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DESCRIPTION
GOGRAPHIQUE
HISTORIQUE, CHRONOLOGIQUE
POLITIQUE, ET PHYSIQUE
DE LEMPIRE DE LA CHINE ET
DE LA TARTARIE CHINOISE
Par le P. J. B. DU HALDE,
de la Compagnie de Jsus
TOME second
1735
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Description de lempire de la Chine Tome second
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partir de :
DESCRIPTION GOGRAPHIQUE, HISTORIQUE, CHRONOLOGIQUE, POLITIQUE, ET PHYSIQUE DE LEMPIRE DE LA CHINE ET DE LA TARTARIE CHINOISE
enrichie des cartes gnrales et particulires de ces pays, de la carte
gnrale & des cartes particulires du Thibet & de la Core, & orne
dun grand nombre de figures & de vignettes graves en taille-douce.
En trois ou quatre volumes in-folio.
par le P. Jean-Baptiste DU HALDE, de la Compagnie de Jsus (1674-1743)
Tome second A Paris, chez P. G. LEMERCIER, Imprimeur-libraire, rue saint Jacques,
au livre dOr. MDCCXXXV.
Avec approbation et privilge du Roi.
VOIR LA TABLE DES MATIRES
mise en format texte par
Pierre Palpant
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Description de lempire de la Chine Tome second
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TABLE DES ARTICLES contenus dans ce second volume
De lanciennet & de ltendue de la monarchie chinoise,
De lautorit de lempereur, des sceaux de lempire, de ses revenus, de ses
dpenses ordinaires, de son palais, de ses quipages, & de sa marche
lorsquil sort de son palais,
De la forme du gouvernement de la Chine, des diffrents tribunaux, des
mandarins, des honneurs quon leur rend, de leur pouvoir, & de
leurs fonctions,
Du gouvernement militaire, des forces de lempire, des forteresses, des gens de guerre, de leurs armes, & de leur artillerie,
De la police de la Chine, soit dans les villes pour y maintenir le bon ordre,
soit dans les grands chemins, pour la sret des voyageurs, des
douanes, des Postes,
De la noblesse,
De la fertilit des terres, de lagriculture, & de lestime quon fait de ceux qui
sy appliquent,
De ladresse des artisans, & de lindustrie du menu peuple,
Du gnie & du caractre de la nation chinoise,
De lair & de la physionomie des Chinois, de leurs modes, de leurs maisons, &
des meubles dont elles sont ornes,
De la magnificence des Chinois dans les voyages, dans les ouvrages publics, tels que sont les ponts, les arcs de triomphe, les portes, les tours, & les
murs de ville, dans leurs ftes, &c,
Des crmonies quils observent dans leurs devoirs de civilits, dans leurs
visites, & les prsents quils se font les uns aux autres dans les lettres quils scrivent, dans leurs festins, leurs mariages, & leurs funrailles,
Des prisons o lon renferme les criminels & des chtiments dont on les punit,
De labondance qui rgne la Chine,
Des lacs, des canaux, & des rivires dont lempire de la Chine est arros ; des barques des vaisseaux, ou sommes chinoises,
De la monnaie qui en diffrents temps a eu cours la Chine,
Du commerce des Chinois,
Du vernis de la Chine,
De la porcelaine,
Des soieries,
Extrait dun ancien livre chinois, qui enseigne la manire dlever & de
nourrir les vers soie, pour lavoir & meilleure & plus abondante,
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Description de lempire de la Chine Tome second
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De la langue chinoise : [Du gnie de la langue chinoise] De la prononciation
chinoise, & de lorthographe des mots chinois en caractres dEurope
Abrg de grammaire chinoise [par rapport aux noms, aux pronoms, aux conjugaisons des verbes, aux prpositions, aux adverbes, aux
nombres & leurs particules]
Du papier, de lencre, des pinceaux, de limprimerie, & de la reliure des livres
de la Chine,
De quelle manire on fait tudier les jeunes Chinois, des divers degrs par o ils
passent, & combien ils ont dexamens subir pour parvenir au doctorat,
Extrait dun livre chinois intitul : lArt de rendre le peuple heureux en
tablissant des coles publiques,
Extrait dun Trait sur le mme sujet fait par Tchu hi, lun des plus
clbres docteurs de la Chine, qui florissait sous la dix-neuvime
dynastie nomme Song,
Extrait dun livre contenant un recueil dhistoires, quon a soin de lire aux enfants.
Extrait du chapitre des examens particuliers des jeunes tudiants qui sont
sieou tsai, ou qui prtendent ce grade.
Traduction du chapitre Kiang hio, ou Modle que donne lauteur dun discours, tel quil peut se faire dans le Hio, ou salle des assembles de lettrs,
Traduction du chapitre chinois, o est propos le projet & les rglements dune
acadmie ou Socit de savants,
De la littrature chinoise,
Des King chinois ou des livres canoniques du premier ordre,
LY king, premier livre canonique du premier ordre,
Le Chu king, second livre canonique du premier ordre.
Divers extraits du Chu king, Maximes des anciens rois : Dialogue Harangue quon dit que Tchong hoei fit lempereur Tching tang
Instruction quY yun donna au jeune Tai kia Histoire de
lempereur Cao tsong & de Fou yue, son ministre,
Le Chi king, troisime livre canonique du premier ordre, Odes choisies du Chi king : Premire ode, un jeune roi prie ses
ministres de linstruire Seconde & troisime ode la louange de
Ven vang Quatrime ode, conseils donns un roi Cinquime
ode, sur la perte du genre humain Sixime ou septime ode, lamentations sur les misres du genre humain Huitime ode,
avis un roi,
Le Tchun tsiou, quatrime livre canonique du premier ordre,
Le Li ki, cinquime livre canonique du premier ordre,
Des livres classiques ou canoniques du second ordre,
Vie de Cong fou tsee, ou Confucius,
Ta hio, ou Lcole des adultes, premier livre classique ou canonique du second
ordre,
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Tchong yong, ou Le milieu immuable, second livre classique ou canonique du
second ordre,
Lun yu, ou Livre des sentences, troisime livre classique ou canonique du second ordre,
Meng tsee, ou le livre de Mencius, quatrime livre classique ou canonique du
second ordre, divis en deux parties [I II] & plusieurs chapitres,
Hiao king, ou Du respect filial, cinquime livre classique,
Siao hio, ou Lcole des enfants, sixime livre classique, divis en plusieurs
chapitres & paragraphes,
De lducation de la jeunesse,
Des cinq devoirs : des devoirs du pre & du fils, du roi & de son ministre, du mari & de la femme, des jeunes gens lgard des personnes
ges, des amis,
De la vigilance quon doit avoir sur soi-mme : Rgles pour bien gouverner
son cur, pour apprendre composer son extrieur, pour le vtement, pour le repas,
Exemples par rapport ces maximes, tirs de lantiquit : Exemples des
anciens sur la bonne ducation, sur les cinq devoirs,
Maximes des auteurs modernes : Maximes sur lducation de la jeunesse, sur les cinq devoirs, sur le soin avec lequel on doit veiller sur soi-
mme,
Exemples tirs des auteurs modernes : Exemples sur lducation de la
jeunesse, sur les cinq devoirs, sur le soin avec lequel on doit veiller sur soi-mme,
Recueil imprial contenant les dits, les dclarations, les ordonnances, & les
instructions des empereurs des diffrentes dynasties, les remontrances
& les discours des plus habiles ministres sur le bon & le mauvais gouvernement, & diverses autres pices recueillies par lempereur
Cang-hi, & termines par de courtes rflexions, crites du pinceau
rouge, cest--dire de sa propre main,
Avis.
Extraits dune compilation faite sous la dynastie Ming par un lettr clbre de cette dynastie, nomm Tang king tchuen,
Extraits duvres de Ouang yang ming,
Li niu, ou Femmes illustres,
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Description de lempire de la Chine Tome second
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De lanciennet & de ltendue de la monarchie chinoise
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a p.001 Chine a cet avantage sur toutes les autres
nations du monde, que durant plus de 4.000 ans elle
a t gouverne presque toujours par les princes
naturels du pays, avec la mme forme dhabit, de
murs, de lois, de coutumes & de manires, sans
avoir jamais rien chang ce que ses anciens lgislateurs avaient
sagement tabli ds la naissance de lempire.
Comme ses habitants trouvent chez eux tout ce qui est ncessaire
aux commodits & aux dlices de la vie, ils ont cru se suffire eux-
mmes, & ont affect de navoir aucun commerce avec le reste des
hommes. Lignorance dans laquelle ils ont vcu des pays loigns les a
p.002 entretenus dans la persuasion ridicule, quils taient les matres du
monde, quils en occupaient la plus considrable partie, & que tout ce
qui ntait pas la Chine, ntait habit que par des nations barbares. Cet
loignement de tout commerce avec les trangers, joint au gnie ferme
& solide de ces peuples, na pas peu contribu conserver parmi eux
cette constante uniformit de leurs usages.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Il y a parmi les savants de la Chine deux opinions sur lorigine & le
commencement de leur empire ; car ils ne sarrtent pas aux rveries
dun peuple ignorant & crdule, qui sur la foi de quelques livres
apocryphes & fabuleux, cherchent la source de leur monarchie dans des
sicles imaginaires, qui prcdent la cration du monde. Les historiens
les plus clbres distinguent dans la chronologie chinoise, ce qui est
manifestement fabuleux, ce qui est douteux & incertain, & ce qui est
sr & indubitable. Ainsi ne voulant sattacher qu ce qui leur parat
avoir quelque fondement de vrit, ils marquent dabord comme une
chose sre, quon ne doit faire nulle attention aux temps qui ont
prcd Fo hi, lesquels sont incertains, cest--dire, quon ne peut les
ranger suivant une exacte & vraie chronologie, & que ce qui prcde Fo
hi, doit passer pour mythologique.
Ces auteurs regardent donc Fo hi comme le fondateur de leur
monarchie, lequel environ 200 ans aprs le dluge, suivant la version
des Septante, rgna dabord vers les confins de la province de Chen si,
ensuite dans la province de Ho nan, qui est situe presque au milieu de
lempire, aprs quoi il dfricha toutes les terres qui stendent jusqu
la mer orientale.
Cest l le sentiment de presque tous les lettrs, & cette chronologie
fonde sur une tradition constante, & tablie dans leurs plus anciennes
histoires, qui nont pu tre altres par les trangers, est regarde de
la plupart des savants comme incontestable.
Dautres auteurs chinois ne font remonter leur monarchie quau rgne
dYao, qui selon lopinion des premiers, nest que leur cinquime
empereur ; mais si quelquun savisait de la borner des temps
postrieurs, non seulement il se rendrait ridicule, mais il sexposerait
encore tre chti svrement, & mme tre puni de mort. Il suffirait
aux missionnaires de donner un simple soupon en cette matire dont
ensuite on et connaissance, pour les faire chasser de lempire.
Ce quil y a de certain, cest que la Chine a t peuple plus de 2.155
ans avant la naissance de Jsus-Christ, & cest ce qui se dmontre par
une clipse de soleil arrive cette anne-l, comme on le peut voir par
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Description de lempire de la Chine Tome second
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les observations astronomiques tires de lhistoire & dautres livres
chinois, lesquelles ont t donnes au public en lanne 1729.
On a vu finir les plus anciens empires ; il y a longtemps que ceux
des Assyriens, des Mdes, des Persans, des Grecs, & des Romains ne
subsistent plus ; au lieu que la Chine semblable ces grands fleuves,
dont on a de la peine dcouvrir la source, & qui roulent constamment
leurs eaux avec une majest toujours gale, na rien perdu pendant
une si longue suite de sicles, ni de son clat, ni de sa splendeur.
Si cette monarchie a t quelquefois trouble par des guerres
intestines, par la faiblesse & la mauvaise conduite des empereurs, ou
par une domination trangre, ces intervalles de troubles & de divisions
ont t courts, & elle sen est presque aussitt releve, trouvant dans la
sagesse de ses lois fondamentales, & dans les heureuses dispositions
des peuples, une ressource aux malheurs dont elle sortait.
Ainsi pendant 4.000 ans & davantage le trne imprial a t occup
sans interruption par vingt-deux diffrentes familles, & lon compte deux
cent p.003 trente-quatre empereurs chinois, qui ont rgn successivement
jusqu linvasion du roi tartare qui sempara de la couronne il y a
environ 85 ans, & qui a donn jusquici la Chine trois empereurs de sa
famille, savoir Chun tchi qui a rgn 17 ans, Cang hi qui en a rgn 61,
& Yong tching qui est sur le trne depuis lanne 1722.
Cette conqute qui se fit avec une facilit surprenante, fut le fruit de
la msintelligence des Chinois, & des diverses factions qui partageaient
la cour & lempire. La plus grande partie des troupes impriales taient
alors vers la grande muraille, occupe repousser les efforts dun roi
des Tartares orientaux, appels Mantcheoux.
Ce prince pour se venger de linjustice faite ses sujets dans leur
commerce avec les marchands chinois, & du peu de cas que la cour avait
fait de ses plaintes, tait entr dans le Leao tong la tte dune
puissante arme. La guerre dura quelques annes ; il y eut diffrents
combats donns, des villes assiges, des courses & des irruptions faites
sur les terres de la Chine, sans quon pt dire de quel ct penchait la
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Description de lempire de la Chine Tome second
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victoire, parce quelle favorisait tour tour lun & lautre parti.
Lempereur Tsong tching demeurait tranquille dans sa capitale, & il
navait gure sujet de ltre. Le supplice injuste auquel il avait
condamn un ministre accrdit & li avec les principaux de la cour, sa
svrit excessive, & son extrme avarice, qui lempchrent de rien
relcher des tributs ordinaires quil exigeait du peuple, & cela dans le
temps de la plus grande disette, aigrirent extrmement les esprits & les
portrent la rvolte : les mcontents se multiplirent dans la capitale
& dans les provinces.
Un Chinois de la province de Se tchuen nomm Li cong tse, homme
hardi & entreprenant, profita de ces conjonctures, & se mit la tte
dun grand nombre de sditieux. Son arme grossissait tous les jours,
par la multitude des mcontents qui sy joignaient. En peu de temps il
se rendit matre de plusieurs villes considrables, il conquit des
provinces entires, & gagna les peuples en les exemptant des tributs
dont ils taient surchargs, en destituant les magistrats, & en les
remplaant par dautres, sur la fidlit desquels il comptait, & qui il
commandait de traiter ses sujets avec douceur. Dun autre ct il
saccageait les villes o il trouvait la moindre rsistance, & les
abandonnait au pillage de ses soldats.
Enfin aprs stre enrichi des dpouilles de la dlicieuse province de
Ho nan, il pntra dans la province de Chen si, o il crut quil tait
temps de se dclarer empereur. Il prit le nom de Tien chun qui signifie
celui qui obit au Ciel, afin de persuader aux peuples quil tait
linstrument dont le Ciel se servait, pour les dlivrer de la cruelle
tyrannie des ministres qui les opprimaient.
Quand le rebelle se vit dans le voisinage de Peking, o la division qui
rgnait parmi les Grands, lui avait donn lieu de mnager par ses
missaires des intelligences secrtes, il ne perdit point de temps, &
songea srieusement se rendre matre de cette capitale : elle se
trouvait dsarme dune grande partie des troupes, quon avait
envoyes sur la frontire de Tartarie : plusieurs des chefs de celles qui
y restaient, taient gagns, & prts seconder le dessein du tyran : de
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Description de lempire de la Chine Tome second
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plus, il avait fait glisser dans la ville grand nombre de ses plus braves
soldats dguiss en marchands, auxquels il avait donn de quoi lever
des boutiques, & faire le commerce, afin que disperss dans tous les
quartiers, ils pussent y rpandre la terreur, & favoriser son irruption,
lorsquil se prsenterait avec son arme devant les murailles.
Des mesures si bien prises lui russirent : peine parut-il, quune
des portes de la ville lui fut ouverte avant le p.004 lever du soleil : la
rsistance que firent quelques soldats fidles, ne fut pas longue. Li cong
tse traversa toute la ville en conqurant, & alla droit au palais. Il avait
dj forc la premire enceinte, sans que lempereur en et
connaissance, & ce malheureux prince napprit sa triste destine, que
lorsquil ne lui tait plus libre dchapper la fureur de son ennemi.
Trahi, abandonn de ses courtisans, & craignant plus que la mort de
tomber vif entre les mains dun sujet rebelle, il fit un coup de
dsespr, il descendit dans un de ses jardins avec sa fille, & aprs
lavoir abattue ses pieds dun coup de sabre, il se pendit un arbre.
Aprs cette mort, tout se soumit cette nouvelle puissance. Le
tyran pour saffermir sur le trne, commena par faire mourir plusieurs
grands mandarins, & tira des autres de grosses sommes dargent. Il ny
eut quOu san guey, gnral des troupes postes sur les frontires de la
Tartarie, qui refusa de le reconnatre pour souverain. Ce gnral avait
son pre Peking nomm Ou. Ctait un vieillard vnrable par son ge
& par ses dignits. Le nouvel empereur le fit venir, & lui ordonna de le
suivre dans lexpdition quil allait faire.
Aussitt il part la tte de son arme, pour aller rduire le gnral
des troupes chinoises, qui stait renferm dans une ville de Leao tong.
Aprs en avoir form le sige, il fit approcher des murailles le vieillard
charg de fers, & menaa le gnral de faire gorger son pre ses
yeux, sil ne se soumettait de bonne grce.
Ou san guey sentit ce moment les divers combats, que dun ct
lamour de la patrie, & de lautre la tendresse filiale livraient tour tour
la bont de son cur : dans des agitations si violentes, il ne prit
conseil que de sa vertu : lamour de la patrie lemporta & il lui sacrifia
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Description de lempire de la Chine Tome second
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ce quil devait son pre. Le vieillard lui-mme loua la gnreuse
fidlit de son fils, & avec une fermet hroque, se livra la rage &
la cruaut du tyran.
Un sang si cher que le gnral vit couler, ne servit qu allumer dans
son cur un plus grand dsir de vengeance. Mais comme il tait difficile
quil pt rsister longtemps aux efforts de lusurpateur, il crut quen
piquant la gnrosit du roi tartare, il pourrait non seulement faire la
paix avec lui, mais encore lengager le secourir de toutes ses forces :
Tsong te (cest le nom de ce roi) moins flatt des richesses qui lui
taient offertes par le gnral chinois, que piqu dune ambition
secrte, gota si fort cette proposition, que ds le jour mme il parut
la tte de quatre-vingt mille hommes. Lusurpateur inform de la
runion des armes chinoises & tartares, nosa en venir aux mains avec
deux si grands capitaines ; il se retira en hte Peking, & aprs avoir
fait charger plusieurs chariots de ce quil y avait de plus prcieux dans
le palais, il y mit le feu, & senfuit dans la province de Chen si, o il eut
tant de soin de se cacher, quon ne pt jamais dcouvrir le lieu de sa
retraite. Quelque diligence quil ft, une partie du butin tomba entre les
mains de la cavalerie tartare qui le poursuivait.
Cependant Tsong te qui pouvait aisment dissiper son arme, aima
mieux se rendre Peking, o il fut reu aux acclamations des Grands &
du peuple, & regard comme leur librateur. Il sut si bien tourner les
esprits, quon le pria de gouverner lempire : les vux des Chinois
saccordrent avec ses vues : mais une mort prcipite lempcha de
jouir du fruit de sa conqute. Il eut le temps de dclarer pour
successeur son fils Chun tchi, qui navait que six ans, & il confia son
ducation & le gouvernement de ltat, un de ses frres nomme
Amavan.
Ce prince eut le courage & ladresse p.005 de soumettre la plupart des
provinces qui avaient de la peine subir le joug tartare, & pouvant
retenir lempire pour lui-mme, il fut assez dsintress pour le
remettre entre les mains de son neveu, aussitt quil eut atteint lge
de gouverner.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Le jeune empereur parut tout coup habile en lart de rgner, quil
gagna en peu de temps le cur de ses sujets. Rien nchappait la
vigilance & ses lumires, & il trouva le moyen dunir tellement les
Chinois & les Tartares, quils semblaient ne plus faire quune mme
nation. Il soutint pendant son rgne la majest de lempire, avec une
supriorit de gnie qui lui attira pendant sa vie ladmiration, & sa
mort les regrets de tout le peuple. Lorsquil fut prt de mourir, nayant
encore que 24 ans, il appela les quatre premiers ministres. Aprs leur
avoir tmoign le dplaisir quil avait de navoir pu rcompenser le
mrite de tant de fidles sujets qui avaient servi son pre, il leur
dclara que parmi ses enfants, celui qui lui paraissait le plus propre
lui succder, tait Cang hi, qui navait alors que huit ans ; quil le
recommandait leurs soins ; & quil attendait de leur probit & de leur
fidle attachement, quils le rendraient digne de lempire, quil lui
laissait sous leur tutelle.
Ds le lendemain de la mort de lempereur Chun tchi, son corps
ayant t mis dans le cercueil, on proclama Cang hi empereur. Il monta
sur le trne, & tous les princes, les seigneurs, les premiers officiers de
larme & de la couronne & les mandarins de tous les tribunaux,
allrent se prosterner ses pieds jusqu trois fois, & chaque
gnuflexion frapprent la terre du front, & firent les neuf rvrences
accoutumes.
Rien ntait si magnifique que la grande cour o se fit cette
crmonie. Tous les mandarins occupaient les deux cots, vtus
dhabits de soie fleurs dor en forme de roses : cinquante portaient de
grands parasols de brocard dor & de soie avec leurs btons dors, &
stant rangs 25 dun ct, & 25 de lautre sur les ailes du trne, ils
avaient leurs cts trente autres officiers, avec de grands ventails en
broderie dor & de soie. Prs de ceux-ci taient 28 grands tendards,
sems dtoiles dor en broderie, avec de grands dragons & la figure de
la nouvelle lune, de la pleine lune, & de la lune en dcours, & selon
toutes les phases & apparences diffrentes, pour marquer les 28
mansions quelle a dans le ciel, & ses conjonctions & oppositions
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Description de lempire de la Chine Tome second
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diverses avec le soleil, qui se font dans des intersections de cercles,
que les astronomes nomment nuds, ou tte & queue de dragons.
Cent autres tendards suivaient ceux des mansions de la lune, & tous
les autres portaient des masses darmes, des haches, des marteaux
darmes, & dautres semblables instruments de guerre ou de
crmonie, avec des ttes bizarres de monstres & danimaux.
Lautorit na jamais t si absolue que sous ce monarque : pendant
un des plus longs rgnes quon ait vu, il ne fut pas seulement pour les
peuples de lAsie un objet de vnration ; son mrite & la gloire de son
rgne pntrrent encore au-del de ces vastes mers qui nous sparent
de son empire, & lui attirrent lattention & lestime de toute lEurope.
Cest lui qui vint bout de runir la Chine & les deux Tartaries en un
seul tat, & de ranger sous sa domination une tendue immense de
pays, qui nest coup nulle part par les terres daucun prince tranger.
Les Tartares occidentaux taient les seuls qui pouvaient troubler la
tranquillit de son rgne ; mais partie par force, partie par adresse, il
les obligea daller demeurer trois cents mille au-del de la grande
muraille, o leur ayant distribu des terres & des pturages, il tablit
leur place les Tartares ses sujets. p.006 Enfin il divisa cette vaste
tendue de pays en plusieurs provinces qui lui furent soumises &
tributaires. Il les retint encore dans le devoir par le moyen des lamas
qui ont tout pouvoir sur lesprit des Tartares, & que les peuples adorent
presque comme des divinits.
A cette adresse politique ce prince en joignit une autre, ce fut quau
lieu que ses prdcesseurs demeuraient dans leur palais, o ils taient,
comme dans un sanctuaire, invisibles leurs peuples, lui au contraire
en sortait trois fois lanne pour des voyages, ou pour des parties de
chasse semblables des expditions militaires.
Ds quil eut tabli une paix solide dans ses vastes tats, il rappela
les meilleures troupes des diverses provinces o elles taient
disperses, & de temps en temps, pour empcher que le luxe & le repos
namollit leur courage, il partait pour la Tartarie, & leur faisait faire de
longues & pnibles marches ; elles taient armes de flches & de
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Description de lempire de la Chine Tome second
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cimeterres, dont elles ne se servaient que pour faire la guerre aux
cerfs, aux sangliers, aux ours, aux tigres, & aux autres btes froces.
Ce grand corps darme qui accompagnait lempereur dans ses longs
voyages, tait divis par compagnies, & marchait en ordre de bataille
au bruit des tambours & des trompettes. Il y avait avant-garde, arrire-
garde, corps de bataille, aile droite, & aile gauche, que commandaient
autant de princes & de grands seigneurs. On conduisait pour ce grand
nombre de personnes toutes les provisions & munitions ncessaires sur
des chariots, sur des chevaux, sur des chameaux & des mulets. Il fallait
camper toutes les nuits, car il ny a dans la Tartarie occidentale ni
villes, ni bourgs, ni villages. Les peuples nont pour maisons que des
tentes dresses de tous cts dans les campagnes, o ils font patre
leurs bufs, leurs chevaux, & leurs chameaux. Ils ne savent ce que
cest que de semer des grains, & de cultiver la terre ; ils se contentent
de ce que la terre produit delle-mme pour lentretien de leurs
troupeaux, ils transportent leurs tentes dans les divers endroits o les
pturages sont plus abondants & plus commodes, ne vivant que de lait,
de fromages, & du gibier que la chasse leur fournit.
En tenant ainsi les troupes en haleine, & les Tartares dans
lobissance, Cang hi ne relchait rien de son application ordinaire aux
affaires de ltat : ses conseils taient rgls, il coutait les ministres
sous une tente comme dans son palais, & leur donnait ses ordres. Se
faisant instruire de tout, gouvernant son empire par lui-mme, il tait
lme qui donnait le mouvement tous les membres dun si grand
corps ; aussi ne se reposa-t-il jamais du soin de ltat ni sur les colaos,
ni sur aucun des Grands de sa cour, comme il ne souffrit jamais que les
eunuques du palais, qui avaient tant de pouvoir sous les rgnes
prcdents, eussent la moindre autorit.
Un autre trait de la politique fut de remplir les tribunaux, partie de
Chinois, & partie de Tartares : ce sont comme autant dinspecteurs les
uns des autres, & par ce moyen, il y a moins craindre quils tentent
quelque entreprise contre le bien commun des deux nations.
Dun autre ct, les Tartares furent obligs de sappliquer de bonne
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Description de lempire de la Chine Tome second
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heure ltude, afin de pouvoir entrer dans les charges, car ils ne sont
promus aux derniers degrs, de mme que les Chinois, quaprs avoir
donn des preuves de leur capacit dans les lettres, selon lancien
usage de lempire.
Depuis la paix que ce prince a conclu avec les Moscovites, par le
moyen des plnipotentiaires qui se rendirent de part & dautre
Nipchou, & qui convinrent des limites, on connat au juste ltendue de
ce grand empire : depuis la pointe la plus mridionale de Hai nan, p.007
jusqu lextrmit de la Tartarie soumise lempereur, on trouve que
ses tats ont plus de 900 lieues communes de France.
Cest ce florissant empire que Cang hi laissa vers la fin de lanne
1722 son quatrime fils, quil nomma son successeur quelques heures
avant sa mort. Ce prince montant sur le trne prit le titre dYong
tching, qui signifie, paix ferme, concorde indissoluble. Il parat avoir de
lesprit, il parle bien, mais quelquefois vite, & sans donner le temps de
lui rpondre. Il y en a qui croient que cest une affectation de sa part,
pour ne pas couter des raisons qui pourraient lui faire changer des
rsolutions dj prises.
Du reste il est appliqu aux affaires de son tat, ferme & dcisif,
infatigable dans le travail, toujours prt recevoir des mmoriaux & y
rpondre, ne songeant qu ce qui peut procurer le bonheur des
peuples. Cest mme lui faire sa cour que de lui proposer quelque
dessein qui tende lutilit publique & au soulagement des peuples ; il
y entre avec plaisir & lexcute sans nul gard la dpense. Enfin il est
aussi absolu, & aussi redout que lempereur son pre ; mais par la
conduite quil a tenu lgard des ouvriers vangliques, il est bien
diffrent de ce grand prince qui les a constamment favoriss, & qui
sest toujours dclar le protecteur de notre sainte religion.
Outre ltendue prodigieuse de cet empire, qui tout grand quil tait
dj, sest si fort accru par lunion des Tartares avec les Chinois, il y a
encore dautres royaumes qui sont tributaires de lempereur : la Core,
le Tong king, la Cochinchine, Siam, &c. lui doivent un tribut rgl ; cest
lui qui en quelques occasions nomme les rois, du moins il faut toujours
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Description de lempire de la Chine Tome second
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quil les confirme. Nanmoins ces tats ont leur gouvernement particulier
& nont gure de ressemblance avec la Chine, soit quon fasse attention
la fertilit des terres, au nombre, la beaut, & la grandeur des
villes ; soit quon ait gard la religion, lesprit, aux murs, & la
politesse des habitants. Aussi les Chinois en font-ils trs peu de cas ; ils
les regardent comme des barbares, & vitent avec soin leur alliance.
On a dj dit que la Chine est divise en 15 provinces, mais ces
provinces ne sont pas toutes galement peuples. Depuis Peking
jusqu Nan tchang qui est la capitale de la province de Kiang si, il sen
faut bien que le peuple y fourmille comme dans les provinces de Tche
kiang, de Kiang nan, de Quang tong, de Fo kien, & quelques autres :
cest ce qui fait que les missionnaires qui nont parcouru que ces belles
& nombreuses provinces o les villes & les grands chemins sont remplis
de peuples jusqu embarrasser le passage, ont pu augmenter le
nombre des habitants de cet empire. A tout prendre il parat cependant
quil y a la Chine beaucoup plus de monde que dans toute lEurope.
Quoique Peking soit plus grand que Paris pour ltendue du terrain,
je ne crois pas que le nombre des habitants puisse monter plus de
trois millions. La supputation en est dautant plus sre, que tous les
chefs de famille sont obligs de rendre compte aux magistrats du
nombre de personnes qui les composent, de leur ge & de leur sexe.
Plusieurs choses contribuent cette multitude prodigieuse
dhabitants : la multiplicit des femmes qui est permise aux Chinois, la
bont du climat quon a vu jusqu prsent exempt de peste, leur
sobrit, & la force de leur temprament, le mpris quils font des
autres nations, qui les empche de saller tablir ailleurs, & mme de
voyager ; mais ce qui y contribue plus que toute autre chose, cest la
paix presque perptuelle dont ils jouissent.
Il y a dans chaque province un grand nombre de villes du premier,
du second & du troisime ordre ; la plupart sont p.008 bties sur des
rivires navigables, & ont de chaque ct de fort grands faubourgs. Les
capitales de chaque province sont trs grandes, & mriteraient dtre le
sige de lempire.
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Description de lempire de la Chine Tome second
17
Outre ces villes, il y a quantit de places de guerre, une infinit de
forts, de chteaux, de bourgs, & de villages. On voit de ces bourgs,
surtout ceux quon appelle tching, qui vont de pair avec les villes pour
leur grandeur, le nombre des habitants, & le grand commerce qui sy
fait : on ne les appelle que bourgs, parce quils ne sont ni entours de
murailles, ni gouverns par des magistrats particuliers, mais par ceux
des villes voisines : tel est, par exemple, Kin te ching, o se travaille la
belle porcelaine, & qui est de la dpendance dune ville, laquelle est
dans le district de Iao tcheou ; Fo chan qui dpend de Canton, dont il
nest loign que de quatre lieues, &c.
La plupart des villes de la Chine se ressemblent : ce sont autant de
carrs oblongs, forms par quatre longs pans de murailles tirs au
cordeau, & unis angles droits. Il ne faut pas croire nanmoins que
toutes soient de forme carre, ceux qui lont assur, ont fait la rgle trop
gnrale. Il est vrai quils observent cette rgle le plus quils peuvent, &
alors les murailles regardent les quatre points cardinaux ou peu sen
faut : il en est de mme de leurs maisons, qui de quelque manire que
les rues soient disposes, doivent toujours regarder le sud, qui est
laspect favorable de ce pays, la partie oppose ntant pas tenable
contre les vents de nord. Cest par cette raison que pour lordinaire, la
porte par o lon entre, est de biais dans un des cts de la cour.
Les murailles qui forment lenceinte de la plupart des villes sont
larges & hautes, bties de briques ou de pierres carres. Derrire est
un rempart de terre, & tout autour un large foss, avec des tours
hautes & carres une certaine distance les unes des autres. Chaque
porte est double & doubles battants ; entre ces portes est une place
darmes pour lexercice des soldats ; quand on entre par la premire,
on ne voit pas la seconde, parce quelle est de ct ; au-dessus des
portes, il y a de belles tours : ce sont comme de petits arsenaux, & le
corps de garde des soldats. Hors des portes sont souvent de grands
faubourgs qui renferment presque autant dhabitants que la ville.
On voit dans les endroits les plus frquents de chaque ville une ou
mme plusieurs tours, dont la hauteur & larchitecture sont trs belles.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Ces tours sont de neuf tages, ou du moins de sept. Communment les
rues principales sont droites, mais souvent assez troites : en quoi elles
sont bien diffrentes des rues de la ville impriale. Ses rues, surtout les
grandes, sont galement longues & larges, & les plus commodes qui
soient peut-tre dans aucune ville du monde, surtout pour la cavalerie
& les chariots. Tous les difices, la rserve des tours & de quelques
btiments divers tages qui slvent fort haut au-dessus des toits
des maisons, sont extrmement bas, & tellement couverts des
murailles de la ville, que sans un grand nombre de tours carres, qui en
interrompent la continuit, on dirait la voir de loin dans la campagne,
que ce ne serait que lenceinte dun vaste parc carr.
On voit encore quelques villes, dont une partie du terrain est dsert
& vide de maisons, parce quelles nont point t rtablies, depuis
quelles ont t ruines par les Tartares qui conquirent la Chine. Mais ce
quil y a de particulier, cest quauprs des grandes villes, surtout dans
les provinces mridionales, on voit des espces de villes flottantes ;
cest une multitude prodigieuse de barques ranges des deux cts de
la rivire, o logent une infinit de familles qui nont point dautres
maisons. Ainsi leau est presque aussi peuple que la terre ferme.
p.009 Il ny a proprement que deux ordres dans lempire : celui des
nobles, & celui du peuple : ce premier comprend les princes du sang,
les ducs, les comtes, les mandarins, soit de lettres, soit darmes ; ceux
qui ont t mandarins & qui ne le sont plus ; les lettrs, qui par leur
tude & par les premiers degrs de littrature, auxquels ils sont
parvenus, aspirent la magistrature & aux dignits de lempire. Dans le
second, qui est celui du peuple, sont compris les laboureurs, les
marchands, & les artisans. Il faut donner la connaissance de ces
diffrents tats ; & cest ce que je ferai en suivant la mthode que je
me suis prescrite.
@
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Description de lempire de la Chine Tome second
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De lautorit de lempereur, des sceaux de lempire, de ses dpenses ordinaires, de son
palais, de ses quipages, & de sa marche
lorsquil sort du palais
@
Il ny a jamais eu dtat plus monarchique que celui de la Chine :
lempereur a une autorit absolue & en juger par les apparences,
cest une espce de divinit. Le respect quon a pour lui, va jusqu
ladoration ; ses paroles sont comme autant doracles, & ses moindres
volonts excutes comme sil tait descendu du Ciel ; personne ne
peut lui parler qu genoux, non pas mme son frre quoi que son an,
& lon noserait paratre devant lui en crmonie que dans cette
posture, moins quil nen ordonne autrement. Il nest permis quaux
seigneurs qui laccompagnent de se tenir debout, & de ne flchir quun
genou quand ils lui parlent.
La mme chose se pratique envers les officiers, lorsquils
reprsentent la personne de lempereur, & quils intiment ses ordres, ou
comme envoys, ou comme mandarins de la prsence. On a presque
les mmes gards pour les gouverneurs, lorsquils rendent la justice ;
de sorte quon peut dire que, quant la vnration & au respect quon
a pour eux, ils sont empereurs lgard du peuple, & quils sont peuple
lgard de ceux qui sont au-dessus deux. Ordre admirable qui
contribue plus que toute autre chose, au repos & la tranquillit de
lempire. On ne regarde point qui vous tes, mais la personne que vous
reprsentez.
Non seulement les mandarins, les Grands de la cour, & mme les
premiers princes du sang se prosternent en prsence de lempereur,
mais encore ils portent souvent le mme respect son fauteuil, son
trne, & tout ce qui sert son usage, & quelquefois ils vont jusqu se
mettre genoux la vue de son habit, & de sa ceinture. Ce nest pas
quils saveuglent sur ses dfauts, ou quils les approuvent : au fond du
cur ils blment ses vices ; & ils le condamnent, lorsquil se livre la
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Description de lempire de la Chine Tome second
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colre, lavarice, ou dautres passions honteuses ; mais ils croient
devoir donner publiquement ces marques dune profonde vnration
pour leur prince, afin de maintenir la subordination si essentielle tout
bon gouvernement, & dinspirer par leur exemple aux peuples, la
soumission & lobissance quils doivent ses ordres.
Cest ce profond respect qui les porte donner leur empereur les
titres les plus superbes : ils le nomment Tien tsee, fils du Ciel ; Hoang
ti, auguste & souverain empereur ; Ching hoang, saint empereur ; Chao
ting, palais royal ; Van soui, dix mille annes : ces noms & plusieurs
autres semblables, ne font pas seulement connatre le respect que ses
sujets ont pour sa personne, mais ils marquent encore les vux quils
font pour sa conservation.
Il ny a personne de quelque qualit p.010 & de quelque rang quil
soit, qui ose passer cheval ou en chaise devant la grande porte de
son palais ; ds quil en approche, il doit mettre pied terre, & ne
remonter cheval qu lendroit marqu : car on a dtermin le lieu o
lon doit descendre, & celui o lon peut remonter.
Chaque semaine ou chaque mois il y a des jours fixs, o tous les
Grands doivent sassembler en habits de crmonie dans une des cours
du palais, pour lui rendre leurs hommages, quoiquil ne paraisse pas en
personne, & se courber jusqu terre devant son trne. Sil tombe
malade, & quil y ait craindre pour sa vie, lalarme est gnrale : on a
vu alors les mandarins de tous les ordres, sassembler dans une vaste
cour du palais, y passer le jour & la nuit genoux, pour donner des
marques de leur douleur, & pour obtenir du Ciel le rtablissement de sa
sant, sans craindre ni les injures de lair, ni la rigueur de la saison.
Lempereur souffre, cela suffit ; tout ltat souffre dans sa personne, &
sa perte est lunique malheur que ses sujets doivent craindre.
Au milieu des cours du palais imprial il y a un chemin pav de
grandes pierres, sur lequel lempereur marche quand il sort : si lon
passe par ce chemin, il faut se presser & courir assez vite ; cest une
marque de respect qui sobserve, lorsquon passe devant une personne
dun caractre distingu. Mais il y a manire de courir, & en cela les
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Chinois trouvent de la bonne grce, comme on en trouve en Europe
bien faire la rvrence. Cest quoi nos premiers missionnaires durent
sexercer, lorsquils allrent saluer le feu empereur leur arrive
Peking. Aprs avoir pass huit grandes cours, ils arrivrent son
appartement : il tait dans un cong (cest ainsi quon nomme de grands
salons isols o lempereur habite, qui sont ports sur des massifs de
marbre blanc.) Ce cong tait compos dune salle o il y avait un trne,
& dune chambre o il tait assis sur un can ou estrade lev de trois
pieds, qui prenait toute la longueur de la chambre. Le can tait couvert
dun simple feutre blanc : peut-tre affectait-il cette simplicit, parce
quil portait le deuil de son aeule : son vtement tait simplement de
satin noir doubl de fourrures de zibeline, tel que le portent la plupart
des officiers un peu considrables : il tait assis la tartare les jambes
croises. Il fallut faire le salut imprial tel quil se pratique, lorsquon a
audience de ce prince.
Aussitt quon est la porte, on se met courir avec grce jusqu
ce quon soit arriv au fond de la chambre, qui est vis--vis de
lempereur. Pour lors tant de front sur une mme ligne, on demeure
un moment debout, tenant les bras tendus sur les cts : ensuite
ayant flchi les genoux, on se courbe jusqu terre trois diffrentes
reprises. Aprs quoi on se relve, & un moment aprs on fait une
seconde fois les mmes crmonies, puis encore une troisime, jusqu
ce quon avertisse davancer, & de se tenir genoux aux pieds de
lempereur.
La couleur jaune est la couleur impriale qui est interdite tout
autre qu lui ; sa veste est parseme de dragons ; cest l sa devise, &
il ny a que lui qui les puisse porter cinq ongles ; si quelquun savisait
sans sa permission de sattribuer cette marque de dignit impriale, il
se rendrait coupable, & sexposerait au chtiment. Il date ses lettres,
ses dits, & tous les actes publics, des annes de son rgne & du jour
de la lune ; par exemple : De mon rgne le 16 le 6 de la quatrime
lune.
Les sentiments de la plus profonde vnration lgard de
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Description de lempire de la Chine Tome second
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lempereur, dans lesquels on lve les Chinois ds leur enfance, sont
bien fortifis par le pouvoir absolu & sans bornes que les lois lui
donnent. Lui seul est larbitre souverain de la vie & de la fortune de ses
p.011 sujets : ni les vicerois, ni les tribunaux, ni aucune cour souveraine,
ne peuvent faire excuter mort un criminel, si la sentence qui le
condamne, na t confirme par lempereur.
Les princes du sang imprial, quelque levs quils soient au-dessus
des autres, nont ni puissance ni crdit. On leur donne le titre de
rgulo, on leur assigne un palais, une cour, des officiers avec des
revenus conformes leur rang ; mais ils nont pas la moindre autorit
sur le peuple, qui cependant conserve pour eux le plus grand respect.
Autrefois lorsquils taient disperss dans les provinces, les officiers de
la couronne leur envoyaient leurs revenus tous les trois mois, afin que
le dpensant mesure quils le recevaient, ils neussent pas la pense
damasser, ni de faire des pargnes, dont ils auraient pu se servir pour
remuer & semer la division. Il leur tait mme dfendu sous peine de la
vie de sortir du lieu quon avait fix pour leur sjour. Mais depuis que
les Tartares sont matres de la Chine, les choses ont chang.
Lempereur a cru quil tait plus propos que tous les princes
demeurassent la cour & sous ses yeux. Outre les dpenses de leur
maison que Sa Majest leur fournit, ils ont des terres, des maisons, des
revenus ; ils font valoir leur argent par lindustrie de leurs domestiques,
& il y en a qui sont extraordinairement riches.
Ainsi tout lempire est gouvern par un seul matre. Cest lui seul qui
dispose de toutes les charges de ltat, qui tablit les vicerois & les
gouverneurs, qui les lve & les abaisse selon quils ont plus ou moins
de capacit & de mrite (car gnralement parlant, aucune charge ne
se vend dans lempire), qui les prive de leurs gouvernements, & les
destitue de tout emploi, ds quil est tant soit peu mcontent de leur
conduite. Les princes mme de son sang nen peuvent porter le nom
sans sa permission expresse, & ils ne lobtiendraient pas, sils sen
rendaient indignes par leur mauvaise conduite, ou par le peu
dattention quils apporteraient leurs devoirs.
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Description de lempire de la Chine Tome second
23
Cest lempereur qui choisit parmi ses enfants celui quil juge le plus
propre lui succder : & mme, lorsquil ne trouve point dans sa
famille des princes capables de bien gouverner, il lui est libre de fixer
son choix celui de ses sujets quil en croit le plus digne : on en a vu
des exemples dans les temps les plus reculs, & ces princes sont
encore aujourdhui lobjet de la vnration des peuples, pour avoir
prfr le bien public de ltat, la gloire & la splendeur de leur
famille.
Cependant depuis plusieurs sicles, lempereur a toujours nomm
un prince de son sang pour tre hritier de sa couronne. Ce choix
tombe sur qui il lui plat, pourvu quil ait un vrai mrite, & les talents
propres pour gouverner : sans quoi il perdrait sa rputation, &
causerait infailliblement du trouble ; au contraire si au lieu de jeter les
yeux sur lan, il en choisit un autre qui ait plus de mrite, son nom
devient immortel. Si celui qui a t dclar son successeur avec les
solennits ordinaires, scarte de la soumission quil lui doit ou tombe
dans quelque faute dclat, il est le matre de lexclure de lhritage, &
den nommer un autre la place.
Le feu empereur Cang hi usa de ce droit en dposant dune manire
clatante un de ses fils, le seul quil eut de sa femme lgitime, quil
avait nomm prince hritier, & dont la fidlit lui tait devenue
suspecte. On vit avec tonnement charg de fers, celui qui peu
auparavant marchait presque de pair avec lempereur ; ses enfants &
ses principaux officiers furent envelopps dans sa disgrce, & les
gazettes publiques furent aussitt remplies de manifestes, par lesquels
lempereur informait ses sujets des raisons quil avait eu den venir ce
coup dclat.
p.012 Les arrts de quelque tribunal que ce soit, ne peuvent avoir de
force quils ne soient ratifis par lempereur ; mais pour ceux qui
manent immdiatement de lautorit impriale, ils sont perptuels &
irrvocables ; les vicerois & les tribunaux des provinces noseraient
diffrer dun moment de les enregistrer, & den faire la publication dans
tous les lieux de leur juridiction.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Lautorit du prince ne se borne pas aux vivants, elle stend encore
sur les morts. Lempereur pour rcompenser ou leur mrite personnel,
ou celui de leurs descendants, leur donnent des titres dhonneur, qui
rejaillissent sur toute leur famille.
Ce pouvoir attach la dignit impriale, tout absolu quil est,
trouve un frein qui le modre, dans les mmes lois qui lont tabli. Cest
un principe qui est n avec la monarchie, que ltat est une grande
famille, quun prince doit tre lgard de ses sujets, ce quun pre de
famille est lgard de ses enfants, quil doit les gouverner avec la
mme bont & la mme affection ; cette ide est grave naturellement
dans lesprit de tous les Chinois. Ils ne jugent du mrite du prince & de
ses talents, que par cette affection paternelle envers les peuples, & par
le soin quil prend de leur en faire sentir les effets, en procurant leur
bonheur. Cest pourquoi il doit tre, selon la manire dont ils
sexpriment, le pre & la mre du peuple : il ne doit se faire craindre,
qu proportion quil se fait aimer par sa bont & par ses vertus : ce
sont de ces traits quils peignent leurs grands empereurs, & leurs livres
sont tous remplis de cette maxime.
Ainsi selon lide gnrale de la nation, un empereur est oblig
dentrer dans le plus grand dtail de tout ce qui regarde son peuple ; ce
nest pas pour se divertir quil est plac dans ce rang suprme : il faut
quil mette son divertissement remplir les devoirs dempereur, &
faire en sorte par son application, par sa vigilance, par sa tendresse
pour ses sujets, quon puisse dire de lui avec vrit, quil est le pre &
la mre du peuple. Si sa conduite nest pas conforme cette ide, il
tombe dans un souverain mpris. Pourquoi, disent les Chinois, le Tien
la-t-il mis sur le trne ? nest-ce pas pour nous servir de pre & de
mre ?
Cest aussi se conserver cette rputation, quun empereur de la
Chine studie continuellement : si quelque province est afflige de
calamits, il senferme dans son palais, il jene, il sinterdit tout plaisir,
il porte des dits par lesquels il lexempte du tribut ordinaire, & lui
procure des secours abondants ; & dans les dits il affecte de faire
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Description de lempire de la Chine Tome second
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connatre jusqu quel point il est touch des misres de son peuple : je
le porte dans mon cur, dit-il, je gmis nuit & jour sur ses malheurs, je
pense sans cesse aux moyens de le rendre heureux. Enfin il se sert
dune infinit dexpressions semblables, pour donner des preuves ses
sujets de la tendre affection quil a pour eux.
Lempereur rgnant a port son zle pour le peuple, jusqu
ordonner dans tout lempire, que si quelque endroit tait menac de
calamits, on len informt sur-le-champ par un courrier extraordinaire,
parce quil se croit responsable des malheurs de lempire, & quil veut
par sa conduite prendre des mesures pour apaiser la colre du Tien.
Un autre frein que les lois ont mis lautorit souveraine, pour
contenir un prince, qui serait tent dabuser de son pouvoir, cest la
libert quelle donne aux mandarins de reprsenter lempereur dans
de trs humbles & de trs respectueuses requtes, les fautes quil ferait
dans ladministration de son tat, & qui pourraient renverser le bon
ordre dun sage gouvernement. Sil ny avait aucun gard, ou sil faisait
ressentir les effets de son indignation au mandarin qui a eu le zle & le
courage de p.013 lavertir, il se dcrierait absolument dans lesprit de ses
peuples, & la fermet hroque du mandarin qui se serait ainsi sacrifi
au bien public, deviendrait le sujet des plus grands loges, &
immortaliserait jamais sa mmoire. On a vu la Chine plus dun
exemple de ces martyrs du bien public, que ni les supplices, ni la mort
nont pu retenir dans le silence, lorsque le prince scartait des rgles
dune sage administration.
Dailleurs la tranquillit de lempire, dpend entirement de
lapplication du prince faire observer les lois. Tel est le gnie des
Chinois, que si lui & son Conseil taient peu fermes, & moins attentifs
la conduite de ceux qui ont autorit sur les peuples, les vicerois, & les
mandarins loigns gouverneraient les sujets selon leur caprice, ils
deviendraient autant de petits tyrans dans les provinces, & lquit
serait bientt bannie des tribunaux. Alors le peuple, qui est infini la
Chine, se voyant foul & opprim, sattrouperait, & de semblables
attroupements seraient bientt suivis dune rvolte gnrale dans la
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Description de lempire de la Chine Tome second
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province. Le soulvement dune province se communiquerait en peu de
temps aux provinces voisines, lempire serait tout coup en feu, car
cest le caractre de cette nation, que les premires semences de
rbellion, si lautorit ne les touffe dabord, produisent en peu de
temps les plus dangereuses rvolutions. La Chine en fournit divers
exemples, qui ont appris aux empereurs, que leur autorit nest hors de
toute atteinte, quautant quils y veillent infatigablement, & quils
marchent sur les traces des grands princes qui les ont prcds.
Entre les marques de lautorit impriale, lune des plus considrables
est celle des sceaux quon emploie autoriser les actes publics, & toutes
les dcisions des tribunaux de lempire. Le sceau de lempereur est carr
& denviron huit doigts. Il est dun jaspe fin, qui est une pierre prcieuse
fort estime la Chine : il ny a que lui qui puisse en avoir de cette
matire. Cette pierre dont on fait le sceau de lempereur, & qui sappelle
yu che, se tire de la montagne Yn yu chan, cest--dire montagne du
sceau dagate.
Les Chinois content diverses fables de cette montagne : ils disent
entre autres choses, quautrefois le fong hoang ayant paru sur cette
montagne, se reposa sur une pierre brute, & quun habile lapidaire
layant casse, y trouva cette pierre fameuse, dont on fit le sceau de
lempire. Cet oiseau appel fong hoang est le phnix de la Chine ; cest
selon eux un oiseau de prosprit & le prcurseur du sicle dor, mais il
nexista jamais que dans leurs livres, & dans les peintures chimriques
quils en font.
Les sceaux quon donne par honneur aux princes, sont dor ; ceux
des vicerois, des grands mandarins ou magistrats du premier ordre,
sont dargent : ils ne peuvent tre que de cuivre ou de plomb pour les
mandarins ou magistrats & des ordres infrieurs. Quand ils lusent
force de sen servir, ils doivent en avertir le tribunal, qui leur en envoie
un autre, avec obligation de rendre lancien. La forme en est plus
grande ou plus petite selon les degrs des mandarins, & le rang quils
tiennent dans les tribunaux. Depuis ltablissement des Tartares la
Chine, les sceaux sont de caractres chinois & tartares, de mme que
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Description de lempire de la Chine Tome second
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les tribunaux sont composs dofficiers & de magistrats de ces deux
nations.
Quand lempereur envoie dans les provinces des visiteurs pour
examiner la conduite des gouverneurs, des magistrats, & des
particuliers, il leur donne chacun des sceaux pour les fonctions de leur
charge.
Un de ces visiteurs aprs avoir exerc pendant quelque temps son
emploi dans la province qui lui avait t assigne, disparut tout dun
coup, & quand on p.014 sadressait ses domestiques, ils rpondaient
quune maladie dangereuse ne permettait pas leur matre de recevoir
les plaintes ni les requtes de ceux qui venaient lui demander justice.
Un mandarin de ses amis se douta que ctait l une maladie feinte, &
craignant quune pareille ngligence ne lui nuist la cour, il va le
trouver. Aprs avoir t plusieurs fois rebut par les domestiques, il
trouve enfin le secret de pntrer dans le cabinet de son ami, & lui
demande par quelle raison il se tenait ainsi cach. Le visiteur ne
manqua pas de prtexter sa maladie.
Mais le mandarin peu crdule le pressa si fort, en lui protestant quil
le servirait au pril mme de sa vie, sil tait ncessaire, que le
magistrat se dtermina lui faire confidence de sa peine.
On ma vol, dit-il, les sceaux que javais reu de
lempereur & ne pouvant plus sceller les expditions, jai pris
le parti de me rendre invisible.
Le mandarin qui voyait les tristes suites dune affaire, o il ne
sagissait de rien moins que de perdre sa charge, sa fortune & celle de
sa famille lui demanda sil navait point dennemis.
Hlas, rpondit le visiteur en soupirant, cest ce qui
maccable & me dsespre. Le premier magistrat de la ville
sest dclar contre moi dans toutes les occasions o il a fallu
exercer les fonctions de ma charge ; il me dfrera
infailliblement la cour, aussitt quil saura que je nai plus
les sceaux, & je suis un homme perdu.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Suivez mon conseil, reprit le mandarin, qui tait un homme
desprit, faites transporter dans lappartement le plus recul
de votre palais tout ce que vous avez de plus prcieux, & sur
le commencement de la nuit, mettez vous-mme le feu cet
appartement & faites donner lalarme tout le quartier. Cet
officier ne manquera pas, selon le devoir de sa charge, de
venir donner ses ordres. Alors en prsence de tout le monde,
portez-lui le petit coffret o taient les sceaux & dites-lui que
nayant rien de plus prcieux que ce dpt de lempereur,
vous le mettez entre ses mains, pour le retirer quand vous en
aurez besoin. Si cest lui, Seigneur, ajouta-t-il, qui vous ait
fait enlever vos sceaux pour vous rendre un mauvais office, il
les remettra dans le coffre pour vous les rendre, ou vous
pourrez laccuser de les avoir perdus.
Laffaire russit comme le mandarin lavait prvu, & les sceaux furent
rendus au visiteur.
Les magistrats qui ont reu les sceaux de lempereur, les font porter
devant eux dans les grandes crmonies, ou lorsquils rendent visite
une personne qui ils veulent tmoigner du respect. Ils sont renferms
dans un coffre dor, & ports par deux hommes sur un brancard qui
prcde la chaise du mandarin. Quand il arrive dans le lieu o il va
rendre visite, on dresse un buffet quon couvre dun tapis, sur lequel on
pose le coffre o les sceaux sont renferms.
Si lempereur de la Chine est si puissant par la vaste tendue des
tats quil possde, il ne lest pas moins par les revenus quil en tire. Il
nest pas facile de dterminer au juste quelles sommes ils montent
car le tribut annuel se paie partie en argent, partie en denres. On le
tire de toutes les terres mme des montagnes, du sel, des soies, des
toffes de chanvre & de coton, & de diverses autres denres, des ports,
des douanes, des barques, de la marine, des forts, des jardins royaux,
des confiscations, &c.
Le tribut personnel de tous ceux qui ont vingt ans jusqu soixante,
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Description de lempire de la Chine Tome second
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monte des sommes immenses, cause du grand nombre des
habitants de lempire : on tient communment quautrefois il y avait
plus de 58 millions de personnes qui payaient ce tribut. Dans le
dnombrement qui se fit sous le feu empereur Cang hi au
commencement de son rgne, on trouva onze millions cinquante-deux
mille huit cent p.015 soixante douze familles ; & dhommes capables de
porter les armes, cinquante neuf millions sept cent quatre-vingt-huit
mille trois cent soixante-quatre. On ne compte ici ni les princes, ni les
officiers de la cour, ni les mandarins, ni les soldats qui ont servi &
obtenu leur cong, ni les lettrs, les licencis, les docteurs, ni les
bonzes, ni les enfants qui nont pas encore atteint lge de 20 ans, ni la
multitude de ceux qui demeurent sur les rivires ou sur mer, dans des
barques. Le nombre des bonzes monte beaucoup plus dun million. Il
y en a dans Peking au moins deux mille qui ne sont pas maris, & dans
les temples des idoles en divers endroits ; on en compte trois cent
cinquante mille tablis avec des patentes de lempereur. Le nombre des
seuls bacheliers est denviron quatre-vingt-dix mille. Mais depuis ce
temps-l o les guerres civiles & ltablissement des Tartares avaient
fait prir un peuple sans nombre, la Chine sest extrmement peuple
pendant la longue suite des annes quelle a joui dune paix profonde.
De plus on entretient dix mille barques aux frais de lempereur, qui
sont destines porter tous les ans la cour le tribut qui se paie en riz,
en toffes, en soies, &c. Lempereur reoit chaque anne quarante
millions cent cinquante-cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix sacs de
six vingt livres chacun, de riz, de froment & de mil ; un million trois
cent quinze mille neuf cent trente-sept pains de sel de 50 livres
chacun : Deux cent dix mille quatre cent soixante-dix sacs de fve, &
vingt-deux millions cinq cent quatre-vingt-dix-huit mille cinq cent
quatre-vingt-dix-sept bottes de paille pour la nourriture de ses
chevaux.
En toffes ou en soie, les provinces lui fournissent cent quatre-
vingt-onze mille cinq cent trente livres de soie travaille, & la livre est
de 20 onces ; quatre cent neuf mille huit cent quatre-vingt-seize livres
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Description de lempire de la Chine Tome second
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de soie non travaille ; trois cent quatre-vingt-seize mille quatre cent
quatre-vingts pices de toile de coton, cinq cent soixante mille deux
cent quatre-vingts pices de toile de chanvre ; sans compter la quantit
dtoffes de velours, de satins de damas, & autres semblables, le
vernis, les bufs, les moutons, les cochons, les oies, les canards, le
gibier, les poissons, les fruits, les lgumes, les piceries, les diffrentes
sortes de vins, qui sapportent continuellement au palais imprial. En
supputant tout ce que lempereur peroit & le rduisant nos livres de
France, tous ses revenus ordinaires sont estims denviron deux cents
millions de taels. Un tael est une once dargent qui vaut cent sols de
notre monnaie valeur intrinsque.
Lempereur peut encore imposer de nouveaux tributs sur ses
peuples, lorsque les besoins pressants de ltat le demandent ; mais
cest un pouvoir dont il nuse presque jamais, les tributs rgls tant
suffisants pour les dpenses quil est oblig de faire ; & bien loin davoir
recours aux subsides extraordinaires, il ny a gure dannes quil
nexempte quelque province de tout tribut, lorsquelle a t afflige de
la disette, ou de quelque autre calamit.
Comme les terres sont mesures, & quon sait le nombre des
familles, & ce qui est d lempereur, on na nulle peine dterminer
ce que chaque ville doit payer chaque anne. Ce sont les officiers des
villes qui lvent ces contributions : on ne confisque point les biens de
ceux qui sont lents payer, ou qui par des dlais continuels
chercheraient luder le paiement ; ce serait ruiner les familles ; cest
pourquoi depuis quon commence labourer les terres, ce qui se fait
vers le milieu du printemps jusquau temps de la rcolte, il nest pas
permis aux mandarins dinquiter les paysans : la prison ou la
bastonnade est le moyen dont on se sert pour les rduire.
p.016 On emploie encore un autre expdient : comme il y a dans
chaque ville un nombre de pauvres & de vieillards, qui sont nourris des
charits de lempereur, les officiers leur donnent des billets pour se
faire payer. Ils vont aussitt dans les maisons de ceux qui doivent le
tribut & si lon refuse de satisfaire, ils y demeurent, & sy font nourrir
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Description de lempire de la Chine Tome second
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autant de temps quil est ncessaire pour consommer ce qui tait du
lempereur.
Ces officiers rendent compte de leur recette au pou tching sse,
cest le trsorier gnral de la province, premier officier aprs le viceroi.
Ils sont obligs certains temps de lui faire tenir les deniers de leur
recette ; ils les envoient sur des mulets ; chaque mulet porte deux
mille taels dans deux espces de barils de bois fort longs, qui sont
ferms avec des crampons de fer. Le pou tching sse rend ses comptes
au Hou pou, qui est le second des tribunaux souverains de la cour :
cest ce tribunal qui est charg de tout ce qui concerne ladministration
des finances, & qui son tour en rend compte lempereur. Rien nest
mieux ordonn que limposition & la leve des tributs, si lon en excepte
quelques fraudes invitables, dont les petits officiers usent lgard du
peuple.
La Chine a cela de singulier, que lempereur est dans ses tats,
comme un grand chef de famille qui pourvoit tous les besoins de ses
officiers : cet usage qui na point vari parmi les Chinois, est assez
conforme ce qui se pratiquait anciennement dans la cour de nos rois,
o il se faisait des distributions de pain, de vin, de viandes, de
chandelles, & dautres choses semblables, quon nommait livraisons,
do est venu le nom de livre, pour les gens de service qui taient
dune mme livre ou dune mme distribution, cest--dire, qui
appartenaient au mme matre.
Une grande partie des deniers impriaux se consomme dans les
provinces, par les pensions, lentretien des pauvres, & surtout des
vieillards & des invalides, qui sont en grand nombre, les appointements
des mandarins, le paiement des troupes, les ouvrages publics. Le
surplus est port Peking, & est employ aux dpenses ordinaires du
palais & de la capitale o le prince rside, & o il nourrit plus de cent
soixante mille hommes de troupes rgles, sans compter leur solde qui
se paye en argent.
De plus, on distribue tous les jours dans Peking prs de cinq mille
mandarins, une certaine quantit de viande, de poisson, de sel, de
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Description de lempire de la Chine Tome second
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lgumes, &c, & tous les mois du riz, des fves, du bois, du charbon, &
de la paille ; tout cela se livre avec la dernire exactitude.
La mme chose sobserve lgard de ceux qui sont appels des
provinces la cour, ou que la cour envoie dans les provinces : ils sont
servis & dfrays sur toute la route eux & leur suite : on leur fournit
des barques, des chevaux, des voitures, & des htelleries entretenues
aux dpens de lempereur.
Voici comme la chose se pratique ; lorsquun mandarin est envoy
de la cour, on lui donne un cang ho, cest--dire, un ordre dpch de
la cour par le ping pou ou tribunal de la milice, scell du sceau de ce
tribunal, en vertu duquel les officiers des postes & des villes fournissent
sans dlai ce qui est port dans cet ordre & pour faire foi quils lont
excut, ils y apposent leur sceau. On fournit des hommes pour tirer
les barques, dautres pour porter les bagages, & cest lofficier gnral
des postes qui fait peser ces bagages, & qui donne autant dhommes
quil en faut pour les porter, raison de 50 livres chinoises par homme.
Les troupes que lempereur nourrit & entretient soit le long de la
grande muraille, soit dans toutes les villes & les p.017 places mures
montaient autrefois au nombre de sept cent soixante & dix mille
soldats : ce nombre dans la suite a t encore augment, & subsiste
toujours, car on ne fait point de rforme. Ils doivent servir de gardes, &
faire escorte aux grands mandarins, aux gouverneurs, aux officiers &
magistrats : ils les accompagnent mme dans leurs voyages, & pendant
la nuit ils font la garde autour de leur barque ou de leur htel. Ils ne
sont quun jour en exercice, parce que les soldats de chaque lieu o
arrive le mandarin, se succdent les uns aux autres, & ils retournent
leur poste aprs leur jour de service. Lempereur nourrit pareillement
environ cinq cent soixante-cinq mille chevaux pour monter la cavalerie,
& pour le service des postes & des courriers, qui portent ses ordres &
ceux des tribunaux dans les provinces.
Les ambassadeurs des puissances trangres sont aussi dfrays
aux dpens de lempereur, depuis le premier jour quils entrent sur les
terres de lempire, jusqu ce quils en soient sortis. Il leur fournit des
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Description de lempire de la Chine Tome second
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chevaux, des barques, & toutes les voitures ncessaires pour le
voyage : il fait toute la dpense de leur table, & quand ils sont arrivs
la cour, il les loge dans un palais, ou pour marque damiti il leur envoie
tous les deux jours des mets de sa table ; & quand il veut donner des
marques particulires de son affection, il envoie de temps en temps des
mets extraordinaires.
Je ne parle point des autres dpenses que fait lempereur pour tous
les ouvrages publics, qui peuvent servir ou lornement des villes, ou
la commodit des peuples, ni de celles que demande lentretien de son
palais, qui, quoique dun got bien diffrent de celui que nous avons de
larchitecture, ne laisse pas davoir quelque chose dauguste & de
convenable la majest dun si puissant prince. Lide quon en a dj
donne au commencement de cet ouvrage semblerait suffire ;
cependant sans rpter ce qui a t dit, je supplerai ce qui y
manque par une description plus dtaille quen a fait un des
missionnaires, qui eurent honneur dtre admis en sa prsence, & de le
saluer jusque dans son appartement.
Cest, dit-il, un amas tonnant de btiments, & une longue
suite de cours, de galeries, & de jardins, qui forment un tout
vritablement magnifique.
Comme la porte du midi ne souvre que pour lempereur, nous
entrmes par celle qui regarde loccident, & qui conduit une
vaste cour, qui est au midi par rapport au palais. Cette cour a
la figure dune double querre, chaque extrmit de laquelle
on voit un gros difice oblong double toit, dont ltage den
bas est perc en trois endroits en forme de porte de ville.
Cette cour a nord sud plus de deux cents pas gomtriques
de long, & la croise environ autant, elle est pave de grosses
briques poses de champ, avec des alles de pierres plates &
larges ; avant que dentrer dans une autre cour, il faut passer
un canal demi sec qui court est ouest, & qui est parallle
aux murs de cette seconde cour. Nous passmes ce canal sur
un des six ponts de marbre blanc, qui sont vers le milieu, vis-
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Description de lempire de la Chine Tome second
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-vis de cinq portes votes & ouvertes, sur lesquelles est un
gros difice avec une plate forme ou donjon double toit, qui
a plus de vingt pas gomtriques dpaisseur. A lentre &
la sortie du pont qui conduit la porte du milieu, il y a deux
grandes colonnes rondes de marbre blanc, dresses sur un
large pidestal entour dune balustrade de mme, avec deux
gros lions qui ont sept huit pieds de haut sur leur base,
lesquels semblent avoir t faits dun mme bloc.
Les portes conduisent vers le nord dans la seconde cour dont
je parle, qui na gure que cent pas gomtriques p.018 de
longueur, & environ la moiti de largeur. A lentre de cette
cour, on trouve deux autres colonnes de marbre blanc ornes
de dragons en relief, avec deux petites ailes un peu au-
dessous dun chapiteau plat & fort large.
De l on passe dans une troisime deux fois plus longue que
la seconde, & un peu plus large. On y entre par cinq portes
semblables aux prcdentes, sur lesquelles porte un gros
difice de mme structure. Ces portes sont paisses &
couvertes de lames de fer, qui y sont attaches par plusieurs
rangs de clous de cuivre, dont la tte est plus grosse que le
poing. Tous les difices du palais sont poss sur un socle
hauteur dhomme, bti de grosses pierres de marbre dun gris
rousstre, mal polies, & ornes de moulures.
Toutes ces cours sont entoures ddifices fort bas, &
couverts de tuiles jauntres. Au fond de cette troisime cour,
on voit un assez long difice flanqu de deux pavillons qui
touchent deux ailes, lesquelles sont termines par deux
autres pavillons semblables aux premiers, cest--dire, qui
sont double toit, & environns de leurs galeries, de mme
que les ailes & le fond de cet difice, qui est lev sur une
plateforme de brique avec son parapet & ses petites
embrasures, laquelle a environ trente-cinq pieds de haut. Le
bas de la plateforme, jusqu six pieds hors du rez-de-
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Description de lempire de la Chine Tome second
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chausse est bti de marbre. Le fond est perc de trois
ouvertures votes, & qui se ferment par trois portes
semblables aux prcdentes, avec cette diffrence, que les
clous & les ferrures en sont dors.
Il y avait plusieurs gardes cette porte, & entre autres un
colao ou ministre dtat, qui ayant t accus davoir reu
sous main de largent dans ladministration de sa charge, fut
condamn garder cette porte du palais, avec une compagnie
de soldats dans laquelle on lavait enrl. Ceux qui passaient
devant lui, ne laissaient pas de le saluer & de flchir le
genoux, respectant encore, nonobstant ltat humiliant o il
se trouvait, cette haute fortune dont il venait de dchoir.
Aprs avoir pass ces trois cours qui nont rien de bien
remarquable que leur tendue, nous entrmes dans une
quatrime, qui a environ quatre-vingts pas gomtriques en
carr. Cette cour est tout fait riante ; elle est environne de
galeries interrompues despace en espace par des petits
salons tout ouverts & plus exhausss, vis--vis desquels il y a
des escaliers avec leurs rampes de marbre blanc, qui rgnent
presque tout autour. Cette cour est coupe dans sa largeur
par un petit canal revtu de marbre blanc ; les bords sont
orns de balustrades de la mme forme. On passe ce canal
sur quatre ou cinq ponts dune seule arcade. Ces ponts sont
de marbre blanc, embellis de moulures & de bas reliefs. Dans
le fond de la cour est un grand & magnifique salon fort
propre, o lon monte par trois grands escaliers, avec leurs
rampes ornes des mmes balustrades.
Suit une cinquime cour peu prs de la mme forme & de la
mme grandeur : elle a nanmoins quelque chose qui frappe
davantage : on y voit un grand perron carr triple tage, &
bord chaque tage de balustrades de marbre blanc ; ce
perron occupe prs de la moiti de la longueur de la cour, &
prs des deux tiers de sa largeur. Il a environ dix-huit pieds
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Description de lempire de la Chine Tome second
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de haut, & est bti sur un socle siamois de marbre plus
grossier, qui est haut de plus de six pieds. On monte sur ce
perron par trois escaliers : celui du milieu est le plus
considrable. Huit gros vases ou cassolettes de bronze hautes
denviron sept pieds, ornent le haut du perron, au bas duquel,
proche du matre escalier, il y a deux grosses figures de lion
de bronze. Ce perron est vis--vis une grande & magnifique
salle, o lempereur reoit les p.019 mmoriaux, les requtes,
ou placets que les mandarins des tribunaux souverains
viennent lui prsenter chaque jour, aprs avoir fait leurs
prosternements accoutums au bas de lescalier.
On passe ensuite deux autres cours assez peu diffrentes de
cette dernire : elles ont des perrons de la mme forme & de
la mme grandeur, & sont entoures ddifices semblables,
avec les escaliers & les balustrades qui rgnent autour.
Lorsque nous emes travers la seconde de ces cours, on
nous conduisit par une porte qui est ct sur la droite, dans
une autre cour longue denviron deux cents pas : cest une
espce dhippodrome, au bout duquel on entre main gauche
dans une grande salle ouverte. Nous y trouvmes des gardes,
& nous y attendmes quelque temps le mandarin qui devait
venir nous prendre, pour nous introduire dans lappartement
de lempereur.
Enfin on vint nous chercher, & lon nous fit entrer dans une
neuvime cour un peu plus petite, mais du moins aussi
magnifique. Au fond se voit un grand difice de figure
oblongue, double toit de mme que les prcdents, &
couvert pareillement de tuiles vernisses de jaune. Une
espce de chemin ou de leve, haute de six ou sept pieds,
borde de balustres de marbre blanc, & pave de mme,
conduit ce palais o est lappartement de lempereur. Il ny
a que lui qui puisse passer par cet endroit, ainsi que par le
milieu des autres cours.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Tout brille dans ce palais, par lclat que donnent les
ornements de sculpture, le vernis, les dorures, & les
peintures. Au fond de ce grand difice rgne une espce de
plateforme, pave de grands carreaux dun trs beau marbr
jasp, poli comme une glace, & dont les morceaux sont
tellement unis, qu peine peut-on distinguer lendroit o ils
se joignent.
A lentre de la grande salle, se trouve une porte qui conduit
dans une grande chambre carre, o lempereur tait assis
sur une estrade la manire tartare. Cette chambre tait
pave de marbre, les poutres taient portes par des
colonnes de bois vernisses de rouge, & engages de telle
sorte dans le mur, quelles taient de niveau avec la surface.
Nous fmes les crmonies ordinaires, cest--dire, que nous
nous rangemes sur une mme ligne vis--vis de lempereur ;
que nous nous mmes genoux trois reprises, & qu
chacune nous nous courbmes trois fois jusqu terre. Ctait
une grande faveur quil nous faisait de recevoir en personne
ces marques de notre respect : quand les mandarins des six
Cours souveraines, de cinq en cinq jours, au premier jour de
lan, & au jour de la naissance de lempereur, viennent faire la
mme crmonie, ce prince nest presque jamais prsent, &
est quelquefois bien loign de lendroit du palais o ils
rendent leurs hommages.
Aprs avoir satisfait ce devoir, nous approchmes de sa
personne, & nous tant mis genoux de ct & sur une
mme ligne il sinforma de notre nom, de notre ge, de notre
patrie, & nous entretint avec une douceur & une affabilit,
quon admirerait dans tout autre prince que dans un
empereur de la Chine.
On ne peut nier que cette suite de cours de plein pied & sur
une mme ligne, que cet assemblage, quoique confus &
informes, de corps de logis, de pavillons, de galeries, de
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Description de lempire de la Chine Tome second
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colonnades, de balustrades, & de degrs de marbre, que cette
multitude de toits couverts de tuiles dun vernis jaune si
luisant & si beau, que quand le soleil y donne, ils paraissent
dors, on ne peut nier, dis-je, que tout cela ne prsente la
vue je ne sais quoi de magnifique, qui frappe, & qui donne
connatre que cest le palais dun grand empereur.
Si lon y ajoute les cours, quon y a pratiques sur les ailes
pour les offices, p.020 & les curies, les palais des princes du
sang, ceux de limpratrice & des femmes, les jardins, les
tangs, les lacs, les bois o lon nourrit toutes sortes
danimaux, tout cela paratra avoir quelque chose de singulier.
Ce nest pourtant l que le palais intrieur du prince, qui est
spar par une grande muraille du palais extrieur, lequel est
ferm dun mur lev & fort pais, & qui a environ deux lieues
de circuit. Cest comme une petite ville o logent les diffrents
officiers de la cour, & un grand nombre douvriers de toutes les
sortes, qui y sont entretenus pour le service de lempereur.
Fort prs de Peking se voit la maison de plaisance des anciens
empereurs : elle est dune tendue prodigieuse : car elle a bien de tour
dix lieues communes de France ; mais elle est bien diffrente des
maisons royales dEurope. Il ny a ni marbre, ni jets deau, ni murailles
de pierre : quatre petites rivires dune belle eau larrosent ; leurs bords
sont plants darbres. On y voit trois difices fort propres & bien
entendus. Il y a plusieurs tangs, des pturages pour les cerfs, les
chevreuils, les mules sauvages, & autres btes fauves ; des tables pour
les troupeaux, des jardins potagers, des gazons, des vergers, & mme
quelques pices de terre ensemences ; en un mot tout ce que la vie
champtre a dagrment sy trouve. Cest l quautrefois les empereurs
se dchargeant du poids des affaires, & quittant pour un temps cet air de
majest qui gne, allaient goter les douceurs dune vie prive.
Cependant ces empereurs ne sortaient que rarement de leur palais,
& moins ils se montraient leurs peuples, plus ils croyaient se concilier
de respect. Les Tartares qui occupent maintenant le trne, se sont
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Description de lempire de la Chine Tome second
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humaniss, & sans trop scarter du gnie de la nation, ils sont devenus
beaucoup plus populaires.
Lorsque lempereur sort de son palais, la coutume est quil soit
accompagn dune grande partie des seigneurs de sa cour. Tout brille
dans ce cortge, les armes, les harnois des chevaux, les banderoles, les
parasols, les ventails, & toutes les autres marques de la dignit
impriale. Ce sont les princes & les seigneurs qui ouvrent la marche, &
qui sortent les premiers cheval ; ils sont suivis des colao, ou
principaux ministres, & des grands mandarins : ils marchent sur deux
ailes & assez prs des maisons, de sorte quils laissent toute la rue
libre. On porte aprs eux 24 bannires de soie jaune, qui est la livre
de lempereur, brodes de dragons dor, qui sont comme ses armoiries.
Ces bannires sont suivies de 24 parasols de mme couleur, & dautant
de grands ventails fort riches & fort prcieux. Les gardes du corps sont
tous vtus de jaune, avec des espces de casque en tte, & une sorte
de javelot ou demie pique dore, termine en haut par la figure dun
soleil ou dun croissant, ou de la tte de quelque animal. Douze
estafiers vtus des mmes couleurs, portent sur leurs paules la chaise
de lempereur qui est superbe. Il y a en divers endroits sur la route un
grand nombre de ces estafiers, pour le relever dans la marche. Une
troupe de musiciens, de trompettes, & de joueurs dinstruments
accompagnent lempereur, & font grand bruit. Enfin un grand nombre
de pages & de valets de pieds ferment la marche.
Mais comme les empereurs maintenant sortent plus souvent de leur
palais, ils se dlivrent volontiers de lembarras que cause un si grand
cortge. Quand lempereur Cang hi visitait les provinces mridionales, il
montait une barque neuve & faite exprs pour son voyage, accompagn
de ses enfants, de grands seigneurs, & dune infinit dofficiers de
confiance ; il y avait tant de troupes sur sa route, quil semblait
marcher au milieu dune arme. Alors il allait petites journes,
sarrtant de p.021 temps en temps pour examiner par lui-mme, & se
faire rendre un compte exact de tout ; mais en retournant Peking, sa
barque marchait jour & nuit.
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Description de lempire de la Chine Tome second
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Je ne dis rien de ses voyages en Tartarie, lorsquil y allait prendre le
divertissement de la chasse, cest alors quil marchait vritablement la
tte dune arme, & lon et dit quil allait la conqute dun empire. Je
dcris ailleurs la magnificence qui clatait dans le train, dans les habits,
dans les tentes & les quipages de ce prince, & de tous les Grands de sa
suite : ainsi sans my arrter prsent, je ne parlerai que de lclat & de
la pompe, avec laquelle il allait offrir solennellement des sacrifices dans
le temple du Tien. Le dtail que jen tire de la relation quen a fait le P.
Magalhaens est dautant plus sr, que lordre de ces sortes de
crmonies, est rgl de tous les temps, & sobserve invariablement.
Cette marche commence par 24 tambours rangs en deux files, &
24 trompettes. Ces trompettes sont faites dun bois fo