et andrzej wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers...

12
et Andrzej Wajda. Une histoire subjective de la Pologne. Projection du film et rencontre des élèves du Lycée Français de Varsovie avec le réalisateur. Lundi 7 avril 2008. Enseignants : A. LEONARD, F. MAGNONE, A. & B. SUBKO Partenaires :

Upload: leliem

Post on 15-Sep-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

et Andrzej Wajda.

Une histoire subjective de la Pologne.

Projection du film et rencontre des élèves du

Lycée Français de Varsovie avec le réalisateur. Lundi 7 avril 2008.

Enseignants : A. LEONARD, F. MAGNONE, A. & B. SUBKO

Partenaires :

Page 2: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

6 dates pour comprendre

On désigne sous le nom de « massacre de Katyń » l’exécution durant la Seconde guerre mondiale de 21857 Polonais. Si ce massacre s’est révélé être si atroce, ce n’est pas tant par le nombre lui-même de victimes (faible comparé à d’autres crimes de la période), que par le statut des fusillés (des prisonniers de guerre à majorité réservistes) et le fait qu’il ait fallu attendre 1992 pour connaître avec certitude les principaux coupables. 17 septembre 1939 : l’URSS envahit à son tour la Pologne

Du côté allemand Du côté soviétique

Un pacte de non-agression est signé entre Hitler et Staline (et leurs ministres Ribbentrop et Molotov) le 23 août 1939 pour une durée de 10 ans, prévoyant le partage de l’Europe en deux sphères d’influence et la division du territoire polonais en deux Dès le 1er septembre, Hitler lance ses troupes contre la Pologne, sans déclaration de guerre. Cracovie est prise le 6, tandis que le gouvernement s’enfuit vers l’est, puis le sud-est.

Après avoir préparé la version officielle à dicter aux dirigeants des partis communistes occidentaux, acquis jusque là au soutien des pays agressés par les forces fascistes, les Soviétiques lancent l’attaque sur la Pologne le 17 septembre, sans déclaration de guerre, officiellement pour défendre les territoires de l’est du pays face à l’avancée allemande. Pour les Polonais, il s’agit d’un quatrième partage du pays. Le président polonais Mościcki, le maréchal Rydz-Śmigły et tout le gouvernement se réfugient en Roumanie et ordonnent par radio aux troupes de passer en Roumanie ou en Hongrie pour gagner la France, ce qui est perçu par nombre de Polonais comme une trahison.

Le nord et l’ouest du pays sont annexés au Reich, tandis que le reste de la Pologne, incluant Varsovie et Cracovie, devient le « Gouvernement Général ». Entre la fin d’octobre et le début de novembre 1939, les alliés allemands et soviétiques échangent des prisonniers de guerre polonais : 43 000 soldats (mais pas les officiers et sous-officiers) qui résidaient dans la partie allemande de la Pologne sont livrés aux Allemands alors que ces derniers livrent aux Soviétiques environ 14 000 militaires fait prisonniers dans les territoires orientaux.

En se préparant à l’invasion de la Pologne, les 7 membres du Politburo du Comité Central du Parti Communiste d’Union Soviétique (Staline, Molotov, Beria, Kaganovitch, Kalinine, Mikoyan et Vorochilov) avaient déjà envisagé le problème des prisonniers de guerre. Deux jours après l’agression du pays, une « Direction du NKVD pour les affaires des prisonniers de guerre » fut créée. Elle était chargée de superviser directement tant l'organisation des camps que le déplacement, la surveillance, les interrogatoires et l'utilisation des prisonniers pour le travail. Le commandant Piotr Soprounenko, employé au secrétariat de Lavrenti Beria, fut nommé pour la diriger ; le commissaire Semen Nekhorochev, un des chefs du système des goulags, fut nommé chef du Département politique. Moscou, qui n’a pas signé la convention de Genève qui accorde des droits aux prisonniers, libère les soldats polonais de Pologne orientale et relâche ceux que l’Allemagne lui livre. Mais officiers et sous-officiers sont gardés en captivité. Les sous-officiers, bien qu’assimilés aux officiers, étaient pour la plupart des réservistes (avocats, journalistes, scientifiques, médecins, pharmaciens, professeurs, artistes, ingénieurs…) qui avaient été mobilisés en catastrophe à la suite des invasions non déclarées. Il en va de même pour la plupart des agents de police, gendarmes et gardien de prison, que l’on a assigné à ces tâches au début de la guerre car ils étaient des ouvriers et des paysans inaptes à servir dans l’armée.

Page 3: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

novembre 1939 : occupation allemande à l’ouest et soviétique à l’est

Du côté allemand Du côté soviétique L'Office central de sécurité du Reich, le RSHA, décide le 17 octobre 1939 la « liquidation physique de tous les éléments polonais a) qui par le passé ont occupé une quelconque responsabilité en Pologne, b) qui pourraient prendre la tête d'une résistance polonaise ». Sont en particulier visés les enseignants, les prêtres, les médecins, les dentistes, les vétérinaires, les officiers, les commerçants importants, les grands propriétaires fonciers, les journalistes, les écrivains et toutes les personnes ayant fait des études. Les nazis ferment les établissements d’enseignement supérieur et secondaire et, dans les territoires incorporés au Reich, toutes les écoles polonaises. Ainsi, le 6 novembre 1939, lors de la « Sonderaktion Krakau », 183 professeurs, assistants et chargés de cours de l'université de Cracovie, rassemblés pour écouter une prétendue conférence du Obersturmbannführer Doktor Bruno Müller, sont arrêtés par les SS et déportés dans les camps de concentration de Sachsenhausen et de Dachau (où 15 périssent). L’Université Jagellonne et sa bibliothèque sont fermées par la Gestapo. Dans le Gouvernement Général, Gestapo et SS opèrent en toute impunité, hors des lois du Reich et de l’influence de la Wehrmacht.

Les prisonniers polonais sont rassemblés dans trois monastères orthodoxes désaffectés transformés en camps. Kozelsk se trouve dans la province de Smolensk ; c'est là qu'est emprisonné le capitaine Edward Herbert, grand-oncle de Zbigniew Herbert, qui lui dédiera le poème Guziki, auquel Wajda fait allusion dans son film. Starobilsk est situé dans l'est de l'Ukraine, dans la province de Vorochilovgrad ; c'est là qu'est enfermé le père de Andrzej Wajda. Le dernier camp est localisé dans une île du lac Seliger, près d'Ostashkov (dans la province de Kalinine). D’autres se trouvent dans les prisons d'Ukraine et de Biélorussie occidentales. Dans les zones occupées par l’Armée rouge, la propagande soviétique tente de faire passer son invasion pour une action de défense des territoires de l’est face à l’avancée allemande. Les Polonais reçoivent automatiquement la citoyenneté soviétique. *

24 décembre 1939 : le premier Noël de la guerre

Du côté soviétique Décemment traités - sauf ceux d'Ostashkov – les prisonniers restent en « observation » (on cherche à repérer les plus dangereux ennemis du régime soviétique mais aussi de potentiels collaborateurs) et sont même soumis à une campagne de « rééducation » (projection de films de propagande…). Mais les autorités leur laissent célébrer Noël. Ce qui rend un certain nombre d’entre eux optimistes, persuadés que la France et l’Angleterre ne peuvent pas se priver de 20 000 officiers et feront donc tout pour les récupérer. D'autres préfèrent tenir secrètement le journal des événements, au cas où il leur arriverait malheur ; on a ainsi retrouvé le journal qu'Adam Solski gardait sur lui. La décision d’éliminer ces officiers mûrit vers la fin de février 1940 au sein des dirigeants soviétiques. L'URSS est en train d'envahir plus de la moitié de la Pologne et les dirigeants soviétiques sont déterminés à éliminer ces membres de la nation qui, dans le futur, pourraient mener la lutte pour la résurrection de leur patrie. Cette conviction est renforcée par le fait que la plupart des prisonniers ne sont pas des officiers de carrière, mais des réservistes ; ils sont donc des représentants d'une intelligentsia polonaise, considérée comme un vivier potentiel de chefs de la résistance. Le 2 mars, le Politburo approuve la proposition présentée par Beria et par le premier secrétaire du Parti communiste ukrainien, Nikita Khrouchtchev, d'« effectuer la déportation de toutes les familles de prisonniers de guerre ». Les membres de ces familles (en priorité les épouses) ont été repérés par le courrier envoyé et sont déportés au Kazakhstan pour une période de 10 ans (ce qui équivaut souvent à une condamnation à mort). L'invraisemblable cruauté de la punition laisse présager ce que sera la nature de la sentence frappant les officiers eux-mêmes.

Page 4: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

Printemps 1940 : l’extermination concertée des élites polonaises

Du côté allemand Du côté soviétique L'Allemagne nazie envahit la Norvège afin de sécuriser le transport du fer suédois. Les 5 600 soldats allemands réfugiés dans les montagnes enneigées qui bordent Narvik résistent aux 24 500 soldats alliés jusqu'au départ de ceux-ci, réquisitionnés pour la bataille de France. De janvier à mars 1940 ont lieu plusieurs rencontres entre les représentants du NKVD et de la Gestapo pour décider des mesures visant à supprimer « la propagande polonaise ». Les résultats des conférences communes qui se tiennent en mars 1940 à Cracovie sont d'un intérêt particulier. On a posé à cette occasion le problème du traitement de l'élite politique et culturelle sur les territoires polonais désormais sous contrôle allemand ou soviétique. L'opération AB vise à éliminer la classe dirigeante et l'intelligentsia polonaise, parallèlement aux opérations soviétiques : environ 15 000 prêtres, enseignants et chefs politiques sont déportés à Dachau ou fusillés dans la forêt de Palmiry. Les nazis décident de construire à Auschwitz un camp de concentration pour l'élite polonaise - qui sera ensuite utilisé pour l'extermination des juifs.

Face aux ordres de « désengorger » les camps, Beria, le chef du NKVD, propose à Staline le 5 mars 1940 l’extermination massive des prisonniers de guerre polonais. Sur quatre feuillets dactylographiés, il énumère les « ennemis jurés du pouvoir soviétique » polonais détenus par le NKVD qui « méritent la peine capitale - par fusillade ». A la suite de ce rapport, le Politburo dicte le 5 mars 1940 l'ordre au NKVD d' « examiner » le cas des prisonniers de guerre polonais « sans faire comparaître en jugement les détenus et sans formuler d'accusation, sans étayer par aucun document ni la conclusion de l'instruction ni l'acte d'accusation », appliquant à leur égard « la plus haute mesure punitive : l'exécution [par fusillade] ». L'ordre donne aux officiers de rang moyen du NKVD une certaine liberté de transférer certains prisonniers « présentant un intérêt opérationnel », autrement dit qui sont d'une certaine utilité pour les Soviétiques, dans les autres camps. 448 prisonniers sont ainsi épargnés, c'est-à-dire 3 % de la population entière des camps. Les militaires polonais emprisonnés ont cessé depuis avril 1940 (le 23 au plus tard), d’échanger des lettres avec leurs familles. Les lettres adressées à ces officiers sont retournées aux expéditeurs avec un tampon marqué « retour, destinataire parti ».

Les listes de membres des familles des officiers polonais dans les camps soviétiques comprennent également les familles qui habitent sur les territoires sous occupation allemande et ne peuvent être arrêtées par les Soviétiques. Les deux régimes totalitaires travaillent donc avec une égale rigueur à réduire les Polonais au rang de nation sans chefs et sans amis.

C’est en mars-avril 1940 qu’une commission spéciale examine le cas de tous les prisonniers. Des groupes de 100-150 prisonniers sont confiés aux commandants des régions du NKVD de Smolensk, de Charkiv et de Kalinin. Sans explication aucune, les prisonniers commencent à être évacués vers une destination inconnue. Chaque matin, la liste nominative des partants est téléphonée de Moscou, après quoi une demi-heure est laissée à chacun pour rassembler ses effets avant de s'engouffrer dans des fourgons cellulaires. Les militaires polonais du camp de Kozelsk sont acheminés en gare de Gnezdovo puis emmenés en fourgon au bois de Katyń, où ils sont abattus au bord et à l’intérieur des fosses communes.

Les détenus du camp d'Ostashkov sont quant à eux exécutés au siège du NKVD à Kalinine ; 250 prisonniers sont abattus de nuit, un par un, d'une seule balle dans la nuque par un trio de tueurs. On connaît le nom de tous les exécuteurs du NKVD car le 26 octobre 1940 Beria leur a remis une prime pour les récompenser.

Page 5: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

CAMP DE DETENTION

LIEU D’EXECUTION

LIEU D’INHUMATION

NOMBRE DE VICTIMES

STATUT DES VICTIMES***

Kozelsk Katyn

Smolensk ? Katyn 4 421

Starobilsk Charkiv Piatykhatky* 3 820

Ostashkov Tver (Kalinin) Mednoye* 6 311

Généraux, colonels et lieutenants-colonels : 2 % Commandants et capitaines : 14 % Lieutenants, sous-lieutenants et aspirants : 41 % Officiers et sous-officiers de la police, des gardes frontières et de la gendarmerie : 7 % Agents de police, gendarmes, gardiens de prison et agents de renseignement : 35 % Fonctionnaires, propriétaires terriens, prêtres et colons des régions frontalières : 1 %

PRISON LIEU

D’EXECUTION LIEU

D’INHUMATION NOMBRE DE VICTIMES

STATUT DES VICTIMES***

Prisons de Biélorussie

Minsk ? Kurapaty ?

Prisons d’Ukraine

Kiev ? Cherson ?

Bykivnia*

7 305**

Anciens officiers : 6 % Anciens agents de renseignement, de la police et de la gendarmerie : 28 % Espions et saboteurs : 2 % Anciens propriétaires terriens, propriétaires d’usine et fonctionnaires : 2 % Membres d’organisations contre-révolutionnaires de résistance et éléments divers : 29 % Transfuges : 33 %

* Ces lieux n’ont été découverts qu’à partir de 1990 ** Parmi les documents transmis par les autorités russes à la Pologne figure un document daté du 3 mars 1959 dans lequel Khrouchtchev accepte la proposition du chef du KGB, Chelepine, de détruire les fiches individuelles des 21 857 prisonniers polonais exécutés en 1940. Ce chiffre, croisé avec ceux de 1940, permet de connaître le nombre d’exécutions dans les prisons. *** D’après les documents secrets établis par les Soviétiques en 1940

Tylko guziki nieugięte przeleciał ptak przepływa obłok przetrwały śmierć świadkowie zbrodni upada liść kiełkuje ślaz z głębin wychodzą na powierzchnię i cisza jest na wysokościach jedyny pomnik na ich grobie i dymi mgłą katyński las

są aby świadczyć Bóg policzy tylko guziki nieugięte i ulituje się nad nimi potężny głos zamilkłych chórów lecz jak zmartwychstać mają ciałem tylko guziki nieugięte kiedy są lepką cząstką ziemi guziki z płaszczy i mundurów

Zbigniew Herbert, Guziki

Page 6: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

13 avril 1943 : les Allemands annoncent la découverte des corps

Du côté allemand Du côté soviétique

Un tournant se produit en juin 1941, lorsque Hitler lance son armée à travers tout le territoire polonais pour attaquer l’URSS. Après une entrevue à Londres entre Sikorski et un représentant soviétique, un traité est signé le 30 juillet 1941 qui prévoit l’amnistie des prisonniers de guerre et la formation d'une armée polonaise sur le territoire soviétique. Mais lorsque le général Anders, libéré peu après d'une

prison moscovite, entreprend de mettre sur pied l’armée polonaise, il éprouve les plus grandes peines à rassembler les personnes internées en septembre 1939. Le gouvernement et l’opinion publique polonaise soupçonnent de plus en plus les Soviétiques d’avoir assassiné les prisonniers. Les 448 personnes qui avaient été transférées au printemps 1940 rejoignent le général Anders mais ignorent le sort de leurs compagnons de captivité. Parmi les rescapés, figurent le comte Józef Czapski (voir ses livres Souvenirs de Starobielsk, Proust contre la déchéance et Terre inhumaine) et Gustaw Herling-Grudziński (Un Monde à part), qui s’installeront en 1945 en France où il deviendront des figures de l'intelligentsia polonaise en exil.

Dans la nuit du 12 au 13 avril 1943, la radio allemande annonce la découverte, dans la forêt de Katyń, d'un charnier contenant les corps de plusieurs milliers d'officiers polonais : « Il a été trouvé un fossé de 28 mètres sur 16 dans lequel étaient empilés en douze couches les cadavres de 3000 officiers polonais. […] Il n'y aura aucune difficulté à identifier ces cadavres, car, grâce à la nature du terrain, ils sont complètement momifiés et les Russes ont laissé sur eux tous leurs papiers personnels. » Le 15 avril, les journaux Goniec Krakowski et Kurier Warszawski publient à la Une la découverte des corps d’officiers polonais, tandis que la radio diffuse la liste des disparus. Aniela Wajda, la mère de Andrzej Wajda (qui vient d'avoir 17 ans), apprend qu'on a retrouvé le corps d'un dénommé Wajda, né en 1900 comme son mari mais prénommé Karol et non Jakub. Pour elle c'est un signe : elle se nourrie d'illusions jusqu'à sa mort en 1950, écrivant à la Croix-Rouge, en Suisse, à Londres.

Après deux jours de silence, le 15 avril, Radio-Moscou repousse les accusations en dénonçant les « monstrueuses calomnies » de la propagande allemande et donne sa propre version des faits : ce sont les « bandits germano-fascistes » qui auraient assassiné les officiers polonais, tombés entre leurs mains en 1941, alors qu'ils étaient « affectés à des travaux de construction dans la région de Smolensk ».

Page 7: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

Les nazis, dont la situation militaire se détériore progressivement, cherchent pourtant à exploiter au maximum leur « découverte » à des fins de propagande. Ils amènent à Katyń des prisonniers de guerre anglais et américains, font venir des journalistes et un haut représentant français (Mr de Brinon) et surtout y invitent une commission internationale d'experts en médecine légale ainsi que des délégués de la Croix-Rouge polonaise. Le tout est filmé dans un documentaire de 16 minutes « Im Wald von Katyn » (distribué à toutes les chaînes occidentales) et photographié dans un album appelé « Amtliches Material zum Massenmord von Katyn ». Mis à part les délégués de la Croix-Rouge polonaise (qui travaillent de manière autonome et ne publient pas leurs conclusions), seul un professeur (le Suisse François Naville) est ressortissant d'un pays non allié à l'Allemagne. Une autre ombre figure au tableau de la propagande nazie : les cartouches et les balles retrouvées sur place sont d'origine allemande. Les Allemands tentent de dissimuler ce fait ou admettent avec embarras que l'Allemagne a, après le traité de Versailles, exporté de grandes quantités de ces munitions vers l’URSS, la Pologne et les pays baltes. Autre motif d'inquiétude pour les Allemands, malgré la poursuite des fouilles, le nombre de cadavres polonais retrouvés plafonne obstinément à 4 500. Or la propagande allemande, informée du nombre total d'officiers disparus, avait très vite relevé à 10 000-12 000 ses estimations initiales. L'écart paraît suspect. Les Allemands se mettent donc à rechercher fiévreusement de nouvelles fosses communes ; mais les travaux de fouille sont interrompus début juin par l'arrivée des grandes chaleurs et le rapprochement du front. Les objets sont ramenés en Pologne pour être étudiés et rendus aux familles. Les services de la Propaganda Abteilung leur demandent en échange d’enregistrer des déclarations préécrites accusant les Soviétiques du crime. Dans le Gouvernement Général, le mouvement de résistance de l’Armia Krajowa multiplie les actions d’envergure : déboulonnage des voies ferrées, sabotage de ponts et d’avions, libération de prisonniers, attaque de banques, assassinats de dignitaires nazis… Le lent mais inéluctable retour de l’Armée rouge vers l’ouest pousse l’AK à redoubler d’efforts pour affirmer l’autorité exclusive de ses structures aux yeux des Soviétiques.

Dès septembre 1943, après la libération de Smolensk par l'Armée rouge, Moscou dépêche à Katyń une « commission spéciale » d'enquête, où ne figurent que des Soviétiques. Parallèlement, Moscou constitue, avec les Polonais restés en URSS, une force militaire ; la division Kościuszko sous le commandement du général Zygmunt Berling devient le 1er corps militaire polonais en URSS. Les rapports avec les maquis forestiers de l’AK deviennent de plus en plus conflictuels ; une fois les territoires orientaux libérés, les résistants non-communistes sont soit incorporés de force dans l’armée de Berling, soit déportés vers la Sibérie. Parallèlement, les maquis communistes se fédèrent le 1er janvier 1944 en une armée indépendante du gouvernement polonais légal : l’Armée Populaire (Armia Ludowa) qui ne compte que 20 000 hommes au printemps 1944, épaulés cependant par les 100 000 soldats de Berling. Le 15 janvier 1944, un groupe de journalistes occidentaux est invité à Katyń, parmi lesquels se trouve la fille de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, qui déclare à son retour que la version soviétique est convaincante. Un nouveau film est tourné, et des officiers du 1er corps militaire polonais en URSS sont invités à participer à de nouvelles cérémonies. A l'issue de l'audition d'une centaine de témoins, la commission, dirigée par le chirurgien de renom Nikolaï Burdenko, confirme le 24 janvier 1944 la version initialement donnée : les autorités soviétiques, surprises par l'avance de la Wehrmacht, n'avaient pas eu le temps d'évacuer les prisonniers polonais détenus dans trois camps, à quelques dizaines de kilomètres à l'ouest de Smolensk. Les Allemands les avaient exécutés fin 1941 puis, deux ans plus tard, devant le retournement de la situation militaire, avaient imaginé une « provocation » pour imputer à l'Union soviétique la responsabilité du massacre : ils avaient ainsi fait exhumer les corps par des prisonniers russes, retirer des documents postérieurs à avril 1940 puis les avaient fait réensevelir par un groupe de 500 prisonniers de guerre russes. Les balles allemandes étaient la preuve ultime de la culpabilité des nazis. Les Soviétiques insistent donc sur le fait que ces exhumations sont les troisièmes. Jouant de l'erreur initiale de la propagande allemande, les Soviétiques affirment que la forêt de Katyń contient la totalité des corps de Polonais disparus, se dispensant de la sorte de répondre sur le sort des autres disparus. Mais nombre de Polonais continuent de s’interroger : que sont devenus les quelque 10 500 prisonniers des camps de Starobilsk et Ostashkov ? Les rumeurs les plus folles circulent alors : les détenus auraient été embarqués à bord de barges coulées dans les eaux glacées de la mer Blanche.

Page 8: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

17-18 janvier 1945 : les Soviétiques « libèrent » la Pologne

L’Armée rouge pénètre dans tout le territoire polonais, tandis que Moscou forme en toute hâte les cadres dont le régime a un besoin urgent. Des ouvriers et des domestiques sont brusquement promus à des responsabilités locales. Le gouvernement de Londres préfère dissoudre l’AK pour éviter une guerre fratricide. Les résistants de l’AK sont officiellement amnistiés mais la propagande les dénonce comme des éléments « réactionnaires » et vante au contraire les prouesses de l’Armia Ludowa. Les membres de l’AK, qui avaient dévoilé leur identité, sont humiliés, arrêtés, exécutés ou déportés en Sibérie. Les membres des services polonais de sécurité (UB) traquent les opposants au nouveau régime. Le film tourné par les Soviétiques à Katyń en janvier 1944 est projeté dans les villes polonaises. C’est à ce moment que s’opposent dans le pays ceux qui veulent oublier et ceux qui attendent que la vérité triomphe, ceux pour qui la vie doit continuer et ceux pour qui elle s’est brisée avec la guerre, ceux qui espèrent une nouvelle Pologne et ceux pour qui il n’y aura jamais de Pologne libre. Lexique :

Viatcheslav MOLOTOV (1890-1986) : homme politique et diplomate de l'URSS, considéré comme le bras droit de Joseph Staline.À la veille de la Seconde Guerre mondiale, il devient ministre des Affaires étrangères, tout en gardant son poste au Politburo. Władysław ANDERS (1892-1970) : général de l’armée polonaise, capturé par les Soviétiques et emprisonné par la NKVD à Moscou. Libéré après l’invasion allemande de l’URSS, il devient le commandant de Forces armées polonaises en URSS (Armia Andersa). Après l’évacuation de cette armée durant l’été 1942 vers l’Iran, il devient commandant du 2e Corps d’armée polonaise durant la bataille de Mont Cassin. Il reste en Angleterre après la fin de la guerre. Edward RYDZ-ŚMIGLY (1886-1941) : officier de l'armée polonaise, il succède à Józef Piłsudski comme Maréchal de Pologne et occupe le poste de commandant en chef des forces polonaises pendant l'invasion de la Pologne en septembre 1939. Conscient du fait que toute défense contre ses deux voisins est impossible, il ordonne aux forces polonaises de reculer vers la Roumanie. Sa fuite en Roumanie suscite certaines polémiques. Armia Krajowa (AK) : l’Armée de l’Intérieur, subordonnée au gouvernement polonais en exil à Londres, chargée de résister aux occupants nazis et soviétiques par des actions de renseignement, de propagande, de sabotage… De 150 000 hommes en 1942, elle passe à 350 000 à l’été 1944. Armia Ludowa (AL) : l’Armée Populaire, subordonnée aux dirigeants soviétiques, chargée de combattre les nazis à partir de 1943. De 100 000 hommes à l’hiver 1943, elle passe à 400 000 à l’été 1944. Gouvernement Général : En 1939, de nombreux territoires polonais sont annexés au Reich (corridor de Dantzig, Prusse occidentale, Haute Silésie, ville de Łódź...). Les territoires restants sont regroupés sous une administration allemande appelée Gouvernement Général (en allemand Generalgouvernement für die besetzten polnischen Gebiete), dont la capitale est Cracovie. Le Gouvernement Général est subdivisé en quatre districts, Varsovie, Lublin, Radom et Cracovie. NKVD : Commissariat du peuple aux affaires intérieures, police politique de l'URSS, qui gère les camps de prisonniers. Réserviste : civil susceptible de remplir des fonctions militaires pour renforcer les forces armées en cas de conflit.

Page 9: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

, le film

Considéré comme l'un des cinéastes européens majeurs dans les années 1970, Andrzej Wajda confiait lors de ses séjours à Paris ne pas vouloir mourir sans avoir tourné un film sur Katyń. Ce film, le cinéaste polonais l'appréhendait autant qu'il le désirait. Synopsis et personnages :

Le film est puissamment articulé autour de trois dates qui jalonnent clairement l'itinéraire du massacre au mensonge : 1939-1940, avec la double occupation et la capture des officiers par les Soviétiques. 1943, où des haut-parleurs et des journaux diffusent les noms des tués : c'est ainsi que les Polonais apprennent le massacre de Katyn, découvert et dénoncé par les Allemands, et aussitôt retourné par les Soviétiques en « crime nazi ». 1945, quand l'imposture atteint la nouvelle génération : comme le dit A. Wajda, « l’action se passe majoritairement en 1945, lorsque certains rentrent à la maison et d’autres pas. » C’est à ce moment que s’opposent ceux qui veulent oublier et ceux qui attendent que la vérité triomphe, ceux pour qui la vie doit continuer et ceux pour qui elle s’est brisée avec la guerre, ceux qui espèrent une nouvelle Pologne et ceux pour qui il n’y aura plus jamais de Pologne libre. Au niveau narratif, Wajda prend le parti d'éclater quelque peu son récit entre, principalement, huit personnages principaux : une jeune femme dont le mari officier est prisonnier des Soviétiques en 1939, sa mère dont le mari universitaire est fait prisonnier par les Allemands, un lieutenant et un général également regroupés dans un camp de l'URSS et dont les femmes après la guerre vont se battre pour leur mémoire - en d'autres mots pour que les occupants reconnaissent qu'ils sont les instigateurs du massacre de Katyn alors qu'ils tentent de masquer la vérité. Certains personnages ne font leur apparition que dans la deuxième heure du film, comme la femme du lieutenant ou encore le neveu de la première jeune femme dont on suit brièvement le destin. Une première

Cette œuvre est une première. La Pologne aura attendu soixante-sept ans pour voir le massacre de Katyn porté à l'écran. Aucun metteur en scène polonais n'avait réussi à porter ce chapitre sombre de l'histoire à l'écran. « Ce film n'aurait pas pu voir le jour avant. Ni en Pologne communiste, soumise à la censure, ni à l'étranger, qui s'est désintéressé du sujet. Aucun cinéaste saint d'esprit n'aurait pu le tourner à l'époque communiste, sinon, il aurait dû présenter la version officielle », a précisé le réalisateur. Avec Andrzej Wajda, Katyn vient enfin de prendre place dans le septième art. « Ce n'est que le premier. D'autres films suivront », a prédit le metteur en scène. La recherche du bon scénario a pris des années. Wajda a écarté plusieurs textes, a changé d’idées. Il a même rejeté le roman écrit spécialement pour lui par Wlodzimierz Odojewski. La nouvelle de Andrzej Mularczyk, Post mortem, qui a finalement servi de base du scénario, a également été considérablement modifiée par le réalisateur. Wajda a voulu donner au spectateur un panorama : des histoires particulières de femmes, une vérité historique sur le massacre, le mensonge soutenu contre vents et marées, le mal de la nation polonaise. Finalement, le film est composé de scènes choisies et de dialogues trouvés dans les journaux intimes, dans les mémoires et les correspondances que les officiers assassinés menèrent avec leurs femmes, dont certains découverts lors de l’exhumation des restes (notamment le journal d'Adam Solski). Le cinéaste a également utilisé des images d’archives tournées par les Allemands lors de l’exhumation des corps en 1943, puis celles tournées par la propagande soviétique. Le film se termine par le massacre raconté dans les moindres détails sur un mode documentaire. « Je me suis demandé s'il fallait ou non montrer ces images, dit Andrzej Wajda. Et cela m'a paru nécessaire, dans le premier film sur ce sujet. Il ne suffit pas de savoir que cela a eu lieu. Il faut voir, sentir et comprendre comment la tragédie s'est déroulée pour faire son deuil et arrêter la douleur. Parce que cela a été interdit pendant des années, et qu'on a besoin de la vérité ». « Les gens attendaient ce film. Ce film n’avait jamais été réalisé auparavant. Il traite d’une très grande blessure polonaise qui est ressentie par la nation toute entière. Il n’y pas d’autre moyen pour cicatriser cette blessure. Certaines images resteront dans la conscience collective ».

Page 10: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

Une histoire personnelle

A 82 ans, A. Wajda vient enfin d'accomplir ce qu'il appelle « un devoir » : porter à l'écran l'histoire de sa vie et un pan de la mémoire polonaise contemporaine. Wajda, qui s'est montré dans toute son œuvre un grand historiographe de son pays, avait, en effet, une raison toute personnelle de vouloir traiter cette tragédie longtemps occultée : son père compte parmi les officiers victimes du crime soviétique. Andrzej Wajda a dédié Katyn à ses parents. A son père, Jakub, capitaine au 72e régiment d'infanterie, combattant de la Grande Guerre, de la guerre polono-bolchévique, de l'insurrection silésienne et de la campagne de septembre 1939, mort en Ukraine près de Charkiv. A sa mère, Aniela, qui « s'est nourrie d'illusions jusqu'à sa mort en 1950, car le nom de mon père figurait avec un autre prénom sur la liste des officiers massacrés. Elle écrivait à la Croix-Rouge, en Suisse, à Londres...». Dans le film, le personnage d’Anna espère aussi pendant longtemps et une erreur dans le prénom prolonge cet espoir. Cette attente désespérée du père a laissé une trace ineffaçable chez le réalisateur. Ce n'est qu’après plusieurs années de préparation, qu'il est parvenu en 2007 à s'exprimer sur ce sujet et à le traduire en langage cinématographique. Pourtant, ce long métrage n'est « ni une quête personnelle de la vérité ni une bougie funéraire posée sur la tombe du capitaine Jakub Wajda », se défend le cinéaste. Le sujet était absolument tabou au temps du communisme, au point que le seul fait d'être apparenté à une victime de Katyn pouvait entraîner l'interdiction de faire des études. « Sur le mensonge de Katyn reposait toute la soumission de la Pologne à Moscou », a dit le cinéaste, qui ne s'exempte pas de ce mensonge imposé, lors de la première de son film à Varsovie, le 17 septembre dernier. On reconnaît peut-être le jeune Wajda dans le personnage de Tadzio, un jeune résistant, passionné de peinture, qui, à la fin de la guerre, vient à Cracovie pour étudier aux Beaux-Arts. Comme le père de Wajda, celui du jeune résistant est mort à Katyn mais il refuse, lui, de le renier dans son curriculum vitae comme beaucoup d’autres l’ont fait pour éviter les ennuis sous l’occupation soviétique. Le jeune homme meurt. « Un remords de conscience ? », s’est interrogé un spectateur lors d’une avant-première : « Avec Katyn, vous laissez entendre que si vous n’aviez pas menti sur la mort de votre père, vous n’auriez pas pu étudier aux Beaux-Arts, à l’école de cinéma et que l’école polonaise du film n’aurait jamais vu le jour ? » Le cinéaste n’a eu d’autre réponse : « Je confesserai mes propres péchés devant un autre auditoire et ce sera certainement dans peu de temps. » Et de conclure : « Chacun militait à sa manière contre ce régime. » Des drames individuels

Dès les premiers plans, Andrzej Wajda donne le ton en cadrant une femme paniquée, à la recherche de son mari, un officier de l'armée polonaise. Le film cherche avant tout à retracer des aventures humaines individuelles. « Les faits sont connus et indéniables, dit Andrzej Wajda. Ils appartiennent à l'Histoire. En 1992, Eltsine a apporté des documents aussi irréfutables que l'ordre de Staline à Beria d'assassiner les officiers capturés. Et des historiens sérieux avaient déjà établi la culpabilité soviétique. Mon propos n'était donc pas d'établir les faits, mais de leur donner chair et vie, de montrer la dimension humaine des événements, la souffrance de ceux qui les ont traversés.» Wajda ne souhaitait pas que le film prenne la forme d'une confession intime et personnelle. Tout en s'inspirant de sa propre histoire, le cinéaste a voulu réaliser une œuvre universelle et montrer l'histoire à travers un « personnage collectif » : les femmes qui attendaient leurs maris, frères, pères, fils. « Je vois ce film comme l’histoire d'une famille séparée pour toujours, des grandes illusions et de la vérité brutale sur le massacre de Katyn. Bref, je le vois comme l’histoire d'une souffrance d’individus dont les images ont une capacité émotionnelle plus grande que les faits historiques » a souligné le réalisateur en commençant le tournage. A la surprise générale, Katyn n'est pas un film sur les officiers. Les personnages centraux ne sont pas à chercher parmi les gradés en uniforme, mais chez leurs femmes, à travers le drame qu'elles vivent dans leur foyer de Cracovie. D'ailleurs, Wajda n'a pas attribué de nom de famille à ses officiers. Le capitaine de cavalerie Andrzej, le lieutenant Jerzy, le lieutenant « Pilot » ne sont au final que des archétypes. À partir de lettres et de journaux intimes authentiques, Wajda a créé divers personnages d'officiers, leurs femmes qui les attendent, sans nouvelles, leurs enfants qui auront en héritage le silence et le mensonge. Les personnages du film sont, en grande majorité, des personnages authentiques – comme la femme du général Smorawinska ou le professeur de l'Université de Cracovie, ainsi que sa femme. Les autres personnages sont des mélanges entre personnes réelles et fictives, comme le commandant soviétique Popov, dont le nom et l'histoire présentés sont véridiques.

Page 11: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

Le film est pétri de métaphores, qui portent la griffe d'Andrzej Wajda, celles qui l'ont fait connaître dès Kanal (1957) ou Cendres et diamants (1958) : un christ baroque couché à terre, parmi les blessés de guerre, et caché sous la cape d'un officier (comme un écho de l'image impressionnante du Christ tête en bas dans Cendres et Diamants) ; deux soldats de l'Armée rouge qui déchirent le drapeau national polonais bicolore et se servent de la moitié rouge en guise de fanion soviétique (on se rappelle les tâches sanglantes sur un drap blanc dans Cendres et Diamants toujours) ; une plaque funéraire brisée pour avoir affiché l'indicible sous le régime communiste : « Tué à Katyn en avril 1940. » Il y aussi cette très belle scène après guerre du neveu qui défie les Russes et qui s'échappe en montant un escalier (Dans Génération, il s'en jetait) avant de trouver ici une échappatoire par le toit - s'il s'en sort son répit sera de courte durée. Il y a surtout cette scène finale, une apothéose de réalisme, détaillée sans jamais virer au pathos. On y voit l'exécution méthodique, à la chaîne, minutieusement orchestrée par le NKVD, des officiers de l'armée polonaise. Des agents soviétiques leur tirent machinalement, à une cadence soutenue, une balle de revolver Walther dans la tête. Les victimes s'effondrent, leurs corps jetés dans les fosses communes. Puis vient le ballet des bulldozers qui défoncent le sol et recouvrent les cadavres. Un film politique ?

Le film est sorti en avant-première le 17 septembre, date toute symbolique - celle du début de l'invasion de la Pologne en 1939 par les troupes soviétiques, seize jours après la Wehrmacht. « On aurait pu faire un documentaire, un film politique, mais ce n’est pas cela qu’attendent les spectateurs, la société polonaise : il leur faut une interprétation artistique des faits qui ne fausserait pas la vérité historique » a déclaré A. Wajda. Le réalisateur se défend toutefois de toute reprise de son oeuvre sur la scène politique. « C'est une élégie, un film sur le deuil, sur la souffrance individuelle », sur ces femmes qui attendaient le retour d'un mari, d'un père, d'un frère, « mais pas un film politique ». « Toute reprise politique de ce film serait trop tragique. Mon intention n’a jamais été de faire un film qui puisse attaquer la Russie. D'ailleurs, dans la forêt de Katyn, à côté des fosses des officiers polonais, il y a aussi des milliers de Russes, de Biélorusses, d'Ukrainiens, assassinés dès 1937, dont on parle peu ». Un des rôles principaux du film est d'ailleurs celui d'un officier soviétique qui sauve la femme d’un Polonais fusillé à Katyn. Il la cache alors qu’elle doit être arrêtée après l’exécution de son mari. Andrzej Wajda avait écrit une lettre destinée aux organisateurs du festival de Hrodna en Biélorussie qui projetait le film, en expliquant que « le film ne laisse apparaître aucune haine ou idée de revanche. Il s’agit de condamner le régime de Staline qui fut inhumain à l’égard de milliers de personnes, à la fois pour les Polonais comme pour les Biélorusses. La vérité devait être connue si on désire l’unité des peuples. Hrodna est une ville dont je me souviens au travers de mon enfance, lorsque je vivais à Suwalki avec mes parents, et où mon père fut un officier du 41ème régiment d’infanterie. Ce film montre le destin tragique de ce régiment ainsi que l’histoire de ma mère. ». S’il dénonce la censure de l’Histoire par le régime communiste, le film n’est pourtant pas à l’abri de la récupération et de l’instrumentalisation, dans un contexte doublement sensible : les tensions avec le voisin et ex-grand-frère russe, et la campagne interne de lustration, chasse aux dernières sorcières communistes… Le réalisateur avait déjà protesté par lettre auprès du président polonais contre la tenue de cérémonies du souvenir du massacre de Katyn en pleine campagne pour les législatives du 21 octobre, disant craindre une « exploitation » politique. Un film pour les jeunes générations

« Il y a quelques années encore, les gens ne s’intéressaient pas au passé, les jeunes ne voulaient regarder que l’avenir. Les jeunes acteurs aussi. Mais petit à petit, ils ont pris conscience que sans le passé, il n’y a pas d’avenir. Je voudrais qu’ils voient aussi le film sur Katyn. Ma tâche consiste à raconter la vérité. Il existe des phénomènes sinistrement emblématiques pour le XXe siècle. Il faut les comprendre et les ressentir, pour éviter que cela fasse l’objet de spéculations. » « Les familles dont l’histoire est liée à Katyn connaissent bien la vérité. J'adresse donc mon film au jeune public polonais pour qui ce sujet est étranger, méconnu. Je l'adresse également au public plus âgé qui, à l'époque de la République Populaire de Pologne, n'entendait que des mensonges à ce sujet. » À la table de la conférence de presse de Berlin, les acteurs, pour qui la guerre est un passé lointain, et même le communisme, appuient le cinéaste avec ensemble : « Nous sommes ces enfants à qui on a menti, et qui étaient incapables de comprendre notre histoire, la destruction des élites, la tragédie vécue par nos aînés. Wajda nous a ouvert le cœur et la conscience. »

Page 12: et Andrzej Wajda. - polonia.histegeo.orgpolonia.histegeo.org/dossiers pedagogiques/dossier_film_Katyn.pdf · 6 dates pour comprendre On désigne sous le nom de « massacre de Katyń

Histoire nationale ou histoire universelle ?

Ambassadeur autant que visionnaire, Wajda s'est posé en représentant officiel d'un pays qui a été réduit tant de fois au néant diplomatique que sa priorité est de scander des preuves de son identité. Il pense qu'un artiste polonais est plus qu'un auteur : un mage, un guide, un gardien de la « polonité », la mémoire et le porte-parole d'une nation. Il s'est fixé une mission : élaborer l'épopée de la survie d'un peuple, adapter les romanciers qui témoignent de l'âme du pays. Une tâche à la hauteur des peintres d’histoire polonais du XIXe s. (Matejko, Grottger…). Wajda a, malgré la censure, mis en scène de nombreux épisodes de l’histoire de la Pologne du XXe siècle. Mais pensant destiner ses films à un public national, il a été considéré comme plus polonais encore que Bergman pouvait être suédois, Fellini italien, Bunuel espagnol. Nombre de spectateurs ont jugé que visionner ses oeuvres était peine perdue si l'on ne possédait pas les clés de l'histoire de la Pologne. « Mes films, a-t-il dit, sont avant tout des films polonais, faits par un Polonais, pour des Polonais. » Le réalisateur a assuré que Katyn était le dernier film de sa série historique. « J'en ai fait assez comme ça. Je veux clore ce chapitre », a dit le réalisateur, dont nombre de films sont hantés par ses souvenirs de la guerre. Wajda veut maintenant « faire un film moderne, contemporain ». « Il y a des évolutions dans la société polonaise, deux millions de Polonais ont quitté leur pays pour aller tenter leur chance ailleurs. C'est, dit-il, un aspect tout aussi intéressant » que la guerre. Sources : Ioulia Kantor, „Sans le passé, il n’y a pas d’avenir”, Rossiïskaïa gazeta, 20 juillet 2007. Jean-Luc Douin, „Le cinéaste porte-parole d'une nation”, Le Monde, 15 septembre 2007. Célia Chauffour, „Andrzej Wajda, un film pour mémoire”, Le Monde, 15 septembre 2007. Maja Zoltowska, „La Pologne revit le drame de Katyn”, Libération, 18 septembre 2007. Dorota Hartwich, „Pour le jeune public. Interview de A. Wajda”, Cineuropa, 2 février 2008. Dorota Hartwich, „Film Focus. Katyn”, Cineuropa, 11 février 2008. Marie-Noëlle Tranchant, „Katyn, du massacre à l'imposture soviétique”, Le Figaro, 15 février 2008. Audrey Kauffmann, „Wajda s'inquiète d'une politisation de son film Katyn”, AFP, 15 février 2008. Didier Péron et Nathalie Versieux, „Andrzej Wajda dans la forêt de Katyn”, Libération, 16 février 2008. „Le succès du film Katyń en Pologne et à l’international”, Święta Polska News, 18 février 2008.