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Le Maroc Politique inachevé A l’épreuve du printemps arabe Najib BENSBIA

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Le Maroc Politique

inachevé A l’épreuve du printemps arabe

Najib BENSBIA

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Parmi les questions fondamentales qui se posent au politique marocain en prospective, les rapports du gouvernement au statut royal, de la citoyenneté aux institutions élues et déconcentrées et, en définitive, de la société à l’Etat revêtent une importance capitale au regard des défis auxquels doit faire face le Maroc moderne. Le pays est, en effet, confronté tant à des perspectives prometteuses, qu’à des risques potentiels aux conséquences dangereuses si ne sont domestiqués les leviers du bon gouvernement et de la bonne gouvernance.

Depuis 1962, le roi règne et gouverne au Maroc. Penser les actes du roi Mohammed VI autrement, en se drapant d’une approche ‘’moderniste’’ autonomiste ou d’un équilibrisme constitutionnel tranché, qui se différencierait de ce qui a prévalu sous le règne du roi Hassan II, est un volontarisme conceptuel qui ne puise sa pertinence, et encore moins son fondement, dans aucune réalité immédiate, tant les décisions royales agencées depuis le 23 juillet 1999 s’inscrivent harmonieusement dans la lignée de ce qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui. C’est-à-dire la prééminence du roi dans l’exercice quotidien du pouvoir d’Etat. Bien sûr, si l’on raisonne en termes de temps et de tonalité des actes du roi régnant aujourd’hui, la différence est certes manifeste. Mais la question n’a d’importance qu’au plan formel. Dans le contenu et la structure généalogique des actes d’Etat entrepris, de la nomination du Porte-parole du Palais, à la mise en

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congé de M. Basri, en passant par tous les actes symboles pris régulièrement dans tous les champs de l’action politique d’Etat, le roi Mohammed VI reste fidèle à la même approche de commandement que la monarchie marocaine a toujours imprégnée à l’exercice du pouvoir et à l’autorité. Croire qu’il est d’actualité que le roi règne et que le Premier ministre (ou Chef de gouvernement) puisse, à terme, gouverner indépendamment du roi dans le Maroc actuel, présuppose qu’il faille préalablement procéder à la refonte fondamentale de la constitution marocaine. Or, le fond de la réforme de juillet 2011 n'a pas changé la forme. Et tel que s’agence le parcours du roi Mohammed VI, il est bien évident que le monarque marocain, dans sa prégnance volontariste de fortifier les choix institutionnels démocratiques du pays, restera le principal acteur de la scène politique nationale pour longtemps encore.

Regards biaisés Les générations des années cinquante, soixante, soixante dix et même quatre vingt du 20è siècle se rappellent au souvenir de mai 68 français. En ces années-là, le Maroc a connu plusieurs printemps, réglés dans la violence et la répression, comme un peu partout dans le monde, là où s’opposaient deux groupes. Le premier, minoritaire, s’est accaparé le pouvoir d’Etat, s’y cramponnant par tous les moyens. Le deuxième, regardant devant soi, aspirait à institutionnaliser le ‘’gouvernement du peuple, par le peuple et

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pour le peuple’’ ! C’étaient des années fastes, en termes d’idées et de floraison de l’imagination fertile. Car, si la répression était un système d’Etat plus ou moins courant, la force des idées, la pensée fertile et combative ainsi que l’engagement militant donnaient beaucoup de fil à retordre aux gouvernants de l’époque.(...)

En France, la jeunesse prit le pouvoir - le temps d’une digression libertaire dirions-nous - par le mot. Au Maroc, ce même mot était honni par l’autorité publique, incriminé et mis au ban de la société politique dominante. Mais en France et au Maroc, dans le même temps humain, la dictature du capital était décriée, mise à l’index, criminalisée. Aujourd’hui, plus de quarante ans plus tard, le capital est au faîte de sa gloire. Tout, absolument tout est réglé sur le son trébuchant de la finance mondiale, mondialisée. Et la France et le Maroc vivent leur temps au gré de l’échange inégal. Bien sûr, l’évolution des deux pays ne sont pas comparables, pour des raisons multiples dont une essentielle : ils n’ont pas les mêmes vision et lecture du devenir humain. Reste qu’en France, le pays de Sarkozy et, depuis mai (encore une fois) 2012 avec F. Hollande, l’humanisme, au plus bas de sa traversée, essaie de regagner essence et quintessence, alors qu’au Maroc, on continue d’apprendre à espérer, avant le désenchantement que l’on voudrait qu’il n’advienne jamais. En ces temps-là, les années 68 justement, mourir pour ses idées était un fait anodin, allant de soi. Parce que la tête était nourrie de toutes les philosophies qui prônaient la destruction du système

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répressif mondial. Ces têtes, bien faites et bien remplies, se nourrissaient de l’impossible. Et l’impossible était de croire en la disparition - le dépérissement disait le marxisme - de l’appareil, des appareils d’Etat. La révolution était alors synonyme d’humanisation des rapports de production, d’abolition de ce qui aliène la liberté de l’Homme, c’est-à-dire l’exploitation effrénée du travail par le capital.

C’était il y a longtemps. En effet, à relire l’histoire humaine à l’aune de la disparition de l’équilibre de la terreur, quarante années semblent avoir été un siècle ! Car, en ces années-là (les années soixante-quatre vingt du siècle dernier), le monde changeait constamment de visage et de destinée. Alors que la compétition mondiale donnait à penser que l’esprit humain ne pouvait que produire les idées qui imposeraient à l’Etat les élans de la société, aujourd’hui, avec l’omniscience de la pensée capitaliste unique/inique, les idées prolifèrent et s’engagent dans une direction sans horizon, la direction de l’économie de marché mondialisée. Ce n’est pas que la mort du marxisme est à plaindre. Non, parce que l’évolution de ce mouvement de pensée, tel que rendu dans l’exercice quotidien du pouvoir d’Etat au sein des pays qui l’ont adopté, s’est fait à contre-courant de la volonté populaire, celle qu’il devait en principe satisfaire. Ce qui a d’ailleurs entrainé sa chute finale. L’idée toute simple en est que le monde avait une odeur d’optimisme, même dans les moments de désespoir absolu. En 2012/2013, le Maroc et la France semblent désemparés, alors même que les progrès scientifiques, techniques ont conquis des

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espaces insondables pour l’esprit commun. Cet état de fait confirme que le pouvoir n’est plus mû que par le gain rapide, l’argent facile et l’intérêt égoïste, autant d’inputs condamnables quarante ans auparavant. Regardons ce qui se passe en France. On dirait que le politique a perdu tous ses repères. La gauche est en mal d'identité : couteaux tirés et lutte de tranchées harcèlent le court terme socialiste. Il y a tout juste un Chef d’Etat (F. Hollande) qui a promis, en 2012, monts et merveilles, alors qu'il n'a pas les moyens de sa politique prospective. Il succède à un autre Chef d'Etat (Sarkozy en l'occurrence), qui ne savait pas tenir sa langue et qui se répandait en vie privée comme un long fleuve bourgeonnant. A droite, il n’y a plus ni gaullisme conséquent, ni démocratie libérale par ailleurs. Du côté du Maroc, on se croit en hibernation chimérique. L’Etat semble perdu dans les dédales du changement qui n'arrive pas. Au flanc opposé, la société accepte la chose et son contraire, se plaignant, encore et toujours, de l’injustice, de l’exploitation, de la mal-vie, tout en poursuivant son bonhomme de chemin en nation qui accepte sa destinée, comme par résignation fataliste. La France et le Maroc gagneraient pourtant à hurler l’incohérence de leurs gouvernants, chacun dans sa traversée et sa réalité propres, bien entendu. Car, la vie du Français n’a rien à voir avec celle menée par le Marocain, sinon dans la déliquescence des mœurs sociales.

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C’est en ce sens que ces temps de bouleversement semés par le printemps arabe sont une occasion de relire le chemin parcouru. Si les conditions de vie se sont inéluctablement améliorées en termes absolus, la qualité de vie s'est dégradée, l’espoir grisonne en désenchantement progressif et l’envie de faire mieux croupit toujours sous le poids de la paresse. (...)

Des changements de style… Bien sûr, il y a quatorze ans de cela, les premiers actes d’Etat du jeune roi Mohammed VI avaient laissé émerger l'espoir que le nouveau règne pourrait s’articuler autrement que ce qui était vécu par le passé récent. Cela, dans le rajeunissement de l’appareil d’Etat. Et en cela, le nouveau règne a entrepris ce qui est dans la nature des choses lors de tout changement de dépositaire du sacre royal. Entretemps, la monarchie marocaine a continué à vivre sur une continuité historique. Sa légitimité n’a jamais été sérieusement mise en cause. Même pendant les durs moments de sa longue vie à travers les âges de la civilisation musulmane, et moins encore sous la double occupation franco-espagnole. Mieux encore, dans la douleur des années de plomb, les années soixante/soixante dix, le monarque n’a été que minoritairement décrié dans son statut. C’était plutôt, dans l’ensemble, à la mise à l’index d’un régime que

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l’on était confronté, un régime qui s’est militarisé (1962-1973), au point de faillir céder le contrôle politique total à la hiérarchie militaire. Quatorze années après la mort du roi Hassan, la question lancinante qui s’impose est celle de cerner la physionomie de l’Etat que l’on veut pour le Maroc en devenir. Dans ce sillage, la péréquation n’est-elle pas de connaître -une fois pour toute, dans le cadre de la monarchie constitutionnelle et parlementaire qui est mise en avant dans la littérature politique, tant officielle que partisane- l’identité rigoureuse de l’exécutif proposé au Marocain, pour passer fondamentalement d’un cap à l’autre, d’un règne à un autre ? Autrement-dit, en regardant de près la structure gouvernementale nationale, la question taraudante qui s’impose est celle de savoir si le Chef du gouvernement vivra encore sur des parcelles de pouvoir qui en font finalement un super chef administratif tout au plus, ou permettra-t-on, à la faveur d’une lecture très large des dispositions constitutionnelles actuelles, que le rôle et la place du Chef du gouvernement soient dynamiques, afin que celui-ci puisse être réellement responsable de la politique économique, sociale et culturelle du pays et des hommes censés travailler en parfaite coordination avec lui ? Et, en conséquence, est-ce qu’il existe parmi la classe politique marocaine une personnalité capable de tirer des dispositions constitutionnelles ce qui favorise, en optimum, l’institution gouvernementale et renforce son rôle dans la structure étatique nationale ? (...)

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Les défis… Le Maroc vit à l’heure du gouvernement conduit par un islamiste multicolore, qui solde les compte, d’une part, du gouvernement à dominante de gauche, qui a essayé de gouverner le pays entre mars 1998 et septembre 2002 mais qui s’est vite rouillé, et du gouvernement d’obédience technocratique (2002-2007) -qui s’est focalisé sur l’économique et le financier-, d’autre part. Entre les deux, il y’eut l’intermède istiqlalien, qui fut l’ombre du monarque, laisse peu d’ascendant sur le politique marocaine en marche. Le Maroc est là et nulle part ailleurs. Sans recul aucun, en effet, l’hypothèse de travail à laquelle fait face tout observateur critique est celle-là : il est tout à fait dans l’ordre politique des choses de dire que le gouvernement en exercice, celui investi sur la base de la nouvelle constitution de 2011, semble déjà fatigué. Les signes précoces de son manque qualitatif d’imagination ont été patents le long de ses deux premières années et des poussières de son exercice. Alors qu’on attendait de ce gouvernement qu’il conduisit la barque Maroc à un rythme accéléré, la vitesse de croisière est venue d’ailleurs, du noyau central de la monarchie, du roi Mohammed VI, dont les actes persévèrent à prendre tout le temps au dépourvu le fringant (en populisme imbattable) Chef de gouvernement Pjidiste.

En ce sens, il n’est pas étonnant que l’insuffisance qualitative dont fait montre ce gouvernement en matière de décision politique,

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économique et sociale ait conduit à désintéresser qualitativement (en termes d'appréciation politique s'entend) presque tout le monde de cette expérience. A cela plusieurs raisons, dont quatre essentielles : 1/ Depuis sa nomination, hormis le discours programme prononcé devant le parlement, le Chef du gouvernement s’empêtre dans des actions qui se sont cantonnées dans le quotidien. 2/ Au plan de l’environnement politique, les décisions symboles, attendues du côté du gouvernement, viennent du pouvoir traditionnel dont le roi est le cœur dynamique. 3/ A l'échelle de la structure organique de la majorité, le Parti Justice et Développement (PJD) a perdu un ''allié'' principal, en l'occurrence le Parti de l'Istiqlal), qui lui servait d'alibi ''progressiste''. L'opposition actuelle paraît plus crédible que la majorité, autant dans sa composition que par le discours. 4/ La scène sociale, dont l’ébullition épisodique est présentée comme une ''manifestation d’ouverture démocratique'’ dans l’espace de liberté d’expression, s’habitue à la contestation, qui devient un paysage coutumier de la rue. A côté de ces quatre repères, il est une question centrale inhérente à la physionomie de l’Exécutif marocain : Que faire et comment agir pour que le statut du Chef de gouvernement influe concrètement dans l’interaction pouvoirs du roi/attributions de l’Exécutif gouvernemental.

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Car, in fine, au regard de la réforme constitutionnelle intervenue en juillet 2011, en termes tant qualificatifs que quantitatifs, les actes du roi sont plus conséquents et plus fondateurs de changement que ceux émanant du gouvernement. (...)

Feuillets tirés du livre

Le Maroc politique inachevé Date d’édition : 2012