extrait de la publication.…il a été tiré de l'édition originale de cet ouvrage trente...

22
Extrait de la publication

Upload: doanhanh

Post on 07-Feb-2019

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Extrait de la publication

Extrait de la publication

Extrait de la publication

JAUNISSE

Extrait de la publication

ŒUVRES DE MARCEL JOUHANDEAU

CONTES ET NOUVELLES

Les Pincbngrain.Prudence Hautechaume.

ASTAROTH.LE JOURNAL DU COIPFEUR.Le Saladier.IMAGES DE PARIS.

CHAMINADOUR.

L'ARBRE de VISAGES.

Brigitte OU LA BELLE AU BOIS

DORMANT, illustré par Marie Lau-rcncin (Galerie Simon).

MADEMOISELLE Zéline OU BonheurDE DIEU A L'USAGE D'UNE VIEILLE

demoiselle (La Connaissance).PBTIT Bestiaire, illustré par Ma.

rie Laurencin.

Contes RUSTIQUES (Gravures deGalanîs-Cartout )1

ENDYMION (Gravures de Trémois.

Bibliographie de l'Union Fran-çaise.Ces Messieurs (Edit. Lilac).

TRIPTYQUE.

ESSAIS

ALGÈBRE DES VALEURS morales.

Elogb de l'imprudence (Cahiersdu Sud).

DE L'ABJECTION.

Eloge DR LA VOLUPTÉ.

CARNETS DE DoN Juan (Morihien).ESSAI SUR moi-mèmk.

Ma CLASSE DR sixième (Ed. deFlorel.

CARNETS DU Professeur (Ed. deFlore).Notes tUR LA MAGIE ET LE VOL..Ed. Zerbid).

De LA GRANDEUR (Grasset)Eléments pour UNE ÉthiqueGrasset;.

Dieu ET l'Homme (P. A. B.)DU PUR AMOUR.

ROMANb ET KECITi-

LA JEUNESSE de Théophile.

LESTérébinthes (épuisé).TtTE-LE-LoNG.

Mémorial VI. LES CHEMINS DE L'ADOLESCENCE.

Tous ces itolumes chez Gallimard, sauf ceux précédés d'un astérisque.

*LA FAUTE plutôt que le scan-dale (Ed. de Flore).Léonora OU le* dangers DE LA

VERTU tLa Passerelle).L'Amateur D'IMPRUDENCE.LE Harricidb IMAGINAIRE.Binchb-Ana.

L'Ecole DES GARÇONS (M. Sau-tier).

LES MIENS (épuisé).L'Oncle Henri.

PORTRAITS DE FAMILLE.

Requiem. ET LUX (épuise).Mémorial

I. Lb Livre de mon pèiil ET

DB MA MÈRE.

Il. Le FILS DU boucher.III. LA Paroisse DU temps jadis.IV. ApPRENTIS ET GARÇONS.V. LE LANGAGE DE LA TRIBU.

Monsieur Godeau intima.Véronicana Iépuisél.

OPALES.

LE JARDIN de Cordouk.

ELISB (épuisé).MONSIEUR Godbau marie.

CHRONIQUES MARITALES.NOUVELLES CHRONIQUES MARITALES.

CHRONIQUE D'UNE PASSION.

Voyage SECRET (édition confi-dentielle).Minos ET MOI OU LE CARNET DU

CHAT (Nouvelle Revue Belge).ANIMAUX FAMILIERS.

Scènes de la vie conjugaleI. MÉNAGERIE DOMESTIQUE.

II. L'Imposteur.III. Elise ARCHITECTE.IV. NOUVEAU BESTIAIRE.

V. GALANDE OU CONVALESCENCE

AU VILLAGE.

VI. LES ANA DE MADAMEAPRB-MONT.

VII. LA FERME EN polir.rt.

JAUNISSE, chronique suivie d'ELI-SAEANA.

En préparation

MARCEL JOUIIANDEAU

JAUNI SSECHRONIQUE

suivie de

ELISAEANA

rirf

GALLIMARD

5, rue Sébastieu-Boltln, Paris VII-

Cinquième édition

Il a été tiré de l'édition originale de cet ouvragetrente exemplaires sur vélin de Hollande Van Gel-der dont vingt-cinq numérotés de 1 à 25 et cinq,hors commerce, marqués de A à E soixante-huitexemplaires sur vélin pur fil Lafuma-Navarre dontsoixante numérotés de 26 à 85 et huit, hors

commerce, marqués de F à M et quarante-sixexemplaires sur parcheminé de couleur des Pape-teries Dujardin dont quarante numérotés de86 à 125 et six, hors commerce, marqués de N à S.

Il a été tiré en outre, pour les amis deMarcel Jouhandeau, douze exemplaires sur papierjaune Veltex 'des Papeteries Dujardin, numérotés

de I à XII.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous les pays, y compris la Russie.

© 1956, by Librairie Gallimard.

Extrait de la publication

Jaunisse

1945

Extrait de la publication

CHUTE D'ÉLISE DANS L'ESCALIER

Élise a fait une chute dans l'escalier

du haut en bas. Je l'avais prévu. Leparquet brillait, brillait trop, commeexprès, pour amener la catastrophecomme un piège, comme un miroir. Gare,l'alouette

Neuf heures et demie. Je venais de lui

apporter son déjeuner et je la croyais bientranquille dans son lit. Tout d'un coup, ungrand cri. Je me dis « C'est un attentat.Quelqu'un s'était caché dans le salon pourl'attendre et quand elle est descendue, l'aassommée. ))

Je me précipite et la trouve en effet mou-lue au pied de la dernière marche. Quelledétresse dans sa voix

Mon pauvre Marcel, cette fois, c'en

I

Extrait de la publication

JAUNISSE

est fait, c'en est fini de ma légèreté, de malégende. Le reste de tes jours, tu vas tirerderrière toi une femme difforme, bancale.

Pour une danseuse, quelle destinée Vachercher le docteur. »

Je cours à travers le jardin. A monretour, elle n'est plus là. Elle s'est touteseule ramassée, redressée, comme elle a puet elle a remonté le courant, pauvreArmada, dans l'ombre i

Les jambes sont bonnes, me dis-je.ELLE C'est mon bras gauche qui a

tout pris. Je le sens là, près de moi, torducomme un tire-bouchon, inerte comme un

enfant mort. Je le sens ? Plutôt je ne lesens plus, engourdi. Ah tu ne peux passavoir quels prodiges d'astuce, de vigilance,d'adresse il m'a fallu faire, pour, tout entourbillonnant à une vitesse vertigineuse,entraînée par mon propre poids de degréen degré, régler ma chute. Durant ce trajet,je n'avais que le double souci de préserverma tête et mes jambes, et pour cela j'avaischoisi de sacrifier ce qui m'importait lemoins, mon bras gauche. »

Le lendemain, je rencontre Paul Léau-

Extrait de la publication

JAUNISSE

taud. Il connaît notre escalier. Je lui dis

« Sans rien me casser, je l'ai combien defois descendu sur le dos, en serpentin. Avotre manière Élise, hier, en acrobate.

A sa manière » Et je reprends le récitd'Élise à ma manière aussi

Élise prétend qu'elle a dû céder, àpeine réveillée, à une distraction soudaine,comme on s'absente, comme si l'on n'était

plus nulle part au monde, et c'était juste-ment au moment où elle allait descendre,

sans prendre la rampe, bien sûr, qu'elleavait posé le pied dans le vide. Cetterupture avec le monde extérieur se seraitproduite sur une surface plane, à peines'en serait-elle aperçue ? Les accidents sontpresque toujours dus à des coïncidences dece genre, impondérables. Tout d'un coup,on se fausse compagnie, on oublie qu'ontient le volant, mais c'est là que le prodigecommence avec elle, que la danseuse res-suscite, reparaît pour tout sauver, aussirésolue, en même temps qu'elle pirouettesur elle-même, à ne pas tomber n'importecomment qu'incapable de se rattraper,chaussée de laine qu'elle est sur du boisciré. De rebondir alors, chaque fois qu'elleeffleure l'extrémité glissante d'une marche,en se maintenant debout, la tête haute,

Extrait de la publication

JAUNISSE

casquée de son bras droit jusqu'au rez-de-chaussée, où elle ne consentira à s'abattreque sur la part la moins nécessaire d'elle-même, son bras gauche qui cède sous sonpoids et sous la violence du choc se brise.

Vous devriez écrire ça, me dit Léau-taud. C'est comme si je l'avais vu.

Qu'on imagine cette cascade sans bruit,telle une volute se déroule, comme une

valse entre Ciel et Terre sur la pente d'unabîme et l'accolade brusque à la fin, entouchant le fond.

ELLE Tu ne peux pas savoir ce que cefut long et rapide. J'ai cru que je n'abou-tirais jamais, comme j'aurais vécu auralenti. Ah il s'en est passé des chosesdans ma tête, depuis le moment où le piedm'a manqué jusqu'à celui où j'ai entenducrac.

Platon a prétendu que, pour savoirvivre, au moins se mouvoir, il n'étaitbesoin que de savoir danser. Au moinstombera-t-on sans fracas inutile, en limi-tant le danger et le dégât.

Extrait de la publication

JAUNISSE

Elise a coutume de dire Qu'on mecite une seule étoile qu'on ait vu déchoir.Dans le malheur, la pire se retourne avecgrâce, voire tourne tout à sa gloire.

Cependant, à peine revenu près d'elle,j'entends d'autres clameurs dans l'im-meuble en face, que sépare de nous le jar-din, comme si, la Providence une seconde

assoupie, tout se détraquait. Le docteur auchevet d'Élise, dès que je pus la quitter, jeme trouvai bien au milieu de gens au cou-rant de notre malheur, mais qui ne s'y inté-ressaient pas le moins du monde. Il est vraiqu'ils avaient le leur, ne circulant plusque sous des parapluies, dans une maisonoù il pleuvait. Je dominai cependant monémotion et n'eus qu'à fulminer, à menacerd'un constat d'huissier, pour voir, commeune mécanique, se diriger aussitôt vers lerobinet, qu'elle n'eût eu qu'à fermer unquart d'heure plus tôt pour arrêter l'inon-dation, la même main qui avait ciré le par-quet, où il n'y avait qu'un instant le piedd'Élise achoppait.

JAUNISSE

Lettre d'Élise à une amie « J'ai un bras

dans le plâtre. Ah vous ne pouvez savoirce que c'est que ce membre en prison queje traîne après moi, qui m'alourdit, quin'obéit plus à mes exigences. Grâce aurepos qu'il m'impose je lis, je relis unehistoire des Russes. A travers eux, j'entre-vois l'avenir et je connais mieux ma femmede ménage. Ce n'est pas sans angoisse, bienque je ne me laisse pas tourmenter outremesure par ce qui ne dépend pas de moiexclusivement. La tendresse que j'inventepermet qu'un rien au hasard me tiennelieu de Tout.

« Bonne expérience que cette chute Lerythme qui l'a réglée, je l'adopte je neveux plus résister tout à fait à quoi quece soit. Car, voyez où ma violence m'a

conduite à me mettre en pièces. Je croyaismener de force mes jambes qui n'ont plusleur souplesse d'autrefois et en leur insuf-flant une énergie qui n'est que dans monsouvenir ou dans mon imagination, je mesuis brisée. »

N'en ayant pas, que je sache, à mon

Extrait de la publication

JAUNISSE

compte, je crois bien que je mourrai de sesmaladies ou de ses accidents.

On se réjouirait bien, parfois, du malqui lui arrive. On se dit « La voilàmatée » Oui, si c'était une autre.

Me souvenir que la bonne éducationconsiste à ne pas faire état de ses mauxindiscrètement devant soi, à plus forte rai-son, devant les autres. Non, ce n'est pas ledésespoir qui est effrayant, mais la secondequi le précède. Ensuite, on s'y est habitué.

Avec elle je suis tombé dans une ornièreprofonde, mais bien vite de cheminerquand même tout le long de la route natio-nale, comme une fourmi qui en remorqueune autre la panser, lui laver sa maindroite, brosser tout son corps, la peigner,faire son lit, la couvrir. Plus un moment de

répit, jusqu'à l'arrivée de Méphisto qui medit « C'est à elle que je fais la piqûre,mais pour que vous dormiez. »

Plus on est aimable, serviable, docile,dévoué avec elle, plus elle ne songe qu'à

Extrait de la publication

JAUNISSE

elle, moins elle est contente de vous, se

récriant à tout bout de champ sur vos mal-adresses, comme si vous aviez à faire preuved'habileté dans toutes sortes d'offices qui

ne sont pas les vôtres.

Impropre à tout, elle se lève quandmême, m'appelle pour monter de l'eau.Toute bonne qu'elle est, sa main droite nese lave pas toute seule depuis longtemps-propre pour moi, quand le sera-t-elle pourelle? Savon, glycérine, pierre ponce, alcool,tout y passe et elle ne passera sur rien« Mon dos, mes pieds, et tout et tout. »

Élise manchote, aurais-je six mains, jene saurais m'acquitter de tout aussi bien etaussi vite qu'elle.

Et sans doute, si nous avions tous et son

intelligence et son courage et sa pureté,rien ne serait pareil, le sort de chacunserait différent. Il y aurait bien toujoursdes malheurs, il n'y aurait plus de misère,mais parce qu'elle manque seulement desa part de douceur, de cette part d'in-dulgence envers soi-même et envers lesautres qui est indispensable au plus élé-mentaire support de la vie, son enfer est

Extrait de la publication

JAUNISSE

à la fin pire que celui que nous devons ànotre sottise, à nos lâchetés et à nos vices.

Que dis-je ? en le rompant, automatique-ment ce manque a rétabli entre nous l'équi-libre. En un instant, le niveau de l'afflic-

tion qu'elle éprouva est plus bas que celuide toute la chrétienté.

On s'amuse le dimanche des maux de la

semaine. Bienheureux ceux qui mêlent auxpeines de chaque jour un peu de diman-che.

Faute d'une certaine aménité, gratuitede notre part, la dureté de la vie excéderaitnos forces, excède les siennes.

A quels travaux serviles ne m'oblige pasmon état (mes nombreux états), car je suisdu matin au soir dans tous mes états et jene parle ni de mon état de professeur ni demon état d'écrivain ? Mon état de proprié-taire par exemple hier m'a obligé à charrierla neige, pour ménager un chemin à nosdomestiques et à nos locataires jusqu'à leurporte et à la nôtre mon état de cuisinierj'allume le poêle, pèle les pommes de

2

Extrait de la publication

JAUNISSE

terre; mon état demari enfin, qui' lesrésume tous, m'ont fait des mains de valetd'écurie.

Élise est infirme et on la plaint, maiscomme elle se plaint et qu'elle y suffit, onne la plaint plus, on se contente de la soi-gner. Se plaint-elle trop à la fin, on esttenté de lui dire « Crève », pour qu'ellese taise. Mais qu'elle se garde bien d'obéirou que ferais-je au monde sans elle, sans cegrain de poivre qu'elle est, toute viandeaussitôt devenue pour moi insipide.

Mon bonheur n'est quand même qu'avecelle et je nous aime bien tous les deux,quand nous avons fait lentement et péni-blement tout le jour l'ordre autour de nouset en nous.

Journée atroce.

Après mon travail personnel commencédès quatre heures le matin, à l'aube j'im-mole de ma main, par ordre, le pauvre

Extrait de la publication

Extrait de la publication