etude historique sur la philosophie de la renaissance en italie (cesare cremonini)

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Cremonini, Philosophy

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  • TUDE HISTORIQUESUR LA

    PHILOSOPHIE DE LA RENAISSANCE

    EN ITALIE

  • COULOMMIERS. TYPOGRAPHIE PAUL BRODARD.

  • TUDE HISTORIQUESUR LA

    PHILOSOPHIE DE LA RENAISSANCE

    EN ITALIE

    (CESARE CREMONIN1)THSE POUR LE DOCTORAT ES LETTRES

    PRSENTE A LA FACULT IIKS LETTRES DK PARI?

    l'Ail

    LOPOLD MABILLEAUAncien membre de l'Ecole franaise de Rome

    Matre de confrences la Facult des lettres de Toulouse

    Pllosophicum est non putarenliquam sententxam irratinna-bilem.

    (Cremomm, d'aprs Aristote.Apologie de 1614.)

    PARISLIBRAIRIE HACHETTE ET C ie

    79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 70

    8S

  • wa 2 S W5\^ si

  • AUX DEUX MAITRES

    A qui je dois d'avoir pu crire ce livre,

    trop peu digne de leur tre offert,

    MM.

    ERNEST RENAN et FLIX RAVAISSON

    Hommage de respectueuse et reconnaissante affection.

    Lopold Mabilleau.

  • Digitized by the Internet Archive

    in 2011 with funding from

    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/etudehistoriquesOOmabi

  • PRFACE

    L'origine immdiate de ce livre est la dcouverte des

    manuscrits indits de Gremonini dans le fonds dlaiss

    de la bibliothque universitaire de Pacloue. Ce n'est pour-

    tant pas un simple hasard qui nous a conduit choisir

    l'uvre de ce professeur, dont la gloire est depuis long-

    temps tombe dans l'oubli, pour centre de l'tude sur la

    philosophie italienne au xvi sicle que nous prsentons

    aujourd'hui. Nous venions d'achever, pour le concours

    ouvert par l'Acadmie des sciences morales et politiques,

    un mmoire tendu sur YEcole de Pu doue depuis sonorigine jusqu' sa dissolution ', et nous cherchions rsumer le travail de pense, qui avait occup ces trois

    cents ans de spculation, en une synthse thorique et

    historique la fois, o les rapports intrinsques des divers

    lments fussent respects aussi bien que l'ordre de leur

    succession chronologique. L'examen de l'uvre de Cre-

    l. Mmoire couronn par L'Acadmie 'l's sciences morales e1 politiques1870). (En prparation.)

    6

    X827

  • vi PRFACE

    monini, que nous avions gard pour la fin, nous sembla

    rpondre si bien cette condition que nous rsolmes

    d'en faire la conclusion de tout l'ouvrage. Mais, mesure

    que nous pntrions plus avant dans le dtail de sa doc-

    trine, nous trouvions plus difficile de la condenser en un

    chapitre accessoire, tant elle nous apparaissait ouverte et

    complexe, tant l'analyse minutieuse o nous avions t

    entrans par le souci mme de mesurer l'importance denotre dcouverte, nous y faisait dmler de multiples

    causes d'intrt. Nous fmes enfin amen par l sparernettement cette seconde tude, qui d'abord ne devait tre

    que le complment de l'autre, et la rserver pour lamieux approfondir.

    Aucun des deux ouvrages ne pouvait souffrir de ce

    dpart : car, au temps o parut Cremonini, la philosophie

    padouane avait achev dj de parcourir le cycle desproblmes spculatifs que toute philosophie doit aborder,

    sur la Nature, l'Absolu et l'Ame, et il n'tait plus gure

    possible de tirer de la mme recherche, conduite d'aprsla mme mthode, des conclusions radicalement diff-rentes de celles qu'avaient apportes les trois sicles

    prcdents. Le caractre propre de Cremonini se trouva

    d'ailleurs parfaitement accommod la condition qui luitait ainsi faite : il n'avait point le gnie vigoureux et

    troit d'un novateur, mais l'esprit large et souple d'un

    critique et d'un historien. Il reconnut tout d'abord que,

    venant le dernier, il devait profiter du travail de ceux

    auxquels il succdait, avant de reprendre la tche nou-

    veau. Puis il trouva tant de charme cette revue du

  • PRFACE Vil

    pass qu'il en oublia parfois de penser pour son propre

    compte. En sorte qu'il comprit fort bien l'Ecole de

    Padoue, mais ne la continua pas.

    On peut donc l'en sparer, et c'est ainsi seulement queles deux tudes se suivront sans se nuire, car on risque-

    rait, en les fondant l'une dans l'autre, ou de rpter, sur

    tous les points, la discussion des mmes thories, pour ysaisir la nuance par o Cremonini se distingue de ses

    prdcesseurs, ou de sacrifier l'ordre de l'exposition

    gnrale l'analyse des conciliations latentes, des correc-

    tions imperceptibles et des compromis ingnieux dont sa

    philosophie est faite.

    Nous trouvions un autre avantage encore ce par-

    tage : il nous permettait, dans la seconde partie (que

    nous prsentons ici), de donner une ide plus systma-

    tique et plus cohrente de la philosohpie padouane, dont

    notre mmoire avait suivi pas pas la marche dans toutle dtail de ses hsitations et de ses retours.

    Le savant et bienveillant rapporteur de l'Acadmie,

    M. Francisque Bouillier, nous avait reproch d'avoir eu

    l plus de souci de l'histoire que de la philosophie .

    Nous croyons que le prsent ouvrage chappera cette

    chance de blme ; car les principaux problmes tudispar l'Ecole de Padoue y sont repris brivement et sousune forme thorique que l'exposition directe ne compor-

    tait peut-tre point. En un sens donc ce livre est uneconclusion

    ; en un autre, il renferme au contraire les

    principes que suppose le prcdent ; en aucun sens, il nese confond avec ce dernier, car il rpond une autre

  • Vill PRFACE

    proccupation et traite d'un autre objet. Il ne s'agit plus

    ici de retracer la vie de l'Ecole padouane, mais de

    dcrire son tat au moment o elle va prir. Elle a passpar trois ges, dont les uvres portent les noms de Pietro

    d'Abano et de Jean de Jandun, de Gaetano de Tiene

    et de Vernias, de Pomponace et de Niphus. Voici son

    testament, o elle raconte et juge tout ce qu'elle a fait;et c'est Cremonini qui l'crit.

    Cette tude en effet, sous la forme d'une monographie,

    est une expression synthtique de la philosophie de la

    Renaissance ses derniers moments, la veille du

    triomphe de l'esprit moderne reprsent par Galile,Bacon et Descartes. Cremonini, qui croit, en pur

    pripatticien , la quintessence du ciel, aux intelli-

    gences astrales, la subordination des nerfs au cur,

    la ralit des formes substantielles, et la supriorit

    de la dduction priori sur l'observation exprimentaledans l'ordre de la science naturelle, Cremonini meurt

    en 1631, l'anne mme de la publication des Dialogue*sur le systme du ?nonde, dix ans aprs celle duNovum organum, six ans avant celle du Discours dela mthode. Il est intressant de connatre ce qu'taitcette philosophie laquelle s'est substitue celle qui

    subsiste encore aujourd'hui '.

    C'est pourquoi nous avons choisi Cremonini pour

    centre de ce travail de prfrence tous les autres, plus

    1. C'tait le dessein de notre minent matre, M. Paul Janet, lorsqu'ilconsacrait son cours de l'anne 1875-1876 l'tude de la philosophie quia prcd celle de Descartes. Nous avons suivi ses excellentes leons, etnous sommes heureux de lui exprimer ici notre profonde reconnaissance.

  • PRFACE IX

    hardis, plus originaux que lui. Ce n'est pas le portrait

    d'un homme que nous cherchons tracer, c'est le tableaud'une forme singulire de spculation. Gremonini, comme

    nous cherchons le montrer plus loin, parat, par son

    impersonnalit mme, plus propre reproduire fidle-ment l'esprit de l'poque o il a vcu : il vaut moins par

    ce qu'il est que par ce qu'il reprsente. Un gnie aven-

    tureux comme Giordano Bruno, Cardan, Vanini, Gam-

    panella, ne pouvait donner lieu qu' une monographie.

    Or nous cherchions la formule gnrale et commune de

    la pense italienne la fin du xvie sicle : nous devions

    donc nous attacher l'analyse d'une intelligence tendue

    et quilibre, o l'exactitude l'emportt sur l'originalit,

    la finesse critique sur la fougue rnovatrice.

    Nous n'avons point tent de grandir notre auteur;

    nous avons mme une fois prononc le mot de mdio-crit ; nous nous en sommes repentis. Il y a peut-tre

    autant de force relle et disponible dans l'activit mesureet matresse d'elle-mme d'un esprit qui borne volontai-

    rement son horizon, que dans les carts violents d'une

    imagination drgle. Pris en lui-mme, le systme au-

    quel s'est tenu Gremonini est trs suprieur aux paling-

    nsies fantaisistes de ses contemporains. Il y a quelque

    chose de sduisant coup sr dans ces essais de rvolu-

    tion intellectuelle, ns du mpris de la tradition et de

    l'amour immodr du mieux; mais il faut se garder d'entre dupe. Il est plus facile de tout bouleverser sans

    regarder rien, (pie de corriger habilement ce qui est,

    en tenant compte dos conditions du juste e! du M'ai.

  • \ PRFACE

    Souvent ceux qu'on appelle les hommes distingus au-raient pu devenir des hommes fameux, et ont ddai-gn le succs facile qui semble rserv aux expansions

    bruyantes d'une originalit sans mesure. La rserve et le

    scrupule ont aussi leur subtil attrait, et c'est peut-tre

    une preuve de dlicatesse que de savoir priser le charme

    d'une mdiocrit apparente o se cache une discrte

    supriorit. Nous voudrions trouver l l'excuse, ou plutt

    l'explication du choix de notre hros.

    Nous avons beaucoup de dettes de reconnaissance

    payer avant de fermer ce livre. Il faut nommer en pre-

    mire ligne ceux qui nous devons d'avoir fait le voyage

    et les tudes qui nous ont permis de l'crire : d'abord le

    directeur aim que la mort nous a enlev il y a un an,M. Ernest Bersot, la mmoire de qui nous restons,comme tous ceux qui l'ont connu, douloureusement fidle

    ;

    puis ceux qui le volume est ddi, M. Flix Ravaisson

    et M. Ernest Renan, qui nous ont doublement aid, de

    leur personne et de leurs livres. Ajoutons ceux dont lesouvrages nous ont rendu la tche plus facile, MM. Wacl-

    dington-Kastus, Nourrisson, Franck, Bouillet, Yriarte, etc.

    En Italie aussi, la liste est longue : M. le snateur

    Mamiani, le grand crivain dont nous suivons les travaux

    avec la plus respectueuse admiration; M. le dput Berti,

    dont la bienveillance nous a ouvert plus d'une biblio-

    thque et procur plus d'un document; M. Fiorentino,

    l'minent historien et philosophe, la suite de qui doit

    se mettre tout d'abord quiconque veut tudier la Renais-

    sance;

    plusieurs autres sans qui nos efforts fussent

  • PRFACE XI

    demeurs infructueux : M. le commandeur Niccolo Ba-rozzi, conservateur du Muse Correr Venise, chevalier denotre Lgion d'honneur, l'ami et l'appui de tous les Fran-

    ais qui sjournent dans cette ville qu'il connat si bien;

    M. le commandeur Veludo, bibliothcaire de Saint-Marc ;M. le professeur Zeni, bibliothcaire de Ferrare ; M. le cha-

    noine de Fabris, bibliothcaire de Pacloue, et M. Marco

    Gerardi, l'actif et intelligent sous-bibliothcaire; M. Fa-

    varo, professeur l'Universit de Padoue, dont les tudes

    historiques sont connues et apprcies en France ! ; et,

    avant tous, M. le commandeur Louis Ferri, ancien lvede notre cole normale suprieure, auteur du beau livreque l'on connat sur la Philosophie italienne au

    XIXe sicle 2 , et de nombreux travaux que nous avons mis profit. Notre gratitude pour M. Ferri est aussi grand

    e

    que l'affection qui nous lie lui.

    Enfin nous obissons un penchant de cur autant

    qu' un sentiment de justice en rapportant le mrite dece travail notre cher et respect matre, M. A. Geffroy,

    directeur de l'cole franaise de Rome, sous le patin-nage de qui nous l'avons crit. Gomme tous ses lves,nous conservons un profond souvenir des annes quenous avons passes prs de lui, au milieu des sympathies

    qu'il avait su nous conqurir.

    i. Citons : Lo studio di Padova al tempo di Niccolo Coppeniico (Venez.Antonelli, 1880). Lo studio di Padova ed i gesuiti (/t.).

    2. Essai sur l'histoire de la philosophie en Italie au XIXe sicle (Paris.Durand et Didier, 1869). M. Ferri est le rdacteur en chef d'un fortintressant recueil priodique : La filosofia dlie scuole italiane (Rome .Salviucci). L'Acadmie des sciences morales et politiques vient de luidcerner un de ses prix.

  • ETUDE HISTORIQUESIR LA

    PHILOSOPHIE DE M RENAISSANCEEN ITALIE

    LIVRE PREMIER

    I RE*IOM\I SA VIE SO\ UVRE

    CHAPITRE PREMIER

    VIE DE GREMONINI

    Cesare ' Gremoniai ou Gremonino naquit eu 1550, Cento (Genti-Gastrum), dans le duch de Ferrare. Sa fa-mille, une des plus anciennes du pays, avait t illustredj par le talent d'un oncle de notre philosophe, peintrefameux, si Ton en croit Erri \ Ds qu'il eut achev seshumanits, on l'envoya l'Universit de Ferrare, o iltudia le droit et prit le bonnet de docteur \ Le grandPendasio y enseignait alors la philosophie ' ; Gremonini

    L Il portait le nom de Csar, et il eut ce nom au baptme pour unehorrible vision qu'on a dit que sa mre eut, la nuit o elle le mit aumonde. (Essais de littrature, avril 1703, t. II, 214

    .)'2. Dell7 origine di Cento, p. 283.3. Borsetti, Hist. almi Ferrarise gymnasii, II, 20 1.i. Frederico Pendasio, d'abord professeur Mantoue, o il avait eu pour

    lve Scipion Gonzaga, depuis cardinal, avait t appel Padoue parMarino Caballo, recteur de l'Universit, aprs le concile de Trente, o ilavait montr d'minentes qualits de thologien et d

  • 2 CREMONLM

    passa son cole et y franchit rapidement tous lus grades.

    On remarqua bientt le studieux jeune homme, qui sesrelations de famille donnaient accs la cour brillante ellettre des princes d'Est. Jl tait li d'amiti avec Tasse,

    Francisco Patrizzio, Jean-Baptiste Pigna, et s'adonnait lui-

    mme la littrature. Tout porte croire que les pastoraleset posies lgres qu'il publia pendant sa vieillesse datent

    de cette poque. L'une d'elles au moins, Aminta e Clori,tait dj acheve alors. C'est l aussi qu'il connut Ludo-vicus Albertus, son camarade au cours de Pendasio et soncollgue en alexandrisme

    ,

    qu'il devait retrouver plus

    tard professeur de thologie l'Universit de Padoue l.

    Gremonini tait vou l'enseignement par l'clat de sestudes : il obtint sans peine une chaire Ferra re mme, ety professa la philosophie jusqu'en 1590 2 , avec un succsqui lui attira au moins autant d'ennemis, que le malicieuxenjoment de son caractre. Nous en voyons une preuvedans la lettre qu'il adressa, en mai 1589, au duc Alphonse II,o il se plaint amrement des calomnies qu'on va dbi-tant sur son compte et rclame une enqute

    '

    !

    .

    lati le compte au nombre

  • SA VIE 3

    Les critiques auxquelles il fait allusion devaient tre

    d'ordre thorique et philosophique, car il nous apprend

    qu'elles tombaient non sur lui seul, mais sur le collge desmdecins tout entier : sans doute quelque soupon de ma-trialisme et d'impit 1 .

    On sait d'ailleurs fort peu de chose de cette premirepriode de sa vie et de son enseignement.

    Il parat seulement qu'il n'obtint pas satisfaction dans

    l'affaire laquelle se rapporte cette lettre, car nous le trou-

    vons l'anne suivante Padoue, o le snat vnitien, tou-jours en qute d'hommes de mrite, s'est empress del'appeler -.

    Il demeura du reste attach de cur Alphonse II et son successeur Csar, et n'omit jamais, par la suite, de leurenvoyer ses ouvrages accompagns de lettres et de ddi-caces, auxquelles ils ne ddaignaient pas de rpondre :j .

    C'est au mois de fvrier 1591 qu'il monta pour la pre-mire fois, Padoue, dans la seconde chaire de philosophie,celle de Piccolomini, laisse vacante par la promotion dutitulaire la place de Zabarella, qui venait de mourir. Cre-monini avait alors quarante et un ans.

    Son lve et ami Paolo Riccioli nous a conserv sa leond'ouverture ; .

    1. La Favola silvestre d'Aminta e (loti, qui remonte cette poque,contient pourtant de chaleureuses tirades en L'honneur de la religion.

    2. Tomasiui, Connu, in gym. Patav., p. 309, la date du 23 nov. 1500 : CsarCremoninus,qui ingymnasio Ferrariensi primum philosophie locuniobtinuerat, tlorenis 200 accessit.

    3 L'Archivio ducale de Ferrare renferme plusieurs lettres de Cremoninijointes aux rponses que lui tirent les princes. UApologia de Quinta Clisubstantia est ddie Alphonse II. Cremonini y rappelle qu'il a quitteFerrare avec la permission du duc.

    4. Excell. D. C. Cremonini Centensis. Lecturx exordium habitum Pa-lavii, VI kal. febr. 1591, quo is primni, philosophiez iuterpivs ordinariuseu est profectus. (Ferrar.. 1591, in- 1.) Prcd d'une ddicace de Paolo Ric-cioli au comte Turchi : Cou questo mezzo solo dalle Btampe ho pensatodi soddisfare a molti cbe cou istanza qui a bocca. e da Ferrera pei letteremi sollecitavauo per havere da me (che sapevano cou (niants domesti-

  • & CREMOiNINI

    C'est plutt une amplification de rhtorique qu'une dis-

    sertation de philosophie, malgr le titre ambitieux du sujet: Mundus nunquam est ; nascitur semper et moritur.

    Gremonini, fidle la formule qui rgle la composition

    de ces sortes de discours, y fait un pompeux loge de laville o il vient enseigner, asile de la sagesse et de lascience, o tout est fait pour le plaisir des yeux et de l'es-prit, et qui n'a rien craindre des vicissitudes dont souffrent

    toutes choses ; puis de Venise, la cit de marbre, que lavolont de ses habitants a fait sortir de la fange des lagunes,

    et qui maintenant impose sa loi une partie du monde,nouvelle Athnes o l'ancienne revit tout entire dansson gnie et dans ses arts ; enfin de cette universit

    o les tudiants accourent de toute l'Europe et qui comptetant d'illustres matres . Il remercie les modrateurs et lesrecteurs, et tous ceux dont le tmoignage lui a valu l'hon-neur dont il est si fier : Paul-Lordan, Laurent Massa, etjusqu'au R. Pre Etienne Guaraldi, prfet de la sainte Inqui-sition, avec laquelle il ne tardera pas entrer en querelle.

    Il termine par l'loge de son prdcesseur, l'immortel

    Jacopo Zabarella, qui il succde, en vertu de cette loi

    mme qu'il a cherch exposer dans son discours et quiveut que tout aille toujours en dcroissant. Ce qui le re-lve ses propres yeux, c'est qu'il devient le collgue de

    Francesco Piccolomini, aussi grand par la pense que vn-rable par la noblesse et par l'ge, de Riccoboni, d'Her-

    cule Saxonia et de tant d'autres qu'il admire. C'est enluttant de travail avec eux qu'il arrivera ne pas semontrer trop indigne du voisinage de pareils hommes

    .

    chezza giornalinente frequentassi la casa dell' Excell. S r Creruonino) copiadel principio fatto da lui alla lettura ordiuaria di Filosofa .. Cremoninine fut videmment pas tranger cette publication, ni l'envoi qu'onen fit Ferrare.

    1. Voir les trois dernires pages de la leon.

  • SA VIE

    Il y a certainement une part de sincrit dans cet enthou-

    siasme de commande, et l'on conoit combien Cremoninidevait tre intimement flatt dans son orgueil, en entrant,

    jeune encore et tranger, dans cette universit, qui pouvaitalors passer pour la premire du monde.

    Le prestige de Venise touchait dj son dclin ; mais,rayonnant encore de toutes les gloires du sicle qui s'a-chevait, la Rpublique gardait assez d'clat pour justifierbien des dclamations et des apothoses. Dans cet trange

    Etat o le despotisme brillant d'une classe privilgie s'al-liait si bien avec l'aristocratique libert de la pense, le

    terrain tait merveilleusement prpar pour les pacifiques

    combats auxquels aspirait l'me souple, l'esprit curieux deCremonini.

    Il ne resta pas longtemps inactif. A peine tait-il ins-tall dans sa chaire qu'une occasion se prsentait pour

    lui de conqurir la prpondrance parmi ses collgues :c'tait la fameuse lutte de l'universit contre les Jsuites,

    qui devait durer quinze ans et aboutir au bannissement dela Compagnie hors du territoire vnitien. Cremonini prit laplus grande part cette affaire que nous raconterons par ledtail *. Envoy comme dlgu, avec deux autres profes-seurs, pour porter au snat les dolances de l'universit, il

    eut le bonheur d'obtenir gain de cause, et son crdit s'enaccrut.

    Aussi le choisit-on de nouveau en 1595, comme arbitre

    des querelles qui divisent les tudiants , et se trouve-t-il

    qualifi, sur les rles, de premier professeur ordinaire dephilosophie , bien que le vieux Piccolomini ne lui ait point

    encore abandonn son sige -.

    1. Voir chapitre I.2. Tomasini, op. cit. : Pro tolleudis studiorum dissidiis atque iuiiiiici-

    tiis.... eligitur Cremoninus e philosophs ordinariis prcipuus.

  • 6 CREMONINI

    En 1598, il va reprsenter Cento, son pays natal, etsans doute aussi Padoue, son pays d'adoption, aux ftes deFerrare, o il harangue le pape Clment VIII '.

    En 1601, date de la mort de Piceolomini, Cremoninipasse de la deuxime chaire la premire, aux appointe-ments de 2000 florins, somme norme pour le temps 2

    .

    En 1G0G, il est choisi par l'universit pour haranguer lenouveau doge, Leonardo Donato '\ Quelques mois aprs, ilforce la retraite Aug. Gamillo Belloni, charg titre desupplant, depuis 1591, de l'interprtation du livre desMtores : il veut dominer seul *.

    D'anne en anne, son autorit s'affirme davantage.En 1616, au nom du collge des professeurs, il donne

    l'investiture de la Stola au nouveau vice-recteur.

    En 1617, il est charg encore du discours de bienvenueau doge, Antonio Priuli.

    En 1622, il devient le protecteur attitr, dans l'Univer-sit, de la nation allemande.

    En 1624, il est lu syndic;

    En 1625, Pompeio Caimo, d'Udine, professeur d'anato-mie, a l'audace de s'attaquer la thorie de Cremonini surla chaleur inne (calidum innatum). Les tudiants alle-mands embrassent avec ardeur la cause de leur patron etforcent l'imprudent critique dclarer qu'il ne prtend rien

    1. Oratio habita Ferrari ad S. D. N. Clementem VIII P. M., a C. Cre-monino, uuo ex oratoribus ad illam Beatitudinem legatis pro S. P. Q. Cen-teni, anno salutis 1598. (Ferrari, ap. Victorianuin Baldimmi.)

    2. Galile n'eut jamais plus de 1000 florins de traitement.3. On a conserv son discours. Oratio habita in creatione Ser. Vene-

    tiarum principis Leonardi Donati, noinine ahn Universitatis Patavinaeet Philosophorum ac medicorum, a perillustri et excell. viro C. Cremo-niuo, Centensi, in academia Patavina, principe loco, philosophiam profi-tenti.

    4. Tomasini, op. cit., p. 300: Anno 1591, Aug. Camillo Bellonio auctumfuit stipendium hc lege ut in diebus vacantibus Meteora Aristolelis inter-pretaretur, florenis 250. Anno 1606. ab hoc munere cessavit ob simultatescuni Cremonino gliscentes.

  • SA VIE 7

    contre eux '. L'anne suivante pourtant, le bruit se rpandque Caimo va diter une nouvelle rfutation, plus violente,des doctrines de son adversaire. Aussitt des pigrammescourent sur lui dans l'universit, en mme temps que desvers en l'honneur du matre %On connat mal les relations que Gremonini entretint

    avec Galile : au moins sait-on que, s'il affecta toujoursd'ignorer les travaux de son glorieux collgue, il ne le

    traita jamais en ennemi. L'histoire des dmls de Gremo-nini avec l'Inquisition :t nous fournira l'occasion de revenir

    sur ce point. D'ailleurs ni son indiffrence reconnue pour

    la science, ni la persistante hostilit de l'Eglise ne dimi-

    nurent en rien sa popularit auprs des tudiants, ni sarputation auprs de l'Europe savante.Tous les lettrs qui voyageaient s'empressaient de se

    l'aire prsenter lui : Naud *, Juste-Lipse, Guy-Patin, etc.Du vivant mme de Gremonini, en 1623, Portinari fait delui cet loge, qui ne soulve aucune contradiction : C'estaujourd'hui le plus fameux philosophe d'Europe, le plussavant dans la doctrine platonicienne aussi bien que dans

    la pripatticienne, grand orateur et pote illustre, l'orne-

    ment et la gloire immortelle de l'Universit de Padoue ''. j

    1. [Saud.vana.p. 45.)

    2. Tous ces renseignements sont tirs de Tomasini. (Co>m/i. m gym.Patav., aniio. ir25-lG26.) Guy Patin crit de Caimo : petit homme en-nemi mortel le Cremonini ; scripsit de Calido Inuato, 1026. Naud ajoute :< J'ai toujours soutenu la parti 1 le Omonin contre Caimus. [Nau-dseana.)

    :>. Voir le chapitre II.i. J'ai t trois mois durant dans la conversation de Crmonin. [Nau-

    dana, p. 113). Il eut d'illustres disciples, entre autres le clbre M. deMeyseria. Le savant Coquille eut de grandes relations avec lui... > {Essai*de littrature, avril 170;{.)

    ">. Flicita di Padova. Son souvenir est conserv dans l'Universitpar cette inscription, grave sur le marbre : Csari Cremonino Cen-lensi, Prhicipi Philosophorum. Nicolans Berzonius Rhandusio Daims.MDC XXXVII.

  • 8 CREMONIM

    11 mourut en 1631, accabl de vieillesse et d'honneurs rsemblant emporter avec lui au tombeau la doctrine et l'cole- Sedposteft ab eodem aliuude aliter iuformato monitus, revocavi illud, in primahujus operis editione. {Select/e disputationes theologic, I, p. 200.)

  • SA VIE 9

    reproduire fidlement l'esprit de l'poque ou il a vcu.

    Il est des hommes sur qui l'originalit de leur pense oude leur vie suffit fixer l'attention de l'historien, qui valent

    par leur caractre mme, et de qui la psychologie doitchercher pntrer la nature proprement individuelle.

    D'autres, ne pouvant aspirer la dignit d'exceptions,

    se bornent tre des symboles, et rsumer dans leuruvre comprhensive toute une srie d'efforts et d'idesqui sans cela eussent manqu de formule synthtiqueet dfinitive, et cette tche ne va ni sans intrt ni sans

    grandeur.

    Gremonini est de ceux-ci : ce n'est pas un penseur, de qui

    les ides auraient une valeur propre par cela seul qu'elles lui

    appartiendraient; c'est un professeur, dont l'enseignement

    n'est que l'cho fidle de la spculation de son sicle, et

    qui entre dans l'histoire plutt par ce qu'il reprsente quepar ce qu'il est. Il rappelle beaucoup plus le type du savantmoderne que celui du savant de la Renaissance. Il n'a riende commun avec les Marsile Ficin, les Pic de La Mirandole.

    les Yanini, les Bruno, les Gampanella, esprits drgls et su-

    perbes, dont l'inquite personnalit ne s'est jamais laisseemprisonner dans une convention ou dans une scolastique.Osons-le dire, c'est un homme mdiocre ; mais c'est par lprcisment qu'il peut nous intresser ici. Aprs les pol-miques et les disputes qui avaient rempli tout le xvie sicle,il manquait une formule gnrale et commune de la penseitalienne. Ce n'tait pas l'affaire d'un gnie aventureux,

    mais d'une intelligence tendue et quilibre, o l'exac-titude prdomint sur l'originalit. Tel fut Gremonini, clce rle, tout effac qu'il soit, ne messied point un philo-sophe. Beaucoup de bons esprits pensent que ce n'est pointl le pire.

    Malheureusement, il crut que toute la vrit tait dans le

  • 10 CREMONIN1

    pass et ne daigna ni tourner ses regards vers l'avenir, nimme ouvrir les yeux mux merveilles que le prsent lui of-frait '. Les dcouvertes de la science moderne le laissrenttoujours indiffrent.

    Il mit son orgueil se dire l'interprte fidle d'Aristote,

    diminuant ainsi volontairement son uvre et affectant dese borner la tche d'historien et de glossateur, comme

    si le devoir d'un disciple tait de s'en tenir l. En quoi il

    se trompait, car les scolastiques elles-mmes ont leuroriginalit; elles sont autre chose que des commentaires

    et des paraphrases ; elles sont les expressions mthodi-ques des solutions que certaines poques donnent duproblme philosophique, prsent sous une forme tradi-tionnelle, qu'elles croient encore impossible ou inutile de

    modifier.

    Il se rsigna trop facilement dvelopper ou rsumerce qui avait t dit avant lui; il n'eut pas le souci du vrai,la soif du mieux, la curiosit de l'imprvu qui fait lesgrands esprits. Il tait vraiment n pour reprsenter unephilosophie et la terminer, non pour la dpasser et en

    (rparer une autre. Il s'identifia trop troitement avec la

    vieille cole padouane; ayant vcu de sa vie, il mourut desa mort, tandis que Galile, qui l'avait traverse sans s'y

    arrter, entrait dans l'immortalit.Les contemporains d'ailleurs n'en jugrent pas ainsi -'.

    Nul philosophe peut-tre, depuis Ablard, n'excita de son

    vivant plus d'enthousiasme que Cremonini. On n'imagine

    i. Imperialis l'avoue lui-mme : Hic ejus in docendo usus... recentio-iiiiii dogmata, vil ingenito aeinulationis amore, vel antiqu dignationisvelut ab inferis, ut aiebat, vindicandae, studio, negligere. (Mus. hist,p. 174.)

    2. J'ai ou dire, crit Naud dans Le Thtre anatomique de Paris, que,quand Hippocrate et Galien auraient voulu faire ensemble le De princi-patu membrorum de Cremonini, ils n'auraient pas mieux fait. (Nau~dxana, p. 116.)

  • SA VIE 11

    plus, de nos jours, jusqu'o pouvait aller l'admiration etle respect du matre pendant le Moyen ge et la Renais-

    sance. Les renommes avaient bien vite franchi le seuilde l'cole et pntraient partout. Imperialis , d'accord

    avec tous les compilateurs, nous apprend que la plu-

    part des princes et des rois d'Europe avaient demandLe portrait de Gremonini pour le placer au lieu d'hon-

    neur dans leur palais ,

    qu'ils entretenaient correspon-

    dance avec lui, le consultant sur leurs soucis intimes aussi

    bien que sur les affaires de l'tat, comme une sorte d'oracle

    universel l.

    Le snat de Venise donnait l'exemple et assurait Gre-

    monini un traitement double de celui qu'il accordait Galile, aprs la dcouverte des satellites de Jupiter 2 .En outre

    ,il tmoignait publiquement de l'estime o il

    tenait le philosophe et le citait comme l'honneur de l'Uni-

    versit :) .

    Notre grand Richelieu ne ddaignait pas de se procurer

    ses ouvrages mme manuscrits et les conservait prcieu-sement dans sa bibliothque 4 . Les titres qu'on lui pro-diguait le plus habituellement taient ceux-ci : gnied'Aristote

    ,

    prince des philosophes , lumire des inter-prtes 5 . Riccioli, Imperiali , Libanori , Grescimbene

    ,

    1. Musxum historicum ri physicum (Ven., 1640), p. 173 : Omnes propereges ac principes ejus vel viventis depictani suis in aulis imaginentlocrunt , ex quo etiam responsa de eomponendis pivatorum animisvelut ex oraculo Delphico felicitabantnr.

    2. Voir les remarques de Naud ce sujet : 11 avait 2000 cus de gagesquand il mourut. 11 n'y a dans toute l'Italie aucun bien ni revenu si as-sur que celui-l ; les gages de ces grands personnages sont trs consid-rables. (NauiUvana, p. 45).

    3. Archivio Veneto. Senato-Terra. 30 octobre 1607 : Avendo cosi inqucsta condotta corne nelle anteriori sue condotte, apportato, colla compitasua dottrina, valore et diligentia, ad ogni studente notabilissimo frutto etsoddisfazione... 18 Luglio 161 o : Essendo l'honore dello studio di Pa-dova.

    ' Uibl. nationale. Cod. 16138 et 1662(i relis aux armes du cardinal-duc5. Borsetti, Hlst. almi. Ferrari gymnasii, 11,204.

  • 12 CREMONINl

    Portenari, Erri, Lorenzo Crasso et vingt autres ont fait

    son portrait ou son loge. Innombrables sont les apologies

    qu'on a composes en son honneur. Presque tous les his-toriens cherchent l'absoudre du soupon de matrialismequi avait si vhmentement pes sur lui. Le docteurGiannandrea Barotti et le grand rudit Apostolo Zeno s'ysont particulirement attachs et l'ont prsent comme

    une victime d'infmes calomnies . Erri les en remercie

    avec une emphase nave qui fait sourire, si l'on songe auxvritables opinions de Gremonini : Mille l'ois lous etbnis soient-ils pour le soin pieux qu'ils prirent d'arracher

    cette innocente brebis aux mchoires dvorantes des loupsenrags ' .

    Malgr ces louables efforts, le renom d'impit lui resta.Balzac, recommandant Drouet M/de Lorme, lui fait ob-server qu' il est sorti de la discipline du grand Crmonin;mais qu'il n'est pas pour cela partisan aveugle de sonmatre, et qu'il n'en a pous que les lgitimes opinions \

    D'ailleurs l'enthousiasme gnral ne s'en trouva pas

    diminu. Des villes se disputrent l'honneur d'avoir donnle jour Gremonini 3 . Longtemps aprs sa mort, on com-posait encore en son honneur des distiques, des quatrainset des dizains , des pigraphes , des pigrammes et despitaphes i o Ton proclamait en vers pompeux qu'il avaitde Csar l'me aussi bien que le nom 5

    ,

    qu'il tait n pour

    1. Op. citt., iid.2. Correspondance de Balzac. Lettre M. de Lorme.3. De Csare cive urnes certant Cremona, Centum, Patavium : Sola Cana-

    ris Urbs orbem totum implet. (Eloge de Giuseppe Bubalo.)1. Celle de Jacopo Gaddi est une des plus connues et des plus modres :

    Salve, o tu, Sophiee magister, svi nostri Aristoteles, stuporque mundi.prrestans eloquii nitore pari , Phaebo ac Mercurio caput sacratum ! Quo telaude feram haud scio

    ;quid ergo? Cum neseire reor, probe scio tune.

    Rapport par Borsetti.)5 L'astrologie, fort en faveur au xvi* sicle, attribuait la plus grande

    importance aux rapports mystrieux qu'elle croyait dcouvrir entre le nom

  • SA VIE 13

    l'empire, que la fortune n'avait pu du moins lui enleverle sceptre de l'intelligence, que la nature avait puis tous

    ses germes de vie pour le produire, et autres exagrations

    ridicules.

    C'est en vain que nous cherchons aujourd'hui le secretde cet incroyahle ascendant. Gremonini avait la parole

    lgante et facile, mais personne n'a jamais song luiprter de l'loquence. On lui reprochait au contraire decder trop souvent la dplorable coutume de dicter les

    leons, qui s'tait introduite depuis un sicle Padoue et laquelle les Jsuites devaient la meilleure part de leur

    succs. Le style de ses ouvrages est lent et terne; on n'y

    retrouve ni les mordantes saillies qui font le charme de

    Cardan et de Yanini, ni ces clairs d'imagination, ces

    traits de posie qui viennent parfois rompre la monotonie

    de la dissertation chez l'aride Pomponace et l'austre

    Galile. Gremonini n'est ni un orateur ni un crivain.

    Dans son enseignement comme dans sa conduite, c'est lavarit, la fantaisie, l'audace, en un mot la vie, qui a

    manqu. Imperialis, dans son Muse historique, a joint l'tude biographique qu'il consacre au matre un portrait

    grav, o celui-ci est reprsent dans toute la force del'ge et la srnit du succs. La tte est movenne et r-gulire, le front droit et large, les cheveux coups ras, leregard fin et pntrant. Il porte la moustache et la barbe

    en pointe. Le visage est calme et rflchi. Point de soucis

    rongeurs, point de doutes obsdants, point d'ardentes luttes

    dans ces yeux. L'aspect d'un homme de bonne compagnie l,

    d'un homme et sa destine. L'histoire de J. Csar Vanini en offre un cu-rieux exemple.

    1. Il tait aussi bien log et meubl Padoue qu'un cardinal Rome.Son palais tait magnifique ; il avait sou service matre d'htel, valetsde chambre et autres officiers, et de plus deux carrosses et six beaux che-vaux. (Naud*na, p. 46.)Naud avait vcu trois mois dan-^ l'intimit deGremonini.

  • 14 GREM0NIN1

    intelligent et disert, qui fait son mtier de savant et rend

    au monde ce que chacun lui doit, professeur laborieux etesprit distingu, avec plus de souplesse que de vigueur,

    plus d'ouverture que d'originalit.

    C'est vraiment l'homme de son uvre.Nous avons peu de donnes certaines sur son caractre,

    qui a t souvent calomni.

    Il tait prompt percevoir le ridicule et s'en moquer,

    ce qui lui attira nombre d'ennemis. Mais la svrit aveclaquelle on Fa souvent jug provient surtout de la dfiancequ'inspiraient les opinions qu' tort ou raison tout le

    monde lui supposait. Il a eu en somme le sort de tantd'autres qui l'on a prt, malgr eux, des principes deconduite accommods leurs thories. Comme il passaitpour nier la spiritualit et l'immortalit de l'me, on le

    souponna d'athisme et d'immoralit.

    Il tait encore suspect pour une autre raison. Au xvi e si-cle, on prisait assez peu les qualits de mesure et de pon-

    dration, de prudence et de rserve. On avait vu plus d'unphilosophe soutenir jusqu'au supplice les ides qu'il secroyait en devoir de proclamer, et l'on avait trouv la chose

    toute naturelle. Il semblait que l'obligation de lutter pour

    le triomphe de la vrit ft lie la dcouverte mme decette vrit, et que la conviction ne ft pas complte si ellene conduisait pas au proslytisme. Tout penseur tait un

    confesseur, sinon un martyr.

    Ce n'est point ainsi que Cremonini comprenait les de-voirs que la philosophie impose ses adeptes. Avant Des-cartes, il avait entrevu cette rgle de morale tout humaineet pratique que le Discours de la mthode formule ainsi : Obir aux lois et aux coutumes de son pays... se gouver-

    nant en toute chose suivant les opinions les plus modreset les plus loignes de l'excs, qui soient communment

  • SA YIE Vi>

    reues en pratique par les mieux senss de ceux avec les-quels on a vivre. ntus ut libet, (lisait Gremonini :

    foris ut moris est; maxime qui a souvent provoqu l'in-dignation des philosophes et qui n'a rien d'hroque

    coup sr, mais pour laquelle on se sent pris d'indulgence,

    en songeant non pas aux dangers qu'elle pargne, mais

    aux nuances dlicates de la pense et du sentiment qu'ellemnage. Pour proclamer la vrit, quelle qu'elle soit, il fauttre bien sr qu'on la tient. Il est facile ceux qui ont la

    foi de parler haut; ils n'y mettent point d'effort et n'y trou-

    vent point de mrite. Mais ceux qui n'ont de recours qu'au

    monde changeant et mobile de la science humaine se doi-vent eux-mmes et doivent aux autres de garder quelquerserve. Le doute prend parfois l'allure d'une obligation ets'appelle scrupule.

    Oue sera-ce si cette vrit, toujours fuyante et renouvele,est juge par le philosophe lui-mme dangereuse et peut-tre fatale, pour la foule qui ne saura pas en eomprendivla complexit et l'indcision? Gomment n'hsiterait-il pas troubler les consciences, contrister les curs, garerles volonts, en songeant qu'il va le faire au nom d'une

    certitude toute relative et qui s'vanouira demain , si lemme problme vient tre mieux pos par un autre ? Ledevoir de discrtion augmente encore si l'on n'a que desngations mettre. Si j'avais la main pleine de vrits,disait Fontenelle, je la tiendrais bien ferme. Gela nousrvolte, et justement; mais une condition pourtant: c'estqu'il s'agisse bien de vrits, et qu'on ne risque pas lg-

    rement, sur une apparence, de compromettre, sans profitpour la science, le repos d'une foule d'esprits qui serontincapables de reprendre leur quilibre une fois troubl.G'est dans la concentration et le silence que les vrits phi-losophiques doivenl clore et mrir, non dans le bruit

  • 16 CREM0N1M

    polmiques ou des agitations populaires. Si Gremonini acru la matrialit et la mortalit de l'me, je lui par-donna de ne l'avoir point cri tous les chos l . Il a pus en ouvrir ses lves, ce qui tait lgitime et mmencessaire ; mais il a mieux fait de ne s'en point vanter audehors, o il n'aurait pu donner ses raisons. Tout ensei-gnement profond a sa part exotrique comme sa part sot-rique : dans l'une prennent place les vrits communes etindiscutes qui forment comme l'hritage de l'esprit, et

    dont la philosophie ne saurait se priver sans dchoir; dansl'autre, les recherches hardies et les libres hypothses parlesquelles avance la spculation, non en ligne directe, maisavec ces replis et ces retours qui font du progrs commeune ondulation. Celle-ci doit tre rserve aux initis, qui

    seuls peuvent en mesurer la probabilit et en apprcier la

    valeur relative. Que reste-t-il aujourd'hui du matrialismede Crenionini ? Rien : ses arguments feraient sourire nossavants. Qui donc soutiendra qu'il et d alors inquiterles ignorants, en prchant hors de l'cole la doctrine qu'ilcroyait vraie, pour des raisons que la science a depuis con-

    damnes ?Jl faut comprendre sa rserve, et qu'il ait vit de cho-

    quer inutilement les opinions reues : son devoir tait de

    ne point aller la messe, puisqu'il n'y croyait pas, mais

    son droit tait de n'en point mener bruit.

    1. Naud le tient pour un homme clairvoyant et avis, non pour hypo-crite. Ce Crmonin tait uu grand personnage, un esprit vif et capablede tout, un homme dniais et guri du sot, qui savait bien la vrit,mais qu'on n'ose pas dire en Italie. Tous les professeurs de ce pays-l, maisprincipalement ceux de Padoue, sont gens dniaiss, d'autant que, tantparvenus au fate de la science, ils doivent tre dbarrasss des erreursvulgaires des sicles et bien connatre Aristote, de l'esprit duquel ce Cr-monin est un vrai tiercelet et un parfait abrg. Ces messieurs, qui sontgens raffins et dont le nombre est grand en Italie, savent bien discernerdans les grands le vrai d'avec le faux... Crmonin cachait finement sonjeu... Machiavel et lui taient deux de jeu. [NaucUeana, p. 115.)

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 17

    C'est pourtant cette abstention qu'il dut son renom

    d'hypocrisie. Baylc a rassembl tous les griefs qu'on a puformer contre Gremonini ; tout se rduit en somme l'ac-cuser d'avoir tabli une distinction de mauvaise foi entrel'opinion qu'il exposait en commentant Aristote et celle qu'il

    gardait par devers lui. Nous verrons ce qu'il faut penser

    de cette restriction, qui irrita si fort le Saint-Office. A toutle moins n'en peut-on tirer aucun argument qui permettede le reprsenter comme dloyal et perfide '. Nih.ilhabebat pietatis, et tamen pius liaberi volebat; voil ce

    que rapporte Naud. Mais tous les tmoignages tendent tablir qu'il ne s'abaissa jamais jusqu' feindre, devant seslves, des sentiments ou des croyances qu'il n'avait pas.

    et qu'il ne manifesta jamais son prtendu attachement auchristianisme qu'en s'abstenant de l'attaquer en face.

    L'tude de ses rapports avec les Jsuites et l'Inquisition

    va d'ailleurs nous faire pntrer plus avant dans le secretde sa conscience philosophique et religieuse.

    CHAPITRE II

    RAPPORTS DE CREMONINI AVEC LES JSUITES ET L'INQUISITION

    Pendant tout le Moyen ge et la Renaissance, Venise estreste la seule protectrice de la libre pense en Italie. Cegouvernement inflexible, qui, dans la pratique des affaires,

    tmoignait d'un mpris si parfait des droits individuels, pro-

    fessait l'gard de la spculation indpendante un respectailleurs inconnu. On trouverait la raison de cette heureuse

    1. Dictionnaire de Baylc. Article Crinonin.

  • 18 CREMONINI

    singularit dans l'incomparable ducation des gouvernants.

    Dans les autres Etats, ceux qui tenaient le pouvoir taient

    des fils de princes ou des soldats victorieux ; l, c'taient

    des hommes qui ne devaient leur naissance que l'accsaux charges, et que leurs faits d'armes eussent plutt rendus

    suspects, comme Athnes, tant la crainte du despotismed'un seul dominait tout le reste. Ni hrdit ni tyrannie;

    une aristocratie nombreuse, intelligente et rompue dsl'enfance tous les exercices de l'esprit : voil le secret de

    la supriorit intellectuelle du gouvernement vnitien.Elevs dans cette Ecole de Padoue, qui fut pendant trois

    sicles le refuge des penseurs originaux en qute de tol-

    rance et de libert, les plus distingus d'entre les patriciens

    taient encore souvent appels, par le suffrage du Snat, professer pendant des annes dans l'Ecole que la Rpu-blique avait tablie Venise mme, en 1470. Il n'est pasun nobil-uomo , pas un magistrat, pas un doge, qui

    n'ait tudi Aristote et qui ne compte dans l'universit des

    matres ou des lves, des condisciples et des amis. Le Snat

    discute le choix des professeurs et le chiffre de leur rtri-

    bution,s'intresse leur enseignement et n'hsite pas

    dcerner des dignits ou des rcompenses extraordinaires ceux qui font le plus d'honneur l'Universit. Une desplus importantes magistratures de la rpublique est celledes rformateurs de l'Universit de Padoue , sorte deministres de l'instruction publique, qu'on choisit toujoursparmi les plus nobles et les plus illustres personnages.Enfin la philosophie est chose d'Etat, sans pourtant dg-nrer jamais en scolastique impose. Malgr la comptenceinconteste du Snat, il n'usa que trs tard du droit de fixerles programmes; encore ne dtermina-t-il jamais le sensdans lequel il fallait les entendre : il se contentait d'indi-

    quer l'ouvrage qui devait servir de texte au commentaire

  • SES RAPPORTS AVEC LES JESUITES 19

    du professeur ; celui-ci restait matre absolu de son inter-prtation.

    L'Universit devint ainsi rapidement l'un des centresd'instruction les plus considrables d'Europe. la fin duxvie sicle , elle n'avait gure que deux rivales

    ,celles

    d'Oxford et de Paris; Bologne et Pise taient en dcadence;

    Rome et Naples vgtaient sans libert. Padoue, qui avaitconcentr toutes les forces spculatives du Pimont, de la

    Vntie et de la Lombardie, tait vraiment la seule duca-

    trice de l'Italie du nord. Aussi prouve- t-on quelque sur-prise voir le Snat prendre, en 1571, la peine d'tablir en

    sa faveur une sorte de monopole administratif, en dcidant,

    par dcret, que la Srnissime rpublique ne reconnatrait

    pas les grades confrs par d'autres professeurs que ceux

    de l'Universit. Et en effet cet acte, si peu conforme aux

    habitudes librales de Venise en pareille matire, ne s'ex-

    pliquerait point si l'on ne prenait d'abord le soin de dnoncerl'ennemi intrieur qui avait surgi dans Padoue mme etprparait l'antique Ecole un danger qu'elle n'avait point craindre du dehors.Fonde en 1540, la Compagnie de Jsus avait pris

    aussitt une extension extraordinaire; la mort de Loyola,

    elle comptait dj mille membres, rpartis en cent maisonset douze provinces. L'Italie, l'Allemagne, la France, furentbientt envahies. En 1549, les Jsuites s'tablissent dans

    L'Universit d'Ingolstadt, d'o ils ne tardent pas chasser

    tous les professeurs qui n'appartiennent pas leur ordre.

    En 1558, ils obtiennent le droit d'enseigner sur tout leterritoire de l'Empire; on leur accorde deux, puis cinqchaires perptuelles l'Universit de Vienne ; mais, cetteparticipation leur paraissant insuffisante, ils instituent uncollge spcial o ils attirent les lves par tous les moyens.Mme chose Prague, Salamanque, Stockolm. En 1551,

  • 20 CREMONIN1

    ils arrachent au roi de France Henri II une autorisation

    que le Parlement refuse par deux fois d'enregistrer. En

    1562, ils fondent quand mme le collge de Clermont.y ouvrent des cours parallles ceux de la Sorbonne d'o

    ils dtournent les tudiants par l'offre de la gratuit, et

    poussent l'audace jusqu' demander solennellement d'treadmis dans le corps universitaire. Les Facults ont beause prononcer unanimement contre cette prtention etexclure de tous les grades ceux qui suivront les cours des

    Jsuites, l'empitement continue.

    Enfin, aprs mille dmls qui durent jusqu' la fin durgne de Henri IV, on finit par les tolrer, eux et les col-lges qu'ils ont gentiment introduits

    ,comme parle

    Giustinian, l'ambassadeur vnitien prs la cour de France,

    malgr le sentiment public, malgr les efforts de l'Univer-sit, qui voit en eux les ternels ennemis de toute scienceet de toute concorde 1 .

    Les Jsuites ne pouvaient manquer de songer Padoue.Bien que nous n'ayons pas parler ici de l'organisation

    de l'Universit, qui sera tudie plus loin, il nous faut tout

    d'abord tablir que la constitution en tait devenue toutecivile, sinon laque. Les diffrents ordres religieux conti-

    nuaient fournir des professeurs ; mais la direction appar-tenait exclusivement l'Etat, qui nommait, payait, et con-gdiait les matres, sans aucune intervention du pouvoirreligieux 2 .

    1. Pour l'histoire de ces dmls, voy. : Historia Universitatis Pari-siensis, auctore G. Eg. Burlo ; Histoire de l'Universit de Pains depuisson origine jusqu' l'an 1600, par Crevier ; L'Universit de Paris et la loi surl'enseignement suprieur, par Ch. Desmaze ; Lo Studio diPadova e la Com-pagnia di Ges, par Aug. Favaro, etc.

    2. Le dcret de 1406, rapport par Facciolati (Syniagmata,, p. 35-36).portait que TEtat vnitien s'engageait entretenir l'Universit et lui con-server son rang mincnt parmi les grandes coles d'Europe. Toutefois undcret de la mme anne obligeait le municipe de Padoue continuer lessubsides qu'il fournissait au temps des princes de Carrare.

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 21

    Pendant le premier sicle de la domination vnitienne,

    les vques de Padoue avaient t de droit les recteurs del'Universit ' . Ce n'tait gure qu'un titre honorifique ; encore

    le leur retira-t-on pour crer la charge de rformateur ,dont nous venons de constater l'importance. Il n'tait

    pas conforme aux intentions du gouvernement de con-centrer des intrts de cette nature dans des mains ecclsias-tiques -'.

    Venise ne craignait rien tant que de voir la cour de

    Home s'emparer de la haute direction des esprits ; la com-position du conseil de censure, que nous aurons examiner,nous en donnera une nouvelle preuve. A l'gard de lacour de Rome '

    ,Venise affichait un respect extrieur sans

    limites; le lgal du Saint-Sige s'asseyait ct du doge etavait le pas non seulement sur tous les ambassadeurs, mais

    souvent encore sur les princes qui passaient Venise. Sous

    ce respect apparent, la fermet la plus constante, l'nergiela plus soutenue dictrent au Snat une politique quirpondait aux prtentions outres du Vatican par des finsde non-recevoir , toujours enveloppes dans ces formespolies, mais dilatoires, qu'aucune diplomatie n'a pratiquesavec plus de succs que la diplomatie vnitienne. LaSrnissisme rpublique avait inscrit en tte de son code

    l'exclusion du clerg des affaires publiques; ce n'tait pasassez : Une loi toujours respecte excluait des discussionsrelatives la cour de Rome, soit au Snat, soit au Grand-Conseil, non seulement ceux des patriciens que leurs liens

    de parent ou leurs intrts privs attachaient la causede Sa Saintet, et qu'on dsignait sous le nom de Papalisti,

    mais encore ceux qui pouvaient tre des partisans avous

    l. C'est dans 1(3 palais de l'vch que l'Ecole avait pris naissance.2. Yriarte, Vie d'un patricien de Venise, p. 240 et sq.t. Yriarte, id,, ibid.

  • 2 CREMONINI

    du Saint-Sige par des traditions de famille ou mme pardes opinions personnelles.

    Mais, quelque indpendante que ft la Rpublique l'gard de Rome, l'Universit ne laissait pas de lui causer

    quelque embarras, ouvrant les portes tous les hrtiques

    et libertins, qui passaient pour y prcher l'aise contre

    l'glise et la religion. Le pape ne se faisait pas faute

    d'adresser des remontrances ce sujet, et nous voyons qu'

    diverses reprises le Snat est oblig de s'en plaindre aux

    recteurs. En 1550 \ le conseil des Dix Lut rappelle qu'onne veut point de chefs de secte Padoue et qu'il fautempcher le flau huguenot d'y prendre pied a . On doitexiger de tout candidat au doctorat une profession de foi

    orthodoxe 8 . Que les tudiants trangers de l'Universitse persuadent bien que l'intention formelle du gouverne-ment est .qu'on y vive catholiquement ; .

    Il ne convient videmment point d'exagrer la porte deces dclarations officielles; le Snat, prcisment sur cesentrefaites, n'en sut pas moins donner raison aux tudiantsallemands lorsqu'ils vinrent se plaindre lui des parolesinconvenantes que l'vque de la ville avait prononcescontre eux \ Il faut y voir plutt la preuve de la libert

    grande dont on jouissait Padoue, et qui n'allait pas sansexcs

    Tout cela tait bien fait pour exciter le zle des Jsuites.

    1. Archivio VeJieto, VI, 47. Scrta. Pour toute cette partie de notretude, nous avons tir profit d'un Bayant travail de M. Antonio Favaro, pro-fesseur l'Universit de Padoue, intitul : Lo Studio di Padova e la Corn-pagnia di Ges.

    2. Capi di setta. . . Topinione degli ugonotti... affinch questapeste non prenda piedi in Padova. {Ibid. Scrta. VII, 91.)

    3. A la date de 1578, ch non si possa dottorar alcuno in quella cittsi: prima non haver fatto professione dlia fede . {Archivio Veneto,Iloma, I, 158).

    4. Ibid., Roraa, 11,26, cbe si vivesse catolicamente (date 1579;

    .

    5. Ibid., Roma, II, 31 (date 1580 .

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 23

    et la cour de Rome ne dut pas tarder dsigner ce foyerd'impit leur remuante attention. On ignore l'poqueprcise de leur arrive Padoue ; Riccoboni, en 1591 ', crit

    seulement que depuis de longues annes ils tiennent coledans la ville, enseignant non seulement les humanits, la

    rhtorique et les langues anciennes, mais encore la logi-

    que, la philosophie, la mathmatique, la mtaphysique etla thologie. Un document de 1762 2 rapporte qu'en 154*2 leP. Diego Lainez, profitant du bon vouloir d'Andra Lippa-mano, patricien de Venise et prieur de la Trinit, qu'il avait

    su habilement circonvenir, avait obtenu de lui l'autorisation

    de fonder un collge pour l'ducation de la jeunesse. LesJsuites avaient d'abord dissimul leurs projets.

    Ils sont venus, dit Cremonini dans le discours quenous allons bientt analyser 3

    ,

    pauvres et humbles d'al-lures ; ils ont commenc par apprendre la grammaire auxenfants, et ainsi, peu peu, lentement et graduellement, je

    ne sais trop par quelles voies, accumulant les richesses ets'insinuant pied pied, ils sont arrivs tout enseigner,

    avec l'intention, ce que je crois, de devenir Padoue lesmonarques du savoir *, si tant est qu'ils se contentent desi peu . On ne remarqua leur manuvre que le jour o l'onfut forc de fermer, par suite du manque d'lves, toutesles coles lmentaires qui jadis prparaient des auditeurs l'Universit.

    Celle-ci se prit de frayeur son tour quand elle vit queles Pres organisaient des cours sur le plan des siens, em-pruntant les titres et les formules, les affiches et les cr-

    1. Dr gym. Patav. Commentariorum lib. VI. i>. 103 : t Muftis aut--annis.

    2. Monumcnti Veneti intovno i Pachi gtnH, 1768 p. 11-13 . cit parM. Faviiro.

    3. Discours la Seigneurie de Venise, uov. [591.4. a Monarchi del stpere .

  • 24 CREMONINI

    monies qui taient en usage chez elle. Les tudiants accou-raient au nouvel tablissement, attirs par les avantages

    matriels qu'il leur prsentait et flatts dans leur paresseparle soin que prenaient les Jsuites de dicter toutes leurs

    leons , ce qui permettait chacun d'envoyer quelque

    autre prendre des notes sa place '. Gomme la Compagnieavait obtenu, en 1546, de Paul III, et, en 1550, de Jules III,

    l'autorisation de confrer les grades, jusqu'au doctorat in-clusivement, elle se trouvait en tat de faire chec l'Uni-versit. C'est ce danger que le snat avait cherch unepremire fois parer, parle dcret de 1571. Mais le maln'avait cess d'augmenter, et, vingt ans plus tard, le nou-

    veau recteur des juristes tait forc d'appeler dsespr-

    ment l'attention de l'Universit sur le pril imminent o lajetait la dloyale concurrence des Pres.

    Heureusement, des troubles qui survinrent cette mmeanne (1591) entre les tudiants des deux partis forcrentla municipalit et l'Etat se rendre compte du dommageport la paix publique.

    Un scandale caus par un groupe de jeunes patriciens,lves de l'Universit, provoqua une plainte des Jsuites -.

    Les recteurs, consults, cherchrent attnuer la faute de

    leurs justiciables. Les Pres eurent le tort de saisir trop vi-

    vement l'opinion par des rcriminations et des dnonciations

    anonymes 8 qui amenrent une enqute du conseil des Dix.On commena par arrter et punir svrement les cou-

    1. Riccoboni (De gymn. Patav., p. 103) raconte avec indignation queles fils de famille envoyaient leurs domestiques au cours, ne daignant plusse dranger pour aller chercher la science sa source.

    2. Sur ces querelles, voyez Yriarte, op. cit., p. 257-8-9. Sur celle-ci enparticulier, voyez Ant. Favaro, op. cit., p. 33 et sq., ainsi que les documentscits la fin de l'opuscule. Parmi les tudiants nobles dont il s'agit icitaient : un Querini, deux Contarini, un Pesaro, un Giustinian, un Dolfin,un Trevisan, un Correr et un Valier.

    3. M. Favaro n'hsite pas leur attribuer la pice n VI, o se dissimulemal la haine qu'ils porlaient l'Universit. (Voy. suppl. l'opuscule cit.)

  • SES RAPPORTS AVEC LES JESUITES 25

    pables; mais, cela fait, on rechercha les causes du diffrend.L'Universit s'tait fort mue le l'aventure; aussitt que larouverture des cours permit de runir tous les profes-

    seurs, Gesare Gremonini l,

    c'est ici que son rle com-

    mence, proposa une assemble gnrale pour rechercherles moyens de rsister aux attaques des Jsuites. On a con-serv le procs-verbal de cette sance -, o le recteur desartistes, Agostino Domenici da Foligno, proposa pour en(inir de dnoncer l'enseignement des Pres au doge et auSnat, comme absolument contraire aux statuts universi-

    taires approuvs par le gouvernement; aprs discussion 3 lamotion fut adopte l'unanimit de 18 voix, et l'on dsi-

    gna, par vote, trois dlgus qui iraient porter Venise lesdolances de l'Universit. Le premier lu fut Gremonini,

    par 13 voix, puis Ercole Sassonia et Franc. Piccolomini.

    Gette sance avait lieu le 30 novembre 1591.C'tait un grand honneur pour Gremonini, peine arriv

    Padoue, d'tre aussitt dsign comme le plus digne de

    reprsenter l'Universit, et rien ne fait mieux comprendrel'influence qu'il avait su rapidement acqurir auprs de sescollgues.

    Trois jours aprs, le professeur de mathmatiques del'Institut rival se rendait chez le recteur des Artistes ' et lui

    montrait un bref de Pie Y, confirm par Grgoire XIII, quiaccordait aux Jsuites le droit le plus tendu d'enseigner etde confrer les grades l'gal de toutes les Universits.

    Il ajoutait que, si le corps professoral persistait porterplainte Venise, il encourait par ce fait la peine de l'ex-

    1. Papadopoli, Hist. gymn, Paiac, p. 360. J. Facciolati, Fasti gymn.Pat., p. 28.

    2. Archivio Universitario di Padoca. Atti Univ. Artium. R. M. car. 7,S. Publi par M. Ant. Favaro.

    3. Habito colloquio et matura cousideraticme... i. Voy. Ant. Favaro. Documento XII. (Suppl. IV. cit.) Atti Univ. art.,

    R. M. Cart, 10.

  • ^ CREMONINI

    communication, comme s'opposant aux volonts du Saint-Sige. Domenici rpondit avQC fermet qu'il aviserait, et

    .

    aprs avoir consult les thologiens de l'Universit, dcida

    qu'on suivrait jusqu'au bout la voie o l'on tait entr. Lesmagistrats de Padoue, plus favorables au fond aux Jsuites

    qu' leurs adversaires, proposrent en vain une concilia-

    tion qui n'tait qu'un expdient f . La dputation, renforce

    des deux recteurs et de trois autres professeurs dsigns

    par les juristes, se rendit Venise et fut admise devant laSeigneurie, le 20 dcembre 2 . On apportait une suppliquede l'Universit adresse au doge, et Gremonini devait

    porter la parole pour la justifier.

    On a conserv ce discours, qui est la plus importante picedu procs et qui obtint un immense succs. Des copies ma-nuscrites en circulrent dans tout l'Etat vnitien 3 ; on en fit

    une traduction franaise qui en accrut encore la popula-

    rit \ Aujourd'hui mme, il n'est presque pas une biblio-thque, dans l'Italie du nord, qui n'en renferme plusieursexemplaires.

    L'orateur commence par rappeler les sacrifices que la

    rpublique s'est constamment imposs pour l'Universit

    1. Ant. Favaro. Doc. XIII, XIV.2. La Seigneurie comprenait, en assemble gnrale, le doge et les pre-

    miers magistrats de la rpublique (les Dix, les procurateurs, les rfor-mateurs, etc.). Cela s'appelait le Collge.

    3. La bibliothque du muse Correr, Venise, que j'ai pu consulter, grce l'aimable obligeance de M. le commandeur N. Barozzi, en renferme plusde dix copies. Cette harangue fut d'ailleurs imprime; mais, comme telle,elle est devenue assez rare. M. Favaro l'a publie nouveau (op. cit.,doc. XV). Elle fut prononce devant la Seigneurie seulement ; mais Ricco-boni assure qu'il en fut donn lecture au Snat : Proximis autem se-quentibus diebus, res de Collegio in senatum delata est, orationisque habitea Cremonino exemplar magna ibi attentione recitatum. M. Favaro croitpourtant qu'on lut au Snat seulement la supplique de l'Universit, nonle discours de Gremonini. Cette dernire opinion parat vraisemblable,bien que Riccoboni, qui tait ml l'affaire, n'ait pu se prononcer aussinettement sans tre certain du fait qu'il avanait.

    4. Harangue faite au Snat de Venise au nom de l'Universit de Padoue.Yoy. Annale des soi-disons...., t. 1, p. i83.)

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES "21

    depuis la conqute de Padoue, et les privilges dont elle

    a cru devoir toujours l'honorer. Les Jsuites n'ont riende semblable opposer. D'o tiennent-ils leurs droits? Pour nous, continue-t-il, nous ne connaissons d'autre

    autorit que celle du srnissime prince de Venise; siceux-l en jugent autrement et prtendent que des princestrangers peuvent tablir des privilges et dlivrer des

    autorisations sur le territoire vnitien, cela touche directe-

    ment votre Srnit et n'est pas de notre comptence : c'esttout simplement une violation des lois de la Rpublique.

    Il tait impossible de trouver un meilleur terrain de

    discussion, et le choix de cet argument, mis ainsi en

    vedette pour mieux frapper ce gouvernement si jaloux deses droits, fait le plus grand honneur la perspicacit et l'adresse de Gremonini.

    L'orateur montre ensuite les effets dsastreux de cetteconcurrence ingale. L'Universit de Rome a pri sousl'effort de la Compagnie de Jsus ; le mme sort est rserv celle de Padoue, si Ton n'y veille. Elle est dj diviseet dsunie 1

    ,

    gte et' corrompue ; tout ce que vous

    faites pour sa grandeur, ces Jsuites le dfont. C'est vrai-ment une Anti-Universit qu'ils ont tablie 3 . Lestudiants se trouvent prsent partags en deux sectes,les Bovisles J et les Jsuites, c'est comme si l'on disait les

    Guelfes et les Gibelins '. Et qui sait jusqu'o pourront aller

    1. Diviso e disunito. Lo sludio suo lia digi guasto e corrotto ilvostro assolutainente. Quanto alla giornata fate Voi per la grandezzadi lui, tanto alla giornata ella disfa.

    2. Questo suo anti-studio che cosi si deve chiamare. ;{. Ce nom tait donn aux tudiants universitaires cause du lieu de

    l'ancienne cole, qui avait t tablie sur la place d'une auberge l'en-seigne du luf, al B.

    t. L'aver essi introdotto, in coneorrenza del pubblico, un altro sludio.

    partorisce la disunione delli scolari, essendoci digi le parti, che altri sidicono i Gesuiti. altri i Bovisti, corne i Guelfi e Ghibellini : e chi non sache perturbation] siano per nascer un giorno?

  • 28 CREMONINI

    un jour ces disputes, quel avenir elles prparent larpublique?

    Enfin les Jsuites, par esprit de tromperie, contrefont

    Joutes les formes traditionnelles qui taient jusqu'alorsrserves l'Universit ; ils prennent les mmes heuresqu'elle, ont un programme l identique au sien, runissentleurs lves au son d'une cloche semblable la sienne,

    usurpent le nom de gymnase, et en un mot toutes lesprrogatives dues elle seule. Tout est troubl depuis leur

    arrive. Et quel est l'avantage de tant de dsordres? Sans

    entrer dans une discussion de fond, Gremonini donne entendre que l'enseignement des Pres est bien loin devaloir celui qu'ils attaquent. Leurs leons dont ils

    cherchent la matire dans les Summistes modernes, nondans Aristote, comme le veulent les statuts - manquentautant de profondeur que d'originalit, et l'assimilation

    laquelle ils visent ne tend qu' discrditer l'Universit.

    Voici la conclusion : Considrant donc votre service,Prince, qui est mis si gravement en question dans cetteaffaire; considrant les lois donnes l'Universit par larpublique vnitienne et qui sont ainsi violes; considrant,

    plutt que les protestations des Rvrends Pres, le bienpublic et le maintien de la paix gnrale, que l'opposition

    de deux coles rivales trouble profondment Padoue;enfin considrant ce que rclament l'honneur et le devoir :veuille Votre Srnit, en excution des statuts de la

    Rpublique, confirmer cette Universit, sinon cre, dumoins favorise, entretenue, privilgie, et dirige par elle,et supprimer l'Anti-Universit introduite dans vos Etats,

    Srnissime prince, par des hommes trangers agissant de

    1

    .

    Rotolo. 2. Voy. le texte des statuts de l'Universit dans le supplment joint

    l'opuscule de M. Favaro, p. 100, 101, 102.

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES %9

    leur propre autorit, sans mandat, et cela en commandantque la supplique de l'Universit soit lue en votre Conseil..

    A ce discours, qui fut jug diversement selon l'opi-nion de chacun ! , mais dont l'effet fut immense, tait eneffet jointe une ptition des professeurs qui tendait auxmmes conclusions. L'attention tait grande, et grandeaussi la crainte d'un chec 2 ; mais la Seigneurie avait t

    touche, et la mission eut gain de cause devant le Snat,

    auquel l'affaire fut aussitt prsente.

    Le '23 dcembre, on notifiait aux reprsentants de l'Uni-versit rests Venise pour y attendre une rponse, que

    le gouvernement dsirait conserver intacts et illss les

    privilges de l'Universit et qu'il avait pris une rsolution

    conforme ces sentiments \ La note portait, la fin,l'interdiction formelle, signifie aux professeurs de l'Uni-

    versit, de cder la coutume, reproche aux Jsuites, dedicter leurs leons en chaire. Les recteurs de Padouetaient en mme temps pris de faire appeler les Rvrends-Pres et de leur communiquer la dfense qui leur taitsignifie d'ouvrir leurs cours au public et de porter atteinte

    en quoi que ce ft aux statuts de l'Universit. Ainsi futfait: Itaque

    ,

    prope lias litteras, gymnasium cessavitJesuitarum \

    1. Les Actes de la nation allemande le louent hautement : Creinoninusad hoc prompta loquendi peritaque elegantia usus. (Doc. XXI, op. deM. Favaro.) Papadopoli (Hist. gymn. Pat., p. 359) nous apprend que Crc-monini tait d'accord avec Riccoboni, qui en effet dclare ce discours ex-cellent, luculentam. (Riccob., De gi/m. Pat., car. 103.) Quant Papa-dopoli lui-mme, il fait de graves restrictions : frigidam satis, ornatamparm, prorss ad rem quam agit invalidai. (Hist. gymn. Pat., p. 360.)Mais sa condition de religieux rgulier a pu nuire sou impartialit,

    2. Cum maxima dubitatione futuri eventus... Exemplar orationis Cre-monini in Senatu, magna attentione recitatum. (Riccoboni, lac. cit.) Pneter spem et exspectationem, disent encore les Actes de la 7iationallemande.

    3. Voy. Ant. Favaro, op. cit., Doc. XIX.i. Riccoboni (op. cit., car. 105). Tomasiui [Gymn. Pat., p. (33) dit que

    ces coles ne furent rellement fermes qu'en 159 i.

  • 30 GREMONINI

    Le succs tait donc complet, et Gremonini y avait pris

    une grande part. Il avait, quoi qu'on pt dire plus tard de

    son caractre, fait preuve de dcision et de courage en se

    portant l'interprte des rclamations librales contre l'en-

    vahissement de Tpre Compagnie. Son discours est habile

    et modr, mais plein de vigueur et de talent. Les Jsuitesne devaient jamais lui pardonner son intervention danscette affaire.

    Notre sujet ne nous permet pas de nous attarder au rcit

    des manuvres employes par l'astucieuse compagnie pouramener le snat revenir sur cette dtermination. En 1594,

    elle obtient de la municipalit de Padoue une dmarche,

    d'abord inutile, pour que le Snat permette ses membresd'enseigner au moins la grammaire, la rhtorique et leshumanits. En 1596, nouvelle tentative, qui aboutit une

    enqute, laquelle se poursuit jusqu'en 1597. En l'absencedu recteur des artistes, l'Universit proteste, par l'entre-mise du syndic Mattia Jacobeo, et demande au Snat laconfirmation du prcdent vote.

    Gremonini est toujours la tte de la rsistance ; etc'est dans les Actes de la nation allemande

    ,auprs de

    laquelle il tait en grande faveur et dont il devait devenir-

    plus tard le protecteur attitr, que nous trouvons le dtail

    de cette srie interminable de marches et de contremar-

    ches l . Mais, cette anne-l,'la faiblesse du syndic, qui crutdevoir cder aux pressantes sollicitations du podestat dePadoue et de l'vque Marco Gornaro, changea tout : deguerre lasse, on accorda aux Jsuites le droit de donnerL'instruction lmentaire. Gremonini et Iiiccoboni s'enmontrrent irrits et affligs 2 . Ils reprochrent Jacobeo

    1. Voyez ce sujet les pices jointes en supplment au livre de M. Fa-varo.

    2. Nain paucis post diebus, Doininus Jacobus, vir prudentissimus,cm excell. D. Cremonno et D. Riccobono totum hoc negotiuni narraret.

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 31

    de s'tre laiss duper : concesso ipsis digito, facile postea

    manum, dein etiam alteram, ac denique totum corpus

    invadere, obsidere et regere conabuntur *. On parvintpourtant leur arracher leur signature, que nous trouvons

    au bas d'un acte o il est dclar que si les Pres sebornent enseigner les humanits et s'abstiennent rigou-reusement de faire des leons, la manire universitaire,sur la rhtorique et la potique d'Aristote, la topique de

    Cicron, etc., si leur tablissement doit seulement servir

    de sminaire prparatoire aux tudes de l'Universit, celle-

    ci n'en prouvera aucun dommage-. C'tait l une erreur,car les Jsuites taient ainsi installs aux portes de l'Uni-

    versit, et en possession de la premire ducation, celledont les effets sont les plus durables.

    Du reste, ils ne jouirent pas longtemps de leur victoire. Parleurs perptuelles demandes, par les querelles mme qu'ilssuscitaient autour d'eux, ils avaient lass la patience vni-

    tienne. On en vint les considrer comme un danger public.Le 14 juin 1606 parut un dcret sur lequel le Snat s'en-

    gageait ne jamais revenir, et qui les expulsait du ter-ritoire vnitien :) . Le parti universitaire l'avait donc dfini-tivement emport. Les Jsuites ne devaient rentrer qu'undemi-sicle plus tard, et Gremonini ne devait pas assister ce retour, qu'il et considr comme le prlude demalheurs prochains pour sa patrie.

    Si loigns d'ailleurs que fussent les Rvrends Pres,

    uon nihil reprehendebamur quod it proiriti et aperti simplicesque fueri-mus. (Acta Inclytx nation, germ. artist.,\. II, 138.)

    1. Favaro, p. 54.2. Favaro, Doc. XXXII.3. Archiv. Ve?i. Consulti in Jure, p. 541. Le vote fut pris la majorit de

    110 voix contre 10, et confirm par 710 voix sur 751. Malgr toutes lesinstances, le Snat tint bon pendant cinquante ans, et Venise ne rouvritson territoire aux Jsuites que presse par le besoin, aur l'offre directed'Alexandre VII de lui fournir, ce prix, des subsides et des troupes pourla guerre qu'elle entretenait contre los Turcs (1056).

  • 32 CHEMON'INI

    ils ne perdirent jamais de vue leur ancien ennemi, et Tonpeut leur attribuer l'initiative, venue de Rome, des pour-

    suites diverses auxquelles notre philosophe fut presque

    constamment en butte pendant les dernires annes de savie. Ces poursuites au reste lui causrent plus d'ennui

    ({lie de grave inquitude. L'Inquisition, si puissante dans

    tout le reste de l'Italie, surtout en ce sicle de raction au-

    toritaire et religieuse, n'entravait point srieusement la librespculation Venise. A vrai dire mme, elle n'y avaitqu'une influence toute spirituelle, plus honorifique qu'active.

    Le conseil de censure auquel tait soumis tout ce qui s'im-primait ou s'introduisait sur le territoire de la rpublique

    ,

    livres, cartes, plans, gravures, etc., tait compos des r-formateurs de l'Universit et d'un certain nombre de secr-taires nomms par le Snat pour les assister. L'Inquisitionproprement dite, comprenant le titulaire et le secrtaire de

    la nonciature assists d'un religieux dsign par le pape,n'y avait que voix consultative et se bornait transmettre

    son jugement . Elle n'tait jamais consulte que sur despoints de doctrine, au mme titre que la commission ad-ministrative, dont la tche tait de prononcer sur la confor-

    mit de l'ouvrage aux principes et coutumes de l'Etat.

    Aprs ce double avis, les rformateurs accordaient ou refu-saient le permis d'imprimer l . Mme sur les questions depur dogme, le Saint-Office ne pouvait instituer une enqute,ni interroger des citoyens qu'en prsence d'un snateurreprsentant le pouvoir rgulier et pourvu du titre de commissaire du gouvernement prs la sainte Inquisition .Quant l'esprit de leur enseignement, les professeurs

    1. Voici la formule du permis : Noi Reforniatori dello studio di Pa-dova.... havendo veduto per fede del Padre Inquisitore nel libro intito-lato... non v'esser cosa alcuna contro la Santa Fede Cattolica, e pari-menti per attestato del Segretario nostro, niente contra princip e buonicostumi (dello Stato^. concediarao licenza che possa stainparsi...

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 33

    n'taient soumis d'autre contrle qu' celui des rforma-teurs

    ,

    qui s'en remettaient l'Universit elle-mme dusoin de juger le mrite de ses membres. Il n'y a pasd'exemple d'une ingrence du pouvoir civil dans les ques-tions doctrinales. Le rle de l'Inquisition se bornait d-

    noncer certains ouvrages aux rformateurs, qui d'ordinaire

    ludaient la demande par des rponses volontairementvagues et suspensives, et la seule sanction directe de ses

    arrts tait la condamnation spirituelle du livre par la courde Rome, condamnation dont les effets taient nuls surle territoire vnitien, tant qu'elle n'avait pas t enregistre

    par le Snat. On comprend vraiment l'enthousiasme aveclequel tous les voyageurs d'alors s'accordaient louer le

    rgime que la Rpublique avait su donner son Univer-sit. Outre les avantages qui provenaient du voisinage deVenise, de ses imprimeries, de ses bibliothques *, outre le

    profit qu'elle retirait des relations maritimes de la mtro-pole avec l'Orient, Padoue avait encore son originalitpropre, qui rsidait dans la libert et la tolrance univer-

    selles qu'elle professait en tout. Tel tait le respect poin-

    tes croyances religieuses et pour les coutumes de la vie, le

    costume, etc., que Polonais, Allemands, Franais ne s'aper-

    cevaient pas qu'ils habitaient une ville trangre, restant

    fidles toutes les habitudes de leur patrie. A Bologne, ontait forc de s'italianiser, selon la phrase de Gualdo;

    Padoue, chacun agissait son gr, pourvu que cela ne

    troublt personne. Aussi tait-il juste de dire que tous lestrangers qui quittaient Padoue regrettaient la libert pa-douane et n'en pouvaient plus parler qu'en soupirant : Patavinam libertatem, quoties meminerint, suspirant -.

    1. Voyez un opuscule de M. Berti, La venuta di Galilco Galilei a Pa-dova (Atti delR. Istitulo Veneto, 1870-1871).

    2. Berti (ttrf.), Gualdo (Vita Vinc. Pinelli, 1607, p. 72). La libert pata-vina, crivait Creuiouini h Galile.

    :{

  • 34 CREMONINI

    C'est ce libralisme clair de l'Etat que la philosophie

    a d l'indpendance dont elle a si longtemps joui Venise 1 .Tandis que Florence brlait Gecco d'Ascoli et Savonaroie,que Rome brlait Giorclano Bruno, que Toulouse brlaitVanini, que Naples torturait Gampanella, Faverrosme et

    l'alexandrisme se livraient impunment Padoue descombats o chacun avait le dessus son tour, mais ol'orthodoxie avait toujours le dessous. M. Yriarte a publi B

    un dcret, adopt l'unanimit par le Snat, dans lequel laRpublique tmoigne de sa reconnaissance envers Galile. pour avoir donn au monde plusieurs inventions quisont sa grande gloire et au plus grand intrt de tous .

    et l'invite, pour le reste de ses jours, enseigner dansl'Ecole de Padoue. Pomponazzi lui-mme, qui soutint ou-vertement, sinon la matrialit, au moins la mortalit del'me, l'origine naturelle des religions, l'ternit du monde,l'indpendance de la morale par rapport Dieu, et-vingtautres thses dont la moindre semble rpugner absolument l'ide d'un enseignement officiel, ne fut point inquittant qu'il demeura Padoue. Et il convient mme d'ajouterque les perscutions littraires auxquelles il fut en butte

    Bologne n'offrirent jamais rien de bien tragique; l'influencede Venise tendait le domaine de la tolrance au del mmedes bornes de son territoire. M. Fiorentino 3 a racont avecbeaucoup de verve et d'esprit la polmique qui s'engagea propos du Trait de Vimmortalit, et l'on est plutt tent desourire au rcit des msaventures du frre Ambrosio Fian-dino que de prendre au srieux la figure de rhtorique oPomponace se compare un titan foudroy \

    1. Voyez ce sujet l'opinion de M. Yriarte. op. cit., passim.2. Id., iid., p. 263.3. P. Pomponazzi, p. 39-40.4. Prornetheus est philosophas, qui non sitit, non famescit, non dor-

    mit, non expuit, ab omnibus deridetur, et tanquam stultus et sacrilegus-

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 35

    Gremonini tait dsign aux soupons de l'Inquisition,

    moins par la tranquille hardiesse de la doctrine pripat-ticienne qu'il exposait, moins mme par sa prdilection bienconnue pour l'interprtation alexandriste, o l'Eglise, aprsmille vicissitudes ' , avait .fini par dcouvrir la pire deshrsies, que par l'indiffrence hostile o il enveloppaitla religion et ses ministres, et qu'il ne faisait pas difficult

    d'avouer dans les runions intimes. Les premiers ennuislui taient venus Ferrare, comme on l'a vu; sa conduite

    Padoue n'tait pas pour le faire oublier. L'pre discoursprononc au Snat contre les Jsuites avait entretenu lescolres. D'autre part, la rserve qu'il gardait dans sesleons publiques, s'abritant sous l'autorit d'Aristote, le

    respect qu'il professait ouvertement pour la religion, dsar-

    maient ses ennemis. Il leur fallut attendre vingt ans pourl'attaquer avec quelque chance de succs. Encore convient-

    il de remarquer que les poursuites gardrent un caractretout doctrinal et ecclsiastique, sans que le pouvoir scu-

    lier y intervnt en rien. Gremonini fut inquit trois ouquatre reprises diffrentes ; mais les rformateurs ne prirentaucune part ces enqutes, ni par consquent le comitde censure publique.

    Les deux premires fois, tout se borna un change delettres et d'observations entre le Pre inquisiteur et le pro-fesseur. La troisime, il y eut bien un semblant de procs,

    mais l'instruction en fut faite par l'Inquisition elle-mme, titre priv, sur l'ordre expdi de Rome par le cardinalMillino. Le procs- verbal de l'interrogatoire qu'on fit subirauprincipal tmoin nous apprend que la chose se passa entre

    habetur, ab Inquisitoribus prosequitur, lit spectaculum vulgi... (/>t faciunl inter se. -

  • V8 CREMONINI

    cela ne saurait suffire rendre sa foi suspecte. S'il parle de dmonstration propos de thories pripatticiennes,c'est dans un sens tout relatif et hypothtique, sans se pro-noncer sur la vrit de la majeure qu'il prend comme pos-tulat, pour la commodit de renseignement. Il faut bienqu'Aristote ait parfois err, puisqu'il se trouve sur plus

    d'un point en contradiction avec le dogme chrtien l.

    Voil comment Cremonini s'acquittait de l'engagementqu'il parat avoir pris lors de l'enqute de 1614. A vraidire, la rponse tait meilleure que la premire fois; elledonnait au moins une satisfaction verbale aux principalesdemandes de l'Inquisition. Malheureusement, dans toutcela perait encore un ton d'ironie et de ddain qui ne pou-vait tromper le Saint-Office. Et puis la doctrine gnrale ne

    s'en trouvait en rien modifie.

    On attendit longtemps avant de prendre une dcision;le livre fut envoy Rome pour y tre examin ; les rap-ports, les dlibrations et les consultations prirent plus de

    deux ans, et c'est seulement en 1G19 que fut expdie deRome l'inquisiteur de Padoue la note contenue dans labibliothque du Mont-Cassin et intitule : Observationesin Apologiam dictorum Aristotelis de quinta cli substan-tia, adverss Xenarchum, lo. grammaticum et alios -\ Le Saint-Office y rappelle d'abord que Cremonini avait

    reu Tordre, selon la disposition du concile de Latran,

    de rtracter, corriger, expliquer et rfuter la doctrine

    d'Aristote, de confesser hautement la foi catholique et de

    la dfendre nettement sur tous les points o il l'avait atta-que dans le De clo.

    1. Spius usu veniet ut vald rem affirmemus, nomineinus deinonstra-tionem, et dicamus aliqua esse ab Aristotele demonstrata, sed non suntsiinpliciter appellandae dmonstrations quaecuinque christian Veritali r-pugnant... Aristoteles) quippe qui erravit quandoque contra fidem sensit.

    J.. Publie par M. Berti {op. cit.).

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES 49

    Suit une srie d'extraits et d'analyses tendant montrer

    que non seulement Cremonini ne corrige rien, mais qu'il

    aggrave encore ses erreurs prcdentes '. Ces erreurs sont

    toujours les mmes : l'ternit du ciel, la mortalit relativede l'me, l'inertie de Dieu.

    Quant au jugement port par Cremonini sur la doctrinepripatticienne et d'aprs lequel celle-ci n'aurait qu'une

    vrit diminue et fallacieuse 2,l'inquisiteur expose

    que toutes ces nuances n'ont rien faire avec la religion

    .

    Non saria mai verit che contiene in se diminuzione ofallacia del vero.

    La conclusion est la mme que prcdemment : il fautcorriger les deux ouvrages; l'inquisiteur est charg de le lui

    dire rsolument 3,comme cela a dj d tre fait en 1614 4

    ;

    autrement on les interdira tous les deux. Du reste, on s'enremet au Saint-Office de Padoue du soin de mener l'affaireconvenablement et de faire entendre Cremonini qu'onn'a pas d'autre but, en tout cela, que le zle religieux et le

    salut des mes ; on n'en viendra l'interdit que si Ton y estamen par force et par devoir.

    Enfin il faut qu'il comprenne bien que la rtractation en

    matire de foi doit tre claire et manifeste, non pas enve-

    loppe et ambigu, et que des hommes de haute valeur,Pendasio entre autres, le matre mme de Cremonini, n'ontpas craint de faire en cela tout ce qu'on leur demandait, et

    de sparer nettement leur cause de celle d'Aristote, quils

    avaient pourtant, eux aussi, mission d'exposer.

    1. L'auteur de cette note ne distingue qu'imparfaitement l'orthographelatine de l'orthographe italienne : Hc pauca michi (sic) occureruut qua?salvo me/y/iori (sic) judicio, michi videntur salis aperte indicare D. Creuio-ninum non se purgare per lmnc librum postremo editum.

    2. Moduni veritatis diminutum et fallacem. 3. V. R. lo dica liberamente. 'i. Allusion la note de Rome (20 sept. 1614) qui avait prcd l'envoi

    des objectiones , lesquelles sont du 2 septembre.i

  • 50 CREMONINI

    A cette pice en tait jointe une autre, intitule Adnotatioad librum D. Cs. Cremonini de quinta cli substantia ,qui reprenait sous une forme analogue les critiques noncesdans la premire, laquelle elle servait sans doute de do-cument complmentaire et de preuve justificative.

    L'inquisiteur en crivit sur-le-champ Cremonini ; il sebornait rsumer la lettre que nous venons d'analyser,rappelant ces manires de dclarations et de distinctionsqu'on reprochait au professeur, allusion vidente l'oppo-sition que Cremonini tablissait en lui-mme entre le p-ripatticien et le chrtien : Si vraiment il est le bon catho-lique qu'il veut paratre, et non le philosophe paen que

    Ton peut croire, ce doit tre pour lui une obligation de

    conscience de se conformer aux prescriptions de la religion,

    sans chercher davantage quivoquer et se drobercomme il l'a fait dans le De clo.

    Il est fcheux qu'on soit oblig de rpter tout cela aprsqu'il en a t parl dj si souvent et si longuement. Cre-monini est donc pri de rpondre cette fois par crit et ca-tgoriquement, afin qu'on en puisse rendre compte Romepour la fin de la semaine l .

    Il rpondit aussitt ; sa lettre n'est gure qu'un rsumplus dcisif et plus vigoureux de l'apologie de 1614 2 .La note de l'inquisiteur a un double but : convaincre

    Cremonini de la ncessit de donner satisfaction au Saint-Office, et lui indiquer ce qu'il doit faire pour cela. Sur le

    premier point, le philosophe remercie Sa Paternit de labonne affection qu'elle veut bien lui tmoigner : il esttoujours prt couter toute demande convenable.

    Mais, sur le second point, il refuse nettement de remettre

    1. Renan, App. l'Averros et Vaverrosme , p. 477 (Mont-Cassin, cod.483).

    2. Renan, op. cit., ibid.

  • SES RAPPORTS AVEC LES JSUITES ol

    la main au De clo, non posso farlo assolutamente. Il

    a t convenu que la correction serait insre dans YApo-

    logie, ce qui a t fait. On l'a su au Snat, et la chose y a tapprouve; il n'a plus lui-mme le droit d'y revenir. Il nepeut d'ailleurs expliquer Aristote autrement qu'il ne l'en-

    tend, car il perdrait par l tout droit ses moluments.Tout ce qu'il peut faire, c'est de veiller, dans la dernire

    srie de ses ouvrages sur le ciel, prouver qu'il est avant

    tout un philosophe catholique et chrtien, et cela par des

    dclarations sur la forme desquelles il s'entendra avec leSaint-Office.

    L'inquisiteur de Padoue dut se contenter de cette rponse,

    qui lui rappelait indirectement que le professeur tait res-

    ponsable devant le Snat et non devant lui.

    Pour la cour de Rome, Gremonini composa une nouvelleapologie crite avec autant de courage que de finesse l .

    Il y relevait d'abord l'allure toute personnelle de la cri-

    tique qu'on lui communiquait : Les observations que VotrePaternit m'a transmises manent, ce qu'il parat

    ,d'un

    homme priv... et c'est pourquoi il doit m'tre permis d'yrpondre librement, comme un simple particulier. Suitla discussion, o Gremonini rappelle que tout ce qui avaitt promis a t fait et qu'il a suivi en tout les recomman-dations venues de l'inquisiteur : qui donc ose raviver nouveau une querelle apaise par une aussi sainte au-

    torit ? Sans doute quelque personnage anim de mauvaisesintentions ou dsireux de faire valoir son zle. En toutcas, ajoute l'habile homme, Votre Paternit elle-mme etle R. P. Rgent, qui ont approuv ma manire de faireet de dire, sont aussi coupables que moi 2 . Nous n'entrons

    1. Publie par M. Berti, opusc. cit. Extraite de La bibliothque du Mont-Cassin, Responsio C. Cremonini ad supradiclas observationes .

    2. Note marginale du manuscrit : Hc noluit Inquisitor Paduae.

  • 52 CREMONINI

    point clans le dtail du plaidoyer, qui du reste ne fait querappeler les arguments connus. Comment un professeurpourrait-il pcher on exposant des opinions qu'il est paypour enseigner ?

    Voil l'objection laquelle il revient toujours, et toujours-aussi l'exemple de Pomponace qu'on n'a point forc decorriger lui-mme ses crits, malgr l'arrt du concile deLatran, qu'on appliquait alors pour la premire fois.

    Il est probable que l'Inquisition romaine ne se montra

    pas satisfaite de cette rponse, car on trouve encore, dans

    la bibliothque du Mont-Cassin, une autre justification deGremonini, qui se rapporte la mme affaire et o l'auteursemble faire un pas dans la voie des concessions f .

    Examinant les doctrines incrimines, il dclare nettement,cette fois, qu'Aristote est dans le faux, et qu'il se borne

    l'exposer comme historien et glossateur, sans s'approprier

    les erreurs qu'il y relve. Le reste de la rtractation devait

    venir avec la publication du De efficientia cli ; l'Inqui-sition se rsigna attendre.

    Mais Gremonini, fatigu de tant de luttes et de tracas-

    series, et voyant d'ailleurs le peu de succs des livres qu'il

    imprimait , laissa passer de longues annes sans diterautre chose que des posies lgres : c'tait dcevoir le

    Saint-Office et luder les promesses qu'il avait arraches.

    Gomme d'autre part, des plaintes intresses ou des logesmaladroits venaient chaque jour apporter aux oreilles desinquisiteurs l'cho des hrsies que le professeur continuait

    mettre dans ses leons, on s'arrta au seul parti pos-

    sible : ouvrir contre Gremonini un procs de tendance, oon lui reprocherait l'esprit mme de son cours.

    Cette troisime poursuite est plus intressante que les