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Campus adventiste du Salève Faculté adventiste de théologie Collonges-sous-Salève Le prix du sang Exégèse de Mt 27.9-10 annonçant l’accomplissement de la prophétie de Jérémie Mémoire en vue de l’obtention du Master en théologie adventiste présenté par Philippe PENNER Directeur de recherche : Richard LEHMANN Assesseur : Roland MEYER Mai 2008

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Page 1: Exégèse de Mt 27.9-10 annonçant l’accomplissement de · Je remercie Geneviève Aurouze et Sevda Dogan Da Costa pour leurs corrections. Enfin, je remercie tous mes amis de la

Campus adventiste du Salève

Faculté adventiste de théologie

Collonges-sous-Salève

Le prix du sang

Exégèse de Mt 27.9-10 annonçant l’accomplissement de

la prophétie de Jérémie

Mémoire en vue de l’obtention du Master en théologie adventiste

présenté par

Philippe PENNER

Directeur de recherche : Richard LEHMANN

Assesseur : Roland MEYER

Mai 2008

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Au fils de M. et Mme BRICOT

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Remerciements

Je remercie Richard Lehmann et Roland Meyer de leur accompagnement, et

de leurs conseils pour ce travail.

Je remercie l’ensemble des professeurs de la Faculté adventiste de

théologie.

Je remercie Marianne qui m’a permis de vivre en avance le ministère

pastoral à toutes heures du jour et de la nuit.

Je remercie mes parents, Gérard et Lydie pour l’exemple qu’ils sont pour moi

et de tout l’amour qu’ils m’apportent.

Je remercie Geneviève Aurouze et Sevda Dogan Da Costa pour leurs

corrections.

Enfin, je remercie tous mes amis de la Faculté, membres du personnel,

membres de l’Eglise du Campus et Pompiers de Collonges pour tout ce que j’ai pu

apprendre à leurs cotés.

A tous merci.

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Notes méthodologiques

Abréviations : Les abréviations des livres bibliques sont celles

présentées dans la NBS1. Pour les autres nous nous réfèrerons à l’ouvrage de

Schwertner2. Si toutefois des abréviations ne se trouvent dans aucun de ces

deux documents nous laisserons la référence entière afin de faciliter la

recherche au lecteur.

Bible : Sauf mention contraire, nous utiliserons comme texte biblique

de référence la version de la NBS.

Evangile : Lorsque nous parlerons explicitement ou de manière sous-

entendue d’un évangile écrit par l’un des auteurs du NT nous l’écrirons avec un

« e » minuscule. Nous marquons ainsi le fait de son équivalence à une lettre, à

un message. Lorsque nous parlerons d’évangile dans son sens étymologique

« bonne nouvelle » nous l’écrirons avec un « E » majuscule. Nous

soulignerons ainsi l’importance que revêt le message contenu.

Juda et Judas : Dans plusieurs écrits, nous trouvons ce nom

orthographié différemment. Dans notre travail, Juda correspond au frère de

Joseph et à la tribu d’Israël. Judas s’applique au disciple du Christ.

Matthieu : Nous choisirons deux écritures pour Matthieu. Lorsque

nous parlerons du disciple rédacteur de l’évangile nous l’écrirons en toute

lettre. Lorsque nous ferons référence à un passage de son évangile, nous

l’écrirons en abrégé : Mt.

Notes de bas de pages et bibliographie : nous appliquons dans

notre travail, sauf exceptions mentionnées, les règles méthodologiques

proposées par Roland Meyer3.

1 NBS : Edition d’étude, Villiers-le-Bel, Alliance biblique universelle, 2002, p. 12.

2 S. M. SCHWERTNER, IATG

2 : Internationales Abkürzungsverzeichnis für Theologie und

Grenzgebiete, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1992. 3 R. MEYER, Méthodologie de la recherche, notes numériques du cours GSEM 603, Collonges-

sous-Salève, Faculté adventiste de théologie, 2003.

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Référence bibliographique : Nous avons choisi de mettre, à la

première occurrence, la référence bibliographique complète de l’ouvrage que

nous citons. Dès la seconde mention, le titre comme la mention

bibliographique seront écourtés.

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Abréviations (hors livres bibliques)

AnBib Analecta Biblica

Angelos Archives für neutestamentliche Zeitgeschichte und

Kulturkunde

ASNU Acta Seminarii Neotestamentici

AT Ancien Testament

Bib. Biblica

BT(N) Bibliothèque théologique

BTP Biblical Theology Bulletin

CBQ The Catholic Biblical Quaterly

CEv Cahiers évangile

CFi Cogitatio Fidei

CNT(N) Commentaire du Nouveau Testament

DB Dictionnaire de la Bible

DBS Dictionnaire de la Bible Supplément

EssBib Essais bibliques

EtB Etudes bibliques

JSNT Journal for the Study of the New Testament

LeBi Lectures bibliques

LeDiv Lectio divina

LiBi Lire la Bible

LXX version grecque des Septante

MoBi Le Monde de la Bible

NBS Nouvelle Bible Second

NT Nouveau Testament

NT.S Supplements to Novum Testamentum

SBi Sources bibliques

SC Sources chrétiennes

SémBib Sémiotique & Bible

TDNT Theological Dictionnary of the New Testament

TDOT Theological Dictionnary of the Old Testament

ThZ Theologische Zeitschrift

TM Texte massorétique

TOB Traduction œcuménique de la Bible

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Introduction

Traitre, félon, possédé, laid, lippu, nez crochu, retors, obèse ; quels

qualificatifs, quels sobriquets n’a-t-on pas utilisés pour qualifier celui qui a

parcouru pendant des mois durant les chemins de la Palestine avec Jésus de

Nazareth ?

Affublé de tous les malheurs, caractérisant la malédiction, incarnation

parfaite du mal, Judas n’est pas simplement connu comme un disciple qui a

fauté mais comme une sorte de bête4 féroce qui attire tous les maux de la terre

et de l’humanité. Si l’on en croit nombre d’auteurs5, il ne s’agit presque plus

d’un homme mais de la véritable incarnation du diable.

Judas n’est pourtant que très peu cité dans la Bible. Il n’apparaît que

de manière sporadique voire anecdotique. La seule fois où ce dernier prend

une place plus importante c’est bien évidemment lors de la trahison du Christ.

Malgré le peu de renseignements fournis sur lui, Judas va devenir une

véritable iconographie négative aux multiples facettes pendant ces vingt

derniers siècles.

Symbolisant « ce qu’il y a de pire » chez les juifs, il va devenir le

prétexte à l’antisémitisme.

« Judas quitte le cénacle après la tombée de la nuit, qui met fin au “Jour” de Jésus ; la nuit de l’incrédulité des Juifs est personnifiée en Judas, devenu l’instrument des forces ténébreuses. »6

Représentant ce qu’il y a de pire chez l’homme tant au niveau

du caractère qu’au niveau physique7.

Incarnant l’androgénéité par excellence : mi-homme, mi-femme,

il a aussi connu toutes les perversions sexuelles8.

Ce n’est qu’à partir du XIXe, voire XXe siècle que Judas est perçu avec

un œil différent. Non pas qu’il soit devenu un homme bon, mais il devient une

victime, le symbole d’un peuple accusé injustement. Judas devient le prototype

4 H.-J. KLAUCK, Judas un disciple de Jésus (LeDiv), Paris, Cerf, 2006, p. 11-12.

5 P.-E. DAUZAT, Judas : De l’Evangile à l’Holocauste, Paris, Bayard, 2006 ; H.-J. KLAUCK, Op. cit..

6 H. VAN DEN BUSSCHE, Jean : commentaire de l’évangile spirituel, Paris, Desclée De Brouwer,

1967, p. 42-43. 7 H.-J. KLAUCK, Op. cit., p. 13-16.

8 P.-E. DAUZAT, Op. cit., p. 71-77.

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du juif que l’on rejette de la société. Judas, c’est Dreyfus qu’on humilie

publiquement à tort.

Cependant, au delà des légendes, des mythes et des malédictions de

toutes sortes c’est de la dimension prophétique de la trahison de Judas qui va

nous préoccuper principalement. En effet, l’évangéliste Matthieu place

clairement l’acte de Judas dans la prophétie annoncée par l’entremise du

prophète Jérémie. Cependant l’origine de cette citation n’est pas sans

ambiguité. Fait-elle bien référence à Jérémie ou se rapporte-elle à un autre

auteur ? Cette citation est-elle un « montage » avec une intention particulière

de la part de l’auteur ? Les termes utilisés par Matthieu sont, eux aussi

interpellants, et laissent entrevoir une interrogation sur ce récit. Pourquoi

Matthieu relate t-il la mort de Judas ?

En replaçant le personnage, dans une dimension prophétique, peut-

être en apprendrons-nous alors davatages sur lui. Est-il « l’incarnation du

mal » ou la « victime » d’un complot qui le dépasse ?

Afin de répondre aux questions soulevées nous organiserons notre

travail en trois parties.

Dans une première partie, nous découvrirons notre texte. En un bref

aperçu, nous le situerons dans l’évangile de Matthieu, aborderons ses liens

avec les autres récits bibliques et relèverons les difficultés textuelles.

Dans une deuxième partie, nous aborderons les termes utilisés dans la

citation d’accomplissement9 mais aussi dans les versets précédents. Nous

verrons ainsi la continuité entre le récit de Mt 27.3-8 et la citation des versets

9-10.

Dans une troisième partie, nous nous intéresserons au sens de cette

citation d’accomplissement. Nous effectuerons une relecture de ce passage à

la lumière de l’analyse narrative. Nous dégagerons enfin les idées fortes de ce

texte et en proposerons une interprétation.

9 A plusieurs reprises, nous employons le terme de « citation d’accomplissement ». Nous faisons

ainsi référence au texte de notre étude Mt 27.9-10.

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Chapitre 1

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11

1. Découverte de notre texte

La première partie de ce travail aura pour objectif de permettre au

lecteur de plonger le plus rapidement possible dans le texte choisi. Nous

donnerons ici des éléments concis et précis, éléments par ailleurs étayés par

de nombreux théologiens et approuvés par la majorité d’entre eux10.

L’essentiel en résumé : l’évangile selon Matthieu, le contexte de rédaction,

notre texte et les traductions possibles.

Nous nous attarderons cependant sur différents points précis qui nous

seront de plus ample utilité dans l’exploration et la compréhension de notre

péricope.

Première approche de notre texte

L’évangile de Matthieu : généralité

Rédigée entre 70 et 11011, le premier évangile est traditionnellement

attribué à Matthieu mais certains exégètes tel que Bonnard pensent que

l’auteur ne serait pas l’un des douze mais en réalité une communauté réunie

autour de l’apôtre12. A notre avis, et en fonction des arguments avancés par les

uns et les autres13, nous resterons sur l’idée traditionnelle selon laquelle

Matthieu fut rédigé par celui des douze que l’on connaît comme percepteur de

taxe.

De nombreux doutes persistent sur la langue de rédaction de cet

évangile. A peu près toutes les hypothèses ont été avancées sans pour autant

répondre à toutes les questions14. Ainsi tour à tour le grec de la LXX, un grec

plus proche des targums, l’araméen et l’hébreu standard (massorétique) ont

10

Nous citerons ces théologiens au cours de ce chapitre. 11

H. CONZELMANN, A. LINDEMANN (éds.), Guide pour l’étude du Nouveau Testament (MoBI 39), Genève, Labor et Fides, 1999, p. 357 ; R. E. BROWN, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Paris, Bayard, 2000, p. 214. Nous prenons ici la plus large fourchette de dates qui sont proposées par différents auteurs, non pour faire une compilation de tout ce qui a été dit mais dans l’effort d’avoir une vision la plus généraliste possible. Pour sa part Brown va plus loin en proposant une période de 80 à 90 ap. J.-C.. 12

Cf. P. BONNARD, L’Evangile selon saint Matthieu (CNT(N) I), 3e éd. (1

re éd. 1963), Genève, Labor

et Fides, 2002, p. 8-9. 13

Mt 10.3, Ph. ROLLAND, L’origine et la date des évangiles : Les témoins oculaires de Jésus, Paris, Saint-Paul, 1994, p. 128 ; E. CHARPENTIER, R. BURNET, CH. PERROT, Pour Lire le Nouveau Testament, 15

e éd. (1

re éd. 1982), Paris, Cerf, 2004. p. 69-70.

14 Comment justifier certaines formules rabbiniques ou apocalyptiques ? Pourquoi l’auteur emploie-

t-il certains mots de vocabulaire plutôt que d’autres.

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été proposés15. Aujourd’hui la thèse la plus souvent avancée est celle d’un

texte grec proposé à partir de la LXX16.

Autre problème, lié à la langue, c’est le lieu de rédaction. Pour cela, si

nous le recoupons avec les données historiques et chronologiques, il semble

peu probable qu’une communauté ait entrepris la rédaction d’un évangile dans

le contexte de destruction du temple de Jérusalem (70). Il est alors acceptable

d’adopter la thèse selon laquelle le texte fut écrit en Syrie17 sur la base de la

tradition galiléenne18. Cependant, il nous est impossible de situer les lieux

exacts de sa rédaction. De plus, compte tenu de l’étendue de ce territoire,

autant dire que cet élément apporte peu. Cependant, malgré l’éloignement de

Jérusalem, la précision avec laquelle Matthieu décrit les lieux, reste un élément

essentiel dans l’étude de notre texte.

L’évangile selon Matthieu est largement reconnu comme héritier de

Marc19 et de la Source Q. Construite sur la base de la théorie des deux

sources20, il est à remarquer le rajout de nombreux autres matériels. Pour cette

thèse, Brown se fonde notamment sur notre texte en disant que l’auteur a fait

preuve d’une « vive imagination »21. Il y voit, d'ailleurs, une dose inhabituelle

d’influence scripturaire. Il propose alors une inversion dans l’interprétation

traditionnelle. Pour lui le texte est davantage composé sur la base de l’AT que

construit à l’aide de citations de l’AT. Brown laisse sous-entendre que dans

cette perspective l’AT est la source primaire de l’évangile de Matthieu et non

simplement un « lexique thématique ». Il existe un autre élément fort

déstabilisant dans la perspective de notre thématique évoqué par Brown.

D’après lui, Matthieu se serait inspiré d’une source populaire22, peut-être orale,

intégrant la dimension folklorique sur Jésus23.

15

Cf. R. E. BROWN, Que sait-on…, p. 250. 16

Cf. H. CONZELMANN, A. LINDEMANN (éds.), Guide pour l’étude…, p. 357. 17

Cf. Ph. ROLLAND, L’origine et la date…, p. 128. 18

Cf. P. BONNARD, L’Evangile selon saint Matthieu…, p. 9. 19

80% de Matthieu vient de Marc ; R. E. BROWN, Op. cit., p. 214. 20

Cf. F. AMSLER, L’évangile inconnu : La Source des paraboles de Jésus (Q) (EssBib 30), Genève, Labor et Fides, 2001. 21

R. E. BROWN, Op. cit., p. 247. 22

P. BONNARD, Op. cit., p. 6-7. 23

R. E. BROWN, Op. cit., p. 248.

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D’autre part, l’évangile de Matthieu est celui qui a la structure générale

la plus étudiée24. De ce fait, il demeure l’évangile dont on propose le plus de

schémas structurels possibles25. Il nous faut cependant, comme nous met en

garde Bonnard26, faire attention à ne pas emprisonner l’évangile de Matthieu

dans une structure trop détaillée qui nous couperait alors du sens voulu par

l’auteur. Parmi les différentes structures les plus couramment proposées par

les théologiens27, nous retiendrons celle de Brown28. Selon son découpage, la

passion, la mort et la résurrection de Jésus-Christ, forment le point culminant

de l’évangile de Matthieu. Il commence en 26.1 et se termine en 28.20. Nous

verrons dans la suite de notre travail à quel point ceci fait écho au texte étudié.

La théologie de Matthieu

Matthieu s’adresse à une église fortement judéo-chrétienne qui s’ouvre

de plus en plus aux gentils29. Les commentateurs de la NBS30 vont plus loin en

affirmant que cet évangile est écrit pour les disciples31. En observant les

destinataires, on peut donc prendre une part de la mesure et de l’orientation

incluses par Matthieu dans son message.

Kuen32 présente la théologie de Matthieu sous deux aspects. Le

premier est l’annonce et la proclamation de Jésus, fils de Dieu sauveur

(dimension christologique). Le deuxième est la dimension historique des actes

et des gestes accomplis par Jésus pour conforter la dimension

d’accomplissement des Écritures33.

24

P. BONNARD, L’Evangile selon saint Matthieu…, p. 6-7 ; Cf. M. A. ROIG, La structure littéraire de l’évangile de Matthieu : Etat de la question et esquisse d’une solution, Mémoire présenté en vue de l’obtention du diplôme d’études supérieures en théologie, Faculté adventiste de théologie, Collonges-sous-Salève, 1987 ; M. A. ROIG, La Estructura literaria del evangelio de San Mateao, Thèse, Universidad complutense de Madrid, 1995. 25

Forme chronologique, forme thématique, forme narrative. 26

P. BONNARD, Op. cit., p. 7. 27

H. CONZELMANN, A. LINDEMANN (éds.), Guide pour l’étude…, p. 352 ; E. CUVILLIER, « L’évangile selon Matthieu », Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie (MoBI 41), D. MARGUERAT (éd.), Genève, Labor et Fides, 2000, p. 64-65. 28

Cf. R. E. BROWN, Que sait-on…, p. 214. 29

Idem, p. 255. 30

L’argument s’appuie sur l’emploi du mot « disciple » qui est dénombré 73 fois chez Matthieu contre 43 fois chez Marc et 37 fois chez Luc. Cf. NBS…, p. 1244. 31

Nous entendons par là tous ceux qui veulent suivre le Christ. 32

F. BASSIN, F. HORTON, A. KUEN, Introduction au Nouveau Testament : Evangiles et Actes, Saint-Liéger (CH), Emmaüs, 1990, p. 194. 33

Charpentier dénombre 130 citations dont 43 explicites tirées de l’AT et dites d’accomplissement. Cf. E. CHARPENTIER, R. BURNET, CH. PERROT, Pour Lire le Nouveau Testament…, p. 58.

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Brown34 va dans le même sens et affirme combien ces citations sont

des enseignements et des informations pour les chrétiens afin de les soutenir

dans leur foi. Pour Lohse35, ces citations sont là pour montrer que Jésus est

bien le Messie.

Le contexte

Le contexte large

Comme nous l’avons dit plus haut, Matthieu s’adresse aux disciples du

Christ. Son objectif est de démontrer que Jésus est le fils de Dieu, attendu par

tous. De manière chronologique et systématique, l’évangéliste va ainsi

reprendre les différents éléments de la vie de Jésus et construire une

narration. Celle-ci commence avec la généalogie36 et se termine par

l’Ascension37 de Jésus au Ciel. Notre récit se trouve dans la dernière section

présentée par Brown comme la « pointe de l’évangile ». Ce dernier38 attache

une grande importance à une vision globale de l’évangile de Matthieu. Pour lui,

il faut davantage être concentré sur le produit fini que sur les détails de

différentes traditions énoncées. Nous pouvons alors nous poser la question du

bien fondé de notre travail. Le récit de la mort de Judas est-il un détail ou a-t-il

une visée plus large peut-être didactique ? Est-il comme certains l’entendent

une légende ?39 Pour Fokkelman, qui considère le récit de la passion comme

narratif, il nous faut voir un récit bien structuré dont « les détails sont aussi au

service de la composition d’ensemble »40. Nous allons donc considérer notre

texte en alliant ces deux perspectives.

Le contexte étroit

Comme nous venons de le faire remarquer à plusieurs reprises, le récit

de la passion est le contexte étroit de notre passage. Nous41 le définissons

comme commençant en 26.1 et se terminant en 28.20. Dans ces trois

34

R. E. BROWN, Que sait-on…, p. 249. 35

E. LOHSE, Théologie du Nouveau Testament (MoBI), Genève, Labor et Fides, 1987, p. 187. 36

Mt 1.1-17 37

Mt 28.16-20 38

R. E. BROWN, Op. cit., p. 250. 39

Cf. H. CONZELMANN, A. LINDEMANN (éds.), Guide pour l’étude…, p. 356. 40

J. P. FOKKELMAN, Comment lire le récit biblique : une introduction pratique (Le livre et le rouleau 13), Bruxelles, Lessius, 2002, p. 206. 41

Nous reprenons ici le découpage de Cuvillier. Cf. E. CUVILLIER, « L’évangile selon Matthieu »…, p. 65.

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chapitres seront décrits les faits et gestes du Christ de la pâque prise avec ses

disciples jusqu’à la mort sur la croix, la résurrection et enfin l’ascension.

Cette longue narration va être entrecoupée de plusieurs faits42 décrits

brièvement tels « Pierre renie Jésus » 26.69-75 et « Judas se donne la mort »

27.3-10. Ces derniers sont ainsi placés dans ce récit de Passion comme des

parenthèses ouvertes, des histoires dans l’histoire43. Notons par ailleurs que le

récit de Pierre est rapporté par tous les évangélistes. Seul Matthieu relate la fin

de Judas.

Le contexte immédiat

Nous notons ici combien le récit nous concernant, soit les versets 3 à

10 du chapitre 27, est entouré par deux références à un épisode étrangement

similaire à celui de la mort de Judas. Que ce soient les versets 1 et 2 ou les

versets 11 et suivants, ils font référence à un jugement44. Le premier jugement

est celui promulgué par les grands prêtres et les anciens du peuple. Le

deuxième est promulgué par Pilate avec l’appui du peuple. Pour Cuvillier45

cette double référence au peuple est un signe clair que le bourreau de Jésus

est le peuple. Pour ce théologien, trois épisodes46 indiquent ce point de non-

retour et de rupture entre Dieu et son peuple.

Sans vouloir déresponsabiliser les grands prêtres, les anciens ou

Pilate, Matthieu tient davantage rigueur au peuple pour ses agissements qu’à

ces hommes. Quelle place tient alors Judas dans cette affaire ? Est-il confondu

dans « le peuple » ou a-t-il un statut plus proche de ces trois catégories de

personnes ?

Nous reviendrons plus en détails sur ces interrogations dans le

troisième chapitre car ces questions semblent plus complexes qu’elles n’y

paraissent et pourraient même être une clé de compréhension de notre

passage.

42

Afin d’identifier plus facilement ces passages, nous reprenons ici les titres proposés par la NBS. 43

Roux a vu en cette juxtaposition des textes une volonté de Matthieu de mettre ces deux histoires en parrallèle et ainsi confronter ces deux réactions. Cf. H. ROUX, L’Evangile du Royaume, 2

e éd.

(1er

éd. 1956), Genève, Labor et Fides, 1965, p. 278. 44

R. E. BROWN, La mort du Messie, Paris, Bayard, 2005, p. 716. 45

Cf. E. CUVILLIER, « L’évangile selon Matthieu »…, p. 67. 46

Mt 27.25 ; 28.12-15 ; 28.19

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Etablissement du texte

Plusieurs difficultés se présentent lors de l’établissement de notre

texte.

La première difficulté concerne la première partie du verset 9 où cette

citation d’accomplissement est attribuée à Jérémie. Quatre options sont alors

possibles47.

Soit on retrouve comme auteur Jérémie : a, A, B, C, L, X, W, G,

D, F, et la plupart des minuscules en vieux latin : vg, syrhtxt,pal,

copsa,bo

Soit on identifie comme auteur Zacharie : 22syhmg, armmss

Soit on distingue comme auteur Esaïe48 : 21, 1

Soit on ne retrouve aucune mention d’auteur : F,, 33, a, b, sys.p,

boms

Ces alternatives quant à l’auteur de cette citation, nous interrogent sur

l’intertextualité de ce texte, son origine, mais aussi sur son véritable auteur.

Jérémie est-il l’auteur de ces paroles comme l’annonce Matthieu, annonce

reprise dans la majorité des manuscrits ? Nous ne voulons pas trancher ici la

question49 mais il nous paraît intéressant de tenir compte de cette

problématique pour comprendre la citation dans sa globalité.

La deuxième difficulté est un problème de traduction. En effet le verbe

e;labon peut être traduit de deux manières différentes. Ce verbe à l’indicatif

aoriste actif peut se traduire à la première personne du singulier50 comme par

la troisième personne du pluriel51. Il est alors important de remettre ce verbe

dans son contexte. Selon Miler52, l’action de prendre les trente pièces

concerne celle des grands prêtres qui ramassent les pièces jetées par Judas.

Mais l’analyse inverse est aussi possible. Il peut être fait référence à Judas

47

Cf. NESTLE-ALAND, Novum Testamentum Graece, 27e éd., Stuttgart, Deutsche Bibelgesellschaft,

1999, p. 81; B. M. METZGER, A textual commentary on the greek New Testament, London, New York, United Bible Societies, 1975, p. 66-67. 48

Esaïe est cité 5 ou 6 fois par Matthieu. R.E. BROWN, La mort du Messie…, p. 726. En revanche, il est difficile de faire un lien évident entre un texte d’Esaïe et notre récit. Pour cette raison, nous n’aborderons pas Esaïe. 49

Nous traiterons ces questions dans les parties 1.4. et 3.1.1. 50

Cf. S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion dans les quatre évangiles (LeDiv commentaires 3), Paris, Cerf, 1994, p. 236. 51

Cf. J. MILER, Les citations d’accomplissement dans l’évangile de Matthieu : Quand Dieu se rend présent en toute humanité (AnBib 140), Roma, Pontificio Istituto Biblico, 1999, p. 257. 52

Ibid.

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rendant les trente pièces dans le temple. Pour notre part, et tout comme Miler,

il nous semble que l’emphase est davantage mise sur ceux qui estiment. Nous

choisirons donc de traduire e;labon à la troisième personne du singulier

désignant donc les grands prêtres et les anciens.

La troisième difficulté qui se présente à nous est le verbe e;dwkan,

(indicatif aoriste de la racine didwmi). Suivant les manuscrits on le trouve sous

différentes formes.

e;dwkan se retrouve dans Ac, B*, C, L, F, f1.13, 33, M, latt, co ;

Irarm

e;dwka se retrouve dans a, B2vid, W, pc sy ; Eus

e;dwken se retrouve dans A*vid,

Là encore il est difficile d’asseoir notre position. Il semble cependant

clair et majoritairement accepté qu’il faille retenir e;dwkan53. Un autre problème

consiste alors à déterminer à quelle personne nous devons traduire ce terme.

Là encore, les deux options sont possibles : première personne du singulier et

troisième personne du pluriel. Nous choisirons, pour les mêmes raisons,

l’option identique à la précédente.

Ces deux problèmes cités soulignent encore notre difficulté à savoir

qui est réellement acteur de cette scène. Nous en parlerons davantage dans

notre dernier chapitre54.

Voici la traduction finale de ce texte que nous proposons.

“”9 to,te evplhrw,qh to. r`hqe.n dia. VIeremi,ou tou/ profh,tou le,gontoj\ kai. e;labon

ta. tria,konta avrgu,ria( th.n timh.n tou/ tetimhme,nou o]n evtimh,santo avpo. uiw/n VIsrah,l( 10 kai. e;dwkan auvta. eivj to.n avgro.n tou/ kerame,wj( kaqa. sune,taxe,n moi ku,riojÅ

9 Alors fut accompli ce qui avait été dit par le prophète Jérémie : et ils

prirent les trente pièces d’argent, le prix attribué par les enfants d’Israël à celui

qu’ils ont apprécié, et ils les donnèrent pour le champ du potier, selon ce que le

Seigneur m’avait prescrit.

53

Cf. B. M. METZGER, A textual commentary…, p. 67 ; S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 237. 54

Cf. 3.2.3.

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Intertextualité

Nous l’avons vu, Matthieu est attaché aux citations de l’AT. Dans ce

court passage de Mt 27.3-10 il fait allusion de manière explicite à l’AT en citant

Jérémie comme l’auteur des paroles prophétiques des versets 9 et 10. Mais

au-delà de cette attribution à Jérémie55, nous ne pourrons faire l’économie

d’aborder le texte de Zacharie56. Le tableau comparatif établi par Legasse57

avec le TM et de la LXX relève plusieurs points.

Mt 27.9b-10 Za 11.12b-13, TM Za 11.12b-13, LXX

« 9b Et je pris les trente

pièces d’argent,

le prix apprécié qu’ont

apprécié [certains] des

fils d’Israël,

10 et je les donnai pour le

champ du potier, selon

[ce] que m’a prescrit [le]

Seigneur. »

« 12b Et ils pesèrent mon

salaire : trente [sicles]

d’argent.

13 et YHWH me dit :

Jette-le[s] au potier

[ou : fondeur]

[cette] magnificence de

prix à laquelle j’ai été

apprécié par eux.

Et je pris les trente

[sicles] d’argent et je les

jetai dans la maison de

YHWH au potier [ou :

fondeur]. »

« 12b Et ils fixèrent mon

salaire : trente pièces

d’argent.

13 Et le Seigneur me dit :

Met-les à la fonderie

et vois si elle est

estimable la façon dont

j’ai été estimé par eux.

Et je pris les trente

pièces d’argent et je les

jetai dans la maison du

Seigneur, à la fonderie. »

Ce tableau met en évidence le fait que Matthieu précise que ce sont

« les fils d’Israël » qui ont apprécié ce salaire.

55

Jr 18.2 ; 19.1s ; 32.7-9 56

Za 11.12-13 57

S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 236.

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Le TM et de la LXX présentent clairement la destination de cet argent.

Il est destiné à la maison du Seigneur ou à la fonderie suivant la traduction

pour laquelle on opte58. Dans la citation d’accomplissement de Matthieu la

finalité de cet argent n’est pas si évidente.

Nous ne trouverons pas d’autres récits évangéliques sur la mort de

Judas. Cependant, le livre des Actes59, nous fournira un récit bien différent de

cette mort. Même si le texte de Actes offre des points de convergence nous ne

l’utiliserons pas de manière systématique nous arrêtant sur des points précis

uniquement.

Enfin, les Pères de l’Eglise ne pourront nous éclairer que de manière

très partielle car, au vu de l’ouvrage de Klauck60, leur avis semble partial.

Analyse littéraire

Dans cette nouvelle partie nous voudrions simplement donner

quelques éléments de base que nous approfondirons dans la suite de notre

travail.

Bonnard61 a clairement identifié deux passages dans notre texte

d’étude: versets 3 à 5 et versets 6 à 10.

Versets 3 à 5 : Il semble s’exprimer ici une tradition orale

jérusalémite très forte. Cette narration est identifiée comme

populaire et avait simplement pour objectif d’expliquer le lieu appelé

« champ du sang ».

Versets 6-10 : L’attribution de la parole à Jérémie n’est pas

clairement attestée. Pour Bonnard, il s’agit ici d’un récit très

difficilement conciliable avec celui des Actes. Il fait appel à un

procédé midrashique subtil62.

58

Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 721. 59

Ac 1.16-21 60

Cf. H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 139. 61

P. BONNARD, L’Evangile selon saint Matthieu…, p.393. 62

Pour Moo et Stendahl, il est difficile de définir ce texte de Midrash. Cf. D. J. MOO, « Tradition an Old Testament in Matt 27 :3-10 », Gospel perspectives : Studies in Midrash and Historiography, vol. III, R. T. France, D. Wenham (éds.), Sheffield, JSOT Press, 1983, p.157-168 ; K. STENDAHL, The School of St. Matthew and its use of the Old Testament (ASNU 20), Lund, 1968, p. 216.

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La double tradition exprimée par Bonnard a été présentée avant lui par

Benoit63. Pour ce dernier, il faut compter trois traits communs qui caractérisent

le genre littéraire. Le premier fait est qu’il s’appuie sur des traditions

populaires. Le deuxième fait est qu’il se soucie de mettre en valeur l’application

des prophéties de l’AT. Le troisième fait est qu’il se rattache à des données

concrètes de la topographie de Jérusalem.

Pour comprendre davantage notre passage, nous allons suivre cette

piste ouverte par Benoît et Bonnard dans la suite de notre travail.

63

Cf. P. BENOIT, Exégèse et théologie, t. 1, Paris, Cerf, 1961, p. 340.

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Chapitre 2

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2. Les enjeux de Mt 27.9-10

Selon les éléments que nous avons pu faire ressortir dans la première

partie de notre travail, nous ne pouvons faire l’économie de la prise en compte

des contextes historique, géographique, religieux, littéraire, auxquels ce

passage est susceptible de faire allusion.

Dans ce deuxième chapitre, nous voudrions donc prendre le temps de

développer plusieurs aspects qui paraissent être des éléments clés pour notre

réflexion et la compréhension de notre péricope. Pour cela, nous

considèrerons deux domaines. Le premier concernera la somme des « trente

pièces d’argent »64. Le deuxième s’appliquera au « champ du sang »65. Ce

découpage peut surprendre le lecteur. Nous l’avons ainsi établi car ces deux

thématiques recouvrent à elles seules plusieurs pistes de réflexion qui tournent

autour des mêmes idées66.

Cette analyse aura donc pour fonction de faciliter la compréhension de

notre texte, de ne pas la limiter à notre péricope seule, mais de l’immerger

dans le texte biblique tout entier. Ainsi nous pourrons voir les nombreuses

ramifications possibles et les sources de richesse exégétique.

Nous ne pourrons nous attarder ici sur d’autres dimensions telles que

le « remords » exprimé par Judas. En effet, ce terme à lui seul pourrait être à

l’origine d’un mémoire voire d’une thèse. Bien conscient de l’espace qui nous

est imparti, nous aurons toujours en perspective et en ligne de mire notre

citation d’accomplissement. Nous serons donc dans l’obligation d’abréger

certains commentaires afin de rester centré sur notre sujet.

64

Mt 27.3 65

Mt 27.8 66

Pour Brown, l’élément clé pour la compréhension de ce passage est la notion de « prix » qu’il étudie sous différents aspects. Nous l’avons nommé sous l’intitulé des « trentes pièces d’argent ». Pour Legasse, le terme fondateur de la compréhension de ce texte est « champ du sang ». Ainsi, nous nous sommes appuyés sur ces deux idées pour construire notre analyse. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 714 ; S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 221.

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Les trente pièces d’argent

Pour Brown67, la mention des trente pièces d’argent est l’élément le

plus constant de ce passage. On la retrouve aux versets 3, 6, et 9. Ainsi, les

pièces d’argent sont une sorte de fil conducteur de notre texte et nous

permettent de saisir une continuité.

Trente pièces

L’argent : le mobile ?

Il semble évident pour tous les commentateurs68 que l’argent n’est pas

le mobile réel de cette trahison de Judas. Nous ne voulons pas rentrer dans

des explications répondant à ce point car elles touchent davantage une

dimension psychologique voire eschatologique. Il nous paraît juste intéressant

de relever ici que le mobile financier ne peut être retenu, surtout pas comme

cause première.

Valeur compensatrice

La première question que nous voudrions soulever est la signification

de ces trente pièces d’argent. Le fait que Matthieu présente cette somme de

manière exacte a-t-il un but précis, symbolique, ou est-ce simplement

l’expression d’une grande rigueur littéraire et historique. Pour Brown69, comme

pour d’autres auteurs70, cette somme peut avoir une signification plus ample

qu’une simple lecture marchande71. Selon ce dernier, les trente pièces doivent

être mises en lien direct avec la somme donnée en compensation lors de

67

Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 717. 68

Flori présente la thèse du mobile financier comme dérisoire. Trente pièces d’argent ne peuvent être la motivation de Judas qui, à lui seul, doit avoir beaucoup plus dans la bourse qu’il ne tient à sa ceinture au nom des autres disciples. Cette même idée de prix dérisoire se retrouve aussi dans Les légendes des Juifs. Cf. J. FLORI, « La trahison de Judas », Signes des temps 424 (1975), p.15-19 ; L. GINZBERG, Les légendes des Juifs : Joseph, les fils de Jacob, Job, Moïse en Egypte (Patrimoines judaïsme), t. 3, Paris, Cerf, Institut Alain de Rothschild, 2001, p. 17. 69

Cf. R. E. BROWN, Op. cit., p. 717. L’auteur de cet ouvrage présente différentes thèses sur la valeur financière réelle de cet argent. Il aborde aussi la question des origines (romaines, syriennes, palestiniennes, hébraïques, etc.), de ces trente pièces. Il reste cependant très difficile d’évaluer avec précision à quelle monnaie il est fait référence dans notre texte. Brown présente aussi une variante occidentale de Mt 26.15 qui annonce que Judas a reçu trente statères. 70

Cf. V. MORA, La symbolique de Matthieu : Les groupes (LeDiv 187), Paris, Cerf, 2001, p. 163 ; W. TRILLING, L’Evangile selon Saint Matthieu (Parole et Prière), Paris, Desclée, 1971, p. 191. 71

Dans Lv 27.4-5 l’auteur du Pentateuque présente différentes valeurs marchandes de rachat de personnes qui ont prononcé des vœux : Femme, 30 sicles ; garçon, 20 sicles ; fille, 10 sicles.

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blessures infligées à un esclave. Cette somme serait alors une sorte de

compensation financière pour préjudice physique72.

Se pose alors la question de savoir qui subit le préjudice, et quelle est

la personne lésée dans cette affaire ? Est-ce Judas ? En revanche, il semble

assez clair que la victime de la transaction soit le Christ lui-même. Si ce

raisonnement est juste et si c’est ici la volonté de Matthieu, Jésus est présenté

comme l’esclave, le serviteur blessé mortellement73. Il n’est donc pas faux,

même si cela peut paraître exagéré, de dire que Matthieu envisage aussi cette

transaction comme un parallèle évident avec l’annonce du prophète Esaïe74.

Prix de vente

Nous voudrions présenter de manière très succincte une autre thèse

abordée par Brown75 et Murmelstein76 avant lui. Il semble que le lien entre la

vente de Jésus par Judas et celle de Joseph par ses frères n’est pas très

fréquent77.

Cela peut surprendre car ces deux récits comportent de nombreux

éléments concordants. Nous en voulons pour exemple le tableau comparatif

suivant que nous proposons.

72

Ex 21.32 73

Es 53.4-12 74

Un autre élément nous invite à mettre ce texte de Matthieu en parallèle avec celui d’Esaïe. Es 53.9 fait référence au lieu d’ensevelissement parmi les méchants. Nous l’aborderons lorsque nous parlerons du champ et de sa valeur symbolique. Cf. 2.2. 75

Cf. R. E. BROWN, Que sait-on…, p. 242. 76

Cf. B. MURMELSTEIN, « Die Gesalt Josefs in der Agada und die Evangeliengeschichte », Angelos, Leipzig, 1932, p. 54 ; R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 738. 77

Gn 37.26-28 Pour Origène, le lien entre l’histoire de Joseph et de Jésus est une certitude. Cf. ORIGENE, Homélies sur l’Exode (SC 321), 1.4, trad. M. Borret, Paris, Cerf, 1985, p. 53-57. Ceci est aussi conforté par Brown qui cite cette somme de trente pièces identiques dans les deux cas. Il nous faut cependant distinguer le fait que l’on parle tour à tour de trente pièces d’argent pour Judas et de trente pièces d’or pour Juda. On trouve cette mention de ce dernier cas dans le Testament de Gad. L’auteur de cet écrit, Gad, affirme avoir vendu, avec Siméon, leur frère Joseph pour trente pièces d’or. Ces derniers auraient caché dix d’entre elles à leurs frères par cupidité. « Testament de Gad », 2.1-5, La Bible : écrits intertestamentaires (Bibliothèque la Pléiade 337), A. Dupont-Sommer (éd.), et al., Tours, Gallimard, 1987, p. 909.

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Gn 37.26-28 Mt 27.3-10

Similitudes textuelles

v. 26 « Juda dit » v. « Judas »

v. 26 « Quel profit » v. 4 « Que nous importe »

v. 26 « Couvrir son sang » v. 6 « Prix du sang »

v. 28 « vingt pièces d’argent » ou « trente

pièces d’or »78

v. 3 « trente pièces d’argent »

Similitudes des faits et motivations

Recherche d’autorité ou sentiment de

jalousie de la part des frères sur Joseph.

Recherche d’autorité ou sentiment de

jalousie de la part des prêtres et des

anciens sur Jésus.

Le profit financier79 Le profit financier

Vente à des Madianites (descendants

d’Abraham) donc descendance, sa famille

Vente aux prêtres et aux anciens donc

membres d’Israël, sa famille

Juda est à l’initiative de la vente Judas est le vendeur

Va être descendu dans un trou symbole

de l’Hades

Va être mis au tombeau.

Sa tunique lui est retirée (Gn 37.23) Sa tunique est tirée au sort (Jn 19.23)80

Joseph Jésus

Certes ces deux histoires ne permettent pas une étude synoptique des

deux récits mais elles offrent cependant des ressemblances troublantes tant

dans les termes que dans les intentions et sentiments exprimés. Joseph rejeté

par ses frères serait-il une préfiguration de Jésus rejeté par Israël ? Matthieu a-

t-il voulu faire une allusion ou avait-il ce récit à l’esprit ?

Là encore, l’étude mériterait d’être approfondie mais n’étant pas

l’objectif de notre étude nous ne souhaitons pas lui accorder trop de place. Elle

constitue une simple pierre de notre édifice. En tout état de cause, la position

78

Cf. note précédente. 79

Dans le Testament de Juda, Juda met en garde sa descendance qui est selon lui prédestinée à aimer la luxure et l’amour de l’argent. « Testament de Juda », 17.2, La Bible : écrits intertestamentaires (Bibliothèque la Pléiade 337), A. Dupont-Sommer (éd.), et al., Tours, Gallimard, 1987, p. 868. 80

Cette similitude entre les tuniques de Joseph et de Jésus est présentée dans le Midrash Rabbah. Cf. The Midrash Rabbah : Genesis, vol. 1, I. Epstein (dir.), London, Jerusalem, New York, The Soncino Press, 1977, p. 775.

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de certains81 est claire. L’histoire de Joseph est une préfiguration de celle de

Jésus. La similitude de ces personnages (Joseph/Jésus) nous laisse à

l’entendre mais ne nous permet pas de dire si elle fusionne au point de

confondre les personnages de Juda et de Judas.

Le Korbanas

Au verset six, il est fait mention du Korbanas82. Ce terme est de loin le

plus interpellant de notre passage. Selon Tresmontant83, le verbe hébreu

qarab, (kal parfait qarab), signifie « s’approcher ». Au piel, il signifie « faire

approcher ». Au hiphil parfait hiqerib, il signifie « faire approcher, apporter des

offrandes ». Même si ce terme n’apparaît que deux fois dans le Nouveau

Testament84, il semble qu’il soit couramment utilisé à l’époque biblique85.

L’utilisation faite par Matthieu de ce terme technique, araméen ou

hébreu86, est pour certains87 sans importance particulière.

A l’opposé de cette idée, si nous prenons davantage le temps de

définir ce terme, nous nous rendons compte des explications nombreuses qu’il

peut révéler.

Korbanas ou potier

Il existe un problème de traduction entre ces deux termes. Nous

l’aborderons plus en détails à la fin de ce chapitre lorsque nous traiterons la

notion de champ du potier.

81

Cf. AMBROISE DE MILAN, Apologie de David (SC 239), §12, trad. M. Cordier, Paris, Cerf, 1977, p. 89. 82

korbanas se retrouve aussi transcrit de plusieurs manières : korban, Korbân, qôrban, corban.

Traduit la racine : !Brqq ;; Pour plus de détails sur ce terme cf. K. H. RENGSTORF, « kkoorrbbaannaa //jj »,

TDNT, vol. III, G. Kittel (éd.), Grand Rapids, W. B. Eerdmans, 1974, p. 860-866. 83

C. TRESMONTANT, Evangile de Matthieu, Paris, O.E.I.L., 1986, p. 32. 84

Mt 27. 6 utilise korbanas et Mc 7.11 utilise korban. 85

Joseph fait mention du « trésor sacré », nommé Corban, que Pilate va utiliser pour construire une conduite d’eau. Cf. F. JOSEPH, Histoire ancienne des Juifs & la guerre des Juifs contre les Romains : 66-70 ap. J.-C., trad. A. Andilly (d’), N. Schumann (dir.), Paris, Lidis, 1975, p. 714. 86

Les commentateurs de la NBS et Brown présentent ce terme comme une transcription du lieu nommé le trésor sacré qui renfermait les dons et les contributions destinés à l’entretien du culte. Cf. NBS…, 1289 ; R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 723. 87

Cf. L. BONNET, Le Nouveau Testament expliqué au moyen d’introductions, d’analyses et de notes exégétiques : Evangiles de Matthieu, Marc et Luc, vol. 1, Lausanne, G. Bridel, 1880, p. 226 ; R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique, 4

e éd. (1

re éd. 1921), Paris, Seuil, 1973, p. 334.

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Korbanas : offrande, sacrifice

Le Korban appartient au langage sacerdotal. Il est utilisé 80 fois dans

le livre du Lévitique et des Nombres. De manière générale, il signifie l’action de

donner, d’offrir un cadeau88. Dans plusieurs textes89, korbanas peut signifier

aussi sacrifice.

Cette idée de pouvoir spécifier le sacrifice nous interpelle. En effet, si

nous prenons les causes de sacrifice du livre du Lévitique, il y a un cas de

figure qui s’applique particulièrement bien à notre situation.

« Le Seigneur dit à Moïse : Lorsque quelqu’un pèche et commet un sacrilège envers le Seigneur en mentant à son compatriote au sujet d’un dépôt, d’une valeur remise en main propre ou d’une spoliation, ou bien en commettant une extorsion aux dépens de son compatriote, en mentant au sujet d’un objet perdu qu’il a trouvé, ou en faisant un faux serment au sujet d’un des péchés que l’être humain peut commettre ; lorsque ainsi il pèche et se met en tort, il restituera l’objet de la spoliation ou de l’extorsion, le dépôt qui lui avait été confié, l’objet perdu qu’il avait trouvé ou la chose au sujet de laquelle il a fait un faux serment. Il le compensera intégralement, en y ajoutant un cinquième, et il donnera cette compensation au propriétaire le jour même où il offrira son sacrifice de réparation. Il apportera au prêtre, en réparation pour le Seigneur, un bélier sans défaut, pris sur le petit bétail d’après la valeur fixée pour la réparation. Le prêtre fera sur lui l’expiation devant le Seigneur, et lui sera pardonné, quelle que soit la chose par laquelle il s’est mis en tort90. »

Le lien du texte ci-dessus cité avec le korbanas n’est pas attesté. Nous

n’en trouvons d’ailleurs aucune trace dans des commentaires théologiques.

Cependant, les éléments que nous avons mis en gras rappellent de manière

surprenante le geste de Judas restituant les trente pièces d’argent. Peut-on

voir dans cet argent jeté une volonté de Judas de demander le pardon de

Dieu ? Les trente pièces d’argent restituées peuvent-elle être le début de ce

sacrifice de réparation, appelé aussi sacrifice de culpabilité ? Pourtant, si tel

est le cas, il manque un élément à cette démarche de pardon : le bélier sans

défaut.

88

Cf. J. FRAINE (DE), « Offrande », DBS, t. VI, L. Pirot, A. Robert, H. Cazelles (éds.), Paris, Letouzey et Ané, 1960, col. 684. Pour Brown, les trente pièces d’argent proviennent du Korbanas, c’est pourquoi Judas rapporte l’argent à cette destination. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 717. 89

Lv 2.12, Lv 3.14, Lv 22.27 90

Lv 5.20-26. Nous mettons ici en caractères gras les éléments particulièrement intéressants.

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De plus, il est intéressant de noter, comme Wigoder91 le relate, qu’on

ne peut pas offrir de sacrifice expiatoire pour une faute commise délibérément.

Ceci fait écho à l’histoire de Judas. Ce dernier avait-il conscience de son

péché au moment de la trahison ? A-t-il réalisé sa faute à la suite de son acte ?

L’application de ce texte de l’AT à l’histoire de Judas n’est-elle

qu’extrapolation ou peut-elle être un élément de compréhension de ce geste

de Judas ? Arrêter une position claire sur ces quelques éléments est sans

doute un peu léger. Cependant ils nous interpellent et apportent un élément de

plus à notre analyse.

Korbanas : relation

Au regard de son étymologie, notre terme peut se rapprocher du hifil

de qârab. Littéralement cela peut se traduire par « rapprocher » « présenter »

« apporter »92. Cette nouvelle définition implique une notion de relation entre

deux personnes, en l’occurrence Dieu et l’homme93. Le fait que cet argent ne

puisse être utilisé dans le korbanas peut démontrer une rupture définitive entre

Judas et Dieu. Il n’est alors pas surprenant que le geste final de Judas soit la

pendaison. Il ne peut racheter sa faute par cette offrande si tel était bien son

geste !

Nous sommes en droit de nous poser la question : qui refuse ce

pardon ? Les prêtres et les anciens nient-ils la sincérité en refusant de mettre

cet argent dans le korbanas ? Est-ce Dieu qui refuse cette offrande non

sincère et qui se trouve être le salaire d’une injustice et d’un procédé

malhonnête ? De la réponse à cette question beaucoup de choses découlent

pour ce personnage ô combien maudit par la chrétienté94.

Ce terme de korbanas est donc une clé de compréhension pour notre

passage. Nous ne pouvons tirer des conclusions hâtives mais il semble

évident, à la vue des éléments cités ci-dessus, que le problème de la mort de

Judas, de sa responsabilité et des enjeux de ce passage, n’est pas évident à

déterminer et à comprendre.

91

G. WIGODER (dir.), Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, Paris, Cerf, 1993, p. 992. 92

Cf. J. FRAINE (DE), « Offrande »…, col. 684 ; J. MARGAIN (dir.), Les mots-clés de la Bible (Les classiques bibliques), Paris, Beauchesne, 1996, p. 216-217. De nombreux textes bibliques confirment cette même idée : Lv 1.2 ; Lv 9.7 ; Nb 7.3, 10 ; Jc 4.8 93

G. WIGODER (dir.), Op. cit., p. 991. 94

H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 159-160.

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Le prix du sang

Le « prix du sang » marque le lien très fort qui existe entre notre texte

et celui de Jérémie cité en Mt 27.995. Il marque aussi la transition qui s’effectue

petit à petit entre la notion des « trente pièces d’argent » et la notion de

« champ du sang » « champ du potier ». Dans le schéma ci-dessous, nous

illustrons ce glissement progressif en mettant en valeur les terminologies qui

se répètent :

« trente pièces d’argent » v. 3

« sang innocent » v. 4

« pièces d’argent » v. 5

« pièces » v. 6

« Korbanas » v. 6

« prix du sang » v. 6

« argent » v. 7

« champ du potier » v. 7

« champ » v. 8

« champ du sang » v. 8

« trente pièces d’argent » v. 9

« prix attribué » v. 9

« champ du potier » v. 10

Nous notons ici que les différents termes clés sont du début à la fin de

ce texte imbriqués les uns dans les autres. Ainsi, nous soutenons la thèse de

Brown96 : les « pièces » représentent le fil conducteur de cette histoire.

Cependant nous ne pouvons nous limiter aux seules « pièces ». Nous sommes

forcés de constater que le « champ », le « sang » et le « potier », sont tous liés

à la même idée. Ils sont aussi les fils rouge de ce récit. Ceci motive donc notre

choix de construire ce chapitre sur la base des deux thématiques que sont les

« trente pièces d’argent » et le « champ du sang ».

95

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 723. Brown fait aussi référence dans ce passage au livre de Zacharie que nous aborderons par la suite. Cf. 3.1.1. 96

Idem, p. 715.

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30

Le prix attribué

Le « prix attribué » du verset 9, nous renvoie, sans aucun doute

possible, au texte de Za 11.12 où le berger est évalué pour trente pièces

d’argent97. Nous ne détaillerons pas davantage ce texte de Zacharie car nous

l’aborderons dans notre troisième chapitre.

Pour Mora98, il est clair que ce « prix attribué » dépasse largement la

somme financière. Pour ce dernier, cette somme d’argent, ce prix, est un geste

symbolique par rapport à la malédiction annoncée sur Israël en Mt 23.35 où il

est d’ailleurs fait référence à la mort du prophète Zacharie.

Le « champ du sang »

La notion de « champ du sang »99 mérite aussi notre attention. Comme

pour « les trente pièces d’argent », le « champ du sang » regroupe plusieurs

notions que nous allons étudier au travers de cette deuxième partie du

chapitre.

Avant de décrire plus amplement cette notion il nous paraît important

de citer le texte des Actes qui traite de la fin de Judas et de son remplacement

en tant que disciple par Matthias. En effet, Ac 1.19-20 mentionne le « champ

du sang » appelé par les habitants de Jérusalem « Hakeldamah »100. Luc, en

rédigeant ce texte, exprime un argument étiologique sur ce lieu qui semble

refléter un fait connu de tous à l’époque101. La question du fait demeure. Est-ce

la mort de Judas qui y est décrite dans des termes sombres ? Est-ce une

tradition plus ancienne qui remonte à la période vétérotestamentaire ? Est-ce

une tradition populaire inconnue ? Le fait est que ce lieu est connu pour Luc et

pour Matthieu. De plus, il dégage une signification et une histoire particulières.

C’est ce que nous allons découvrir à présent.

97

Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 728. 98

Cf. V. MORA, La symbolique…, p. 171. 99

Nous avons choisi de traiter la notion de « champ du sang » avant les termes de « champ du potier », en opposition à la chronologie du texte biblique, car il nous semble que la signification première, étiologique, est plus importante que la signification secondaire, historique. Nous allons à la suite de ce point développer ce raisonnement. S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 230-231. 100

Nous trouvons ce terme transcrit aussi selon les manières suivantes : Hakeldamach, Haceldama. Pour Legendre, il s’agit de la reproduction de l’araméen : haqal dema. A. LEGENDRE, « Haceldama », DB, t. III, 1

ère partie, F. Vigouroux (éd.), Paris, Letouzey et Ané, 1926, col. 387.

101 D. MARGUERAT, Les Actes des Apôtres (CNT(N) Va), Genève, Labor et Fides, 2007, p. 62.

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Lieu géographique

Comme nous venons de le dire, la référence au « champ du sang » est

gravée dans la mémoire collective. L’expression de Mt 27.8 « jusqu’à ce

jour »102 perpétue cette tradition d’âge en âge et inscrit ce récit dans le présent.

Roux103 présente ce lieu comme une sorte de signe visible, de

monument commémoratif, voire accusateur, pour les habitants de Jérusalem.

C’est un lieu plein d’histoire qui se situe physiquement au sud de la ville, au

pied de la montagne de l’Ophel104. Plusieurs Atlas ou cartes géographiques105

situent ce lieu au croisement de la vallée de Cédron, à l’est de la ville, et de la

vallée des fils d’Hinnom, communément appelé la vallée de la Géhenne au sud

de la ville.

« Le champ du sang » est représenté par une zone que l’on situe plus

précisément en face de la porte des tessons ou porte du potier106. Cette

appellation n’est pas sans nous rappeler les textes de Jérémie et de Zacharie

auxquels nous allons arriver par la suite107.

Malgré l’assurance avec laquelle les cartes en notre possession

aujourd’hui semblent définir la zone du « champ du sang », il n’est en réalité

pas si évident de la délimiter précisément. Certes, nous ne pouvons remettre

en question son existence mais nous ne pouvons savoir avec exactitude son

emplacement.

En réalité, ce sont les recherches archéologiques qui permettent de

définir avec le plus de précision cette zone. Mt 27.7 présente ce champ comme

destiné à ensevelir les étrangers. Il s’agit donc d’un cimetière. Thompson108

102

Cette expression est connue tant dans l’AT que dans le NT. Nous la retrouvons dans plusieurs récits. Elle a essentiellement pour objectif de donner des explications étiologiques aux noms de lieux. Gn 26.33 ; Jos 7.26 ; 2S 6.8 Nous retrouvons aussi cette expression en Mt 28.15. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 725. 103

Cf. H. ROUX, L’Evangile du Royaume…, p. 279. 104

J. CHAINE, « Géhenne », DBS, t. 3, L. Pirot (éd.), Paris, Letouzey et Ané, 1938, col. 566. 105

Malgré le fait que la plupart des cartes repèrent ce lieu comme étant au sud de Jérusalem, certains le placent au sud-est (Pesce, Beitzel ) alors que d’autres (Negev) le placent au sud-ouest, enfin certains sont plus rigoureux et supposent qu’il se trouve au sud-est mais laissent planer un point d’interrogation en signe de doute (NBS), cf. G. PESCE, Atlas biblique, 2

e éd. (1

re éd. s.d.),

Paris, Office général du livre, 1969, p. 47 ; B. J. BEITZEL (dir.), Biblica : Atlas de la Bible, Paris, Lodi, 2007, p. 435 ; A. NEGEV, S. GIBSON (dir.), Dictionnaire archéologique de la Bible, Paris, Hazan, 2006, p. 286 ; NBS…, p. 1240. 106

Jr 19.2 107

Cf. 3.1.1. 108

J.A. THOMPSON, La Bible à la lumière de l’archéologie, Guebwiller (F), Ligue pour la lecture de la Bible, 1975, p. 297.

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mentionne des tombeaux dans la vallée de Cédron qui remontent sans doute

au premier siècle ap. J.-C.. Des tombeaux creusés dans la roche ont été

découverts dans la vallée de Hinnom. Certains de ces derniers datent de 70

ap. J.-C. et démontrent une influence romaine sur l’architecture.

Au vu des éléments archéologiques, il semble clair, que ce lieu

présenté par Matthieu comme le « champ du sang », était un cimetière pour

les étrangers109.

Lieu symbolique

L’AT nous renseigne abondamment sur le lieu et les pratiques qui y

sont liées. Plusieurs passages110 présentent la vallée des fils de Hinnom

comme un lieu où l’on sacrifiait les enfants au dieu Molek111. Dans Jr 7.31,

Dieu condamne fermement ces sacrifices et dénonce une attitude plus que

barbare. La condamnation prononcée par Dieu va encore plus loin et annonce

un lieu où les bêtes sauvages se nourriront de cadavres humains, un lieu de

destruction et de ruine. Cette vallée des fils de Hinnom a donc une dimension

physique mais aussi une portée symbolique. C’est le lieu où, comme nous

l’avons vu dans le point précédent, on enterre les étrangers d’Israël, mais aussi

les personnes rejetées du sein d’Israël pour leurs mauvaises actions112. Nous

n’avons plus affaire à un « simple » cimetière mais à un lieu de malédiction.

Tout ce qui s’y trouve est rempli de mort et considéré comme impur113. C’est la

109

Brown propose ici plusieurs thèses. L’une d’elle exprime le fait que ce lieu n’était probablement pas pour les gentils car la sépulture de ces derniers était l’affaire des romains. Pour Brown, ce lieu parle davantage d’un endroit où l’on enterre des visiteurs juifs ou des prosélytes en visite à Jérusalem. Ainsi, l’auteur voit dans ce fait que Jésus est considéré comme un étranger à Jérusalem car venant de la Galilée. Cette thèse, même si elle semble solide, ne tient absolument pas compte de l’origine historique de ce lieu. Il nous semble que ceci est donc un peu limitatif et n’aborde pas la référence faite à Jérémie que nous aborderons par la suite. Cf. 3.1. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 724-725. 110

Jos 15.8 ; 2R 16.3 ; 2R 23.10 ; 2Ch 28.3 ; Ez 20.31 ; Jr 7.31 ; Jr 19.4 ; Jr 32.35 111

On trouve aussi ce dieu appelé : Moloc, Moloch, Molok, Milk, Mélék, Molék. De la racine klm.

Cf. J. CHAINE, « Géhenne »…, col. 569 ; H.-P. MÜLLER, « %l,Mo », TDOT, vol. VIII, G.J. Botterweck,

H. Ringgren, H.-J. Fabry (éds.), Grand Rapids, Cambridge, W. B. Eerdmans, 1997, p. 375-388.

Molék et parfois confondu avec Mélék qui signifie le plus souvent « roi ». Cf. H. RINGGREN, «%l,Mo»,

TDOT, vol. VIII, G.J. Botterweck, H. Ringgren, H.-J. Fabry (éds.), Grand Rapids, Cambridge, W. B. Eerdmans, 1997, p. 346-352. On utilise aussi souvent le terme de Topheth. Selon Chaine, on trouve aussi comme signification à ce nom « pleurer » ou « gémir ». Cf. J. CHAINE, Op. cit., col. 566. 112

Jr 19.11-13 113

Nous voudrions simplement faire remarquer que le message adressé par le prophète Jérémie en Jr 7.34 concerne toutes les villes de Juda et Jérusalem. Echo non négligeable face à notre récit de Mt 27.3-10.

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Vallée de la tuerie114, vallée du carnage, vallée des cadavres et de la

cendre115. C’est le lieu du charnier, là où l’on dépose les immondices. Un feu

perpétuel y est présent pour tout brûler116.

Le fait d’avoir abordé la notion de malédiction nous permet de noter

que la référence au suicide est très rare dans la Bible117. Nous n’étudierons

pas cette thématique particulière mais il nous paraît intéressant de relever ici

que ce geste, réalisé par Judas, était considéré comme un péché dans le

judaïsme palestinien118. Ainsi, Judas, en se donnant la mort était destiné à être

enseveli dans la vallée des Fils de Hinnom conformément aux pratiques de

son temps119.

Pour Mora120, il y a une odeur de damnation liée à cette appellation

« champ du sang » qui nous rappelle étrangement le sang de Jésus. En effet,

si nous poussons notre raisonnement au bout et si nous nous appuyons sur les

éléments cités ci-dessus, Jésus était destiné à ce champ. Après tout, Jésus est

mort sur le bois lieu de malédiction121, suite à une condamnation. Sa place

serait donc, bien évidemment, dans la perspective des anciens et des prêtres,

destinée à être parmi les maudits, avec Judas122.

Deux autres idées présentent le nom de ce « champ du sang » lié à la

personne de Judas de son vivant ou aux circonstances de sa mort.

La première thèse s’appuie sur le nom de Judas l’Iscariote et sous-

entend que ce dernier était un brigand zélote ayant pris les armes contre

114

Jr 7.32 115

J. CHAINE, « Géhenne »…, col. 571-572. 116

L’image de la Géhenne provient de cette vallée avec toutes les descriptions qui s’y rapportent. Idem, col. 573. 117

1S 31.4 ; 2S 17.23 118

A. KUEN, Encyclopédie des difficultés bibliques : Evangiles et Actes, Saint-Liéger (CH), Emmaüs, 2002, p. 287. 119

J. CHAINE, Op. cit., col. 577. 120

V. MORA, La symbolique…, p. 167. 121

Dt 21.22-23 ; Ga 3.13 122

En 1920, Loisy a bâti tout un roman sur le fait que Jésus fut en réalité jeté dans le charnier d’Akeldama. Cf. A. LOISY, Les Actes des apôtres, Paris, E. Noury, 1920, p. 177. Cf. note n°74.

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l’occupant romain. Judas était donc un homme qui n’hésitait pas à faire couler

le sang d’où cette appellation123.

La deuxième thèse s’appuie sur le texte de Luc124 et présente cette

appellation comme le lieu où Judas est mort suite à un accident.

A travers tout les sens que dégage ce lieu, on peut comprendre le lien

qui existe entre Judas, le traître125 et le « champ du sang ». Lorsque Matthieu

cite ce dernier, il ne peut se limiter à une lecture d’un lieu géographique. Il

nous faut prendre en compte tout ce contexte historique et symbolique. Il est

aussi alors plus facile d’imaginer ce contexte folklorique126 qui entoure le récit à

la lumière de ces éléments.

Brown127 va encore plus loin en affirmant que l’emplacement

géographique de ce lieu n’a pas d’importance mais que Matthieu a voulu

exprimer la place de Judas, celle du châtiment de la damnation. Benoît infirme

cette idée. Il présente ce lieu en disant qu’il est le lieu maudit montré du doigt

pour dire : « c’est le champ de Judas ! ». Cet accent mis sur la malédiction est

la volonté de Luc dans le récit des Actes mais non celle de Matthieu.

Il est ainsi difficile de se positionner très clairement face à l’intention de

Matthieu. Nous ne pouvons, à partir des éléments déjà recueillis jusqu’ici, nous

prononcer définitivement.

Annonce prophétique eschatologique

Selon plusieurs auteurs, une autre dimension est sous-entendue dans

ce texte. Il s’agit de la dimension prophétique eschatologique. Il semble

intéressant d’aborder cette dimension appliquée uniquement au « champ du

sang ». Comme nous l’avons déjà cité, Roux présente la vallée comme un

monument commémoratif et accusateur face à Israël. Ce champ revêt donc le

123

Iscariote donne en latin sicarii (« sicaires », « homme au couteau ». Cf. A. PAUL, « Judas l’Iscariote », Dictionnaire de la théologie chrétienne, Paris, Encyclopaedia Universalis, Albin Michel, 1988, p. 491. 124

Ac 1.18 125

Mora remarque que Judas est toujours nommé par Matthieu comme le dernier dans l’énumération des disciples. De plus, il est à chaque fois fait mention de « celui qui le livra ». Il y a une claire volonté de Matthieu de faire passer Judas pour le traitre. Cf. V. MORA, La symbolique…, p. 164. 126

Cf. H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 106. 127

Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 725.

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même caractère que cette vallée. Il est là pour marquer la pérennité de cette

malédiction qui plane sur Judas mais aussi sur Israël128. Il est donc une

préfiguration du jugement dernier129 et de lieu de jugement130. Cette idée est

confirmée par les textes midrashiques131 qui voient en ce lieu la damnation.

Pour Hilaire de Poitiers, l’enchaînement de l’achat avec les trente

pièces d’argent, champ du potier et champ du sang a une valeur typiquement

prophétique. Pour ne pas trahir l’explication de l’auteur nous citerons ses

propres termes.

« C’est là un grand mystère prophétique et il y a dans les actes d’impiété une préparation pleine d’une vertu extraordinaire. L’œuvre du potier est de façonner des vases avec de l’argile et il est en son pouvoir de disposer de l’argile soit pour en façonner un plus beau. Champ est le nom du siècle, nom contenu dans les paroles mêmes de notre Seigneur. Avec le prix payé pour le Christ, on achète le siècle, c’est-à-dire on acquiert tout son bien et on l’assigne à la sépulture des étrangers indigents. Rien de cela ne concerne Israël et tout ce profit de l’achat du siècle est destiné à ceux d’ailleurs, ceux qui seront ensevelis au prix du sang du Christ, sang qui sert à acheter toutes choses. Il a en effet reçu du Père tout ce qui est au ciel et sur la terre, et si ce monde est le champ d’un potier, c’est parce que tout appartient à Dieu qui a le pouvoir de nous façonner de nouveau au gré comme un potier. Dans ce champ ainsi morts et ensevelis avec le Christ, nous obtiendrons le repos éternel de notre voyage d’ici-bas. Pour nous l’assurer est insérée la prophétie de Jérémie, de manière que l’autorité d’une voix divine d’autrefois se manifeste dans l’accomplissement de ce menu fait132. »

Ainsi pour Hilaire, il semble évident qu’il y ait une dimension

prophétique à ce texte. Non pas seulement dans le fait que Matthieu cite un

texte de l’AT mais aussi parce que tout ce récit est une construction avec un

objectif prophétique. Cette position est fort discutable ; cependant elle ouvre

des pistes intéressantes. Le fait que Judas soit cité dans ce passage de Mt

27.3-10 a-t-il un intérêt quelconque ? Ce champ est-il une métaphore de notre

monde souffrant comme le sous-entend Hilaire de Poitiers ?

128

H. ROUX, L’Evangile du Royaume…, p. 279. 129

Jl 4.12 130

En référence au « champ du potier », Cocagnac exprime l’idée que ce lieu où la terre est foulée pour être ameublie est un lieu de jugement. Cet acte est sans aucun doute une image du jugement divin. Cf. M. COCAGNAC, Les symboles bibliques, Paris, Cerf, 1993, p. 270. 131

Le Midrash Rabba sur l’Ecclésiaste : Qohélet Rabba (Textes fondateurs de la tradition juive), trad. S. André, Paris, Nouveaux Savoirs, 2005, p. 128. 132

HILAIRE DE POITIERS, Sur Matthieu (SC 258), t. II, trad. J. Doignon , Paris, Cerf, 1979, p. 247.

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Le « champ du potier »

Avant de s’appeler « champ du sang » ce dernier est présenté en Mt

27.7 comme le « champ du potier ». Il est intéressant, au vu des éléments

évoqués dans le point précédent, que si ce lieu est une image de malédiction,

ce n’est pas en raison de son apparence mais pour les pratiques qui s’y sont

déroulées. Contrairement à une idée première, ce lieu est un des plus

verdoyants133 de Jérusalem car au sud et donc au confluent de rivières et de

sources d’eau. On comprend alors pourquoi il va devenir la région des potiers.

Benoît134 va décrire en détails quelles ont pu être les applications et l’origine

étiologique de ce terme « champ du potier ». Pour cet auteur, tout le contexte

de cette région géographique a fortement favorisé l’implantation des potiers135,

mais aussi d’autres corps de métiers.

Matthieu136 laisse sous-entendre qu’à la suite du rachat de ce champ

par les grands prêtres, il va devenir non plus seulement le « champ du potier »

mais le « champ du sang ». Ceci semble surprenant avec ce que nous avons

dit précédemment sur cette « vallée de la tuerie ». Bien évidemment, il nous

faut faire une distinction entre la vallée toute entière et une partie de cette

vallée, le « champ du sang ». Cependant nous sommes en droit de nous poser

la question de savoir si cette appellation est devenue une réalité à partir de la

mort de Judas ou si elle n’était pas antérieure à cet événement ? Comme le

relève Brown137, Matthieu utilise des articles bien définis pour parler de ce

« champ du potier ». Il fait donc référence à un champ bien connu de l’histoire

de la cité. Toutefois, il semble que ce champ soit davantage connu comme

étant le champ pour les sépultures des étrangers. Nous ne pouvons ainsi

trancher en disant qu’il s’agit de l’un ou de l’autre. Le fait que ces notions de

« champ du sang » et « champ du potier » se croisent et se recroisent dans le

texte, nous laisse sous-entendre qu’à notre tour, nous ne pouvons les dissocier

l’une de l’autre. Il nous faudra donc les considérer ensemble.

133

C’est un endroit où il y a une humidité naturelle et donc une végétation. C’est l’endroit le mieux arrosé de Jérusalem. Cf. J. CHAINE, « Géhenne »…, col. 574. 134

P. BENOIT, Exégèse et théologie…, p. 352-359. 135

L’eau, élément essentiel pour le travail de la terre, le vent (jonction de plusieurs vallées = effet venturi) comburant nécessaire pour les fourneaux qui vont cuire la terre. 136

Mt 27.7-8 137

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 724.

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Revenons à présent sur le problème de traduction que nous avons

évoqué en parlant du korbanas138. Selon la plupart des commentateurs

bibliques, dont Mello139, il y a une confusion dans la lecture hébraïque qui lit

oçar (trésor) au lieu de yoçer (potier ou fondeur)140.

Sabourin141 présente cette erreur de lecture comme étant une erreur

des prêtres qui ont changé l’appellation « trésor » par celle de « potier ». Ainsi,

il y aurait une combinaison de deux traditions. L’une parlerait du « potier » et

l’autre du « korbanas ».

Sur ce problème de traduction nous trouvons presque toutes les

thèses envisageables. Nous ne citerons, que celles qui nous paraissent les

plus pertinentes.

Pour Legasse142, il y a confusion des termes. Korbanas a été traduit à

tord par « trésor » et il faut y voir davantage le mot « potier ». Pour lui, tout le

contexte de lecture, et notamment la référence à l’histoire de Jérémie, et donc

à l’accomplissement de la prophétie, conforte cette idée. Malgré des

arguments forts avancés par Légasse en faveur d’une erreur de traduction,

nous ne pouvons mettre de côté l’hypothèse selon laquelle Matthieu parle

aussi de manière figurée. En effet, le refus des prêtres et des anciens de

mettre l’argent dans le Korbanas est, en soi, une révélation que cet argent

n’est pas honnête143, qu’il est le salaire d’une faute ou d’une action

malhonnête. Pour ces raisons nous resterons donc ouverts et nous

privilégierons cependant l’argumentation en faveur de Korbanas et du

« potier » comme deux éléments distincts.

138

Le Korbanas a été interprété selon les versions de différentes manières. « Trésor » (TOB, 10e

éd., Paris, Villiers-Le-Bel, Cerf, Société Biblique Française, 2004) ; « Korbanas » (NBS). Le lieu où se déroule l’action est aussi difficile à définir exactement. On parle de « temple » (La Bible : Thompson dite à la Colombe, F. C. Thompson (éd.), Miami, Vida, 1990.), « à coté du sanctuaire » (TOB), ou du « sanctuaire » lui-même (NBS). Ces différentes traductions possibles laissent ouverte la question exacte du lieu où se déroule la scène. Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 720-721. 139

Cf. A. MELLO, Evangile selon saint Matthieu (LeDiv 179), Paris, Cerf, 1999, p. 469. 140

Nous reviendrons plus en détails sur les différentes traductions dans notre troisième chapitre. 141

Cf. L. SABOURIN, L’Evangile selon Saint Matthieu et ses principaux parallèles, Rome, Biblical Institute Press, 1978, p. 367. 142

Cf. S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 228-229. 143

Cf. J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 246-255.

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Pour Jérôme144 cela ne fait aucun doute ; il faut lire « champ du

potier » car Christ est notre potier. Il y a donc pour lui tout un montage imagé à

saisir au travers du texte d’Es 64.7.

Pour Mello145, il y a un montage littéraire qui, d’une certaine manière, a

pour objectif de renvoyer le lecteur aux textes de Jérémie146 et de Zacharie147

que nous aborderons dans notre troisième chapitre. Dans cette même veine,

Sabourin148 confronte ces deux traditions, traductions. Selon lui, Matthieu a,

sans aucun doute, la volonté de révéler la dimension prophétique de notre

passage et de l’inscrire dans une dimension globale et non pas seulement de

relater un événement ou un fait ponctuel.

De l’histoire à l’accomplissement de la prophétie

Au travers de ce chapitre, nous avons vu deux notions principales qui

sont les «trente pièces » et le « champ du sang ». Même si nous n’avons pu

nous y attarder davantage, nous avons pris conscience que la mort de Judas,

évoquée par Matthieu, a des implications et des origines plus larges que la

trahison de Jésus par Judas. Pour comprendre ce texte en profondeur, il nous

faut donc dépasser les limites d’une étude trop restreinte. C’est tout l’enjeu de

notre travail : dépasser les a priori souvent liés à la personne de Judas et aller

plus en avant dans l’étude et la compréhension globale de ce passage.

Pour Brown149, toute la lecture de ce passage de Mt 27.3-10 tend vers

les textes de Jérémie et de Zacharie. Pour lui l’ensemble du vocabulaire, de

manière subtile ou de manière plus directe, a pour objectif de faire aboutir le

lecteur à une relecture de l’histoire de Judas à travers celle du peuple d’Israël

dans l’AT. Ainsi, la plupart des termes employés que nous avons étudiés

(« trente pièces », « champ du sang », champ du potier », etc.) tendent vers

cette même idée.

144

JEROME (Saint), Commentaire sur S. Matthieu (SC 259), t. II (livres III-IV), trad. E. Bonnard, Paris, Cerf, 1979, p. 277. 145

Cf. A. MELLO, Evangile selon saint Matthieu…, p. 469. 146

Jr 18.1-10 ; Jr 19.1-11 ; Jr 32.6-10 147

Za 11.12 148

Cf. L. SABOURIN, L’Evangile selon Saint Matthieu…, p. 368. 149

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 723.

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Tous les éléments que nous avons abordés précédemment vont donc

nous permettre de rentrer dans le cœur de notre sujet : la citation

d’accomplissement de Mt 27.9-10.

Ainsi le passage que nous allons à présent étudier dans ce troisième

chapitre va devoir être considéré comme la pointe de notre étude, comme le

but originel recherché par l’auteur pour transmettre au lecteur un message

particulier qu’il nous reste à découvrir.

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Chapitre 3

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3. L’accomplissement de la prophétie

Au travers du parcours que nous avons proposé, nous avons pu

réaliser l’impossibilité d’aborder les versets 9 et 10, qui parlent précisément de

l’accomplissement de la prophétie, sans prendre en compte le début de ce

récit.

Le précédent chapitre nous a ouvert des pistes de réflexion et apporté

des éléments de réponses. Mais, il ne nous permet pas pour autant de

comprendre l’ensemble de ce passage qui traite de la mort de Judas.

En réalité, et comme nous l’avons déjà cité auparavant, tout converge

dans ces versets 9 et 10. C’est la pointe de notre péricope. Le cœur de

l’enseignement proposé par le rédacteur.

Afin de proposer un ou des éléments de réponse par rapport à notre

problèmatique, nous allons développer ce nouveau chapitre en trois étapes.

Dans un premier temps, nous essayerons de placer cette prophétie dans la

perspective proposée par Matthieu. C’est à dire dans un accomplissement de

ce qui a été annoncé par le prophète Jérémie. Ainsi, nous verrons toute la

complexité liée à cette prophétie et les multiples rappels auxquels elle renvoie.

Dans un deuxième temps, nous présenterons différentes perspectives et les

objectifs liés à cette citation d’accomplissement. Enfin, dans un troisième

temps, nous proposerons une approche du texte à la lumière de la

narratologie.

L’origine jérémiaque de la citation

Jérémie ou Zacharie

Matthieu est parcouru d’un bout à l’autre par des citations

d’accomplissement. Elles sont selon Bultmann150, la volonté de l’auteur de

démontrer le caractère unitaire de son évangile.

Matthieu présente, pour la majorité des témoins que nous

possédons151, l’accomplissement d’une prophétie de Jérémie. Cela n’étonne

150

R. BULTMANN, L’histoire de la tradition synoptique…, p. 434. 151

Cf. 1.3.

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guère le lecteur qui a l’habitude de voir dans cet évangile nombre de

références à Jérémie152 et à l’AT153.

Ce qui surprend en revanche c’est l’absence de référence explicite

d’un passage. En effet, il n’est pas problématique de faire un lien entre

l’histoire qui nous concerne et des passages de Jérémie. Ce qui est

problématique c’est de savoir à quel passage Matthieu fait écho. Plusieurs

auteurs154 présentent trois passages qui peuvent être mis en lien avec

l’ensemble de notre péricope.

Jr 18.1-12 : Parabole du potier qui ne donne aucun point d’appui

pour l’achat du champ et pour l’argent.

Jr 19.1-11 : Le Seigneur charge le prophète d’acheter une

cruche et de se rendre dans la vallée de Ben-Hinnôm.

Jr 32.6-10 : Jérémie achète un champ à la demande de Dieu

pour la valeur de 17 sicles d’argent.

Cependant nous devons constater que nous retrouvons des éléments

de notre citation d’accomplissement beaucoup plus explicites chez le prophète

Zacharie.

« Je leur dis : Si bon vous semble, donnez-moi mon salaire ; sinon, ne le faites pas. Ils pesèrent pour mon salaire trente pièces d’argent. Le Seigneur me dit : verse-le au trésorier (au « potier »), ce prix magnifique auquel ils m’ont apprécié ! Je pris les trente pièces d’argent et je les jetai au « potier », dans la maison du Seigneur. Puis je brisai mon second bâton, « Union », pour rompre la fraternité entre Juda et Israël155. »

Il semble donc problématique de dire que la citation des versets 9 et

10 de Matthieu est uniquement à attribuer au prophète Jérémie. De plus,

Zacharie est, lui aussi, régulièrement cité par Matthieu. Même si de

nombreuses citations dans l’évangile selon Matthieu laissent sous-entendre

une référence à Zacharie, elles ne sont pas toutes facilement identifiables.

152

Cf. M. F. WHITTERS, « Jesus in the Foosteps of Jeremiah », CBQ Vol. 68 N°1 (2006), p. 229-247. 153

Meynet compte trente-neuf citations de l’AT dans l’évangile de Matthieu. Cf. R. MEYNET, Traité de rhétorique biblique (Rhétorique sémitique IV), Paris, Lethielleux, 2007, p. 380. Pour approfondir le sujet des citations dans l’évangile de Matthieu, cf. J. MILER, Les citations d’accomplissement…. 154

H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 108 ; M. F. WHITTERS, Op. cit., p. 237-238. 155

Za 11.12-13 Pour plus de détails entre la citation de Mt 27.9-10 et Za 11.12 cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 727-729 ; S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 236-240. Ces deux auteurs mettent en parallèle, chacun à sa manière, notre traduction contemporaine de Mt 27.9-10, le TM et de le texte de la LXX.

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Nous voudrions citer celles qui semblent les plus avérées156 : Mt 21.5 et Za

9.9 ; Mt 26.15 et Za 11.12 ; Mt 26.31 et Za 13.7.

Benoit157 va plus loin en disant que le texte de Zacharie est le texte

source de cette citation. Pour ce dernier, les éléments retrouvés chez Jérémie

ne viennent que retoucher le texte de base de Zacharie.

Alors, Matthieu se serait-il trompé en attribuant à Jérémie une

prophétie annoncée par Zacharie ? C’est du moins ce que pense la majorité

des auteurs158. Pour autant, cette thèse ne nous satisfait que partiellement.

Même si elle semble évidente au premier abord, nous pourrions avoir une

démarche similaire auprès de Jérémie si Matthieu avait cité comme auteur le

prophète Zacharie. Comment se fait-il qu’aucune mention de l’achat d’un

champ ne figure dans le texte de Zacharie ? De plus, il n’y a, chez Zacharie,

aucune référence explicite faite à Israël, comme elle est faite par Jérémie.

Il nous paraît donc intéressant de poursuivre nos investigations sans

nous contenter des propos de la « majorité » des auteurs.

Une autre thèse facilite la compréhension de cette difficulté. Van

Segbroeck159 propose de parler de texte « hybride ». Pour ce dernier, nous

avons affaire à un mélange de textes de la LXX, de textes massorétiques, de

targums, de littérature rabbinique, de littérature apocalyptique. Brown160

reprend cette même idée en parlant, pour sa part, d’un texte utilisant des

« citations composites ».

Selon Dodd161, il apparaît évident que Zacharie et Jérémie sont des

auteurs que l’on retrouve dans les testimonia. Il nous paraît important ici

d’ouvrir une parenthèse et d’expliquer ce que sont les testimonia, grâce à une

citation de Dodd.

156

S. LEGASSE, Le procès de Jésus : La passion…, p. 220. 157

P. BENOIT, Exégèse et théologie…, p. 349. 158

JEROME (Saint), Commentaire sur S. Matthieu…, p. 279 ; H. ROUX, L’Evangile du Royaume…, p. 279 ; P. BENOIT, Op. cit., p. 349. Pour Gaide, la référence est attribuée à Jérémie au lieu de Zacharie car ce dernier est moins connu et donc n’aurait pas le même retentissement que Jérémie qui bénéficie d’une grande notoriété. En citant Jérémie, Matthieu se donnerait plus de crédit. G. GAIDE, Jérusalem, voici ton roi (LeDiv 49), Paris, Cerf, 1968, p. 184. 159

F. VAN SEGBROECK, « les citations d’accomplissement dans l’Evangile selon saint Matthieu d’après trois ouvrages récents», L’Evangile selon Matthieu : Rédaction et théologie, M. Didier (éd.), Gembloux (B), J. Duculot, 1972, p. 109. 160

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 730. 161

Ch. H. DODD, Conformément aux écritures (Parole de Dieu), Paris, Seuil, 1968, p. 64-65.

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« La méthode consistait d’abord à sélectionner certaines grandes sections de l’Ancien Testament, spécialement d’Isaïe, de Jérémie, de certains petits prophètes et des psaumes. Ces sections étaient considérées comme des ensembles et on en citait des versets ou des phrases pour renvoyer à tout le contexte plutôt que pour les utiliser directement comme testimonia. En même temps, des phrases isolées d’autres passages de l’Ancien Testament pouvaient être invoquées pour illustrer ou éclairer le sens de la section principale. Mais pour les passages fondamentaux, c’est le contexte global qui est visé et constitue la base de la démonstration162. »

Notre texte peut très bien avoir été écrit sous l’influence de ces

testimonia. Nous ne pouvons cependant l’affirmer. Il semble toutefois évident

que l’on ne peut dissocier les influences de Jérémie et de Zacharie sur le texte

de Matthieu. Certains163 affirment que Matthieu s’inspire de Jérémie et/ou de

Zacharie. Nous ne pouvons être aussi catégorique.

De plus, en utilisant des parties de l’AT, les auteurs du NT restent

selon Dodd164, fidèles à l’intention première des rédacteurs. Même s’il est facile

de trouver des variantes, voire de ne pas arriver à faire coïncider des textes, la

transposition ne trahit pas la visée initiale. Finalement, ce n’est pas tant la

citation qui est importante mais davantage le ou les contextes auxquels elle se

rapporte. La fidélité des mots ou des termes est mise au second plan pour

mettre l’accent sur le message de fond, d’une situation ou d’une époque que la

citation d’origine voulait annoncer165.

Cette vision des testimonia, appliquée directement à notre texte, est

une analyse cohérente et judicieuse car elle implique une présentation

globale166 de l’Ecriture qui, du début à la fin, concerne l’histoire d’Israël167. Pour

Gaide168, cet procédé de Matthieu est une forme d’exégèse pratiquée par

beaucoup en son temps. Cette analyse rappelle d’ailleurs celle qui existe

162

Ch. H. DODD, Conformément aux écritures…, p. 126. 163

Selon Kuen, la prophètie de Zacharie est une répétition des prophéties de Jérémie. Cf. A. KUEN, Encyclopédie des difficultés…, p. 288. 164

Ch. H. DODD, Op. cit., p. 129-130. 165

M. REMAUD, Evangile et tradition rabbinique (Le livre et le rouleau 16), Bruxelles, Lessius, 2003, p. 179. 166

Vision globale qui sous-entend une visions de l’AT et du NT 167

Ch. H. DODD, Op. cit., p. 132.. 168

G. GAIDE, Jérusalem…, p. 185.

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toujours dans le monde rabbinique169. Pour les rabbins, tout est inter-relié dans

les Ecritures. Sans aucun problème, on peut mettre en relation des versets du

Pentateuque avec d’autres issus des prophètes170. La volonté première est

donc de s’attacher à l’Ecriture dans sa globalité171. C’est tout l’enjeu de

l’exégèse midrashique qui permet une réécriture en paraphrase du texte

original en y incorporant des modifications de syntaxe et de structure sans

pour autant changer son sens premier172.

Cette vision d’ensemble semble davantage prendre en compte toute la

citation d’accomplissement des versets 9 et 10 mais aussi tout le passage qui

y est lié (Mt 27.3-10). Matthieu oriente ce texte non pas sur un simple fait

historique, « Judas se donnant la mort », mais sur une signification beaucoup

plus complexe.

Nous pouvons dire en conclusion de ce point que Matthieu s’est très

certainement inspiré tout autant de Jérémie que de Zacharie. Matthieu a certes

pris des libertés par rapport aux textes d’origine mais n’en a pas pour autant

trahi le fond. En attribuant cette citation à Jérémie nous ne pouvons constater

une erreur ou une confusion. Il s’agit d’une volonté particulière de mettre

l’emphase sur une situation précise vécue et annoncée par le prophète

Jérémie173. A la lumière de ce que nous venons de voir, il nous semble

nécessaire de consulter le livre de ce prophète important pour Israël en son

temps, et pour nous aujourd’hui, pour mieux comprendre la citation

d’accomplissement.

169

Beaude voit dans cette pratique de Matthieu le comportement des prophètes qui sont à la fois fidèles à l’Ecriture et très libres avec son utilisation. Pour cet auteur, cette liberté est donnée par le fait que le Dieu d’Israël est le même que le Dieu de Jésus-Christ. P.-M. BEAUDE, L’accomplissement des écritures (CFi), Paris, Cerf, 1980, p. 259-260. Pour plus de détails sur une lecture rabbinique, on peut aussi se référer à la Halakha qui est une sorte d’exégèse. Elle a pour objectif d’appliquer des règles logiques simples en interprétant les textes les uns par rapport aux autres. Pour plus de détails cf. G. WIGODER (dir.), Dictionnaire encyclopédique…, p. 459-470. 170

P. LETOURNEAU, « L’exégèse rabbinique », Entendre la voix du Dieu vivant : Interprétations et pratiques actuelles de la Bible (LeBi 41), L. Duhaime, O. Mainville (dir.), Montréal, Paris, Médiaspaul, 1994, p. 100. 171

Idem, p. 109. 172

Idem, p. 103. 173

Mello reconnaît que même si le processus semble obscur Matthieu avait bien à l’esprit Jérémie. Pour cet auteur il n’y a pas de doute possible. Cf. A. MELLO, Evangile selon saint Matthieu…, p. 470. Pour Knowles, le fait que la citation soit donnée sous le nom de Jérémie caractérise le tout comme étant typique du contexte de Jérémie. Cf. M. KNOWLES, Jeremiah in Matthew’s Gospel : The Rejected Prophet Motif in Matthaean Redaction (JSNT, Supplement Series 68), Sheffield, JSOT Press, 1993, p. 77.

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Les enjeux de Jérémie

Jérémie est le prophète de tous les contrastes. Il annonce les oracles

de lutte et de courage, de tourments et de bonheur, de rejet et de solidarité, de

déceptions et d’espoirs, de doutes et de passion174. Derrière Jérémie et sa

souffrance, il ne faut pas seulement voir un homme mais tout un peuple.

Derrière le « je » se profile la plainte de Juda et de Jérusalem175. On peut

souvent y déceler aussi la plainte de Dieu. En effet, le rédacteur joue sur cette

ambiguïté et confond maintes fois Jérémie et Dieu176. Dans cette perspective

nous verrons au paragraphe suivant le lien possible entre Jérémie et Jésus.

Pour lors, nous voudrions dresser un tableau non exhaustif de la théologie de

Jérémie177. Nous nous attarderons principalement sur les points faisant

référence à notre citation d’accomplissement annoncée par Matthieu. Nous

allons essayer de comprendre les raisons pour lesquelles Matthieu a choisi de

citer ce prophète et quelles en sont les implications pour notre texte.

Jérémie est originaire d’Anatoth178. Il est d’une famille sacerdotale179.

Son ministère est présenté comme le plus long de tous les prophètes

écrivains180. Jérémie est souvent vu comme un nouveau Moïse du fait que l’on

peut rapprocher de manière significative le récit de vocation de Jérémie (Jr 1)

et de Moïse (Ex 3).

Jérémie est souvent annoncé comme un prophète de malheur, de

démolition181. Cette idée vient du fait que son livre s’achève avec la destruction

de Jérusalem182. Or, pour plus d’objectivité, il devrait aussi être présenté

174

J.-P. PREVOST, Pour lire Les Prophètes, Ottawa, Paris, Novalis, Cerf, 1995, p. 107. 175

Idem, p. 109. 176

Idem, p. 124. 177

Nous sommes conscient des limites de ce développement. Ce dernier n’a pas pour vocation d’étudier dans sa globalité le livre de Jérémie, même si cela apporterait une grande richesse à notre travail, mais de nous donner des éléments précis mis en lien avec l’annonce prophètique proposée par Matthieu. Pour plus d’informations sur le livre de Jérémie, cf. Th. RÖMER, « Jérémie », Introduction à l’Ancien Testament (MoBI 49), Th. Römer, J.-D. Macchi, Ch. Nihan (éds.), Genève, Labor et Fides, 2004, p. 345-357. 178

Ville de la tribu de Benjamin (Jos 21.18 ), située à 5km au nord-est de Jérusalem. 179

Dans Mt 1, Jésus est présenté comme descendant de David, famille royale. En revanche dans Hé 7 Jésus est présenté comme un sacrificateur, mission sacerdotale. 180

Ce ministère s’étend sur trois rois : Josias (640-609), Yoyakîm (609-598), et Sédécias (497-587). Cf. J.-P. PREVOST, Op. cit., p. 109. 181

Cf. NBS…, p. 939. 182

Jr 52

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comme le prophète de la construction et de l’espoir. Certes les deux facettes

du prophète resurgissent tour à tour mais il faut constater que lorsque Jérémie

parle de démolition c’est pour mieux construire. Nous en prenons pour preuve

le tableau comparatif présenté conjointement par Bonvin, Clerc et Gallay183.

L’analyse minutieuse des termes permet de constater la volonté de Jérémie de

construire184. Le texte de Jr 18.1-6 présenté par Bourguet comme « la

métaphore de l’argile et du potier »185 en est aussi l’illustration. Ce même texte

est aussi une référence clé de notre citation d’accomplissement.

Pour Clerc186, l’épisode de la « cruche brisée » (Jr 19.1-15) fait

interagir Dieu, Jérémie, les anciens du peuple et les prêtres. Pour cet auteur,

deux éléments clés se dégagent : la notion de « guérir » et de « réparer ».

Matthieu inclut des éléments de ce passage dans sa citation

d’accomplissement. Nous voulons faire remarquer qu’au-delà de la proposition

de réparer et de guérir faite au peuple les acteurs concernés par cet

événement sont les mêmes que ceux cités dans Mt 27.3. Ceci nous interpelle

sur le rôle exact des anciens et des prêtres dans cette prophétie. Se pose

aussi la question de la superposition des rôles de Jérémie et de Judas.

Jérémie se distingue en présentant une nouvelle alliance entre

Israël187 et Dieu. Cette dernière marque, selon Prevost188, une rupture avec

l’ancienne alliance, principalement en quatre points.

La nouvelle alliance avec la communauté d’Israël sera

inscrite « dans leur être », plutôt que dans leur chair.

Les deux partenaires, Dieu et la communauté, existeront « l’un

pour l’autre et l’un par l’autre ».

183

Cf. B. BONVIN, D. CLERC, R.-M.GALLAY « la vocation : Jérémie 1.4-19 », Jérémie : Un prophète en temps de crise (EssBib 10), R. BLANCHET, et al., Genève, Labor et Fides, 1985, p. 55. 184

L’apôtre Paul, qui se veut héritier de Jérémie (élu lui aussi avant sa naissance), fait sans cesse référence à la construction. Il reprend en 1Co 3 les thèmes récurents chez Jérémie de « planter » et de « bâtir » et en 1Co 14 le thème de « construire ». Cf. M.-A. CHEVALLIER, Esprit de Dieu, paroles d’hommes : Le rôle de l’esprit dans les ministères de la parole selon l’apôtre Paul (BT(N)), Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1966, p. 45. 185

D. BOURGUET, Des métaphores de Jérémie (EtB 9), Paris, Lecoffre, 1987, p. 270-286. 186

D. CLERC, « Des actes pour parler », Jérémie : Un prophète en temps de crise (EssBib 10), R. BLANCHET , et al., Genève, Labor et Fides, 1985, p. 145. 187

Israël comprend ici le peuple dans sa dimension complète : la maison d’Israël et la maison de Juda. Cf. Jr 31.31-32 188

J.-P. PREVOST, Pour lire Les Prophètes…, p. 129-130.

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« Ils me connaîtront tous ». Chacun pourra avoir accès à la

connaissance de Dieu.

« Une alliance de pardon ». La nouvelle alliance sera éternelle

et non plus conditionnelle.

Pour Abecassis189, l’une des ruptures majeures annoncées par

Jérémie repose sur le fait que la recherche de Dieu ne passe plus par une

dimension collective mais par une dimension personnelle, individuelle. Pour cet

auteur, Jérémie traduit cette nouvelle dynamique par l’achat d’un champ au

moment de la débâcle et de la destruction de Jérusalem et du Temple par les

Babyloniens. Ce champ correspond à celui cité par Matthieu dans la prophétie

de Mt 27.9-10. Nous reprendrons cette idée dans la suite de notre travail.

Cependant, nous pouvons déjà noter la volonté de différencier la trahison de

Judas de celle des anciens et des grands prêtres.

Si nous devions résumer la théologie de Jérémie en une phrase, nous

retiendrions la formulation de Briend. Pour ce dernier, Jérémie développe en

effet une théologie de la « Parole de Dieu » et de « l’accomplissement avec

une perspective universaliste »190. Il ne s’agit pas seulement de lire le livre de

Jérémie comme un récit historique d’Israël ou une biographie. Ni de le lire

comme une succession d’appels et de lamentations tournées vers Dieu ou

Israël.

Jérémie a pour vocation un message intéressant tout le peuple de

Dieu. Certes, il concerne Israël pendant les temps de troubles avec Babylone.

Mais il concerne aussi le peuple de Dieu à travers les âges191. Le message de

Jérémie est beaucoup plus large. Il touche toutes les nations et tous les

peuples192.

189

A. ABECASSIS, Judaïsmes : De l’hébraïsme aux messianités juives, Paris, Albin Michel, 2006, p. 141. 190

Cf. J. BRIEND, Le livre de Jérémie (CEv 40), Paris, Cerf, 1982, p. 24. 191

Pour Sabourin, Matthieu a voulu faire une connexion entre le marché de Judas et l’effusion de sang innocent au temps d’Hérode. Cf. L. SABOURIN, L’Evangile selon Saint Matthieu…, p. 367. 192

Jr 1.10, 18.

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Jérémie et Jésus

Lorsque nous lisons le prophète Jérémie, il est difficile de définir

clairement le sujet de chaque action. Ainsi, Dieu et Jérémie semblent en lutte

tour à tour, parfois ensemble, contre Israël193. Nous avons aussi pu constater

que Jérémie est un auteur important pour Matthieu194. Ainsi, Whitters195

n’hésite pas à mettre en relation Jérémie et Jésus. Pour cet auteur, Matthieu

fait référence à la mémoire collective. Il attire l’attention du lecteur sur la vie de

Jérémie qu’il met en lien avec la vie de Jésus de manière typologique. Pour lui,

Jésus marche dans les pas de Jérémie.

Parmi les similitudes proposées entre Jérémie et Jésus par différents

auteurs196, voici les plus évidentes :

Jérémie Jésus

Prototype du prophète rejeté et persécuté par son propre peuple

Jr 18.18, Jr 11.21 Mt 27.20-23

Il est un prophète pour les nations

Jr 1.5 Mt 28.19

Il apporte une nouvelle Alliance

Jr 31.31-34 1Co 11.25 ; Lc 22.20

Notion de complot

Jr 18.18 Mt 26.14-16

Révélation directe est personnelle qui lui donne sa vocation

Jr 1.4-10 Mt 4.16-17

Prédication de la destruction du temple

Jr 6.1-5 Mt 23.38-39 ; 24

Il se lamente et souffre d’être rejeté par son peuple

Jr 8.18-23 Mt 23.37

193

Cf. J.-P. PREVOST, Pour lire Les Prophètes…, p. 107-124. 194

Cf. 3.1.1., Cf. M. F. WHITTERS, « Jesus in the Foosteps of Jeremiah »…, p. 229-247. 195

Idem, p. 230. 196

Nous avons choisi de mettre ces différentes idées sous forme de tableau afin de les rendre plus compréhensibles. Idem, p. 230-247 ; J.-P. PREVOST, Op. cit., p. 130-131.

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Pour ces auteurs, le message est clair. Le tableau réalisé ci-dessus

sert d’ailleurs à le conforter. Jérémie est le type de Jésus. Ce passage de Mt

27.3-10, ne révèlerait pas simplement des similitudes entre Jérémie et Jésus. Il

ne serait pas non plus un simple accomplissement de la prophétie annoncée

par Jérémie. Whitters parle de manière surprenante de la réincarnation de

Jérémie en Jésus197. Bien évidemment nous ne pouvons prendre au pied de la

lettre ce dernier commentaire. Cependant, le lien très fort établi entre Jérémie

et Jésus nous interpelle. Jérémie est-il un prophète, qui comme Jean-Baptiste,

prépare le terrain de celui qui vient après lui198 ? A la lumière de ces éléments

et du point précédent, cela semble clair ! Jérémie annonce la venue de Jésus

et rencontre les mêmes difficultés199.

Mottu200 va aussi défendre l’idée que Jérémie va servir de modèle pour

interpréter le destin de Jésus comme prophète rejeté par les siens mais aussi

comme porteur d’espérance pour tout le peuple.

En abordant les citations d’accomplissement, Beaude201 constate que

les écrivains du NT mentionnent toujours la réalisation de « ce qui est écrit ».

Ainsi, évoque-t-il l’inter-relation des événements. Le passé et le présent sont

liés et concourent au même but : la mort et la résurrection de Jésus. Pour lui,

cette attitude face au texte biblique correspond à celle des prophètes. Ces

derniers marquent une rupture avec leur héritage sans pour autant l’abroger.

Ainsi « le nouveau qu’ils annoncent revêt les formes de l’ancien »202. Cette

analyse suggérée par Beaude, dans un sens très général pour les citations

d’accomplissement, peut être appliquée à la vie du prophète Jérémie et à celle

de Jésus. Ce qui est annoncé par le prophète devient un type de ce qui sera

réalisé plus tard par Jésus lui-même.

197

Cf. M. F. WHITTERS, « Jesus in the Foosteps of Jeremiah »…, p. 240. 198

Mt 3.3 199

Nous pouvons aussi voir des similitudes entre Jérémie, Jésus et Paul. Paul voit dans sa souffrance la poursuite de celle du Christ. Tous trois sont célibataires. Tous trois sont rejetés et persécutés. Tous trois « construisent ». 200

Cf. H. MOTTU, Les « confessions » de Jérémie : une protestation contre le souffrance (MoBI), Genève, Labor et Fides, 1985, p. 170-175. 201

P.-M. BEAUDE, L’accomplissement des écritures…, p. 232. 202

Idem, p. 259-260.

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En abordant l’origine jérémiaque de la citation d’accomplissement

présentée dans Mt 27.9-10, Matthieu ne souhaite pas seulement démontrer

que la prédication de Jérémie va s’accomplir. Nous avons pu saisir combien le

rattachement de cette citation à l’AT est plus complexe et plus vaste qu’il n’y

paraît. Matthieu développe une continuité réelle entre l’AT et le NT. Il démontre

aussi par ce fait une relation typique entre Jérémie et Jésus. Tout ceci aboutit

de manière centrale à un constat. Jérémie et Jésus sont rejetés par le peuple.

Il ne s’agit pas du rejet d’une seule personne, d’un prophète. En réalité il s’agit,

comme le dit Whitters, d’un rejet tacite de Dieu203.

Lumières narratologiques

Au travers de notre étude, furent mises en évidence les multiples

facettes de notre texte. Nous avons exploité diverses pistes de réflexion et

entrevu différents champs d’investigation susceptibles d’ouvrir encore des

terrains inexploités. A ce stade de notre travail, il n’est pas évident pour le

lecteur de comprendre l’enchaînement de toutes ces thématiques et surtout de

comprendre ce texte de manière globale et cohérente.

Nous allons donc, dans cette nouvelle partie, proposer une

interprétation de ce passage de Matthieu. Pour cela, nous allons utiliser la

structure de l’analyse narrative204. Ce choix peut paraître surprenant au

premier abord. Nous allons tenter de démontrer, avec l’appui de plusieurs

auteurs, que nous citerons par la suite, combien le texte de Mt 27.3-10 peut

être interprété de manière plus judicieuse à travers les éléments proposés par

la narratologie. Ainsi, allons-nous, non pas appliquer une analyse narrative

systématique à ce texte, mais dégager des éléments clés permettant de

donner une explication didactique et cohérente à notre passage. Celle-ci sera

construite à partir des éléments déjà élaborés au cours de ce travail.

203

Cf. M. F. WHITTERS, « Jesus in the Foosteps of Jeremiah »…, p. 238. 204

Nous suivrons comme outil de travail le manuel d’initiation proposé par D. Marguerat et Y. Bourquin. Cf. D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques : Initiation à l’analyse narrative, 3

e éd. (1

re éd. 1998), Paris, Genève, Cerf, Labor et Fides, 2004. Nous aurons aussi pour

référence d’autres ouvrages. D. MARGUERAT (éd.), La Bible en récits : L’exégèse biblique à l’heure du lecteur (MoBI 48), Genève, Labor et Fides, 2003 ; D. MARGUERAT (éd.), Quand la Bible se raconte (LiBi), Paris, Cerf, 2003 ; E. PARMENTIER, L’Ecriture vive : Interprétations chrétiennes de la Bible (MoBI 50), Genève, Labor et Fides, 2004 ; J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN, L’analyse narrative des récits de l’Ancien Testament (CEv 107), Paris, Cerf, 1999.

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Dans un premier temps, nous définirons la « clôture de notre récit ».

Cette partie permettra de mettre notre texte dans son contexte et de rappeler

les bases fixées au début de notre travail. Puis, nous identifierons la

problèmatique du récit appellé « l’intrigue ». Nous verrons ensuite les

personnages et leurs interactions. Par ce point, nous découvrirons comment ils

évoluent, se caractèrisent et s’entrechoquent. A la lumière des analyses de

notre deuxième chapitre sera relaté le cadre du récit. Nous définirons ensuite

le « temps narratif » et ses implications sur le rythme de l’histoire. Enfin, nous

aborderons le message sous-entendu par l’auteur, « les chuchotements ».

Nous n’avons bien évidemment pas la prétention de fournir le véritable

sens de ce passage. Nous essayerons tout au moins de saisir, le plus

fidèlement possible la volonté de l’auteur. Cependant, notre approche nous

semble relativement percutante pour changer la compréhension traditionnelle

de ce récit et du personnage de Judas.

La clôture du récit

Lorsque nous avons établi le cadre de notre texte, nous avons suivi le

découpage « classique » proposé par la majorité des bibles. C’est à dire, voir

le récit de la mort de Judas comme une sorte de parenthèse dans celui de la

passion du Christ. Or, nous l’avons vu205, la notion de jugement y est présente

mais pas seulement rattachée à l’histoire de Judas. Elle concerne aussi Pierre

dans le récit précédent206. En réalité, si nous prenons la thématique du

jugement, les acteurs sont plus nombreux. A Judas et à Pierre il est important

de rajouter : Caïphe (Mt 26.57), le sanhédrin (Mt 26.59), Pilate (Mt 27.2), les

grands prêtres et les anciens du peuple (Mt 27.1) ainsi que la foule (Mt 27.20).

Le passage de Mt 27.3-10 n’est donc pas simplement une parenthèse

dans le jugement de Jésus. Notre texte doit être considéré tel un passage du

récit de jugement de Jésus et non pas comme une anecdote mentionnée pour

parler de la mort de Judas. Notre passage commence donc avec l’arrestation

de Jésus (Mt 26.47) et se clôture avec la condamnation à mort de Jésus (Mt

205

Cf. 1.2.2. 206

Cf. R. MEYNET, « Procès de Jésus, procès de tous les hommes », Procès de Jésus, procès des juifs ? (LeDiv hors série), A. Marchadour (éd.), Paris, Cerf, 1998, p. 82.

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27.26). Contrairement au précédent découpage proposé207, nous allons à

présent plus loin dans notre raisonnement en élargissant le cadre narratif.

Mt 27.3-10 doit donc être considéré comme un micro-récit dans le

macro-récit208. Ce dernier se termine, selon Brown209, par la profession

d’innocence de Judas et de Pilate.

L’intrigue

La principale difficulté de notre passage consiste à pouvoir situer

l’intrigue de notre récit. En fonction de l’élément perturbateur ou nœud210 à

définir, nous orienterons notre analyse et donc notre conclusion. La première

lecture du récit pose le problème de la mort de Judas. En réalité, la

problématique se situe à un autre niveau. Le nœud de ce récit n’est pas la

mort, qui, en fait, est une conséquence du vrai problème. Le nœud du récit doit

être centré sur les personnages clés de ce passage : les anciens et les grands

prêtres211. Ces derniers ne s’intéressent pas à la mort de Judas mais à ce qu’il

vient de faire. Judas, en jetant les pièces dans le Korbanas, vient de dénoncer

publiquement la faute et la responsabilité de ces deux groupes de personnes

dans l’accusation frauduleuse opérée contre Jésus. Renotons au passage que

le Korbanas matérialise ce lien de rapprochement212 entre Dieu et l’homme. La

violence du geste de Judas en direction de ce lieu ne fait qu’amplifier la

rupture213 qui est en train de se dérouler entre les différents acteurs de la

scène et Dieu. Ceci confirme aussi la portée typologique de ce texte214.

Le fait que les anciens et les grands prêtres reconnaissent la

malhonnêteté de cet argent prouve leur culpabilité dans cette affaire. Si

l’argent versé n’était qu’une compensation financière ou un salaire pour travail

rendu il aurait pu rentrer sans problème dans le Korbanas. Or, ce n’est pas le

cas. Le vrai problème réside dans l’utilisation de cet argent. Faut-il le mettre

dans le Korbanas ? Mais ceci est interdit par la loi215. Ils décident alors

207

Cf. 1.2.2. 208

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 42. 209

R.E. BROWN, La mort du Messie…, p. 740. 210

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Op. cit., p. 42. 211

Nous nous expliquerons et justifierons sur ce fait plus en détail dans le point suivant. 212

Cf. 2.1.2.3. 213

Pour Martin, ce geste doit être rapproché de celui de la femme qui verse le parfum sur les pieds de Jésus (Mt 26.6-13). L’argent devient le prix d’une perte irréparable pour les juifs. Cf. F. MARTIN, « Mourir », SémBib 53 (1989), p. 18-47. 214

Th. CHARY, Aggée-Zacharie Malachie (SBi), Paris, Librairie Lecoffre, 1969, p. 191. 215

Dt 23.19

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d’acheter un champ pour ensevelir les étrangers. Cet argent impur va donc

servir pour les impurs.

Le nœud de l’histoire, autour duquel est construit ce récit, deumeure

l’argent, comme l’avait remarqué Brown216. Mais au-delà de l’argent, nous

avons vu qu’il ne s’agit pas seulement d’une somme financière mais de la

concrétisation d’un refus217. Celui de reconnaître une erreur de jugement

envers la personne de Jésus218. Refus de reconnaître Jésus comme l’envoyé

de Dieu.

A partir de cette conclusion, nous pouvons élaborer l’intrigue219 de ce

récit.

Nous le voyons dans cette intrigue. Tout découle de la problèmatique

engendrée par l’acte de Judas. La place de cet argent au milieu du temple est

un réel problème pour les grands prêtres et les anciens. Ils ne savent qu’en

faire. La solution trouvée, à savoir, l’achat du champ, nous amène alors, tout

naturellement, à l’accomplissement de la prophétie.

216

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 715. 217

Cf. 2.1.4. 218

Cf. J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 247, 249. 219

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 53-74.

Exposition

Jésus a été condamné.

Judas est pris de remords et

souhaite réparer sa faute

Refus des anciens et prêtres

v. 3

v. 4

Noeud Argent jeté dans le korbanas v. 5

Action

transformatrice

Les grands prêtres

ramassèrent les pièces et

tiennent conseil

v. 6-7a

Dénouement Achat du champ du potier

Champ du sang v. 7b-8

Situation finale Accomplissement de la

prophétie v. 9-10

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Les personnages

Nous avons évoqué les interactions220 existantes entre Judas et les

autres protagonistes de ce récit. Il est en réalité fondamental de revenir sur les

personnages impliqués.

Nous l’avons vu dans dans la partie intitulée « établissement du

texte », le terme e;dwkan peut être traduit de deux manières. Il peut s’agir de la

première personne du singulier comme de la troisième personne du pluriel. S’il

concerne la première personne du singulier, il est fait référence à Judas. En

revanche s’il est fait mention de la troisième personne du pluriel il s’agit des

grands prêtres et des anciens. En proposant une traduction nous avons établi

qu’il s’agissait des grands prêtres et des anciens et nous avons traduit e;dwkan

comme un pluriel. Nous voulons à présent justifier ce choix dans la globalité du

récit et dans une perspective narrative. Si Judas est le sujet principal du récit,

comment comprendre son absence après le verset 5. En contre partie, les

grands prêtres et les anciens sont actifs du début du récit (3) jusqu’à la fin de

celui-ci (10). Cette dernière idée est confirmée par nombre d’auteurs221 qui

semblent considérer Judas comme un personnage ficelle222 sans pour autant

utiliser ce terme. Il est un figurant qui intervient en toile de fond. Ceci n’enlève

pas pour autant le caractère important voire symbolique qu’il revêt223.

Le personnage principal ou plutôt le groupe de personnages est

constitué des anciens et des grands prêtres. Ceux-ci sont les acteurs de notre

passage mais aussi de plusieurs passages liés à la notion de jugement que

nous abordions dans la clôture du récit. Meynet224 note que les grands prêtres

et les anciens sont présents à trois moments clés du jugement de Jésus.

V. 4 : ils repoussent Judas

V. 12 : ils accusent Jésus devant Pilate

V. 20 : ils persuadent la foule.

220

Cf. 1.2.3. 221

J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 249 ; S. LEGASSE, Le procès de Jésus : L’histoire (LeDiv 156), Paris, Cerf, 1994, p. 218, 239 ; R. MEYNET, « Procès de Jésus, procès de tous les hommes »…, p. 78-79. 222

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 77. 223

Cf. 2.1.1.3 224

R. MEYNET, Op. cit., p. 78-79.

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Ils sont, par conséquent, dans notre micro-récit, les personnages

principaux. Matthieu attire donc notre attention sur ces hommes. Les grands

prêtres et les anciens sont toujours représentés comme un bloc unique. Seul le

verset 6 parle des grands prêtres qui ramassent les pièces jetées à terre par

Judas.

Mais qui sont ces grands prêtres et ces anciens ? Sont-ils

représentants d’une catégorie sociale, religieuse ? Sont-ils les représentants

de tout le peuple ? La question est en effet plus délicate qu’il n’y paraît. Il se

profile derrière cette question une interrogation encore plus large. Qui rejette

Jésus ? Ces deux catégories de personnes ? Est-ce Israël ? Est-ce le monde ?

Faire la lumière sur cette question est peu évident. Pour Mora225, il ne

faut pas focaliser le refus de Jésus à une seule partie de la population.

Lorsque l’on parle des grands prêtres et des anciens, en réalité est accusé tout

le peuple, tout Israël. Grands prêtres, anciens et peuple portent la

responsabilité du rejet de Jésus. Pour cet auteur, Matthieu s’adresse en

priorité aux chrétiens. Cet évangile est donc une sorte de « réflexe de

défense »226 face à un peuple osant opprimer ceux qui suivent Jésus. Il faut

donc voir ce passage comme une accusation adressée à Israël mais aussi

comme une mise en garde envers les chrétiens susceptibles d’adopter la

même attitude227. Mora explique la sévérité de Matthieu pour le judaïsme,

comme un moyen d’inculquer aux disciples de Jésus les valeurs les plus

hautes et les plus constantes du judaïsme228.

Pour Miller229, il ne fait aucun doute que les grands prêtres et les

anciens sont responsables de la mort de Jésus230. Du début à la fin, les

rencontres de ces personnages, se déroulent en confrontations perpétuelles.

Cependant même s’ils doivent être tenus pour responsables de sa mort, nous

avons affaire à des personnages divisés en leur for intérieur. Selon lui,

Matthieu décrit des hommes sachant que le Messie annoncé par les prophètes

allait bientôt venir. D’un autre coté, ils sont confrontés à Jésus qu’ils

225

V. MORA, Le refus d’Israël (LeDiv 124), Paris, Cerf, 1986, p. 166. 226

Idem, p. 168. 227

Idem, p. 171. 228

Idem, p. 173. 229

J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 249-256. 230

Pour Knowles, Judas, les grands prêtres et les anciens ont le même degré de responsabilité. Cf. M. KNOWLES, Jeremiah in Matthew’s Gospel…, p. 77.

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considèrent comme un blasphémateur osant transgresser la loi. Nous avons

donc affaire à des hommes responsables mais divisés.

Nous voudrions à présent revenir sur la notion de « prix attribués » au

verset 9. Nous l’abordons à ce moment du travail afin de le mettre en lien

direct avec les acteurs de ce récit.

Comme nous l’avons dit plus tôt231 il ne fait aucun doute que ce terme

fait référence à Za 11.12 où le berger est évalué pour trente pièces d’argent.

Ce passage traite notamment du lien qui unit le pasteur et ses brebis. Il est

donc question de relation, d’appréciation, de reconnaissance mutuelle. Miler232

propose un tableau thématique des liens faits entre Mt et Za 11.

231

Cf. 2.1.4. 232

J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 263.

Mt Za 11

2.6 : Jésus est berger du peuple d’Israël. Il

est envoyé aux brebis de la maison

d’Israël.

4.23 ; 9.35 : Jésus guérit le peuple 11. 16 : Le pasteur insensé ne guérit pas

les brebis

9.36 : Les foules sont harassées et

prostrées comme des brebis sans berger.

Jésus est ému.

11.16 : Le pasteur insensé ne prend pas

soin des brebis

26.15 : Judas demande aux grands prêtres

ce qu’ils veulent lui donner pour qu’il leur

livre Jésus.

11.12 : Le bon pasteur demande aux

représentants du peuple de lui fixer son

salaire.

26.15 : Les grands prêtres estiment Jésus

à 30 pièces d’argent.

11.12 : Les représentants du peuple

estiment YHWH à 30 pièces d’argent.

27.4 : Les grands prêtres ne changent pas

d’avis

11.5 : Les vendeurs égorgent les brebis

d’abattoir et ne changent pas d’avis.

27.5 : Judas jette l’argent 11.13 : Le bon pasteur lance l’argent

27.7 : Les grands prêtres refusent de

verser l’argent 11.13 : Le bon pasteur lance l’argent

27.7 : La somme à laquelle Jésus fut

estimé va au potier.

11.13 : La somme à laquelle YHWH fut

estimé va au potier.

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Miler233 relève de ce tableau deux faits marquants par rapport aux

personnages.

Le pasteur insensé apparaît en opposition avec le personnage

de Jésus.

D’un point de vue narratologique les grands prêtres ont un rôle

plus important que celui de Judas.

A notre avis, les actions du bon berger et de Judas ne sont pas si

éloignées.

Pour revenir à la notion de « prix attribué », il s’avère que le montant

dans Zacharie est fixé par les représentants du peuple. C’est identique chez

Matthieu. En effet, lorsque Matthieu parle des deux groupes, grands prêtres et

anciens, il précise que les anciens sont du peuple234. Nous notons donc ici la

volonté de Matthieu d’identifier non seulement une catégorie de personnes

mais de parler d’un corps représentatif d’une entité plus grande : le peuple de

Dieu235.

Le parallèle entre l’histoire de Joseph et celle de Jésus, que nous

avons déjà mis en rapport236, montre la responsabilité de tous les frères de

Joseph. Même s’il peut être dressé un degré d’implication différent dans leur

trahison, tous sont acteurs dans la vente de leur frère237. C’est ainsi que nous

voulons comprendre l’implication des grands prêtres et des anciens dans la

mort de Jésus. Matthieu ne veut pas stigmatiser une catégorie de personnes. Il

s’agit d’un message beaucoup plus large et complexe qu’il souhaite

transmettre. L’accusation de rejet de Jésus touche tout le peuple à travers ses

représentants, les anciens et les grands prêtres.

Meynet développe une approche complémentaire.

« Sous la plume de Matthieu, les églises judéo-chrétiennes ne chargent pas le peuple juif ; faisant partie intégrante de ce peuple, elles confessent qu’avec leurs chefs – les sanhédrites, mais aussi Pierre et Judas – solidaires de tous les autres membres de leur peuple, ils sont moins excusables que personne – même que le gouverneur Pilate qui détenait le pouvoir de vie et de mort en Palestine – de n’avoir pas su

233

J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 264. 234

Mt 27.1 235

Cette idée est confirmée par Chary. Cf. Th. CHARY, Aggée-Zacharie Malachie…, p. 190. 236

Cf. 2.1.1.3. 237

Gn 37.26-28

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reconnaître et accueillir leur Roi, de l’avoir fait condamner et crucifier238. »

Ainsi, selon Meynet, il ne faut pas voir dans les grands prêtres et les

anciens les responsables directs du rejet de Jésus. Ils ne sont qu’une partie

des protagonistes.

Pour Meynet les évangiles se confirment l’un l’autre.

« Les trois premiers évangiles arrivent à la même conclusion : le procès de Jésus est certainement aussi le procès des juifs, mais il n’en est pas moins celui des païens, et davantage encore celui des disciples même de Jésus : le procès de Jésus est le procès de tous les hommes239. »

Nous partageons cette idée présentée par Meynet. On ne peut tenir les

grands prêtres et les anciens pour seuls responsables. Comme il le constate

chez Matthieu, c’est tout un peuple qui est impliqué. Il ne s’agit pas de définir

un fautif plutôt qu’un autre. Il s’agit encore moins d’accuser le peuple juif d’être

coupable de ne pas avoir reconnu le sauveur annoncé. La participation de

Judas mais aussi, celle de Pierre, de Pilate élargit le niveau de responsabilité à

toute l’humanité en tant qu’enfant de Dieu.

Le cadre

Notre récit se déroule particulièrement dans deux cadres240. Le

premier se situe dans le cadre direct de l’action : le temple241. Le deuxième est

lié à la notion de « champ du sang ». Même si ce deuxième cadre est

seulement évoqué, il influence beaucoup le récit et « l’ambiance » qui y règne.

Nous relevons l’opposition flagrante de ces deux cadres. Le premier

est sacré alors que le deuxième est véritablement empreint de malédiction et

de malheur242. Ce constat exprime tout le tiraillement du texte et la fin funeste

qu’il annonce. La référence à Jérémie et les allusions à Zacharie placent ce

texte dans le même cadre.

Nous ne nous attarderons pas davantage sur ce cadre qui, nous

l’avons vu, peut aussi bien être géographique que symbolique. Mais il nous

238

R. MEYNET, « Procès de Jésus, procès de tous les hommes »…, p. 96. 239

Idem, p. 99. 240

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 99-108. 241

Cf. 1.3. 242

Cf. 2.2.

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faut garder avant tout la perspective prophétique dans laquelle Matthieu

souhaite nous placer.

Le temps narratif

Le temps narratif243 de notre texte est complexe. Matthieu le narrateur

du récit se place, comme dans la plupart des récits, en position

« ultérieure »244. Il observe donc ces événements avec un regard sur le passé.

Notre récit suit un déroulement chronologique à vitesse normale245

mais se trouve cependant morcelé de différentes ruptures.

Mort de Judas : v. 5b

Achat du sang : v.7

Accomplissement de la prophétie : 9-10

Les deux premières ruptures permettent de préciser la conséquence

des événements. Elles renvoient donc à un événement futur plus ou moins

indéterminé car on ignore l’heure et le jour de son application.

La troisième rupture concerne l’accomplissement de la prophétie. Elle

ne fait pas appel à un événement futur du récit mais à un épisode antérieur.

Elle plonge le lecteur dans une relecture de cette histoire à la lumière du

passé.

La citation d’accomplissement nous renvoyant à Jérémie comme à

Zacharie donne un effet répétitif246 au texte. Le parallèle dressé entre Jésus et

Joseph comporte aussi ce caractère répétitif. En prenant connaissance de ce

récit, le lecteur biblique est donc familiarisé avec la situation évoquée faisant

appel à des situations passées similaires.

Cet accent mis par Matthieu sur les similitudes de récits montre son

intention, probablement, de dire que l’histoire ne fait malheureusement que se

répéter. Le peuple de Dieu rejette encore une fois son Dieu247.

243

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 109-127. 244

Idem, p. 109. 245

Idem, p. 111. 246

Idem, p. 125 ; J.-L. SKA, J.-P. SONNET, A. WENIN, L’analyse narrative…, p. 7. 247

Cf. J. MILER, Les citations d’accomplissement…, p. 245.

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La voix narrative et ses chuchotements

Notre texte présente quatre chuchotements248 principaux. La citation

d’accomplissement des versets 9 et 10 présentant plusieurs chuchotements en

elle-même, sera regroupée en une seule partie.

Le premier chuchotement fait référence à une réaction des grands

prêtres. Il s’agit d’une explication. Au verset 6, les grands prêtres ramassent

les pièces d’argent et disent eux-mêmes que cet argent ne peut aller au

korbanas car c’est le prix du sang. Le lecteur est conscient que cet argent n’est

pas « propre ». Mais la réaction des grands prêtres eux-mêmes conforte le

caractère négatif de leur acte. L’auteur, qui n’a très certainement pas assisté

aux événements qu’il décrit, confirme la responsabilité des grands prêtres et

des anciens, bien conscients de leur faute.

Le deuxième chuchotement vient valider la signification du champ du

potier du verset 7. Matthieu confirme que ce champ est bien destiné à

l’ensevelissement des étrangers. Le lecteur d’origine juive ne peut cependant

oublier la référence sous-entendue mais déjà explicite faite au champ évoqué

dans l’histoire de Jr 18.

Le troisième chuchotement renforce les deux points précédents dans

l’appellation « champ du sang ». Il inscrit aussi cette affirmation dans une

dimension temporelle en mettant l’accent sur le fait que, jusqu’à ce jour, ce

champ s’appelle de la même manière.

Nous voyons par ces différents aspects que le texte de Mt 27.3-10 est

tout entier tourné vers une perspective narrative. Pour Marguerat et Bourquin

la formule « alors s’accomplit ce qui avait été dit par l’entremise du prophète.. »

est l’insistance de montrer que rien n’est dû au hasard249. Selon ces derniers,

la référence aux arguments scripturaires a pour objet de greffer l’intrigue « vie

de Jésus » sur l’intrigue unifiante et globale « histoire de Dieu avec Israël »250.

248

D. MARGUERAT, Y. BOURQUIN, Pour lire les récits bibliques…, p. 129-152. 249

Idem, p. 131. 250

Idem, p. 132.

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Cette citation d’accomplissement est donc bel et bien le chuchotement

englobant mais aussi final de ce récit de Mt 27.3-10.

Objectif de la citation d’accomplissement

Pour finir, nous voudrions dans la dernière partie de ce chapitre et en

guise de conclusion élargie, proposer différentes dimensions d’enseignement

suggérées par notre passage.

A la fin de notre recherche, il paraît évident que Matthieu souhaite

transmettre un message particulier au lecteur. Nous ne pouvons nous

contenter d’une lecture informative sur les circonstances de la mort de Judas.

Nous ne pouvons non plus nous contenter des raisons de l’achat d’un champ

ou des circonstances de cette transaction251. Il est encore moins satisfaisant

de se limiter à considérer cette citation comme seul prétexte pour justifier que

Jésus est mort pour notre salut252.

Il est évident que la portée de ce court récit dépasse le personnage de

Judas. Nous l’avons déjà démontré.

Nous voulons valoriser plusieurs messages qui semblent ressortir de

ce passage de l’évangile de Matthieu. Nous les avons synthétisé en quatre

points. Ils sont autant de parties d’un message global laissé en témoignage.

Dimension morale

Cette première dimension a été abordée très tôt dans notre travail. Elle

concerne particulièrement la notion de Korbanas comme lieu de relation entre

l’homme et Dieu.

En jetant avec violence cet argent dans le temple, Judas marque une

rupture qui dépasse le simple rapport entre ce dernier, les grands prêtres et les

anciens. Cet argent souillé, qui n’a pas sa place en ce lieu, devient

problèmatique car il est la trace visible de la faute. L’argent est la marque

visible que l’on a accusé injustement Jésus. C’est la marque visible que l’on

251

Selon Menken, l’objectif de Matthieu est de démontrer que l’argent a servi à acheter le champ. Cf. M. J.-J. MEKEN, « The Old Testament Quotation in Matthew 27, 9-10 : Textual Form and Context », Bib., Vol. 83 (2002), p. 303-328. 252

Selon Hilaire de Poitiers, ce récit a pour objectif de prouver que Jésus est mort pour mon salut. Cf. HILAIRE DE POITIERS, Sur Matthieu…, p. 247.

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est prêt, à n’importe quel prix, à se débarrasser d’une personne gênante. C’est

la marque visible que le mensonge ne fait pas peur même en présence de

Dieu, dans son temple, près du korbanas. C’est la marque visible que le

pouvoir peut être supérieur à la relation avec Dieu. C’est la marque visible que

l’homme rejette son Dieu.

Matthieu relève donc, par ce fait, l’hypocrisie notoire de ces hommes. Il

met l’accent sur une attitude immorale qui, même dévoilée, ne peut être

avouée.

Dimension universelle

En analysant le comportement des personnages de ce récit nous

avons pu constater que plusieurs parties sont concernées. En jetant, l’argent

dans le temple Judas ne fait pas seulement un acte qui est la conséquence de

son remords. Judas accuse les grands prêtres et les anciens de leur action.

Judas ne peut s’y résoudre, Jésus ne peut être condamné. Judas doit montrer

son désaccord avec cette sentence. Quoi de plus fort alors que de faire un

acte public en allant dans le temple pour jeter cet argent à terre ? Pourtant la

faute est faite et rien ne pourra réparer cette trahison.

Mais qui est responsable ? Est-ce Judas, les grands prêtres et les

anciens ? Est-ce Pilate ? Est-ce la foule qui scande le nom de Barabbas ? En

réalité, tout le monde se rejette la faute. Les uns diront : ce sont les grands

prêtres et les anciens, des juifs, qui ont jugé Jésus en premier et qui l’ont fait

arrêter. Ce sont eux les responsables ! Les autres diront : ce sont les romains

qui ont jugé et crucifié le Christ ! Ce sont eux les bourreaux. D’autres

diront encore : c’est Judas par qui est arrivé la trahison. C’est lui le coupable !

Enfin d’autres diront : c’est la foule qui pouvait libérer Jésus à la place de

Barabbas. Ce sont eux les accusateurs !

En réalité, même si l’on peut jeter la faute tour à tour sur ces

différentes parties, il se dégage une constatation claire. Jésus est rejeté par

tous : Judas, les grands prêtres, les anciens, Pilate et Pierre. Ils sont tous

responsables de sa mort. Ils sont un seul peuple : peuple de Dieu. C’est la

dimension universelle de ce message qui ne se limite pas à notre passage

mais s’élargit à tout le procès du Christ. Tous l’ont rejetté ; Israël y compris

mais pas seulement. C’est l’homme qui rejette la relation avec son Dieu. Tout

comme il l’a déjà fait avec les prophètes dans le passé et notamment Jérémie,

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aujourd’hui l’homme rejette Jésus lui-même, Dieu incarné. Ce rejet de tout un

peuple, c’est aussi mon rejet de Dieu. Je suis aussi coupable de la mort de

Jésus. Je suis aussi disciple, qui à chaque instant peut faillir et accuser à tort

l’autre innocent, et par là-même rejeter Dieu253.

Dimension eschatologique

Nous avons déjà développé cette dimension dans notre travail254 et

précisé son lien au lieu du « champ du sang », particulièrement symbolique

pour le peuple juif.

Mt 27.3-10 mais plus largement, Mt 26.1 à 28.20 parlent du jugement

de Jésus. Comme nous venons de le dire, toutes les parties sont concernées.

Religieux, politiques, amis, rivaux, tous jouent un rôle dans le jugement de

Jésus. Tous ces acteurs sont aussi d’une manière directe ou indirecte en

relation avec ce dernier. Tous le connaissent de manière intime, raisonnnée ou

simplement de réputation.

La citation d’accomplissement, qui fait écho à l’histoire vécue par

Jérémie255, place notre récit dans une situation de jugement dépassant la

seule condamnation de Jésus. En effet, la mort de Judas et le sort triste auquel

il se destine projette chaque être humain devant ses responsabilités.

L’acceptation de Jésus comme sauveur, comme Dieu, est une question qui se

pose à chacun d’entre nous aujourd’hui. Matthieu plonge le lecteur devant son

avenir et ses choix. Il n’est plus simplement question d’un fait historique du

jugement de Jésus mais de notre propre jugement.

Derrière ce constat c’est notre acceptation de Jésus dont il est

question.

Nous l’avons vu, deux cadres s’affrontent.

Le sacré , temple, korbanas, relation avec Dieu

Maudit, lieu pour les étrangers, les morts, « champ du sang »,

rejeté du peuple

253

H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 176. 254

Cf. 2.2.3. 255

Selon Bourguet, Jérémie a vécu une « mission de jugement ». Cf. D. BOURGUET, Des métaphores de Jérémie…, p. 120.

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Matthieu présente ces deux alternatives de manière dualiste dans un

même récit. Ils représentent deux choix possibles. Celui de la relation avec

Dieu et donc la vie. En opposition, il y a le choix de la sentence de malédiction

du « champ du sang » et donc la mort.

Le récit de Mt 27.9-10 traverse le temps. Il ne se contente pas

d’aborder une histoire du moment. Il fait un lien avec le passé (Jérémie) mais

aussi avec le futur (Moi). Il rappelle que Dieu juge et jugera son peuple. Celui-

ci a le choix entre la vie et la mort éternelle.

Dimension typique

Nous avons abordé deux dimensions typiques dans notre récit256.

La première concernait Joseph type de Jésus. Nous avons pu

constater les similitudes entre le rejet de Joseph par ses frères et le rejet de

Jésus par son peuple.

La deuxième dimension s’appliquait à Jérémie type de Jésus. Là

encore, nous avons pu confondre ces deux histoires et constater les

similitudes dans le rejet du prophète Jérémie et le rejet de Jésus.

Ces deux typologies ont démontré les difficultés de relation entre Dieu

et son peuple à travers l’histoire257. Pourtant, malgré ces rejets Dieu est

présent pour son peuple. Il l’accompagne. Il lui propose des Alliances

successives258 sans jamais l’abandonner.

Nous voudrions nous risquer à proposer au lecteur une troisième

relation typique dans ce récit. Il s’agit en réalité non pas de deux personnages

mais de trois personnages : Judas, Pierre et Moi. Comme l’avait déjà relevé

Brown259 ce récit de Judas doit aussi être lu avec celui de Pierre qui le

précède. Comme Jésus est préfiguré de manière typique par Joseph et

256

Cf. 2.1.1.3. ; 3.1.3. 257

Dans les récits rabbiniques, les deux personnages de Joseph et de Juda sont très importants. Ils préfigurent le sort futur du peuple d’Israël. La tribu d’Ephraïm (issue de Joseph) a été le socle du royaume d’Israël, et la tribu de Juda est le socle du royaume de Juda. Les déportés du royaume d’Israël ont totatement disparu de l’histoire (Joseph victime), alors que ceux de Juda ont engendré en grande partie le judaïsme d’aujourd’hui (Juda sauveur). Cf. J. COSTA J., La Bible racontée par le Midrash, Paris, Bayard, 2004, p. 67. 258

Ex 20.1-17 ; Jr 31.31-34 259

R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 722-723.

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Jérémie. Moi, puis-je être préfiguré par Pierre ou Judas voire Pierre et Judas.

Nous sommes aujourd’hui invités à nous positionner. Attention, il ne s’agit pas

ici de dire que l’un a bien agi et l’autre mal. L’un comme l’autre ont à la fois

bien et mal agi.

Les deux ont renié le Christ. Même si l’on attribue plus volontiers à

Pierre le terme de « renier » et à Judas celui de « trahir » il n’en reste pas

moins que la conséquence est la même : ils ont rejeté Dieu. De même, ces

deux personnages vont regretter leur action et être pris de remords. La

question ne se situe donc pas à ce niveau. La véritable interrogation qui nous

interpelle est comment, en tant que pécheur, je vais réagir ? Vais-je laisser

Dieu agir en moi ? Vais-je trouver mon propre salut ?

A la fin de ce travail, nous avons une intime conviction. Malgré sa

faute, on ne peut reprocher à Judas d’avoir trahi le Christ. Nous en aurions

peut-être fait de même. Ce que nous pouvons lui reprocher, c’est de ne pas

avoir fait confiance au Christ comme pouvant le sauver, lui aussi !

Dimension salvatrice

Qui est Judas ? Reed260 développe une idée très novatrice sur son

personnage. Il se fonde notamment sur son étude sociologique du suicide au

temps de Jésus. Pour lui, en rendant les trente pièces d’argent et en se

pendant, Judas regagne son honneur. En effet selon son analyse, ces deux

actions, jettent le discrédit sur les grands prêtres et les anciens. Jeter les

pièces dans le temple et se pendre doivent être vus comme des accusations

publiques de ces deux groupes de personnes.

Cette analyse est interpellante car elle change profondément le regard

que l’on porte sur Judas. De traître, Judas deviendrait héros ou hérault car il

est le seul, avec peut-être, d’une certaine manière Pilate261, à dénoncer

publiquement et à haute voix la condamnation de Jésus.

Cette approche ne change en rien la faute de Judas vis à vis du Christ

ni le sentiment de culpabilité suite à sa trahison. En revanche, elle rétablit

Judas comme disciple de Jésus malgré son erreur. Elle le place comme un

homme qui a fauté, tout comme Pierre, et qui utilise des moyens désespérés à

260

Cf. D. A. REED, « “SAVING JUDAS” : A Social Scientific Approach to Judas’s Suicide in Matthew 27:3-10 », BTP, Vol. 35 N°2, 2005, p. 51-59. 261

Mt 27.24, Cf. R. E. BROWN, La mort du Messie…, p. 740.

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la hauteur de sa faute pour se sortir de sa situation. Ainsi la faute qui doit être

imputée à Judas n’est pas sa trahison et d’une certaine manière même pas

son suicide. Sa faute est de ne pas avoir demandé pardon à Jésus pour son

erreur. Il a tenté de résoudre sa faute en accusant publiquement les grands

prêtres et les anciens. La méprise que Judas commet, c’est de ne pas

confesser Jésus comme son Sauveur. Judas reconnaît Jésus comme son

maître, mais il ne le reconnaît pas comme Dieu qui pardonne toutes choses.

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Conclusion

Après notre parcours bien des questions restent sans réponse.

Comment Judas est-il mort ? Est-il mort pendu comme le présente Matthieu ?

Est-il mort éventré comme le présente Luc262 ? En réalité nous n’en savons

rien263 et ceci importe peu. La démonstration semble faite que là n’est pas

l’important.

En replaçant Judas dans une dimension prophétique et étudiant ces

passages d’un point de vue narratologique, nous avons fait ressortir de façon

évidente que Mt 27.9-10 s’inscrit bien dans un accomplissement prophétique.

Pourtant, Matthieu dépasse la simple croyance populaire ou les

légendes sur la mort de Judas. Tout en tenant compte des éléments liés à

l’histoire d’Israël, des lieux et des objets, Matthieu ne se contente pas de

décrire la fin d’un homme.

Au travers ce texte, l’auteur dépasse largement le récit historique pour

présenter ainsi différentes dimensions.

Ce texte a véritablement un portée didactique pour l’homme dans sa

relation avec Dieu.

De l’AT au NT, Dieu assure le salut à quiconque met sa foi en lui.

Quelles que soient ses actions, Il lui propose une réconciliation. La question

qui s’est posée à Judas se pose à nous aussi : sommes-nous prêts à accepter

Jésus ? Il n’est pas seulement question de reconnaître que Jésus est le fils de

Dieu. Il est important de prendre conscience que Jésus peut agir concrètement

dans ma vie.

Les questions que Judas s’est sûrement posées entre le sanhédrin, le

palais de Pilate et le temple, se posent à nous aujourd’hui. Comment peus-je

racheter mon erreur ? Comment puis-je agir pour dénoncer la faute ?

Comment être réhabilité ? Toutes ces questions convergent en une seule

262

Ac 1.18 263

H.-J. KLAUCK, Judas un disciple…, p. 137 ; Pour Legasse, le texte auquel nous avons affaire reste « sobre » pour ne pas dire peu renseigné. S. LEGASSE, Le procès de Jésus : L’histoire…, p. 40-41.

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réponse : Jésus-Christ. Lui seul peut nous pardonner et nous rendre justes.

Nous ne pouvons excuser nos fautes par nos propres forces. C’était tout le

combat de Judas : racheter son erreur et dénoncer publiquement.

Finalement, Judas c’est nous !

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Sommaire

Remerciements ....................................................................................................... 3

Notes méthodologiques .......................................................................................... 5

Abréviations (hors livres bibliques) .......................................................................... 7

Introduction ............................................................................................................. 8

1. Découverte de notre texte .............................................................................. 11

1.1. Première approche de notre texte .............................................................. 11

1.1.1. L’évangile de Matthieu : généralité ......................................................... 11

1.1.2. La théologie de Matthieu ......................................................................... 13

1.2. Le contexte ................................................................................................. 14

1.2.1. Le contexte large .................................................................................... 14

1.2.2. Le contexte étroit .................................................................................... 14

1.2.3. Le contexte immédiat .............................................................................. 15

1.3. Etablissement du texte ............................................................................... 16

1.4. Intertextualité .............................................................................................. 18

1.5. Analyse littéraire ......................................................................................... 19

2. Les enjeux de Mt 27.9-10 ............................................................................... 22

2.1. Les trente pièces d’argent .......................................................................... 23

2.1.1. Trente pièces .......................................................................................... 23

2.1.1.1. L’argent : le mobile ? ........................................................................... 23

2.1.1.2. Valeur compensatrice .......................................................................... 23

2.1.1.3. Prix de vente ....................................................................................... 24

2.1.2. Le Korbanas ........................................................................................... 26

2.1.2.1. Korbanas ou potier .............................................................................. 26

2.1.2.2. Korbanas : offrande, sacrifice .............................................................. 27

2.1.2.3. Korbanas : relation .............................................................................. 28

2.1.3. Le prix du sang ....................................................................................... 29

2.1.4. Le prix attribué ........................................................................................ 30

2.2. Le « champ du sang » ................................................................................ 30

2.2.1. Lieu géographique .................................................................................. 31

2.2.2. Lieu symbolique ...................................................................................... 32

2.2.3. Annonce prophétique eschatologique ..................................................... 34

2.2.4. Le « champ du potier » ........................................................................... 36

2.3. De l’histoire à l’accomplissement de la prophétie ....................................... 38

3. L’accomplissement de la prophétie ................................................................ 41

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3.1. L’origine jérémiaque de la citation .............................................................. 41

3.1.1. Jérémie ou Zacharie ............................................................................... 41

3.1.2. Les enjeux de Jérémie ............................................................................ 46

3.1.3. Jérémie et Jésus ..................................................................................... 49

3.2. Lumières narratologiques ........................................................................... 51

3.2.1. La clôture du récit ................................................................................... 52

3.2.2. L’intrigue ................................................................................................. 53

3.2.3. Les personnages .................................................................................... 55

3.2.4. Le cadre .................................................................................................. 59

3.2.5. Le temps narratif ..................................................................................... 60

3.2.6. La voix narrative et ses chuchotements .................................................. 61

3.3. Objectif de la citation d’accomplissement ................................................... 62

3.3.1. Dimension morale ................................................................................... 62

3.3.2. Dimension universelle ............................................................................. 63

3.3.3. Dimension eschatologique ...................................................................... 64

3.3.4. Dimension typique .................................................................................. 65

3.3.5. Dimension salvatrice ............................................................................... 66

Conclusion ............................................................................................................ 68

Bibliographie ......................................................................................................... 70

Sources ................................................................................................................. 70

Instruments d’analyse et de travail ........................................................................ 70

Auteur classique .................................................................................................... 71

Pères de l’Eglise ................................................................................................... 71

Commentaires et monographies spécialisées ....................................................... 72

Articles .................................................................................................................. 75

Sommaire .............................................................................................................. 78