europe - rêve et réalité, espoir et déception, ralph gädhelin

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Cette brochure se penche sur l'idée européenne, qui ressemble maintenant à un rêve depuis longtemps révolu. Qu'est-ce qui a mal tourné ? Qu'est-ce qu'on aurait dû faire pour transformer le rêve en réalité ?L'auteur remonte jusqu'aux années 60 et emmène le lecteur dans un rêve, qui est le sien, et dans lequel les hommes politiques croient en cette idée et suscitent un grand enthousiasme pour celle-ci parmi les populations des différents pays membres, qui en retour encouragent les responsables politiques à continuer sur la voie de la transformation de l'Europe en une véritable Fédération qui compte sur la scène mondiale et dont les gens peuvent être fiers. Dans ce rêve, la Fédération européenne est essentiellement en place en 2002, lorsque toutes les structures nécessaires, les institutions, les lois et les transformations sont achevées et l'Euro est introduit. La Fédération n'est pas un assemblage de patries, mais une union de régions. Et ça marche ! Finalement, même la Grande-Bretagne trouve peut-être des raisons pour s?y joindre. Tout cela a été possible uniquement parce que les politiciens ont été convaincus que, sans créer de forts symboles européens, rien n?était possible. Ils ont encouragé la création de services, institutions et entreprises véritablement européens, telles qu?Eurotrain, Euromail, Eurocom, l'Européenne des Eaux, Eurogaz, Euroelec, Euro-Air, etc. Et, pour ne pas l'oublier, ils introduisent un véritable passeport européen.Le rêve est accompagné d'une histoire personnelle, véritablement vécue. Le rêve et cette histoire parallèle sont entrelacés pour montrer comment la situation aurait pu évoluer si le rêve et la réalité avaient convergé. Le rêve raconte alors comment la « stratégie » politique est mise au travail afin d'impliquer les diverses populations dans la création d'une Fédération réellement démocratique qui est là pour ses citoyens.Après le rêve, la sobre réalité est décrite. Dans la dernière partie du livre, je réfléchis sur des futurs potentiels ou possibles.Il existe également des version Amazon Kindle en français, anglais et allemand. Il existe aussi une version livre de poche publiée par "Les Éditions du Net" avec le titre "€urope - Rêve et Réalité, Espoir et Déception".

TRANSCRIPT

Page 1: Europe - Rêve et Réalité, Espoir et Déception, Ralph Gädhelin
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Ralph Gädhelin

€urope –Rève et Réalité,

Espoir et Déception

L’Europe et moi

Si ce livre vous dit quelque chose, recomman-dez-le à vos amis, s’il vous plaît. Il est d’ailleurs aussi disponible pour Amazon Kindle pour moins d’un Euro. Il suffit de taper le nom de l’auteur sur Google et on arrive automatiquement aux bonnes adresses internet. Le livre est aussi disponible sur papier à « Les Éditions du net »

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Avant-Propos

Ce livre est dédié à l’Europe future tel que beaucoup de ses citoyens l’ap-pellent de leurs vœux.

Après la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe est en ruine et ne semble guère avoir un avenir. La situation rend impossible l’émergence d’un esprit de vengeance. Il ne peut être question que de réconciliation et de création de structures rendant impensable toute nouvelle agres-sion. Les politiciens se ressaisissent, et un rêve européen émerge ! Mais, 65 ans plus tard, qu’en est-il de ce rêve ? Où est-il à présent ? Sommes-nous à nouveau dans une situation désastreuse et sans issue ou avons-nous encore une chance ?

Ce livre ne prétend ni de proposer des solutions clefs en mains ni de vouloir entraîner des débats idéologiques. Certaines des approches pré-sentées ici transgressent des tabous tandis que d’autres peuvent sem-bler encore insuffisamment mûries. L’unique ambition de l’auteur est d’offrir matière à réflexion vers le développement politique, économique et culturel de l’Europe.

En revanche, le chapitre 2 : Le Rêve de l’Europe contient des élé-ments d’un guide pratique pour la création des États-Unis d’Europe. Tou-tefois, je tiens à souligner que ces instructions pratiques ne sont pas is-sues du cerveau d’un homme politique, d’un économiste, d’un expert fi-nancier, d’un philosophe ou d’un eurocrate, mais du cerveau d’un ci-toyen normal de l’Union Européenne, qui a vécu et travaillé dans plu-sieurs pays de l’Union et dans le monde, et à qui l’Europe tient à cœur.

Nous voulons exprimer ici l’espoir que les populations de l’Union Eu-ropéenne s’engagent pour que le rêve devienne réalité. Les jeunes no-tamment ne doivent pas se laisser contaminer par l’euroscepticisme des anciens, qui sont encore souvent influencés par les doctrines nationales.

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Introduction

Trois grands thèmes semblent préoccuper les citoyens européens : l’idée de l’Union Européenne et son avenir, le changement climatique et ses conséquences, et enfin la crise économique, financière et de la dette publique, qui découle du dysfonctionnement de l’Union Européenne et de la zone Euro.

Le changement climatique est un problème trop complexe pour que la seule mise en garde puisse suffire à faire évoluer la situation : Il est déjà minuit moins quelques minutes et on discute encore pour savoir si les activités humaines sont à l’origine du changement climatique ou si les causes de ce changement sont entièrement de nature « naturelles ». Comme d’habitude, nous allons dans le mur sans nous en apercevoir. En revanche, en écrivant sur l’idée européenne, on ne peut pas ignorer la crise financière et son impact. Elle tient tout le monde en haleine mais très peu de choses bougent et quand il y a mouvement, c’est souvent trop timide, ce qui a pour conséquence d’encore aggraver la situation.

Au contraire de ce qui se passe au niveau du débat sur le change-ment climatique, pour l’Europe, rien ne semble encore perdu : les ques-tions ne tournent pas autour des comportements économiques ou écolo-giques tels que l’abandon éventuel de la croissance économique expo-nentielle, l’usage de plus petites voitures ou même la préférence du che-min de fer sur la voiture, un monde financier plus rationnel et plus social, etc. D’ailleurs, en période de crise économique, financière et de la dette publique, cette thématique est un peu taboue. Néanmoins, à propos du monde de la finance, je vais quand même tenter de proposer quelques approches pour sortir de la crise. Par contre, l’idée européenne réside plutôt dans l’esprit des citoyens et des politiciens courageux pourraient encore aujourd’hui enflammer leurs électeurs pour elle. Il suffirait qu’ils le veuillent. Au lieu d’ergoter avec leurs homologues étrangers sur la sauvegarde de la souveraineté nationale et l’attribution de compétences et se quereller pour des sous, ils devraient être inspirés par l’esprit euro-péen et tout faire pour que l’Europe avance et occupe enfin la place qui lui revient sur la scène mondiale.

Cet ouvrage vise à présenter aux citoyens européens les moyens de rendre souhaitable une Europe véritablement unie et de se débarrasser des vieilles références à la nation et souveraineté. À quoi sert-il que les Chefs d’État se mettent d’accord pour céder telle ou telle prérogative na-tionale à Bruxelles, si ultérieurement ces étapes ne sont pas mises en œuvre avec conviction ou sont même complètement bloquées, et si les gouvernements nationaux ne soutiennent pas ces décisions ou même les rejettent en stigmatisant leur exécution comme une soumission à la bu-reaucratie bruxelloise ?

Ce livre décrit les moyens d’arriver à une Europe unie et attractive : le chapitre 1 dresse la chronologie de la Communauté Économique Eu-ropéenne puis, le chapitre 2, décrit comment le rêve aurait pu être réali-sé s’il y avait eu suffisamment de volonté. Pour beaucoup cela paraît comme une utopie ; mais cette utopie aurait pu être réalisée, et peut-être n’est-il pas trop tard pour renverser la vapeur et reculer un peu pour ensuite se diriger courageusement vers cette utopie. Dans ce contexte je dirais avec le Pasteur Martin Luther King : « I have a dream …. »

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Que serait-il arrivé si des gens comme Jacques Delors avaient conti-nué à nous conduire vers l’avenir et si, au lieu de la privatisation des ins-titutions publiques, on avait créé des institutions et services publics eu-ropéens durables ? En outre, en introduisant au moins le choix d’une na-tionalité européenne, on aurait bien sûr contribué à ce que l’Europe soit portée par la base. On aurait alors constaté que le désir d’être Européen existait bel et bien.

Dans le monde actuel, où les politiciens ne sont plus menés par le devoir mais par leur réélection, où tout semble être constamment en mouvement et où tout change, où il n’y a plus de points de référence, où ce qui semblait hier une vérité solide n’est plus vrai aujourd’hui, où cette course contre la montre est considérée comme une vertu et où notam-ment les jeunes perdent leur orientation, comment peut-on être surpris que les gens n’aient plus confiance en l’avenir et en la communauté et se comportent par conséquent d’une façon égoïste ou irrationnelle. Il se-rait urgent de créer une grande entité politique durable en impliquant tous les Européens : une Europe dont la cohésion est assurée par sa po-pulation, parce que les citoyens le veulent ainsi et parce qu’ils ont envie de renforcer sans cesse l’Europe de l’intérieur. Cette Europe forte pour-rait alors devenir le prochain rocher dans la mer du changement perma-nent et servir d’orientation aux citoyens.

Bien que beaucoup de peuples différents habitent l’Europe, ils par-tagent un destin commun : Ils ont ensemble traversé le Moyen-âge et le Siècle des lumières, se sont combattus ou ont subi des guerres qu’ils n’ont pas provoquées, ont plus ou moins rapidement adopté les idées de la révolution française. Ils ont souffert sous l’occupation par l’armée alle-mande et la Gestapo et, après la Seconde Guerre Mondiale, ont été divi-sés par un rideau de fer. Il y avait désormais deux destins pour les Euro-péens : suivre le modèle « libre » et capitaliste (américain) pour les pays de l’Europe occidentale ou obéir à la nomenklatura soviétique commu-niste pour l’Europe centrale. Cette barrière est tombée fin 1989 et les populations sont à nouveau unies dans le même destin. Il n’y a désor-mais plus de raison pour se faire la guerre. C’est ce destin commun qui unit les Européens, leur donne la force de mettre de côté leurs diffé-rences et leur permet de tendre mutuellement la main. Avec cette atti-tude comme moteur de l’unification des Nations européennes dans une Fédération ou dans une Union, on peut espérer qu’un jour cet objectif se-ra réalisé. Malheureusement, par manque de volonté politique, l’idée eu-ropéenne a été affaiblie au cours des dix à quinze dernières années. En même temps, les querelles politiques au niveau national ainsi qu’au ni-veau de l’UE sont devenus un vrai spectacle de guignols. Des initiatives politiques manquent de plus en plus de substance pour aboutir à quoi que ce soit.

Ce livre a pour objectif de contribuer à la relance de l’idée euro-péenne, dont la mise en œuvre nous paraît maintenant plus importante et plus urgente que jamais. J’aimerais enfin vivre le jour où les femmes et les hommes de l’Union Européenne iront dans la rue manifester pour l’idée européenne, et cela jusqu’à ce que quelque chose recommence à bouger dans la bonne direction. Ce serait extraordinaire si les gens mani-festaient pour quelque chose et non contre.

Dans un rêve, la distinction entre réalité et imaginaire et la chrono-logie des événements ne sont souvent pas respectés (chapitre 2). Le lec-teur trouvera l’élection de Jacques Delors, président de la Commission

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Européenne, et la réunification de l’Allemagne dans un contexte ne cor-respondant pas à la réalité ; le printemps de Prague est moins brutale-ment réprimé qu’il ne l’a vraiment été ; les étudiants de mai 1968 à Paris veulent des progrès plus rapides pour l’Europe, ce qui n’est pas vrai non plus, et ainsi de suite. Mais ce n’est qu’un rêve, et dans un rêve le désir joue toujours un rôle important. Le lecteur pardonnera donc à l’auteur ce réaménagement de l’histoire. De plus, le rêve est décrit comme une « expérience » personnelle et est entremêlé de passages du propre par-cours de l’auteur. L’auteur donne aussi peu de références concernant les événements historiques réels évoqués. L’important ici, ce n’est pas la date ou la description exacte de l’événement, mais l’événement lui-même et ce qu’il symbolise. L’auteur a néanmoins cherché à refléter la réalité aussi fidèlement que possible (chapitre 3).

L’Avenir sera discuté au chapitre 4. Plusieurs voies sont présentées, mais ces propositions ne prétendent pas être autre chose que des pistes de réflexion.

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Chapitre I : La Genèse de l’Europe

L’Europe « géographique » existe déjà dans la Grèce antique et l’Empire Romain. Vers 150 après Jésus Christ, le Grec Claude Ptolémée, qui vit à l’époque de l’Empire Romain à Alexandrie, définit ce terme en lui donnant des contours géographiques et en localisant les villes et villages connus à cette époque à l’intérieur de ces contours. Malgré quelques différences, on peut re-connaître l’Europe sans difficulté (si l’on ignore les erreurs « systématiques », c’est-à-dire l’erreur de distance entre les villes en Europe de sept cinquièmes ou 1,4 et quelques autres erreurs de « collage » de données collectées1). Après l’assimilation de l’espace méditerranéen, les Romains se sont concen-trés sur la conquête de l’espace européen et l’ont pratiquement fait coïncider avec l’idée de leur Etat, même s’ils n’en ont jamais atteint les limites au Nord et à l’Est (voir la Pax Romana). Au Moyen-âge, l’idée a continué à vivre, in-fluencée principalement par l’Empire carolingien (Europe occidentale) et en partie par des légendes germaniques. La monarchie des Habsbourg a ensuite créé en Europe centrale ce qui ressemblait à un pays multiethnique euro-péen. Bien que le régime de cet empire ait été très autoritaire, cet empire avait le mérite d’être bien administré. Malheureusement, jusqu’au règne de Marie-Thérèse d’Autriche, des postes de douane à l’intérieur de l’empire des Habsbourg étaient omniprésents et il y avait partout une obligation de port de passeport avec visa. Même si la reine en a aboli un certain nombre, ces contraintes n’ont jamais complètement disparu. Néanmoins, la liberté de mouvement de la population n’était pas excessivement restreinte et il y avait comme un sentiment d’appartenance à une unité plus grande que le simple comté. En 1693, William Penn, fondateur de la colonie de Pennsylvanie en Amérique du Nord publie « Un essai sur la paix actuelle et future de l’Europe ». Il y propose la création d’un Parlement européen ou d’un Conseil européen. Il existe une riche littérature sur le thème de l’Europe de l’Antiquité à nos jours en passant par le Moyen-âge. Sans s’attarder davantage ici aux prélimi-naires, contentons nous de nous souvenir que l’idée n’est pas nouvelle. Sous diverses formes, le terme géographique existe depuis au moins deux mille ans. Cependant, les tentatives de comprendre ce que « L’Europe » signifie au-delà de sa géographie, c’est-à-dire culturellement, politiquement, sociale-ment, etc. sont plus récentes et ont donné lieu à des interprétations diffé-rentes à des moments différents.

La tentative la plus récente et aussi la plus sérieuse de créer une Union économique, politique et sociale de l’Europe dans un contexte démocratique a son origine dans ce qui a provoqué la Première et la Seconde Guerre Mon-diale. La politique des états-nation européens, les tentatives de renforcement du statut de grande puissance et la recherche de revanche ont conduit à la Première Guerre Mondiale, qui a conduit à son tour à de nouveaux ressenti-ments et, par conséquent, à la Seconde. Cette politique était donc vouée à l’échec. Après la Seconde Guerre Mondiale, des hommes clairvoyants comme Winston Churchill (qui a appelé à la création des « États-Unis d’Europe »), Ro-

11 http ://www.sueddeutsche.de/wissen/ptolemaeus-korrigiert-eine-neue-vermessung-der-alten-welt-1.826706

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bert Schuman (Construire l’Europe progressivement), Walter Hallstein ("il y a un sentiment sous-jacent européen indestructible "), Sicco Mansholt, Joseph Bech, Jean Monnet, Alcide de Gasperi (qui prévint qu’une Europe purement administrative sans volonté politique supérieure ne fonctionnerait pas car elle ne serait pas soutenue par les citoyens) et Conrad Adenauer se sont donc en-gagés pour œuvrer dans le sens d’un rapprochement progressif des peuples d’Europe, dans la perspective de créer un jour une Europe unie. Ils ont consi-dérablement contribué à l’émergence d’un rêve européen ambitieux et de grande envergure. Cette nouvelle Europe devait empêcher ses peuples de s’entretuer une nouvelle fois. Grâce au Plan Marshall et à d’autres accords po-litiques, l’Allemagne de l’ouest résiduelle, devenue plus tard la République Fé-dérale d’Allemagne, s’est assez rapidement intégrée à un nouveau système économique occidental et le démantèlement initial de son industrie juste après la capitulation a été arrêté. L’état d’esprit prépondérant est devenu ce-lui de la réconciliation, en dépit de l’importance de la confrontation émer-gente entre l’Union Soviétique et les États-Unis.

La première pierre de l’édifice européen a été déposée quand on a créé la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), proposée par Ro-bert Schuman afin d’assurer l’accès libre au charbon et à l’acier, nécessaire pour la reconstruction économique et industrielle de l’Europe. Il est à noter ici que, au contraire de ce qui se passe aujourd’hui où l’industrie lourde est de-venue presque insignifiante, après la dernière guerre mondiale, le charbon et l’acier étaient encore les éléments de base de la croissance économique des pays industrialisés et bien sûr aussi du réarmement pour un éventuel nou-veau conflit. De ce point de vue, l’absence de prérogatives nationales dans ce domaine a été un excellent moyen d’empêcher les nations participant à la CE-CA de se réarmer les unes contre les autres sans mesures contraignantes. Cette sorte de communauté économique a été, tel qu’il a été avéré par la suite, le précurseur de la Communauté Économique Européenne ou de la CEE. En fait, la création de la CECA a été un changement radical de politique éco-nomique dans la mesure où, pour la première fois, des États se sont librement intégrés dans une organisation supranationale. Il s’agissait de six pays : des trois pays du Benelux, de l’Allemagne de l’Ouest, de la France et de l’Italie. La CECA a été fondée en avril 1951 par le traité de Paris et est entrée en vigueur un an plus tard. La Grande-Bretagne resta toutefois initialement à l’écart car elle craignait une perte partielle de sa souveraineté (cette attitude n’a pas changé après son adhésion à la Communauté Européenne).

Ainsi, de l’urgence de l’après-guerre est né un grand projet européen et il ne pouvait pas s’arrêter là. Pour la première fois dans l’histoire européenne, des gouvernements nationaux se sont parlé pour construire un avenir com-mun – d’abord strictement focalisé sur des aspects économiques spécifiques (charbon et acier). Bientôt apparurent également des considérations sur la fa-çon dont la coopération pourrait être élargie à d’autres secteurs économiques et dont des aspects politiques pourraient également être inclus dans cette co-opération. De cette façon a pu émerger une volonté d’ouvrir la voie vers une Communauté Économique Européenne allant plus loin, avec la vision d’une intégration économique et politique progressive des États membres.

En mars 1957, les traités de Rome (traité CEE, EURATOM et accord sur les organes communs pour les Communautés Européennes) ont alors été signés par les États membres de la CECA pour entrer en vigueur neuf mois plus tard.

Un événement découlant de ces efforts politiques pour rapprocher le groupe des six pays européens occidentaux a eu un impact direct sur ma propre vie : Au cours de l’été 1958, les villes de Marseille et de Hambourg

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scellent un partenariat et cette année-là, je suis parmi les premiers élèves de Hambourg qui, grâce à un système d’échange entre des écoles de Hambourg et de Marseille, seront invités à Marseille. L’élève qui fait l’échange avec moi s’appelle Christian. Cette initiative a certainement contribué à ce que plus tard je regarde toujours au-delà des frontières de la République Fédérale d’Allemagne et que je me sente chez moi partout en Europe. Je me souviens encore des moments agréables passés à la maison de Christian dans les faubourgs de Marseille et à Bendor, une pe-tite île méditerranéenne au large de Bandol, où Paul Ricard, le fabricant français de pastis nous avait invités. Je me souviens aussi d’un épisode où un élève allemand et moi sommes sortis en mer avec un tout petit voilier et comment, alors que nous sortions du port, le vent s’est subitement mis à souffler plus fort. A ce moment-là mon coéquipier, pris de panique se ré-fugia au fond du bateau. Ne pouvant plus compter sur lui, je dus alors faire usage de toutes mes connaissances de la voile, qui n’étaient pas im-menses mais suffirent à nous en sortir indemnes.

Ma curiosité Européenne n’étant pas satisfaite, j’ai fait des tours en bicy-clette pendant les vacances d’été des deux années suivantes, d’abord à travers le Benelux puis au Danemark et en Suède. Je me souviens claire-ment comment un jour aux Pays-Bas, ne parvenant pas à rejoindre l’au-berge de jeunesse avant 22 heures, je dus rester dans le fossé au bord de la route. Alors que j’étais confortablement installé dans mon sac de cou-chage, la police est arrivée et m’a fait comprendre dans un allemand par-fait que je ne pouvais pas y passer la nuit. Les policiers m’ont ensuite em-mené au poste de police et m’ont offert une cellule de prison pour la nuit, ce que j’ai finalement apprécié. Ce n’est qu’à mon réveil le lendemain matin, alors que la cellule demeurait fermée, que j’ai eu quelques an-goisses. Après une heure, on m’a ouvert et j’ai alors pu continuer mon tour à vélo. À ce moment-là, comme encore aujourd’hui, le cyclisme était aux Pays-Bas la chose la plus naturelle au monde. Au Luxembourg, mes souvenirs sont doubles : d’abord la capitale dominée par ce grand châ-teau et ensuite le paysage, exceptionnellement beau, très vallonné et si difficile à conquérir à bicyclette. Quant au Danemark, après l’avoir traver-sé à vélo du sud au nord, je l’ai trouvé moins minuscule que sur la carte, avec toutes ces îles qui lui donnent son caractère si singulier. En Suède, les grands lacs du sud m’ont énormément impressionné ; on pouvait y pé-daler le long d’un même lac pendant des heures sans en voir les limites. A cette époque, beaucoup de routes de Suède, en particulier dans les ré-gions forestières et escarpées, étaient des pistes imbibées d’une sorte de pétrole bitumineux ; le cyclisme devenait alors plus pénible. Dans ces contrées, on pouvait pédaler longtemps sans rencontrer âme qui vive. Je faisais ce tour en Scandinavie avec mon oncle Pierre, âgé de presque un an de moins que moi.

Grâce à ces balades à bicyclette, j’ai compris, ce que l’on n’apprend pas à l’école, ce que signifie appartenir à une famille de langues. Comme nous le savons, tous les peuples faisant aujourd’hui partie de l’espace linguis-tique germanique ont une racine commune. Et on ne peut pas encore au-jourd’hui ne pas entendre les affinités linguistiques. Le terme « nation » devient ainsi quelque peu problématique. Par exemple le Danemark ne s’est pas défini d’emblée comme une nation. C’est seulement à travers un Royaume que le Danemark l’est devenu, et cela seulement après la Révo-lution française, quand en Europe il est devenu populaire de se définir comme une nation. La famille des langues slaves a, elle aussi, une racine commune et devenir une nation polonaise ou tchèque n’a pas non plus

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été simple. L’espace des langues romanes fait figure d’exception. La ra-cine linguistique commune y est due à la sphère d’influence de l’Empire romain. On voit donc deux visions radicalement opposées qui se heurtent en ce qui concerne la conception et la conscience nationale. Dans les pays de langues romanes, comme par exemple en France et en Espagne, on observe souvent plusieurs peuples se réunissant sous un même toit formant néanmoins une seule nation. Dans les pays de langues germa-niques ou slaves, ce n’est pas autant le cas. Nous y avons à l’origine un groupe de peuples plus homogène formant la base de la nation. Cette différence explique également pourquoi on a pu avoir des mouvements panslaves et pangermaniques et pour quelles raisons un mouvement semblable pour les pays de langue romane n’a pas pu voir le jour. Après tant d’efforts pour faire émerger les Nations, pouvons-nous les surmonter aujourd’hui au nom de l’Union Européenne ?

Où le sentiment national est-il plus fort aujourd’hui : dans le monde des langues germaniques et slaves ou dans l’espace des langues romanes ? J’ai tendance à croire que les Français auraient plus de problèmes avec une véritable Union Européenne que par exemple les Allemands. Bien sûr, les Pays-Bas et la Suède ont également leurs préoccupations, mais à un autre niveau. Il ne faut oublier non plus, que l’Allemagne a besoin de l’Eu-rope. Jusqu’à l’avènement du Reich de Bismarck, en 1870, les Allemand ont vécu éparpillés à travers l’Europe dans des contés, des duchés, l’Ordre Teutonique, des royaumes, un empire, etc. Il n’y avait pas de na-tion allemande proprement dite. L’Allemagne n’a donc pas beaucoup d’expérience pour savoir comment se comporter en tant que nation sou-veraine et puissante et n’a aujourd’hui pas vraiment envie de l’apprendre, même si elle était forcée. D’être dans une situation où elle est amenée à donner des leçons à d’autres pays ne la rend pas heureuse. Une Fédéra-tion Européenne lui épargnerait cet apprentissage.

Revenons à l’agenda politique : Pour faire contrepoids aux traités de Rome, la Grande-Bretagne qui, comme déjà mentionné, n’était pas disposée à renoncer à certains aspects de sa souveraineté, a fondé en 1960 avec l’Au-triche, le Danemark, la Norvège, la Suède, le Portugal et la Suisse l’Associa-tion Européenne de Libre Échange (AELE), une association floue et géographi-quement fragmentée. Mais dès 1973, après l’adhésion de la Grande-Bre-tagne, du Danemark et de l’Irlande à la Communauté Européenne, l’AELE commença à s’effriter.

En janvier 1963 un pilier supplémentaire de la Communauté Économique Européenne en faveur d’une coopération politique plus étendue a été construit à la signature du traité franco-allemand par Conrad Adenauer et Charles de Gaulle. Le traité est aussi appelé Traité de l’Elysée et le relire au-jourd’hui vaut bien la peine. La coopération amicale entre la France et la Ré-publique Fédérale d’Allemagne évolua par la suite pour devenir un puissant moteur de la Communauté Européenne, sans laquelle celle-ci ne fonctionne-rait pas.

Dans les deux ou trois premières décennies de l’après-guerre, cette évo-lution est extrêmement bien accueillie par une grande partie de la population des états de la CEE, associée à l’espoir d’une plus grande intégration des États membres en une véritable Union. Les gens regardent au-delà des fron-tières nationales et veulent se rapprocher de leurs voisins. Pourquoi les fron-tières devraient-elles séparer les gens ? Le monde en dehors de la CEE suit également avec beaucoup d’intérêt cette évolution (la CEE trouve plus tard des suiveurs tels que le MERCOSUR, l’ANASE, l’ALENA, MCCA, etc..). On com-mence déjà à penser à l’introduction d’un passeport européen qui permettrait aux citoyens de se déplacer librement au sein de la CEE.

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Au début, les gouvernements des États membres de la CEE avancent en-semble et dans la même direction. L’intégration à l’intérieur des institutions de la nouvelle zone économique, qui seront bientôt fusionnées pour donner naissance à la CE, progresse. Les droits de douane dans la communauté dis-paraissent, les gens peuvent voyager sans visa entre États membres, les contrôles aux frontières sont allégés. Les jeunes veulent maintenant mieux connaître les pays voisins, des voitures françaises et italiennes sont présentes sur les routes allemandes et vice versa, etc. Bref, des échanges multiples entre les peuples ainsi qu’entre les biens se généralisent au sein de la Com-munauté Européenne et la curiosité des jeunes contribue de manière signifi-cative à ce que les peuples se rapprochent les uns des autres.

C’est donc ainsi que le rêve européen a pris forme. Cependant, pour le garder vivant, il faut le nourrir. Qu’a fait la politique pour le nourrir et quelles sont les omissions ? A quel moment le rêve et la réalité ont-ils divergé et quand le rêve a-t-il fini par se briser ? Pour examiner cette question, une ver-sion en est exposée dans les pages suivantes. Ce qui, aujourd’hui apparaît à certains comme utopique aurait pu être réalisé dans l’après-guerre, alors qu’en existait la volonté dans la population (pas toujours consciente mais sou-vent sous une forme embryonnaire ou latente). Malheureusement, les politi-ciens n’ont pas assez persévéré dans la poursuite systématique de la réalisa-tion de l’idée européenne. Alors, encore une fois la question : Sommes-nous déjà en face d’un désastre et dans une situation sans issue, ou avons-nous encore une chance ?

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Chapitre II : Le Rêve

Introduction

En rétrospective, l’Europe des Patries (Michel Debré) ou des États (Charles de Gaulle), ou également des Nations était une erreur de conception, même si à l’époque il n’y avait pas vraiment d’alternatives : les structures des états, les attitudes des citoyens et toute la culture des peuples étaient trop focalisées sur la nation pour que l’on puisse surmonter le nationalisme rapidement. Malheureusement, cette erreur de conception avait pour consé-quence qu’après un bon départ, les intérêts nationaux prirent une place de plus en plus prépondérante et que tous les États membres défendirent jalou-sement leur souveraineté nationale, plutôt que de chercher des intérêts com-muns et de mettre en place les structures et les lois européennes adéquates dans un esprit véritablement européen.

« Europe des patries » et « Union politique sans cesse plus étroite » sont des notions incompatibles. Dire que nous voulons une Union politique des Na-tions sans cesse plus étroite constitue une contradiction absolue. En re-vanche, il était quelque peu compréhensible de parler de patries parce que on voulait éviter que les citoyens se sentent perdus dans la nouvelle Europe. Mais on aurait dû parler plutôt d’une « nouvelle maison » dans laquelle tous les citoyens pourraient se sentir chez eux. Les Européens ne doivent en au-cun cas perdre leurs attaches. Au contraire, celles-ci devraient être conser-vées et devenir partie intégrante d’une entité politique plus vaste. D’ailleurs, pour encourager les populations à garder leurs attaches locales, on devrait donner plus d’importance aux régions. Mais avec le Général Charles de Gaulle et sa France, pour laquelle il avait voulu la résurrection de la « Grande nation », cela n’était sans doute pas réalisable.

Cependant, la plupart des citoyens des six premiers États membres de la Communauté Économique Européenne avaient la volonté de s’intégrer plus fortement dans cette nouvelle communauté ; à l’époque, c’étaient surtout les citoyens de la République Fédérale d’Allemagne qui en avaient le désir. Par ailleurs, la « Politique Agricole Commune » avait été prévue comme une force motrice pour l’intégration des pays dans la CEE. Malheureusement, cela n’a pas fonctionné parce que les différences dans la façon dont l’agriculture était pratiquée dans les pays membres étaient trop grandes pour que l’on puisse trouver un dénominateur commun. La communauté est immédiatement divi-sée en receveurs et donneurs de subventions agricoles, ce qui favorise natu-rellement les animosités entre les membres au lieu de les atténuer.

De quelle manière aurait-on dû procéder pour donner un fort élan à l’idée européenne afin qu’elle reste ancrée dans l’esprit des Européens (tout d’abord pour la communauté des six) ? Comment aurait-on pu éveiller de l’en-thousiasme pour cette idée dans la population et le pérenniser ? Cet enthou-siasme existait pourtant à l’état latent.

La réponse paraît toute simple : Ce n’est pas la réglementation des pro-duits agricoles tels que le degré de courbure du concombre ou les mensura-tions des tomates et des pommes, ou encore les lignes directrices pour la pri-

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vatisation du rail, de la poste, des services de l’eau ou d’électricité ou encore les règles applicables à la concurrence entre entreprises, etc. qui peuvent susciter de l’enthousiasme pour l’Europe. Qu’est-ce qui serait mieux adapté pour mettre en œuvre l’idée de l’Europe que la création d’institutions, d’orga-nisations et de services européens proches des usagers ?

Le rêve

Au sein de nombreux gouvernements d’États Ouest-européens l’idée pré-vaut qu’après la Seconde Guerre Mondiale, l’Europe ne peut jouer un rôle im-portant dans le monde que si elle est unie et ainsi plus forte. L’Europe ne peut avoir un poids dans un monde conflictuel que lorsqu’elle parle d’une seule voix. Cette voix portera un message conciliant à une communauté mondiale qui aspire à la paix et à une certaine prospérité. Elle sera respectée comme médiatrice impartiale dans les conflits et elle sera entendue dans la recherche de solutions aux problèmes mondiaux tels que la crise de l’énergie, la pénurie de matières premières, l’apport de nourriture à une population croissante, la pollution au sens le plus large, le changement climatique, etc.

Animés par cette idée, les six États fondateurs (République Fédérale d’Al-lemagne, Benelux, Italie, France) scellent l’accord de coopération par les trai-tés de Rome. Les États membres puis, depuis 1967, la Commission Euro-péenne, cherchent à créer des institutions, des organisations et des services publics européens. Par cette mesure, des symboles européens omniprésents sont créés, qui rappellent aux Européens que l’Europe s’est inexorablement mise en marche vers un avenir commun prometteur. Il s’agit d’abord et avant tout d’entreprises publiques ou de services publics tels que la Poste, les Télé-communications (faisant alors encore partie de la Poste), le rail, des compa-gnies d’électricité et de l’eau, des chaînes de télévision (comme par exemple plus tard la chaîne franco-allemande « Arte ») et bien d’autres. Grâce à ces mesures, les citoyens de la Communauté Européenne vont peu à peu déve-lopper un sentiment d’appartenance à un ensemble de peuples qui vont de plus en plus former une seule et grande communauté dépassant les Nations. En même temps, les gouvernements des États membres montrent qu’ils sou-tiennent pleinement cette idée. Par ailleurs, des structures interétatiques d’abord puis fédérales, ainsi que d’autres systèmes destinés à faciliter la co-existence des peuples de l’Union sont créées pour renforcer le sentiment d’appartenance à une grande famille européenne.

Le scénario suivant aboutissant à la création des Etats-Unis d’Eu-rope est alors possible :

1965 : Fusion des services postaux nationaux en un service postal euro-péen, l’Europoste.

1966-67 : Séparation des services téléphoniques de l’Europoste et en 1967 création d’une structure de télécommunications européenne, l’Eurotélé-com.

1970 : Fusion des chemins de fer nationaux pour donner naissance à l’Eu-rotrain.

1970 : Création de plusieurs chaînes de télévision européennes.1971 : Fusion des utilitaires nationaux du secteur énergétique en une

grande fédération européenne d’électricité et une grande fédération euro-péenne de gaz naturel dans le cadre d’une structure parapublique. Pour l’ins-

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tant, les relations étroites entre les gaziers et les électriciens sont conservées là où elles existent. Des tarifs standards sont introduits progressivement dans toute la Communauté Européenne. Du côté des compagnies de l’eau, un mo-dèle similaire est à l’étude.

1972 : Introduction facultative d’un passeport européen dans les États membres de la Communauté Européenne

1972-1981 : Introduction de l’élection directe des membres du Parlement et planification de l’élection directe du président de la Commission pour 1981.

1973 : Adhésion du Danemark et de l’Irlande1977 : Coordination et unification des cours et des frais d’études universi-

taires dans les pays de la CE et promotion d’études dans les autres pays de la CE hors du territoire national.

1979 : Mise en place d’un système financier unifié et d’un organisme de supervision à l’échelle de la CE afin de coordonner les budgets nationaux, avec une certaine compensation financière entre pays riches et pauvres.

1980 : Révision des règles de contrôle bancaire.1981 : Élection directe du président de la Commission1981 : Adhésion de la Grèce à la Communauté Européenne1981 : Le Royaume-Uni décide définitivement de ne pas rejoindre la Com-

munauté Européenne1982 : Fusion des organisations nationales de défense en une armée eu-

ropéenne avec service militaire général obligatoire d’un an1983 : Création de la Banque Centrale européenne et introduction de l’eu-

ro1984 : Politique commune d’immigration des États membres1985 : La fusion des États de la CE dans une Union fédérale : les États-

Unis d’Europe EUE (United States of Europe - USE). Élection directe du Pré-sident Européen. Abolition de la Commission pour devenir le gouvernement. Le passeport Européen devient standard.

1986 : Au début de l’année : Renforcement du rôle de la société civile par le biais de la démocratie participative

1986 : Adhésion du Portugal et de l’Espagne ; équipe EUE pour le Mexique1987 : Admission des EUE comme membre permanent du Conseil de sé-

curité des Nations Unies au lieu de la France1988 : Adhésion de la RDA et unification avec la République Fédérale d’Al-

lemagne, État membre des EUE ; équipes olympiques pour Séoul.1989 : Définition de l’Europe future dans ses frontières possibles : où s’ar-

rête l’Europe politique et quels pays peuvent encore devenir membres des EUE.

1995 : Adhésion de l’Autriche, de la Finlande, de la Suède et de la Turquie1996 : Les EUE décident la construction d’une station lunaire avec la mise

en place du premier module en 20021997 : Mise en place d’un système uniforme de retraite1998 : Mise en place d’un système fiscal uniforme1999 : Mise en place d’une place boursière centrale européenne basée à

Paris et respectant un ensemble de règles éthiques2000 : Adhésion de la République Tchèque, de la République Slovaque, de

la Hongrie, de la Pologne et de la Slovénie.

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2001 : Modification de la Constitution pour donner plus de poids aux ré-gions.

2002 : Introduction de l’euro et mise en place du premier module d’une base lunaire.

2003 : Remplacement du service militaire obligatoire par une armée de métier.

2004 : Adhésion de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie, de Chypre et de Malte

2006 : Adhésion de la Croatie, de la Macédoine, du Monténégro, de la Ser-bie et du Kosovo

2008 : Adhésion de la Bulgarie, de la Roumanie et de l’Albanie

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Et ainsi le plan sera mis en œuvre conformément au rêve :

PREMIÈRE PHASE : LA CRÉATION DE SYMBOLES EUROPÉENS

Préface : La Politique Agricole Commune, conçue comme un moyen d’in-tégration de la CEE, s’est révélée contre-productive. Les différences de pro-ductivité entre pays sont trop importantes pour qu’elle réussisse. Après d’in-tenses consultations entre membres de la CEE, on se met donc d’accord sur un modèle progressif avec un niveau de subvention inférieur et différencié jusqu’à une suppression complète ou au moins une diminution substantielle étalée sur une dizaine d’années. Dans le cas de nouveaux arrivants dans la communauté, des subventions initialement plus élevées qu’aux anciens États membres leur sont accordées pour les amener rapidement au niveau de ceux-ci. En outre, on essaye d’éviter que les produits agricoles fabriqués avec le soutien de ces subventions, et ainsi devenus bon marché, n’inondent le marché mondial, et en particulier ne mettent en difficulté les pays en voie de développement, notamment en Afrique.

Suite à l’échec de la Politique Agricole Commune comme moyen d’inté-gration européenne, de nouvelles pistes doivent être trouvées. Les hommes politiques reconnaissent maintenant que des symboles proches des gens sont nécessaires pour provoquer un vrai enthousiasme chez les citoyens envers une Europe unie. Ils se mettent d’accort pour les créer aussi rapidement que possible. Cette section décrit ce qui est fait pour que l’Europe Unie devienne une réalité.

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Quelques années seulement après la fondation de la Communauté Éco-nomique Européenne, il est clair que, si l’Europe veut faire entendre sa voix dans le concert de la politique mondiale, elle doit être davantage qu’une com-munauté économique. Les pères fondateurs l’avaient déjà souligné. Cela est particulièrement évident lors de la guerre du Vietnam (1964/65-1973) et de la guerre d’Algérie (1954-1962), au sujet desquels la voix de l’Europe est restée presque inaudible. Lors de la guerre d’Irak déclarée en 2003, la situation n’est pas meilleure. Il existe encore beaucoup de problèmes non résolus qui persis-teront certainement encore pour longtemps. L’absence totale de la voix de l’Europe au cours de la guerre civile syrienne, où déjà bientôt cent mille vic-times sont à déplorer au milieu de l’année 2013, est tout à fait fatale. Cepen-dant, si l’idée européenne devait devenir une réalité, il lui faudrait des sym-boles forts, mettant en évidence l’appartenance des habitants de cette Com-

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munauté à une seule et même entité. Les gouvernements des États membres s’apprêtent aujourd’hui à créer de tels symboles...

Il faudrait surtout éviter que ces symboles n’ajoutent des complications bureaucratiques supplémentaires, rendant la vie des citoyens plus difficile. Se servir des établissements ou des entreprises opérant à travers tout le terri-toire de la Communauté Européenne serait évidemment la meilleure solution. Ils auraient ainsi pour vocation de rendre possible ou de faciliter les contacts entre citoyens des pays voisins. Chaque fois que le service d’une entreprise ou société est sollicité, l’utilisateur prend automatiquement acte du fait qu’il vit dans une communauté élargie et que les concitoyens dans les autres pays de cette Communauté Européenne sont ses propres voisins.

De toute évidence, ce sont les services postaux des États membres qui conviennent le mieux à une première expérience dans ce sens. Dans les an-nées 60, les citoyens ont encore des contacts étroits et fréquents avec ces services nationaux. Les SMS et les e-mails avec documents attachés, etc., pour lesquels aucun service postal physique n’est nécessaire, n’existent pas encore. De même, la tendance à la privatisation des entreprises nationales n’est pas encore d’actualité, et par conséquent, le secteur privé n’a aucune objection à ce que l’on utilise les services postaux comme instrument de pro-motion de l’unité européenne.

En 1965, les différents services postaux nationaux sont réunis sous un même toit européen et ainsi fusionnés en une opération postale européenne, l’Europoste. Peu à peu, cette institution, présentée comme partie intégrante de la CEE et s’efforçant d’offrir à ses clients le service le meilleur et le plus efficace est perçue par la population comme un prestataire de services vérita-blement européen, dont elle est fière. Des cartes géographiques de la CEE sont affichées dans tous les bureaux de l’Europoste, ce qui renforce considé-rablement l’impression d’avoir à faire à une institution européenne. Au début cela n’affecte pas du tout, et plus tard assez peu, la manière dont les entre-prises postales s’organisent après la fusion. L’expédition de colis et de lettres se fait comme auparavant en utilisant le système bien rôdé de comptabilisa-tion, sauf que maintenant les timbres sont européens. L’effet recherché est tout d’abord celui d’un symbole fort mais aussi celui d’une amélioration consi-dérable des services offerts y compris au-delà des frontières nationales. La Poste Européenne réunit l’Europe dans l’esprit des citoyens. Les lettres et les colis ne viennent plus de France ou d’Italie et ainsi de suite, mais de la Com-munauté Européenne. Un an plus tard, un tarif unique pour chaque catégorie de poids pour les lettres et les colis est mis en place dans toute la Commu-nauté. Maintenant, on trouve partout des timbres avec des représentations de tous les États membres (mais des images d’objets ou de personnalités réels et non synthétiques) qui sont valides partout dans la CEE. Pour les col-lectionneurs de timbres des collections supplémentaires sont émises. L’Eu-rope commence à vivre - au moins dans les bureaux de poste – et, dans les années 1960, les citoyens vont fréquemment au bureau de poste. La poste vient aussi chez eux presque tous les jours. Qu’est-ce qui pourrait donc être mieux adapté pour amener l’idée européenne auprès des gens ? Même les sceptiques trouvent maintenant que cette idée a du bon.

En 1965, j’ai 21 ans et suis donc majeur, je viens tout juste de faire l’ar-mée (d’abord dans une unité de petits avions de reconnaissance, puis dans une compagnie sanitaire) et commence mes études à l’Université technique de Berlin-Ouest, non pour éviter le service militaire, car celui-là je l’ai juste derrière moi, mais pour vivre la réalité de la Communauté Eu-ropéenne et pouvoir directement observer son rayonnement vers l’Europe

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de l’Est. Dans un premier temps je m’inscris en métallurgie, puis en géo-logie. Mais pendant les premières vacances d’été, j’ai envie de voir un peu le « vaste monde » et je me fais embaucher par la Hapag comme « mousse » sur un navire cargo, le Christiana Pikuritz, en route pour les Ca-raïbes. À cette époque, les cargos sont encore de vrais navires et non les conteneurs du XXIème siècle, qui ne permettent même pas à leurs équi-pages d’aller à terre quand ils sont au port. Au cours de la traversée de l’Atlantique, le moteur géant du navire tombe en panne et nous sommes toute la nuit à la merci des vagues. Heureusement, cette nuit-là la mer est relativement calme. En Colombie, au Venezuela, à Trinidad et au Cos-ta Rica je vois pour la première fois des paysages tropicaux. A Trinidad, je me retrouve pour la première fois parmi une population noire, ce que je trouve passionnant. Le mode de vie de ces populations me semble com-plètement différent de ce que l’on connaît en Europe - les gens sont beau-coup plus ouverts, joyeux, détendus. À la Nouvelle Orléans, l’ouragan Bet-sy nous surprend. C’est le premier grand ouragan qui cause des dom-mages de plus de 1 milliard de $ US (en $ de 1965). Pour ne pas être ren-versé par ce vent, il faut se pencher d’environ 30° contre lui. Des navires arrachés du quai opposé se cognent contre le nôtre, provoquant un grand trou à l’arrière. L’aspect positif de cet événement : nous restons à la Nou-velle Orléans durant environ une semaine pour réparer le trou et j’ai alors la possibilité de visiter la ville. A cette époque, il y a encore les orchestres noirs de jazz originaux, particulièrement dans la Preservation Hall. Je suis impressionné par l’âge avancé des musiciens de jazz.

De retour à Berlin-Ouest, la CEE signifie beaucoup plus pour moi que juste une économie commune à six. Même dans cette « ville île », on se rend compte que quelque chose est en mouvement, et l’Europoste envoie le si-gnal approprié pour moi comme pour une grande partie de la population.

Les gouvernements nous affirment leur sérieux au sujet de l’Europe. Ils veulent nous convaincre que c’est la bonne voie et nous sommes réceptifs à ce message. L’initiative est un énorme succès pour la promotion de l’idée eu-ropéenne, qui est de plus en plus embrassée par les citoyens. De plus en plus de citoyens de tous âges se réjouissent à la perspective de voir dans quelques années une Europe occidentale sans frontières et régie par des lois communes. Nous voulons redoubler d’efforts dans cette direction et ouvrir cette Europe à nos voisins le moment venu. Peut-être cette Europe ouvrira-t-elle un jour ses portes aux pays d’Europe de l’Est, connus actuellement comme États satellites de l’URSS. Dans tous les cas, on voit à Berlin-Ouest que le rayonnement de la CEE vers l’Europe centrale et orientale, avec l’idée européenne sous-jacente, est tout simplement phénoménal.

Une fois que la valeur symbolique de cette action est clairement recon-nue, on cherchera d’autres domaines où une action semblable pourrait être accomplie. Il s’avère que le service téléphonique, qui se trouve encore au sein de la poste, a fortement gagné en importance ces dernières années. Pour pouvoir procéder de la même manière que pour la poste, on créera très rapi-dement des structures permettant de déconnecter l’Europoste puis de mettre en place un service de Télécom Européen, l’Eurocom. En 1966 est lancée la séparation du service téléphonique de l’Europoste, et un an plus tard l’Euro-com. À l’exception de la séparation du service téléphonique de l’Europoste, il n’y a actuellement aucune restructuration importante et les nouveaux tarifs valables dans toute la CEE sont introduits en un an. Pour permettre à la nou-velle Eurocom d’améliorer ses services et à moindre prix, des fonds impor-tants sont investis en recherche et développement (R & D), afin de bénéficier des dernières technologies de communication. Cela a pour conséquence que

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l’Eurocom devient l’organisme Télécom le plus moderne du monde et que les citoyens des États membres de la CEE ont une raison de plus d’en être fiers et de se sentir encore davantage liés à elle.

L’Europe est d’ores et déjà devenue une affaire de cœur pour la plupart des citoyens et cela d’autant plus qu’ils voient que les politiciens s’efforcent de la faire encore progresser pour devenir la maison commune pour tous. Cet enthousiasme est donc contagieux et cette contagion se fait sentir même au-delà des frontières de la Communauté Européenne.

Avec cette nouvelle étape résolument européenne, un élément de plus de l’Europe est créé non seulement dans l’imagination des citoyens mais surtout sur le terrain. L’Europe devient tangible et une Europe politiquement unie de-vient de plus en plus possible. Berlin-Ouest, où je suis toujours étudiant, n’est plus aussi insulaire que dans les premières années suivant la construction du mur en 1961, bien que le gouvernement de la RDA essaye maintenant de dé-fendre son modèle par tous les moyens et continue de se démarquer de l’Ouest. Finalement, il ne parvient pas à convaincre ses citoyens et peu à peu les relations entre les deux États allemands s’améliorent, en particulier pen-dant l’ère de Willy Brandt, à partir de 1969. C’est vraiment une chance histo-rique que les efforts d’un homme en faveur de la réconciliation entre l’Est et l’Ouest coïncident avec les progrès faits dans la mise en œuvre de la commu-nauté des peuples européens, organisée en une fédération politique appelée à devenir un jour une véritable Union. Ce développement prive le régime de la RDA de sa légitimité.

En 1967, les trois institutions originales de la Communauté Économique, c’est-à-dire la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier), la CEE et l’EURATOM sont fusionnées pour donner naissance à la Communauté Européenne, ce qui signifie, au moins dans les termes, une communauté poli-tique plutôt que purement économique. Toutes les possibilités d’une conti-nuation de l’intégration politique restent ouvertes.

Cette année-là, je pars à Paris pour un an d’études. Au début, je m’inscris à la vénérable Université de la Sorbonne dans le Quartier Latin, où je me plais beaucoup. J’habite au sixième étage dans une petite mansarde (<10m2) rue des Écoles, presque en face de l’Université. Mais le domaine d’étude choisi, la géologie historique, du point de vue professionnel, ne mènerait à rien selon moi et par conséquent je m’inscris à la Faculté des Sciences (Jussieu) en géologie appliquée. À l’École des mines, où je tente également de m’inscrire, on me dit de revenir quelques années plus tard pour écrire ma thèse de doctorat. Aussi, dois-je déménager à Neuilly, un faubourg « chic », où j’occupe une plus grande mansarde d’un bel im-meuble haussmannien, car la chambre dans la rue des Écoles est trop chère pour ma petite bourse.

Pour moi, prendre le chemin jusqu’à Paris pour y étudier, c’est tout à fait normal à l’époque, même si cela n’est pas nécessairement abordable pour tous les étudiants. Pourtant, Erasmus n’existe pas encore. A ce mo-ment-là, les jeunes Allemands se sentent attirés par la France. Pour nous, les mots « Liberté, Egalité, Fraternité » sont toujours magiques et nous ai-merions voir triompher cet idéal dans l’ensemble de la nouvelle Europe. La même ambition s’applique aux jeunes Polonais, que l’on peut égale-ment rencontrer ici et là à Paris, mais pour qui l’arrivée en France est beaucoup plus difficile. En outre, on peut voir un certain nombre d’étu-diants venant également d’autres pays voisins s’inscrire pour un ou deux ans aux universités de la Communauté des Six pour rentrer avec un certi-ficat supplémentaire. L’état d’esprit chez beaucoup de jeunes est déjà

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très favorable à l’idée européenne et c’est ainsi qu’ils circulent de plus en plus dans les pays européens voisins. Les institutions européennes et les organisations de service public, qui, ici et là, dominent maintenant de plus en plus le paysage public, contribuent énormément à ce que « l’Eu-rope » devienne peu à peu une réalité pour les citoyens. À Paris je ren-contre une jeune française d’origine antillaise, Annette Sopinor (pour moi Annie), qui, plus tard, deviendra ma femme - là encore, l’Europe se fait à la petite échelle des individus. C’est aussi comme cela qu’elle se fera.

Au mois de mai 1968 Paris bouillonne. La révolte étudiante (en France on l’appellera plus tard révolution) éclate et se répand en Europe comme un feu de paille ; encore un autre aspect de l’Europe. L’opinion des jeunes n’est pas seulement hostile à l’autorité avec l’aspiration à plus de liberté individuelle (plus tard on parlera aussi de « révolution sexuelle ») et contre la société de consommation, elle est aussi pro-européenne, pana-chée d’impatience – pour les étudiants et une partie du « reste » de la po-pulation, l’Europe avance beaucoup trop lentement(!). Cet épisode à Paris restera pour moi un très beau souvenir. Les gens sont accessibles et ou-verts à la nécessité d’un changement dans la société. Les structures sont trop sclérosées et l’image d’une « Grande Nation » que Charles de Gaulle voulait pour la France après la seconde guerre mondiale (et qui a sans doute alors facilité le nouveau départ de la France après l’occupation alle-mande) est une image qui ne signifie plus rien pour les étudiants aujour-d’hui. Le monde a changé pour la France autant que pour l’Europe. Les jeunes, notamment les étudiants, veulent une France - et pourquoi pas aussi une Europe - qui leur parlent. Ils demandent des politiciens dotés du courage de faire progresser la société vers une plus grande ouverture ... Il ne faut pas laisser passer cette occasion.

Malgré ces événements, je réussis mon examen en géologie appliquée à la Faculté des Sciences et j’obtiens ma « licence ». Sans ce certificat, j’au-rais bien sûr des difficultés pour obtenir l’extension de ma bourse.

1968 n’est pas seulement une année chaotique en France. En Allemagne, aux États-Unis et en Italie aussi des événements s’inspirent de l’esprit de mai à Paris. En même temps il souffle un vent frais à travers le bloc communiste soviétique qui trouve son expression concrète dans le Printemps de Prague. Chez beaucoup de gens, cela suscite un immense espoir et on commence à croire en un modèle de communisme à visage humain. Pendant un certain temps, il semble même que ce mouvement ait une chance de réussir. Mal-heureusement, en Union Soviétique c’est l’inflexible Leonid Brejnev qui tient les rênes du pouvoir et le printemps de Prague est étouffé en août de la même année par la puissance militaire soviétique. Heureusement, cette réac-tion ne se fait pas aussi brutalement qu’on aurait pu le craindre. En comparai-son avec la CE, qui est maintenant admirée par une majorité de pays, l’Union Soviétique ne veut pas apparaître trop violente. Malheureusement, Nikita Khrouchtchev n’est plus Secrétaire Général de l’URSS depuis 1964. Avec lui, cette tragédie ne serait peut-être pas arrivée. Il avait déjà entamé certaines réformes. Sous Leonid Brejnev, les structures politiques se sont à nouveau sclérosées et durcies. Néanmoins, la perspective d’une fin de la guerre froide gagne peu à peu du terrain, même si l’URSS envoie une fois encore des si-gnaux contraires. L’Union Européenne est devenue un partenaire pour l’URSS et il n’est donc plus possible que celle-ci ignore complètement ses préoccupa-tions. En outre, l’URSS n’est plus insensible à l’opinion publique domestique et internationale ou celle des « partenaires » (satellites).

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En avril 1968, Rudi Dutschke est victime d’une tentative d’assassinat à la-quelle il survit malgré de graves lésions cérébrales. C’est un homme très en-gagé. Il a consacré toute sa vie à la recherche d’un modèle entre commu-nisme à la soviétique et capitalisme américain. Beaucoup d’intellectuels le soutiennent, parmi lesquels l’ancien président de la République Fédérale d’Al-lemagne, Gustav Heinemann. Mais les pouvoirs politiques et économiques établis le combattent farouchement. Les médias, en particulier la presse d’Axel Springer avec son journal « Bild » Zeitung, le dénigrent également. On pourrait voir en Axel Springer la contrepartie allemande de Rupert Murdoch : esprit conservateur et mise en scène visant à plaire ou influencer l’opinion populaire pour s’en servir à des fins politiques.

Daniel Cohn-Bendit, qui en 1968 étudie à l’Université de Nanterre, près de Paris, a connu Rudi Dutschke. Il le rencontre quelques semaines avant la ten-tative d’assassinat à Berlin. Cet événement le motive pour stimuler les étu-diants de Nanterre sur le plan politique. Il y a certainement de la rage en lui contre le pouvoir qui a toléré les campagnes de haine à l’origine de cet atten-tat. Arrivent les événements de mai et Daniel Cohn-Bendit est expulsé de France en tant qu’instigateur présumé de la révolte. Le gouvernement fran-çais pense avoir ainsi joué un coup habile contre la « révolte étudiante ». A l’instar de Rudi Dutschke, Daniel Cohn-Bendit plaide en faveur d’un modèle politique et économique plus humain. Il n’est pas communiste. Plus tard, il s’engage pour l’écologie et en 1994 représentera les Verts au Parlement Eu-ropéen.

À l’automne 1968, je reprends mes études à l’Université Ludwig-Maximi-lien de Munich. Nous, c’est-à-dire Annie et moi, vivons à Schwabingen. À ce moment-là, Munich est une ville très conviviale pour les étudiants et en fait le quartier étudiant de Munich fait plus ou moins partie de Schwabin-gen. Avant les deux guerres mondiales, c’était le quartier bohème et ar-tistique de Munich. Par exemple, l’association le « Blauer Reiter » (Cava-lier bleu) des peintres expressionnistes y était installée. Dans les années 60 et 70, on n’y fait pas seulement ses études, mais on s’y amuse aussi. Il y a beaucoup de bars fréquentés par les étudiants où il fait bon boire et discuter. En plus il y a encore des garnisons américaines stationnées à Munich qui entretiennent des boîtes de nuit dans lesquelles jouent d’ex-cellents petits orchestres et où on peut encore danser sur des « slows » (si démodés en 2013). Je me souviens encore bien du « Birdland » visité principalement par les Afro-Américains dans la Kirchenstraße, dans le quartier Haidhausen de Munich. Il y règne une ambiance folle. En outre, la comédie musicale « Hair » est jouée alors à Munich, où vit Donna Sum-mer. En 1969, Annie et moi nous nous marions. Depuis 1970, nous pou-vons prendre « l’Eurotrain » pour aller de Munich à Paris et ainsi rester en contact avec nos familles respectives.

Ce train fait également les liaisons Paris – Hambourg et Hambourg – Mu-nich. Le trajet dure environ 5 heures. Quel exploit ! On peut apprécier les pay-sages, les villages, les villes et les châteaux au lieu de rester allongés toute la nuit sur d’inconfortables couchettes sans pouvoir fermer l’œil. Surtout en hi-ver, quand les routes sont souvent recouvertes de neige ou de verglas, c’est vraiment une bénédiction ! Heureusement, quasiment personne alors ne pense à privatiser le chemin de fer. Quelle bêtise ce serait ! Par la suite, on a poussé la recherche et le développement technologique dans le domaine du rail pour élaborer des systèmes techniquement très avancés et même pion-niers, grâce auxquels l’Europe occupe la position de leader mondial dans le domaine des trains rapides.

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La fusion des compagnies ferroviaires nationales dans une opération eu-ropéenne n’est pas tout à fait aussi facile que celle de la Poste ou des Tele-com. Ici il faut surmonter des résistances plus grandes chez les compagnies ferroviaires nationales et leur personnel. Etonnamment mais heureusement, les politiciens restent engagés et sont toujours attachés à l’idée que l’Europe doive devenir de plus en plus intéressant et bénéfique pour ses citoyens. Moins de bureaucratie et plus de proximité citoyenne. À la recherche d’autres symboles de l’unité de l’Europe, ils se servent maintenant quasiment intuiti-vement d’institutions ayant un impact quotidien sur la vie des citoyens. L’es-prit des pères fondateurs est toujours présent et n’a rien perdu de sa force. Ainsi les différends sont réglés par la persuasion mutuelle dans des discus-sions constructives et à la fin la bonne volonté gagne toujours. Les politiciens ont montré l’exemple pour le chemin de fer et les organisations concernées ont suivi cette voie.

Pour le chemin de fer il ne s’agit pas bien sûr seulement de transport de personnes, de lettres et de paquets, ou simplement d’établir de liaisons ferro-viaires entre des villes dans des pays différents, mais d’une réelle intégration des organismes nationaux. Par exemple, le personnel du secteur ferroviaire ne devrait pas être échangé à chaque frontière, mais rester jusqu’à la gare de destination si la distance depuis la gare de départ ne dépasse pas 1000 km. Pour le trajet Paris - Hambourg par exemple, ce serait parfaitement raison-nable, alors que ce serait plus difficile pour un Bordeaux - Berlin. Il serait bien sûr indispensable que le personnel puisse se faire comprendre dans deux ou trois langues. Il faudrait également construire un réseau d’hôtels ou d’au-berges pour le personnel. Les réseaux ferroviaires, les tensions caténaires et les fréquences AC doivent être standardisés, ou bien il faut développer des méthodes qui permettent aux locomotives électriques de s’adapter d’un sys-tème à l’autre sans devoir être remplacées. Heureusement, depuis plus de cent ans, l’envergure de la voie ferrée, c’est-à-dire la distance entre les rails, est normalisée à 1435 mm dans les États membres actuels de la CE. Il faudra probablement encore quelques années pour que le système fonctionne en douceur et qu’il n’existe plus de longs arrêts aux frontières. Mais le progrès technologique permet d’espérer que ces difficultés seront maîtrisées rapide-ment et que bientôt on aura un système ferroviaire européen bien réglé avec des horaires respectés et des trains à l’heure. Alors le voyage dans la Com-munauté Européenne avec le train IC ou le TGV sera un vrai plaisir ; les dis-tances seront plus courtes et les villes européennes se rapprocheront les unes des autres. Dans les salles d’attente on trouve partout des cartes du ré-seau ferroviaire européen et non seulement du réseau national. On voit im-médiatement que l’entreprise de service ferroviaire se conçoit comme un ser-vice transfrontalier et désormais les grands axes tels que Nantes - Berlin ou Stuttgart - Marseille ou encore Paris - Rome s’imprègnent dans les mémoires.

Il serait maintenant logique de réunir les compagnies aériennes natio-nales de la CE dans une seule compagnie, l’« EuroAir ». Si déjà il n’a pas été facile de rassembler toutes les entreprises ferroviaires nationales sous la même enseigne, il s’avère que cela est beaucoup plus difficile encore quand il s’agit des compagnies aériennes, malgré des difficultés techniques moindres. Rattacher ces compagnies aériennes nationales à une entreprise européenne va un peu trop loin pour la plupart des gouvernements de la CE. Air France, Alitalia, Lufthansa, KLM, Sabena, sont des symboles nationaux. Les nations n’y veulent donc pas (encore ?) renoncer, ce qui est extrêmement regret-table, car elles aiment encore se cacher derrière leurs propres priorités et ont parfois tendance à différer les décisions si un accord à court terme n’est pas possible. Pour ne pas avoir l’air trop rétrograde, on se met d’accord pour fon-

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der une nouvelle petite compagnie privée, « European Airlines », qui reprend certains itinéraires peu fréquentés à l’intérieur et en dehors de l’Europe. Comme les relations avec l’Union Soviétique se détendent lentement mais sû-rement, on autorise cette nouvelle compagnie aérienne « neutre » à desservir Berlin-Ouest depuis Paris, Rome, Amsterdam, Bruxelles, Hambourg, Francfort et Munich, au début une fois par semaine puis plus souvent. Après tout, cette compagnie embryonnaire est, au moins théoriquement, censée devenir la grande « EuroAir ». La réalisation de ce potentiel dépend cependant de ses fournisseurs de capital et de son habileté à profiter de la tendance aux entre-prises opérant à l’échelle européenne.

Les gens vivent tous ces changements positifs dans la CE comme quelque chose de tout à fait naturel et normal. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les politiciens leur ont promis de créer une Europe dotée des struc-tures nécessaires à son fonctionnement ? Grâce à toutes ces réalisations sur-venues ces dernières années, leur vie est grandement facilitée et ils se sentent chez eux partout dans l’Europe des six. Les nouvelles entreprises de service européennes fonctionnent bien, affichent des prix raisonnables et sont perçues comme proches de l’usager. Cela est dû en partie au fait que l’on a reconnu très tôt que, dans ces établissements, il faut réduire la bureaucratie à un strict minimum, si l’on souhaite que la clientèle soit satisfaite. En outre, on explique clairement aux employés qu’un traitement rapide, efficace et néanmoins sympathique donne une clientèle satisfaite et est par conséquent dans l’intérêt des employés eux-mêmes, qui désormais seront plus appréciés par les clients. Les citoyens perçoivent donc la CE comme non-bureaucratique et dévouée. L’idée européenne est en train de se concrétiser et cela fonc-tionne ! Bientôt, les pays voisins reconnaîtront clairement l’avantage de la Communauté Européenne et voudront la rejoindre dès que possible.

Même la presse, excepté au Royaume-Uni, est convaincue par l’idée euro-péenne et contribue avec ses articles à l’ancrer positivement dans l’opinion publique. Les représentants encore sceptiques de la presse sont invités à dé-battre avec politiciens et autres personnalités publiques pour mesurer leur scepticisme à l’aune de ce qui est déjà accompli et ce qui est prévu. La plu-part du temps, le résultat est plus que satisfaisant, et « L’Europe » gagne da-vantage de partisans. Seuls les irréductibles sceptiques ne sont pas convain-cus, mais comme ils se réduisent peu à peu à une toute petite minorité, ils ne représentent plus aucun danger pour la progression sur la voie de l’intégra-tion des Etats membres. Ils restent cependant une vigie, pour qu’aucune nou-velle étape ne soit franchie sans être bien considérée et bien préparée. Ces voix ne sont donc pas négligées. Seule la presse britannique, qui, depuis 1968-69, est le plus visiblement représentée par Rupert Murdoch, est de plus en plus hostile à l’Europe2.

Une étape supplémentaire dans la bonne direction serait maintenant d’expliquer aux élèves à un stade assez précoce et de façon vivante les avan-tages d’une Europe fédérale unie. Cela les rendrait plus tard moins sensibles à la démagogie nationaliste anti-eurpéenne. Plutôt que de glorifier les guerres et les victoires, l’enseignement de l’histoire devrait donner plus de poids à la description de la souffrance et de la pauvreté infligées aux peuples par les guerres continuelles qui ont ravagé l’Europe au cours des siècles et souligner

2 Je tiens à indiquer ici une contribution par Agnès Catherine Poirier - Télérama, N° 3211 - qui décrit très justement la presse Murdoch comme prédateur. Elle cite Sir David Hare, un dramaturge Britannique : « Murdoch est un thatchérien pur. Il a apporté en Grande-Bretagne un nationalisme très cru, à la fois martial, anti-européen et impérialiste. » Voir aussi : http ://www.telerama.fr/medias/la-presse-murdoch-l-empire-qui-pervertit-les-democraties,71512.php

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le potentiel de prospérité et de paix d’une Europe unie. C’est déjà pratique courante dans certaines écoles, mais beaucoup d’autres ne suivent pas cette tendance. La Communauté Européenne apportera des avantages non seule-ment économiques, mais aussi des valeurs morales et de tolérance, tels que l’affiliation à une culture dont personne n’est exclu, tout simplement parce qu’il ou elle : • appartient à une religion particulière, • se reconnait dans l’ho-mosexualité (sans toutefois manifester cette affiliation de façon envahissante en public, dans les deux cas), • a une certaine couleur de peau, • est une femme, • représente une tendance politique, • est particulièrement excellent à l’école ou trop timide, • a un handicap physique ou mental, • est pacifiste, etc. Cette culture se caractérise par la tolérance, tout en sachant se défendre contre l’intolérance agressive.

À ce stade, l’échange des élèves et des étudiants entre écoles et universi-tés dans les différents États membres s’intensifie et renforce la compréhen-sion mutuelle des différentes coutumes et cultures au sein de la CE. Le succès ne se fait pas attendre. De plus en plus de jeunes parlent une ou plusieurs autres langues européennes en plus de leurs langues maternelles, améliorant ainsi considérablement l’empathie pour leurs différents modes de vie respec-tifs. Les nationalismes politiques et culturels s’affaiblissent de plus en plus. Les néo-nazis en Allemagne et ailleurs n’ont guère de partisans et l’extré-misme de droite résiduel est en voie de disparition. L’expérience pratique et la participation de toutes les couches de la société à la création d’une grande communauté sont tellement probantes que ces tendances politiques antédilu-viennes n’ont plus aucune place dans la Communauté Européenne. En outre, il n’y a pratiquement pas de chômage pendant ces années précoces de la Communauté Européenne. En France, on parle des 30 années suivant la se-conde guerre mondiale comme des « Trente Glorieuses » grâce au plein em-ploi. Plus tard, après le premier choc pétrolier, des programmes sont rapide-ment mis en place pour procurer du travail aux gens qui perdent leur emploi à cause du ralentissement économique, y compris des programmes de forma-tion pour de nouvelles professions.

En même temps que la création de l’Eurotrain, le premier canal de télévi-sion européenne est créé en 1970. Pour l’instant, les téléspectateurs ne peuvent pas encore sélectionner leur langue par la télécommande (les langues diffusées sont l’allemand, le français, le néerlandais et l’italien). Ceci sera réservé à l’ère du numérique.

Aujourd’hui, ce ne sont donc plus seulement les élèves, les étudiants, les clients de l’Europoste et de l’Eurocom et les voyageurs qui sentent de près le souffle de l’Europe, mais aussi le peuple des nombreux téléspectateurs. L’Eu-rope entre dans la maison. Notamment, la chaîne de télévision européenne diffuse des programmes culturels qui montrent la vie, les coutumes et les tra-ditions « locales » des pays voisins. Mais aussi des informations, des discus-sions politiques, des contributions scientifiques et bien d’autres, y compris des spectacles de variétés, sont diffusés de part et d’autre des frontières na-tionales. Un contrôle de qualité sous supervision démocratique (afin qu’elle ne dégénère pas en agence de censure) permet de s’assurer qu’un niveau mi-nimum de culture, de vérité et d’éthique soit respecté par la télévision. Une couverture excessive de phénomènes sans importance ne sert pas l’éveil poli-tique et social qui serait le mandat des médias, bien au contraire. Bientôt sui-vront d’autres chaînes européennes spécialisées (actualités, économie, culture, sciences, sport, etc.). En outre, la réception aisée des chaînes de pays voisins en langue originale favoriserait la diffusion des langues étran-gères.

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On observe un débat animé quant à la place de la publicité à la télévision et à sa gestion pour éviter les coupures des programmes en cours. Déjà finan-cée par l’état, c’est-à-dire par les impôts, les chaînes nationales devraient se contenter d’aussi peu que possible de publicité. La publicité pour l’autofinan-cement des chaînes privées à venir sera autorisée, à condition de ne pas im-poser de coupures des programmes.

Comment l’Europe va-t-elle se développer ? Y aura-t-il d’autres acteurs de la vie publique, de l’économie et de l’industrie, qui suivront les exemples de la poste, des télécoms, du chemin de fer et de la télévision ? La politique peut-elle provoquer davantage de fusions d’entreprises nationales en entre-prises européennes ? Ce qui reste encore à exploiter pour la cause Euro-péenne, ce sont surtout les compagnies d’électricité et de l’eau. En effet, les compagnies d’approvisionnement en énergie elles-mêmes peuvent de moins en moins échapper à l’attraction de l’idée européenne et à l’influence des po-litiques pour faire de nouveaux pas en avant.

En 1971 survient une fusion entre les opérateurs des secteurs du gaz d’une part, et de l’électricité d’autre part. Au début, cette fusion est encore relativement libre, car les structures sont différentes selon les États membres. Si par exemple les producteurs d’électricité et les fournisseurs de gaz naturel en France sont encore publics, dans les autres pays il y a un mé-lange de modèles, où coexistent des firmes d’État, des entreprises privées et certaines compagnies semi-publiques. A la fin d’une longue évolution on s’ac-cordera sur un modèle semi-public. De nouvelles structures pour garantir aux clients un bon rapport qualité/prix de l’énergie seront développées : En connectant les compagnies d’électricité entre elles et en normalisant les in-frastructures et les équipements, on peut mettre en place des synergies pour réduire les coûts, d’où une baisse des prix pour le consommateur. Par ailleurs, la bureaucratie sera allégée, ce qui entraînera des économies supplémen-taires. Alors que l’économie de la CE fonctionne généralement très bien - la première crise pétrolière est encore devant nous - les ouvriers éventuelle-ment mis au chômage trouveraient rapidement un emploi ailleurs. Mais il n’y aura pas de licenciements parce que les agents seront nécessaires à la re-structuration, à la modernisation et à l’intégration des réseaux d’électricité et à la construction de gazoducs. En outre il faut que la proximité avec le client soit une priorité et pour cela on aura aussi besoin de collaborateurs motivés et non d’employés découragés par la perspective du chômage. Les compa-gnies d’électriques et de gaz vont d’abord continuer à utiliser leur logo d’ori-gine à côté du symbole européen. Au fil du temps l’intégration progressera jusqu’au point où seul le logo européen sera conservé. Les clients concevront bientôt leurs services publics, maintenant complètement axés sur les clients, comme une autre brique de la maison Europe.

Peu après, les utilitaires de l’eau suivront avec un modèle similaire. Cette fois-ci on prend le temps nécessaire pour mettre tranquillement l’intégration en œuvre. Dans de nombreuses régions, les compagnies d’eau sont munici-pales, d’autres sont privées, il y en a aussi des petites et indépendantes à cô-té des grands conglomérats avec leurs filiales et une fusion rapide ne serait pas possible. C’est pourquoi on se contente d’abord de mettre en place une fédération de compagnies. Celle-ci se présente sous un logo local et un logo européen parallèles. Toutefois, une entreprise véritablement européenne émergera peu à peu et pourra ensuite effectuer les investissements néces-saires à la modernisation de l’équipement d’approvisionnement d’eau fraîche et d’évacuation des eaux usées chez les consommateurs. Les services publics non seulement acheminent l’eau mais se chargent également des stations d’épuration. L’ayant expérimentée de façon positive avec les autres services

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et utilitaires européens, les usagers ne doutent pas que cette solution est la meilleure. Les syndicats et les employeurs de la branche sont d’accord sur le fait que le modèle ne peut fonctionner que si les deux parties vont dans la même direction. En collaboration avec le management, les syndicats tiennent à rendre le climat de travail aussi propice que possible et à faire en sorte que les conflits soient résolus par des accords mutuels.

Précisons toutefois qu’une éventuelle privatisation ou reprivatisation du secteur énergie et/ou eau ne peut pas être exclue à long terme, si, au fur et à mesure que la Communauté Européenne s’étend géographiquement, ces compagnies devaient devenir trop grandes et inefficaces. Cependant, il fau-drait alors formellement prouver et garantir que la privatisation se ferait au bénéfice des clients. Il n’est pas admissible qu’une entreprise utilitaire ou de service public, une fois privatisée, ne pense qu’à ses propres profits et aux di-videndes des actionnaires. Trop souvent, lors des privatisations de services publics, les citoyens se sont sentis trompés.

Pour mémoire, lors de la création d’entreprises de services ou d’utilitaires énergétiques ou de l’eau opérant à l’échelle de l’Europe, on n’aura générale-ment pas recours à l’étatisation. Lorsque les entreprises de services sont en-core nationales, ce qui est habituellement le cas, leur transformation en un organisme opérant à l’échelle européenne est relativement facile. On n’est pas confronté aux intérêts privés des actionnaires ou d’autres investisseurs, qui peuvent demander une indemnisation, exercer un droit de veto ou retar-der de façon quelconque le cours de l’histoire. Au-delà de la mise à l’échelle européenne de la poste, des télécoms, des compagnies de chemin de fer, de la télévision, de l’électricité et du gaz, on ne créera pas d’autres organisations à la dimension européenne, à l’exception d’institutions dans le secteur ban-caire et financier.

En effet, une étatisation de compagnies du secteur privé est hors de question. Comme déjà mentionné, les mesures prises jusqu’ici n’ont rien à voir avec une étatisation. Dans le cas où nous avons à faire avec un panier mixte d’entreprises d’état, d’entreprises privées ou même d’entreprises para-publiques, on préférera le modèle de société d’économie mixte pour le fonc-tionnement au niveau de la Communauté Européenne. Quand on veut créer un organisme à l’échelle européenne à partir de nombreuses petites et grandes entreprises, pour la plupart privées, on applique le modèle d’un grou-pement d’entreprises individuelles et indépendantes doté d’une administra-tion centrale.

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DEUXIEME PHASE : LA CREATION ET LE RENFORCEMENT DES INSTITUTIONS ET INSTALLATIONS EUROPEENNES

Préface : Les symboles créés se sont avérés efficaces. « L’Europe » est dorénavant bien plus qu’un terme géographique. Pour beaucoup de citoyens elle devient un second chez-soi ou une super-patrie. Il faut désormais intro-duire des cartes d’identité au niveau de la Communauté Européenne permet-tant aux résidents de s’identifier partout en tant que citoyens européens. Il faudra également créer des institutions leur permettant de participer directe-ment à la vie politique de la communauté et de la région où ils résident. Par ailleurs, il est également nécessaire d’unifier ou ajuster les procédures, les normes et les règles dans les secteurs de l’éducation, de l’économie, des fi-nances et de la défense pour les rendre plus efficaces au niveau européen.

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Maintenant que les principaux fournisseurs énergétiques et de l’eau ainsi que les services publics opèrent au niveau européen, les habitants des États membres se sentent de plus en plus chez eux dans leur Europe. Ainsi, la Communauté Européenne fonctionne bien, est proche des citoyens et gagne de la reconnaissance et du poids politique sur la scène mondiale. Partout les citoyens rencontrent des symboles européens et sentent la présence de cette Europe tant désirée. En même temps, ils n’éprouvent pas le besoin de s’ac-crocher à leurs nations, car pour le moment « l’Europe » ne s’ingère pas dans les affaires de compétence nationale comme la culture, la fiscalité ou l’éduca-tion. Dans aucun État membre la langue « nationale » ou le mode de vie n’est menacé. Au contraire, les régions telles que la Provence française, la Bavière allemande, la Toscane ou la Lombardie italiennes gagnent du poids dans le concert des nations qui sont maintenant unies dans une Europe commune. En revanche, les forces et les faiblesses des régions sont désormais plus visibles et une concurrence véritable, mais aussi conviviale, entre régions commence à prendre forme, qui ne peut être que bénéfique pour la compétitivité de cha-cune.

Nous voyons comment la libre circulation des personnes, des marchan-dises et des entreprises au sein de la Communauté Européenne ainsi que l’européanisation des grands services publics et des fournisseurs de l’énergie et de l’eau créent les bases d’une convergence de la puissance économique des différents états membres. L’Europe est vécue « en direct ». De plus en plus de citoyens désirent vraiment appartenir à cette Europe et ne plus se limiter à leur nationalité d’origine. Ils veulent posséder un vrai passeport européen et le demandent haut et fort. En 1972, le moment est enfin venu. Un Passeport Européen, qui ne mentionne plus la nationalité mais seulement l’appartenance à la Communauté Européenne, est délivré aux personnes qui en font la demande. Les titulaires de ce passeport payent leurs impôts et votent aux élections politiques là où ils ont leur première résidence (il est à prévoir que le problème des différents niveaux des taux d’imposition natio-naux sera résolu dans quelques années par la mise à niveau de la fiscalité dans toute la Communauté Européenne). Ce n’est qu’une conséquence lo-gique de la signature des Traités de Rome « pour jeter les bases d’une Union politique sans cesse plus étroite » entre les peuples Européens, anticipant le Traité de Schengen. Ceci permet également au titulaire de garder son identité nationale (dans le sens d’une identité culturelle) sans qu’elle figure sur son passeport. Avec le système actuel, un Allemand par exemple, qui, à un mo-ment donné, aurait décidé de vivre en France et voudrait se sentir chez lui,

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aurait à changer de nationalité, c’est-à-dire se faire naturaliser. Ainsi, il pour-rait prétendre être Français alors qu’il se sent toujours Allemand. Sa langue maternelle reste l’allemand et il a reçu son éducation générale en Allemagne. Il ne peut nier l’héritage de ce qui a été au Moyen Age et jusqu’à la fin du XIXe siècle un grand espace culturel, pas plus que celui de la seconde guerre mondiale, où, au nom du Troisième Reich se sont passées des atrocités qu’on aimerait plutôt oublier. Mais ma génération continue à porter ce fardeau et ne nie pas ce lourd héritage, même si nous sommes nés trop tard pour en être directement coupables. L’hypocrisie qu’impliquerait une naturalisation cesse-rait avec le Passeport Européen.

Ce passeport Européen aura alors l’avantage de permettre à son déten-teur de sortir des limites imposées par la nationalité, de se sentir plus libre spirituellement et intellectuellement et de pouvoir s’inspirer d’une multitude de cultures européennes pour s’enrichir en les assimilant. Il peut alors cultiver son jardin secret sans avoir le sentiment de trahir « son pays », car son pays est désormais l’Europe. Personnellement je serais immédiatement candidat pour un Passeport Européen, indépendant du pays de résidence. (En re-vanche, les enfants que j’aurai plus tard seront élevés la plupart du temps en France ou dans des pays francophones et seront français et fiers de l’être - du moins aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’alternative.)

La même année (1972) naît notre fils Sven ; je réussis mon doctorat à l’Université Maximilien de Munich et j’obtiens mon Passeport Européen avec lequel je pars fièrement en Ouganda avec ma petite famille. J’y vais en tant que géologue pour l’ancien Institut fédéral pour la recherche des sols à Hanovre (l’équivalent du BRGM français). Le pays est souvent appe-lé la Suisse africaine. Les Monts Rwenzori (5100 m) n’y sont pas pour rien, et le pays est situé à 1000-1500 mètres d’altitude, ce qui lui donne un cli-mat très agréable, ni trop chaud, ni trop humide. La population est extrê-mement hospitalière et d’une grande diversité ethnique. En particulier les Karamajong dans le nord du pays me font une grande impression. Leur fa-çon de vivre peut être comparée à celle des Massaï au Kenya – ils ont tou-jours été une tribu sûre d’elle-même et fière, même dans des circons-tances difficiles. Cependant, ils souffrent beaucoup de la dictature d’Idi Amin.

En Ouganda, où nous vivons à Kampala, la capitale du pays, je travaille comme géologue d’exploration pour les gisements de métaux non ferreux et suis souvent éloigné de chez moi et de ma famille de longues semaines pour des travaux de cartographie, d’échantillonnage géochimique ou d’analyse et description de carottes de forage. Souvent seule, Annie doit composer avec les tâches ménagères et son rôle de parent. Heureuse-ment, nous avons bientôt des amis africains, allemands et français, et ain-si nous nous acclimatons assez rapidement à la vie en Ouganda et pou-vons aussi partager nos expériences et les nouvelles informations sur la Communauté Européenne. Parmi nos amis africains nous comptons aussi la Princesse Elizabeth Bagaaya (connue aussi comme Princesse Elizabeth de Toro), une personne intéressante et courageuse, menant une vie agi-tée. Elle a été à plusieurs reprises Ambassadrice d’Ouganda à l’Organisa-tion des Nations Unies. Nous avons donc fréquemment de la visite et An-nie n’est pas seule avec Sven. Nous avons également une nounou très agréable, Ruth, qui s’attache rapidement à lui. Quand Miriam Makeba - beaucoup d’entre vous se souviennent certainement d’elle - vient à cette époque en Ouganda pour chanter, mais aussi pour être Ambassadrice de la population noire d’Afrique du Sud, nous faisons personnellement sa connaissance. C’est une femme dotée de beaucoup de charme et d’un

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grand charisme. Elle est surtout connue pour son Click Song (Pata Pata) et pour son engagement contre la politique d’apartheid d’Afrique du Sud. Elle porte encore ses nombreuses tresses avec des perles colorées.

À Kampala, l’Ouganda héberge une Université de renommée internatio-nale : l’Université de Makerere. Son origine remonte à 1922, année où elle a été fondée comme collège technique et en 1963 elle devient l’Université de l’Afrique de l’Est et propose des cours menant aux diplômes de l’Uni-versité de Londres. En 1970, l’Université devient indépendante. Il existe donc une intelligentsia très instruite en Ouganda, qui donne du fil à re-tordre au régime. Cette classe supérieure éduquée a une opinion sur ce qui se passe en Europe. Elle aspire à plus de démocratie et à plus d’unité en Afrique, et à la fin des conflits entre les Etats d’Afrique, qui sont des créations plus ou moins artificielles de l’ère coloniale. L’Europe est un mo-dèle vers lequel elle aimerait que l’Afrique évolue. Malheureusement, ce continent n’est pas encore mûr pour une unité politique malgré des dé-marches dans ce sens : dès 1963, certains États africains ont entrepris une première tentative à l’unification du continent, c’est-à-dire avec la création de l’OUA (Organisation de l’unité africaine).

Malheureusement, l’Ouganda subit le régime totalitaire d’Idi Amin et l’as-sistance technique que nous portons à l’Ouganda ne peut plus être mora-lement justifiée. Au bout d’un an, nous revenons à Munich.

Durant notre séjour en Ouganda, l’évolution de l’Europe avance à grands pas. En 1973 il est décidé que les partis politiques peuvent faire campagne pour le Parlement Européen pour 20 % de leurs candidats n’importe où dans la Communauté Européenne. Les citoyens peuvent donc voter partout pour les candidats de tous les pays membres (par exemple les citoyens belges peuvent voter pour les candidats italiens). Les autres candidats (80 %) sont élus par la région ou le pays pour lequel ils postulent. Le président du Parle-ment est élu par les députés par scrutin secret. En outre, un plan échelonné est adopté qui prévoit l’élection directe du président de la Commission à par-tir de 1981.

L’Europe des Six symbolise de plus en plus un modèle alternatif aux États-Unis d’Amérique. Le capitalisme libéral tel qu’il y est pratiqué n’a pas vraiment pris en Europe. Le modèle européen peut être qualifié d’ « économie sociale de marché », terme utilisé par l’ancien ministre allemand des affaires économiques Ludwig Erhard, bien que ce terme ne soit pas très nettement défini. La définition la plus adéquate est probablement celle de Walter Eucken (1891-1950) pour l’ordo libéralisme3.

3 http://www.wikiberal.org/wiki/Ordo-libéralisme : Le mot “ordo” exprime un projet de socié-té. Si le système économique doit être digne de l’homme, c’est-à-dire conforme à ses exi-gences morales de liberté, d’égalité et de stabilité et être efficace dans la satisfaction de ses besoins matériels, seul le régime de concurrence répond à cette double exigence. Ce-pendant, il ne se réalise pas de lui-même. Il ne se développe qu’à l’intérieur d’un cadre forgé et maintenu par l’État, au sein d’un ordre construit par la loi.

La pierre angulaire de cet ordre est la constitution économique (Wirtschaftsverfas-sung), incluse dans la constitution politique et affirmant que la réalisation de la concur-rence est le critère essentiel de toute mesure de politique économique. Après son appro-bation par le peuple dans le cadre de l’adoption de la constitution politique, la constitu-tion économique est complétée par les principes constituants (die konstituierenden Prin-zipien) élaborés par les spécialistes de l’économie et non plus par le peuple. Ces principes sont les suivants :

l’existence d’une monnaie stable (premier des principes constituants) ; le libre accès au marché ;

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L’économie sociale de marché est toutefois plus pragmatique et laisse à l’état le devoir d’assurer la justice sociale. Pour créer une économie sociale de marché, il ne s’agit certainement pas de créer un état providence absolu, qui s’occupe du citoyen du berceau à la tombe. Cela est hors de question pour tout système libre et démocratique. Mais l’économie sociale de marché est un système humain, basé sur l’initiative et la solidarité. Le travail est considéré comme ce qu’il est : le fondement d’une vie fructueuse et enrichissante. Les finances sont subordonnées au travail et à un esprit d’entreprise positif et non l’inverse. En outre, les finances doivent soutenir l’innovation quand elle en a besoin. À l’intérieur de ce modèle, un capitalisme bienveillant a toute sa place. Aucun progrès économique et social n’est possible sans stimulant ma-tériel. Cependant, la question se pose comment distinguer le stimulant maté-riel de la cupidité, de la logique du profit pour le profit.

Il faut pourtant noter ici, qu’économie sociale de marché et ordo libéra-lisme ne peuvent fonctionner qu’avec des finances publiques et une écono-mie assez saines. Cette approche ne peut pas tirer un pays d’une situation fi-nancière et économique désastreuse. Pour ce faire, les efforts sont d’une autre nature.

La Communauté Européenne se situe « idéologiquement » quelque part entre les Etats-Unis et l’Union Soviétique. Cette position lui permet de se pré-senter comme intermédiaire entre ces deux rivaux, rendant possible une amélioration sensible des relations politiques et économiques avec l’Union So-viétique. La Communauté Européenne est reconnue comme un partenaire à part entière de l’Union Soviétique et la guerre froide perd peu à peu son vi-sage glacial. Un espoir de détente et de rapprochement s’installe et les deux partenaires en profitent dans la mesure du possible, à la fois dans le domaine économique et dans le domaine humanitaire.

La CE est considérée comme une communauté laïque et tolérante envers toutes les religions. Sa « culture occidentale » ne se définit non seulement par le christianisme, mais aussi par la diversité de ses influences culturelles de-puis l’antiquité jusqu’aux temps modernes. Parmi ses membres la future Eu-rope devrait aussi réserver une place à la Turquie. Toutes les convictions reli-gieuses sont représentées, des plus religieux aux plus athées, ainsi que toutes les nuances entre les deux. Ce qui implique une grande tolérance de tous envers tous.

Pour la majorité des citoyens européens il importe probablement peu que Dieu soit protestant, catholique, orthodoxe, juif ou musulman. Dieu, s’il existe, n’a certainement pas choisi une de ces religions. D’ailleurs, on peut avoir des valeurs morales communes en dehors des religions. Une éducation absolument non-religieuse avec des normes morales sans préjugés peut avoir les mêmes effets qu’une éducation religieuse si ces normes visent à la coexis-tence des êtres humains dans une communauté heureuse. Toutefois, le mo-dèle communiste ayant échoué, on ne connaît aucun exemple de société vi-vant selon ces principes. En l’absence de tels exemples, il vaut toujours mieux vivre selon des préceptes religieux que de vivre sans préceptes du tout.

la propriété privée, conçue moins comme un droit que comme une exigence du système ;

la liberté des contrats et son corollaire, la pleine responsabilité civile et commer-ciale des entreprises ;

la stabilité de la politique économique, nécessaire au développement des investis-sements et à la prévision économique.

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Revenons à la Communauté Européenne : l’attirance qu’elle exerce main-tenant sur les pays européens non membres croît d’année en année. En jan-vier 1973, le Danemark et l’Irlande se joignent à la CE. Le Royaume-Uni reste pour l’instant en dehors parce qu’il n’accepte pas la perte de sa souveraineté nationale. C’est à cette époque également que le serpent monétaire euro-péen avec une limitation des variations des taux de change de 2,25 % par rapport à une monnaie repère (la Deutsche Mark) est mis en place ; c’est la première avancée vers une monnaie européenne. Malheureusement, l’Italie et la France quittent le système dès le début. Mais le projet demeure vivant, bien que certains pays ne soient pas encore prêts à franchir ce pas, qui né-cessite une coordination des politiques financières et budgétaires nationales. Ce n’est qu’en 1979 que tous les États membres sont prêts à faire des concessions importantes dans ce domaine. Beaucoup de persuasion, tant par la Commission Européenne que par certains gouvernements, a été néces-saire. Entre-temps, certains pays comme la France et l’Italie subissent des taux d’inflation élevés et réalisent que sans instances régulatrices cette infla-tion est difficile à maîtriser.

De 1974 à 1977, je suis avec la famille au Togo, où les choses se passent plus paisiblement qu’en Ouganda, bien que Étienne Gnassingbé Eyadéma ne soit pas non plus un dirigeant exemplaire. Basé à Lamakara, je tra-vaille dans le Nord pour l’exploration de l’uranium. Ma première fille, Tina, est née à Lomé en janvier 1976. La vie en Afrique est loin d’être en-nuyeuse - nous voyageons également dans d’autres pays d’Afrique, no-tamment au Kenya, au Ghana, au Bénin, au Nigeria, au Cameroun, etc. Bien sûr, il y a au début une certaine distance entre « Blancs européens » et « Noirs africains » ; mais cette distance diminue au fur et à mesure que l’on essaye de se comprendre mutuellement. Les gens sont très sympa-thiques, joyeux et très courageux, malgré une pauvreté souvent extrême. Les paysages sont fascinants et parfois menaçants (tempêtes, séche-resse, pluies torrentielles). La vie quotidienne est marquée par des soucis tels que les réserves d’eau potable (il n’y a pas d’eau courante dans les maisons de Lamakara), le maintien des contacts avec le Bureau principal à Lomé (il n’y a presque pas de téléphones dans les maisons et les liai-sons téléphoniques au bureau de poste sont souvent interrompues), l’ap-provisionnement pour le groupe d’exploration, etc. En ce qui concerne notre fils, il n’y a pas d’école maternelle dans Lamakara et les enfants de la région ne parlent souvent pas français. Nous inscrivons donc Sven à l’école primaire locale, même s’il est encore très jeune. Bientôt, il mé-lange l’allemand, le français et les langues locales telles que le Kotokoli. Je cesse de lui parler en allemand pour éviter trop de confusion. Annie maî-trise parfaitement et avec un grand sens de l’improvisation les problèmes dus à un environnement pas toujours confortable. Par exemple, à la nais-sance de Tina à Lomé, elle va à pied à l’hôpital pour accoucher, exacte-ment comme la plupart des Africaines quand elles ont la chance d’avoir un hôpital à proximité.

Nous pensons souvent à l’essor vertigineux de l’Europe vers une commu-nauté sans frontières et sans discrimination contre les minorités mais aus-si toujours plus vers une société de consommation, alors que le monde en Afrique semble s’être arrêté. Mais là aussi, les apparences sont trom-peuses, car il y a des tentatives pour rompre l’isolement. Malheureuse-ment, l’OUA a conservé le principe de non-ingérence dans les affaires in-térieures de ses membres. « Cela a conduit à ce que, face à de violents coups d’État militaires, des guerres civiles et des violations flagrantes des droits de l’homme, elle a agi comme simple observateur passif et a sou-

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vent été appelée ‘Club de dictateurs’ et ‘Tigre de papier’ »4 Néanmoins, l’idée européenne résonne aussi en Afrique occidentale et centrale. Enfin, les Unions Monétaires de l’Afrique occidentale et centrale ont, avec le franc CFA (franc des Colonies Françaises d’Afrique et plus tard franc de la Communauté Financière Africaine) comme unité monétaire commune des effets économiques positifs. Malheureusement, par manque de coordina-tion économique et financière dans les années 1980, elles n’ont survécu que grâce à une dévaluation radicale dans les années 1990. La relation des pays africains maintenue après leur accès à l’indépendance avec l’an-cienne puissance coloniale est encore trop forte pour qu’un mouvement panafricain, dont le but ultime serait une Fédération Africaine, puisse réussir.

Mi-1977 l’aventure africaine est terminée. J’ai attrapé une jaunisse et suis hospitalisé 3 mois en Allemagne. À cette époque, Annie reste avec nos enfants à Paris chez ses parents. A ma sortie de l’hôpital, on me conseille de ne plus retourner au Togo et je pars - seul - pour une mission de quelques mois aux Etats-Unis. Basé à Denver, je fais de l’exploration dans l’Idaho. Ce séjour aux Etats-Unis me donne l’occasion de connaître un peu le pays et les gens. Les paysages sont renversants : Yellowstone National Park, Grand Teton National Park, Colorado ! J’ai la chance de pouvoir par-courir avec mon pick-up et mon camping des endroits magnifiques.

J’admire chez les Américains la naïveté avec laquelle ils abordent les choses. Un Américain ne croit pas en l’échec. Si quelqu’un a tenté quelque chose sans réussir, c’est qu’il n’a tout simplement pas trouvé la bonne solution. Il faut donc l’essayer à nouveau, mais différemment. Même des résultats ou des preuves scientifiques ne les convainquent pas. J’ai vécu cette situation dans le contexte de l’exploration. Et parfois, avec un peu de chance, ils réussissent. Cela devient évidemment probléma-tique quand il s’agit de questions de l’environnement ou de changement climatique. Dans ce cas, il n’y a simplement rien à faire ; la majorité de la population ne croit tout simplement pas que l’activité humaine est à l’ori-gine de ce problème (je dis cela en 2013. En 1977, la question du change-ment climatique n’est pas encore d’actualité ; mais la mentalité améri-caine n’a pas changé depuis).

Le sujet de la Communauté Européenne n’est pas d’une grande actualité aux États-Unis. Les aspects « Facteur de paix » et bien sûr « Partenaire at-lantique » sont importants ; en revanche, la CE est aussi considérée comme une rivale économique, ce qui conduit à un soutien politique plu-tôt ambivalent. Cependant l’admiration du modèle européen est quand même perceptible, au moins chez les Américains « informés », car il faut admettre que beaucoup d’Américains n’ont qu’une idée vague de l’Eu-rope. Ils vivent dans leur propre monde et ont peu de contacts avec le continent d’origine de leurs ancêtres. L’« appropriation » de leur continent n’a certainement pas été chose facile et cela a bien sûr des conséquences durables. Vient s’y ajouter une rivalité supplémentaire : la Communauté Européenne est à craindre non seulement comme une concurrente écono-mique mais aussi comme une rivale au sens de modèle et mode de vie enviable. Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont été mondialement incontes-tés dans le rôle de modèle de réussite économique, géopolitique et mili-taire, ce pourquoi ils étaient ouvertement ou secrètement enviés de presque tous les pays du monde. Et subitement surgit un concurrent qui

4 http ://www.bpb.de/politik/hintergrund-aktuell/140209/zehn-jahre-afrikanische-union

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se pose lui aussi en modèle au monde, sinon au plan militaire, mais dans les sphères économiques, géopolitiques, sociales et culturelles.

Pendant ce temps, l’Europe fait de nouveaux progrès dans le domaine de l’éducation. En 1977, un accord est conclu pour coordonner le contenu des cours universitaires et d’autres écoles supérieures et l’équivalence des di-plômes dans toute la Communauté. Les frais d’inscription sont également en-cadrés. En même temps on commence à promouvoir la possibilité de faire des études successivement dans plusieurs pays de la CE. Cela facilite considéra-blement l’option pour les étudiants de passer d’un collège ou d’une université dans un État membre à un(e) autre. Parallèlement, cela favorise la reconnais-sance par tous les pays de la CE des diplômes obtenus dans chaque pays, qui sera finalement inscrite dans la législation de la CE. Cette étape est impor-tante parce que la mobilité de spécialistes bien formés dans tous les do-maines, qu’ils exercent en libéral ou dans des entreprises, est particulière-ment propice au maintien du niveau économique et technologique de la CE et évite la sclérose des structures sociales et de l’emploi. Suivra bientôt la re-connaissance des certificats de fin d’études d’autres formations profession-nelles dans toute la CE. En outre, les barrières à l’entrée dans certaines caté-gories professionnelles seront progressivement démantelées. En même temps sont créées dans toutes les régions des agences chargées de la sensi-bilisation des jeunes à l’offre dans les différents métiers et donc aux possibili-tés de carrières. Cela se fait avec la participation de représentants de l’indus-trie, des petites et moyennes entreprises, ainsi que des associations de pro-fessions libérales. En outre, la Belgique, la France et l’Italie adoptent le sys-tème d’apprentissage qui a fait ses preuves en Allemagne et qui n’a été aboli en France que dans les années 1960.

En 1978, l’Europe s’offre une politique de recherche qui vise à propulser la Communauté Européenne à l’avant-garde du monde de la recherche scienti-fique et de l’innovation. À côté de l’électronique, de l’informatique, de la phy-sique et de la chimie, la recherche médicale joue également un rôle impor-tant. Elle se déploie en particulier dans le domaine des maladies rares, qui sont négligées par les grandes firmes pharmaceutiques, et dans le domaine du cancer et des maladies du tiers-monde (comme on dit encore alors), telles que le paludisme, la fièvre typhoïde, etc. et la mise au point de nouveaux mé-dicaments. Le virus du SIDA n’est pas encore connu.

Enfin, le moment est arrivé : en 1979 les finances publiques (recettes et dépenses) dans les pays de la CE seront alignées sur un modèle selon lequel les pays doivent créer des réserves financières pendant les années d’opu-lence pour pouvoir les utiliser pendant les années maigres et ainsi éviter les récessions profondes. Cela signifie bien sûr que les systèmes fiscaux doivent être en grande partie unifiés/standardisés et qu’un organisme de réglementa-tion mandaté doit avoir son mot à dire dans la phase d’établissement des budgets nationaux. Son autorité doit être telle que les mesures proposées dans les pays concernés ne peuvent pas être ignorées ni même édulcorées. Outre une coordination globale des plans budgétaires nationaux est égale-ment mis en place un système de redistribution solidaire entre pays riches et pauvres, afin de permettre des investissements et donc une augmentation du niveau de vie dans les pays et les régions les plus pauvres, comme la Répu-blique fédérale d’Allemagne et d’autres pays au sein et en dehors de la CE le font déjà depuis quelque temps. De plus, une supervision bancaire améliorée est introduite en 1980 pour rendre les activités bancaires plus efficaces et les mettre davantage au service de l’économie. Les banques qui veulent gagner leur argent avec des transactions financières telles que les fusions, les acqui-sitions, le Forex trading spéculatif, les options, les dérivés et ainsi de suite,

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doivent faire usage de leur propre capital et mettre en place des réserves pour d’éventuels revers. Les banques dites « normales » doivent en premier lieu financer la croissance économique et prouver leur capacité de prise de risque en finançant des innovations (par exemple par un soutien financier à l’établissement de nouvelles entreprises et de start-ups) et aider les petites et moyennes entreprises à investir pour moderniser leurs parcs de machines ou percer sur de nouveaux marchés, etc. Pour cela les banques centrales natio-nales et, plus tard, la Banque Centrale Européenne (qui est encore à créer), mettront des crédits à taux abordables à la disposition des banques privées et municipales. Ces banques sont nécessaires à une économie sociale de marché, parce que sans elles l’économie ne pourra fonctionner. Bien sûr, elles doivent tirer profit de l’épargne de leurs clients, mais elles ne devraient pas risquer cette épargne sur des investissements spéculatifs. Il ne faut pas non plus oublier que l’activité des emprunts individuels, par exemple pour l’achat d’un bien immobilier, est importante et doit rester rentable. L’encadrement des taux d’intérêts de ces emprunts permettra d’éviter tout excès.

La supervision bancaire ne consiste pas seulement à regarder de près l’activité des banques, mais aussi à les aider par des conseils et une assis-tance quand des développements désavantageux ou même négatifs semblent menacer. Pour cela il faut une Commission constituée d’experts fi-nanciers capables de donner aux banques les instructions nécessaires pour naviguer en toute sécurité et éviter les zones dangereuses, généralement ap-pelées « Bulles ». Il est important de détecter ces bulles au moment où elles se forment et non lorsqu’elles sont sur le point d’éclater. Dans les premiers stades d’une bulle on peut encore la contrecarrer sans causer de gros dom-mages collatéraux. En d’autres termes, cette Commission doit fonctionner en tant que conscience des banques et leur permettre d’accomplir correctement leur tâche en faisant en sorte que l’économie soit toujours bien huilée et fonc-tionne aussi facilement que possible, même si cela ne conduit jamais à une croissance explosive, mais plutôt à une croissance modérée, constante et du-rable.

Bien entendu, tôt ou tard, les politiques économiques des États membres devront être coordonnées et aller vers une politique économique commune. Cela sera sans doute seulement possible après l’union des membres de la CE en une véritable Fédération.

Depuis 1978, ma famille et moi sommes au Canada, où l’exploration de l’uranium dans les provinces du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Bruns-wick, de Terre-Neuve, du Labrador et de la Nouvelle-Écosse est menée de-puis Montréal. Notre deuxième fille, Nancy, y est née en septembre 1981. Après l’Afrique, c’est une très différente expérience qui nous y attend. Nous venons de prendre deux mois de vacances à la Martinique, le pays des parents d’Annie, où la température était d’environ +30 degrés et arri-vons en janvier à Montréal, où il fait alors -30 degrés. Nous faisons presque demi-tour – tant ce climat nous paraît inhospitalier.

Néanmoins, le premier choc passé, nous découvrons que les Québécois sont un peuple très aimable, accueillant et sympathique. Nous nous inté-grons rapidement, prenons un appartement à Montréal dans la rue Lam-bert Closse, très près du centre Atwater (stade de Hockey). Nous nous créons rapidement un cercle d’amis, ce qui n’est pas très difficile au Qué-bec. La scolarisation de Sven et plus tard de Tina se passe sans aucune difficulté. Seulement, en hiver, le chemin de l’école n’est pas tout à fait sans problème. Même si les enfants prennent le bus scolaire, ils doivent

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être vêtus très chaudement, ce qui les fait ressembler à des astronautes dans leurs combinaisons spatiales.

Au début, nous pensons que Sven apprendra couramment l’anglais avec le français, le Canada étant un pays bilingue. Faux ! Notre espoir se brise rapidement. À l’époque, de 1976 à 1985, René Lévesque, un homme poli-tique sympathique, est premier ministre du Québec et sa politique vise à l’indépendance. L’une de ses mesures phares est l’interdiction de parler anglais dans les écoles, même dans les cours de récréation, sauf pendant les cours d’anglais. Tout enfant surpris en récréation à parler anglais re-çoit un avertissement. Nous nous sommes donc réjouis bien trop tôt. Bien que, pendant cette période, le Québec ne sorte pas de la Fédération cana-dienne, l’idée d’indépendance reste vivante au fil des années. Beaucoup de lecteurs se souviennent sûrement du « Vive le Québec libre! », les mots prononcés en 1967 par Charles de Gaulle à la fin d’un discours à Montréal. Les Québécois, eux, ne l’ont pas oublié.

Quant à moi, je suis souvent sur le terrain, "en brousse" en jargon de géo-logue. Loin de la maison, je fais de la prospection et de la cartographie géologique, planifie, surveille et analyse des forages carottés, analyse les profils géochimiques etc., tout en vivant sous la tente dans le Nord cana-dien loin de la "Civilisation". Les campagnes d’exploration prennent plu-sieurs mois en été et en hiver. Dans l’intervalle, le nord est difficile d’ac-cès, car le dégel au printemps ou le début du gel en automne rendent le sol et les lacs impraticables (en hiver les campagnes de forage sont me-nées sur la glace des lacs).

Annie doit à nouveau se débrouiller toute seule. Heureusement, au Cana-da, et notamment au Québec, il n’est pas compliqué de trouver un emploi. On se présente quelque part où l’on recherche des compétences spéci-fiques, et le lendemain ou parfois le jour même on est engagé. Par consé-quent, quand Annie cherche un emploi de physiothérapeute, elle le trouve presque immédiatement. En son absence, une nounou s’occupe des en-fants.

Pendant la période de transition, je suis à la maison, et nous explorons le Québec en voiture. En automne, au début d’octobre, pendant « l’été in-dien » on peut admirer la belle coloration rouge et jaune des forêts d’érable. Beaucoup de Québécois ont des chalets d’été et d’hiver dans les Laurentides, au nord de Montréal, et partent souvent en weekend prolon-gé « pour voir » les feuilles pendant cette période.

L’Est du Canada - et en particulier le Québec - rappelle beaucoup plus l’Europe que les États-Unis et en particulier le Midwest. Cela s’applique non seulement au paysage et à l’architecture des villes, mais aussi à la mentalité de la population, qu’elle soit anglophone ou francophone. Néan-moins, il faut constater que même là le développement de l’Europe n’est pas un thème particulièrement d’actualité. Les gens sont assez préoccu-pés par leurs propres affaires. Mais ils connaissent l’Europe mieux que les Américains et discuter de la Communauté Européenne peut trouver un écho. Le projet européen est universellement admiré, même si la connais-sance du sujet n’est pas très profonde. Aussi, il faut dire que la relation du Québec avec l’Europe, en dehors de la France, est relativement faible. Il cherche avant tout un appui culturel auprès de la France. Le reste du Ca-nada vit dans une étroite interdépendance économique avec les États-Unis.

Ce manque d’intérêt pour le développement en Europe, mais aussi pour une plus grande intégration des États de l’Amérique du Nord (l’accord de

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libre-échange entre le Canada et les États-Unis n’est signé qu’en 1987 et l’ALENA n’entre en vigueur qu’en 1994) nous désole dans une grande me-sure et nous nous demandons si le Canada peut véritablement être le bon endroit pour un deuxième chez-soi. Que ferons-nous si la situation écono-mique nous oblige à choisir entre rester définitivement au Canada ou re-venir en Europe ?Nous traversons également la frontière avec les États-Unis pour visiter le Maine et New York, malgré des formalités très rigoureuses. A New York, on nous sert un si bon et opulent repas dans un restaurant chinois de Greenwich Village que nous arrivons à peine à bouger. À part ces impres-sions culinaires, New York est aussi un trésor en matière d’arts plastiques, de peinture et de documentation du passé dans les grandes galeries et les musées. Broadway aussi nous impressionne énormément.

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TROISIÈME PHASE : ABOUTISSEMENT DU RÊVE

Préface : À ce stade, beaucoup a été accompli. Les « Européens » peuvent être satisfaits. Ils sont maintenant prêts à passer à l’étape suivante avec la formation d’une Union à caractère fédéral, dotée d’un système com-mun de monnaie, de retraites et d’une fiscalité uniforme. Il reste à définir le nombre de niveaux de cette Fédération et l’importance de chaque niveau : le gouvernement de l’Union, les gouvernements nationaux (ceux des États membres) et les gouvernements des régions (ceux des provinces comme la Bavière, la Provence, la Toscane, la Wallonie, etc..). La Communauté peut dé-sormais envisager plus sereinement l’extension à de nombreux membres sup-plémentaires. Néanmoins, au cours de sa future évolution elle sera certaine-ment confrontée au problème de l’héritage historique, à savoir comment l’Union doit-elle prendre en charge les obligations morales résultant • de la seconde guerre mondiale, comme par exemple le soutien à Israël pour « ré-parer » les crimes commis contre le peuple juif, • de la guerre d’Algérie, • de la traite négrière, etc. L’héritage européen à cet égard sera-t-il aussi repris par l’Union ? L’Europe sera-t-elle en mesure d’intégrer l’Islam comme une reli-gion européenne ?

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En 1981, le président de la Commission européenne est pour la première fois élu directement par les citoyens. Jacques Delors, Européen convaincu, qui renonce au poste de ministre français des finances, gagne cette élection. Cet événement est hautement symbolique : un signal clair est donné que, dans un avenir plus ou moins proche, la Fédération des Etats Européens aura un président élu au suffrage direct. Les pays candidats à l’adhésion à la CE doivent accepter cette idée s’ils veulent être admis, comme la Grèce, candi-date depuis quelques années, qui accepte cette perspective.

Toutefois, quelques faiblesses sont apparues lors de la vérification de la solidité de l’économie grecque et la Grèce a dû accepter pour deux ou trois ans une tutelle bienveillante de ses finances publiques et de sa politique fis-cale. La Grèce se sort trois ans plus tard de cette épreuve renforcée et en bonne santé. Avant tout, elle possède maintenant un système d’administra-tion de l’État qui fonctionne et avec lequel elle peut gouverner efficacement.

Au même moment Margaret Thatcher décide que la Grande-Bretagne ne doit pas adhérer à la Communauté Européenne. Pour le Royaume-Uni et sur-tout pour la presse, en particulier la presse Murdoch, les efforts d’intégration politique vont décidément trop loin. Contrairement à la presse d’Europe conti-nentale, elle se comporte d’une façon brutalement anti-européenne. Le Royaume-Uni craint pour son indépendance, ce qui est tout à fait compréhen-sible du point de vue de l’ancien Empire britannique et pour l’Europe c’est une grande chance, car la CE et les gouvernements des Etats membres peuvent désormais librement continuer à travailler sur l’intégration politique de l’espace de la CE. Soit dit en passant, on peut supposer que la Communau-té Européenne, dans le cas d’une décision différente de la Grande-Bretagne, aurait demandé à ce pays de garantir qu’il respecterait entièrement les ac-cords existants et prévus entre les États membres et se conformerait parfai-tement à l’esprit de la CE et de sa vision de l’avenir. En cas contraire, la Com-munauté aurait pu l’exclure.

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À présent, l’intégration des États dans la CE est si avancée qu’ils décident en 1982 de coordonner leurs budgets de défense et de réunir les organisa-tions de défense nationales en une armée européenne avec un service mili-taire obligatoire général d’un an. La perspective de l’abolition de la conscrip-tion et son remplacement par une armée professionnelle serait envisagée dans les dix à vingt prochaines années. Encore une fois, des synergies conduisent à une plus grande efficacité et à la réduction des coûts. La dépen-dance à l’égard du parapluie de défense américain est réduite et la défense européenne gagne en crédibilité dans le monde. Pour le secteur de la dé-fense, l’industrie des pays de la CE est maintenant mise à l’épreuve. Das-sault, MBB (Messerschmitt-Bölkow-Blohm), Fiat, Thyssen, Krauss-Maffei, Snec-ma, Herstal, etc., doivent non seulement s’adapter à un marché intérieur plus étendu, mais doivent aussi investir des sommes élevées en recherche et dé-veloppement (R & D) pour répondre aux exigences d’une armée moderne. Les grandes sociétés de ce secteur doivent coopérer davantage pour garder les coûts de ces activités de R & D dans des limites acceptables. Ces circons-tances rendent l’industrie de l’armement européenne plus concurrentielle au niveau international et la qualité de l’équipement lui permet de mieux choisir ses clients et notamment de ne pas livrer d’armes aux régimes totalitaires ou corrompus.

Le mouvement de la Communauté Européenne envers une véritable Union a pris un tel élan qu’en 1983 les États membres créent une banque centrale pour introduire une monnaie commune, l’Euro. Cette étape s’est aus-si avérée incontournable parce que les mécanismes de coordination des poli-tiques économiques, budgétaires et financières nationales ont commencé à être véritablement efficaces (après avoir réuni les conditions nécessaires au fil des années, une politique économique européenne s’est installée progres-sivement, presque imperceptiblement). Par conséquent, la population ac-cueille avec enthousiasme l’introduction de l’Euro, qui s’effectue facilement.

Bientôt les citoyens de la Communauté Européenne ne peuvent plus ima-giner une vie sans l’Euro. Voyager d’un pays de la CE à l’autre est devenu aussi naturel que circuler d’une province à l’autre au sein du même pays, sans se soucier des devises que l’on a dans son portemonnaie. Cela élimine également les pertes dues aux différences des taux de change entre devises. La nouvelle monnaie commune devient vite une telle évidence que l’on se de-mande comment on a pu se passer d’elle si longtemps sans elle et les voyages à l’intérieur de la CE augmentent ostensiblement. De plus en plus de citoyens européens vivant dans les régions « frontalières » au sein de la CE acceptent d’aller travailler de l’autre côté. De plus, les travailleurs même hau-tement qualifiés sont maintenant tentés de travailler quelques années, ou même de s’installer définitivement, dans un autre pays de la CE . Tout cela conduit à un nouveau rapprochement et à plus de compréhension entre les peuples de la Communauté Européenne.

La Banque Centrale Européenne se voit maintenant dans le rôle de gar-dienne de la stabilité des taux de change contre les autres devises, notam-ment le dollar américain, mais aussi les monnaies des pays européens qui veulent rejoindre la CE dans un avenir proche et qui ensuite adopteront l’Euro automatiquement. La raison en est que, avant leur entrée dans l’UE, les mon-naies de ces derniers ne doivent pas, pendant un certain temps, dévier d’un corridor de taux de change assez étroit. Ainsi, le Portugal et l’Espagne se sont engagés à stabiliser leurs monnaies entre 1983 et 1986 pour répondre à ce critère.

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L’Euro contribue à intensifier le commerce entre les États membres et en-gendre une reprise économique plus forte que prévu, ce qui a un impact posi-tif sur l’économie mondiale. Toutefois, en raison de la monnaie commune, les disparités entre les régions économiquement plus fortes et plus faibles res-sortent plus clairement qu’auparavant. La cause principale en est que les ré-gions périphériques n’ont pas seulement un désavantage lié à leur infrastruc-ture, mais sont aussi significativement moins industrialisées et donc moins compétitives que les régions plus centrales. Il est donc impératif de mettre des fonds à la disposition de ces régions pour en favoriser le développement. On crée donc un fonds de solidarité qui servira à compenser, autant que pos-sible, les disparités économiques entre les régions. Le système sera plus tard étendu aux nouveaux membres du Sud et de l’Est de la CE pour compenser l’écart économique existant avec les anciens pays membres.

Un Ministère des Finances de la CE serait maintenant souhaitable, mais pour cela il faudra patienter jusqu’à la création des États-Unis d’Europe (EUE). D’ici là, les ministres des finances nationaux doivent se coordonner entre eux et avec l’aide de la Commission. Néanmoins, en prévision de l’arrivée des EUE, les gouvernements se mettent d’accord pour aligner les systèmes de re-traites des États membres. En particulier, les formulaires de demande de re-traite par les futurs bénéficiaires ayant travaillé dans plusieurs États membres sont simplifiés. Grâce à une base de données centralisée, il est maintenant possible de remplir un seul formulaire de demande de retraite au dernier lieu de résidence. Des normes différentes pour les retraites dans différents États membres sont provisoirement admises, avec pour objectif une harmonisation complète d’ici vingt à trente ans.

Fin 1983 advient un accord sur la numérotation et le péage des auto-routes. Elles sont désormais numérotées E1, E2, E3, etc. Le A6, A13, etc. na-tional disparaît complètement. En outre, le péage est supprimé et transféré sur la taxe sur les véhicules (la vignette), ce qui augmente considérablement le degré d’utilité des autoroutes. En même temps, le réseau ferroviaire est élargi afin de faciliter le passage progressif de la route au rail pour le trans-port des marchandises.

La même année est constituée une équipe européenne de football, qui re-présente la CE au Mexique en 1986. Il est aussi envisagé d’envoyer des équipes européennes aux Jeux Olympiques de Los Angeles en 1984. Mais les délais sont trop courts et cela deviendra réalité seulement pour les jeux de Séoul en 1988.

Maintenant que le succès économique et politique de la Communauté Eu-ropéenne est incontestable, on voit s’exercer une pression migratoire consi-dérable sur les pays de la CE. En particulier des ressortissants du tiers-monde pour des raisons économiques, mais aussi humanitaires (venant par exemple des pays totalitaires) veulent émigrer dans la CE. Ceci conduit en 1984 à une politique d’immigration à l’échelle de la CE qui doit être suivie par tous les pays membres. Il s’agit là d’un mélange de sélectivité (sont prioritaires les personnes possédant une formation utile dans les pays de la CE) et de droit d’asile (ce droit sera bien sûr conservé, mais dans chaque cas les conditions sont examinées selon des normes strictes). Dans la pratique les choses sont cependant plus compliquées et des compromis sont nécessaires pour ne pas exposer les demandeurs d’asile à des procédures longues et pénibles. Mais sur le plan économique, la promotion de l’immigration sélective connait un grand succès. Malheureusement, cette immigration, bien que sélective, n’est pas acceptée par tous les citoyens de la CE. Ainsi on observe un certain re-

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nouveau de la droite radicale, même si cela se passe à un niveau assez faible et peut être géré.

En mars 1979, alors que nous sommes toujours au Canada, survient un accident dans la centrale nucléaire de Three Mile Island prés de Harris-burg (à l’ouest de New York City, au nord de Washington, D.C.) avec la fonte du cœur d’un réacteur. À partir de cet accident, un mouvement se développe bientôt en République fédérale d’Allemagne qui peut être résu-mé par le slogan « Atomkraft – Nein Danke » (énergie nucléaire - non mer-ci) et qui conduit progressivement à la résolution de l’abandon du nu-cléaire allemand. Dès lors, aucune nouvelle centrale nucléaire n’est plani-fiée en Allemagne. L’usine de retraitement de Wackersdorf n’est pas ter-minée et l’usine de combustible d’oxydes d’uranium-plutonium de Hanau (MOX) sera arrêtée plus tard. En 1982 commencera la construction de la dernière centrale prévue depuis longtemps, le réacteur nucléaire ISAR 2/OHU. L’industrie nucléaire se rend bientôt compte que la sécurité de l’ap-provisionnement en uranium n’est plus une priorité absolue. Par consé-quent, mon entreprise commence à progressivement diminuer ses activi-tés. Comme de coutume, la direction essaye de rassurer les employés et explique qu’il n’y a aucune raison de s’inquiéter : L’entreprise est forte et l’Allemagne a toujours besoin d’uranium pour ses réacteurs existants et en construction. Aussi, il y a lieu de supposer que l’opinion publique va bientôt changer. Ces tergiversations ne cachent pas la vérité et nous pré-parons donc un retour en Europe. Comme mentionné à la fin de la section « Deuxième phase », nous ne pouvons pas vraiment envisager de rester définitivement au Canada. Des progrès sociaux, politiques, économiques ont lieu en Europe et nous voulons en faire partie.

Pendant les quatre derniers mois, je suis en mission à Saskatoon (Saskat-chewan). Ma famille ne m’accompagne pas et retourne à Paris, où, après le séjour au Togo, nous avons acheté un appartement. Je vais maintenant faire aussi connaissance de l’ouest du Canada et vagabonde autour des grands lacs du Nord comme par exemple le grand lac de l’ours et le grand lac des esclaves, ainsi qu’à Yellow-Knife. La pêche y est un loisir très pri-sé. D’énormes brochets et des truites saumonées y sont si nombreux qu’il est facile d’en avoir un au bout de la ligne. La baignade dans une eau à peine au dessus de zéro demande un effort sur soi mais est aussi déli-cieuse. Un voyage à Vancouver et dans la vallée Frazer me fait connaître une ville en grande partie chinoise et une végétation à caractère presque tropical dans un microclimat relativement chaud où les températures ne descendent jamais en dessous de zéro.

En décembre 1983, je rejoins ma famille à Paris, où je me mets rapide-ment à la recherche d’un emploi, ce qui n’est pas si facile cette fois. Après quelques mois de chômage je trouve un emploi à l’Agence de l’énergie nucléaire de l’OCDE, où je suis responsable du secteur de l’offre et de la demande d’uranium et de la description de l’économie du recyclage du plutonium dans les réacteurs à eau pressurisée dans les pays de l’OCDE. J’obtiens un contrat de trois ans avec une prolongation de deux ans. Pen-dant ces années, je suis souvent à Vienne, où je travaille avec un collègue à un projet dans lequel les deux agences de l’énergie nucléaire, celle de Paris et l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique) de Vienne, sont impliquées. À cette époque, je fais aussi la connaissance avec Moha-med El Baradei, le futur secrétaire général de l’AIEA à Vienne. C’est le même homme qui en 2011/12 représente l’opposition égyptienne, d’abord contre Hosni Mubarak puis contre Mohamed Morsi. Pendant cette période

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à Paris je me réintègre en Europe et prends plus intensément conscience de la situation politique et économique de la Communauté Européenne.

Ces cinq années nous permettent de mener une vie un peu plus calme à Paris. Je commence à mieux connaître la France. Nous voyageons en Bourgogne, dans le Périgord, en Dordogne, en Alsace, dans le Massif Cen-tral, en Provence, en Côte d’Azur, en Bretagne, en Normandie et dans de nombreuses autres régions. La France est un pays magnifique, très varié et très beau. Paris est une ville harmonieuse et équilibrée sur le plan ar-chitectural, mais aussi animée et intéressante, où on ne s’ennuie jamais. Le trafic est un peu chaotique et dépasse la capacité de ses infrastruc-tures. Mais culturellement la ville fait des envieux partout dans le monde. Chaque musée est un joyau et il y a profusion de théâtres et de salles de concert. Je suis heureux de vivre ici avec ma famille et d’y avoir trouvé un deuxième chez moi.

Enfin, on y est : en 1985 les États de la CE s’unissent dans une Union fé-dérale : les Etats-Unis d’Europe ou EUE (United States of Europe - USE) sont nés et ainsi s’arrête une fois pour toutes la cacophonie dans la communauté des nations qui persistait encore ici et là. L’Union se dote d’une Constitution démocratique qui mérite son nom (et n’est pas seulement un traité, comme dans le passé). Elle est formulée à la manière de la « Constitution » des Etats-Unis d’Amérique, c’est-à-dire d’une façon courte et concise pour être com-prise par tous les citoyens de l’Union. Les modèles sont les constitutions des fédérations comme la Suisse, la République fédérale d’Allemagne et les USA. Cependant, la République fédérale d’Allemagne insiste sur la conservation du droit d’inclure les Länder de la RDA dans cette fédération, si l’occasion devait se présenter.

Le président européen est élu directement par les citoyens. Par ce scrutin direct, Jacques Delors devient président de l’Union pour cinq ans et est sus-ceptible de se présenter une seconde fois, la durée maximale du mandat d’un président étant limitée à dix ans. La Commission est abolie et remplacée par le Gouvernement des EUE. Le Parlement reste en fonction mais est investi de nouvelles compétences. Pour renouveler le Parlement et le Gouvernement il y a également des élections tous les cinq ans. Le passeport européen, l’Euro-pass, sans la mention de la « nationalité » ancienne devient standard. La na-tionalité générale est maintenant celle des EUE.

La création de cette fédération avec ses élections tous les cinq ans au ni-veau de l’Union a définitivement mis fin aux incertitudes liées aux élections nationales, qui ont parfois ralenti la progression vers une nouvelle entité poli-tique plus dynamique. La population est heureuse de ne plus avoir à suppor-ter ces moments de paralysie des institutions dus aux changements de poli-tique dans un état ou un autre.

Par ailleurs, au début de 1986, la société civile est renforcée par la mise en place au sein des EUE de la démocratie participative. La société civile ne fait pas partie du pouvoir politique, mais est consultée pour des questions im-portantes, qui peuvent considérablement affecter la vie dans l’Union (par exemple les relations des différentes communautés religieuses entre elles et avec l’état) ou les relations avec d’autres pays ou d’autres blocs économiques et militaires. Les questions de politique sociale, de santé, économique, inté-rieure, étrangère, de défense etc., seront traitées avec plus de proximité ci-toyenne, ce qui fait que l’Union est bien plus appréciée par ses citoyens, qui lui trouvent une place dans leurs cœurs. Les endroits où la démocratie partici-

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pative peut être exercée existent déjà : les mairies de grandes et petites villes et villages.5

Outre la création de ministères de l’intérieur, des relations étrangères, de l’économie, des affaires sociales et de la santé, il est aussi très important de créer un ministère des finances à l’échelon fédéral, puisque les États-Unis d’Europe ont maintenant leurs propres recettes fiscales et un budget propre. Ici, nous avons pour la première fois un instrument efficace pour utiliser les recettes et les dépenses « nationales » des États membres à des fins sensées et pérennes.

Une extension importante des EUE survient en 1986 avec l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. Candidats depuis plusieurs années, ces pays ont stabilisé leur monnaie à l’intérieur d’un corridor de taux de change prédéter-miné. Il est donc maintenant facile pour eux d’adopter l’Euro, et ils ont pro-gressé économiquement depuis l’annonce de leur candidature. Dès cette époque, quelques grandes entreprises avaient déjà investi au Portugal et en Espagne pour profiter de l’avantage des lieux (ces pays peuvent maintenir encore assez longtemps leur avantage de coût, et de politique économique, financière et sociale équilibrée).

Lors de la coupe du monde de football en 1986 au Mexique, l’équipe de football européenne fait bonne figure et remporte la troisième place, soule-vant l’enthousiasme dans l’Union.

Depuis que les EUE ont pris une forme concrète, ils veulent être acceptés comme membre permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies. En 1987, la France, en tant que membre convaincu des EUE, est heureusement disposée à céder sa place à l’Union Européenne. En un sens, c’est l’aboutisse-ment des efforts déployés pour donner un rôle de premier plan sur la scène internationale à l’Union Européenne et l’exprimer dignement.

En Union Soviétique, Michael Gorbatchev est Premier Secrétaire depuis 1985. L’évolution en Europe lui facilite la réforme du système soviétique. Il parvient à desserrer les rênes de la politique intérieure et en même temps à introduire des réformes habiles pour inciter les républiques soviétiques indivi-duelles à rester dans l’Union, à l’exception des républiques baltes, qui as-pirent depuis longtemps à l’indépendance. Les républiques du Caucase, de Géorgie, d’Azerbaïdjan et d’Arménie, ainsi que celles du Caucase du Nord comme le Daghestan, l’Ingouchie et la Tchétchénie, où des émeutes éclatent trop souvent, sont aussi candidates à l’indépendance. Toutefois, l’une ou l’autre des Républiques asiatiques doit aussi être considérée comme candidat chancelant. L’Union Soviétique est rebaptisée « Fédération Eurasienne ».

Les états satellites d’Europe centrale comme la Pologne, la RDA, la Tché-coslovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie sont libérés de l’étreinte soviétique et peuvent maintenant déterminer leur sort eux-mêmes. Il y a peu d’incidents ou de discordes et tout se passe tout à fait pacifiquement. Mais les dirigeants de la RDA perdent rapidement leur crédibilité auprès de la po-pulation, qui demande avec de plus en plus d’insistance l’ouverture des fron-tières à l’Ouest. Sous la pression de Gorbatchev, les frontières sont finale-ment ouvertes et le gouvernement est remanié. Le nouveau gouvernement entre immédiatement dans des négociations avec celui de la République Fé-dérale d’Allemagne pour préparer une réunification. Parallèlement à ces né-gociations, le gouvernement fédéral allemand consulte le gouvernement des

5 Un article à recommander sur la « démocratie participative » est disponible sur la page Web «Association européenne des enseignants» à l’adresse http ://www.aede.eu/fr/53_participative_dem.html.

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EUE et obtient l’assurance de son soutien pour cette unification dans des conditions optimales. Ainsi, en 1988, la République Démocratique Allemande rejoint simultanément les États-Unis d’Europe et la République Fédérale d’Al-lemagne.

En même temps, les Jeux Olympiques se tiennent à Séoul et les EUE en-voient pour la première fois leurs équipes à une Olympiade. Les équipes ont eu suffisamment de temps pour se préparer. Elles remportent des médailles dans presque toutes les épreuves et au total, les EUE émergent au quatrième rang. Une très bonne performance ! C’est un grand succès. Pour la première fois, l’Europe se présente aussi dans le domaine sportif comme une Union. Le sens de cohésion aux EUE ne cesse de croître et, lors de cette occasion, se transforme en un vif enthousiasme !

Nous vivons les conséquences économiques et politiques de la réunifica-tion allemande à Londres, où nous résidons depuis 1989. C’est là en effet que je me suis fait engager par une association privée dans le domaine du nucléaire civil, jusqu’à fin 1992. Nous vivons dans le quartier de South Kensington, le secteur « Français » de Londres, à proximité de l’Albert Hall et du Natural History Museum. Étant donné que l’intégration des États membres des EUE est déjà très bien avancée, la réunification de l’Alle-magne ne présente pas de menace pour les autres États – le Royaume-Uni compris - et elle se déroule donc sans problème. En particulier le gou-vernement des États-Unis, alors présidé par Ronald Reagan et ensuite Georges H.W. Bush, donne son soutien inconditionnel à ce tournant histo-rique.

Les trois années à Londres passent très vite, car nous ne menons pas une vie vraiment tranquille. Je voyage beaucoup en Europe, mais aussi en Asie et en Amérique du Nord. Partout où je vais en Asie : en Chine, au Japon, au Vietnam, en Inde, à Taiwan, en Thaïlande, je vois combien les repré-sentants des gouvernements et les citoyens ordinaires admirent le mo-dèle européen. Partout mon appartenance européenne suscite la sympa-thie. Jusqu’à présent, les pays de l’ASEAN n’ont pas réussi à construire un modèle qui fonctionne de façon similaire. Les cultures et les intérêts y sont peut-être aussi trop différents pour faire émerger une Union qui irait au delà de ce que dictent les intérêts économiques. Annie travaille dans une boutique de mode exclusive dirigée par une française à Knights-bridge, près du grand magasin Harrods. Les enfants vont au « Lycée Charles de Gaulle », un lycée français.

À Londres nous remarquons surtout l’énorme fossé entre riches et pauvres, mais aussi le rôle important de l’église anglicane dans le do-maine de la propriété foncière et immobilière ainsi que le rôle de la no-blesse, ancienne et nouvelle. La monarchie constitutionnelle a contribué à préserver beaucoup de vieilles structures. À part cela, Londres est natu-rellement une métropole extrêmement intéressante et dynamique. Notre fille cadette est amoureuse de Londres et plus tard elle y consacre une année Erasmus (6 mois). Comparée à Paris, Londres est beaucoup plus hétéroclite : au fil des siècles la ville a mis le nouveau à côté de l’ancien, pas toujours harmonieusement. Comme dans la plupart des grandes capi-tales, les disparités de revenus sont aussi visibles dans l’architecture des différents quartiers. Dans l’East-End vit une population qui n’est visible-ment pas gâtée par le sort. En même temps, des projets modernes ap-portent un changement bienvenu. Ce qui frappe, c’est la façon dont l’Em-pire Britannique est encore (démesurément) vivant en de nombreux en-droits de la ville. C’est un aspect que l’on retrouve d’ailleurs à Vienne, une

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ville qui, elle aussi, a été la capitale d’un grand empire et qui, un plus, a été un choix possible pour ma vie professionnelle avant d’aller à Londres.

Les activités du Royaume-Uni s’exercent à l’extérieur des États-Unis d’Eu-rope et le pays n’en tire de toute évidence aucun désavantage majeur, du moins pour l’instant. Il a néanmoins conclus une association partielle avec les EUE. La City de Londres est toujours un centre financier puissant, même si elle a vu diminuer son influence sur les places boursières européennes. Le pays n’a toujours pas créé les mécanismes et les institutions capables de frei-ner le monde de la finance et de le protéger de lui-même. La désindustrialisa-tion du pays progresse et sa dépendance à l’égard du secteur financier aug-mente. Au fur et à mesure que les réserves de pétrole et de gaz naturel dimi-nuent, le taux de chômage augmente presque imperceptiblement mais régu-lièrement au fil des années. Le Royaume-Uni va vers à un avenir incertain.

Après l’obtention du baccalauréat à Londres, notre fils décide de pour-suivre ses études à Paris et rentre en France. Deux années plus tard il rencontre des difficultés et a besoin de nous. Nous rentrons donc tous à Paris, où je réussis à subvenir à nos besoins (sans indemnisation de chô-mage, car j’ai quitté mon emploi à Londres « de mon plein gré ») en effec-tuant quelques missions en Afrique pour une des Agences Européenne jusqu’à ce que, début 1993, je trouve un emploi dans une autre associa-tion œuvrant pour l’industrie et basée à Paris, cette fois dans le domaine de la recherche et du développement industriel (R & D) comme « Secré-taire Général Adjoint ». Curieusement, après avoir cherché un poste pen-dant six mois, j’ai le choix entre ce poste et un autre dans l’industrie nu-cléaire. Cependant, la plupart des pays d’Europe tournent maintenant le dos à l’énergie nucléaire, car en 1986, un réacteur de la série RMBK-1000 à Tchernobyl en Ukraine a explosé et a causé de graves contaminations radioactives et de nombreux décès. Cela m’a découragé de continuer dans cette industrie alors que je peux choisir. Je décide donc d’accepter le poste de SGA. Cette association européenne correspond tout à fait à mes attentes en encourageant la coopération entre les entreprises euro-péennes dans le domaine de la R & D. Elle organise plusieurs tables rondes par mois ainsi que des groupes de travail et des conférences pour les représentants de différents secteurs de l’industrie. Ici je peux être Eu-ropéen à part entière. Nous avons bientôt de bonnes relations avec la Po-logne, la Hongrie, la Slovénie et la République Tchèque, et par consé-quent un certains nombre d’entreprises de ces pays deviennent membres de notre association. Ma famille est heureuse d’être de retour à Paris, et notre fils a retrouvé une vie structurée.

La réunification des deux États allemands met le thème de l’uniformisa-tion des retraites et des régimes fiscaux sur le devant de la scène, ce qui conduit le gouvernement et le Parlement de l’Union Européenne à s’occuper intensivement de ces sujets. On décide enfin qu’il faudra : - élaborer des pro-jets de loi pour régler ces questions avant 1993. Ces lois doivent être mises en œuvre et adoptées avant 1995 et ensuite progressivement mises en pra-tique en 1997 et 1998.

Après l’admission de l’Espagne et du Portugal, la question se pose de dé-terminer qui d’autre peut encore être admis. En 1989, une définition des li-mites extérieures ultimes des EUE est établie. Dans ce contexte, la définition de l’Europe n’est pas géographique mais basée sur la réalité politique, écono-mique, culturelle et militaire. Il est convenu que les États de l’Europe du Nord, Centrale et du Sud-est, y compris la Yougoslavie (ou les États issus de la dés-intégration de ce pays) et l’Albanie devraient avoir la possibilité de rejoindre

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l’Union. De plus, l’admission de la Turquie serait également possible si elle le souhaite, à condition que la stabilité politique et économique ainsi que les principes démocratiques soient respectés. La Turquie a l’ambition d’adopter un modèle économique et politique occidental et fait de grands progrès, y compris en matière de démocratie. Les relations amicales entre la Turquie et l’Union ont conduit à résoudre pacifiquement le problème de Chypre. Chypre est maintenant réunifiée avec un gouvernement chypriote neutre. Les Répu-bliques occidentales de la Fédération Eurasienne (ex-URSS), l’Ukraine et le Belarus restent de plein gré au sein de la Fédération Eurasienne.

Les années suivantes sont marquées par les efforts faits pour ramener les nouveaux Länder de la République fédérale d’Allemagne au niveau de vie des Länder de l’ex RFA, ce qui met à l’épreuve les possibilités financières, mais aura les résultats escomptés au bout de quelques années. On discutera aussi de ce à quoi la structure politique des États-Unis d’Europe devrait ressembler à l’avenir. Il est convenu que temporairement (jusqu’à 2010) elle devrait res-ter une structure à trois niveaux, où le niveau des États est subordonné au ni-veau fédéral et le niveau des régions subordonné au niveau des États. De nombreux champs de compétence, comme la défense, la fiscalité centrale (suivant un pourcentage fixe du total des recettes fiscales), une grande partie de la législation, une part encore à déterminer des dépenses de recherche et quelques autres compétences sont transférés des États au niveau fédéral. Les États retiennent des compétences presque illimitées au niveau de la justice (hormis les pouvoirs de la Cour Européenne de Justice à Luxembourg), des compétences partiellement limitées au niveau des recettes fiscales et du sys-tème éducatif et des compétences très limitées au niveau de la législation, de la promotion de la R & D et des sciences, de l’infrastructure, de l’industrie et similaires. Les États retiennent donc bon nombre de leurs compétences, ou au moins des parties de celles-ci. Cependant, ils sont en même temps dans l’obligation d’impliquer les régions dans les décisions nationales ou euro-péennes, ainsi que dans la mise en œuvre des décisions ou des lois et de par-venir à un consensus avec elles. Dans des cas spécifiques, qui doivent être définis avec précision, les régions peuvent être mises en minorité par les gou-vernements nationaux. Les États représentent le niveau intermédiaire entre le gouvernement fédéral et les régions, qui à leur tour gagnent en influence. Elles ont leurs propres recettes fiscales et politique de l’éducation (dans le cadre prédéterminé de l’Union) ; projets et financement de recherche ; poli-tique culturelle et planification urbaine, etc.

L’année 1995 voit se réaliser l’extension des EUE avec cinq nouveaux membres : l’Autriche, la Finlande, la Suède, la Norvège et la Turquie. Outre les trois premiers pays, qui remplissent les conditions d’adhésion depuis déjà quelque temps, la Turquie est candidate de longue date à l’adhésion à la EUE. Sa première demande remonte à l’année 1959. En 1963, elle a obtenu un ac-cord d’association. En 1990, alors que le pays est politiquement stable et se développe économiquement à grands pas, la Turquie devient candidat officiel et en 1995, elle rejoint enfin les EUE, avec les trois autres pays. Ce qui a sur-pris beaucoup de monde c’est que la Norvège, elle aussi, a posé sa candida-ture et qu’elle rejoint maintenant les EUE. Elle ne peut pas échapper plus longtemps à l’attraction de cette Union exemplaire, alors qu’elle pourrait continuer à se débrouiller pendant encore quelques décennies comme État in-dépendant grâce à son gaz naturel et à ses gisements de pétrole. Comme le calendrier des prochaines étapes de l’uniformisation des systèmes de fiscalité et des retraites dans les EUE était déjà connu avant l’adhésion des cinq nou-veaux membres et leur approbation était assurée, il n’y a maintenant aucune difficultés pour sa mise en œuvre.

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En 1996, les États-Unis d’Europe décident de construire une station sur la lune. Le premier module devrait être opérationnel en l’an 2002. Il s’agit d’un énorme défi scientifique, technologique et logistique, qu’il faudra maîtriser si l’on veut prouver au monde que l’Europe compte. Comme les dépenses de défense européenne sont relativement faibles, cet effort financier est considé-ré comme tout à fait supportable. En même temps on effectue de la re-cherche et du développement en vue d’une station spatiale géostationnaire, qui serait reliée à la terre par une « corde ». Il existe déjà des fibres synthé-tiques qui permettent d’espérer qu’un jour on arrivera à en créer qui puissent supporter un tel stress. Ces fibres doivent être suffisamment résistantes à la traction pour pouvoir au moins supporter la tension de leur propre poids sur la distance entre la station spatiale et la surface terrestre et un surplus prove-nant de la force centrifuge de la station spatiale elle-même. Avec la fibre déjà existante « Dynema » nous ne sommes plus excessivement loin de cette uto-pie. Peut-être pourra-t-on accomplir cela un jour avec la nanotechnologie et les nanotubes de carbone - mais cela sera seulement possible si les nano-tubes de carbone peuvent avoir une longueur suffisante pour pouvoir être tis-sés, ce dont nous sommes encore très loin.

Revenons au sujet plus prosaïque des régimes de pension nationaux par opposition à un régime européen. Comme mentionné ci-dessus, a partir de 1997, ces régimes seront progressivement uniformisés et centralisés au ni-veau européen, alors que les préparations pour ce changement sont en cours depuis 1983. En cela, les futurs retraités qui, au cours de leur vie active, ont travaillé dans divers États des EUE n’ont plus que des formalités très simpli-fiées à accomplir pour obtenir leur retraite là où ils résident. Comme aussi dé-jà mentionné, ceci est possible grâce à une base de données électronique centrale.

Aujourd’hui, nous vivons une époque où l’écart entre les riches et les pauvres se creuse chaque année davantage avec d’une part de plus en plus d’individus très riches et de l’autre côté de plus en plus de gens très pauvres, la classe moyenne diminuant constamment. Le Financial Times écrit réguliè-rement des articles sur ce sujet. Bien sûr les nantis et leurs familles vont in-vestir une partie de leur capital dans des biens de consommation ou durables, mais surtout dans les produits ou l’immobilier de luxe. L’effet de redistribution est donc extrêmement faible et il y a à nouveau la concentration de capital dans peu d’agents économiques, comme par exemple Louis Vuitton, Chanel ou les grandes agences immobilières très renommées, etc. Le reste de cette richesse inouïe est investi dans les marchés financiers ou d’autres cibles non productives.

Pour remédier à cette situation, le système fiscal sera radicalement re-pensé en 1998 et en même temps rendu aussi simple et compréhensible que possible. À quelque niveau que ce soit, les travailleurs peuvent maintenant s’attendre à des règles simples lorsqu’ils prennent un emploi hors de leur propre état à l’intérieur des EUE, et leur mobilité s’est donc considérablement améliorée. A son tour, ceci a un impact très positif sur l’économie des EUE. Le système d’impôt est progressif avec 10 niveaux de taxation jusqu’à un reve-nu de 2 million d’euros par ménage, où le taux de 70% à 80% est appliqué (tout ce qui dépasse 2 million d’Euro est imposé de 70 à 80 pour cent - les seuils exacts pour chaque tranche ainsi que le taux maximal d’imposition doivent évidement être compatible avec les faits économiques et suivre les taux d’inflation). La conséquence en est que la courbe des revenus se nivelle (les très hauts revenus deviennent plus rares et plus faibles parce qu’il ne vaut plus la peine de gagner tant d’argent, alors que les faibles revenus sont à peine imposés et les revenus moyens le sont modérément). L’ensemble de

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la population peut donc mieux participer à la vie économique et les écarts de revenus insensés, la norme aux Etats-Unis, deviennent de plus en plus l’ex-ception. Très peu de riches émigreront à cause de cela. La question se pose aussi : où aller ? Par exemple, pour les Top managers mégalomanes, plus grands que nature (mâles Alpha), la demande dans le monde est limitée. Il en va de même pour les « gros » banquiers et gestionnaires de fonds. Ils préci-pitent les banques au fond de l’abîme, ce que des banquiers plus normaux, en prenant moins de risques, ne seraient jamais capables de faire. Plus de « normalité » et moins d’excessivité devrait aussi devenir la règle dans d’autres secteurs de l’économie. Avons-nous besoin des « Superstars » ? Peut-être pouvons-nous opposer quelque chose de plus humain au dicton « l’argent gouverne le monde » ?

Enfin, en 1999, une Bourse Centrale Européenne est créée et basée à Pa-ris. Des règles éthiques, qui vont considérablement compliquer la spéculation et encourager les investissements à long terme, en particulier dans les jeunes entreprises à fort potentiel économique ou sociétal, seront imposées. Le sys-tème de soutien des startups est modifié : les jeunes entrepreneurs sont inci-tés à accompagner leurs sociétés dans leur croissance et à ne pas garder les yeux rivés sur la prochaine occasion de les vendre aussi rapidement et de manière aussi rentable que possible. La bourse doit redevenir la place finan-cière qu’elle était il y a longtemps : un endroit où les entreprises peuvent chercher des investisseurs fiables et pour le long terme. Ces investisseurs échangent leur argent contre des actions afin que les entrepreneurs puissent travailler et élargir leur rayon d’action, renouveler leurs machines, exploiter la recherche et le développement pour l’innovation, introduire de nouvelles mé-thodes de travail, etc. La bourse peut aussi rester un endroit où les créateurs d’entreprises peuvent se procurer le capital nécessaire à la création de leur affaire. Cependant, il serait peut-être préférable que ce rôle soit rempli par des banques spécialisées ayant plus d’expérience de l’évaluation du risque de l’investissement dans la création d’entreprises. Ces emprunts sont par la suite beaucoup plus faciles à rembourser que le capital des actions, qui peuvent prendre une valeur dix fois, cent fois, même mille fois supérieure à leur valeur initiale. Dans ces circonstances, l’entrepreneur n’a souvent pas d’autre choix que de vendre son entreprise lorsqu’elle commence à être ren-table.

Entretemps, certains pays d’Europe centrale, République Tchèque, Slova-quie, Hongrie, Pologne et Slovénie, sont depuis si longtemps candidats à l’adhésion aux EUE qu’en l’an 2000 il est temps pour eux de rejoindre les États-Unis d’Europe. Ces pays sont sans exception d’anciens États satellites de l’Union Soviétique ou de fragments de ceux-ci (voir la Slovénie, autrefois partie de la Yougoslavie), devenus indépendants. Mais ils ont tous fait des progrès économiques et démocratiques depuis leur libération de la tutelle so-viétique et leur entrée dans les EUE ne suscite pas la moindre difficulté. En particulier, le président tchèque Václav Havel facilite beaucoup l’intégration de son pays, et cela avec une grande sensibilité – après tout, c’est le Pré-sident philosophe, comme l’appellent ses compatriotes.

Notre association industrielle européenne pour la recherche et le dévelop-pement, pour laquelle je travaille encore, parvient à insuffler une confiance soutenue à ses membres et à leur conférer un sentiment d’ap-partenance à la famille européenne. Je me sens heureux d’exercer une profession qui est considérée par tous comme utile et productive et ser-vant la cause européenne.

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En octobre 2001 commence la guerre en Afghanistan contre les Talibans. Ceux-ci sont rapidement obligés de battre en retraite vers le Pakistan. Immé-diatement après la défaite des Talibans et sur le conseil insistant des EUE, des investissements massifs sont effectués dans le secteur agricole, dans cer-tains secteurs de l’industrie ayant un lien avec les traditions afghanes et dans des programmes d’emploi tels que l’infrastructure et le logement et dans la création d’une armée afghane efficiente. Les États-Unis d’Europe apportent leur contribution à ces initiatives. La population afghane est rapidement sé-duite par ce développement. Depuis l’époque de la domination soviétique, il existe heureusement une population instruite à Kaboul et les femmes en par-ticulier sont heureuses de retrouver leur liberté. Pour les populations rurales, des écoles et des hôpitaux sont établis partout. Aucune condition n’est posée à cette aide. Après trois ans, le pays est économiquement, militairement et mentalement à nouveau fort et en même temps résistant contre la propa-gande idéologique et religieuse des Talibans, et les militaires étrangers peuvent être retirés progressivement.

Le temps est maintenant venu de donner plus de poids aux régions des EUE. En 2001, une modification constitutionnelle est introduite, qui vise à transférer plus de compétences aux régions afin qu’elles puissent se faire mieux entendre dans l’Union. Cela concerne en particulier les politiques édu-catives, culturelles et industrielles. Dans ces domaines, les régions peuvent former des coalitions avec les régions dans le même État ou dans d’autres États de l’Union et adresser directement des propositions au gouvernement fédéral. Les décisions peuvent être prises à la majorité simple, les régions étant pondérées selon leurs populations. La responsabilité de la compensa-tion financière entre régions riches et pauvres est assumée directement par les régions. Pour cela, une institution est créée pour accomplir cette compen-sation financière selon des critères objectifs où toutes les régions sont repré-sentées par un expert chacune. Un rôle culturel particulier (capitales cultu-relles) est maintenant donné aux anciennes capitales nationales. En leur sein, une partie importante de la vie culturelle de la zone géographique et linguis-tique qu’elles représentent est maintenue, continuant ainsi à enrichir les langues « nationales ». Les arts non liés à la langue parlée y trouvent égale-ment un terrain aussi fertile qu’auparavant. En outre, ces grandes villes récla-meront leur suprématie économique traditionnelle dans la majorité des cas. Les régions ne deviennent pas seulement plus fortes sur le plan politique mais aussi sur le plan économique et leurs villes, grandes, moyennes et pe-tites, ont leur part dans cette évolution.

Étonnamment, après quelque temps, cette évolution a pour conséquence que certaines régions forment une coalition dans le but de créer des enclaves étendues à l’intérieur de leurs territoires où les personnes qui veulent trouver de nouvelles formes de vie, loin du monde industriel et financier, peuvent s’installer. Si ces personnes n’ont pas les moyens d’un nouveau départ, par exemple à cause d’un chômage prolongé, on les aidera matériellement pour ce nouveau départ. Si ce modèle fonctionne, le chômage peut devenir un phénomène en voie de disparition. Dans ces enclaves il n’y aurait, au moins pour un certain temps, pas de voitures et pas d’industrie. Tout se ferait à la main ou à l’aide de la force des chevaux ou d’autres animaux. Les Menno-nites (Amish) en Amérique du Nord prouvent que cela fonctionne aujourd’hui encore. De cette manière on créerait une soupape fantastique pour les chô-meurs de longue durée. Si l’économie se redresse, ceux qui le désirent peuvent retourner à la « Civilisation ». Dans deux ou trois régions, notam-ment en Auvergne en France et en Mecklembourg Poméranie-occidentale en Allemagne, ce modèle devient une réalité qui fonctionne. Elles reçoivent

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même l’afflux de gens venant de professions où il n’y a aucun problème de chômage. En même temps, il faut s’assurer que ce système ne devienne pas obligatoire pour les personnes sans emploi, car un retour au monde du travail est toujours possible au moins pendant la première et parfois même pour la seconde année de chômage. En revanche, étant donné que ce dispositif fonc-tionne, l’offre de main-d’œuvre est réduite à un point tel que la pression sur les salaires dans l’économie « réelle » se relâche et que les employés et ou-vriers peuvent à nouveau espérer de meilleurs salaires. Ce dernier aspect est d’autant plus important que beaucoup d’autres citoyens se sentent attirés par le modèle sociétal de ces régions. De cette façon, une société parallèle peut se former dans ces contrées et de nouvelles façons de vivre ensemble peuvent être inventées. A bien des égards s’ouvrent de multiples ouvertures pour l’influence mutuelle entre la société moderne et cette toute autre socié-té parallèle, beaucoup plus calme et plus équilibrée.

Un effet supplémentaire très positif du retour des régions est que même le pouvoir judiciaire est décentralisé, ce qui peut considérablement améliorer le système pénitentiaire. Nous savons tous que les prisons sont surpeuplées et les grands criminels, par manque de place et de personnel, y sont souvent mêlés avec des moindres délinquants dont certains y reçoivent en fait un en-trainement pour devenir des vrais criminels à leur tour.

Avec la décentralisation du pouvoir judiciaire et du système pénitentiaire, c’est-à-dire de l’exécution des peines, nous pouvons à nouveau revenir à une dimension plus humaine et mieux adapter le degré de la punition ainsi que le système carcéral au degré de l’infraction et au délinquant. Notamment, l’exé-cution de la peine pour les crimes de moindre importance peut inclure une ré-paration et une réconciliation avec les victimes, afin que les deux parties puissent avoir une opportunité de trouver la paix intérieure. Une législation locale est plus constructive par rapport à la justice étatique et offre une meilleure chance aux délinquants de se réintégrer dans la vie de la commu-nauté (locale). En d’autres termes, permet une meilleure réinsertion.

On peut aussi penser qu’en s’appuyant davantage sur des aspects locaux, on apportera plus d’humanité aux citoyens vivant en communauté. Par exemple, on ne laissera pas les vieillards mourir seuls dans des maisons de retraite ou dans les mouroirs des hôpitaux dans des conditions misérables. Peut-être pouvons-nous également nous distancer à nouveau de la compéti-tion extrême de tous contre tous et qui nous rend malades ? Au niveau régio-nal et local il y a moins de nécessité pour ce genre de compétition.

Comme prévu, le premier module de la station lunaire européenne est inauguré en juin 2002. Une grande fête pour l’Europe, qui a maintenant dé-montré au monde qu’elle peut non seulement participer au concert des puis-sances spatiales, mais aussi qu’elle est capable de jouer un rôle de premier plan.

En mars 2003, la troisième guerre du Golfe commence en Iraq. Les États-Unis et la Grande-Bretagne vaincront rapidement les forces iraquiennes et essayent ensuite de stabiliser la situation. Les EUE réussissent à convaincre les Etats-Unis d’Amérique et la Grande-Bretagne que cela ne peut réussir qu’avec un programme rapide et efficace de création massive d’em-plois pour la population. Cette fois aussi, les EUE apportent leur contribution à cet effort. En quelques mois, la population est convaincue que « l’occupa-tion » par les troupes étrangères ne durera pas longtemps et que le pays ira mieux qu’avant. Des négociations habiles avec les représentants des diffé-rentes tendances religieuses et des groupes tels que les Kurdes conduisent

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rapidement à un gouvernement de transition qui sera démocratiquement confirmé après deux ans.

Compte tenu de l’évolution de la situation des opérations des forces ar-mées européennes, n’ayant plus à intervenir dans des conflits régionaux ou même mondiaux, s’orientent vers la « gestion » de conflits locaux et on dé-cide en 2003 de remplacer le statut d’une armée de conscrits par le statut d’une armée professionnelle, abolissant une fois pour toutes la conscription dans les EUE.

Au cours des années suivantes, les pays baltes, Chypre avec les deux ré-gions à nouveau réunies et Malte (2004), la Croatie, la Macédoine, le Monté-négro, la Serbie et le Kosovo (2006), la Bulgarie, la Roumanie et l’Albanie (2008) rejoignent les États-Unis d’Europe. Comme les règles sont claires, ces adhésions se passent sans problème majeur, même si beaucoup reste à faire pour amener les nouveaux membres à un niveau économique comparable à celui des membres existants.

À présent l’Europe, en tant que Fédération, est complète, à l’exception de la Suisse, qui réfléchit également si son statut peut être maintenu sur la du-rée. Andorre et Monaco ne savent pas très bien comment se comporter. Le Liechtenstein va se joindre probablement au chemin que la Suisse va finale-ment prendre. Mais ici il ne s’agit déjà plus de questions très importantes pour l’Europe.

Après l’achèvement de la Fédération européenne en 2009, je viens d’avoir 65 ans et je pars à la retraite. L’ajustement des retraites aux nouvelles réalités des États-Unis d’Europe est une bénédiction pour moi. Je remplis un formulaire, le soumets trois mois avant de prendre ma retraite à Paris et reçois mes paiements de retraite trois mois plus tard. Seulement pour mes trois années à Londres, je dois remplir un formulaire supplémentaire, car ce pays n’est pas membre des EUE ; mais les Britanniques sont très pragmatiques et non-bureaucratiques dans cette affaire. Même dans ce cas je reçois ma retraite à temps.

L’année suivante, je travaille comme bénévole pour une organisation de jeunesse à Paris. Cet organisme a également un caractère européen. Il a des branches dans presque toutes les régions de France, tout en faisant lui-même partie d’une organisation européenne, qui, à son tour fait partie d’une organisation mondiale. Elle œuvre pour réveiller chez des jeunes élèves et étudiants l’intérêt pour l’esprit d’entreprise, en leur enseignant les pratiques de création d’entreprises. En outre, elle fait la promotion des professions d’ingénieurs et de scientifiques en soulignant leur potentiel. Mon enthousiasme pour l’Europe trouve encore une fois une application pratique.

On mentionnera ici en passant qu’entre 2007 et 2008 une crise bancaire se produit aux USA et au Royaume-Uni, déclenchée par les prêts immobiliers accordés sans vrai contrôle et leur présentation sous forme de produits déri-vés. En Europe, les répercussions de la crise financière américaine et britan-nique, se limitent à une légère baisse des exportations vers les Etats-Unis d’Amérique, qui seront d’ailleurs en partie compensées par les exportations vers l’Asie. La règlementation des activités bancaires en Europe épargne aux banques européennes « normales » la participation à la course aux prêts ban-caires pour l’acquisition de biens immobiliers. En même temps, l’achat de produits dérivés par les institutions financières (banques d’investissements, etc.) diminue tellement en Europe, que là aussi, aucun mal n’est fait. La pru-dente gestion budgétaire évite également aux États membres de l’Union Eu-ropéenne une augmentation drastique de la dette publique.

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L’Europe en tant que Fédération doit maintenant faire face à quelques questions sensibles : si aujourd’hui il y a enfin une identité européenne à côté ou peut-être même au dessus de l’identité nationale ou régionale, comment faut-il alors considérer les devoirs moraux découlant des divers événements historiques pour l’Allemagne, la France et quelques autres pays ? Je songe par exemple à la Seconde Guerre Mondiale et aux atrocités dont les peuples juifs d’Europe ont souffert. Il en résulte une obligation de l’Allemagne envers le peuple juif et Israël. Est-ce que les États-Unis d’Europe peuvent et veulent prendre cette obligation à leur compte ? Est-il même souhaitable que cela se passe ainsi ? Du point de vue renforcement de l’unité européenne, il faudrait répondre par l’affirmative. En fin de compte, cette guerre fait partie de l’his-toire européenne. Israël se réjouirait de cette solidarité. Dans ce cas, les Euro-péens devront avoir préparé une explication justifiant cette assistance face au monde arabe, ce qui ne sera pas facile. Politiquement parlant, cette ap-proche est donc tout sauf facile et peut éventuellement ne pas fonctionner. Mais il vaudrait quand même la peine de l’essayer. J’ai d’ailleurs visité les camps d’extermination à Auschwitz en tant qu’étudiant quand, en 1966, j’ai séjourné une dizaine de jours à Cracovie. Cette visite en Pologne avait été or-ganisée dans le contexte de la réconciliation polono-allemande et parrainée par l’église évangélique de Berlin. Je ne décrirai pas ici les impressions que j’ai rapportées de ces lieux, mais je peux vous assurer qu’en sortant de là on n’est plus la même personne.

Il faudrait peut-être aussi poser la question de savoir si l’Holocauste peut vraiment être réduit aux relations de l’Allemagne hitlérienne au judaïsme. À mon avis, la question est plus vaste : comment était-il possible qu’une partie de l’humanité soit capable d’infliger de telles souffrances à une autre ? Ou en-core plus généralement : Jusqu’où peuvent aller des gens comme vous et moi pour faire subir à autrui des atrocités si l’organisation de l’état nous y pousse ? N’existe-t-il pas de limites ? Après tout, pendant le dernier Empire allemand (sous Bismarck), les juifs étaient des concitoyens ordinaires. C’étaient des Allemands de confession judaïque comme d’autres étaient des allemands catholiques ou protestants. Qu’était-il donc arrivé pour qu’une telle chose devienne possible ?

Il y a aussi la guerre d’Algérie, qui a laissée ses traces dans la mémoire des Français et des Algériens et dont il faudra s’occuper des répercussions. Si la Fédération Européenne reconnaissait cet épisode comme un épisode euro-péen et acceptait d’assumer les obligations qui en découlent, cela conduirait sûrement à une amélioration substantielle des relations entre l’État membre des EUE, qu’est la France, et l’Algérie, d’un côté et entre les EUE et l’Algérie de l’autre. Étant donné que cette question est moins complexe et moins dé-terminante pour le destin de l’Europe que la question précédente et que les avantages d’une solution européenne sont évidents, les EUE devraient prendre ce problème en main et faire un pas et un geste vers l’Algérie.

Concernant la France, se pose encore une question tout à fait différente : ce pays a encore des possessions extra-européennes, qui sont appelées dé-partements et territoires d’outre-mer. Sont-ils maintenant automatiquement des départements ou des territoires des EUE ? Comment seront-ils adminis-trés ?

Pour rester en France, il y a un problème particulièrement épineux : Que va devenir la Force de Frappe Nucléaire Française ? Dans une véritable Union Fédérale, cette capacité de réponse nucléaire à une attaque nucléaire doit être transférée au gouvernement de l’Union. Il est douteux que cela se pro-duise ! Faudra-t-il donc se défaire de cet instrument de dissuasion ?

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Reste la question de la traite négrière. Plusieurs pays y ont participé, même la Suède. Si l’Europe dans son ensemble s’engageait pour assumer les obligations découlant de l’histoire de la traite des esclaves, l’opinion publique mondiale en serait satisfaite et dirait le plus grand bien des EUE. Les popula-tions de couleur dans tous les continents du monde recevraient enfin recon-naissance et compassion pour les souffrances passées.

Et comment devrait-on traiter la question des Roms ? Une solution pos-sible sur une période étendue, disons quinze ou vingt ans, serait peut-être le processus de citoyenneté européenne avec résidence fixe, scolarisation des enfants et l’ouverture du marché du travail pour ces populations hétérogènes en Europe. Reste à savoir si elles le veulent. Il y aura certainement quelques résistances chez certains groupes de population, qui devront être surmon-tées. Il faudra une politique positive et décisive pour convaincre les Roms qu’il s’agit ici d’un développement raisonnable et mutuellement satisfaisant. En outre, la population dénommée Roma se compose de différents groupes, dont certains sont déjà sédentarisés et bien intégrés depuis quelque temps, d’autres sont appelés « gens du voyage » et d’autres encore représentent le groupe des nouveaux arrivants principalement de Roumanie, qui n’avaient pas encore le temps et le soutien administratif pour pouvoir s’intégrer. L’Eu-rope a résolu d’autres problèmes difficiles et elle a montré à maintes reprises qu’elle est capable d’agir. Elle résoudra aussi ce problème en se référant consciemment à un patrimoine multiculturel.

Il y a encore un certain nombre d’autres questions de cette nature, mais je voudrais me limiter à une dernière : le problème de l’intégration de l’Islam dans la société européenne. Le 1er janvier 2011, la population de l’Union euro-péenne est estimée à 502,5 millions (plus d’un demi-milliard) dont environ 6 % sont musulmans (30 millions de personnes). Cette proportion de la popula-tion totale va continuer à augmenter pour se stabiliser peut-être à l’horizon 2050 aux environs de 10 %. Nous ne pourrons pas faire autrement que de considérer l’Islam comme une religion parmi d’autres en Europe. En retour, les musulmans devraient considérer de se soumettre aux mêmes règles telles qu’elles sont observées par les autres confessions en Europe. Ce serait proba-blement une mesure constructive d’accorder à l’Islam le même financement que par exemple, l’Allemagne du temps de son existence en tant que pays, avait accordé aux églises catholique et protestante : Les croyants déclarés payaient des impôts confessionnels et les « églises » sont financées par cette taxe. Les musulmans déclarés paieraient alors un impôt confessionnel et leurs mosquées et les imams seraient alors également financés par l’état. Ainsi, nous avons l’égalité absolue de toutes les religions officielles en Europe et une coexistence pacifique et constructive.

Malheureusement, la réalité est différente, et très préoccupante. L’Islam à l’extérieur de l’Europe se radicalise de plus en plus, alors même qu’il ne connaissait pas une telle radicalisation il y a seulement quelques décennies. Dans les siècles passés, il était même considéré comme un modèle de tolé-rance. Au Moyen-Orient, au début de l’époque médiévale en Europe, les connaissances scientifiques des Grecs de l’antiquité ont été adoptées par les philosophes arabes (traduction des œuvres d’Aristote et d’autres en arabe) et développées. On pourrait presque dire que le Moyen-Orient avait son siècle des lumières avant leur propre Moyen Âge. Le Siècle des lumières européen ne serait pas arrivé sans fécondation par le monde arabe. Aujourd’hui, la so-ciété occidentale aurait beaucoup à apprendre du système bancaire tel qu’il est religieusement et légalement encadré dans les pays arabes ! La re-cherche du profit excessif de l’Occident ne trouve tout simplement pas de ter-rain fertile au sein du système bancaire musulman. Malheureusement il y a

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eu, dans la sphère d’influence de l’Islam, une contre-réaction au nom de la re-ligion pure et les considérables progrès réalisés ont été anéantis. Il est difficile d’imaginer qu’un mouvement des lumières se développe dans un proche ave-nir dans les pays islamiques arabes. Le printemps arabe a montré la puis-sance des forces conservatrices dans ces régions. Même une « révolution » n’a pas pu les écarter. Qu’un jour l’influence de l’extérieur aidera la moderni-té à s’installer dans ces pays reste toujours incertain. Pourtant, nous l’espé-rons.

On observe cependant des lueurs d’espoir dans l’histoire plus récente, en particulier en Europe : alors que dans divers endroits d’Europe les mosquées sont toujours construites selon le modèle traditionnel, il existe des exemples d’architecture moderne de mosquées, comme par exemple à Penzberg en Ba-vière6. On voit donc que cela est tout à fait possible. Enfin, il n’est écrit nulle part qu’une mosquée doive avoir un minaret ou un dôme, il suffit qu’elle soit orientée vers la Mecque. De cette façon, la construction de la mosquée mo-derne rejoint la construction des églises modernes en Europe. Ces change-ments novateurs permettent l’espoir de l’émergence d’une religion islamique moderne, au moins en Europe. En fin de compte, l’architecture d’une église ou d’une mosquée est le reflet de l’esprit et de la tolérance des fidèles. Un autre exemple, très réussi, au moins dans la conception, est le design de la mosquée de Cannes (la Bocca) dans le sud de la France, dont le début du pro-jet date de l’année 2006 et qui aurait dû ouvrir à la fin de 20127. Le projet de la mosquée d’Aarhus au Danemark relève également d’un design très mo-derne8. Si Oscar Niemeyer, l’architecte brésilien qui a conçu la ville de Brasilia dans une très large mesure, vivait encore et pouvait créer (il est mort juste à la fin 2012, cinq jours avant son 105ème anniversaire et avait travaillé jusqu’à son 100èmème anniversaire), on aurait pu lui confier le projet de la construc-tion d’une mosquée. Il aurait certainement créé quelque chose d’admirable et en même temps léger et gracieux – à l’instar de la légèreté et de la grâce de certaines mosquées traditionnelles en Azerbaïdjan, au Tadjikistan, etc. Les ci-toyens musulmans en Europe auraient été fiers de cette œuvre.

En dehors de ces lueurs d’espoir, une grande tristesse peut s’empare de l’observateur quand il voit comment les efforts de paix dans l’Union Euro-péenne pourraient être anéantis par des forces obscures qui sont désormais partout à l’œuvre et qui instrumentalisent cette religion. Ne suffit-il pas que l’on doive surmonter une grave crise financière ? Cet autre conflit menace au-jourd’hui notre société. Ces forces pourraient-elles nous renvoyer des cen-taines d’années en arrière jusqu’au moyen-âge ? Il faudra impérativement faire appel aux forces modérées de l’Islam en Europe : « Faites entendre votre voix au-delà des frontières de l’Europe ». Seul un monde en paix peut garantir « la prospérité » et le « bien-être » spirituel et matériel.

On peut penser que l’angélisme des Américains dans leur manière d’abor-der les conflits mondiaux ou régionaux et l’impérialisme des sociétés améri-caines soient pour quelque chose dans le rejet de l’influence « occidentale » par les pays arabes ; mais les raisons véritables sont plus profondes.

Aux yeux de Hassan al-Bannâ, le fondateur de l’association des Frères Mu-sulmans, qui de 1906 à 1949 a œuvré en Égypte, la colonisation de la Médi-terranée arabe par des puissances européennes a été un désastre, parce qu’elle a détruit la foi, sa profondeur et sa suprématie absolue dans la vie pu-

6 http ://www.sonntagsblatt-bayern.de/news/aktuell/2009_32_25_01.htm7 http ://www.saphirnews.com/Les-musulmans-de-Cannes-s-offrent-une-mosquee-

design_a5633.html8 http://mosquedenmark.org/project/moskeogislamiskcenter_aarhus_english.pdf

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blique. Hassan al-Bannâ rejetait le matérialisme communiste, l’athéisme et le chaos démocratique occidental. Il a littéralement parcouru son pays comme prédicateur pour prêcher le retour à l’Islam pur et a laissé partout des parti-sans. Il croyait également à une mission globale de l’Islam. Pour lui, la foi, la politique et l’État étaient inséparables. Depuis lors, l’orientation préconisée par lui s’est radicalisée encore, après qu’une direction plus modérée, repré-sentée par son frère Jamâl al-Bannâ, eût été tuée dans l’œuf.

On pourrait peut-être comparer le mouvement lancé par Hassan al-Bannâ à la résistance contre l’occupation allemande en France pendant la seconde guerre mondiale – sauf que cette résistance s’opérait au niveau religieux. À l’époque, le sabotage et la violence armée n’étaient pas encore assez effi-caces pour réussir à déranger, voire disloquer l’ennemi. La différence entre la résistance française et la résistance arabo-religieuse est que la première avait atteint son objectif avec la fin de l’occupation allemande et s’est ensuite dis-soute, tandis que la résistance arabo-religieuse, jusqu’avant l’élection de Mo-hammed Morsi comme président égyptien, était encore très loin de la créa-tion d’au moins une véritable théocratie dans le monde arabe – la théocratie iranienne n’appartenant pas au monde arabe. Nous verrons comment la si-tuation en Egypte évoluera dans les mois et années à venir. Par ailleurs, la ré-sistance arabe n’est qu’à ses débuts, car il faut également qu’un certain nombre d’autres États arabes se soumettent aux vérités islamiques. Et après il reste encore le monde non-arabe à convertir à l’Islam. On a donc encore de grands projets dans le monde musulman.

Il ne faut pas oublier que les blessures du colonialisme sont en partie en-core largement ouvertes, comme le montre l’Algérie. La guerre d’indépen-dance a créé de nouvelles injustices et, jusqu’à présent, les deux parties, l’Al-gérie et la France, ne se sont pas mutuellement pardonné. Les injustices su-bies perdurent dans la mémoire des deux peuples. Un vrai geste de réconci-liation du côté de la France ou des EUE serait bienvenu.

Revenons à l’Islam : il a été pendant des siècles un modèle de tolérance. Mais aujourd’hui, cette tolérance a disparu dans plusieurs pays musulmans et les Coptes et d’autres Chrétiens encore présents dans le monde arabe n’y sont plus acceptés. Qu’est devenue cette tolérance ?

À première vue, on pourrait penser qu’Israël est le point central de l’agressivité pseudo-religieuse de l’espace arabe. Mais même si Israël dispa-raissait de la carte, rien ne changerait. Israël a toujours été le souffre-douleur des États arabes et les victimes ont toujours été les Palestiniens, avec qui les politiciens s’obstinent à refuser tout compromis. Dans ce cas, l’agressivité trouverait rapidement d’autres objectifs, en particulier les États arabes qui adoptent une politique plus libérale. Il est particulièrement effrayant de voir que les arguments rationnels ne peuvent rien face aux extrémistes religieux radicaux qui, dans certains États arabes, fédèrent de nombreux disciples.

D’autres luttes pour l’hégémonie dans la sphère d’influence sunnite se dessinent à l’horizon, où le Qatar soutient les Frères Musulmans et l’Arabie Saoudite les Salafistes, les deux combattant l’influence du mouvement chiite. Par procuration, le Hamas sunnite dans la bande de Gaza et le Hezbollah chiite au Liban livrent une bataille contre l’état d’Israël. En Syrie, des groupes extrémistes sunnites luttent actuellement contre le régime syrien, et les groupes chiites soutiennent ce régime qui est alaouite et leur est donc proche du point de vue religieux. Que se passera-t-il si les sunnites extrêmes gagnent cette guerre civile ?

Il reste pourtant toujours une lueur d’espoir que des forces modérées, conduites par la raison en Europe et en Amérique et se réclamant de l’Islam

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élèvent la voix, pour qu’elle soit entendue jusqu’au monde arabe et qu’un jour elle devienne incontournable. Qui d’autre pourrait stigmatiser les excès d’un Islam radical sinon les musulmans vivant dans les pays ayant une longue tradition de tolérance ? En revanche, à de rares exceptions près, la raison n’est pas la force la plus grande pour rendre plus facile la coexistence entre les différentes communautés. Des circonstances permettant à la raison d’in-fluencer le sort de l’humanité ont toujours été extrêmement rares. Mais elles ont existé et nous espérons qu’il y en aura encore d’autres occasions avant qu’il ne soit trop tard !

On observe en effet actuellement différentes tendances dans le camp de l’Islam politique, où les voix « modérées » sont encore relativement faibles, mais pas non plus complètement inaudibles. Peut-être que l’Islam politique passe maintenant par une phase d’apprentissage et qu’à la fin il en sortira quelque chose de sensé ? Espérons-le !

Avec cet espoir au cœur, nous allons maintenant passer à la section « Consolidation des réalisations».

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QUATRIÈME PHASE : CONSOLIDATION DES RÉALISATIONS

Préface : Ce qui a été accompli depuis une bonne cinquantaine d’années est considérable. Maintenant faut-il le consolider en intégrant dans les pro-grammes d’éducation des jeunes et très jeunes éléments mettant en valeur ces acquis européens. Notre histoire n’est désormais plus une histoire essen-tiellement nationale dans un espace géographique européen, mais une his-toire européenne qui englobe des chapitres nationaux. C’est ainsi qu’elle doit être enseignée aux élèves. Un autre facteur à prendre en compte pour la pé-rennité des EUE est le besoin de sources d’énergie sûres et abordables. Si ce qui a été accompli ne doit pas être perdu, des efforts doivent être déployés pour les développer et exploiter. Sinon, il y aura à nouveau des crises écono-miques et une grande partie des réalisations sera remise en question. On au-ra donc besoin d’une politique énergétique commune constructive, tenant compte du fait que les sources d’énergie fossiles déclinent ou sont au moins plus difficiles à trouver et à exploiter et seront donc de plus en plus coû-teuses. L’extraction de l’huile et du gaz de schistes s’est accompagnée jus-qu’à présent de problèmes environnementaux non négligeables. L’Europe trouve ici un champ d’innovation potentiel dont elle devrait profiter pour jouer un rôle de premier plan dans le monde. D’autres activités pour consolider les réalisations concernent les secteurs culturels et l’innovation sociale.

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Si nous voulons que ce qui a été accompli soit durable, nous devons veiller à ce que la prochaine génération grandisse dans un monde accepté par les adultes et dont l’émergence est présentée dans une perspective euro-péenne. Si la génération adulte ne s’identifie pas avec l’Europe, comment pouvons-nous espérer que la jeune génération le fasse ? La meilleure façon de montrer aux jeunes que nous sommes des Européens convaincus, c’est d’enseigner l’histoire non dans une perspective nationale mais dans une pers-pective européenne. Bien sûr, on ne peut pas s’affranchir des particularités nationales qui ont déterminé le cours de l’histoire en Europe. Mais il faut évi-ter de donner trop d’importance à l’histoire nationale, car l’interprétation na-tionale de l’histoire peut conduire et a conduit à des conflits. Par exemple, du point de vue français, Napoléon est un grand homme d’État et un grand com-mandant militaire, et même un héros. Cette opinion n’est pas nécessairement partagée par les pays qu’il a traversés avec son armée. Même en ce qui concerne l’assignation de la culpabilité de la Première Guerre Mondiale, on devra sans doute arriver à un jugement plus nuancé. Il y a d’autres exemples où un jugement plus neutre serait nécessaire pour que nos enfants ne soient pas être influencés par des préjugés passés, mais plutôt par des pensées hu-manistes, conciliantes et créatives. Pour immuniser les Européens, jeunes et moins jeunes, contre l’extrémisme politique, surtout de droite, nous devons leur donner les éléments nécessaires pour se forger une opinion cohérente et non influencée par les passions ou les haines.

Dans l’histoire, des exemples de grandes vagues culturelles envahissant toute l’Europe ou au moins une grande partie de ce continent abondent. Le gothique en est un bon exemple. Depuis le XIIème siècle, partant de France, il a laissé des traces presque partout en Europe, jusqu’au style néogothique du XIXème siècle, sauf dans les régions dominées par la chrétienté orthodoxe dans l’Est et le Sud-est de l’Europe. La Renaissance, née dans l’Italie du

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XVème siècle, s’est également étendue dans toute l’Europe. Au XVIIIème siècle, le siècle des Lumières a tôt ou tard eu une emprise sur presque toute l’Europe. Utilisant ces éléments, on peut très bien enseigner l’histoire de l’Eu-rope à l’école, et il y a encore bien d’autres exemples, pour ne citer que la Hanse, qui était une union ou ligue de villes européennes. Je n’évoquerai pas ici le christianisme, car la diversité des religions aujourd’hui présentes en Eu-rope et la baisse constante des fidèles des églises chrétiennes font que le christianisme ne peut plus être considéré comme un moteur essentiel de l’unité de l’Europe, bien que ses préceptes soient toujours déterminants dans l’éducation et dans la constitution de l’éthique des populations.

Dans tous ces phénomènes, certains espaces culturels, qui ne coïncident pas nécessairement avec les frontières nationales, ont joué un rôle important. Ainsi on ne peut pas imaginer le Gothique sans la France, la Renaissance sans l’Italie, et le Siècle des Lumières sans la France, l’Angleterre et l’espace cultu-rel allemand à l’intérieur de ses diverses frontières. Une meilleure compré-hension de ces influences serait sans doute possible si l’apprentissage de langues étrangères était plus répandu. La maîtrise des langues des voisins européens est un instrument puissant pour améliorer significativement la sen-sibilité aux autres cultures. Dès le Moyen-âge, les voyageurs parlaient plu-sieurs langues, ce qui facilitait considérablement les échanges. L’aristocratie était souvent polyglotte.

Tout en étant enthousiasmé par l’histoire de l’Europe, il ne faut pas ou-blier d’enseigner aussi l’histoire non-européenne. La Chine, l’Inde, le Japon, l’Egypte, l’Iran, même l’Afrique subsaharienne et l’Amérique précolombienne nous offrent des enseignements importants.

La politique énergétique est un autre élément nécessaire pour la consoli-dation des accomplissements. Si l’Europe parvient à jouer un rôle de premier plan dans ce domaine et arrive à renforcer cette politique, nous réussirons aussi à l’avenir à rester un modèle attrayant et digne d’être suivi par le monde. Les grandes compagnies pétrolières sont toujours optimistes qu’il y aura assez de pétrole et de gaz naturel conventionnel pour alimenter nos so-ciétés industrielles et de consommation dans les 30 prochaines années. Certes, il y aura encore du pétrole même dans 100 ans et les géologues vont toujours continuer à en chercher et peut-être même en trouver. Seulement, depuis un certain temps, on découvre moins de nouveau pétrole économique-ment récupérable que l’on consomme du pétrole déjà localisé. Les champs pétrolifères découverts aujourd’hui sont souvent relativement petits et off-shore, coûteux, et difficiles d’accès et d’exploitation, bien que l’on trouve aus-si des champs pétrolifères onshore. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas si ex-ceptionnels. Malheureusement on les trouve fréquemment dans des pays à l’intérieur des continents sans accès à la mer et à un terminal pétrolier sans lequel le pétrole ne peut pas être écoulé sur le marché mondial. Ceci s’ap-plique tout particulièrement à certains pays africains. Les très grandes décou-vertes deviennent de plus en plus rares. À ceci s’ajoutent les instabilités de certains pays du Proche et Moyen Orient qui alimentent le renchérissement du pétrole. S’il devient trop onéreux pour faire marcher l’industrie et les auto-mobiles, il faudra trouver ou développer d’autres sources d’énergie. Evidem-ment, le gaz naturel peut jouer un rôle de remplacement pour un temps non-négligeable. Les nou-veaux gisements de pétrole et de gaz de schistes aux États-Unis (il en existe aussi en Europe) sont énormes par leur volume en gaz et pétrole, mais difficiles à exploiter. La technologie d’extraction, qui exige une fracturation hydraulique in situ de la roche-mère (fracking) et l’injection simultanée d’eau, de sable et de produits chimiques, n’est pas vraiment éco-logique. Néanmoins, aux Etats-Unis d’Amérique ils sont exploités à grande

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échelle, et le gaz de schiste relativement bon marché est utilisé entre autres pour la production d’électricité. L’extraction n’est pas simple, mais économise à la nation l’exode de dollars US vers les pays arabes. Bien que l’expansion de l’énergie éolienne en Chine et en Amérique soit notable, de nombreuses centrales au charbon sont construites tous les mois, notamment en Chine, et le nombre de véhicules de toutes sortes augmente également rapidement, en particulier en Chine et en Inde, augmentant les émissions de CO2. En même temps, le réchauffement climatique se poursuit et semble même s’accélérer, à en croire les spécialistes du changement climatique, même si depuis une di-zaine d’années le réchauffement paraît faire une petite pause, ce qui n’em-pêche pas la glace polaire de fondre de plus en plus.

L’Europe a la capacité scientifique et technologique de rechercher et de développer des énergies alternatives susceptibles de rivaliser économique-ment avec les combustibles fossiles, même si l’on considère que les énergies renouvelables doivent être stockées afin ne pas rester dépendant des fluctua-tions naturelles de la disponibilité de ces énergies. Jusqu’à une époque très récente, on n’était pas capable d’imaginer un autre mode de stockage écono-mique de l’électricité que par des stations de pompage (pendant les périodes de la journée ayant une surabondance d’électricité, l’eau est pompée par pompes électriques dans un ou plusieurs grands bassins sur des hauteurs, et pendant les périodes de pénurie d’électricité, cette eau est évacuée vers le niveau inférieur à travers de gros tuyaux pour alimenter des turbines, qui, à leur tour, font tourner des générateurs pour ainsi produire de l’électricité). Ce mode de stockage implique une perte d’énergie d’environ 30%, ce qui est considéré comme acceptable, vu que le prix d’électricité en période de de-mande maximale est environ le triple et davantage du prix en période de de-mande normale. En attendant, d’autres perspectives technologiques se pré-sentent pour les besoins locaux et mobiles et peu à peu la possibilité d’un sto-ckage chimique, mécanique ou même capacitif9 (par condensateurs) devient réalité. Même l’utilisation de piles à combustible s’est avérée une alternative possible. Il est important de promouvoir la recherche et le développement dans ces domaines en Europe si les solutions doivent être disponibles en temps voulu. En 2010, la part des énergies renouvelables dans la consomma-tion brute d’électricité aux États-Unis d’Europe est en moyenne d’environ 20 pour cent (hydroélectricité, énergie éolienne, énergie solaire et biomasse comprises). Dans les régions montagneuses des EUE telles que l’Autriche, c’est évidemment l’hydroélectricité qui domine l’offre (~ 55 %), tandis que l’énergie éolienne a la première place au Danemark (~ 28 %). À côté de l’énergie hydroélectrique, où il n’y a aujourd’hui que très peu de capacité in-utilisée, c’est l’énergie éolienne qui occupe la deuxième place (> 4 %) et qui présente le plus grand potentiel, tandis que le photovoltaïque ne représente que 0,7 %. L’objectif serait d’atteindre en 2050 environ la moitié de la produc-tion d’électricité à partir des sources d’énergie renouvelables ou CO2-neutres – et si le progrès technologique le permet, d’aller au-delà. Cela ne devrait pas seulement être une déclaration d’intention, mais il faudrait réellement l’at-teindre ! Si elle réussit en cela, l’Europe pourra se prévaloir du rôle de pion-nier et leader non seulement dans le domaine technologique, mais aussi en matière de protection de l’environnement et lutte contre le réchauffement cli-matique.

9 LE STOCKAGE DE L’ÉNERGIE ÉLECTRIQUE MOYENS ET APPLICATIONShttp ://hal.inria.fr/docs/00/67/40/68/PDF/Stockage-Energie_3EI_1996.pdf

Graphene Supercapacitors Could Revolutionise Energy Storage :http ://www.electronicsweekly.com/mannerisms/rd/graphene-supercapacitors-could-2013-03/

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Cependant, les énergies renouvelables ne sont probablement pas la solu-tion unique pour remplacer toutes les autres énergies pour la production d’électricité. Les parcs d’éoliennes occupent de grandes surfaces et de nom-breux riverains observent l’évolution vers l’énergie éolienne d’un regard as-sez critique. L’énergie solaire en utilise encore davantage, en tout cas sous nos latitudes. N’oublions donc pas entièrement l’énergie nucléaire. Depuis quelques années, des progrès ont été réalisés dans la fabrication et la compo-sition des barres de combustible. L’oxyde de béryllium, avec un point de fu-sion et une conductivité thermique élevés, pourrait augmenter l’efficacité des réacteurs et rendre l’éventualité d’une fonte du cœur beaucoup moins pro-bable. Les accidents nucléaires graves seraient ainsi drastiquement diminués. En outre, des réacteurs au thorium (Liquid Fluoride Thorium Reactor – LFTR), qui rendent une fonte du cœur encore moins probable et promettent une bien meilleure efficacité énergétique, sont en cours de développement. On peut aussi mentionner que l’élimination des déchets radioactifs est beaucoup moins problématique, car les réacteurs au thorium en produisent beaucoup moins. Reste la question de savoir si ces réacteurs peuvent produire de l’élec-tricité à faible coût. Cette question n’est pas encore résolue d’un point de vue pratique, mais des calculs théoriques indiquent un coût par kilowatt/heure re-lativement faible. On ne devrait donc pas cesser de travailler également à des solutions pratiques. Sur le plan technologique, l’Europe pourrait jouer ici un rôle de leader si elle n’attend pas trop longtemps pour commencer la re-cherche et le développement.

Dès le départ, nous avons dit qu’il est important que l’Europe ne se limite pas à l’aspect purement économique. Elle doit également être présente dans le domaine intellectuel et culturel. La musique classique d’origines nationales diverses est un très bel exemple de la conquête des salles de concert à tra-vers l’Europe - et au-delà - jusqu’à aujourd’hui. Serait-il possible que la mu-sique moderne fasse pareille ? Et la littérature, en s’emparant de ce nouvel espace ? On peut penser en particulier à la philosophie moderne, qui traite des nouvelles réalités sociales, intellectuelles et politiques de l’Europe d’au-jourd’hui et aux romans, dont les histoires se déroulent dans une Europe de grande diversité. En fin de compte, au cours des siècles, les Français l’ont très bien réussi pour la France : « La littérature est l’âme de la France », écrit le chroniqueur du Figaro et professeur en sciences politiques Alain-Gérard Sla-ma dans son nouveau livre intitulé « Les écrivains qui ont fait la République ». Pourquoi cela ne pourrait-il pas réussir aujourd’hui encore dans et pour l’Eu-rope ? Pourquoi ne pas mettre un peu de poésie dans la création de l’édifice européen ? Par contre, il n’y aura pas de place pour un chauvinisme euro-péen. Mais nous pouvons toujours être fiers d’appartenir à une Fédération dont la formation a eu lieu de manière démocratique et qui ne produit pas seulement des biens commerciaux, mais est aussi amplement présente sur le plan culturel dans de nombreux domaines.

On voit aujourd’hui un cinéma « européen » qui s’est créé au fils du temps. Ce cinéma pourrait prendre en charge l’idée européenne et l’incarner dans ses films. Il existe bien des destins qui peuvent se prêter à des films sur la thématique européenne ! Et s’il le faut, inventons une telle histoire.

Par ailleurs, les EUE doivent également faire le nécessaire pour que les universités européennes arrivent au top du classement mondial (par exemple le classement de Shanghai). Pour cela faudra-t-il qu’elles excellent plus dans la recherche de grande qualité (d’ailleurs, une certaine amélioration s’est dé-jà produite). Si nous réussissons également en cela, nous aurons fait un pas important vers la consolidation des réalisations. Par ailleurs, nos grandes so-ciétés comme EADS, Siemens, AREVA, BASF, Fiat, Philips, etc., doivent s’effor-

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cer de se présenter comme des sociétés européennes et non comme des en-treprises nationales - ni même multinationales, qui nous feraient oublier leurs liens européens. Cela nécessite bien sûr un changement radical de mentalité parce que les grandes entreprises participent à la mondialisation et le marché européen est considéré comme trop petit. Mais la mondialisation ne signifie pas nécessairement que l’on n’ait plus aucun lien avec la région d’où l’on vient. Si l’on regarde Microsoft, Apple, Intel, ExxonMobil, Boeing et d’autres compagnies américaines, on observe aussi le lien avec l’origine américaine de ces entreprises à côté de leur caractère multinational, qu’elles aient leur siège social à Seattle (état de Washington) ou dans la Silicon Valley (Califor-nie).

Si les grandes universités européennes pratiquent maintenant une re-cherche de calibre mondial, leurs résultats peuvent être inclus dans la re-cherche et le développement industriel de grandes entreprises européennes et celles-ci peuvent innover davantage. Cette innovation est alors perçue comme innovation européenne. Un Office Européen des Brevets existe déjà à Munich. Maintenant, il faut seulement introduire un brevet des EUE, dont la perspective est déjà envisagée. Les premiers brevets unitaires seront émis en 2014. Les égoïsmes nationaux ont pratiquement disparu. Ainsi, on devrait bientôt avoir à accomplir des formalités d’application simplifiées, ce qui don-nerait un grand coup de pouce à l’innovation dans les EUE. Dans le même temps, l’examen du degré de nouveauté d’une invention devient plus strict, pour qu’il n’y ait pas surabondance de brevets de détail.

Enfin, dans un futur pas trop lointain, la structure politique à trois niveaux (Gouvernement EUE, gouvernements nationaux, administrations régionales) doit faire place à une structure à deux niveaux, avec une nouvelle Constitu-tion pour une « Europe Unie » avec les régions comme deuxième niveau et l’élimination du niveau national. Ce changement n’adviendra sans doute pas avant la prochaine génération de citoyens européens. Heureusement, la presse soutient le développement de l’Union, s’éloignant des États-nations et se rapprochant d’une Europe véritablement réunie au sein de l’Union. Sur-tout, les jeunes citoyens sont impatients pour voir les structures fossilisées au niveau national enfin disparaître. Ils sont presque tous polyglottes, beaucoup d’entre eux ont vécu, étudié et travaillé dans différentes régions des EUE, et souhaitent ne plus retomber dans les vieux modèles nationaux. La capitale, Bruxelles, est acceptée par la grande majorité des citoyens, même si elle souffre d’un certain manque d’élan. Après tout, quelques responsables poli-tiques font valoir qu’une capitale ne devrait pas être qu’un endroit adminis-tratif et certains projets culturels et architecturaux destinés à donner une image plus dynamique de la capitale sont approuvés. En particulier, des ar-tistes de stature internationale sont invités à Bruxelles pour organiser des concerts, des spectacles, des expositions, etc. et des architectes sont chargés de projets du futur et en même temps durables.

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Chapitre III : La Réalité

Ce qui a été manqué

La chronologie suivante a été prise de http : //www.erinnerungsort.at/the-ma1/ewg.htm et http : //europa.eu/about-eu/eu-history/2000-2009/index_fr .htm et enrichie d’informations et de commentaires en gras par l’au-teur.

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Chronologie des événements et des institutions de la CEE/CE/ EU

9 Mai 1950 : Le ministre des affaires étrangères français Robert Schuman fait une déclaration au sujet d’une Europe commune (le « plan Schuman »), conçue par son collègue Jean Monet, qui poursuit l’objectif d’un rapproche-ment franco-allemand. L’idée est, en matière de maintien de la paix, de sous-traire aux États-nations individuels leur compétence sur la base matérielle d’une économie de guerre.

18 avril 1951 : le traité de fondation de la CECA (Communauté Euro-péenne du charbon et de l’acier, avec les membres : France, Allemagne, Ita-lie, les pays du Benelux) est signé. Il stipule l’Union douanière entre les pays membres de la zone, sous le contrôle d’une « haute autorité » en grande par-tie souveraine. En 1955, une extension de la coopération est réalisée dans tous les domaines de la production industrielle.

30 août 1954 : Le projet de la CED (Communauté Européenne de Dé-fense) échoue en raison du rejet par l’Assemblée Nationale française (mais pas seulement).

1er janvier 1958 : Signature du « Traité de Rome » : en raison du suc-cès de la CECA, la CEE (Communauté Économique Européenne) et l’EURATOM (Communauté Européenne de l’Énergie Atomique) sont établies par les six États membres. La CEE vise à la réduction des droits de douane, à une poli-tique étrangère commune, ainsi qu’à la mise en place progressive d’une Union politique.

4 Janvier 1960 : Traité de fondation de l’AELE (Association Euro-péenne de Libre Échange)

3 Mai 1960 : Le traité AELE entre en vigueur.1960 à 1962 : les Beatles jouent à Hambourg1967 : Les trois institutions CECA, CEE et EURATOM sont fusionnées pour

former la Communauté Européenne.1968 : Après la période transitoire prévue de dix ans, les droits de douane

entre les États de la CEE sont complètement démantelés.1970 : Toutes les entreprises comme la Poste, les Télécommuni-

cations et les Chemins de Fer sont encore dans les mains des états

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nations. Aucun effort n’est entrepris pour aller vers des entreprises européennes.

1972 : Les utilitaires de l’eau, du gaz et de l’électricité sont tou-jours dans la main des États nations, des régions ou des communes ou sont encore privés. Aucune restructuration en direction des entre-prises européennes n’est entreprise.

1er janvier 1973 : La Grande Bretagne – avec le Danemark et l’Ir-lande – rejoint la Communauté Européenne. Depuis lors, ce pays sa-bote la poursuite de l’intégration des pays membres de la CE. Il a pourtant fallu négocier âprement depuis la demande d’adhésion en 1961 et 1967.

Décembre 1985 : L’AUE (Acte Unique Européen), qui prévoit la création du marché unique (mise en œuvre en 1992) et réglemente le processus déci-sionnel au sein du Conseil de la Communauté Européenne, est signé. Ainsi la CPE (Coopération Politique Européenne) reçoit son fondement juridique. Le Conseil Européen, qui existe depuis 1974 (composé des chefs d’État et chefs de Gouvernement), et qui fixe les objectifs politiques fondamentaux de l’Union européenne, est institutionnalisé.

1er janvier 1981 : La Grèce rejoint la Communauté Européenne1985 : Première Convention de Schengen entre pays du Benelux, Alle-

magne et France.1er janvier 1986 : L’Espagne et le Portugal se joignent à la Communauté

Européenne.Juin 1987 : Établissement du programme Erasmus pour promou-

voir la mobilité des étudiants et des enseignantsMars 1987 : Jugement de la Cour de Justice Européenne sur l’exi-

gence allemande sur la pureté de la bière : désormais, une bière ne correspondant pas à la loi allemande sur la pureté peut néanmoins être vendue en Allemagne.

1988 : Règlement CEE N° 1677/88 (règlement sur le degré de la courbure du concombre)

3 Octobre 1990 : Réunification de l’Allemagne et inclusion consécutive de l’ancien territoire de la RDA dans la Communauté Européenne.

7 Février 1992 : Le « traité de Maastricht » sur la création d’une Union Eu-ropéenne politique et économique (UE), en vigueur à partir du 1er novembre 1993, implique une nouvelle révision fondamentale des traités européens. La même année l’UEM (Union Économique et Monétaire), est mise en place et l’introduction d’une monnaie commune est décidée.

16 septembre 1992 : Black Wednesday – La livre sterling est reti-rée du Mécanisme de taux de Change Européen (MCE) après l’at-taque de George Soros contre cette monnaie.

1er janvier 1994 : L’EEE (espace économique européen), comportant les douze États de la CE et tous les États de l’AELE, à l’exception de la Suisse, entre en vigueur. L’objectif en est la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, ainsi que la coopération dans les do-maines de l’environnement, de l’éducation, de la recherche, du développe-ment, etc.

Dans les années 1990 : Diverses directives prescrivent une libéralisation progressive. En effet, des privatisations sont promulguées pour les secteurs de services publics comme la poste, les télécommunications, les transports et les utilitaires de l’énergie. Ce qui est stipulé, c’est donc le contraire d’une fusion pour créer des grands services et entreprises euro-

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péens ; et ainsi l’opportunité de créer des symboles forts pour l’unité européenne est perdue.

1er janvier 1995 : L’Autriche, la Suède et la Finlande se joignent à l’UE. En Norvège, l’adhésion est rejetée par un référendum et la Turquie reste mal-heureusement à l’écart.

Mai 1995 : Le président français François Mitterrand ne se pré-sente pas pour une réélection. Gravement malade, il meurt en jan-vier 1996. Ainsi, l’Europe perd un de ses deux principaux défenseurs, l’autre étant le chancelier Helmut Kohl, qui reste seul pour la dé-fendre.

1997 : L’« Accord Schengen II » relatif à la suppression des contrôles aux frontières entre les pays de l’espace économique euro-péen (EEE) est tardivement intégré dans la législation communau-taire. Le Royaume-Uni et l’Irlande ne font pas partie de cet accord, tandis que les pays n’appartenant pas à l’UE comme la Suisse et le Liechtenstein y participent.

Septembre 1998 : Le chancelier allemand Helmut Kohl perd l’élection au Bundestag et l’Europe perd ainsi son autre moteur prin-cipal.

1999 : L’accord de Schengen est mis en œuvre.1er janvier 1999 : L’introduction de l’euro comme monnaie unique a dû

attendre jusqu’à cette date. Les billets et pièces en euros sont introduits le 1er janvier 2002.

11 Décembre 1999 : Le statut de candidat officiel pour l’adhésion à l’Union Européenne est accordé à la Turquie.

1er février 2003 : Le "Traité de Nice" (un traité en grande partie ra-té) réglemente la taille et le fonctionnement des institutions de l’UE pour les besoins de l’élargissement de la communauté.

Décembre 2003 : Règlement relatif aux produits au cacao et au chocolat (règlement cacao) - autorisation d’autres graisses à côté du beurre de cacao dans la composition du chocolat.

2004 : Chypre, la République Tchèque, l’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Pologne, la Slovaquie et la Slovénie, adhèrent à l’UE. La Bulgarie et la Roumanie sont candidates.

Mai 2005 : Le référendum en France sur le Traité Constitutionnel Européen se termine par un rejet.

Juin 2005 : Le Référendum Consultatif du Parlement des Pays-Bas sur le même traité se termine également par un rejet (ces deux réfé-rendums prononcent la fin de l’Europe que nous avions imaginée).

1er décembre 2007 : Les 27 pays de l’Union Européenne signent le traité de Lisbonne, qui modifie les traités précédents. Il est conçu pour rendre l’UE plus démocratique, plus efficace et plus transparente, et aussi pour lui donner les moyens de s’attaquer aux défis mondiaux tels que le changement clima-tique, la sécurité et le développement durable. Il est toutefois un pauvre substitut du traité constitutionnel prévu à l’origine et a été imposé principalement par le président français, Nicolas Sarkozy. Cepen-dant, il ne changera pas beaucoup de choses, bien qu’il comporte un certain potentiel (voir l’annexe).

2007 : La Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’UE. La Croatie, la Macé-doine et la Turquie sont candidates

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Septembre 2008 : L’économie mondiale est frappée par une grave crise financière. Le facteur déclenchant de la crise réside dans les « prêts pourris » (sub-primes) aux États-Unis. Un certain nombre de banques européennes sont également en danger. La crise conduit temporairement à une coopéra-tion économique plus étroite entre les pays de l’UE.

1er décembre 2009 : Le Traité de Lisbonne est ratifié après beaucoup d’allers-retours dans tous les pays de l’UE et entre en vigueur. La Serbie demande l’adhésion à l’UE.

2010 : Les économies européennes et américaines sont menacées par une grave crise de la dette publique, partie due à la crise finan-cière. L’euro, et l’existence même de la zone euro, est menacé. La crise se poursuit à ce jour et sa fin n’est pas en vue. On a l’impres-sion que l’UE a perdu son élan : la conviction n’y est plus.

Décembre 2011 : La Croatie est officiellement informée que son adhésion à l’UE s’effectuera probablement 1er juillet 2013 (accord du Conseil Européen et du Parlement Européen).

Mai 2012 : Wolfgang Schäuble, l’actuel ministre des finances alle-mand, propose l’élection directe du président de la Commission.

Décembre 2012 : Brevet EU unitaire - après 30 ans de négocia-tions, finalement.

1er Juillet 2013 : La Croatie rejoint l’Union EuropéenneRemarque sur la structure de l’Union Européenne :L’Union Européenne est actuellement composée (en plus de plusieurs or-

ganismes consultatifs) des institutions suivantes : • le Conseil de l’UE (composé des ministres des affaires étrangères ou de

ministres de ressorts compétents des États membres)• la Commission, qui détient le droit d’initiative et est l’organe exécutif

pour la réalisation des contrats• le Parlement de l’UE, dont le siège est à Strasbourg et qui depuis 1979,

est directement élu dans les États membres et exerce le contrôle poli-tique et applique des droits de participation

• l’organe judiciaire de l’Union Européenne c’est-à-dire la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJCE), qui a été fondée en 1958.

• La BCE (Banque Centrale Européenne), active depuis le 1er juin 1998, définit avec les banques centrales nationales des États membres la poli-tique monétaire et économique de l’Union monétaire.

Donc, tout est toujours très compliqué !

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Cette chronologie ne prétend être aucunement exhaustive. Dans ce qui suit, je ne veux pas minimiser ce qui a été réalisé. Nous avons eu une période de paix et de grande prospérité derrière nous. L’Europe n’a jamais connu cela auparavant et nous devons en être reconnaissants. Malheureusement, l’Eu-rope n’a pas fait de progrès notables depuis environ 15 ans, à part l’adoption de l’Euro, qui n’a pas été suffisamment préparée du point de vue politique. Les nationalismes sont de retour, comme s’il n’y avait pas d’Union Euro-péenne, pas d’Euro, et pas de crise. Si nous voulons que l’Union Européenne sorte de la crise actuelle, il nous faut nous engager pour l’Europe de tout notre cœur et avec toute l’énergie disponible et porter ensemble le fardeau.

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Nous devrions également encourager les citoyens dotés du capital financier à nous aider à porter ce poids. Pourquoi ne seraient-ils pas eux aussi disposés à faire des sacrifices ?

Il se pose maintenant la question : Qu’est-ce qui a mal tourné et quand ? Pourquoi l’Europe est-elle à nouveau dans une impasse ? Peut-on encore es-pérer que l’Europe se réalise par le haut ou faut-il essayer de la reprendre en main par le bas ? Est-ce que les citoyens sont prêts à en prendre l’initiative ? Si l’on en croit les sondages, ce n’est pas exactement le cas. Nous aurons be-soin d’institutions de la société civile permettant des discussions publiques au sujet de l’Europe unie, et où les citoyens seraient informés sur les avantages et les inconvénients de cette Europe, et ceci sans arrière-pensées politiques.

Tout allait bien jusqu’en 1965 (à part le rejet de la Communauté Euro-péenne de Défense en 1954), et on aurait pu continuer du même élan dans cette direction. Et pourtant, le premier pas en arrière est fait en mai 1968 quand la France introduit temporairement le contingentement des devises et arrête donc la libre convertibilité des monnaies en Europe.10 Personnellement ce contingentement ne m’a concerné que de façon marginale pendant mon séjour d’études à Paris, parce que je devais changer mes marks en francs et non l’inverse. Les étudiants français séjournant dans les autres pays de la CEE ont souffert certainement beaucoup plus puisque l’exportation de francs français étais soumise à un contrôle très restrictif.

Malheureusement, dans la réalité les hommes politiques n’ont pas pensé ou n’ont pas voulu créer des symboles européens forts et ils ont donc laissé passer les opportunités sans les exploiter : ni les services publics ni les com-pagnies d’énergie et de l’eau ne sont devenus des éléments de cohésion pour les Européens et l’Europe se fige progressivement dans des règles bureaucra-tiques. Ce sont ensuite les directives des années 1990 pour la libéralisation progressive et ensuite la privatisation de ces services et des compagnies d’eau et d’énergie, qui ont finalement mis fin à la possibilité d’exploiter leur image en tant que symboles et sources d’inspiration pour une Europe unie. Beaucoup en Europe ne comprennent pas cette mesure. Il existe de plus de nombreuses mesures réglementaires qui apparaissent comme dépourvues de sens et bureaucratiques, comme le règlement de 1988 qui régit de degré de courbure du concombre à commercialiser, que la population non seulement ne comprend pas mais perçoit comme une bêtise. Il existe des dizaines d’autres règlements de cette nature pour les légumes et les fruits. Autres exemples : le règlement cacao, datant de 2003, permet l’utilisation de ma-tières grasses autres que le beurre de cacao dans le chocolat et un jugement de 1987 autorisant la commercialisation en Allemagne d’une bière ne remplis-sant pas les conditions définies par la loi allemande sur la pureté de la bière. On a donc cherché de petits détails pour ne pas affronter l’essentiel.

Les pères fondateurs de la Communauté Européenne savaient qu’une Communauté ou Union Européenne n’avait aucune chance de réussir si l’idée n’étais pas animée par l’enthousiasme. Alcide de Gasperi nous a avertis que la seule création d’unités administratives communes sans volonté politique ne produirait rien. Au contraire, la population pourrait un jour percevoir cet appa-reil bureaucratique comme un élément de contrainte, comparé aux forces na-

10 Voir aussi l’article du Spiegel http ://www. spiegel.de/spiegel/print/d-45876499.html. Des cas similaires se répètent plus tard (http ://www. spiegel.de/spiegel/print/d-14023902.html et http ://de.wikipedia. org/wiki/ Bardepotgesetz).

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tionales plus vitales. Il comparait cette situation au stade final de l’Empire ro-main11 .

Il faut noter, qu’il y a une certaine incompréhension du comportement des Français pour les Allemands : lorsque l’on parle d’une Europe fédérale, c’est presque une évidence pour l’Allemagne, qui est une Fédération depuis sa création et les Länder (régions) considèrent le Gouvernement Fédéral comme une institution protectrice et non comme une institution rivale leur disputant leur souveraineté. À l’inverse, la tradition française, avec ses ori-gines dans l’absolutisme, n’est pas la même. La France est un état très cen-tralisé et toute la souveraineté est investie dans l’État. Les régions y sont su-bordonnées. Dans une Fédération Européenne, la France (et certains autres états) perdraient une bonne partie de sa souveraineté et elle n’y est pas (en-core ?) prête (tout comme certains autres États).

Il n’existe pas non plus d’équipe de football ou d’équipe olympique euro-péennes. Elles ne sont même pas prévues.

En 1972, nous sommes encore très loin d’un passeport véritablement eu-ropéen et même en 1985, rien n’a changé. Si je veux rester en France sans devenir Français, je dois faire la demande d’un permis de séjour tous les 10 ans.

Les progrès embryonnaires qui existent ne sont pas assez encadrés par des mesures d’accompagnement. Par exemple, quelle est l’utilité d’un Parle-ment Européen s’il n’a aucun droit immédiat d’initiative et ne peut, par consé-quent, faire aucune proposition de loi ? (Il convient de mentionner ici que le traité de Lisbonne de décembre 2009 a néanmoins quelque peu amélioré la situation du Parlement de ce point de vue, voir ANNEXE). Quelle est l’utilité de la Commission, qui représente en sorte le gouvernement de l’Union, s’il n’existe pas de procédure législative uniforme pour que la Commission puisse mettre en pratique les lois votées ? Les lois sont traitées différemment selon le domaine. Quelle utilité peut avoir l’Euro si la politique budgétaire des États membres n’est pas coordonnée ? Est-ce que le brevet unitaire de l’UE (un brevet pour tous les États signataires) va tenir ses promesses alors que l’Italie et l’Espagne n’ont pas adhéré au traité et que le vieux système selon lequel un brevet distinct peut être enregistré dans chaque État membre est mainte-nu en parallèle ?

La Grande-Bretagne décide de rejoindre la Communauté Européenne en 1973. Si l’on tient compte du fait qu’entre 1960 et 1962 les Beatles ont joué à plusieurs reprises à Hambourg et ont donc tout à fait apprécié le « conti-nent », même si les conditions étaient difficiles (j’ai assisté à une prestation prodigieuse au Star-Club), on peut comprendre que ce pays ait fait ce choix. Il a voulu se rapprocher du continent. D’ailleurs, Winston Churchill aurait été plus que satisfait. Malheureusement, à partir de cette année là, le pays réus-sit à freiner toutes les initiatives d’intégration européenne, sans que les autres pays puissent faire quoi que ce soit. Cependant, il faudrait mentionner ici, que les USA n’ont pas toujours permis à la Communauté Européenne d’avancer sur le chemin d’une véritable Union fédérale. Pour ce qui concerne la Grande-Bretagne, les choses s’aggravent encore après le 16 septembre 1992, quand George Soros force ce pays à quitter le Mécanisme de taux de Change Européen (MCE), anciennement Système Monétaire Européen (SME), auquel il participe en vue de l’introduction de l’Euro. D’ailleurs, cette histoire affecte l’auteur personnellement :

11 On peut écouter quelques extraits des discours de ces pères fondateurs chez http ://europa.eu/about-eu/eu-history/founding-fathers/. Cela en vaut la peine !

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En 1990, nous voulons acheter un appartement à Londres. L’argent est encore en France et en Allemagne. À cette époque, la Grande-Bretagne veut devenir membre du système monétaire européen (SME) et met tout en œuvre pour faire monter le cours de la Livre Sterling (talking up the British pound). En le faisant, elle souhaite probablement satisfaire la bu-reaucratie de Bruxelles, qui pense que la Livre Sterling est sous-évaluée. La livre « répond » positivement et gagne progressivement en valeur par rapport à l’Euro avant de joindre le SME. Du coup, notre argent en « Eu-rope Continentale » n’est plus suffisant pour acheter l’appartement et nous devons renoncer à cet achat. Deux ans plus tard, après le Black Wednesday du 16 septembre 1992 – George Soros, l’homme que l’on considérera plus tard comme un philanthrope, spécule contre la Livre Sterling parce qu’il la croit surévaluée – la Livre Sterling sort du SME, de-venu le MCE, et revient à son niveau de taux de change du début 1990 ; mais nous sommes sur le chemin de retour à Paris. Notre fils y est rentré après l’obtention du baccalauréat à Londres pour y faire ses études et a besoin de nous.

La Grande-Bretagne continue de freiner dès que cela est dans son intérêt. Il faut aussi souligner que la presse britannique a tellement excité l’opinion publique contre l’Europe que le gouvernement ne peut pas faire autrement que de souligner encore et encore son indépendance. Néanmoins, de plus en plus de pays européens veulent rejoindre l’Union, attirés par la vitalité et le dynamisme de la Communauté. Le programme Erasmus est établi en 1987 et en 1997 l’accord de Schengen II entre en vigueur. Ces deux initiatives font faire de grands pas à l’Europe.

Dans l’intention d’accomplir une étape cruciale, l’Euro est introduit en jan-vier 1999 comme unité de compte. En janvier 2002, billets et pièces sont mis en circulation. Malheureusement, il n’y a aucune autorité centrale pour coor-donner les finances publiques, les politiques économiques, les budgets, etc. des pays membres. La pérennité de l’Euro, ainsi que celle de l’UE, ne bénéfi-cie donc d’aucune assurance. De plus, trop de pays font déjà partie de la zone euro pour que l’on puisse encore efficacement créer les organes ou institu-tions manquants sans s’embourber dans de très longues négociations. Les gouvernements, trop heureux de se défausser des manques de leur propre politique sur la bureaucratie de Bruxelles et aussi de blâmer l’euro pour l’in-flation galopante, ne vont pas entreprendre d’initiatives vers plus d’intégra-tion. Pour un bon nombre de citoyens « Bruxelles » est aujourd’hui coupable de toutes les misères présentes ou à venir. Quelle aubaine pour les politiciens nationaux !

Une démonstration dramatique de cette situation est faite en 2005 lors du vote pour un nouveau « traité constitutionnel » pour l’Europe. Ce traité doit résoudre certaines déficiences du fonctionnement de l’Union Européenne et une majorité claire des États membres s’exprime en sa faveur. Mais en France et aux Pays-Bas, où des référendums sont tenus, les peuples se pro-noncent contre. L’auteur subit l’expérience de cet épisode à Paris et est té-moin des machinations d’une aile influente du parti socialiste, qui est majori-tairement pro-européen. Pour des raisons politiques partisanes, les membres de ce groupe se prononcent contre le traité et font une forte propagande contre celui-ci. Ainsi ils réussissent, avec l’extrême-droite, à faire échouer son adoption. Ils nuisent non seulement, comme prévu, au gouvernement conser-vateur de Jacques Chirac, mais surtout à l’Union Européenne et enfin à eux-mêmes, en perdant toute crédibilité. Cette décision porte un coup d’arrêt à la dynamique de l’Europe, car seulement un vote unanime en faveur du traité de tous les pays de la Communauté aurait conduit à son entrée en vigueur.

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Un autre facteur en particulier a porté beaucoup de préjudices à la CE/UE. Après Jacques Delors (1985-1994), la Commission Européenne n’a eu que des Présidents ternes et sans envergure. Aujourd’hui, la situation est encore pire qu’elle ne l’était avec Jacques Santer, successeur de Delors. Avec Romano Prodi, une petite amélioration s’était encore produite. Aujourd’hui, avec José Manuel Barroso nous avons un président de la Commission assez faible et avec Herman Van Rompuy, président permanent du Conseil Européen depuis décembre 2009 et Catherine Margaret Ashton, la Haute Représentante de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité et premier Vice-président de la Commission Européenne depuis février 2010, l’Europe a aussi deux « quanti-tés négligeables » à la tête de l’UE. Rien de pire ne pouvait arriver à l’Europe. Aujourd’hui, nous n’avons aucune personnalité de premier plan dans des or-ganes ou institutions de l’Union Européenne, dotée de la capacité d’amener les États membres sur une voie constructive et d’arrêter le déclin de l’Europe. Tout cela n’est pas un hasard. La perte d’autorité et d’influence du Président de la Commission Européenne et d’autres hauts représentants de la CE/UE a été fomentée par les gouvernements des États membres. À leurs yeux, Jacques Delors a été un politicien trop fort et avec de trop grandes ambitions pour l’Europe. Il avait apparemment pris trop de libertés dans la « gouver-nance » de l’Europe, dont il a été la « conscience » peu accommodante. On ne peut donc pas entièrement attribuer la faute au Royaume-Uni. Par exemple, l’Allemagne sous Helmut Kohl, qui voulait qu’un homme plus souple et sans doute plus faible prenne la Présidence de la Commission, partage cette responsabilité.

S’y ajoute le spectacle gênant des négociations de l’UE sur les nouveaux traités, les objectifs, les budgets à long terme, les subventions agricoles, etc. Nous observons une lutte et un marchandage acharnés pour des avantages et des centimes. En plus, la CE - et plus tard l’Union européenne - a érigé un certain nombre de structures administratives éloignées des citoyens, qui leur sont par conséquent restées étrangères, et dont ils ne comprennent pas le sens. Faut-il s’étonner alors que les citoyens, jeunes et âgés, ne s’enthou-siasment pas pour l’Europe ? Qui peut les en blâmer ?

Au départ, nous avons vu que la politique agricole commune n’a pas pu rapprocher les pays de la CEE. Malheureusement, 40 ans plus tard, l’Euro n’a pas pu, lui non plus, réaliser cela pour les pays de la zone Euro et n’a donc pas davantage tenu sa promesse. L’Euro, auquel les citoyens même en France et aux Pays-Bas se sont habitués et auquel ils ne veulent très proba-blement pas renoncer, est alors devenu pour de nombreux pays de la zone Euro une sorte de camisole à laquelle ils voudraient échapper, ce qu’ils ne peuvent faire, tant les conséquences en seraient imprévisibles. Alors qu’au-cun progrès n’a été fait pour renforcer les liens politiques entre les membres de l’Union et que la volonté d’envisager un avenir Européen commun devient toujours plus faible, l’Euro est devenu pour de nombreux politiciens un enfant mal-aimé que l’on préférerait abandonner, si c’était possible. En outre, on nous dit que les pays comme le Danemark et la Suède, qui sont à l’extérieur de la zone Euro, ne sont pas aussi gravement affectés par la crise financière et la dette que les pays de la zone Euro. Il devient de plus en plus difficile de convaincre les citoyens que l’idée Européenne vaut la peine. Les « Nations » dérivent dans un état d’impuissance à travers la crise financière et la dette. « Bruxelles » ne peut et ne doit rien faire qui dépasserait ses compétences dès lors très limitées. Nous allons examiner cette crise plus en détail quelques paragraphes plus loin.

Heureusement, il existe des structures dans l’UE, comme le programme Erasmus, permettant aux jeunes d’étudier un certain temps dans les autres

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pays de l’Union Européenne, faire un stage, ou y séjourner quelque temps avec un contrat de travail ou sur la base du volontariat. Les jeunes Français et Françaises notamment saisissent cette occasion. Comme déjà mentionné, grâce au programme Erasmus, notre fille Nancy a pu étudier quelque temps à Londres. Les langues étrangères sont de plus en plus populaires et là encore, ce sont surtout les Français et les Françaises qui réussissent de mieux en mieux à s’exprimer en langue étrangère, en particulier en anglais. Dans les pays de l’ancien bloc soviétique, l’anglais est pratiqué comme première langue étrangère, au détriment du russe. Si l’Europe ne vient pas vers les ci-toyens, les citoyens, surtout les jeunes, viennent vers l’Europe.

Encore relativement jeune retraité de 69 ans, je dois aussi avouer que quelque chose d’autre fonctionne bien : quelqu’un qui a droit à des retraites dans trois États membres différents, même si les montants de pension ne sont pas colossaux, obtient cette retraite sans trop de complications, même si les systèmes nationaux de retraite ne sont pas encore alignés et reliés par l’informatique. Si tout va bien, dans les trois mois, les formalités sont termi-nées et la pension arrive à la date prévue (pour combien de temps encore ?). Sauf que, dans mon cas, l’administration française a perdu ou égaré mon dos-sier deux fois et qu’il a fallu reproduire les formalités administratives trois fois avant de recevoir l’affirmation que tout était en ordre.

Beaucoup de problèmes se sont accumulés ces dernières années : depuis juillet 2007 les USA puis plusieurs pays européens, dont la Grande-Bretagne, s’enfoncent dans une crise bancaire, tout d’abord déclenchée par la crise dite des sub-primes. Les institutions financières prêtent généreusement aux ache-teurs d’immobilier quelle que soit leur solvabilité. Plusieurs institutions finan-cières se contentent de l’affirmation par leurs clients qu’ils peuvent rembour-ser le prêt contracté selon les modalités signées. Quand il devient évident que beaucoup de clients ne peuvent pas rembourser les prêts, une crise ban-caire généralisée survient et les gouvernements doivent intervenir et fournir d’énormes sommes d’argent aux banques pour les sauver de la banqueroute. Je ne vais pas ici me pencher sur les détails techniques, on a suffisamment écrit là dessus. Le fait est que les gouvernements doivent s’endetter forte-ment afin de sauver les institutions financières de leurs pays du gouffre. En outre, beaucoup d’argent doit être injecté dans l’économie pour éviter la faillite d’un certain nombre de grandes entreprises, particulièrement dans le secteur de l’automobile. À peine cette crise plus ou moins terminée, il devient clair que, en partie à cause des plans de sauvetage des banques et des entre-prises, mais aussi à cause de la gestion négligente des dépenses budgétaires, les États se sont surendettés au fil des années. Les États-Unis d’Amérique ont accumulé des dettes de plus de 15 billions $ (plus de 100 % du PIB) et fin 2011, la Grèce est endettée à plus de 170 % du PIB. Les autres pays euro-péens ne sont pas beaucoup mieux lotis, comme l’Allemagne dont le ratio de la dette est de l’ordre de 80 %. Comment faire pour se débarrasser de cette montagne de dettes ? Les mesures d’austérité n’ont jusqu’à présent pas eu d’effet. Étant donné que l’UE dispose maintenant d’une banque centrale, cette dernière pourrait à présent imprimer de la monnaie comme la réserve fédérale américaine. Cependant, comme l’euro n’est pas la monnaie étalon du monde, nous aurions rapidement une inflation galopante en Europe.

Une autre solution consisterait à ce que les créanciers abandonnent 50 ou 60 pour cent de la dette de l’Europe. Cela ne semble pourtant pas très pro-bable, après que nous ayons vu comment il a été difficile pour un tout petit pays comme la Grèce d’appliquer cette stratégie. Seuls les États-Unis ont pu passer une grande partie de leurs mauvais prêts bancaires aux banques étrangères, qui, elles, participaient activement et naïvement dans le com-

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merce, voire l’acquisition, des dérivés des prêts dits « subprimes » pour loge-ments américains. En outre, la FED pouvait faire marcher la planche à billet pour émettre des tonnes de dollars sans risquer d’inflation, car l’approvision-nement en liquidités dans la monnaie de réserve internationale a été absorbé en grande partie par la communauté internationale - et l’est toujours. La dette publique américaine est donc principalement couverte par les banques étrangères. Les Américains ont-ils déjà atteint les limites de cette stratégie ? Rien n’est moins sûr.

Entretemps, Chypre est entrée en crise. Un crédit de quelques milliards d’Euros lui est nécessaire pour survivre. Son secteur bancaire est aussi surdi-mensionné que celui de l’Islande l’a été lors de sa propre crise. Par ailleurs, Chypre est aussi un paradis fiscal. Il est donc compréhensible que les autres Européens ne veuillent pas garantir les dépôts des investisseurs, en majorité des Russes, qui ont placé de l’argent dans les banques chypriotes dans le seul but d’échapper au fisc de leur pays. En revanche, il y a une telle interdé-pendance dans le monde de la finance que la ponction automatique des dé-pôts étrangers peut avoir des conséquences imprévisibles pour la zone euro entière, et même au-delà. Si Chypre se déclarait en banqueroute, cela pour-rait avoir un effet domino néfaste sur la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Ir-lande et l’Italie.

L’Europe pourra-t-elle surmonter cette crise comme elle l’a fait déjà pour beaucoup d’autres ? On dit toujours que l’Europe progresse surtout grâce aux crises. Cette fois j’en suis moins sûr. L’Europe ne fonctionne tout simplement pas. Pour sortir victorieux de la crise actuelle, nous avons besoin d’organes et d’institutions fonctionnels à l’aide desquels les décisions pourraient être prises démocratiquement. Actuellement, les mécanismes de prise de décision sont encore beaucoup trop lourds, longs et complexes.

Néanmoins, l’Europe doit se redresser. Comment les jeunes générations doivent-elles se retrouver ? Elles n’ont aujourd’hui plus de « chez soi ». De-puis longtemps, la croyance en la nation n’est plus ce qu’elle était pour la gé-nération précédente. Même si dans certains pays il y a eu un mouvement vers la droite et l’extrême droite au cours des dernières années, on n’a pas l’impression que le nationalisme est de retour, heureusement pas chez les jeunes. Il y a plutôt chez eux une une réaction contre des politiques inca-pables d’apporter des résultats positifs. Les politiques sont essentiellement dirigées par les égoïsmes. Comme déjà mentionné plus tôt, les querelles de politiciens nationaux ainsi qu’au niveau de l’UE et même des chefs d’État, ne sont aujourd’hui perçues que comme des spectacles de guignol. Individuelle-ment, la politique des États-nations européens n’a plus aucune influence au niveau international et très peu au niveau national. Les jeunes prennent posi-tion contre cette comédie. Ils ont besoin d’objectifs, veulent savoir quels sont les buts et si à la fin du voyage il y a quelque chose qui vaille la peine de s’y engager. Pour eux, la vision d’une Europe socialement plus juste, est primor-diale. Le temps des grandes Nations européennes est terminé. Ni le Dane-mark (avec ou sans le Groenland), ni la France, ni l’Allemagne n’ont aujour-d’hui la masse économique nécessaire pour faire face à la concurrence mon-diale. L’Europe pourrait être un « chez soi » pour la jeune génération actuelle – si seulement elle le voulait! Nous devons donner une raison d’espérer un « chez soi » européen à cette jeune génération.

Tout cela ne veut pas dire que par exemple la France et la Grande-Bre-tagne n’ont pas été des grandes nations. Au contraire ! Bien qu’elles eussent aussi leurs points faibles, elles ont immensément contribué à la création d’un monde comme nous le connaissons aujourd’hui et cela dans divers domaines,

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tels que culturel, social, technologique et des droits de l’homme. Toutefois, cette grandeur est passée. En Europe, il ne reste aujourd’hui aucune « grande Nation ». C’est un fait que les dirigeants politiques doivent reconnaître !

Alors, que faut-il faire pour donner un avenir à l’Europe et à ses citoyens, jeunes et moins jeunes, qui vaille la peine d’en faire l’expérience ? Bien sûr nous ne pouvons pas lire l’avenir, mais s’il est une extrapolation du passé et du présent, il ne semble pas très prometteur. D’autre part, nous ne disposons d’aucune panacée. Nous pouvons seulement réfléchir intelligemment et offrir des suggestions pour façonner l’avenir de manière que le rêve de l’Europe de-vienne réalité. Quelques propositions dans cette direction seront faites dans le chapitre final.

Pourtant, il y a quelques rares signes indiquant que certains politiciens se préoccupent sincèrement de la façon dont l’Europe doit continuer. En mai 2012, nous entendons le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, dire que l’élection directe du président de la Commission est souhaitable car elle compenserait ainsi partiellement le déficit démocratique de l’Union euro-péenne et créerait plus de proximité citoyenne.

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Chapitre IV : Et l’Avenir ?

L’Union Européenne a besoin de nouvelles impulsions et d’un nouvel élan pour que d’autres régions en Europe et dans le monde puissent à nouveau prendre une certaine idée de l’Europe pour modèle. L’UE doit se redéfinir. De nombreux pays en voie de développement attendent plus de l’Europe qu’un simple partenariat commercial. L’Europe devrait prendre ou reprendre le lea-dership dans le domaine de l’environnement, de la démocratie, de systèmes financiers moraux, du commerce équitable, etc. La société civile doit être mo-bilisée et exprimer son impatience devant la lenteur des progrès de l’Union Européenne par des manifestations ou à travers des institutions et forums prévus à cet effet. La démocratie participative doit enfin devenir réalité au ni-veau européen / de l’UE ! Elle est déjà implicitement mentionnée dans le trai-té de Nice (entré en vigueur en février 2003). Le monde n’a plus besoin de pays souverains comme l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne, etc. Ils sont devenus obsolètes. Il y a aujourd’hui pour ainsi dire seulement des consom-mateurs et non des citoyens engagés dans les différents pays de l’UE ; et même le consommateur moyen n’a plus qu’un faible pouvoir d’achat. Mais une Europe unie qui se réinvente - que ce soit avec ou sans le Royaume-Uni reste à savoir - peut jouer un rôle positif dans le monde et peut également à nouveau engager ses citoyens. Nous devons saisir cette occasion !

Nous avons vu de nombreux empires émerger et périr. L’Empire d’Alexandre le Grand a été surdimensionné, assemblé trop vite et a perdu son héros trop tôt ; l’Empire romain a voulu aller trop loin et n’avait à la fin plus la force morale de se défendre en tant qu’idée et assurer une certaine égalité entre les divers peuples, étant donnée qu’un peuple romain avait du mal à émerger ; le Saint Empire romain germanique n’avait pas la cohésion néces-saire pour se défendre contre des puissances extérieures (l’empereur n’avait pas les instruments de pouvoir nécessaires) ; l’Empire britannique finissait par être trop grand et trop dispersé pour un petit pays comme la Grande-Bre-tagne, et l’Empire Soviétique reposait trop sur le contrôle et la coercition. De cette façon, seul l’empire Américain (US) est resté, mais il commence aujour-d’hui à montrer ses faiblesses (bien qu’il soit peut-être trop tôt pour ses éloges funèbres - il s’est avéré très tenace à déjà plus d’une fois).

Comment l’avenir va-t-il évoluer ? Une Europe unie par la libre volonté de ses citoyens pourrait montrer de nouveaux modes d’existence pour des com-munautés politiques, culturelles et économiques et devenir un contrepoids à la Chine. Si l’Europe ne progresse pas elle peut rapidement s’affaiblir et deve-nir la proie des partis d’extrême droite et de régimes totalitaires.

Pour assurer l’avenir, il faudra sans doute poursuivre plusieurs stratégies simultanément : créer davantage de symboles, réformer les institutions et en créer de nouvelles, abolir les institutions inutiles, proposer et adopter de nou-velles lois, mettre en ordre les finances, etc. Mais avant tout : créer un Gou-vernement Fédéral pour l’Union Européenne.

Voici quelques suggestions pour des mesures concrètes :

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Fin 2013 ou début 2014 des milliers de jeunes dans toutes les villes euro-péennes vont manifester pour des progrès plus rapides dans l’unification de l’Europe. Que les gens manifestent pour quelque chose, à cela, les politiciens ne sont pas habitués. Par conséquent, cela a l’effet désiré sur les politiciens, qui se mettent maintenant activement à la recherche de solutions.

Pour créer encore deux ou trois symboles forts, une équipe de football eu-ropéenne pour la Coupe du monde au Brésil en 2014 est créée (s’il n’est pas déjà trop tard) et des équipes olympiques européennes pour les jeux de 2016 à Rio sont préparées. L’effet recherché, c’est-à-dire un surcroît d’enthou-siasme pour l’Union, ne va pas tarder à se produire !

La priorité numéro 1 pour l’UE est à présent de se séparer aussi rapide-ment que possible du Royaume-Uni, qui n’est de toute évidence pas encore mentalement prêt pour l’Europe (et qui peut-être ne le sera jamais), pour en-fin redonner un sens à l’idée Européenne. Ce n’est pas facile à l’heure où l’UE a besoin des paiements des Britanniques pour le budget communautaire. En revanche, c’est l’occasion de définir les nouvelles priorités pour les investisse-ments au niveau de l’UE. Nous ne pouvons que souhaiter bonne chance à Da-vid Cameron pour son référendum de 2017 et espérer que les Britanniques plaideront pour une sortie accélérée de l’UE (même si nous soupçonnons na-turellement qu’il s’agisse juste d’une manœuvre habile de sa part, c’est-à-dire d’un bluff). Jusqu’à présent, tout a toujours été simple : s’il n’y a aucun pro-grès dans la poursuite de l’intégration de l’Europe, c’est toujours la faute de la Grande-Bretagne. Il est facile de blâmer ce pays et ensuite il n’est plus né-cessaire de faire des efforts du côté des autres pays, puisque, de toute façon, tout effort est vain. Nous avons donc ici encore une autre bonne raison dans l’UE pour nous séparer de ce pays dès que possible. Si un jour le Royaume-Uni devait trouver le courage de se ressaisir, il pourrait redevenir membre à part entière tout en acceptant alors les conditions en vigueur, sans exception. Alors que j’écris ces lignes (28 décembre 2012), Jacques Delors fait une pro-position dans ce sens dans le Handelsblatt. La Grande-Bretagne pourrait s’as-socier différemment avec l’UE, sans être membre à part entière. Pourquoi pas ?

Le Royaume-Uni n’est pas le seul pays à retarder ou même empêcher la création d’une Europe fédérale. A plusieurs reprises, la France a également actionné le frein, peut-être même plus encore que la Grande-Bretagne, où Winston Churchill s’était engagé en faveur d’une Fédération. Cependant, nous pouvons espérer que, à cause de la situation géographique de la France sur le continent et du voisinage direct de l’Allemagne, son attachement à un gou-vernement central fort et sa résistance contre l’abandon de sa souveraineté nationale pourront un jour être surmontées.

Par contre, l’admission de la Turquie avec son économie dynamique serait à présent une aubaine pour l’Europe. Malheureusement, la Turquie a aujour-d’hui beaucoup moins envie d’entrer dans l’UE que dans le passé et l’Europe devra sans doute se passer d’elle. De l’autre côté, l’Ukraine n’est pas restée au sein de la Russie (ex-URSS) et aimerait bien se joindre à l’UE. Elle pourra peut-être le faire dans quelques années quand son économie se sera transfor-mée pour se conformer aux standards de l’UE. Mais cela ne serait d’aucun se-cours dans la situation actuelle.

Pour sortir de la crise financière et de la dette publique, la BCE rachète maintenant la dette grecque et rembourse ses créanciers. Elle accorde des crédits à des taux très bas ou à taux zéro afin que la Grèce se redresse rapi-dement. Le pays s’engage à rembourser les nouveaux prêts dès qu’elle sera économiquement et financièrement rétablie pour supporter le rembourse-

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ment de cette nouvelle dette. On lui offrira des conseils et de l’aide pour bâtir une administration capable de percevoir des impôts chez ses citoyens et ses entreprises. Même les riches Grecs doivent payer des impôts (progressifs). Si nécessaire, on fera quelque chose de similaire pour le Portugal, l’Espagne et l’Italie, bien que l’Italie semble aujourd’hui plus solide qu’il y a une ou deux années, même si personne ne sait comment évoluera la situation après le dé-part précipité de Mario Monti. Est-ce-que Silvio Berlusconi reviendra même après sa condamnation par la cour de justice ? Partout, la corruption et la cri-minalité financière doivent être combattues activement et efficacement.

Un autre moyen de résoudre la crise financière serait le suivant : si un pays, qui se trouve dans un état de grandes difficultés financières, a pris des mesures appropriées pour maîtriser le déficit primaire hors paiement des inté-rêts, c’est-à-dire s’il n’a plus besoin de nouveaux emprunts sauf pour le paie-ment des intérêts des emprunts en cours, la BCE interviendrait pour le paie-ment de ces intérêts. Alors, le pays en question pourrait commencer à rem-bourser sa dette elle-même et n’aurait plus besoin de s’endetter à nouveau pour payer les intérêts et les intérêts des intérêts de sa dette.

L’étape suivante consiste à investir dans les pays de la zone euro, qui sont aujourd’hui économiquement les plus faibles. Cependant, il ne suffit pas de créer une infrastructure économique si on n’y inclut pas les acteurs écono-miques eux-mêmes. Ici, on pourrait prendre en exemple la Pologne, qui n’était certainement pas dans une position brillante lorsqu’elle est devenue membre de l’Union Européenne. Par contre, elle a investi intelligemment ses ressources et a impliqué ses partenaires commerciaux dès le début.

En même temps, nous devons mettre en place des agences de notation alternatives aux Moody’s, Fitch Ratings, Standard & Poor’s, etc. en Europe. Pour être efficaces, elles doivent sonner l’alarme beaucoup plus tôt que les grandes agences existantes ont tendance à le faire. Il est déjà beaucoup trop tard si l’on attire l’attention sur les finances d’un état quand ses dettes sont proches de la limite de 100 % du produit intérieur brut. L’UE elle-même avait utilisé 60 % comme limite supérieure (avant la réunification de l’Allemagne). On devrait probablement sonner l’alarme dès 30 %. À cette hauteur, les dettes sont toujours faciles à maîtriser, alors que tout ce qui est au-delà est difficile à gérer. En outre, on a aussi besoin d’un contrôle bancaire qui fonc-tionne et à l’instant où j’écris ces lignes, il y a effectivement une approche al-lant dans la bonne direction : On a donné à la Banque Centrale Européenne (BCE) le droit (et le devoir) d’observer de près les grandes banques de l’UE et de donner un avertissement si elles prennent trop de risques. En effet, elles courent le risque d’accorder trop de prêts à des clients douteux pouvant se révéler insolvables. La BCE peut les forcer à respecter les règles relatives à leur équité et à leur propre dette. Ce nouveau règlement entrera en vigueur en mars 2014. Peu de choses se passeront d’ici là. Pour créer un système fi-nancier solide en Europe, nous avons toutefois besoin d’une union bancaire ainsi que d’un fonds d’aide pour qu’en cas de besoin les banques malades puissent être liquidées sans que leurs clients ne subissent de dommages. Ce-pendant, nous sommes encore très éloignés de cette situation. Les progrès de l’UE sont infiniment laborieux et avancent à un rythme d’escargot, voire pas du tout. Par contre, la mondialisation progresse régulièrement et de nouvelles façons de contourner les règlements appliqués aux finances et aux investisse-ments sont trouvées à la vitesse de l’éclair - avant qu’on puisse s’en aperce-voir. Sur le plan politique, tout va beaucoup trop lentement et s’arrête sou-vent à mi-chemin. Le monde de la finance court toujours plus vite que les contrôles.

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À la suite des opérations de sauvetage grecque, portugaise, espagnole et peut-être même italienne, nous aurons peut-être un taux d’inflation impor-tant, étant donné que l’argent du sauvetage doit être imprimé, ou doit tout au moins être déposé sur les comptes du créancier, même sous forme virtuelle. Ensuite, cet argent veut être réinvesti, qu’il s’agisse de l’argent imprimé ou virtuel.

Il convient de rappeler que les dettes représentent de l’argent qui a été dépensé pour des contre-valeurs, qui, elles, ont été consommées. Cet argent a donc changé de mains et prend part au circuit monétaire. Si les créanciers sont remboursés par la Banque Centrale avec de l’argent frais, émis par la banque, cette nouvelle création d’argent s’ajoute à l’argent déjà en circula-tion. Ainsi, un nouvel équilibre entre la masse monétaire d’un côté et des biens et des services de l’autre devrait s’installer et entraîner une diminution du pouvoir d’achat par unité monétaire et donc conduire à une augmentation de l’inflation, au moins à longue échéance. C’est en fait un simple phéno-mène de cause à effet qui s’applique à toutes les monnaies nationales ou communes. On ne peut pas émettre de grandes quantités de nouvelle mon-naie sans risquer davantage d’inflation. Si l’Euro était la monnaie de réserve internationale à la place du dollar américain, ce destin aurait peut-être pu être évité puisque la communauté internationale aurait payé les pots cassés. Cependant, à courte échéance, nous ne verrons peut-être pas cette inflation s’exprimer rapidement par une augmentation des prix des produits et ser-vices et ceci pour une raison simple :

Ce serait évidemment une bonne affaire si cet argent supplémentaire était investi de façon productive dans des petites et moyennes entreprises ou dans l’enseignement et l’éducation ou dans le développement d’infrastruc-tures ou d’autres domaines utiles. Ce n’est malheureusement pas ce à quoi on peut s’attendre. L’argent n’est pas intelligent ni altruiste. Soit il cherche un refuge sûr avec la possibilité de se reproduire soit il recherche l’investisse-ment à risque (souvent très diversifié) avec la possibilité de profits très éle-vés. En d’autres termes, l’argent que les créanciers reçoivent des banques centrales est réinvesti dans les marchés financiers, où il fait monter les cours des actions ou baisser les intérêts pour les emprunts d’état, à la place d’être investi dans l’économie réelle, où il engendrait sans doute des effets inflation-nistes, mais aurait en même temps un effet positif sur l’économie.

Ces fausses routes de l’argent excédentaire et le dilemme par lequel les États ne sont pas en mesure d’en disposer sans avoir à payer un lourd tribut pourraient être évités si ces moyens financiers surnuméraires étaient forte-ment imposés à la source et dirigé directement là où l’on en a besoin. Il faut cependant souligner qu’ils ne proviennent en grande majorité pas de sources imposables. Par exemple, les fonds souverains et les pétrodollars ne peuvent pas être imposés en Europe. Il faut de plus se poser la question de savoir si les États sont efficaces dans la redistribution de l’argent et jusqu’où les taxes peuvent s’élever sans paralyser l’esprit d’entreprise ; car ici nous avons af-faire à une des rares sources qui en effet se laissent encore imposer dans une certaine mesure. L’État devrait alors renforcer ses compétences dans la redis-tribution plus productive des richesses. Il ne suffit pas de transférer l’argent des riches vers les pauvres. Ce transfert doit également avoir pour consé-quence que les personnes tout à fait en bas de l’échelle sociale soient habili-tées à s’aider elles-mêmes et à être capables de sortir de leur condition et du cercle vicieux de la pauvreté et de la dépendance. L’État devrait faire appel ici au soutien privé.

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En ce qui concerne la fiscalité des entreprises, il serait logique de subven-tionner les jeunes entreprises dans leur phase de développement et de les imposer très faiblement ou pas du tout à ce moment critique pour qu’elles puissent grandir et devenir des agents économiques forts et solides. Une fois ce stade atteint, ces entreprises peuvent être imposées aussi fortement que leur solidité le permet sans entraver leur capacité de réinvestissement. Pour ce faire, les paradis fiscaux qui existent non seulement à l’extérieur de l’UE mais aussi à l’intérieur, doivent être neutralisés. Ceci ne sera possible que quand l’Europe parlera d’une seule voix, c’est-à-dire quand nous aurons les États-Unis d’Europe.

On pourra aussi imposer les gains spéculatifs et d’autres opérations finan-cières. Il reste à savoir comment cela peut être réalisé dans un monde globa-lisé. Que chaque nation cherche pour elle-même des moyens de réguler le ca-pitalisme et en particulier le monde de la finance, est aujourd’hui absolument absurde, car cela ne mène à rien. Ce n’est qu’au niveau d’une Europe unie que l’on pourrait être véritablement efficace. Nous devrions tout faire pour ne pas laisser passer cette opportunité.

On pourrait aussi faire appel au patriotisme européen des 0,01% les plus riches de notre population et leur demander de ne pas seulement penser à leur profit à court terme, mais plutôt à une prospérité plus générale à long terme dans laquelle la classe supérieure a plus de chances de survie et de sé-curité que dans un monde de contrastes extrêmes entre riches et pauvres. Essayer cela vaudrait sans doute la peine. Un service de la dette coordonné par la BCE, par les États eux-mêmes et par la disposition de la classe supé-rieure à y participer pour que l’État puisse continuer d’investir dans les dispo-sitifs sociaux, serait sans doute la meilleure et la plus élégante issue à l’ac-tuelle crise de la dette.

Si cela ne fonctionne pas, ce qui serait évidemment à regretter, mais à quoi il faut s’attendre, le manque de participation de la couche supérieure (nantie) de la société au service ou à la restructuration des dettes nationales conduit à une inflation galopante. L’issue pourrait alors être la suivante :

En 2014 ou 2015 ou peut-être un an plus tard, une réforme monétaire est effectuée. Un ECU équivaut à 10 euros. À l’instar de la réforme de la monnaie de juin 1948, qui a été effectuée par le ministre fédéral allemand de l’écono-mie, Ludwig Erhard, le surplus d’argent est ainsi instantanément résorbé. Avec cette solution, les personnes physiques comme les personnes morales sont concernées. L’État (en l’occurrence la Fédération Européenne), annule donc de facto une grande partie de sa dette (seulement 10% de la dette est converti dans la proportion de 10 pour 1 en ECU) et obtient ainsi un budget équilibré, qu’il doit désormais maintenir.

En théorie, cette réforme serait aujourd’hui encore une façon élégante de remettre les finances sur pied et d’assurer un nouveau départ. Reste à savoir si à l’heure actuelle cela est possible en pratique, alors que les entreprises de toutes tailles opèrent au niveau mondial. Si l’on arrivait à garder l’action se-crète pour ensuite l’exécuter par surprise, elle aurait peut-être une chance de réussir. Mais à l’ère des WikiLeaks et Twitter, on ne peut plus en être sûr. Si quelqu’un en apprenait le moindre détail, tout le monde en Europe irait, dans un mouvement de panique, se débarrasser de l’euro, qui perdrait aussitôt sa valeur et les citoyens souffriraient autant que les entreprises (à l’exception peut-être des très grandes entreprises, qui utilisent de grandes quantités d’autres monnaies, en particulier le dollar américain, pour leurs transactions).

Le cas de la Grèce a montré en décembre 2012 qu’avec l’aide de parte-naires institutionnels on peut réussir à racheter sa propre dette à moindre

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coût (environ un tiers de la valeur nominale). Cependant, une telle action ne peut se dérouler que dans des limites extrêmement étroites. La Grèce est un petit pays et sa dette est donc évaluable. Lorsqu’il s’agit d’un grand débiteur comme l’Italie, les choses sont différentes. Les créanciers ne vont pas écouler en grandes quantités sur le marché les crédits accordés à un pays en difficul-té, si le débiteur est encore - même partiellement - solvable, donc pas encore complètement en banqueroute. Et pourtant, c’est justement la banqueroute qui est à éviter. Les choses se compliquent évidemment quand un pays par-tage sa monnaie avec d’autres pays.

Une autre approche - aucune réflexion ne saurait être tabou ici - pourrait ressembler à ceci : si les grandes banques ne se plient pas aux règles, on peut créer un nouveau système bancaire public, dont le capital est apporté par la Banque Centrale et qui a pour mission de pourvoir les petites et moyennes entreprises avec de l’argent, de gérer l’épargne et le revenu des citoyens ordinaires et de payer les intérêts sur leurs dépôts. Les grandes en-treprises et les conglomérats peuvent eux aussi contracter des emprunts au-près de ces banques, s’ils remplissent certaines conditions, comme par exemple renoncer aux rémunérations indécentes de leurs cadres supérieurs et en finir avec les stock options. En outre, ils doivent prouver qu’ils font des investissements à long terme et arrêter d’alimenter le tintouin boursier. Les entreprises qui s’engagent à respecter ces conditions, recevraient un prix spécial, qu’elles pourraient utiliser pour soigner leur image. Même Jack Welch, l’ancien PDG (jusqu’en 2001) de General Electric (GE), qui avait sans cesse poussé sa société à faire des profits de 15 % et plus, réussissant ainsi à multi -plier par quarante la valeur des actions de GE, a fini par admettre que cela était une absurdité absolue. Une entreprise ou institution ne peut simplement pas écrémer des profits aussi importants et en même temps rester en équi-libre avec l’environnement dans lequel elle opère. Si trop d’argent est sous-trait de l’économie réelle pour être donné aux actionnaires et qu’ils réinves-tissent en grande majorité dans d’autres actions, il ne reste pas assez d’es-pace à l’économie réelle pour se développer.

Par contre, les grandes banques d’inves-tissement n’obtiennent plus d’ar-gent de la Banque Centrale, mais doivent le chercher sur le marché libre. Avec cet argent, elles peuvent alors continuer à spéculer et à faire d’autres méfaits s’il leur plaît ainsi et si elles ont l’accord des créanciers. Mais elles ne doivent pas pour cela utiliser l’épargne ou tout autre dépôt des citoyens. Reste à savoir si les politiciens auront le courage de jouer ce scénario jusqu’à la fin, ce dont je doute fort.

Une superbe solution à ce problème serait d’introduire une « monnaie de spéculation » spéciale et mondiale, dont l’utilisation serait obligatoire pour toute opération spéculative. Elle serait quotidiennement évaluée contre les « monnaies réelles ». Cela mettrait en évidence la qualité « casino » (comme des jetons) de cette monnaie et son caractère virtuel et volatil. Si trop d’ob-jets spéculatifs perdaient leur valeur spéculative, alors cette « monnaie de spéculation » perdrait de sa valeur contre les monnaies réelles sans affecter ces dernières. Peu de personnes, organisations, institutions ou agences conti-nueraient probablement leurs aventures spéculatives sous ces conditions. Malheureusement, le lobby financier serait probablement trop fort pour que cela arrive. Mais considérer cette possibilité comme une expérience théorique devrait être un exercice fertile.

En revanche, le passé récent a montré que les attaques sur le système monétaire européen n’ont pas eu d’effet durable dans la mesure où les gou-vernements concernés et la Banque Centrale Européenne se sont fermement

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prononcés pour la préservation de ce système monétaire et ont mis à disposi-tion les ressources (bien qu’insuffisantes) pour sa consolidation. Les Euro-péens ont gagné du temps pour trouver une solution durable. Mais ce répit ne doit pas être trop long.

Il semble que la seule façon réaliste de sortir du chaos actuel est la créa-tion d’une véritable Union, c’est-à-dire les États-Unis d’Europe. Et si cela n’est pas faisable avec les 27 États membres, pourquoi ne pas l’essayer avec les 17 pays de la zone Euro ou les 6 pays fondateurs de la CEE ? L’Allemagne, qui possède la meilleure expérience d’une structure fédérale, devrait pour une fois se dépasser et assumer le rôle de leadership. Mme Merkel, qui semble avoir récemment détourné ses yeux de l’Europe, comme l’a déjà fait son pré-décesseur, Gerhard Schröder, et ceci particulièrement en prévision des élec-tions qui sont prévues pour septembre 2013, pourrait avancer les choses dans le bon sens, si elle voulait. Beaucoup d’autres États de l’Union attendent cela de l’Allemagne. C’est pour elle presque une obligation morale de le faire, non pas seule avec la France, mais par un dur travail de persuasion avec tous les partenaires. Helmut Kohl l’avait déjà bien compris. Les pays de l’Est de l’Union Européenne, favorables à l’idée d’une Union Fédérale, devraient aussi activement participer à la discussion. Finalement, il faudra ne pas oublier d’impliquer aussi les populations dans la discussion et le travail de persua-sion, car elles devraient finalement être interrogées par référendum ou un mécanisme similaire leur demandant si elles sont d’accord pour la création de cette Union Fédérale. Bien sûr, l’opinion publique doit être bien préparée. Après que ces pays pionniers auraient atteint des étapes prédéterminées, d’autres pays pourraient s’y joindre s’ils s’engagent à suivre l’itinéraire pres-crit.

Les États choisissant de s’unir dans une véritable Fédération doivent le faire en sachant pertinemment que le résultat final sera un nouvel Etat Fédé-ral, tels que les États-Unis d’Amérique, avec des forces armées, une législa-tion, un Parlement efficace et influent, un Chef de l’État, des recettes fiscales, un budget, des missions diplomatiques, etc. Cet objectif doit être atteint le plus rapidement possible, sans hésitation, sans marchandage, sans querelles. Il ne faut pas permettre à nouveau que les langues nationales représentent un obstacle insurmontable pour une telle Union. Le Saint Empire romain ger-manique avait uni des peuples parlant plusieurs langues au sein de ses fron-tières et la Suisse le fait encore aujourd’hui. Les dirigeants européens ont une grande responsabilité aujourd’hui quant à l’avenir de l’Europe d’ici 10 ou 20 ans et ils ne peuvent pas éviter de faire face à cette responsabilité.

Une fois le nouveau gouvernement fédéral des États-Unis d’Europe instal-lé, il doit immédiatement commencer à faire valoir certaines prérogatives dans la politique économique, commerciale et financière. Il est insensé que la politique s’aligne sur l’économie et les marchés financiers, qui, eux, vivent dans un monde virtuel. Une politique impuissante n’a pas sa place. Il est tou-tefois difficile de changer quelque chose dans le contexte national, mais le gouvernement de la Fédération Européenne peut intervenir différemment. A cet échelon, la politique, l’économie et les marchés financiers jouent sur le même terrain et la politique peut mieux indiquer la direction à suivre et mieux apporter le sens du long terme que les autres partenaires peuvent le faire, car elle a (ou devrait avoir) plus de hauteur.

Nous ne pourrons pas échapper au devoir de faire sortir le système finan-cier de son monde virtuel et de le reconnecter à l’économie réelle ! Comme déjà mentionné, nous avons besoin d’une Europe forte et unie qui puisse s’as-seoir à la même table que les autres puissances économiques pour définir les

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règles de ce système financier redevenu sobre. Comme déjà mentionné plus haut, nous devons aussi mettre un terme au système des paradis fiscaux. Il n’est pas admissible que des gains soient dirigés vers des paradis fiscaux sans que le Trésor puisse intervenir. Si quelqu’un voulait mettre ses gains à l’abri dans un paradis fiscal, il devrait produire ces bénéfices dans l’économie locale de ce « paradis ».

Une révision et un renforcement de la réglementation de la bourse euro-péenne pourraient être réalisés dès 2015. La spéculation sur les devises ainsi que les opérations sur dérivés, matières premières et produits agricoles sont supprimées du menu. Les investisseurs sont encouragés à effectuer des in-vestissements à long terme, mais aussi à penser aux jeunes entreprises en ascension. Les pouvoirs de la Banque Centrale Européenne sont calqués sur ceux de la Banque d’Angleterre, lui permettant d’influencer directement la masse d’argent en circulation et faisant ainsi une politique monétaire en ac-cord avec le gouvernement, sans perdre de vue la mission d’observer et de contrôler l’inflation. Les banques sont soumises à une surveillance plus stricte et des experts chargés de cette surveillance sont formés et équipés de pou-voirs appropriés. Les banques d’investissement sont soigneusement séparées des banques de dépôts, qui ne peuvent plus utiliser l’argent de leurs clients pour les opérations d’investissement et les transactions spéculatives. Les banques d’investissement sont seules responsables de leur propre capital pour d’éventuelles indemnisations si leurs activités sont conclues après une évaluation erronée des risques, et les investisseurs doivent le savoir. Par ailleurs, les transactions financières spéculatives sont (faiblement) imposées (on a parlé de la « taxe Tobin », qui a été initialement conçue pour le marché des changes - qui se déroule en quelques secondes, voir millisecondes - afin d’atténuer la volatilité des parités des devises). Une taxe similaire devrait être imposée pour toute sorte de transaction spéculative. L’état ne se porte plus garant si quelque chose tourne mal pour les banques d’investissement. Quelque chose de similaire a été proposé par John Vickers, l’économiste bri-tannique, en 2011 (cantonnement) et par Paul Volker, l’ancien président de la réserve fédérale, en 2009. Une telle loi avait existé aux États-Unis dès 1933, sous Roosevelt (Glass-Steagall Act). Malheureusement, par la suite, cette loi fut modifiée à plusieurs reprises et finalement abolie en 1999, sous la prési-dence de Bill Clinton. Ces modifications, puis l’abrogation complète de la loi, qui a conduit à la déréglementation complète des marchés financiers, ont rendu possible la crise des "Sub-primes" de 2008.

La politique économique devra veiller à ce que les EUE arrivent non seule-ment à faire face à la concurrence mondiale, mais y jouent un rôle de premier plan. Pour cela elle favorisera la coopération entre entreprises et syndicats et accordera aux syndicats certains droits de cogestion dans les entreprises. La stratégie d’éducation et de recherche aura un rôle prépondérant et les « clus-ters » régionaux d’innovation, par exemple dans le domaine du génie géné-tique, de la nanotechnologie, de la technologie de l’information, etc. devront être promus comme des priorités.

Comment aujourd’hui faire redémarrer une croissance économique du-rable ? Rappelons ici qu’il n’y a aucun manque de capital. Seulement, ce capi-tal est mal investi, dans des objets spéculatifs à la bourse ou dans de l’immo-bilier hors de prix, etc. Dans de nombreux pays, et notamment en France, la société est trop fixée sur la préservation des acquis et étouffe ainsi toute mo-bilité ascendante ou transversale. Les syndicats en particulier portent une certaine responsabilité dans tout cela. Ils ne pensent pas aux exclus de la vie sociale et économique parce que ceux-ci ne savent pas jouer des coudes ou ne possèdent pas les compétences professionnelles demandées. La société

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postindustrielle ne peut pas se contenter d’offrir seulement des services comme si ces services n’étaient pas imitables par les nations émergentes. Les services mobiles notamment peuvent être très bien imités ailleurs. Une société purement postindustrielle conduira donc à l’absurde. Un minimum d’industries doivent rester dans les pays et produire des biens innovateurs, compétitifs et de qualité. L’innovation est nécessaire, mais elle doit être bien réfléchie et ne pas devenir une fin en soi (voir deux paragraphes plus loin). Pour faire quelque chose de durable, l’industrie doit ouvrir ses portes aux jeunes générations qualifiées. À côté de professionnels de plus en plus spé-cialisés, formés dans les universités et les grandes écoles, des jeunes doivent être formés pour les besoins de l’industrie par l’industrie elle même, qui s’en-gage à adopter à nouveau le principe de l’apprentissage. Il s’agit là d’une porte cruciale pour entrer sur le marché du travail. Les entreprises doivent absolument faire cet investissement pour garantir leur propre avenir. C’est urgent ! En outre, il faudra favoriser le développement des petites nouvelles entreprises pour qu’elles puissent grandir et élargir leur marché ! Du point de vue sociopolitique et macro-économique, il est contre-productif pour une jeune entreprise - dès qu’elle commence à faire un peu de profit, après trois ou quatre ans - de se faire acheter par une multinationale pour ensuite dispa-raître dans les broussailles d’un conglomérat.

Une fois mes pensées sur l’actuelle crise financière et la dette mises sur papier, je me suis mis à la lecture du Rapport Stiglitz12 pour découvrir que mon analyse de cette crise internationale et celle exposée dans le rapport ne sont pas très différentes, bien que les solutions proposées ne soient pas tou-jours les mêmes. Alors que dans le livre on propose une approche où des so-lutions sont adaptées à la situation existante, c’est-à-dire avec la préservation des banques et la possibilité de spéculation etc., cela ne me semble pas tou-jours être possible ou efficace. Bien que ce rapport ne soit pas une lecture fa-cile, je la recommande chaleureusement.

Je voudrais, néanmoins, prendre fait et cause pour le capitalisme de l’après-Deuxième Guerre Mondiale. Il a apporté au monde – même si ce n’est pas partout de la même façon - des progrès considérables dans le domaine de la prospérité, de la santé, de l’innovation technique et technologique, de l’échange global des biens physiques et culturels et de l’utilisation efficace du travail. Depuis, le capitalisme a trouvé ses limites ; du moins dans sa forme actuelle. L’esprit d’entreprise, les start-ups et l’innovation sont devenus des veaux d’or autour desquels tout le monde danse. Aujourd’hui, l’innovation est souvent devenue une fin en soi ; voir, par exemple l’entreprise Apple, qui remplace continuellement les propres produits qu’elle vient juste de mettre sur le marché par de nouvelles versions. On se demande comment Apple ar-rive encore et encore avec son marketing à convaincre ses jeunes (et moins jeunes) clients que le tout dernier produit est un « MUST » absolu. L’enthou-siasme des fans d’Apple est incroyable. Ils sacrifient presque leurs derniers sous pour ces produits et avec une fréquence qui surprend. En outre, les gou-rous de l’industrie nous disent que bientôt nous ne pourrons plus nous passer des Smartphones et/ou de produits similaires. Et quand le Smartphone com-mence à triompher, le produit suivant, par exemple les verres intelligents, est déjà prévu, et ainsi de suite. Même Microsoft a conçu son Windows de telle sorte que nous ayons besoin d’une nouvelle version tous les trois, quatre ans. Quelle poule aux œufs d’or ! Et cela ne suffit pas - les ordinateurs, les por-

12 Rapport Stiglitz – Pour une vraie réforme du système monétaire et financier international, présenté à l’Assemblée générale de l’ONU le 26 juin 2009 (rapport de la Commission d’experts du Président de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les réformes du système monétaire et financier international)

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tables, les tablettes, les smartphones, etc. ne peuvent que très difficilement être éliminés. Il y a bon nombre de métaux précieux dans l’électronique de ces appareils dont la récupération pour recyclage est extrêmement difficile. Si ces métaux ne peuvent être récupérés dans des conditions économiques, nous aurons bientôt un sérieux problème environnemental.

Cette course économique contre le temps et les risques environnemen-taux concomitants n’est pas très satisfaisante. La jeunesse n’est également pas toujours consciente des effets secondaires de cette course. Pour la socié-té, cette course, en réalité une concurrence de tous contre tous, presque une guerre de tous contre tous, est extrêmement dangereuse, et coûteuse pour la société, notamment par ses conséquences médicales. Elle encourage l’indivi-dualisme primitif ou l’égoïsme et tue le sens de la communauté sans lequel une société ne peut pas exister dans la durée. Ce dont nous avons mainte-nant besoin, ce ne sont pas des innovations technologiques supplémentaires que bientôt personne ne pourra plus payer – et cela vaut également pour le secteur des soins médicaux – mais des innovations sociales. Si nous ne vou-lons pas mettre en danger ce que nous avons accompli jusqu’à présent, nous devons réfléchir à la façon dont nous pouvons participer à la prospérité (peut-être plus modeste) sans mettre la société en danger. Beaucoup de gens, que la concurrence effrénée a jetés à la rue, connaissent déjà une vie plus que modeste ; de plus en plus de gens la connaîtront et il ne s’agira pas toujours de main-d’œuvre non qualifiée.

Les États-Unis d’Europe devraient aussi créer un fonds souverain, comme la Norvège, la Chine et les pays de l’OPEP. Avec ce fonds, des investisse-ments qui ne seraient pas possibles à partir des moyens privés ou publics, pourraient être effectués.

La croissance économique seule n’apportera plus grand-chose à l’avenir, en tout cas pas une prospérité véritable. Cette croissance, même si elle est encore possible, doit impérativement s’accompagner de mesures socialement responsables. Les technologies de l’information modernes nous permettraient aujourd’hui facilement de travailler à temps partiel et de partager le travail journalier avec une autre personne pour la même efficacité qu’avec le travail à plein temps. On pourrait alors donner moins de travail à plus de personnes. Je suis conscient que nous courons le risque de réveiller la vieille polémique sur le thème de la semaine de 35 heures en France. En fait, le problème est simple : La spéculation immobilière a fait grimper les prix de l’immobilier si rapidement que pour de nombreux salariés et retraités l’argent restant après le paiement du loyer n’est plus suffisant pour vivre. Mais les politiques manquent de courage et n’osent pas affronter ce problème. Le gel des prix des loyers et des coûts de construction seraient bienvenus. Malencontreuse-ment, on a d’une part une explosion des prix de l’énergie, qui vont encore augmenter si l’on va de l’avant avec les énergies renouvelables et, d’autre part, les déficits primaires et/ou fiscaux des budgets nationaux ne permet-traient pas d’accélérer la construction de logements locatifs. À un moment donné, il faudra faire quelque chose si nous ne voulons pas revenir à une si-tuation explosive qui nous confrontera à la pauvreté de masse (dont la Grèce et l’Espagne nous donnent déjà un avant-goût). On ne pourra pas éviter, tôt ou tard, de toucher prudemment mais résolument à la répartition des biens. Sinon, ce qui a entraîné la révolution française en 1789 et conduit à l’élimina-tion de l’absolutisme féodal pourrait se reproduire. Cette fois, la cible serait l’« aristocratie financière » et il y aurait à nouveau beaucoup de misère à sup-porter, d’autant plus que nous ne sommes plus une population à 50 % rurale mais sommes tributaires d’une économie sophistiquée.

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De plus, nous vivrons de plus en plus longtemps et les jeunes générations ne pourront porter la charge de notre retraite si nous continuions à la prendre à 60 ou 65 ans. C’est pourquoi certains gouvernements ont déjà décidé de re-lever l’âge de la retraite, même si cela devait se faire contre une forte résis-tance. D’ailleurs, les gens en âge de prendre leur retraite représentent un grand réservoir de force de travail productif, qui pourrait et devrait être utili-sée sous la forme de bénévolat ou contre une rémunération modeste. Beau-coup de gens concernés n’ont pas envie de prendre leur retraite et seraient heureux de pouvoir exercer un emploi enrichissant. Ceci est surtout important pour les pays à faible taux de natalité. Ainsi, la transition vers une population vieillissante, en particulier en Allemagne, en Italie et en Espagne, pourrait être maîtrisée sans trop de difficultés. Mais ce réservoir est aussi d’une grande importance pour les pays ayant des taux de fécondité normaux. L’ex-périence des personnes âgées ne doit pas être sous-estimée, tout comme la possibilité du transfert d’expérience aux générations suivantes.

Concernant le déclin de la population allemande, il ne devrait pas y avoir de véritable problème. Au contraire, avec une population plus faible on aurait davantage d’espace géographique disponible par habitant et les Allemands vivraient plus à l’aise. Le prix de l’immobilier chuterait et la vie deviendrait moins chère. Aussi les relations de voisinage et la vie familiale pourraient en bénéficier. De nombreux citoyens jugeraient le fait de travailler plus long-temps comme un privilège plutôt que comme un fardeau. Naturellement, pour garder quelqu’un intégré au monde du travail jusqu’à 70 ans et peut-être au-delà, il est nécessaire de considérer l’état physique et mental de chaque personne individuellement. Toutefois, afin d’éviter la perte de compé-titivité au sein des populations allemandes, italiennes, espagnoles, etc., il fau-dra améliorer la qualité d’enseignement pour les jeunes et offrir d’excellentes formations de reconversion pour les seniors. Seulement sous ces conditions pourra-t-on maintenir près de 100 % des citoyens dans un emploi "productif".

L’innovation sociale dans ces domaines – et dans d’autres similaires – est donc une nécessité absolue si nous ne voulons pas nous diriger vers une nouvelle révolution qui n’apporterait, du moins en un premier temps, que des souffrances pour tous. Le capitalisme dans sa forme actuelle ne peut pas ac-complir cela, ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas du tout capable de le faire. Les fondations de riches américains, comme par exemple Bill Gates, prouvent qu’il y a ici un potentiel notable. En revanche, Mitt Romney a mon-tré qu’il peut être aussi difficile pour les représentants du capitalisme de com-prendre les besoins des petites gens. Si le capitalisme est censé fonctionner, il a besoin de règles rationnelles qu’il doit s’engager à suivre et l’État a besoin d’instruments pour garantir le respect de ces règles. En particulier en matière de pénurie de logements, l’innovation sociale est nécessaire. J’ai déjà men-tionné une autre possibilité : permettre un nouveau départ aux gens échoués sur les rives du chômage - un nouveau départ « loin » de notre civilisation. Certaines régions, comme le Massif Central en France ou le Mecklembourg-Poméranie-occidentale en Allemagne ont connu un important exode de leur population au cours des dernières années. On pourrait alors permettre un nouveau départ à ces gens et même garder ouverte la possibilité d’un retour dans le monde « civilisé ». J’ai déjà mentionné l’exemple des Mennonites des Etats-Unis d’Amérique. Par la raréfaction de la main d’œuvre sur le marché du travail – puisque nous aurons probablement aussi des citoyens non-chômeurs qui se sentiraient attirés par ce mode de vie - on pourrait éventuellement s’attendre à un retour à des salaires plus élevés, ce qui serait bon pour l’éco-nomie.

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Lorsque nous aurons résolu notre crise actuelle, vers 2020, il faudra ap-porter le plus vite possible une modification constitutionnelle approfondie pour consolider les États-Unis d’Europe. Le concept de nation, avec les caco-phonies qu’il implique forcément, devrait enfin disparaître du vocabulaire de l’Union. Par conséquent, comme déjà mentionné au chapitre précédent, il fau-dra tout mettre en œuvre pour finalement créer une structure politique à deux niveaux, où le niveau supérieur serait représenté par le gouvernement fédéral, c’est-à-dire le gouvernement de l’Union, et le deuxième niveau par les régions, qui seraient alors les États. Bruxelles devrait ensuite être confir-mée capitale permanente et effective de l’Union. La ville devrait avoir un sta-tut similaire à celui de Washington, D.C., c’est-à-dire, qu’elle n’appartiendrait à aucune région/aucun État mais serait sous la responsabilité directe de l’or-gane suprême des EUE. Cela permettrait en même temps de résoudre le dif-férend entre les deux régions belges concernées. On pourrait même garder la famille royale belge, et désormais utiliser le roi ou la reine comme figure de proue pour l’Union. Cela ne représente pas une contradiction avec la démo-cratie comme le prouve la Grande-Bretagne, ou mieux, le Royaume-Uni, de-puis déjà trois cents ans – d’abord par tentatives et plus tard, sous la Reine Victoria et Georges V, plus résolument. Mais cela est bien sûr une question à discuter.

Le Parlement (Chambre des communes, Chambre basse) doit enfin être équipé des pouvoirs nécessaires pour la législation et le Conseil des ministres remplacé par un Conseil (Chambre des Lords, Chambre haute) où les régions sont représentées. On peut appeler ces deux institutions, « Sénat » et « Chambre des représentants » et les doter de compétences appropriées. La Commission est remplacée par un gouvernement élu. Le président de la Com-mission est remplacé par un chancelier ou le premier ministre. Le président de l’Union européenne aura probablement un caractère plus représentatif comme par exemple en Allemagne aujourd’hui (sauf si l’on maintient la fa-mille royale de la Belgique pour représenter les EUE, auquel cas on n’aura pas besoin d’un président).

Une fois l’Union devenue enfin réalité, on devrait également opter pour une seule langue officielle. Puisque la Grande-Bretagne n’est plus membre de l’Union, on ne tiendrait pas compte de l’anglais. Avec le déclin rapide de la population allemande au cours des 30 prochaines années, l’allemand ne se-rait pas très pertinent non plus. Outre l’anglais, le français est peut-être la deuxième langue la plus largement utilisée en Europe et dans le monde. À ce titre, elle jouit d’un statut international et conviendrait comme langue offi-cielle pour l’Europe. Ce serait aux citoyens de l’Union d’en décider, mais peut-être, en particulier les jeunes de moins de 30 ans, choisiraient-ils malgré tout l’anglais comme langue officielle ?

Espérons que les lecteurs, qui nous ont suivi jusqu’ici se sentent stimulés par les réflexions présentées et contribuent à ce que l’idée européenne re-trouve force et vitalité. En particulier les jeunes, qui sont en possession de l’énergie nécessaire, devraient réclamer des changements dans la politique européenne. Qu’ils ne se laissent pas contaminer par l’euroscepticisme de la plupart des politiciens. Ceux-là se sont toujours opposés à l’intégration euro-péenne et ne peuvent imaginer vivre autrement qu’avec une identité natio-nale, quelle soit tchèque, hongroise, danoise, néerlandaise, allemande, ita-lienne, française, britannique, etc. Les Français ont réalisé lors de leur récente discussion sur l’identité nationale à quel point il est difficile d’en trouver une définition acceptable.

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Si les jeunes croient en l’Europe et s’expriment par des discussions dans les forums appropriés, dans des manifestations, des rassemblements électo-raux, les politiciens ne pourront pas ignorer ce mouvement. Ma génération, d’un âge plus avancé, et la génération intermédiaire se voient déçus par l’Eu-rope, et beaucoup d’entre nous pensent que les Nations peuvent faire mieux que l’Europe, que tout irait mieux si chaque pays avait sa propre monnaie et pouvait, en cas de besoin, fortement dévaluer sa monnaie, tous contre tous. Bien sûr, cela va très bien avec l’ère moderne, où l’individualisme est roi et l’engagement pour autrui mal considéré. Je crois que la jeune génération est plus enthousiaste que nous, les personnes plus âgées. Et c’est naturel. Elle aime avoir une vision pour un avenir européen meilleur et une vision ouverte sur le monde.

Depuis la fin du XVIIIème siècle, on a tenté d’atténuer la dichotomie entre l’individu et la communauté par la création de nations et de « peuples ». La nation était le plus grand bien et on allait jusqu’à donner sa vie pour la dé-fendre. Hegel dit dans sa « phénoménologie de l’esprit » que les individus d’un peuple et sa nation se retrouvaient dans le même esprit pour former un ensemble. Il parle même de l’esprit du peuple. Jean-Jacques Rousseau ex-prime des idées similaires dans son "Contrat Social". Aujourd’hui ces idées n’ont plus la même force. L’homme moderne veut se concevoir et se com-prendre en tant qu’individu. L’identification avec la nation ne fonctionne plus, ce que naturellement regrette la partie conservatrice de la population, mais ce que la partie « progressiste » accepte comme une tendance inévitable. Dans un ensemble plus vaste, à savoir l’Europe, cette dichotomie n’aurait au-cune raison d’être, car l’Europe n’a pas les mêmes exigences à l’égard de l’in-dividu que la nation. La jeune génération d’aujourd’hui en Europe est sans doute la première génération depuis l’émergence de la nation en tant que principe de cohésion entre ses membres, qui ne considère plus que son pre-mier devoir soit de sacrifier sa propre vie pour le maintien de cette nation, parce qu’elle voit une alternative attrayante à la nation et elle persuaderait volontiers les politiciens pour explorer ces alternatives. Cependant, l’individu peut se sentir mieux intégré dans un milieu local ou régional. Peut-être de-vrait-on réfléchir à un nouveau « contrat social » ?

À l’avenir, il y aura de plus en plus d’Européens dont la vie nécessitera une grande mobilité. La nation est devenue trop petite et obsolète pour eux et ils voudront aller au delà pour enrichir leur vie. D’ailleurs, la mobilité est un grand avantage à l’époque où les emplois sont rares. Les gens attendent de l’Europe plus que ce qu’elle est actuellement prête à leur donner. Ils seront déçus et lui tourneront le dos si la création d’une Union Européenne véritable-ment fédérale (et sans patries) n’est pas bientôt vigoureusement relancée.

J’ai déjà souligné dans un autre contexte que le vivre ensemble n’est que rarement guidé par la raison. Les émotions, les intérêts individuels ou collec-tifs, les passions, les avantages à court terme, etc. ont toujours été les res-sorts les plus forts. Et cela vaut également pour la politique. Cependant, la si-tuation actuelle est telle que les politiciens européens ne peuvent désormais plus se permettre un tel luxe. Nous sommes maintenant à un tournant où l’Europe doit opter pour un réveil et pour une grandeur morale et politique ou pour la diminution graduelle mais irrésistible vers l’insignifiance (dans la-quelle on peut évidemment aussi très bien vivre, mais seulement un certain temps). Nous avons entamé ce voyage ; pourquoi ne pas achever ce que nous avons commencé ? Aujourd’hui, l’Europe a le choix.

La réponse à la question posée au début, à savoir si l’Europe se trouve aujourd’hui dans une situation désastreuse et sans issue ne peut pas encore

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être donnée avec certitude. Des travaux de réparation profonde avec un changement radical de direction générale sont encore possibles si nous nous décidons très bientôt. Après, on ne pourra plus faire ensuite grand-chose parce que toute l’argenterie familiale aura été bradée (ports grecs, Poste, chantiers navals portugais, etc.) et que l’idée européenne aura perdu sa cré-dibilité auprès des citoyens. Mais peut-être l’Europe a-t-elle plus de ressort qu’on ne le croit ? Pour qu’elle survive, elle n’a sans doute pas seulement be-soin de politiciens crédibles mais aussi d’un peu d’imagination ! Il faudra à nouveau faire rêver les citoyens !

Peut être que même le peuple britannique pourrait se mettre à rêver de l’Europe si le « continent » arrive à faire les choses comme il faut.

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Annexe

Le 27 mai 2008, Gunther Krichbaum, président de la Commission pour les affaires de l’Union européenne, a prononcé un discours à la Humboldt-Univer-sität à Berlin sur le traité de Lisbonne13, dans lequel il déclarait en substance, entre autres, que le Parlement Européen est renforcé par le traité de Lis-bonne. Jusqu’ici, il pouvait seulement faire connaître son opinion ou, dans cer-tains cas, exercer un droit de veto. Maintenant, il est à peu près à égalité avec le Conseil et la Commission et peut participer aux décisions. Ainsi, l’es-sence démocratique de l’Union Européenne elle-même sera considérablement renforcée. Mais il y a encore autre chose : les citoyens de l’UE auront mainte-nant la possibilité de prendre eux-mêmes les devants en faisant usage du droit à l’initiative populaire européenne. Le traité de Lisbonne stipule que, avec la signature d’au moins un million de citoyens européens, la Commission peut être invitée par cette initiative citoyenne, à poursuivre certains objectifs. Ceux-ci seront reflétés dans de nouveaux actes de droit (par exemple règle-ments de l’UE, directives, décisions, recommandations ou avis/commen-taires), qui, dans le meilleur des cas, figurent ensuite dans la législation de l’UE. Ce million de citoyens peuvent participer à une pétition sur Internet. Ils doivent, cependant être résidents "d’un nombre significatif d’Etats membres". Cela correspond à seulement 0,2 % de la population de l’UE et devrait donc être facilement réalisable.

Gunther Krichbaum a une opinion très positive du traité de Lisbonne :

Dans sa conséquence ultime, le traité de Lisbonne donne à nouveau une capacité d’action à l’Union Européenne.

Jusqu’à présent, l’intégration européenne s’est faite par le truchement de l’économie, notamment de l’agriculture et de la concurrence. D’autres do-maines de la politique, cependant, demeurent clairement en retard. Cela va changer maintenant.

L’intégration européenne ne doit pas s’arrêter là. Dans le passé, on a beaucoup trop souvent demandé si l’Europe peut faire ce qu’elle veut. La question qui se pose est : l’Europe veut-elle faire ce qu’elle peut ? Le traité de Lisbonne donne maintenant à l’Europe des bases pour mieux exploiter son potentiel. Cela signifie aussi que l’Europe doit se concentrer sur les domaines d’action qui vont au-delà de la force des États-nations individuels - même si celle-ci serait très grande. » Permettez-moi, l’auteur de ce livre, d’ajouter ici qu’il y a en effet beaucoup de domaines politiques qui vont au-delà des forces des États-nations individuels. La crise financière actuelle n’en est que l’exemple le plus frappant.

13 http ://www.whi-berlin.eu/documents/Rede-Gunther_Krichbaum,_MdB.pdf

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Conclusion : Le traité de Lisbonne n’est pas encore un coup de maître, mais il a un certain potentiel. En particulier, des initiatives citoyennes pour-raient changer notre avenir. Mais tout d’abord, les citoyens doivent savoir ce qu’ils veulent. Ce livre appelle les citoyens à y réfléchir. Si cette réflexion amène les citoyens à se rassembler derrière l’idée d’une Europe véritable-ment unie, il faudrait organiser des manifestations dans la rue ou dans des lieux symboliques afin que les politiciens en prennent conscience. Si ensuite se cristallise un consensus au sein de plusieurs États membres sur ce à quoi l’Europe devrait ressembler à l’avenir, ce consensus pourrait figurer dans une pétition sur Internet avec un million ou plus de signatures pour être adressée à la Commission. Il vaudrait la peine d’y réfléchir.

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Épilogue

Si ce livre trouve un certain écho, je serai encouragé à décrire plus en dé-tail ma vision de l’Europe et comment y parvenir. Entretemps, certaines des occasions manquées décrites dans la première partie de ce livre pourraient peut-être être rattrapées. Selon moi, un Eurotrain reste un beau projet. La SNCF française, la Trenitalia italienne et la Bundesbahn allemande ainsi que les compagnies de chemin de fer des pays du Benelux pourraient réunir leurs réseaux sous le drapeau européen et créer une compagnie ferroviaire supra-nationale. D’autres pays pourraient s’y joindre. Si l’Eurostar n’était pas déjà une compagnie de chemin de fer conforme à la législation du Royaume-Uni, on pourrait étendre le modèle aux États fondateurs de la Communauté Euro-péenne. Ce serait tout à fait possible avec les Eurostar e320. Malheureuse-ment, on est maintenant dans une situation où on trouve de plus en plus d’entreprises ferroviaires privées sur le marché de l’Union Européenne, ce qui rend l’ensemble du système très confus. Tout cela bien sûr au nom de la sa-crosainte « libre concurrence ». Concernant la poste, je suis également opti-miste – on pourrait toujours créer une poste européenne si on le voulait. En particulier dans la zone euro cela serait aujourd’hui relativement facile à mettre en œuvre et aurait une grande valeur symbolique ! On pourrait même inclure les petits prestataires privés dans ce système. Bien sûr on ne peut pas faire tourner à l’envers la roue de l’histoire. En revanche, on peut souvent rat-traper les omissions et ainsi réparer certains dommages. Il est maintenant temps d’agir et de prendre des projets Européens en main. Il ne faut plus at-tendre ! Un peu plus d’imagination chez nos politiciens nous ferait le plus grand bien et revitaliserait notre rêve.

Ralph Gädhelin

PS : Une bonne collection d’essais et de commentaires sur la situation po-litique, économique et financière actuelle de l’Union Européenne, avec des suggestions de solutions, est publiée par les éditions Les Petits matins, "Alter-natives économiques" sous le titre "Comprendre la crise" publiée en dé-cembre 2012 sous ISSN 2117-8747

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Table des matières

Avant-Propos 3

Introduction 4

Chapitre I : La Genèse de l’Europe 6

Chapitre II : Le Rêve 10Première Phase : La Création de Symboles Européens 12

Deuxieme Phase : La Creation et le Renforcement des Institutions et Installations Europeennes 21

Troisième Phase : Aboutissement du Rêve 29

Quatrième phase : Consolidation des Réalisations 44

Chapitre III : La Réalité 48

Chapitre IV : Et l’Avenir ? 57

Annexe 68

Épilogue 69

Table des matières 70