extrait du roman « renaissance » de jean-baptiste dethieux

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4e de couverture : « Le psychiatre m'avait pourtant prévenu. Il ne fallait pas tenter cette plongée dans les abîmes, tout seul. Surtout pas ! Vouloir remonter le temps ou plutôt le dérouler sans l'aide d'un compagnon de route, d'un guide de haute montagne aguerri, grand connaisseur du terrain et de tous les pièges que représente cette virée dans les recoins de ma mémoire, c'était de la folie ! »

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Page 1: EXTRAIT du roman « Renaissance » de Jean-Baptiste Dethieux
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Jean-Baptiste Dethieux

Extrait de

Renaissance

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’articleL. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductionsstrictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à uneutilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtescitations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute représentation oureproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteurou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cettereprésentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 etsuivants du Code de la propriété intellectuelle.

© 2014, Taurnada Éditions

ISBN : 978-2-37258-000-7

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Le psychiatre m’avait pourtant prévenu. Il nefallait pas tenter cette plongée dans les abîmes,tout seul. Surtout pas ! Vouloir remonter le tempsou plutôt le dérouler sans l’aide d’un compagnonde route, d’un guide de haute montagne aguerri,grand connaisseur du terrain et de tous les piègesque représente cette virée dans les recoins de mamémoire, c’était de la folie ! Mais j’étais déjà prisdans les remous d’une eau si trouble qu’il m’im-portait peu…

Fou, je l’étais car hospitalisé, protégé de je nesais quel danger par les hauts murs de l’enceintede la clinique spécialisée. Depuis quand, je ne sa-vais, car le temps prenait la tangente et s’enroulaitsur lui-même comme une corde qui me nar-guait… Celle-là même qu’ils avaient réussi à me

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confisquer de crainte qu’elle ne se resserre autourde ma gorge afin de me délivrer de cet enfer videde sens.

Aussi, le soir, à la lumière d’une lampe élec-trique, comme les enfants lorsqu’ils trompent lavigilance des parents, je me recroquevillais sousles draps et, ralentissant ma respiration pour neplus sentir l’air confiné de cette chambre pois-seuse, j’écrivais. Je tentais de retrouver le cheminsinueux dans lequel je m’étais embarqué et quim’avait conduit à occuper la place de celui quej’étais devenu : un fantôme errant dans les bribesde ses souvenirs à la recherche d’une identité bienimprobable.

Le docteur Mangin m’avait mis en garde…Aujourd’hui, je comprends vaguement ce qu’ilentendait par là… Je me suis retrouvé, un peu,mais à quel prix ? Il me prend de regretter cet étatcotonneux dans lequel je me débattais comme unpoisson dans une vase sans fond. J’en vois bien aposteriori tout le caractère protecteur. Mieux va-lait l’oubli douloureux plutôt que ça ! Il se fait sitard dans ma vie. Il est trop tard… Je dérive àprésent. J’ai l’impression qu’il me reste à vivreune éternité dans cet univers baroque qui, d’évi-dences en faux-semblants, est devenu la vie quece démiurge toqué m’a donnée. À quoi bon…

Tout a commencé par un bip sur mon ordina-teur, signant l’arrivée d’un message. L’un de ces

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signaux d’alerte comme j’en entendais desdizaines chaque jour de mon existence de journa-liste très en vue… Je me considérais, moi, commeun raté… À l’unisson de ceux dont j’étais censéparler jour après jour : ces jeunes créateurs demode, ces artistes underground qu’un articlesuffisait à tirer de l’oubli potentiel, ces faiseurs derien érigés en vision surréaliste d’une humanitépresque déchue.

Au fil du temps, ma carrière avait évolué.Après des études dans une école de journalismecotée, l’une de ces boîtes dont le prix d’entrée etles frais de scolarité mettent sur la paille lesparents que j’avais et dont les revenus étaient plusque modestes… Je fréquentais, dans ce Paris desannées quatre-vingt, un certain milieu aisé,prenant bien soin, pour ma part, de masquer mesorigines. Fils et filles de cadres supérieurs,d’industriels en vue, de journaleux médiatisésdont les succès relatifs avaient tourné la tête deleur progéniture se succédaient sur les bancs decette belle institution dont le but était surtout lafabrication d’un carnet d’adresses plus fourni quecelui de papa…

J’étais arrivé plein d’ambitions avec, en tête,un projet clairement défini. Je deviendrais leprochain grand journaliste d’investigation inter-national, couvrant les événements phares,débusquant les scandales politico-médiatiques dela planète, suivant le déroulement des conflits

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étrangers et démêlant les intérêts gouverne-mentaux engagés pour mieux les dénoncer.

Au lieu de quoi, j’avais rencontré Liz, dont lepère dirigeait ce groupe de presse dont le mensuelphare rendait compte des avancées créatives dansle milieu de la mode. J’étais devenu, au fil dutemps, le météorologue du milieu, annonçant lebeau et le mauvais temps, défaisant des carrières,en propulsant d’autres vers le firmament d’unecoterie parisienne fermée. Je touchais égalementl’international, mais pas de la manière dont jel’avais précédemment envisagé. L’aventurieravait cédé la place au parasite que j’étais devenu,invité permanent des défilés de mode ultra-tendance ou des happenings artistiques, jetant lesderniers souvenirs d’un classicisme à la françaiseaux oubliettes. En un mot, je me détestais lorsqueje prenais le temps de mesurer l’écart entre mesrêves de jeunesse et l’indéniable réussite dont jejouissais dans ce milieu de contorsionnistes hys-tériques et déjantés. Finalement, je les détestaisaussi, ceux qui m’enrichissaient ; ces inutilescréateurs de l’art qui vole en fumée et se perddans les volutes d’une époque regardant les plisde son abdomen graisseux.

Mais j’étais heureux. Liz et moi avons eu unefille, une adorable petite fille tombée du ciel.Blanche est arrivée après quelques longues an-nées de mariage où le temps nous a manqué pournous interroger sur le sens que prenaient nos vies

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et pour faire des enfants. D’un cocktail à uneréception, d’une présence obligée à Shanghaipour saluer les efforts balbutiants des novateursbridés à une retraite dans les salles à la lumièretoujours tamisée du nouveau centre de remise enforme New Age du moment, mon agenda ne melaissait pas une seconde pour envisager les chosestelles qu’elles étaient. Tellement inutiles etprétentieuses… Jusqu’à la naissance de Blanche.

Liz m’aimait. Enfin, je crois… Elle me vouaitune admiration sans bornes et dans son regard, jelisais toute l’intelligente affection d’une femmequi ne posait pas de questions sur les jugementstapis dans les recoins de mon cerveau fatigué parles courtes nuits, l’alcool, la désillusion. Maisétait-ce de l’amour ? Je l’ignore encore aujour-d’hui, dans le fond de mes nuits crasseuses. Surmes réveils itératifs ponctués par des crisd’animal, Liz ne me posait pas de questions. Jetentais, en vain, de chasser ces anguillesnocturnes qui ouvraient leur gueule en se prenantpour d’assassines baudroies déféquant ces cau-chemars blancs dans les plis du sommeil.

Avant que tout ne commence, ces mauvaisrêves sans image venaient, toujours plus fort, metaper comme un marteau donne des coups sourdssur la tête du clou qui me servait d’appendice cé-phalique. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait.Certes, je sentais bien que cette zone morte-vivante en moi ne demandait qu’à se réveiller

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comme un dragon attend l’errant qui se jetteradans ses griffes. Mais jusqu’alors, nous avions purester en relatifs bons termes, ce bout de mapersonne frappé d’un indice de folie et moi-même.

J’ai compris bien vite le pourquoi de ce senti-ment croissant d’un danger qui rôde. Blanche esttombée malade sans prévenir. Son corps s’estembrasé pour se consumer lentement sous leslampées brûlantes de ce cancer dont l’issue restaittrès réservée.

À partir de là, l’aventurier que je rêvais encoreun peu d’être s’en est définitivement allé, laissantla place à l’être le plus vil qui soit. Au lieu d’êtreprésent sur le pont pour parer au pire, je désertaisle navire. Ainsi, je multipliais les obligations pro-fessionnelles. Je me tenais aux aguets dans lessalles d’embarquement pour sauter sur le moindreavion, prêt à m’éloigner de ce malheur d’abordcristallin puis tonitruant qui prenait ses quartiers àla maison.

La « bête » était devenue intime avec Liz, quien avait fait son animal de compagnie. Dans ce litde nos amours et de nos compromissions, avec unsommeil jamais tranquille, j’avais laissé ma placeet ne concevais plus de l’occuper. Cette chosemontrait ses crocs lorsque je m’approchais pourdécrocher quelques vagues rôles de figuration.Plus personne ne voulait m’embaucher. Liz avaitrenoncé.

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Blanche, dans sa blondeur joyeuse de petitefille impertinente, jouait à être la plus forte face àla maladie. Un matin, elle jeta l’éponge. Monpetit lézard-boxeur se mit à terre et compta, elle-même, jusqu’à la fin du round. Je n’étais pas là.Je n’étais plus là… Puis, ce fut la rémission.Blanche allait mieux… Tous les espoirs étaientpermis…

Contre toute attente, c’est là que Liz partit enemmenant notre fille avec elle. Nous nous quit-tâmes comme ça, sans autre forme de procès,aussi simplement que nous nous étions ren-contrés. Elle m’avait parlé d’un séjour chez l’unede ses meilleures amies qui était en vacances surla côte bretonne. Elle ne s’y rendit jamais. Jevérifiai, mais trop tard

Cela faisait quinze jours qu’elle était partielorsque je fus tiré de ma torpeur matinale par uneactivité inhabituelle de ma boîte de réception.

Je tournais comme un lion en cage. J’étaisenfin revenu à la maison et n’en bougeais plus.Le départ de Liz m’avait assommé. J’étais sansnouvelles.

Je laissais sur la boîte vocale de son téléphoneportable éteint de nombreux messages, jusqu’aumoment où je tombai sur cette annonce en retourqui me glaça le sang :

« La boîte vocale de votre correspondant nepeut plus recevoir de message. Vous êtes priés derappeler ultérieurement. »

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Le souvenir de Liz, de ma fille dont j’étaisaussi sans nouvelles, se perdait dans les limbesjusqu’à laisser s’insinuer ce doute vertigineux.Avais-je vraiment vécu cette vie si tranquille oubien était-ce encore l’une de ces impressionslarvées gagnant le seuil de la réalité ? Ainsi enétait-il des ombres qui peuplaient ma chambre lanuit. Non plus celle de ma femme ou de ma fillerecroquevillée en boule contre nous, mais plutôtcelle des diseurs de bonne aventure tous ramassésautour de mon lit pour rire de moi dans mon som-meil en lambeaux.

Que devaient-ils penser, ceux qui m’avaientprédit un brillant avenir au royaume des bienheu-reux ? Je masquais mon désarroi mais pourcombien de temps encore ? Je mentais. Je mementais… Ma seule confidente était cettebouteille de whiskey qui me tendait les bras etqui, dans un élan de générosité qui allait endiminuant, libérait ses molécules de bien-êtredans un sang saturé d’angoisse.

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À paraître courantseptembre

Taurnada Éditions

www.taurnada.fr

ISBN : 978-2-37258-000-7