etude des facteurs sociologiques pour un développement à long terme (mars 2005)

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    SOMMAIRE

    Rsum excutif . 3

    Introduction. 5

    Le contexte de ltude. 6

    La mthodologie 7 Les principaux axes de rflexion 8

    1. Les diffrents acteurs du dveloppement 10

    2. Les principaux facteurs historiques et sociologiques

    ayant influenc la socit malagasy ... 12

    2.1 La capacit de rsistance de la population.. 12

    2.2. Lattachement aux pratiques traditionnelles 12

    2.3. La valorisation conomique de lespace rural. 14

    2.4. Le respect du fihavananaet ses limites 152.5. Le respect des ans et de la hirarchie sociale .. 16

    3. La dimension du fokonolonadans le temps et lespace .... 18

    3.1 Le fokonolonaavant le rgne dAndrianampoinimerina. 18

    3.2 La rforme du fokonolonaau temps dAndrianampoinimerina.. 20

    3.3 Impacts des tentatives dindustrialisation sur le fokonolona... 25

    3.4 Le fokonolonadu temps colonial 27

    3.5 La SecondeGuerre mondiale et ses impacts sur le fokonolona 38

    4. Les fondements des facteurs sociologiques et leur volution... 44

    5. Les diverses logiques de la socit malagasy 49

    5.1. La logique de dveloppement.... 49

    - La logique dautosubsistance. 49- La sant comme facteur de dveloppement.... 51- Lducation, pilier du dveloppement.... 53- La russite dune gouvernance locale. 58

    5.2. La logique communautaire. 59

    5.3. La logique socioculturelle.. 59

    6. Analyse des interactions des diverses logiques et leur impact dans leprocessus du dveloppement 61

    6.1. Le respect des fomban-drazana (coutumes) et leurs

    impacts sur lconomie locale.. 63

    6.2. Lattachement au tanindrazana et prservation du

    patrimoine et des ressources 65

    7. Recommandations... 66

    8. Elments de comparaison avec dautres socits . 69

    9. Bibliographie et sources.. 72

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    RESUME EXECUTIF

    Les facteurs sociologiques qui doivent permettre de jeter les bases dun dveloppementhumain et durable reposent sur un corpus de paramtres que nous avons dtermin partirdune analyse fine de la socit malagasy, travers ses lments historiques etsociologiques. Lobjectif final de cette tude est de voir comment ces facteurssociologiques que nous formulons dans nos recommandations, permettent dassurer undveloppement humain et durable long terme et par voie de consquence de diminuer lapauvret de moiti en 2015.

    Une analyse approfondie des modes de fonctionnement nous a permis de mettre laccentsur une catgorie dacteurs, celle qui est la premire concerne par toute forme daction dedveloppement. Nous avons pris en considration les acteurs de base que nous retrouvonsen gnral dans le fokonolona, une structure sociale qui a volu dans le temps et danslespace, surtout partir de la formation du royaume de Madagascar au XIXe sicle etde limpulsion quelle a donne dans tout le pays, pour ensuite tre reprise par lacolonisation, puis par les trois rpubliques jusqu aujourdhui.

    A travers le fokonolona, nous avons relev plusieurs facteurs sociologiques quicaractrisent et qui ont permis la socit malagasy de se perptuer devant descirconstances conomiques et politiques difficiles des diffrents contextes. Ces diffrents

    lments pourraient influencer les stratgies de dveloppement dans le long terme, tout entenant compte de leurs aspects positifs qui pourraient constituer un atout pour ledveloppement Madagascar. Nous avons pris en considration les facteurs suivants :

    o La capacit de rsistance et/ou dadaptation de la population face aux innovations de dveloppement impulses du haut par lEtat.

    o Lattachement profond aux valeurs traditionnelles de la socit malagasy, quirepose sur la trilogie fokonolona, tanindrazana et fihavanana, base essentielle surlaquelle doit se faire toute action de dveloppement.

    o Le respect dufihavanana qui conforte lexistence dufokonolona travers lequel sereconstruit les liens sociaux.

    o La valorisation conomique de lespace qui ne peut tre positive quau traversde ces fondements culturels et donc elle ne peut arriver maturit que si les diversacteurs du dveloppement acceptent dintgrer dans leur mode de fonctionnementces valeurs qui font partie du substrat culturel et religieux de la populationmalagasy. Cela doit conduire tout praticien du dveloppement de tenir compte desspcificits rgionales du peuple malagasy.

    o Le respect des ans et de la hirarchie sociale qui a permis jusqu aujourdhui lemaintien de lquilibre social.

    Cest ainsi que la logique du dveloppement doit tenir compte des principes de base quidterminent les logiques communautaire et socioculturelle. Lune ne va pas sans lautre,

    elles sont troitement lies et sont en constante interaction. On peut croire que lesparamtres de la logique socioculturelle constituent un blocage au dveloppement, ce

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    qui nest pas le cas. Si blocage il y a, cela provient surtout dune mauvaise perception descommunauts de base, de leurs modes de fonctionnement et surtout de leur propreperception du modle de dveloppement.

    Les ambitions dans le DSRP pour un dveloppement humain et durable en symbiose avec

    les objectifs du Millnaire dans la rduction moiti dans dix ans la pauvret Madagascar sont des enjeux majeurs et font partie de challenge que lensemble des acteursdu dveloppement (Etat, secteur priv, socit civile et acteur de la base) doit dfier.Partant des analyses de ces facteurs sociologiques et historiques, nous proposons lesindicateurs suivants qui tiendront compte des lments vitaux de la socit malagasy pourun dveloppement long terme :

    o Mettre en synergie tous les acteurs concerns par une action de dveloppement.o Tenir compte des spcificits et de loriginalit de chaque groupe socio ethnique.o Prendre en considration la trilogiefokonolona, tanindrazana etfihavanana.o Utiliser selon les situations la capacit de rsistance et la facult dadaptation de la

    population.o Mettre en exergue larticulation villes-campagnes, campagnes-villes.o Revenir au systme traditionnel de la gouvernance locale afin de ladapter aux

    contextes socio-politiques et socio-conomiques actuels.o Exploiter la potentialit de travail effectu par les femmes.o Mettre en harmonie l institutionnalisation du fokonolona par lEtat avec les

    aspirations des communauts locales.o Tenir compte des variables dans la hirarchie sociale dun groupe, dune

    communaut.o Exploiter les variables de lconomie populaire dans le processus de

    dveloppement.o Grer les patrimoines et les ressources.

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    INTRODUCTION

    Lobjectif de cette tude est de contribuer inclure dans les stratgies de dveloppementtous les aspects sociologiques et historiques qui ont marqu la socit malagasy tout lelong de son histoire et qui sont susceptibles dinfluencer le dveloppement long termedans le futur. Le dveloppement humain et durable est ainsi pris comme objectif dugouvernement actuel. voquer un dveloppement humain et durable signifie de prendre enconsidration dans toutes ses dimensions tous les facteurs qui permettent de favoriserlpanouissement de la socit afin que cette socit puisse constituer un vecteur dudveloppement long terme. Cette perspective est alors significative puisquil montre une

    stabilit, une continuit dans toutes les actions entreprises et entreprendre. Les stratgiesde dveloppement laborer tiendront compte du long terme mais ne se limitent plus despolitiques de dveloppement court terme qui ne rsistent pas aux premires crises(politiques, conomiques, etc.).

    Le dveloppement humain et durable correspond bien aux objectifs du gouvernementstipuls dans le DSRP et rpond aux objectifs de la Dclaration du Millnaire queMadagascar a adopte en septembre 2000, dont laboutissement devrait tre la rduction dela pauvret.

    Afin de prparer le futur en termes de dveloppement humain et durable, il est impratif de

    connatre et matriser le pass et le prsent. Il sagit en fait de connatre lhistoire du paysmais surtout connatre les acteurs de cette histoire. Une tude rtrospective qui met enexergue les diffrents facteurs ayant contribu la socit de faire face toutes situationset de poursuivre son chemin, sera ncessaire. Lanalyse historique complte ltude desfacteurs sociologiques de la socit malagasy. Cest ainsi quune place importante a tdonne aux acteurs de dveloppement notamment le fokonolona, qui nest pas seulementune entit de rfrence mais surtout un des acteurs de dveloppement part entire.

    Dans cette tude, une place importante a t donne aux acteurs de dveloppementnotamment lefokonolona, qui nest pas seulement une entit de rfrence mais surtout unacteur de dveloppement part entire. Cette connaissance dufokonolona permet ainsi de

    faire lanalyse des facteurs sociologiques et historiques qui dterminent les comportementsde la socit malagasy travers les contextes auxquels elle est confronts.

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    LE CONTEXTE DE LETUDE

    Madagascar est class parmi les pays les moins avancs faible revenu et dficit vivrier(PERDV). Plus de 70 % de la population vit au-dessous du seuil de pauvret (soit moins de

    1 dollar par jour), et 80 % de la population rurale vit en dessous du seuil de pauvret. Selonune enqute faite dans le cadre du projet Madio , en 1993, 76 % des Malgaches vivaientavec moins de 1 USD par jour. En 1997, la situation sest aggrave, passant 79 %.Aujourdhui, la situation sest quelque peu amliore en milieu urbain. Mais, selon nospropres enqutes effectues dans tous les arrondissements de la capitale (dcembre 1999 avril 2000), plus de 50 % des mnages vivent avec moins de 10.000 Fmg (soit moins de2.000 Ariary) par jour, donc avec moins dun dollar et demi pour une famille de quatrepersonnes. Dans la catgorie des pauvres, de nombreuses familles narrivent pas gagnerplus de 3.500 Fmg par jour. Les consquences parmi ces dmunis sont trs graves :malnutrition, maladies de la peau, turberculose, analphabtisme, prostitution, etc Leconstat est clair : 54 % de la population malgache est analphabte, 26 % des mnages ont

    seulement accs leau potable. Six Malgaches sur dix occupent un logement dune seulepice. Quoique le PNB soit pass de 235 USD en 1995 276 USD en 1999, tous lesingrdients de la pauvret sont l et la situation risque encore de saggraver selon leProgramme national de la Population (2000), et il sest aggrav surtout depuis la crise de2002.Le gouvernement malgache, sous la pression des institutions internationales, a t amen formuler un plan national de lutte contre la pauvret, qui deviendra le Plan Stratgique deLutte contre la Pauvret (DSRP) en 2001 du dveloppement du pays en lieu et place duDocument Cadre de Politique Economique (DCPE) labor en 1997.

    Nous sommes en prsence dune situation paradoxale quand on connat le potentiel desressources de ce pays : cultures dexportation, ressources minrales, ressourceshalieutiques, cotourisme qui fait de Madagascar une destination privilgie. Ajoutons ceconstat une dgradation de lenvironnement et des rserves forestires. Selon rapport deLDI, la dgradation de lenvironnement Madagascar est troitement lie laggravationde la pauvret en milieu : Si les tendances des 20 dernires annes se poursuivent

    jusquen 2020, lexpansion des terres agricoles se fera au dtriment de 500.000 ha deforts, juste pour maintenir la production de riz au niveau de 1995 ; la pire dforestation seproduira dans la rgion de Moramanga o 80 % du reliquat de forts seront dtruits . Lescauses de ce constat sont profondes et complexes et les consquences sont la mesure du laisser-aller des autorits depuis la rvolution de 1972.

    Cest ainsi que le DSRP a pour ambition datteindre les neuf objectifs de la Dclaration duMillnaire pour 2015 : (1) rduire de moiti la proportion de la population vivant dans lapauvret extrme, (2) rduire de moiti la proportion de personnes souffrant de la faim, (3)rduire de deux tiers la mortalit des enfants de moins de cinq ans, (4) rduire de troisquarts le taux de mortalit maternelle, (5) scolariser tous les enfants dans le primaire, (6)rduire de moiti la proportion de personnes prives daccs leau potable, (7)promouvoir lautonomisation des femmes en liminant les ingalits entre garons et fillesdans lenseignement primaire et secondaire, (8) mettre en uvre, dici 2005, des stratgiesnationales de dveloppement durable, afin de pouvoir inverser ds 2015 la tendance ladgradation des ressources cologiques dici 2015, (9) arrter la progression du VIH/SIDA

    et commencer dinverser la tendance. Ces objectifs, pour fiables quils sont dans leurprospective, certains pouvant tre atteints, dautres non, doivent sappuyer sur des

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    facteurs historiques et sociologiques afin dassurer avec pertinence un dveloppementhumain et durable du pays.

    LA METHODOLOGIE

    La mthodologie que nous avons utilise est des plus classiques : (1) rfrence aux sourcesdocumentaires, documents officiels, rapports de terrain, (2) travaux personnels, rapportsdtudes sollicits par des organismes internationaux, (3) notre propre perception deschoses.

    - Les sources documentaires : les donnes utilises reposent sur des travaux et tudesdj effectues sur lensemble du pays, savoir des documents officiels, tels les rapportsdes travaux effectus par des organismes non tatiques mais qui sont financs par lesbailleurs de fonds comme la Banque Mondiale, le PNUD, par des tudes commandites par

    des ONGs internationales sur la gouvernance locale, la dgradation de lenvironnementdans des zones sensibles (CRS, PACT-Madagascar, Conservation International).

    - Nous avons utilis aussi des tudes de cas effectues personnellement suite unedemande formule par des organismes internationaux oeuvrant pour la scurit alimentaire,la lutte contre les endmies et pandmies, la conservation de la biodiversit Madagascar,des rapports de mission et des travaux de recherches plus fines comme celle dune Evaluation et perspectives des transferts de gestion de ressources naturellesrenouvelables (TGRNR) dans le cadre du Programme environnemental 3 , partir de laloi 96-025 sur la Gestion locale scurise (GELOSE). Ce qui nous a permis de mieuxconnatre la perception des communauts locales concernant le processus de la mise enplace dun transfert de gestion de ressources naturelles renouvelables. Ces recherchesanthropologiques et sociologiques sont en grande partie loutil de travail partir desquelsnous posons nos pralables et nos rsultats. Trois grandes parties de lle ont t le champsde ces tudes : les Hautes Terres centrales, le Nord-Ouest et le Sud-Ouest malgache. Cesdiffrentes donnes sont ainsi utilises afin de comprendre dune manire prcise lesralits sociales dans les diffrentes rgions. Notre objectif est alors de confronter lesdonnes qualitatives avec les donnes quantitatives fournies selon les domaines tout entenant compte des objectifs finaux correspondant ceux prsents au niveau du DSRP etdes Objectifs de la Dclaration du Millnaire. Ce qui nous a permis danalyser ladynamique des socits locales dans le temps et lespace depuis le XIXe sicle.

    - Enfin, nous appuyons et formulons des perspectives long terme par rapport notreperception des divers terrains que nous avons effectus avec nos tudiants des Sciencessociales du Dveloppement, permettent de mieux cerner les problmatiques de la mise enplace dune stratgie de dveloppement humain et durable. Mais, nous avons essay de nepas tomber dans le pige de la gnration htive sur les comportements des uns et desautres, partir dun cas particulier.

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    LES PRINCIPAUX AXES DE REFLEXION

    Lossature de cette ltude repose sur huit axes de rflexion :

    1. Le premier objectif est de cerner linfluence des facteurs sociologiques sur ledveloppement long terme, tout en mettant en exergue les objectifs nationaux mi-parcours , et les objectifs figurs dans le DSRP, il nous semble ncessaire et impratif deconnatre les diffrents acteurs du dveloppement. La connaissance de ces acteurs nouspermet de situer les tudes sociologiques et anthropologiques par rapport aux objectifs delEtat. Il y a plusieurs entits qui agissent chacune de leur ct pour le dveloppement deMadagascar. Mais est-ce que ces diffrents acteurs ont la mme vision dudveloppement. ? Comment chacune de ces entits peroit-elle le dveloppement et lesobjectifs atteindre ? Ce sont des questions qui mritent dtre poses puisque les tudessociologiques et anthropologiques concernent dabord les acteurs, ensuite leurs actions eten dernier lieu, les impacts de leurs actions sur le dveloppement dans le court et dans le

    long terme. Nous insisterons sur les acteurs de la base qui reprsentent la grande majoritde la socit malagasy. Ces acteurs refltent limage mme de la nation. Ils entrententirement dans la catgorie des acteurs potentiels de dveloppement. Et leur participationeffective dans le processus du dveloppement contribuera entirement en un contrepoidsimportant par rapport aux autres acteurs du dveloppement pour le dcollage conomiquedu pays et pour un dveloppement humain durable.

    2.Nous identifierons les principaux facteurs historiques et sociologiques qui ont fortementmarqu la socit malagasy et les gnrations des Malgaches dans le pass. Plusieursfacteurs seront ainsi soulevs qui permettront de comprendre les comportements, lesmentalits, le mode de fonctionnement et les dynamiques sociales de ces acteurs. Sans

    entrer dans les ralits vcues par les gens, il ny a pas moyen de se mettre leur place oude les comprendre. Les donnes statistiques sont trs importantes pour situerquantitativement lvolution ou bien la rgression des diffrents indicateurssocioconomiques de base. Mais elles devraient tre compltes par des rsultats denqutequalitative et participative qui dmontrent avec clart des situations concrtes.

    3.Nous pensons que la dimension dufokonolona au cours de son volution dans le tempset lespace nous permettra de mieux cerner les motivations et les dynamiques de la socitmalagasy travers son histoire et au vu de sa diversit rgionale. Ce troisime point peutparatre fastidieux au lecteur de part sa longueur, mais il est cependant ncessaire de bien

    comprendre quune des principales composantes de base de la socit malagasy est cetteinstitution qui a beaucoup volu dans le temps et dans lespace.

    4. Nous dfinirons ensuite les fondements de ces facteurs sociologiques qui sont lesprincipes fondamentaux pouvant dterminer tous les comportements et les modes depense de la socit. Nous les analyserons dans le temps et lespace. Car nous devonsremonter au XVIIIe sicle, voire plus en avant, afin de comprendre comment fonctionnaitla socit malagasy du temps des royaumes, sous la colonisation et sous les troisrpubliques. Certaines constantes apparaissent au cours de ces diffrentes squenceshistoriques.

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    5.Nous tudierons les diffrentes logiques de fonctionnement de la socit : la logique dudveloppement, la logique communautaire et la logique socioculturelle. On ne doit pasngliger les faons dont procde la population dans la vie courante. Connatre la socitmalagasy cest aussi prendre en considration ses logiques. Les identifier nous permetdune part de rpondre un certain nombre de problmatiques qui se posent devant

    lincompatibilit des actions entreprises et leurs rsultats, et dautre part, de dtecter lesproblmes et les difficults rencontrs par les diffrentes entits de dveloppement dans laralisation des projets de dveloppement ou notamment des politiques nationales dedveloppement qui aboutissent dans la grande majorit des cas lchec total. Noussommes 45 ans dindpendance et la nime stratgie dans les politiques dedveloppement appliquer. Et le rsultat que nous obtenons, cest la pauvret, lapauprisation grandissante de la population entire. Madagascar fait partie des pays lesplus pauvres de la plante. Donc, pour inverser la situation, il faut que les logiques defonctionnement de la population entire puissent correspondre aux objectifs de lEtat, etque les objectifs de la population rpondent aux objectifs du gouvernement.

    6.Ces diffrentes logiques que nous avons identifies dans le cinquime point sont en faiten interdpendance troite et donc sont en interaction. A ce niveau, nous pourrons faire uneanalyse approfondie et rtrospective de lvolution de ces interactions ainsi que leursimpacts dans le processus de dveloppement. Le maintien de ces logiques en interactionsur une longue priode a permis la socit malagasy de faire face toutes les crisesconomiques et politiques et aux modles de dveloppement que lon est en traind exprimenter Madagascar au cours de ces dernires dcennies.

    7. Aprs avoir pris connaissance de ces diffrents lments et les ventuels facteurs de blocage , il sera dsormais possible de cerner les facteurs sociologiques porteurs dun

    dveloppement durable. Nous savons trs bien que dans ce domaine, tout en prenant actede lobjectif datteindre un dveloppement durable dans une perspective humaine etsociale , il est ncessaire quil soit pris en compte les principes de base dun mode defonctionnement crdible et acceptable de la socit malagasy.

    La rtrospective faire ne doit pas tre limite la priode daprs laccs de Madagascar lindpendance des annes 60, mais doit remonter au temps des royaumes. Cette vision long terme permettra ainsi de voir quil existe une certaine continuit dans lecomportement de la grande majorit de la population, comportements qui ont mri delongue date grce sa capacit de rsistance, sa facilit dadaptation, qui ne risque pas dechanger ou de disparatre. Tenir compte des diffrentes logiques de la socit malagasy,

    cest dj prparer son lendemain. Connatre le pass, cest amliorer et matriser leprsent, afin de prvoir et prserver le futur.

    8. Enfin, nous nous permettrons dmettre des considrations dordre comparatif avecdautres socits et pays dans lequel nous avons travaill pendant plusieurs annes, entre1967 et 1990, en particulier avec certains pays de lAfrique des Grands Lacs (Rwanda,Burundi et Congo/Zare) et ailleurs selon nos prgrinations. Nous pouvons dterminer dessimilitudes et des dissemblances entre Madagascar et les pays ou rgions de lAfriquebantoue.

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    1. LES DIFFERENTS ACTEURS DU DEVELOPPEMENT

    Lobjectif de cette premire partie nest pas de dfinir les acteurs de dveloppement. Il est

    toutefois important de mettre laccent sur les principaux rles que devrait jouer chacundentre eux. Les diffrents acteurs de dveloppement reconnus par tous actuellement sontdabord, lEtat, ensuite, le secteur priv et la socit civile. Ces trois acteurs sont en fait lespiliers du dveloppement conomique reconnus comme tels Madagascar et ailleurs. Maisen dernier lieu, il y a la grande majorit de la population qui reprsente les acteurs de labase ou encore les communauts de base dont les fokonolona. Cette dernire catgoriedacteurs quon ne cite qu loccasion, doit tre prise en considration dans le processusde dveloppement.

    En effet, la nouvelle approche du dveloppement conomique nonce dans le Documentde Stratgie pour la Rduction de la Pauvret et qui correspond aux priorits des OMD,

    intgre trois ples stratgiques dont lEtat (public) comme promoteur et baliseur, la socitcivile en tant que partenaire et rgulateur et le secteur priv dans son rle de moteur etinitiateur du dveloppement. Ce partenariat implique de ce fait une large participation destrois parties prenantes. Cest ainsi que lEtat a dtermin trois ples intgrs de croissance(PIC) : laxe Antananarivo Antsirabe, Nosy Be et Taolagnaro depuis 1994 afin deprovoquer un processus de dveloppement intgr dans des zones forte potentialitconomique, pouvant ainsi favoriser un dveloppement rgional avec des rpercussions surle plan national.

    Ce qui veut dire que le rle de lEtat est toujours primordial dans le dveloppement, mmesi un moment donn certains bailleurs de fonds ont insuffl une stratgie de

    dveloppement avec moins dEtat , en donnant la possibilit au secteur priv deprendre des initiatives, tout en tenant compte des impacts quauront ces industries surlenvironnement. Le secteur priv est la base du dveloppement en sappuyant sur lesdiffrents secteurs de productivit, savoir lagriculture, lartisanat, le tourisme, certainssecteurs industriels porteurs pouvant favoriser les exportations comme laquaculture dansla partie Ouest et Nord-Ouest de Madagascar. Enfin, la socit civile contribue entirementau dveloppement en dehors de ses actions sociales philanthropiques et sert de relais auxactions du gouvernement.

    Mais il faut reconnatre aussi que la grande majorit de la population peut tre un potentielconomique et social non ngligeable. Cest en ce sens quil est impratif de la connatre

    en tant quacteurs de dveloppement part entire. Sur quels acteurs allons-nous focalisernotre tude ? Les acteurs de la base, cest--dire ceux des communauts de base connushabituellement sous lappellation de fokonolona, constitueront le primat de cette rflexion.En fait se rfrer aux acteurs de la base cest montrer un intrt aufokonolona. Il ne sagitpas du fokonolona au sens o la dfini Georges Condominas en 1960, mais selon unenotion plus sociologique et plus proche des ralits locales (Hautes Terres et Ctes) au senslarge. Le renouveau des recherches dans le domaine du dveloppement, notamment enanthropologie et en sociologie, a mis laccent sur lapproche systmique qui met eninteraction les systmes de pouvoir, le rle des acteurs, les contraintes et les dynamiques

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    structurelles diffrents niveaux de la ralit complexe et des ingalits quelle engendreentre les diverses communauts que constitue le peuple malagasy1.

    Ce courant a propos une approche interdisciplinaire et systmique qui a permis de sortirde lantagonisme Etat et march ainsi que de lapproche no-marxiste hyper-structuraliste

    et lapproche no-librale hyper-individualiste. La prise en considration des acteurs apermis danalyser le processus dinteractions qui produisent et reproduisent des formesspcifiques de structures tous les niveaux, celui du local comme celui du global.

    Selon le mme auteur, on doit reformuler les interactions entre structures et acteurs travers une meilleure intgration entre les tudes empiriques qui renouvellent lesconnaissances des ralits et les proccupations thoriques qui ne sont pas encore basessur de nouveaux apports empiriques2. Cest ce courant de pense qui propose en fait unrenouvellement dune approche systmique, dans lequel on reconnat limportance delanalyse des interactions entre structures et acteurs, pour saisir la complexit et lescontradictions des processus de dveloppement rels dans une analyse contextualise.

    Cest dans cette optique que se focalise la construction des acteurs dont le fokonolonacomme acteurs collectifs qui se rfrent leurs identits territoriale et culturelle, et dontlexistence ne doit pas tre lie aux crises conomiques rcentes mais le produit dunprocessus historique de longue priode. La prise en considration de ces acteurs de la basea ouvert des pistes de rflexion sur leur manire de vivre, leur stratgie daction et dersistance, leur identit socioculturelle qui convergent vers leurs actions et vont aider comprendre leurs comportements. On observe que ces gens qui sont vus comme despauvres disposent dune capacit dinitiative et de rsistance capable de faire face auxcrises conomiques, permettant de sadapter aux problmes sociaux. Do la prise enconsidration des facteurs historiques et sociologiques qui ont marqu ces acteurs dans lepass et dans le futur que nous allons dvelopps dans le second point.

    Une connaissance approfondie du fokonolona historique nous semble ds lors importanteet sera dveloppe dans le troisime point afin de voir ses caractristiques et comprendre lacontinuit de son rle dans les pratiques et la rsistance face aux diffrents contexteshistoriques.

    LDI, Plan de travail. Prambule & Prsentation du Programme. Mai 1999-Juillet 2002, Antananarivo, 1eravril 1999, p. 2.Cf. le Rapport BM de 1997 .1

    SCHUURMAN F., Introduction : Development Theory in the 1990s , Beyond the impasse, Newdirections in development theory, London, Zed Books, 1993, pp. 31-31.2 SCHUURMAN F, op. cit., p. 3

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    2. LES PRINCIPAUX FACTEURS HISTORIQUES ETSOCIOLOGIQUES AYANT INFLUENCE LA SOCIETE

    MALAGASY

    Plusieurs lments doivent tre pris en compte, ayant reflt directement ou indirectementles comportements de la socit tant du point de vue socioculturel que du point de vuepolitique et conomique. Ces lments sont perceptibles au cours du temps, ce qui permetdaffirmer quil existe une continuit sculaire au niveau de ces pratiques.

    2.1. La capacit de rsistance de la population

    Le comportement du Malgache apparat souvent de lextrieur comme trs ambigu, cest--dire que ltranger est souvent confront au fait quil peut tre trs bien accept dans unecommunaut tout en percevant un sentiment de mfiance de la part de la communaut vis--vis de lintrus. Ce rflexe didentit est logique, mais il comporte des attitudes trscontradictoires, qui relvent dune logique implacable. Cela peut se traduire en matire dedveloppement par un rflexe de mfiance vis--vis de la nouveaut. On est daccordsur le(s) principe(s) de la nouveaut en matire de dveloppement par exemple, mais onmanifeste une certaine rsistance, car cette nouveaut peut troubler lordre social tabli.Nous mettons ci-aprs un certain nombre de traits qui montrent cette ambigut ouambivalence dans le comportement :

    1. La capacit de rsistance de la part de lensemble de la population, notamment des

    catgories sociales populaires et une certaine facilit dadaptation et de spontanit dans lamanire dagir devant des situations de plus en plus difficiles.

    2. Malgr ce quon dit, la vie en communaut, telle quelle existe au niveau dufokonolonaou dune communaut villageoise, des rseaux familiaux ou encore des rseaux sociaux,reste le noyau de communication de lensemble des populations.

    3. La rticence devant les initiatives de lEtat et des organismes dappui (ONG, et lesagences dexcution) : en effet, le mouvement associatif des annes 1980 1990 suppleaux carences de lEtat, ce que les gens de la base ont bien peru depuis lors et ont trscompris leurs difficults pouvaient tre rsolus grce lappui apport par des associations

    ou ONGs.

    4. La perception suivant les intrts : les gens observent en gnral les situations selonleur degr de perception par rapport ce quils souhaitent atteindre et ne sy appliquentque si ils y trouvent un intrt. Mais quel est-il cet intrt ? Pouvoir accomplir ce quilsestiment prioritaires dans leur vie : vivre cest travailler et donc gagner de largent afinde pouvoir envoyer les enfants lcole pour amliorer la connaissance, amliorer leurniveau de vie. ce stade, lamlioration du niveau de vie dpend de lorigine de lapersonne. Les gens de la ville peroivent cette amlioration du niveau de vie comme unepossibilit de gagner de largent afin de pouvoir joindre les deux bouts la fin du mois.Les objectifs tant de vivre de faon ce que la famille mange trois fois par jour, que les

    enfants soient scolariss et quils puissent avoir un toit la porte de la famille, ce qui estloin dtre le cas en milieu urbain. Et en dernier lieu, accomplir les obligations sociales ou

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    familiales, entretenir le tanindrazana selon les moyens. Ce sont donc tous ces objectifs qui permettent aux individus datteindre un mieux-tre . Les gens vivant la campagneou notamment dans leur tanindrazana peroivent autrement cette amlioration de leurniveau de vie avec dautres intrts qui touchent directement leur tanindrazana car touteleur vie y est attache. A savoir que les ruraux souhaitent atteindre ce mieux tre avec

    des moyens quil est ncessaire dacqurir : 1) une attente de lEtat dradiquer lebanditisme, 2) atteindre la scurit alimentaire par lintroduction de nouvelles cultures,sachant maintenant que la riziculture nest peut-tre la panace miracle des gnrationsfutures.

    2.2. Lattachement aux pratiques traditionnelles

    1. - La malgachitude , rfrence la spcificit culturelle du peuple malagasy, na perduaucunement de son authenticit depuis lIndpendance du pays et malgr limpact de lacolonisation. Nous pensons par ailleurs que la nouvelle indpendance survenue en 1972

    avec son 13 mai a renforc cette prise de conscience au sein des jeunes lites devantmettre en avant les rfrences culturelles de la population malagasy. Cette attitude, quon atax souvent comme une forme de rejet de tout ce qui vient de lextrieur, sest manifestepar la malgachisation de lenseignement primaire et secondaire et par une remise enquestion des orientations diplomatiques trop proches de lancienne mtropole de laPremire rpublique. Rappelons que beaucoup de pays africains ont effectu cette remiseen question aux annes 1970, rfrence au Zare de Mobutu entre autre.

    La rvolution de 1972, qui a conduit linstauration de la Seconde rpublique dobdiencesocialiste, devait tre le fer de lance du dveloppement du pays et surtout faire deMadagascar un pays vritablement indpendant. Aprs une priode dengouement au coursde laquelle les dirigeants ont voulu insuffler aux lites un esprit dentreprise afin derendre le pays indpendant de lextrieur (construction dun avion qui na jamais pris lair,construction dune voiture qui devait tre la voiture du peuple , politique des grandscomplexes agro-industriels), a finalement appauvri les classes moyennes (re des grandespnuries) et fait crotre la pauvret aussi bien en milieu rural quen milieu urbain.

    Les consquences long terme sont de plusieurs ordres, certaines peuvent constituer unebase dun dveloppement durable, dautres peuvent tre un frein :

    - En faveur dun dveloppement durable : l esprit de dbrouillardise qui

    caractrise une socit qui est oblige dutiliser le systme D pour sen sortir. Ilest vident que les Malgaches ont appris de faire avec et comme on la dit parle pass : Madagascar, rien ne se perd, tout se conserve, tout se transforme .Evidemment, cela a conduit laccroissement du secteur informel, donc qui nestpas contrl par lEtat. Cela a permis surtout bon nombre de Malgaches deprendre des initiatives en matire de gagne-pain journalier , et la longue detrouver la possibilit de gagner davantage. Peut-tre que grce cet tat de criseconomique qua connu le pays pendant une dizaine dannes, la valorisation dechacune des socits qui caractrise la socit malagasy a donn une motivationsupplmentaire pour se protger des agressions externes et par voie deconsquence utiliser le systme D pour crer quelque chose. Il est vrai que

    loctroi de micro-crdits partir des annes 1990 a permis aux jeunes surtout de

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    crer une micro-entreprise. Cela est trs perceptible dans les villes et plusparticulirement dans la capitale.

    - A ces stratgies qui se sont dveloppes dans lconomie informelle, une catgoriedindividus sest marginalise en tombant dans la spirale de la pauvret do il est

    quasi impossible de sen sortir sans une aide venant de lextrieur.

    - Mais, mme dans les cas de pauvret extrme comme on peut le voir en milieuurbain, le respect des traditions reste vivace, ce qui explique pourquoi le

    famadihana est trs fortement pratiqu dans les couches sociales dfavorises.

    2. - Devant lentre massive des nouveauts venant de lextrieur - informations ettendances la mondialisation culturelle et politique - et la course la modernit aveclaccs aux mdias en particulier en milieu citadin, les Malgaches craignent beaucoup uneinfluence de ces nouveauts culturelles et religieuses qui peuvent conduire desdivergences dides et de croyances, dues souvent aux influences des sectes religieuses.

    Or, ce quil faut retenir, cest que les gens nintriorisent pas toutes les nouveauts, dumoins dans la vie pratique cause de lattachement et du respect des fomba malagasy.Cette situation est visible notamment en milieu rural avec une certaine spontanit. Mmeen ville, il existe un attachement et respect des fomba mais avec une certaine diffrence, ily a ladoption de principes culturels trangers en plus de sa propre culture. Le rsultat estquun mlange de pratiques culturelles et de pratiques sociales se produit. En religion, onobserve notamment les pratiques de religion chrtienne paralllement aux pratiquesancestrales, ds lors on peut parler de syncrtisme.

    3. -Lattachement au tanindrazana est rvlateur de cette malgachitude aussi bien pourles gens de la ville que ceux de la campagne, vu son rle dans la reproduction des lienssociaux. De ce fait, le tanindrazana joue le rle majeur (le tanindrazana au cur delarticulation villes-campagnes). Le tanindrazana est un rfrent ancr dans lhistoire delongue dure , mais qui est toujours bien prsent dans les consciences.

    4. - Les relations campagne - ville occupe un rle central dans les stratgies de vie desacteurs, au cur de leur reproduction en tant quacteurs sociaux. Ils tablissent un lienentre les deux types despace, ce qui permet deffacer la dichotomie entre les deux mondes propose par toutes les politiques de modernisation. Leur vie est la fois laville et la campagne. travers leurs pratiques et le rle central du tanindrazana, lespacerural nest pas dvaloris par rapport lespace urbain, mais au contraire il est fortement

    valoris. Les acteurs ruraux entrent, par migrants interposs, dans la modernit urbaine, etles acteurs urbains considrent que la vraie scurisation des conditions de vie repose dansla permanence du milieu traditionnel rural. Cela se traduit par la revalorisation de lespacerural en maintenant les us et coutumes traditionnelles, mais aussi en sadaptant auxinfluences externes bases sur le transfert dargent et les retombes de la modernit desmilieux urbains.

    5. -Pour ne pas tre la merci des effets ngatifs de la modernit, les paysans ritrent leurposition de gardiens de la tradition en contribuant lentretien de tous les lments quifont tat de leur identit, craignant linscurit de lespace urbain. Cest ce que nouspouvons voir dans les diverses manifestations sociales et culturelles, lorsque un organisme

    se manifeste dans un village pour voquer ou inciter mettre en place une structurede dveloppement et/ou de conservation, comme cela peut se voir lors de la construction

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    dune cole primaire, dun centre de sant de base, dune nouvelle culture, etc Il esttoujours ncessaire de faire un sacrifice, afin davoir le consentement des anctres.Nousdevons tenir compte de la prgnance des autorits traditionnelles ct des autoritsinstitutionnelles reprsentant lEtat dans toute action de dveloppement et/ou deconservation lors de la mise en place dun transfert de gestion.

    2.3. La valorisation conomique de lespace rural

    1. Une forte articulation villes-campagnes et campagnes - villes, ainsi il existe une forteinteraction entre les diffrentes Rgions, du point de vue conomique. Mais, on ne peut pasrduire les rapports campagnes villes une simple dimension conomique. Lescampagnes ne sont pas un monde part et en retard (cest limage quon lui donnesouvent), en attente de modernisation, du fait que le moteur du dveloppement, quest lacroissance conomique, est plus perceptible dans les villes qu la campagne.

    2. La prsence des tombeaux familiaux sur la terre des anctres contribue en grande partie lattachement socioconomique et culturel au tanindrazana dans le milieu rural. En effet,dans bon nombre dendroits o des migrants des Hautes Terres se sont installs pourtravailler, les morts sont enterrs provisoirement en un lieu, en attendant que la famille nepuisse rapatrier les restes afin quils soient inhums dans le caveau familial .

    3. Sachant trs bien que 85 % de la population rurale est pauvre pour deux raisons quenous connaissons bien : la premire est le non-accs la terre : prs de la moiti des rurauxsont des paysans sans terre . Que ce soient sur les Hautes Terres (provincedAntananarivo) ou dans les rgions ctires, de nombreux migrants nont pas accs laterre directement , voire la ressource , nous pensons notamment au complexerizicole de Marovoay ou encore dans les villages de pcheurs de crevettes et dautresressources halieutiques dans la baie de Narindra, au sud dAnalalava. Les migrants nepeuvent avoir accs la ressource sans avoir pratiqu le faty dr avec un amiautochtone et ensuite sans avoir pris femme dans ce milieu. La protection de la ressource , que ce soit la terre ou la crevette ou une autre ressource, peut tre djouedune manire ou dune autre, mais les autochtones, mme ceux qui sont assimils auxautochtones (les valovotaka ), resteront toujours propritaires des ressources.

    4. Nous pensons que dans les rgions o les problmes de scurit alimentaire sont

    cruciaux, le Malgache accepte volontiers de changer de mode de vie , dans la mesure ole riz nest pas la base alimentaire de la communaut. Il a t capable de pratiquer dautrescultures vivrires, comme le mas, le manioc ou encore la pomme de terre, voire de mettreen place des cultures de rente, comme la vanille, le cafier, etc Les ONGsinternationales qui se sont penchs sur les problmes de scurit alimentaire ont trs bienrussi dans lintroduction de nouvelles plantes de rapport. Donc, la valorisationconomique de lespace rural est plausible.

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    2.4. Le respect dufihavanana

    1. Il y a beaucoup de non-dit derrire les actes et dans les discours. Nous sommes enprsence dune socit qui est trs sensible aux actes et aux paroles, chaque gestecorrespond un fait ou une situation. Une dcision prise brutalement peutprovoquer une sorte de mcontentement et peut casser les relations sociales. Cela aun effet direct et indirect sur lefihavanana.

    2. La socit malgache met un accent particulier sur limportance des liens sociaux etles rapports sociaux, phnomnes gnraux mais qui se diversifient selon lesmilieux (ruraux ou urbains). Mais, nous devons bien reconnatre que les valeurs du

    fihavanana se manifestent diffremment, que lon soit en milieu rural ou en milieuurbain. Suite laccentuation de la pauvret, les rseaux normatifs qui caractrisent

    le fihavanana sont plus restrictifs en ville qu la campagne, nous imaginant quelindividualit de la modernit imprgne plus le monde urbain que la campagne.

    3. Le fihavanana nest pas ncessairement vhicul par le lien de sang et le lien deparent. Le fihavanana est aussi construit partir des liens de voisinage, dans lesrseaux. Il rgule les tensions dans les relations sociales au sein de lconomiepopulaire. En dautre terme, il est le filet de scurit de la socit.

    ct du fihavanana, il existe un autre rgulateur du lien social : la crainte de lapopulation malagasy devant le tsiny et le tody cest--dire, les reproches, blme etle retour des choses3 de la part de quelquun, mais aussi par rapport aux anctres.Cest pour cela quil y a un grand respect des normes tablies par la socit. Lesmauvaises rcoltes, la maladie, un chec quelconque dans la vie peuvent treinterprts comme infligs par les tsiny et tody.

    Le rle central jou par le famadihana dans la reproduction de la culture populairereli au besoin permanent de raffirmer le lien entre les vivants et les morts, et pourcela dtre toujours approuv par les anctres dans les comportements de la viesociale et individuelle. Autour dufamadihana se noue et se renforce lefihavanana,les relations imaginaires au sein de la grande famille entre les gens, les vivants, etentre les vivants et les morts de diffrentes origines, mais habitant dans un mme

    village ou quartier.La rciprocit dans les pratiques sociales est primordiale et sil ny a pas de rciprocit, lasolidarit na pas de sens. Cette rciprocit est littralement vcue dans le monde ruralselon sa logique sociale et culturelle. Cest ainsi que toutes les pratiques conomiqueseffectues sont fortement lies aux pratiques sociales dans tous les domaines. Les pratiquesqui ne sont pas monnayes reoivent en retour dautres services non marchands. Le respectde cette rciprocit fait lefihavanana dans le milieu rural. Cela ne veut pas dire quelle estgratuite. La non participation dun individu des travaux dintrt collectif ou le nonpaiement dun adidy au sein de la collectivit lcarte de toute la logique communautaire etdonc lexclut des privilges auxquels donne droit lappartenance celle-ci. Si un dcs

    3 RAISON-JOURDE F.,Bible et pouvoir Madagascar, op. cit., pp. 828-829.

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    survient dans un des foyers du village, ou une naissance sannonce, cest tout le village quisen occupe. Et ainsi de suite.

    2.5. Le respect des ans et de la hirarchie sociale

    1. La socit malagasy est marque par le respect des ans et de la hirarchisation. Unprofond respect des ans observ notamment au niveau de la prise des initiatives ou pourles actions entreprendre car une initiative individuelle nest prise sans consulter lesautorits traditionnelles. Les ans ouzoky ray aman-dreny ayant vcu plus longtemps, quiont fait preuve de maturit et de sagesse, sont recommands pour tre consults. Tsymitsipa-doha laka-nitana , une expression qui reflte non pas une ide de supriorit maisplutt montre que les ans sont aptes donner des conseils qui ne vont jamais lencontredes intrts des cadets.

    2. Cette attitude est observe pendant toutes les priodes qui se sont succdes, lesdiffrents rgimes qui ont marqu lhistoire de la nation. Si les comportements de lapopulation sont rests imprgns du respect de la hirarchisation sociale, il faut bienreconnatre aujourdhui que certaines stratgies de dveloppement concourent transformer la socit en crant des conflits dautorit au sein des communauts locales.Nous faisons allusion aux problmes engendrs lors de la mise en place dun transfert degestion des ressources naturelles renouvelables auprs dune communaut de base cre cet effet et qui doit tre reprsentative du fokonolona. Ce qui sest avr dans bonnombre de cas le contraire, souvent pour diverses raisons : pour lorganisme dappui, il estplus facile de sappuyer sur un courtier , qui est cultiv et proche des dveloppeurs que

    dessayer de comprendre qui dtient le pouvoir dans la communaut locale.

    Ces diffrents lments qui entrent dans la manire de vivre et de se comporter au sein lasocit malagasy nous conduit focaliser nos ides sur les fondements de ces facteurssociologiques et historiques, ce qui nous permettra de voir leur volution dans le temps.

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    3. LA DIMENSION DUFOKONOLONA DANS LE TEMPSET LESPACE

    3.1 Lefokonolona avant Andrianampoinimerina

    Bien avant la priode monarchique, lefokonolona tenait une place non ngligeable dans lasocit merina, du point de vue social et conomique. De ce fait, il joue un rle importantau niveau de lvolution de lconomie communautaire, au niveau de la composition etconstruction des rapports sociaux dans le cadre communautaire et la valorisation de leurespace de vie depuis le XVIIIe sicle jusqu aujourdhui.

    Le fokonolona sidentifie par rapport lensemble des familles qui le composent,descendants dun mme anctre, vivant dans un village constitu du tanindrazana. Cetteappartenance une mme origine dtermine demble le souci dtre solidaire et desentraider. Au fil du temps, cette identit sest transforme cause de llargissement dela communaut par le mariage ou alliance avec dautres populations dautres villages etavec la politique de race de lpoque coloniale. Le rle dufokonolona se veut tre utile etbnfique pour toute la communaut villageoise. Ceci dit, lefokonolona quon cible ici estle fokonolona en tant que communaut, mais aussi celui compos des familles, desindividus qui constituent la masse populaire.

    Ces familles composes dhommes et de femmes se soucient de subvenir aux besoins de

    leurs familles travers des activits dont toute la communaut peut bnficier et participer.Ces hommes et ces femmes arrivent vivre ou survivre grce dinnombrables activitspouvant assurer une partie de leurs revenus.

    Mais on ne peut parler du fokonolona sans parler de lconomie populaire car ce sont lespratiques conomiques et socioculturelles du fokonolona qui sont illustres danslconomie populaire. Donc, connatre lefokonolona, cest se rfrer de ses activits. Nousfaisons allusion lconomie populaire qui a exist depuis des sicles, depuis mmelapparition des tsena, marchs locaux au XVIIIe sicle au cours duquel sest dveloppdes activits conomiques.

    Le lien du fokonolona avec lconomie communautaire repose sur des activitsconomiques et pratiques sociales qui lui incombent. Cette socit vivait surtout duneconomie ferme ou conomie dautoconsommation qui visait tout dabord produirece qui est ncessaire lexistence de la famille, du clan ou, tout au plus de la communautvillageoise. La principale activit tait lagriculture. Mais dans toute lle, lexercice desgenres de vie agricole saccompagnait, depuis des sicles, dune activit artisanaledploye dans le cadre familial et communautaire.

    Sur le plan conomique, le lien au fokonolona rsidait dans la possession dun mmeterritoire dont seules les rizires et un certain nombre de terres de cultures schesappartient proprement des familles restreintes. Toutes les activits conomiques de

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    lpoque se trouvaient concentres sur le vohitra4 et ses alentours. Chaquefoko tire alors sasubsistance du territoire qui entoure le vohitra o se situent leurs demeures, eux et leursanctres. Lactivit prdominante tait lentretien et lexploitation des rizires mnages aufond des valles, ou la culture sur les parties basses des pentes (taro, haricots, diverslgumes et plus tard manioc, mas). Si un homme quitte ce domaine ferm de la famille,

    il sera perdu, et tout ce quil possde reviendra la communaut, moins quil soit admisdans un autre vohitra, et sy installe dfinitivement pour recevoir alors une rizire et desterrains exploiter.

    Historiquement, la proprit du territoire appartient collectivement au fokonolona. Cela seconoit dautant plus aisment que cette famille largie ne comprend lorigine quunnombre relativement restreint dindividus et le territoire ne reprsente au fond quuneproprit de type familial. Selon, le mode de vie du fokonolona tel que nous constatantremonte bien loin et entre dans le mode de vie de lconomie populaire. Mme si elle nepeut tre rduite une survivance du pass, lconomie populaire daujourdhui a hrit denombreux traits de lconomie communautaire mises en place dans les sicles prcdents

    le royaume merina.

    Il faut bien insister sur le fait que lhistoire longue de la civilisation malgache, sur base dela formation de milliers de terroirs, exprims dans la construction de milliers de

    fokonolona, na rien dun processus idyllique. Lhistoire des fokonolona est indissociable,pendant des sicles antrieurs la formation du royaume de lImerina, de conflitsmultiples, denvergure diffrente selon les rgions et les poques, lis des tentatives plusou moins phmres de construire des petits ensembles politiques rgionaux. Les

    fokonolona locaux ont t pris dans ces conflits, soit comme participants actifs, soit commedes victimes de campagnes militaires.

    Du point de vue qui nous proccupe ici, ce point doit tre soulign, parce que cela signifieque le fokonolona bien avant la priode royale navait rien dune communauttraditionnelle autarcique, enferme sur elle-mme. Il tait partie prenante dune dynamiquepolitique et conomique qui dpassait ses limites. Cela signifie aussi que la culturepaysanne de ces sicles ne peut tre confondue avec la seule dimension dune culturevisant construire et reproduire le seul terroir. Elle a d aussi gnrer des composantespermettant de maintenir la cohrence dufokonolona, malgr les pressions ou sollicitationsextrieures. Cest dire alors que les pratiques populaires dadaptation et de rsistance ontainsi une trs longue histoire, puisque le fokonolona de cette poque avait dj survcu des nombreuses vicissitudes, pressions et agressions extrieures.

    En effet, avant que les rois de lImerina nimposent leur autorit un groupe defokonolona(comme les rivaux en imposaient dautres groupes), puis lensemble des foko desHautes Terres, les seules units politiques existantes taient ces clansfokonolona possdantchacun un (ou plusieurs) vohitra, sommet de colline o tait tabli le village au centre dunterritoire dont les fonds de valle tant amnages en rizires irrigues. Chaque clan devaitdfendre ses habitants et le territoire qui les fait vivre contre les entreprises des autres

    fokonolona tablis sur les vohitra voisins, et avec lesquels ils entretiennent par ailleurs desrelations dchanges.

    4Vohitra ou village.

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    Le fait que le fokonolona tait bien loin dtre une communaut paisible, ferme sur laconstruction de son harmonie interne, est attest par la forme des villages et inscrite dansles paysages ruraux ds cette poque. Linscurit et la volont dautonomie qui dressentles villages les uns contre les autres font quils sont btis au sommet des hauteurs quicommandent les valles. Une grande partie des villages taient dj fortifis, protgs par

    des fosss remplis deau et entours de murs ferms par de lourdes portes gardes par lesmilices de villages. Chaque village est entour de fosss circulaires et les sentiers qui endescendent sont eux-mmes creuss en tranches.

    Cest cependant dans ce cadre que sest construit le fihavanana et que se sont mises enplace toutes les valeurs sociales qui ont persist jusqu aujourdhui, et forment unecomposante essentielle de la sociabilit populaire Madagascar. Et cest partir de ceregard historique que lon peut comprendre que le fihavanana a eu ds son origine unedimension territoriale essentielle son mode dexister.

    Tout au long de la priode qui va du XVIIe et XVIIIe sicles, les prdcesseurs

    dAndrianampoinimerina staient progressivement familiariss avec le fokonolona afindasseoir leur domination et leur autorit dans les villages conquis. Trois facteurs ontcaractris la construction et la consolidation du royaume merina depuis le roi Ralambo(1575-1610 ?)5 jusqu la fin de la monarchie merina : le contrle des terres, celui de lapopulation par lintermdiaire dufokonolona et le contrle de lconomie dans la stratgiede dveloppement du royaume. Ces trois lments sont troitement lis pour le seul but deconsolider le royaume. Exploiter les terres ncessite la mobilisation de la population et unebonne organisation pour avoir un meilleur rendement conomique. En fait, ces tchesrelvent de la responsabilit du fokonolona. Si lon tient compte de ces trois facteurs, onpeut dire que tout est sous contrle du royaume. Il ne faut pas oublier que jusqu la fin duXVIIIe sicle, lexpansion merina fut une cause de plusieurs crises politiques provoquespar des guerres entre les royaumes. Il a fallu attendre le rgne dAndrianampoinimerina audbut du XIXe sicle pour cesser les conflits et unifier le pays.

    3.2 La rforme dufokonolona au temps dAndrianampoinimerina

    Avec le rgne dAndrianampoinimerina commena ce quon pourrait appeler les tempsmodernes de lhistoire de Madagascar. Peu peu, Andrianampoinimerina a pu tendre sonroyaume sur toute lle. Son objectif est de construire un Etat fort, capable de grerpolitiquement, socialement et conomiquement le pays. Il se trouve en bonne condition de

    le raliser car lobstacle majeur, savoir les guerres intestines entre les diffrentesprincipauts, sest souvent rsolu par des ngociations et les compromis aboutissant lasoumission dautres entits politiques.

    Andrianampoinimerina a accord une importance majeure la prise de contrle et larforme desfokonolona comme moyen de consolidation du pouvoir royal en Imerina. Sousson rgne, le fokonolona se voit reconnatre un rle important par le pouvoir royal, maiscomme un instrument de ce dernier. Celui-ci a fortifi le fokonolona en lui accordant lespouvoirs judiciaire et administratif, en lui reconnaissant formellement le rle de ladistribution des terres chaque famille du village. Au XIXe sicle, il devient un moyenconomique pour la mobilisation de la population et pour tendre les espaces amnager

    5 Le roi Ralambo (1575? 1610 ?) tait le petit-fils dune des grandes figures importantes de laroyaut merina, Rangita qui rgnait probablement vers le dbut de 1500.

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    en culture, et donc pour augmenter la production agricole. En mme temps, il devient aussiun moyen politique pour conforter lassise du pouvoir royal.La rpartition des travaux dutilit publique lui avait t galement affecte. Ladcentralisation du pouvoir au niveau du fokonolona par Andrianampoinimerina a permisdexcuter des grands travaux comme le creusement du canal dAndriantany, la

    construction des digues, lamnagement des marais et lasschement des marcages dansles vastes plaines de lImerina.

    partir de cette poque, la dimension territoriale du fokonolona ne sagrandit pas maisplusieurs fokonolona sont amens cooprer entre eux dans un cadre institutionnelnouveau mis en place par le pouvoir royal, notamment pour raliser des grands travauxdamnagement. Ces formes nouvelles de coopration force (corve) sous la contrainte delEtat introduisent des modes nouveaux de relation entre fokonolona voisins qui la foisrduisent lespace de la rciprocit antrieure, mais largissent les possibilits de contactset dchanges entre les diffrentsfokonolona soumis un mme vadintany6.

    Lorsque Andrianampoinimerina dclara : je vous rappelle,Merina, que le sol de ce paysmappartient ainsi que le pouvoir, je vais donc vous distribuer des terres, (). Vous vivrezsur les parcelles que je vous aurai assignes, mais la terre reste moi ainsi que lautorit.Je vais diviser le sol en hetra raison dun hetra par homme (). Je vous tablis donc lorigine des sources dans les terres irrigues dont je suis seul matre () 7. La terre est moi et nul autre ne peut sen dire le matre puisque vos personnes elles-mmesmappartiennent 8. Le roi ne fait que transposer, sur le souverain, ce droit minentmorcel jusque-l entre la multitude desfokonolona qui composait le pays.

    Il faut bien souligner ici que la rforme royale ntait pas une rupture avec lordre ancien,mais une transformation acclre de ce dernier, en accentuant les aspects de jouissanceindividuelle des terres qui existaient dj dans lefokonolona antrieurement ; le hetra taitdj une composante du fonctionnement dufokonolona.

    Selon A. Cahuzac, En dpit de sa culture individuelle, le hetra tait la propritcollective de la tribu ou du fokonolona. Toutefois, la coutume reconnaissait au mitondrahetra, au porteur du hetra, le droit de la transmettre ses enfants par succession. Il pouvaitmme en disposer par testament ou laliner, mais seulement en faveur dun membre de latribu. Un tranger ne pouvait en faire lacquisition, que si la tribu ou le fokonolona luiaccordait droit de cit et sil prenait lengagement de fixer sa rsidence dans la localit . Le dtenteur du hetra, quil let acquis par succession, par testament ou par achat,

    ntait pas un vritable propritaire. Il navait que la jouissance et la dtention souscondition rsolutoire. En effet, en cas daugmentation de la population, si quelqueshabitants ne possdaient pas de hetra, la tribu ou lefokonolona pouvait le reprendre pourprocder un nouveau partage qui permettait de donner satisfaction tous les intresss.Ou encore, si le dtenteur venait mourir intestat et sans postrit, ou sil quittait la tribuou le fokonolona pour stablir dans une autre localit, le hetra revenait la collectivit,qui en disposait en faveur dun de ses membres 9. Le dtenteur dun hetra ntait quune

    6 chelon rgional du pouvoir royal, cf. F. RAISON-JOURDE,Bible et pouvoir, op. cit.,p. 829.7 JULIEN G.,Institutions politiques et sociales de Madagascar, Tome I, Paris, E. Guilmoto,

    1908, pp. 193-194.8Idem. p. 279.9 CAHUZAC A., Essai sur les Institutions et le Droit malgache, vol 2, Paris, Librairie

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    sorte dusufruitier, lefokonolona restant propritaire, pouvant les reprendre (les terres) unmoment donn10.

    Suite aux rformes foncires dcrtes par lui, le roi Andrianampoinimerina, confirmant lecaractre individuel des terres au sein dun fokonolona, disait : Dans chaque tribu, les

    rizires furent partages par le fokonolona entre tous les membres de la collectivit.Chacune de ces divisions porte le nom de hetra. Le dtenteur du hetra se nomme mitondrahetra, littralement : celui qui porte le hetra . La rforme entreprise par le pouvoirroyal la fin du XVIIIe sicle a donc consolid une tendance ancienne lappropriation dela terre. Lobjectif tait fiscal, puisque dornavant les dtenteurs de hetra devenaient labase de la fiscalit royale.

    Dans la pratique cependant, cette volution na pas boulevers le fonctionnement dufokonolona. La proclamation du droit minent du pouvoir royal sur les terres, na passupprim le droit dattribution des terres par le fokonolona. Simplement les droits desattributaires sont renforcs. En fait, on voit se renforcer lintrieur du domaine du

    fokonolona, une appropriation individuelle, par des familles restreintes, des rizires et desterres de culture que chacune delles a mise en valeur et transmet ainsi ses hritiers.Chaque famille restreinte se particularisant comme entit lintrieur de cet ensemble queforme le clan.

    Les forts ne sont pas divises en hetra afin que tous les membres desfokonolona puissenty trouver des moyens dexistence complmentaires. Il est important de souligner ici queces droits fonciers communautaires des fokonolona nont pas disparus et sont rests grspar ceux-ci comme patrimoine commun. En outre, le rgime foncier ntait quun deslments qui faisait la cohsion dufokonolona. Un autre lment essentiel tait les formesde coopration entre les membres dufokonolona dans lorganisation du travail agricole. Letravail agricole et en particulier celui des rizires demandent la cohsion du groupe entier,une bonne organisation et galement une collaboration troite : lentraide permetdaccrotre considrablement le rendement de la main-duvre. Cet aspect na pas tremis en cause par la rforme royale. Celle-ci a au contraire ncessit un renforcement dela coopration pour augmenter la productivit, afin de faire face aux exigences de lafiscalit royale, pesant sur lensemble des membres dufokonolona.

    Le roi fixa lui-mme les bornes des grands districts de lImerina. Dans leur limite a lieu larpartition par groupe, par clans, daprs le nombre des chefs de famille. Il est dfendu dequitter le terrain assign pour en choisir un autre dans des pays plus riches. Sur base des

    lments ci-dessus, on peut dire que le fokonolona qui a t une institution de baseencadrant les pratiques socioconomiques des populations rurales ds avant lacentralisation royale, a gard cette capacit aprs les rformes mises en uvre par celle-ci.Le fokonolona est donc au cur dune histoire longue de la capacit de reproduction despratiques paysannes. Et on peut affirmer ainsi quil est une composante majeure, depuisdes sicles, du fonctionnement de la socit en termes conomique, social et mmepolitique.

    Cependant, ceci ne doit pas faire approcher le fokonolona en terme dune socithomogne socialement, ou dune communaut autarcique, traditionnelle et indiffrencie.Au contraire, la diffrenciation en germe lpoque prcdent la centralisation royale sest

    Maresq An, 1900, pp. 373-374.10Idem., p. 372.

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    accentue sous limpact de celle-ci dans les rgions rurales.Aprs la rforme royale, lefokonolona au XIXe sicle est rparti entre quatre groupes statutaires : les andriana ounobles, les hova, hommes libres ou roturiers, les mainty enin-dreny ou esclaves royaux etles andevo ou esclaves.

    Le pouvoir royal a consolid la place des andriana qui reoivent desfokonolona en fiefs :lefokonolona andriana ou menakely. A linitiative du pouvoir royal, soucieux de renforcerune aristocratie qui lui tait lie, des hova furent installs sur les menakely et y taientplutt considrs comme des dpendants et non comme des vassaux. Le fokonolona enmenakely comprenait alors des andriana mais aussi des hova, des hommes libres dont ledegr de libert se rduisait fortement travers la nouvelle volution. Ces derniers sontsoumis aux lourdes redevances ou hajia et aux services des andriana mais encore plus ilsdoivent au roi la corve et les impts. Le terme menakely dsigne la fois le territoire etles hova.

    Mais la plus grande partie de lImerina relevait directement du domaine royal : le menabe.

    Les fokonolona en menabe relevant directement du souverain, pouvaient garder uneautonomie plus large que ceux en menakely et se maintenir en monde clos. Les hova dumenabe se rclamaient dans leurfokontany dun anctre qui lui tait le premier propritairemerina du sol sur lequel ils se sont tablis. Une diffrenciation se cre entre le domaineroyal, menabe et les fiefs, les menakely. Cest surtout en menabe que linstitution du

    fokonolona pouvait se maintenir sous une forme semi-dmocratique .

    Mais dans le menakely o le seigneur fait figure de souverain local, (puisquil conserve lamoiti des impts quil ramasse pour le roi et peroit directement le hajia ou lesredevances seigneuriales), la hirarchisation des castes joue dans toute sa rigueur. Les hovasont des serfs (plus ou moins soumis selon leur degr de servitude) et leur anctre nestquun vassal, un anctre de second ordre, ct de celui dont se rclament les andriana etdont la tombe sert de ple religieux. En menakely, le vritablefokonolona est constitu parle domaine des andriana. Cependant il sagit de nouveauxfokonolona crs par le pouvoirroyal et qui stendent en fait sur les territoires de plusieurs fokonolona anciens, de tailleplus petite. Ceux-ci nont pas disparu pour autant, et donc les anciens fokonolona descommunauts paysannes continuent survivre, mme si leur autonomie a t rduite travers le nouveau systme de servage que le pouvoir royal cherche mettre en place, ensappuyant sur les andriana.

    On trouve donc l, un lment important de continuit dans la base de fonctionnement du

    fokonolona avec ses activits dans les campagnes Madagascar. La centralisation royale amodifi le fonctionnement du fokonolona, mais ne la pas fait disparatre. Latransformation radicale des institutions malagasy sest faite, en se greffant sur desinstitutions anciennes, comme le fokonolona quelle soumet sa logique centralisatrice,sans lradiquer. Autrement dit, les bases institutionnelles de lconomie communautairemalagasy des campagnes sest maintenue travers le processus de centralisation politique.Mais quils soient hova ou andriana, les fokonolona sont grossis dmographiquement etsocialement par les andevo, les esclaves, qui appartenaient aux nobles ou aux roturiers. Ilsconstituent une main-duvre dont le statut sur le plan social est ngatif : ils ne sontastreints ni la corve ni au service arm, puisquils ne comptent pas pour des hommesvritables. A lintrieur du fokonolona, ils nont aucun autre rle que celui de moyens de

    production sans aucune autorit humaine.

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    Avec le royaume merina, lesclavage change de nature, puisque anciennement lesclavepouvait soit tre libr, soit rinsr dans la famille qui le possdait. Avec les guerres deconqute, lies au succs mme du processus de centralisation, la rduction massive enesclavage des prisonniers de guerre dans les rgions soumises, le cloisonnement se fait plusabsolu avec leur mise lcart des hommes libres. Certains gros propritaires isolent leurs

    esclaves en hameaux spars qui, en aucun cas, ne pouvaient constituer unfokonolona.

    Avec lextension de lEtat merina, tant en puissance centralisatrice quen tendueterritoriale, le nombre des hommes rduits au simple rle de main-duvre prive vacrotre considrablement. Les sources sont varies. Par exemple, lendettement et lacompromission dans lun des nombreux crimes reconnus contre lEtat, qui fait vendrecomme esclave un grand nombre de hova ou dandriana, avec leurs femmes et enfants :ces personnes dchues forment une catgorie spciale desclaves, leszazahova, astreints lendogamie pour eux-mmes ou leurs descendants sils arrivent se racheter pourrecouvrer leur ancien statut. Mais ce qui, de trs loin alimente le plus le march desclaveset accrot la masse des andevo, taient les guerres pour tendre les zones contrles par le

    pouvoir et qui ont repris aprs le rgne dAndrianampoinimerina.

    Lie ltablissement de la royaut merina et vritablement cre par celle-ci, un autregroupe se dveloppait en sisolant lcart de celles des hova, mais au-dessus de la massedes andevo, il sagit du groupe statutaire des esclaves royaux11, les mainty enin-dreny ou les noirs des six mres o se recrutait la domesticit royale qui allait dailleurs fournirun grand nombre dhommes de confiance tous les grands souverains. Ce groupe aussi, linstar des deux groupes suprieurs, fait partie dufokonolona dans le cadre du menabe.

    On peut donc dire que dans lImerina, la priode royale a fait voluer le fokonolona lafois vers une territorialisation plus forte et une diffrenciation sociale plus visible. Vers lehaut, laristocratie des andriana consolide ses privilges, tandis que vers le bas semultiplient les esclaves qui tout en ne faisant pas partie du fokonolona comme membresactifs, constituent une partie croissante de la force de travail de ce dernier. Si ils ne peuventconstituer desfokonolona autonomes, ils font cependant bien partie dufokonolona de leurspropritaires.

    Dune manire gnrale, on peut dire que la politique du roi a dvelopp dans la populationdes nouveaux modes de coopration, sur une base largie par rapport aux territoires desanciens fokonolona. Le fokonolona transform tait devenu la base dun nouvel ordresocial, avec des lments contradictoires de nouvelles solidarits sur base dune identit

    largie, mais aussi avec des lments nouveaux de contraintes, voire dabus. Des abus sesont fait sentir par la perception des impts en nature et surtout la corve au cours delaquelle les travailleurs ntaient ni pays, ni nourris.

    Dune part, la corve donna lieu des abus, car les andriana pourvus de menakely enimposent pour leur seul bnfice priv. Les officiers et les hauts fonctionnaires devaient lacorve au roi ; mais ils tenaient, par cela mme, le privilge dasservir pareillement tousceux dont la situation tait infrieur la leur. Et cette dlgation de pouvoir ne sarrtaitquau bas de lchelle, au niveau de ceux qui navaient plus personne sur qui la faireretomber.

    11 Ils sont les esclaves du roi Andrianampoinimerina, et seul le roi peut les vendre.

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    Dautre part, dans de nombreux cas, les taxes taient perues dune faon arbitraire etladministration paternelle dAndrianampoinimerina sest forge un caractre de plusen plus tyrannique sous ses successeurs.

    3.3 Impacts des tentatives dindustrialisation sur lefokonolona

    Dune manire gnrale, on peut voir le XIXe sicle comme une priode de mutationconomique et une ouverture du royaume aux nouveauts europennes : lvanglisation,la scolarisation, les tentatives dindustrialisation, lentre de lconomie de march. Cesnouveauts ne manquent pas de toucher lefokonolona.

    La tentative dindustrialisation par exemple, dont celle de Jean Laborde par la mise enplace dun complexe sidrurgique et une fabrique darmement Mantasoa a eu un effetdsastreux sur les populations et lconomie communautaire locale. En effet, cet ensemblesidrurgique (qui se voulait moderne) tait fond sur lutilisation du charbon de bois,lemploi desclaves et surtout de corvables. Les victimes se chiffrent par milliers12.

    Lintensification de la corve, la spoliation des terres et les dplacements forcs depopulation, ont entran la rsistance de celle-ci, le sabotage du travail et provoqu unemonte de la xnophobie. Le refus de travailler pour lentreprise se traduisit entre autrespar lapplication de lordalie du tanguin (poison) lgard de ceux qui voulaientcollaborer. Laborde tomb en disgrce, le complexe de Mantasoa a t dmoli par lapopulation.

    La disparition des industries de Mantasoa a dsormais libr la population assujettie lacorve lie au soutien de ce secteur. Lexistence de ces industries avait priv la populationde ses activits complmentaires qui fournissaient la grande partie des produits vendreaux tsena, ou marchs, et mme de rpondre aux besoins quotidiens qui ne pouvaient tresatisfaits que par elle-mme.

    A travers ce cas concret on peut constater comment la mise en uvre dun projet industrielmoderne a pu avoir un effet dstructurant, voire destructeur, sur les systmes populaires deproduction dans une vaste rgion, notamment parce que le moderne reposait en fait surune mobilisation force des ressources humaines et matrielles du traditionnel . Ladisparition de ce projet a contribu revitaliser les activits conomiques du fokonolonades rgions concernes, notamment parce que les populations ont pu reprendre leursactivits agricoles et artisanales, et ainsi rapprovisionner les tsena qui existaient bienavant le projet industriel phmre.

    On ne peut pas ngliger la capacit de rsistance des populations ces tentatives demodernisation qui reposaient des titres divers sur un renforcement du contrle social etde lexploitation du travail. Les nouvelles institutions royales nont pas pu liminer niinstrumentaliser compltement les formes de gouvernance historique qui staientdveloppes au niveau local dans les sicles antrieurs. Pendant plusieurs sicles, on avaiteu la construction lente dinstitutions territorialises dont les plus importantes sarticulaientautour du fokonolona. Celui-ci a vraiment matrialis ce que lon peut appeler une gouvernance historique la malgache 13.

    12

    Ibidem, pp. 80-81.13Sur la gouvernance historique, cfr. Ph. De LEENER, F. DEBUYST, B. KHADER, J.-Ph.PEEMANS, sur lIntroduction l Atelier 3 du Forum, Une solidarit en actes. Gouvernance locale,

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    Le pouvoir royal a cherch contrler les institutions locales, mais na pu les matrisertotalement. On peut dire que au fur et mesure que le pouvoir royal cherchait faire du

    fokonolona un instrument de sa centralisation, le fokonolona se ddoublait entre uneinstitution officielle et un espace informel, dont la survivance sinscrivait dans les cadres

    du vcu quotidien et de la mmoire des populations. Ctait ce niveau que semaintenaient et se rinventaient les pratiques de la vie locale, assurant la reproduction desconditions de vie de collectivits dsormais soumises une pression trs forte du haut .Mais cette pression a rpondu une nouvelle culture de rsistance, silencieuse et souventinvisible pour le pouvoir lui-mme.

    A Madagascar cette rsistance sest manifeste sous diverses formes reposant sur lacontinuit de pratiques prexistantes la priode royale. Ces pratiques taient animes parlesprit dufihavanana et ancres dans les exigences du tanindrazana. Ces pratiques nontpas disparu pendant la priode de la modernisation tronque entame par le pouvoir royal.Mme si les projets de modernisation ont chou, car ils ne correspondaient pas aux

    demandes de la socit, on ne peut limiter lhistoire ce point, car ces autres pratiques ontsurvcu et ont permis la grande majorit de la population de faire face aux exactionsroyales quelles que soient leur nature.

    Cest cette rsistance des rgions les plus soumises au pouvoir royal qui a dailleursstimul lesclavage dans les rgions priphriques de lImerina historique pour contournerles rsistances passives des populations dj organises depuis des gnrations dans des

    fokonolona dynamiques. Mais la chasse aux esclaves a suscit elle-mme des ractions despopulations des priphries soumises ces exactions, ractions favorisant la mise en placede nouvelles formes moins organises, et dsormais informelles, defokonolona .

    Donc, ct du changement introduit incontestablement par la politique des rois et reines,on a eu aussi une continuit qui elle concerne prcisment les acteurs du bas . Cestcette histoire l qui a assur le maintien des valeurs et des pratiques populaires travers leschangements et les nouvelles formes doppression. Ces rsistances ont sans doutecontribu affaiblir les efforts de modernisation des lites dirigeantes, et se sont ajoutesaux conflits et contradictions qui divisaient celles-ci. Il faut souligner ici combien lesdivers projets industriels de cette poque ne peuvent tre abords simplement en termes derussite ou chec technico-conomiques. Ils doivent tre avant tout approchs dans lecadre de mobilisation force du travail que la royaut merina a mis progressivement enplace, ds la fin du XVIIIe sicle, pour raliser ses ambitions politiques et militaires. Les

    projets industriels sinscrivent dans cette logique : ils reposaient sur lextension multiformede la corve et de lesclavage pour recruter la main duvre ou approvisionner lesentreprises en matires premires locales.

    Fondamentalement les populations organises dans lefokonolona pouvaient vivre, non pasen autarcie, puisque les marchs locaux et rgionaux existaient, mais sans devoir avoirrecours massivement au salariat. On ne peut pas dire non plus que ces populations taientoisives : au contraire lconomie locale, base sur la riziculture, exigeait beaucoup detravail, et la diversit des productions agricoles et artisanales mobilisait toutes les forcesdisponibles. Il nexistait donc pas de moyen de mobiliser conomiquement une main-duvre abondante salarie.

    conomie sociale, pratiques populaire face la globalisation, du 27 et 28 mars 2001, Institut dtudesdu dveloppement, Universit Catholique de Louvain, 2004, pp. 221-240.

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    Les rformes foncires introduites par le pouvoir royal ont encore intensifi le problme,puisque dsormais une partie du travail paysan tait mobilisable, par la contrainte, pourtravailler les terres de la nouvelle aristocratie royale. Linsuffisance de main-duvre adailleurs introduit une situation de crise permanente, partir de lpoque de la

    centralisation renforce, et a favoris le dveloppement de la traite des esclaves lintrieur de lle.

    Lconomie du royaume merina a donc d reposer de plus en plus sur la corve etlesclavage. Et le pouvoir royal a du sopposer lexportation des esclaves vers ltranger,ou il y avait une demande desclaves, notamment pour les plantations des autres les delOcan Indien. Mais cette exportation menaait videmment la disponibilit dune main-duvre corvable ou servile pour lconomie merina. Les propritaires desclavesgagnaient dnormes bnfices par le recours une main-duvre non salarie quiconstituait la partie la plus importante de leur capital priv14. Les propritaires desclavestaient opposs tout changement de statut des esclaves. Cest ainsi que la dpendance

    plus forte vis--vis dune main-duvre force devint la caractristique de lconomie duroyaume merina. Linsuffisance de main duvre ainsi que la forte dpendance delconomie du royaume merina lgard de cette dernire allait au dtriment delconomie communautaire, et par ailleurs, obligeait notamment les femmes se mettre autravail afin de se substituer aux hommes pour subvenir aux besoins de leurs familles.

    Les couches populaires dans lconomie communautaire des campagnes devaient sadapter cette situation. Ainsi, la vie de tous les jours des simples sujets se faisait en fonction de ladisponibilit des hommes et des femmes. Malgr cette contrainte et ces pressions souventinsupportables, lconomie communautaire a survcu et sest adapte au nouveau contexte.Lefokonolona reste bien linstitution centrale, et dans les faits une grande partie des hovalibres, mais sans esclaves, et des andevo, constituent la base dufokonolona ternel , etils sont les acteurs de lconomie communautaire qui sy perptue, dornavant souscontrainte du haut .

    La priode royale voit une volution de lconomie communautaire, base sur larciprocit, vers une conomie communautaire soumise une hirarchisation socialebeaucoup plus forte, et ou les obligations quasi fodales qui sinstaurent sont imposes auxmembres des collectivits locales par laristocratie lie au pouvoir royal. Lconomiecommunautaire sinsre dans cette communaut plus hirarchise, et ds lors on peut parleraussi de lmergence dune conomie populaire qui concerne les membres des collectivits

    qui constituent la base infrieure des communauts hirarchises, et qui doivent fournirlessentiel des prestations et des impts. Cest donc une conomie populaire soumise, sansautonomie, mais o les liens anciens communautaires entre paysans se maintiennent, touten tant dornavant soumis la logique fodale et royale. Cette conomie populaire sediversifie dans le cadre de louverture de nouveaux marchs.

    On doit tenir aussi compte du fait que les catgories infrieures des petits nobles de la castedes andriana, dans la pratique, ne vivent pas de manire radicalement diffrente de cellesdes autres membres dufokonolona. Leur vie matrielle concrte ntait pas bouleverse parlaffirmation du pouvoir royal, elle tait en fait issue dune volution multisculaire. Celaattnue la tendance la diffrenciation sociale ou la rend moins visible pour la masse de la

    14 GRANDIDIER A. et G., Collection douvrages anciens concernant Madagascar, Paris,Comit de Madagascar, 1903, p. 15.

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    population. Mais de toute manire, on ne peut oublier que cest lagression trangre qui amis fin lexprience malgache de dveloppement au XIXe sicle, et cette rupture sestmanifeste travers linvasion militaire franaise et la conqute coloniale.

    3.4 Lefokonolona du temps colonial

    Gallieni misa sur le fokonolona comme reprsentant dune institution dapparence

    dmocratique qui devait lui permettre de recruter la population car il tait confront au

    problme dune insuffisance de main duvre. La mainmise conomique coloniale sest

    traduite par le contrle de la population et surtout de toutes les activits conomiques

    quelle effectue.

    Le contrle de la population sest manifest par la mise en place de structures

    administratives de base qui remonte au temps de Gallini par le dcret du 9 mars 1902 pour

    lImerina. Les populations, au niveau dufokonolona doivent se grouper dans les villages,

    qui forment eux-mmes les cantons, circonscription administrative de base afin dviter

    lisolement des villages, sous la bonne surveillance des ray aman-dreny (les anciens) et desnotables parmi lesquels sont lus le chef de quartier. Le fokonolona assurait la bonne

    marche des activits conomiques et sociales, ainsi que les diffrentes tches, telles la

    construction et lentretien des voies de communication, la scurit intrieure de la

    collectivit, de la police et de la justice.

    Mais trs rapidement le fokonolona rinvent par ladministration coloniale pour sesbesoins a connu des problmes qui ont rvl ses limites.Selon les instructions du 1er

    janvier 1905, les services du fokonolona ne doivent sappliquer qu des travaux depremire ncessit et dintrt local profitant directement la communaut, tels que laconstruction, lentretien et la rfection des digues et des canaux dirrigations desrizires, lentretien des chemins et sentiers du fokontany, la destruction des sauterelles,la rparation des dgts causs par un cyclone, etc. 15.

    Larrt du 29 mars 1905 soumet autorisation lexcution des travaux de solidarit,lesquels ne doivent tre effectus que pendant la priode de morte-saison agricole, en juin,

    juillet et aot16.

    De mme dans un arrt datant du 6 mars 190717, lesfokonolona ne peuvent tre tenus des travaux dintrt gnral, ni des travaux dintrt priv. On a expliqu cettelimitation par le fait que des abus des notables locaux et des chefs de district avaiententran un accroissement des travaux obligatoires qui retombaient sur la population, ou

    encore que celle-ci elle avait t tenue excuter des travaux en dehors descirconscriptions de rattachement. Et sans doute, lautorit coloniale craignait que cesabus entrane un retour des rebellions qui avaient requis une intervention militairemassive pour pacifier le pays. Ces mouvements de rsistance trs actifs apparus dsloccupation, staient transforms en formes dinsoumission, appeles brigandages parles autorits coloniales, soucieuses de rprimer ces brigands oufahavalo.

    15 Cit par Laurent PAIN,De linstitution du Fokonolona Madagascar, Thse de doctorat

    (Sciences politiques et conomiques) Facult de Droit de lUniversit de Poitiers, A. Masson, 1910, p.

    81. Soulignons cependant que dans ces instructions, le Gouverneur gnral na pas en vue que le seul

    intrt des autochtones, mais galement celui des chefs dentreprises employant la main duvre locale.16 Cit par CONDOMINAS G., op. cit.17 Cit par CONDOMINAS, op. cit.

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    Cependant la rforme dufokonolona avait bien eu pour