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Eliminer les aléas grâce aux flux synchrones

Les entreprises cherchent de plus en plus à synchroniser l'ensemble de leurs flux afin de répondre à la demande de leurs clients tout en minimisant les investissements. Pionnière : l'industrie automobile.

ORGANISATION

Les flux synchrones sont à l'organisation industrielle ce que la Jeep est à la voiture : un modèle de robustesse et de fiabilité. Leur secret ? Un principe d'une simplicité confondante : l'équipementier livre ses sous-ensembles, des sièges par exemple, au pied de la ligne d'assemblage du constructeur, dans l'ordre et à la cadence où ils seront montés. Une manière habile de tirer partie des derniers gisements de gains inexploités sans investir massivement. « En livrant ainsi en pied de ligne, le stock de sécurité disparaît. Cela demande un autre modèle d'organisation », témoigne Jean-Marie Pelletier, directeur industriel de Valeo Thermique Moteur. Un double phénomène explique cette évolution : d'une part, la tendance croissante des constructeurs d'automobiles à confier à leurs équipementiers de premier rang des familles de sous-ensembles complets - comme les sièges, ensembles de climatisation ou planches de bord ; d'autre part, la volonté de pousser le juste-à-temps dans ses derniers retranchements. Le premier engendre une contrainte physique supplémentaire : la taille et la diversité des sous-ensembles rendent difficile leur stockage en bord de ligne, même pour une demi-journée de production. Le second phénomène correspond à un objectif que tous les constructeurs poursuivent depuis plus de dix ans : produire à la demande, en tenant, idéalement, un délai de quinze jours entre la commande d'un client et la livraison de son véhicule.

Les conditions pour réussir

�� Une grande rigueur de fonctionnement chez le client. �� Un fonctionnement en juste-à-temps déjà acquis. �� Des processus industriels maîtrisés fiables et robustes. �� Une organisation réactive et sécurisée. �� Un flux d'information à gérer en temps réel. �� Un management visuel de la production par les équipes. �� Des équipes autonomes et responsables.

GERER LA DIVERSITE

« Lorsque nous livrons une face avant complète, avec le bouclier, les optiques, la calandre, le détecteur de proximité et la thermique, cela peut représenter plusieurs centaines de références à gérer. Nous n'arriverons jamais à respecter les délais si nous ne sommes pas en synchrone », résume Jean-Marie Pelletier. Il estime que la mise au point d'un projet demande de 24 à 30 mois, comme ce fut le cas pour le site de Camaçari au Brésil, où Valeo livre des faces avant à Ford. A l'image des autres projets de ce type, tout a été négocié point par point. Même s'ils s'appuient sur quelques grands classiques, comme les kanbans - le système d'étiquettes dédié au juste-à-temps -, les flux synchrones ne sont dus à aucun gourou et n'exigent pas de se conformer à une théorie donnée... « Leur mise en œuvre demande surtout du bon sens », s'exclame Patrick Besset, consultant au cabinet Proconseil, qui travaille sur le sujet depuis une dizaine d'années. « Il faut surtout connaître quelques mécanismes », précise-t-il. Primo, s'assurer de la faisabilité des livraisons en synchrone, en fonction du temps de réquisition - c'est-à-dire le délai entre la commande et la livraison par le donneur d'ordres - et de la cadence des commandes. Secundo, choisir si l'on fabrique en synchrone, si l'on se contente de livrer en synchrone en conservant un minimum de stock dans ses murs. « Une fois le temps de réquisition connu, on peut donc calculer s'il est possible de fabriquer dans ce laps de temps », explique Patrick Besset

MINUTER LES ETAPES

Ces dernières années, les flux synchrones se sont surtout développés sur les implantations nouvelles. Dans ce cas, l'usine est construite en fonction des contraintes qu'ils imposent. Bernard Niclot, actuel directeur du développement chez Vallourec Composants Automobiles (VCA), qui produit des sous-ensembles intégrant les suspensions et les essieux ainsi que des roues assemblées, en a fait l'expérience. VCA s'est implanté au sein même du site de Renault, à Curitiba dans l'Etat du Paranà, lorsqu'il a suivi le constructeur français au Brésil en 1996. Chef de projet de 1997 jusqu'au démarrage du site à fin 1998, Bernard Niclot se rappelle que « les exigences des flux synchrones ont structuré l'ensemble de l'organisation industrielle ». Dans cette dernière, Renault considère le véhicule comme défini et « bon » lorsque la caisse sort sans défaut de la ligne de peinture et arrive au montage. A cet instant, une demande est envoyée par informatique à Vallourec. « Nous avons alors entre une heure trente et deux heures trente - c'est le temps de réquisition - avant de livrer », indique Bernard Niclot. Ses choix, en matière de flux de production, ont privilégié la simplicité. Pour les roues, Vallourec dispose du temps pour

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produire en « vrai synchrone », en raison du faible nombre de variantes sur les jantes. Il n'y a aucun stock aval une fois que les jantes sont montées. Pour les modules de suspensions en revanche, Vallourec n'assemble pas en « vrai » synchrone en raison de la diversité et de la complexité des composants. En effet, cela exigerait des adaptations du process en fonction du modèle de véhicule passant sur la ligne. « Il faudrait adapter les visseuses et les supports. C'est certes faisable, puisque l'on peut changer d'équipement en une minute. Mais cela reste trop long par rapport à un temps de cycle de trois minutes », explique Bernard Niclot. C'est une constante : dans la mise en place des flux synchrones, les opérations sont minutées avec un soin particulier, car tout se joue à l’échelle de la minute voire de la seconde. Mais, comme disent les ingénieurs, si le système est complexe, il n'a rien de compliqué... Bernard Niclot assure que « c'est même le plus simple que l'on puisse imaginer ». Car la paperasserie est réduite à la portion congrue, et l'informatique aussi du moins dans l'atelier. Vallourec Composants Automobiles a d'ailleurs retenu le principe d'une gestion visuelle omniprésente. Dans un contexte totalement différent, Delphi a fait des choix identiques. Le site implanté à Sedan (Ardennes) est l'une des trois usines françaises de la division systèmes thermiques de l'équipementier américain. Il fournit notamment Renault à Douai et des usines Opel belges et allemandes. A chaque ligne de production est dédié un espace doté de tableaux. Un mode de management standard a été instauré. Chaque matin, toutes les données sont mises à jour par les responsables de la gestion de production, de la logistique et de la qualité. Les opérateurs en font autant au fil de la journée, toujours manuellement.

CINQ TEMPS FORTS DE LA PRODUCTION CHEZ DELPHI, A SEDAN 1- Une planification pointue. Les responsables de la gestion de production attendent les

prévisions les plus fiables possibles de la part des constructeurs. 2- Une réactivité extrême sur la chaîne. Tout comme leurs donneurs d’ordres, les

équipementiers s’efforcent désormais de différencier leurs produits à la dernière minute. 3- Une flexibilité optimale. Tous les opérateurs peuvent passer d’une ligne à l’autre, en

fonction de la charge de travail du site. 4- Un suivi visuel actualisé. Les flux synchrones impliquent une organisation réactive, des

équipes autonomes et donc un management visuel de la production. 5- Une livraison en « prêt à monter ». Les flux synchrones obligent à un chargement, sur

des racks, dans un ordre correspondant à celui des montages des sous-ensembles sur la ligne chez le client.

ABOLIR LES DISTANCES

Delphi mise sur une organisation sans failles pour abolir les inconvénients liés à l'éloignement de ses clients. « Pour nous, la dernière nouveauté consiste à travailler en flux synchrones malgré la distance », déclare Pierre Bieque, responsable de la gestion de production pour l’Europe. Un objectif presque atteint. Aujourd'hui, il juge l'usine proche d'un optimal en terme de flexibilité. Tant en production qu'en gestion des ressources humaines, puisque les opérateurs passent d'une ligne à l'autre en fonction de la charge. Au jour le jour, un des points les plus délicats à maîtriser reste le chargement des camions. Dans ce mode d'organisation, il repose sur une astuce. L'équipementier constitue un « faux camion » en chargeant les sous-ensembles sur un rack dont chaque emplacement correspond à un véhicule donné sur la ligne d'assemblage de son client. Il faut donc être sûr de placer chacun au bon endroit ! De manière réciproque, l'équipementier doit recevoir la garantie que cet ordre ne changera pas. Faute de quoi, une coûteuse pagaille risque de régner en fin de chaîne. Delphi attend donc de Renault une planification suffisamment précise. Pour son usine de Douai, le constructeur s'est assigné un objectif de respect du « film ferme » - un terme qui désigne dans le jargon des constructeurs la prévision de production avec l'ordre de passage sur la ligne - de cinq jours. Lorsque ce type de système est bien rodé, les résultats peuvent être impressionnants. Sur le site de Curitiba, qui tourne en deux équipes, Vallourec déclare n'avoir enregistré qu'un unique arrêt de la ligne de trois minutes en quatre ans... Rien d'exceptionnel à cela. A Brême, en Allemagne, l'équipementier automobile américain Lear livre des sièges à une usine Mercedes distante de cinq kilomètres. « Depuis cinq ans, nous n'avons connu ni arrêt de la production, ni ruptures de livraisons », déclare Jürgen Kratzmann, directeur des opérations.

PREVOIR DES MODES DE FONCTIONNEMENT DEGRADES

Malgré cette robustesse, les équipementiers ne cèdent pas au syndrome du « désert des Tartares » et restent vigilants. Une des spécificités des flux synchrones tient à l'existence de modes de fonctionnement dégradés. « Si l'on ne reçoit pas le film constructeur ou si les systèmes d'échange de données informatisées (EDI) tombent en panne, il faut avoir défini à l'avance des moyens de communication alternatifs. Cela peut être tout simplement la télécopie ou le téléphone », indique Pierre Bieque. En denier recours, c'est le chauffeur du camion qui sera

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chargé de transmettre les informations. Chez Vallourec, même en l'absence d'incident, le conducteur du petit tramway qui livre Renault joue un rôle clé. « Grâce à ses contacts avec les opérateurs, il nous tient au courant de ce qui se passe sur la ligne », souligne Bernard Niclot. Dans un tout autre domaine, il évoque une autre spécificité de cette organisation : le client prend la responsabilité de la facturation. « Renault nous indique ce que nous pouvons lui facturer. Sur la durée, nous n'avons pas connu de litiges », note Bernard Niclot. Mais Renault a dû obtenir une dérogation des autorités qui, au Brésil, exigent normalement qu'une « note fiscale » accompagne la livraison. « Les flux administratifs sont simplifiés, car il n'y a plus de bon de commande ni de livraison », commente Patrick Besset. « La pression des constructeurs n'est pas le seul facteur qui nous pousse à travailler en flux synchrone. Nos objectifs visent aussi à minimiser les investissements en capital, à exploiter pleinement nos capacités, à éviter tout gaspillage et à réduire nos stocks », insiste Pierre Bieque. Est-ce à dire que cette organisation s'inscrit dans une logique où les deux parties sont gagnantes ? Ce serait une petite révolution, car les flux tendus ont aussi, à l'origine, eu pour conséquence de déporter les stocks chez les fournisseurs.

UN PARTAGE DES RISQUES INDUSTRIELS

En réalité, la situation est plus nuancée. D'un côté, « il y a maintenant un vrai partage des risques industriels », déclare Jean-Marie Pelletier. D'un autre, il y a aussi ce qu'aucun fournisseur n’a jamais demandé. « Certains constructeurs imposent maintenant aux équipementiers de travailler avec des concurrents. Lorsque Renault nous demande de collaborer avec un de nos concurrents en refroidissement et que nous devons auditer son processus, cela n'a rien d'évident », ajoute-t-il. Un degré de contraintes qui, peut-être, explique pourquoi les flux synchrones restent cantonnés jusqu'ici à l'automobile.

Laurent Viel, L’Usine nouvelle, n° 2838, 12 septembre 2002

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