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Une semaine de philosophie

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DU MÊME AUTEUR

Descente, Flammarion, 1999.Les Infidèles, Flammarion, 2002.

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Charles Pépin

Une semaine de philosophie

7 questions pour entrer en philosophie

Flammarion

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Ouvrage édité avec la collaborationde Guillaume Allary

© Éditions Flammarion, 2006.ISBN : 2-08-0685295

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Pour Victoria et Marcel

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LUNDI

Réfléchir peut-il nous rendre heureux ?

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« Contemple-là, cette terre, telle queDieu l’a donnée à ceux qui l’habitent.N’est-elle pas visiblement et uniquementdisposée, plantée et boisée pour des ani-maux ? Qu’y a-t-il pour nous ? Rien. Etpour eux, tout : les cavernes, les arbres,les feuillages, les sources, le gîte, la nour-riture et la boisson. Aussi les gens dif-ficiles comme moi n’arrivent-ils jamais às’y trouver bien. Ceux-là seuls qui se rap-prochent de la brute sont contents etsatisfaits. Mais les autres, les poètes, lesdélicats, les rêveurs, les chercheurs, lesinquiets ? Ah les pauvres gens ! »

Guy de Maupassant 1

Le Penseur sculpté par Rodin ne fait pas vraimentfigure d’homme heureux : le corps entier semblantplier sous le poids du souci, la tête lourde de pensées

1. Guy de Maupassant, « L’inutile beauté », Contes et Nou-velles, Gallimard, 1974-1979, Bibliothèque de La Pléiade, t. II,p. 1217-1219.

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métaphysiques, soutenue par un bras replié, le frontau creux de la paume. Voilà plutôt un homme qui« se prend la tête ». De même, l’homme accablé depensées, non métaphysiques mais logistiques, semblesouvent plongé dans ses pensées plus que dans lebonheur.

Face à eux, pourrait-on dire, « l’imbécile heu-reux », qui se pose là mais ne se pose pas de question,profite de la vie dans la mesure de ses possibilités,un sourire toujours scotché sur son visage sans tropsavoir pourquoi. Un rien le rend « heureux » : unemauvaise blague, une bière, une chaise longue, lesimple fait d’exister. Il semble pourvu d’une sorte dedon : sentir, sans même s’en rendre compte, quel’existence est un privilège.

Qui est vraiment le plus heureux ? L’imbécile heu-reux sait-il ce qu’est le bonheur ?

Le penseur lui non plus ne sait probablement pasce qu’est le bonheur. Pourtant, malgré la fatigue et ledoute, il éprouve une joie diffuse à se développerainsi au contact de ses pensées, voire à se demandersimplement s’il est heureux. Peut-être même res-sent-il, au cœur de sa lucidité, une étrange satisfactionà prendre la mesure du chemin qui le sépare du bon-heur, à comprendre qu’il ne comprendra pas tout.L’homme affairé, lui aussi, retirera du plaisir à réglerles problèmes que sa réflexion lui soumet. Mais cegenre de joies, de plaisirs ou de satisfactions ne sontpas le bonheur.

Le bonheur, à la différence de la joie intense ou dela satisfaction ponctuelle, désigne un état, durable, de

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Une semaine de philosophie

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complète satisfaction : le fait de coïncider harmonieu-sement avec soi, sans aspirer à plus. La réflexion nevient-elle pas souvent nous souffler que nouspourrions aspirer à autre chose ?

Penser alimenterait alors en nous une insatisfaction,et ne pourrait nous aider à mieux vivre. Nous aurionstoutes les raisons de douter des vertus existentiellesde notre réflexion. Mais l’imbécile heureux n’estjamais fou de bonheur, et son sourire un peu absentn’est pas l’indice d’un bonheur authentique. C’estcomme s’il manquait de quelque chose pour êtrerempli d’un bonheur plus profond. De quoi manque-t-il alors... si ce n’est de réflexion ?

La réflexion nous place-t-elle nécessairement à dis-tance de notre bonheur ou est-elle au contraire ce parquoi nous le mesurons, et donc l’éprouvonsvraiment ?

1. Il est inutile de réfléchir pour être heureux.

« Bonne année, bonne santé ! », ou même simple-ment « Santé ! » : ainsi s’expriment le plus souventles vœux de bonheur pour la nouvelle année. On nesouhaite à personne de beaucoup réfléchir pour êtreheureux, mais plutôt d’avoir la chance d’être épargnépar la souffrance, la maladie, bref, par le sort. Où l’onretrouve cette idée, portée par l’étymologie 2, d’unbonheur inséparable d’une certaine dose de chance.De tels vœux de bonheur suggèrent clairement que

2. Bon/heur : bonne chance.

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Lundi

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ceux qui ont la chance d’être ainsi épargnés devraientsavoir simplement en profiter, au lieu de souffrir enpoursuivant des buts superflus, le pouvoir, lesrichesses...

Nul besoin de réfléchir pour être heureux, répètedonc chaque année la sagesse populaire. Le bonheurest une chance à saisir, et cela n’implique nul calcul,nulle réflexion pragmatique, nulle méditation méta-physique.

Mais c’est aussi suggérer que le bonheur ne dépendpas vraiment de nous. Être épargné par le sort : notrebonheur tient donc à cette clémence d’un autre quenous, ou d’autre chose que nous. Ne pas être frappépar le cancer, ne pas voir mourir ses enfants, voilà lepur bonheur, pensera celui qu’un tel sort accable. Onvoit mal quel philosophe irait le convaincre ducontraire.

La réflexion n’est pas alors l’ennemie du bonheur,mais il dépend surtout d’autre chose : le confort maté-riel minimal, la guérison, des relations humaines dequalité, connaître l’amour, l’amitié, une vie de familleépanouie, ne pas souffrir de la solitude... Certainespersonnes âgées condamnées à la solitude ont tout leloisir de réfléchir au sens de cette vie qui s’achève.Pourtant, le plus souvent, ce n’est pas cette réflexionqui les rendra heureuses, mais simplement une pré-sence, quelqu’un à leurs côtés pour leur parler dutemps qu’il fait. Les images les plus répandues du« bonheur » sont en elles-mêmes éclairantes : desparents entourés de leurs enfants, deux êtres qui s’ai-ment et se regardent, des parasols plantés dans dusable abritant des familles... Clichés vulgaires,

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dira-t-on. Mais pourquoi les hommes seraient-ilsincapables de savoir ce qui les rend heureux ?

Comment les hommes pourraient-ils être dans l’er-reur jusque dans leur impression de bonheur ? Aunom de quoi, quand ils pensent l’avoir trouvé, leurrétorquerait-on qu’il s’agit d’un bonheur illusoire,qu’il manque les Méditations métaphysiques de RenéDescartes sous le parasol ?

Il y a d’ailleurs dans cette sagesse populaire, voiredans ce refus de la réflexion et a fortiori de la phi-losophie, une option philosophique implicite et sédui-sante : apprendre à être heureux, c’est apprendre àsavoir se réjouir de ce qui est (être aimé, vivant, enbonne santé), de ce qu’on a, ne pas attendre d’en êtreprivé pour comprendre que c’était justement ça lebonheur. Nous avons la chance d’être ce que noussommes, saisissons-la. D’ailleurs, nous aurions pu nepas être, le monde lui-même aurait pu ne pas être. Ceprivilège d’exister, d’être ce que nous sommes, jouis-sons-en simplement. Ne demandons rien de plus.

Il y a dans cette position du sens commun uneintuition décisive quant à la nature du bonheur. Lebonheur, on est dedans. Être heureux, c’est être enve-loppé de bonheur, probablement une réminiscence dece que nous ressentions dans le ventre maternel. Enparler, c’est déjà être extérieur à lui, et donc n’êtrepas heureux. Y penser est encore pire : la pensée tienttoujours son objet à distance d’elle-même. C’est pour-quoi la pensée, si elle ne nous rend pas heureux, estcapable de nous dire que nous avons été heureux. Surle moment, nous ne nous en rendions pas compte,mais maintenant que ce bonheur est loin, notre

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réflexion est capable de le reconnaître. Penser à sonbonheur, c’est déjà en être sorti. D’ailleurs, le besoinde réfléchir ne se fait-il pas sentir dès lors que nousavons un problème ?

Non seulement l’opinion commune présentevolontiers notre bonheur comme se passant aisémentde réflexion, mais en plus elle définit souvent cesmoments de bonheur par la cessation même de touteréflexion ! « Se vider la tête », ne plus « se prendrela tête »... La réflexion devient ici ennemie du bon-heur, tandis que l’activité intellectuelle est présentéecomme une activité qui fait souffrir : un « casse-tête », « se creuser les méninges », « se torturer l’es-prit »... Difficile de trouver autant d’expressionspopulaires pour dire le bonheur de penser. Laréflexion n’est plus simplement inutile au bonheur.Elle vient planer au-dessus de lui comme une menace.

Cette réflexion qui menace le bonheur, ou en toutcas le bon moment, peut être tout d’abord une simpleréflexion pragmatique. Il en est ainsi de ces vacancesun instant gâchées par l’idée de la rentrée quiapproche, du plaisir pris à un match de tennis perturbépar le jaillissement dans l’esprit d’un problème nonréglé, ou de cette « angoisse du dimanche soir » bienconnue : c’est encore le temps du repos, celui du loisiravec les siens mais notre esprit prend de l’avance etdéjà nous inquiète. Il y a cette réunion, demain matin,que ma pensée invite au cœur de mon dimanche.

Cette réflexion peut être aussi de nature métaphy-sique, comme lorsque la pensée de la mort vient trou-bler le bonheur d’une mère regardant jouer ses enfants,

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ou la pensée de l’absurde briser notre élan alors quenous étions heureux d’élaborer un projet : « Finale-ment, à quoi bon ? Et après ? »

Ici encore, il y a dans cette position non réfléchiedu sens commun une intuition profondément philo-sophique. Si la réflexion a ce pouvoir de venir per-turber un instant de bonheur, c’est parce qu’elle estanticipation de l’avenir. Le bonheur, lui, et le bonmoment plus encore, s’éprouve au présent.

Avant la réflexion au sens propre, c’est laconscience elle-même qui jette l’homme dans letemps, et plus précisément dans l’avenir. L’imbécileheureux a effectivement un don : il vit au présent.Son insouciance vient de là. Le plus souvent, nousn’avons pas cette chance. Aujourd’hui nous sommesbien, entourés de ceux que nous aimons, au bord dela mer, mais demain les vacances seront finies(réflexion pragmatique), et après-demain nous seronstous morts (réflexion métaphysique). C’est par lapensée que nous invitons au présent, au cœur du bonmoment, des raisons de nous inquiéter, que nous ins-crivons notre bonheur présent dans une temporalitéqui le menace.

Parfois, notre réflexion nous « tombe dessus » pourvenir gâcher notre présent, d’une façon d’ailleursaussi imprévisible que les malheurs évoqués précé-demment. Les « mauvaises pensées », pragmatiquesou métaphysiques, nous parlons alors de les« chasser », et nous nous acharnons à le faire pourpréserver notre « bonheur ». C’est la définition dudivertissement : un bonheur poursuivi dans l’évite-ment des pensées menaçantes. Nous recherchons

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l’étourdissement, de fête en fête, de peur d’être rat-trapés par nos mauvaises pensées, par l’idée de lamort ou par la liste des choses à faire, par le poidsde l’avenir ou de notre conscience.

Adam et Eve n’ont jamais été aussi heureuxqu’avant de prendre conscience de leur nudité : laconscience les a fait sortir de l’innocence pour entrerdans la honte. Elle les a fait sortir de ce bonheur quiles enveloppait. Elle a fait naître tant de questions, etla « mauvaise conscience », le remords, la culpabilité.Voilà donc notre conscience, et plus encore notreréflexion : une rabat-joie.

D’ailleurs, une des fonctions de la philosophie estjustement de menacer notre bonheur présent en anti-cipant, pour mieux nous y préparer, certains évé-nements douloureux de l’existence. Un professeur dephilosophie pourrait tout à fait introduire son coursainsi : « Aujourd’hui vous ne voyez pas l’utilité d’uneréflexion sur la mort, le désir ou la désillusion, maisc’est pourtant maintenant qu’il faut essayer d’ysonger, car le jour où vous serez confrontés à la mortd’un proche, à une rupture sentimentale, vous ne serezpas en état de pouvoir y réfléchir ».

La référence à ces diverses « mauvaises pensées »nous dit aussi déjà que nous avons besoin de laréflexion pour reconstruire un bonheur possible.

Mais il faut d’abord savoir pourquoi ces « mau-vaises pensées » surgissent, et ce qu’elles signifient.Vouloir les chasser sans prendre le temps de lescomprendre est le plus souvent vain, quand cela neles entretient pas. Si la pensée de la mort, la culpa-bilité, la mauvaise conscience, ou même simplement

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des « réflexions logistiques » nous assaillent souventau point de nous peser, c’est le signe que le tempsest venu d’un peu d’introspection, voire d’une véri-table analyse. Tout ceci a un sens et il faut y réfléchir,sortir de la superstition où les pensées mauvaises sontà chasser d’un brusque mouvement de la tête, commesi c’étaient des sorts jetés ou ces gouttes d’eau dontles sportifs se débarrassent sans cesser de courir. Lesuperstitieux croit qu’en s’arrêtant sur ces penséessans les chasser immédiatement, bref en acceptant d’yréfléchir, il les rendra encore plus réelles et en souf-frira davantage. Essayer d’y réfléchir, au contraire,est la meilleure façon d’éviter qu’elles reviennent tropsouvent nous gâcher la vie, soit directement sousforme de pensées conscientes, soit indirectement sousla forme de l’angoisse.

Dire que la réflexion menace notre bonheur,n’est-ce pas dire simplement que nous avonsconscience de notre bonheur ?

La réflexion peut venir intensifier notre bonheur,surtout parce qu’elle nous dit la valeur de ce bonheur,la valeur de ce qui est vécu. Reprenons l’exempled’une mère entourée de ses enfants : évidemment, ellenage dans le bonheur. Mais ne sera-t-elle pas plusheureuse encore si elle réfléchit à la valeur de cetamour qu’elle sent en elle, à sa dimension de don, àla façon dont il se démultiplie dans le mouvementmême où il se donne, à ce qu’il a d’universel, voirede nécessaire ? Peut-être est-ce justement cette saisiede la valeur de ce qui est vécu qui transforme lesimple bon moment en authentique bonheur.

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C’est bien l’absence d’une telle appréhension intel-lectuelle de ce qu’il vit qui limite l’imbécile heureux.Il ne mesure pas son bonheur, et c’est pourquoi sonbonheur restera mesuré. L’imbécile heureux neconnaît jamais ni l’exaltation ni la béatitude.

Notre bonheur ne dépend pas d’abord de notreréflexion, mais de notre santé, de nos amours, de nosrichesses... répète le sens commun. Nombreux sontpourtant les hommes qui possèdent tout cela, mais netrouvent pas le bonheur. Ce qu’il leur manque est del’ordre de la réflexion : ils ne savent pas appréhenderla valeur de ce qu’ils ont. Mais qu’ils soient si nom-breux n’est pas surprenant. Paradoxalement, c’estbien là le plus dur : pour percevoir combien l’exis-tence est un miracle ou un privilège, pour savoir saisirla chance d’être ce qu’on est et cesser de s’abîmer àessayer de devenir ce que l’on n’est pas, il faut peut-être... une authentique philosophie, et pas simplementune bonne humeur d’imbécile heureux, ni même unesimple sagesse populaire.

2. La réflexion est la condition d’un bonheurauthentique.

Dans un train, un homme rencontre une femme. Ila raté le train précédent, elle a décidé au derniermoment d’annuler son billet d’avion pour prendre leTGV. Ils se plaisent tout de suite, décident sur le quaide dîner tous les deux et passent la nuit ensemble. Lebonheur est un cadeau du hasard qu’il faut savoir

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TABLE

LUNDI

Réfléchir peut-il nous rendre heureux ? ........... 9

MARDI

Faut-il respecter les lois ? ................................. 41

MERCREDI

Pourquoi la beauté nous fascine-t-elle ? .......... 77

JEUDI

Qu’apprend-on vraiment à l’école ? ................. 113

VENDREDI

Faut-il croire en Dieu ? ..................................... 151

SAMEDI

La démocratie est-elle le meilleur régime poli-tique ? ................................................................ 191

DIMANCHE

Comment se préparer à mourir ? ...................... 225

REMERCIEMENTS .................................................. 253

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No d’édition : L.01ELKNFF8529N001Dépôt légal : septembre 2006