fiche pedagogique

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L’écriture de l’intime > PAR STÉPHANE GOUGELMANN, PROFESSEUR DE LETTRES FRANÇAIS 1 re Place dans les programmes Auteur d’un journal intime et d’une œuvre publiée qui res- semble à son Journal, Jules Renard affirme ne jamais rien conter en dehors de lui-même, que ce soit sous forme romancée ou autobiographique, en tant que personnage central ou acteur secondaire. Les écrits de Jules Renard peuvent donc faire l’objet d’une étude dans le cadre du programme de 1 re L concernant l’autobiographie. Leur maniement pédagogique est aisé, l’ambition de l’homme de lettres étant d’être compris de tous. Sa langue est simple et l’approche de son œuvre ne réclame aucune érudition. Objectifs et démarche Il s’agit de se familiariser avec un écrivain qui n’est certes pas oublié, mais qui ne connaît plus guère les faveurs des manuels scolaires. Cette séquence fournit l’occasion de décou- vrir une écriture vibrante de vie, pleine d’humour et qui, à bien des égards, contient les linéaments d’une esthétique qui se développe au XX e siècle, comme le remarque Sartre dans un article de Situations I. À ce titre, il sera aisé d’opérer des rap- prochements avec des écrivains français contemporains. Dans cette perspective, nous proposons un extrait de Lambeaux de Charles Juliet (DOC ) et un autre issu du Journal du dehors d’Annie Ernaux (DOC ). Le corpus proposé invite à cerner la notion d’intime. L’intime renvoie à l’intériorité du sujet mais est également rela- tionnel : il n’y a pas d’intime sans altérité, de moi sans nous, d’identité sans étrangeté. Pour cette raison, Renard est enclin à se peindre en situation, c’est-à-dire dans un rapport au monde qui le nourrit ou le menace. Ainsi, si le premier texte (DOC ) s’apparente à un autoportrait, les autres – extraits de Poil de Carotte (DOC ), du Journal (DOCS et ), de Nos frères farouches (DOC ), des Histoires naturelles (DOC ) –, hormis le DOC d’ordre théorique, évoquent des expériences de vie où l’âme de l’écrivain se fait surface de miroitement de ce qui l’environne. L’intitulé « L’écriture de l’intime » suppose un spectre de textes plus large que celui que couvre la notion d’autobiogra- phie, telle du moins que Philippe Lejeune la définit. Pour peindre l’intime, Renard emploie différents genres: le journal, le poème en prose, la « tranche de vie », les souvenirs, le théâtre, etc. Il C D G F E B A I H convient de souligner l’écart de dynamique entre l’écriture diariste qui esquisse l’image d’un sujet se construisant au jour le jour et les écrits de la rétrospection qui amènent l’énonciateur à se placer en surplomb de son existence et à en tirer une sorte de bilan. La différence entre supports d’expression (le Journal destiné à soi et les œuvres destinées aux autres) amène, en outre, à mesurer l’influence des dimen- sions publique ou privée sur la poétique de l’intime. On pourra s’en rendre compte à la lecture des DOCS et . Pour des raisons qui relèvent à la fois de la psychologie et de l’éthique, la confession du diariste n’est pas exactement semblable à celle de l’écrivain. Dans ses œuvres, Renard se préoccupe de délimiter la part dicible de l’intime et s’emploie à forger un style qui, tout en ne trahissant pas la vérité sub- jective, tend à ne pas rendre indécente l’exposition de soi ou des proches. Ainsi, l’écriture fragmentaire est-elle non seu- lement mimétique du décousu de la conscience, mais elle apparaît comme la conséquence même de la pudeur. Partant, le lecteur, appelé à interpréter les non-dits, doit s’impliquer dans la démarche poétique de l’écrivain, procéder par empa- thie, revivre avec lui chaque moment raconté pour être sûr de bien le comprendre. Le corpus délimité incite également à poser la question des fins (pourquoi se mettre à nu ? pourquoi se montrer nu ?) et rendre évidentes les quatre dimensions inhérentes à toute littérature du moi : la dimension introspective (se connaître), heuristique (le dévoilement de la vérité intime), morale (la confession et la contrition) et esthé- tique (la transfiguration de l’intime par l’écriture). Pour introduire la séquence, il serait bon de replacer Jules Renard dans l’histoire littéraire de son temps. En renonçant au roman réaliste impersonnel, l’écrivain manifeste son apparte- nance à cette génération fin de siècle qui abandonne le culte naturaliste du document pour célébrer avec Maurice Barrès « Le culte du moi ». On pourra également se référer aux pein- tres intimistes qui peignent, sans souci de réalisme, des scènes d’intérieur et des moments de la vie privée. Les élèves auraient également intérêt à effectuer des recherches sur Pierre Bonnard et Félix Vallotton, amis et illustrateurs de Jules Renard dont l’esthétique picturale s’inscrit dans la veine intimiste. B A JULES RENARD TDC N° 987 38 S É QUENCE P É DAGOGIQUE 2 LEJEUNE Philippe, BOGAERT Catherine. Le Journal intime. Paris : Textuel, 2006. MURA-BRUNEL Aline, SCHUEREWEGEN Franc (sous la dir. de). L’Intime/l’Extime. Nimègue (Hollande) : Rodopi, 2004 (coll. Crin). SAVOIR

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  • Lcriture de lintime> PAR STPHANE GOUGELMANN, PROFESSEUR DE LETTRES

    FRANAIS 1re

    Place dans les programmesAuteur dun journal intime et dune uvre publie qui res-

    semble son Journal, Jules Renard affirme ne jamais rien conteren dehors de lui-mme, que ce soit sous forme romance ouautobiographique, en tant que personnage central ou acteursecondaire. Les crits de Jules Renard peuvent donc faire lobjetdune tude dans le cadre du programme de 1re L concernantlautobiographie. Leur maniement pdagogique est ais,lambition de lhomme de lettres tant dtre compris de tous.Sa langue est simple et lapproche de son uvre ne rclameaucune rudition.

    Objectifs et dmarcheIl sagit de se familiariser avec un crivain qui nest certes

    pas oubli, mais qui ne connat plus gure les faveurs desmanuels scolaires. Cette squence fournit loccasion de dcou-vrir une criture vibrante de vie, pleine dhumour et qui, biendes gards, contient les linaments dune esthtique qui sedveloppe au XXe sicle, comme le remarque Sartre dans unarticle de Situations I. ce titre, il sera ais doprer des rap-prochements avec des crivains franais contemporains. Danscette perspective, nous proposons un extrait de Lambeaux deCharles Juliet (DOC ) et un autre issu du Journal du dehorsdAnnie Ernaux (DOC ).

    Le corpus propos invite cerner la notion dintime.Lintime renvoie lintriorit du sujet mais est galement rela-tionnel : il ny a pas dintime sans altrit, de moi sans nous,didentit sans tranget. Pour cette raison, Renard est enclin se peindre en situation, cest--dire dans un rapport au mondequi le nourrit ou le menace. Ainsi, si le premier texte (DOC )sapparente un autoportrait, les autres extraits de Poil deCarotte (DOC ), du Journal (DOCS et ), de Nos frresfarouches (DOC ), des Histoires naturelles (DOC ) , hormisle DOC dordre thorique, voquent des expriences de vieo lme de lcrivain se fait surface de miroitement de ce quilenvironne.

    Lintitul Lcriture de lintime suppose un spectre detextes plus large que celui que couvre la notion dautobiogra-phie, telle du moins que Philippe Lejeune la dfinit. Pour peindrelintime, Renard emploie diffrents genres: le journal, le pomeen prose, la tranche de vie , les souvenirs, le thtre, etc. Il

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    convient de souligner lcart de dynamique entre lcriturediariste qui esquisse limage dun sujet se construisant aujour le jour et les crits de la rtrospection qui amnentlnonciateur se placer en surplomb de son existence et en tirer une sorte de bilan. La diffrence entre supports dexpression (le Journal destin soi et les uvres destinesaux autres) amne, en outre, mesurer linfluence des dimen-sions publique ou prive sur la potique de lintime. Onpourra sen rendre compte la lecture des DOCS et . Pourdes raisons qui relvent la fois de la psychologie et de lthique, la confession du diariste nest pas exactementsemblable celle de lcrivain. Dans ses uvres, Renard seproccupe de dlimiter la part dicible de lintime et semploie forger un style qui, tout en ne trahissant pas la vrit sub-jective, tend ne pas rendre indcente lexposition de soi oudes proches. Ainsi, lcriture fragmentaire est-elle non seu-lement mimtique du dcousu de la conscience, mais elleapparat comme la consquence mme de la pudeur. Partant,le lecteur, appel interprter les non-dits, doit simpliquerdans la dmarche potique de lcrivain, procder par empa-thie, revivre avec lui chaque moment racont pour tre sr debien le comprendre. Le corpus dlimit incite galement poser la question des fins (pourquoi se mettre nu? pourquoise montrer nu?) et rendre videntes les quatre dimensionsinhrentes toute littrature du moi : la dimensionintrospective (se connatre), heuristique (le dvoilement de lavrit intime), morale (la confession et la contrition) et esth-tique (la transfiguration de lintime par lcriture).

    Pour introduire la squence, il serait bon de replacer JulesRenard dans lhistoire littraire de son temps. En renonant auroman raliste impersonnel, lcrivain manifeste son apparte-nance cette gnration fin de sicle qui abandonne le cultenaturaliste du document pour clbrer avec Maurice Barrs Le culte du moi . On pourra galement se rfrer aux pein-tres intimistes qui peignent, sans souci de ralisme, des scnesdintrieur et des moments de la vie prive. Les lves auraientgalement intrt effectuer des recherches sur Pierre Bonnardet Flix Vallotton, amis et illustrateurs de Jules Renard dontlesthtique picturale sinscrit dans la veine intimiste.

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    LEJEUNE Philippe, BOGAERT Catherine. Le Journal intime. Paris :Textuel, 2006. MURA-BRUNEL Aline, SCHUEREWEGEN Franc (sous la dir. de).LIntime/lExtime. Nimgue (Hollande) : Rodopi, 2004 (coll. Crin).

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    Une confession sans fard Jules Renard, Journal. 23 novembre 1888.

    Tu ne seras rien. Tu as beau faire : tu ne seras rien. Tu comprends les plus grands potes, les plus profonds pro-sateurs, mais, bien quon prtende que, comprendre, cest galer, tu leur seras aussi peu comparable quun infimenain peut ltre des gants.

    Tu travailles tous les jours. Tu prends la vie au srieux. Tu crois en ton art avec ferveur. Tu ne te sers de la femmequavec rserve. Mais tu ne seras rien.

    Tu nas pas le souci de largent, du pain gagner. Te voil libre, et le temps tappartient. Tu nas qu vouloir. Maisil te manque de pouvoir.

    Tu ne seras rien. Pleure, emporte-toi, prends ta tte entre tes mains, espre, dsespre, reprends ta tche, rouleton rocher. Tu ne seras rien.

    Ta tte est bizarre, taille grands coups de couteau comme celle des gnies. Ton front sillumine comme celuide Socrate. Par la phrnologie, tu rappelles Cromwell, Napolon et tant dautres, et pourtant tu ne seras rien. Pourquoicette dpense des bonnes dispositions, de dons favorables, puisque tu dois ne rien tre?

    Quel est lastre, le monde, le sein de Dieu, la nouvelle vie o tu compteras parmi les tres, o lon tenviera, oles vivants te salueront trs bas, o tu seras quelque chose?

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    Un rcit dcrypter Jules Renard, Poil de Carotte, Les poules , 1894.

    Je parie, dit Mme Lepic, quHonorine a encore oubli de fermer les poules.Cest vrai. On peut sen assurer par la fentre. L-bas, tout au fond de la grande cour, le petit toit aux poules

    dcoupe, dans la nuit, le carr noir de sa porte ouverte. Flix, si tu allais les fermer? dit Mme Lepic lan de ses trois enfants. Je ne suis pas ici pour moccuper des poules, dit Flix, garon ple, indolent et poltron. Et toi, Ernestine? Oh! Moi, maman, jaurais trop peur !Grand frre Flix et sur Ernestine lvent peine la tte pour rpondre. Ils lisent, trs intresss, les coudes sur

    la table, presque front contre front. Dieu, que je suis bte ! dit Mme Lepic. Je ny pensais plus. Poil de Carotte, va fermer les poules !Elle donne ce petit nom damour son dernier-n, parce quil a les cheveux roux et la peau tache. Poil de

    Carotte, qui joue rien sous la table, se dresse et dit avec timidit : Mais, maman, jai peur aussi, moi. Comment? rpond Mme Lepic, un grand gars comme toi ! Cest pour rire. Dpchez-vous, sil te plat ! On le connat ; il est hardi comme un bouc, dit sa sur Ernestine. Il ne craint rien ni personne, dit Flix, son grand frre.Ces compliments enorgueillissent Poil de Carotte, et, honteux den tre indigne, il lutte dj contre sa couar-

    dise. Pour lencourager dfinitivement, sa mre lui promet une gifle. Au moins, clairez-moi, dit-il.Mme Lepic hausse les paules, Flix sourit avec mpris. Seule pitoyable, Ernestine prend une bougie et accom-

    pagne petit frre jusquau bout du corridor. Je tattendrai l, dit-elle.Mais elle senfuit tout de suite, terrifie, parce quun fort coup de vent fait vaciller la lumire et lteint.Poil de Carotte, les fesses colles, les talons plants, se met trembler dans les tnbres. [...] Le mieux est de

    se prcipiter, au juger, vers les poules, la tte en avant, afin de trouer lombre. Ttonnant, il saisit le crochet de la porte.Au bruit de ses pas, les poules effares sagitent en gloussant sur leur perchoir. Poil de Carotte leur crie :

    Taisez-vous donc, cest moi !ferme la porte et se sauve, les jambes, les bras comme ails. Quand il rentre, haletant, fier de lui, dans la chaleur etla lumire, il lui semble quil change des loques pesantes de boue et de pluie contre un vtement neuf et lger. Ilsourit, se tient droit, dans son orgueil, attend les flicitations, et maintenant hors de danger, cherche sur le visagede ses parents la trace des inquitudes quils ont eues.

    Mais grand frre Flix et sur Ernestine continuent tranquillement leur lecture, et Mme Lepic lui dit, de sa voixnaturelle :

    Poil de Carotte, tu iras les fermer tous les soirs.

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    Lcriture rosse Jules Renard, Journal. 4 novembre 1891.

    Jules Renard raconte le dner donn en lhonneur de lastronome Camille Flammarion, auquel il sest rendu avecson ami, lcrivain Marcel Schwob (1867-1905).

    Dner Flammarion. Gravement on nous enlve, Schwob et moi, des assiettes o nous navons pas mang. Lasole au vin blanc narrive pas jusqu nous. Nous faisons des provisions de pain et de pommes vertes. Des gens sebattent pour du fromage. Un monsieur, un Clovis Hugues souffl, fait le chien-loup et pousse des hurlements. Un auteur,que nous croyons dramatique, et qui est monologuiste, dit une chanson Xanrof fait le stupide au piano. Fasquelle,lassoci de Charpentier, excute la danse du ventre et, frottant son pouce contre la table, la fait trembler. Il a un largenez cras au milieu du visage. Cest comme un coup de pied quon lui aurait donn, et dont il lui serait rest le pied.

    Mends parle Flammarion, et celui-ci a lair aussi embt quun diteur qui coute un auteur. Flammarion lastro-nome, qui ma tout de suite, en entrant, demand la moiti de mon pain, me dit quil prpare la fin du monde : septans de travail. Il a lair bien avec le Ciel et trs bien avec lui-mme. Un acteur, Florent, artiste, qui fait des imitations,est ras comme une fesse, et cependant il a trouv le moyen de se faire une raie. On voit au loin, au bout de latable, Ginisty dont les yeux sont comme des fentes de porte-plume pour mettre la plume. Il a les cheveux huileux,sortant de lessive, et, sur le front, quelque chose que Schwob prend pour une souris, et moi pour un derrire de cra-paud. Un monsieur, qui a une tache lie-de-vin, ressemble un assassin qui viendrait se mettre table sans sessuyer.Un autre, sorte dHomre roussi et dent, parle des souffles : cest Lacroix, le monsieur qui a donn prs dunmillion Victor Hugo. Bertol-Graivil, un pion maigre et dcor.

    Schwob : Quelles bestialits ! Moi : Et ces cheveux quils ont ! Comme si le bon Dieu, press, navait pas eu le temps de leur ter a. Schwob : Et ces yeux, ces doubles molards, et ces nez, ces extraordinaires protubrances charnues ! Lui est beau, moi aussi, sans doute.On se lve de table, et je vois Mends qui se reculotte.Allais : Je suis heureux de connatre Jules Renard. Moi : Moi je vous connaissais. Vous avez fait un bien amusant livre. Allais : Oh ! Cest un chef-duvre. Moi : Je me rappelle, de vous, une histoire. Vous savez ? Cette petite fille qui ne veut pas monter dans un

    omnibus dont la couleur ne va pas avec sa toilette... Allais : Parbleu ! je vous crois. Cest un pur bijou. Mais Renard a lair dsol. Moi : Pas du tout. Je mamuse et mon rve tait de parler avec des hommes de lettres. Mends : Un jour, je suis all dner chez Cladel, et il samusait mettre son gosse les fesses nues sur la sou-

    pire : a lui chauffait le derrire. a faisait rire Cladel et nous donnait de lapptit.Il est encore moins sale que Philoxne Boyer que jai vu vivre un mois avec une grande raie dencre sur la joue

    droite, et, quand il ouvrait lil, a faisait une solution de continuit.

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    Lcriture altruiste Jules Renard, Histoires naturelles, Fermeture de la chasse , 1896.

    Cest une pauvre journe, grise et courte, comme rogne ses deux bouts.Vers midi, le soleil maussade essaie de percer la brume et entrouvre un il ple tout de suite referm.Je marche au hasard. Mon fusil mest inutile, et le chien, si fou dordinaire, ne scarte pas.Leau de la rivire est dune transparence qui fait mal : si on y plongeait les doigts, elle couperait comme une vitre

    casse.Dans lteule, chacun de mes pas jaillit une alouette engourdie. Elles se runissent, tourbillonnent et leur vol

    trouble peine lair gel.L-bas, des congrgations de corbeaux dterrent du bec des semences dautomne.Trois perdrix se dressent au milieu dun pr dont lherbe rase ne les abrite plus.Comme les voil grandies! Ce sont de vraies dames maintenant. Elles coutent, inquites. Je les ai bien vues, mais

    je les laisse tranquilles et mloigne. Et quelque part, sans doute, un livre qui tremblait se rassure et remet son nezau bord du gte.

    Tout le long de cette haie (a et l une dernire feuille bat de laile comme un oiseau dont la patte est prise), unmerle fuit mon approche, va se cacher plus loin, puis ressort sous le nez du chien et, sans risque, se moque denous.

    Peu peu, la brume spaissit. Je me croirais perdu. Mon fusil nest plus, dans mes mains, quun bton qui peutclater. Do partent ce bruit vague, ce blement, ce son de cloche, ce cri humain?

    Il faut rentrer. Par une route dj efface, je retourne au village. Lui seul connat son nom. Dhumbles paysanslhabitent, que personne ne vient jamais voir, except moi.

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  • Un principe esthtique Jules Renard, Journal. 13 septembre 1887.

    Le plus artiste ne sera pas de satteler quelque gros uvre, comme la fabrication dun roman, par exemple olesprit tout entier devra se plier aux exigences dun sujet absorbant quil sest impos ; mais le plus artiste seradcrire, par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront limproviste, dmietter pour ainsi dire sa pense. De lasorte, rien nest forc. Tout a le charme du non voulu, du naturel. On ne provoque pas : on attend.

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    Le pointillisme dans le Journal Ibid. 6 mai 1905.

    Larmes sur un visage dhomme froid : grosses gouttes de pluie sur un mur.Trois petits gars vont de porte en porte, montrant trois fouines quils ont prises. On leur donne un sou, des ufs.Charit hypocrite qui donne dix sous pour avoir vingt francs de gratitude.Le comique de la misre.Ragotte. Il lui suffit de porter un fagot pour avoir lair dune fort qui marche.La duret de cur dun riche nest pas un gros dfaut aux yeux des paysans.La tombe : un trou o il ne se passe rien.Un vieux qui tait dans un champ, qui avait lair si pauvre et qui bougeait si peu, Marinette la pris pour un pou-

    vantail.Jattends quil nous rejoigne : je lui donnerai deux sous.Mais cest un pouvantail.Elle veut se jeter la rivire parce quelle a dmnag de son auberge pour aller dans une autre, cent mtres

    plus loin.Je dirais Philippe : Montez donc au village prvenir que je suis mort.Il pourrait rpondre : Jy vais, monsieur. Justement, jai besoin dun litre de ptrole.

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    Le pointillisme dans luvre Jules Renard, Nos frres farouches, Feuilles dautomne , 1907.

    Une violette dautomne est plus quune autre modeste ; il faut faire toutes les alles du jardin, se baisser, attraperune courbature avant davoir le petit bouquet de violettes dun sou.

    Quel goste avalerait lui-mme la fraise dautomne? On nose la cueillir que pour la bouche pure dune petitefille aime.

    Une suprme rose se dshabille et meurt.Une poire oublie lche tout et tombe assise sur le derrire.Une vieille femme apporte La Bonne Dame Gloriette un plein panier de petites cervelles fraches dans des

    petits crnes de bois quon samuse en famille caler et ouvrir.Le buisson clair rvle les passages des btes amies. Ici passait le livre, et l les perdrix rouges.Une grive senvole et pousse un cri du coin du bec.Chaque haie expose les fines carcasses de ses nids. Il est facile de voir, entre les haies dun champ, celle que les

    oiseaux ont prfre. Dans ses feuilles impntrables, elle les abritait contre les regards et le vent, et elle leur aservi une rcolte abondante de graines varies, de fruits pulpeux, de mres, de cenelles rouges, et de gratte-cul conges-tionns.

    Nids louer.Sur les pauvres qui rentrent pour lhiver, la maison basse ferme son toit comme deux ailes.La vraie vie intrieure commence. Le frisson brusque, et sans cause connue, que les arbres se transmettent en

    une courte agitation, passe au cur de lhomme soudain grave et le laisse longtemps troubl.La rcompense du travail, cest le regard sur la nature. Lil du paresseux ne voit rien.Ma dernire promenade a t un acte de gratitude. Je disais merci aux arbres, aux rues, aux champs, au canal

    et la rivire, aux tuiles de la maison.Cest l que je vis comme jaimerais toujours vivre.Et jy reste plus d moiti, quand je quitte nos frres farouches pour aller Paris, avec Gloriette..

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  • Souvenirs denfance Charles Juliet, Lambeaux, P.O.L., 1995.

    Orphelin, Charles Juliet parle, dans la seconde partie de Lambeaux, de sa famille dadoption (des paysans suisses)et de ses annes dinternat lcole militaire prparatoire dAix-en-Provence.

    Ta vie est rigoureusement cloisonne. Quand tu es de retour dans ta famille, notamment aux vacances de Pqueset dt, tu quittes ta tenue et te retrouves le lendemain derrire les vaches. Sans transition, tu cesses dtre un enfantde troupe pour redevenir un paysan. Et tu ne peux parler la mre ni aux surs de lexistence que tu mnes toncole. Pour elles qui ignorent tout de ce en quoi consiste la vie militaire, ce que tu pourrais raconter ne signifieraitrien. Dun jour lautre, tu dois donc oublier les penses, proccupations et manires dtre qui taient les tiennes,adopter dautres comportements, veiller aussi bannir de ton vocabulaire les nombreux mots dallemand et dargotqui maillent la langue fort particulire dont vous vous servez pour communiquer entre vous la caserne.

    redcouvrir avec un il dshabitu ce monde o sest droule ton enfance le village, la ferme avec ses odeurset ses bruits, les membres de ta famille, les voisins, le chien, les vaches, la charrue, la faucheuse entendre la mreet le pre parler en patois, tout te parat singulirement trange.

    Lorsquun nouveau trimestre te voit revenir lcole, la mutation laquelle tu dois te prter seffectue en sensinverse. Mais cest surtout la rentre doctobre que le choc est le plus violent. Au long des grandes vacances, tues redevenu un civil, tu as oubli sans avoir ty contraindre les gueulantes des sous-officiers, les revues de caser-nement, la crainte permanente dtre puni, et le jour de la rentre, revtant ton uniforme, il te faut le soir mmeglisser dans la peau dun personnage dont tu ttais dsaccoutum. Tout ce qui ta occup pendant ces mois dt,tu as d labandonner en franchissant le seuil du poste de garde, et sur-le-champ, te laisser rinvestir par tout ce quimplique ta vie denfant de troupe. Mais bien que perturb, tu retrouves trs vite tes rflexes, tes habitudes, tonsouci de ne pas te faire remarquer. En passant inaperu, il test plus facile de te soustraire certaines obligations,de prendre de menues liberts avec la discipline.

    Et ces deux vies, celle que tu mnes dans ton village et celle que tu endures la caserne, tu nen dis rien lafemme du chef. Tu as dcid une fois pour toutes que lentretenir de ce que tu fais ne pourrait que lennuyer, quedes propos aussi triviaux ne russiraient qu ternir ce qui sest tiss entre vous. Aussi demeures-tu le plus souventsilencieux. Un jour, elle te reproche ton mutisme, te presse de te confier elle, te laisse incrdule en tapprenant quetout ce qui te concerne lintresse. Elle ttonne aussi en remarquant que ce que tu ne sais ou ne veux pas direavec des mots, il arrive que ce soit ton regard qui lexprime.

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    Impressions de voyage Annie Ernaux, Journal du dehors (1993), ditions Gallimard, 1995, coll. Folio.

    Rsidant Cergy dans le Val-dOise, Annie Ernaux est amene frquemment emprunter les trains de banlieueet les rames de RER pour se rendre Paris. Entre 1985 et 1992, elle tient un Journal du dehors, dans lequel elle noteses impressions de voyageuse suburbaine.

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    Allez, rentre la maison ! Lhomme dit cela au chien, tte basse, rasant le sol, coupable. La phrase millnairepour les enfants, les femmes et les chiens.

    Un couple dans la file dattente des taxis, gare Saint-Lazare, samedi. Elle parat gare, se laisse porter demipar lui. Il dit et rpte : Tu verras quand je serai mort. Puis : Je veux me faire brler, tu sais, je veux me fairebrler compltement. Je ne veux pas aller dans le machin. Cest moche le machin. Il la serre contre lui, elle est affole.

    Je suis traverse par les gens, leur existence, comme une putain.

    la pharmacie, une femme prend les mdicaments pour son mari, quand il a aval tout a il na plus faim .Puis, propos du refus de celui-ci de rester au chaud , de se mnager, en riant si ctait un gosse, on lui don-nerait une claque ! . Paroles transmises de gnration en gnration, absentes des journaux et des livres, igno-res de lcole, appartenant la culture populaire (originellement la mienne cest pourquoi je la reconnais aussitt).

    Les gens ne parlent pas, ou trs peu, avec une voix lente, dans les trains bonds de sept heures du matin versParis. Une femme, dun ton ensommeill, parle une autre, qui lui fait face, du poisson quelle a trouv mort dansson aquarium: Jai fait du bruit dans laquarium, il ne bougeait pas. Quand jai vu quil remontait au-dessus, jai ditbon, a va. Un peu plus tard, elle reprend le mme incident et rpte jai dit bon, a va . Pendant quelle par-lait, une autre femme prs de la vitre lcoutait en la fixant avec curiosit. Les lumires taient jaunes, on touffaitdans les manteaux. Les vitres du train taient couvertes de bue.

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    et crire pour soi ou pour autruiLes extraits du Journal (DOC ) et de Poil de Carotte

    (DOC ) dveloppent un motif commun: la ngation de soi.Mais lcrivain, en pratiquant une narration symbolique, estplus suggestif que le diariste. Lautoportrait du Journal tire sonoriginalit de la deuxime personne et du futur, temps pro-grammatique. Le tu instaure un dialogisme: lnonciateur,qui fait part la fois de son dsir de devenir artiste et de lavanit de ce dsir, se ddouble, se parle et se juge. La syn-taxe (dabord les qualits de lhomme puis son chec inluc-table), les termes pjoratifs, lallusion au rocher de Sisypheet, surtout, le retour en boucle de cette prdiction Tu neseras rien lenferment dans un cercle tragique. La grandi-loquence rendue par le ton oratoire et les hyperboles sou-ligne le grotesque des ambitions. Le dernier paragraphequivaut une remise en cause de son existence, puisquele locuteur nentrevoit nul endroit o devenir non pas quel-quun, mais quelque chose .

    On notera que, dans ses souvenirs, Renard replace sondsastre identitaire dans son contexte originel. Cest unenfant non voulu et maltrait comme le laissent pensersa rclusion sous la table o il joue rien et lattitudeperverse de sa mre. Lexpulsion quotidienne du logis etla disparition dans ce carr noir symbolisent un dsirinfanticide rcurrent dans luvre. Le futur et le compl-ment de temps dans la phrase tu iras les fermer tousles soirs rappellent la prophtie du Journal. Si les effetsfantastiques rendent compte de la peur enfantine, Poil deCarotte parat pourtant moins sombre que le Journal eten rfute mme le pessimisme. En effet, le petit hros,aprs avoir trou lombre , revient la lumire . Ceparcours initiatique participe de sa mue existentiellecomme lindique limage change[r] des loques pesantesde boue et de pluie contre un vtement neuf et lger . linstar de son personnage, lcrivain ne veut-il pas lui aussise sentir plus lger , en plongeant dans la noirceur deson pass pour lclairer dun livre et sen dlivrer ? Latroisime personne apparat comme un moyen de dis-tanciation plus puissant que le tu du Journal : Renard sedtache de ce moi enfantin et lobserve du haut dunesagesse acquise au prix dun travail sur soi qui passe parlcriture de soi. Son regard nest dailleurs pas sarcas-tique comme dans le Journal, mais humoristique.

    et Lintime et laltritDans lespace priv du Journal, Renard aime revivre

    les scnes de la comdie humaine qui se joue en socit. Paris, ce sont les milieux intellectuels quil ctoie quiprtent le flanc sa critique. Le diariste endosse alors leshabits du caricaturiste et du moraliste. Les participants dudner Flammarion (DOC ) appartiennent au monde de C

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    ANALYSE DES DOCUMENTS>>

    ldition, du spectacle et de la politique: Clovis Hugues estcrivain, journaliste et homme politique, Lon Xanrof auteurdramatique et auteur de chansons populaires (pour YvetteGuilbert notamment), Eugne Fasquelle et GeorgesCharpentier diteurs associs, Catulle Mends (1841-1909)crivain symboliste et journaliste influent, Ernest Flammarionditeur, frre cadet de lastronome Camille Flammarion,Paul Ginisty directeur du thtre de lOdon Paris, AlbertLacroix diteur, Bertol-Graivil journaliste et auteur drama-tique. Ils sont dessins en quelques coups de crayon quiles dforment et les caractrisent. La transformation estobtenue par des figures danalogie, le plus souvent unecomparaison. Lincongruit cocasse des comparants suggreune anatomie monstrueuse: nez en forme de pied, crne enforme de fesse, yeux molards , nez comme des extraor-dinaires protubrances charnues , etc. La dprciationadvient notamment par lisotopie de lanimalit ( chien-loup , souris , crapaud , bestialits ).

    Mais la caricature rpond une vise moraliste. Lafocalisation sur le dtail est une mise au jour des imper-fections de ces hommes clbres ainsi dfinis par leursfailles. Leur banquet prestigieux tourne au spectacle bur-lesque des vanits. La gravit des serveurs contraste avecle vide des assiettes et lobligation de faire provision depommes et de pain. Les convives perdent de leur superbeen paraissant guids par leur apptit ( des gens se battentpour du fromage ). Tout parat loufoque : la danse deFasquelle, la conduite stupide de Xanrof, la curieusedemande de lastronome et la bizarrerie du sujet de sonprochain livre, etc. Dans le dernier paragraphe, lobserva-teur nomet pas de dsigner, par antiphrase, le pointaveugle de son observation : lui-mme et Schwob, soncomplice. Quand on peut voir si nettement les dfauts desautres, cest quon les a (Journal, 23 octobre 1908). Unesorte de jouissance affleure ici qui tient autant la librationdune violence rentre quau bonheur de la trouvaille lit-traire. Mais la mchancet nest jamais valorise parRenard. Selon lui, la rosserie est une infecte maladie ,quil faut radiquer.

    Lultime pome en prose des Histoires naturelles(DOC ) symbolise prcisment cette victoire sur la fro-cit. Fermeture de la chasse renvoie la clture effec-tive de la priode de chasse, mais exprime galement lerenoncement dfinitif de Renard aux joies de la prdation.Cet abandon ne se fait pas de gaiet de cur, comme entmoigne la mtorologie spleentique de cette pauvrejourne . Le chien reste sage, et son matre, dsuvr, marche au hasard , son fusil, dsormais, lui demeurant inutile . Progressivement, le pote renoue avec la nature.Il ne pointe plus systmatiquement son arme sur lesoiseaux qui passent. Les Histoires naturelles racontentdonc, en filigrane, la paix conclue avec la nature. Or lerespect des animaux prpare lamour des hommes : leblement prcde le son de cloche de lglise, puis ce cri humain un peu trange, mais qui sonne comme unappel faire retour parmi ses semblables. Cest donc ensengageant sur la route (qui stait efface) de la fra-ternit que le moi , ultime mot du texte, dcouvre savritable lgitimit et se rconcilie avec lui-mme.

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  • Lcriture fragmentaireDans le DOC , lcrivain nonce ses orientations

    esthtiques : le rejet du roman au profit dune potiquequi mime le pointillisme et la disparate de la conscience.La structure des uvres tend ainsi rejoindre celle duJournal, comme le montrent les deux autres passages. Eneffet, dans le DOC , tir du Journal, lme apparat biencomme un miroir bris du rel. Le diariste ne cherche pas enserrer ce quil voit dans un discours articul, mais pro-cde par petits bonds , sans ligatures logiques, bienquune proximit thmatique apparaisse entre le deuxime,le troisime et le quatrime paragraphe : la charit et lamisre. Chaque lot textuel conserve donc sa propre sp-cificit. Ragotte est le pseudonyme par lequel Renardnomme sa vieille bonne Marie Chalumeau ; Marinette estle diminutif du prnom de lpouse de Jules Renard,Philippe est le pseudonyme attribu lpoux de Ragotte.

    Le texte du DOC est segment la faon du Journal.Il est plus travaill cependant. Les paragraphes, isols syn-taxiquement, se rejoignent ainsi dans une vision coh-rente de la campagne. Le rythme, le jeu sur les sonoritset lemploi dun vocabulaire vari contribuent galement rendre le style plus raffin. Renard rend ici grce largion de son enfance et ceux qui lhabitent, les frresfarouches , expression issue des Caractres de La Bruyredsignant les paysans. Il clbre une nature nourricire etaccueillante. Fruits et graines abondent pour subvenir lapptit des btes et des hommes. Les haies abritent lesoiseaux, les nids sont louer . Les hommes se mon-trent tout aussi gnreux : les maisons sont, pour les pau-vres, aussi hospitalires que les haies pour les oiseaux.Cest un monde pur (voyez la petite fille) o les gostesnont pas leur place, un monde o rgne la complte har-monie du vivant et la joie de vivre.

    La sobrit du style attnue nanmoins la porte lyriquede cette page. Un il exerc peut cependant percevoircette idyllique beaut ( Lil du paresseux ne voit rien ),car celle-ci nest pas spectaculaire. Renard, picurien, loueles vertus du simple : modeste violette, fraise dautomne,rose la robe phmre, nourriture de base. Il sait doncgr la vie de lui offrir la chance de connatre de telsmoments de plnitude. Or cet acte de gratitude estintime puisque la contemplation bouleverse la vie int-rieure du sujet. En frissonnant avec les arbres, lhommeentre en symbiose avec le mouvement de la vie et accde la srnit. Le retour au monde urbain ne peut donc sefaire qu regret. Gloriette est le nom de la maison de JulesRenard Chaumot et, ici, le surnom donn son pouse.

    et Dans le sillage de Jules RenardLe texte de Charles Juliet (DOC ) se distingue par

    lemploi de la deuxime personne, procd auquel Renarda eu recours. Cette situation dnonciation permet lauteur de se dtacher de lui-mme pour mieux sobserveret se donner comprendre. Elle semble signifier gale-ment que le je narrant ne se confond pas avec lenfant,

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    GEde mme que Renard nest pas exactement Poil de Carotte(mais le il est alors employ). Cette problmatique iden-titaire est redouble par le contenu mme de la narration.Lcrivain, en effet, dpeint une existence partage entrele cocon familial heureux et lcole militaire rigoureuse etbrutale. Le texte se fonde sur des oppositions entre lepaysan et le soldat, lagrable gynce et lunivers martial,la parole bienveillante et linjonction argotique, la confianceet la peur, la douceur et la violence.

    Cette dualit fondamentale oblige le sujet se faireprotiforme et avive chez lui le sentiment dtre trange lui-mme : la campagne comme lcole, le jeunehomme porte une seconde peau endosse avec la rapiditdun rflexe . Dans la sphre militaire, luniforme et lerespect des rgles ne sont pas pour autant synonymesde complte alination. Ils protgent le jeune homme enle rendant pareil aux autres et ntouffent pas sa libertintrieure. Mais ce camouflage est une solution transitoire:lunit du moi suppose de mettre bas les masques, dvoi-lement qui na lieu que dans lespace littraire.

    La question du pronom nest pas celle qui occupeAnnie Ernaux dans son Journal du dehors (DOC ). Maisle problme de lidentit subjective nen est pas moinspos. Le titre instaure une double polarit entre lintimeet lextime . La vie intrieure se module en fonction dessollicitations extrieures, ce que lauteure rsume abrup-tement : Je suis traverse par les gens, leur existence,comme une putain. Cette incorporation du monde par lasubjectivit est notamment perceptible dans la placeoccup par le discours direct : la conscience est unechambre dcho des paroles entendues. Cest donc unedouble divulgation que se livre lcrivain : celle des autreset la sienne. linstar de Renard, Annie Ernaux ne retientque les scnes qui la frappent. Ainsi dbusque-t-elle dans la phrase millnaire de lhomme qui sadresse sonchien la preuve dun rapport archaque de dominationmasculine. Elle en exprime lide par une numration lhumour grinant puisquelle met sur le mme plan lesenfants, les femmes et les animaux.

    De mme restitue-t-elle lordinaire des transports encommun, notamment cette promiscuit qui oblige entendre en toute indiscrtion la conversation des autres.Or les paroles les plus frustes rvlent une profondeurintime. La narration ritre de lincident par la femmeau poisson laisse ainsi supposer que la mort de lanimalrveille chez elle une inquitude vaguement mtaphy-sique dont elle na pas mme conscience. Do, peut-tre,la curiosit de lautre femme, arrache son ennui parltranget de cette histoire sans intrt. Moins banale etplus impudique est la scne dans la file dattente des taxis.Le sens global chappe au lecteur et, sans doute, lobservatrice elle-mme, mais les paroles rapportes,laffolement de la femme et ltreinte du couple produi-sent un effet pathtique.

    Le dvoilement de lintime nest donc pas rserv laseule sphre prive. Un geste, un mot suffisent rvlerles tres, mme dans des lieux aussi impersonnels quunegare, un train, ou une pharmacie. Lcrivain doit simple-ment avoir lil clair comme dit Renard.

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    ACTIVITS>>

    Lauteur et sa reprsentation l docs eta.Quel est le point commun entre limage que renvoie de lui-mme le scripteur dans le Journal (DOC )et celle de lenfant dans Poil de Carotte (DOC ) ?

    b.Quelles sont les informations nouvelles quapporte Poil de Carotte par rapport au Journal sur lidentit de Jules Renard ? Comment sont exprims les sentiments de Poil de Carotte ? Comment caractriseriez-vous le personnage de Mme Lepic ? Peut-on dire du texte Les poules quil est un rcit simplement anecdotique ?

    La littrature comme masque l docs etRelevez et analysez les procds satiriques dans le Journal (DOC ). Retrouve-t-on la mme rosserie dans Fermeture de la chasse (DOC ) ? En quoi le renoncement la chasse est-il synonyme dun progrs moral ?

    Un principe dcriture l docs Reformulez les ides contenues dans le DOC . En quoi les DOCS et illustrent-ils le DOC ? Quels sont les thmes abords dans le DOC ? Quels sont les procds potiques utiliss dans le DOC ?

    Expression de lintimit l docs eta.Quels sont les effets produits par lemploi du tu dans lextrait de Lambeaux (DOC ) ? Quel problme de la personnalit rencontre le jeune homme ? Comment est-ce exprim ?

    b.En quoi cet extrait illustre-t-il le titre Journal du dehors (DOC ) ? Peut-on dire que ce texte est intime ?

    Questions de synthseEn illustrant votre rponse par des exemples tirs des textes tudis, vous rpondrez aux questions suivantes :

    Quels sont les diffrents genres o sillustre lcriture de lintime ? Quapporte lcrivain le fait de mettre desmots sur sa vie intime ? Quapporte, lauteur comme au lecteur, la dimension littraire dun crit de lintime ?Peut-on parler dune universalit des crits intimes ? Pour vous, quel est lintrt ou quelle est la limite dun critintime ?

    DissertationJules Renard avait le projet dcrire un livre sur lui-mme qui aurait eu pour titre Tout nu, nu (Journal,28 septembre 1901). Estimez-vous que lcriture de lintime est forcment impudique ? Vous appuierez votredmonstration sur des exemples appartenant diffrents genres (journal, confessions, autobiographie, etc.).

    Commentaire l docVous ferez le commentaire de Fermeture de la chasse extrait des Histoires naturelles.

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