extrait de la publication… · héroult en 1886, la découverte du radium par marie et pierre...

Extrait de la publication

La Bataille du Made in France


DU MÊME AUTEUR

Votez pour la démondialisation ! La République plus forteque la mondialisation, préface d’Emmanuel Todd,Flammarion, 2011.

Des idées et des rêves, Flammarion, 2010.Primaires, comment sauver la gauche ?, avec Olivier

Ferrand, Seuil, 2009.La Constitution de la VIe République. Réconcilier les

Français avec la démocratie, avec Bastien François,Odile Jacob, 2005.

La Machine à trahir. Rapport sur le délabrement de nosinstitutions, Denoël, 2000 ; Folio Documents, 2002.

Monaco et le blanchiment. Mission de l’Assemblée natio-nale sur la délinquance financière, Éditions 1, 2000.

Les Tribunaux de commerce : une justice en faillite ?, avecFrançois Colcombet, Michel Lafon, 1998.

Arnaud Montebourg

La Bataille du Made in France

Flammarion

À ces hommes et ces femmes– les créateurs, les travailleurs, les ingénieurs –

qui font tourner la France.


PROLOGUE

« Je m’apparaissais à moi-même, seul etdémuni de tout, comme un hommeau bord d’un océan qu’il prétendraitfranchir à la nage. »

Charles de Gaulle,Mémoires de Guerre, 1940.

Il y eut la « Bataille du Rail », gagnée par cesmilliers de cheminots qui défendaient secrètementet silencieusement leur patrie. Il y eut la Bataillede France, emportée par ces centaines de milliersde combattants volontaires qui préparaient l’arri-

9

vée et l’avancée des Alliés sur le sol national. Descombats gagnés grâce et par les Français eux-mêmes, remportés par des hommes, des femmes,parfois des adolescents, des gens ordinaires ayantpris leur courage à deux mains, des anonymes, desaudacieux, des imaginatifs, des battants, qui rele-vèrent des défis incroyables, souvent en risquanttout ce qu’ils avaient, et d’abord leur vie.

Voici la Bataille du Made in France, une batailledécisive, un défi à relever et à enlever, un projetde mobilisation de la Nation tout entière, une


action patriotique pour chaque citoyen français,chaque habitant de France, qui tous forment unegrande et même chaîne d’action unitaire, coura-geuse et imaginative. Dans cette bataille commedans les autres que nous avons gagnées, la victoireà remporter repose sur chacun d’entre nous,quelle que soit sa place dans la société, sa condi-tion ou son ambition. C’est une victoire sur nous-mêmes qu’il faudra arracher, et non – cette fois –sur les autres ; car c’est dans nos têtes qu’est lechamp de bataille ; car c’est sur notre esprit qu’ilfaut agir d’abord. Pour quelle mission ? Y menerl’attaque indispensable, celle qui redressera lemoral de Français devant redevenir des combattants,des engagés pour cette grande cause de leur aveniret leur prospérité future.

La Bataille du Made in France se joue doncdans l’espace de nos croyances et incroyances, danscelui de nos doutes et de notre détermination. Ellese place sur le terrain quasi militaire de l’absencede foi en nous-mêmes. C’est une bataille culturelle,

10

une bataille pour redessiner et remodeler notreimaginaire national, pour retrouver le bonheur col-lectif de le contempler ensemble, afin de s’y fondreet d’y agir en habitants heureux.

C’est pourquoi ce petit manuel à usage desFrançaises et Français ordinaires a pour but demontrer à chacun en quoi nous pouvons reconqué-rir ensemble, par nous-mêmes, notre propre pros-périté. Il s’inscrit dans l’héritage du travailaccompli par tous ceux qui ont bâti, rebâti, penséet repensé l’industrie française, et qui ont donné à


la France le prestige mondial intact dont elle jouitaujourd’hui. Sait-on que ce sont des Françaisillustres, ou à tort tombés dans l’oubli, qui ontinventé tant de techniques, produits et objets ayantrévolutionné l’avenir ? La machine à calculer deBlaise Pascal en 1642, la machine à vapeur deDenis Papin en 1690, la machine à coudre de Bar-thélemy Thimonnier en 1830, la production d’alu-minium par électrolyse mise au point par PaulHéroult en 1886, la découverte du radium parMarie et Pierre Curie en 1898, le dessin animécinématographique français élaboré par ÉmileCourtet en 1908, la carte à puce de RolandMoreno en 1974, le train à grande vitesse le plusrapide du monde dévoilé en 1981, la mise au pointd’un mode de dépistage du Sida par l’Institut Pas-teur en 1983 sont autant de jalons de notre inven-tivité. Et ils ne sont pas les seuls puisque d’autresFrançais ont inventé encore la pompe, le métro-nome, le papier à fibre de bois, l’ascenseur, l’auto-mobile, la montgolfière, le parachute, le télégraphe,

11

la conserve, le crayon, la cafetière, les allumettes,la photographie, l’alambic, le tunnelier, le stéthos-cope, les jumelles, la locomotive, la serrure, la cel-lule solaire, la turbine hydraulique, le ciment et lebéton armé, le gyroscope, l’aspirine, le télescope,le réfrigérateur, la batterie rechargeable, le vélo àpédales, le sous-marin à moteur, la pasteurisa-tion, le roulement à billes, la moto, les vaccins, lapoubelle, la machine à calculer, le parfum, lesoutien-gorge moderne, l’avion, le pneumatique,le cinéma, la lyophilisation, l’hélicoptère, le dessinanimé, le sonar, l’ABS, la radioactivité, le radar, la


crème solaire, les verres progressifs, la boîte devitesses automatique, le forage horizontal, le Minitelprécurseur d’Internet… et j’en passe. Sans oublier,dernièrement encore : le format de compressionvidéo DivX, le baladeur multimédia, la chirurgie àdistance ou encore le pneu increvable, soit unepartie non négligeable des objets de la vie de tousles jours de nombreux habitants de la planète.

La France a une tradition révolutionnaire poli-tique, elle qui fit la Révolution française, la propa-gea dans le monde, elle qui adressa, voilà deuxsiècles, à l’universalité, son message des Droits ina-liénables et sacrés de l’homme et du citoyen. Cegrand roman national n’est pas le seul révolution-naire. Son récit économique l’est davantage encore.Car les révolutions industrielles et technologiquesse sont faites en France, ce qu’aucun Français nedevrait ignorer. Les prochaines révolutions indus-trielles viendront encore de France. La troisièmerévolution industrielle se prépare ici et avec chacun
d’entre nous. Ce petit opuscule va vous expliquercomment nous allons nous y prendre.

Chapitre Premier

DES USINES ET DES HOMMES

« Nous tirions de l’étranger, il y atrente ans, presque toutes les soudesque réclamaient les besoins de nossavonneries, verreries, blanchisseries,buanderies, teintureries. MonsieurLeblanc a affranchi la France de cetribut annuel. Il nous a appris àextraire la soude du sel marin. Sessuccès ont été d’abord contrariés parles habitudes et les préjugés. Le com-merce fondé sur l’importation dessoudes étrangères l’a combattu de tousses efforts. »

Jean-Antoine Chaptal,

13

De l’industrie française, 1819.

On s’y était presque habitué, on s’y était résignéen tout cas, les bras ballants et l’esprit découragé.S’en relèverait-on ? Une production de jouets déci-mée par les importations massives à bon prix : cesbaby-foot, ces poupées, ces garages et ces cuisinesen plastique venus de Chine. Tous avaient perduespoir de garder quelques capacités de productionen France devant la déferlante chinoise, cette pluie


de jouets bon marché tombée sur nous à la fin desannées 80. Une histoire fichue en l’air, mais unehistoire aujourd’hui derrière nous. Un triste sort,comme une sorte de fatalité. Pouvait-il en êtreautrement ? En vingt ans, nos usines de jouets enbois et plastique ont fermé les unes après les autresdans le grand Est de la France, dans les Vosges etle Jura, les vallées du jouet Made in France. Cespetites entreprises de plasturgie, avec leurs ouvrièresminutieuses, et leurs travailleurs si fiers de leurmétier, étaient tombés au champ d’honneur de lamondialisation déloyale, dans le silence et l’indif-férence.

Dans l’inconscient collectif, la messe était dite,le jouet français c’était bien fini et pour de bon.Et les Français, pour qui la qualité, l’esthétique etl’intelligence du jouet comptent, gardent un goûtamer sur les lèvres. Fallait-il s’indigner, ou encais-ser ce que beaucoup présentent comme l’évolution« normale » des choses : les conséquences des nou-velles règles ou plutôt des non-règles du commerce

14

mondialisé, telle une marée de concurrents sans foini loi qui, soudain, s’était abattue sur nous ? Nousconnaissons la réponse : il vaut mieux s’organiserdans la lutte économique mondiale. Et se retrous-ser les manches.

Avec mon équipe ministérielle dans la voituredu Préfet, nous traversons Molinges pour prendrela départementale 436 vers le nord, sur la route deSaint-Claude. Nous sommes dans le départementdu Jura. La route est belle et sinueuse. Au sol, unmatelas de quinze centimètres de neige poudreuse.Un paysage magnifique dans la vallée avant de pas-


ser la vieille usine hydroélectrique de Saint-Claude,une installation modeste, perdue entre deux bos-quets, un vestige vivant du savoir-faire françaisdans les turbines hydroélectriques quand la villedécide de gagner son indépendance énergétique en1920. Une petite révolution à l’époque.

Dernier virage à gauche sous la neige qui tombedru avant d’arriver au quartier bourg de Dessus,à Lavans-lès-Saint-Claude, avec ses 2 000 habitants :à gauche l’association Jura Sud Football, à droitele siège social de Smoby, un fabricant de jouets enplastique Made in Jura. Pas le temps de faire unepause, nous prenons direction plein ouest jusqu’àArinthod, un village de 1 150 habitants où setrouve l’usine, à 30 à l’heure derrière le chasse-neige. Il fait -2 °C de température extérieure authermomètre. Devant nous se dressent l’usine etses hangars démesurément grands, mais à l’inté-rieur nous venons à la rencontre de cette recon-quête du jouet Made in France. Une histoire et unprojet extraordinaire.

15

L’histoire de Smoby à Arinthod, c’est un résuméde l’incapacité à affronter la déferlante des jouetschinois après l’ouverture du commerce mondial àla Chine sans la moindre contrepartie. Une idéestupide des dirigeants européens qui n’ont pasassez réfléchi aux conséquences de leurs actes.Résultat, l’entreprise est mise en redressement judi-ciaire, les ouvriers ont perdu leur travail, un desdirigeants a même été mis en détention provisoirepour avoir abusé des biens de la société. Dans cetterégion du Haut-Jura, on a touché le fond, avec enprime la dépression de ne pas savoir comment s’y

prendre pour rebondir. Puis, un jour, une familled’industriels allemands a repris l’affaire à la barredu tribunal, décidé d’investir patiemment chaqueannée plusieurs dizaines de millions d’euros,reconstitué l’outil de travail abîmé, voulu amélio-rer la qualité des jouets, acheté des machines ultra-productives ; et les commandes sont peu à peurevenues. Assistés d’un jeune dirigeant de hautniveau, Thomas Le Paul, les actionnaires ontchoisi de relocaliser la quasi-totalité des lignes deproduction. Mieux, ils ont réembauché les ouvriersautrefois licenciés et, maintenant, continuent àembaucher.

Comme l’explique Véronique, une ouvrière :« J’aimerais que tout le monde sache que le jouetSmoby, c’est le Jura. Smoby ça fait un peu british,les gens pensent que la société est anglaise ou amé-ricaine. Le Jura qui fait mieux que la Chine, parceque ça marche notre histoire, qui voudrait en effety croire ? Or le jouet, ici, est dans toutes lesfamilles ; c’est un patrimoine ; parfois deux géné-

16

rations entières ont passé leur vie dans le jouet.Alors maintenant l’espoir est revenu. Le vent estpeut-être en train de tourner. » Frédéric, qui tra-vaille chez Smoby depuis dix-sept ans, raconte :« Le savoir-faire, on l’a ici. Le moulage et l’assem-blage d’un jouet, ça vous semble simple et facilecomme bonjour, mais c’est un savoir-faire com-plexe qui résiste au temps ; je veux dire par là qu’ilreste moderne même si les techniques et l’outillagechangent. Il n’y a pas si longtemps, on trouvait dixou douze entreprises de jouets partout dans le Jurajusque dans les Vosges et dans l’Ain, qui ont toutes


construit ce savoir-faire du travail du bois et duplastique : Clairebois, Charton, Berchet… j’enoublie. Nous formions comme un ensemble avecles sous-traitants, implantés pas loin d’ici dans la“vallée du plastique” en allant vers Oyonnax. Carfaire un jouet, c’est concevoir et fabriquer les com-posants du jouet, qui demandent la maîtrise destechniques de pressage et de moulage. Avec debons outils et notre savoir-faire, difficile à maîtri-ser, je peux vous dire que Smoby est dans les clous,à la pointe. Industriellement, nous ne sommes pasà la rue, mais avançons. C’est difficile mais çafonctionne. Maintenant il faut être clair : suivre lesChinois demeure compliqué. Le coût du travail esttellement bas en Chine que nous compensons avecun capital haut de gamme, telles les nouvellespresses à injection achetées 6 millions d’euros ! Enfait, le plus dur à avaler ce sont les différences denormes. Nous croulons sous les normes, les concur-rents non. Quand je vois des jouets chinois ni faitsni à faire, qui plus est à prix cassés, je me demande

17

comment on ose laisser de tels produits à la vente.Et pourquoi il se trouve des gens pour les acheter.Permettez-moi une anecdote personnelle : des amisont acheté un baby-foot pour leurs enfants. Par laseule pression du pouce, j’ai arraché les agrafes etdétaché le plancher. Or un plancher de baby-footSmoby résiste à une charge de 50 kilos poséecinq heures ! Vous imaginez la différence ? Alorssoyons réalistes, ici la compétition nous nous yplions, mais la règle du jeu il faudra la revoir. »

Thomas, le dirigeant de Smoby, se félicite deson côté de l’attitude de ses actionnaires : « Ils


jouent le jeu de l’investissement, qui est fonda-mental, explique-t-il. Dans quelques années, lahausse du coût de la main-d’œuvre en Chinenous permettra de rapatrier quelques lignes de pro-duction supplémentaires. Aujourd’hui, la Chineest incontournable dans le jouet, mais, d’ici àcinq ans, les choses changeront. On a mangénotre pain le plus noir. L’heure de la reconquêteest venue. »

La chaussure renaissantePar la D 704, nous passons de la Haute-Vienne

à la Dordogne, notamment en traversant Saint-Yrieix-la-Perche, une ville de 7 000 habitants à lafrontière des deux départements. La route traversedes bois et des pâturages. À gauche, des vaches derace Limousine reconnaissables à leur couleurfroment vif, une merveille comme la Charolaise deBourgogne. D’un coup, on aperçoit, à 200 mètresde la route et à portée du bétail paisible, les

18

bâtiments modernes du groupe Fabrègue. C’est unimprimeur installé en Limousin depuis qu’Antonin,du même nom, sorti de l’École des beaux-arts àParis, a ouvert une boutique d’imprimeur litho-graphe en 1892 à Bort-les-Orgues en Corrèze. Centvingt et une années d’existence au cœur de lacampagne, serait-ce encore une de ces vieilles his-toires pour nostalgiques de la Belle Époque ?Certainement pas. Car 2013 est une belle annéed’investissement pour Fabrègue, une de plus. Lafabrique est au sommet de la technologie, ayant tra-versé un siècle pour devenir l’une des plus modernes


d’Europe. 282 salariés y travaillent. Elle est, avec lesbiscuiteries, le poumon économique de Saint-Yrieix.

C’est un peu plus bas, en Périgord, au sud deLanouaille, à la sortie de Saint-Médard-d’Excideuilprécisément, un village de 600 habitants, que nousattendent les dépositaires d’un autre savoir-faireunique de réputation mondiale. Une équipeemmenée par un homme qui, en quinze ans, arefait de Repetto, maison créée en 1947, un chaus-seur de luxe de très grande envergure.

C’est jour de fête. Nous venons pour l’inaugu-ration de l’extension de l’usine d’où sont sortis leschaussons de Noureev, les fameuses « zizi » blanchesde Gainsbourg, les ballerines de Brigitte Bardot.Objectif 2013 : 500 000 ballerines vendues chaqueannée à Paris, New York, Tokyo, São Paulo. Leshommes et les femmes de l’usine portent tous desRepetto, et ce le plus naturellement du monde,comme chaque jour depuis des années, loin dessubtilités du grand monde, heureux dépositaires

19

d’une manière de faire unique – « le cousu &retourné » – qui, appliqué à un cuir de grande sou-plesse, offre au pied confort hors pair et raffine-ment certain.

Martine a vingt et un ans de Repetto derrièreelle. « En 1999, on s’est dit que c’était cuit pourde bon, raconte-t-elle. Dépassés par les grandsgroupes étrangers, nous avions perdu consciencede la valeur et de la modernité de notre savoir-faire. Dans nos têtes, nous étions convaincus de neplus rien valoir, d’être des has been comme on ditdans le monde du spectacle. Dès lors, nous étions


N° d’édition : L.01ELKN000467.N001Dépôt légal : septembre 2013
