l’électricité et des produits de première nécessité vont baisser sur l’île de la Réunion. C’est pour cette raison que ce département d’Outre-mer, situé dans l’Océan Indien et qui compte 800 000 habitants, a manifesté la semaine dernière. Ces rassemblements, qui ont débuté le mardi 21 février, ont causé la dégradation de nombreux commerces et de bâtiments publics. Des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont également éclaté, durant le weekend du 25 février, dans la ville de Saint-Pierre. La moitié des Réunionnais vit au-dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint 30% de la population active, soit le plus élevé de France. Le PIB par habitant est de 18 250 euros, contre 30 401 euros en

IMPÔTS BREF

RÉUNION

4 EUROSC’est le prix d’un ticket de métro tel que l’évalue Nathalie Kosciusko-Morizet, au lieu de 1,70 euros (en moyenne). Au micro d’Europe 1, NKM répondait à la question d’un auditeur lui demandant: «Vous, la porte-parole du candidat du peuple, pouvez-vous dire quel est le prix d’un ticket de métro?» Après avoir hésité, elle a répondu «quatre euros et quelque», avant de s’expliquer sur son erreur. «Quand on est ministre, on prend peu le métro, je le reconnais. Et quand on le prend, on a le métro gratuit […]. Donc mea culpa, mais ça fait bien longtemps que je n’ai pas acheté un ticket de métro».

Orange voit rougeOrange a perdu environ 201 000 abonnés depuis l’entrée sur le marché du quatrième opérateur de téléphonie mobile, Free. Soit environ 0,7% de sa clientèle, selon le groupe. Le chiffre d’affaires d’Orange est en baisse de 1,6%, ce qui représente 45,2 milliards d’euros pour l’année 2011.

Hausse des exportations d’armes Les exportations françaises dans le secteur de l’armement ont atteint, en 2011, environ 6,5 milliards d’euros. Une hausse de 24% par rapport à 2010, selon les chiffres dévoilés par le ministère de la Défense. La France se maintient au quatrième rang mondial, derrière les États-Unis, le Royaume Uni et la Russie. Les ventes vers l’extérieur avaient baissé en 2010, atteignant 5,12 milliards d’euros, contre 8,16 milliards en 2009.

Lepratique.fr

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chose que l’on aime. C’est plus facile pour moi de vendre cette ville, de la faire connaître avec un côté sublime. Après, ça reste évidemment une fiction, puisque c’est du roman. C’est assez sombre.

Dans le livre, on retrouve des coupures de presse de fait di-vers. Pourquoi?J’insiste bien sur le fait que c’est une fiction. Mais c’est marrant aussi de jouer avec les gens… J’ai cherché des coupures qui correspondaient à mes histoires. C’est pour montrer que certes on est dans une fiction, mais que la réalité dépasse la fiction. Cela permet de montrer que je me suis documenté et que cet uni-vers, je le connais. Je n’ai jamais été détenu, mais je travaille vrai-ment mon sujet, je ne vais pas balancer des trucs au hasard.

Ce premier roman, vous l’avez défendu d’une manière assez particulière.Exactement, comme un album de rap. J’ai fait de l’affichage sauvage moi même. J’ai distri-bué des flyers. J’ai tourné avec un van qui était habillé complè-tement aux couleurs du roman. Les médias ont joué le jeu. Ça va de 20 minutes, à France Info, en passant par les médias spé comme Génération. C’était un rêve de gamin de défendre mon livre dans la rue.

Vous avez également filmé cer-tains passages du livre, créé un blog…Oui, l’idée était de comment faire vivre un livre. A la base, je n’aime pas la lecture. Je lis pour m’informer mais j’ai du mal à entrer dans des histoires. Un livre en France, c’est un objet sacré. La littérature, on pense que ce n’est pas accessible, donc finalement je me suis dit que la sortir de la sacralisation serait quelque chose d’intéressant.

J’ai eu l’idée d’un blog avec une histoire qui était une espèce de spin-off comme on fait dans une série. Il y a eu les scènes vidéo, sur lesquelles ont travaillé des jeunes de Saint-Denis. Le fait d’utiliser les codes rap, ça a touché des gens qui ne lisent pas. Le premier public que je voulais toucher était un public qui n’aime pas la lecture comme moi.

Vous n’aviez pas peur de ré-duire votre public?Non. Je ne me suis pas posé de question. On a essayé de me réduire à «la cité», mais les gens voient l’énergie, la réactivité, la capacité à m’exprimer et rebon-dir, et font preuve d’une certaine intelligence. J’ai été sollicité par des conseillers de Marine Le Pen, l’UMP, je n’ai jamais dit oui. A un moment, Canal a fait un truc, qui était pas mal, ils ont parlé du Printemps arabe. J’ai beau lire tout ce qui se passe ici, pour moi, tant que je ne suis pas là-bas je ne pourrais pas m’ex-primer sur ce sujet-là. Je ne vais pas non plus dire «oui c’est la révolution les gens crèvent de faim etc.», j’ai expliqué que je préférais balayer devant ma porte avant de m’exprimer sur un sujet que je ne connaissais pas. Je cadre.

Votre second roman, Des Chiffres et des Litres, arrive début mars. Oui. Le sujet porte sur un jeune, qui est brillant, passionné de hip-hop et qui veut devenir journaliste. Il a 17 ans et a eu son bac. Il fait une prépa et à ce moment là, il va passer de l’autre côté à cause de son entourage. Il a un caïd pour modèle qui le prend sous son aile. La question qu’on peut se poser c’est:«oui mais s’il était né ailleurs ?» Dans un autre contexte, ça serait peut être l’un des meilleurs journa-listes français, parce qu’il est

passionné, il a des convictions, mais là il est né dans un endroit pourri, pour en sortir c’est super compliqué. Ça se passe toujours à Saint-Denis mais en 1998. Je trouvais ça intéressant de traiter la même ville, le même lieu, avec des personnages de la même génération. C’est assez tragique, il est beaucoup plus dur que le premier. On retrouve des personnages du premier, mais dix ans avant, des person-nages comme Stéphane, le flic ripoux, ou la famille Benssama qui contrôle Saint-Denis.

Qu’est ce que vous avez prévu pour la promo de ce livre?Distribution de flyers, affichage, bombe à la craie qui part au bout de 5 à 15 jours. En plus de ça, on va encore tourner avec un van aux couleurs du livre. Du 12 mars au 1er avril, je suis en tournée dans toute la France, je fais une ville par jour. Je vais dans différents amphithéâtres présenter le livre, je parle de mon parcours d’auteur, de plusieurs thématiques. Par exemple avec des jeunes, on va aborder le thème de l’exemple. Essayer de comprendre pour-quoi on a des modèles qui sont des footballeurs, des rappeurs, alors que parmi nos proches certains peuvent jouer ce rôle. Je suis également invité à un festival à La Réunion. Le rappeur Mac Tyre va faire un morceau autour du livre. On fait un court métrage, filmé par Pierre La-can qui a fait Légitime Défense avec Jean-Paul Rouve, que je vais projeter dans la rue. On a aussi un projet de film, adapté du premier roman.

Vos livres ont des titres parti-culiers…Oui ! Ce qui m’a permis de me construire, c’est la culture hip-hop. Grand Wizard Theodor, c’est celui qui, adolescent, sa mère l’appelle alors qu’il était

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MÉDIAS

20 octobre 1973 Naissance à Saint-OuenJanvier 2003, lancement de la revue 5Styles20 octobre 2005 Prix Espoirs de L'économie avec la Chambre de Commerce de Paris15 juillet 2010 71ème et dernière parution de 5Styles21 janvier 2011 Sortie Les Anges S'habillent En Caillera10 décembre 2011 Prix Le Parisien, aujourd'hui En France "Réussite et accompagnement Éducatif" La nuit des Trophées1er mars 2012 date de parution Des Chiffres Et Des Litres

EN DATES

21 Nina et Mimi

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ACTION-RÉACTION

SOCIÉTÉ

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LES ÉMEUTIERS DE LA RÉUNION SÉVÈREMENT PUNIS

Six jeunes, arrêtés lors des récents troubles qui ont secoué l’île de La Réunion, ont été condamnés lundi 27 février par le tribunal correctionnel de Saint-Denis. Certains ont écopé de huit mois de prison avec sursis, pour d’autres, deux ans ferme. La peine la plus lourde a été prononcée à l’encontre d’un jeune homme de 21 ans, habitant le quartier populaire du Chaudron à Saint-Denis, pour avoir tenté de cambrioler un magasin de matériel informatique. Après une course poursuite, il avait été retrouvé dans l’escalier d’un immeuble. Un autre jeune, de 18 ans, arrêté dans un attroupement à Champ-Fleuri en possession d’un vélo volé d’une valeur de 2500 euros, a été condamné pour recel à deux ans de prison dont un an ferme. Il affirme avoir acheté le vélo 300 euros à un inconnu. Un docker de 24 ans, arrêté dans la ville du Port lors des troubles et poursuivi pour avoir frappé un policier au commissariat, a expliqué qu’il n’avait fait que répondre à un coup porté par l’agent. Il a été condamné à six mois avec sursis. Les jugements portent à plus d’une vingtaine le nombre d’émeutiers condamnés par les tribunaux correctionnels de Saint-Denis et de Saint-Pierre depuis le 23 février. Lundi dernier, le président de la République a déclaré que «la justice comme la police et la gendarmerie avaient fait leur travail en prononçant des peines très sévères, qui ont contribué d’ailleurs à ramener le calme». Au total, ce sont 233 personnes qui ont été arrêtées lors des violentes manifestations contre la vie chère et 159 ont été placées en garde à vue, selon le dernier bilan de la préfecture. Emmanuelle Grimaud

SOUS SURVEILLANCE

BRACELETS ÉLECTRONIQUES POUR LES CONJOINTS VIOLENTS

Un décret du ministère de la Justice vient de paraître au Journal officiel autorisant, à compter du 5 mars, l’utilisation à titre expérimental de bracelets électroniques visant à maintenir à distance les conjoints violents. Le système permet de localiser les positions et les itinéraires récents de la personne protégée et de celle placée sous surveillance électronique. Concrètement, le conjoint sera muni d’un bracelet électronique contrôlé par GPS tandis que la victime sera dotée d’un boîtier qui sonnera en cas d’approche de l’agresseur. Le texte précise que la distance de sécurité doit être comprise entre deux et 20 kilomètres. Si la personne placée sous surveillance

électronique mobile s’approche à moins d’une certaine distance de celle qui est protégée, le système alerte de l’administration pénitentiaire se déclenche automatiquement et des mesures de protection sont prises. «Une distance plus courte, qui ne peut-être inférieure à un kilomètre, est fixée pour le déclenchement d’une seconde alerte», détaille le décret. Le texte «vient compléter l’ordonnance qui va permettre aux juridictions pilotes de mettre en œuvre le nouveau dispositif», précise-t-on à la Chancellerie. La loi du 9 juillet 2010, sur les violences faites aux femmes, prévoyait une expérimentation des bracelets électroniques jusqu’au 9 juillet 2013. Un arrêté publié, en décembre 2011, avait choisi les tribunaux de Strasbourg, Aix-en-Provence et Amiens pour le test. E.G

INTERNETAnonymous: coupure mondiale d’Internet le 31 mars 2012?Des internautes, se revendiquant du mouvement Anonymous, ont annoncé vouloir attaquer les 13 serveurs racines d’Internet et provoquer une coupure mondiale le 31 mars. Le Blackout proteste contre le projet de loi américain SOPA sur la protection des droits d’auteurs et contre le piratage. Les Anonymous, interrogés par «Le Parisien», expliquent que «cette opération n’a aucune crédibilité (…). On a nullement l’intention de rendre indisponible un outil que nous utilisons au quotidien et que nous défendons fermement.» Une attaque de ce type a déjà été tentée en 2002 puis en 2007, sans succès.

JUSTICEAffaire Ajimi: sept policiers de la BAC de Grasse démissionnent Après les condamnations à des peines de prison de deux ans avec sursis à l'encontre de deux de leurs collègues pour homicide involontaire dans l’affaire Hakim Ajimi, sept policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) de Grasse, dans les Alpes-Maritimes, ont présenté lundi 27 février, leur démission. Un «geste symbolique fort, signe d’un soutien entier et franc à nos collègues Jean-Michel Moinier et Walter Lebeaupin», a expliqué Laurent Martin de Frémont, délégué départemental adjoint du syndicat Unité SGP-Police.

Emmanuelle Grimaud

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PERMIEN PARKUNE FORÊT SURGIT DU PASSÉ

Une équipe de scientifiques sino-américaine a découvert une véritable forêt de 300 millions d’années en parfait état de conservation, dans la province de Wuda, en Chine. Dans une mine de charbon, les scientifiques ont pu extraire sur 1000 mètres carrés des fossiles de plantes datant de l’ère Permien, soit bien avant l’apparition des dinosaures. A la suite d’une explosion volcanique, une couche de cendre était venue se déposer sur cette petite forêt, la figeant dans le temps, exactement de la même façon que le Vésuve avait figé Pompéi. «Nous pouvons trouver une branche avec ses feuilles encore attachées, et puis nous trouvons la branche suivante, et la suivante, et la suivante. Et enfin, nous trouvons la souche de l’arbre, c’est réellement excitant», explique Hermann Pfefferkorn, membre de l’équipe. Cet instantané d’une forêt de l’ère Permien permet de mieux s’imaginer à quoi pouvait ressembler notre planète, il y a quelques centaines de millions d’années. Les scientifiques ont pu déterminer que le site de Wuda était une île marécageuse au large de la Pangée, le supercontinent de l’époque. Principalement composée de fougères arborescentes de dix mètres de hauts, la forêt est parsemée d’arbres de 25 mètres de haut et de petits conifères. Ce n’est pas la première fois qu’un site ancien préservé est découvert, mais aucun n’a été si bien conservé que celui de Wuda, qui est, de plus, le premier à être découvert en extrême orient. Pierre le Goupil

23

SCIENCES

ARBRES

OUPS !

LA VITESSE SUPRALUMIQUE FINALEMENT PAS (ENCORE) DÉCOUVERTE

Les scientifiques de l’Orga-nisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) étaient tout fiers depuis quelques mois. Avec leur expé-rience Opera, ils avaient réussi à démontrer que certains neu-trinos allaient plus vite que la lumière. Cette découverte scientifique majeure leur avait permis de révolutionner le monde scientifique, de contre-dire Einstein lui-même et de rouler des mécaniques lors des congrès scientifiques. Mais voi-là, les chercheurs du CERN ont crié victoire un peu trop vite et devront dorénavant faire le dos rond. Les résultats qui ont fait trembler le monde scientifique de l’expérience Opera sont dûs à un câble mal branché. Se-lon les experts, une mauvaise connexion entre un GPS et un ordinateur a conduit à un bug; donnant ces fous résultats. Une conclusion qui aurait pu boule-verser la physique et concevoir une vitesse supralumique, si chère à la série Star Trek. Mais les scientifiques n’ont pas dit leurs derniers mots et comptent bien retenter l’expérience Opera (avec les bons branchements cette fois), dès le mois de mai.

50 ANSC’EST

L’ANNIVERSAIRE QU’A FÊTÉ LA NASA, LE 20

FÉVRIER DERNIER. EN EFFET, EN 1962,

À LA MÊME DATE, L’ASTRONAUTE

JOHN GLENN FÛT LE PREMIER AMÉRICAIN

À RÉALISER UN VOL ORBITAL AUTOUR

DE LA TERRE. UNE ÉTAPE IMPORTANTE

QUI CONDUIRA, SEPT ANS PLUS TARD, À

LA CONQUÊTE DE LA LUNE.

Reconstitution du site de Wuda étudié par les scientifiques.Crédit : Ren Yugao

Page 24: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

24

SPORT

LIGUE DES CHAMPIONS

Cré

dit F

ox

Dire que l’Inter Milan va mal depuis quelques mois relève de l’euphé-misme. Dimanche dernier, les hommes de Claudio Ranieri ont connu une septième défaite en huit rencontres, en s’inclinant sur la pe-louse de Naples (0-1). La défaite de trop? Pour les supporters intéristes, la question ne se pose même plus. Désormais relégué à neuf points de la troisième place qualificative pour la C1, l’Inter n’a plus que ce huitième de finale retour, à domicile, face à l’OM pour se faire pardonner. LE FANTÔME DE MOURINHOC’est bel et bien une crise profonde que traverse l’Inter Milan. Des per-turbations qui s’expliquent avant tout par un manque chronique de stabilité. Après le départ de José Mourinho, à l’été 2010, la crise avait déjà pointé le bout de son nez avec le licenciement de Rafael Benitez, incapable de faire oublier le techni-cien portugais et cela malgré la vic-toire en Coupe du monde des clubs. Leonardo avait alors endossé le cos-tume de sauveur en reprenant les rênes de l’équipe. Stabilité de courte durée puisque, l’ancien entraîneur du Milan AC, a rejoint le PSG, l’été dernier.

Depuis le début de la saison 2011/2012, ni Gian Piero Gaspe-rini, évincé seulement après trois mois de fonctions, ni l’actuel coach, Claudio Ranieri, n’ont pu éviter à l’Inter de sombrer dans ce qui sem-blait être inévitable. Mais au-delà de ces remous incessants, c’est le fan-tôme de José Mourinho qui semble encore hanter le club milanais. Le triplé historique (Championnat, Coupe d’Italie et Ligue des cham-pions), réussi par le "Special One" en 2010, semble lourd à porter pour ce nouveau Milan, orphelin de son entraîneur portugais et de certains cadres partis ailleurs.Le Président, Massimo Moratti, semble plus spectateur d’une situa-tion qui dépasse beaucoup de monde à l’Inter. Samuel Eto’o n’a pas été remplacé depuis son départ en Rus-sie. Les arrivés de Diego Forlan et Mauro Zarate, méconnaissables, ou encore le manque de sérieux d’un Wesley Sneijder, dû à son vrai faux départ à Manchester United, ont précipité les Nerazzurri dans une situation inquiétante autant, sur et en dehors, du terrain. Car au-delà du manque de confiance, c’est ce sentiment de désunion et de rési-gnation qui frappe un club habitué

aux trophées lors des sept dernières années. Les supporters de l’Inter n’ont d’ailleurs pas manqué de le faire savoir avec des banderoles à l’encontre de Massimo Morrati. «Va t’en! Vends le club», ou encore «Où sont Eto’o et Thiago Motta».

LA C1 COMME SEULE ISSUE DE SE-COURS Avec onze défaites en 25 journées, le constat est plus qu’alarmant. L’em-blématique capitaine, Javier Zanetti, a tenu à mettre les choses au point avant le match face à l’OM. «Nous avons parlé entre nous mais aussi avec Claudio Ranieri. Il y a la volonté de changer la tendance de ces résul-tats négatifs. La situation actuelle est indigne et je tiens à m’excuser auprès de tous les supporters». Après la défaite 1-0, au match aller, l’Inter est dos au mur. La pression du public de Giuseppe Meazza et le spectre d’une élimination face à Marseille décuplent l’ambiance dra-matique autour de ce match. Plus qu’une qualification en quart de finale de la C1, c’est à court terme, l’avenir de Claudio Ranieri, mais surtout la crédibilité de Massimo Moratti, décrié comme jamais, qui est en jeu. Hicham Barrouk

L’INTER (MINABLE) SITUATION

L’Inter Milan n’a pas le droit à l’erreur contre l’Olympique de Marseille, le 13 mars pro-chain, lors du match retour des huitièmes de finale de la Ligue des champions (C1). Au fond du gouffre en championnat et dis-tancé dans la course à la qua-lification en C1, les Nerazzurri s’en remettent à ce match pour espérer sauver une saison plus que désastreuse.

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MÉDIAS

Le petit monde de la télévision n’en finit plus de grandir. En effet, six

nouvelles chaînes feront en 2012 leur apparition sur la télévision numé-rique terrestre (TNT) et s’ajouteront aux 19 chaînes déjà existantes. Lancé le 18 octobre 2011, l’appel à candida-tures du Conseil supérieur de l’audio-visuel (CSA) a connu un franc succès avec le dépôt de 34 dossiers. Du 5 au 14 mars, les prétendants seront au-ditionnés par les neuf membres du collège du CSA, nommés par le Par-lement et présidés par Michel Boyon, lui-même, désigné par Jacques Chirac, en janvier 2007, à la tête du conseil. Les auditions commenceront le 5 mars à 9h30 avec le passage de l’Equipe HD et se termineront neuf jours plus tard avec l’examen du dos-sier de Chérie HD. «Chaque représen-tant des chaînes viendra défendre son projet pendant 45 minutes», explique-t-on du côté du service presse du CSA. «Tous les projets sont sérieux et ont une réelle chance d’être sélec-tionnés. Plusieurs critères doivent

toutefois être respectés: une diffu-sion en haute définition et une visi-bilité du programme, sur l’ensemble du territoire, seront requises. On est également attentif à la viabilité éco-nomique du projet et à l’intérêt que les téléspectateurs sont susceptibles de porter aux différents contenus.»

LES GRANDS GROUPES BIEN REPRÉSENTÉSParmi les 34 dossiers déposés, plu-sieurs sont issus des grands groupes historiques. Ainsi, TF1 propose trois nouvelles chaînes que sont HD1, dédiée à la fiction et au cinéma, Sty-lia, qui serait une chaîne féminine consacrée à l’art de vivre, et enfin Tendances 24, une sorte de téléachat en continu. M6 n’est pas non plus en reste avec également trois proposi-tions, Boutique and Co, 6ter et Hexa. Pour la sociologue des médias Paula Capra, les grands groupes essaient de se protéger de la concurrence: «C’est une façon de ne pas perdre trop d’audience et en même temps de

faire des économies sur les coûts de production.» Selon elle, ces nouvelles chaînes vont couvrir des thématiques très spécifiques: «Depuis quelques années, les programmes de la TNT ont tendance à devenir de plus en plus gé-néralistes. C’est le cas, par exemple, de Direct 8 qui ne faisait que du di-vertissement au début et qui, main-tenant, commence à parler de l’info. Les six nouvelles chaînes devraient, je pense, traiter des thématiques moins larges.» Le sport, la musique, la science, l’art de vivre, la nature et les animaux ou encore les arts vivants, les possibilités de programmes sont nombreuses. Reste pour ces chaînes à fidéliser, sur la durée, un public de spécialistes. Pas sûr cependant que tous ces projets indépendants fassent le poids face aux géants que sont TF1, M6 ou encore NRJ. Réponse à la mi-mars avec la désignation des six heu-reux élus que l’on pourra retrouver, dès l’automne prochain, en diffusion gratuite sur la TNT.Fabien Dézé

La TNT attend ses nouvelles chaînes

TÉLÉ

Alors que toutes les régions françaises sont passées à la TNT fin 2011, six nouvelles chaînes vont bientôt faire leur entrée sur le réseau. C’est au Comité supérieur de l’audiovisuel que revient la difficile tâche de choisir les heureux élus.

Astigan

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EN BREF

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INTERNATIONAL

L’Érythrée dans les griffes d’Issaias Afeworki

Petit État de la Corne de l’Afrique, indépendant depuis 1993, l’Érythrée n’offre toujours pas d’espace pour l’autonomie individuelle. Il est une réalité, le peuple fuit massivement le manque de liberté et les exactions commises par le pouvoir.

CORNE DE L’AFRIQUE

EMANNUELLE GRIMAUD

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INTERNATIONAL

L’Érythrée? Non, jamais entendu parler. Le manque

d’émoi au sujet de ce pays de la Corne de l’Afrique est mondial. Étouffée par sa grande sœur, l’Éthiopie, sur le banc des nations, l’ostracisation érythréenne est en réalité voulue. Elle est la volonté d’un homme, Issaias Afeworki, à la tête du pays depuis 1993. Ce bout de terre, grand comme un quart de la France, a vu le jour sur la scène internationale il y a seulement une vingtaine d’années à l’issue d’une lutte armée pour l’indépendance. Un combat que «des maquisards en sandales ont mené contre l’Éth iop ie entre 1961 et 1991», raconte le journaliste Léonard Vincent dans son l ivre «Les Érythréens» . Avec l’indépendance, alors fraîchement acquise, l’espoir y est énorme. Il réside en un programme séduisant: autosuffisance, éducation des masses, collectivisme, tiers-mondisme. Un projet acté par une Constitution ratifiée en 1997. Mais la dite Constitution n’a jamais été appliquée et le

gouvernement de transition est toujours en place. La liberté a vite laissé place au contrôle et à la dictature du parti unique, le Front populaire pour la démocratie et la justice. C’est aujourd’hui l’un des régimes les plus durs au monde et le peuple est à l’agonie. Le pouvoir, sous l’impulsion de l’armée, entretient un contexte de «ni guerre, ni paix», un moyen de maintenir un état de crise dans le pays. Pour la quatrième année consécutive, l’Érythrée figure à la dernière place du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières. Eri-TV, la télévision d’État, est le seul média autorisé. On ne compte plus les disparitions et les arrestations de journalistes. P l u s l a rg e m e n t , s o n t emprisonnés: les migrants illégaux, les trafiquants d’êtres humains, les déserteurs, les personnes en possession de papiers d’identité modifiés, les conscrits qui ne sont pas rentrés à la caserne, les étudiants qui évitent la conscription, les dissidents ou

encore les fidèles d’une Église interdite. Aussi, les autorités ont plusieurs fois été mises en cause pour des violations des droits de l’Homme. Le quotidien de ce pays sans système judiciaire est fait de rafles, appelées «griffa». Le but du gouvernement: trier la population et enrôler de force des recrues en âge de porter l’uniforme. Les soldats et leurs kalachnikovs débarquent à l’improviste et bloquent une rue, un pâté de maison ou tout un quartier au hasard. Ils contrôlent tout le monde sans exception, pas moyen d’y échapper. Les Érythréens qui ne sont pas en règle sont jetés dans les immenses camions de l’armée, direction le «point de regroupement» qui peut être l’arrière-cour d’un bâtiment administratif, un parking, un commissariat... Les plus chanceux seront enfermés à la cité militaire de Sawa. Les autres auront droit aux cellules collectives du camp de Wi’a, dans le désert. Les interrogatoires peuvent alors commencer. Ils sont le théâtre

LA CORNE DE L’AFRIQUE

Entre instabilité et crise humanitaire,

la péninsule de l’Afrique de l’Est qui s’étend

depuis la côte de la mer Rouge à la côte ouest de la mer d’Oman, en

passant par le golfe d’Aden est occupée par quatre États: la

Somalie, Djibouti, l’Éthiopie et l’Érythrée.

Elle est depuis plusieurs décennies confrontée aux pires

sécheresses du monde. Ainsi, dix millions

de personnes sont aujourd’hui menacées

par les changements climatiques et les

problèmes de la faim qui en découlent. Les

pays de la Corne de l’Afrique sont donc un enjeu géostratégique

dans la lutte contre le terrorisme international.

ZOOM SUR

REPÈRES ERYTHRÉEEN CHIFFRES

PIB (MILLIARDS DE DOLLARS): 2,117

ESPÉRANCE DE VIE: 60,56 ANS TAUX DE FÉCONDITÉ: 4,54

TAUX DE MORTALITÉ INFANTILE (SUR 1000 NOUVEAUX NÉS): 60,8

DÉPENSES MILITAIRES (EN POURCENTAGE DU PIB): 20,87%

POURCENTAGE D’UTILISATEURS INTERNET (PAR RAPPORT À LA POPULATION TOTALE): 4,9%

EXPORTATIONS (EN POURCENTAGE DU PIB): 4,53%

IMPORTATIONS (EN POURCENTAGE DU PIB): 20,44%

* SOURCE: BANQUE MONDIALE, INDICATEURS DE DÉVELOPPEMENT DANS LE MONDE©

Ass

oulin

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ASMARA

Page 30: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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INTERNATIONAL

des pires tortures. D a n s c e t t e É r y t h r é e indépendante, issue de la lutte armée, le budget alloué à la défense est démesuré, il représente près de 21% du PIB. «Il y a un besoin de protection de la souveraineté», reconnaît Salama Tekle-Haymanot qui est érythréo-américaine. Ainsi, la dernière année de lycée est consacrée à la Warsay yekealo, «campagne de développement», soit le service militaire d’une durée de 18 mois. Garçons et filles, âgés de 17 ans, sont enrôlés dans l’armée et doivent quitter leur famille sur le champ. Ils travaillent ensuite à perpétuité pour un salaire de misère sur les grands chantiers du président, tout en étant réservistes. La démobilisation n’intervient que la cinquantaine passée. À ce moment, seuls les citoyens, munis d’un passeport ou d’un visa de sortie qu’il est extrêmement difficile d’obtenir peuvent quitter le territoire. Même pour sortir de sa ville de résidence, il faut un permis de circulation validé par son ministère. Les Érythréens de la diaspora, quant à eux, sont frappés d’une taxe «révolutionnaire»; véritable racket qui ponctionne d’office 2% de leur revenu annuel. Le voisin éthiopien est considéré comme la cause de tous les maux de l’Érythrée depuis 60 ans. Il est l’ennemi national. Les relations entre le parti de l’État et l’Éthiopie sont exécrables, à l’image de la frontière érythréo-éthiopienne, qui est truffée de mines antipersonnel. Pour enrayer la fuite de la population, elle est doublée d’un corps de gardes frontières, constitué de plusieurs milliers de soldats qui forment une brigade spéciale appelée Mktital Dobat, commandée par le général «Manjus» , lui-même sous l’autorité directe du Président.

Les patrouilles ont reçu l’ordre «shoot to kill», tirer pour tuer, tous les candidats à l’évasion. Vers le Soudan, dans un no man’s land à perte de vue, les soldats tirent à bout portant en toute impunité. Ceux qui sont arrêtés finissent au milieu du désert dans un conteneur de cargo. Outre le climat insupportable, leur supplice est inhumain. Ils subissent notamment la technique de l’hélicoptère, suspendus au plafond pendant plusieurs heures, pieds et mains liés. Ils sont frappés à coups de câbles métalliques, de bâtons et sont marqués au fer.Comme pour la plupart des régimes totalitaires, l’économie est centralisée. À tel point que les ministères ont un pouvoir très restreint. De même, aucun business privé n’est autorisé à se développer. Dans une logique totalement irrationnelle, l’économie, martelée de plans quinquennaux, tient sur une improvisation grotesque. «Tout ça n’est pas sérieux. On entretient l’illusion d’une machine qui fonct ionne» , ajoute le journaliste Léonard Vincent. «L’impuissance est totale, les diplomates ne savent pas comment gérer le pays. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de grande cause autour

de l’Érythrée» , s’indigne-t-il. Il est une évidence, le silence de l’Occident permet à Afeworki de fournir armes et entraînements aux Shebabs somaliens et de déstabiliser la Corne de l’Afrique. En juillet dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a renforcé les sanctions contre l’Érythrée pour la violation de l’embargo sur les armes à destination de la Somalie, instauré en 1992, au motif que ce type de manœuvres compromet la paix et la sécurité de la région. Les sanctions résident principalement dans le gel des avoirs des personnalités impliquées. Le manque de crédibilité des occidentaux est criant: le plus proche conseiller d’Afeworki voyage librement dans le monde, même s’il figure sur la liste noire du Conseil de sécurité.

ISSAIAS AFEWORKI, CE MAOÏSTE PSYCHÉDÉLIQUEIsolé dans son palais présidentiel de Massawa, le Président n’a pas l’excentricité de celui du Nord-Coréen Kim-Jong Un, ni la corruption de l’Ougandais Amin Dada. L’Érythrée n’est pas anarchique, à l’instar de nombreux pays africains, c’est une caserne militaire où règne une discipline, comme à l’époque

Capture Google Earth de la prison secrète d’Eiraeiro qui abrite principalement des prisonniers politiques. Le complexe pénitentiaire de haute sécurité aurait été construit en 2003, à 15 kilomètres au nord d’Asmara, dans une des zones les plus chaudes et désertique du pays. Les conditions d’incarcération y sont inhumaines: les détenus sont enfermés, menottés nuit et jour et à l’isolement. La prison comprendrait 62 cellules de trois mètres sur trois sans fenêtre. Comme le célèbre journaliste suédo-érythréen Dawit Isaak, beaucoup n’y survivent pas.

LE VOISIN ÉTHIOPIEN EST

CONSIDÉRÉ COMME LA

CAUSE DE TOUS LES MAUX DE

L’ÉRYTHRÉE DEPUIS 60 ANS,

IL EST L’ENNEMI NATIONAL.

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de la guérilla. Issaias n’est autre qu’un gangster alcoolique qui contrôle un système mafieux. Il récupère de l’argent des Shebabs islamistes et de la mafia italienne qui exploite notamment des hôtels sur la mer Rouge. Le dictateur est lié aux Iraniens, aux milliardaires du Golfe, un temps à l’Algérie et à la Chine, qui l’a formé au maoïsme lors de la révolution culturelle. «Il prend sa commission comme n’importe quelle crapule», ironise Léonard Vincent. C’est un ancien «ami» de Kadhafi, bien qu'Afeworki n’ait ni amis ni alliés. Il n’a que des intérêts qu’il trafique au hasard et à la barbe des occidentaux. Son cynisme est légendaire.En véritable tortionnaire, il fait régner la terreur. Pourtant, pour nombre d’Érythréens, il reste le héros national. «On l’a bien vu lorsqu’il a parcouru les Etats-Unis en donnant des séminaires, il a été très bien accueilli», précise Salama. Le «surhomme» a résisté et vaincu l’Éthiopie du négus Hailé Sélassié, lui-même appuyé par les Etats-Unis, puis Mengistu soutenu par les Soviétiques et les Cubains. Obsédé par la survie, il personnalise l’Érythrée en la considérant comme sa chose. En héros mythique, il reste fidèle à trois dogmes: pour lui rien n’est impossible, son projet passe avant toute chose et il peut tenir tête au monde entier. Son ambition nationale, irrationnelle, est souvent qualifiée de psychédélique. Il se transforme en monstre rapidement, dès l’indépendance en réalité. En 1993, quand ses soldats osent manifester pour leurs droits, la répression est féroce. Personne n’est immunisé face à la dérive autoritaire du Président, pas même ses «proches». Le sombre exemple des martyrs du «mardi noir» le montre.

«Le pays a disparu aux yeux du monde une semaine après l’effondrement des tours du World Trade Center», dans «Les Érythréens». Le 18 septembre 2001, profitant de la diversion offerte par les attentats du 11 septembre, Issaias Afeworki lance une immense rafle. Elle vise ses anciens frères d’armes du Front populaire de libération de l’Érythrée. Ils sont journalistes, artistes, intellectuels, polit iciens, militaires et voulaient réformer le système de l’intérieur en créant un groupe de quinze opposants historiques; le fameux G-15. Ils auraient dû renverser le pouvoir mais ils ont été trahis. «En 24 heures, Issaias Afeworki a fait jeter aux oubliettes les réformateurs du parti unique, (…) les contestataires qui cherchaient à sortir le pays de sa léthargie dictatoriale», raconte Léonard Vincent. Les journaux indépendants sont immédiatement fermés. En réponse, un groupe de journalistes a adressé une

lettre ouverte au gouvernement. Résultat, ils ont tous disparu de la circulation. C’est à cette date que le pays est devenu un «bagne à ciel ouvert», un immense camp de travail. Depuis, les arrestations, les disparitions forcées, les assassinats d’opposants à l’étranger se sont multipliés. Mais comment le héros de l’indépendance est-il devenu ce monstre sanguinaire? Beaucoup le surnomment «DIA», Dictator Issaïas Afeworki. Ils sont, en tout cas, peu à croire que sa crise de malaria cérébrale de janvier 1993 soit à l’origine de sa métamorphose. Pour François Vendercam de l’association SOS Faim Belgique, une chose est sûre: «Mentalement ce n’est pas bon de rester au pouvoir aussi longtemps». «Il est temps de traiter Issaias et ses généraux cupides et illettrés pour ce qu’ils sont: une bande de gangsters. Arrêtons de jouer la comédie. Afeworki, c’est le Tony Soprano Érythréen», s’insurge Léonard Vincent.

L’URGENCE HUMANITAIRE Deux Érythréens sur trois souffriraient de la faim. «Il est de notoriété publ ique que l’Érythrée est l’un des pays les plus mal lotis en terme de malnutr i t ion et de déficit alimentaire, bien qu’officiellement le pouvoir déclare se débrouiller seul et ne pas avoir besoin d’aide», explique François Vandercam. Mais les 4x4 blancs bardés du logo bleu ciel des Nations unies ont disparu. Le gouvernement a pour politique de n’accepter aucune aide extérieure. En dirigeant paranoïaque, Afeworki assimile les associations humanitaires à la CIA. Depuis le début de l’année 2011, q u e l q u e s o rg a n i s a t i o n s n o n g o u v e r n e m e n t a le s arrivent encore à travailler

L’OPPOSITION ÉRYTHRÉENNE S’ORGANISEEn marge d’Asmara, l’opposition érythréenne s’est réunie en Éthiopie en novembre dernier. Délégués des partis politiques en exil, dignitaires religieux, réfugiés, journalistes et étudiants se sont penchés sur la Constitution ratifiée il y a 15 ans, mais toujours pas appliquée en Érythrée. La grande question était de savoir s’il fallait la réécrire. L’opposition a tranché et la Constitution de 1997 est maintenue. La rencontre fait suite à la conférence d’Addis-Abeba de juillet 2010 dont le but était de «préparer le terrain pour accélérer un changement de régime en Érythrée».

Isaias Afeworki (2002) Wikimedia Commons

POLITIQUE

Page 32: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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INTERNATIONAL

sur des programmes très spécifiques attachés à la santé, l’assainissement et l’approvisionnement en eau. Parmi celles-ci, SOS Faim Belgique travaille plus dans l’aide structurelle que dans l’urgence: «On est présent d a n s ce t te ré g i o n d e l a Corne de l’Afrique depuis la grande famine de 1984, mais aujourd’hui on est en phase de retrait», précise M. Vandercam. Oxfam a arrêté ses activités le 31 décembre 2011. Les agences

humanitaires des Nations unies ayant été mises à la porte, il devient difficile d’évaluer l’ampleur des conséquences de la crise climatique qui a frappé l’Érythrée en 2011. D’après les images satellites du Système d’alerte contre la famine, un programme financé par l’agence des Etats-Unis pour le développement i n t e r n a t i o n a l ( U S A I D ) , l’absence de précipitations n’a pas épargné l’Érythrée. «Ces absurdités sur la sécheresse

dissimulée en Érythrée sont complètement ridicules», se défendait le ministère érythréen de l’Information dans un communiqué rendu public fin août. De plus, le pays fait face à une hausse importante du prix des denrées alimentaires, de l’ordre de 33% en 2010 selon le Fonds des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Le système économique du pays est redoutablement autarcique. Les importations, aussi minimes soient elles, fournissent la moitié des vivres alimentaires à la population. Le pays est donc particulièrement vulnérable aux fluctuations du prix des vivres de base comme le maïs. Les produits arrivent au compte-goutte, quand l’État dispose de devises pour acheter quelques denrées sur le marché international. Le peuple a faim et ne connaît que l’injera, la galette de céréales. La natalité s’en trouve fortement perturbée. Dans les zones rurales, les femmes souffrent de graves anémies qui engendrent des problèmes de fertilité liés à la malnutrition et au stress. Aussi, les maladies n’épargnent pas l’Érythrée, tout comme dans d’autres pays du continent africain où sévissent le paludisme, la tuberculose, la dysenterie et le Sida.

DES FONDS D’ICI ET D’AILLEURS L’Érythrée est le dixième pays pourvoyeur de réfugiés dans le monde. Sur les deux millions de personnes déplacées présentes en Europe, plus de 300 000 sont Érythréennes. «Un Érythréen sur c inq v i t désormais à l’étranger», précise Léonard Vincent. En Éthiopie, l’ONU en comptabilise environ 50 000, plus du triple, au pied des djebels ou dans les bidonvilles du Soudan. «La plupart des fugitifs fleurissent aux lisières de l’Ér y thrée» , témoigne

L’ÉRYTHRÉE EST LE

DIXIÈME PAYS POURVOYEUR DE RÉFUGIÉS

DANS LE MONDE.

Jeune chamelière érythréenne.Fever_free Flickr Creative Commons

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INTERNATIONAL

Tesfalidet dans le livre «Les Érythréens». Selon les Nations unies, ils seraient entre 1000 et 3000 par mois à traverser illégalement la frontière. Des chiffres qui laissent présager des mauvaises conditions de vie dans le pays. Ainsi, les Érythréens et particulièrement les jeunes, n’hésitent plus à payer un passeur 50 000 nakfas (3000 dollars) pour fuir. Une décision synonyme d’humiliation pour les familles, de malheur, de déracinement, de pauvreté et de culpabilité. Mais ceux que les Nations unies oublient de comptabiliser sont les Érythréens qui meurent sur le chemin de l’exode, abattus froidement par la Mktital Dobat ou emprisonnés. La durée de marche clandestine jusqu’en Éthiopie peut durer de seize heures à deux jours. Arrivé au camp de réfugiés, l’Érythréen attendra deux ans le «ressettlement» (replacement) dans un pays tiers. Le plus souvent au Canada, aux Etats-

Unis, en Suède, en Australie, en Israël et depuis deux ans en Suisse, dont la législation vient de changer. Elle accorde presque automatiquement le statut de réfugié politique aux Érythréens. «Leur nombre souligne une évidence: les Érythréens s’en vont, coûte que coûte… Partir vers l’occident, loin de l’Afrique, loin de l’Érythrée maudite, est leur seul objectif», confi Léonard Vincent. L’aide vient essentiellement de la diaspora qui envoie du liquide vaisselle, du savon, de l’huile; tout ce qui coûte très cher sur le marché. L’Érythrée appartient, depuis 2000, à la Zone de solidarité prioritaire (ZSP) du gouvernement français. Avec l’Union européenne, la Délégation française a développé des systèmes d’irrigation et construit des micro-barrages pour aider les agriculteurs et les éleveurs. Le Fonds d’urgence humanitaire (FUH) a débloqué, fin 2002, une contribution de 300 000 euros pour permettre

au Programme alimentaire mondial de mettre en place une aide pour 2003. Un autre fonds de 500 000 euros a été débloqué en 2005. En 2007 l’UE a offert une enveloppe de 120 millions d’euros sur cinq ans, ce qui a permis la remise en état de l’aéroport de la capitale, la réhabilitation du système d’adduction d’eau potable d’Asmara et un appui au secteur de la pêche. Mais la France a progressivement cessé ses activités en Érythrée, tout comme les Etats-Unis. À court terme, le risque concerne l’Éthiopie, déjà sous la pression des islamistes, avec qui les relations sont exécrables. Le pouvoir éthiopien est exaspéré par le comportement d’Afeworki. Une situation qui représente une menace militaire et humaine pour la région si fragile de la Corne de l’Afrique. Les Ethiopiens risquent de craquer et d’envoyer leurs troupes en Érythrée. Une nouvelle guerre serait un désastre pour le

Marche pour l’indépendance de l’Érythrée à San Francisco, en avril 2011. Steve Rhodes Flickr Creative Commons

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Et si le modèle allemand que tout le monde prend

en exemple n’était qu’un simple écran de fumée? A l’heure où la France peine dans la recherche de son propre idéal, elle se doit d’invoquer la réussite de son voisin d’outre-Rhin pour se donner une perspective à la sortie de crise. Alors que 62% des Français se déclarent favorables à ce que la France s’inspire davantage du modèle économique et social allemand,selon un sondage réalisé par l’Ifop en janvier 2012. Une majorité ne sait pas que ce pays, le plus peuplé d’Europe, est confronté à un très inquiétant

problème démographique.

RABENMUTTERAu sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est passée de 68 à 83 millions d’habitants. Mais depuis la fin du baby-boom dans les années 1970, le pays enregistre plus de décès que de naissances et a divisé son nombre d’accouchements par deux pendant les quatre d e r n i è r e s d é c e n n i e s . Conséquence: le solde naturel de la population n’est jamais redevenu positif. Faible taux de natalité, espérance de vie en hausse et vieillissement de la population, c’est le triptyque

qui inquiète la quatrième p u i s s a n c e é c o n o m i q u e mondiale. Un constat confirmé par France Prioux, chercheuse à l’Institut national des études démographiques (INED), pour qui la politique nataliste est avant tout un problème culturel. «Il y a dans les mœurs allemandes une incompat ib i l i té entre maternité et travail. Les femmes privilégient leur carrière plutôt que leur vie familiale. C’est très mal vu en Allemagne de confier ses enfants à quelqu’un d’autre», explique-t-elle. Les femmes qui travaillent, les Rabenmutter (littéralement «mères corbeaux») sont mal

De quel modèle allemand parle-t-on?Ce serait le paradigme idéal pour sortir de la crise. Mais quand le «miracle allemand» est prétexté par les économistes comme celui dont il faut s’inspirer, les démographes ne sont pas de cet avis…

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EUROPE

154C'EST EN

MILLIARDS L'EXCÉDENT

COMMERCIAL DE

L'ALLEMAGNE EN 2011

NATALITÉ, IMMIGRATION, DISPARITÉS

L'Allemagne va entrer d'ici 2050 dans un état de détresse démogra-phique.GETTYIMAGES

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considérées de l’autre coté du Rhin. Celles qui associent emploi et maternité sont de « m a u v a i s e s m è r e s » car elles poussent leurs enfants hors du cocon familial à un stade précoce. Mesure universelle, le taux de fécondité appelé plus généralement «nombre moyen d’enfants par femme» est en Allemagne un des plus bas du monde avec 1,39. Il est de plus de 2,1 en France.Le poids de l’Histoire n’a toujours pas fui les consciences allemandes. Pour Yann-Sven Rittelmeyer, chercheur au Comité d'études des relations f r a n c o - a l l e m a n d e s (CERFA), ce faible taux trouve sa source dans le rejet de la politique nataliste exacerbée du régime Nazi. «La politique nataliste et eugéniste en Allemagne a longtemps été tabou et c’est pour ça que l’Allemagne n’a pas fait grand chose pour remédier à sa panne démographique. Il fallait

couper par tous les moyens avec le modèle du IIIe Reich et aucune institution é t a t i q u e n e p o u v a i t demander à sa population de faire des enfants» , analyse-t-il. «Puisque la mère de famille au foyer était la travailleuse la plus méritante, faire le contraire était la seule option pour couper avec le passé».

STRUCTURESSi la chancelière allemande Angela Merkel, femme puissante à la tête de son pays n’a pas d’enfants, sa ministre fédérale du Travail et des Affaires sociales, Ursula Gertrud von der Leyen, elle, est mère de sept enfants. En 2007, cette dernière a introduit une mesure sur l’allocation parentale afin de concilier vie professionnelle et vie de famille en créant un «salaire famil ial» qui octroie mensuellement 1800 euros aux parents qui prennent un congé pendant les quatorze premiers mois de l’enfant. Pour un temps,

la vie professionnelle se mue en vie familiale. E n A l le m a g n e , le s structures d’accueil pour les enfants en bas âge ne sont pas adaptées aux besoins. Seulement 10 % des enfants en âge d’aller au “Kindergarten“ y sont inscrits et si l’offre augmente, depuis 2005, avec une loi sur la création de 500.000 places en plus, les parents sont toujours réticents à confier leurs enfants en bas âge. L’école n’y est obligatoire qu’à partir de 6 ans, comme en France.

IMMIGRATION Facteur fondamental, l’Allemagne fait compenser s o n fa i b le ta u x d e natalité par son fort taux d’immigration. Les 5,3 millions de femmes immigrées ayant la nationalité allemande font grimper le taux de fécondité de 0,3 points. Un nouveau-né allemand sur trois est donc issu de l’immigration. «Entre 1985 et 2005, l’immigration moyenne

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EUROPE

REPÈRES ALLEMAGNEEN CHIFFRES POPULATION TOTALE (EN MILLIONS): 81,4

PIB (EN MILLIARDS DE DOLLARS): 2,910 PNB (EN MILLIARDS DE DOLLARS): 3,12

PNB 2008(RANG MONDIAL) 4e/231

SUPERFICIE357 030 KM2 DENSITÉ DE POP.: 230 HAB./KM2

IMPORTATIONS (EN % DU PIB): 24,9 EXPORTATIONS (EN % DU PIB): 18,47 ESPÉRANCE DE VIE : 79,8 ANS

PARITÉ DU POUVOIR D'ACHAT35950 $ (80% DU PNB/HAB.)

SOURCE : WIKIPÉDIA, ATLAS

BERLIN

POPULATION EN 2011 81 700 000 / 65 027 000

ACCROISSEMENT DE LA POP (2008) -0,1% / + 0,5%

PRÉVISIONS DÉMOGRAPHIQUE 2050 68 700 000 / 69 900 000

NAISSANCES POUR 1000 HBTS8,3 / 12,9

DÉCÈS POUR 1000 HBTS 10,3 / 8,6

AGE MÉDIAN POPULATION 43,0 / 39,0

NOMBRE D’ENFANTS PAR FEMMES 1,38 / 2,10

SOLDE MIGRATOIRE +4761 / +67 170

ESPERANCE DE VIE79,8 / 81,0

SOURCE : INSEE, WIKIPÉDIA

PERSPECTIVES

Le Bundestag, parlement allemand, Berlin. GettyImages

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ALLEMAGNE / FRANCE

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EUROPE

était de 274 000 personnes par an», constate le chercheur Yann-Sven Rittelmeyer. «Le chiffre a beaucoup baissé depuis, mais cette partie de la population a pris une part importante dans l’économie allemande. Les populations turques et polonaises constituent la base des travailleurs immigrés. Si un grand nombre est parti lors de la chute de l’Union Soviétique en 1991, certains sont restés et ont pr is la nat ional i té allemande.» L’immigration favorisée et la naturalisation facilitée, le gouvernement fédéral les considèrent comme l'une des priorités de son action. La population allemande est à 19% étrangère ou issue de l’immigration. Selon un rapport de l’Institut f r a n ç a i s d e s re l a t i o n s internationales (IFRI), la France et l’Allemagne devraient connaître d’ici 2050 un basculement

démographique pour atteindre respectivement 70 et 68,5 millions d’habitants, dans les hypothèses les plus optimistes. Charte de la diversité, Plan national d’intégration, sommets annuels avec les représentants de la société civile, tout est fait pour que les personnes issues de l’immigration s’engagent sur la voie de la formation et de l’emploi. Problème, 70% des entreprises allemandes rencontrent des difficultés

pour embaucher du personnel qualifié, selon une enquête réalisée par la Fédération des chambres de commerce et de l’industrie. Informatique, distribution, restauration, les besoins en main d’œuvre touchent tous les secteurs. C’est pourquoi l’Allemagne attend près d’un million de personnes d’ici fin 2012 pour combler la pénurie de travailleurs, essentiellement issus des pays membres de l’Est de l’Union européenne qui ont adhéré en 2004 comme la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie ou encore la Pologne et la Hongrie. Au marché des ouvriers s’ajouteront environ 100 000 immigrants en plus chaque année. «L’Allemagne ne doit pas avoir honte de dépendre de l’ immigration pour se sauver», reprend la chercheuse France Prioux. «Ce pays qui fait bénéficier

comme en France d’avantages sociaux à sa population, attire forcément. Le problème à ceci de grave que certains immigrés sans qualification pèsent sur les caisses chômage, la sécurité sociale et provoquent un fort taux de chômage».

DISPARITÉSPour croître et s’assurer un marché du travail actif, l’Allemagne a besoin de former sa jeunesse. De plus,

la question des retraites, objet de tracas dans plusieurs états européens, n’a pas épargné ce pays. Si la population vieillit, comment financer les retraites sans que le coût du travail n’augmente? L’équation est simple, il faut réduire l’écart entre le nombre de retraités et le nombre d’actifs. Le montant des retraites, souvent évoqué, n’a fait que stagner et l’âge du départ légal à la retraite a été augmenté à 67 ans. Toutefois, les actifs quittent généralement le monde du travail autour de 62 ans. Terre d’asile, l’Allemagne est aussi terre de disparités. L’égalité hommes femmes n’est pas encore tout à fait établie. Alors que 17% des hommes travaillent à temps partiel, ce chiffre monte jusqu’à 52% pour les femmes. Un nombre qui contraste avec le faible taux de fécondité chez les femmes

allemandes dans la mesure où, si elles se consacrent davantage à leur carrière, leurs emplois restent précaires. Le temps partiel, lui, est subi par la population qui n’est pas qualifiée. Le chômage, à 5,5 % est un des cache-misère du «miracle allemand». Si ce taux n’a jamais été aussi bas depuis la réunification, les 2,5 millions de chômeurs ne peuvent prétendre qu’à des «mini-jobs» payés 400 euros par mois sans cotisation,

VÉRITABLE SYMBOLE DE VICTOIRE, DE DÉFAITE, D'UNITÉ OU DE DIVISION, LA PORTE DE BRANDEBOURG PEUT ÊTRE CONSIDÉRÉE COMME L'EMBLÈME DE L'HISTOIRE ALLEMANDE ET DE LA VILLE DE BERLIN

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Politique

ni assurance. Les «grands précaires» feraient monter les chiffres du chômage à près de neuf millions de personnes. Le Contrat à durée indéterminée (CDI) est précarisé par le phénomène de l’ intérim, "Leiharbeit", ou travail prêté. Indice de fragilité du système allemand, le salaire minimum n’existe pas. «Nous voulons un seuil limite en dessous duquel un salaire ne peut pas tomber dans les secteurs où il n'existe pas d'accord entre partenaires sociaux», avait déclaré Angela Merkel, en novembre dernier, lors du congrès de la CDU à Leipzig. La chancelière s’opposera toutefois à un salaire minimum unique à la française, réduisant la négociation des seuils au cas par cas. Autre forme de disparité, les Länder (régions) connaissent des différences de traitement sur plusieurs niveaux. Si les salariés de l’est de l’Allemagne gagnent en moyenne 17% de moins que ceux de l’ouest, c’est un flux migratoire sérieux qui plombe l’économie des régions. Le renforcement à l’échelle régionale en Allemagne est un souci majeur mais les migrations internes de l’est vers le sud-ouest ne font qu’accentuer les disparités. Si les régions se vident de leur population, c’est surtout la fuite de la main d’œuvre qui inquiète et le dynamisme régional n’existe donc plus. Sauf pour les Länder comme la Bavière et le Baden-Wurtenberg qui bénéficient de ce t te t ranshumance a v e c u n e a t t r a c t i v i t é industrielle propulsée par des multinationales telles que BMW, Adidas et les industries aéronautiques. Mais cette équation ne fait pas l’économie des problèmes de l’Allemagne.

Gary Assouline

La Fernsehturm de Berlin, tour de 368m de haut construite en 1969, supporte des émetteurs FM et TV-TNT. DR Flickr

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INTERNATIONAL

Super Tuesday Un combat d’éléphants interminable

PRIMAIRES RÉPUBLICAINES

Les quatre candidats républicains pour les primaires de leur parti attendent avec impa-tience le mardi 6 mars, date du Super Tuesday. Ce jour, onze Etats voteront la personna-lité politique qui sera la plus apte à contrer Barack Obama pour la présidentielle. Hélas, les experts ne voient personne prendre l’avantage à l’issue de cette journée.

Les quatre derniers candidats pour les primaires républicaines avec (de g. à d.) Rick Santorum, Mitt Romney, Newt Gingrich et Ron Paul. THE ASSOCIATED PRESS 38

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Les primaires et caucus du Parti républicain ont

commencé depuis deux mois déjà. Entre le 3 janvier et le 7 février, le bilan est très mitigé: Mitt Romney et Rick Santorum sont à égalité avec quatre Etats remportés chacun, Newt Gingrich n’a gagné que l’élection de la Caroline du Nord et Ron Paul n’a aucune victoire à son actif mais reste tout de même dans la course. Lors de la journée du 6 mars, plus communément appelée le Super Tuesday, onze nouveaux Etats éliront leur candidat parmi les quatre prétendants. Habituellement, ce sont les 24 heures les plus déterminantes de la course à l’investiture pour la convention nationale du parti. «Ce mardi du mois de février, ou de mars selon les élections, a été créé par les Démocrates entre les votes de 1984 et de 1988. Le parti enchainaît les échecs lors des différentes élections présidentielles des années précédentes, dû à un système de primaires organisé de manière très précise et compliquée. Donc, les Démocrates instaurent ce Super Tuesday pour l’élection de 1988 pour réussir à faire désigner un candidat beaucoup

plus centriste voir plus conservateur en faisant voter un grand nombre d’Etats en une journée», explique Vincent Michelot, professeur des Universités à Sciences Po Lyon et spécialiste de la politique américaine. Le principe du Super Tuesday avait donc moins de valeur et d’intérêt pour les Républicains, jusqu’à maintenant. A la suite de l’élection présidentielle de 2008, le parti a effectué des changements dans l’attribution des délégués, lors des primaires.

CHANGEMENT DES RÈGLES DU JEUJusqu’en 2008, le candidat républicain qui gagnait une primaire se retrouvait, automatiquement, avec l’ensemble des délégués de l’Etat remporté. «L’échec de McCain lors de l’élection générale face à Obama venait, selon son parti, du fait qu’il avait gagné trop tôt et trop rapidement les primaires. Donc, il est passé du système "The winner takes all" à un plus proche de celui crée par les Démocrates avec une allocation proportionnelle des délégués pour la convention»,

commente Vincent Michelot. Même si Mitt Romney a gagné les 50 délégués de la Floride, il aurait pu en gagner beaucoup plus avec la règle du «Winner Takes All». Le fait que l’Etat ait perdu la moitié de ses délégués en ne voulant pas s’adapter au niveau du système du parti lui a compliqué la tache, et il a enchaîné les défaites. Il a perdu, lors de la journée du 18 février, le Colorado, le Minnesota et le Missouri en faveur de Rick Santorum, remettant à zéro la très légère avance que Romney avait sur ses opposants. D’autres invraisemblances peuvent aussi être observées pour le Super Tuesday, avec notamment Newt Gingrich qui n’a pas réussi à s’inscrire sur la liste électorale de la Virginie alors que c’est son Etat de résidence. Chaque élection voit une attribution différente des dates de vote pour les Etats. Celle de 2008 s’élevait à 17 Etats alors que celle de cette année n’en voit que 11. «Ce sont majoritairement des Etats républicains (des "red states" comme on dit aux Etats-Unis) qui vont voter le 6 mars: sur les onze états du Super Tuesday, sept ont voté pour

POLITIQUE

LES PRIMAIRES DU PARTI DÉMOCRATELes médias ne parlent que des primaires du Parti républicain aux Etats-Unis et pourtant il en existe pour les Démocrates. «Barack Obama n'est pas encore le candidat officiel du Parti démocrate, il ne le deviendra que lors de la convention démocrate en septembre. Il existe des primaires démocrates cette année, mais dans les faits, aucun candidat sérieux, et en mesure de défier Obama, ne s'est présenté. D'une manière générale, il est difficile de se présenter contre un président sortant qui appartient au même parti que vous,

et les chances d'échouer sont proches de 100%», explique Hamed Jendoubi, membre de l’Association française d’études américaines (AFEA). Le président sortant a obtenu 94% des voix en Iowa et 82% au New Hampshire. Les quelques points manquant à Obama sont des votes des électeurs pour un candidat qui ne s’était pas déclaré officiellement, cette pratique s’intitule le «write-in». Si, pour Hamed Jendoubi, se présenter contre l’actuel locataire de la Maison-Blanche représente «une sorte de suicide politique», Darcy Richardson s’est tout de même présenté

officiellement. Il a même obtenu la qualification pour poser sa candidature, pour l’instant, aux primaires du Missouri, où il a obtenu 1,2% des votes de la Louisiane, de l'Oklahoma et du Texas. «On peut dire que ces primaires prennent un peu le pouls des électeurs démocrates pour l’élection générale, pour voir leur niveau d’enthousiasme et dans quels Etats Obama devra être plus présent lors de sa campagne», ajoute Olivier Richomme, maître de conférences en Civilisation américaine à l’Université de Lyon II- Lumière.G. P

«SI, LORS DE LA CONVENTION

NATIONALE, LES DÉLÉGUÉS

VOTAIENT POUR UN AUTRE CANDIDAT

QUE MITT ROMNEY, LE PARTI IRAIT

DROIT AU SUICIDE POLITIQUE.»

VINCENT MICHELOT,

PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS À

SCIENCES PO LYON

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INTERNATIONAL

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INTERNATIONAL

John McCain lors de l'élection présidentielle de 2008, et dix ont voté majoritairement républicain lors des élections de mi-mandat de 2010. Certains de ces Etats sont même parmi les plus républicains du pays (Alaska, Idaho, Wyoming)», explique Hamed Jendoubi, chercheur en Civilisation américaine à Paris IV Sorbonne.

LA COALITION RÉPUBLICAINE FRAGMENTÉEL’autre nouveauté pour ces primaires qui va avoir de grandes conséquences sur les votes du 6 mars, c’est la segmentation du parti en lui-même. «Depuis les années Reagan, les Républicains étaient soudés avec une coalition conservatrice. Pendant trente ans, elle a été maintenue tant bien que mal. McCain, en 2008, n’a pas réussi à maintenir cette alliance ou même à en créer une autre.

Ainsi, on s’est retrouvé avec un électorat républicain coupé en trois», analyse Olivier Richomme, spécialiste des politiques locales et nationales des Etats-Unis à Lyon II-Lumière. Les Républicains se retrouvent séparés entre les conservateurs sensibles aux questions sociales, ceux plus réceptifs à l’économie et les derniers sur le thème de la politique étrangère. «Mais que ce soit Mitt Romney, Rick Santorum où n’importe qui d’autre, aucun n’arrivera à regrouper ces trois divisions», déclare le maître de conférence à Lyon II. Ce parti divisé rencontre un autre problème: le peu de participation aux primaires. «Peu de gens vont aller voter et quand on a un taux de mobilisation relativement faible, cela profite toujours à la branche la plus activiste du parti. Ces élections anticipées ont tendance à déporter le

candidat républicain vers la droite. En 2008, l’électorat républicain des primaires était à deux tiers des chrétiens fondamentalistes, alors que pour l’élection générale on ne retrouve pas ce ratio», déclare Vincent Michelot. Pour Olivier Richomme, c’est ce type d’électorat qui a permis la montée de Rick Santorum, «qui a un discours très conservateur et des positions très marquées sur le mariage gay et sur la religion».

UN CANDIDAT ÉLU PAR DÉFAUTPour beaucoup d’experts aux Etats-Unis, le Super Tuesday ne sera pas comme les années précédentes et aucun candidat républicain n’arrivera à sortir en véritable vainqueur et à mettre fin aux hostilités. «Le problème majeur avec ces primaires, c’est qu’aucun candidat n’a de charisme et

1144C’EST LE

NOMBRE DE DÉLÉGUÉS QUE

DOIT OBTENIR LE CANDIDAT

POUR REMPORTER

LES PRIMAIRES DU PARTI

RÉPUBLICAIN

LA CONVENTION NATIONALE

DU PARTI RÉPUBLICAIN

SE TIENDRA DANS LA SALLE

OMNISPORTS TAMPA BAY TIMES

FORUM À TAMPA EN FLORIDE DU 27

AU 30 AOÛT. PHOTO:

PHILABUSTER

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INTERNATIONAL

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n’arrive à réunir l’ensemble des Républicains. Aucun des quatre ne se démarque. Si on voit un jour Newt Gingrich remporter une élection et celui d’après Rick Santorum, c’est parce que les Républicains tentent de trouver une alternative à Romney. Ce dernier n’arrive pas à convaincre car il a changé de discours politique d’homme centriste à celui d’homme plus à droite», analyse Olivier Richomme. Le mardi 6 mars pourrait, cependant, voir la position de Rick Santorum se confirmer: «Parmi les Etats du Super Tuesday, il y a une majorité blanche peu éduquée et qui correspond à un électorat premier qui votera massivement pour Santorum», explique le professeur à Sciences Po Lyon.Le candidat à l’investiture du parti lors de la convention du 27 au 30 août à Tampa ne sera trouvé qu’en juin prochain après les dernières primaires. «Mitt Romney sera le candidat républicain, mais il sera élu par défaut, faute au parti d’avoir trouvé mieux. Si lors de la convention nationale, les délégués votaient pour un autre candidat que lui, le parti irait droit au suicide politique», déclare Vincent Michelot. L’éventualité d’une «Brokered convention», où ce serait le parti qui choisirait lui-même un candidat en dehors des prétendants, pourrait se réaliser, alors que le scénario ne s’est pas répété depuis 1954. Si l’élection présidentielle n’est peut-être pas acquise pour l’opposition, l’élection législative serait le nouveau terrain d’action. «L’objectif serait de maintenir leur position à la Chambre des Représentants et de prendre les sièges du Sénat, dont 23, occupés par des Démocrates, seront en lices à la fin de l’année», déclare Olivier

Richomme. La journée du «Super Mardi» sera comme toujours épique, avec selon les directeurs de campagne des candidats, des passages sur plusieurs Etats en moins de 24 heures. Mais au final, les éléphants rouges feront beaucoup de bruit pour un résultat qui ne changera rien à la course pour Tampa. Geoffrey Priol

LA MAISON-BLANCHE N’EST PLUS LE

PRINCIPAL OBJECTIF DES RÉPUBLICAINS,

MAIS EST REMPLACÉ PAR CELUI DU

CAPITOLE. LORS DES ÉLECTIONS

GÉNÉRALES, 24 SIÈGES DÉMOCRATES

DU SÉNAT SERONT REMIS EN QUESTION

ET L’ENSEMBLE DES MEMBRES DE LA

CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS. BARACK

OBAMA POURRAIT SE RETROUVER FACE À

UN CONGRÈS À MAJORITÉ RÉPUBLICAINE

S’IL EST RÉÉLU.PHOTO CHENG CHANG

CAPITAL

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INTERNATIONAL

Primaires républicaines: un parti, trois candidats

MITT ROMNEYA 64 ans, ce natif de Détroit semble être le favori à l’inves-titure républicaine. Considéré comme modéré, il s’est peu à peu droitisé depuis le com-mencement de la campagne. En particulier avec le refus d’appliquer la couverture santé qu’il a lui-même mis en place dans son Etat lorsqu’il était gouverneur du Massa-chussetts. Une expérience de l’exécutif qu’il évite de mettre en avant. Vincent Michelot, di-recteur des relations interna-tionales à Sciences Po Lyon et auteur de deux ouvrages sur les Etats-Unis, explique cette délicate situation: «L’ancienne gouvernance du Massachus-setts pose un problème chez les Républicains. C’est un Etat extrêmement progressiste et Romney ne peut donc pas valoriser son expérience étant donné qu’il a mis en place un plan de santé qui ressemble étrangement à celui d’Obama et autorise le mariage gay là-bas».Cette dualité s’exprime également au niveau économique car Romney est avant tout connu pour sa brillante carrière d’homme d’af-faires. Fonda-teur de Bain Capital, une so-ciété de res-

tructuration d’entreprises (et par extension «d’allègement de personnel»), le politicien est à la tête d’une fortune de plus de 200 millions de dollars. Anne Deysine, profes-seur d’études américaines à l’Université Paris X Nanterre, souligne comment Romney évoque sa carrière: «Il préfère la mettre en avant et prouver qu’il a réussi. Il veut montrer qu’il comprend les problèmes économiques du pays et qu’il va pouvoir redresser l’éco-nomie. Sa propre expérience doit créer les thé-matiques de son programme.»Mitt Romney se place comme un conser-vateur éco-no-

mique, qui aura fort à faire pour rallier les Républicains qui le perçoivent comme un centriste. Son manque de charisme pourrait jouer en sa défaveur. Tom Mc Grath, président de l’association Republicans Abroad, analyse cet enjeu: «Romney doit vite convaincre car il doit absolu-ment gagner le Michigan. Ne pas gagner son Home state est très mal vu lors des élec-tions». Henri Lahera

A quelques jours du Super Tuesday, la tension est à son comble chez les Républicains. C’est la première fois dans l’histoire du parti que trois candidats à l’investiture remportent chacun un scrutin ou plus. Les électeurs devront donc choisir parmi des prétendants aux profils bien différents.

SUPER TUESDAY

AreFlaten

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INTERNATIONAL

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NEWT GINGRINCHNewt Gingrich est un homme à la carrière politique déjà bien rem-plie. C’est le principal artisan de la révolution conservatrice de 1994, au cours de laquelle les Républi-cains ont regagné la majorité au Congrès. A 68 ans, il a fait toute sa carrière à Washington, et se pré-sente aujourd’hui comme un candi-dat qui se dresse contre «l’esta-blishment.» Anne Deysine dénonce d’ail-leurs une cer-taine

hypocrisie dans son discours: «Il définit Mitt Romney comme un “Capitalist Vulture“ (un vautour capitaliste) mais il oublie son passé. Il a fait partie intégrante du système qui a mis en place une finance viciée». Considéré comme un véritable idéologue, cet excellent orateur tente de redéfinir un parti qu’il connaît parfaite-ment: «Gingrinch est un agitateur d’idées. Il a acquis la reconnais-sance du parti en regagnant la majorité au Congrès. Il est doué dans les débats et à l’aise devant les médias. C’est finalement

grâce à ça qu’il a remporté la Caroline du Sud, et qu’il est

encore dans la course».Mais le politicien traîne

également de nombreux déboires comme en

témoignent ses commentaires parfois peu inspirés sur des questions de politique étran-

gère. Lotfi Bennour, expert des institutions américaines, a rencon-tré Newt Gingrinch et analyse ce manque de tact: «Newt Gingrinch est un homme très sûr de lui et cette arrogance peut servir dans les débats. Mais il est souvent moins bon lorsque l’on évoque la politique extérieure. Avoir déclaré que le peuple palestinien n’existait pas prouve son grand manque de diplomatie.» Gingrinch est également connu pour ses aventures extra-conjugales, bien loin des positions conservatrices qu’il prône depuis le début des primaires. «En plus d’un certain manque d’organisation, qui lui a coûté l’inscription aux listes électorales de Virginie, Gingrinch prêche une vie qui n’est pas la sienne. Les Américains auront du mal à oublier ses trois mariages et ses divorces un peu douteux (sa première femme était atteinte d’un cancer lors de la séparation, ndlr.)» H.L

RICK SANTORUMRick Santorum, 53 ans, représente le courant le plus conservateur de ces élections. Ancien séna-teur de Pennsylvanie, ce chrétien traditionaliste, dont personne ne se sou-ciait en début de course, se retrouve désormais au coude à coude avec son rival Mitt Romney. Sa fibre populiste, et ses positions très conservatrices sur les sujets de société (contre l’avortement, la contra-ception, le mariage homo-sexuel) font de lui ce qu’il appelle un «authentique candidat républicain». Pour Vincent Michelot, «Santorum donne l’image de quelqu’un de vrai, qui a toujours assumé ses posi-tions. Ce n’est pas un “flip floper“ (une girouette) comme peut le paraître

Romney. Sa campagne de terrain, proche des gens, lui a permis de profiter du "Momentum“, de gagner l’Iowa et de devenir une véritable alternative à Romney.» Cette ascension est le parfait exemple des différentes dissensions à l’intérieur du parti. «Santo-rum monte dans les son-dages car beaucoup de Ré-publicains ne veulent pas de Romney, plus centriste. En plein cœur de la crise économique, ces électeurs se sentent trahis par son héritage washingtonien et ses millions de dollars», explique Lofti Bennour. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des primaires républicaines se déroulent ainsi. Hamed Jendoubi, professeur de civilisation américaine à la Sorbonne, se rappelle de

la primaire de 1964, considérée comme l’une des plus impor-tantes de leur his-toire: «Les militants républicains devaient alors choisir entre un conservateur pur jus, Barry Goldwater, et un républicain centriste, Nelson Rockefeller. On retrouve aujourd'hui cette division entre la droite catholique représentée par Rick Santorum, et la droite entrepreneu-riale qui a fait de Mitt Romney son champion.» Salah Oueslati, maître de conférences à l’Université de Poitiers et spécialiste des institutions améri-caines, modère l’enthou-siasme de ces partisans: «Le rôle de la religion et

l’intransigeance de San-torum sur ces questions sont trop forts. On ne peut pas le recentrer. Le choisir serait favorable aux Démo-crates, qui pourraient plus facilement l’attaquer, qu’un candidat mainstream».H.L

Gage Skidmore

Gage Skidm

ore

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44 45

INTERNATIONAL

Il aura fallu une nouvelle plainte, déposée par

l’Argentine aux Nations Unies, pour se rappeler que l’épineux dossier des Malouines n'était pas clos. Postée le 10 février dernier, elle dénonce la militarisation par Londres de l’Atlantique sud et relance le débat. Les Malouines sont

sous contrôle du Royaume-Uni depuis 1833, lorsqu'une canonnière britannique en a chassé les autorités argentines. L'archipel est l'enjeu d'une guerre de mots entre les deux pays à l'approche des trente ans du conflit anglo-argentin.Un conflit que le célèbre

écrivain argentin Jorge Luis Borges avait défini comme «deux chauves se battant pour un peigne». Mais ce territoire, peuplé d’un peu plus de 3000 habitants, semble cristalliser à la fois enjeux stratégiques et orgueil national.

UN PASSÉ MOUVEMENTÉDécouvertes par le navigateur anglais John Davis en 1592, c’est pourtant la France qui est la première nation à revendiquer la propriété des îles Malouines, à partir du XVIIIème siècle. Louis Antoine de Bougainville les visite en 1764, et leur donne le nom d'«îles Malouines», d'après les marins et pêcheurs de Saint-Malo, qui seront les premiers colons permanents connus de ces atolls. Elles seront, par la suite, récupérées par le royaume d’Espagne (qui les nommera «Islas Malvinas» d’après le nom français). Ce dernier les cédera ensuite à la Grande Bretagne. Une souveraineté perdue par ailleurs, l’archipel ayant été laissé inoccupé.Alors qu’elle obtient son indépendance de l’Espagne en 1810, l’Argentine occupe les îles en 1820 avec une colonie pénitentiaire qui fut rapidement abandonnée. En 1833, le Royaume-Uni y établit

Guerre des Malouines: l’anniversaire du désaccord Trente ans après le début de la guerre des Malouines, les relations entre Britanniques et Argentins ne sont toujours pas apaisées. Alors que le conflit reste gravé dans la mémoire des deux nations, son histoire est assez peu connue du grand public. Etat des lieux par Folio.

904

C'EST LE NOMBRE

OFFICIEL DE MORTS LORS DE LA GUERRE DES

MALOUINES

HISTOIRE

Affiche dénoncant l'occupation anglaise aux Malouines. Flickr

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EN BREF

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un comptoir, mais l'Argentine maintient sa revendication territoriale. Comme on peut le constater, ce chassé croisé entre les nations fera des îles Malouines un terrain fertile en conflits, étant donné la légitimité recevable de chacun des belligérants.Comme avec de nombreux autres désaccords territoriaux, le XXème siècle va être l’accélérateur du conflit. L’Argentine devient une dictature militaire en mars 1976, après le coup d’Etat mené par Jorge Rafael Videla, qui permit de destituer Isabel Perron. Menant un véritable terrorisme d’Etat, Videla cède la présidence de la junte à Roberto Viola à la suite de tensions au sein de la direction militaire, insatisfaite de l'incapacité de ce dernier à stabiliser la situation économique, et à la suite d'agitation civile qui régnait. Viola, sans arrêter les répressions, n’arrive pas à restaurer la situation et l’économie plonge.

GUERRE ÉCLAIRAfin de redorer son blason, la junte joue sur la fibre patriotique en essayant d’établir un projet d’Antilles Antarctiques, et par ce biais, tente de récupérer les Malouines. Le 2 avril 1982, un destroyer argentin est envoyé au large des côtes et débarque plus d’une vingtaine d’engins d’assaut dirigés par des commandos. Après la reddition des quelques soldats britanniques dans les jours qui suivent, l’Argentine annonce «qu'elle récupère légitimement un territoire confisqué naguère par une puissance étrangère à l'hémisphère américain». Les photos prises des soldats désarmés et la liesse des Argentins de Buenos Aires font

réagir l’opinion britannique. Une fois l’étonnement passé, Margaret Thatcher décide d’envoyer des troupes pour récupérer l’île. Les Argentins, qui n’étaient pas sans défense, sont rapidement mis en déroute (en particulier avec la destruction du destroyer Belgrano qui représente, avec ses 300 morts, la moitié des pertes argentines). Benjamin Sutherland, journaliste à "The Economist" sur les questions de défense, nous donne quelques précisions: «Les Argentins, à qui la France avait vendu les très efficaces missiles Exocet, ont bien résisté les premiers jours. Cependant, on peut être sûr que Madame Thatcher a sérieusement discuté avec le président François Mitterrand, afin que lui soit livrés les plans desdits missiles, et ainsi un moyen de les détourner.» Le Conseil de sécurité des Nations unies, à qui l’Argentine avait fait appel, se range du côté de Londres. Et si le gouvernement Reagan annonce tout naturellement son soutien à Thatcher (qui n’en a finalement pas besoin), l'Union soviétique et la Chine populaire ne daignent pas, en revanche, s’impliquer dans le conflit. Seul Israël aurait fourni du matériel, le Premier ministre Begin étant

profondément anti-anglais. Buenos Aires, qui attendait beaucoup du bloc soviétique, n’a plus qu’à se rendre à l’évidence. Jacques Soppelsa, agrégé de géographie et professeur de géopolitique tire les conclusions de cette déception: «L'héritage britannique, les liens historiques entre Londres et ses anciennes colonies d'Amérique, les liens culturels communs entre les deux nations anglo-saxonnes et protestantes, se sont affirmés autrement plus solides, que ceux que les Etats-Unis avaient pris l'initiative de nouer avec leurs partenaires latino-américains, en 1948, à Bogota». Il souligne d’ailleurs avec ironie l’attitude du bloc de l’Est: «Selon que vous soyez puissant ou misérable, Moscou et Pékin ont tous deux estimé que le statu quo établi avec les puissances impérialistes du Bloc Occidental ne méritait pas d'être remis en cause pour une poignée de latinos. Même s'il était difficile de ne pas voir que les Malouines, campées sur la route du Cap Horn, étaient loin d'être dépourvues d'un intérêt stratégique appréciable pour la Marine militaire et commerciale». Cette guerre de 72 jours causa la mort de 255 Britanniques et de

Des soldats argentins posants devant un drapeau anglais. RadioLandia 2000

INTERNATIONAL

«LES MALOUINES NE SONT PAS SEULEMENT UNE AFFAIRE ARGENTINE, C'EST UNE AFFAIRE QUI CONCERNE LE MONDE ENTIER» Cristina Fernandez de Kirchner, présidente de l'Argentine

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INTERNATIONAL

et britanniques dépasse aujourd’hui le nombre de morts au combat. Cette guerre a permis de mieux se pencher sur les troubles post-traumatiques; un intérêt qui ne débute réellement qu’après la fin de la guerre du Vietnam.

ATTACHEMENTDepuis la fin de la guerre, l'Argentine continue à réclamer la souveraineté des îles Malouines. Elle réaffirme ses revendications le 3 janvier de chaque année, date anniversaire du débarquement des troupes britanniques de 1833. Mais comment expliquer un tel engouement? Benjamin Sutherland y voit surtout une question d’orgueil: «Ce conflit est basé sur un sentiment de prestige national. La couronne a toujours voulu protéger ses comptoirs dans le monde. Si les Argentins continuent

de revendiquer ces îles, c’est parce qu’ils ne veulent pas clore le débat. Si on arrête de prétendre à un Etat, on finit par perdre la bataille de manière légitime. Historiquement, cela voudrait dire que le Mexique pourrait encore vouloir la restitution du sud des Etats-Unis. Il faut maintenir une tension constante pour exister».

Cet attachement s’est accru avec la découverte de ressources nouvelles: «L’intérêt stratégique s’est renforcé, depuis quelques années, au plan géoéconomique, par la découverte de belles nappes de pétrole dans la zone», précise Jacques Soppelsa.Perçue comme une nouvelle provocation par les Anglais, les pays de l’union économique du Mercosur (regroupant Brésil, Uruguay, Paraguay et Argentine) ont d’ailleurs récemment

décidé d’interdire aux bateaux portant le drapeau des îles Malouines (qualifié d’illégal) de naviguer dans leurs ports. Derrière ce faux prétexte se joue justement le débat de l’exploitation des ressources. Cristina Fernandez de Kirchner, présidente de l’Etat argentin, y est ainsi allée de son commentaire sur les entreprises britanniques de la région: «Les Malouines ne sont pas seulement une affaire argentine, c'est une affaire qui concerne le monde entier, car les Britanniques y prennent nos ressources halieutiques et pétrolières», a t-elle déclaré. Tous les arguments semblent donc réunis pour alimenter encore longtemps le conflit séculaire entre les deux nations.

Henri Lahera

Les Malouines s’exportent au cinéma

Bien que le conflit soit relativement peu connu du grand public, deux films visibles récemment en salles l’évoquent de manière furtive. «El Chino» et «La Dame de fer», sortis respectivement les 8 et 15 février, ravivent le souvenir du point de vue des deux camps.Ainsi, Phyllida Lloyd filme Meryl Streep dans son impressionnante incarnation de Margaret Thatcher, lors de sa décision d’envoyer des troupes dans l’archipel.

Malgré la brièveté de la scène, un peu moins de dix minutes, la réalisatrice souligne la nature téméraire et redoutable de Thatcher, qui montre ainsi qu’elle est tout à fait encline à tenir tête aux hommes qui l’entourent. Il est d’ailleurs dommage que le long métrage occulte la quasi-totalité de sa carrière par la suite, pour se concentrer seulement sur un portrait de femme.Dans un autre genre, «El Chino», de Sebastiàn Borenzstein, décrit la rencontre insolite de Roberto, un Argentin

célibataire et grincheux, et de Jun, un Chinois mystérieusement débarqué en ville. Un enchevêtrement de situations absurdes va lier une amitié entre les deux hommes. Le génial Roberto Darin, qui joue le taciturne Roberto, évoque ainsi le traumatisme de la guerre des Malouines, à laquelle il a participé. Une manière pour le réalisateur de souligner un conflit douloureux et insensé. Une fable légère et habile, pour un premier long-métrage plutôt réussi.

H.L

La couverture du magazine

américain "Newsweek" le

jour de la riposte britanique en

1982. Flickr

L'INFO EN +

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INTERNATIONALSyphax café tous les jeudis soir

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INTERNATIONAL

Le 4 mars, il y aura un nouveau président à la tête

de la Fédération de Russie, si un candidat est élu dès le premier tour comme le laissent entendre les derniers sondages, donnant Vladimir Poutine vainqueur avec 60% des voix. Si dans la forme cela est incontestable, Dmitri Medvedev ne briguant pas un second mandat, dans le fond, rien ne va changer. Depuis le 31 décembre 1999, jour où Boris Eltsine a démissionné de la tête du Kremlin, Vladimir Poutine

est toujours resté le véritable homme fort de la Russie. Certes, il a dû abandonner la présidence en mai 2008, la Constitution ne l’autorisant pas à se présenter pour un troisième mandat consécutif, mais en tant que chef du gouvernement russe, il est resté le vrai patron. Et risque de le rester encore longtemps tant les opposants au candidat du parti Russie Unie sont rares et peu en mesure de l’inquiéter. Ce ne sont pas les accusations de tricherie lors des

dernières élections législatives de décembre 2011, qui vont changer la donne et l’empêcher de regagner le Kremlin.

ANCIEN ESPION DU KGBAu fil des années, Poutine s’est construit une image d’homme autoritaire et de dirigeant à poigne. Ancien espion du KGB, la politique qu’il mène rompt avec celle de ses prédécesseurs. Oublié le temps de la perestroïka de Mikhaïl Gorbatchev, Poutine veut réaffirmer avec force

Poutine, l’homme de fer de la RussieLe changement dans la continuité, voilà le verdict que risque de rendre l’élection présidentielle russe. Homme fort de la Russie depuis 2000, Vladimir Poutine est quasiment assuré de se retrouver à la tête du Kremlin.

Vladimir poutine devant 130 000 personnes le 22 février à Moscou.Crédit DR

TOUJOURS LÀ

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Boris Nemtsov,

un des leaders

de l'opposition

russe.

Credit Sergey

Ponomarev

DURANT LA DERNIÈRE

DÉCENNIE, UNE VINGTAINE DE

JOURNALISTES RUSSES ONT

ÉTÉ TUÉS DANS DES

CONDITIONS ÉTRANGES.

l’autorité du pouvoir central. «La chute de l’URSS est la plus grande catastrophe géopolitique du siècle», déclare t-il devant le Parlement, en avril 2005. Son objectif est clair, refaire de la Russie une grande puissance mondiale, capable de rivaliser avec les Etats-Unis. Dès le début de son mandat, il engage une lutte contre la corruption des oligarques, l’exemple le plus frappant étant la condamnation à huit ans de prison de l’ancien patron du groupe pétrolier Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski. D ’autres , comme Bor is Berezowski, préfèrent quitter le pays avant d’être jetés en prison. Il met ensuite en place de nombreuses réformes économiques, ce qui a pour conséquence une forte relance de la croissance. Enfin, il fait de la société Gazprom un des plus puissants empires du monde (troisième plus grosse entreprise de la planète en 2007 avec des bénéfices de 17,8 milliards d’euros). La construction de nombreux oléoducs permet à la Russie d’étendre son influence dans toute l’Europe mais aussi en Asie et en Amérique Latine. «Avec Poutine, la Russie est entrée dans une ère de modernisation», explique Jean-Pierre Arrignon, historien chargé de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). «C’est un homme de valeurs qui possède

une forte conscience nationale. Il a contribué au développement du pays et à la stabilisation de la situation en Europe de l’Est. La Russie est redevenue un acteur géopolitique majeur.» Mais pour l’historien, son bilan n’est pas parfait car de nombreuses choses restent à améliorer dans le pays: «Même s’il dit lutter contre la corruption, de nombreux scandales ont éclaté sous sa présidence. La démographie n’est pas assez développée et l’alcoolisme est toujours présent. Il faut également réindustrialiser le pays.»

FORTE RÉPRESSION DE L’OPPOSITIONDerrière son image d’homme du renouveau, Vladimir Poutine cache une face bien plus sombre. Vouant une profonde haine envers le peuple tchétchène, il n’intervient pas dans la guerre civile qui décime la population locale et nomme en 2007 un de ses proches, Ramzan Kadyrov, à la tête de la République. Il exerce également un fort contrôle sur les médias, notamment sur la télévision qu’il utilise comme outil de propagande. Les intellectuels et les journalistes qui osent s’opposer au pouvoir sont dans le viseur du gouvernement et le paient parfois très cher. C’est le cas d’Anna Politkovskaïa. Assassinée à Moscou, le 7 octobre 2006,

après avoir fortement critiqué le pouvoir en place, elle s’apprêtait à publier une enquête sur les tortures infligées à la population tchétchène. D’autres opposants comme Marat Guelman ou Boris Nemtsov ont été violemment agressés ou arrêtés par le service secret russe (FSB). Durant la dernière décennie, une vingtaine de journalistes russes ont été tués dans des conditions étranges. Il y a tout juste trois semaines, la journaliste indépendante française Anne Nivat a été expulsée de Russie peu après avoir rencontré des opposants politiques à Poutine. Elle livre un constat terrifiant sur la situation de la presse en Russie: «Les médias réellement indépendants sont rares et les Russes sont influencés par les chaînes de télévision qui sont les vecteurs du pouvoir en place. Au niveau local, c’est encore plus dur car les médias sont financés par des proches ou des membres du parti Russie Unie. Les journalistes doivent rentrer dans le rang sinon ils sont battus, menacés voire tués.»

UN PRÉSIDENT DE PLUS EN PLUS CONTESTÉMalgré sa forte avance dans les sondages, Vladimir Poutine n’est plus tout à fait l’homme providentiel qu’il était à son arrivée au pouvoir en 2000. Après le règne tant contesté de Boris Elstine, marqué par la corruption et un fort alcoolisme, les Russes avaient besoin d’un président fort, capable de prendre des décisions importantes comme celles prises lors de la seconde guerre de Tchétchénie et de relancer le pays vers les sommets mondiaux. S’il est encore soutenu par une grande partie de la population, les mécontents sont de plus en plus nombreux. «C’est la première fois qu’il y a

590 C’EST EN

MILLIARDS L’ARGENT QUE

POUTINE A PROMIS DE DÉPENSER

POUR RÉARMER LA

RUSSIE.

INTERNATIONAL

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Folio: Comment peut-on décrire son exercice du pouvoir?Jean-Michel Carré: Poutine a mis en place un système autoritaire. Il tient tout en laisse: l’armée, la justice, l’économie... Il place des proches, des membres du FSB, à tous les postes clés. Les deux plus grandes chaînes de télévision sont également détenues par Poutine. Les membres du FSB sont les nouveaux oli-garques, une sorte de nou-velle mafia.

Son bilan est-il positif?Il a permis à la Russie de retrouver son rang au niveau international. Pou-tine a vite compris l’impor-tance de l’énergie et a fait de Gazprom l’une des plus grandes sociétés au monde. Il a enrichi le pays et redon-né une fierté nationale aux habitants. Mais il n’a rien fait sur le plan industriel et la Russie est toujours très en retard technologique-ment. De nombreux talents quittent le pays.

Quel est le sentiment de la population?La classe moyenne n’est pas aveugle, elle a pris conscience de ce qui se passe au Kremlin. Les gens se réveillent dans les villes

car le système est de moins en moins supportable et il y a même eu des manifestations assez virulentes lors de la passation de pouvoir entre Medvedev et Poutine. Par contre dans les campagnes, la propagande est tellement forte que les gens renoncent à s’intéresser à la politique.

Comment vit la population russe?Les habitants vivent très bien à Moscou ou à Saint-Petersbourg. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt car dans le reste du pays, la misère est quasiment partout. Il y a environ 80% de pauvres en Russie.

Y a-t-il une alternative à Vladimir Poutine en Russie?Pour l’instant non, l’opposi-tion n’est pas assez unie. Les différents partis ont du mal à travailler ensemble. Pou-tine détient 70% du temps d’antenne à la télévision, il n’y a pas de liberté de la presse. Il fait peur. Medvedev n’était qu’une marionnette car c’est Poutine qui tirait toutes les ficelles derrière. A moins d’une surprise, je pense qu’on est reparti pour 12 ans de présidence avec lui.

Propos recueillis par Fabien Dézé

Jean-Michel Carré: «Poutine fait peur»

50

Réalisateur du film «Le Système Poutine», Jean-Michel Carré livre un portrait sans concession de l’homme politique russe.

INTERNATIONAL

INTERVIEWune telle vague de contestation en Russie», explique Tatiana Kastouéva-Jean, chercheuse à l’Institut français des relations internationales ( IFRI) et diplômée de l’école normale supérieure d’Ekaterinbourg. «La majorité de la classe moyenne est anti-Poutine. Il y a eu une manifestation en face du Kremlin avec une banderole "Poutine, pars". Il y a également d e s p u b l i c i t é s o ù i l e s t caricaturé. Par contre, il reste populaire dans les campagnes car beaucoup de gens n’ont pas accès à l’information.» La chercheuse est peu optimiste quant à l’évolution du personnage: «Avec lui, on reste loin des idéaux démocratiques. Il n’a pas la même conception de la démocratie que dans les pays occidentaux. Il dénonce la corruption alors qu’il est lui-même corrompu. Mais au fil des années, ses opposants seront de plus en plus nombreux et il va devoir lâcher du lest s’il veut rester au pouvoir jusqu’en 2024.» Pour être réélu, Poutine a axé sa campagne sur trois points principaux. Tout d’abord, il s’est engagé à renouveler les mécanismes de la démocratie russe. Il fait également de la défense nationale une priorité. Enfin, il a promis de dépenser 590 milliards d’euros d’ici dix ans pour réarmer la Russie. «Ce sont les paroles d’un candidat en campagne», dénonce Tatiana Kastouéva-Jean. «Il fait des promesses de financement très importants car il compte beaucoup sur les industries militaires. Mais ça ne sera pas suivi par les actes.» La majorité des Russes préfère fermer les yeux, persuadés de placer l’avenir du pays dans de bonnes mains. Mais pour combien de temps encore?

Fabien Dézé

NÉ EN 1948, JEAN-MICHEL CARRÉ

EST UN RÉALISATEUR, DIRECTEUR DE LA

PHOTOGRAPHIE, PRODUCTEUR DE

CINÉMA ET SCÉNARISTE FRANÇAIS.

CRÉDIT CAPEFRANCE

«POUTINE DÉTIENT 70% DU TEMPS D’ANTENNE À LA TÉLÉVISION, IL N’Y A PAS DE LIBERTÉ DE LA PRESSE.»

LA PHRASE

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SOCIÉTÉ

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Page 52: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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L’après Kyoto: vers un statu quo écologique?

POLITIQUE ENVIRONNEMENTALE

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L’après Kyoto: vers un statu quo écologique?

PAR NAJOUA AZLAG

A l’approche d’un protocole qui arrive à

terme et dont le succès n’aura été qu’en demi-teinte, la communauté

internationale doit se doter de nouvelles

initiatives. Leur but? Catapulter

dans l’économie mondiale l’urgence

environnementale, au lieu de maintenir en vie des

industries mourantes et perpétuer les mauvaises

habitudes d’hier.

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ENVIRONNEMENT

Le changement clima-tique est une réalité et à

mesure que les négociations s’enchaînent, les chances de réduire à temps les rejets de CO2 s’amenuisent. Le pro-tocole de Kyoto, adopté lors de la troisième conférence des Nations unies sur les changements climatiques, le 11 décembre 1997, quan-tifie l’engagement de prin-cipe pris en 1992 par les pays développés de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le refus des États-Unis, annoncé en mars 2001, suivi par l’Australie, et la Chine de ratifier le protocole, semble sonner le glas d’une action concertée à l’échelle internationale, les émissions américaines représentant à elles seules 25% des émis-sions mondiales. Malgré tout, le protocole a pris effet le 16 février 2005, après avoir été ratifié par 141 pays. Il en-gage 38 nations industriali-sées à réduire les émissions

de 5,2% en moyenne d’ici à 2012, par rapport au niveau de 1990, année de réfé-rence. La France, elle aussi, doit se borner, au cours de la période 2008-2012, à sta-biliser ses émissions à leur niveau de 1990. Dix ans après le sommet de Rio, le troi-sième sommet de la Terre à Johannesburg (2002), le som-met de Copenhague (2009), ceux de Cancun (2010) et de Durban (2011), on assiste à une impuissance des Etats à se mettre d’accord sur la ligne à tenir concernant la protection de l’environne-ment et la lutte contre l’effet de serre qui transforme la planète en une «bombe à retardement». Les négocia-tions sur le climat piétinent. Nombreux sont déjà ceux qui craignent ou anticipent l'échec d’un nouvel accord, que celui-ci ne soit pas à la hauteur des enjeux. Et même si la communauté interna-tionale parvient à un accord

sur une politique climatique efficace et ambitieuse, rien ne permet d'affirmer que les engagements pris seront tenus. De fait, l'accord glo-bal qui doit être trouvé pour succéder, à compter de 2013, au protocole de Kyoto, de-vra, pour avoir une efficacité quelconque, être réellement contraignant.

L’ÉCOLOGIE, UN FREIN À LA CROISSANCE?La frénésie de l’écologique-ment correct tombe peu à peu dans une cacophonie po-litique et industrielle. L’idée d’une décroissance écono-mique liée à cela dénature même le mot développement durable et prône l’anti-dé-veloppement. Il ne faut pas, sous couvert de vouloir dé-fendre l’écologie, tourner le dos au progrès scientifique et social. Comme l’avouait Claude Allègre dans une tribune, «si les Etats-Unis n’ont pas ratifié le protocole

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54 55

ENVIRONNEMENT

de Kyoto, ce n’est pas parce que Georges Bush est un cynique, c’est parce que ce protocole est une pénalisa-tion pour l’économie améri-caine estimée à 370 milliards de dollars et un million de chômeurs, comme l’a mon-tré la réunion qui s’est tenue à l’Université de Stanford en 1999 et ce pour gagner 0,5 degré de moins par siècle». Déjà par le passé, des pro-grès ont été réalisés afin de résoudre des problèmes d’ordre écologique. En effet, les énergies renouvelables se sont développées mais dans des conditions économiques, sociétales et environnemen-tales acceptables. Par les temps de crise qui courent, l’économie mondiale se dé-couvre une âme écologique. Mais derrière cette soudaine prise de conscience et de l’ur-gence se profile une stratégie opportuniste des industriels. Le secteur des «Green Tech» ignore la crise. Par exemple, aux Etats-Unis, Barack Oba-ma propose un plan de re-lance «écologisé». La Chine, quant à elle, vote une loi éco-logique qui va révolutionner son modèle de développe-ment. Marc-Antoine Franc, conseiller stratégique et financier de l’environnement et directeur de BeCitizen

déclare que «la croissance verte n’est pas une trans-formation en profondeur des industries, le but premier est de gagner en indépendance énergétique et d’anticiper la création de valeurs éco-nomiques et environnemen-tales pour transformer la société». Ce processus est donc un cercle vertueux, qui tend à créer un «nouveau bu-siness modèle, pour ne plus produire comme on le fait pour aujourd’hui mais pour demain». Celui-ci s’accom-pagne de grands chantiers, qui ont des marchés, des produits plus respectueux de l’environnement. Pour illustrer cela, Yannick Jadot, député européen d’Europe Ecologie-Les-Verts (EELV), donne l’exemple de l’immo-bilier: «Il y a aujourd’hui 400 000 logements à réno-ver pour diviser les dépen-dances énergétiques sur les vingt prochaînes années. Des constructeurs aux promo-teurs, il faut prendre à bras le corps ce problème car on permet non seulement de protéger l’environnement, mais on crée des emplois, des formations qualifiées, pour garantir la performance et réaliser les objectifs à atteindre». Les acteurs ne manquent donc pas pour

réaliser une croissance écologique à proprement parler. Les technologies existent et les hommes ont les compétences né-cessaires à la réalisation de tels projets, seulement les filières vertes sont trop faiblement financées et les lobbies financiers mettent parfois des freins aux développements industriels plus respec-tueux de l’environnement.

LA CROISSANCE VERTE, UN NOUVEL ESSOR ÉCONO-MIQUEDepuis 1970, on assiste à un mouvement qui insiste sur la prise en compte des enjeux écologiques dans la politique. La croissance verte est l’une des priorités financées par le grand emprunt national. L’économie verte se fait de plus en plus présente des voitures électriques au bâti-ment, en passant par la santé et la filière bois. En effet, la croissance verte concerne tous les secteurs, des plus traditionnels aux éco-activi-tés. Il existe réellement une économie verte, qui se traduit par une augmentation de la production des activités éco-nomiques respectueuses de l’environnement. Les inves-tissements réalisés dans la croissance verte visent «des activités qui produisent des biens et services destinés à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les dommages envi-ronnementaux à l’eau, l’air et le sol et les problèmes relatifs aux déchets, aux bruits et aux écosystèmes», selon l’Organisation de coo-pération et de développement économique. Déjà en 2008, le secteur des éco-activités liées à la croissance verte représentait 400 000 emplois en France. Le pays se place

«PLUTÔT QUE D’ÊTRE UN CONCEPT

GÉNÉRALEMENT ACCEPTÉ, LE

DÉVELOPPEMENT DURABLE DOIT

ÊTRE UNE RÉALITÉ PRATIQUE ET

QUOTIDIENNE. INTÉGRER LES

PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX

ET SOCIAUX DANS LES DÉCISIONS ÉCONOMIQUES

EST VITAL POUR RÉUSSIR.»

BAN KI-MOON (SECRÉTAIRE

GÉNÉRAL DE L’ONU), À ADDIS ABEBA

LES EFFETS SUR L’EMPLOI ATTENDU

SELON LES SECTEURS

BÂTIMENT 191 milliards d’euros avec 392 000 emplois

créés d’ici à 2013

TRANSPORT 110 milliards d’euros

et 249 000 emplois créés d’ici à 2018

ENERGIE RENOUVELABLES

110 milliards d’euros et 134 000 emplois

créés d’ici 2020

PRÉVENTION DES RISQUES NATURELS

ET TECHNOLOGIQUES 36 milliards d’euros et

22 000 emplois créés d’ici 2013

ZOOM SUR

australianofc.org

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ENVIRONNEMENT

à la quatrième place sur le marché mondial de l’environ-nement, derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon d’après le ministère du Déve-loppement durable. Valérie Létard, en 2009, alors qu’elle était secrétaire d’Etat au ministère de l’Ecologie, pré-sentait les orientations des métiers liés à la croissance verte. Un plan de mobilisa-tion des filières et des ter-ritoires liés à la croissance verte sera élaboré d’ici à la fin de l’année. L’activité éco-nomique générée par le gre-nelle de l’environnement est une réalité et avoisine les 450 milliards d’euros en France (cf. encadré). Parmi 56 re-commandations, le rapport suggère au gouvernement de développer les emplois verts. Selon Marc-Antoine Franc, «il faut prendre en compte les coûts sociaux et envi-ronnementaux afin d’inciter l’investissement dans le dé-veloppement durable». Les partis politiques l’ont aussi compris, et comme l’explique Frédéric Rauch, de la sec-

tion économique du Parti Communiste Français, «pour faire respecter les défis en-vironnementaux, il faut que les politiques développent l’emploi vert, sortent des marchés financiers actuels, et étendent les coopérations économiques à l’échelle mondiale sur des procédés innovants».

UNE CROISSANCE VERTE VOUÉE À L’ÉCHEC?Il faut cependant rester vigi-lant face à cette nouvelle no-tion de croissance verte. Elle connait en effet de nombreux détracteurs, qui lui reprochent notamment le fait que les investissements réalisés au cours du processus de créa-tion d’un produit, tombent à l’eau car le coût de revient final ne suit pas. L’écologie devient plus technique, un terrain où seuls des spécialistes peuvent s’aventurer. L’urgence éner-gétique a donné naissance à une urgence climatique. De ce fait, si l’on veut un monde plus vert, il faut y apporter des solutions réalisables au

cœur des discussions poli-tiques. Si presque «tous les sommets environnementaux et autres rendez-vous politiques et écologiques sur le débat de la sauvegarde de la planète, se sont terminés en fiasco, c’est en partie à cause de la crise systémique que traversent les Etats, ne souhaitant pas mettre un frein à leur croissance, là où d’autres pays orientaux refusent de payer pour les pol-lueurs occidentaux», d’après le député européen Yannick Jadot. Les actions concrètes manquent encore «pour fédé-rer le monde entier à un mé-canisme écologique qui créera et corrèlera la valeur écono-mique et financière autour d’un même processus: la sauve-garde de la terre», affirme, quant à lui, Marc-Antoine Franc. Aujourd’hui et plus que jamais, l’après Kyoto doit faire naître, dès 2013, de nouveaux moyens restrictifs et respec-tueux de l’environnement, au risque de voir tous les efforts réalisés jusqu’ici s’effondrer vainement.Najoua Azlag

450 C'EST EN MILLIARDS

D’EUROSLA SOMME

INJECTÉE D’ICI À 2020 EN FRANCE DANS LE CADRE

DU GRENELLE DE L’ENVIRONNEMENT.

CETTE SOMME CONSIDÉRABLE INJECTÉE POUR ABOUTIR À UNE

CROISSANCE ÉCONOMIQUE VERTE, DOIT À TERME, AVOIR

DES EFFETS SUR L’EMPLOI.

"JE SUIS DÉSOLÉE. NOUS AURIONS PU STOPPER LE CATASTROPHIQUE CHANGEMENT CLIMATIQUE... NOUS NE L'AVONS PAS FAIT."PUBLICITÉ DE GREENPEACE, COPENHAGUE 2009. DR

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ENVIRONNEMENT

Quel bilan tirer et quel avenir se profile à l’approche de la fin du protocole de Kyoto?Il est vrai que le protocole de Kyoto prendra fin cette année. Aujourd’hui mais depuis longtemps déjà, les connaissances que l’on a sur le climat, les ressources et la biodiversité se sont développées. L’écologie est devenue un sujet plus audible depuis que le monde entier, sauf les plus grands pollueurs évidemment, s’est rendu compte des limites du monde dans lequel nous vivons. Même si le protocole de Kyoto aurait pu aller plus loin, l’engouement soudain pour l’écologie est une bonne chose. Le futur, ou plutôt l’après Kyoto, devra se trouver un nouveau modèle écologique, économique et industriel. Par exemple, il faut trouver une alternative au pétrole et aux énergies fossiles, au nucléaire, etc. Il est plus que nécessaire d’arrêter la politique du chacun pour soi, et d’enfin créer une idéologie qui prône le respect de l’environnement au niveau mondial avec plus de contraintes.

Pourquoi un engouement soudain pour l’écologie?Cet engouement n’est pas soudain pour nous, au

contraire, cela fait longtemps que l’on dénonce la souffrance de notre planète. Nous sommes désormais sept milliards sur une terre aux ressources plus qu’insuffisantes. La crise financière aussi joue un rôle important dans cette prise de conscience. En effet, avant l’écologie était un concept, un mode de vie que l’on associait plus à Nicolas Hulot ou aux écolos purs et durs. Puis être écolo est devenu tendance. Mais surtout, l’écologie était la grande absente des débats et de l’économie. Aujourd’hui, c’est l’inverse. A l’heure où on nous parle de décroissance, de rigueur et de crise, on se rend compte que les économistes s’y mettent aussi. Les crises financières et écologiques – parce que oui, il y a une crise écologique – sont liées, intiment liées. Elles sont issues d’une même logique. Nous avons créés un monde «fictif» que nous avons épuisé. C’est bien de savoir qu’une logique est née, qu’elle concentre de plus en plus d’attention et que le processus de surconsommation des années 80-90 disparaît peu à peu, au profit d’un monde plus vert.

Justement, vous qui parliez de décroissance, quelle

différence y a-t-il avec la croissance verte? Il ne faut pas confondre ces deux termes. La croissance verte, si l’on prend la définition propre, consiste à une augmentation de croissance liée à des investissements écologiquement responsables. Les externalités environnementales ont un impact négatif sur la croissance nationale et mondiale. Ce mode de développement éco-respectueux de l’environnement concerne les éco-activités (assainissement de l’eau, recyclage, valorisation énergétique des déchets, dépollution des sites, énergies renouvelables...). La croissance verte s’oppose en quelque sorte à la décroissance. La crise environnementale ne permet pas la croissance économique au niveau que nous l’avons connue. Il faut désormais prétendre à un changement radical de nos modes de vie. Notre salut viendra de la révolution écologique, j’en suis convaincue, car le développement durable et la croissance verte sont des moyens de relancer l’économie. Toutes

INTERVIEW

Martine Billard: «Notre salut viendra de la révolution écologique»Martine Billard, députée d’Europe Ecologie-Les Verts de la première circonscription de Paris, et co-présidente du Parti de gauche, prône une croissance verte sans tabou ni langue de bois. Pour cette fervente défenseuse de l’environnement, la croissance verte est l’avenir.

MARTINE BILLARD, DÉPUTÉE EUROPE

ECOLOGIE-LES VERTS DE LA PREMIÈRE

CIRCONSCRIPTION DE PARIS, CO-

PRÉSIDENTE DU PARTI DE GAUCHE

Photo: Martinebillard.fr

600 000C’EST EN MOYENNE

LE NOMBRE DE NOUVEAUX

MÉTIERS SUR UNE PÉRIODE DE 12 ANS

(2009-2020), DANS LES SECTEURS

RECONVERTIS À LA CROISSANCE

VERTE.

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ENVIRONNEMENT

les technologies ont un quelque chose de vert. Elles permettent de réaliser des gains de productivité tout en sauvegardant les matières et l’énergie. Aujourd’hui, on est capable de créer tout en consommant moins. Cette vision économique et écologique est un triomphe car non seulement elle créée des emplois, mais elle n’induit pas de changements importants sur les systèmes de production. Avec la croissance verte, on est capable de suivre un modèle économique plus écologique.

Le développement durable est donc un moyen de relancer l’économie?Exactement. L’écologie et le développement durable sont des technologies à part entière, dont il faut s’en servir pour relancer l’économie à l’échelle mondiale. Même si l’on sait que les pollueurs payeurs ne seront jamais de mon avis.

Pourquoi?Pour eux, la croissance verte est un leurre. Il est plus facile pour les Etats-Unis de poursuivre leur économie de marché et leur industrie plutôt que de les cantonner à un protectionnisme environnemental qui les empêcherait de poursuivre leur mainmise stratégique sur le reste du monde. La croissance verte est une excellente opportunité pour les pays développés d’être moins dépendants de nations comme la Chine ou les Etats-Unis. En réalité, ces deux super-puissances ont davantage des craintes stratégiques et financières qu’environnementales. On l’a d’ailleurs vu avec leur refus

de ratifier le protocole de Kyoto. En Europe, il faut suivre l’exemple de l’Allemagne et du Danemark, qui se sont très vite lancés dans les énergies renouvelables et ont anticipé les objectifs ambitieux comme l‘écologiquement correct, les habitats verts, le bio dans les assiettes...

Au niveau politique, que peut-on espérer des candidats à la présidentielle ?On dirait qu’ils se sont rendus compte que l’écologie avait plus d’importance qu’on ne le pense. C’est une préoccupation pour de nombreux Français, de savoir quelle terre ils laissent à leurs enfants et surtout dans quel état. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de discussions autour de la croissance verte. La protection de l’environnement doit trouver un écho au-delà des dogmatismes des partis politiques. La notion de restauration de l’environnement doit être intégrée dans la société capitaliste. Le parti écologiste incarne cette position. Il est contre l’opposition forte entre les marchés financiers et l’économie réelle. La croissance verte doit être intimement liée aux mécanismes financiers pour mettre en œuvre une écologie sur des fonds d’investissements. Il en est de même avec le Front de Gauche qui, dans son programme, souhaite agir sur les problèmes de fond. Il propose la planification «écologique comme moyen de redéfinir nos modes de production, de consommation et d’échange en fonction de l’intérêt général de l’humanité». Il faut mettre l’économie au service de l’écologie et déclencher

une transition écologique pour promouvoir un développement durable, créateur d’emplois et d’égalité sociale.

Malgré toutes les ambitions de la croissance verte, celle-ci reste critiquée, pourquoi?Parce que certaines personnes ne voient pas l’urgence écologique dans laquelle nous nous trouvons et pour eux, associer croissance et verte est juste impensable. Pourtant c’est l’inverse, notre avenir est dans les changements que nous réalisons aujourd’hui. En 200 000 ans d'existence, l'Homme a rompu un équilibre fait de près de quatre milliards d'années d'évolution de la terre. Le prix à payer est lourd, mais il est trop tard pour être pessimiste: il reste à peine dix ans à l'humanité pour inverser la tendance, prendre conscience de son exploitation démesurée des richesses de la terre, et changer son mode de consommation. Il faut arrêter d’être égoïste et voir que oui, la croissance verte est créatrice d’emplois, de valeurs et d’égalité. S’il faut monétiser la valeur environnementale alors faisons-le pour le bien de l’humanité.

Propos recueillis par Najoua Azlag

MARTINE BILLARD, LE 23 FÉVRIER 2012

À L'ASSEMBLÉE NATIONALE.

DR

«EN 200 000 ANS

D'EXISTENCE, L'HOMME A ROMPU UN ÉQUILIBRE

FAIT DE PRÈS DE QUATRE MILLIARDS D'ANNÉES

D'ÉVOLUTION DE LA TERRE.»

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EN BREF

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SOCIÉTÉ

bouillebouille

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SOCIÉTÉ

La guerre d’Algérie se termine en 1962, puisque la France finit par

reconnaître l’indépendance du pays, revendiquée depuis le 1er novembre 1954 par le Front de libération nationale (FLN). Impossible néanmoins d’indiquer une date plus précise. En effet, comme l’explique Guy Pervillé, professeur d'histoire à Toulouse II et spécialiste de la colonisation et de la décolonisation algérienne, «la fin de cette guerre impliquait trois critères généralement confondus, mais qui sont restés distincts: la

fin des hostilités entre le FLN et la France, la reconnaissance d’un Etat algérien par la France et la formation d’un gouvernement algérien capable d’incarner cet Etat».

LA «SOLUTION DU BON SENS»Le 18 mars 1962, les accords d'Evian sont signés entre la France, représentée par le ministre des Affaires algériennes, Louis Joxe, et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) représenté par Belkacem Krim. C’est un tournant décisif dans

la résolution du conflit. Ils prévoient la formation d’un Etat algérien au terme d’une période transitoire de trois à six mois. Pendant ce temps, l'Algérie doit rester gouvernée par le haut commissaire de France, qui coopère avec un exécutif provisoire franco-algérien désigné d’un commun accord. La création d’un nouvel Etat est soumise à un processus démocratique d'autodétermination garantissant les droits de tous les habitants et validé par les deux parties signataires. Enfin, les accords scellent les principes des

Une fausse paix pour une "sale guerre"C'est en 1962 que l'Algérie accède à l'indépendance de la France, après huit ans de guerre. Si Alger considère que les accords d'Evian constituent la date officielle de la fin de la guerre, Paris s’y refuse. Cinquante ans après les faits, retour sur cet événement majeur du conflit.

LE QUOTIDIEN DU "FIGARO" A FAIT SA UNE SUR LE CESSEZ-LE-FEU EN ALGÉRIE LE 19 MARS 1962

HISTOIRE

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60 61

SOCIÉTÉ

C'est dans cet hôtel

que les représentants

de la France et du

FLN se réunirent

en mars 1962 pour

mettre fin à la

guerre d'Algérie.

L'établissement est

désormais composé

de résidences.

Crédits: CC via Flickr by

CpaKmoi

futures relations entre les deux Etats. Le 19 mars à midi, le cessez-le-feu est proclamé. Ces accords se veulent pour le gouvernement français comme la «solution du bon sens» pour sortir de ce qui est resté longtemps « les événements d'Algérie», avant que la dénomination de «guerre d'Algérie» ne s'impose avec les années. Au moment de la signature des accords, la victoire militaire française s'accompagne d ' u n e d é fa i te p o l i t i q u e consommée. A l'intérieur, les Français de métropole souhaitent majoritairement en finir avec la guerre, comme à l'extérieur, où le temps est à la décolonisation, sans même évoquer les pressions soviétiques et américaines. Le général de Gaulle a dû faire face au sens du vent de l'Histoire. S'il donne dans les premiers temps des signes de l'attachement de la France à ses départements d'Algérie, il entame très rapidement après son arrivée au pouvoir en 1958 des négociations secrètes avec les représentants du FLN. Celles de Meaux ou encore des Rousses se solderont par des échecs successifs. En

1961, Evian est déjà choisie pour tenir des négociations, secrètes puis publiques, en raison de sa proximité avec la Suisse, où une partie des représentants du GPRA et du FLN sont réfugiés. Un choix qui fera des victimes collatérales, puisque l’Organisation de l’armée secrète (OAS), fondée en février de la même année et farouchement opposée à toute autre issue que l’Algérie française, assassine le 31 mars 1961 le maire de la ville, Camille Blanc. Les négociations échouent, mais reprennent l’année suivante. Pour Jean-Pierre Peyroulou, historien spécialiste de la colonisation et de la guerre d'Algérie, «trois points expliquent ces échecs. La France veut conserver la base navale de Mers-el-Kébir, s'assurer l 'exploitation du pétrole saharien découvert en 1956, et pouvoir continuer ses essais nucléaires. La possibilité de créer des enclaves françaises à Oran, Alger et Bône, sur les modèles des villes espagnoles de Ceuta et Mellila au Maroc, est rapidement abandonnée devant le refus catégorique des indépendantistes.» Les Algériens cèdent par contre

pour l’exploitation du pétrole qui nécessite l’expertise de la France, et le nucléaire. Les accords de 1962 font par ailleurs l'objet d'une dernière passe d'armes politique, comme l’explique Guy Pervillé: «Pour le gouvernement français, c’était un programme commun proposé par lui-même et par un parti algérien (le FLN) à la rat i f icat ion des deux peuples, qui en ferait une loi fondamentale de l’Etat algérien, lequel n’avait jamais existé, et serait créé par le référendum d’autodétermination. Pour le FLN, c’était un traité entre deux gouvernements, reconnaissant implicitement la légitimité du GPRA.» En effet, le général de Gaulle n’avait pas voulu reconnaître formellement le GPRA comme tel. L'anecdote rapporte que Louis Joxe se contente d'abord de signer le dernier feuillet des accords, avant que Belkacem Krim n'insiste pour que l'ensemble des pages soit paraphé. La France voulait faire passer les accords pour une décision unilatérale, le FLN pour un traité international. Selon Guy Pervillé, c'est une erreur qu'ont commis les deux

1er octobre 1954

Vague d’attentats FLN,

«Toussaint rouge».

7 janvier 1957 Bataille

d’Alger.

1er juin 1958

De Gaulle est investi

des pouvoirs spéciaux.

4 juin 1958

Discours d’Alger. De

Gaulle aux colons: «Je

vous ai compris.»

19 septembre 1958

Formation au Caire

du GPRA de Ferhat

Abbas.

16 septembre 1959

De Gaulle reconnaît le

droit à l’autodétermi-

nation.

22 avril 1961

Echec du «putsch des

généraux» à Alger.

17 novembre 1961

Répression sanglante

d’une manifestation

pro-FLN à Paris.

18 mars 1962

Signature des accords

d’Evian.

3 juillet 1962 Indépen-

dance de l’Algérie.

CHRONOLOGIE

Page 62: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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SOCIÉTÉ

camps: «Paradoxalement, les deux parties avaient agi contre leurs intérêts. En effet, le GPRA avait tenu à prendre des engagements solennels qu’il n’avait pas l’intention de tous respecter, ni toujours, alors que le gouvernement français avai t af fa ibl i les accords en ne reconnaissant pas officiellement son partenaire. Les accords d’Evian étaient donc un fragile échafaudage juridique. Pourtant, le fait est qu’ils avaient bien été négociés et signés bilatéralement». Les accords sont immédiatement appliqués par le gouvernement français. Le 8 avril 1962, ils sont soumis à un référendum en métropole, qui leur assure une ratification éclatante par une très grande majorité des électeurs (64,8% des inscrits et 90,6% des

suffrages exprimés). L’exécutif provisoire franco-algérien présidé par Abderrahmane Farès s'installe à Rocher Noir dès la proclamation officielle des résultats le 13 avril; pendant qu'à Paris, le Premier ministre Michel Debré démissionne le 14 pour être remplacé par Georges Pompidou, «alors considéré comme un simple exécutant de la politique du président Charles de Gaulle», rappelle Guy Pervillé. Le 15 mai, la date du référendum algérien est avancée au 1er juillet, et ses résultats, ratifiant massivement les accords d’Evian (par 91,23% des inscrits et 99,72% des suffrages exprimés), sont proclamés le 3

juillet.

LE CESSEZ-LE-FEU NE MARQUE PAS LA FIN DES COMBATSAu contraire. Les partisans de l'Algérie française, séduits en 1958 par le général de Gaulle qui clamait son attachement à «une France de Dunkerque à Tamanrasset», réalisent que la partie est perdue. L'OAS multiplie alors les représailles contre le FLN, mais également contre l'armée qu’ils considèrent désormais comme «forces ennemies». Elle provoque des affrontements sanglants avec celles-ci notamment lors du bouclage et du ratissage de Bab-el-Oued. Cela aura pour conséquence la fusillade de la rue d’Isly, le 26 mars 1962, quand l’armée ouvre le feu sur la foule pied-noire venue manifester

son soutien aux insurgés de Bab-el-Oued, pour

un bilan d'une soixantaine de victimes civiles. L’OAS tente de « p r o v o q u e r la rupture du cessez-le-feu par le FLN en

chassant les musulmans des quartiers européens par des meurtres en série et en les harcelant dans leurs propres quartiers, afin d’obliger l’armée française à s’interposer et à rompre à son tour le cessez-le-feu», analyse Guy Pervillé. «C'est la politique de la terre brûlée, dans l'espoir de faire capoter les accords», explique J e a n - P i e r re Pey ro u lo u . L’organisation voit ses rangs gonfler très rapidement après mars 1962, et de nombreuses désertions sont constatées parmi les soldats déployés en Algérie. «Nous nous savions trahis par les nôtres, trahis par de Gaulle. Les accords d'Evian signifiaient notre abandon par la

France. Nous n'avions plus rien à perdre», témoigne Antoine (le prénom a été changé), qui a rejoint le maquis à peine âgé de la vingtaine.

Si le FLN fait mine de respecter les accords dans un premier temps, les indépendantistes vont rapidement répondre à la violence et aux provocations de l'OAS. «Il ne faut pas oublier que le FLN n'avait qu'une maîtrise relative de ses hommes» , explique Jean-Pierre Peyroulou, «et les commandos Azzedine notamment, vont reprendre la lutte contre l'OAS». Comment? En liquidant ou en enlevant les soutiens présumés parmi les populations européennes. Les «barbouzes» français vont les aider dans cette entreprise, alors que l'armée est victime des représailles pieds-noires. C'est une des explications au manque de réaction de l'armée face aux violations des accords par le FLN. Pour Jean-Pierre Peyroulou, «le contentieux entre l'Armée et l'OAS devenait très fort. Certains militaires l a i s s e n t e n t e n d re q u ' i l s n'interviendraient pas pour sauver ceux qu'ils affrontent désormais.» Le 5 juillet 1962, plusieurs centaines de pieds-noirs sont tués dans les rues d'Oran. «Une ville pourtant épargnée par les violences dur ant toute la guerre» , rapporte Jean-Pierre Peyroulou. Madame Fourcade, rescapée de cette journée sanglante apporte un témoignage terrible: «Mon mari était juge d'instruction au tribunal d'Oran. Quand la situation a commencé à dégénérer, il a contacté le général Katz, puis le colonel Pérolaz, qui commandait la légion de gendarmerie. Les deux of f ic iers expl iquent qu'ils ont des ordres clairs de ne pas intervenir. On s’est fait

DESACCORDS SUR «L’AVENUE DES ACCORDS»

Le sujet est sensible, comme le révèle l’édi-tion grenobloise du "Dauphiné libéré" du 17 janvier. Le projet de la ville d’Evian de baptiser une rue «avenue des accords d’Evian», provoque la polémique entre le député-maire UMP Marc Fran-cina qui souhaite, «qu’après 50 ans, une rue mentionne ce moment histo-rique» et Jean Plas, vice-prési-dent de l’Union départementale des combattants d’Afrique du Nord (UDC-AFN), qui considère que les accords n’ont «pas mis fin à la guerre» et «qu’ils n’ont pas été respectés par le FLN.»

L'INFO EN +

TRACT DE L’OAS APPELANT À LA LUTTE ARMÉE.

Page 63: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

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SOCIÉTÉ

LA GUERRE EN CHIFFRES

460 000 hommes sont déployés par la France entre 1954 et 1962

28 500 militaires français sont tués

30 000 à 90 000 Harkis tués (150 000 selon les associations d’anciens harkis)

4 000 à 6 000 civils «euro-péens» tués

250 000 à 400 000 Algériens sont tués (1,5 millions selon l’Algérie)

65 000 blessés

REPÈRESmassacrer.» Une intervention rendue impossible par les accords sans constituer une ingérence française, encore plus avec la proclamation de la ratification du 3 juillet, qui parachève le retrait français.

LES TRAHISONS FAITES AUX HARKISLes premières exactions contre les Harkis commencent aussi après les accords. N'étant pas de nationalités française, ils se retrouvent «bloqués» en Algérie. L'armée reçoit l'ordre formel de Pierre Messmer d'abandonner les supplétifs musulmans qui seront victimes de la colère de leurs «frères». Jean-Pierre Peyroulou reste prudent sur les chiffres, et préfère dénoncer un autre crime contre ces défenseurs de l'Algérie française: «On parle de 150 000 Harkis assassinés après le départ des Français. Ces chiffres me semblent exagérés. Par contre, ce qui est certain, c'est que près de 60 000 Harkis ont pu partir en métropole, soit avant les accords, soit du fait d'officiers passant outre les ordres. La suite est le scandale que l'on connait, les camps d'internement où ils furent

parqués et assignés à résidence, jusque dans les années 80, dans des conditions absolument indignes.» Persécutée en Algérie, très mal accueillie en France, la communauté harki a payé un terrible tribut dans cette guerre. «En comparaison», poursuit Jean-Pierre Peyroulou, «les rapatriés bénéficieront d’un soutien conséquent de l’Etat, sans compensations néanmoins, et d’investissements à long terme, notamment en terme de logement. C’est l’époque de l’essor de villes comme S a rce l le s p a r exe m p le . » Les «traîtres» de l’OAS, qui tenteront d’assassiner à plusieurs reprises le général de Gaulle (et manqueront de peu leur cible lors de l’attentat du Petit Clamart, le 22 août 1962) connaissent l’exil en Suisse, en Espagne ou en Italie. L’amnistie ne sera prononcée que mi-68. Certains laissent entendre que c’est une décision prise par le Général lors de la fuite à Baden-Baden durant les événements de Mai 68. Face à «la chienlit» qui fait chanceler la République, le président aurait choisi de laisser rentrer en France ces hommes antigaullistes, mais aussi majoritairement «anti rouges»,

ayant bonne mémoire du soutien de l’extrême gauche et de ses «porteurs de valises» au FLN.

Pour Guy Perryville, les accords d’Evian «se révélèrent donc une utopie, qui échoua à ramener une vraie paix en Algérie. (…) De Gaulle a maintenu aussi longtemps que possible ce qui restait de la politique de coopération pour éviter la faillite de l’indépendance algérienne, en espérant que la France finirait par en bénéficier un jour.» Le gouvernement tente, en ratifiant, de sauver ce qui peut l’être des intérêts français, notamment concernant le futur du Sahara, non seulement pour les richesses du sous-sol mais également nécessaire pour les tests nucléaires jusqu’en 1966. Jean-Pierre Peyroulou refuse, lui, l'idée que la date puisse être choisie comme celle instaurant la paix, puisque «ce n'est pas la paix, mais un cessez-le-feu. La suite des évènements ne permet pas non plus de parler de paix.» Une date qu’Alger considère toujours comme celle «jour de la victoire», visant par la même la «repentance» mémorielle de la France.Jean-Baptiste Salvat

PLAQUE COMMÉMORATIVE POUR LES SOLDATS MORTS EN ALGÉRIE, EN TUNISIE ET AU MAROC, SOUS L’ARC DE TRIOMPHE. CRÉDITS PHOTO: JBS

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64 65 TALIBAN ET BOLOSS 3

Page 65: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

64 65

Page 66: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

La crise du logement: un chantier urbain avant tout

HABITAT

66

Page 67: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

A quelques mois de la présidentielle, le thème

du logement s’invite dans la campagne.

Plus qu’un problème, il est devenu l’un des

soucis qui préoccupent le plus les Français.

Baisse du pouvoir d’achat, absence

de croissance sont autant de facteurs qui élargissent le spectre des Français touchés

par le problème. Mais au-delà de la question

du logement, c’est celle de l’urbanisme

en général qui mérite d’être évoquée.

La crise du logement: un chantier urbain avant tout

PAR HICHAM BARROUK

67

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SOCIÉTÉ

Dix millions de mal-logés. C’est le chiffre alarmant

que vient de rendre public la Fondation Abbé Pierre, dans son 17ème rapport annuel sur l’état du mal-logement en France. Cette nouvelle enquête de l’association, créée il y a 20 ans, ne laisse place à aucun doute. Le problème du logement en France ne cesse d’augmenter et de s’enraciner années après années. Du sans domicile fixe aux classes moyennes, plus personne ne semble être épargné. Entre réformes inefficaces et absences de décisions, l’inquiétude grandit dans l’opinion publique.Selon les données globales recueillies par la Fondation Abbé Pierre, les difficultés ne concernent plus seulement les 700 000 personnes dépourvues de logement personnel (dont 133 000 sans domicile fixe selon l’Insee) mais aussi 3,6 millions de Français, qui sont pas ou très mal logés. Cinq autres millions sont, quant à eux, en situation de «fragilité de logement à court ou moyen terme». Le simple besoin d’avoir un toit est donc devenu une des parties du problème du logement. Qu’il soit à la rue, mal-logés ou appauvri par la hausse des

prix, un Français sur six est aujourd’hui concerné.

Si le problème du logement prend autant d’ampleur, c’est que la crise économique y est pour quelque chose. Depuis 2008, la situation est devenue dramatique pour les ménages les plus modestes. D’après la Fondation Abbé Pierre, «le logement a perdu son rôle d’ancrage social et de protection.» La crise a conforté, voire exacerbé, le sentiment que le logement est devenu, dans certains territoires, tout à fait hors de portée. En plus d’être devenu un facteur d’insécurité sociale, l’habitat, dans ce contexte de crise économique, touche aussi un nouveau public, celui des classes moyennes.

UN THÈME QUI S’IMPOSE DANS LA CAMPAGNEFace à ce constat alarmant, les associations tentent de faire réagir les politiques. A deux mois de la présidentielle, le problème du logement doit être «une priorité nationale», selon la Fondation Abbé Pierre.Même son de cloche pour Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Droit au logement,pour qui tous les moyens sont bons: «On fait tout pour alerter

les candidats sur la situation, que ce soit dans la rue, par le biais de nos actions ou sur le terrain juridique.» Si les actes sont indispensables, c’est avant tout le gouvernement qui doit donner l’exemple. «On n’avance toujours pas en matière de droit. La loi du Droit au logement opposable doit garantir que les classes populaires puissent être logés durablement et convenablement. Mais force est de constater que les lois ne sont pas toujours appliquées». Il ajoute: «Le livret Epargne populaire doit servir l’intérêt général pour produire des logements. Au lieu de ça, il l’est aujourd’hui à spéculer.»Dans ce contexte, le problème du logement, au même titre que la question du chômage, semble s’être imposé comme un thème principal dans la campagne. A l’image de la promesse de «zéro SDF» en deux ans, que Nicolas Sarkozy avait affichée lors de sa campagne en 2007, la politique en matière de logement se résume à de grands discours depuis de nombreuses années. Pour Jean Baptiste Eyraud, «l’accès à la propriété est un échec en France. Avec la hausse des prix, les couches populaires sont dans l’incapacité totale d’y accéder et cela ne fait qu’empirer.» En effet, depuis des années, les politiciens ont accordé une place excessive à l’accession à la propriété. Pour essayer de faire réagir les futurs candidats à la présidentielle, la Fondation Abbé Pierre propose «un contrat social», auquel doivent adhérer les prétendants à l’Elysée. Un pacte qui imposerait de produire environ 500 000 logements par an, dont au moins 150 000 sociaux. Pour les candidats, comme pour les

10C’EST EN

MILLIONS, LE NOMBRE DE

MAL-LOGÉS EN FRANCE, SELON

LE DERNIER RAPPORT

ANNUEL DE LA FONDATION ABBÉ PIERRE.

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SOCIÉTÉ

associations, la solution à court terme pour combattre cette crise de l’habitat semble être la construction de logements intermédiaires et sociaux. Une solution qui paraît tout de même insuffisante face à l’immensité du problème.

L’URBANISME, UNE QUESTION ESSENTIELLEPour Nicolas Monnot, architecte et chef de projet chez Archivox, la construction massive ne pourra faire illusion qu’un temps. «La construction de masse d’après-guerre, avec du recul, n’a pas été à la hauteur. Cela peut régler le problème de manière quantitative mais pas de manière qualitative», explique t-il. Même si la création de logements sociaux et intermédiaires est une réponse valable et voulue par les associations et les politiques, elle peut avoir un mauvais écho dans l’opinion publique. «Cette construction massive, voire pire encore sur modèle, est une mauvaise chose dans le sens où elle implique dans l’esprit des gens une construction rapide, uniforme et systématique», explique Nicolas Monnot, pour qui le sujet «demande plus de réfléchir avec des situations et non à appliquer une recette qu’on a imaginé hypothétiquement et qu’on applique sur 50 000 logements du jour au lendemain.»Cette politique du logement établie depuis des années n’a toujours pas su répondre à cette crise mais a surtout accentué les problèmes sociaux, notamment en banlieue. Manque de commerces, absence de liens sociaux, autant de difficulés qui font que la situation du mal-logement s’enracine dans ces zones périphériques.

Au delà de la question de la construction ou non de logements, c’est la question de l’urbanisme qui doit être évoquée. Car créer du logement est une des logiques de l’urbanisme mais elle n’est pas la seule. L’urbanisme est avant tout une manière d’occuper l’espace, qui plus est, une science de l’organisation et de la création de l’espace public. S’attaquer au problème du logement sans aborder la question de l’urbanisme en matière générale reviendrait à combattre le problème en surface. La notion d’aménagement durable des villes semble être une priorité et passe avant tout par une transformation notable de l’espace public. Plus qu’un projet d’avenir, c’est une nécessité. «Transformer l’espace urbain ne va pas régler le problème du mal-logement par contre cela va améliorer la qualité de vie des logements eux-mêmes et du vécu des gens dans le quartier», explique Samuel Delmas, conseiller de l’ordre des architectes d’Ile-de-France. «Pour cela, il faut une densification des terrains. Ce qui pose aujourd’hui le problème social dans les

banlieues, c’est justement le fait qu’il n’y ait pas assez de densité.» Malgré la présence de nombreux logements sociaux en banlieue, la densité n’est qu’illusion à la vue de la faible présence d’infrastructures aux alentours de ces HLM. Le petit nombre de personnes à l’hectare débouche donc sur une incapacité pour les commerces de vivre durablement dans ces quartiers. En conclusion, «cela crée inévitablement un immobilisme dans l’espace public», déplore Samuel Delmas.

En matière de logement comme en matière d’urbanisme, le problème de fond semble être le même. C’est en tout cas l’avis de l’architecte chez Archivox Nicolas Monnot pour qui, «on réfléchit trop de manière quantitative et non de façon qualitative sur la question urbaine; c’est une grave erreur.» Depuis de nombreuses années, la question n’est en effet plus seulement confiée à des urbanistes. Le mauvais développement de certains quartiers ou, à plus grande échelle, de certaines villes provient du fait que plus de 90%

«L’ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ EST

UN ÉCHEC EN FRANCE »

Jean-Baptiste Eyraud, porte-

parole du Droit au logement

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SOCIÉTÉ

des lotissements français sont conçus par des géomètres. La quasi majorité d’entre eux n’a jamais fait d’études de développement urbain. «On donne à ces gens-là, le crayon pour dessiner la ville de demain et la ville périphérique d’aujourd’hui. C’est une folie», s’indigne Nicolas Monnot. Difficile tout de même d’en arriver à la conclusion que les géomètres seraient les seuls responsables de la situation. Du côté des responsables politiques, les pouvoirs publics ont laissé la gestion de l’urbanisme à des acteurs qui n’ont pas les compétences requises dans ce domaine. La négligence de la qualité de l’étude débouche sur une dynamique urbaine qui en n’est plus vraiment une aujourd’hui.

S’INSPIRER DE MODÈLES ÉTRANGERS Face à cette situation, une réflexion sur l’avenir de l’urbain et du logement est nécessaire. L’urbanisme est une condition sine qua non du bon développement de l’espace public. Pour Samuel Delmas, il

faut aller encore plus loin. «On doit repenser nos habitudes, s’ouvrir vers d’autres modèles. Aux Pays-Bas, par exemple, de par la nature de leur territoire (zones inondables), ils ont su optimiser le foncier et développer de nouveaux modes de vies.» Il ajoute: «Il y a une autre manière de vivre ensemble, beaucoup moins individualiste que la nôtre.» En effet, aux Pays-Bas, les pouvoirs publics ne semblent pas s’obstiner à rester sur des modèles préétablis en matière d’urbanisme; une volonté d’aller de l’avant qui est malheureusement loin d’être partagée en France. «Les maires sont assez casaniers et très peu enclins à faire évoluer quoi que ce soit sur la manière de faire changer les espaces», explique le conseiller de l’ordre des architectes d’Ile-de-France. Autre exemple en Espagne où malgré la crise du logement qui touche le pays, les espaces publics restent parmi les meilleurs d’Europe. Cet immobilisme sur la question urbaine en France pose problème. Un

changement de mentalité est essentiel pour pouvoir repenser l’urbanisme tel qu’il devrait être aujourd’hui. Face aux réglementations et aux lois de plus en plus accrues sur la sécurité de l’espace public, un sentiment de crainte d’autrui se dessine. Conséquence: la sensibilité de la qualité de l’espace ne peut s’exprimer. «Le code de l’urbanisme, qui est notre bible, n’est plus utilisé à cause des réglementations plus complexes les unes que les autres et qui nous contraignent dans notre travail», déplore Samuel Delmas.Certaines villes du sud de l’Allemagne et de l’est de la France réfléchissent cependant à des solutions d’avenir par le biais de modèles alternatifs du «vivre ensemble». Par le partage de l’espace ou encore la mise en commun de certains équipements dans un lotissement. Exemples: les jardins, les espaces de jeux ou plus simplement par le partage de barbecue entre voisins. Des solutions à la fois simples et écologiques qui, à

«LES PLANS LOCAUX

D’URBANISMES SONT LES

MÊMES DANS CHAQUE VILLE.

QUE CE SOIT À MARSEILLE

OU À LILLE, ON ASSISTE À DES COPIER/

COLLER, C’EST PATHÉTIQUE»

Samuel Delmas, conseiller de l’ordre des architectes d’Ile

de France

Photo Samuel Larbi

90 C’EST EN

POURCENTAGE LE NOMBRE DE LOTISSEMENTS

FRANÇAIS «CONÇUS» PAR

DES GÉOMÈTRES

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EN BREF

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petite échelle, participent à un meilleur développement durable des villes. Des cas cependant isolés mais qui font figure d’exemples à suivre et qui viennent rompre avec la politique urbaine mise en place en général. «On constate que les plans locaux d’urbanisme sont les mêmes dans chaque ville. Que ce soit à Marseille ou à Lille, on assiste à des copier/coller, c’est pathétique», s’insurge M. Delmas. Des plans locaux d’urbanisme (PLU) qui, dans ce contexte, perdent tout leur sens et débouchent sur une homogénéisation des constructions. Pour l’architecte parisien, cette situation et ces choix ne sont «pas du tout à la hauteur de la complexité des paysages français qui recèlent tellement de diversité que chaque ville devrait avoir son plan local d’urbanité.»

Face à ces choix et à cette absence d’évolution en matière d’urbanisme, la bonne organisation de l’espace public devient difficile à imaginer. Les élus ont trop tendance à oublier que l’urbanisme est indispensable au bon fonctionnement de la vie urbaine. La construction massive et les réformes du gouvernement en matière de logement ne font que nettoyer le problème en surface. Repenser l’urbanisme et ses modes de fonctionnements est l’une des pistes à explorer. Savoir mieux articuler logement et urbanisme reste l’un des chantiers les plus complexes mais indispensable pour l’avenir du logement et du paysage urbain en général.

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SCIENCES

ÉTHIQUE

Brevet sur le vivant:

la gêne du monopole

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Don Farrall Gettyimage

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EN BREF

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Brevet sur le vivant:

la gêne du monopoleLa question de la brevetabilité de molécules vivantes est relancée par la signature du traité commercial ACTA, qui prévoit de renforcer les effets et la durée des brevets accordés aux industries. Quelle incidence cela va-t-il avoir d’un point de vue économique? En toile de fond du débat, le problème éthique que cela peut poser à vouloir breveter tout vivant, y compris le génome humain.

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PAR CORENTIN VILSALMON

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Le 26 janvier 2012, la Commission européenne

se réunissait à Tokyo pour signer l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACAC, plus connu sous l’acronyme ACTA). Comme son nom l’indique, ce traité international prévoit de mettre en place une législation internationale p o u r l u t t e r c o n t r e l a contrefaçon des produits industriels et intellectuels de toutes sortes. En ligne directrice, le renforcement et l’allongement de la durée des brevets accordés aux entreprises et industriels en tout genre.P lus connu à cause de ses projets de restrictions des libertés sur Internet, contre lesquels les fameux A n o n y m o u s e t d ’ a u t re s révoltés de tous pays se sont levés, ACTA ne vise pas seulement les produits

c u l t u re l s . C e s b re v e t s concernent aussi bien le secteur agroal imenta ire que pharmaceut ique et , pour certains, remettent sur la table la question de la brevetabilité du vivant, qui englobe ces problématiques. Au cabinet de Kader Arif, ex-rapporteur d'ACTA qui a quitté ce rôle le jour même de la s ignature, dénone une «mascarade». Il insiste pourtant sur le fait que la question de l'impact sur la brevetabilité du vivant n'a pas été évoquée dans les débats du Parlement européen.

Pourtant, l'enjeu est bien là. L’un des problèmes que poserait le traité ACTA, une fois effectif, est que cela va grandement compliquer le transit des médicaments génériques vers des pays en difficulté sanitaire. Plus

précisément: les génériques venus des pays dits émergents comme l'Inde ou le Brésil. C e s m é d i c a m e n t s s o n t identiques ou équivalents à des médicaments de marque (aussi appelés «médicament princeps», car ils sont les premiers à être entrés sur le marché), eux-mêmes protégés par des brevets, accordés par l’Office des brevets européen, ou américain. Même s i l’embal lage et la forme du produit sont d i f f é re n t s , l e p r i n c i p e actif , l’essence même du médicament, est identique qu’il soit générique ou produit breveté par une société industrielle. C’est donc sur ce principe qu’en 1981, la Commission de la concurrence a a d m i s q u ’ « o n e n t e n d par médicament générique toute copie d’un médicament original dont la production et la commercialisation sont rendues possibles notamment par la chute des brevets dans le domaine public, une fois écoulée la période légale de protection.» Une durée juridiquement limitée à 20 ans pour n’importe quel brevet et qui peut être prolongée jusqu’à c inq ans par le Certificat complémentaire de protection (CCP) en ce qui concerne les médicaments.

«Le brevet est un titre de propriété intellectuelle qui permet à son titulaire d’interdire aux concurrents d’exploiter l ’ o b j e t d e l ’ i n v e n t i o n » , expl ique Jérôme Peigné, professeur à l’Université Paris-Descartes, docteur en droit et en pharmacie. Pour lui, «plus on allonge la durée de protection, plus on rentabilise l’investissement et incite à la recherche». Mais en contrepart ie, les prix de ces médicaments sont

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SCIENCES

Le mot anglais «patent» pour un brevet vient de l’expression latine «litterae patentes». Ces «lettres ouvertes» attribuaient le monopole d’une invention à son créateur.

ÉTYMOLOGIE

Exemple d’une page d’un brevet, attribué vraisemblablement pour une molécule.(Creative Commons)

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rehaussés, et finissent par devenir inaccessibles pour des personnes non assurées, ou mal assurées, comme en France. L’accès à ces médicaments est encore plus difficile pour les populations des pays pauvres, où il n’existe aucune protection sociale permettant de supporter le coût de ces produits.

Les médicaments génériques p ro d u i t s d a n s le s p a y s émergents, comme le Brésil, ne quittent en général pas le territoire, sauf pour être exportés vers des Etats pauvres où il n’y a pas de protection sociale, comme c’est le cas dans certains pays d ’Afr ique. C 'est là qu'interviendrait ACTA. En renforçant la coopération internationale sur le plan de la lutte contre la contrefaçon, le traité empêcherait ces p a y s d ’ a vo i r a ccè s a u x médicaments génériques, m o i n s co û t e u x q u e le s médicaments princeps, au nom de la lutte contre les produi ts contrefa i ts des marchés émergents.Jérôme Peigné insiste sur ce problème: «Il y a concurrence au sein des génériques, avec des confrontations de type nord/sud: les génériqueurs brésiliens, indiens ou chinois étant, comme dans d’autres domaines, très compétitifs, r i s q u e n t d e r é d u i r e à néant l’industrie générique européenne et notamment française, d’où la raison du débat sur le niveau de prix des génériques».Mais pour Denis Germain, membre du Part i p i rate français , les génériques souf f rent beaucoup des démarches des grandes entreprises et laboratoires p h a r m a c e u t i q u e s p o u r écraser la concurrence sur

le marché. Selon lui, «la quasi-totalité de ce qui est mis sur le marché en matière de médicaments est une resucée de ce qui existe déjà. C’est une démarche des grands laboratoires pour éviter de perdre leur leadership sur tel ou tel médicament.» Il explique que parfois la nouvelle version d’un produit n’est là que pour «sécuriser les revenus de l’entreprise pour encore 20 ans» , et n’apporterait rien au niveau médical. Pire, elle serait même moins bien supportée par les patients.

P o u r B é a t r i c e O r e s , consei l lère en propriété industrielle, l’explication est simple et efficace: «On peut breveter le principe actif, la composition, le procédé de préparation, les combinaisons m o l é c u l a i r e s , e t l e s applications thérapeutiques. Comme pour l’attribution d’un brevet lambda, on part du principe que tout ce qui est nouveau dans son application est brevetable. Par exemple, l’eau de javel est connue pour ses propriétés nettoyantes, mais si un jour on découvre qu’il est possible de soigner une maladie en l’utilisant, on

pourra breveter l’eau de javel sous cet angle de vue».

PROTECTION OU MONOPOLE?Ce qui motive l’attribution d’un brevet, c’est donc en grande partie la protection des molécules présentes dans les organismes vivants, comme l’explique Jérôme Peigné: «Depuis deux décennies, les innovations thérapeutiques s o n t e s s e n t i e l l e m e n t c o n s t i t u é e s p a r d e s médicaments biologiques et non plus chimiques». Voilà que se pose la question de la brevetabilité du vivant. Ces molécules biologiques ont d’abord été l’objet de recherches minut ieuses des entreprises privées de l’industrie pharmaceutique dans des endroits reculés du monde, parfois jamais foulés par le pied de l’Homme moderne jusque là. D’après J é rô m e P e i g n é , i l e s t techniquement plus difficile de copier des molécules t i r é e s d ’ o r g a n i s m e s vivants que des molécules c ré é e s a r t i f i c i e l le m e n t . «Actuellement, la meilleure façon de trouver des molécules, c 'est d'al ler les chercher dans la nature: des insectes,

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Le premier texte de loi instituant les brevets vient de Venise, au XVe siècle. Ce texte donnait un droit exclusif d’exploitation d’une invention pendant une période de dix ans.Ce n’est qu’en 1623 que le parlement britannique a voté la première loi à instituer les brevets d’invention. Ces lettres ouvertes pouvaient dès lors être attribuées pour des inventions qui n’étaient pas encore arrivées sur le sol anglais.En 1791, la France vote une loi conférant un droit de propriété sur des inventions inédites ou venant d’être créées.

HISTORIQUE

SCIENCES

Tous les gènes et séquences ADN

découvertes au fil des recherches

sont répertoriés et archivés dans

ce genre de bibliothèques.

(Creative Commons)

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SCIENCES

des bactéries, des algues, des tox ines , des v en ins , qu'on trouve dans les forêts primaires, dans des récifs de corail, etc.», explique Denis Germain, avant de nuancer: «Il y a très peu de nouvelles molécules et de nouveaux principes actifs qui arrivent.»

M a x i m e R o u q u e t , c o -p r é s i d e n t d u C o n s e i l administratif et polit ique du Parti pirate, renchérit et explique que le système des brevets est «nuisible» et incite les petites entreprises à ne pas coopérer les unes avec les autres. Ce qui renforce alors le monopole obtenu par les majors de l’industrie. «On est contre les brevets sur le vivant parce que l'on constate qu’avec ce mécanisme d'introduction d'un monopole, de favoritisme des entreprises qui ont une démarche lucrative contre des entreprises à démarche humaniste, on se retrouve avec, la plupart du temps, de la recherche génétique qui a pour but de créer des situations de dépendance.» Un monopole également dénoncé par Eva Joly sur son blog. Dans un billet rédigé en protestation contre ACTA, la candidate d’Europe Écologie-Les Verts à la présidentielle martèle que «la logique qui vise à mettre les ressources d e l’É ta t a u s er v i ce d es monopoles d ’une poignée de multinationales doit être rejetée.»

Le problème, c ’est que ces grandes entreprises pr ivées s’accaparent les molécules présentes dans des organismes vivants et, après les avoir isolées et leur avoir attribuées des propriétés médic inales , demandent un brevet sur ces mêmes molécules. Les questions

de monopole et de conflits d’intérêts sont donc largement soulevées pour dénoncer cette pratique, d’autant plus que les sociétés s’approprient souvent sans scrupule les recherches des populations locales (on pense notamment aux plantes issues de la forêt vierge amazonienne) sans leur attribuer aucun mérite pour cette découverte. Pour la branche française de la Commission internationale pour les droits des aborigènes (ICRA, acronyme anglais), «le brevet permet à l’entreprise de créer un monopole sur l’utilisation de la plante en prétendant avoir inventé un processus pour un usage donné. I l pr ive a insi tout autre acteur, y compris les populations à l’origine de la connaissance, d’utiliser ou de commercialiser la plante dans la zone géographique d’application du brevet.»« Le s re t o m b é e s p o u r l a population locale, qui a donné sa connaissance ancestrale au départ, sont nulles», précise Denis Germain, qui ajoute: «Dans certains pays, comme au Brésil, il y a des Organisation non gouvernementales (ONG) qui s'occupent de découvrir e t préser v er ces sav o i rs ancestraux pour qu'il y ait une prise de brevet qui sera re n t a b i l i s é e a u p rè s d e s laboratoires. Mais ils ont déjà écumé à peu près partout».

Les ressources naturelles de l’écosystème sont donc pillées, biopiratées, par des firmes industrielles dont le monopole sur ces brevets liés aux organismes vivants paraît indiscutable. Selon le site Internet*, les pays du Nord, à savoir les États-Unis, l’Europe et le Japon, cumuleraient près de 90% des brevets liés à l’utilisation de

ressources biologiques ou de savoirs traditionnels. Pour illustrer ce problème, Denis Germain, du Part i pirate, explique que c’est une méthode très courante pour les entreprises privées d’exploiter un «savoir local» puis de le breveter alors que ce ne sont pas eux qui ont découvert l’utilisation. A partir de cette trouvaille, l’industriel va développer des produits utilisant certaines habil i tés de la molécule brevetée dans la plante.

Car c’est seulement à cette condition qu’un gène, une molécule, ou toute autre part ie du v ivant , pourra être breveté: il faut l’avoir isolé préalablement, avoir introduit une modification dans ce gène par un procédé biotechnologique (forcément non-naturel). Par la suite, il faudra démontrer que cette modification est profitable p o u r u n e u t i l i s a t i o n industrielle et attribuer un brevet sur cette molécule vivante. Au regard de la Directive européenne 98/44 sur les brevets biotechniques, les plantes et animaux sont brevetables; au détail près que ce n’est qu’un gène précis, isolé et utilisable de façon industrielle. «Ce n’est donc pas vraiment le vivant que l’on brevète, mais la fonction que l’intelligence humaine a pu caractériser et utiliser à partir du vivant, notamment dans un but thérapeutique», précise Jérôme Peigné.

LE CAS MONSANTOM o n d i a l e m e n t c o n n u e pour ses semences OGM, la firme américaine a été, et est encore aujourd’hui, beaucoup critiquée pour ses méthodes qui, pour certains,

LE CAS DE LA TOXINE BT Le bacillus thuringiensis (BT) est un insecticide présent naturellement dans l’environnement. Il repousse principalement la pyrale du maïs, ravageur important de la céréale. Génétiquement modifiées pour produire plus de toxine, les semences peuvent ainsi résister sans produits industriels. Le problème: si l’on en croit les adversaires des OGM, les plantes seraient saturées de BT. Cela reviendrait ensuite à contaminer le sol des cultures, pour à terme rendre immune à cet insecticide tous les ravageurs.

* www.biopiraterie.org

ZOOM SUR

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SCIENCES

induisent une volonté de «s’approprier la nourriture du monde». Les détracteurs de la firme s’en prennent particulièrement au fait que Monsanto provoquerait une condit ion de dépendance chez les cultivateurs. Cela ne s’applique pas qu’à Monsanto mais à toutes les entreprises qui vendent des semences (OGM ou non) à des paysans. C'est ce qu'explique Maxime Rouquet, co-président du Consei l administrat i f e t polit ique du Parti pirate: «Monsanto ne cherche pas à faire un maïs qui résiste aux parasites, mais créé une semence stérile qu'il faudra racheter tous les ans, qui résiste, non pas aux insectes, m a i s a u d é s h e r b a n t d e Monsanto, le Roundup, qu'il faut également acheter.»D a n s l a v e i n e d e c e s semences stér i les, on a également longtemps parlé de la fameuse technologie «Terminator» qu’avait mis au point Monsanto. Yvette Dattée, ex-d irectr ice du Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) met les choses au

clair et explique que celle-ci «a été abandonnée depuis longtemps» par la f irme. Cette technique consistait à introduire un gène qui rendait les plantes incapables de germer, ce qui les aurait rendues stériles. «Il n’y a pas de semences stériles», explique Yvette Dattée en préc isant que beaucoup f o n t l ’ a m a l g a m e e n t re technologie "Terminator" et semences hybrides. «Ces semences hybrides ont subi des modifications très importantes dans leur ascendance, ce qui explique qu’elles ne soient plus capables de reproduire fidèlement la variété d’origine. Cela amène les cultivateurs à ne pas les replanter et à en racheter de nouvelles.»

P o u r e l l e , q u ’ i m p o r t e l’ e n t re p r i s e , l ' i ss u e d u monopole est dérangeant. «Le problème, c’est qu’il y a également un frein aux entreprises françaises et européennes, ce qui favorise le monopole de Monsanto.» Elle regrette également le fait que la France «s’entête à v o u l o i r l u t t e r c o n t r e

l a c u l t u re d e s e m e n c e s t r ansgéniques sur le so l français». A son avis, vouloir interdire la culture OGM sur le sol français reviendrait à priver les agriculteurs de variétés de plantes qui ont besoin de moins de produits phytosanitaires pour lutter contre insectes et autres plantes envahissantes.

Dans les faits avérés, le cas le plus probant de cette apparente volonté de créer une dépendance à la firme chez les cultivateurs, et donc un monopole sur le marché, est celui du procès de l'entreprise de semence Pullen Seeds & Soil, jusqu'alors affiliée à M o n s a n t o , e n 2 0 0 6 . L ' e n t re p r i s e p l a i g n a n te accusait Monsanto de créer un monopole autour de la vente de son produit désherbant phare, le Roundup, en obligeant les paysans à l'acheter en pack avec des semences brevetées Monsanto . Se lon Pul len Seeds & Soil, alors même que le brevet du produit de la firme agroalimentaire avait expiré, au milieu des années 80, les ventes de celui-ci

À gauche, Denis Germain, à droite, Maxime Rouquet, tous deux membres du Parti pirate, débattant sur les modifications à apporter au système des brevets.Crédit Corentin Vilsalmon

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étaient remarquablement hautes , malgré un pr ix rédhibitoire compte tenu de la présence sur le marché d'une version générique du Roundup. Pour renforcer ce monopole, Monsanto aurait même eu recours au rachat d'entreprises semencières concurrentes, susceptibles de parvenir à créer d'autres semences transgéniques que celles vendues par Monsanto. Un monopole qui a conduit Mar ie-Monique Robin à estimer dans son film «Le monde selon Monsanto» que «90% des OGM cultivés dans le monde sont des OGM Monsanto.»

DROIT ET ÉTHIQUEEn dehors de ces problèmes de monopole se posent bien évidemment les questions d’ordre éthique. Comment les droits internationaux et plus localisés laissent-t-ils des entreprises privées s’accaparer les propriétés du vivant? «L’objet d’un brevet sur le vivant est de savoir si on a donné naissance à une nouvelle race animale, une nouvelle variété végétale ou non, explique Béatrice

Ores. L’attribution d’un brevet doit répondre à l’approche problème-solution. Un brevet est une solution technique à un problème technique. Donc sur ce point le vivant n’est pas différent.»Jérôme Peigné ajoute quant à lui que la ligne de partage de la brevetabilité ne se situe pas entre vivant et non vivant. Tout est donc matière à être protégeable, même les organismes vivants, et tout ce qui est acides nucléiques, marqueurs génétiques, et autres molécules qu’on peut donc potentiellement protéger.Selon le Professeur, il n’y a pas encore de r isque à breveter à outrance le d o m a i n e o rg a n i q u e . I l admet cependant que «tout dépend aussi de la manière dont les offices de brevets répondent aux sollicitations pressantes des firmes. Si le droit est confectionné à coups de lobbying industriel, sans véritable contre-pouvoir, il peut devenir une source, et même la caution, de toutes les dérives».La prolongation de la durée d’un brevet aboutirait pour M a r i e - Fra n ce M a m z e r -

Bruneel, néphrologue, à retarder le partage des connaissances. Une autre façon de parler de monopole, mais qui a, cette fois-ci, un impact sur les connaissances. I l s e ra i t , e n reva n c h e , «éthiquement discutable» de faire passer des intérêts financiers avant les intérêts de l'humanité. «L'un des problèmes récurrents à ce sujet est la question des industries liées aux brevets sur le vivant, ce qui met en avant les questions de conflit d' intérêts. I l n'y a pas de partage de la connaissance, les secrets do iv ent ê tre protégés.»Ce n’est heureusement pas un cas généralisé, puisqu’il y a beaucoup de cas de brevets déposés par les chercheurs e u x - m ê m e s ( m a i s ce l a n’exclut pas les entreprises privées). Rien que le fait de demander un brevet permet aux scientifiques de financer leurs recherches suivantes. «Il n'y a pas besoin de diaboliser complètement les brevets. La question est difficile à gérer.» Selon elle, il faudrait trouver un moyen de bien contrôler le système, ainsi que réguler le champ de la recherche. Une régulation en amont pour créer des comités d'éthique.

D’un point de vue éthique, l e D o c t e u r M a m z e r -Bruneel pense qu’il n’est pas souhaitable de réussir à breveter l’entièreté du vivant, tout ce qui touche à l’humain possédant, dès lors, un caractère sacré, inviolable aux yeux de la communauté scientifique mondiale et des politiques. Cela impliquerait, selon elle, la libéralisation de certaines techniques qui touchent au côté sacré du corps humain.

3 000C’EST LE

NOMBRE DE BREVETS

BIOTECHNOLO-GIQUES ACCOR-

DÉS PAR LES OFFICES POUR

LES BREVETS AMÉRICAINS, EUROPÉENS

ET JAPONAIS DEPUIS 1980.

LE GÉNOME HU-MAIN CONTIEN-DRAIT 30 000 À

70 000 GÈNES AU TOTAL.

«POUR L'INSTANT

IL Y A UN CONSENSUS SUR

LA SACRALITÉ ABSOLUE DE

L'HUMAIN. MAIS CE N'EST PAS

RESPECTÉ POUR LE VÉGÉTAL ET

L'ANIMAL.»moodboard G

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SCIENCES

«LES GÉNÉRIQUEURS BRÉSILIENS, INDIENS OU

CHINOIS, ÉTANT TRÈS COMPÉTITIFS, RISQUENT

DE RÉDUIRE À NÉANT L’INDUSTRIE GÉNÉRIQUE

EUROPÉENNE, D’OÙ LÀ ENCORE LE DÉBAT SUR LE NIVEAU DE PRIX DES

GÉNÉRIQUES.»

Malgré tout , l’ é tude du génome humain a justement été libéralisée et légalisée: en 1995 un accord a été signé, désignant tout élément du génome humain comme relevant du patrimoine de l’Humanité, et dont toutes les avancées scientifiques d ev ra i e n t ê t re p u b l i é e s ouvertement sur Internet.

Pour des raisons évidentes, les procédés de clonage d e s ê t re s h u m a i n s , le s procédés de modification de l'identité génétique de l'être humain, les utilisations d ' e m b r y o n s h u m a i n s à des f ins industrielles ou commerciales, les séquences totales ou partielles d'un gène prises en tant que telles (non synthétisées) ne sont pas brevetables.En 2002, le Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE), dans son avis à propos de la brevetabilité des cellules souches, avait chi f fré le nombre de demandes de brevets pour des cellules souches humaines et non-humaines à plus de 2000. Dans ce même av is , le GEE concluait qu’ i l était néanmoins nécessaire de ne pas interdire tout brevet relatif à des cellules souches car cela serait contraire à l’intérêt général et à l’intérêt des patients.

«Toutes ces questions touchent à la définition de l'humain», e x p l i q u e M a r i e - Fr a n c e Mamzer-Bruneel. «Y a-t-i l une di f férence légit ime entre l'humain et le reste du vivant? Pour l'instant, il y a un consensus sur la sacralité absolue de l'humain. Mais ce n'est pas respecté pour le végétal et l'animal.» Faut-il alors s’interroger sur le

sujet, remettre en question ce caractère sacré que l’être humain s’est auto-attribué?«Il y a de plus en plus de manifestations à ce sujet, c'est un débat très actuel», poursuit le docteur Mamzer-Bruneel. «Il faut développer un réseau de consultations de la population à chaque avancée scientifique majeure.» Il faut donc impliquer les citoyens dans le monde scientifique, les tenir au courant des avancées et des enjeux, politiques, économiques et médicaux.Et le professeur Peigné de conclure que «c’est finalement tout l’intérêt d’exposer sur la place publique, grâce aux journalistes spécialisés, mais aussi aux enseignants (vis-à-vis de leurs élèves), ce genre de problème, même si le sujet reste profondément technique et complexe».

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ASSOUL INE

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SANTÉ

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DIVERGENCES

Le travail, est-ce vraiment la santé?Stress, dépression, anxiété, insomnie … Les souffrances engendrées par le travail sont nombreuses. Qu’ils soient psychiques ou physiques, les maux sont réels et de plus en plus décriés. Entre dénonciation des syndicats et pression des entreprises, les employés craquent.

«La santé au travail a tou-jours été un véritable

enjeu. Dans les années 70, il y a eu une grosse préoccu-pation autour des luttes des manœuvres, autour des ou-vriers spécialisés qui, dans les grandes usines notamment automobiles, étaient amenés à accomplir les tâches les plus contraignantes. C’était dans un contexte où ils n’avaient aucun droit à la parole, ni pos-sibilité de discuter. Un phéno-mène retombé en désuétude dans les années 80, à cause de la montée du chômage.

La défense de l’emploi était alors plus favorisée par les syndicats que la défense de la santé. C’est ensuite reve-nu sur le devant de la scène avec l’affaire de l’amiante. On a compris que finalement, on envoyait les gens au casse-pipe», raconte Stéphane Vin-cent, rédacteur en chef adjoint du magazine «Santé et Tra-vail». La souffrance liée au mi-lieu professionnel n’est donc pas un phénomène de mode, ni récent. En revanche, une modi-fication du rapport au travail a eu lieu depuis les 30 dernières

années. Les salariés ont dû faire face à l’intensification de ce qui leur était jusque-là de-mandé, en dépit de la qualité. C’est ce qu’explique Philippe Davezies, enseignant-cher-cheur en médecine du travail: «On a assisté à une mise sous pression dans le monde du tra-vail. Ça ne se traduit pas sim-plement par une question de quantité mais par des pertur-bations qualitatives du travail. L’intensification change le rap-port au monde professionnel, à la qualité de ce que l’on produit et aux relations avec ses collè-

LA CULPABILITÉ RESSENTIE À CAUSE D’UN

TRAVAIL BÂCLÉ PROVOQUERAIT

UNE RÉELLE SOUFFRANCE

PSYCHIQUE.CRÉDIT: PIERRETTE9/

FLICKR

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SANTÉ

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gues. Au bout du compte, au-jourd’hui, travailler, à peu près partout et à tous les niveaux hiérarchiques, consiste à trier ce qu’il y a à faire, dans l’en-semble des critères de qua-lité, entre ce qu’on va pouvoir prendre en charge et ce qu’on va être obligé de renvoyer au lendemain.» La nécessité d’un rendement toujours plus important serait donc une des origines du mal-être au travail. Les salariés les plus soucieux de bien faire seraient les plus touchés: face à une pression toujours plus grande, la culpa-bilité ressentie à cause d’un travail bâclé provoquerait une réelle souffrance psychique.

DES CONSÉQUENCES PHYSIQUES ET PSYCHOLOGIQUESCe mal-être n’est pas tou-jours bien perçu par la société actuelle. Certains parleront de surmenage, mais le pro-blème est plus ancré qu’un simple trop-plein de travail. Les maux sont multiples. Pour Philippe Davezies, les troubles physiques sont indissociables des troubles psychiques: «Si vous êtes en difficulté, cela va générer chez vous des mani-festations observables biologi-quement, qui se traduisent par des perturbations physiques et par de la souffrance psy-chique. Vous ne pouvez pas en ressentir sans manifestations corporelles». Les symptômes sont souvent les mêmes chez toutes les personnes souf-

frant sur leur lieu de travail: problèmes cardio-vasculaires liés au stress, troubles mus-culo-squelettique, insom-nies… Dans certains métiers, les difficultés physiques sont connues et identifiées. C’est le cas des enseignants, qui en-durent pour certains «des pro-blèmes de sommeil, des maux de dos, de jambes ou de pro-blèmes de voix», comme l’ex-plique Françoise Lantheaume, sociologue spécialisée dans le travail enseignant. Mais parfois, le boulot lui-même provoque la maladie. Certains cancers sont la suite logique d’expositions prolongées à des produits cancérigènes au sein de l’activité profession-nelle, comme ce fut le cas de l’amiante. Cette douleur est intimement liée à une détresse psychologique, très générale-ment ramenée au stress. Ce dernier est engendré non pas par un profil psychologique de la personne mais par l’accu-mulation des tâches deman-dées aux salariés. Selon Sté-phane Vincent, «tout ce qui est lié "au stress" sont les choses qui ont un rapport avec la fa-çon dont on laisse l’employé s’exprimer dans son travail, les moyens qu’on lui donne pour faire une tache de qua-lité. Sachant qu’on lui donne des objectifs, sans lui fournir les outils et les moyens pour y arriver, le stress est d’autant plus présent. C’est comme si on demandait à quelqu’un de faire deux choses complète-

ment contradictoires avec les mêmes impératifs. De quoi rendre les gens cinglés!»

PERSONNE N’EST ÉPARGNÉPour autant, tous les milieux socioprofessionnels sont tou-chés. Les cadres ne sont pas épargnés par la souffrance au travail, tout comme les ou-vriers, mais celle-ci se ressent de manière différente. «On aurait tendance à croire que ce sont les cadres les plus concernés par le stress ou les infarctus alors que ce n’est pas vrai, ce sont principalement les ouvriers et les travailleurs aux contraintes physiques importantes. Par contre, les cadres sont plus souvent sou-mis à des problèmes d’ordres psychiques liés aux injonc-tions paradoxales», explique Stéphane Vincent. Les per-sonnes à hautes responsabili-tés connaîtraient un mal-être plus psychique que physique. Certains milieux sont parti-culièrement connus pour un taux de souffrance élevé. «Tra-ditionnellement, on sait que la banque ne va pas bien, que dans les hôpitaux ou dans les secteurs sociaux, ces ennuis se posent de façon très aigüe. Mais n’importe où, on peut trouver un mal-être», ajoute Philippe Davezies. Pour lui, c’est un fait statistique, les métiers aux risques les plus élevés sont davantage susceptibles d’engendrer de la souffrance, car la pression est plus éle-vée, et la peur de mal faire est

LES SUICIDES CHEZ FRANCE TELECOM

Le monde financier a souvent connu des suicides de salariés, mais ces dernières années, c’est France Télécom qui a fait parler d’elle à cause du nombre important d’employés qui se sont donnés la mort. La société emploie plus de 165 000 personnes dans le monde pour servir plus de

200 millions de clients. En 2011, 59 salariés du groupe se sont suicidés en moins de dix ans. L’un d’eux avait laissé une lettre dans laquelle il expliquait vouloir mourir à cause de son travail. Il dénonçait une urgence permanente, une surcharge de travail, l’absence de formation, une désorganisation totale et un management par la terreur.

L’organisation interne de l’entreprise serait en cause dans le mal-être de ses employés. Cette affaire révèlera ce qu’on appelle désormais le syndrome du «burn out». Ce sentiment d’impuissance dans le travail déclenche des états dépressifs forts, un malaise social important et peut entraîner certaines personnes à passer à l’acte.

ZOOM SUR

PROBLÈMES CARDIO-

VASCULAIRES LIÉS AU

STRESS, TROUBLES MUSCULO-

SQUELETTIQUE, INSOMNIES…

DANS CERTAINS MÉTIERS, LES DIFFICULTÉS

PHYSIQUES SONT

CONNUES ET IDENTIFIÉES.

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susceptible d’atteindre direc-tement des personnes et non des services. Les médecins et les infirmiers font partie de ces métiers. Pour Marcel Her-mann, président du syndicat Sud-Santé, «une faute dans les métiers de la santé, ce n’est pas une mécanique qui tombe en panne, c’est un être humain qui va en pâtir derrière.» Pour lui, c’est clairement un fac-teur d’usure, et le risque dû à l’organisation est permanent: «Le problème, c’est ce fonc-tionnement par tranches de douze heures. Selon les mé-decins, au bout de ce laps de temps, c’est comme si on avait 0.6 grammes d’alcool dans le sang en terme de pertinence et d’acuité. On augmente en permanence le risque de mal faire, donc ça maintient une pression insoutenable. Mais tout ça est fait pour faire des économies».

DES SOLUTIONS ET AUCUNE ACTIONLe problème de la souffrance au travail a été pointé du doigt. Il y a quelques années, suite à une vague de suicides dans certaines entreprises. Celles qui essayaient, jusque-là, de masquer le problème se sont retrouvées face à leurs respon-sabilités. Mais les réactions ne sont pas toujours adéquates face à un mal-être profond. La remise en question ne se fait pas. Pourtant, «quand vous avez deux-trois salariés qui se jettent par la fenêtre, vous devez vous sentir concerné!», s’indigne le rédacteur en chef adjoint de «Santé et Travail». «La première réaction des en-treprises est de se dédouaner de toutes responsabilités et non pas de traiter le problème. C’est ce qu’a fait France Tele-com pendant des années», poursuit-il. Les solutions sont

multiples mais difficilement mises en place. Retrouver un espace de communication au sein des sociétés serait un bon moyen de faire face aux diffi-cultés rencontrées, et permet-trait de détecter les personnes en souffrance. Malheureuse-ment, beaucoup d’entreprises ne remettent pas en cause leur organisation de travail et préfèrent mettre en place des numéros verts ou des cel-lules d’écoute. Le problème reste alors présent, malgré la possibilité d’un accompa-gnement psychologique. Pour le syndicat Sud-Santé, il faut avant tout repenser les for-mations ainsi que les effectifs. Au vu de la multiplication des tâches imposées aux sala-riés, il serait bon de revoir le programme des formations: «Elles ne sont plus adéquates, les programmes, de la façon dont ils sont conçus, ne nous conviennent pas. Il faut des apprentissages de soignants par exemple, en qualité et en quantité, avec un diplôme qui soit mieux contrôlé au niveau de l’enseignement.» Les for-mations pourraient donc être une solution afin d’évi-ter un mal grandissant dans le monde professionnel. Pour Stéphane Vincent, il faut avant tout parler de la souffrance au travail, afin que cela soit considéré comme un problème réel: «Ce que nous essayons de faire dans la revue, et c’est important, c’est de mettre en visibilité les difficultés. Les entreprises, elles, passent une bonne partie de leur temps à essayer de maquiller ce qui ne va pas. Il y a tout ce voile à lever et c’est ce à quoi nous travaillons chaque jour.»

La souffrance au travail ne pourra pas se régler sans la prise en compte de l’indi-vidu dans l’intensification du rythme de travail. Les entre-

LE STRESS, L’ENNEMI DU

SALARIÉ

Le stress serait-il la maladie de

notre siècle? Il serait pour

beaucoup la cause de nombreux

symptômes souvent

associés à la souffrance au travail.

Insomnies, anxiété ou problème

cardio- vasculaire, le

stress désigne un mal–être qui

est la réaction logique de

l’organisme face à un évènement déstabilisant et perturbant. Les

conséquences peuvent parfois

être bénignes sur l’organisme,

mais elles peuvent

engendrer des problèmes

plus profonds tels que des

dépressions. C’est donc un facteur

important qui n’est, la plupart

du temps, peu ou pas

considéré par les entreprises.

ZOOM SUR

SANTÉ

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EN BREF

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SANTÉ

prises ont les moyens de réa-gir mais doivent admettre une part de responsabilité dans le mal-être de leurs salariés. Ré-tablir la communication et ins-taurer une organisation nou-velle pourrait permettre aux employés d’améliorer leurs conditions de travail et ainsi, peut-être, rendre la situation psychique et donc physique, au sein des milieux profession-nels.

Margot Ziegler

LE SCANDALE DE L’AMIANTE, UN EFFET DÉCLENCHEUR

Les révélations faites dans les années 70 sur les risques liés à l’utilisation d’amiante sur les lieux de travail ont été la prise de conscience, en France, d’un problème sanitaire important dans le milieu professionnel. Les professions les plus touchées ont été les métiers de travaux miniers, de raffinerie, de pétrochimie, des travaux publics de métallurgie et de sidérurgie. Les premiers cas de maladie liés à l’inhalation des fibres d’amiante sont apparus en 1965. Il s’agissait principalement de cancers des poumons, de la plèvre ou encore de fibroses. C’est depuis cette affaire que la France a porté un intérêt à la santé au travail, notamment dans le milieu ouvrier. Aujourd’hui, la réglementation sur le désamiantage des sociétés doit être renforcée. Les entreprises ont reçu l’ordre de désamianter leurs bâtiments afin d’assurer la sécurité des salariés sur le plan sanitaire.

ZOOM SUR

LE MOJITO DU SYPHAX

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SOCIÉTÉ

Etablissement public d’enseignement supérieur, le Collège de France,

place Marcelin Berthelot dans le Vème arrondissement de Paris, doit son origine à François Ier en 1530. La devise de l’établissement, Docet Omnia, signifie «il enseigne tout» et dès l’entrée, cela se vérifie. Il suffit de regarder le programme 2011/2012: des sciences mathématiques, physiques et naturelles en passant par les sciences humaines et sociales et les chaires annuelles. Concernant ce «palais du Savoir», le bâtiment est grandiose et étonne. Un couple de curieux, guide de Paris à la main, s’émerveille devant la bâtisse. Tout en pierre blanche et pavée au sol, la cour et le calme qui y règne intimident. Et pourtant, la volonté

du Collège de France est de faciliter la diffusion des connaissances et d’enseigner librement les recherches en cours à tous les publics intéressés. Au départ, les disciplines enseignées n’étaient pas encore admises à l’Université comme le grec, l’hébreu et les mathématiques. En 1530, il n’y avait que sept «lecteurs royaux». Aujourd’hui, plus de 50 professeurs les ont remplacés. Les cours sont gratuits, ouverts à tous, sans droits d’inscription, et ne préparent à aucun diplôme. Seule condition pour assister à un cours: arriver 20 minutes au plus tôt avant la séance. Nul besoin de montrer patte blanche en arrivant mais attention, ça se bouscule à l’entrée. Il y a des hommes au look d’étudiant, sac

à dos, jean et tee-shirt, des femmes d’affaires, semble t-il, en talons de 12 cm et mallette professionnelle. Des personnes âgées emmitouflées dans de gros manteaux de fourrure et un homme avec un bébé dans les bras font également parti du public. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour apprendre. Certains semblent être des habitués, lançant des grands «bonjour!» à l’homme chargé de l’accueil et plaisantant avec lui. A l’intérieur, l’architecture est magnifique. Du marbre blanc, des colonnes ornées de moulures, du mobilier noir et de grandes fenêtres qui laissent entrer les premiers rayons du soleil matinal. Aujourd’hui, le séminaire se déroule dans l’amphithéâtre Marguerite de

REPORTAGE

Folio est allé au Collège de France pour assister au séminaire «De la séniorité à la majorité: les progrès de la décision majoritaire à l’époque moderne» d’Olivier Christin, professeur à l’Université Neuchâtel et auteur du livre «La paix de religion» (éditions du Seuil). C’est parti pour un cours dans une institution singulière.

Collège de France: il enseigne tout, à tous

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EN BREF

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SOCIÉTÉ

Navarre. Tout le monde est déjà dans l’amphi, les dernières petites grands-mères prennent place. Les applaudissements retentissent quand le professeur Olivier Christin arrive.

AMBIANCE STUDIEUSE L’ a m p h i t h é â t r e e s t cinématographique. Tout à coup, les lumières se baissent, pour faire apparaître un écran géant qui permet au professeur de faire défiler son power point. Entre les bruits de stylo sur le papier et ceux du clavier d’un jeune homme qui tape à toute vitesse, l’écoute est religieuse, ponctuée, ci et là, de quelques chuchotements dans l’auditoire. Dans la salle, beaucoup de cheveux blancs. Certains lisent des journaux, d’autres tripotent leur collier de perles mais la plupart prennent assidûment des notes. Sauf peut-être ce monsieur qui commence déjà à piquer du nez. L’ambiance est chaleureuse, une boutade du professeur fait rire le public et réveille un peu quelques dormeurs. Pour mieux les rendormir cinq minutes plus tard. Au Collège de France, les professeurs sont choisis pour la qualité de leurs travaux et leur contribution à leur discipline. Parmi les chercheurs illustres de cet établissement de prestige: Raymond Aron, le sociologue Pierre Bourdieu, Claude Bernard, le philosophe Michel Foucault, Maurice Merleau-Ponty. Devant la salle, une citation est gravée en lettre d’or: «Non pas des vérités acquises mais l’idée d’une recherche libre». Le séminaire est presque terminé, le professeur conclut sous une salve d’applaudissements. «Je ne pensais pas que j’aurais autant de succès», avoue Olivier Christin, qui ajoute: «Cette institution est superbe. J’ai la chance de donner des cours à un

public différent des étudiants, c’est très enrichissant». Une mission que les professeurs du Collège de France prennent à cœur car l’explosion des connaissances et de l’information est plus que jamais d’actualité. D’ailleurs, depuis 2007, le Collège de France développe un programme de diffusion des cours sur Internet. En 2011, plus de dix millions d’heures de cours ont été téléchargées. «Le Collège de France est exclusivement parisien, il était important de pouvoir diffuser les savoirs partout en France», explique Cécile Barnier, chargée des relations presse de l’établissement. L’institution touche un public de plus en plus large et s’en félicite.

UN AUDITOIRE SURPRENANTIci, il n’est pas question de niveau d’études, d’assiduité en cours, de motivation ou de participation. L’auditoire est très hétéroclite. Nadine, 70 ans, raconte: «Je viens ici pour m’instruire. Plus jeune, je n’ai pas eu l’occasion d’aller beaucoup à l’école. Aujourd’hui, j’en profite. Je viens presque toutes les semaines, si les cours m’intéressent, bien entendu. J’ai toujours connu le Collège de France, j’y viens depuis une dizaine d’années.» Quant à Marco, étudiant de 24 ans en sciences politiques, il explique: «Je ne connaissais pas du tout cette institution. Je faisais des recherches lorsqu’un professeur de mon université m’a conseillé d’aller voir sur le site du Collège de France. Cette conférence est en adéquation totale avec mes cours. Je trouve ça drôle de me retrouver en amphi avec des retraités.» Le Collège de France a diligenté une enquête sur les auditeurs présents en cours en 2010. Cette enquête dresse un portrait robot de l’auditeur du Collège: un homme comme une femme, de

plus de 55 ans, résidant à Paris ou en Ile de France, de niveau culturel élevé, le plus souvent sans profession ou inactif et qui déclare suivre les cours

pour sa culture personnelle. C’est ce qu’affirme François, 65 ans: «Je suis un ancien mathématicien. J’ai eu de gros problèmes médicaux qui m’ont obligé à quitter mon travail. Le fait de pouvoir continuer à me cultiver, dans un si bel endroit en plus, me permet de rester dans le coup.» En revanche, les auditeurs à distance sont différents, ce sont plutôt des étudiants de moins de 30 ans, qui cherchent des compléments de cours. Marco confirme: «Maintenant que je sais que les cours sont disponible sur le net, je vais les télécharger pour éviter de me déplacer à chaque fois. C’est plus pratique pour les étudiants qui ont cours dans la journée et qui de toute façon ne pourraient pas venir au Collège de France.» Pour le Pr Pierre Corvol, l’administrateur du Collège, «la devise de l’établissement est incomplète. Ca ne devrait pas être Docet omni, mais plutôt Docet omnes omnia: il enseigne tout, à tous».

Marie Lanen

120 C'EST EN MILLIERS

LE NOMBRE D'AUDITEURS

QUI SONT ACCUEILLIS

CHAQUE ANNÉE AU

COLLÈGE DE FRANCE

Patrick Imbert/ Collège de France

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SOCIÉTÉ

La volonté des architectes du Collège de France: conservation, rénovation et tradition. Respecter la mémoire des lieux est primordial. Patrick Imbert/ Collège de France

La Cour intérieure. Au milieu, une statue représentant François Ier, qui, sur le conseil de Guillaume Budé créa le Collège de France. Patrick Imbert/ Collège de France

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SOCIÉTÉ

Le Foyer central où sont exposées des inventions. A l’intérieur de l’institution, le style est très épuré, le blanc domine. Patrick Imbert/ Collège de France

Le grand amphithéâtre de 420 places, Marguerite de Navarre. Sœur du roi François Ier, elle est connue pour être une des premières femmes de lettres françaises. Patrick

Imbert/ Collège de France

La cour d’honneur. Celle-ci permet d’accéder aux salles de cours et à la bibliothèque. Tradition et modernité se mêlent à la perfection. Patrick Imbert/ Collège de France

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SOCIÉTÉ

Lu n d i 1 3 f é v r i e r , "Libération" met le feu

aux poudres. Le quotidien, qui s’est procuré le rapport (à paraître le 8 mars) de la Haute autorité de santé (HAS) annonce qu’en page 27, les experts de la HAS écrivent: «L’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques, n i sur la psychothérapie institutionnelle.» Et pourtant,

nombre de spécialistes ont recours à cette méthode pour prendre en charge les personnes a t te in tes d’autisme. «L’humain doit être pris en compte au niveau de l’affect, de l’inconscient et des émotions, en ce sens la prise en charge psychologique des autistes est importante», explique le Dr Dominique Barbier, pédopsychiatre. En revanche, pour les parents, c ’est un soulagement et le fruit d’un long combat. Cela fait des années qu’ils

dénoncent la psychanalyse comme une prise en charge i n e f f i ca ce e t i n a d a p t é e de l’aut isme. «Au début , n o u s av o n s e ss ay é cet te méthode pour notre f i l s . Force est d’admettre qu’i l n’y avait aucun résultat. De plus, le lien entre mère et f i ls est très culpabil isant, c’est scandaleux», raconte Lydie Laurent, enseignante spécial isée pour enfants aut istes et maman d ’un enfant atteint de la maladie. La p lupart des fami l les

L'autisme touche plus de 500 000 personnes en France. Cpyright Josep Ma. Rosell

Une différence qui dérangeAnnoncé Grande Cause nationale 2012, l’autisme a donné naissance à une polémique entre psychiatres, psychologues et associations de parents sur le traitement de la maladie par la psychanalyse. La déclaration du Dr Claude Bursztejn résume la situation: «Le monde de l’autisme est empoisonné par des conflits idéologiques». Eclairage sur le débat avec le prochain rapport de la Haute autorité de santé (HAS), le 8 mars.

AUTISME

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SOCIÉTÉ

s o n t d i r i g é e s v e r s l a psychothérapie et se sentent obligées de la faire, n’ayant p a s le s c o n n a i s s a n c e s sur les autres approches pédagogiques et médicales. «On m’a dit, "votre enfant ne parle pas, il faut faire une psychanalyse". Il n’avait que trois ans et demi. Aujourd’hui n o u s s o m m e s c o n t re l a psychanalyse car nous l’avons tous plus ou moins testée et on a constaté à quel point cette prise en charge est inutile et inadaptée», explique Christelle Grinard, maman d’un garçon de neuf ans atteint d’autisme et membre de l’association Sur le chemin des écoliers, rattachée à Autisme sans frontières. Certains psychologues sont pourtant ouverts et favorisent même d’autres méthodes. «Il ne faut pas être sectaire, chaque méthode possède ses indications et ses contre indications. Le plus important, c’est de pouvoir adapter à chaque cas la méthode qui marche le mieux», analyse le Dr Barbier. La polémique enfle et c’est au sujet du "packing" qu’elle éclate. Cette technique, réservée aux cas d’autisme les plus sévères, consiste à envelopper le patient dans des serviettes humides et froides, à environ 12°C, puis à le réchauffer rapidement. Cette méthode est jugée scandaleuse par les associations d’autistes et par les parents. «Il n’y a rien de sadique dans cette méthode. Cela donne des sensations fœtales aux patients, qui se sentent apaisés. Je l’ai pratiqué plusieurs fois, ça a donné de bons résultats», t e m p è re le D r B a r b i e r. Les conflits sont donc bien présents, le nouveau plan autisme apaisera-t-il les

tensions?

UN BILAN CONTRASTÉ«Le 4 avril 2011, Roselyne B a c h e l o t , m i n i s t r e d e s Solidarités et de la cohésion sociale, m’a confié une mission d’évaluation de l’impact du plan autisme 2008/2010», explique Valérie Létard, sénatrice et ancienne secrétaire d’Etat à la Solidarité. Ce plan a permis de se rendre compte des avancées sur l’autisme, mais aussi des retards de la France pour traiter, dans son ensemble, cette maladie. «Il y a eu la création de 4 100 places supplémentaires, 24 structures expérimentales appliquant des méthodes éducatives (ABA, Teacch…), la construct ion d’un socle de connaissances partagées qui donne une définition de l’autisme et des TED (troubles envahissants du développement)», ajoute Valérie Létard. Aujourd’hui, sur les 4 100 places, seules 1610 sont opérationnelles. La construction des bâtiments reste longue, surtout pour les fami l les . «Quand on se place d’un point de vue professionnel , les choses avancent, mais quand on est parents, tout est toujours trop long», témoigne Lydie Laurent. Valérie Létard avoue que «le plan a enregistré de nombreux retards dans sa mise en œuvre alors même q u e l e s b e s o i n s re s t e n t criants. Les familles restent confrontées à des déla is encore insupportables pour l’accès au dépistage, pour obtenir une place dans une structure spécialisée, ou un plan d’aide adapté.» Mais le point noir de ce plan reste la formation des enseignants, du personnel encadrant , de l’accompagnement en g é n é ra l . Va l é r i e L é ta rd

p ro p o s e d e «relancer la g o u v e r n a n ce d u p l a n . I l faut mult ip l ier l’of fre de formation pour disposer d’un personnel qualifié et formé à la spécificité de l’autisme et aux méthodes éducatives et comportemental istes.» La formation apparaît donc comme la clé pour résoudre le problème de la prise en charge de l’autisme. L’élan créé par la décision de faire de cette maladie la Grande Cause nationale 2012 arrivera-t-il à faire bouger les choses plus rapidement? Une chose est sûre, les associations, les parents et les professionnels de santé s’accordent à dire que c’est un espoir. Retour sur une maladie qui gagne à être connue.

80 % des enfants atteints d’autisme en France ne sont pas scolarisésCrédit: Autisme

Awarness

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20 DÉCEMBRE 2011, DATE CLÉI l y a q u e l q u e s m o i s , François Fillon annonçait à l’Assemblée nat ionale l’attribution du label Grande Cause nat ionale 2012 à l’autisme. Cette maladie est un trouble envahissant du développement (TED), elle se caractérise de plusieurs m a n i è re s . Tro u b le s d e la communicat ion , dans les interact ions sociales ainsi que dans les centres d ’ i n t é rê t s . L’ o r i g i n e d e l’aut isme est encore un mystère, même si plusieurs pistes sont explorées, les recherches sont coûteuses et longues. Sur le portail du gouvernement, Daniel Fasquel le , prés ident du groupe parlementaire sur l’aut isme à l’Assemblée nationale, indique: «Grâce à la Grande Cause, nous pouvons désormais compter sur un surcroit de visibilité pour faire avancer la cause de l’autisme.» Même enthous iasme du

côté des associations qui se battent pour faire avancer la cause de la maladie dans la société. «Il faut communiquer au grand public les enjeux de l’autisme pour que tout le monde se rend compte du désarroi des familles», commente Lydie Laurent. Cette attribution arrive au bon moment, elle se situe dans la continuité du plan autisme 2008/2010. Le label Grande Cause nationale va permettre aux associations de communiquer à grande échelle sur la maladie. Leur plan d'action comprend la Rencontre parlementaire sur l'autisme à l'Assemblée nat ionale ( le 12 janv ier dernier), la Journée mondiale de sensibilisation à l'autisme, le 2 avril, ainsi que le Tour de France de l'autisme en s e p t e m b re . L e P re m i e r ministre souhaite s’appuyer sur le rapport de Valérie Létard pour relancer la mise en œuvre des mesures. C’est tout ce que souhaitent les

associations.

RÉFORMER, RÉFORMER ET RÉFORMER«Le plus important à mes y e u x , c ’ e s t d e ré f o r m e r l’éducation nationale, former les auxiliaires de vie et les p ro fe ss i o n n e l s d e s a nté . En gros, réformer de façon pédagogique», explique Lydie Laurent. Selon Christelle Grinard, «le plus urgent, c’est de rendre accessible à tous une scolarisation adaptée. Il ne faut plus enfermer les autistes dans des centres psychiatriques ou dans des Instituts médico-éducatifs ( IME).» Les assoc iat ions développent des programmes éducatifs, mettent en place des formations pour que les enfants autistes puissent re jo indre un programme scolaire «classique». Elles développent également des actions spécifiques pour la prise en charge des enfants autistes, des aides pour les parents, des interventions

SOCIÉTÉ

«LE PLUS URGENT, C’EST DE RENDRE ACCESSIBLE À TOUS UNE SCOLARISATION ADAPTÉE. IL NE FAUT PLUS ENFERMER LES AUTISTES DANS DES CENTRES PSYCHIATRIQUES OU DANS DES INSTITUTS MÉDICO-ÉDUCATIFS», Lydie Laurent, enseignante spécialisée pour enfants autistes

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dans le mi l ieu scola ire , mais aussi, elles organisent des conférences pour les é tud iants du Master en psychologie de l’enfance et de l’adolescence. Des actions importantes qui ont permis de faire avancer la vision de l’autisme dans la société. «A travers nos actions, nous voulons que l’Etat voit des choses qui restent à faire, pour cela il faut aller sur le terrain», ajoute Lydie Laurent. Cette maman a suivi des formations pendant plusieurs années, «Je voulais à tout prix soutenir mon fils et trouver des idées pédagogiques pour l’aider.» Des méthodes comme ABA, Montessori et autres n’ont plus de secret pour elle. Aujourd’hui, elle intervient au sein de l’Education nationale, mais regrette qu’ «en France, l’argent soit donné à la santé et pas à l’éducation, c’est un vrai problème.» Toutes ces préoccupations devraient être réglées avec le projet d’un troisième plan autisme.

DES PROJETS À LA PELLES u i t e à u n e s a i s i n e parlementaire datée du 12 octobre 2011, le Consei l é c o n o m i q u e , s o c i a l e t env i ronnementa l (CESE) rendra public au deuxième semestre 2012 un compte rendu sur le coût économique et social de l’autisme. Cette sa is ine fa i t su i te à une pétit ion citoyenne lancée par le Collect i f Autisme. Grâce à Daniel Fasquelle et Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, la pétition n’a pas eu besoin d e s 5 0 0 0 0 0 s i g n a t u re s nécessaires à la recevabilité d’une pétition citoyenne. «Les choses bougent enfin, car on peut se poser des questions sur la façon dont est gérée l’aide financière. Une journée

«Très souvent, les gens s’arrêtaient pour me dire que mon petit garçon était très mal élevé et qu’à ma place, ils lui donneraient une bonne fessée»

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à l’hôpital de jour coûte 180 euros alors qu’une auxiliaire de vie scolaire est payée 780 euros par mois», s’insurge Lydie Laurent. C’est sur ces questions que le groupe p a r le m e n t a i re , d é s i g n é pour traiter le problème de l’autisme, devra travailler. Le Premier ministre a annoncé qu’il souhaitait mettre en place un tro is ième plan a u t i s m e s u r le m o d è le du plan 2008/2010. Pour l’instant quatre tables rondes ont été organisées, posant les quest ions centrales: «Pourquoi l’ inclusion des personnes aut istes n ’en est-elle qu’à ses débuts?», «Pourquoi la recherche est-elle en panne?», «Comment mieux financer la prise en charge de l’autisme?» et «Quel bilan à ce jour et quelles améliorations pour le Plan autisme?». Ce troisième plan met les bouchées doubles pour faire avancer les choses, comme l’expl ique Daniel Fasquelle sur le portail du gouvernement, «Le deuxième plan autisme 2008/2011 a permi des avancées, maintenant il faut aller plus loin et plus vite dans tous les domaines. Prenons exemple sur nos voisins, en Grande Bretagne, 70% des enfants autistes rejoignent le cursus scolaire ordinaire.» Un rêve pour des milliers de parents qui ont de grandes di f f icultés à trouver une structure adaptée à leurs enfants.

Ouvrir le regard sur l’autismeL e s r e c h e r c h e s v o n t également se baser sur les méthodes comportementales telles qu’ABA, Teacch ou encore Pecs (voir encadré). Des méthodes différentes, qui ont un seul but, permettre à l’enfant de devenir autonome

et de pouvoir s’insérer dans un milieu scolaire classique. Ces méthodes ont toutes donné des résultats spectaculaires. «Nous sommes allés chez un orthophoniste spécialiste de la communication alternative. Les images et les s ignes permettaient l’échange. Petit à petit, notre petit garçon a appris des mots et il a échangé avec nous. Aujourd’hui, il est scolarisé en CE2, dans une école primaire classique» explique fièrement Christelle Grinard. Même constat pour Lydie Laurent, après avoir suivi un grand nombre de formations, elle a pu aider son fils: «Il est en CM2, dans une classe normale. L’après-midi, je fais l’école à la maison pour qu’il soit au calme». Ils sont peu en France à avoir la chance d’être insérés dans le milieu scolaire. Pour eux et tous les autres, un différent combat les attend, le regard d'autrui. Deuxième point clé du nouveau plan autisme, faire évoluer les mentalités. L’autisme est un handicap «invisible» aux yeux des autres. L’enfant paraît normal, pourtant sa perception et ses réactions sont différentes de celles des autres enfants . Des difficultés sociales que peu de personnes comprennent et dont souffrent les parents qui sont souvent culpabilisés dans la vie quotidienne. «Hugo devait avoir 4 ans. Quand nous partions nous promener, il ne voulait pas marcher, il criait, il pleurait et s’allongeait par terre. Très souvent, les gens s’arrêtaient pour me dire que mon petit garçon était très mal élevé et qu’à ma place, ils lui donneraient une bonne fessée» raconte Christelle G r i n a rd . L e re g a rd s u r l’autisme doit changer. Le psychologue Howard Buten

a d’ailleurs titré son livre, «Ces enfants qui ne viennent pas d'une autre planète: les autistes».

Marie Lanen

ABA (analyse appliquée des comportements), méthode qui analyse le comportement de l’enfant lors d’une demande spécifique et lui donne les clés pour y répondre de façon adéquate.

TEACCH (traitement et éducation des enfants autistes ou souffrant d’handicaps de communication), méthode qui permet de sécuriser l’enfant dans des activités organisées de la vie quotidienne.

PECS (système de communication par échange d’images), méthode qui permet à l’enfant de communiquer via des images et des pictogrammes.

LES MÉTHODES

ENTRE 300 000 ET 500 000 PERSONNES ATTEINTES D’AUTISME EN FRANCE

6 000 ENFANTS AUTISTES NAISSENT TOUS LES ANS EN FRANCE

187 MILLIONS D’EUROS, C’EST LE BUDGET ALLOUÉ AU PLAN AUTISME 2008/2010

30 MESURES ONT ÉTÉ PRISES POUR LE PLAN AUTISME 2008/2010

3 RECHERCHES CLINIQUES SONT EN COURS SUR LE PACKING

ENTRE 18 MOIS ET 2 ANS D’ATTENTE POUR UN DIAGNOSTIC PRÉCOCE

23 STRUCTURES SPÉCIALISÉES ONT VU LE JOUR EN 2010

1 000 ASSOCIATIONS COMPOSENT ENSEMBLE POUR L’AUTISME

EN CHIFFRES

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L’agriculture devant un champ d’incertitudes

PAR FABIEN DÉZÉ

ÉTAT DES LIEUX

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CULTURE

L’agriculture devant un champ d’incertitudes

Il semble bien loin le temps où l’économie française reposait principalement sur l’agriculture, au début du XIXe siècle. Depuis, la révolution industrielle est passée par là, provoquant un phénomène d’exode rural. L’agriculture décline alors progressivement, surtout à partir de 1900. Un siècle plus tard, l’hémorragie est loin d’être endiguée et les agriculteurs ne représentent plus que 3% de la population active totale en France. La tendance actuelle n’incite pas à l’optimisme. La part des exploitants de moins de 35 ans diminue d’années en années, ils ne représentent plus aujourd’hui que 13% des agriculteurs. Le renouvellement des générations est donc loin d’être assuré, les enfants d’agriculteurs renonçant souvent à reprendre l’exploitation familiale. Dans ce marasme, seuls certains courageux persévèrent en dépit d’un faible salaire. Gagner sa vie avec l’agriculture au XXIe siècle n’est plus qu’un doux euphémisme.

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Chaque année, le Salon inter-national de l’agriculture (SIA) donne un coup de projecteur sur un secteur relativement méconnu du grand public. Une nouvelle fois en 2012, le salon n’a pas échappé à la règle en accueillant, du 25 février au 4 mars à la Porte de Versailles, plus de 4700 animaux et envi-ron un millier d’exposants venant des quatre coins de la France. Le tout dans une ambiance conviviale avec la présence d’un public venu en grand nombre admirer les plus belles bêtes et goûter les meilleurs produits du terroir. Rien de mieux pour promou-voir l’agriculture. Mais malgré les apparences, tout est loin d’être rose pour les agricul-teurs français. Les chiffres font, en effet, froid dans le dos. Entre 2000 et 2010, le nombre de personnes travaillant sur une exploitation agricole est passé de 1,3 million à 966 000, soit une baisse vertigineuse de 26,7 %. Au cours de la même décennie, le nombre d’exploi-

tations est passé de 644 000 à 500 000 (-26 %) dont 326 000 sont considérées comme professionnelles. Environ 200 exploitations mettent la clef sous la porte chaque semaine car elles n’ont pas réussi à trouver un repreneur. Para-doxalement, si leur nombre diminue régulièrement, elles ne cessent de s’agrandir. De 42 hectares en moyenne en 1988, elles sont passées aujourd’hui à 78 hectares.

PAS ÉVIDENT DE TROUVER UNE FERMEUne évolution en trompe l’œil. Les grosses exploitations pro-duisent plus, alors que les petites n’arrivent pas à se re-nouveler. Pour Philippe Collin, porte-parole de la Confédéra-tion paysanne, les agriculteurs rencontrent de plus en plus de problèmes structurels: «Ils ont beaucoup de mal pour s’instal-ler. Ceux qui partent à la retraite n’arrivent pas toujours à trans-mettre leur ferme. Les jeunes ne sont pas mieux lotis. Après

leurs études, ils trouvent un mé-tier, mais pas forcément dans la branche qu’ils veulent. Très peu trouvent une ferme.» Le paysan bourguignon dénonce une opération de récupération politique, chaque année, lors du SIA: «Nous ne sommes pas des singes dans des cages. Le salon montre une image défor-mée et excessivement positive du métier d’agriculteur, mais ne parle pas des difficultés que l’on rencontre. En venant nous ser-rer la main devant les médias, les candidats à la présidentielle se servent de nous comme un outil de campagne mais ils n’en ont rien à faire. Il est temps de prendre en compte les vraies préoccupations des paysans».

SEULEMENT 3% DE LA POPULATION ACTIVELes causes de ce déclin sont multiples. Le résumer aux dix dernières années serait pour-tant une erreur. Pour Roger Le Guen, professeur de sociologie à l’Ecole supérieure d’agri-culture d’Angers, ce n’est pas

ENVIRON 200 EXPLOITATIONS

METTENT LA CLEF SOUS LA

PORTE CHAQUE SEMAINE CAR ELLES N’ONT

PAS RÉUSSI À TROUVER UN REPRENEUR

Les surfaces exploitables sont de moins en moins nombreuses.

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SOCIÉTÉ

L’élevage demande beaucoup de travail pour des faibles revenus.Crédit Besopha

«AUJOURD’HUI, UN JEUNE DE

21 ANS NE PEUT PAS SE

PERMETTRE DE TRAVAILLER

COMME UN CON 60 HEURES PAR SEMAINE SANS AVOIR UN BON

SALAIRE»MATHIEU

VALRAN, 21 ANS, AGRICULTEUR

un phénomène nouveau: «Le monde agricole a connu de multiples crises depuis 1860. Aujourd’hui, l’agriculture coûte cher et ne se situe pas sur des marchés mondiaux. Il y a une baisse des prix des produits agricoles de 30 à 40%, une hausse des coûts de produc-tion et donc il y a de moins en moins d’exploitants. Changer le modèle agricole demande beau-coup de temps.» Les agricul-teurs ne représentent, en effet, plus que 3% de la population active contre 31% en 1955. La plupart sont isolés et se sen-tent peu écoutés, c’est donc une véritable crise identitaire que traverse la profession. «Ils ont l’impression d’être en voie de disparition», reprend Roger Le Guen. «75% des exploitants qui s’installent sont des enfants d’agriculteurs. Mais la succes-sion n’est plus aussi simple

qu’avant car les exploitations ne sont plus toujours rentables et si les parents ne donnent pas un coup de main, c’est dur de devenir plus efficace. Se pose également la question de la motivation car reprendre une ferme demande énormément d’exigences et il y a beaucoup de difficultés au début.» De la motivation, Arnaud Métivier n’en manque pas. Il a tout

juste 24 ans quand il décide de reprendre la ferme de ses pa-rents en 2008 à Sorigny, dans la région de Tours. Un pro-jet dans lequel il ne se serait pas lancé sans l’aide de ses parents: «Officiellement, je suis seul à m’occuper de la ferme mais mes parents qui sont à la retraite sont toujours là pour m’aider. Réaliser ce projet tout seul, n’aurait pas été possible. Le jour où ils ne pourront plus m’épauler, ça deviendra problé-matique de gérer les 100 hec-tares».

«65 HEURES DE TRAVAIL PAR SEMAINE»Pour reprendre «Le Verger», Arnaud a dû d’abord racheter la centaine d’animaux de ses parents pour 85 000 euros puis le matériel pour 42 000 euros, le reste étant en reconnais-sance de dette. Son salaire,

un prélèvement privé, s’élève à 1300 euros. «Ce n’est pas beaucoup mais c’est suffisant pour vivre», juge-t-il avec du recul. «Je bosse 65 heures par semaine et même le week-end. C’est vrai que le salaire peut être un objet de démotivation. Pour durer, il faut garder la tête sur les épaules et ne pas faire n’importe quoi. Pour l’instant, je ne pense pas arrêter car c’est

une passion. J’aimerais pouvoir me projeter plus dans l’avenir, mais au final, c’est impossible car je ne sais jamais à l’avance combien je vais vendre mes pro-duits.» Un sentiment d’incerti-tude partagé par de nombreux jeunes.

LES JEUNES DANS LE DOUTEPour la 49e édition du salon, les organisateurs ont mis l’ac-cent sur la jeunesse en choi-sissant comme thématique les métiers et formations de l’agriculture. L’occasion pour eux de vanter les mérites des 819 établissements d’ensei-gnement technique agricole qui accueillent plus de 170 000 élèves; le président du SIA, Jean-Luc Poulain, n’hé-sitant pas à mettre en avant «la vitalité de (la) profession.» Si dans les chiffres, 95% des titulaires d’au moins un bac +2 s’insèrent rapidement sur le marché du travail, la réalité est à nuancer. Titulaire d’un BTS analyse et conduite de systèmes d’exploitation, Ma-thieu Valran, 21 ans, est dans l'expectative. «Pour l’instant, je travaille sur une exploitation céréalière dans la Vienne», ex-plique le tout jeune diplômé. «Mais ce n’est pas vraiment ce que je veux faire plus tard. Je ne veux pas non plus reprendre l’exploitation de mes parents en Haute-Savoie car elle n’est pas viable dans le temps. Il y a beau-coup de pression foncière et 20 hectares risquent de dispa-raître. Aujourd’hui, un jeune de 21 ans ne peut pas se permettre de travailler comme un con 60 heures par semaine sans avoir un bon salaire.»

LES MARGES DE LA GRANDE DISTRIBUTIONLe président des Jeunes Agri-culteurs d’Ile-de-France, Gré-goire de Meaux, confirme qu’ils ont de plus en plus de mal à

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s’installer: «Le prix du foncier augmente, les coûts d’investis-sement sont plus importants donc certains s’orientent vers d’autres métiers, faute d’avoir trouvé un terrain». Une ten-dance accentuée par l’incerti-tude concernant la rentabilité des récoltes. «On est incapable de savoir à l’avance combien on va gagner. Les produits agri-coles marchent de moins en moins bien, sans compter que la grande distribution se gave plus que les autres en faisant de grosses marges.» Car l’un des grands fléaux qui touche les producteurs est l’exces-sive gourmandise des sociétés de grande distribution. Selon un rapport de l’Observatoire des prix et des marges, les marges brutes sur certains produits dépassent les 100%. «Il ne faut pas que les grandes surfaces deviennent nos clients prioritaires», analyse Stéphane

Duval, céréalier dans le Val d’Oise. «Il vaut mieux privilé-gier au maximum des circuits courts».

LE BIO COMME ISSUE DE SECOURS?Hors des traditionnels sentiers battus, certains prennent le pari de se tourner vers le mar-ché alimentaire biologique, qui connaît une croissance moyenne d’environ 10% par an. En effet, avec 20 604 exploita-tions en 2010 contre 11 900 en 2007, il représente aujourd’hui plus de 2% du marché alimen-taire total. Est-il pour autant plus rentable qu’un marché traditionnel? Pour Henri Thé-paut, maraîcher dans le Finis-tère et ancien président de la Fédération nationale d’agri-culture biologique (FNAB), ce n’est pas forcément évident: «Quand un agriculteur se met au bio, c’est plus par conviction

que pour réaliser du profit. Cela répond à des attentes sociales chez les consommateurs. On ar-rive quand même à produire de façon industrielle en bio, pour les légumes par exemple, car le sol reste en bonne santé.» Cepen-dant, les marges des grandes surfaces sont encore plus im-portantes en bio: «Le bio est considéré comme un produit de luxe. Il est donc vendu plus cher et les marges augmentent.» Il est donc difficile de trouver une solution miracle pour échap-per à la récession actuelle du secteur agricole. Si devenir agriculteur au XXIe siècle est toujours possible, les perspec-tives d’avenir sont de moins en moins réjouissantes. Certains courageux s’accrochent tou-tefois à leur terre en espérant des jours meilleurs. Mais pour combien de temps encore?

Fabien Dézé

30 000 C'EST EN EUROS

LE REVENU ANNUEL

MOYEN DES AGRICULTEURS

FRANÇAIS EN 2012

Les terres agricoles sont menacées par l’extension des villes et la pollution des usines.Crédit Jess et Peter

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IL Y A QUELQUES ANNÉES, RIEN NE PRÉDESTINAIT PIERRE COUSIN À DEVENIR AGRICULTEUR. DÉÇU PAR SON PRÉCÉDENT MÉTIER, IL A FINALEMENT TROUVÉ SA VOIE DANS L’ÉLEVAGE. RÉCIT D’UNE RECONVERSION PAS COMME LES AUTRES.

De conseiller en insertion sociale à éleveur d’ânes, il y a un fossé

que Pierre Cousin a osé franchir il y a six ans. L’agriculteur de 38 ans a acheté ses premiers animaux en 2006, mais n’a pu s’installer que trois ans plus tard à Chennevières-sur-Marne, après un court passage à Courtomer, en Seine-et-Marne. Un vrai parcours du combattant pour le jeune agriculteur qui ne s’est jamais découragé: «C’est de plus en plus difficile de trouver une petite exploitation, surtout en Ile-de-France. La plupart font une centaine d’hectares. J’ai harcelé les structures agricoles et le Conseil Général pendant trois ans et j’ai fini par trouver un terrain.» Fin 2009, il peut enfin poser ses bagages dans une ferme à l’intérieur du Parc départemental des Bordes, où il dispose d’une petite parcelle de 15 hectares et lance ses deux entreprises Téliane et Francilianes.

Seul agriculteur bio du 94Il devient ainsi, avec ses 19 ânes, le seul agriculteur bio du Val-de-Marne. Une fierté pour l’éleveur qui veut changer l’image de ces animaux: «Pour beaucoup de monde, un âne c’est bête, ça n’obéit pas. Je veux montrer que c’est faux. J’aime beaucoup les animaux mais je déteste les voir enfermer en cage comme dans les zoos. Je pense qu’ici mes ânes sont heureux et bien traités». Pierre trait la femelle de l’âne pour en faire des produits cosmétiques à base de lait d’ânesse qu’il vend ensuite grâce à

PIERRE COUSIN

Têtu comme un ânePORTRAIT

la formule «La ruche qui dit oui», qui permet aux producteurs de bénéficier des meilleurs prix. Le reste du temps, il vend ses produits directement aux clients lors de salons ou durant les visites de l’exploitation qu’il organise.

Pas rentable pour le momentS’il avoue ne pas faire partie des agriculteurs qui travaillent le plus, Pierre Cousin gagne difficilement sa vie avec des revenus dépassant à peine les 400 euros par mois. «Je ne fais pas ça que pour gagner de l’argent. C’est avant tout une passion. Je n’aime pas obéir, ni commander, donc je bosse seul. Je n’envisage pas d’embaucher des salariés. Pour l’instant ce n’est pas rentable mais ça ne fait pas si longtemps que ça que je vends des produits. Je ferai un bilan fin 2012.» Pour augmenter son chiffre d’affaire, il compte organiser plus de visites de son

exploitation et attaquer des nouveaux marchés comme l’Allemagne ou le Brésil. Homme de conviction, il est notamment administrateur du réseau Découverte de la ferme et se bat pour une agriculture 100 % biologique: «Je ne gagnerais pas plus d’argent en utilisant des pesticides. C’est plus rentable de bosser en bio. Je suis totalement contre les OGM.» Sur l’avenir du métier de paysan, il est par contre assez pessimiste: «Depuis les années 70, on a fait des choix de société en construisant des villes toujours plus grandes. On se retrouve dans des zones désertiques. Pour nourrir la population, on préfère aller chercher des produits en Chine.» S’il espère continuer de longues années son activité, l’avenir de son exploitation est loin d’être garanti. Mais comme dit le célèbre dicton, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir. Fabien Dézé

Crédit Fabien Dézé

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A LA TÊTE D’UNE EXPLOITATION AGRICOLE DANS LE PARC NATUREL DU VEXIN, DEPUIS PRESQUE 15 ANS, STÉPHANE DUVAL VIT SON MÉTIER AVEC PASSION. ENTRE ESPOIR ET COUP DU SORT.

On ne devient pas toujours agriculteur par choix.

Stéphane Duval était encore un enfant de 13 ans quand son père est décédé. Sur son lit de mort, il désigne Stéphane pour reprendre l’exploitation familiale à Avernes, dans le Vexin. «C’est ce que ma mère m’a répété, je ne l’ai pas entendu de vive voix», raconte t-il. «Pourquoi moi et pas mes frères, je ne sais pas. J’aurais préféré devenir mécanicien.» C’est en 1998 qu’il succède à sa mère en reprenant les 210 hectares de l’exploitation alors en faillite. Le jeune agriculteur relance l’exploitation en diversifiant son activité avec la fabrique d’une huile de colza. Dans son champ, il produit de nombreuses céréales mais aussi du mais, des betteraves, du tournesol et du colza. Pourtant, Stéphane Duval ne gagne pas très bien sa vie, il dépasse tout juste les 1000 euros par mois. «Le mythe du rich farmer, ca n’existe pas», explique t-il. «Je ne fais pas ce métier pour devenir riche sinon j’aurais fais autre chose. Ma femme gagne beaucoup plus que moi, ça nous permet de vivre. L’agriculteur riche est un agriculteur mort».

En pleine crise en 2009En 2009, la crise financière le touche de plein fouet. Le prix du blé baisse et il ne vend plus la tonne que 90 euros. Pour éponger ses dettes, il est obligé de céder 15 hectares de terre. Alors qu’il pense jeter l’éponge, un miracle se produit avec deux années consécutives où

il obtient un bon rendement. «C’est de plus en plus difficile d’être rentable en étant agriculteur», constate t-il amèrement. «On est dépendant du cours du blé à la bourse. Je me suis déjà engagé à vendre 300 tonnes de blé cette année mais je ne sais pas combien je vais gagner.» Pour relancer la rentabilité de son exploitation, Stéphane Duval se consacre donc deux jours par semaine à la fabrication d’huiles essentielles de colza et de tournesol avec l’aide, chaque mercredi, d’un salarié qu’il a embauché en début d’année. Un métier différent, qu’il a dû apprendre petit à petit, en se formant sur le tas. Sixième producteur de France à se lancer dans cette voie, il ne désespère pas d’augmenter ses profits et sillonne les marchés artisanaux. S’il ne sait pas combien de temps il pourra continuer son métier, il reste attaché à sa profession: «L’agriculture est un beau métier qui est malheureusement en danger. Dans le futur, il y aura de plus en plus de gens, de plus en plus de transports et donc forcément de moins en moins de terres agricoles. Qu’on soit céréalier ou éleveur, il faut se serrer les coudes car on fait tous le même métier.» Il ne se reconnaît, en revanche, pas dans l’émission télévisé «L’amour est dans le pré»: «On fait passer les agriculteurs pour des attardés mentaux. Souvent quand je rencontre des jeunes enfants, ils me demandent si j’ai une télévision ou l’électricité. Il faut arrêter avec les clichés». Ce qu’il fera demain? Il ne le sait pas encore. Même avec tant d’incertitudes sur son avenir, il refuse de se plaindre car «chaque métier est difficile». Mais tant que la passion est là… Fabien Dézé

STÉPHANE DUVAL

La culture du couragePORTRAIT

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ON LES CROISE SANS S’EN RENDRE FORCEMENT COMPTE ET POURTANT LES «SPACES INVADERS» SONT BEL ET BIEN LÀ, DANS TOUS LES RECOINS DE LA CAPITALE, NOUS OBSERVANT DEPUIS MAINTENANT PLUS DE QUINZE ANS.

INVASION

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Space Invaders

Ils sont partout !

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EN BREF

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Space Invaders

Ils sont partout !PAR BOUSSAYNA AKAIZ

Crédit Emm

anuelle Grimaud

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Les créatures pixélisées ont quitté le monde virtuel

des jeux vidéo pour envahir les rues de Paris, ainsi que d’autres grandes villes de la planète, par le biais d’Invader. L’artiste français, né en 1969, a donné naissance à ces êtres en mosaïques, qu’il incruste sur différents bâtiments en s’inspirant du fameux jeu intitulé Space Invaders, sorti en 1978 sur bornes arcades: le joueur engrange des points en détruisant avec un canon laser des rangées d’aliens avant qu’elles n’atteignent le bas de l’écran. Véritable classique tout comme Pac-Man, le jeu a influencé le milieu populaire: la télévision, la musique, mais aussi l’art y ont fait référence ou l’ont parodié. Invader s’est accaparé de la rue comme terrain de jeu. Cette démarche ludique et artistique lui a permis de se faire un nom et de créer un style, en France et dans le monde entier. Un nom oui, mais toujours pas de visage puisque l’artiste opère masqué et clandestinement…

Invader est un personnage mystérieux. On ignore son véritable nom, ainsi que sa date de naissance exacte. Le marchand d’art Alan Grizot a fait sa connaissance en 2000: «Je l’ai connu par l’intermédiaire d’un ami galeriste, Jack Salomon. Il est venu par la suite visiter mon loft, qu’il a trouvé super, et avec Zevs et André (des artistes urbains contemporains français, ndlr) ils ont réalisé la façade en la graffant. C’est comme ça qu’Invader fonctionne, à l’envie. Depuis nous sommes devenu amis.» S’il lui arrive d’accorder des interviews, c’est toujours masqué qu’il apparaît, ne montrant son visage sous aucun prétexte. Son art, en revanche, est à la vue de tous,

puisque c’est dans la rue qu’il a décidé de l’exposer. «Je pense qu’il souhaite garder l’anonymat car il agit un peu comme un extraterrestre, laissant sa marque sans que l’on sache qui il est vraiment. Il signale son passage sans que l’on puisse l’identifier», explique Alan Grizot. Si l’explication se veut poétique, elle est tout simplement pratique car l’invasion qu’il entreprend est illégale, c’est pourquoi il agit toujours de nuit. Ces précautions ne l’ont pourtant pas empêché de finir au poste de police à plusieurs reprises. Qu’importe, le risque ne semble pas l’arrêter, et il reste fidèle à son art, soit le street art? Alan Grizot définit l’art urbain comme étant «un mouvement capital de la dernière partie du XXème siècle qui, de New York à Paris, en passant par l’Amérique Latine, représente une sorte de révolte de la jeunesse, comme le hip hop dans la musique». Art public, mais aussi art officieux, qui a néanmoins réussi à se faire une place et qui a permis à Invader de se faire la sienne. C’est à coups de mosaïques qu’il a créé son histoire et marqué son territoire, imposant ses petits personnages aux yeux des passants tout en jouant avec eux: petit ou grand, visible ou camouflé, ils sont assemblés dans son atelier avant d’être apposés lors d’aventures nocturnes. Certains prennent la couleur des panneaux ou plaquettes parisiennes, une manière de se fondre dans la ville.

ADEPTE DE LA RÉTROMANIAL’œuvre de l’artiste témoigne d’une certaine nostalgie de celui-ci puisqu’il puise son inspiration dans ce qui a fait les beaux jours des années 70 et 80, Rubik’s Cube, Space

Invaders, Mario Bros et autres personnages de jeux vidéo. Elle participe à ce mouvement caractéristique des années 2000 dénommé «rétromania». C’est à dire que les artistes recyclent le passé pour créer quelque chose dans le présent, c’est ce qu’a fait Invader en utilisant des références à son enfance, dans ses œuvres. Cela semble plaire puisque les passants s’amusent à jouer à la chasse aux aliens: «On a vu ces personnages plaqués sur les murs, ici et là, et on a appris que c’était l’œuvre d’un artiste français. Depuis on s’amuse à les chercher et les prendre en photos. On a une bonne collection!», explique un couple de touristes américains. Et il n’y a pas que les vacanciers qui se prêtent au jeu puisque les Parisiens aussi adhérent au concept: on retrouve sur le net des sites ou blogs qui répertorient les Space Invaders rencontrés dans les rues de la capitale, mais aussi dans d’autres villes, Paris n’étant pas l’unique lieu d’atterrissage. Invader est joueur, c’est pourquoi il leur complique la tâche en posant certains en intérieur, dans divers lieux (avec l’accord des propriétaires): ces Space Invaders font figure d’aliens chez les aliens. La librairie Mazarine, située dans le VIème arrondissement est l’un de ces lieux privilégiés: «On a souvent des gens qui viennent le photographier. C’est pour cette raison qu’on se réapprovisionne en guide d’invasion (livre qui raconte en détails l’histoire de l’invasion d’une ville donnée, ndlr)», affirme le libraire. Ce lieu a par ailleurs mis à l’honneur ces créatures en devenant le temps d’une saison, du 1er décembre 2011 au 14 janvier 2012, un lieu de pèlerinage

1026 C’EST LE

NOMBRE DE PIÈCES QUI ONT

ÉTÉ POSÉES DANS PARIS À CE

JOUR.

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EN BREF

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pour les spaces addicts, en accueillant en son sein des perles rares: sérigraphies, livres de collections et autres «Gaufres de l’espace».

UN ART DEVENU UN COMMERCELe street art a donné naissance au street marketing, et donc au street business. L’art d’Invader se monnaye, à présent. Il envahit également les galeries. Une vente aux enchères a été organisée le 15 février chez Artcurial, dans l’Hôtel Marcel Dassault, avenue des Champs Elysées. Quatre pièces ont été mises en vente, dont une, intitulée «SAY HELLO TO MY LITTLE FRIEND» représentant une image de la scène finale du film Scarface de Brian De Palma en Rubik’s Cube, estimée à 40 000 euros. Si celle-ci n’a pas trouvé preneur, les trois autres, des Spaces Invaders, eux, ont été vendus à des prix allant de 3000 à presque 10000 euros. Certaines pièces sont arrachées des murs pour être mises en vente sur le net. Cela témoigne d’un certain succès qui permet aujourd’hui à Invader de vivre de son art, ce qui n’était évidemment pas le cas à ses débuts. Mais attention car certains Space Invaders ne sont pas l’œuvre de l’artiste mais d’admirateurs, des copies donc, posées dans les rues et qui sèment le trouble… Invader connaît très précisément le nombre, 1026 graffs sur Paris, et la position de chacune des pièces qu’il a posées et prises par la suite en photo. Des cartes qui les répertorient existent. Sur son site Internet, dans le Space Shop, il est possible de se procurer ces cartes à l’unité, ou dans un coffret limité regroupant dix cartes de l’invasion de dix villes pour la

somme de 300 euros. D’autres objets sont également en vente: des baskets, badges, stickers ou les fameuses «Gaufres de l’espace», des gaufres (non destinées à la consommation) en forme de Space Invaders, sous vide dans un coffret en plexiglas limités à 100 exemplaires signés et numérotés dont 50 ont été vendues lors de l'exposition «Attack of the Space Waffles» à la Lazarides Gallery de Londres. C’est ce qu’on appelle le Space business.

LE PREMIER SPACE INVADER A ÉTÉ POSÉ DANS UNE RUELLE

EN 1996. IL CONSTITUAIT L’UNIQUE PIÈCE EXISTANTE. CE N’EST

QU’EN 1998 QUE L’INVASION DE PARIS, À PROPREMENT PARLER, A

VÉRITABLEMENT COMMENCÉ. PUIS D’AUTRES VILLES ONT SUIVI: ON

EN COMPTE AUJOURD’HUI 80 À TRAVERS LE MONDE, QUI ONT AU

MOINS UNE PIÈCE.

LES MOSAÏQUES SONT

ASSEMBLÉES PAR

L’ARTISTE DANS SON

ATELIER AVANT D’ÊTRE

POSÉES DANS UN

ENDROIT PRÉCIS, REPÉRÉ

À L’AVANCE. LE LIEU EST

CHOISI AVEC SOIN, POUR

SON EMPLACEMENT ET SA

VISIBILITÉ. L’ŒUVRE, EST

ENSUITE INCRUSTÉE DE

NUIT SUR CE QU’INVADER

APPELLE LE «SPOT»,

DE MANIÈRE LA PLUS

DISCRÈTE POSSIBLE.

LES ARTISTES RECYCLENT LE PASSÉ POUR CRÉER QUELQUE CHOSE DANS LE PRÉSENT, C’EST CE QU’A FAIT INVADER.

SOCIÉTÉ

Crédit Boussayna Akaiz

Crédit Boussayna Akaiz

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SOCIÉTÉ

ZOOM X 4

Cette invasion constitue un jeu pour l’artiste. Invader s’attribue lui même des points pour chaque pièce posée. Chacune d’entre elles rapporte entre 10 et 50 points, en fonction de sa taille, de sa composition et de son emplacement. Chaque ville envahie possède son propre score.

Crédit Boussayna Akaiz

Cré

dit B

ouss

ayna

Aka

iz

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SOCIÉTÉ

ZOOM X 4

L'artiste Invader a envahi le quotidien national français Libération en juin 2011

Chaque Space Invader qui a été posé a son alias, une réplique exacte et unique vendue par Invader à des collectionneurs. Chaque clone possède sa carte d’identité sur laquelle figure les informations qui lui son propre: photo en gros plan, en plan large, date de naissance, position…

Crédit Boussayna Akaiz

Cré

dit B

ouss

ayna

Aka

iz

Cré

dit C

ami

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SOCIÉTÉ

Le street art est par définition composé d’œuvres éphémères mais Invader tient à garder des traces, c’est pourquoi il prend en photo chaque pièce posée comme preuve de son passage et de son travail. Les photos témoignent aussi selon lui d’une époque.

Certaines pièces posées ont depuis été détruites, fondues dans la muraille ou recouvertes par de la peinture. Ces destructions sont l’œuvre de proprié-taires mécontents mais aussi d’autres street artistes concurrents ou liés à des tentatives de récupération. Inva-der essaie de faire en sorte que ces œuvres survivent en s’adaptant.

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SOCIÉTÉ

La parution d’un nouveau livre autoédité est prévue pour fin mars/début avril. Il s’intitule «L’invasion de Paris 2.0/Prolifération» et fait suite à «L’invasion de Paris 1.1/La Genèse». Il regroupera plusieurs milliers de photos immortalisant les 1000 Space Invaders parisiens mais aussi les coulisses de sa démarche, de ses expositions…

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SPORT

La nuit tombe sur le dojo de Champigny-sur-Marne. L’équipe féminine de

haut niveau du Red Star Club de Champigny fait son entrée sur les tatamis. Emmanuelle Payet reste à l’écart. Revenant de son footing, c’est le visage transpirant qu’elle choisit de ne pas poursuivre l’entrainement. Pour elle, l’heure est à la confidence. Le début est difficile et troublé. «C’est encore trop frais». La Réunionnaise n’ose pas trop. A vrai dire, c’est la première fois qu’elle raconte son parcours à un média. Soudainement, la tête se relève, son regard se fixe: «Il y a un an, j’ai décidé d’arrêter le

haut niveau». Que s’est-il passé pour cette athlète de 25 ans à qui le judo français prédisait une grande carrière ornée d’or et d’argent? C’est dans l’intimité que «Manue», comme l’appellent ses coéquipières, revient sur dix ans de haut niveau à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) et au club de Levallois. Trouvant dans le judo le moyen de se défouler, elle se distingue, dès huit ans, des autres. A treize ans, elle est détectée par Jérome Henric dans son club de la Réunion, à Saint Denis. Soutenue par sa famille, elle prend son envol

pour le continent pour entrer au pôle de Dijon. «J’avais quitté mon île, ma famille et mes amis pour vivre ma passion et devenir une athlète de haut niveau», se rappelle la jeune Réunionnaise avec nostalgie. «Championne de France cadette, championne d’Europe junior», Emmanuelle livre un sourire voire deux car ses débuts en haut niveau étaient remarquables, pour une jeune judoka éloignée de tout repère, ce qui la frustre davantage en y repensant. «On me guidait car j’étais mineure. Les entraineurs rassuraient mes parents. Moi je n’avais qu’à travailler mon judo», avoue t-elle. En

Emmanuelle Payet

25 ansjudoka,

catégorie: moins de 63 kg

Crédit: DR

Le jour où elle perdit l’équilibre du corps et de l’esprit, la tête d’affiche des moins de 63 kg a dû dire stop au haut niveau.

EMMANUELLE PAYET

Le blues d’une judoka

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SPORT

posant ses valises à l’Insep, Emmanuelle ne réalise pas, à 16 ans, qu’elle entre dans la cours des grands. «J’étais émerveillée, je demandais beaucoup d’autographes. Plus tard, c’est moi qui en ai donné», dit-elle avec un soupçon de fierté. Enfermée dans une bulle qu’elle ne percera que dix ans plus tard, Emmanuelle Payet passe ses journées au dojo, 30 heures par semaine. Ses moments de détente, elle les occupe à faire ses devoirs. «C’est le prix à payer pour devenir une grande championne», lui disait-on. Sauf que l’année du bac, les compétions internationales, les stages au Japon et les entrainements prennent le pas sur les révisions. La colère se fait ressentir malgré son visage fin: «En ratant mon bac, je réalise que sans le haut niveau, je n’ai rien. Je tire la sonnette d’alarme.» A la suite de cet échec scolaire, elle rate sa saison sportive. Les mains croisées, le regard tourné vers le portrait de Maitre Jigoro Kano, fondateur du judo, Manue explique: «Quand tu es sportif, il faut que tout aille bien dans ton environnement, une seule contrariété peut tout bouleverser».

L’ANNÉE 2008. Emmanuelle Payet est la rivale de Lucie Décosse (trois fois championne du monde et vice championne olympique). Arrivant dans le top trois des moins de 63 kg, «elle avait toutes ses chances pour effectuer le même parcours que Lucie», explique l’entraineur de Champigny, Corinne Devy. A l’allure d’un petit bonhomme de chemin, la moins de 63 kg répond aux attentes du staff français, «comme toujours» souligne Laetitia Payet, non pas sa sœur mais sa camarade de judo. Le directeur technique national veut préserver Lucie Décosse pour les Jeux de

Pékin, Emmanuelle fait les tournois. La jeune au visage d’ange et réservé, qui se transforme en guerrière sur le tatami, analyse avec un air professionnel: «Je suis bien et je marque des points. Cela ne suffit pas pour passer devant Décosse mais les entraîneurs voient mes progrès.» Après les Jeux Olympiques, elle évoque une période très dure physiquement e t p s y c h o l o g i q u e m e n t ; l’épuisement total. Elle souhaite le repos mais Levallois, le club dont elle fait partie depuis son entrée à l’Insep, la rappelle à l’ordre. Elle doit participer à la coupe d’Europe des clubs. L’évocation d’une potentielle blessure n’y fait rien. La voix de son entraineur fait écho: «Fais-le, c’est pour ton club. On a besoin de toi». De fait, Emmanuelle se plie, combat puis tombe. «Ma cheville venait de lâcher.» Le ton est posé mais les yeux sont flous. Elle voudrait craquer mais se retient, elle a appris à gérer ça à l’Insep. Il lui faudra huit mois d’arrêt pour se remettre de sa blessure, mais combien pour s’en remettre psychologiquement? Elle ne sait toujours pas. Son retour sur le tatami est difficile. Les blessures se multiplient et les résultats absents. A l’Insep, personne ne l’a préparée à l’après-judo. «On vit dans un monde parallèle», précise t-elle. Dans son club, elle est mise à l’écart. «Un sentiment d’abandon, de trahison», les mots sont durs.

«J’allais à l’entraînement la boule au ventre.» Emmanuelle confie que l’argent était devenu oppressant. «J’étouffais à l’idée de ne pas faire de résultats, de décevoir le staff et de ne pas mériter mon salaire», raconte t-elle avec amertume. Elle compare le club à une usine à médailles. «Tant que tu ramènes des résultats, les entraineurs prennent soin de toi, le jour où tu échoues, c’est fini», conclut la judoka au caractère sensible. Si de nombreux champions comme Teddy Riner (cinq fois, champion du monde) émanent de ce club et y sont encore, Emmanuelle, elle, a été dégoutée du haut niveau et du judo business. «Ça m’a fait très mal. J’ai pris l’ultime décision d’arrêter le haut niveau.» C’était il y a un an tout juste. Aujourd’hui, elle «pratique le judo autrement» au club de Champigny. «Je m’entraîne avec le groupe de haut niveau, mais pour le plaisir», témoigne Manue avec soulagement. Recréant un cercle de confiance avec l’entraîneur Corrine Devy, elle retrouve «l’équilibre entre son corps et son esprit pour en arriver à un développement harmonieux de son être», dixit Maître Kano. A côté, la Réunionnaise brille dans sa formation d’assistante sociale et croque «la vraie vie» à pleine dents. Elle regarde le survêtement de l’équipe de France qu’elle porte et sourit: «Je continue à profiter tout de même des équipements, on est si bien dedans».Sarah Sudre

DR

«LE HAUT NIVEAU EST UN MONDE PARALLÈLE», EMMANUELLE PAYET

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HI-TECH

Le jeu vidéo est un média qui, en presque 40 ans, a réussi à

devenir le produit culturel le plus lucratif. Au moment où il doit faire face au piratage massif, les éditeurs et constructeurs tentent de contourner le problème en attaquant le jeu d’occasion, véritable marché parallèle. Les magasins spécialisés dans le jeu vidéo réalisent une part importante de leurs bénéfices grâce à l’occasion. A l’heure actuelle, lorsqu’un jeu neuf est vendu 70 euros environ, il est disponible en magasin 20 euros de moins, en seconde main. Pour certains, c’est un bonus

de revendre le jeu après l’avoir terminé, pour d’autres, c’est une façon moins onéreuse de se procurer ces produits. Mais il y a un hic pour les éditeurs de jeu. En effet, ces derniers touchent, bien entendu, de l’argent sur des jeux vendus neufs, mais n’engrangent aucun bénéfice sur les jeux d’occasions, l’argent allant directement dans la poche du magasin. Les studios dépensent des millions de dollars pour la distribution d’un jeu et ce manque à gagner fait grincer des dents. Ils tentent, donc, depuis plus de dix ans, d’obliger

les acheteurs à se procurer des jeux neufs par tous les moyens possibles. Les prochaînes consoles pourraient même ne pas lire les jeux achetés d’occasion, via un système de validation, tuant ainsi tout le marché de la revente. Une information aurait, d’ailleurs, fuité des studios de Microsoft concernant la prochaîne console Xbox qui ne lirait que les jeux neufs. Une technique extrême qui ravi Jameson Durall, game designer dans le studio Volition: «Je pense qu’il s’agit là d’un changement fantastique pour l’industrie, et même si les

Les magasins spécialisés, qui font la majorité de leurs chiffres d’affaires sur la revente des jeux d’occasions, craignent la disparition de la revente des produits.DR

Une occasion de tuer le marché Avec la vente des jeux d’occasions, un véritable marché parallèle s’est mis en place dans le milieu du jeu vidéo. Les éditeurs et constructeurs, qui ne touchent pas un centime avec ces reventes, tentent de l’enrayer par tous les moyens possibles.

JEUX VIDEOS

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HI-TECH

consommateurs seront contre dans un premier temps, ils comprendront finalement que cela ne va pas les tuer». Ne pas les tuer, oui, mais leur porte-monnaie peut-être, sachant que les jeux des consoles prochaînes générations pourraient atteindre 80 euros, en suivant une logique d’augmentation des jeux de 10 euros à chaque nouvelle console.

SUS À L’OCCASION!Ce combat que mènent les éditeurs contre le marché de l’occasion remonte à 2004. Le studio Valve préparait alors le lancement du très attendu Half Life 2. Mais tout de suite, Valve avait prévenu: le jeu ne sera jamais disponible en occasion. En effet, pour la première fois dans l’histoire du média, l’acheteur devait enregistrer le jeu en ligne, via la plate-forme Steam, pour pouvoir y jouer. Dès qu’un jeu était enregistré, il devenait inutilisable pour un autre gamer. Au fil des ans, d’autres studios ont imité Valve, en imposant le même modèle, et en allant parfois plus loin, en obligeant le joueur a être constamment connecté sur le net lorsqu’il joue. Parallèlement à cela, Steam a muté, permettant d’acheter des jeux directement en ligne afin de les télécharger: le jeu dématérialisé est né. La société américaine a tout de même mis un point d’honneur à respecter les joueurs en faisant des promotions (jusqu’à -75%) sur un jeu toutes les semaines. Valve veut approfondir sa démarche, en annonçant par la voix de son PDG, Gabe Newell, le souhait de développer sa propre console basée sur le modèle Steam. Cela signifierait une console entièrement dématérialisée et totalement libérée du marché de l’occasion, chose qui avait été tentée en 2010 avec la PSP Go, une version sans support physique pour les jeux de la

PSP de Sony. Mais cela fut un tel flop retentissant que la console avait été bradé à des prix ridiculement bas. Ce système de dématérialisation tue, bien sûr, la revente de jeux: impossible de vendre à nouveau un produit qui n’existe pas réellement. Résultat, le marché de l’occasion est, actuellement, presque annihilé sur PC, mais pas le piratage, et les studios en font les frais. «Pourquoi acheter des jeux sur PC, vu que l’on peut les pirater facilement? Même en occasion, un joueur ne va pas dépenser de l’argent pour un produit qu’il peut avoir gratuitement», explique Alexandre, qui se qualifie lui même d’«hardcore gamer», soit un joueur acharné.

LES DLC, LE FLÉAU DU JEU VIDÉO?Du côté des consoles, le problème est plus épineux. Le «dématérialisé» ne fonctionnant pas aussi bien au vu de la place disponible sur le disque dur de ces dernières, les développeurs ont tenté de récompenser les joueurs achetant les jeux neufs. Ainsi, certains jeux de consoles proposent des DLC (Downloadable Content), c’est à dire des morceaux de jeux en plus du jeu original qui sont proposés en téléchargement. Souvent abusifs, comme la vente aux alentours de dix euros de

nouvelles cartes multi-joueurs, ils ont aussi été utilisés pour proposer des morceaux de jeu entièrement nouveaux basés sur le jeu original - comme l’avait fait l’éditeur Rockstar avec GTA IV en 2009 et Red Dead Redemption en 2010. «Les DLC ne sont pas uniquement là pour faire du profit, mais également pour proposer du nouveau contenu au joueur, pour qu’il ne devienne pas démodé et continue à attirer l’attention», avait déclaré Satoru Iwata, PDG de Nintendo. Parfois offerts aux acheteurs neufs, comme dans le récent Batman, Arkham City de Rocksteady, ils sont le plus souvent vendus au prix fort à tous les utilisateurs. «Le fait d’offrir certains DLC aux acheteurs de jeux neufs est un bon compromis, le joueur peut ainsi profiter d’une partie même avec un d’occasion. Ce qui est plus scandaleux c’est que certains produits n’offrent rien, même en neuf, et obligent même à acheter la fin d’un jeu pour 10 euros de plus, comme l’avait fait Prince of Persia en 2008!», confie Thibaut Lamouroux, développeur 3D freelance qui a travaillé pour des petits studios. De même, certaines créations ne proposent pas de fonctionnalités en ligne gratuite s'il a été acheté d’occasion; le but étant de récupérer un peu d’argent, même si l’utilisateur

LE PARI FOU

DES

DÉVELOPPEURS

RESPECTUEUX DES

JOUEURS

Certains

développeurs ne

pensent qu’aux

profits, d’autres

recherchent avant

tout l’amour et le

respect des joueurs

pour marquer

l’espoir du média.

Mi-février, Tim

Schäfer et Ron

Gilbert, deux

génies du jeu

vidéo, ont lancé

un pari. Réunir

400 000 dollars en

24 heures afin de

pouvoir développer

un jeu et le

distribuer à petit

prix. Les joueurs,

séduits par l’idée,

ont massivement

participé, et les

deux développeurs

ont explosé

leurs objectifs

en réunissant un

million de dollars

en une journée.

Après l’opération,

Ron Gilbert, plein

d’humour, a

déclaré: «Le jeu

respectueux des

joueurs n’est pas

mort, il était juste

sorti fumer une

cigarette, ce qui,

ironiquement, va le

tuer.» Preuve que

les développeurs

respectueux des

joueurs peuvent

encore mobiliser

les foules.

La prochaîne Xbox de Microsoft pourrait ne pas lire des jeux d’occasion via un système d’identification. Ici un concept de la future console. CR djeric

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HI-TECH

n’a pas acheté son jeu neuf. «Je ne suis pas contre l’occasion en tant que joueur. En tant que développeur, cela revient à la même chose pour nous. Les éditeurs nous payent le même prix, quelles que soient les ventes. L’occasion pénalise surtout les distributeurs, pas les créateurs. Mais au final, si l’occasion disparaît, cela encouragera le piratage. Si quelqu’un veut absolument se procurer un jeu, i l le téléchargera illégalement. C’est exactement ce qui est arrivé au cinéma. Pourquoi acheter un Blue Ray 30 euros, alors que l’on peut le télécharger en trois clics?», poursuit Thibaut Lamouroux. Mais force e s t d e

constater que le marché d e l ’ o c c a s i o n persiste sur les consoles, et si Microsoft confirme son système anti-occasion pour sa prochaîne console, ce sont des milliers de magasins spécialisés qui pourraient en pâtir.

LES MAGASINS INQUIETSLa fin de l’occasion pourrait également s igner la f in des boutiques dédiées aux jeux vidéos. «Ce serait une catastrophe si les futures consoles empechaient la lecture des jeux d’occasions», confie Fred, le patron d’une boutique de jeux vidéo indépendante à Paris. «On fait la majorité de notre chiffre d’affaires sur l’occasion. Aujourd’hui, seuls les fans se permettent d’acheter des jeux neufs à 70 euros, et la plupart des joueurs, PC notamment, n’ont même plus besoin de venir nous voir pour acheter des jeux

(ndlr, ils achetent directement via la plateforme Steam). Les grandes chaînes comme Game sont déjà menacées mais, nous, nous avons nos habitués qui viennent acheter d’occasion. Si elle n’existe plus, ce sera la fin des haricots». La chaîne de boutique Game n’a pas voulu s’exprimer sur le sujet. «Je suis

désolé p o u r e u x ,

mais s’il n’y a plus de jeux d’occasion, il n’y aura aucun intérêt pour moi à revenir dans un magasin, sauf bien sûr pour les jeux auxquels je suis prêt à mettre le prix. Mais il y en a pas beaucoup», explique Damien, croisé au détour d’un rayon jeux d’occasions dans un magasin.

DES JOUEURS EN COLÈRELes premiers pénalisés par ces mesures "anti-occasions" ne sont pas les magasins, mais bien les clients. «Un jeu, c’est 70 euros. Sachant que le joueur est avant tout jeune, ce plaisir commence à lui revenir cher. L’occasion permettait de jouer à petits prix tout en étant dans la légalité, et en respectant le travail des créateurs. Certes, l’argent revient aux magasins,

mais le joueur a payé son produit et est bien le propriétaire de celui-ci», déclare Thibaut Lamouroux, développeur 3D. Les joueurs pourraient donc pirater les titres qui les intéressent si ceux-ci deviennent trop chers. «Si la prochaîne Xbox ne lit pas les jeux d’occasions, ce sera sans moi», explique Mathieu,

joueur passionné. «Les consoles sont

moins chers qu’un PC à la base,

m a i s p a y e r 70 euros et devoir encore payer les DLC après pour en prof i ter pleinement, c e s e r a impossible

financièrement et il y en a beaucoup dans

le même cas. Il sera plus rentable d’acheter un PC, certes deux fois plus cher, et ensuite de pirater les jeux.» D’autres également regrettent la tournure que prend le marché, comme Hakim, un autre joueur: «Les éditeurs ne pensent qu’au fric! Le jeu vidéo n’est plus le média de passionnés qu’il était. C’est devenu un business. Cela pénalise les créateurs et surtout les joueurs. Et nul doute que le piratage va exploser si l’occasion disparaît.» Tuer un fléau pour en favoriser un autre? Les éditeurs font face à un dilemme, et sont obligés de sanctionner les joueurs honnêtes pour lutter contre le hacking.

LE JEU DE DEMAIN ?Avec ces mesures "anti-occasions", à quoi pourrait ressembler le jeu vidéo de demain? La réponse est simple: des jeux physiques de plus en

ONLIVE : LE JEU

DÉMATÉRIALISÉ

PAR EXCELLENCE

En 2010 était

lancé aux Etats-

Unis le OnLive,

plateforme de jeux

dématérialisés

fonctionnant

grâce au "cloud

computing". Le

OnLive permet, via

la console adaptée

ou à un terminal

comme un PC ou

un smartphone, de

jouer directement

en ligne, sans

avoir à télécharger

un jeu. Grace au

streaming, les

jeux OnLive ne

requièrent aucune

condition de

puissance d’un PC

ou d’une console,

et contraint

les joueurs à

acheter les jeux

neufs, la revente

étant impossible

pour un produit

dématérialisé.

OnLive a été

lancé en Grande

Bretagne fin 2011,

mais fonctionne

aussi bien entendu

en France.

SANS FIL

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116 117

CULTURE

plus chers à produire, avec des contraintes pour les joueurs honnêtes de plus en plus strictes. Ces derniers ont l’impression de payer pour tous les pirates en étant pris en otages par les éditeurs. Les jeux «AAA» coûtent aujourd’hui aussi cher qu’un film à réaliser. L’audience étant plus restreinte que le cinéma, les prix risquent de s’envoler. «C’est un accès à la culture et au fun dont on va priver la plupart des joueurs. Pour un développeur, c’est dur à accepter d’avoir moins d’audience, légale ou non. Quand on fait un bon boulot, on veut que le plus de gens découvrent notre travail. Légalement c’est mieux, mais tout le monde ne peut pas se le permettre», explique Thibaut Lamouroux. De plus, les jeux dématérialisés se sont démocratisés. Plus de reventes possibles, donc, mais ce type de jeu est facilement piratable, malgré les contraintes imposées par les éditeurs. Certains jeux se sont même retrouvés sur la toile une semaine avant leur sortie officielle. Et par exemple, sur quatre joueurs ayant le même jeu, un seul l’a acheté; les trois autres l’ayant piraté. Les développeurs ne sont donc pas directement touchés par le piratage, ce sont surtout les distributeurs. Mais certains studios créent et distribuent eux-mêmes leurs jeux, et ce sont eux les plus pénalisés par le hacking. Le studio polonais CD Projekt, qui fonctionne sur ce système, appelle les joueurs à plus de responsabilités en ne piratant plus, pour des meilleures productions dans le futur. Selon leurs estimations, le jeu The Witcher 2 a été cinq fois plus piraté que vendu, à un million d’exemplaires. Mais c’est un cas isolé, les créateurs sont en général loin de ces considérations, et les distributeurs pourraient

prendre le pari d’augmenter le prix de leurs produits si jamais le piratage continue sa progression. Paradoxalement, c’est ce qui pourrait faire que le hacking devienne de plus en plus omniprésent, et les éditeurs devront pour cela pénaliser les joueurs légitimes en leur imposant des prix et des protections de plus en plus contraignantes.

Pierre Le Goupil

20C’EST MILLIONS

DE DOLLARS LE COÛT DE

DÉVELOPPEMENT MOYEN POUR UN

JEU DIT «AAA», C’EST À DIRE UNE GROSSE PRODUCTION

DESTINÉE AUX CONSOLES HD. AVEC

UN TEL BUDGET, LES STUDIOS

DOIVENT RENTRER DANS LEURS FRAIS

EN VENDANT LE PLUS DE JEUX

NEUFS POSSIBLES.

Steam, plate de forme de jeux permettant

d’acheter et de jouer en ligne, a contribué à la disparition des jeux

d’occasion sur PC.CR VALVE

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CULTURE

Viva la VitaSortie le 22 février, la PSVita peut être considérée comme la première console nouvelle génération. Techniquement parlant, elle surclasse sa concurrente, la 3DS, sur tous les points.

TEST

Petite sœur de la PSP, la PSVita est la relève de la

première console portable de Sony. Attendue comme le messie pour les gamers déçus de la 3DS, Folio a pu tester la PSVita. Le constat est clair: Sony a réussi son coup. Côté design, la PSVita a tout de la PSP, en mieux. Tout d’abord, l’écran de cinq pouces est un régal pour les yeux avec sa résolution de 960x544 pixels. Tactile, l’écran a un dispositif multitouch qui ferait presque rougir l’iPhone au niveau de la réactivité. Le dos de la console est également tactile pour une meilleure expérience dans les jeux. Une vraie réussite. C’est aussi un plaisir de naviguer dans les menus qui sont loin de ceux austères de la Playstation3. Niveau prise en main, on pouvait ressentir certaines crampes au bout de quelques minutes sur la 3DS. Rien de tout cela sur la PSVita, qui donne l’impression d’avoir une vraie manette dans les mains. De plus, le coté plateforme numérique de la console peut la faire se connecter à un PC pour télécharger des musiques ou des films.

LES JEUX

Trente jeux sont disponibles au lancement de la console. Un record, surtout que beaucoup ont l’air prometteur. Cela peut même paraître trop, les fans devront faire un choix. Nous avons pu tester deux jeux: WipEout 2048 et Uncharted Golden Abyss. La première chose qui frappe, c’est la claque visuelle. La PSVita est tout simplement une PS3 de poche. Les graphismes sont sublimés par l’écran OLED. Le tactile au dos de la console est une vraie idée de génie. Aucun ralentissement n’a été a déploré, la console tient le coup. On le sent, la Vita est avant tout une console de jeu destinée aux gamers pur et durs.

LES HICS?

Il y a tout de même certains points noirs, ou plutôt gris, concernant la Vita. Tout d’abord, après deux heures passées dans la peau de Nathan Drake sur Uncharted Golden Abyss, la batterie de la console s’est vidée de moitié. Un comble pour une portable. Ce n’est pas aussi catastrophique que la 3DS, mais tout de même. Ensuite, le prix: 250 euros pour la version normale, et 300 pour la version 3G (abonnement exclu). Un prix décent pour une console de cette qualité, mais un peu cher pour le porte-monnaie du gamer. La 3G justement, dont on ne voit pas encore l’intérêt, le réseau étant trop peu puissant pour télécharger des jeux, vendus assez chers sur le marché dématérialisé, ou jouer en ligne. De plus, toutes les fonctionnalités n’ont pas été implantées. Comme le Remote Play, qui permettra de jouer à des jeux PS3 directement sur sa Vita, sans perte de qualité graphique; une fonctionnalité que les joueurs attendent au tournant. Enfin, connaissant la volonté de Sony d’améliorer encore et encore ses bébés, on peut s’attendre à une nouvelle version d’ici un an. Alors faut-il l’acheter? Oui, pour les fans et les hardcore gamers. Pour les plus patients, mieux vaut attendre un peu les prochaînes fonctionnalités et une éventuelle version améliorée de ce jouet High-tech et onéreux. Pierre Le Goupil

LE CONSTAT EST CLAIR:

SONY A RÉUSSI SON

COUP

Crédit Sony

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118 119

SPORT

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120 121

SOCIÉTÉ

C’est au 51 rue Quincampoix, d a n s l e I V è m e

arrondissement de Paris, qu’il faut se rendre pour vivre quelque chose d’assez original et inédit. Comme l’indique son nom, le restaurant Dans Le Noir? propose aux clients de manger en mettant un des cinq sens de côté: la vue. On dit que l’on mange aussi avec les yeux, et bien ce lieu a décidé de bousculer les habitudes et les repères en privant tous les convives de toute source de lumière. Une façon de mettre en avant et de privilégier le goût, l’odorat et le toucher. C’est aussi une manière originale et ludique de sensibiliser les gens au handicap qu’est la cécité.

Se mettre à la place d’un non-voyant le temps d’un repas, c’est le pari qu’a fait cette chaîne qui compte désormais des restaurants à Paris, Londres, Barcelone, New York et Saint Petersbourg. Un pari qui s’avère être gagnant puisque le groupe a également ouvert un Spa avec toujours ce même concept (cf. encadré). Pour se faire, le restaurant emploie des non-voyants ou malvoyants pour faire le service en salle et être aux côtés des clients.A l’entrée, les clients sont invités à déposer tous leurs objets lumineux ou encombrants dans un casier, avant de passer leur commande en s’étant au préalable fait expliquer le

concept par l’hôtesse qui, elle, est valide. Puis ils entrent en file indienne dans une salle qui peut contenir 50 à 60 personnes. Chaque table a son serveur assigné, qui s’occupe de guider et servir les clients, mais aussi de les rassurer car certains paniquent en se retrouvant dans le noir total: «En entrant dans la salle, je me suis senti un peu anxieuse, être un peu serrée à la table, entourée d’inconnus, est un peu perturbant. Mais le serveur a été adorable!», raconte Chloé. Venue diner avec son amie Lynda, les deux copines se sont retrouvées séparées. Dans ce restaurant, on ne sait pas avec qui l’on mange, on ne sait pas quoi non

Le premier restaurant conceptuel de la chaîne a été ouvert à Paris.Crédit: Boussayna Akaiz

50 C’EST LE

POURCENTAGE DE PERSONNES

EN SITUATION DE HANDICAP

LOURD EMPLOYÉS PAR ETHIK

INVESTMENT, GROUPE AUQUEL

APPARTIENT LA CHAÎNE DE

RESTAURANTS.

Et si on mangeait Dans Le Noir?Depuis 2004, une chaîne de restaurants propose de diner dans l’obscurité la plus totale. Une excentricité? Non, une expérience sensorielle…

A L'AVEUGLETTE

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120 121

SOCIÉTÉ

plus, puisque les menus sont des «surprises» (mais prennent en compte les allergies et les restrictions religieuse), le but étant de le deviner à la fin du repas, autre élément qui fait partie du concept.

UNE ENTREPRISE SOLIDAIRE?S’il faut, dans un premier temps, se faire à la perte de la vision, il faut également par la suite supporter la montée de décibels, l’un étant lié à l’autre: sans les yeux, c’est la voix qui guide et rassure. Et ce n’est pas vraiment agréable… Au final, le concept semble laisser certains clients plutôt perplexes: «C’est une bonne expérience, c’est vrai, mais je trouve les prix un peu cher pour ce qui a été proposé… J’ai plutôt l’impression d’avoir payé pour le concept plus que pour le repas», déclare Lynda. Un avis partagée par son amie: «Ce n’est pas assez ludique, je trouve, ils ne jouent pas assez avec les saveurs, les textures… Il manque vraiment quelque chose». Les prix vont de 37 euros pour une entrée et un plat ou un plat et un dessert, à 79 euros pour le menu gastronomique. Le groupe se défend de pratiquer des tarifs excessifs, arguant qu’ils prennent en compte des contraintes logistiques, sociales et de sécurités: «L’entreprise emploie près de 40% de personnes en situation de handicap lourd et réalise une rentabilité variant de 7 à 15% selon les années (contre une moyenne de 17% dans la profession). 10% des profits après impôts sont reversés à des actions caritatives et le reste est réinvesti dans le développement de Dans le Noir?», peut-on lire sur leur site web. Le groupe se veut donc engagé et porteur de valeurs sociales, tirant sa fierté de la formation et de l’embauche des malvoyants. Cette expérience, ce sont aussi

les employés qui la vivent: «Les serveurs sont supers. J’ai appris à travailler avec des aveugles, il y a des règles à suivre, comme toujours s'annoncer quand on passe, ne jamais déplacer quelque chose sans prévenir, plusieurs fois s'il le faut. Il faut avoir des yeux pour eux, toujours anticiper leurs mouvements, les guider à la voix parfois», déclare Marissa*, hôtesse d’accueil depuis plus de deux ans. Il est donc ici question d’une aventure, d’une expérience sensorielle mais aussi humaine.

CONCEPT OU ALIBIIl reste légitime de se demander après coup si l’entreprise a réellement mis en place un véritable concept, ou s’il s’agit en quelque sorte d’un alibi afin de faire du profit. La sensibilisation au handicap est quelque chose de noble en soi. On ne peut qu’également saluer le fait qu’une entreprise décide d’embaucher des personnes ayant un handicap lourd, particulièrement en ces temps de crise de l’emploi. Cependant, le restaurant ne semble pas investir dans la qualité de la nourriture comme l’exigerait pourtant l’expérience: «La nourriture n'est pas exceptionnelle, c’est bon mais ce n’est pas de la gastronomie! Ils se fournissent chez Metro, comme tout le monde, l’ impor tant c ’est économie-économie, moins

on dépense, mieux c’est!» , affirme Marissa. Elle ajoute que «le PDG exige que les menus ne soient pas recherchés, plus simples, parce que selon lui les gens ne vont pas aimer et ne vont pas deviner ce qu’ils mangent et donc trouver ça nul… Et c’est vrai que les clients nous ont parfois dit que c’était bof, déçus de ne pas avoir deviné». Tout le concept repose sur l’obscurité totale et donc les non-voyants qui font le service mais là encore, d’après l’hôtesse, l’entreprise n’est pas à la hauteur: «Les serveurs sont payés une misère, c’est une honte alors que tout repose sur eux. On est payés des cacahuètes, il y a des guides serveurs qui sont payés comme moi, en extra. On peut être appelé le jour même pour être annulé parce qu’il n’y a pas assez de monde, et donc perdre une journée de salaire. Et du jour au lendemain, on peut sauter.» Autant dire que l’expérience n’a pas l’air aussi belle vue de l’intérieur. Même la solidarité a semble-t-il ses limites. L’idée est tout de même bonne et a le mérite d’exister. Les employés eux-mêmes, ainsi que les clients, s’accordent sur le fait que c’est une expérience particulière à tenter au moins une fois, même si elle peut, malheureusement, laisser un goût d’inachevé.

*Le prénom a été modifié.

Boussayna Akaiz

Crédit B.A

OUVERTURES

Le concept a fait

un petit puisque,

l’année dernière,

est né Dans le

Noir? Le Spa. Dans

la même lignée que

les restaurants,

ce spa ouvert à

Paris, depuis avril

2011, propose

aux clients de se

faire masser dans

une salle plongée

dans l’obscurité.

Il emploie du

personnel

non-voyant: les

différents soins

sont prodigués par

des praticiennes

diplômées de

l’école Espace

Beauté Thalgo

International.

Le but de cette

expérience est

d’oublier le regard

afin d’être plus

attentif au touché,

à l’odorat et au

son.

Dans Le Noir? Le Spa, 65 rue Montmartre 75002 Paris

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122 123

CULTURE

En France, lorsque le mot «série télévisée» est

prononcé, les personnes ont à l’esprit des épisodes de «Ma sorcière bien aimée» pour les plus nostalgiques ou de «Grey’s Anatomy» pour les plus jeunes. Mais pour la majorité, associer le terme série TV à une analyse sociologique de notre société actuelle n’est pas leur premier réflexe. C’est pourtant le défi que se sont lancés Julien Talpin, expert en sciences politiques, Amélie Flamand et Marie-Hélène Bacqué, sociologues et Anne-Marie Paquet-Deyris, une angliciste spécialisée dans le cinéma américain et les séries télévisées, en organisant cinq

conférences, de janvier à juin, sur la série «The Wire» d’HBO. «Le projet date de neuf mois. Dans notre groupe de quatre, c’est Amélie Flamand, maître de conférence en sociologie à l’école d’architecture de C lermont-Ferr and , qu i a proposé l’idée de faire un long séminaire sur "The Wire". Tout le monde a trouvé l’idée intéressante. Il y a un sujet bien précis à développer avec cette série que ce soit sous un aspect politique, sociologique ou bien plus esthétique pour ma part», confie Anne-Marie Paquet-Deyris, professeur de littérature et de cinéma américain à l’université Paris

X Nanterre.Le but des cinq conférences qui représenteront, chacune, une saison de ce drama: expliquer aux étudiants la construction et le fonctionnement du tissu urbain américain. «Nous voulons montrer, à travers l’exemple de Baltimore, la désagrégation de certaines institutions depuis plusieurs décennies avec les pr incipales conséquences à différents niveaux de vie. Enfin, comprendre comment fonctionne le ghetto noir qui, à la différence des quartiers défavorisés français, ne se trouve pas à la périphérie des villes, dans les banlieues, mais bien "intra muros" dans

Diffusée entre 2002 et 2008 sur HBO, «The Wire» raconte l’histoire de Baltimore et du problème de drogue tant du côté des dealers que des forces de l’ordre. Crédit Photo:

«La France a une vision

assez élitiste des shows

américains, elle ne regarde que

ceux qui sortent du panier.»

Séverine Barthes chercheuse

au CELSA, spécialiste des

séries TV

Fini la fiction, place à la réalité Jusqu’au mois de juin, l’Université Paris X Nanterre organise plusieurs conférences sur la série américaine «The Wire». Avec un réalisme impressionnant, une réalisation léchée et un scénario unique, comment les séries américaines ont-elles réussi à passer du statut de simple divertissement à celui de sujet de réflexion sur notre société? Un exemple encore difficile à suivre avec les séries françaises.

SERIES TV

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122 123

Claire Danes a reçu le

Golden Globe de la meilleur

actrice pour son rôle

dans la série «Homeland».

Crédit photo :

Showtime

CULTURE

la ville», explique l’angliciste. Les deux premiers rendez-vous, en janvier et février, ont été des succès. La prochaîne conférence aura lieu le 12 mars, où les différents intervenants s’attarderont à la représentation des ghettos noirs du show.

Le troisième âge d’or des sériesLes séries d’envergure avec un fort potentiel arrivent durant la fin des années 90 avec «Les Soprano», «Six Feet Under» et «The West Wing». Ces shows ont changé la perception que les téléspectateurs pouvaient avoir sur l’univers du petit écran. «Il existe deux tendances aux Etats-Unis. D’un coté, il y a les séries qui appartiennent à l a v i e i l le t r a d i t i o n d u divertissement comme par exemple "The Mentalist" ou "CSI". De l’autre coté, nous avons des shows, comme "The Shield" qui se sont affranchis de ce modèle. Et le meilleur moyen de le faire, c’était de passer un message politique et social, dans les épisodes, qui conteste le modèle de vie de notre société comme par exemple "The Wire"», explique Pierre Sérisier, qui tient le blog «Le monde des séries». S’adressant à un public plus averti et cultivé, ces «TV shows» sont entrés dans le panthéon des œuvres à voir absolument; des petites perles proposées, également, aux pays étrangers.Petit à petit, c’est le monde du cinéma qui s’est senti en danger face à la montée en puissance des épisodes de qualités. «Les réalisateurs de films se sont rendus compte qu’ils pouvaient être plus créatifs et s’exprimer plus facilement avec le format télévisuel» , explique le blogueur. Ainsi, Bryan Singer s’est retrouvé à réaliser le premier épisode de «Dr House» et est devenu producteur exécutif. L’histoire

se répète aussi pour Martin Scorcese avec "Boardwalk Empire". «Pour "The Wire", le créateur David Simon, qui était un ancien journaliste, s’est entouré de professionnels tels que des écrivains comme Dennis Lehane ou d’anciens policiers comme Ed Burns, pour écrire le scénario. Ensemble, ils ont pu créer un show qui paraît très réaliste», explique Anne-Marie Paquet-Deyris, de Paris X Nanterre.

Une vision biaisée des sériesIl faut tout de même faire attention lorsque l’on parle d’un renouveau des séries télés américaines. «La France a une vision assez élitiste des shows américains. Ceux de qualité, que les Français regardent, avec une réalisation et un scénario i m p e cca b le s p rov i e n n e nt souvent des chaînes du câble américain. Aux Etats-Unis, nous avons d’un côté les networks (des chaînes publiques) qui diffusent des dizaines de séries par semaine et qui obéissent à des règles plus commerciales avec les annonceurs et les publicités. On est dans une grosse production. D’un autre côté, le câble et le premium ne diffusent que deux ou trois séries par semaine. A partir de ce moment, la qualité est plus grande car la production est plus rare» , considère Sévérine Barthes, enseignante et chercheuse au CELSA.

Un renouveau en FrancePour atteindre le niveau en France de «The Good Wife»,

où l’on suit une avocate dans le monde judiciaire de Chicago, ou bien encore de «Sons of Anarchy», un drama sur des bikers, il y a encore du chemin à faire. Mais Séverine Barthes est confiante sur le futur de la fiction française: «Avant les années 70, la France avait une production de série importante et de qualité pour l’époque. La privatisation de TF1 a changé la donne avec des grilles à remplir pour chaque série afin de rassembler le plus de téléspectateurs. Ainsi sont nés "Navarro", "Louis La Brocante" etc… En 1996-1997, France 2 revient dans une programmation à l’américaine avec une soirée dédiée aux séries policières, telles que "PJ" suivi d’ "Avocats et Associés". Puis, nous avons Canal Plus qui arrive avec ses séries d’abord comiques puis sur d’autres registres. Ce qui marche dans ces séries, notamment avec "Pigalle, la nuit" c’est qu’elles sont de purs produits français. Ce n’est pas qu’un «copier-coller» d’une formule américaine. On a des références françaises qui parlent aux téléspectateurs et qui leur permettent de s’y retrouver.» Les nouveaux shows comme «Boss», sur la chaîne américaine Starz qui raconte comment le maire de Chicago apprend qu’il a une maladie dégénérative ou bien "Homeland", sur le monde de la CIA post 11 septembre sur Showtime, nous prouvent bien qu’une nouvelle page de l’âge d’or des séries reste encore à écrire. Geoffrey Priol

168C’EST LE NOMBRE DE SÉRIES PRODUITES POUR LA SAISON 2010-2011 SUR LES 18 PRINCIPALES CHAÎNES AMÉRICAINES AVEC LA PLUS GRANDE PRODUCTION POUR CBS, QUI EN TOTALISE 21.

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CULTURE

Le 1er février, l’annonce du Prado en a surpris plus d’un:

la découverte dans les réserves du musée madrilène d’une copie du célèbre portrait de la Joconde de Léonard de Vinci, peinte par un des élèves du maître italien. Gardée depuis longtemps dans les sous-sols du musée, ce n’est qu’une récente restauration et une analyse minutieuse qui ont permis, selon le Prado, de déterminer la provenance de la toile. Deux noms d’élèves ont été évoqués pour l’instant:

Andrea Salai et Francesco Melzi. Pour Patrick Boucheron, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’annonce est aussi à remettre dans son contexte: «Il ne faut pas oublier que nous sommes dans un business. L’annonce du Prado n’est pas un hasard. L'arrivée de cette Joconde qui sera affichée à côté du véritable tableau a certainement fait un coup de publicité pour le musée français qui prépare une nouvelle exposition sur Léonard

de Vinci à partir du 29 mars.» L’exposition s’achèvera le 25 juin 2012 et mettra également en avant la restauration du tableau «La vierge à l’enfant avec sainte Anne», avec le concours du Centre de recherche et de restauration des musées de France.L’autre découverte sur l’artiste du début de la renaissance est celle d’un treizième portrait que le peintre aurait fait de la fille illégitime du Duc Ludovico Sforza, Bianca, mariée en

La Joconde du Prado et celle du Louvre seront réunies à partir du 29 mars dans le musée français. Le tableau du Prado permet d’avoir un meilleur aperçu sur le paysage en arrière plan. Crédit photo:

Museo Nacional

del Prado/Le

Louvre

Une Joconde peut en cacher une autreUn nouveau portrait, une nouvelle Joconde, Léonard de Vinci est de retour pour l’année 2012. Seul entrave à ces découvertes: le désaccord entre laboratoires privé et public. Or, une entente entre les deux permettrait de déceler le vrai du faux.

ARTS

«Nous avons des conservateurs

qui n’acceptent d’avoir du

recul sur leurs convictions alors

que c’est un élément majeur

pour pouvoir avancer.»

Jean Penicaut, président

de Lumière Technology.

Page 125: FOLIO #2 - Presse Ecrite ISCPA

124 125

Le portrait de "la Belle Princesse" découvert par le laboratoire Lumière Technology, n’a toujours pas été validé par les laboratoires publics comme un portrait de Leonard de Vinci. Crédit Photo:

Lumière

Technology/LT2

CULTURE

1496 à Galeazzo Sanseverino, le commandant des armées du Duc. La révélation de ce portrait a été faite non pas par un laboratoire public, mais par Lumière Technology, une agence privée. Elle a été fondée il y a maintenant sept ans par Jean Penicaut et Pascal Cotte. Ce dernier a construit une caméra multi-spectrale pour analyser les tableaux, permettant ainsi de reconstituer une matrice de 24 millions de pixels. Ce petit bijou de la technologie est unique au monde et donne aux chercheurs une version numérique du tableau ou de la toile afin de les analyser et de reconstituer des couleurs d’origines pour les plus endommagés. «Nous ne sommes pas des historiens de l’art, nous mettons juste notre caméra à disposition des chercheurs et d’autres personnes qui veulent analyser un tableau. Notre but est de donner la vérité, autrement dit comment le peintre voulait que son œuvre soit vue par les autres. Et comme dans le cas du portrait de la Princesse, nous découvrons, parfois, l’appartenance des œuvres» confie Jean Penicaut, président de Lumière Technology.

Découvertes contestées par le privé et le public Alors que tous les médias s’extasient devant les différentes découvertes sur Léonard de Vinci, le monde des chercheurs reste plus réservé, que ce soit pour celle de la Joconde ou du “Portrait de la belle Princesse“. «Le problème avec ce genre de trouvailles, notamment pour Léonard de Vinci, c’est que ce n’était pas un inconnu à l’époque. C’était un artiste réputé et que ce soit pour le supposé portrait ou bien sur la Joconde peinte par un de ses élèves, il n’y a aucune trace écrite de leur existence. Aucun

l i vre , aucune lettre ou bien déclaration de l ’ é p o q u e n e f a i t m e n t i o n de ces œuvres. C e r t e s e l l e s’apparente au style de Léonard de Vinci, mais à p a r t i r d u moment où l’on s’appuie sur un po int de vue h is tor ique et non seulement stylistique, on

ne trouve rien. Donc pour ma part, je reste prudent face à ces annonces», confie Patrick Boucheron. Quant à la découverte en septembre dernier du treizième portrait de l’Italien, la grande majorité des laboratoires et musées publics n’ont accordé aucun crédit face aux affirmations de Lumière Technology. Pour expliquer cette non-re c o n n a i ss a n c e , J e a n Penicaut fait part d’un hiatus entre le privé et le public, d’un système fermé: «L’un des plus grands problèmes avec des laboratoires privés comme nous, c’est d’avoir la reconnaissance des musées du monde ainsi que celle des laboratoires publics comme celui des musées de France, le C2RMF. Or, nous faisons face de nos jours à des historiens et des experts qui n’acceptent pas l’hypothèse que tel ou tel tableau a été fait par tel artiste alors que nous ne le savions pas. Dans notre métier, nous devons être ouverts aux hypothèses, nous devons avoir un brin d’audace. Or nous avons des conservateurs qui n’acceptent pas de se remettre en cause, d’avoir du recul sur leurs convictions, alors que c’est un élément majeur pour

pouvoir avancer.» Cette discorde entraîne de grandes difficultés pour le laboratoire lorsqu’il fait des analyses sur des tableaux. Car l’un des éléments majeur pour pouvoir certifier une œuvre, c’est de la comparer avec d’autres pour repérer s’il y a des similitudes. Le problème: les musées publics ne veulent pas prêter leurs tableaux pour ces analyses, empêchant ainsi toute découverte.

De nouvelles perspectives sur les œuvresL’utilité des analyses des tableaux dans le monde de l’art est importante. L’exemple de la Joconde du Prado permet entre autre d’avoir un meilleur aperçu de l’œuvre telle qu’elle devait être lorsque le peintre l’avait terminé au XVe siècle. Pour le portrait de la Princesse, l’analyse de Lumière Technology, certifiée par deux historiens, a permis de se rendre compte que même après 500 ans, on peut toujours découvrir des œuvres du maître italien. Pour Patrick Boucheron, ces découvertes aussi vraies soient-elles, n’apportent pas de réels changements sur l’image qu’on peut avoir de De Vinci, mais plus sur l’œuvre en elle même: «Avec les nouvelles technologies, l’étude matérielle des pigments et des procédés de techniques d’images numériques, on s’attaque plus à l’œuvre. On va de nouveau matérialiser un tableau et on va avoir un nouveau regard sur ce dernier. Les nouvelles technologies nous ouvrent la porte à de nouvelles perspectives, à condition qu’elles soient validées tant historiquement que stylistiquement.» Pour cela, les experts tant du privé et du public doivent s’entendre. A partir de ce moment de nouveaux horizons seront à prévoir dans l’histoire de l’art. Geoffrey Priol

150C’EST LE NOMBRE DE SALLES DE CINÉMA EUROPÉENNES QUI ONT DIFFUSÉ LE 16 FÉVRIER, EN MÊME TEMPS, UN FILM DE 80 MINUTES SUR LA VISITE GUIDÉE DE L’EXPOSITION DE LEONARD DE VINCI À LA NATIONAL GALLERY DE LONDRES.

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MONDE

HALTE AUX FAUX VAMPIRES! Phénomène pluri-médiatique des adolescent(e)s et phénomène de foire tout court, la première partie du quatrième volet de la saga «Twilight» sort ses crocs en DVD. Malheureusement, le film de Bill Condon est à l’image du livre dont il est l’adaptation: niais et insipide. Pour l’héroïne Bella, le monde est rose: elle se marie et vit un bonheur sans égal avec son mari, Edward le vampire. Comme pour les autres adaptations de la saga, ce statut de créature mythique n’est qu’une imposture, car ici les vampires brillent au soleil. Mais passons.Le rythme est lent, plein de dialogues abrutissants et vides avec des acteurs à côté de leurs pompes, et surtout dessert une idéologie puritaine prônant le mariage avant le sexe, et contre l’avortement. Et là miracle, la dernière demi-heure devient enfin plus mordante: bain de sang (plus ou moins modéré) pour l’accouchement de Bella et surtout présage d’un peu plus d’action pour la seconde partie qui sortira, le 14 novembre prochain, dans les cinémas français.

De Bill Condon, avec Kristen Stewart, Robert Pattinson, Taylor Lautner(Sortie prévue le 16 mars 2012)

CHAPEAU L’ARTISTE Décidément, la route au suc-cès est sans fin pour Jean Du-jardin et le film «The Artist», signé Michel Hazanavicius. Après le prix d’interpréta-tion à Cannes et aux Golden Globes, le film a remporté, le weekend dernier, six César sur dix nominations et cinq Oscars sur dix (dont l‘Oscar du meilleur film et du meilleur acteur pour Dujardin).Coïncidence ou pas, le film sort en DVD deux semaines plus tard. L’occasion pour les retardataires d’avoir enfin la possibilité de le visionner. Pour autant, et malgré les récompenses, «The Artist» n’est pas LE chef-d’œuvre de l’année 2011. La «nouveauté» du film muet et en noir et blanc est certes un atout char-meur, renforcé par une mu-sique originale dynamique. Cela n’empêche pourtant pas le film d’être sujet à quelques longueurs, malgré de jolies trouvailles, jouant sur l’objet du son et de la parole. De quoi donner envie de se (re)plonger avec plaisir dans le cinéma muet des années 30.

De Michel Hazanavicius, avec Jean Du-jardin, Bérénice Bejo, James Cromwell(Sortie le 14 mars 2012)

TRANCHE DE VIES DVD EN ORÀ OUBLIER

Le choix DVD de FOLIO par Corentin Vilsalmon et Pierre Le Goupil

CULTURE

«CINQ CENTIMÈTRES PAR SECONDE»Seuls les férus d’animation japonaise peuvent connaître ce film, jamais sorti dans les salles françaises, mais voilà l’occasion pour les

néophytes de découvrir cette petite pépite. Graphi-quement époustouflant, aussi beau, voire plus qu’un des nombreux films d’Hayao Miyazaki, «Cinq centimètres par seconde» est un régal pour les yeux. Mais pas seulement.En un peu plus d’une heure, le film de Makoto Shinkai développe une histoire émouvante sur le thème de l’amour de deux adolescents et de leur éloi-gnement progressif. Akari, la fille, et Takaki, le garçon, deviennent rapidement amis à l’école primaire. Au fil du temps et des aléas de la vie, leurs sentiments grandissent mais chacun finit par déménager dans une autre ville. «Cinq cen-timètres par seconde» met en scène les émotions de l’un et de l’autre d’une très belle façon, alliant beauté graphique, sentimentale et musicale.

De Makoto Shinkai, avec Ayaka

Onoue, Kenji Mizuhashi, Satomi

Hanamura (Sortie prévue le 7

mars 2012)

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POLICE

«POULET AUX PRUNES»

Nasser Ali Khan est un violoniste de génie dans le Téhéran de 1958. Brisant son instrument fétiche, et ne trouvant aucun violon digne de le remplacer, Nasser décide de s’allonger et de se laisser mourir. Se plongeant dans des rêveries mystiques qui lui dévoilent l’avenir, le passé, et lui font tailler une bavette avec Azraël, l’ange de la mort. Il prend conscience de la source de son génie, une grande histoire d’amour. Après l’excellent «Persepolis», Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud s’attaquent à la prise de vue réelle avec leur poulet aux prunes, avec Mathieu Almaric et Edouard Baer. Le résultat donne un patchwork de séquences hallucinatoires, flottant entre le burlesque et l’émotion, qui sont étonnamment cohérentes. Sans être transcendant, le film mérite tout de même que l’on s’y attarde durant une heure et demie, mais n’a pas la trempe et l’émotion de son aîné Persepolis.

De Vincent Parronaud et Marjane Satrapi, avec Mathieu Amalric, Edouard Baer, Maria de Medeiros(Sortie prévue le 7 mars 2012)

FARCES

«FORCES SPÉCIALES»

La journaliste Elsa Casanova a été enlevée en Afghanistan, et l’armée envoie les Forces Spéciales pour la libérer. Voilà le scénario intégral de «Forces Spéciales», le film de Stephan Rybojab avec un Benoit Magimel pas crédible une seule seconde en treillis. On aurait pu espérer un bon film de guerre à la française avec ses scènes filmées en Afghanistan, ses costumes et véhicules prêtés par l’armée de Terre. On espérait voir arriver le «Platoon» français. Mais non. «Forces Spéciales» nous enfonce dans un bon cliché opposant «gentils soldats français» contre «méchants barbus talibans». Bref, un film américain, mais français, sans âme avec des méchants très méchants, des soldats «badass» et une demoiselle en détresse. Attention cependant, le film n’est pas mauvais. Il est même plutôt divertissant, nous sert des dialogues assez drôles (car mal écrit) et nous fait voir des décors assez magnifiques. Idéal pendant une soirée entre amis entre deux films de Chuck Norris.

De Stephan Rybojab, avec Benoît Magimel,

Diane Krüger, Djimoun Hounsou

(Sortie prévue le 6 mars 2012)

CULTURE

«LA SOURCE DES FEMMES»

Encore aujourd’hui, dans un village du Maghreb situé en montagne, les femmes sont obligées d’aller chercher l’eau au puits, situé dans les hauteurs. Lassée du long trajet sous un soleil de plomb, Leila se rebelle et propose aux femmes de faire la grève du sexe jusqu’à ce que les hommes règlent le problème. Elles prennent alors le pouvoir pour faire valoir leur revendication. Inspiré d’une histoire vraie qui s’est dérou-lée en Turquie, «La source des femmes» est un conte moderne et féministe. Bien que le film soit très bon, son achat en DVD ne s’avère pas indispensable, mais «La source des femmes» mérite tout de même le détour. Réalisé par Radu Mihaileanu, qui avait fait «Le Concert», le film avait été nominé à Cannes et aux Césars.

De Radu Mihaileanu, avec Leïla Bekhti, Hiam Abbass, Hafsia Herzi(Sortie prévue le 7 mars 2012)

MAGHREB

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CULTURE

BRETON – OTHER PEOPLE’S PROBLEMS

Electro vivifiante et puissanteLes grands Breton à la conquête du monde

Le dubstep aux énormes beats et aux basses assourdissantes s’est démocratisé en France depuis l’arrivée de Skrillex dans le paysage musical électro. Mais à l’origine, le dubstep était quelque chose de beaucoup plus «intellectuel», intimiste, plus proche de la musique d’ambiance que du hard rock. Un style musical que l’on peut reconnaître entre deux morceaux de l’album du collectif artistique londonien, «Other People’s Problems». L’ambiance est planante à certains moments, comme si on avait remplacé la guitare acoustique d’une chanson folk par des synthétiseurs. La base rock (guitare-basse-batterie) ajoute du peps, de la puissance et de la vie aux morceaux qui auraient pu se retrouver à n’être que des pistes uniquement créées par ordinateur.L’album a pour résultat un cocktail détonnant pour soirées entre amis ou en boîte de nuit, avec bien sûr un gros potentiel pour des remixes House ou Techno. Un côté fumeux et poisseux, nuancé par cette touche rock, et un côté beaucoup plus dansant, voire fascinant, quasi hypnotique.

Breton – Other People’s Problems (Fatcat Records)(Sortie le 26 mars 2012)

De ces Etats-Unis d’Amé-rique ravagés par une crise économique sans égale depuis celle contée par Faulkner, il fallait la voix du dernier workin’ class héro américain pour peindre le poignant tableau. En remettant le soc sur le sillon acoustique qu’il avait déjà creusé avec les albums «Nebraska» et «The Ghost of Tom Joad», Bruce Springsteen compose en contrepoint à des textes nourris de colère. Il décrit la rapacité des financiers prédateurs de l’industrie, la détresse des familles pauvres, à qui on a volé leur travail, leurs vies, leurs espoirs et ceux qu’ils avaient eu pour leurs enfants. Il est d’ailleurs étrange que le mouvement «Occupy Wall Street» ait trouvé en Springsteen son meilleur porte-parole, comme si les plus jeunes ne parvenaient pas à par-ler au nom des Américains, privés de rêve. On notera la présence sur l’album de Clarence Cleamons, l’immense saxophoniste du E Street Band, décédé l’an dernier, que l’on ne verra, hélas, pas à Bercy les 4 et 5 juillet prochain.

Bruce Springsteen«Wrecking Ball»Columbia/ Sony Music

RAP DVD EN ORELECTRO

Le choix musique de FOLIO par Corentin Vilsalmon et Eric Ouzounian

CHILDISH GAMBINO - CAMP Rap mélodique et énervéOn espère qu’il campera pour longtemps

A la fois acteur de séries télé, scé-nariste et comédien de stand-up, l’américain Donald Glover accumule les casquettes. Depuis quelques temps, l'artiste multifacettes porte la casquette à l'envers, signe de recon-naissance des rappeurs, en se faisant les armes sur quelques EP, mixtapes et albums.Ce premier album commercialisé, «Camp», débarque enfin en France et nous prouve que le bougre n'est pas sans talent musical. Morceaux accompagnés d'extraits orchestraux somptueux, de passages au piano sur les envolées lyriques; mais aussi de furieuses pistes instrumentales (à caractère électronique notamment) sur lesquelles Childish Gambino déverse son flow piquant, au langage fleuri. Un débit de paroles continu et rapide sur lequel naviguent quelques critiques de la société américaine actuelle et autres passages d'autodé-rision. L'ensemble n'est pas sans rappeler le très bon «My Twisted Dark Fantasy», de Kanye le mégalo West, mais qui cette fois transcende les limites entre pop et rap. Valeur sûre: Gambino sait chanter juste avec une très belle voix.

Childish Gambino - Camp (Cooperative

Music) (Disponible dans les bacs)

BRUCE SPRINGSTEEN«WRECKING BALL»

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CULTURE

MAGNOLIAS

Les chroniques littéraires de FOLIO par Najoua Azlag et Emmanuelle Grimaud

POSTHUME

PIERRE BENOIT À L’HONNEUR

Parce que c’est le cinquantième anniversaire de sa mort, il fallait bien qu’on en parle. Pierre Benoit (1886-1962) est à l’honneur aux Editions Albin Michel, qui rééditent «Axelle», «La châtelaine du Liban», «Mademoiselle de la ferté», et une œuvre de Gérard de Cortanze intitulée «Pierre Benoit, le romancier paradoxal» pour nous remémorer quelques livres du romancier fécond, capable d’écrire un livre par an. Autant de romans d’aventure aux mille énigmes, où les histoires de Pierre Benoît célèbrent souvent la femme, sous les traits d’héroïnes dont le prénom commence toujours par la lettre A. Par une autre coquetterie d’auteur, l’écrivain tenait aussi à donner à tous ses romans le même nombre de pages.

«JUSTIN BIEBER ET MILEY CYRUS», DE SARAH OLIVERDeux stars, deux ado-lescents aux destins hors du commun.

Le premier est un prodige cana-dien autodidacte, qui à 12 ans est filmé par sa mère, puis publié sur Youtube et visionné par des milliers d’internautes en peu de jours. Le phénomène Bieber était né, la Bieber mania aussi. La seconde est la fille d’un célèbre chanteur de country. Miley Cyrus chante, danse, compose, écrit, joue la comédie… Avec huit albums, sept films et livres à succès au compteur, elle est propulsée au rang de star mon-dial grâce à son rôle dans la série «Hannah Montana». Avec près de 100 photos et 120 articles pour chacune de ces deux œuvres, Sarah Oliver s’est lancée dans deux biographies, que les 12-20 ans vont s’arracher!

Sortie le 8 mars, aux Editions Albin Michel. Crédit Albin Michel

JUSTES

«CLAUDE FRANÇOIS, AUTOBIOGRAPHIE»

Une autobiographie du chanteur Claude François,

décédé il y a maintenant 34 ans, on croit rêver. Et pourtant, Fabien Lecoeuvre l’a fait.

Il a recueilli et retranscrit 70 kilos d’archives de presse, écouté 300 heures d’interviews et visionné 160 heures d’images télévisées pour coucher un véritable travail d’historien, en seulement deux ans. L’auteur, qui travaille depuis plus de 30 ans dans l’ombre des stars, s’est attaqué ici à l’idole des années 60-70. Depuis 1992, Fabien Lecoeuvre participe au développement de la carrière artistique – posthume – de Claude François, au côté de ses fils, Claude et Marc François.

Sortie le 1er mars, aux Editions Albin Michel. Le film «Cloclo», réalisé par Florent Emilio Siri, sortira en salles le 14 mars 2012.

Crédit :A

lbinMichel

«APOCALYPSE BÉBÉ», DE VIRGINIE DESPENTES Parce que dès la première page, on entre dans l’histoire, avec des personnages liés malgré eux dans ce livre entre satire sociale et polar contemporain. Une œuvre haletante où Valentine, adolescente pau-mée, nymphomane, et droguée nous em-barque avec elle dans ce road-book entre Paris et Barcelone. La plume de la scanda-leuse Virginie Despentes nous sert un livre particulièrement jouissif et décomplexé.Sortie le 29 février, aux Editions Grasset.

ON AIME AUSSI

Crédit Livrepoche

UNE BD À LIRE «L’affaire Sugaya – l’histoire vraie d’un homme accusé à tort» Dessins de Kenichi Tachibana et scénario de Hiroshi Takano.Ce manga plonge le lecteur dans les années 90, mais surtout dans

l’histoire vraie de Toshikazu Sugaya. Cet homme emprisonné au Japon avait avoué sous la torture les meurtres sordides commis sur des fillettes. Lorsqu’un reporter décide de retracer l’enquête, il s’aperçoit qu’une terrible erreur judiciaire a été commise. Les détails montrent en réalité que la justice japonaise a laissé filer un tueur en série. Cette histoire vraie a causé une grande indignation au Japon, dont même Amnesty International s’en est mêlée.Sortie le 8 février chez les Editions Delcourt.

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BILLET

HUMEUR

LE FILM LE PLUS LONG

Aux Etats-Unis, tout le monde n’a d’yeux que pour «The Artist», qui a récolté cinq Oscars, le 26 février der-nier. Mais en France, le film qui fas-cine le plus est loin d’être une œuvre muette, bien au contraire.

Suspens, coups de théâtre, person-nages travaillés et incertitudes quant au dénouement final, «Présidentielles 2012» est de loin LE film du moment. Le synopsis est simple: le héros réus-sira-t-il à garder sa place face à son adversaire? Les autres protagonistes pourront-ils perturber le fil de l’his-toire? Qui est vraiment le méchant? Voilà le scénario qui passionne les Français, et qui récolte déjà sa mois-son d’Oscars de la politique.Oscar du meilleur film, tout d’abord: La présidentielle 2012. En effet, au-cune présidentielle n’aura été su-jette à tant d’interrogations. Pour la récompense du meilleur scénario, Dominique Strauss-Kahn l’emporte haut la main. Véritable feuilleton dramatique à lui tout seul, l’ex futur président a tenu en haleine le pays durant de longues semaines et conti-

nue aujourd’hui à être sur le devant la scène. «Rien n’aurait été possible sans Naffissatou Diallo», pourrait déclarer DSK lors de la remise du prix. Ce dernier a également beau-coup contribué à l’Oscar du meilleur décor, remis au Sofitel de New York. L’Oscar des meilleurs effets spéciaux est, quant à lui, attribué à François Hollande, pour sa perte de poids im-pressionnante. On ne peut que saluer la prestation technique du candidat PS, qui a dû se priver de ses éclairs aux chocolats favoris pour le film. Aujourd’hui, impossible de sortir un blockbuster sans les effets spéciaux impressionnants qui vont avec.

Pour la récompense du meilleur se-cond rôle, l’Oscar est attribué à Henri Guaino. Le «sidekick» du héros, l’ami de toujours, est récompensé pour sa magnifique prestation lors de son duel avec le socialiste Jérôme Guedj, le 25 février sur France 3. Pris d’un élan créatif, le conseiller du président a surjoué la colère lors d’un débat sanglant en lâchant une réplique qui deviendra sûrement culte: «Mais c’est insupportable à la fin! Je peux parler, oui?» L’Oscar de la meilleure

actrice est, sans conteste, attribué à Marine le Pen pour son rôle muet lors de sa rencontre avec Jean-Luc Mé-lenchon sur le plateau «Des paroles et des actes». Avec ce rôle de compo-sition, la présidente du Front national signe une performance hallucinante; elle qui n’a pas pour habitude de res-ter silencieuse plus de quelques se-condes face à un autre acteur. Enfin, l’Oscar du meilleur acteur est attri-bué… au peuple français, qui dési-gnera lui-même son trophée, le 6 mai prochain. Que ceux qui rentrent bredouilles ne soient pas déçus, cette magnifique aventure n’aurait pas été possible sans eux. Pour ce qui est du sous-titre du film, rien n’a encore été décidé. «Le Bon, la Brute et la Truande» est envisagé par les spec-tateurs. «Itinéraire d’un enfant gâté» est également bien placé, mais devra être confirmé par la fin. Le sous-titre le plus légitime du film reste «Les Barbouzes», qui montre bien le sen-timent des Français à propos des ac-teurs du film. Quoiqu’il en soit, «Pré-sidentielle 2012» sortira en salles, le 6 mai prochain. Faites chauffer le pop corn.Pierre Le Goupil

DR

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