europe - rêve et réalité (petit format)

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Cette brochure se penche sur l'idée européenne, qui ressemble maintenant à un rêve depuis longtemps révolu. Qu’est-ce qui a mal tourné ? Qu’est-ce qu’on aurait dû faire pour transformer le rêve en réalité ? L'auteur remonte jusqu'aux années 60 et emmène le lecteur dans un rêve, qui est le sien, et dans lequel les hommes politiques croient en cette idée et incitent un grand enthousiasme pour celle-ci parmi les populations des différents pays membres, qui en retour encouragent les responsables politiques à continuer sur la voie de la transformation de l'Europe en une véritable Fédération qui compte sur la scène mondiale et dont les gens peuvent être fiers. Dans ce rêve, la Fédération européenne est essentiellement en place en 2002, lorsque toutes les structures nécessaires, les institutions, les lois et les transformations sont achevées et l'Euro est introduit. La Fédération n'est pas un assemblage de patries, mais une union de régions. Et ça marche !

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Ralph Gädhelin

€urope –Rève et Réalité,

Espoir et DéceptionL’Europe et moi

Si ce livre vous dit quelque chose, recommandez-le à vos amis, s’il vous plaît. Il est d’ailleurs aussi disponible pour Amazon Kindle pour moins d’un Euro. Il suffit de taper le nom de l’au-teur sur Google et on arrive automati-quement aux bonnes adresses inter-

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net. Le livre est aussi disponible sur papier à « Les Éditions du net »

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Avant-Propos

Ce livre est dédié à l’Europe future tel que beaucoup de ses citoyens l’appellent de leurs vœux.

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe est en ruine et ne semble guère avoir un avenir. La si-tuation rend impossible l’émergence d’un esprit de vengeance. Il ne peut être question que de réconci-liation et de création de structures rendant impen-sable toute nouvelle agression. Les politiciens se ressaisissent, et un rêve européen émerge ! Mais, 65 ans plus tard, qu’en est-il de ce rêve ? Où est-il à présent ? Sommes-nous à nouveau dans une situa-tion désastreuse et sans issue ou avons-nous encore une chance ?

Ce livre ne prétend ni de proposer des solutions clefs en mains ni de vouloir entraîner des débats idéologiques. Certaines des approches présentées ici transgressent des tabous tandis que d’autres peuvent sembler encore insuffisamment mûries. L’unique ambition de l’auteur est d’offrir matière à réflexion vers le développement politique, écono-mique et culturel de l’Europe.

En revanche, le chapitre 2 : Le Rêve de l’Eu-rope contient des éléments d’un guide pratique pour la création des États-Unis d’Europe. Toutefois, je tiens à souligner que ces instructions pratiques ne sont pas issues du cerveau d’un homme politique, d’un économiste, d’un expert financier, d’un philo-sophe ou d’un eurocrate, mais du cerveau d’un ci-toyen normal de l’Union Européenne, qui a vécu et travaillé dans plusieurs pays de l’Union et dans le monde, et à qui l’Europe tient à cœur.

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Nous voulons exprimer ici l’espoir que les popu-lations de l’Union Européenne s’engagent pour que le rêve devienne réalité. Les jeunes notamment ne doivent pas se laisser contaminer par l’euroscepti-cisme des anciens, qui sont encore souvent influen-cés par les doctrines nationales.

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Introduction

Trois grands thèmes semblent préoccuper les ci-toyens européens : l’idée de l’Union Européenne et son avenir, le changement climatique et ses consé-quences, et enfin la crise économique, financière et de la dette publique, qui découle du dysfonctionne-ment de l’Union Européenne et de la zone Euro.

Le changement climatique est un problème trop complexe pour que la seule mise en garde puisse suffire à faire évoluer la situation : Il est déjà minuit moins quelques minutes et on discute encore pour savoir si les activités humaines sont à l’origine du changement climatique ou si les causes de ce chan-gement sont entièrement de nature « naturelles ». Comme d’habitude, nous allons dans le mur sans nous en apercevoir. En revanche, en écrivant sur l’idée européenne, on ne peut pas ignorer la crise fi-nancière et son impact. Elle tient tout le monde en haleine mais très peu de choses bougent et quand il y a mouvement, c’est souvent trop timide, ce qui a pour conséquence d’encore aggraver la situation.

Au contraire de ce qui se passe au niveau du dé-bat sur le changement climatique, pour l’Europe, rien ne semble encore perdu : les questions ne tournent pas autour des comportements écono-miques ou écologiques tels que l’abandon éventuel de la croissance économique exponentielle, l’usage de plus petites voitures ou même la préférence du chemin de fer sur la voiture, un monde financier plus rationnel et plus social, etc. D’ailleurs, en pé-riode de crise économique, financière et de la dette publique, cette thématique est un peu taboue. Néanmoins, à propos du monde de la finance, je vais

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quand même tenter de proposer quelques ap-proches pour sortir de la crise. Par contre, l’idée eu-ropéenne réside plutôt dans l’esprit des citoyens et des politiciens courageux pourraient encore aujour-d’hui enflammer leurs électeurs pour elle. Il suffirait qu’ils le veuillent. Au lieu d’ergoter avec leurs homo-logues étrangers sur la sauvegarde de la souverai-neté nationale et l’attribution de compétences et se quereller pour des sous, ils devraient être inspirés par l’esprit européen et tout faire pour que l’Europe avance et occupe enfin la place qui lui revient sur la scène mondiale.

Cet ouvrage vise à présenter aux citoyens euro-péens les moyens de rendre souhaitable une Europe véritablement unie et de se débarrasser des vieilles références à la nation et souveraineté. À quoi sert-il que les Chefs d’État se mettent d’accord pour céder telle ou telle prérogative nationale à Bruxelles, si ul-térieurement ces étapes ne sont pas mises en œuvre avec conviction ou sont même complètement bloquées, et si les gouvernements nationaux ne sou-tiennent pas ces décisions ou même les rejettent en stigmatisant leur exécution comme une soumission à la bureaucratie bruxelloise ?

Ce livre décrit les moyens d’arriver à une Europe unie et attractive : le chapitre 1 dresse la chronolo-gie de la Communauté Économique Européenne puis, le chapitre 2, décrit comment le rêve aurait pu être réalisé s’il y avait eu suffisamment de volonté. Pour beaucoup cela paraît comme une utopie ; mais cette utopie aurait pu être réalisée, et peut-être n’est-il pas trop tard pour renverser la vapeur et re-culer un peu pour ensuite se diriger courageuse-ment vers cette utopie. Dans ce contexte je dirais avec le Pasteur Martin Luther King : « I have a dream …. »

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Que serait-il arrivé si des gens comme Jacques Delors avaient continué à nous conduire vers l’ave-nir et si, au lieu de la privatisation des institutions publiques, on avait créé des institutions et services publics européens durables ? En outre, en introdui-sant au moins le choix d’une nationalité euro-péenne, on aurait bien sûr contribué à ce que l’Eu-rope soit portée par la base. On aurait alors constaté que le désir d’être Européen existait bel et bien.

Dans le monde actuel, où les politiciens ne sont plus menés par le devoir mais par leur réélection, où tout semble être constamment en mouvement et où tout change, où il n’y a plus de points de référence, où ce qui semblait hier une vérité solide n’est plus vrai aujourd’hui, où cette course contre la montre est considérée comme une vertu et où notamment les jeunes perdent leur orientation, comment peut-on être surpris que les gens n’aient plus confiance en l’avenir et en la communauté et se comportent par conséquent d’une façon égoïste ou irrationnelle. Il serait urgent de créer une grande entité politique durable en impliquant tous les Européens : une Eu-rope dont la cohésion est assurée par sa population, parce que les citoyens le veulent ainsi et parce qu’ils ont envie de renforcer sans cesse l’Europe de l’intérieur. Cette Europe forte pourrait alors devenir le prochain rocher dans la mer du changement per-manent et servir d’orientation aux citoyens.

Bien que beaucoup de peuples différents ha-bitent l’Europe, ils partagent un destin commun : Ils ont ensemble traversé le Moyen-âge et le Siècle des lumières, se sont combattus ou ont subi des guerres qu’ils n’ont pas provoquées, ont plus ou moins rapi-dement adopté les idées de la révolution française. Ils ont souffert sous l’occupation par l’armée alle-mande et la Gestapo et, après la Seconde Guerre Mondiale, ont été divisés par un rideau de fer. Il y

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avait désormais deux destins pour les Européens : suivre le modèle « libre » et capitaliste (américain) pour les pays de l’Europe occidentale ou obéir à la nomenklatura soviétique communiste pour l’Europe centrale. Cette barrière est tombée fin 1989 et les populations sont à nouveau unies dans le même destin. Il n’y a désormais plus de raison pour se faire la guerre. C’est ce destin commun qui unit les Euro-péens, leur donne la force de mettre de côté leurs différences et leur permet de tendre mutuellement la main. Avec cette attitude comme moteur de l’uni-fication des Nations européennes dans une Fédéra-tion ou dans une Union, on peut espérer qu’un jour cet objectif sera réalisé. Malheureusement, par manque de volonté politique, l’idée européenne a été affaiblie au cours des dix à quinze dernières an-nées. En même temps, les querelles politiques au ni-veau national ainsi qu’au niveau de l’UE sont deve-nus un vrai spectacle de guignols. Des initiatives po-litiques manquent de plus en plus de substance pour aboutir à quoi que ce soit.

Ce livre a pour objectif de contribuer à la relance de l’idée européenne, dont la mise en œuvre nous paraît maintenant plus importante et plus urgente que jamais. J’aimerais enfin vivre le jour où les femmes et les hommes de l’Union Européenne iront dans la rue manifester pour l’idée européenne, et cela jusqu’à ce que quelque chose recommence à bouger dans la bonne direction. Ce serait extraordi-naire si les gens manifestaient pour quelque chose et non contre.

Dans un rêve, la distinction entre réalité et ima-ginaire et la chronologie des événements ne sont souvent pas respectés (chapitre 2). Le lecteur trou-vera l’élection de Jacques Delors, président de la Commission Européenne, et la réunification de l’Alle-magne dans un contexte ne correspondant pas à la

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réalité ; le printemps de Prague est moins brutale-ment réprimé qu’il ne l’a vraiment été ; les étudiants de mai 1968 à Paris veulent des progrès plus ra-pides pour l’Europe, ce qui n’est pas vrai non plus, et ainsi de suite. Mais ce n’est qu’un rêve, et dans un rêve le désir joue toujours un rôle important. Le lecteur pardonnera donc à l’auteur ce réaménage-ment de l’histoire. De plus, le rêve est décrit comme une « expérience » personnelle et est entremêlé de passages du propre parcours de l’auteur. L’auteur donne aussi peu de références concernant les évé-nements historiques réels évoqués. L’important ici, ce n’est pas la date ou la description exacte de l’événement, mais l’événement lui-même et ce qu’il symbolise. L’auteur a néanmoins cherché à refléter la réalité aussi fidèlement que possible (chapitre 3).

L’Avenir sera discuté au chapitre 4. Plusieurs voies sont présentées, mais ces propositions ne prétendent pas être autre chose que des pistes de réflexion.

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Chapitre I : La Genèse de l’Europe

L’Europe « géographique » existe déjà dans la Grèce antique et l’Empire Romain. Vers 150 après Jésus Christ, le Grec Claude Ptolémée, qui vit à l’époque de l’Empire Romain à Alexandrie, définit ce terme en lui donnant des contours géographiques et en localisant les villes et vil-lages connus à cette époque à l’intérieur de ces contours. Malgré quelques différences, on peut recon-naître l’Europe sans difficulté (si l’on ignore les erreurs « systématiques », c’est-à-dire l’erreur de distance entre les villes en Europe de sept cinquièmes ou 1,4 et quelques autres erreurs de « collage » de données collec-tées1). Après l’assimilation de l’espace méditerranéen, les Romains se sont concentrés sur la conquête de l’es-pace européen et l’ont pratiquement fait coïncider avec l’idée de leur Etat, même s’ils n’en ont jamais atteint les limites au Nord et à l’Est (voir la Pax Romana). Au Moyen-âge, l’idée a continué à vivre, influencée principalement par l’Empire carolingien (Europe occidentale) et en partie par des légendes germaniques. La monarchie des Habs-bourg a ensuite créé en Europe centrale ce qui ressem-blait à un pays multiethnique européen. Bien que le ré-gime de cet empire ait été très autoritaire, cet empire avait le mérite d’être bien administré. Malheureusement, jusqu’au règne de Marie-Thérèse d’Autriche, des postes

11 http ://www.sueddeutsche.de/wissen/ptolemaeus-korrigiert-eine-neue-vermessung-der-alten-welt-1.826706

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de douane à l’intérieur de l’empire des Habsbourg étaient omniprésents et il y avait partout une obligation de port de passeport avec visa. Même si la reine en a aboli un certain nombre, ces contraintes n’ont jamais complètement disparu. Néanmoins, la liberté de mouve-ment de la population n’était pas excessivement res-treinte et il y avait comme un sentiment d’appartenance à une unité plus grande que le simple comté. En 1693, William Penn, fondateur de la colonie de Pennsylvanie en Amérique du Nord publie « Un essai sur la paix actuelle et future de l’Europe ». Il y propose la création d’un Par-lement européen ou d’un Conseil européen. Il existe une riche littérature sur le thème de l’Europe de l’Antiquité à nos jours en passant par le Moyen-âge. Sans s’attarder davantage ici aux préliminaires, contentons nous de nous souvenir que l’idée n’est pas nouvelle. Sous diverses formes, le terme géographique existe depuis au moins deux mille ans. Cependant, les tentatives de comprendre ce que « L’Europe » signifie au-delà de sa géographie, c’est-à-dire culturellement, politiquement, socialement, etc. sont plus récentes et ont donné lieu à des interpréta-tions différentes à des moments différents.

La tentative la plus récente et aussi la plus sérieuse de créer une Union économique, politique et sociale de l’Europe dans un contexte démocratique a son origine dans ce qui a provoqué la Première et la Seconde Guerre Mondiale. La politique des états-nation européens, les tentatives de renforcement du statut de grande puis-sance et la recherche de revanche ont conduit à la Pre-mière Guerre Mondiale, qui a conduit à son tour à de nouveaux ressentiments et, par conséquent, à la Se-conde. Cette politique était donc vouée à l’échec. Après la Seconde Guerre Mondiale, des hommes clairvoyants comme Winston Churchill (qui a appelé à la création des « États-Unis d’Europe »), Robert Schuman (Construire l’Europe progressivement), Walter Hallstein ("il y a un sentiment sous-jacent européen indestructible "), Sicco

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Mansholt, Joseph Bech, Jean Monnet, Alcide de Gasperi (qui prévint qu’une Europe purement administrative sans volonté politique supérieure ne fonctionnerait pas car elle ne serait pas soutenue par les citoyens) et Conrad Ade-nauer se sont donc engagés pour œuvrer dans le sens d’un rapprochement progressif des peuples d’Europe, dans la perspective de créer un jour une Europe unie. Ils ont considérablement contribué à l’émergence d’un rêve européen ambitieux et de grande envergure. Cette nou-velle Europe devait empêcher ses peuples de s’entretuer une nouvelle fois. Grâce au Plan Marshall et à d’autres accords politiques, l’Allemagne de l’ouest résiduelle, de-venue plus tard la République Fédérale d’Allemagne, s’est assez rapidement intégrée à un nouveau système économique occidental et le démantèlement initial de son industrie juste après la capitulation a été arrêté. L’état d’esprit prépondérant est devenu celui de la récon-ciliation, en dépit de l’importance de la confrontation émergente entre l’Union Soviétique et les États-Unis.

La première pierre de l’édifice européen a été dépo-sée quand on a créé la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), proposée par Robert Schu-man afin d’assurer l’accès libre au charbon et à l’acier, nécessaire pour la reconstruction économique et indus-trielle de l’Europe. Il est à noter ici que, au contraire de ce qui se passe aujourd’hui où l’industrie lourde est deve-nue presque insignifiante, après la dernière guerre mon-diale, le charbon et l’acier étaient encore les éléments de base de la croissance économique des pays industrialisés et bien sûr aussi du réarmement pour un éventuel nou-veau conflit. De ce point de vue, l’absence de préroga-tives nationales dans ce domaine a été un excellent moyen d’empêcher les nations participant à la CECA de se réarmer les unes contre les autres sans mesures contraignantes. Cette sorte de communauté économique a été, tel qu’il a été avéré par la suite, le précurseur de la Communauté Économique Européenne ou de la CEE. En

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fait, la création de la CECA a été un changement radical de politique économique dans la mesure où, pour la pre-mière fois, des États se sont librement intégrés dans une organisation supranationale. Il s’agissait de six pays : des trois pays du Benelux, de l’Allemagne de l’Ouest, de la France et de l’Italie. La CECA a été fondée en avril 1951 par le traité de Paris et est entrée en vigueur un an plus tard. La Grande-Bretagne resta toutefois initialement à l’écart car elle craignait une perte partielle de sa souve-raineté (cette attitude n’a pas changé après son adhé-sion à la Communauté Européenne).

Ainsi, de l’urgence de l’après-guerre est né un grand projet européen et il ne pouvait pas s’arrêter là. Pour la première fois dans l’histoire européenne, des gouverne-ments nationaux se sont parlé pour construire un avenir commun – d’abord strictement focalisé sur des aspects économiques spécifiques (charbon et acier). Bientôt ap-parurent également des considérations sur la façon dont la coopération pourrait être élargie à d’autres secteurs économiques et dont des aspects politiques pourraient également être inclus dans cette coopération. De cette façon a pu émerger une volonté d’ouvrir la voie vers une Communauté Économique Européenne allant plus loin, avec la vision d’une intégration économique et politique progressive des États membres.

En mars 1957, les traités de Rome (traité CEE, EUR-ATOM et accord sur les organes communs pour les Com-munautés Européennes) ont alors été signés par les États membres de la CECA pour entrer en vigueur neuf mois plus tard.

Un événement découlant de ces efforts politiques pour rapprocher le groupe des six pays européens oc-cidentaux a eu un impact direct sur ma propre vie : Au cours de l’été 1958, les villes de Marseille et de Hambourg scellent un partenariat et cette année-là, je suis parmi les premiers élèves de Hambourg qui, grâce à un système d’échange entre des écoles de

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Hambourg et de Marseille, seront invités à Marseille. L’élève qui fait l’échange avec moi s’appelle Chris-tian. Cette initiative a certainement contribué à ce que plus tard je regarde toujours au-delà des fron-tières de la République Fédérale d’Allemagne et que je me sente chez moi partout en Europe. Je me sou-viens encore des moments agréables passés à la maison de Christian dans les faubourgs de Marseille et à Bendor, une petite île méditerranéenne au large de Bandol, où Paul Ricard, le fabricant français de pastis nous avait invités. Je me souviens aussi d’un épisode où un élève allemand et moi sommes sortis en mer avec un tout petit voilier et comment, alors que nous sortions du port, le vent s’est subitement mis à souffler plus fort. A ce moment-là mon coéqui-pier, pris de panique se réfugia au fond du bateau. Ne pouvant plus compter sur lui, je dus alors faire usage de toutes mes connaissances de la voile, qui n’étaient pas immenses mais suffirent à nous en sor-tir indemnes. Ma curiosité Européenne n’étant pas satisfaite, j’ai fait des tours en bicyclette pendant les vacances d’été des deux années suivantes, d’abord à travers le Benelux puis au Danemark et en Suède. Je me sou-viens clairement comment un jour aux Pays-Bas, ne parvenant pas à rejoindre l’auberge de jeunesse avant 22 heures, je dus rester dans le fossé au bord de la route. Alors que j’étais confortablement installé dans mon sac de couchage, la police est arrivée et m’a fait comprendre dans un allemand parfait que je ne pouvais pas y passer la nuit. Les policiers m’ont ensuite emmené au poste de police et m’ont offert une cellule de prison pour la nuit, ce que j’ai finale-ment apprécié. Ce n’est qu’à mon réveil le lendemain matin, alors que la cellule demeurait fermée, que j’ai eu quelques angoisses. Après une heure, on m’a ou-vert et j’ai alors pu continuer mon tour à vélo. À ce

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moment-là, comme encore aujourd’hui, le cyclisme était aux Pays-Bas la chose la plus naturelle au monde. Au Luxembourg, mes souvenirs sont doubles : d’abord la capitale dominée par ce grand château et ensuite le paysage, exceptionnellement beau, très vallonné et si difficile à conquérir à bicy-clette. Quant au Danemark, après l’avoir traversé à vélo du sud au nord, je l’ai trouvé moins minuscule que sur la carte, avec toutes ces îles qui lui donnent son caractère si singulier. En Suède, les grands lacs du sud m’ont énormément impressionné ; on pouvait y pédaler le long d’un même lac pendant des heures sans en voir les limites. A cette époque, beaucoup de routes de Suède, en particulier dans les régions fo-restières et escarpées, étaient des pistes imbibées d’une sorte de pétrole bitumineux ; le cyclisme deve-nait alors plus pénible. Dans ces contrées, on pouvait pédaler longtemps sans rencontrer âme qui vive. Je faisais ce tour en Scandinavie avec mon oncle Pierre, âgé de presque un an de moins que moi. Grâce à ces balades à bicyclette, j’ai compris, ce que l’on n’apprend pas à l’école, ce que signifie apparte-nir à une famille de langues. Comme nous le savons, tous les peuples faisant aujourd’hui partie de l’es-pace linguistique germanique ont une racine com-mune. Et on ne peut pas encore aujourd’hui ne pas entendre les affinités linguistiques. Le terme « na-tion » devient ainsi quelque peu problématique. Par exemple le Danemark ne s’est pas défini d’emblée comme une nation. C’est seulement à travers un Royaume que le Danemark l’est devenu, et cela seulement après la Révolution française, quand en Europe il est devenu populaire de se définir comme une nation. La famille des langues slaves a, elle aus-si, une racine commune et devenir une nation polo-naise ou tchèque n’a pas non plus été simple. L’es-pace des langues romanes fait figure d’exception. La

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racine linguistique commune y est due à la sphère d’influence de l’Empire romain. On voit donc deux vi-sions radicalement opposées qui se heurtent en ce qui concerne la conception et la conscience natio-nale. Dans les pays de langues romanes, comme par exemple en France et en Espagne, on observe sou-vent plusieurs peuples se réunissant sous un même toit formant néanmoins une seule nation. Dans les pays de langues germaniques ou slaves, ce n’est pas autant le cas. Nous y avons à l’origine un groupe de peuples plus homogène formant la base de la nation. Cette différence explique également pourquoi on a pu avoir des mouvements panslaves et pangerma-niques et pour quelles raisons un mouvement sem-blable pour les pays de langue romane n’a pas pu voir le jour. Après tant d’efforts pour faire émerger les Nations, pouvons-nous les surmonter aujourd’hui au nom de l’Union Européenne ? Où le sentiment national est-il plus fort aujourd’hui : dans le monde des langues germaniques et slaves ou dans l’espace des langues romanes ? J’ai tendance à croire que les Français auraient plus de problèmes avec une véritable Union Européenne que par exemple les Allemands. Bien sûr, les Pays-Bas et la Suède ont également leurs préoccupations, mais à un autre niveau. Il ne faut oublier non plus, que l’Alle-magne a besoin de l’Europe. Jusqu’à l’avènement du Reich de Bismarck, en 1870, les Allemand ont vécu éparpillés à travers l’Europe dans des contés, des du-chés, l’Ordre Teutonique, des royaumes, un empire, etc. Il n’y avait pas de nation allemande proprement dite. L’Allemagne n’a donc pas beaucoup d’expé-rience pour savoir comment se comporter en tant que nation souveraine et puissante et n’a aujourd’hui pas vraiment envie de l’apprendre, même si elle était forcée. D’être dans une situation où elle est amenée à donner des leçons à d’autres pays ne la rend pas

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heureuse. Une Fédération Européenne lui épargnerait cet apprentissage.Revenons à l’agenda politique : Pour faire contre-

poids aux traités de Rome, la Grande-Bretagne qui, comme déjà mentionné, n’était pas disposée à renoncer à certains aspects de sa souveraineté, a fondé en 1960 avec l’Autriche, le Danemark, la Norvège, la Suède, le Portugal et la Suisse l’Association Européenne de Libre Échange (AELE), une association floue et géographique-ment fragmentée. Mais dès 1973, après l’adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark et de l’Irlande à la Com-munauté Européenne, l’AELE commença à s’effriter.

En janvier 1963 un pilier supplémentaire de la Com-munauté Économique Européenne en faveur d’une co-opération politique plus étendue a été construit à la si-gnature du traité franco-allemand par Conrad Adenauer et Charles de Gaulle. Le traité est aussi appelé Traité de l’Elysée et le relire aujourd’hui vaut bien la peine. La co-opération amicale entre la France et la République Fédé-rale d’Allemagne évolua par la suite pour devenir un puissant moteur de la Communauté Européenne, sans la-quelle celle-ci ne fonctionnerait pas.

Dans les deux ou trois premières décennies de l’après-guerre, cette évolution est extrêmement bien ac-cueillie par une grande partie de la population des états de la CEE, associée à l’espoir d’une plus grande intégra-tion des États membres en une véritable Union. Les gens regardent au-delà des frontières nationales et veulent se rapprocher de leurs voisins. Pourquoi les frontières de-vraient-elles séparer les gens ? Le monde en dehors de la CEE suit également avec beaucoup d’intérêt cette évolu-tion (la CEE trouve plus tard des suiveurs tels que le MERCOSUR, l’ANASE, l’ALENA, MCCA, etc..). On com-mence déjà à penser à l’introduction d’un passeport eu-ropéen qui permettrait aux citoyens de se déplacer libre-ment au sein de la CEE.

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Au début, les gouvernements des États membres de la CEE avancent ensemble et dans la même direction. L’intégration à l’intérieur des institutions de la nouvelle zone économique, qui seront bientôt fusionnées pour donner naissance à la CE, progresse. Les droits de douane dans la communauté disparaissent, les gens peuvent voyager sans visa entre États membres, les contrôles aux frontières sont allégés. Les jeunes veulent maintenant mieux connaître les pays voisins, des voi-tures françaises et italiennes sont présentes sur les routes allemandes et vice versa, etc. Bref, des échanges multiples entre les peuples ainsi qu’entre les biens se gé-néralisent au sein de la Communauté Européenne et la curiosité des jeunes contribue de manière significative à ce que les peuples se rapprochent les uns des autres.

C’est donc ainsi que le rêve européen a pris forme. Cependant, pour le garder vivant, il faut le nourrir. Qu’a fait la politique pour le nourrir et quelles sont les omis-sions ? A quel moment le rêve et la réalité ont-ils divergé et quand le rêve a-t-il fini par se briser ? Pour examiner cette question, une version en est exposée dans les pages suivantes. Ce qui, aujourd’hui apparaît à certains comme utopique aurait pu être réalisé dans l’après-guerre, alors qu’en existait la volonté dans la population (pas toujours consciente mais souvent sous une forme embryonnaire ou latente). Malheureusement, les politi-ciens n’ont pas assez persévéré dans la poursuite systé-matique de la réalisation de l’idée européenne. Alors, en-core une fois la question : Sommes-nous déjà en face d’un désastre et dans une situation sans issue, ou avons-nous encore une chance ?

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Chapitre II : Le Rêve

IntroductionEn rétrospective, l’Europe des Patries (Michel Debré)

ou des États (Charles de Gaulle), ou également des Na-tions était une erreur de conception, même si à l’époque il n’y avait pas vraiment d’alternatives : les structures des états, les attitudes des citoyens et toute la culture des peuples étaient trop focalisées sur la nation pour que l’on puisse surmonter le nationalisme rapidement. Mal-heureusement, cette erreur de conception avait pour conséquence qu’après un bon départ, les intérêts natio-naux prirent une place de plus en plus prépondérante et que tous les États membres défendirent jalousement leur souveraineté nationale, plutôt que de chercher des inté-rêts communs et de mettre en place les structures et les lois européennes adéquates dans un esprit véritablement européen.

« Europe des patries » et « Union politique sans cesse plus étroite » sont des notions incompatibles. Dire que nous voulons une Union politique des Nations sans cesse plus étroite constitue une contradiction absolue. En revanche, il était quelque peu compréhensible de parler de patries parce que on voulait éviter que les citoyens se sentent perdus dans la nouvelle Europe. Mais on aurait dû parler plutôt d’une « nouvelle maison » dans laquelle tous les citoyens pourraient se sentir chez eux. Les Euro-péens ne doivent en aucun cas perdre leurs attaches. Au contraire, celles-ci devraient être conservées et devenir partie intégrante d’une entité politique plus vaste.

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D’ailleurs, pour encourager les populations à garder leurs attaches locales, on devrait donner plus d’importance aux régions. Mais avec le Général Charles de Gaulle et sa France, pour laquelle il avait voulu la résurrection de la « Grande nation », cela n’était sans doute pas réalisable.

Cependant, la plupart des citoyens des six premiers États membres de la Communauté Économique Euro-péenne avaient la volonté de s’intégrer plus fortement dans cette nouvelle communauté ; à l’époque, c’étaient surtout les citoyens de la République Fédérale d’Alle-magne qui en avaient le désir. Par ailleurs, la « Politique Agricole Commune » avait été prévue comme une force motrice pour l’intégration des pays dans la CEE. Malheu-reusement, cela n’a pas fonctionné parce que les diffé-rences dans la façon dont l’agriculture était pratiquée dans les pays membres étaient trop grandes pour que l’on puisse trouver un dénominateur commun. La com-munauté est immédiatement divisée en receveurs et donneurs de subventions agricoles, ce qui favorise natu-rellement les animosités entre les membres au lieu de les atténuer.

De quelle manière aurait-on dû procéder pour donner un fort élan à l’idée européenne afin qu’elle reste ancrée dans l’esprit des Européens (tout d’abord pour la commu-nauté des six) ? Comment aurait-on pu éveiller de l’en-thousiasme pour cette idée dans la population et le pé-renniser ? Cet enthousiasme existait pourtant à l’état la-tent.

La réponse paraît toute simple : Ce n’est pas la régle-mentation des produits agricoles tels que le degré de courbure du concombre ou les mensurations des tomates et des pommes, ou encore les lignes directrices pour la privatisation du rail, de la poste, des services de l’eau ou d’électricité ou encore les règles applicables à la concur-rence entre entreprises, etc. qui peuvent susciter de l’en-thousiasme pour l’Europe. Qu’est-ce qui serait mieux adapté pour mettre en œuvre l’idée de l’Europe que la

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création d’institutions, d’organisations et de services eu-ropéens proches des usagers ?

Le rêveAu sein de nombreux gouvernements d’États Ouest-

européens l’idée prévaut qu’après la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe ne peut jouer un rôle important dans le monde que si elle est unie et ainsi plus forte. L’Europe ne peut avoir un poids dans un monde conflictuel que lorsqu’elle parle d’une seule voix. Cette voix portera un message conciliant à une communauté mondiale qui as-pire à la paix et à une certaine prospérité. Elle sera res-pectée comme médiatrice impartiale dans les conflits et elle sera entendue dans la recherche de solutions aux problèmes mondiaux tels que la crise de l’énergie, la pé-nurie de matières premières, l’apport de nourriture à une population croissante, la pollution au sens le plus large, le changement climatique, etc.

Animés par cette idée, les six États fondateurs (Répu-blique Fédérale d’Allemagne, Benelux, Italie, France) scellent l’accord de coopération par les traités de Rome. Les États membres puis, depuis 1967, la Commission Eu-ropéenne, cherchent à créer des institutions, des organi-sations et des services publics européens. Par cette me-sure, des symboles européens omniprésents sont créés, qui rappellent aux Européens que l’Europe s’est inexora-blement mise en marche vers un avenir commun promet-teur. Il s’agit d’abord et avant tout d’entreprises pu-bliques ou de services publics tels que la Poste, les Télé-communications (faisant alors encore partie de la Poste), le rail, des compagnies d’électricité et de l’eau, des chaînes de télévision (comme par exemple plus tard la chaîne franco-allemande « Arte ») et bien d’autres. Grâce à ces mesures, les citoyens de la Communauté Euro-péenne vont peu à peu développer un sentiment d’ap-partenance à un ensemble de peuples qui vont de plus en plus former une seule et grande communauté dépas-

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sant les Nations. En même temps, les gouvernements des États membres montrent qu’ils soutiennent pleine-ment cette idée. Par ailleurs, des structures interéta-tiques d’abord puis fédérales, ainsi que d’autres sys-tèmes destinés à faciliter la coexistence des peuples de l’Union sont créées pour renforcer le sentiment d’appar-tenance à une grande famille européenne.

Le scénario suivant aboutissant à la création des Etats-Unis d’Europe est alors possible :

1965 : Fusion des services postaux nationaux en un service postal européen, l’Europoste.

1966-67 : Séparation des services téléphoniques de l’Europoste et en 1967 création d’une structure de télé-communications européenne, l’Eurotélécom.

1970 : Fusion des chemins de fer nationaux pour donner naissance à l’Eurotrain.

1970 : Création de plusieurs chaînes de télévision eu-ropéennes.

1971 : Fusion des utilitaires nationaux du secteur énergétique en une grande fédération européenne d’électricité et une grande fédération européenne de gaz naturel dans le cadre d’une structure parapublique. Pour l’instant, les relations étroites entre les gaziers et les électriciens sont conservées là où elles existent. Des ta-rifs standards sont introduits progressivement dans toute la Communauté Européenne. Du côté des compagnies de l’eau, un modèle similaire est à l’étude.

1972 : Introduction facultative d’un passeport euro-péen dans les États membres de la Communauté Euro-péenne

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1972-1981 : Introduction de l’élection directe des membres du Parlement et planification de l’élection di-recte du président de la Commission pour 1981.

1973 : Adhésion du Danemark et de l’Irlande1977 : Coordination et unification des cours et des

frais d’études universitaires dans les pays de la CE et promotion d’études dans les autres pays de la CE hors du territoire national.

1979 : Mise en place d’un système financier unifié et d’un organisme de supervision à l’échelle de la CE afin de coordonner les budgets nationaux, avec une certaine compensation financière entre pays riches et pauvres.

1980 : Révision des règles de contrôle bancaire.1981 : Élection directe du président de la Commis-

sion1981 : Adhésion de la Grèce à la Communauté Euro-

péenne1981 : Le Royaume-Uni décide définitivement de ne

pas rejoindre la Communauté Européenne1982 : Fusion des organisations nationales de dé-

fense en une armée européenne avec service militaire général obligatoire d’un an

1983 : Création de la Banque Centrale européenne et introduction de l’euro

1984 : Politique commune d’immigration des États membres

1985 : La fusion des États de la CE dans une Union fédérale : les États-Unis d’Europe EUE (United States of Europe - USE). Élection directe du Président Européen. Abolition de la Commission pour devenir le gouverne-ment. Le passeport Européen devient standard.

1986 : Au début de l’année : Renforcement du rôle de la société civile par le biais de la démocratie participa-tive

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1986 : Adhésion du Portugal et de l’Espagne ; équipe EUE pour le Mexique

1987 : Admission des EUE comme membre perma-nent du Conseil de sécurité des Nations Unies au lieu de la France

1988 : Adhésion de la RDA et unification avec la Ré-publique Fédérale d’Allemagne, État membre des EUE ; équipes olympiques pour Séoul.

1989 : Définition de l’Europe future dans ses fron-tières possibles : où s’arrête l’Europe politique et quels pays peuvent encore devenir membres des EUE.

1995 : Adhésion de l’Autriche, de la Finlande, de la Suède et de la Turquie

1996 : Les EUE décident la construction d’une station lunaire avec la mise en place du premier module en 2002

1997 : Mise en place d’un système uniforme de re-traite

1998 : Mise en place d’un système fiscal uniforme1999 : Mise en place d’une place boursière centrale

européenne basée à Paris et respectant un ensemble de règles éthiques

2000 : Adhésion de la République Tchèque, de la Ré-publique Slovaque, de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie.

2001 : Modification de la Constitution pour donner plus de poids aux régions.

2002 : Introduction de l’euro et mise en place du pre-mier module d’une base lunaire.

2003 : Remplacement du service militaire obligatoire par une armée de métier.

2004 : Adhésion de l’Estonie, de la Lettonie, de la Li-tuanie, de Chypre et de Malte

2006 : Adhésion de la Croatie, de la Macédoine, du Monténégro, de la Serbie et du Kosovo

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2008 : Adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et de l’Albanie

----------------------Et ainsi le plan sera mis en œuvre conformé-

ment au rêve :

PREMIÈRE PHASE : LA CRÉATION DE SYMBOLES EUROPÉENS

Préface : La Politique Agricole Commune, conçue comme un moyen d’intégration de la CEE, s’est révélée contre-productive. Les différences de productivité entre pays sont trop importantes pour qu’elle réussisse. Après d’intenses consultations entre membres de la CEE, on se met donc d’accord sur un modèle progressif avec un ni-veau de subvention inférieur et différencié jusqu’à une suppression complète ou au moins une diminution sub-stantielle étalée sur une dizaine d’années. Dans le cas de nouveaux arrivants dans la communauté, des subven-tions initialement plus élevées qu’aux anciens États membres leur sont accordées pour les amener rapide-ment au niveau de ceux-ci. En outre, on essaye d’éviter que les produits agricoles fabriqués avec le soutien de ces subventions, et ainsi devenus bon marché, n’inondent le marché mondial, et en particulier ne mettent en difficulté les pays en voie de développement, notamment en Afrique.

Suite à l’échec de la Politique Agricole Commune comme moyen d’intégration européenne, de nouvelles pistes doivent être trouvées. Les hommes politiques re-connaissent maintenant que des symboles proches des gens sont nécessaires pour provoquer un vrai enthou-siasme chez les citoyens envers une Europe unie. Ils se mettent d’accort pour les créer aussi rapidement que possible. Cette section décrit ce qui est fait pour que l’Eu-rope Unie devienne une réalité.

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Quelques années seulement après la fondation de la Communauté Économique Européenne, il est clair que, si l’Europe veut faire entendre sa voix dans le concert de la politique mondiale, elle doit être davantage qu’une communauté économique. Les pères fondateurs l’avaient déjà souligné. Cela est particulièrement évident lors de la guerre du Vietnam (1964/65-1973) et de la guerre d’Al-gérie (1954-1962), au sujet desquels la voix de l’Europe est restée presque inaudible. Lors de la guerre d’Irak dé-clarée en 2003, la situation n’est pas meilleure. Il existe encore beaucoup de problèmes non résolus qui persiste-ront certainement encore pour longtemps. L’absence to-tale de la voix de l’Europe au cours de la guerre civile sy-rienne, où déjà bientôt cent mille victimes sont à déplo-rer au milieu de l’année 2013, est tout à fait fatale. Ce-pendant, si l’idée européenne devait devenir une réalité, il lui faudrait des symboles forts, mettant en évidence l’appartenance des habitants de cette Communauté à une seule et même entité. Les gouvernements des États membres s’apprêtent aujourd’hui à créer de tels sym-boles...

Il faudrait surtout éviter que ces symboles n’ajoutent des complications bureaucratiques supplémentaires, ren-dant la vie des citoyens plus difficile. Se servir des éta-blissements ou des entreprises opérant à travers tout le territoire de la Communauté Européenne serait évidem-ment la meilleure solution. Ils auraient ainsi pour voca-tion de rendre possible ou de faciliter les contacts entre citoyens des pays voisins. Chaque fois que le service d’une entreprise ou société est sollicité, l’utilisateur prend automatiquement acte du fait qu’il vit dans une communauté élargie et que les concitoyens dans les autres pays de cette Communauté Européenne sont ses propres voisins.

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De toute évidence, ce sont les services postaux des États membres qui conviennent le mieux à une première expérience dans ce sens. Dans les années 60, les ci-toyens ont encore des contacts étroits et fréquents avec ces services nationaux. Les SMS et les e-mails avec docu-ments attachés, etc., pour lesquels aucun service postal physique n’est nécessaire, n’existent pas encore. De même, la tendance à la privatisation des entreprises na-tionales n’est pas encore d’actualité, et par conséquent, le secteur privé n’a aucune objection à ce que l’on utilise les services postaux comme instrument de promotion de l’unité européenne.

En 1965, les différents services postaux nationaux sont réunis sous un même toit européen et ainsi fusion-nés en une opération postale européenne, l’Europoste. Peu à peu, cette institution, présentée comme partie in-tégrante de la CEE et s’efforçant d’offrir à ses clients le service le meilleur et le plus efficace est perçue par la po-pulation comme un prestataire de services véritablement européen, dont elle est fière. Des cartes géographiques de la CEE sont affichées dans tous les bureaux de l’Euro-poste, ce qui renforce considérablement l’impression d’avoir à faire à une institution européenne. Au début ce-la n’affecte pas du tout, et plus tard assez peu, la ma-nière dont les entreprises postales s’organisent après la fusion. L’expédition de colis et de lettres se fait comme auparavant en utilisant le système bien rôdé de compta-bilisation, sauf que maintenant les timbres sont euro-péens. L’effet recherché est tout d’abord celui d’un sym-bole fort mais aussi celui d’une amélioration considérable des services offerts y compris au-delà des frontières na-tionales. La Poste Européenne réunit l’Europe dans l’es-prit des citoyens. Les lettres et les colis ne viennent plus de France ou d’Italie et ainsi de suite, mais de la Commu-nauté Européenne. Un an plus tard, un tarif unique pour chaque catégorie de poids pour les lettres et les colis est mis en place dans toute la Communauté. Maintenant, on

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trouve partout des timbres avec des représentations de tous les États membres (mais des images d’objets ou de personnalités réels et non synthétiques) qui sont valides partout dans la CEE. Pour les collectionneurs de timbres des collections supplémentaires sont émises. L’Europe commence à vivre - au moins dans les bureaux de poste – et, dans les années 1960, les citoyens vont fréquem-ment au bureau de poste. La poste vient aussi chez eux presque tous les jours. Qu’est-ce qui pourrait donc être mieux adapté pour amener l’idée européenne auprès des gens ? Même les sceptiques trouvent maintenant que cette idée a du bon.

En 1965, j’ai 21 ans et suis donc majeur, je viens tout juste de faire l’armée (d’abord dans une unité de pe-tits avions de reconnaissance, puis dans une compa-gnie sanitaire) et commence mes études à l’Universi-té technique de Berlin-Ouest, non pour éviter le ser-vice militaire, car celui-là je l’ai juste derrière moi, mais pour vivre la réalité de la Communauté Euro-péenne et pouvoir directement observer son rayon-nement vers l’Europe de l’Est. Dans un premier temps je m’inscris en métallurgie, puis en géologie. Mais pendant les premières vacances d’été, j’ai envie de voir un peu le « vaste monde » et je me fais em-baucher par la Hapag comme « mousse » sur un na-vire cargo, le Christiana Pikuritz, en route pour les Caraïbes. À cette époque, les cargos sont encore de vrais navires et non les conteneurs du XXIème siècle, qui ne permettent même pas à leurs équipages d’al-ler à terre quand ils sont au port. Au cours de la tra-versée de l’Atlantique, le moteur géant du navire tombe en panne et nous sommes toute la nuit à la merci des vagues. Heureusement, cette nuit-là la mer est relativement calme. En Colombie, au Venezuela, à Trinidad et au Costa Rica je vois pour la première fois des paysages tropicaux. A Trinidad, je me re-trouve pour la première fois parmi une population

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noire, ce que je trouve passionnant. Le mode de vie de ces populations me semble complètement diffé-rent de ce que l’on connaît en Europe - les gens sont beaucoup plus ouverts, joyeux, détendus. À la Nou-velle Orléans, l’ouragan Betsy nous surprend. C’est le premier grand ouragan qui cause des dommages de plus de 1 milliard de $ US (en $ de 1965). Pour ne pas être renversé par ce vent, il faut se pencher d’en-viron 30° contre lui. Des navires arrachés du quai op-posé se cognent contre le nôtre, provoquant un grand trou à l’arrière. L’aspect positif de cet événe-ment : nous restons à la Nouvelle Orléans durant en-viron une semaine pour réparer le trou et j’ai alors la possibilité de visiter la ville. A cette époque, il y a en-core les orchestres noirs de jazz originaux, particuliè-rement dans la Preservation Hall. Je suis impression-né par l’âge avancé des musiciens de jazz.De retour à Berlin-Ouest, la CEE signifie beaucoup plus pour moi que juste une économie commune à six. Même dans cette « ville île », on se rend compte que quelque chose est en mouvement, et l’Europoste envoie le signal approprié pour moi comme pour une grande partie de la population.Les gouvernements nous affirment leur sérieux au

sujet de l’Europe. Ils veulent nous convaincre que c’est la bonne voie et nous sommes réceptifs à ce message. L’initiative est un énorme succès pour la promotion de l’idée européenne, qui est de plus en plus embrassée par les citoyens. De plus en plus de citoyens de tous âges se réjouissent à la perspective de voir dans quelques an-nées une Europe occidentale sans frontières et régie par des lois communes. Nous voulons redoubler d’efforts dans cette direction et ouvrir cette Europe à nos voisins le moment venu. Peut-être cette Europe ouvrira-t-elle un jour ses portes aux pays d’Europe de l’Est, connus actuel-lement comme États satellites de l’URSS. Dans tous les cas, on voit à Berlin-Ouest que le rayonnement de la CEE

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vers l’Europe centrale et orientale, avec l’idée euro-péenne sous-jacente, est tout simplement phénoménal.

Une fois que la valeur symbolique de cette action est clairement reconnue, on cherchera d’autres domaines où une action semblable pourrait être accomplie. Il s’avère que le service téléphonique, qui se trouve encore au sein de la poste, a fortement gagné en importance ces der-nières années. Pour pouvoir procéder de la même ma-nière que pour la poste, on créera très rapidement des structures permettant de déconnecter l’Europoste puis de mettre en place un service de Télécom Européen, l’Eurocom. En 1966 est lancée la séparation du service téléphonique de l’Europoste, et un an plus tard l’Euro-com. À l’exception de la séparation du service télépho-nique de l’Europoste, il n’y a actuellement aucune re-structuration importante et les nouveaux tarifs valables dans toute la CEE sont introduits en un an. Pour per-mettre à la nouvelle Eurocom d’améliorer ses services et à moindre prix, des fonds importants sont investis en re-cherche et développement (R & D), afin de bénéficier des dernières technologies de communication. Cela a pour conséquence que l’Eurocom devient l’organisme Télécom le plus moderne du monde et que les citoyens des États membres de la CEE ont une raison de plus d’en être fiers et de se sentir encore davantage liés à elle.

L’Europe est d’ores et déjà devenue une affaire de cœur pour la plupart des citoyens et cela d’autant plus qu’ils voient que les politiciens s’efforcent de la faire en-core progresser pour devenir la maison commune pour tous. Cet enthousiasme est donc contagieux et cette contagion se fait sentir même au-delà des frontières de la Communauté Européenne.

Avec cette nouvelle étape résolument européenne, un élément de plus de l’Europe est créé non seulement dans l’imagination des citoyens mais surtout sur le ter-rain. L’Europe devient tangible et une Europe politique-ment unie devient de plus en plus possible. Berlin-Ouest,

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où je suis toujours étudiant, n’est plus aussi insulaire que dans les premières années suivant la construction du mur en 1961, bien que le gouvernement de la RDA es-saye maintenant de défendre son modèle par tous les moyens et continue de se démarquer de l’Ouest. Finale-ment, il ne parvient pas à convaincre ses citoyens et peu à peu les relations entre les deux États allemands s’amé-liorent, en particulier pendant l’ère de Willy Brandt, à partir de 1969. C’est vraiment une chance historique que les efforts d’un homme en faveur de la réconciliation entre l’Est et l’Ouest coïncident avec les progrès faits dans la mise en œuvre de la communauté des peuples européens, organisée en une fédération politique appe-lée à devenir un jour une véritable Union. Ce développe-ment prive le régime de la RDA de sa légitimité.

En 1967, les trois institutions originales de la Com-munauté Économique, c’est-à-dire la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), la CEE et l’EUR-ATOM sont fusionnées pour donner naissance à la Com-munauté Européenne, ce qui signifie, au moins dans les termes, une communauté politique plutôt que purement économique. Toutes les possibilités d’une continuation de l’intégration politique restent ouvertes.

Cette année-là, je pars à Paris pour un an d’études. Au début, je m’inscris à la vénérable Université de la Sorbonne dans le Quartier Latin, où je me plais beau-coup. J’habite au sixième étage dans une petite man-sarde (<10m2) rue des Écoles, presque en face de l’Université. Mais le domaine d’étude choisi, la géolo-gie historique, du point de vue professionnel, ne mè-nerait à rien selon moi et par conséquent je m’inscris à la Faculté des Sciences (Jussieu) en géologie appli-quée. À l’École des mines, où je tente également de m’inscrire, on me dit de revenir quelques années plus tard pour écrire ma thèse de doctorat. Aussi, dois-je déménager à Neuilly, un faubourg « chic », où j’occupe une plus grande mansarde d’un bel im-

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meuble haussmannien, car la chambre dans la rue des Écoles est trop chère pour ma petite bourse.Pour moi, prendre le chemin jusqu’à Paris pour y étu-dier, c’est tout à fait normal à l’époque, même si cela n’est pas nécessairement abordable pour tous les étudiants. Pourtant, Erasmus n’existe pas encore. A ce moment-là, les jeunes Allemands se sentent atti-rés par la France. Pour nous, les mots « Liberté, Ega-lité, Fraternité » sont toujours magiques et nous ai-merions voir triompher cet idéal dans l’ensemble de la nouvelle Europe. La même ambition s’applique aux jeunes Polonais, que l’on peut également rencontrer ici et là à Paris, mais pour qui l’arrivée en France est beaucoup plus difficile. En outre, on peut voir un cer-tain nombre d’étudiants venant également d’autres pays voisins s’inscrire pour un ou deux ans aux uni-versités de la Communauté des Six pour rentrer avec un certificat supplémentaire. L’état d’esprit chez beaucoup de jeunes est déjà très favorable à l’idée européenne et c’est ainsi qu’ils circulent de plus en plus dans les pays européens voisins. Les institutions européennes et les organisations de service public, qui, ici et là, dominent maintenant de plus en plus le paysage public, contribuent énormément à ce que « l’Europe » devienne peu à peu une réalité pour les ci-toyens. À Paris je rencontre une jeune française d’ori-gine antillaise, Annette Sopinor (pour moi Annie), qui, plus tard, deviendra ma femme - là encore, l’Europe se fait à la petite échelle des individus. C’est aussi comme cela qu’elle se fera. Au mois de mai 1968 Paris bouillonne. La révolte étu-diante (en France on l’appellera plus tard révolution) éclate et se répand en Europe comme un feu de paille ; encore un autre aspect de l’Europe. L’opinion des jeunes n’est pas seulement hostile à l’autorité avec l’aspiration à plus de liberté individuelle (plus tard on parlera aussi de « révolution sexuelle ») et

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contre la société de consommation, elle est aussi pro-européenne, panachée d’impatience – pour les étudiants et une partie du « reste » de la population, l’Europe avance beaucoup trop lentement(!). Cet épi-sode à Paris restera pour moi un très beau souvenir. Les gens sont accessibles et ouverts à la nécessité d’un changement dans la société. Les structures sont trop sclérosées et l’image d’une « Grande Nation » que Charles de Gaulle voulait pour la France après la seconde guerre mondiale (et qui a sans doute alors facilité le nouveau départ de la France après l’occu-pation allemande) est une image qui ne signifie plus rien pour les étudiants aujourd’hui. Le monde a chan-gé pour la France autant que pour l’Europe. Les jeunes, notamment les étudiants, veulent une France - et pourquoi pas aussi une Europe - qui leur parlent. Ils demandent des politiciens dotés du courage de faire progresser la société vers une plus grande ou-verture ... Il ne faut pas laisser passer cette occasion.Malgré ces événements, je réussis mon examen en géologie appliquée à la Faculté des Sciences et j’ob-tiens ma « licence ». Sans ce certificat, j’aurais bien sûr des difficultés pour obtenir l’extension de ma bourse.1968 n’est pas seulement une année chaotique en

France. En Allemagne, aux États-Unis et en Italie aussi des événements s’inspirent de l’esprit de mai à Paris. En même temps il souffle un vent frais à travers le bloc com-muniste soviétique qui trouve son expression concrète dans le Printemps de Prague. Chez beaucoup de gens, cela suscite un immense espoir et on commence à croire en un modèle de communisme à visage humain. Pendant un certain temps, il semble même que ce mouvement ait une chance de réussir. Malheureusement, en Union So-viétique c’est l’inflexible Leonid Brejnev qui tient les rênes du pouvoir et le printemps de Prague est étouffé en août de la même année par la puissance militaire so-

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viétique. Heureusement, cette réaction ne se fait pas aussi brutalement qu’on aurait pu le craindre. En compa-raison avec la CE, qui est maintenant admirée par une majorité de pays, l’Union Soviétique ne veut pas appa-raître trop violente. Malheureusement, Nikita Khroucht-chev n’est plus Secrétaire Général de l’URSS depuis 1964. Avec lui, cette tragédie ne serait peut-être pas arri-vée. Il avait déjà entamé certaines réformes. Sous Leonid Brejnev, les structures politiques se sont à nouveau sclé-rosées et durcies. Néanmoins, la perspective d’une fin de la guerre froide gagne peu à peu du terrain, même si l’URSS envoie une fois encore des signaux contraires. L’Union Européenne est devenue un partenaire pour l’URSS et il n’est donc plus possible que celle-ci ignore complètement ses préoccupations. En outre, l’URSS n’est plus insensible à l’opinion publique domestique et inter-nationale ou celle des « partenaires » (satellites).

En avril 1968, Rudi Dutschke est victime d’une tenta-tive d’assassinat à laquelle il survit malgré de graves lé-sions cérébrales. C’est un homme très engagé. Il a consacré toute sa vie à la recherche d’un modèle entre communisme à la soviétique et capitalisme américain. Beaucoup d’intellectuels le soutiennent, parmi lesquels l’ancien président de la République Fédérale d’Alle-magne, Gustav Heinemann. Mais les pouvoirs politiques et économiques établis le combattent farouchement. Les médias, en particulier la presse d’Axel Springer avec son journal « Bild » Zeitung, le dénigrent également. On pourrait voir en Axel Springer la contrepartie allemande de Rupert Murdoch : esprit conservateur et mise en scène visant à plaire ou influencer l’opinion populaire pour s’en servir à des fins politiques.

Daniel Cohn-Bendit, qui en 1968 étudie à l’Université de Nanterre, près de Paris, a connu Rudi Dutschke. Il le rencontre quelques semaines avant la tentative d’assas-sinat à Berlin. Cet événement le motive pour stimuler les étudiants de Nanterre sur le plan politique. Il y a certai-

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nement de la rage en lui contre le pouvoir qui a toléré les campagnes de haine à l’origine de cet attentat. Arrivent les événements de mai et Daniel Cohn-Bendit est expulsé de France en tant qu’instigateur présumé de la révolte. Le gouvernement français pense avoir ainsi joué un coup habile contre la « révolte étudiante ». A l’instar de Rudi Dutschke, Daniel Cohn-Bendit plaide en faveur d’un mo-dèle politique et économique plus humain. Il n’est pas communiste. Plus tard, il s’engage pour l’écologie et en 1994 représentera les Verts au Parlement Européen.

À l’automne 1968, je reprends mes études à l’Univer-sité Ludwig-Maximilien de Munich. Nous, c’est-à-dire Annie et moi, vivons à Schwabingen. À ce moment-là, Munich est une ville très conviviale pour les étudiants et en fait le quartier étudiant de Munich fait plus ou moins partie de Schwabingen. Avant les deux guerres mondiales, c’était le quartier bohème et artistique de Munich. Par exemple, l’association le « Blauer Reiter » (Cavalier bleu) des peintres expressionnistes y était installée. Dans les années 60 et 70, on n’y fait pas seulement ses études, mais on s’y amuse aussi. Il y a beaucoup de bars fréquentés par les étudiants où il fait bon boire et discuter. En plus il y a encore des garnisons américaines stationnées à Munich qui en-tretiennent des boîtes de nuit dans lesquelles jouent d’excellents petits orchestres et où on peut encore danser sur des « slows » (si démodés en 2013). Je me souviens encore bien du « Birdland » visité principa-lement par les Afro-Américains dans la Kirchenstraße, dans le quartier Haidhausen de Munich. Il y règne une ambiance folle. En outre, la comédie musicale « Hair » est jouée alors à Munich, où vit Donna Sum-mer. En 1969, Annie et moi nous nous marions. De-puis 1970, nous pouvons prendre « l’Eurotrain » pour aller de Munich à Paris et ainsi rester en contact avec nos familles respectives.

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Ce train fait également les liaisons Paris – Hambourg et Hambourg – Munich. Le trajet dure environ 5 heures. Quel exploit ! On peut apprécier les paysages, les vil-lages, les villes et les châteaux au lieu de rester allongés toute la nuit sur d’inconfortables couchettes sans pouvoir fermer l’œil. Surtout en hiver, quand les routes sont sou-vent recouvertes de neige ou de verglas, c’est vraiment une bénédiction ! Heureusement, quasiment personne alors ne pense à privatiser le chemin de fer. Quelle bêtise ce serait ! Par la suite, on a poussé la recherche et le dé-veloppement technologique dans le domaine du rail pour élaborer des systèmes techniquement très avancés et même pionniers, grâce auxquels l’Europe occupe la posi-tion de leader mondial dans le domaine des trains ra-pides.

La fusion des compagnies ferroviaires nationales dans une opération européenne n’est pas tout à fait aussi facile que celle de la Poste ou des Telecom. Ici il faut sur-monter des résistances plus grandes chez les compa-gnies ferroviaires nationales et leur personnel. Etonnam-ment mais heureusement, les politiciens restent engagés et sont toujours attachés à l’idée que l’Europe doive de-venir de plus en plus intéressant et bénéfique pour ses citoyens. Moins de bureaucratie et plus de proximité ci-toyenne. À la recherche d’autres symboles de l’unité de l’Europe, ils se servent maintenant quasiment intuitive-ment d’institutions ayant un impact quotidien sur la vie des citoyens. L’esprit des pères fondateurs est toujours présent et n’a rien perdu de sa force. Ainsi les différends sont réglés par la persuasion mutuelle dans des discus-sions constructives et à la fin la bonne volonté gagne toujours. Les politiciens ont montré l’exemple pour le chemin de fer et les organisations concernées ont suivi cette voie.

Pour le chemin de fer il ne s’agit pas bien sûr seule-ment de transport de personnes, de lettres et de pa-quets, ou simplement d’établir de liaisons ferroviaires

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entre des villes dans des pays différents, mais d’une réelle intégration des organismes nationaux. Par exemple, le personnel du secteur ferroviaire ne devrait pas être échangé à chaque frontière, mais rester jusqu’à la gare de destination si la distance depuis la gare de dé-part ne dépasse pas 1000 km. Pour le trajet Paris - Ham-bourg par exemple, ce serait parfaitement raisonnable, alors que ce serait plus difficile pour un Bordeaux - Ber-lin. Il serait bien sûr indispensable que le personnel puisse se faire comprendre dans deux ou trois langues. Il faudrait également construire un réseau d’hôtels ou d’au-berges pour le personnel. Les réseaux ferroviaires, les tensions caténaires et les fréquences AC doivent être standardisés, ou bien il faut développer des méthodes qui permettent aux locomotives électriques de s’adapter d’un système à l’autre sans devoir être remplacées. Heu-reusement, depuis plus de cent ans, l’envergure de la voie ferrée, c’est-à-dire la distance entre les rails, est normalisée à 1435 mm dans les États membres actuels de la CE. Il faudra probablement encore quelques années pour que le système fonctionne en douceur et qu’il n’existe plus de longs arrêts aux frontières. Mais le pro-grès technologique permet d’espérer que ces difficultés seront maîtrisées rapidement et que bientôt on aura un système ferroviaire européen bien réglé avec des ho-raires respectés et des trains à l’heure. Alors le voyage dans la Communauté Européenne avec le train IC ou le TGV sera un vrai plaisir ; les distances seront plus courtes et les villes européennes se rapprocheront les unes des autres. Dans les salles d’attente on trouve partout des cartes du réseau ferroviaire européen et non seulement du réseau national. On voit immédiatement que l’entre-prise de service ferroviaire se conçoit comme un service transfrontalier et désormais les grands axes tels que Nantes - Berlin ou Stuttgart - Marseille ou encore Paris - Rome s’imprègnent dans les mémoires.

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Il serait maintenant logique de réunir les compagnies aériennes nationales de la CE dans une seule compagnie, l’« EuroAir ». Si déjà il n’a pas été facile de rassembler toutes les entreprises ferroviaires nationales sous la même enseigne, il s’avère que cela est beaucoup plus difficile encore quand il s’agit des compagnies aériennes, malgré des difficultés techniques moindres. Rattacher ces compagnies aériennes nationales à une entreprise européenne va un peu trop loin pour la plupart des gou-vernements de la CE. Air France, Alitalia, Lufthansa, KLM, Sabena, sont des symboles nationaux. Les nations n’y veulent donc pas (encore ?) renoncer, ce qui est extrê-mement regrettable, car elles aiment encore se cacher derrière leurs propres priorités et ont parfois tendance à différer les décisions si un accord à court terme n’est pas possible. Pour ne pas avoir l’air trop rétrograde, on se met d’accord pour fonder une nouvelle petite compagnie privée, « European Airlines », qui reprend certains itiné-raires peu fréquentés à l’intérieur et en dehors de l’Eu-rope. Comme les relations avec l’Union Soviétique se dé-tendent lentement mais sûrement, on autorise cette nou-velle compagnie aérienne « neutre » à desservir Berlin-Ouest depuis Paris, Rome, Amsterdam, Bruxelles, Ham-bourg, Francfort et Munich, au début une fois par se-maine puis plus souvent. Après tout, cette compagnie embryonnaire est, au moins théoriquement, censée de-venir la grande « EuroAir ». La réalisation de ce potentiel dépend cependant de ses fournisseurs de capital et de son habileté à profiter de la tendance aux entreprises opérant à l’échelle européenne.

Les gens vivent tous ces changements positifs dans la CE comme quelque chose de tout à fait naturel et nor-mal. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les politiciens leur ont promis de créer une Europe dotée des structures nécessaires à son fonctionnement ? Grâce à toutes ces réalisations survenues ces dernières années, leur vie est grandement facilitée et ils se sentent chez

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eux partout dans l’Europe des six. Les nouvelles entre-prises de service européennes fonctionnent bien, af-fichent des prix raisonnables et sont perçues comme proches de l’usager. Cela est dû en partie au fait que l’on a reconnu très tôt que, dans ces établissements, il faut réduire la bureaucratie à un strict minimum, si l’on sou-haite que la clientèle soit satisfaite. En outre, on explique clairement aux employés qu’un traitement rapide, effi-cace et néanmoins sympathique donne une clientèle sa-tisfaite et est par conséquent dans l’intérêt des employés eux-mêmes, qui désormais seront plus appréciés par les clients. Les citoyens perçoivent donc la CE comme non-bureaucratique et dévouée. L’idée européenne est en train de se concrétiser et cela fonctionne ! Bientôt, les pays voisins reconnaîtront clairement l’avantage de la Communauté Européenne et voudront la rejoindre dès que possible.

Même la presse, excepté au Royaume-Uni, est convaincue par l’idée européenne et contribue avec ses articles à l’ancrer positivement dans l’opinion publique. Les représentants encore sceptiques de la presse sont in-vités à débattre avec politiciens et autres personnalités publiques pour mesurer leur scepticisme à l’aune de ce qui est déjà accompli et ce qui est prévu. La plupart du temps, le résultat est plus que satisfaisant, et « L’Europe » gagne davantage de partisans. Seuls les irréductibles sceptiques ne sont pas convaincus, mais comme ils se ré-duisent peu à peu à une toute petite minorité, ils ne re-présentent plus aucun danger pour la progression sur la voie de l’intégration des Etats membres. Ils restent ce-pendant une vigie, pour qu’aucune nouvelle étape ne soit franchie sans être bien considérée et bien préparée. Ces voix ne sont donc pas négligées. Seule la presse britan-nique, qui, depuis 1968-69, est le plus visiblement repré-

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sentée par Rupert Murdoch, est de plus en plus hostile à l’Europe2.

Une étape supplémentaire dans la bonne direction serait maintenant d’expliquer aux élèves à un stade as-sez précoce et de façon vivante les avantages d’une Eu-rope fédérale unie. Cela les rendrait plus tard moins sen-sibles à la démagogie nationaliste anti-eurpéenne. Plutôt que de glorifier les guerres et les victoires, l’enseigne-ment de l’histoire devrait donner plus de poids à la des-cription de la souffrance et de la pauvreté infligées aux peuples par les guerres continuelles qui ont ravagé l’Eu-rope au cours des siècles et souligner le potentiel de prospérité et de paix d’une Europe unie. C’est déjà pra-tique courante dans certaines écoles, mais beaucoup d’autres ne suivent pas cette tendance. La Communauté Européenne apportera des avantages non seulement économiques, mais aussi des valeurs morales et de tolé-rance, tels que l’affiliation à une culture dont personne n’est exclu, tout simplement parce qu’il ou elle : • appar-tient à une religion particulière, • se reconnait dans l’ho-mosexualité (sans toutefois manifester cette affiliation de façon envahissante en public, dans les deux cas), • a une certaine couleur de peau, • est une femme, • représente une tendance politique, • est particulièrement excellent à l’école ou trop timide, • a un handicap physique ou mental, • est pacifiste, etc. Cette culture se caractérise par la tolérance, tout en sachant se défendre contre l’in-tolérance agressive.

2 Je tiens à indiquer ici une contribution par Agnès Catherine Poirier - Télérama, N° 3211 - qui décrit très justement la presse Murdoch comme prédateur. Elle cite Sir David Hare, un dramaturge Britannique : « Murdoch est un thatchérien pur. Il a apporté en Grande-Bretagne un nationalisme très cru, à la fois martial, anti-européen et impérialiste. » Voir aussi : http ://www.telerama.fr/medias/la-presse-murdoch-l-empire-qui-pervertit-les-democraties,71512.php

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À ce stade, l’échange des élèves et des étudiants entre écoles et universités dans les différents États membres s’intensifie et renforce la compréhension mu-tuelle des différentes coutumes et cultures au sein de la CE. Le succès ne se fait pas attendre. De plus en plus de jeunes parlent une ou plusieurs autres langues euro-péennes en plus de leurs langues maternelles, amélio-rant ainsi considérablement l’empathie pour leurs diffé-rents modes de vie respectifs. Les nationalismes poli-tiques et culturels s’affaiblissent de plus en plus. Les néo-nazis en Allemagne et ailleurs n’ont guère de partisans et l’extrémisme de droite résiduel est en voie de disparition. L’expérience pratique et la participation de toutes les couches de la société à la création d’une grande commu-nauté sont tellement probantes que ces tendances poli-tiques antédiluviennes n’ont plus aucune place dans la Communauté Européenne. En outre, il n’y a pratique-ment pas de chômage pendant ces années précoces de la Communauté Européenne. En France, on parle des 30 années suivant la seconde guerre mondiale comme des « Trente Glorieuses » grâce au plein emploi. Plus tard, après le premier choc pétrolier, des programmes sont ra-pidement mis en place pour procurer du travail aux gens qui perdent leur emploi à cause du ralentissement écono-mique, y compris des programmes de formation pour de nouvelles professions.

En même temps que la création de l’Eurotrain, le pre-mier canal de télévision européenne est créé en 1970. Pour l’instant, les téléspectateurs ne peuvent pas encore sélectionner leur langue par la télécommande (les langues diffusées sont l’allemand, le français, le néerlan-dais et l’italien). Ceci sera réservé à l’ère du numérique.

Aujourd’hui, ce ne sont donc plus seulement les élèves, les étudiants, les clients de l’Europoste et de l’Eu-rocom et les voyageurs qui sentent de près le souffle de l’Europe, mais aussi le peuple des nombreux téléspecta-teurs. L’Europe entre dans la maison. Notamment, la

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chaîne de télévision européenne diffuse des programmes culturels qui montrent la vie, les coutumes et les tradi-tions « locales » des pays voisins. Mais aussi des informa-tions, des discussions politiques, des contributions scien-tifiques et bien d’autres, y compris des spectacles de va-riétés, sont diffusés de part et d’autre des frontières na-tionales. Un contrôle de qualité sous supervision démo-cratique (afin qu’elle ne dégénère pas en agence de cen-sure) permet de s’assurer qu’un niveau minimum de culture, de vérité et d’éthique soit respecté par la télévi-sion. Une couverture excessive de phénomènes sans im-portance ne sert pas l’éveil politique et social qui serait le mandat des médias, bien au contraire. Bientôt suivront d’autres chaînes européennes spécialisées (actualités, économie, culture, sciences, sport, etc.). En outre, la ré-ception aisée des chaînes de pays voisins en langue ori-ginale favoriserait la diffusion des langues étrangères.

On observe un débat animé quant à la place de la pu-blicité à la télévision et à sa gestion pour éviter les cou-pures des programmes en cours. Déjà financée par l’état, c’est-à-dire par les impôts, les chaînes nationales de-vraient se contenter d’aussi peu que possible de publici-té. La publicité pour l’autofinancement des chaînes pri-vées à venir sera autorisée, à condition de ne pas impo-ser de coupures des programmes.

Comment l’Europe va-t-elle se développer ? Y aura-t-il d’autres acteurs de la vie publique, de l’économie et de l’industrie, qui suivront les exemples de la poste, des té-lécoms, du chemin de fer et de la télévision ? La politique peut-elle provoquer davantage de fusions d’entreprises nationales en entreprises européennes ? Ce qui reste en-core à exploiter pour la cause Européenne, ce sont sur-tout les compagnies d’électricité et de l’eau. En effet, les compagnies d’approvisionnement en énergie elles-mêmes peuvent de moins en moins échapper à l’attrac-tion de l’idée européenne et à l’influence des politiques pour faire de nouveaux pas en avant.

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En 1971 survient une fusion entre les opérateurs des secteurs du gaz d’une part, et de l’électricité d’autre part. Au début, cette fusion est encore relativement libre, car les structures sont différentes selon les États membres. Si par exemple les producteurs d’électricité et les fournisseurs de gaz naturel en France sont encore pu-blics, dans les autres pays il y a un mélange de modèles, où coexistent des firmes d’État, des entreprises privées et certaines compagnies semi-publiques. A la fin d’une longue évolution on s’accordera sur un modèle semi-pu-blic. De nouvelles structures pour garantir aux clients un bon rapport qualité/prix de l’énergie seront développées : En connectant les compagnies d’électricité entre elles et en normalisant les infrastructures et les équipements, on peut mettre en place des synergies pour réduire les coûts, d’où une baisse des prix pour le consommateur. Par ailleurs, la bureaucratie sera allégée, ce qui entraîne-ra des économies supplémentaires. Alors que l’économie de la CE fonctionne généralement très bien - la première crise pétrolière est encore devant nous - les ouvriers éventuellement mis au chômage trouveraient rapide-ment un emploi ailleurs. Mais il n’y aura pas de licencie-ments parce que les agents seront nécessaires à la re-structuration, à la modernisation et à l’intégration des ré-seaux d’électricité et à la construction de gazoducs. En outre il faut que la proximité avec le client soit une priori-té et pour cela on aura aussi besoin de collaborateurs motivés et non d’employés découragés par la perspec-tive du chômage. Les compagnies d’électriques et de gaz vont d’abord continuer à utiliser leur logo d’origine à côté du symbole européen. Au fil du temps l’intégration pro-gressera jusqu’au point où seul le logo européen sera conservé. Les clients concevront bientôt leurs services publics, maintenant complètement axés sur les clients, comme une autre brique de la maison Europe.

Peu après, les utilitaires de l’eau suivront avec un modèle similaire. Cette fois-ci on prend le temps néces-

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saire pour mettre tranquillement l’intégration en œuvre. Dans de nombreuses régions, les compagnies d’eau sont municipales, d’autres sont privées, il y en a aussi des pe-tites et indépendantes à côté des grands conglomérats avec leurs filiales et une fusion rapide ne serait pas pos-sible. C’est pourquoi on se contente d’abord de mettre en place une fédération de compagnies. Celle-ci se pré-sente sous un logo local et un logo européen parallèles. Toutefois, une entreprise véritablement européenne émergera peu à peu et pourra ensuite effectuer les inves-tissements nécessaires à la modernisation de l’équipe-ment d’approvisionnement d’eau fraîche et d’évacuation des eaux usées chez les consommateurs. Les services publics non seulement acheminent l’eau mais se chargent également des stations d’épuration. L’ayant ex-périmentée de façon positive avec les autres services et utilitaires européens, les usagers ne doutent pas que cette solution est la meilleure. Les syndicats et les em-ployeurs de la branche sont d’accord sur le fait que le modèle ne peut fonctionner que si les deux parties vont dans la même direction. En collaboration avec le mana-gement, les syndicats tiennent à rendre le climat de tra-vail aussi propice que possible et à faire en sorte que les conflits soient résolus par des accords mutuels.

Précisons toutefois qu’une éventuelle privatisation ou reprivatisation du secteur énergie et/ou eau ne peut pas être exclue à long terme, si, au fur et à mesure que la Communauté Européenne s’étend géographiquement, ces compagnies devaient devenir trop grandes et ineffi-caces. Cependant, il faudrait alors formellement prouver et garantir que la privatisation se ferait au bénéfice des clients. Il n’est pas admissible qu’une entreprise utilitaire ou de service public, une fois privatisée, ne pense qu’à ses propres profits et aux dividendes des actionnaires. Trop souvent, lors des privatisations de services publics, les citoyens se sont sentis trompés.

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Pour mémoire, lors de la création d’entreprises de services ou d’utilitaires énergétiques ou de l’eau opérant à l’échelle de l’Europe, on n’aura généralement pas re-cours à l’étatisation. Lorsque les entreprises de services sont encore nationales, ce qui est habituellement le cas, leur transformation en un organisme opérant à l’échelle européenne est relativement facile. On n’est pas confron-té aux intérêts privés des actionnaires ou d’autres inves-tisseurs, qui peuvent demander une indemnisation, exer-cer un droit de veto ou retarder de façon quelconque le cours de l’histoire. Au-delà de la mise à l’échelle euro-péenne de la poste, des télécoms, des compagnies de chemin de fer, de la télévision, de l’électricité et du gaz, on ne créera pas d’autres organisations à la dimension européenne, à l’exception d’institutions dans le secteur bancaire et financier.

En effet, une étatisation de compagnies du secteur privé est hors de question. Comme déjà mentionné, les mesures prises jusqu’ici n’ont rien à voir avec une étati-sation. Dans le cas où nous avons à faire avec un panier mixte d’entreprises d’état, d’entreprises privées ou même d’entreprises parapubliques, on préférera le mo-dèle de société d’économie mixte pour le fonctionnement au niveau de la Communauté Européenne. Quand on veut créer un organisme à l’échelle européenne à partir de nombreuses petites et grandes entreprises, pour la plupart privées, on applique le modèle d’un groupement d’entreprises individuelles et indépendantes doté d’une administration centrale.

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DEUXIEME PHASE : LA CREATION ET LE RENFORCEMENT DES INSTITUTIONS ET INSTALLATIONS EUROPEENNES

Préface : Les symboles créés se sont avérés effi-caces. « L’Europe » est dorénavant bien plus qu’un terme géographique. Pour beaucoup de citoyens elle devient un second chez-soi ou une super-patrie. Il faut désormais in-troduire des cartes d’identité au niveau de la Commu-nauté Européenne permettant aux résidents de s’identi-fier partout en tant que citoyens européens. Il faudra également créer des institutions leur permettant de par-ticiper directement à la vie politique de la communauté et de la région où ils résident. Par ailleurs, il est égale-ment nécessaire d’unifier ou ajuster les procédures, les normes et les règles dans les secteurs de l’éducation, de l’économie, des finances et de la défense pour les rendre plus efficaces au niveau européen.

----------------------Maintenant que les principaux fournisseurs énergé-

tiques et de l’eau ainsi que les services publics opèrent au niveau européen, les habitants des États membres se sentent de plus en plus chez eux dans leur Europe. Ainsi, la Communauté Européenne fonctionne bien, est proche des citoyens et gagne de la reconnaissance et du poids politique sur la scène mondiale. Partout les citoyens ren-contrent des symboles européens et sentent la présence de cette Europe tant désirée. En même temps, ils n’éprouvent pas le besoin de s’accrocher à leurs nations, car pour le moment « l’Europe » ne s’ingère pas dans les affaires de compétence nationale comme la culture, la fiscalité ou l’éducation. Dans aucun État membre la langue « nationale » ou le mode de vie n’est menacé. Au contraire, les régions telles que la Provence française, la Bavière allemande, la Toscane ou la Lombardie italiennes gagnent du poids dans le concert des nations qui sont

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maintenant unies dans une Europe commune. En re-vanche, les forces et les faiblesses des régions sont dé-sormais plus visibles et une concurrence véritable, mais aussi conviviale, entre régions commence à prendre forme, qui ne peut être que bénéfique pour la compétiti-vité de chacune.

Nous voyons comment la libre circulation des per-sonnes, des marchandises et des entreprises au sein de la Communauté Européenne ainsi que l’européanisation des grands services publics et des fournisseurs de l’éner-gie et de l’eau créent les bases d’une convergence de la puissance économique des différents états membres. L’Europe est vécue « en direct ». De plus en plus de ci-toyens désirent vraiment appartenir à cette Eu-rope et ne plus se limiter à leur nationalité d’origine. Ils veulent posséder un vrai passeport européen et le de-mandent haut et fort. En 1972, le moment est enfin ve-nu. Un Passeport Européen, qui ne mentionne plus la na-tionalité mais seulement l’appartenance à la Communau-té Européenne, est délivré aux personnes qui en font la demande. Les titulaires de ce passeport payent leurs im-pôts et votent aux élections politiques là où ils ont leur première résidence (il est à prévoir que le problème des différents niveaux des taux d’imposition nationaux sera résolu dans quelques années par la mise à niveau de la fiscalité dans toute la Communauté Européenne). Ce n’est qu’une conséquence logique de la signature des Traités de Rome « pour jeter les bases d’une Union poli-tique sans cesse plus étroite » entre les peuples Euro-péens, anticipant le Traité de Schengen. Ceci permet également au titulaire de garder son identité nationale (dans le sens d’une identité culturelle) sans qu’elle figure sur son passeport. Avec le système actuel, un Allemand par exemple, qui, à un moment donné, aurait décidé de vivre en France et voudrait se sentir chez lui, aurait à changer de nationalité, c’est-à-dire se faire naturaliser. Ainsi, il pourrait prétendre être Français alors qu’il se

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sent toujours Allemand. Sa langue maternelle reste l’alle-mand et il a reçu son éducation générale en Allemagne. Il ne peut nier l’héritage de ce qui a été au Moyen Age et jusqu’à la fin du XIXe siècle un grand espace culturel, pas plus que celui de la seconde guerre mondiale, où, au nom du Troisième Reich se sont passées des atrocités qu’on aimerait plutôt oublier. Mais ma génération conti-nue à porter ce fardeau et ne nie pas ce lourd héritage, même si nous sommes nés trop tard pour en être directe-ment coupables. L’hypocrisie qu’impliquerait une natura-lisation cesserait avec le Passeport Européen.

Ce passeport Européen aura alors l’avantage de per-mettre à son détenteur de sortir des limites imposées par la nationalité, de se sentir plus libre spirituellement et in-tellectuellement et de pouvoir s’inspirer d’une multitude de cultures européennes pour s’enrichir en les assimilant. Il peut alors cultiver son jardin secret sans avoir le senti-ment de trahir « son pays », car son pays est désormais l’Europe. Personnellement je serais immédiatement can-didat pour un Passeport Européen, indépendant du pays de résidence. (En revanche, les enfants que j’aurai plus tard seront élevés la plupart du temps en France ou dans des pays francophones et seront français et fiers de l’être - du moins aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’alterna-tive.)

La même année (1972) naît notre fils Sven ; je réussis mon doctorat à l’Université Maximilien de Munich et j’obtiens mon Passeport Européen avec lequel je pars fièrement en Ouganda avec ma petite famille. J’y vais en tant que géologue pour l’ancien Institut fédéral pour la recherche des sols à Hanovre (l’équivalent du BRGM français). Le pays est souvent appelé la Suisse africaine. Les Monts Rwenzori (5100 m) n’y sont pas pour rien, et le pays est situé à 1000-1500 mètres d’altitude, ce qui lui donne un climat très agréable, ni trop chaud, ni trop humide. La population est extrê-mement hospitalière et d’une grande diversité eth-

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nique. En particulier les Karamajong dans le nord du pays me font une grande impression. Leur façon de vivre peut être comparée à celle des Massaï au Kenya – ils ont toujours été une tribu sûre d’elle-même et fière, même dans des circonstances difficiles. Cepen-dant, ils souffrent beaucoup de la dictature d’Idi Amin.En Ouganda, où nous vivons à Kampala, la capitale du pays, je travaille comme géologue d’exploration pour les gisements de métaux non ferreux et suis souvent éloigné de chez moi et de ma famille de longues semaines pour des travaux de cartographie, d’échantillonnage géochimique ou d’analyse et des-cription de carottes de forage. Souvent seule, Annie doit composer avec les tâches ménagères et son rôle de parent. Heureusement, nous avons bientôt des amis africains, allemands et français, et ainsi nous nous acclimatons assez rapidement à la vie en Ou-ganda et pouvons aussi partager nos expériences et les nouvelles informations sur la Communauté Euro-péenne. Parmi nos amis africains nous comptons aus-si la Princesse Elizabeth Bagaaya (connue aussi comme Princesse Elizabeth de Toro), une personne intéressante et courageuse, menant une vie agitée. Elle a été à plusieurs reprises Ambassadrice d’Ougan-da à l’Organisation des Nations Unies. Nous avons donc fréquemment de la visite et Annie n’est pas seule avec Sven. Nous avons également une nounou très agréable, Ruth, qui s’attache rapidement à lui. Quand Miriam Makeba - beaucoup d’entre vous se souviennent certainement d’elle - vient à cette époque en Ouganda pour chanter, mais aussi pour être Ambassadrice de la population noire d’Afrique du Sud, nous faisons personnellement sa connaissance. C’est une femme dotée de beaucoup de charme et d’un grand charisme. Elle est surtout connue pour son Click Song (Pata Pata) et pour son engagement

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contre la politique d’apartheid d’Afrique du Sud. Elle porte encore ses nombreuses tresses avec des perles colorées.À Kampala, l’Ouganda héberge une Université de re-nommée internationale : l’Université de Makerere. Son origine remonte à 1922, année où elle a été fon-dée comme collège technique et en 1963 elle devient l’Université de l’Afrique de l’Est et propose des cours menant aux diplômes de l’Université de Londres. En 1970, l’Université devient indépendante. Il existe donc une intelligentsia très instruite en Ouganda, qui donne du fil à retordre au régime. Cette classe supé-rieure éduquée a une opinion sur ce qui se passe en Europe. Elle aspire à plus de démocratie et à plus d’unité en Afrique, et à la fin des conflits entre les Etats d’Afrique, qui sont des créations plus ou moins artificielles de l’ère coloniale. L’Europe est un modèle vers lequel elle aimerait que l’Afrique évolue. Malheu-reusement, ce continent n’est pas encore mûr pour une unité politique malgré des démarches dans ce sens : dès 1963, certains États africains ont entrepris une première tentative à l’unification du continent, c’est-à-dire avec la création de l’OUA (Organisation de l’unité africaine).Malheureusement, l’Ouganda subit le régime totali-taire d’Idi Amin et l’assistance technique que nous portons à l’Ouganda ne peut plus être moralement justifiée. Au bout d’un an, nous revenons à Munich. Durant notre séjour en Ouganda, l’évolution de l’Eu-

rope avance à grands pas. En 1973 il est décidé que les partis politiques peuvent faire campagne pour le Parle-ment Européen pour 20 % de leurs candidats n’importe où dans la Communauté Européenne. Les citoyens peuvent donc voter partout pour les candidats de tous les pays membres (par exemple les citoyens belges peuvent voter pour les candidats italiens). Les autres candidats (80 %) sont élus par la région ou le pays pour

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lequel ils postulent. Le président du Parlement est élu par les députés par scrutin secret. En outre, un plan échelon-né est adopté qui prévoit l’élection directe du président de la Commission à partir de 1981.

L’Europe des Six symbolise de plus en plus un mo-dèle alternatif aux États-Unis d’Amérique. Le capitalisme libéral tel qu’il y est pratiqué n’a pas vraiment pris en Eu-rope. Le modèle européen peut être qualifié d’ « écono-mie sociale de marché », terme utilisé par l’ancien mi-nistre allemand des affaires économiques Ludwig Erhard, bien que ce terme ne soit pas très nettement défini. La définition la plus adéquate est probablement celle de Walter Eucken (1891-1950) pour l’ordo libéralisme3.

3 http://www.wikiberal.org/wiki/Ordo-libéralisme : Le mot “ordo” ex-prime un projet de société. Si le système économique doit être digne de l’homme, c’est-à-dire conforme à ses exigences morales de liberté, d’égalité et de stabilité et être efficace dans la satisfac-tion de ses besoins matériels, seul le régime de concurrence ré-pond à cette double exigence. Cependant, il ne se réalise pas de lui-même. Il ne se développe qu’à l’intérieur d’un cadre forgé et maintenu par l’État, au sein d’un ordre construit par la loi.

La pierre angulaire de cet ordre est la constitution écono-mique (Wirtschaftsverfassung), incluse dans la constitution poli-tique et affirmant que la réalisation de la concurrence est le cri-tère essentiel de toute mesure de politique économique. Après son approbation par le peuple dans le cadre de l’adoption de la constitution politique, la constitution économique est complétée par les principes constituants (die konstituierenden Prinzipien) élaborés par les spécialistes de l’économie et non plus par le peuple. Ces principes sont les suivants :

l’existence d’une monnaie stable (premier des principes constituants) ;

le libre accès au marché ; la propriété privée, conçue moins comme un droit que

comme une exigence du système ; la liberté des contrats et son corollaire, la pleine responsa-

bilité civile et commerciale des entreprises ; la stabilité de la politique économique, nécessaire au déve-

loppement des investissements et à la prévision économique.

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L’économie sociale de marché est toutefois plus pragmatique et laisse à l’état le devoir d’assurer la jus-tice sociale. Pour créer une économie sociale de marché, il ne s’agit certainement pas de créer un état providence absolu, qui s’occupe du citoyen du berceau à la tombe. Cela est hors de question pour tout système libre et dé-mocratique. Mais l’économie sociale de marché est un système humain, basé sur l’initiative et la solidarité. Le travail est considéré comme ce qu’il est : le fondement d’une vie fructueuse et enrichissante. Les finances sont subordonnées au travail et à un esprit d’entreprise positif et non l’inverse. En outre, les finances doivent soutenir l’innovation quand elle en a besoin. À l’intérieur de ce modèle, un capitalisme bienveillant a toute sa place. Au-cun progrès économique et social n’est possible sans sti-mulant matériel. Cependant, la question se pose com-ment distinguer le stimulant matériel de la cupidité, de la logique du profit pour le profit.

Il faut pourtant noter ici, qu’économie sociale de mar-ché et ordo libéralisme ne peuvent fonctionner qu’avec des finances publiques et une économie assez saines. Cette approche ne peut pas tirer un pays d’une situation financière et économique désastreuse. Pour ce faire, les efforts sont d’une autre nature.

La Communauté Européenne se situe « idéologique-ment » quelque part entre les Etats-Unis et l’Union Sovié-tique. Cette position lui permet de se présenter comme intermédiaire entre ces deux rivaux, rendant possible une amélioration sensible des relations politiques et éco-nomiques avec l’Union Soviétique. La Communauté Euro-péenne est reconnue comme un partenaire à part entière de l’Union Soviétique et la guerre froide perd peu à peu son visage glacial. Un espoir de détente et de rapproche-ment s’installe et les deux partenaires en profitent dans la mesure du possible, à la fois dans le domaine écono-mique et dans le domaine humanitaire.

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La CE est considérée comme une communauté laïque et tolérante envers toutes les religions. Sa « culture occi-dentale » ne se définit non seulement par le christia-nisme, mais aussi par la diversité de ses influences cultu-relles depuis l’antiquité jusqu’aux temps modernes. Par-mi ses membres la future Europe devrait aussi réserver une place à la Turquie. Toutes les convictions religieuses sont représentées, des plus religieux aux plus athées, ainsi que toutes les nuances entre les deux. Ce qui im-plique une grande tolérance de tous envers tous.

Pour la majorité des citoyens européens il importe probablement peu que Dieu soit protestant, catholique, orthodoxe, juif ou musulman. Dieu, s’il existe, n’a certai-nement pas choisi une de ces religions. D’ailleurs, on peut avoir des valeurs morales communes en dehors des religions. Une éducation absolument non-religieuse avec des normes morales sans préjugés peut avoir les mêmes effets qu’une éducation religieuse si ces normes visent à la coexistence des êtres humains dans une communauté heureuse. Toutefois, le modèle communiste ayant échoué, on ne connaît aucun exemple de société vivant selon ces principes. En l’absence de tels exemples, il vaut toujours mieux vivre selon des préceptes religieux que de vivre sans préceptes du tout.

Revenons à la Communauté Européenne : l’attirance qu’elle exerce maintenant sur les pays européens non membres croît d’année en année. En janvier 1973, le Da-nemark et l’Irlande se joignent à la CE. Le Royaume-Uni reste pour l’instant en dehors parce qu’il n’accepte pas la perte de sa souveraineté nationale. C’est à cette époque également que le serpent monétaire européen avec une limitation des variations des taux de change de 2,25 % par rapport à une monnaie repère (la Deutsche Mark) est mis en place ; c’est la première avancée vers une mon-naie européenne. Malheureusement, l’Italie et la France quittent le système dès le début. Mais le projet demeure vivant, bien que certains pays ne soient pas encore prêts

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à franchir ce pas, qui nécessite une coordination des poli-tiques financières et budgétaires nationales. Ce n’est qu’en 1979 que tous les États membres sont prêts à faire des concessions importantes dans ce domaine. Beaucoup de persuasion, tant par la Commission Européenne que par certains gouvernements, a été nécessaire. Entre-temps, certains pays comme la France et l’Italie su-bissent des taux d’inflation élevés et réalisent que sans instances régulatrices cette inflation est difficile à maîtri-ser.

De 1974 à 1977, je suis avec la famille au Togo, où les choses se passent plus paisiblement qu’en Ougan-da, bien que Étienne Gnassingbé Eyadéma ne soit pas non plus un dirigeant exemplaire. Basé à Lama-kara, je travaille dans le Nord pour l’exploration de l’uranium. Ma première fille, Tina, est née à Lomé en janvier 1976. La vie en Afrique est loin d’être en-nuyeuse - nous voyageons également dans d’autres pays d’Afrique, notamment au Kenya, au Ghana, au Bénin, au Nigeria, au Cameroun, etc. Bien sûr, il y a au début une certaine distance entre « Blancs euro-péens » et « Noirs africains » ; mais cette distance di-minue au fur et à mesure que l’on essaye de se com-prendre mutuellement. Les gens sont très sympa-thiques, joyeux et très courageux, malgré une pau-vreté souvent extrême. Les paysages sont fascinants et parfois menaçants (tempêtes, sécheresse, pluies torrentielles). La vie quotidienne est marquée par des soucis tels que les réserves d’eau potable (il n’y a pas d’eau courante dans les maisons de Lamakara), le maintien des contacts avec le Bureau principal à Lo-mé (il n’y a presque pas de téléphones dans les mai-sons et les liaisons téléphoniques au bureau de poste sont souvent interrompues), l’approvisionnement pour le groupe d’exploration, etc. En ce qui concerne notre fils, il n’y a pas d’école maternelle dans Lama-kara et les enfants de la région ne parlent souvent

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pas français. Nous inscrivons donc Sven à l’école pri-maire locale, même s’il est encore très jeune. Bien-tôt, il mélange l’allemand, le français et les langues locales telles que le Kotokoli. Je cesse de lui parler en allemand pour éviter trop de confusion. Annie maî-trise parfaitement et avec un grand sens de l’improvi-sation les problèmes dus à un environnement pas toujours confortable. Par exemple, à la naissance de Tina à Lomé, elle va à pied à l’hôpital pour accou-cher, exactement comme la plupart des Africaines quand elles ont la chance d’avoir un hôpital à proxi-mité.Nous pensons souvent à l’essor vertigineux de l’Eu-rope vers une communauté sans frontières et sans discrimination contre les minorités mais aussi tou-jours plus vers une société de consommation, alors que le monde en Afrique semble s’être arrêté. Mais là aussi, les apparences sont trompeuses, car il y a des tentatives pour rompre l’isolement. Malheureuse-ment, l’OUA a conservé le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures de ses membres. « Cela a conduit à ce que, face à de violents coups d’État militaires, des guerres civiles et des violations fla-grantes des droits de l’homme, elle a agi comme simple observateur passif et a souvent été appelée ‘Club de dictateurs’ et ‘Tigre de papier’ »4 Néan-moins, l’idée européenne résonne aussi en Afrique occidentale et centrale. Enfin, les Unions Monétaires de l’Afrique occidentale et centrale ont, avec le franc CFA (franc des Colonies Françaises d’Afrique et plus tard franc de la Communauté Financière Africaine) comme unité monétaire commune des effets écono-miques positifs. Malheureusement, par manque de coordination économique et financière dans les an-nées 1980, elles n’ont survécu que grâce à une déva-

4 http ://www.bpb.de/politik/hintergrund-aktuell/140209/zehn-jahre-afrikanische-union

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luation radicale dans les années 1990. La relation des pays africains maintenue après leur accès à l’indé-pendance avec l’ancienne puissance coloniale est en-core trop forte pour qu’un mouvement panafricain, dont le but ultime serait une Fédération Africaine, puisse réussir.Mi-1977 l’aventure africaine est terminée. J’ai attrapé une jaunisse et suis hospitalisé 3 mois en Allemagne. À cette époque, Annie reste avec nos enfants à Paris chez ses parents. A ma sortie de l’hôpital, on me conseille de ne plus retourner au Togo et je pars - seul - pour une mission de quelques mois aux Etats-Unis. Basé à Denver, je fais de l’exploration dans l’Idaho. Ce séjour aux Etats-Unis me donne l’occasion de connaître un peu le pays et les gens. Les paysages sont renversants : Yellowstone National Park, Grand Teton National Park, Colorado ! J’ai la chance de pou-voir parcourir avec mon pick-up et mon camping des endroits magnifiques.J’admire chez les Américains la naïveté avec laquelle ils abordent les choses. Un Américain ne croit pas en l’échec. Si quelqu’un a tenté quelque chose sans réussir, c’est qu’il n’a tout simplement pas trouvé la bonne solution. Il faut donc l’essayer à nouveau, mais différemment. Même des résultats ou des preuves scientifiques ne les convainquent pas. J’ai vécu cette situation dans le contexte de l’exploration. Et parfois, avec un peu de chance, ils réussissent. Cela devient évidemment problématique quand il s’agit de ques-tions de l’environnement ou de changement clima-tique. Dans ce cas, il n’y a simplement rien à faire ; la majorité de la population ne croit tout simplement pas que l’activité humaine est à l’origine de ce pro-blème (je dis cela en 2013. En 1977, la question du changement climatique n’est pas encore d’actualité ; mais la mentalité américaine n’a pas changé depuis).

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Le sujet de la Communauté Européenne n’est pas d’une grande actualité aux États-Unis. Les aspects « Facteur de paix » et bien sûr « Partenaire atlantique » sont importants ; en revanche, la CE est aussi consi-dérée comme une rivale économique, ce qui conduit à un soutien politique plutôt ambivalent. Cependant l’admiration du modèle européen est quand même perceptible, au moins chez les Américains « informés », car il faut admettre que beaucoup d’Américains n’ont qu’une idée vague de l’Europe. Ils vivent dans leur propre monde et ont peu de contacts avec le continent d’origine de leurs ancêtres. L’« appropria-tion » de leur continent n’a certainement pas été chose facile et cela a bien sûr des conséquences du-rables. Vient s’y ajouter une rivalité supplémentaire : la Communauté Européenne est à craindre non seule-ment comme une concurrente économique mais aus-si comme une rivale au sens de modèle et mode de vie enviable. Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont été mondialement incontestés dans le rôle de modèle de réussite économique, géopolitique et militaire, ce pourquoi ils étaient ouvertement ou secrètement en-viés de presque tous les pays du monde. Et subite-ment surgit un concurrent qui se pose lui aussi en modèle au monde, sinon au plan militaire, mais dans les sphères économiques, géopolitiques, sociales et culturelles. Pendant ce temps, l’Europe fait de nouveaux progrès

dans le domaine de l’éducation. En 1977, un accord est conclu pour coordonner le contenu des cours universi-taires et d’autres écoles supérieures et l’équivalence des diplômes dans toute la Communauté. Les frais d’inscrip-tion sont également encadrés. En même temps on com-mence à promouvoir la possibilité de faire des études successivement dans plusieurs pays de la CE. Cela faci-lite considérablement l’option pour les étudiants de pas-ser d’un collège ou d’une université dans un État

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membre à un(e) autre. Parallèlement, cela favorise la re-connaissance par tous les pays de la CE des diplômes ob-tenus dans chaque pays, qui sera finalement inscrite dans la législation de la CE. Cette étape est importante parce que la mobilité de spécialistes bien formés dans tous les domaines, qu’ils exercent en libéral ou dans des entreprises, est particulièrement propice au maintien du niveau économique et technologique de la CE et évite la sclérose des structures sociales et de l’emploi. Suivra bientôt la reconnaissance des certificats de fin d’études d’autres formations professionnelles dans toute la CE. En outre, les barrières à l’entrée dans certaines catégories professionnelles seront progressivement démantelées. En même temps sont créées dans toutes les régions des agences chargées de la sensibilisation des jeunes à l’offre dans les différents métiers et donc aux possibilités de carrières. Cela se fait avec la participation de repré-sentants de l’industrie, des petites et moyennes entre-prises, ainsi que des associations de professions libé-rales. En outre, la Belgique, la France et l’Italie adoptent le système d’apprentissage qui a fait ses preuves en Alle-magne et qui n’a été aboli en France que dans les an-nées 1960.

En 1978, l’Europe s’offre une politique de recherche qui vise à propulser la Communauté Européenne à l’avant-garde du monde de la recherche scientifique et de l’innovation. À côté de l’électronique, de l’informa-tique, de la physique et de la chimie, la recherche médi-cale joue également un rôle important. Elle se déploie en particulier dans le domaine des maladies rares, qui sont négligées par les grandes firmes pharmaceutiques, et dans le domaine du cancer et des maladies du tiers-monde (comme on dit encore alors), telles que le palu-disme, la fièvre typhoïde, etc. et la mise au point de nou-veaux médicaments. Le virus du SIDA n’est pas encore connu.

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Enfin, le moment est arrivé : en 1979 les finances pu-bliques (recettes et dépenses) dans les pays de la CE se-ront alignées sur un modèle selon lequel les pays doivent créer des réserves financières pendant les années d’opu-lence pour pouvoir les utiliser pendant les années maigres et ainsi éviter les récessions profondes. Cela si-gnifie bien sûr que les systèmes fiscaux doivent être en grande partie unifiés/standardisés et qu’un organisme de réglementation mandaté doit avoir son mot à dire dans la phase d’établissement des budgets nationaux. Son auto-rité doit être telle que les mesures proposées dans les pays concernés ne peuvent pas être ignorées ni même édulcorées. Outre une coordination globale des plans budgétaires nationaux est également mis en place un système de redistribution solidaire entre pays riches et pauvres, afin de permettre des investissements et donc une augmentation du niveau de vie dans les pays et les régions les plus pauvres, comme la République fédérale d’Allemagne et d’autres pays au sein et en dehors de la CE le font déjà depuis quelque temps. De plus, une su-pervision bancaire améliorée est introduite en 1980 pour rendre les activités bancaires plus efficaces et les mettre davantage au service de l’économie. Les banques qui veulent gagner leur argent avec des transactions finan-cières telles que les fusions, les acquisitions, le Forex tra-ding spéculatif, les options, les dérivés et ainsi de suite, doivent faire usage de leur propre capital et mettre en place des réserves pour d’éventuels revers. Les banques dites « normales » doivent en premier lieu financer la croissance économique et prouver leur capacité de prise de risque en finançant des innovations (par exemple par un soutien financier à l’établissement de nouvelles entre-prises et de start-ups) et aider les petites et moyennes entreprises à investir pour moderniser leurs parcs de ma-chines ou percer sur de nouveaux marchés, etc. Pour ce-la les banques centrales nationales et, plus tard, la Banque Centrale Européenne (qui est encore à créer), mettront des crédits à taux abordables à la disposition

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des banques privées et municipales. Ces banques sont nécessaires à une économie sociale de marché, parce que sans elles l’économie ne pourra fonctionner. Bien sûr, elles doivent tirer profit de l’épargne de leurs clients, mais elles ne devraient pas risquer cette épargne sur des investissements spéculatifs. Il ne faut pas non plus ou-blier que l’activité des emprunts individuels, par exemple pour l’achat d’un bien immobilier, est importante et doit rester rentable. L’encadrement des taux d’intérêts de ces emprunts permettra d’éviter tout excès.

La supervision bancaire ne consiste pas seulement à regarder de près l’activité des banques, mais aussi à les aider par des conseils et une assistance quand des déve-loppements désavantageux ou même négatifs semblent menacer. Pour cela il faut une Commission constituée d’experts financiers capables de donner aux banques les instructions nécessaires pour naviguer en toute sécurité et éviter les zones dangereuses, généralement appelées « Bulles ». Il est important de détecter ces bulles au mo-ment où elles se forment et non lorsqu’elles sont sur le point d’éclater. Dans les premiers stades d’une bulle on peut encore la contrecarrer sans causer de gros dom-mages collatéraux. En d’autres termes, cette Commis-sion doit fonctionner en tant que conscience des banques et leur permettre d’accomplir correctement leur tâche en faisant en sorte que l’économie soit toujours bien huilée et fonctionne aussi facilement que possible, même si cela ne conduit jamais à une croissance explosive, mais plutôt à une croissance modérée, constante et durable.

Bien entendu, tôt ou tard, les politiques économiques des États membres devront être coordonnées et aller vers une politique économique commune. Cela sera sans doute seulement possible après l’union des membres de la CE en une véritable Fédération.

Depuis 1978, ma famille et moi sommes au Canada, où l’exploration de l’uranium dans les provinces du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de

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Terre-Neuve, du Labrador et de la Nouvelle-Écosse est menée depuis Montréal. Notre deuxième fille, Nancy, y est née en septembre 1981. Après l’Afrique, c’est une très différente expérience qui nous y at-tend. Nous venons de prendre deux mois de va-cances à la Martinique, le pays des parents d’Annie, où la température était d’environ +30 degrés et arri-vons en janvier à Montréal, où il fait alors -30 degrés. Nous faisons presque demi-tour – tant ce climat nous paraît inhospitalier.Néanmoins, le premier choc passé, nous découvrons que les Québécois sont un peuple très aimable, ac-cueillant et sympathique. Nous nous intégrons rapide-ment, prenons un appartement à Montréal dans la rue Lambert Closse, très près du centre Atwater (stade de Hockey). Nous nous créons rapidement un cercle d’amis, ce qui n’est pas très difficile au Qué-bec. La scolarisation de Sven et plus tard de Tina se passe sans aucune difficulté. Seulement, en hiver, le chemin de l’école n’est pas tout à fait sans problème. Même si les enfants prennent le bus scolaire, ils doivent être vêtus très chaudement, ce qui les fait ressembler à des astronautes dans leurs combinai-sons spatiales.Au début, nous pensons que Sven apprendra couram-ment l’anglais avec le français, le Canada étant un pays bilingue. Faux ! Notre espoir se brise rapide-ment. À l’époque, de 1976 à 1985, René Lévesque, un homme politique sympathique, est premier mi-nistre du Québec et sa politique vise à l’indépen-dance. L’une de ses mesures phares est l’interdiction de parler anglais dans les écoles, même dans les cours de récréation, sauf pendant les cours d’anglais. Tout enfant surpris en récréation à parler anglais re-çoit un avertissement. Nous nous sommes donc ré-jouis bien trop tôt. Bien que, pendant cette période, le Québec ne sorte pas de la Fédération canadienne,

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l’idée d’indépendance reste vivante au fil des années. Beaucoup de lecteurs se souviennent sûrement du « Vive le Québec libre! », les mots prononcés en 1967 par Charles de Gaulle à la fin d’un discours à Mont-réal. Les Québécois, eux, ne l’ont pas oublié.Quant à moi, je suis souvent sur le terrain, "en brousse" en jargon de géologue. Loin de la maison, je fais de la prospection et de la cartographie géolo-gique, planifie, surveille et analyse des forages carot-tés, analyse les profils géochimiques etc., tout en vi-vant sous la tente dans le Nord canadien loin de la "Civilisation". Les campagnes d’exploration prennent plusieurs mois en été et en hiver. Dans l’intervalle, le nord est difficile d’accès, car le dégel au printemps ou le début du gel en automne rendent le sol et les lacs impraticables (en hiver les campagnes de forage sont menées sur la glace des lacs).Annie doit à nouveau se débrouiller toute seule. Heu-reusement, au Canada, et notamment au Québec, il n’est pas compliqué de trouver un emploi. On se pré-sente quelque part où l’on recherche des compé-tences spécifiques, et le lendemain ou parfois le jour même on est engagé. Par conséquent, quand Annie cherche un emploi de physiothérapeute, elle le trouve presque immédiatement. En son absence, une nou-nou s’occupe des enfants.Pendant la période de transition, je suis à la maison, et nous explorons le Québec en voiture. En automne, au début d’octobre, pendant « l’été indien » on peut admirer la belle coloration rouge et jaune des forêts d’érable. Beaucoup de Québécois ont des chalets d’été et d’hiver dans les Laurentides, au nord de Montréal, et partent souvent en weekend prolongé « pour voir » les feuilles pendant cette période.L’Est du Canada - et en particulier le Québec - rap-pelle beaucoup plus l’Europe que les États-Unis et en

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particulier le Midwest. Cela s’applique non seulement au paysage et à l’architecture des villes, mais aussi à la mentalité de la population, qu’elle soit anglophone ou francophone. Néanmoins, il faut constater que même là le développement de l’Europe n’est pas un thème particulièrement d’actualité. Les gens sont as-sez préoccupés par leurs propres affaires. Mais ils connaissent l’Europe mieux que les Américains et dis-cuter de la Communauté Européenne peut trouver un écho. Le projet européen est universellement admiré, même si la connaissance du sujet n’est pas très pro-fonde. Aussi, il faut dire que la relation du Québec avec l’Europe, en dehors de la France, est relative-ment faible. Il cherche avant tout un appui culturel auprès de la France. Le reste du Canada vit dans une étroite interdépendance économique avec les États-Unis.Ce manque d’intérêt pour le développement en Eu-rope, mais aussi pour une plus grande intégration des États de l’Amérique du Nord (l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n’est signé qu’en 1987 et l’ALENA n’entre en vigueur qu’en 1994) nous désole dans une grande mesure et nous nous demandons si le Canada peut véritablement être le bon endroit pour un deuxième chez-soi. Que ferons-nous si la situation économique nous oblige à choisir entre rester définitivement au Canada ou re-venir en Europe ?Nous traversons également la frontière avec les États-Unis pour visiter le Maine et New York, malgré des formalités très rigoureuses. A New York, on nous sert un si bon et opulent repas dans un restaurant chinois de Greenwich Village que nous arrivons à peine à bouger. À part ces impressions culinaires, New York est aussi un trésor en matière d’arts plas-tiques, de peinture et de documentation du passé

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dans les grandes galeries et les musées. Broadway aussi nous impressionne énormément.

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TROISIÈME PHASE : ABOUTISSEMENT DU RÊVE

Préface : À ce stade, beaucoup a été accompli. Les « Européens » peuvent être satisfaits. Ils sont maintenant prêts à passer à l’étape suivante avec la formation d’une Union à caractère fédéral, dotée d’un système commun de monnaie, de retraites et d’une fiscalité uniforme. Il reste à définir le nombre de niveaux de cette Fédération et l’importance de chaque niveau : le gouvernement de l’Union, les gouvernements nationaux (ceux des États membres) et les gouvernements des régions (ceux des provinces comme la Bavière, la Provence, la Toscane, la Wallonie, etc..). La Communauté peut désormais envisa-ger plus sereinement l’extension à de nombreux membres supplémentaires. Néanmoins, au cours de sa future évolution elle sera certainement confrontée au problème de l’héritage historique, à savoir comment l’Union doit-elle prendre en charge les obligations mo-rales résultant • de la seconde guerre mondiale, comme par exemple le soutien à Israël pour « réparer » les crimes commis contre le peuple juif, • de la guerre d’Al-gérie, • de la traite négrière, etc. L’héritage européen à cet égard sera-t-il aussi repris par l’Union ? L’Europe se-ra-t-elle en mesure d’intégrer l’Islam comme une religion européenne ?

----------------------------En 1981, le président de la Commission européenne

est pour la première fois élu directement par les ci-toyens. Jacques Delors, Européen convaincu, qui renonce au poste de ministre français des finances, gagne cette élection. Cet événement est hautement symbolique : un signal clair est donné que, dans un avenir plus ou moins proche, la Fédération des Etats Européens aura un pré-sident élu au suffrage direct. Les pays candidats à l’adhé-

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sion à la CE doivent accepter cette idée s’ils veulent être admis, comme la Grèce, candidate depuis quelques an-nées, qui accepte cette perspective.

Toutefois, quelques faiblesses sont apparues lors de la vérification de la solidité de l’économie grecque et la Grèce a dû accepter pour deux ou trois ans une tutelle bienveillante de ses finances publiques et de sa politique fiscale. La Grèce se sort trois ans plus tard de cette épreuve renforcée et en bonne santé. Avant tout, elle possède maintenant un système d’administration de l’État qui fonctionne et avec lequel elle peut gouverner efficacement.

Au même moment Margaret Thatcher décide que la Grande-Bretagne ne doit pas adhérer à la Communauté Européenne. Pour le Royaume-Uni et surtout pour la presse, en particulier la presse Murdoch, les efforts d’in-tégration politique vont décidément trop loin. Contraire-ment à la presse d’Europe continentale, elle se comporte d’une façon brutalement anti-européenne. Le Royaume-Uni craint pour son indépendance, ce qui est tout à fait compréhensible du point de vue de l’ancien Empire bri-tannique et pour l’Europe c’est une grande chance, car la CE et les gouvernements des Etats membres peuvent dé-sormais librement continuer à travailler sur l’intégration politique de l’espace de la CE. Soit dit en passant, on peut supposer que la Communauté Européenne, dans le cas d’une décision différente de la Grande-Bretagne, au-rait demandé à ce pays de garantir qu’il respecterait en-tièrement les accords existants et prévus entre les États membres et se conformerait parfaitement à l’esprit de la CE et de sa vision de l’avenir. En cas contraire, la Com-munauté aurait pu l’exclure.

À présent, l’intégration des États dans la CE est si avancée qu’ils décident en 1982 de coordonner leurs budgets de défense et de réunir les organisations de dé-fense nationales en une armée européenne avec un ser-vice militaire obligatoire général d’un an. La perspective

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de l’abolition de la conscription et son remplacement par une armée professionnelle serait envisagée dans les dix à vingt prochaines années. Encore une fois, des syner-gies conduisent à une plus grande efficacité et à la ré-duction des coûts. La dépendance à l’égard du parapluie de défense américain est réduite et la défense euro-péenne gagne en crédibilité dans le monde. Pour le sec-teur de la défense, l’industrie des pays de la CE est main-tenant mise à l’épreuve. Dassault, MBB (Messerschmitt-Bölkow-Blohm), Fiat, Thyssen, Krauss-Maffei, Snecma, Herstal, etc., doivent non seulement s’adapter à un mar-ché intérieur plus étendu, mais doivent aussi investir des sommes élevées en recherche et développement (R & D) pour répondre aux exigences d’une armée moderne. Les grandes sociétés de ce secteur doivent coopérer davan-tage pour garder les coûts de ces activités de R & D dans des limites acceptables. Ces circonstances rendent l’in-dustrie de l’armement européenne plus concurrentielle au niveau international et la qualité de l’équipement lui permet de mieux choisir ses clients et notamment de ne pas livrer d’armes aux régimes totalitaires ou corrompus.

Le mouvement de la Communauté Européenne en-vers une véritable Union a pris un tel élan qu’en 1983 les États membres créent une banque centrale pour intro-duire une monnaie commune, l’Euro. Cette étape s’est aussi avérée incontournable parce que les mécanismes de coordination des politiques économiques, budgétaires et financières nationales ont commencé à être véritable-ment efficaces (après avoir réuni les conditions néces-saires au fil des années, une politique économique euro-péenne s’est installée progressivement, presque imper-ceptiblement). Par conséquent, la population accueille avec enthousiasme l’introduction de l’Euro, qui s’effectue facilement.

Bientôt les citoyens de la Communauté Européenne ne peuvent plus imaginer une vie sans l’Euro. Voyager d’un pays de la CE à l’autre est devenu aussi naturel que

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circuler d’une province à l’autre au sein du même pays, sans se soucier des devises que l’on a dans son porte-monnaie. Cela élimine également les pertes dues aux différences des taux de change entre devises. La nou-velle monnaie commune devient vite une telle évidence que l’on se demande comment on a pu se passer d’elle si longtemps sans elle et les voyages à l’intérieur de la CE augmentent ostensiblement. De plus en plus de citoyens européens vivant dans les régions « frontalières » au sein de la CE acceptent d’aller travailler de l’autre côté. De plus, les travailleurs même hautement qualifiés sont maintenant tentés de travailler quelques années, ou même de s’installer définitivement, dans un autre pays de la CE . Tout cela conduit à un nouveau rapprochement et à plus de compréhension entre les peuples de la Com-munauté Européenne.

La Banque Centrale Européenne se voit maintenant dans le rôle de gardienne de la stabilité des taux de change contre les autres devises, notamment le dollar américain, mais aussi les monnaies des pays européens qui veulent rejoindre la CE dans un avenir proche et qui ensuite adopteront l’Euro automatiquement. La raison en est que, avant leur entrée dans l’UE, les monnaies de ces derniers ne doivent pas, pendant un certain temps, dé-vier d’un corridor de taux de change assez étroit. Ainsi, le Portugal et l’Espagne se sont engagés à stabiliser leurs monnaies entre 1983 et 1986 pour répondre à ce critère.

L’Euro contribue à intensifier le commerce entre les États membres et engendre une reprise économique plus forte que prévu, ce qui a un impact positif sur l’économie mondiale. Toutefois, en raison de la monnaie commune, les disparités entre les régions économiquement plus fortes et plus faibles ressortent plus clairement qu’aupa-ravant. La cause principale en est que les régions péri-phériques n’ont pas seulement un désavantage lié à leur infrastructure, mais sont aussi significativement moins industrialisées et donc moins compétitives que les ré-

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gions plus centrales. Il est donc impératif de mettre des fonds à la disposition de ces régions pour en favoriser le développement. On crée donc un fonds de solidarité qui servira à compenser, autant que possible, les disparités économiques entre les régions. Le système sera plus tard étendu aux nouveaux membres du Sud et de l’Est de la CE pour compenser l’écart économique existant avec les anciens pays membres.

Un Ministère des Finances de la CE serait maintenant souhaitable, mais pour cela il faudra patienter jusqu’à la création des États-Unis d’Europe (EUE). D’ici là, les mi-nistres des finances nationaux doivent se coordonner entre eux et avec l’aide de la Commission. Néanmoins, en prévision de l’arrivée des EUE, les gouvernements se mettent d’accord pour aligner les systèmes de retraites des États membres. En particulier, les formulaires de de-mande de retraite par les futurs bénéficiaires ayant tra-vaillé dans plusieurs États membres sont simplifiés. Grâce à une base de données centralisée, il est mainte-nant possible de remplir un seul formulaire de demande de retraite au dernier lieu de résidence. Des normes dif-férentes pour les retraites dans différents États membres sont provisoirement admises, avec pour objectif une har-monisation complète d’ici vingt à trente ans.

Fin 1983 advient un accord sur la numérotation et le péage des autoroutes. Elles sont désormais numérotées E1, E2, E3, etc. Le A6, A13, etc. national disparaît com-plètement. En outre, le péage est supprimé et transféré sur la taxe sur les véhicules (la vignette), ce qui aug-mente considérablement le degré d’utilité des auto-routes. En même temps, le réseau ferroviaire est élargi afin de faciliter le passage progressif de la route au rail pour le transport des marchandises.

La même année est constituée une équipe euro-péenne de football, qui représente la CE au Mexique en 1986. Il est aussi envisagé d’envoyer des équipes euro-péennes aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984.

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Mais les délais sont trop courts et cela deviendra réalité seulement pour les jeux de Séoul en 1988.

Maintenant que le succès économique et politique de la Communauté Européenne est incontestable, on voit s’exercer une pression migratoire considérable sur les pays de la CE. En particulier des ressortissants du tiers-monde pour des raisons économiques, mais aussi huma-nitaires (venant par exemple des pays totalitaires) veulent émigrer dans la CE. Ceci conduit en 1984 à une politique d’immigration à l’échelle de la CE qui doit être suivie par tous les pays membres. Il s’agit là d’un mé-lange de sélectivité (sont prioritaires les personnes pos-sédant une formation utile dans les pays de la CE) et de droit d’asile (ce droit sera bien sûr conservé, mais dans chaque cas les conditions sont examinées selon des normes strictes). Dans la pratique les choses sont cepen-dant plus compliquées et des compromis sont néces-saires pour ne pas exposer les demandeurs d’asile à des procédures longues et pénibles. Mais sur le plan écono-mique, la promotion de l’immigration sélective connait un grand succès. Malheureusement, cette immigration, bien que sélective, n’est pas acceptée par tous les ci-toyens de la CE. Ainsi on observe un certain renouveau de la droite radicale, même si cela se passe à un niveau assez faible et peut être géré.

En mars 1979, alors que nous sommes toujours au Canada, survient un accident dans la centrale nu-cléaire de Three Mile Island prés de Harrisburg (à l’ouest de New York City, au nord de Washington, D.C.) avec la fonte du cœur d’un réacteur. À partir de cet accident, un mouvement se développe bientôt en République fédérale d’Allemagne qui peut être résu-mé par le slogan « Atomkraft – Nein Danke » (énergie nucléaire - non merci) et qui conduit progressivement à la résolution de l’abandon du nucléaire allemand. Dès lors, aucune nouvelle centrale nucléaire n’est planifiée en Allemagne. L’usine de retraitement de

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Wackersdorf n’est pas terminée et l’usine de combus-tible d’oxydes d’uranium-plutonium de Hanau (MOX) sera arrêtée plus tard. En 1982 commencera la construction de la dernière centrale prévue depuis longtemps, le réacteur nucléaire ISAR 2/OHU. L’indus-trie nucléaire se rend bientôt compte que la sécurité de l’approvisionnement en uranium n’est plus une priorité absolue. Par conséquent, mon entreprise commence à progressivement diminuer ses activités. Comme de coutume, la direction essaye de rassurer les employés et explique qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter : L’entreprise est forte et l’Allemagne a toujours besoin d’uranium pour ses réacteurs exis-tants et en construction. Aussi, il y a lieu de supposer que l’opinion publique va bientôt changer. Ces tergi-versations ne cachent pas la vérité et nous préparons donc un retour en Europe. Comme mentionné à la fin de la section « Deuxième phase », nous ne pouvons pas vraiment envisager de rester définitivement au Canada. Des progrès sociaux, politiques, écono-miques ont lieu en Europe et nous voulons en faire partie.Pendant les quatre derniers mois, je suis en mission à Saskatoon (Saskatchewan). Ma famille ne m’accom-pagne pas et retourne à Paris, où, après le séjour au Togo, nous avons acheté un appartement. Je vais maintenant faire aussi connaissance de l’ouest du Ca-nada et vagabonde autour des grands lacs du Nord comme par exemple le grand lac de l’ours et le grand lac des esclaves, ainsi qu’à Yellow-Knife. La pêche y est un loisir très prisé. D’énormes brochets et des truites saumonées y sont si nombreux qu’il est facile d’en avoir un au bout de la ligne. La baignade dans une eau à peine au dessus de zéro demande un effort sur soi mais est aussi délicieuse. Un voyage à Van-couver et dans la vallée Frazer me fait connaître une ville en grande partie chinoise et une végétation à ca-

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ractère presque tropical dans un microclimat relative-ment chaud où les températures ne descendent ja-mais en dessous de zéro.En décembre 1983, je rejoins ma famille à Paris, où je me mets rapidement à la recherche d’un emploi, ce qui n’est pas si facile cette fois. Après quelques mois de chômage je trouve un emploi à l’Agence de l’éner-gie nucléaire de l’OCDE, où je suis responsable du secteur de l’offre et de la demande d’uranium et de la description de l’économie du recyclage du pluto-nium dans les réacteurs à eau pressurisée dans les pays de l’OCDE. J’obtiens un contrat de trois ans avec une prolongation de deux ans. Pendant ces années, je suis souvent à Vienne, où je travaille avec un col-lègue à un projet dans lequel les deux agences de l’énergie nucléaire, celle de Paris et l’AIEA (Agence In-ternationale de l’Énergie Atomique) de Vienne, sont impliquées. À cette époque, je fais aussi la connais-sance avec Mohamed El Baradei, le futur secrétaire général de l’AIEA à Vienne. C’est le même homme qui en 2011/12 représente l’opposition égyptienne, d’abord contre Hosni Mubarak puis contre Mohamed Morsi. Pendant cette période à Paris je me réintègre en Europe et prends plus intensément conscience de la situation politique et économique de la Commu-nauté Européenne.Ces cinq années nous permettent de mener une vie un peu plus calme à Paris. Je commence à mieux connaître la France. Nous voyageons en Bourgogne, dans le Périgord, en Dordogne, en Alsace, dans le Massif Central, en Provence, en Côte d’Azur, en Bre-tagne, en Normandie et dans de nombreuses autres régions. La France est un pays magnifique, très varié et très beau. Paris est une ville harmonieuse et équili-brée sur le plan architectural, mais aussi animée et intéressante, où on ne s’ennuie jamais. Le trafic est un peu chaotique et dépasse la capacité de ses infra-

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structures. Mais culturellement la ville fait des en-vieux partout dans le monde. Chaque musée est un joyau et il y a profusion de théâtres et de salles de concert. Je suis heureux de vivre ici avec ma famille et d’y avoir trouvé un deuxième chez moi.Enfin, on y est : en 1985 les États de la CE s’unissent

dans une Union fédérale : les Etats-Unis d’Europe ou EUE (United States of Europe - USE) sont nés et ainsi s’arrête une fois pour toutes la cacophonie dans la communauté des nations qui persistait encore ici et là. L’Union se dote d’une Constitution démocratique qui mérite son nom (et n’est pas seulement un traité, comme dans le passé). Elle est formulée à la manière de la « Constitution » des Etats-Unis d’Amérique, c’est-à-dire d’une façon courte et concise pour être comprise par tous les citoyens de l’Union. Les modèles sont les constitutions des fédéra-tions comme la Suisse, la République fédérale d’Alle-magne et les USA. Cependant, la République fédérale d’Allemagne insiste sur la conservation du droit d’inclure les Länder de la RDA dans cette fédération, si l’occasion devait se présenter.

Le président européen est élu directement par les ci-toyens. Par ce scrutin direct, Jacques Delors devient pré-sident de l’Union pour cinq ans et est susceptible de se présenter une seconde fois, la durée maximale du man-dat d’un président étant limitée à dix ans. La Commission est abolie et remplacée par le Gouvernement des EUE. Le Parlement reste en fonction mais est investi de nouvelles compétences. Pour renouveler le Parlement et le Gouver-nement il y a également des élections tous les cinq ans. Le passeport européen, l’Europass, sans la mention de la « nationalité » ancienne devient standard. La nationalité générale est maintenant celle des EUE.

La création de cette fédération avec ses élections tous les cinq ans au niveau de l’Union a définitivement mis fin aux incertitudes liées aux élections nationales, qui ont parfois ralenti la progression vers une nouvelle entité

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politique plus dynamique. La population est heureuse de ne plus avoir à supporter ces moments de paralysie des institutions dus aux changements de politique dans un état ou un autre.

Par ailleurs, au début de 1986, la société civile est renforcée par la mise en place au sein des EUE de la dé-mocratie participative. La société civile ne fait pas partie du pouvoir politique, mais est consultée pour des ques-tions importantes, qui peuvent considérablement affecter la vie dans l’Union (par exemple les relations des diffé-rentes communautés religieuses entre elles et avec l’état) ou les relations avec d’autres pays ou d’autres blocs économiques et militaires. Les questions de poli-tique sociale, de santé, économique, intérieure, étran-gère, de défense etc., seront traitées avec plus de proxi-mité citoyenne, ce qui fait que l’Union est bien plus ap-préciée par ses citoyens, qui lui trouvent une place dans leurs cœurs. Les endroits où la démocratie participative peut être exercée existent déjà : les mairies de grandes et petites villes et villages.5

Outre la création de ministères de l’intérieur, des re-lations étrangères, de l’économie, des affaires sociales et de la santé, il est aussi très important de créer un minis-tère des finances à l’échelon fédéral, puisque les États-Unis d’Europe ont maintenant leurs propres recettes fis-cales et un budget propre. Ici, nous avons pour la pre-mière fois un instrument efficace pour utiliser les re-cettes et les dépenses « nationales » des États membres à des fins sensées et pérennes.

Une extension importante des EUE survient en 1986 avec l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. Candidats depuis plusieurs années, ces pays ont stabilisé leur mon-

5 Un article à recommander sur la « démocratie participative » est disponible sur la page Web «Association européenne des enseignants» à l’adresse http ://www.aede.eu/fr/53_participative_dem.html.

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naie à l’intérieur d’un corridor de taux de change prédé-terminé. Il est donc maintenant facile pour eux d’adopter l’Euro, et ils ont progressé économiquement depuis l’an-nonce de leur candidature. Dès cette époque, quelques grandes entreprises avaient déjà investi au Portugal et en Espagne pour profiter de l’avantage des lieux (ces pays peuvent maintenir encore assez longtemps leur avantage de coût, et de politique économique, financière et sociale équilibrée).

Lors de la coupe du monde de football en 1986 au Mexique, l’équipe de football européenne fait bonne fi-gure et remporte la troisième place, soulevant l’enthou-siasme dans l’Union.

Depuis que les EUE ont pris une forme concrète, ils veulent être acceptés comme membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. En 1987, la France, en tant que membre convaincu des EUE, est heu-reusement disposée à céder sa place à l’Union Euro-péenne. En un sens, c’est l’aboutissement des efforts dé-ployés pour donner un rôle de premier plan sur la scène internationale à l’Union Européenne et l’exprimer digne-ment.

En Union Soviétique, Michael Gorbatchev est Premier Secrétaire depuis 1985. L’évolution en Europe lui facilite la réforme du système soviétique. Il parvient à desserrer les rênes de la politique intérieure et en même temps à introduire des réformes habiles pour inciter les répu-bliques soviétiques individuelles à rester dans l’Union, à l’exception des républiques baltes, qui aspirent depuis longtemps à l’indépendance. Les républiques du Cau-case, de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie, ainsi que celles du Caucase du Nord comme le Daghestan, l’Ingou-chie et la Tchétchénie, où des émeutes éclatent trop sou-vent, sont aussi candidates à l’indépendance. Toutefois, l’une ou l’autre des Républiques asiatiques doit aussi être considérée comme candidat chancelant. L’Union So-viétique est rebaptisée « Fédération Eurasienne ».

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Les états satellites d’Europe centrale comme la Po-logne, la RDA, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Rouma-nie et la Bulgarie sont libérés de l’étreinte soviétique et peuvent maintenant déterminer leur sort eux-mêmes. Il y a peu d’incidents ou de discordes et tout se passe tout à fait pacifiquement. Mais les dirigeants de la RDA perdent rapidement leur crédibilité auprès de la population, qui demande avec de plus en plus d’insistance l’ouverture des frontières à l’Ouest. Sous la pression de Gorbatchev, les frontières sont finalement ouvertes et le gouverne-ment est remanié. Le nouveau gouvernement entre im-médiatement dans des négociations avec celui de la Ré-publique Fédérale d’Allemagne pour préparer une réunifi-cation. Parallèlement à ces négociations, le gouverne-ment fédéral allemand consulte le gouvernement des EUE et obtient l’assurance de son soutien pour cette uni-fication dans des conditions optimales. Ainsi, en 1988, la République Démocratique Allemande rejoint simultané-ment les États-Unis d’Europe et la République Fédérale d’Allemagne.

En même temps, les Jeux Olympiques se tiennent à Séoul et les EUE envoient pour la première fois leurs équipes à une Olympiade. Les équipes ont eu suffisam-ment de temps pour se préparer. Elles remportent des médailles dans presque toutes les épreuves et au total, les EUE émergent au quatrième rang. Une très bonne performance ! C’est un grand succès. Pour la première fois, l’Europe se présente aussi dans le domaine sportif comme une Union. Le sens de cohésion aux EUE ne cesse de croître et, lors de cette occasion, se transforme en un vif enthousiasme !

Nous vivons les conséquences économiques et poli-tiques de la réunification allemande à Londres, où nous résidons depuis 1989. C’est là en effet que je me suis fait engager par une association privée dans le domaine du nucléaire civil, jusqu’à fin 1992. Nous vivons dans le quartier de South Kensington, le sec-

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teur « Français » de Londres, à proximité de l’Albert Hall et du Natural History Museum. Étant donné que l’intégration des États membres des EUE est déjà très bien avancée, la réunification de l’Allemagne ne pré-sente pas de menace pour les autres États – le Royaume-Uni compris - et elle se déroule donc sans problème. En particulier le gouvernement des États-Unis, alors présidé par Ronald Reagan et ensuite Georges H.W. Bush, donne son soutien inconditionnel à ce tournant historique.Les trois années à Londres passent très vite, car nous ne menons pas une vie vraiment tranquille. Je voyage beaucoup en Europe, mais aussi en Asie et en Amé-rique du Nord. Partout où je vais en Asie : en Chine, au Japon, au Vietnam, en Inde, à Taiwan, en Thaï-lande, je vois combien les représentants des gouver-nements et les citoyens ordinaires admirent le mo-dèle européen. Partout mon appartenance euro-péenne suscite la sympathie. Jusqu’à présent, les pays de l’ASEAN n’ont pas réussi à construire un mo-dèle qui fonctionne de façon similaire. Les cultures et les intérêts y sont peut-être aussi trop différents pour faire émerger une Union qui irait au delà de ce que dictent les intérêts économiques. Annie travaille dans une boutique de mode exclusive dirigée par une fran-çaise à Knightsbridge, près du grand magasin Har-rods. Les enfants vont au « Lycée Charles de Gaulle », un lycée français.À Londres nous remarquons surtout l’énorme fossé entre riches et pauvres, mais aussi le rôle important de l’église anglicane dans le domaine de la propriété foncière et immobilière ainsi que le rôle de la no-blesse, ancienne et nouvelle. La monarchie constitu-tionnelle a contribué à préserver beaucoup de vieilles structures. À part cela, Londres est naturellement une métropole extrêmement intéressante et dyna-mique. Notre fille cadette est amoureuse de Londres

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et plus tard elle y consacre une année Erasmus (6 mois). Comparée à Paris, Londres est beaucoup plus hétéroclite : au fil des siècles la ville a mis le nouveau à côté de l’ancien, pas toujours harmonieusement. Comme dans la plupart des grandes capitales, les dis-parités de revenus sont aussi visibles dans l’architec-ture des différents quartiers. Dans l’East-End vit une population qui n’est visiblement pas gâtée par le sort. En même temps, des projets modernes apportent un changement bienvenu. Ce qui frappe, c’est la façon dont l’Empire Britannique est encore (démesuré-ment) vivant en de nombreux endroits de la ville. C’est un aspect que l’on retrouve d’ailleurs à Vienne, une ville qui, elle aussi, a été la capitale d’un grand empire et qui, un plus, a été un choix possible pour ma vie professionnelle avant d’aller à Londres.Les activités du Royaume-Uni s’exercent à l’extérieur

des États-Unis d’Europe et le pays n’en tire de toute évi-dence aucun désavantage majeur, du moins pour l’ins-tant. Il a néanmoins conclus une association partielle avec les EUE. La City de Londres est toujours un centre fi-nancier puissant, même si elle a vu diminuer son in-fluence sur les places boursières européennes. Le pays n’a toujours pas créé les mécanismes et les institutions capables de freiner le monde de la finance et de le proté-ger de lui-même. La désindustrialisation du pays pro-gresse et sa dépendance à l’égard du secteur financier augmente. Au fur et à mesure que les réserves de pé-trole et de gaz naturel diminuent, le taux de chômage augmente presque imperceptiblement mais régulière-ment au fil des années. Le Royaume-Uni va vers à un avenir incertain.

Après l’obtention du baccalauréat à Londres, notre fils décide de poursuivre ses études à Paris et rentre en France. Deux années plus tard il rencontre des difficultés et a besoin de nous. Nous rentrons donc tous à Paris, où je réussis à subvenir à nos besoins

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(sans indemnisation de chômage, car j’ai quitté mon emploi à Londres « de mon plein gré ») en effectuant quelques missions en Afrique pour une des Agences Européenne jusqu’à ce que, début 1993, je trouve un emploi dans une autre association œuvrant pour l’in-dustrie et basée à Paris, cette fois dans le domaine de la recherche et du développement industriel (R & D) comme « Secrétaire Général Adjoint ». Curieuse-ment, après avoir cherché un poste pendant six mois, j’ai le choix entre ce poste et un autre dans l’industrie nucléaire. Cependant, la plupart des pays d’Europe tournent maintenant le dos à l’énergie nucléaire, car en 1986, un réacteur de la série RMBK-1000 à Tcher-nobyl en Ukraine a explosé et a causé de graves contaminations radioactives et de nombreux décès. Cela m’a découragé de continuer dans cette industrie alors que je peux choisir. Je décide donc d’accepter le poste de SGA. Cette association européenne corres-pond tout à fait à mes attentes en encourageant la coopération entre les entreprises européennes dans le domaine de la R & D. Elle organise plusieurs tables rondes par mois ainsi que des groupes de travail et des conférences pour les représentants de différents secteurs de l’industrie. Ici je peux être Européen à part entière. Nous avons bientôt de bonnes relations avec la Pologne, la Hongrie, la Slovénie et la Répu-blique Tchèque, et par conséquent un certains nombre d’entreprises de ces pays deviennent membres de notre association. Ma famille est heu-reuse d’être de retour à Paris, et notre fils a retrouvé une vie structurée.La réunification des deux États allemands met le

thème de l’uniformisation des retraites et des régimes fiscaux sur le devant de la scène, ce qui conduit le gou-vernement et le Parlement de l’Union Européenne à s’oc-cuper intensivement de ces sujets. On décide enfin qu’il faudra : - élaborer des projets de loi pour régler ces ques-

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tions avant 1993. Ces lois doivent être mises en œuvre et adoptées avant 1995 et ensuite progressivement mises en pratique en 1997 et 1998.

Après l’admission de l’Espagne et du Portugal, la question se pose de déterminer qui d’autre peut encore être admis. En 1989, une définition des limites exté-rieures ultimes des EUE est établie. Dans ce contexte, la définition de l’Europe n’est pas géographique mais basée sur la réalité politique, économique, culturelle et mili-taire. Il est convenu que les États de l’Europe du Nord, Centrale et du Sud-est, y compris la Yougoslavie (ou les États issus de la désintégration de ce pays) et l’Albanie devraient avoir la possibilité de rejoindre l’Union. De plus, l’admission de la Turquie serait également possible si elle le souhaite, à condition que la stabilité politique et éco-nomique ainsi que les principes démocratiques soient respectés. La Turquie a l’ambition d’adopter un modèle économique et politique occidental et fait de grands pro-grès, y compris en matière de démocratie. Les relations amicales entre la Turquie et l’Union ont conduit à ré-soudre pacifiquement le problème de Chypre. Chypre est maintenant réunifiée avec un gouvernement chypriote neutre. Les Républiques occidentales de la Fédération Eurasienne (ex-URSS), l’Ukraine et le Belarus restent de plein gré au sein de la Fédération Eurasienne.

Les années suivantes sont marquées par les efforts faits pour ramener les nouveaux Länder de la République fédérale d’Allemagne au niveau de vie des Länder de l’ex RFA, ce qui met à l’épreuve les possibilités financières, mais aura les résultats escomptés au bout de quelques années. On discutera aussi de ce à quoi la structure poli-tique des États-Unis d’Europe devrait ressembler à l’ave-nir. Il est convenu que temporairement (jusqu’à 2010) elle devrait rester une structure à trois niveaux, où le ni-veau des États est subordonné au niveau fédéral et le ni-veau des régions subordonné au niveau des États. De nombreux champs de compétence, comme la défense, la

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fiscalité centrale (suivant un pourcentage fixe du total des recettes fiscales), une grande partie de la législation, une part encore à déterminer des dépenses de recherche et quelques autres compétences sont transférés des États au niveau fédéral. Les États retiennent des compé-tences presque illimitées au niveau de la justice (hormis les pouvoirs de la Cour Européenne de Justice à Luxem-bourg), des compétences partiellement limitées au ni-veau des recettes fiscales et du système éducatif et des compétences très limitées au niveau de la législation, de la promotion de la R & D et des sciences, de l’infrastruc-ture, de l’industrie et similaires. Les États retiennent donc bon nombre de leurs compétences, ou au moins des parties de celles-ci. Cependant, ils sont en même temps dans l’obligation d’impliquer les régions dans les déci-sions nationales ou européennes, ainsi que dans la mise en œuvre des décisions ou des lois et de parvenir à un consensus avec elles. Dans des cas spécifiques, qui doivent être définis avec précision, les régions peuvent être mises en minorité par les gouvernements nationaux. Les États représentent le niveau intermédiaire entre le gouvernement fédéral et les régions, qui à leur tour gagnent en influence. Elles ont leurs propres recettes fis-cales et politique de l’éducation (dans le cadre prédéter-miné de l’Union) ; projets et financement de recherche ; politique culturelle et planification urbaine, etc.

L’année 1995 voit se réaliser l’extension des EUE avec cinq nouveaux membres : l’Autriche, la Finlande, la Suède, la Norvège et la Turquie. Outre les trois premiers pays, qui remplissent les conditions d’adhésion depuis déjà quelque temps, la Turquie est candidate de longue date à l’adhésion à la EUE. Sa première demande re-monte à l’année 1959. En 1963, elle a obtenu un accord d’association. En 1990, alors que le pays est politique-ment stable et se développe économiquement à grands pas, la Turquie devient candidat officiel et en 1995, elle rejoint enfin les EUE, avec les trois autres pays. Ce qui a

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surpris beaucoup de monde c’est que la Norvège, elle aussi, a posé sa candidature et qu’elle rejoint maintenant les EUE. Elle ne peut pas échapper plus longtemps à l’at-traction de cette Union exemplaire, alors qu’elle pourrait continuer à se débrouiller pendant encore quelques dé-cennies comme État indépendant grâce à son gaz naturel et à ses gisements de pétrole. Comme le calendrier des prochaines étapes de l’uniformisation des systèmes de fiscalité et des retraites dans les EUE était déjà connu avant l’adhésion des cinq nouveaux membres et leur ap-probation était assurée, il n’y a maintenant aucune diffi-cultés pour sa mise en œuvre.

En 1996, les États-Unis d’Europe décident de construire une station sur la lune. Le premier module de-vrait être opérationnel en l’an 2002. Il s’agit d’un énorme défi scientifique, technologique et logistique, qu’il faudra maîtriser si l’on veut prouver au monde que l’Europe compte. Comme les dépenses de défense européenne sont relativement faibles, cet effort financier est considé-ré comme tout à fait supportable. En même temps on ef-fectue de la recherche et du développement en vue d’une station spatiale géostationnaire, qui serait reliée à la terre par une « corde ». Il existe déjà des fibres syn-thétiques qui permettent d’espérer qu’un jour on arrivera à en créer qui puissent supporter un tel stress. Ces fibres doivent être suffisamment résistantes à la traction pour pouvoir au moins supporter la tension de leur propre poids sur la distance entre la station spatiale et la sur-face terrestre et un surplus provenant de la force centri-fuge de la station spatiale elle-même. Avec la fibre déjà existante « Dynema » nous ne sommes plus excessive-ment loin de cette utopie. Peut-être pourra-t-on accom-plir cela un jour avec la nanotechnologie et les nanotubes de carbone - mais cela sera seulement possible si les na-notubes de carbone peuvent avoir une longueur suffi-sante pour pouvoir être tissés, ce dont nous sommes en-core très loin.

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Revenons au sujet plus prosaïque des régimes de pension nationaux par opposition à un régime européen. Comme mentionné ci-dessus, a partir de 1997, ces ré-gimes seront progressivement uniformisés et centralisés au niveau européen, alors que les préparations pour ce changement sont en cours depuis 1983. En cela, les fu-turs retraités qui, au cours de leur vie active, ont travaillé dans divers États des EUE n’ont plus que des formalités très simplifiées à accomplir pour obtenir leur retraite là où ils résident. Comme aussi déjà mentionné, ceci est possible grâce à une base de données électronique cen-trale.

Aujourd’hui, nous vivons une époque où l’écart entre les riches et les pauvres se creuse chaque année davan-tage avec d’une part de plus en plus d’individus très riches et de l’autre côté de plus en plus de gens très pauvres, la classe moyenne diminuant constamment. Le Financial Times écrit régulièrement des articles sur ce su-jet. Bien sûr les nantis et leurs familles vont investir une partie de leur capital dans des biens de consommation ou durables, mais surtout dans les produits ou l’immobi-lier de luxe. L’effet de redistribution est donc extrême-ment faible et il y a à nouveau la concentration de capital dans peu d’agents économiques, comme par exemple Louis Vuitton, Chanel ou les grandes agences immobi-lières très renommées, etc. Le reste de cette richesse in-ouïe est investi dans les marchés financiers ou d’autres cibles non productives.

Pour remédier à cette situation, le système fiscal sera radicalement repensé en 1998 et en même temps rendu aussi simple et compréhensible que possible. À quelque niveau que ce soit, les travailleurs peuvent maintenant s’attendre à des règles simples lorsqu’ils prennent un emploi hors de leur propre état à l’intérieur des EUE, et leur mobilité s’est donc considérablement améliorée. A son tour, ceci a un impact très positif sur l’économie des EUE. Le système d’impôt est progressif avec 10 niveaux

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de taxation jusqu’à un revenu de 2 million d’euros par ménage, où le taux de 70% à 80% est appliqué (tout ce qui dépasse 2 million d’Euro est imposé de 70 à 80 pour cent - les seuils exacts pour chaque tranche ainsi que le taux maximal d’imposition doivent évidement être com-patible avec les faits économiques et suivre les taux d’in-flation). La conséquence en est que la courbe des reve-nus se nivelle (les très hauts revenus deviennent plus rares et plus faibles parce qu’il ne vaut plus la peine de gagner tant d’argent, alors que les faibles revenus sont à peine imposés et les revenus moyens le sont modéré-ment). L’ensemble de la population peut donc mieux par-ticiper à la vie économique et les écarts de revenus in-sensés, la norme aux Etats-Unis, deviennent de plus en plus l’exception. Très peu de riches émigreront à cause de cela. La question se pose aussi : où aller ? Par exemple, pour les Top managers mégalomanes, plus grands que nature (mâles Alpha), la demande dans le monde est limitée. Il en va de même pour les « gros » banquiers et gestionnaires de fonds. Ils précipitent les banques au fond de l’abîme, ce que des banquiers plus normaux, en prenant moins de risques, ne seraient ja-mais capables de faire. Plus de « normalité » et moins d’excessivité devrait aussi devenir la règle dans d’autres secteurs de l’économie. Avons-nous besoin des « Super-stars » ? Peut-être pouvons-nous opposer quelque chose de plus humain au dicton « l’argent gouverne le monde » ?

Enfin, en 1999, une Bourse Centrale Européenne est créée et basée à Paris. Des règles éthiques, qui vont considérablement compliquer la spéculation et encoura-ger les investissements à long terme, en particulier dans les jeunes entreprises à fort potentiel économique ou so-ciétal, seront imposées. Le système de soutien des star-tups est modifié : les jeunes entrepreneurs sont incités à accompagner leurs sociétés dans leur croissance et à ne pas garder les yeux rivés sur la prochaine occasion de les

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vendre aussi rapidement et de manière aussi rentable que possible. La bourse doit redevenir la place financière qu’elle était il y a longtemps : un endroit où les entre-prises peuvent chercher des investisseurs fiables et pour le long terme. Ces investisseurs échangent leur argent contre des actions afin que les entrepreneurs puissent travailler et élargir leur rayon d’action, renouveler leurs machines, exploiter la recherche et le développement pour l’innovation, introduire de nouvelles méthodes de travail, etc. La bourse peut aussi rester un endroit où les créateurs d’entreprises peuvent se procurer le capital né-cessaire à la création de leur affaire. Cependant, il serait peut-être préférable que ce rôle soit rempli par des banques spécialisées ayant plus d’expérience de l’éva-luation du risque de l’investissement dans la création d’entreprises. Ces emprunts sont par la suite beaucoup plus faciles à rembourser que le capital des actions, qui peuvent prendre une valeur dix fois, cent fois, même mille fois supérieure à leur valeur initiale. Dans ces cir-constances, l’entrepreneur n’a souvent pas d’autre choix que de vendre son entreprise lorsqu’elle commence à être rentable.

Entretemps, certains pays d’Europe centrale, Répu-blique Tchèque, Slovaquie, Hongrie, Pologne et Slovénie, sont depuis si longtemps candidats à l’adhésion aux EUE qu’en l’an 2000 il est temps pour eux de rejoindre les États-Unis d’Europe. Ces pays sont sans exception d’an-ciens États satellites de l’Union Soviétique ou de frag-ments de ceux-ci (voir la Slovénie, autrefois partie de la Yougoslavie), devenus indépendants. Mais ils ont tous fait des progrès économiques et démocratiques depuis leur libération de la tutelle soviétique et leur entrée dans les EUE ne suscite pas la moindre difficulté. En particu-lier, le président tchèque Václav Havel facilite beaucoup l’intégration de son pays, et cela avec une grande sensi-bilité – après tout, c’est le Président philosophe, comme l’appellent ses compatriotes.

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Notre association industrielle européenne pour la re-cherche et le développement, pour laquelle je tra-vaille encore, parvient à insuffler une confiance sou-tenue à ses membres et à leur conférer un sentiment d’appartenance à la famille européenne. Je me sens heureux d’exercer une profession qui est considérée par tous comme utile et productive et servant la cause européenne.En octobre 2001 commence la guerre en Afghanistan

contre les Talibans. Ceux-ci sont rapidement obligés de battre en retraite vers le Pakistan. Immédiatement après la défaite des Talibans et sur le conseil insistant des EUE, des investissements massifs sont effectués dans le sec-teur agricole, dans certains secteurs de l’industrie ayant un lien avec les traditions afghanes et dans des pro-grammes d’emploi tels que l’infrastructure et le loge-ment et dans la création d’une armée afghane efficiente. Les États-Unis d’Europe apportent leur contribution à ces initiatives. La population afghane est rapidement séduite par ce développement. Depuis l’époque de la domination soviétique, il existe heureusement une population ins-truite à Kaboul et les femmes en particulier sont heu-reuses de retrouver leur liberté. Pour les populations ru-rales, des écoles et des hôpitaux sont établis partout. Au-cune condition n’est posée à cette aide. Après trois ans, le pays est économiquement, militairement et mentale-ment à nouveau fort et en même temps résistant contre la propagande idéologique et religieuse des Talibans, et les militaires étrangers peuvent être retirés progressive-ment.

Le temps est maintenant venu de donner plus de poids aux régions des EUE. En 2001, une modification constitutionnelle est introduite, qui vise à transférer plus de compétences aux régions afin qu’elles puissent se faire mieux entendre dans l’Union. Cela concerne en par-ticulier les politiques éducatives, culturelles et indus-trielles. Dans ces domaines, les régions peuvent former

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des coalitions avec les régions dans le même État ou dans d’autres États de l’Union et adresser directement des propositions au gouvernement fédéral. Les décisions peuvent être prises à la majorité simple, les régions étant pondérées selon leurs populations. La responsabilité de la compensation financière entre régions riches et pauvres est assumée directement par les régions. Pour cela, une institution est créée pour accomplir cette com-pensation financière selon des critères objectifs où toutes les régions sont représentées par un expert chacune. Un rôle culturel particulier (capitales culturelles) est mainte-nant donné aux anciennes capitales nationales. En leur sein, une partie importante de la vie culturelle de la zone géographique et linguistique qu’elles représentent est maintenue, continuant ainsi à enrichir les langues « na-tionales ». Les arts non liés à la langue parlée y trouvent également un terrain aussi fertile qu’auparavant. En outre, ces grandes villes réclameront leur suprématie économique traditionnelle dans la majorité des cas. Les régions ne deviennent pas seulement plus fortes sur le plan politique mais aussi sur le plan économique et leurs villes, grandes, moyennes et petites, ont leur part dans cette évolution.

Étonnamment, après quelque temps, cette évolution a pour conséquence que certaines régions forment une coalition dans le but de créer des enclaves étendues à l’intérieur de leurs territoires où les personnes qui veulent trouver de nouvelles formes de vie, loin du monde industriel et financier, peuvent s’installer. Si ces personnes n’ont pas les moyens d’un nouveau départ, par exemple à cause d’un chômage prolongé, on les ai-dera matériellement pour ce nouveau départ. Si ce mo-dèle fonctionne, le chômage peut devenir un phénomène en voie de disparition. Dans ces enclaves il n’y aurait, au moins pour un certain temps, pas de voitures et pas d’in-dustrie. Tout se ferait à la main ou à l’aide de la force des chevaux ou d’autres animaux. Les Mennonites (Amish)

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en Amérique du Nord prouvent que cela fonctionne au-jourd’hui encore. De cette manière on créerait une sou-pape fantastique pour les chômeurs de longue durée. Si l’économie se redresse, ceux qui le désirent peuvent re-tourner à la « Civilisation ». Dans deux ou trois régions, notamment en Auvergne en France et en Mecklembourg Poméranie-occidentale en Allemagne, ce modèle devient une réalité qui fonctionne. Elles reçoivent même l’afflux de gens venant de professions où il n’y a aucun problème de chômage. En même temps, il faut s’assurer que ce système ne devienne pas obligatoire pour les personnes sans emploi, car un retour au monde du travail est tou-jours possible au moins pendant la première et parfois même pour la seconde année de chômage. En revanche, étant donné que ce dispositif fonctionne, l’offre de main-d’œuvre est réduite à un point tel que la pression sur les salaires dans l’économie « réelle » se relâche et que les employés et ouvriers peuvent à nouveau espérer de meilleurs salaires. Ce dernier aspect est d’autant plus im-portant que beaucoup d’autres citoyens se sentent atti-rés par le modèle sociétal de ces régions. De cette façon, une société parallèle peut se former dans ces contrées et de nouvelles façons de vivre ensemble peuvent être in-ventées. A bien des égards s’ouvrent de multiples ouver-tures pour l’influence mutuelle entre la société moderne et cette toute autre société parallèle, beaucoup plus calme et plus équilibrée.

Un effet supplémentaire très positif du retour des ré-gions est que même le pouvoir judiciaire est décentralisé, ce qui peut considérablement améliorer le système péni-tentiaire. Nous savons tous que les prisons sont surpeu-plées et les grands criminels, par manque de place et de personnel, y sont souvent mêlés avec des moindres dé-linquants dont certains y reçoivent en fait un entraine-ment pour devenir des vrais criminels à leur tour.

Avec la décentralisation du pouvoir judiciaire et du système pénitentiaire, c’est-à-dire de l’exécution des

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peines, nous pouvons à nouveau revenir à une dimension plus humaine et mieux adapter le degré de la punition ainsi que le système carcéral au degré de l’infraction et au délinquant. Notamment, l’exécution de la peine pour les crimes de moindre importance peut inclure une répa-ration et une réconciliation avec les victimes, afin que les deux parties puissent avoir une opportunité de trouver la paix intérieure. Une législation locale est plus construc-tive par rapport à la justice étatique et offre une meilleure chance aux délinquants de se réintégrer dans la vie de la communauté (locale). En d’autres termes, permet une meilleure réinsertion.

On peut aussi penser qu’en s’appuyant davantage sur des aspects locaux, on apportera plus d’humanité aux ci-toyens vivant en communauté. Par exemple, on ne lais-sera pas les vieillards mourir seuls dans des maisons de retraite ou dans les mouroirs des hôpitaux dans des conditions misérables. Peut-être pouvons-nous égale-ment nous distancer à nouveau de la compétition ex-trême de tous contre tous et qui nous rend malades ? Au niveau régional et local il y a moins de nécessité pour ce genre de compétition.

Comme prévu, le premier module de la station lunaire européenne est inauguré en juin 2002. Une grande fête pour l’Europe, qui a maintenant démontré au monde qu’elle peut non seulement participer au concert des puissances spatiales, mais aussi qu’elle est capable de jouer un rôle de premier plan.

En mars 2003, la troisième guerre du Golfe com-mence en Iraq. Les États-Unis et la Grande-Bretagne vaincront rapidement les forces iraquiennes et essayent ensuite de stabiliser la situation. Les EUE réussissent à convaincre les Etats-Unis d’Amérique et la Grande-Bre-tagne que cela ne peut réussir qu’avec un programme rapide et efficace de création massive d’emplois pour la

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population. Cette fois aussi, les EUE apportent leur contri-bution à cet effort. En quelques mois, la population est convaincue que « l’occupation » par les troupes étran-gères ne durera pas longtemps et que le pays ira mieux qu’avant. Des négociations habiles avec les représen-tants des différentes tendances religieuses et des groupes tels que les Kurdes conduisent rapidement à un gouvernement de transition qui sera démocratiquement confirmé après deux ans.

Compte tenu de l’évolution de la situation des opéra-tions des forces armées européennes, n’ayant plus à in-tervenir dans des conflits régionaux ou même mondiaux, s’orientent vers la « gestion » de conflits locaux et on dé-cide en 2003 de remplacer le statut d’une armée de conscrits par le statut d’une armée professionnelle, abo-lissant une fois pour toutes la conscription dans les EUE.

Au cours des années suivantes, les pays baltes, Chypre avec les deux régions à nouveau réunies et Malte (2004), la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo (2006), la Bulgarie, la Roumanie et l’Albanie (2008) rejoignent les États-Unis d’Europe. Comme les règles sont claires, ces adhésions se passent sans pro-blème majeur, même si beaucoup reste à faire pour ame-ner les nouveaux membres à un niveau économique comparable à celui des membres existants.

À présent l’Europe, en tant que Fédération, est com-plète, à l’exception de la Suisse, qui réfléchit également si son statut peut être maintenu sur la durée. Andorre et Monaco ne savent pas très bien comment se comporter. Le Liechtenstein va se joindre probablement au chemin que la Suisse va finalement prendre. Mais ici il ne s’agit déjà plus de questions très importantes pour l’Europe.

Après l’achèvement de la Fédération européenne en 2009, je viens d’avoir 65 ans et je pars à la retraite. L’ajustement des retraites aux nouvelles réalités des États-Unis d’Europe est une bénédiction pour moi. Je

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remplis un formulaire, le soumets trois mois avant de prendre ma retraite à Paris et reçois mes paiements de retraite trois mois plus tard. Seulement pour mes trois années à Londres, je dois remplir un formulaire supplémentaire, car ce pays n’est pas membre des EUE ; mais les Britanniques sont très pragmatiques et non-bureaucratiques dans cette affaire. Même dans ce cas je reçois ma retraite à temps.L’année suivante, je travaille comme bénévole pour une organisation de jeunesse à Paris. Cet organisme a également un caractère européen. Il a des branches dans presque toutes les régions de France, tout en faisant lui-même partie d’une organisation euro-péenne, qui, à son tour fait partie d’une organisation mondiale. Elle œuvre pour réveiller chez des jeunes élèves et étudiants l’intérêt pour l’esprit d’entreprise, en leur enseignant les pratiques de création d’entre-prises. En outre, elle fait la promotion des professions d’ingénieurs et de scientifiques en soulignant leur po-tentiel. Mon enthousiasme pour l’Europe trouve en-core une fois une application pratique.On mentionnera ici en passant qu’entre 2007 et 2008

une crise bancaire se produit aux USA et au Royaume-Uni, déclenchée par les prêts immobiliers accordés sans vrai contrôle et leur présentation sous forme de produits dérivés. En Europe, les répercussions de la crise finan-cière américaine et britannique, se limitent à une légère baisse des exportations vers les Etats-Unis d’Amérique, qui seront d’ailleurs en partie compensées par les expor-tations vers l’Asie. La règlementation des activités ban-caires en Europe épargne aux banques européennes « normales » la participation à la course aux prêts ban-caires pour l’acquisition de biens immobiliers. En même temps, l’achat de produits dérivés par les institutions fi-nancières (banques d’investissements, etc.) diminue tel-lement en Europe, que là aussi, aucun mal n’est fait. La prudente gestion budgétaire évite également aux États

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membres de l’Union Européenne une augmentation dras-tique de la dette publique.

L’Europe en tant que Fédération doit maintenant faire face à quelques questions sensibles : si aujourd’hui il y a enfin une identité européenne à côté ou peut-être même au dessus de l’identité nationale ou régionale, comment faut-il alors considérer les devoirs moraux découlant des divers événements historiques pour l’Allemagne, la France et quelques autres pays ? Je songe par exemple à la Seconde Guerre Mondiale et aux atrocités dont les peuples juifs d’Europe ont souffert. Il en résulte une obli-gation de l’Allemagne envers le peuple juif et Israël. Est-ce que les États-Unis d’Europe peuvent et veulent prendre cette obligation à leur compte ? Est-il même sou-haitable que cela se passe ainsi ? Du point de vue renfor-cement de l’unité européenne, il faudrait répondre par l’affirmative. En fin de compte, cette guerre fait partie de l’histoire européenne. Israël se réjouirait de cette solida-rité. Dans ce cas, les Européens devront avoir préparé une explication justifiant cette assistance face au monde arabe, ce qui ne sera pas facile. Politiquement parlant, cette approche est donc tout sauf facile et peut éventuel-lement ne pas fonctionner. Mais il vaudrait quand même la peine de l’essayer. J’ai d’ailleurs visité les camps d’ex-termination à Auschwitz en tant qu’étudiant quand, en 1966, j’ai séjourné une dizaine de jours à Cracovie. Cette visite en Pologne avait été organisée dans le contexte de la réconciliation polono-allemande et parrainée par l’église évangélique de Berlin. Je ne décrirai pas ici les impressions que j’ai rapportées de ces lieux, mais je peux vous assurer qu’en sortant de là on n’est plus la même personne.

Il faudrait peut-être aussi poser la question de savoir si l’Holocauste peut vraiment être réduit aux relations de l’Allemagne hitlérienne au judaïsme. À mon avis, la ques-tion est plus vaste : comment était-il possible qu’une par-tie de l’humanité soit capable d’infliger de telles souf-

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frances à une autre ? Ou encore plus généralement : Jus-qu’où peuvent aller des gens comme vous et moi pour faire subir à autrui des atrocités si l’organisation de l’état nous y pousse ? N’existe-t-il pas de limites ? Après tout, pendant le dernier Empire allemand (sous Bismarck), les juifs étaient des concitoyens ordinaires. C’étaient des Al-lemands de confession judaïque comme d’autres étaient des allemands catholiques ou protestants. Qu’était-il donc arrivé pour qu’une telle chose devienne possible ?

Il y a aussi la guerre d’Algérie, qui a laissée ses traces dans la mémoire des Français et des Algériens et dont il faudra s’occuper des répercussions. Si la Fédéra-tion Européenne reconnaissait cet épisode comme un épisode européen et acceptait d’assumer les obligations qui en découlent, cela conduirait sûrement à une amélio-ration substantielle des relations entre l’État membre des EUE, qu’est la France, et l’Algérie, d’un côté et entre les EUE et l’Algérie de l’autre. Étant donné que cette ques-tion est moins complexe et moins déterminante pour le destin de l’Europe que la question précédente et que les avantages d’une solution européenne sont évidents, les EUE devraient prendre ce problème en main et faire un pas et un geste vers l’Algérie.

Concernant la France, se pose encore une question tout à fait différente : ce pays a encore des possessions extra-européennes, qui sont appelées départements et territoires d’outre-mer. Sont-ils maintenant automatique-ment des départements ou des territoires des EUE ? Comment seront-ils administrés ?

Pour rester en France, il y a un problème particulière-ment épineux : Que va devenir la Force de Frappe Nu-cléaire Française ? Dans une véritable Union Fédérale, cette capacité de réponse nucléaire à une attaque nu-cléaire doit être transférée au gouvernement de l’Union. Il est douteux que cela se produise ! Faudra-t-il donc se défaire de cet instrument de dissuasion ?

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Reste la question de la traite négrière. Plusieurs pays y ont participé, même la Suède. Si l’Europe dans son en-semble s’engageait pour assumer les obligations décou-lant de l’histoire de la traite des esclaves, l’opinion pu-blique mondiale en serait satisfaite et dirait le plus grand bien des EUE. Les populations de couleur dans tous les continents du monde recevraient enfin reconnaissance et compassion pour les souffrances passées.

Et comment devrait-on traiter la question des Roms ? Une solution possible sur une période étendue, disons quinze ou vingt ans, serait peut-être le processus de ci-toyenneté européenne avec résidence fixe, scolarisation des enfants et l’ouverture du marché du travail pour ces populations hétérogènes en Europe. Reste à savoir si elles le veulent. Il y aura certainement quelques résis-tances chez certains groupes de population, qui devront être surmontées. Il faudra une politique positive et déci-sive pour convaincre les Roms qu’il s’agit ici d’un déve-loppement raisonnable et mutuellement satisfaisant. En outre, la population dénommée Roma se compose de différents groupes, dont certains sont déjà sédentarisés et bien intégrés depuis quelque temps, d’autres sont ap-pelés « gens du voyage » et d’autres encore repré-sentent le groupe des nouveaux arrivants principalement de Roumanie, qui n’avaient pas encore le temps et le soutien administratif pour pouvoir s’intégrer. L’Europe a résolu d’autres problèmes difficiles et elle a montré à maintes reprises qu’elle est capable d’agir. Elle résoudra aussi ce problème en se référant consciemment à un pa-trimoine multiculturel.

Il y a encore un certain nombre d’autres questions de cette nature, mais je voudrais me limiter à une dernière : le problème de l’intégration de l’Islam dans la société eu-ropéenne. Le 1er janvier 2011, la population de l’Union européenne est estimée à 502,5 millions (plus d’un demi-milliard) dont environ 6 % sont musulmans (30 millions de personnes). Cette proportion de la population totale

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va continuer à augmenter pour se stabiliser peut-être à l’horizon 2050 aux environs de 10 %. Nous ne pourrons pas faire autrement que de considérer l’Islam comme une religion parmi d’autres en Europe. En retour, les mu-sulmans devraient considérer de se soumettre aux mêmes règles telles qu’elles sont observées par les autres confessions en Europe. Ce serait probablement une mesure constructive d’accorder à l’Islam le même fi-nancement que par exemple, l’Allemagne du temps de son existence en tant que pays, avait accordé aux églises catholique et protestante : Les croyants déclarés payaient des impôts confessionnels et les « églises » sont financées par cette taxe. Les musulmans déclarés paie-raient alors un impôt confessionnel et leurs mosquées et les imams seraient alors également financés par l’état. Ainsi, nous avons l’égalité absolue de toutes les religions officielles en Europe et une coexistence pacifique et constructive.

Malheureusement, la réalité est différente, et très préoccupante. L’Islam à l’extérieur de l’Europe se radica-lise de plus en plus, alors même qu’il ne connaissait pas une telle radicalisation il y a seulement quelques décen-nies. Dans les siècles passés, il était même considéré comme un modèle de tolérance. Au Moyen-Orient, au dé-but de l’époque médiévale en Europe, les connaissances scientifiques des Grecs de l’antiquité ont été adoptées par les philosophes arabes (traduction des œuvres d’Aris-tote et d’autres en arabe) et développées. On pourrait presque dire que le Moyen-Orient avait son siècle des lu-mières avant leur propre Moyen Âge. Le Siècle des lu-mières européen ne serait pas arrivé sans fécondation par le monde arabe. Aujourd’hui, la société occidentale aurait beaucoup à apprendre du système bancaire tel qu’il est religieusement et légalement encadré dans les pays arabes ! La recherche du profit excessif de l’Occi-dent ne trouve tout simplement pas de terrain fertile au sein du système bancaire musulman. Malheureusement il

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y a eu, dans la sphère d’influence de l’Islam, une contre-réaction au nom de la religion pure et les considérables progrès réalisés ont été anéantis. Il est difficile d’imagi-ner qu’un mouvement des lumières se développe dans un proche avenir dans les pays islamiques arabes. Le printemps arabe a montré la puissance des forces conservatrices dans ces régions. Même une « révolu-tion » n’a pas pu les écarter. Qu’un jour l’influence de l’extérieur aidera la modernité à s’installer dans ces pays reste toujours incertain. Pourtant, nous l’espérons.

On observe cependant des lueurs d’espoir dans l’his-toire plus récente, en particulier en Europe : alors que dans divers endroits d’Europe les mosquées sont toujours construites selon le modèle traditionnel, il existe des exemples d’architecture moderne de mosquées, comme par exemple à Penzberg en Bavière6. On voit donc que cela est tout à fait possible. Enfin, il n’est écrit nulle part qu’une mosquée doive avoir un minaret ou un dôme, il suffit qu’elle soit orientée vers la Mecque. De cette façon, la construction de la mosquée moderne rejoint la construction des églises modernes en Europe. Ces chan-gements novateurs permettent l’espoir de l’émergence d’une religion islamique moderne, au moins en Europe. En fin de compte, l’architecture d’une église ou d’une mosquée est le reflet de l’esprit et de la tolérance des fi-dèles. Un autre exemple, très réussi, au moins dans la conception, est le design de la mosquée de Cannes (la Bocca) dans le sud de la France, dont le début du projet date de l’année 2006 et qui aurait dû ouvrir à la fin de 20127. Le projet de la mosquée d’Aarhus au Danemark relève également d’un design très moderne8. Si Oscar

6 http ://www.sonntagsblatt-bayern.de/news/aktuell/2009_32_25_01.htm

7 http ://www.saphirnews.com/Les-musulmans-de-Cannes-s-offrent-une-mosquee-design_a5633.html

8 http://mosquedenmark.org/project/moskeogislamiskcenter_aarhus_english.pdf

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Niemeyer, l’architecte brésilien qui a conçu la ville de Brasilia dans une très large mesure, vivait encore et pou-vait créer (il est mort juste à la fin 2012, cinq jours avant son 105ème anniversaire et avait travaillé jusqu’à son 100èmème anniversaire), on aurait pu lui confier le projet de la construction d’une mosquée. Il aurait certainement créé quelque chose d’admirable et en même temps léger et gracieux – à l’instar de la légèreté et de la grâce de certaines mosquées traditionnelles en Azerbaïdjan, au Tadjikistan, etc. Les citoyens musulmans en Europe au-raient été fiers de cette œuvre.

En dehors de ces lueurs d’espoir, une grande tris-tesse peut s’empare de l’observateur quand il voit com-ment les efforts de paix dans l’Union Européenne pour-raient être anéantis par des forces obscures qui sont dé-sormais partout à l’œuvre et qui instrumentalisent cette religion. Ne suffit-il pas que l’on doive surmonter une grave crise financière ? Cet autre conflit menace aujour-d’hui notre société. Ces forces pourraient-elles nous ren-voyer des centaines d’années en arrière jusqu’au moyen-âge ? Il faudra impérativement faire appel aux forces mo-dérées de l’Islam en Europe : « Faites entendre votre voix au-delà des frontières de l’Europe ». Seul un monde en paix peut garantir « la prospérité » et le « bien-être » spirituel et matériel.

On peut penser que l’angélisme des Américains dans leur manière d’aborder les conflits mondiaux ou régio-naux et l’impérialisme des sociétés américaines soient pour quelque chose dans le rejet de l’influence « occiden-tale » par les pays arabes ; mais les raisons véritables sont plus profondes.

Aux yeux de Hassan al-Bannâ, le fondateur de l’asso-ciation des Frères Musulmans, qui de 1906 à 1949 a œu-vré en Égypte, la colonisation de la Méditerranée arabe par des puissances européennes a été un désastre, parce qu’elle a détruit la foi, sa profondeur et sa suprématie absolue dans la vie publique. Hassan al-Bannâ rejetait le

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matérialisme communiste, l’athéisme et le chaos démo-cratique occidental. Il a littéralement parcouru son pays comme prédicateur pour prêcher le retour à l’Islam pur et a laissé partout des partisans. Il croyait également à une mission globale de l’Islam. Pour lui, la foi, la politique et l’État étaient inséparables. Depuis lors, l’orientation pré-conisée par lui s’est radicalisée encore, après qu’une di-rection plus modérée, représentée par son frère Jamâl al-Bannâ, eût été tuée dans l’œuf.

On pourrait peut-être comparer le mouvement lancé par Hassan al-Bannâ à la résistance contre l’occupation allemande en France pendant la seconde guerre mon-diale – sauf que cette résistance s’opérait au niveau reli-gieux. À l’époque, le sabotage et la violence armée n’étaient pas encore assez efficaces pour réussir à déran-ger, voire disloquer l’ennemi. La différence entre la résis-tance française et la résistance arabo-religieuse est que la première avait atteint son objectif avec la fin de l’occu-pation allemande et s’est ensuite dissoute, tandis que la résistance arabo-religieuse, jusqu’avant l’élection de Mo-hammed Morsi comme président égyptien, était encore très loin de la création d’au moins une véritable théocra-tie dans le monde arabe – la théocratie iranienne n’ap-partenant pas au monde arabe. Nous verrons comment la situation en Egypte évoluera dans les mois et années à venir. Par ailleurs, la résistance arabe n’est qu’à ses dé-buts, car il faut également qu’un certain nombre d’autres États arabes se soumettent aux vérités islamiques. Et après il reste encore le monde non-arabe à convertir à l’Islam. On a donc encore de grands projets dans le monde musulman.

Il ne faut pas oublier que les blessures du colonia-lisme sont en partie encore largement ouvertes, comme le montre l’Algérie. La guerre d’indépendance a créé de nouvelles injustices et, jusqu’à présent, les deux parties, l’Algérie et la France, ne se sont pas mutuellement par-donné. Les injustices subies perdurent dans la mémoire

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des deux peuples. Un vrai geste de réconciliation du côté de la France ou des EUE serait bienvenu.

Revenons à l’Islam : il a été pendant des siècles un modèle de tolérance. Mais aujourd’hui, cette tolérance a disparu dans plusieurs pays musulmans et les Coptes et d’autres Chrétiens encore présents dans le monde arabe n’y sont plus acceptés. Qu’est devenue cette tolérance ?

À première vue, on pourrait penser qu’Israël est le point central de l’agressivité pseudo-religieuse de l’es-pace arabe. Mais même si Israël disparaissait de la carte, rien ne changerait. Israël a toujours été le souffre-douleur des États arabes et les victimes ont toujours été les Pa-lestiniens, avec qui les politiciens s’obstinent à refuser tout compromis. Dans ce cas, l’agressivité trouverait ra-pidement d’autres objectifs, en particulier les États arabes qui adoptent une politique plus libérale. Il est par-ticulièrement effrayant de voir que les arguments ration-nels ne peuvent rien face aux extrémistes religieux radi-caux qui, dans certains États arabes, fédèrent de nom-breux disciples.

D’autres luttes pour l’hégémonie dans la sphère d’in-fluence sunnite se dessinent à l’horizon, où le Qatar sou-tient les Frères Musulmans et l’Arabie Saoudite les Sala-fistes, les deux combattant l’influence du mouvement chiite. Par procuration, le Hamas sunnite dans la bande de Gaza et le Hezbollah chiite au Liban livrent une ba-taille contre l’état d’Israël. En Syrie, des groupes extré-mistes sunnites luttent actuellement contre le régime sy-rien, et les groupes chiites soutiennent ce régime qui est alaouite et leur est donc proche du point de vue reli-gieux. Que se passera-t-il si les sunnites extrêmes gagnent cette guerre civile ?

Il reste pourtant toujours une lueur d’espoir que des forces modérées, conduites par la raison en Europe et en Amérique et se réclamant de l’Islam élèvent la voix, pour qu’elle soit entendue jusqu’au monde arabe et qu’un jour

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elle devienne incontournable. Qui d’autre pourrait stig-matiser les excès d’un Islam radical sinon les musulmans vivant dans les pays ayant une longue tradition de tolé-rance ? En revanche, à de rares exceptions près, la rai-son n’est pas la force la plus grande pour rendre plus fa-cile la coexistence entre les différentes communautés. Des circonstances permettant à la raison d’influencer le sort de l’humanité ont toujours été extrêmement rares. Mais elles ont existé et nous espérons qu’il y en aura en-core d’autres occasions avant qu’il ne soit trop tard !

On observe en effet actuellement différentes ten-dances dans le camp de l’Islam politique, où les voix « modérées » sont encore relativement faibles, mais pas non plus complètement inaudibles. Peut-être que l’Islam politique passe maintenant par une phase d’apprentis-sage et qu’à la fin il en sortira quelque chose de sensé ? Espérons-le !

Avec cet espoir au cœur, nous allons maintenant pas-ser à la section « Consolidation des réalisations».

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QUATRIÈME PHASE : CONSOLIDATION DES RÉALISATIONS

Préface : Ce qui a été accompli depuis une bonne cinquantaine d’années est considérable. Maintenant faut-il le consolider en intégrant dans les programmes d’édu-cation des jeunes et très jeunes éléments mettant en va-leur ces acquis européens. Notre histoire n’est désormais plus une histoire essentiellement nationale dans un es-pace géographique européen, mais une histoire euro-péenne qui englobe des chapitres nationaux. C’est ainsi qu’elle doit être enseignée aux élèves. Un autre facteur à prendre en compte pour la pérennité des EUE est le be-soin de sources d’énergie sûres et abordables. Si ce qui a été accompli ne doit pas être perdu, des efforts doivent être déployés pour les développer et exploiter. Sinon, il y aura à nouveau des crises économiques et une grande partie des réalisations sera remise en question. On aura donc besoin d’une politique énergétique commune constructive, tenant compte du fait que les sources d’énergie fossiles déclinent ou sont au moins plus diffi-ciles à trouver et à exploiter et seront donc de plus en plus coûteuses. L’extraction de l’huile et du gaz de schistes s’est accompagnée jusqu’à présent de pro-blèmes environnementaux non négligeables. L’Europe trouve ici un champ d’innovation potentiel dont elle de-vrait profiter pour jouer un rôle de premier plan dans le monde. D’autres activités pour consolider les réalisations concernent les secteurs culturels et l’innovation sociale.

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Si nous voulons que ce qui a été accompli soit du-rable, nous devons veiller à ce que la prochaine généra-tion grandisse dans un monde accepté par les adultes et dont l’émergence est présentée dans une perspective

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européenne. Si la génération adulte ne s’identifie pas avec l’Europe, comment pouvons-nous espérer que la jeune génération le fasse ? La meilleure façon de montrer aux jeunes que nous sommes des Européens convaincus, c’est d’enseigner l’histoire non dans une perspective na-tionale mais dans une perspective européenne. Bien sûr, on ne peut pas s’affranchir des particularités nationales qui ont déterminé le cours de l’histoire en Europe. Mais il faut éviter de donner trop d’importance à l’histoire natio-nale, car l’interprétation nationale de l’histoire peut conduire et a conduit à des conflits. Par exemple, du point de vue français, Napoléon est un grand homme d’État et un grand commandant militaire, et même un héros. Cette opinion n’est pas nécessairement partagée par les pays qu’il a traversés avec son armée. Même en ce qui concerne l’assignation de la culpabilité de la Pre-mière Guerre Mondiale, on devra sans doute arriver à un jugement plus nuancé. Il y a d’autres exemples où un ju-gement plus neutre serait nécessaire pour que nos en-fants ne soient pas être influencés par des préjugés pas-sés, mais plutôt par des pensées humanistes, conci-liantes et créatives. Pour immuniser les Européens, jeunes et moins jeunes, contre l’extrémisme politique, surtout de droite, nous devons leur donner les éléments nécessaires pour se forger une opinion cohérente et non influencée par les passions ou les haines.

Dans l’histoire, des exemples de grandes vagues culturelles envahissant toute l’Europe ou au moins une grande partie de ce continent abondent. Le gothique en est un bon exemple. Depuis le XIIème siècle, partant de France, il a laissé des traces presque partout en Europe, jusqu’au style néogothique du XIXème siècle, sauf dans les régions dominées par la chrétienté orthodoxe dans l’Est et le Sud-est de l’Europe. La Renaissance, née dans l’Italie du XVème siècle, s’est également étendue dans toute l’Europe. Au XVIIIème siècle, le siècle des Lumières a tôt ou tard eu une emprise sur presque toute l’Europe.

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Utilisant ces éléments, on peut très bien enseigner l’his-toire de l’Europe à l’école, et il y a encore bien d’autres exemples, pour ne citer que la Hanse, qui était une union ou ligue de villes européennes. Je n’évoquerai pas ici le christianisme, car la diversité des religions aujourd’hui présentes en Europe et la baisse constante des fidèles des églises chrétiennes font que le christianisme ne peut plus être considéré comme un moteur essentiel de l’unité de l’Europe, bien que ses préceptes soient toujours dé-terminants dans l’éducation et dans la constitution de l’éthique des populations.

Dans tous ces phénomènes, certains espaces cultu-rels, qui ne coïncident pas nécessairement avec les fron-tières nationales, ont joué un rôle important. Ainsi on ne peut pas imaginer le Gothique sans la France, la Renais-sance sans l’Italie, et le Siècle des Lumières sans la France, l’Angleterre et l’espace culturel allemand à l’inté-rieur de ses diverses frontières. Une meilleure compré-hension de ces influences serait sans doute possible si l’apprentissage de langues étrangères était plus répan-du. La maîtrise des langues des voisins européens est un instrument puissant pour améliorer significativement la sensibilité aux autres cultures. Dès le Moyen-âge, les voyageurs parlaient plusieurs langues, ce qui facilitait considérablement les échanges. L’aristocratie était sou-vent polyglotte.

Tout en étant enthousiasmé par l’histoire de l’Eu-rope, il ne faut pas oublier d’enseigner aussi l’histoire non-européenne. La Chine, l’Inde, le Japon, l’Egypte, l’Iran, même l’Afrique subsaharienne et l’Amérique pré-colombienne nous offrent des enseignements importants.

La politique énergétique est un autre élément néces-saire pour la consolidation des accomplissements. Si l’Eu-rope parvient à jouer un rôle de premier plan dans ce do-maine et arrive à renforcer cette politique, nous réussi-rons aussi à l’avenir à rester un modèle attrayant et digne d’être suivi par le monde. Les grandes compagnies

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pétrolières sont toujours optimistes qu’il y aura assez de pétrole et de gaz naturel conventionnel pour alimenter nos sociétés industrielles et de consommation dans les 30 prochaines années. Certes, il y aura encore du pétrole même dans 100 ans et les géologues vont toujours conti-nuer à en chercher et peut-être même en trouver. Seule-ment, depuis un certain temps, on découvre moins de nouveau pétrole économiquement récupérable que l’on consomme du pétrole déjà localisé. Les champs pétroli-fères découverts aujourd’hui sont souvent relativement petits et offshore, coûteux, et difficiles d’accès et d’ex-ploitation, bien que l’on trouve aussi des champs pétroli-fères onshore. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas si ex-ceptionnels. Malheureusement on les trouve fréquem-ment dans des pays à l’intérieur des continents sans ac-cès à la mer et à un terminal pétrolier sans lequel le pé-trole ne peut pas être écoulé sur le marché mondial. Ceci s’applique tout particulièrement à certains pays africains. Les très grandes découvertes deviennent de plus en plus rares. À ceci s’ajoutent les instabilités de certains pays du Proche et Moyen Orient qui alimentent le renchérisse-ment du pétrole. S’il devient trop onéreux pour faire mar-cher l’industrie et les automobiles, il faudra trouver ou développer d’autres sources d’énergie. Evidemment, le gaz naturel peut jouer un rôle de remplacement pour un temps non-négligeable. Les nou-veaux gisements de pé-trole et de gaz de schistes aux États-Unis (il en existe aussi en Europe) sont énormes par leur volume en gaz et pétrole, mais difficiles à exploiter. La technologie d’ex-traction, qui exige une fracturation hydraulique in situ de la roche-mère (fracking) et l’injection simultanée d’eau, de sable et de produits chimiques, n’est pas vraiment écologique. Néanmoins, aux Etats-Unis d’Amérique ils sont exploités à grande échelle, et le gaz de schiste rela-tivement bon marché est utilisé entre autres pour la pro-duction d’électricité. L’extraction n’est pas simple, mais économise à la nation l’exode de dollars US vers les pays arabes. Bien que l’expansion de l’énergie éolienne en

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Chine et en Amérique soit notable, de nombreuses cen-trales au charbon sont construites tous les mois, notam-ment en Chine, et le nombre de véhicules de toutes sortes augmente également rapidement, en particulier en Chine et en Inde, augmentant les émissions de CO2. En même temps, le réchauffement climatique se poursuit et semble même s’accélérer, à en croire les spécialistes du changement climatique, même si depuis une dizaine d’années le réchauffement paraît faire une petite pause, ce qui n’empêche pas la glace polaire de fondre de plus en plus.

L’Europe a la capacité scientifique et technologique de rechercher et de développer des énergies alternatives susceptibles de rivaliser économiquement avec les com-bustibles fossiles, même si l’on considère que les éner-gies renouvelables doivent être stockées afin ne pas res-ter dépendant des fluctuations naturelles de la disponibi-lité de ces énergies. Jusqu’à une époque très récente, on n’était pas capable d’imaginer un autre mode de sto-ckage économique de l’électricité que par des stations de pompage (pendant les périodes de la journée ayant une surabondance d’électricité, l’eau est pompée par pompes électriques dans un ou plusieurs grands bassins sur des hauteurs, et pendant les périodes de pénurie d’électrici-té, cette eau est évacuée vers le niveau inférieur à tra-vers de gros tuyaux pour alimenter des turbines, qui, à leur tour, font tourner des générateurs pour ainsi pro-duire de l’électricité). Ce mode de stockage implique une perte d’énergie d’environ 30%, ce qui est considéré comme acceptable, vu que le prix d’électricité en période de demande maximale est environ le triple et davantage du prix en période de demande normale. En attendant, d’autres perspectives technologiques se présentent pour les besoins locaux et mobiles et peu à peu la possibilité d’un stockage chimique, mécanique ou même capacitif9

9 LE STOCKAGE DE L’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE MOYENS ET AP-PLICATIONS

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(par condensateurs) devient réalité. Même l’utilisation de piles à combustible s’est avérée une alternative possible. Il est important de promouvoir la recherche et le déve-loppement dans ces domaines en Europe si les solutions doivent être disponibles en temps voulu. En 2010, la part des énergies renouvelables dans la consommation brute d’électricité aux États-Unis d’Europe est en moyenne d’environ 20 pour cent (hydroélectricité, énergie éo-lienne, énergie solaire et biomasse comprises). Dans les régions montagneuses des EUE telles que l’Autriche, c’est évidemment l’hydroélectricité qui domine l’offre (~ 55 %), tandis que l’énergie éolienne a la première place au Danemark (~ 28 %). À côté de l’énergie hydroélec-trique, où il n’y a aujourd’hui que très peu de capacité in-utilisée, c’est l’énergie éolienne qui occupe la deuxième place (> 4 %) et qui présente le plus grand potentiel, tan-dis que le photovoltaïque ne représente que 0,7 %. L’ob-jectif serait d’atteindre en 2050 environ la moitié de la production d’électricité à partir des sources d’énergie re-nouvelables ou CO2-neutres – et si le progrès technolo-gique le permet, d’aller au-delà. Cela ne devrait pas seulement être une déclaration d’intention, mais il fau-drait réellement l’atteindre ! Si elle réussit en cela, l’Eu-rope pourra se prévaloir du rôle de pionnier et leader non seulement dans le domaine technologique, mais aussi en matière de protection de l’environnement et lutte contre le réchauffement climatique.

Cependant, les énergies renouvelables ne sont pro-bablement pas la solution unique pour remplacer toutes les autres énergies pour la production d’électricité. Les parcs d’éoliennes occupent de grandes surfaces et de nombreux riverains observent l’évolution vers l’énergie

http ://hal.inria.fr/docs/00/67/40/68/PDF/Stockage-Energie_3EI_1996.pdf Graphene Supercapacitors Could Revolutionise Energy Storage :http ://www.electronicsweekly.com/mannerisms/rd/graphene-supercapacitors-could-2013-03/

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éolienne d’un regard assez critique. L’énergie solaire en utilise encore davantage, en tout cas sous nos latitudes. N’oublions donc pas entièrement l’énergie nucléaire. De-puis quelques années, des progrès ont été réalisés dans la fabrication et la composition des barres de combus-tible. L’oxyde de béryllium, avec un point de fusion et une conductivité thermique élevés, pourrait augmenter l’efficacité des réacteurs et rendre l’éventualité d’une fonte du cœur beaucoup moins probable. Les accidents nucléaires graves seraient ainsi drastiquement diminués. En outre, des réacteurs au thorium (Liquid Fluoride Tho-rium Reactor – LFTR), qui rendent une fonte du cœur en-core moins probable et promettent une bien meilleure efficacité énergétique, sont en cours de développement. On peut aussi mentionner que l’élimination des déchets radioactifs est beaucoup moins problématique, car les ré-acteurs au thorium en produisent beaucoup moins. Reste la question de savoir si ces réacteurs peuvent produire de l’électricité à faible coût. Cette question n’est pas en-core résolue d’un point de vue pratique, mais des calculs théoriques indiquent un coût par kilowatt/heure relative-ment faible. On ne devrait donc pas cesser de travailler également à des solutions pratiques. Sur le plan techno-logique, l’Europe pourrait jouer ici un rôle de leader si elle n’attend pas trop longtemps pour commencer la re-cherche et le développement.

Dès le départ, nous avons dit qu’il est important que l’Europe ne se limite pas à l’aspect purement écono-mique. Elle doit également être présente dans le do-maine intellectuel et culturel. La musique classique d’ori-gines nationales diverses est un très bel exemple de la conquête des salles de concert à travers l’Europe - et au-delà - jusqu’à aujourd’hui. Serait-il possible que la mu-sique moderne fasse pareille ? Et la littérature, en s’em-parant de ce nouvel espace ? On peut penser en particu-lier à la philosophie moderne, qui traite des nouvelles réalités sociales, intellectuelles et politiques de l’Europe

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d’aujourd’hui et aux romans, dont les histoires se dé-roulent dans une Europe de grande diversité. En fin de compte, au cours des siècles, les Français l’ont très bien réussi pour la France : « La littérature est l’âme de la France », écrit le chroniqueur du Figaro et professeur en sciences politiques Alain-Gérard Slama dans son nouveau livre intitulé « Les écrivains qui ont fait la République ». Pourquoi cela ne pourrait-il pas réussir aujourd’hui en-core dans et pour l’Europe ? Pourquoi ne pas mettre un peu de poésie dans la création de l’édifice européen ? Par contre, il n’y aura pas de place pour un chauvinisme européen. Mais nous pouvons toujours être fiers d’appar-tenir à une Fédération dont la formation a eu lieu de ma-nière démocratique et qui ne produit pas seulement des biens commerciaux, mais est aussi amplement présente sur le plan culturel dans de nombreux domaines.

On voit aujourd’hui un cinéma « européen » qui s’est créé au fils du temps. Ce cinéma pourrait prendre en charge l’idée européenne et l’incarner dans ses films. Il existe bien des destins qui peuvent se prêter à des films sur la thématique européenne ! Et s’il le faut, inventons une telle histoire.

Par ailleurs, les EUE doivent également faire le né-cessaire pour que les universités européennes arrivent au top du classement mondial (par exemple le classe-ment de Shanghai). Pour cela faudra-t-il qu’elles ex-cellent plus dans la recherche de grande qualité (d’ailleurs, une certaine amélioration s’est déjà produite). Si nous réussissons également en cela, nous aurons fait un pas important vers la consolidation des réalisations. Par ailleurs, nos grandes sociétés comme EADS, Sie-mens, AREVA, BASF, Fiat, Philips, etc., doivent s’efforcer de se présenter comme des sociétés européennes et non comme des entreprises nationales - ni même multinatio-nales, qui nous feraient oublier leurs liens européens. Ce-la nécessite bien sûr un changement radical de mentalité parce que les grandes entreprises participent à la mon-

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dialisation et le marché européen est considéré comme trop petit. Mais la mondialisation ne signifie pas nécessai-rement que l’on n’ait plus aucun lien avec la région d’où l’on vient. Si l’on regarde Microsoft, Apple, Intel, Exxon-Mobil, Boeing et d’autres compagnies américaines, on observe aussi le lien avec l’origine américaine de ces en-treprises à côté de leur caractère multinational, qu’elles aient leur siège social à Seattle (état de Washington) ou dans la Silicon Valley (Californie).

Si les grandes universités européennes pratiquent maintenant une recherche de calibre mondial, leurs ré-sultats peuvent être inclus dans la recherche et le déve-loppement industriel de grandes entreprises euro-péennes et celles-ci peuvent innover davantage. Cette innovation est alors perçue comme innovation euro-péenne. Un Office Européen des Brevets existe déjà à Munich. Maintenant, il faut seulement introduire un bre-vet des EUE, dont la perspective est déjà envisagée. Les premiers brevets unitaires seront émis en 2014. Les égoïsmes nationaux ont pratiquement disparu. Ainsi, on devrait bientôt avoir à accomplir des formalités d’applica-tion simplifiées, ce qui donnerait un grand coup de pouce à l’innovation dans les EUE. Dans le même temps, l’exa-men du degré de nouveauté d’une invention devient plus strict, pour qu’il n’y ait pas surabondance de brevets de détail.

Enfin, dans un futur pas trop lointain, la structure po-litique à trois niveaux (Gouvernement EUE, gouverne-ments nationaux, administrations régionales) doit faire place à une structure à deux niveaux, avec une nouvelle Constitution pour une « Europe Unie » avec les régions comme deuxième niveau et l’élimination du niveau natio-nal. Ce changement n’adviendra sans doute pas avant la prochaine génération de citoyens européens. Heureuse-ment, la presse soutient le développement de l’Union, s’éloignant des États-nations et se rapprochant d’une Eu-rope véritablement réunie au sein de l’Union. Surtout, les

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jeunes citoyens sont impatients pour voir les structures fossilisées au niveau national enfin disparaître. Ils sont presque tous polyglottes, beaucoup d’entre eux ont vécu, étudié et travaillé dans différentes régions des EUE, et souhaitent ne plus retomber dans les vieux modèles na-tionaux. La capitale, Bruxelles, est acceptée par la grande majorité des citoyens, même si elle souffre d’un certain manque d’élan. Après tout, quelques respon-sables politiques font valoir qu’une capitale ne devrait pas être qu’un endroit administratif et certains projets culturels et architecturaux destinés à donner une image plus dynamique de la capitale sont approuvés. En parti-culier, des artistes de stature internationale sont invités à Bruxelles pour organiser des concerts, des spectacles, des expositions, etc. et des architectes sont chargés de projets du futur et en même temps durables.

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Chapitre III : La Réalité

Ce qui a été manqué

La chronologie suivante a été prise de http : //www.erinnerungsort.at/thema1/ewg.htm et http : //euro-pa.eu/about-eu/eu-history/2000-2009/index_fr .htm et en-richie d’informations et de commentaires en gras par l’auteur.

----------------------Chronologie des événements et des institutions

de la CEE/CE/ EU

9 Mai 1950 : Le ministre des affaires étrangères fran-çais Robert Schuman fait une déclaration au sujet d’une Europe commune (le « plan Schuman »), conçue par son collègue Jean Monet, qui poursuit l’objectif d’un rappro-chement franco-allemand. L’idée est, en matière de maintien de la paix, de soustraire aux États-nations indi-viduels leur compétence sur la base matérielle d’une économie de guerre.

18 avril 1951 : le traité de fondation de la CECA (Communauté Européenne du charbon et de l’acier, avec les membres : France, Allemagne, Italie, les pays du Be-nelux) est signé. Il stipule l’Union douanière entre les pays membres de la zone, sous le contrôle d’une « haute autorité » en grande partie souveraine. En 1955, une ex-

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tension de la coopération est réalisée dans tous les do-maines de la production industrielle.

30 août 1954 : Le projet de la CED (Communauté Eu-ropéenne de Défense) échoue en raison du rejet par l’As-semblée Nationale française (mais pas seulement).

1er janvier 1958 : Signature du « Traité de Rome » : en raison du succès de la CECA, la CEE (Communauté Économique Européenne) et l’EURATOM (Communauté Européenne de l’Énergie Atomique) sont établies par les six États membres. La CEE vise à la réduction des droits de douane, à une politique étrangère commune, ainsi qu’à la mise en place progressive d’une Union politique.

4 Janvier 1960 : Traité de fondation de l’AELE (Association Européenne de Libre Échange)

3 Mai 1960 : Le traité AELE entre en vigueur.1960 à 1962 : les Beatles jouent à Hambourg1967 : Les trois institutions CECA, CEE et EURATOM

sont fusionnées pour former la Communauté Euro-péenne.

1968 : Après la période transitoire prévue de dix ans, les droits de douane entre les États de la CEE sont com-plètement démantelés.

1970 : Toutes les entreprises comme la Poste, les Télécommunications et les Chemins de Fer sont encore dans les mains des états nations. Aucun effort n’est entrepris pour aller vers des entre-prises européennes.

1972 : Les utilitaires de l’eau, du gaz et de l’électricité sont toujours dans la main des États nations, des régions ou des communes ou sont en-core privés. Aucune restructuration en direction des entreprises européennes n’est entreprise.

1er janvier 1973 : La Grande Bretagne – avec le Danemark et l’Irlande – rejoint la Communauté Eu-ropéenne. Depuis lors, ce pays sabote la poursuite

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de l’intégration des pays membres de la CE. Il a pourtant fallu négocier âprement depuis la de-mande d’adhésion en 1961 et 1967.

Décembre 1985 : L’AUE (Acte Unique Européen), qui prévoit la création du marché unique (mise en œuvre en 1992) et réglemente le processus décisionnel au sein du Conseil de la Communauté Européenne, est signé. Ainsi la CPE (Coopération Politique Européenne) reçoit son fondement juridique. Le Conseil Européen, qui existe depuis 1974 (composé des chefs d’État et chefs de Gou-vernement), et qui fixe les objectifs politiques fondamen-taux de l’Union européenne, est institutionnalisé.

1er janvier 1981 : La Grèce rejoint la Communauté Eu-ropéenne

1985 : Première Convention de Schengen entre pays du Benelux, Allemagne et France.

1er janvier 1986 : L’Espagne et le Portugal se joignent à la Communauté Européenne.

Juin 1987 : Établissement du programme Eras-mus pour promouvoir la mobilité des étudiants et des enseignants

Mars 1987 : Jugement de la Cour de Justice Eu-ropéenne sur l’exigence allemande sur la pure-té de la bière : désormais, une bière ne correspon-dant pas à la loi allemande sur la pureté peut néanmoins être vendue en Allemagne.

1988 : Règlement CEE N° 1677/88 (règlement sur le degré de la courbure du concombre)

3 Octobre 1990 : Réunification de l’Allemagne et in-clusion consécutive de l’ancien territoire de la RDA dans la Communauté Européenne.

7 Février 1992 : Le « traité de Maastricht » sur la création d’une Union Européenne politique et écono-mique (UE), en vigueur à partir du 1er novembre 1993, implique une nouvelle révision fondamentale des traités européens. La même année l’UEM (Union Économique et

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Monétaire), est mise en place et l’introduction d’une monnaie commune est décidée.

16 septembre 1992 : Black Wednesday – La livre sterling est retirée du Mécanisme de taux de Change Européen (MCE) après l’attaque de George Soros contre cette monnaie.

1er janvier 1994 : L’EEE (espace économique euro-péen), comportant les douze États de la CE et tous les États de l’AELE, à l’exception de la Suisse, entre en vi-gueur. L’objectif en est la libre circulation des marchan-dises, des personnes, des services et des capitaux, ainsi que la coopération dans les domaines de l’environne-ment, de l’éducation, de la recherche, du développe-ment, etc.

Dans les années 1990 : Diverses directives pres-crivent une libéralisation progressive. En effet, des priva-tisations sont promulguées pour les secteurs de services publics comme la poste, les télécommunications, les transports et les utilitaires de l’énergie. Ce qui est sti-pulé, c’est donc le contraire d’une fusion pour créer des grands services et entreprises euro-péens ; et ainsi l’opportunité de créer des sym-boles forts pour l’unité européenne est perdue.

1er janvier 1995 : L’Autriche, la Suède et la Finlande se joignent à l’UE. En Norvège, l’adhésion est rejetée par un référendum et la Turquie reste malheureusement à l’écart.

Mai 1995 : Le président français François Mit-terrand ne se présente pas pour une réélection. Gravement malade, il meurt en janvier 1996. Ainsi, l’Europe perd un de ses deux principaux défen-seurs, l’autre étant le chancelier Helmut Kohl, qui reste seul pour la défendre.

1997 : L’« Accord Schengen II » relatif à la sup-pression des contrôles aux frontières entre les pays de l’espace économique européen (EEE) est tardivement intégré dans la législation communau-

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taire. Le Royaume-Uni et l’Irlande ne font pas par-tie de cet accord, tandis que les pays n’apparte-nant pas à l’UE comme la Suisse et le Liechten-stein y participent.

Septembre 1998 : Le chancelier allemand Hel-mut Kohl perd l’élection au Bundestag et l’Europe perd ainsi son autre moteur principal.

1999 : L’accord de Schengen est mis en œuvre.1er janvier 1999 : L’introduction de l’euro comme

monnaie unique a dû attendre jusqu’à cette date. Les billets et pièces en euros sont introduits le 1er janvier 2002.

11 Décembre 1999 : Le statut de candidat officiel pour l’adhésion à l’Union Européenne est accordé à la Turquie.

1er février 2003 : Le "Traité de Nice" (un traité en grande partie raté) réglemente la taille et le fonc-tionnement des institutions de l’UE pour les besoins de l’élargissement de la communauté.

Décembre 2003 : Règlement relatif aux pro-duits au cacao et au chocolat (règlement cacao) - autorisation d’autres graisses à côté du beurre de cacao dans la composition du chocolat.

2004 : Chypre, la République Tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slo-vaquie et la Slovénie, adhèrent à l’UE. La Bulgarie et la Roumanie sont candidates.

Mai 2005 : Le référendum en France sur le Trai-té Constitutionnel Européen se termine par un re-jet.

Juin 2005 : Le Référendum Consultatif du Parle-ment des Pays-Bas sur le même traité se termine également par un rejet (ces deux référendums pro-noncent la fin de l’Europe que nous avions imagi-née).

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1er décembre 2007 : Les 27 pays de l’Union Euro-péenne signent le traité de Lisbonne, qui modifie les trai-tés précédents. Il est conçu pour rendre l’UE plus démo-cratique, plus efficace et plus transparente, et aussi pour lui donner les moyens de s’attaquer aux défis mondiaux tels que le changement climatique, la sécurité et le déve-loppement durable. Il est toutefois un pauvre substi-tut du traité constitutionnel prévu à l’origine et a été imposé principalement par le président fran-çais, Nicolas Sarkozy. Cependant, il ne changera pas beaucoup de choses, bien qu’il comporte un certain potentiel (voir l’annexe).

2007 : La Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’UE. La Croatie, la Macédoine et la Turquie sont candidates

Septembre 2008 : L’économie mondiale est frappée par une grave crise financière. Le facteur déclenchant de la crise réside dans les « prêts pourris » (sub-primes) aux États-Unis. Un certain nombre de banques européennes sont également en danger. La crise conduit temporaire-ment à une coopération économique plus étroite entre les pays de l’UE.

1er décembre 2009 : Le Traité de Lisbonne est ratifié après beaucoup d’allers-retours dans tous les pays de l’UE et entre en vigueur. La Serbie demande l’adhé-sion à l’UE.

2010 : Les économies européennes et améri-caines sont menacées par une grave crise de la dette publique, partie due à la crise financière. L’euro, et l’existence même de la zone euro, est menacé. La crise se poursuit à ce jour et sa fin n’est pas en vue. On a l’impression que l’UE a per-du son élan : la conviction n’y est plus.

Décembre 2011 : La Croatie est officiellement informée que son adhésion à l’UE s’effectuera pro-bablement 1er juillet 2013 (accord du Conseil Eu-ropéen et du Parlement Européen).

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Mai 2012 : Wolfgang Schäuble, l’actuel ministre des finances allemand, propose l’élection directe du président de la Commission.

Décembre 2012 : Brevet EU unitaire - après 30 ans de négociations, finalement.

1er Juillet 2013 : La Croatie rejoint l’Union Eu-ropéenne

Remarque sur la structure de l’Union Euro-péenne :

L’Union Européenne est actuellement composée (en plus de plusieurs organismes consultatifs) des institutions suivantes : • le Conseil de l’UE (composé des ministres des af-

faires étrangères ou de ministres de ressorts compé-tents des États membres)

• la Commission, qui détient le droit d’initiative et est l’organe exécutif pour la réalisation des contrats

• le Parlement de l’UE, dont le siège est à Strasbourg et qui depuis 1979, est directement élu dans les États membres et exerce le contrôle politique et ap-plique des droits de participation

• l’organe judiciaire de l’Union Européenne c’est-à-dire la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJCE), qui a été fondée en 1958.

• La BCE (Banque Centrale Européenne), active de-puis le 1er juin 1998, définit avec les banques cen-trales nationales des États membres la politique mo-nétaire et économique de l’Union monétaire.

Donc, tout est toujours très compliqué !

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Cette chronologie ne prétend être aucunement ex-haustive. Dans ce qui suit, je ne veux pas minimiser ce

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qui a été réalisé. Nous avons eu une période de paix et de grande prospérité derrière nous. L’Europe n’a jamais connu cela auparavant et nous devons en être reconnais-sants. Malheureusement, l’Europe n’a pas fait de progrès notables depuis environ 15 ans, à part l’adoption de l’Eu-ro, qui n’a pas été suffisamment préparée du point de vue politique. Les nationalismes sont de retour, comme s’il n’y avait pas d’Union Européenne, pas d’Euro, et pas de crise. Si nous voulons que l’Union Européenne sorte de la crise actuelle, il nous faut nous engager pour l’Eu-rope de tout notre cœur et avec toute l’énergie dispo-nible et porter ensemble le fardeau. Nous devrions égale-ment encourager les citoyens dotés du capital financier à nous aider à porter ce poids. Pourquoi ne seraient-ils pas eux aussi disposés à faire des sacrifices ?

Il se pose maintenant la question : Qu’est-ce qui a mal tourné et quand ? Pourquoi l’Europe est-elle à nou-veau dans une impasse ? Peut-on encore espérer que l’Europe se réalise par le haut ou faut-il essayer de la re-prendre en main par le bas ? Est-ce que les citoyens sont prêts à en prendre l’initiative ? Si l’on en croit les son-dages, ce n’est pas exactement le cas. Nous aurons be-soin d’institutions de la société civile permettant des dis-cussions publiques au sujet de l’Europe unie, et où les ci-toyens seraient informés sur les avantages et les incon-vénients de cette Europe, et ceci sans arrière-pensées politiques.

Tout allait bien jusqu’en 1965 (à part le rejet de la Communauté Européenne de Défense en 1954), et on aurait pu continuer du même élan dans cette direction. Et pourtant, le premier pas en arrière est fait en mai 1968 quand la France introduit temporairement le contin-gentement des devises et arrête donc la libre convertibi-lité des monnaies en Europe.10 Personnellement ce

10 Voir aussi l’article du Spiegel http ://www. spiegel.de/spiegel/print/d-45876499.html. Des cas similaires se répètent plus tard (http ://www. spiegel.de/spiegel/print/d-

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contingentement ne m’a concerné que de façon margi-nale pendant mon séjour d’études à Paris, parce que je devais changer mes marks en francs et non l’inverse. Les étudiants français séjournant dans les autres pays de la CEE ont souffert certainement beaucoup plus puisque l’exportation de francs français étais soumise à un contrôle très restrictif.

Malheureusement, dans la réalité les hommes poli-tiques n’ont pas pensé ou n’ont pas voulu créer des sym-boles européens forts et ils ont donc laissé passer les op-portunités sans les exploiter : ni les services publics ni les compagnies d’énergie et de l’eau ne sont devenus des éléments de cohésion pour les Européens et l’Europe se fige progressivement dans des règles bureaucratiques. Ce sont ensuite les directives des années 1990 pour la li-béralisation progressive et ensuite la privatisation de ces services et des compagnies d’eau et d’énergie, qui ont fi-nalement mis fin à la possibilité d’exploiter leur image en tant que symboles et sources d’inspiration pour une Eu-rope unie. Beaucoup en Europe ne comprennent pas cette mesure. Il existe de plus de nombreuses mesures réglementaires qui apparaissent comme dépourvues de sens et bureaucratiques, comme le règlement de 1988 qui régit de degré de courbure du concombre à commer-cialiser, que la population non seulement ne comprend pas mais perçoit comme une bêtise. Il existe des dizaines d’autres règlements de cette nature pour les légumes et les fruits. Autres exemples : le règlement cacao, datant de 2003, permet l’utilisation de matières grasses autres que le beurre de cacao dans le chocolat et un jugement de 1987 autorisant la commercialisation en Allemagne d’une bière ne remplissant pas les conditions définies par la loi allemande sur la pureté de la bière. On a donc cher-ché de petits détails pour ne pas affronter l’essentiel.

Les pères fondateurs de la Communauté Européenne savaient qu’une Communauté ou Union Européenne 14023902.html et http ://de.wikipedia. org/wiki/ Bardepotgesetz).

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n’avait aucune chance de réussir si l’idée n’étais pas ani-mée par l’enthousiasme. Alcide de Gasperi nous a avertis que la seule création d’unités administratives communes sans volonté politique ne produirait rien. Au contraire, la population pourrait un jour percevoir cet appareil bureau-cratique comme un élément de contrainte, comparé aux forces nationales plus vitales. Il comparait cette situation au stade final de l’Empire romain11 .

Il faut noter, qu’il y a une certaine incompréhension du comportement des Français pour les Allemands : lorsque l’on parle d’une Europe fédérale, c’est presque une évidence pour l’Allemagne, qui est une Fédération depuis sa création et les Länder (régions) considèrent le Gouvernement Fédéral comme une institution protectrice et non comme une institution rivale leur disputant leur souveraineté. À l’inverse, la tradition française, avec ses origines dans l’absolutisme, n’est pas la même. La France est un état très centralisé et toute la souveraineté est investie dans l’État. Les régions y sont subordonnées. Dans une Fédération Européenne, la France (et certains autres états) perdraient une bonne partie de sa souverai-neté et elle n’y est pas (encore ?) prête (tout comme cer-tains autres États).

Il n’existe pas non plus d’équipe de football ou d’équipe olympique européennes. Elles ne sont même pas prévues.

En 1972, nous sommes encore très loin d’un passe-port véritablement européen et même en 1985, rien n’a changé. Si je veux rester en France sans devenir Fran-çais, je dois faire la demande d’un permis de séjour tous les 10 ans.

11 On peut écouter quelques extraits des discours de ces pères fondateurs chez http ://europa.eu/about-eu/eu-history/founding-fathers/. Cela en vaut la peine !

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Les progrès embryonnaires qui existent ne sont pas assez encadrés par des mesures d’accompagnement. Par exemple, quelle est l’utilité d’un Parlement Européen s’il n’a aucun droit immédiat d’initiative et ne peut, par conséquent, faire aucune proposition de loi ? (Il convient de mentionner ici que le traité de Lisbonne de décembre 2009 a néanmoins quelque peu amélioré la situation du Parlement de ce point de vue, voir ANNEXE). Quelle est l’utilité de la Commission, qui représente en sorte le gou-vernement de l’Union, s’il n’existe pas de procédure lé-gislative uniforme pour que la Commission puisse mettre en pratique les lois votées ? Les lois sont traitées diffé-remment selon le domaine. Quelle utilité peut avoir l’Eu-ro si la politique budgétaire des États membres n’est pas coordonnée ? Est-ce que le brevet unitaire de l’UE (un brevet pour tous les États signataires) va tenir ses pro-messes alors que l’Italie et l’Espagne n’ont pas adhéré au traité et que le vieux système selon lequel un brevet dis-tinct peut être enregistré dans chaque État membre est maintenu en parallèle ?

La Grande-Bretagne décide de rejoindre la Commu-nauté Européenne en 1973. Si l’on tient compte du fait qu’entre 1960 et 1962 les Beatles ont joué à plusieurs re-prises à Hambourg et ont donc tout à fait apprécié le « continent », même si les conditions étaient difficiles (j’ai assisté à une prestation prodigieuse au Star-Club), on peut comprendre que ce pays ait fait ce choix. Il a voulu se rapprocher du continent. D’ailleurs, Winston Churchill aurait été plus que satisfait. Malheureusement, à partir de cette année là, le pays réussit à freiner toutes les initiatives d’intégration européenne, sans que les autres pays puissent faire quoi que ce soit. Cependant, il faudrait mentionner ici, que les USA n’ont pas toujours permis à la Communauté Européenne d’avancer sur le chemin d’une véritable Union fédérale. Pour ce qui concerne la Grande-Bretagne, les choses s’aggravent en-core après le 16 septembre 1992, quand George Soros

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force ce pays à quitter le Mécanisme de taux de Change Européen (MCE), anciennement Système Monétaire Euro-péen (SME), auquel il participe en vue de l’introduction de l’Euro. D’ailleurs, cette histoire affecte l’auteur per-sonnellement :

En 1990, nous voulons acheter un appartement à Londres. L’argent est encore en France et en Alle-magne. À cette époque, la Grande-Bretagne veut de-venir membre du système monétaire européen (SME) et met tout en œuvre pour faire monter le cours de la Livre Sterling (talking up the British pound). En le fai-sant, elle souhaite probablement satisfaire la bureau-cratie de Bruxelles, qui pense que la Livre Sterling est sous-évaluée. La livre « répond » positivement et gagne progressivement en valeur par rapport à l’Euro avant de joindre le SME. Du coup, notre argent en « Europe Continentale » n’est plus suffisant pour acheter l’appartement et nous devons renoncer à cet achat. Deux ans plus tard, après le Black Wednesday du 16 septembre 1992 – George Soros, l’homme que l’on considérera plus tard comme un philanthrope, spécule contre la Livre Sterling parce qu’il la croit surévaluée – la Livre Sterling sort du SME, devenu le MCE, et revient à son niveau de taux de change du début 1990 ; mais nous sommes sur le chemin de re-tour à Paris. Notre fils y est rentré après l’obtention du baccalauréat à Londres pour y faire ses études et a besoin de nous.La Grande-Bretagne continue de freiner dès que cela

est dans son intérêt. Il faut aussi souligner que la presse britannique a tellement excité l’opinion publique contre l’Europe que le gouvernement ne peut pas faire autre-ment que de souligner encore et encore son indépen-dance. Néanmoins, de plus en plus de pays européens veulent rejoindre l’Union, attirés par la vitalité et le dyna-misme de la Communauté. Le programme Erasmus est établi en 1987 et en 1997 l’accord de Schengen II entre

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en vigueur. Ces deux initiatives font faire de grands pas à l’Europe.

Dans l’intention d’accomplir une étape cruciale, l’Eu-ro est introduit en janvier 1999 comme unité de compte. En janvier 2002, billets et pièces sont mis en circulation. Malheureusement, il n’y a aucune autorité centrale pour coordonner les finances publiques, les politiques écono-miques, les budgets, etc. des pays membres. La pérenni-té de l’Euro, ainsi que celle de l’UE, ne bénéficie donc d’aucune assurance. De plus, trop de pays font déjà par-tie de la zone euro pour que l’on puisse encore efficace-ment créer les organes ou institutions manquants sans s’embourber dans de très longues négociations. Les gou-vernements, trop heureux de se défausser des manques de leur propre politique sur la bureaucratie de Bruxelles et aussi de blâmer l’euro pour l’inflation galopante, ne vont pas entreprendre d’initiatives vers plus d’intégra-tion. Pour un bon nombre de citoyens « Bruxelles » est aujourd’hui coupable de toutes les misères présentes ou à venir. Quelle aubaine pour les politiciens nationaux !

Une démonstration dramatique de cette situation est faite en 2005 lors du vote pour un nouveau « traité constitutionnel » pour l’Europe. Ce traité doit résoudre certaines déficiences du fonctionnement de l’Union Euro-péenne et une majorité claire des États membres s’ex-prime en sa faveur. Mais en France et aux Pays-Bas, où des référendums sont tenus, les peuples se prononcent contre. L’auteur subit l’expérience de cet épisode à Paris et est témoin des machinations d’une aile influente du parti socialiste, qui est majoritairement pro-européen. Pour des raisons politiques partisanes, les membres de ce groupe se prononcent contre le traité et font une forte propagande contre celui-ci. Ainsi ils réussissent, avec l’extrême-droite, à faire échouer son adoption. Ils nuisent non seulement, comme prévu, au gouvernement conser-vateur de Jacques Chirac, mais surtout à l’Union Euro-péenne et enfin à eux-mêmes, en perdant toute crédibili-

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té. Cette décision porte un coup d’arrêt à la dynamique de l’Europe, car seulement un vote unanime en faveur du traité de tous les pays de la Communauté aurait conduit à son entrée en vigueur.

Un autre facteur en particulier a porté beaucoup de préjudices à la CE/UE. Après Jacques Delors (1985-1994), la Commission Européenne n’a eu que des Présidents ternes et sans envergure. Aujourd’hui, la situation est en-core pire qu’elle ne l’était avec Jacques Santer, succes-seur de Delors. Avec Romano Prodi, une petite améliora-tion s’était encore produite. Aujourd’hui, avec José Ma-nuel Barroso nous avons un président de la Commission assez faible et avec Herman Van Rompuy, président per-manent du Conseil Européen depuis décembre 2009 et Catherine Margaret Ashton, la Haute Représentante de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité et premier Vice-président de la Commission Européenne depuis fé-vrier 2010, l’Europe a aussi deux « quantités négli-geables » à la tête de l’UE. Rien de pire ne pouvait arri-ver à l’Europe. Aujourd’hui, nous n’avons aucune person-nalité de premier plan dans des organes ou institutions de l’Union Européenne, dotée de la capacité d’amener les États membres sur une voie constructive et d’arrêter le déclin de l’Europe. Tout cela n’est pas un hasard. La perte d’autorité et d’influence du Président de la Com-mission Européenne et d’autres hauts représentants de la CE/UE a été fomentée par les gouvernements des États membres. À leurs yeux, Jacques Delors a été un po-liticien trop fort et avec de trop grandes ambitions pour l’Europe. Il avait apparemment pris trop de libertés dans la « gouvernance » de l’Europe, dont il a été la « conscience » peu accommodante. On ne peut donc pas entièrement attribuer la faute au Royaume-Uni. Par exemple, l’Allemagne sous Helmut Kohl, qui voulait qu’un homme plus souple et sans doute plus faible prenne la Présidence de la Commission, partage cette responsabili-té.

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S’y ajoute le spectacle gênant des négociations de l’UE sur les nouveaux traités, les objectifs, les budgets à long terme, les subventions agricoles, etc. Nous obser-vons une lutte et un marchandage acharnés pour des avantages et des centimes. En plus, la CE - et plus tard l’Union européenne - a érigé un certain nombre de struc-tures administratives éloignées des citoyens, qui leur sont par conséquent restées étrangères, et dont ils ne comprennent pas le sens. Faut-il s’étonner alors que les citoyens, jeunes et âgés, ne s’enthousiasment pas pour l’Europe ? Qui peut les en blâmer ?

Au départ, nous avons vu que la politique agricole commune n’a pas pu rapprocher les pays de la CEE. Mal-heureusement, 40 ans plus tard, l’Euro n’a pas pu, lui non plus, réaliser cela pour les pays de la zone Euro et n’a donc pas davantage tenu sa promesse. L’Euro, au-quel les citoyens même en France et aux Pays-Bas se sont habitués et auquel ils ne veulent très probablement pas renoncer, est alors devenu pour de nombreux pays de la zone Euro une sorte de camisole à laquelle ils vou-draient échapper, ce qu’ils ne peuvent faire, tant les conséquences en seraient imprévisibles. Alors qu’aucun progrès n’a été fait pour renforcer les liens politiques entre les membres de l’Union et que la volonté d’envisa-ger un avenir Européen commun devient toujours plus faible, l’Euro est devenu pour de nombreux politiciens un enfant mal-aimé que l’on préférerait abandonner, si c’était possible. En outre, on nous dit que les pays comme le Danemark et la Suède, qui sont à l’extérieur de la zone Euro, ne sont pas aussi gravement affectés par la crise financière et la dette que les pays de la zone Euro. Il devient de plus en plus difficile de convaincre les citoyens que l’idée Européenne vaut la peine. Les « Na-tions » dérivent dans un état d’impuissance à travers la crise financière et la dette. « Bruxelles » ne peut et ne doit rien faire qui dépasserait ses compétences dès lors

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très limitées. Nous allons examiner cette crise plus en détail quelques paragraphes plus loin.

Heureusement, il existe des structures dans l’UE, comme le programme Erasmus, permettant aux jeunes d’étudier un certain temps dans les autres pays de l’Union Européenne, faire un stage, ou y séjourner quelque temps avec un contrat de travail ou sur la base du volontariat. Les jeunes Français et Françaises notam-ment saisissent cette occasion. Comme déjà mentionné, grâce au programme Erasmus, notre fille Nancy a pu étu-dier quelque temps à Londres. Les langues étrangères sont de plus en plus populaires et là encore, ce sont sur-tout les Français et les Françaises qui réussissent de mieux en mieux à s’exprimer en langue étrangère, en particulier en anglais. Dans les pays de l’ancien bloc so-viétique, l’anglais est pratiqué comme première langue étrangère, au détriment du russe. Si l’Europe ne vient pas vers les citoyens, les citoyens, surtout les jeunes, viennent vers l’Europe.

Encore relativement jeune retraité de 69 ans, je dois aussi avouer que quelque chose d’autre fonctionne bien : quelqu’un qui a droit à des retraites dans trois États membres différents, même si les montants de pension ne sont pas colossaux, obtient cette retraite sans trop de complications, même si les systèmes nationaux de re-traite ne sont pas encore alignés et reliés par l’informa-tique. Si tout va bien, dans les trois mois, les formalités sont terminées et la pension arrive à la date prévue (pour combien de temps encore ?). Sauf que, dans mon cas, l’administration française a perdu ou égaré mon dossier deux fois et qu’il a fallu reproduire les formalités adminis-tratives trois fois avant de recevoir l’affirmation que tout était en ordre.

Beaucoup de problèmes se sont accumulés ces der-nières années : depuis juillet 2007 les USA puis plusieurs pays européens, dont la Grande-Bretagne, s’enfoncent dans une crise bancaire, tout d’abord déclenchée par la

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crise dite des sub-primes. Les institutions financières prêtent généreusement aux acheteurs d’immobilier quelle que soit leur solvabilité. Plusieurs institutions fi-nancières se contentent de l’affirmation par leurs clients qu’ils peuvent rembourser le prêt contracté selon les mo-dalités signées. Quand il devient évident que beaucoup de clients ne peuvent pas rembourser les prêts, une crise bancaire généralisée survient et les gouvernements doivent intervenir et fournir d’énormes sommes d’argent aux banques pour les sauver de la banqueroute. Je ne vais pas ici me pencher sur les détails techniques, on a suffisamment écrit là dessus. Le fait est que les gouver-nements doivent s’endetter fortement afin de sauver les institutions financières de leurs pays du gouffre. En outre, beaucoup d’argent doit être injecté dans l’écono-mie pour éviter la faillite d’un certain nombre de grandes entreprises, particulièrement dans le secteur de l’auto-mobile. À peine cette crise plus ou moins terminée, il de-vient clair que, en partie à cause des plans de sauvetage des banques et des entreprises, mais aussi à cause de la gestion négligente des dépenses budgétaires, les États se sont surendettés au fil des années. Les États-Unis d’Amérique ont accumulé des dettes de plus de 15 bil-lions $ (plus de 100 % du PIB) et fin 2011, la Grèce est endettée à plus de 170 % du PIB. Les autres pays euro-péens ne sont pas beaucoup mieux lotis, comme l’Alle-magne dont le ratio de la dette est de l’ordre de 80 %. Comment faire pour se débarrasser de cette montagne de dettes ? Les mesures d’austérité n’ont jusqu’à présent pas eu d’effet. Étant donné que l’UE dispose maintenant d’une banque centrale, cette dernière pourrait à présent imprimer de la monnaie comme la réserve fédérale amé-ricaine. Cependant, comme l’euro n’est pas la monnaie étalon du monde, nous aurions rapidement une inflation galopante en Europe.

Une autre solution consisterait à ce que les créan-ciers abandonnent 50 ou 60 pour cent de la dette de l’Eu-

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rope. Cela ne semble pourtant pas très probable, après que nous ayons vu comment il a été difficile pour un tout petit pays comme la Grèce d’appliquer cette stratégie. Seuls les États-Unis ont pu passer une grande partie de leurs mauvais prêts bancaires aux banques étrangères, qui, elles, participaient activement et naïvement dans le commerce, voire l’acquisition, des dérivés des prêts dits « subprimes » pour logements américains. En outre, la FED pouvait faire marcher la planche à billet pour émettre des tonnes de dollars sans risquer d’inflation, car l’approvisionnement en liquidités dans la monnaie de ré-serve internationale a été absorbé en grande partie par la communauté internationale - et l’est toujours. La dette publique américaine est donc principalement couverte par les banques étrangères. Les Américains ont-ils déjà atteint les limites de cette stratégie ? Rien n’est moins sûr.

Entretemps, Chypre est entrée en crise. Un crédit de quelques milliards d’Euros lui est nécessaire pour sur-vivre. Son secteur bancaire est aussi surdimensionné que celui de l’Islande l’a été lors de sa propre crise. Par ailleurs, Chypre est aussi un paradis fiscal. Il est donc compréhensible que les autres Européens ne veuillent pas garantir les dépôts des investisseurs, en majorité des Russes, qui ont placé de l’argent dans les banques chy-priotes dans le seul but d’échapper au fisc de leur pays. En revanche, il y a une telle interdépendance dans le monde de la finance que la ponction automatique des dé-pôts étrangers peut avoir des conséquences imprévi-sibles pour la zone euro entière, et même au-delà. Si Chypre se déclarait en banqueroute, cela pourrait avoir un effet domino néfaste sur la Grèce, le Portugal, l’Es-pagne, l’Irlande et l’Italie.

L’Europe pourra-t-elle surmonter cette crise comme elle l’a fait déjà pour beaucoup d’autres ? On dit toujours que l’Europe progresse surtout grâce aux crises. Cette fois j’en suis moins sûr. L’Europe ne fonctionne tout sim-

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plement pas. Pour sortir victorieux de la crise actuelle, nous avons besoin d’organes et d’institutions fonction-nels à l’aide desquels les décisions pourraient être prises démocratiquement. Actuellement, les mécanismes de prise de décision sont encore beaucoup trop lourds, longs et complexes.

Néanmoins, l’Europe doit se redresser. Comment les jeunes générations doivent-elles se retrouver ? Elles n’ont aujourd’hui plus de « chez soi ». Depuis longtemps, la croyance en la nation n’est plus ce qu’elle était pour la génération précédente. Même si dans certains pays il y a eu un mouvement vers la droite et l’extrême droite au cours des dernières années, on n’a pas l’impression que le nationalisme est de retour, heureusement pas chez les jeunes. Il y a plutôt chez eux une une réaction contre des politiques incapables d’apporter des résultats positifs. Les politiques sont essentiellement dirigées par les égoïsmes. Comme déjà mentionné plus tôt, les querelles de politiciens nationaux ainsi qu’au niveau de l’UE et même des chefs d’État, ne sont aujourd’hui perçues que comme des spectacles de guignol. Individuellement, la politique des États-nations européens n’a plus aucune in-fluence au niveau international et très peu au niveau na-tional. Les jeunes prennent position contre cette comé-die. Ils ont besoin d’objectifs, veulent savoir quels sont les buts et si à la fin du voyage il y a quelque chose qui vaille la peine de s’y engager. Pour eux, la vision d’une Europe socialement plus juste, est primordiale. Le temps des grandes Nations européennes est terminé. Ni le Da-nemark (avec ou sans le Groenland), ni la France, ni l’Al-lemagne n’ont aujourd’hui la masse économique néces-saire pour faire face à la concurrence mondiale. L’Europe pourrait être un « chez soi » pour la jeune génération ac-tuelle – si seulement elle le voulait! Nous devons donner une raison d’espérer un « chez soi » européen à cette jeune génération.

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Tout cela ne veut pas dire que par exemple la France et la Grande-Bretagne n’ont pas été des grandes nations. Au contraire ! Bien qu’elles eussent aussi leurs points faibles, elles ont immensément contribué à la création d’un monde comme nous le connaissons aujourd’hui et cela dans divers domaines, tels que culturel, social, tech-nologique et des droits de l’homme. Toutefois, cette grandeur est passée. En Europe, il ne reste aujourd’hui aucune « grande Nation ». C’est un fait que les dirigeants politiques doivent reconnaître !

Alors, que faut-il faire pour donner un avenir à l’Eu-rope et à ses citoyens, jeunes et moins jeunes, qui vaille la peine d’en faire l’expérience ? Bien sûr nous ne pou-vons pas lire l’avenir, mais s’il est une extrapolation du passé et du présent, il ne semble pas très prometteur. D’autre part, nous ne disposons d’aucune panacée. Nous pouvons seulement réfléchir intelligemment et offrir des suggestions pour façonner l’avenir de manière que le rêve de l’Europe devienne réalité. Quelques propositions dans cette direction seront faites dans le chapitre final.

Pourtant, il y a quelques rares signes indiquant que certains politiciens se préoccupent sincèrement de la fa-çon dont l’Europe doit continuer. En mai 2012, nous en-tendons le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, dire que l’élection directe du président de la Commission est souhaitable car elle compenserait ainsi partiellement le déficit démocratique de l’Union euro-péenne et créerait plus de proximité citoyenne.

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Chapitre IV : Et l’Avenir ?

L’Union Européenne a besoin de nouvelles impulsions et d’un nouvel élan pour que d’autres régions en Europe et dans le monde puissent à nouveau prendre une cer-taine idée de l’Europe pour modèle. L’UE doit se redéfi-nir. De nombreux pays en voie de développement at-tendent plus de l’Europe qu’un simple partenariat com-mercial. L’Europe devrait prendre ou reprendre le leader-ship dans le domaine de l’environnement, de la démocra-tie, de systèmes financiers moraux, du commerce équi-table, etc. La société civile doit être mobilisée et expri-mer son impatience devant la lenteur des progrès de l’Union Européenne par des manifestations ou à travers des institutions et forums prévus à cet effet. La démocra-tie participative doit enfin devenir réalité au niveau euro-péen / de l’UE ! Elle est déjà implicitement mentionnée dans le traité de Nice (entré en vigueur en février 2003). Le monde n’a plus besoin de pays souverains comme l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, etc. Ils sont de-venus obsolètes. Il y a aujourd’hui pour ainsi dire seule-ment des consommateurs et non des citoyens enga-gés dans les différents pays de l’UE ; et même le consommateur moyen n’a plus qu’un faible pouvoir d’achat. Mais une Europe unie qui se réinvente - que ce soit avec ou sans le Royaume-Uni reste à savoir - peut jouer un rôle positif dans le monde et peut également à nouveau engager ses citoyens. Nous devons saisir cette occasion !

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Nous avons vu de nombreux empires émerger et pé-rir. L’Empire d’Alexandre le Grand a été surdimensionné, assemblé trop vite et a perdu son héros trop tôt ; l’Em-pire romain a voulu aller trop loin et n’avait à la fin plus la force morale de se défendre en tant qu’idée et assurer une certaine égalité entre les divers peuples, étant don-née qu’un peuple romain avait du mal à émerger ; le Saint Empire romain germanique n’avait pas la cohésion nécessaire pour se défendre contre des puissances exté-rieures (l’empereur n’avait pas les instruments de pou-voir nécessaires) ; l’Empire britannique finissait par être trop grand et trop dispersé pour un petit pays comme la Grande-Bretagne, et l’Empire Soviétique reposait trop sur le contrôle et la coercition. De cette façon, seul l’empire Américain (US) est resté, mais il commence aujourd’hui à montrer ses faiblesses (bien qu’il soit peut-être trop tôt pour ses éloges funèbres - il s’est avéré très tenace à dé-jà plus d’une fois).

Comment l’avenir va-t-il évoluer ? Une Europe unie par la libre volonté de ses citoyens pourrait montrer de nouveaux modes d’existence pour des communautés po-litiques, culturelles et économiques et devenir un contre-poids à la Chine. Si l’Europe ne progresse pas elle peut rapidement s’affaiblir et devenir la proie des partis d’ex-trême droite et de régimes totalitaires.

Pour assurer l’avenir, il faudra sans doute poursuivre plusieurs stratégies simultanément : créer davantage de symboles, réformer les institutions et en créer de nou-velles, abolir les institutions inutiles, proposer et adopter de nouvelles lois, mettre en ordre les finances, etc. Mais avant tout : créer un Gouvernement Fédéral pour l’Union Européenne.

Voici quelques suggestions pour des mesures concrètes :

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Fin 2013 ou début 2014 des milliers de jeunes dans toutes les villes européennes vont manifester pour des progrès plus rapides dans l’unification de l’Europe. Que les gens manifestent pour quelque chose, à cela, les poli-ticiens ne sont pas habitués. Par conséquent, cela a l’ef-fet désiré sur les politiciens, qui se mettent maintenant activement à la recherche de solutions.

Pour créer encore deux ou trois symboles forts, une équipe de football européenne pour la Coupe du monde au Brésil en 2014 est créée (s’il n’est pas déjà trop tard) et des équipes olympiques européennes pour les jeux de 2016 à Rio sont préparées. L’effet recherché, c’est-à-dire un surcroît d’enthousiasme pour l’Union, ne va pas tarder à se produire !

La priorité numéro 1 pour l’UE est à présent de se sé-parer aussi rapidement que possible du Royaume-Uni, qui n’est de toute évidence pas encore mentalement prêt pour l’Europe (et qui peut-être ne le sera jamais), pour enfin redonner un sens à l’idée Européenne. Ce n’est pas facile à l’heure où l’UE a besoin des paiements des Bri-tanniques pour le budget communautaire. En revanche, c’est l’occasion de définir les nouvelles priorités pour les investissements au niveau de l’UE. Nous ne pouvons que souhaiter bonne chance à David Cameron pour son réfé-rendum de 2017 et espérer que les Britanniques plaide-ront pour une sortie accélérée de l’UE (même si nous soupçonnons naturellement qu’il s’agisse juste d’une ma-nœuvre habile de sa part, c’est-à-dire d’un bluff). Jusqu’à présent, tout a toujours été simple : s’il n’y a aucun pro-grès dans la poursuite de l’intégration de l’Europe, c’est toujours la faute de la Grande-Bretagne. Il est facile de blâmer ce pays et ensuite il n’est plus nécessaire de faire des efforts du côté des autres pays, puisque, de toute fa-çon, tout effort est vain. Nous avons donc ici encore une autre bonne raison dans l’UE pour nous séparer de ce pays dès que possible. Si un jour le Royaume-Uni devait trouver le courage de se ressaisir, il pourrait redevenir

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membre à part entière tout en acceptant alors les condi-tions en vigueur, sans exception. Alors que j’écris ces lignes (28 décembre 2012), Jacques Delors fait une pro-position dans ce sens dans le Handelsblatt. La Grande-Bretagne pourrait s’associer différemment avec l’UE, sans être membre à part entière. Pourquoi pas ?

Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à retarder ou même empêcher la création d’une Europe fédérale. A plusieurs reprises, la France a également actionné le frein, peut-être même plus encore que la Grande-Bre-tagne, où Winston Churchill s’était engagé en faveur d’une Fédération. Cependant, nous pouvons espérer que, à cause de la situation géographique de la France sur le continent et du voisinage direct de l’Allemagne, son atta-chement à un gouvernement central fort et sa résistance contre l’abandon de sa souveraineté nationale pourront un jour être surmontées.

Par contre, l’admission de la Turquie avec son écono-mie dynamique serait à présent une aubaine pour l’Eu-rope. Malheureusement, la Turquie a aujourd’hui beau-coup moins envie d’entrer dans l’UE que dans le passé et l’Europe devra sans doute se passer d’elle. De l’autre cô-té, l’Ukraine n’est pas restée au sein de la Russie (ex-URSS) et aimerait bien se joindre à l’UE. Elle pourra peut-être le faire dans quelques années quand son économie se sera transformée pour se conformer aux standards de l’UE. Mais cela ne serait d’aucun secours dans la situation actuelle.

Pour sortir de la crise financière et de la dette pu-blique, la BCE rachète maintenant la dette grecque et rembourse ses créanciers. Elle accorde des crédits à des taux très bas ou à taux zéro afin que la Grèce se re-dresse rapidement. Le pays s’engage à rembourser les nouveaux prêts dès qu’elle sera économiquement et fi-nancièrement rétablie pour supporter le remboursement de cette nouvelle dette. On lui offrira des conseils et de l’aide pour bâtir une administration capable de percevoir

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des impôts chez ses citoyens et ses entreprises. Même les riches Grecs doivent payer des impôts (progressifs). Si nécessaire, on fera quelque chose de similaire pour le Portugal, l’Espagne et l’Italie, bien que l’Italie semble au-jourd’hui plus solide qu’il y a une ou deux années, même si personne ne sait comment évoluera la situation après le départ précipité de Mario Monti. Est-ce-que Silvio Ber-lusconi reviendra même après sa condamnation par la cour de justice ? Partout, la corruption et la criminalité fi-nancière doivent être combattues activement et efficace-ment.

Un autre moyen de résoudre la crise financière serait le suivant : si un pays, qui se trouve dans un état de grandes difficultés financières, a pris des mesures appro-priées pour maîtriser le déficit primaire hors paiement des intérêts, c’est-à-dire s’il n’a plus besoin de nouveaux emprunts sauf pour le paiement des intérêts des em-prunts en cours, la BCE interviendrait pour le paiement de ces intérêts. Alors, le pays en question pourrait com-mencer à rembourser sa dette elle-même et n’aurait plus besoin de s’endetter à nouveau pour payer les intérêts et les intérêts des intérêts de sa dette.

L’étape suivante consiste à investir dans les pays de la zone euro, qui sont aujourd’hui économiquement les plus faibles. Cependant, il ne suffit pas de créer une in-frastructure économique si on n’y inclut pas les acteurs économiques eux-mêmes. Ici, on pourrait prendre en exemple la Pologne, qui n’était certainement pas dans une position brillante lorsqu’elle est devenue membre de l’Union Européenne. Par contre, elle a investi intelligem-ment ses ressources et a impliqué ses partenaires com-merciaux dès le début.

En même temps, nous devons mettre en place des agences de notation alternatives aux Moody’s, Fitch Ra-tings, Standard & Poor’s, etc. en Europe. Pour être effi-caces, elles doivent sonner l’alarme beaucoup plus tôt que les grandes agences existantes ont tendance à le

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faire. Il est déjà beaucoup trop tard si l’on attire l’atten-tion sur les finances d’un état quand ses dettes sont proches de la limite de 100 % du produit intérieur brut. L’UE elle-même avait utilisé 60 % comme limite supé-rieure (avant la réunification de l’Allemagne). On devrait probablement sonner l’alarme dès 30 %. À cette hauteur, les dettes sont toujours faciles à maîtriser, alors que tout ce qui est au-delà est difficile à gérer. En outre, on a aus-si besoin d’un contrôle bancaire qui fonctionne et à l’ins-tant où j’écris ces lignes, il y a effectivement une ap-proche allant dans la bonne direction : On a donné à la Banque Centrale Européenne (BCE) le droit (et le devoir) d’observer de près les grandes banques de l’UE et de donner un avertissement si elles prennent trop de risques. En effet, elles courent le risque d’accorder trop de prêts à des clients douteux pouvant se révéler insol-vables. La BCE peut les forcer à respecter les règles rela-tives à leur équité et à leur propre dette. Ce nouveau rè-glement entrera en vigueur en mars 2014. Peu de choses se passeront d’ici là. Pour créer un système financier so-lide en Europe, nous avons toutefois besoin d’une union bancaire ainsi que d’un fonds d’aide pour qu’en cas de besoin les banques malades puissent être liquidées sans que leurs clients ne subissent de dommages. Cependant, nous sommes encore très éloignés de cette situation. Les progrès de l’UE sont infiniment laborieux et avancent à un rythme d’escargot, voire pas du tout. Par contre, la mondialisation progresse régulièrement et de nouvelles façons de contourner les règlements appliqués aux fi-nances et aux investissements sont trouvées à la vitesse de l’éclair - avant qu’on puisse s’en apercevoir. Sur le plan politique, tout va beaucoup trop lentement et s’ar-rête souvent à mi-chemin. Le monde de la finance court toujours plus vite que les contrôles.

À la suite des opérations de sauvetage grecque, por-tugaise, espagnole et peut-être même italienne, nous au-rons peut-être un taux d’inflation important, étant donné

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que l’argent du sauvetage doit être imprimé, ou doit tout au moins être déposé sur les comptes du créancier, même sous forme virtuelle. Ensuite, cet argent veut être réinvesti, qu’il s’agisse de l’argent imprimé ou virtuel.

Il convient de rappeler que les dettes représentent de l’argent qui a été dépensé pour des contre-valeurs, qui, elles, ont été consommées. Cet argent a donc changé de mains et prend part au circuit monétaire. Si les créan-ciers sont remboursés par la Banque Centrale avec de l’argent frais, émis par la banque, cette nouvelle création d’argent s’ajoute à l’argent déjà en circulation. Ainsi, un nouvel équilibre entre la masse monétaire d’un côté et des biens et des services de l’autre devrait s’installer et entraîner une diminution du pouvoir d’achat par unité monétaire et donc conduire à une augmentation de l’in-flation, au moins à longue échéance. C’est en fait un simple phénomène de cause à effet qui s’applique à toutes les monnaies nationales ou communes. On ne peut pas émettre de grandes quantités de nouvelle mon-naie sans risquer davantage d’inflation. Si l’Euro était la monnaie de réserve internationale à la place du dollar américain, ce destin aurait peut-être pu être évité puisque la communauté internationale aurait payé les pots cassés. Cependant, à courte échéance, nous ne ver-rons peut-être pas cette inflation s’exprimer rapidement par une augmentation des prix des produits et services et ceci pour une raison simple :

Ce serait évidemment une bonne affaire si cet argent supplémentaire était investi de façon productive dans des petites et moyennes entreprises ou dans l’enseigne-ment et l’éducation ou dans le développement d’infra-structures ou d’autres domaines utiles. Ce n’est malheu-reusement pas ce à quoi on peut s’attendre. L’argent n’est pas intelligent ni altruiste. Soit il cherche un refuge sûr avec la possibilité de se reproduire soit il recherche l’investissement à risque (souvent très diversifié) avec la possibilité de profits très élevés. En d’autres termes, l’ar-

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gent que les créanciers reçoivent des banques centrales est réinvesti dans les marchés financiers, où il fait mon-ter les cours des actions ou baisser les intérêts pour les emprunts d’état, à la place d’être investi dans l’économie réelle, où il engendrait sans doute des effets inflation-nistes, mais aurait en même temps un effet positif sur l’économie.

Ces fausses routes de l’argent excédentaire et le di-lemme par lequel les États ne sont pas en mesure d’en disposer sans avoir à payer un lourd tribut pourraient être évités si ces moyens financiers surnuméraires étaient fortement imposés à la source et dirigé directe-ment là où l’on en a besoin. Il faut cependant souligner qu’ils ne proviennent en grande majorité pas de sources imposables. Par exemple, les fonds souverains et les pé-trodollars ne peuvent pas être imposés en Europe. Il faut de plus se poser la question de savoir si les États sont efficaces dans la redistribution de l’argent et jusqu’où les taxes peuvent s’élever sans paralyser l’esprit d’entre-prise ; car ici nous avons affaire à une des rares sources qui en effet se laissent encore imposer dans une certaine mesure. L’État devrait alors renforcer ses compétences dans la redistribution plus productive des richesses. Il ne suffit pas de transférer l’argent des riches vers les pauvres. Ce transfert doit également avoir pour consé-quence que les personnes tout à fait en bas de l’échelle sociale soient habilitées à s’aider elles-mêmes et à être capables de sortir de leur condition et du cercle vicieux de la pauvreté et de la dépendance. L’État devrait faire appel ici au soutien privé.

En ce qui concerne la fiscalité des entreprises, il se-rait logique de subventionner les jeunes entreprises dans leur phase de développement et de les imposer très fai-blement ou pas du tout à ce moment critique pour qu’elles puissent grandir et devenir des agents écono-miques forts et solides. Une fois ce stade atteint, ces en-treprises peuvent être imposées aussi fortement que leur

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solidité le permet sans entraver leur capacité de réinves-tissement. Pour ce faire, les paradis fiscaux qui existent non seulement à l’extérieur de l’UE mais aussi à l’inté-rieur, doivent être neutralisés. Ceci ne sera possible que quand l’Europe parlera d’une seule voix, c’est-à-dire quand nous aurons les États-Unis d’Europe.

On pourra aussi imposer les gains spéculatifs et d’autres opérations financières. Il reste à savoir comment cela peut être réalisé dans un monde globalisé. Que chaque nation cherche pour elle-même des moyens de réguler le capitalisme et en particulier le monde de la fi-nance, est aujourd’hui absolument absurde, car cela ne mène à rien. Ce n’est qu’au niveau d’une Europe unie que l’on pourrait être véritablement efficace. Nous de-vrions tout faire pour ne pas laisser passer cette opportu-nité.

On pourrait aussi faire appel au patriotisme européen des 0,01% les plus riches de notre population et leur de-mander de ne pas seulement penser à leur profit à court terme, mais plutôt à une prospérité plus générale à long terme dans laquelle la classe supérieure a plus de chances de survie et de sécurité que dans un monde de contrastes extrêmes entre riches et pauvres. Essayer ce-la vaudrait sans doute la peine. Un service de la dette co-ordonné par la BCE, par les États eux-mêmes et par la disposition de la classe supérieure à y participer pour que l’État puisse continuer d’investir dans les dispositifs so-ciaux, serait sans doute la meilleure et la plus élégante issue à l’actuelle crise de la dette.

Si cela ne fonctionne pas, ce qui serait évidemment à regretter, mais à quoi il faut s’attendre, le manque de participation de la couche supérieure (nantie) de la socié-té au service ou à la restructuration des dettes nationales conduit à une inflation galopante. L’issue pourrait alors être la suivante :

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En 2014 ou 2015 ou peut-être un an plus tard, une réforme monétaire est effectuée. Un ECU équivaut à 10 euros. À l’instar de la réforme de la monnaie de juin 1948, qui a été effectuée par le ministre fédéral allemand de l’économie, Ludwig Erhard, le surplus d’argent est ain-si instantanément résorbé. Avec cette solution, les per-sonnes physiques comme les personnes morales sont concernées. L’État (en l’occurrence la Fédération Euro-péenne), annule donc de facto une grande partie de sa dette (seulement 10% de la dette est converti dans la proportion de 10 pour 1 en ECU) et obtient ainsi un bud-get équilibré, qu’il doit désormais maintenir.

En théorie, cette réforme serait aujourd’hui encore une façon élégante de remettre les finances sur pied et d’assurer un nouveau départ. Reste à savoir si à l’heure actuelle cela est possible en pratique, alors que les entre-prises de toutes tailles opèrent au niveau mondial. Si l’on arrivait à garder l’action secrète pour ensuite l’exécuter par surprise, elle aurait peut-être une chance de réussir. Mais à l’ère des WikiLeaks et Twitter, on ne peut plus en être sûr. Si quelqu’un en apprenait le moindre détail, tout le monde en Europe irait, dans un mouvement de pa-nique, se débarrasser de l’euro, qui perdrait aussitôt sa valeur et les citoyens souffriraient autant que les entre-prises (à l’exception peut-être des très grandes entre-prises, qui utilisent de grandes quantités d’autres mon-naies, en particulier le dollar américain, pour leurs tran-sactions).

Le cas de la Grèce a montré en décembre 2012 qu’avec l’aide de partenaires institutionnels on peut réus-sir à racheter sa propre dette à moindre coût (environ un tiers de la valeur nominale). Cependant, une telle action ne peut se dérouler que dans des limites extrêmement étroites. La Grèce est un petit pays et sa dette est donc évaluable. Lorsqu’il s’agit d’un grand débiteur comme l’Italie, les choses sont différentes. Les créanciers ne vont pas écouler en grandes quantités sur le marché les cré-

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dits accordés à un pays en difficulté, si le débiteur est en-core - même partiellement - solvable, donc pas encore complètement en banqueroute. Et pourtant, c’est juste-ment la banqueroute qui est à éviter. Les choses se com-pliquent évidemment quand un pays partage sa monnaie avec d’autres pays.

Une autre approche - aucune réflexion ne saurait être tabou ici - pourrait ressembler à ceci : si les grandes banques ne se plient pas aux règles, on peut créer un nouveau système bancaire public, dont le capital est ap-porté par la Banque Centrale et qui a pour mission de pourvoir les petites et moyennes entreprises avec de l’ar-gent, de gérer l’épargne et le revenu des citoyens ordi-naires et de payer les intérêts sur leurs dépôts. Les grandes entreprises et les conglomérats peuvent eux aussi contracter des emprunts auprès de ces banques, s’ils remplissent certaines conditions, comme par exemple renoncer aux rémunérations indécentes de leurs cadres supérieurs et en finir avec les stock options. En outre, ils doivent prouver qu’ils font des investisse-ments à long terme et arrêter d’alimenter le tintouin boursier. Les entreprises qui s’engagent à respecter ces conditions, recevraient un prix spécial, qu’elles pour-raient utiliser pour soigner leur image. Même Jack Welch, l’ancien PDG (jusqu’en 2001) de General Electric (GE), qui avait sans cesse poussé sa société à faire des profits de 15 % et plus, réussissant ainsi à multiplier par qua-rante la valeur des actions de GE, a fini par admettre que cela était une absurdité absolue. Une entreprise ou insti-tution ne peut simplement pas écrémer des profits aussi importants et en même temps rester en équilibre avec l’environnement dans lequel elle opère. Si trop d’argent est soustrait de l’économie réelle pour être donné aux actionnaires et qu’ils réinvestissent en grande majorité dans d’autres actions, il ne reste pas assez d’espace à l’économie réelle pour se développer.

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Par contre, les grandes banques d’inves-tissement n’obtiennent plus d’argent de la Banque Centrale, mais doivent le chercher sur le marché libre. Avec cet argent, elles peuvent alors continuer à spéculer et à faire d’autres méfaits s’il leur plaît ainsi et si elles ont l’accord des créanciers. Mais elles ne doivent pas pour cela utili-ser l’épargne ou tout autre dépôt des citoyens. Reste à savoir si les politiciens auront le courage de jouer ce scé-nario jusqu’à la fin, ce dont je doute fort.

Une superbe solution à ce problème serait d’intro-duire une « monnaie de spéculation » spéciale et mon-diale, dont l’utilisation serait obligatoire pour toute opé-ration spéculative. Elle serait quotidiennement évaluée contre les « monnaies réelles ». Cela mettrait en évi-dence la qualité « casino » (comme des jetons) de cette monnaie et son caractère virtuel et volatil. Si trop d’ob-jets spéculatifs perdaient leur valeur spéculative, alors cette « monnaie de spéculation » perdrait de sa valeur contre les monnaies réelles sans affecter ces dernières. Peu de personnes, organisations, institutions ou agences continueraient probablement leurs aventures spécula-tives sous ces conditions. Malheureusement, le lobby fi-nancier serait probablement trop fort pour que cela ar-rive. Mais considérer cette possibilité comme une expé-rience théorique devrait être un exercice fertile.

En revanche, le passé récent a montré que les at-taques sur le système monétaire européen n’ont pas eu d’effet durable dans la mesure où les gouvernements concernés et la Banque Centrale Européenne se sont fer-mement prononcés pour la préservation de ce système monétaire et ont mis à disposition les ressources (bien qu’insuffisantes) pour sa consolidation. Les Européens ont gagné du temps pour trouver une solution durable. Mais ce répit ne doit pas être trop long.

Il semble que la seule façon réaliste de sortir du chaos actuel est la création d’une véritable Union, c’est-à-dire les États-Unis d’Europe. Et si cela n’est pas fai-

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sable avec les 27 États membres, pourquoi ne pas l’es-sayer avec les 17 pays de la zone Euro ou les 6 pays fon-dateurs de la CEE ? L’Allemagne, qui possède la meilleure expérience d’une structure fédérale, devrait pour une fois se dépasser et assumer le rôle de leader-ship. Mme Merkel, qui semble avoir récemment détourné ses yeux de l’Europe, comme l’a déjà fait son prédéces-seur, Gerhard Schröder, et ceci particulièrement en pré-vision des élections qui sont prévues pour septembre 2013, pourrait avancer les choses dans le bon sens, si elle voulait. Beaucoup d’autres États de l’Union attendent cela de l’Allemagne. C’est pour elle presque une obliga-tion morale de le faire, non pas seule avec la France, mais par un dur travail de persuasion avec tous les parte-naires. Helmut Kohl l’avait déjà bien compris. Les pays de l’Est de l’Union Européenne, favorables à l’idée d’une Union Fédérale, devraient aussi activement participer à la discussion. Finalement, il faudra ne pas oublier d’impli-quer aussi les populations dans la discussion et le travail de persuasion, car elles devraient finalement être interro-gées par référendum ou un mécanisme similaire leur de-mandant si elles sont d’accord pour la création de cette Union Fédérale. Bien sûr, l’opinion publique doit être bien préparée. Après que ces pays pionniers auraient atteint des étapes prédéterminées, d’autres pays pourraient s’y joindre s’ils s’engagent à suivre l’itinéraire prescrit.

Les États choisissant de s’unir dans une véritable Fé-dération doivent le faire en sachant pertinemment que le résultat final sera un nouvel Etat Fédéral, tels que les États-Unis d’Amérique, avec des forces armées, une lé-gislation, un Parlement efficace et influent, un Chef de l’État, des recettes fiscales, un budget, des missions di-plomatiques, etc. Cet objectif doit être atteint le plus ra-pidement possible, sans hésitation, sans marchandage, sans querelles. Il ne faut pas permettre à nouveau que les langues nationales représentent un obstacle insur-montable pour une telle Union. Le Saint Empire romain

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germanique avait uni des peuples parlant plusieurs langues au sein de ses frontières et la Suisse le fait en-core aujourd’hui. Les dirigeants européens ont une grande responsabilité aujourd’hui quant à l’avenir de l’Europe d’ici 10 ou 20 ans et ils ne peuvent pas éviter de faire face à cette responsabilité.

Une fois le nouveau gouvernement fédéral des États-Unis d’Europe installé, il doit immédiatement commencer à faire valoir certaines prérogatives dans la politique éco-nomique, commerciale et financière. Il est insensé que la politique s’aligne sur l’économie et les marchés finan-ciers, qui, eux, vivent dans un monde virtuel. Une poli-tique impuissante n’a pas sa place. Il est toutefois diffi-cile de changer quelque chose dans le contexte national, mais le gouvernement de la Fédération Européenne peut intervenir différemment. A cet échelon, la politique, l’éco-nomie et les marchés financiers jouent sur le même ter-rain et la politique peut mieux indiquer la direction à suivre et mieux apporter le sens du long terme que les autres partenaires peuvent le faire, car elle a (ou devrait avoir) plus de hauteur.

Nous ne pourrons pas échapper au devoir de faire sortir le système financier de son monde virtuel et de le reconnecter à l’économie réelle ! Comme déjà mention-né, nous avons besoin d’une Europe forte et unie qui puisse s’asseoir à la même table que les autres puis-sances économiques pour définir les règles de ce sys-tème financier redevenu sobre. Comme déjà mentionné plus haut, nous devons aussi mettre un terme au sys-tème des paradis fiscaux. Il n’est pas admissible que des gains soient dirigés vers des paradis fiscaux sans que le Trésor puisse intervenir. Si quelqu’un voulait mettre ses gains à l’abri dans un paradis fiscal, il devrait produire ces bénéfices dans l’économie locale de ce « paradis ».

Une révision et un renforcement de la réglementation de la bourse européenne pourraient être réalisés dès 2015. La spéculation sur les devises ainsi que les opéra-

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tions sur dérivés, matières premières et produits agri-coles sont supprimées du menu. Les investisseurs sont encouragés à effectuer des investissements à long terme, mais aussi à penser aux jeunes entreprises en as-cension. Les pouvoirs de la Banque Centrale Européenne sont calqués sur ceux de la Banque d’Angleterre, lui per-mettant d’influencer directement la masse d’argent en circulation et faisant ainsi une politique monétaire en ac-cord avec le gouvernement, sans perdre de vue la mis-sion d’observer et de contrôler l’inflation. Les banques sont soumises à une surveillance plus stricte et des ex-perts chargés de cette surveillance sont formés et équi-pés de pouvoirs appropriés. Les banques d’investisse-ment sont soigneusement séparées des banques de dé-pôts, qui ne peuvent plus utiliser l’argent de leurs clients pour les opérations d’investissement et les transactions spéculatives. Les banques d’investissement sont seules responsables de leur propre capital pour d’éventuelles in-demnisations si leurs activités sont conclues après une évaluation erronée des risques, et les investisseurs doivent le savoir. Par ailleurs, les transactions financières spéculatives sont (faiblement) imposées (on a parlé de la « taxe Tobin », qui a été initialement conçue pour le mar-ché des changes - qui se déroule en quelques secondes, voir millisecondes - afin d’atténuer la volatilité des pari-tés des devises). Une taxe similaire devrait être imposée pour toute sorte de transaction spéculative. L’état ne se porte plus garant si quelque chose tourne mal pour les banques d’investissement. Quelque chose de similaire a été proposé par John Vickers, l’économiste britannique, en 2011 (cantonnement) et par Paul Volker, l’ancien pré-sident de la réserve fédérale, en 2009. Une telle loi avait existé aux États-Unis dès 1933, sous Roosevelt (Glass-Steagall Act). Malheureusement, par la suite, cette loi fut modifiée à plusieurs reprises et finalement abolie en 1999, sous la présidence de Bill Clinton. Ces modifica-tions, puis l’abrogation complète de la loi, qui a conduit à

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la déréglementation complète des marchés financiers, ont rendu possible la crise des "Sub-primes" de 2008.

La politique économique devra veiller à ce que les EUE arrivent non seulement à faire face à la concurrence mondiale, mais y jouent un rôle de premier plan. Pour ce-la elle favorisera la coopération entre entreprises et syn-dicats et accordera aux syndicats certains droits de co-gestion dans les entreprises. La stratégie d’éducation et de recherche aura un rôle prépondérant et les « clus-ters » régionaux d’innovation, par exemple dans le do-maine du génie génétique, de la nanotechnologie, de la technologie de l’information, etc. devront être promus comme des priorités.

Comment aujourd’hui faire redémarrer une crois-sance économique durable ? Rappelons ici qu’il n’y a au-cun manque de capital. Seulement, ce capital est mal in-vesti, dans des objets spéculatifs à la bourse ou dans de l’immobilier hors de prix, etc. Dans de nombreux pays, et notamment en France, la société est trop fixée sur la pré-servation des acquis et étouffe ainsi toute mobilité as-cendante ou transversale. Les syndicats en particulier portent une certaine responsabilité dans tout cela. Ils ne pensent pas aux exclus de la vie sociale et économique parce que ceux-ci ne savent pas jouer des coudes ou ne possèdent pas les compétences professionnelles deman-dées. La société postindustrielle ne peut pas se contenter d’offrir seulement des services comme si ces services n’étaient pas imitables par les nations émergentes. Les services mobiles notamment peuvent être très bien imi-tés ailleurs. Une société purement postindustrielle conduira donc à l’absurde. Un minimum d’industries doivent rester dans les pays et produire des biens inno-vateurs, compétitifs et de qualité. L’innovation est néces-saire, mais elle doit être bien réfléchie et ne pas devenir une fin en soi (voir deux paragraphes plus loin). Pour faire quelque chose de durable, l’industrie doit ouvrir ses portes aux jeunes générations qualifiées. À côté de pro-

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fessionnels de plus en plus spécialisés, formés dans les universités et les grandes écoles, des jeunes doivent être formés pour les besoins de l’industrie par l’industrie elle même, qui s’engage à adopter à nouveau le principe de l’apprentissage. Il s’agit là d’une porte cruciale pour en-trer sur le marché du travail. Les entreprises doivent ab-solument faire cet investissement pour garantir leur propre avenir. C’est urgent ! En outre, il faudra favoriser le développement des petites nouvelles entreprises pour qu’elles puissent grandir et élargir leur marché ! Du point de vue sociopolitique et macro-économique, il est contre-productif pour une jeune entreprise - dès qu’elle com-mence à faire un peu de profit, après trois ou quatre ans - de se faire acheter par une multinationale pour ensuite disparaître dans les broussailles d’un conglomérat.

Une fois mes pensées sur l’actuelle crise financière et la dette mises sur papier, je me suis mis à la lecture du Rapport Stiglitz12 pour découvrir que mon analyse de cette crise internationale et celle exposée dans le rapport ne sont pas très différentes, bien que les solutions propo-sées ne soient pas toujours les mêmes. Alors que dans le livre on propose une approche où des solutions sont adaptées à la situation existante, c’est-à-dire avec la pré-servation des banques et la possibilité de spéculation etc., cela ne me semble pas toujours être possible ou efficace. Bien que ce rapport ne soit pas une lecture fa-cile, je la recommande chaleureusement.

Je voudrais, néanmoins, prendre fait et cause pour le capitalisme de l’après-Deuxième Guerre Mondiale. Il a apporté au monde – même si ce n’est pas partout de la même façon - des progrès considérables dans le domaine de la prospérité, de la santé, de l’innovation technique et

12 Rapport Stiglitz – Pour une vraie réforme du système monétaire et financier international, présenté à l’Assemblée générale de l’ONU le 26 juin 2009 (rapport de la Commission d’experts du Président de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les réformes du système monétaire et financier international)

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technologique, de l’échange global des biens physiques et culturels et de l’utilisation efficace du travail. Depuis, le capitalisme a trouvé ses limites ; du moins dans sa forme actuelle. L’esprit d’entreprise, les start-ups et l’in-novation sont devenus des veaux d’or autour desquels tout le monde danse. Aujourd’hui, l’innovation est sou-vent devenue une fin en soi ; voir, par exemple l’entre-prise Apple, qui remplace continuellement les propres produits qu’elle vient juste de mettre sur le marché par de nouvelles versions. On se demande comment Apple arrive encore et encore avec son marketing à convaincre ses jeunes (et moins jeunes) clients que le tout dernier produit est un « MUST » absolu. L’enthousiasme des fans d’Apple est incroyable. Ils sacrifient presque leurs der-niers sous pour ces produits et avec une fréquence qui surprend. En outre, les gourous de l’industrie nous disent que bientôt nous ne pourrons plus nous passer des Smartphones et/ou de produits similaires. Et quand le Smartphone commence à triompher, le produit suivant, par exemple les verres intelligents, est déjà prévu, et ain-si de suite. Même Microsoft a conçu son Windows de telle sorte que nous ayons besoin d’une nouvelle version tous les trois, quatre ans. Quelle poule aux œufs d’or ! Et cela ne suffit pas - les ordinateurs, les portables, les tablettes, les smartphones, etc. ne peuvent que très difficilement être éliminés. Il y a bon nombre de métaux précieux dans l’électronique de ces appareils dont la récupération pour recyclage est extrêmement difficile. Si ces métaux ne peuvent être récupérés dans des conditions écono-miques, nous aurons bientôt un sérieux problème envi-ronnemental.

Cette course économique contre le temps et les risques environnementaux concomitants n’est pas très satisfaisante. La jeunesse n’est également pas toujours consciente des effets secondaires de cette course. Pour la société, cette course, en réalité une concurrence de tous contre tous, presque une guerre de tous contre tous,

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est extrêmement dangereuse, et coûteuse pour la socié-té, notamment par ses conséquences médicales. Elle en-courage l’individualisme primitif ou l’égoïsme et tue le sens de la communauté sans lequel une société ne peut pas exister dans la durée. Ce dont nous avons mainte-nant besoin, ce ne sont pas des innovations technolo-giques supplémentaires que bientôt personne ne pourra plus payer – et cela vaut également pour le secteur des soins médicaux – mais des innovations sociales. Si nous ne voulons pas mettre en danger ce que nous avons ac-compli jusqu’à présent, nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons participer à la prospérité (peut-être plus modeste) sans mettre la société en danger. Beau-coup de gens, que la concurrence effrénée a jetés à la rue, connaissent déjà une vie plus que modeste ; de plus en plus de gens la connaîtront et il ne s’agira pas tou-jours de main-d’œuvre non qualifiée.

Les États-Unis d’Europe devraient aussi créer un fonds souverain, comme la Norvège, la Chine et les pays de l’OPEP. Avec ce fonds, des investissements qui ne se-raient pas possibles à partir des moyens privés ou pu-blics, pourraient être effectués.

La croissance économique seule n’apportera plus grand-chose à l’avenir, en tout cas pas une prospérité vé-ritable. Cette croissance, même si elle est encore pos-sible, doit impérativement s’accompagner de mesures socialement responsables. Les technologies de l’informa-tion modernes nous permettraient aujourd’hui facilement de travailler à temps partiel et de partager le travail jour-nalier avec une autre personne pour la même efficacité qu’avec le travail à plein temps. On pourrait alors donner moins de travail à plus de personnes. Je suis conscient que nous courons le risque de réveiller la vieille polé-mique sur le thème de la semaine de 35 heures en France. En fait, le problème est simple : La spéculation immobilière a fait grimper les prix de l’immobilier si rapi-dement que pour de nombreux salariés et retraités l’ar-

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gent restant après le paiement du loyer n’est plus suffi-sant pour vivre. Mais les politiques manquent de courage et n’osent pas affronter ce problème. Le gel des prix des loyers et des coûts de construction seraient bienvenus. Malencontreusement, on a d’une part une explosion des prix de l’énergie, qui vont encore augmenter si l’on va de l’avant avec les énergies renouvelables et, d’autre part, les déficits primaires et/ou fiscaux des budgets nationaux ne permettraient pas d’accélérer la construction de loge-ments locatifs. À un moment donné, il faudra faire quelque chose si nous ne voulons pas revenir à une si-tuation explosive qui nous confrontera à la pauvreté de masse (dont la Grèce et l’Espagne nous donnent déjà un avant-goût). On ne pourra pas éviter, tôt ou tard, de tou-cher prudemment mais résolument à la répartition des biens. Sinon, ce qui a entraîné la révolution française en 1789 et conduit à l’élimination de l’absolutisme féodal pourrait se reproduire. Cette fois, la cible serait l’« aristo-cratie financière » et il y aurait à nouveau beaucoup de misère à supporter, d’autant plus que nous ne sommes plus une population à 50 % rurale mais sommes tribu-taires d’une économie sophistiquée.

De plus, nous vivrons de plus en plus longtemps et les jeunes générations ne pourront porter la charge de notre retraite si nous continuions à la prendre à 60 ou 65 ans. C’est pourquoi certains gouvernements ont déjà dé-cidé de relever l’âge de la retraite, même si cela devait se faire contre une forte résistance. D’ailleurs, les gens en âge de prendre leur retraite représentent un grand ré-servoir de force de travail productif, qui pourrait et de-vrait être utilisée sous la forme de bénévolat ou contre une rémunération modeste. Beaucoup de gens concernés n’ont pas envie de prendre leur retraite et seraient heu-reux de pouvoir exercer un emploi enrichissant. Ceci est surtout important pour les pays à faible taux de natalité. Ainsi, la transition vers une population vieillissante, en particulier en Allemagne, en Italie et en Espagne, pour-

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rait être maîtrisée sans trop de difficultés. Mais ce réser-voir est aussi d’une grande importance pour les pays ayant des taux de fécondité normaux. L’expérience des personnes âgées ne doit pas être sous-estimée, tout comme la possibilité du transfert d’expérience aux géné-rations suivantes.

Concernant le déclin de la population allemande, il ne devrait pas y avoir de véritable problème. Au contraire, avec une population plus faible on aurait davantage d’es-pace géographique disponible par habitant et les Alle-mands vivraient plus à l’aise. Le prix de l’immobilier chu-terait et la vie deviendrait moins chère. Aussi les rela-tions de voisinage et la vie familiale pourraient en bénéfi-cier. De nombreux citoyens jugeraient le fait de travailler plus longtemps comme un privilège plutôt que comme un fardeau. Naturellement, pour garder quelqu’un intégré au monde du travail jusqu’à 70 ans et peut-être au-delà, il est nécessaire de considérer l’état physique et mental de chaque personne individuellement. Toutefois, afin d’évi-ter la perte de compétitivité au sein des populations alle-mandes, italiennes, espagnoles, etc., il faudra améliorer la qualité d’enseignement pour les jeunes et offrir d’ex-cellentes formations de reconversion pour les seniors. Seulement sous ces conditions pourra-t-on maintenir près de 100 % des citoyens dans un emploi "productif".

L’innovation sociale dans ces domaines – et dans d’autres similaires – est donc une nécessité absolue si nous ne voulons pas nous diriger vers une nouvelle révo-lution qui n’apporterait, du moins en un premier temps, que des souffrances pour tous. Le capitalisme dans sa forme actuelle ne peut pas accomplir cela, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas du tout capable de le faire. Les fondations de riches américains, comme par exemple Bill Gates, prouvent qu’il y a ici un potentiel notable. En re-vanche, Mitt Romney a montré qu’il peut être aussi diffi-cile pour les représentants du capitalisme de comprendre les besoins des petites gens. Si le capitalisme est censé

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fonctionner, il a besoin de règles rationnelles qu’il doit s’engager à suivre et l’État a besoin d’instruments pour garantir le respect de ces règles. En particulier en ma-tière de pénurie de logements, l’innovation sociale est nécessaire. J’ai déjà mentionné une autre possibilité : permettre un nouveau départ aux gens échoués sur les rives du chômage - un nouveau départ « loin » de notre civilisation. Certaines régions, comme le Massif Central en France ou le Mecklembourg-Poméranie-occidentale en Allemagne ont connu un important exode de leur popula-tion au cours des dernières années. On pourrait alors per-mettre un nouveau départ à ces gens et même garder ouverte la possibilité d’un retour dans le monde « civilisé ». J’ai déjà mentionné l’exemple des Mennonites des Etats-Unis d’Amérique. Par la raréfaction de la main d’œuvre sur le marché du travail – puisque nous aurons probablement aussi des citoyens non-chômeurs qui se sentiraient attirés par ce mode de vie - on pourrait éven-tuellement s’attendre à un retour à des salaires plus éle-vés, ce qui serait bon pour l’économie.

Lorsque nous aurons résolu notre crise actuelle, vers 2020, il faudra apporter le plus vite possible une modifi-cation constitutionnelle approfondie pour consolider les États-Unis d’Europe. Le concept de nation, avec les caco-phonies qu’il implique forcément, devrait enfin dispa-raître du vocabulaire de l’Union. Par conséquent, comme déjà mentionné au chapitre précédent, il faudra tout mettre en œuvre pour finalement créer une structure po-litique à deux niveaux, où le niveau supérieur serait re-présenté par le gouvernement fédéral, c’est-à-dire le gouvernement de l’Union, et le deuxième niveau par les régions, qui seraient alors les États. Bruxelles devrait en-suite être confirmée capitale permanente et effective de l’Union. La ville devrait avoir un statut similaire à celui de Washington, D.C., c’est-à-dire, qu’elle n’appartiendrait à aucune région/aucun État mais serait sous la responsabi-lité directe de l’organe suprême des EUE. Cela permet-

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trait en même temps de résoudre le différend entre les deux régions belges concernées. On pourrait même gar-der la famille royale belge, et désormais utiliser le roi ou la reine comme figure de proue pour l’Union. Cela ne re-présente pas une contradiction avec la démocratie comme le prouve la Grande-Bretagne, ou mieux, le Royaume-Uni, depuis déjà trois cents ans – d’abord par tentatives et plus tard, sous la Reine Victoria et Georges V, plus résolument. Mais cela est bien sûr une question à discuter.

Le Parlement (Chambre des communes, Chambre basse) doit enfin être équipé des pouvoirs nécessaires pour la législation et le Conseil des ministres remplacé par un Conseil (Chambre des Lords, Chambre haute) où les régions sont représentées. On peut appeler ces deux institutions, « Sénat » et « Chambre des représentants » et les doter de compétences appropriées. La Commission est remplacée par un gouvernement élu. Le président de la Commission est remplacé par un chancelier ou le pre-mier ministre. Le président de l’Union européenne aura probablement un caractère plus représentatif comme par exemple en Allemagne aujourd’hui (sauf si l’on maintient la famille royale de la Belgique pour représenter les EUE, auquel cas on n’aura pas besoin d’un président).

Une fois l’Union devenue enfin réalité, on devrait également opter pour une seule langue officielle. Puisque la Grande-Bretagne n’est plus membre de l’Union, on ne tiendrait pas compte de l’anglais. Avec le déclin rapide de la population allemande au cours des 30 prochaines années, l’allemand ne serait pas très pertinent non plus. Outre l’anglais, le français est peut-être la deuxième langue la plus largement utilisée en Europe et dans le monde. À ce titre, elle jouit d’un statut international et conviendrait comme langue officielle pour l’Europe. Ce serait aux citoyens de l’Union d’en décider, mais peut-être, en particulier les jeunes de moins de 30 ans, choisi-raient-ils malgré tout l’anglais comme langue officielle ?

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Espérons que les lecteurs, qui nous ont suivi jusqu’ici se sentent stimulés par les réflexions présentées et contribuent à ce que l’idée européenne retrouve force et vitalité. En particulier les jeunes, qui sont en possession de l’énergie nécessaire, devraient réclamer des change-ments dans la politique européenne. Qu’ils ne se laissent pas contaminer par l’euroscepticisme de la plupart des politiciens. Ceux-là se sont toujours opposés à l’intégra-tion européenne et ne peuvent imaginer vivre autrement qu’avec une identité nationale, quelle soit tchèque, hon-groise, danoise, néerlandaise, allemande, italienne, fran-çaise, britannique, etc. Les Français ont réalisé lors de leur récente discussion sur l’identité nationale à quel point il est difficile d’en trouver une définition acceptable.

Si les jeunes croient en l’Europe et s’expriment par des discussions dans les forums appropriés, dans des manifestations, des rassemblements électoraux, les poli-ticiens ne pourront pas ignorer ce mouvement. Ma géné-ration, d’un âge plus avancé, et la génération intermé-diaire se voient déçus par l’Europe, et beaucoup d’entre nous pensent que les Nations peuvent faire mieux que l’Europe, que tout irait mieux si chaque pays avait sa propre monnaie et pouvait, en cas de besoin, fortement dévaluer sa monnaie, tous contre tous. Bien sûr, cela va très bien avec l’ère moderne, où l’individualisme est roi et l’engagement pour autrui mal considéré. Je crois que la jeune génération est plus enthousiaste que nous, les personnes plus âgées. Et c’est naturel. Elle aime avoir une vision pour un avenir européen meilleur et une vision ouverte sur le monde.

Depuis la fin du XVIIIème siècle, on a tenté d’atténuer la dichotomie entre l’individu et la communauté par la création de nations et de « peuples ». La nation était le plus grand bien et on allait jusqu’à donner sa vie pour la défendre. Hegel dit dans sa « phénoménologie de l’es-prit » que les individus d’un peuple et sa nation se re-trouvaient dans le même esprit pour former un en-

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semble. Il parle même de l’esprit du peuple. Jean-Jacques Rousseau exprime des idées similaires dans son "Contrat Social". Aujourd’hui ces idées n’ont plus la même force. L’homme moderne veut se concevoir et se comprendre en tant qu’individu. L’identification avec la nation ne fonctionne plus, ce que naturellement regrette la partie conservatrice de la population, mais ce que la partie « progressiste » accepte comme une tendance inévi-table. Dans un ensemble plus vaste, à savoir l’Europe, cette dichotomie n’aurait aucune raison d’être, car l’Eu-rope n’a pas les mêmes exigences à l’égard de l’individu que la nation. La jeune génération d’aujourd’hui en Eu-rope est sans doute la première génération depuis l’émergence de la nation en tant que principe de cohé-sion entre ses membres, qui ne considère plus que son premier devoir soit de sacrifier sa propre vie pour le maintien de cette nation, parce qu’elle voit une alterna-tive attrayante à la nation et elle persuaderait volontiers les politiciens pour explorer ces alternatives. Cependant, l’individu peut se sentir mieux intégré dans un milieu lo-cal ou régional. Peut-être devrait-on réfléchir à un nou-veau « contrat social » ?

À l’avenir, il y aura de plus en plus d’Européens dont la vie nécessitera une grande mobilité. La nation est de-venue trop petite et obsolète pour eux et ils voudront al-ler au delà pour enrichir leur vie. D’ailleurs, la mobilité est un grand avantage à l’époque où les emplois sont rares. Les gens attendent de l’Europe plus que ce qu’elle est actuellement prête à leur donner. Ils seront déçus et lui tourneront le dos si la création d’une Union Euro-péenne véritablement fédérale (et sans patries) n’est pas bientôt vigoureusement relancée.

J’ai déjà souligné dans un autre contexte que le vivre ensemble n’est que rarement guidé par la raison. Les émotions, les intérêts individuels ou collectifs, les pas-sions, les avantages à court terme, etc. ont toujours été les ressorts les plus forts. Et cela vaut également pour la

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politique. Cependant, la situation actuelle est telle que les politiciens européens ne peuvent désormais plus se permettre un tel luxe. Nous sommes maintenant à un tournant où l’Europe doit opter pour un réveil et pour une grandeur morale et politique ou pour la diminution gra-duelle mais irrésistible vers l’insignifiance (dans laquelle on peut évidemment aussi très bien vivre, mais seule-ment un certain temps). Nous avons entamé ce voyage ; pourquoi ne pas achever ce que nous avons commencé ? Aujourd’hui, l’Europe a le choix.

La réponse à la question posée au début, à savoir si l’Europe se trouve aujourd’hui dans une situation désas-treuse et sans issue ne peut pas encore être donnée avec certitude. Des travaux de réparation profonde avec un changement radical de direction générale sont encore possibles si nous nous décidons très bientôt. Après, on ne pourra plus faire ensuite grand-chose parce que toute l’argenterie familiale aura été bradée (ports grecs, Poste, chantiers navals portugais, etc.) et que l’idée euro-péenne aura perdu sa crédibilité auprès des citoyens. Mais peut-être l’Europe a-t-elle plus de ressort qu’on ne le croit ? Pour qu’elle survive, elle n’a sans doute pas seulement besoin de politiciens crédibles mais aussi d’un peu d’imagination ! Il faudra à nouveau faire rêver les ci-toyens !

Peut être que même le peuple britannique pourrait se mettre à rêver de l’Europe si le « continent » arrive à faire les choses comme il faut.

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Annexe

Le 27 mai 2008, Gunther Krichbaum, président de la Commission pour les affaires de l’Union européenne, a prononcé un discours à la Humboldt-Universität à Berlin sur le traité de Lisbonne13, dans lequel il déclarait en sub-stance, entre autres, que le Parlement Européen est ren-forcé par le traité de Lisbonne. Jusqu’ici, il pouvait seule-ment faire connaître son opinion ou, dans certains cas, exercer un droit de veto. Maintenant, il est à peu près à égalité avec le Conseil et la Commission et peut partici-per aux décisions. Ainsi, l’essence démocratique de l’Union Européenne elle-même sera considérablement renforcée. Mais il y a encore autre chose : les citoyens de l’UE auront maintenant la possibilité de prendre eux-mêmes les devants en faisant usage du droit à l’initiative populaire européenne. Le traité de Lisbonne stipule que, avec la signature d’au moins un million de citoyens euro-péens, la Commission peut être invitée par cette initia-tive citoyenne, à poursuivre certains objectifs. Ceux-ci seront reflétés dans de nouveaux actes de droit (par exemple règlements de l’UE, directives, décisions, re-commandations ou avis/commentaires), qui, dans le meilleur des cas, figurent ensuite dans la législation de l’UE. Ce million de citoyens peuvent participer à une péti-tion sur Internet. Ils doivent, cependant être résidents

13 http ://www.whi-berlin.eu/documents/Rede-Gunther_Krichbaum,_MdB.pdf

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"d’un nombre significatif d’Etats membres". Cela corres-pond à seulement 0,2 % de la population de l’UE et de-vrait donc être facilement réalisable.

Gunther Krichbaum a une opinion très positive du traité de Lisbonne :

Dans sa conséquence ultime, le traité de Lisbonne donne à nouveau une capacité d’action à l’Union Euro-péenne.

Jusqu’à présent, l’intégration européenne s’est faite par le truchement de l’économie, notamment de l’agri-culture et de la concurrence. D’autres domaines de la po-litique, cependant, demeurent clairement en retard. Cela va changer maintenant.

L’intégration européenne ne doit pas s’arrêter là. Dans le passé, on a beaucoup trop souvent demandé si l’Europe peut faire ce qu’elle veut. La question qui se pose est : l’Europe veut-elle faire ce qu’elle peut ? Le traité de Lisbonne donne maintenant à l’Europe des bases pour mieux exploiter son potentiel. Cela signifie aussi que l’Europe doit se concentrer sur les domaines d’action qui vont au-delà de la force des États-nations in-dividuels - même si celle-ci serait très grande. » Permet-tez-moi, l’auteur de ce livre, d’ajouter ici qu’il y a en effet beaucoup de domaines politiques qui vont au-delà des forces des États-nations individuels. La crise financière actuelle n’en est que l’exemple le plus frappant.

Conclusion : Le traité de Lisbonne n’est pas encore un coup de maître, mais il a un certain potentiel. En par-ticulier, des initiatives citoyennes pourraient changer

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notre avenir. Mais tout d’abord, les citoyens doivent sa-voir ce qu’ils veulent. Ce livre appelle les citoyens à y ré-fléchir. Si cette réflexion amène les citoyens à se rassem-bler derrière l’idée d’une Europe véritablement unie, il faudrait organiser des manifestations dans la rue ou dans des lieux symboliques afin que les politiciens en prennent conscience. Si ensuite se cristallise un consensus au sein de plusieurs États membres sur ce à quoi l’Europe de-vrait ressembler à l’avenir, ce consensus pourrait figurer dans une pétition sur Internet avec un million ou plus de signatures pour être adressée à la Commission. Il vau-drait la peine d’y réfléchir.

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Épilogue

Si ce livre trouve un certain écho, je serai encouragé à décrire plus en détail ma vision de l’Europe et comment y parvenir. Entretemps, certaines des occasions man-quées décrites dans la première partie de ce livre pour-raient peut-être être rattrapées. Selon moi, un Eurotrain reste un beau projet. La SNCF française, la Trenitalia ita-lienne et la Bundesbahn allemande ainsi que les compa-gnies de chemin de fer des pays du Benelux pourraient réunir leurs réseaux sous le drapeau européen et créer une compagnie ferroviaire supranationale. D’autres pays pourraient s’y joindre. Si l’Eurostar n’était pas déjà une compagnie de chemin de fer conforme à la législation du Royaume-Uni, on pourrait étendre le modèle aux États fondateurs de la Communauté Européenne. Ce serait tout à fait possible avec les Eurostar e320. Malheureuse-ment, on est maintenant dans une situation où on trouve de plus en plus d’entreprises ferroviaires privées sur le marché de l’Union Européenne, ce qui rend l’ensemble du système très confus. Tout cela bien sûr au nom de la sacrosainte « libre concurrence ». Concernant la poste, je suis également optimiste – on pourrait toujours créer une poste européenne si on le voulait. En particulier dans la zone euro cela serait aujourd’hui relativement facile à mettre en œuvre et aurait une grande valeur symbo-lique ! On pourrait même inclure les petits prestataires privés dans ce système. Bien sûr on ne peut pas faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. En revanche, on

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peut souvent rattraper les omissions et ainsi réparer cer-tains dommages. Il est maintenant temps d’agir et de prendre des projets Européens en main. Il ne faut plus at-tendre ! Un peu plus d’imagination chez nos politiciens nous ferait le plus grand bien et revitaliserait notre rêve.

Ralph Gädhelin

PS : Une bonne collection d’essais et de commen-taires sur la situation politique, économique et financière actuelle de l’Union Européenne, avec des suggestions de solutions, est publiée par les éditions Les Petits matins, "Alternatives économiques" sous le titre "Comprendre la crise" publiée en décembre 2012 sous ISSN 2117-8747

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Table des matières

Avant-Propos 3Introduction 4Chapitre I : La Genèse de l’Europe 8Chapitre II : Le Rêve 15

Première Phase : La Création de Symboles Européens 20Deuxieme Phase : La Creation et le Renforcement des Institutions et Installations Europeennes 37Troisième Phase : Aboutissement du Rêve 52Quatrième phase : Consolidation des Réalisations 81

Chapitre III : La Réalité 89Chapitre IV : Et l’Avenir ? 105Annexe 126Épilogue 128Table des matières 130