exposition _ niki de saint phalle, nana enragée

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20/9/2014 Exposition : Niki de Saint Phalle, nana enragée http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2014/09/18/niki-de-saint-phalle-retrospective-d-une-nana-enragee_4490331_3246.html 1/6 Niki de Saint Phalle, nana enragée LE MONDE | 18.09.2014 à 20h10 • Mis à jour le 19.09.2014 à 10h24 | Par Philippe Dagen

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20/9/2014 Exposition : Niki de Saint Phalle, nana enragée

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Niki de Saint Phalle, nana enragéeLE MONDE | 18.09.2014 à 20h10 • Mis à jour le 19.09.2014 à 10h24 |

Par Philippe Dagen

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Dans un reportage du début des années 1960, qui est rediffusé dans larétrospective consacrée à l'artiste jusqu'au 2 février 2015 au Grand Palais,un journaliste américain surnomme Niki de Saint Phalle (1930-2002) « laCalamity Jane de l'art ». On sait pourquoi : Calamity Jane futphotographiée fusil en main, et Niki souvent filmée en train de tirer sur lesreliefs de plâtre préalablement garnis de vessies de couleur. Mais lacomparaison peut être poussée plus loin. Calamity Jane fit office d'éclaireurdans la conquête de l'Ouest. Eclaireur convient aussi à l'artiste. CalamityJane était une femme libre, dégagée du pouvoir masculin. Niki de SaintPhalle aussi, quitte à faire scandale. L'héroïne du Far West était portée parune énergie et une audace rares. Ces qualités se retrouvent dans l'héroïnedu nouveau réalisme et de la révolte féministe.

Sa rétrospective est la première en France, car il a fallu bien trop de tempspour qu'elle ne soit plus réduite à ses Nanas et pour que l'on prenne lamesure de ce qu'elle a osé. Le parcours compte 175 œuvres. Il est divisé –Grand Palais oblige – en deux étages, et non chronologique. Le premierétage reçoit ce qui concerne la femme, Nanas comprises. En bas, il y a

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l'homme, cible des Tirs, saint Sébastien percé de gros clous – moins chicsque les flèches. Et, pour finir, une évocation des créations monumentales,dont le Jardin des tarots, en Toscane, auquel elle a travaillé de 1979 à 1998.

Cette dernière partie est particulièrement réussie, parce que les œuvres –crâne gigantesque, totems luisant de l'éclat de la céramique, du verre et del'or – y sont placées de façon irrégulière. Mais d'autres sections sont tropordonnées pour les créations enragées qu'elles contiennent, la faute à unescénographie peu inventive. C'est flagrant dans la première salle, banalegalerie où les œuvres s'alignent en deux rangées, face à face, comme on leferait des tableaux de n'importe quel artiste professionnel. Or, ce ne sontpas des tableaux, et leur auteur n'est pas une professionnelle, à cette date.

SOIGNÉE AUX ÉLECTROCHOCS

Descendante d'une famille fortunée, elle ne passe pas par la moindre écoled'art, pose pour Vogue et Harper's Bazaar et épouse à 19 ans un poèteaméricain expérimental. En 1952, ils quittent les Etats-Unis, qu'ils jugentinsupportablement conservateurs, pour la France. Hospitalisée pourschizophrénie l'année suivante, Niki de Saint Phalle est « soignée » auxélectrochocs. Elle a commencé à peindre vers 1950, autodidacte, maisn'ignorant ni ce qui se passe à New York ni ce qui se passe à Paris. Déçuepar ses premiers essais, qu'elle juge malhabiles, elle s'invente un autremoyen de faire de la peinture, en collant sur bois des débris, des éclats, despetits cailloux ou de menus objets et en projetant de la couleur parendroits.

L'assemblage fait songer à Dubuffet, la projection à Pollock. Gaudi n'est paspour rien non plus dans cette technique mixte. Ces grandes références sont

Niki de Saint Phalle, "Le Rêve de Diane", 1970, polyester peint. | © NIKI

CHARITABLE ART FOUNDATION/ADAGP, PARIS 2014

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donc effrontément reprises par une jeune inconnue qui travaille seulejusque vers 1956 et ses premières rencontres, impasse Ronsin (Paris 15 ),avec Jean Tinguely, plus tard son deuxième mari. Le moins que l'on puissedire est que son itinéraire est singulier. Elle vient d'ailleurs et intervientavec une force tranchante qui se constate et ne s'explique pas.

« TIRS » ET « NANAS »

Sa dynamique la porte à sortir bientôt du tableau-relief pour construire, paraccumulation et projections colorées, des corps féminins : mariées enblanc, prostituées parées comme des châsses et mères accouchant. Ils sontfaits de fleurs pour cimetière, de jouets, de poupons, de débris variés. Lastructure qu'ils recouvrent est en grillage. Le plâtre assure la cohérence deces édifices irréguliers, obtenus par additions successives.

L'autre technique, inverse et inséparable, opère par destructionssuccessives. Ce sont les Tirs, évidemment. Les regarder de près et observerles films de ses performances permet de vérifier que le hasard n'y a pas plusde part que dans les drippings de Pollock.

Le pittoresque du procédé ne doit pas abuser : l'artiste sait où elle tire et cequ'elle a caché sous le mince voile de plâtre, quelle couleur, en quellequantité. Elle sait aussi quelles cibles elle se donne : les hommes – amantsinclus – et tout ce qui symbolise la force et l'ordre. Les pouvoirs politiques,militaires et religieux sont ses ennemis. Autel OAS, La Cathédrale rouge,Heads of State, La Mort du patriarche sont des titres sans équivoque. Il y a

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Niki de Saint Phalle, "Night Experiment", vers 1959 (131 x 105 cm) - peinture, plâtre et

objets divers sur contreplaqué, Sprengel Museum, Hanovre, donation de l'artiste en

2000. | © NIKI CHARITABLE ART FOUNDATION/PHOTO LAURENT

CONDOMINAS/ADAGP, PARIS 2014

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là une intention politique, née face au maccarthysme et renforcée par legaullisme.

Les Nanas naissent alors, déesses « peace and love ». Si plusieurs sontnoires, c'est parce que noire est la peau de ceux qui, aux Etats-Unis ou enAfrique du Sud, luttent alors contre le racisme ordinaire. Si elles sontopulentes, c'est parce l'artiste les élève comme des idoles de la maternité,convaincue – elle le déclare – que si le monde était gouverné par lesfemmes, il irait infiniment mieux. Ces sculptures ne sont pas d'aimablesexercices décoratifs, mais des monuments où tout est symbolique, ycompris les animaux et les fleurs qu'elle peint sur leur ventre et leurs seins– et comme le sont les animaux et les fleurs en plastique qu'elle agrège engrappes quand, au lieu de modeler, elle assemble.

PROVOCATRICE

Leur succès, leur air de gaieté ont fait trop souvent oublier leur sens, bienque l'artiste n'ait cessé de le rappeler. Il suffit de lire ce qu'elle écrit dans seslithographies et sérigraphies, à la fois bandes dessinées, manifestes etjournal intime. Elle ne respecte aucune catégorie artistique et les associepêle-mêle.

Cette liberté, elle ne l'a jamais mieux prouvée qu'en 1966. Cette année-là,en compagnie de Tinguely, elle a construit pour le Moderna Museet de

Niki de Saint Phalle, "La Toilette", 1978 - papier collé peint et objets divers. | © NIKI

CHARITABLE ART FOUNDATION/ADAGP, PARIS 2014

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Stockholm en Suède une Nana véritablement monumentale, Hon. On yentrait, comme dans une caverne, par le sexe, entre les cuisses écartées decette femme de 28 mètres de long. En regardant ce qui en reste – dessins,films – on se demande s'il serait aujourd'hui possible d'être aussi cru etprovocateur dans l'espace public. Très probablement, non. Niki de SaintPhalle n'en est que plus précieuse aujourd'hui.

Niki de Saint Phalle au Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower,Paris 8 . Tous les jours de 10 heures à 22 heures (fermeture à 20 heures ledimanche et lundi, fermeture hebdomadaire le mardi). Entrée : de 9 € à 13€. Jusqu'au 2 février 2015. Grandpalais.fr (http://www.grandpalais.fr/fr/article/niki-de-

saint-phalle-lexposition)

Philippe Dagen Journaliste au Monde

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