essai de classification des pratiques de co-création de produits et

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« Essai de classification des pratiques de co-création de produits et services » Stéphane Magne Maître de Conférences à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne depuis septembre 2014. Ses activités de recherche portent sur les relations entre design, marque et innovation. Dans le cadre du marketing du design, il s’intéresse tout particulièrement à la perception esthétique des objets (à leurs dimensions visuelles, tactiles, dynamiques et interactives…) et à la sensibilité individuelle des consommateurs au design. Il oriente actuellement ses travaux vers l’expérience esthétique digitale. Il fait partie du laboratoire PRISM de l’Ecole de Management de la Sorbonne. [email protected] Jean-François Lemoine Professeur des Universités à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l'ESSCA École de Management. Ses recherches portent sur les facteurs d’atmosphère du point de vente physique et virtuel et plus largement sur le commerce électronique et le marketing digital. Il organise depuis 14 ans la Journée de recherche sur le marketing digital de l’Association Française du Marketing. Il dirige l’École doctorale de l’École de Management de la Sorbonne. [email protected] Résumé Aujourd’hui, les entreprises ont tendance à intégrer le consommateur dans leurs projets de développement de produits et services. Dans le processus de design, ce « consomm’acteur » est vu comme un co-créateur au même titre que les ingénieurs, les designers et les marketeurs. La problématique de cette communication porte sur comment classer et hiérarchiser les pratiques variées et disparates de co-création de produits et services (boîte à idées, concours, plateformes communautaires…) pour impliquer au mieux le consommateur dans le processus de design management. Une phase documentaire portant sur les pratiques de co-création d’entreprises dans différents secteurs et pays, nous conduira à 1

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Page 1: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

« Essai de classificationdes pratiques de co-création de produits et services »

Stéphane MagneMaître de Conférences à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne depuis septembre 2014. Ses activités de recherche portent sur les relations entre design, marque et innovation. Dans le cadre du marketing du design, il s’intéresse tout particulièrement à la perception esthétique des objets (à leurs dimensions visuelles, tactiles, dynamiques et interactives…) et à la sensibilité individuelle des consommateurs au design. Il oriente actuellement ses travaux vers l’expérience esthétique digitale. Il fait partie du laboratoire PRISM de l’Ecole de Management de la [email protected]

Jean-François LemoineProfesseur des Universités à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et à l'ESSCA École de Management. Ses recherches portent sur les facteurs d’atmosphère du point de vente physique et virtuel et plus largement sur le commerce électronique et le marketing digital. Il organise depuis 14 ans la Journée de recherche sur le marketing digital de l’Association Française du Marketing. Il dirige l’École doctorale de l’École de Management de la [email protected]

Résumé

Aujourd’hui, les entreprises ont tendance à intégrer le consommateur dans leurs projets de développement de produits et services. Dans le processus de design, ce « consomm’acteur » est vu comme un co-créateur au même titre que les ingénieurs, les designers et les marketeurs.La problématique de cette communication porte sur comment classer et hiérarchiser les pratiques variées et disparates de co-création de produits et services (boîte à idées, concours, plateformes communautaires…) pour impliquer au mieux le consommateur dans le processus de design management. Une phase documentaire portant sur les pratiques de co-création d’entreprises dans différents secteurs et pays, nous conduira à les recenser puis à proposer un principe de classement de ces outils sur la base de leurs caractéristiques, des résultats escomptés et du degré d’engagement attendu du consommateur. Une trentaine de cas concrets recensés sur les 10 dernières années illustrera ce classement.Cette tentative de taxinomie vise in fine à établir un rapprochement entre les pratiques réellement utilisées par les entreprises et le degré d’« empowerment » créatif du consommateur.Les contributions se déclinent :

Au niveau des instruments en proposant un état des lieux sur les formes actuelles de co-création au service des projets de design ;

Au niveau marketing en envisageant les modalités d’intégration du consommateur dans les processus de design management ;

Au niveau managérial en suggérant une hiérarchisation des pratiques de co-création qui facilitera leur choix selon le degré d’engagement co-créatif attendu de la part du consommateur.

Mots-clés : co-création ; design management ; engagement co-créatif

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« Essai de classificationdes pratiques de co-création de produits et services »

Auparavant, dans le système transactionnel traditionnel, les sociétés choisissaient les produits

et les services qu’elles fabriquaient et décidaient de ce qui avait de la valeur pour le client. Il

est aujourd’hui difficile pour une entreprise de s’imposer sur un marché de plus en plus saturé

dans un contexte de convergence des technologies et des industries. Pour faire face à cette

réalité, la relation entre le producteur et le consommateur n’a cessé d’évoluer vers une plus

grande implication du consommateur dans le processus de création.

Le consommateur a changé : il est maintenant informé, relié en réseau, actif et global. Il a

aujourd’hui accès à tout type d’information et peut exprimer son avis, ses impressions et ses

souhaits sur le web.

Alimentaire

L’enseigne Starbucks a développé My Starbucks Idea, site Internet sur lequel les consommateurs peuvent laisser leurs impressions sur leurs expériences sur le lieu de consommation et/ou sur les produits. http://mystarbucksidea.force.com/

Cas 1 – Starbucks Coffee

Le consommateur n’est plus un consommateur passif ; il veut être acteur de sa consommation

et de ses choix. Son pouvoir s’est accru, il est devenu un « consomm’acteur » (Badot et Cova,

1992). Il est désormais vu comme un « consommateur collaborateur » par la nouvelle logique

du marketing, la SDL (Service Dominant Logic) qui donne une place centrale au processus de

co-création entre le fournisseur et le consommateur (Lush R. Et Vargo S., 2014).

Ainsi, au triptyque désormais classique du design management (Borja de Mozota, 2002 ;

Brown, 2010 ; Chaptal de Chanteloup, 2011) (cf. Figure 1) tend à se substituer un modèle à 4

pôles où le consommateur se retrouve plus ou moins engagé au cœur des projets de design.

Les pratiques de co-création permettent d’impliquer ce quatrième acteur au cœur du design-

management : le consommateur devient un co-créateur au même titre que les ingénieurs, les

designers et les marketeurs.

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Page 3: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Producteur : Projet de l’entreprise / Culture / Valeurs

Co-création de

produits/services Consommateurs

Innovation Recherche et

Développement

Ingénieurs

Marché(s)/Marketing Scénarios de consommation

Marketeurs

Création Advanced design

Designers

Valeur co-créée entre Producteur et

Consommateurs

Figure 1 – Nouveau rôle du consommateur dans le processus de design-management

Dans ce cadre, cette recherche tente de répondre à 2 questions. La première est d’ordre

théorique : comment peut-on organiser et classer l’ensemble des techniques et outils

disparates de la co-création ? La deuxième question est d’ordre managérial : comment les

pratiques de co-création peuvent-elles être des leviers pour solliciter un engagement co-créatif

plus ou moins fort chez le consommateur ?

1. LA CO-CRÉATION AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DE PRODUITS ET SERVICES

Avec l’essor de l’économie digitale et tout particulièrement le développement du web 2.0, des

outils collaboratifs ont pu être développés et partagés. Des formes variées de collaborations

entre consommateurs et producteurs coexistent : marketing participatif, crowdsourcing, co-

création, customer made, co-production, co-design, etc. Elles constituent autant d’outils

utilisables pour impliquer le consommateur dans le processus de design management.

Distribution AUCHANEn partenariat avec le programme américain Quirky, Auchan propose à ses clients de réfléchir sur des produits innovants, de les développer puis de les commercialiser dans ses magasins.

Cas 2 – Auchan

De nombreuses techniques plus ou moins impliquantes pour le consommateur sont utilisées.

Toutes relèvent du concept fédérateur de co-création que nous allons définir en tout premier

lieu. Une deuxième étape nous permettra de relever différents degrés d’investissement attendu

de la part du consommateur pour chacune des familles de pratiques co-créatives.

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Page 4: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

1.1. LES FRONTIÈRES FLOUES DE LA NOTION DE CO-CRÉATION

Quand est apparu ce terme de co-création (cf. Tableau 1) ?

1995 : Utilisation du terme de « co-création » par Schrage (1995) dans la Harvard Business Review.

2000-2004 : Prahalad & Ramaswamy (2004) utilisent officiellement le terme de « co-création » en parlant « d’expérience personnalisée avec les clients ».2004 : Publication de l’article de Vargo & Lusch (2004) (Evolving to a New Dominant Logic for Marketing) qui a largement diffusé ce terme de « co-création » au sein de la communauté marketing.

Tableau 1 – Les jalons historiques de l’utilisation du terme « co-création »

En substance, ces publications révèlent que les entreprises ne centrent plus leur position sur la

valeur créée par la dyade « entreprise-produits » mais plutôt sur l’expérience de co-création

de valeur entre l’entreprise et le consommateur. Ce principe de co-création et de co-

production de valeur repose sur un développement des compétences du consommateur (une

prise de pouvoir nommé «empowerment »), et sur un apprentissage concomitant des membres

de l’entreprise (marketeurs, commerciaux, designers, ergonomes, ingénieurs de la R&D…)

faisant appel aux compétences du client.

Pour qualifier ces collaborations producteur-consommateur(s) plusieurs champs co-existent.

Leurs frontières sont ténues et supposent une clarification définitionnelle :

Marketing participatif

Également appelé marketing collaboratif, le marketing participatif est « une politique marketing sollicitant et encourageant la collaboration et la participation des clients, pour concevoir et réaliser une offre, communiquer ou gérer la relation clients. » (Lendrevie et al. 2009). Divard (2010) parle pour sa part d’« un ensemble de techniques marketing visant à impliquer directement le client dans la définition de l'offre de l'entreprise. »

CrowdsourcingCet anglicisme signifie littéralement « approvisionnement par la foule ». C’est un concept évoqué par Jeff Howe (2006). Il désigne « la politique ou la technique qui consiste à externaliser vers un groupe ou une communauté de volontaires des tâches habituellement accomplies par des collaborateurs ou des prestataires ».

Co-création

C’est une notion plus large que celle de crowdsourcing. Il s’agit d’une collaboration plus ou moins intense entre l’entreprise et les consommateurs. Cette participation se fonde sur l’échange, la créativité et est destinée à améliorer ou créer des produits ou services. C’est aussi le fait de faire appel aux consommateurs pour la conception, le développement ou la communication d’un produit/service. La co-création regroupe donc plusieurs champs dans lesquels s’ancrent des pratiques différentes. Elle comporte plusieurs niveaux créatifs qui impliquent un engagement plus ou moins fort de la part du consommateur.

Tableau 2 – Du marketing participatif à la co-création

1.2. LE CADRE THÉORIQUE DE LA CO-CRÉATION

Phénomène nouveau, la co-création n’a pas encore de cadre théorique parfaitement stabilisé et

accepté par tous. Cela est sûrement dû à ses frontières floues et poreuses qui supposent, pour

la circonscrire, d’opter pour une triple perspective théorique (Abidi-Barthe et al., 2010).

1.2.1. Les 3 ancrages théoriques de la co-création

le marketing tribal ou communautaire (Cova et Cova, 2002) : le consommateur

donne du sens à la marque en co-créant sa valeur identitaire et symbolique. Ces communautés

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Page 5: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

ou « tribus » se veulent les porte-parole, les prescripteurs et les leaders d’opinion de la

marque. En ce sens, la relation consommateur-marque se transforme car c’est la communauté

tribale qui prend le pouvoir sur la marque au détriment des marketeurs ;

l'innovation collaborative (Von Hippel, 1978). Ce courant insiste sur l’utilité d'intégrer

les utilisateurs influents dans le processus de conception et de développement de nouveaux

produits/services car ce sont des innovateurs à l’origine de nouvelles idées voire de nouveaux

produits (Bejy-Bécheur et Gollety, 2007). Grâce au web 2.0. ils s’agrègent désormais en

communautés de lead-users1 ou users communities et peuvent participer à des projets de

développement avec les services de R&D (Parmentier et Mangematin, 2014) ;

Le consumer empowerment (Shankar A., Cherrier H., Canniford R., 2006) qui prône la

délégation du pouvoir aux clients dans la construction de l’offre. Certaines variables du

marketing-mix peuvent lui être déléguées : définition du produit, distribution et

communication. Au cœur du consumer empowerment se trouve la notion d’apprentissage

collectif (Curbatov, 2006, 2010 ; Curbatov et al., 2015) qui suppose la mise en place par le

producteur d'un ensemble d'outils d'aide au développement des compétences des

consommateurs (tels que les séminaires, les stages, les ateliers de création dans les

boutiques...).

Quels sont les niveaux de co-création ? Concourent-ils à des degrés d’empowerment

différenciés du consommateur ?

1.2.2. Les niveaux de co-création

Selon Maillet (2009) il existe 4 niveaux dans les pratiques de co-création (cf. Figure 2) :

2. La sollicitation : l’entreprise sollicite les

consommateurs. Elle fait appel à eux pour qu’ils

donnent leurs avis motivés, leurs

préférences sur un produit, une campagne

publicitaire…

3. La communauté : l’entreprise fait appel aux consommateurs

pour qu’ils créent eux-mêmes un

produit, une campagne de

communication…

4. L’approche dédiée : l’entreprise utilise la co-

création comme un véritable processus d’innovation. Un

espace dédié est ainsi mis en place pour faciliter les

échanges entre consommateurs et

entreprise.

1. La suggestion : l’entreprise rassemble les idées, avis, opinions émis par les consommateurs

Figure 2 : Les degrés de co-création (adapté de Maillet, 2009)

1 Pour les définir simplement ce sont des utilisateurs avant-gardistes, précoces, influents, des clients et usagers figurant parmi les premiers à adopter un produit ou un service.

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Page 6: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Maillet (2009) relève une sorte d’évolution naturelle entre ces 4 stades : « plus une marque

avance dans la co-création et plus elle s'adresse à une communauté définie selon une

approche de plus en plus spécifique».

Les pratiques de la co-création adoptant diverses formes (avis, concours, votes, boîtes à

idées…) nous tenterons de les classer en niveaux de co-création. Ces niveaux supposent un

engagement plus ou moins fort de la part du consommateur qui va participer au projet. Par

exemple, la "customisation"/personnalisation de produits peut être considérée comme une

forme basique de la co-création. En effet, lorsque les entreprises proposent aux

consommateurs de personnaliser un produit, cette customisation porte sur quelques attributs

prédéfinis et standardisés du produit limitant ainsi la marge de liberté créative du

consommateur. Cette pratique pourra apparaître comme une des étapes les moins avancées de

la co-création et suscitant un engagement co-créatif a minima.

Chaussures

Conscient du désir d’exclusivité de ses clients, l’enseigne Repetto a ouvert dans son magasin de la rue de la Paix à Paris un Atelier Repetto dans lequel il est possible de personnaliser sa paire de chaussures. Il permet de choisir entre 250 nuances de cuir et d’y ajouter les bordures et lacets de son choix. Chaque paire est ensuite marquée d’un « R » doré incrusté dans le talon.

Cas 3 – Repetto

Nous essaierons donc de déterminer quels sont ces différents degrés d’engagement du

consommateur dans le processus co-créatif.

1.2.3. Les niveaux d’investissement du consommateur

Du côté des principales dimensions de co-création envisageables on relève : la

customisation /personnalisation, la co-conception, la co-communication, la co-production, le

crowdsourcing. Dans ce cadre général, les pratiques sont variées mais aucun principe de

classement ne permet encore de les hiérarchiser pour les utiliser de manière différenciée dans

le processus de design management.

La valeur d’un consommateur dans ce processus de coopération créatif varie selon son niveau

de motivation, d’expertise, d’engagement et de créativité (Stappers et Sanders, 2008). Bon

nombre de recherches actuelles s’ancrent d’ailleurs sur cette quête du profil idéal du co-

créateur. Tous les utilisateurs peuvent être créatifs, tous ne peuvent pas être des co-designers

ou être partie prenante d’un processus co-créatif. Stappers et Sanders (2008) distinguent 4

niveaux d’implication des consommateurs : « faire », « adapter », « fabriquer » et « créer ».

Nous proposons d’enrichir les niveaux comme suit (cf. Tableau 2) :

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Page 7: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Niveau Type Définition Exemples

1 Personnaliser(customiser)

Différencier simplement un produit ou service sur la base d’un éventail d’options standards proposées et prédéfinies par le producteur

Individualiser son modèle de véhicule sur la base d’un jeu d’optionsChanger l’arrière-plan de son écran de smartphoneRe-paramétrer un ordinateur pour un usage personnalisé

2 Préparer(co-produire)

Assembler les éléments dissociés d’un produit existant issus du même producteur selon un plan de montage ou de préparation fourni par l’entreprise

Monter un meuble à assembler proposé en kitMélanger des ingrédients pour finaliser un plat préparé.

3 Fabriquer

Agencer des composants existants souvent issus de producteurs distincts, les combiner pour reproduire une création déjà connue

Fabriquer une étagère standardCréer un tee-shirt avec une photographie issue de son album personnel

4 Inventer

Proposer une création personnelle innovanteRepenser le produit d’une manière originaleExprimer sa créativité librement pour répondre à un ou des besoins insatisfaits

Proposer une configuration avancée et inédite d’un produitRepenser/modifier les fonctions ou usages d’un produit existant Proposer un nouveau concept de produit ou service sur une plateforme collaborative

Tableau 3 - Les degrés d’investissement co-créatif du consommateur(à partir de Stappers et Sanders, 2008)

Quelles sont les pratiques permettant aux entreprises d’impliquer le consommateur dans les

champs de la co-création ?

2. ÉTAT DES LIEUX DES CHAMPS ET PRATIQUES DE LA CO-CRÉATION

Aujourd’hui, à travers les différentes pratiques de co-création, le consommateur peut être

sollicité par l'entreprise tout au long des 5 phases classiques du processus de développement

de nouveaux produits (Urban et Hauser, 1993 ; Ulrich et Eppinger, 2003): (1) la génération

d'idées (Chesbrough, 2003), (2) le filtrage et la sélection d’idées, (3) le développement du

concept, (4) les tests et validations du concept, (5) le lancement et la commercialisation du

concept (Cooper, 1994 et 1995).

Si l’on se situe dans une perspective de design management, le consommateur peut être

sollicité tout au long du processus du projet : en phase de recherche d’idées, d’analyse des

propositions, de conception de prototypes et d’exécution/finalisation des projets (Cautela et

al., 2011). Pour simplifier, il est possible de faire intervenir le consommateur à chacun des 3

stades majeurs de développement d’un produit/service : stade 1 - Recherche d’idées, stade 2 -

Amélioration et modifications du produit/service et stade 3 – Distribution du produit/service.

2.1. VARIÉTÉ DES OBJECTIFS ET DES CHAMPS D’ACTION DE LA CO-CRÉATION

La collaboration entre le consommateur et le producteur vise à recueillir des insights (axes

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Page 8: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

créatifs), à améliorer, à innover et au fond à renforcer la proximité de la marque selon un

principe simple : impliquer le consommateur qui deviendra ainsi le meilleur ambassadeur de

la marque. Voici différents champs d’action de co-création envisageables :

Figure 3 : Champs d’action de la co-création

Champs d’action de

la co-créationDescription

La customisation/

personnalisation

La customisation/personnalisation fait partie des grands axes de co-création. L’entreprise invite le consommateur à choisir un certain nombre de caractéristiques du produit au sein d’un éventail de possibilités préexistantes. La co-création est ici « limitée ». L’entreprise propose une base commune de références « produits » et y intègre des systèmes de personnalisation de masse.

Alimentaire M&M’s donne l’occasion de personnaliser les petits bonbons par une inscription choisie par l’internaute. http://www.mymms.fr/

Cas 4 – M&M’s

MaroquinerieLongchamp, via son site web, permet la personnalisation d’un sac en 4 étapes : choix du modèle, des poignées, des couleurs et enfin des options. http://www.longchamp.com/fr/sur-mesure-fr-562.html

Cas 5 – Longchamp

La co-conception

La co-conception intervient lors de l’élaboration de l’offre d’une entreprise ou lors de l’amélioration d’un produit/service au cours de son cycle de vie. Le client est co-concepteur pour permettre à l’entreprise de réaliser une offre conforme à ses attentes, ce qui conduit à une forte interaction entre l’entreprise et le consommateur.La co-conception peut se dérouler tout au long du cycle de vie du produit/service. L’entreprise peut décider de faire intervenir les consommateurs via des blogs ou sites

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Champs d’action de la co-création

Page 9: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

dédiés sur Internet ou de les convier à des focus groups afin de créer un échange propice à la génération d’idées.

- A toutes les étapes du cycle de vie du produit :- Phase d’introduction : le co-créateur peut faire un retour sur les imperfections ou

sur les évolutions souhaitées du produit- Phase de croissance : le consommateur peut aider à explorer et découvrir de

nouveaux usages possibles et aider à l’amélioration des fonctions- Phase de maturité : la co-conception peut permettre de raviver l’intérêt pour un

produit- Phase de déclin : la co-conception permet au moyen de méthodes d’analyse de la

valeur de ne conserver que les fonctions essentielles et donc de diminuer les coûts voire de donner une impulsion nouvelle permettant de relancer le produit.

- Au niveau du marketing-mix :- Produit : le co-créateur intervient dans l’élaboration des caractéristiques physiques

du produit, de son design, de son packaging- Prix : le co-créateur peut définir une fourchette de prix qu’il serait prêt à payer

pour obtenir un produit/service. Ceci a permis l'émergence de plusieurs concepts récents : le Pay What you Want, les contre-enchères ou encore les achats groupés.

- Communication : en imaginant une façon de s’adresser au public via un spot télévisé, une campagne de communication presse ou encore une bannière web.

- Distribution : il peut intervenir dans les circuits de distribution en donnant son avis sur des bornes digitales dans le point de vente

La co-conception(suite)

AÉRONAUTIQUE

L’aéronautique est un domaine qui a beaucoup progressé grâce aux concours co-créatifs. Par exemple, en 2004, 124 000 personnes dans le monde ont participé au « Boeing’s World Design Team », un forum Internet qui accueillait leurs réactions tout au long du processus d’innovation du futur appareil.

Cas 6 - Boeing

La co-production

La co-production renvoie au dernier moment de participation du client à la création d’un produit/service. La conception du produit/service a lieu en amont. La tâche exécutée par le consommateur va permettre de produire définitivement l’offre. Cette dimension de co-création est sujette à de nombreuses polémiques sur ce qui peut être assimilé à de la co-création et sur ce qui ne l’est pas. La co-production est très répandue dans le secteur des services.

AMEUBLEMENT IKEAIkea vend le mobilier en kit accompagné de la notice de montage. Le client agence chez lui les différents composants du produit. Il co-produit le bien après achat.

Cas 7 - Ikea

La co-communication

Les co-créateurs participent à la production de publicité, soit en figurant eux-mêmes en tant qu’acteurs de la publicité, soit en imaginant un spot (on est alors plutôt en phase de co-conception dans ce cas).

WEB eBay

En 2007, eBay a été parmi les premiers à proposer une campagne de communication co-créée avec le consommateur. Cette campagne est plus connue sous le nom de « Spots aux enchères ». Le concept consistait à mettre aux enchères 10 espaces publicitaires sur son site web via un système d’enchères (dans la mode féminine, la mode enfant, le high-tech, l’informatique, l’automobile etc.…) Les gagnants furent ceux qui acceptèrent d’enchérir la plus grosse somme pour l’espace publicitaire. Ils se sont alors rendus à Paris avec leur objet à vendre pour tourner une vidéo de 30 secondes vantant leur vente organisée en temps réel sur le site. Les 10 spots sont de véritables films publicitaires, co-écrits par les créatifs, les réalisateurs et les vendeurs, avec une mise en scène imaginée sur place et adaptée à la personnalité de chacun.

Cas 8 – E-Bay

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Page 10: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

SantéL’institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES), a demandé aux internautes européens de créer la nouvelle campagne européenne de communication contre le tabagisme.

Cas 9 – Inpes

Le crowdsourcing

Technique qui consiste à externaliser vers un groupe ou une communauté de participants volontaires des tâches habituellement réalisées en interne par des collaborateurs ou par des prestataires externes. Le crowdsourcing apparaît comme une forme de co-création des plus avancées ce qui tend parfois à le différencier de la co-création élémentaire.

Logiciels

Gracieusement mis à disposition sur Internet en 1991 par son inventeur, le système d’exploitation Linux a été perfectionné par des milliers d’utilisateurs et/ou programmeurs. Grâce à leurs efforts constants, Linux est maintenant capable de rivaliser avec les systèmes d’exploitation les plus connus.

Cas 10 - Linux

Dans un processus de co-création, différentes pratiques peuvent être sollicitées par les

entreprises pour recueillir les informations dont elles ont besoin pour créer ou améliorer leurs

produits ou services.

2.2. LES PRATIQUES DE LA CO-CRÉATION

Les boîtes à idées – Le recueil classique d’avis des clients ou partenairesCes boîtes à idées sont déposées par les entreprises dans leurs magasins, leurs agences ou sur leurs sites web. Les participants peuvent y déposer des idées pour créer ou améliorer un produit ou un service.

Informatique

L’entreprise Dell a mis à disposition un site sur lequel les consommateurs peuvent partager leurs idées, voter pour des produits, valider ou invalider une idée émanant de Dell ou encore voir le résultat final d’un produit auquel ils ont participé. http://www.ideastorm.com/

Cas 11 - Dell

C’est aussi le cas de la compagnie aérienne KLM qui a mis à disposition une plateforme

appelée BlueLab où les agents de voyages peuvent exprimer leurs souhaits et leurs idées pour

améliorer les services du transporteur.

La customisation en boutiqueLes clients ont la possibilité de personnaliser leurs produits sur le point de vente au moment de l’achat. La customisation sur borne digitale in store est accessible dans certaines boutiques physiques mais cela reste encore marginal. La customisation est beaucoup plus répandue sur internet, dans les boutiques en ligne. Ces produits sont généralement plus chers que les « standards ».

Cycles-Roues

Mavic a créé un site Internet permanent dédié à la personnalisation de l’offre. Les clients peuvent customiser leurs roues de vélos, choisir les différentes pièces techniques adaptées à leur pratique et même choisir le design des produits. www.maviclab.com

Cas 12 – Mavic

Les forums – blogs - réseaux sociaux - plateformes communautaires autonomesLes supports tels que les forums, les blogs et les sites communautaires sur internet permettent aux marques de proposer des thématiques et de recueillir les attentes ou de nouveaux concepts issus des internautes qui peuvent alors échanger des idées et réagir collectivement. Les communautés internet peuvent avoir un poids dans la création ou l’amélioration d’un produit ou d’un service car une idée qui revient de façon récurrente peut pousser l’entreprise à agir en ce sens.

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Page 11: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Chaussure

Converse a créé un blog sur lequel les consommateurs peuvent faire part de leurs idées et voir les modèles qu’ils ont imaginés. Les meilleurs modèles seront commercialisés. En outre, le consommateur peut laisser libre cours à son imagination sur plus de 40 modèles et faire inscrire son nom ou un mot sur sa chaussure.http://www.converse.com/#/products/shoes/converseOne/scratch/all

Cas 13 – Converse

Le risque majeur relatif aux pratiques de co-création sur le web est la non-maîtrise des

échanges.

JEUX MONOPOLY

En 2007, la société de jeux Hasbro lance sur le web un concours participatif pour la création du Monopoly des villes de France. Les internautes étaient invités à choisir le nom de la ville qui remplacerait la célèbre Rue de la Paix dans le nouveau jeu. Des internautes facétieux ont organisé un vote sur la ville de Montcuq qui obtint 53000 voix en un mois devenant la ville la plus populaire. In fine, Hasbro choisira Dunkerque (30000 voix) mais sera forcé par les internautes et les médias de créer un plateau de jeu dédié à Montcuq.

Cas 14 - Hasbro

Les sites web des entreprises, les plateformes collaboratives de l’entrepriseLes sites web des entreprises sont aussi des supports de recueil d’informations. Soit par le biais de la partie « contact » ou « votre avis nous intéresse » : les personnes peuvent y laisser librement leurs idées, leurs propositions ou leurs récriminations. L’entreprise peut entrer dans un logique plus engageante en offrant l’accès à une plateforme collaborative en propre, en animant et stimulant le processus co-créatif.

Chaussures

Reebok propose aux internautes de soumettre de nouveaux concepts de produits. L’entreprise a demandé à une communauté d’imaginer et de concevoir ce qu’elle pourrait proposer de nouveau aux femmes de 18 à 25 ans, autres que des chaussures de sport, vêtements, accessoires, équipements… Plus de 700 concepts ont été suggérés.

Cas 15 – Reebok

Finance

La société de gestion de portefeuilles financiers Japonica Partners possède sur son site Web un forum de discussion réservé aux investisseurs institutionnels. En limitant l’accès à ce service, la société garantit la qualité des intervenants et peut donc tirer parti de ces informations pour prendre des positions.

Cas 16 – Japonica Partners

Les jeux-concoursLes entreprises utilisent aussi les jeux-concours offrant des prix pour recueillir des idées des participants. Ces concours sont souvent décomposés en plusieurs phases avec une sélection des participants au fil des étapes et une remise de lots à chaque palier de sélection. Ce mode de recueil d’information permet aux entreprises d’inciter les gens à réfléchir sur un sujet, à exprimer leurs attentes et à proposer des idées novatrices.Un grand nombre de personnes peuvent participer à des jeux-concours car ils sont initiés par des entreprises de domaines très variés : musique, gastronomie, automobile, ski, mobilier, etc... mais ils font souvent appel à des profils spécifiques comme des artistes, des designers, des personnes créatives.

Automobile

En 2005, Ferrari a lancé un concours de design faisant appel à de jeunes designers du monde entier. Le but était de dessiner la Ferrari du futur. 4 écoles de design parmi les meilleures au monde ont été sélectionnées. Une quarantaine de modèles ont ainsi vu le jour. Un jury de spécialistes (le président de Ferrari, Luca Di Montezemolo ou encore le designer Andrea Pininfarina…), ont élu les 4 modèles préférés.

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Page 12: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

En 2006, Fiat lança un concours de design afin de générer de nouvelles idées pour le développement des modèles de Fiat, Lancia et Alfa Roméo. Ce concours fut ouvert aux plus grandes écoles de design.Par ailleurs, lorsque Fiat décida de tester le nouveau design de la Punto, le Groupe invita ses clients potentiels à consulter son site Web et à faire leur choix parmi différentes options. Plus de 3000 personnes ont répondu à l’appel. Le constructeur, a ainsi pu collecter de précieuses informations sur les préférences des consommateurs, et tester à moindre frais, différents concepts, créant ainsi un modèle au plus près des attentes des consommateurs potentiels. Plus récemment, lorsque Fiat a produit la Mito, l’entreprise a organisé un concours pour choisir le nom et le logo. Les Internautes pouvaient se connecter sur www.alfanaming.it et donner leurs avis.

Cas 17 – Groupe Fiat

Les laboratoiresLes entreprises mettent des laboratoires à disposition pour permettre à leurs salariés, à leurs clients, à leurs partenaires de développer des idées, de s’exprimer, d’échanger ou de tester les produits/services. Dans ces laboratoires, les entreprises peuvent faire appel à des réunions de groupes, des tests de produits, des jeux de rôles, des mises en situations filmées pour recueillir des informations de la part de ceux qui y participent et parfaire ensuite leurs produits ou services.

Informatique

Google permet à ses employés de développer les outils du web de demain en les laissant libres 20% de leur temps de travail. Il offre aux utilisateurs la possibilité de commenter les recherches du GoogleLab. Ces pratiques témoignent de la puissance de la co-création comme moyen d’innovation alternatif aux laboratoires fermés.

Cas 18 - Google

Skis Salomon réalise des tests des produits en situation d’usage avec les athlètes, les consommateurs, les détaillants afin de récupérer les feedbacks et d’améliorer les produits.

Cas 19 – Salomon

Parmi les nombreuses pratiques de co-création entre producteur et consommateurs figurent en

bonne place les nouveaux outils de co-création fortement orientés 2.0 car la co-création peut

désormais être mise en œuvre via le web. Réseaux sociaux, plateformes collaboratives ou

participatives, sont autant de solutions pour permettre à l’entreprise d’impliquer à distance le

consommateur dans le design-management (Jeppesen et Frederiksen, 2006).

Face à cet éventail de champs et pratiques, il semble nécessaire d’opérer une classification car

toutes ces pratiques ne sollicitent pas le même degré d’engagement de la part du

consommateur. Ces pratiques seront donc recensées et classées selon leur capacité à impliquer

le consommateur dans le processus co-créatif.

3. VERS UNE CLASSIFICATION DES PRATIQUES DE CO-CREATION

Suite à un essai de taxinomie opéré sur la base des différentes pratiques disparates de co-

création (telles que la personnalisation du produit, les questionnaires, les concours, les

12

Page 13: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

plateformes créatives…), nous proposons de les classer en degrés > niveaux > intensités

selon le degré d’engagement co-créatif du consommateur.

3.1. LES 3 DEGRÉS D’ENGAGEMENT CO-CRÉATIF DU CONSOMMATEUR

Les degrés (de force 1 à 3) indiquent le degré d’engagement du consommateur dans le

processus de co-création. Ainsi, une action de simple configuration d’un smartphone relève

du degré 1 (“bricoler”) et suppose un investissement moindre du consommateur que la

participation à un focus group en laboratoire (degré 2) ou une proposition créative sur logiciel

d’un nouveau logotype (degré 3).

Figure 4 : Degrés d’investissement du consommateur à différentes étapes du développement du produit/service

La participation du consommateur peut être sollicitée plus ou moins fortement aux stades (1),

(2) ou (3). Chaque degré d’engagement co-créatif peut se subdiviser en niveaux d’intensité

plus ou moins forte. La figure ci-après propose un parallèle entre les degrés d’engagement et

le type de recrutement des consommateurs-participants à l’action co-créative. Nous

l’appellerons le "triangle de la co-création".

13

Stade 1Génération d'idées, de

conceptsDegré 3 - co-innover

Stade 2Amélioration et

modifications des produits

Degré 2 - collaborer

Stade 3Distribution du produit/service

Degré 1 - “bricoler” (Tinkering)

Page 14: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Figure 5 : Le triangle de la co-création du produit/service

Nous avons choisi de représenter cet ensemble sous l’aspect d’un triangle car le “triangle de la

co-création” exprime par sa forme le crescendo des 3 degrés mais aussi la base participante de

consommateurs mobilisables. La cible susceptible de bricoler le produit (par exemple : le

montage d’une étagère chez soi) est plus large que celle qui possède l’expertise nécessaire à

proposer des solutions graphiques ou techniques de degré 3 (par exemple : un nouveau

prototype de packaging à créer sous logiciel graphique).

Cas 20 – Calvin Klein

3.2. LE DEGRÉ 1 : BRICOLER SON PRODUIT

Au degré 1, le degré le plus basique et d’accès le plus aisé, figurent les techniques de type

"bricolage" (Tinkering). Une fois le produit créé par l’entreprise, il est possible que le client

intervienne pendant ou après l’achat avec 2 niveaux d’engagement : niveau 1 – la

personnalisation/customisation et niveau 2 – le « Do It Yourself ». Le niveau 1 étant plus

simple d’accès que le niveau 2.

14

Degré 3: Co-innovationCo-innover en participant à la démarche d'innovation

Degré 2: CollaborationCollaborer à la création, à

l'amélioration du produit/service

Degré 1: Tinkering"Bricoler" le

produit/service déjà créé

Engagement de degré 2 : les consommateurs co-créateurs sont sélectionnés sur la base de critères d’éligibilité classiques : sexe, âge, PCS… (degré sélectif)

Engagement de degré 3 : il suppose un degré d’expertise élevé et des compétences techniques chez le consommateur (degré expert)

Engagement de degré 1 : Base mobilisable de consommateurs importante sans toutefois concerner l’ensemble des clients. (degré ouvert)

+Engagement -

Page 15: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Figure 6 : Les formes de « Tinkering »

3.2.1. Le niveau 1 : la personnalisation/customisation

La personnalisation des objets est un moyen de s’approprier le design d’un produit

commercialisé en transformant son apparence ou ses fonctions, de le singulariser sur le mode

des petites variations marginales voire de co-construire le sens de l’objet (allant parfois

jusqu’à le détourner de son utilité première). Ce phénomène fait partie de la co-création

puisque le consommateur final utilise son potentiel créatif pour modifier son produit. Il existe

plusieurs intensités de personnalisation du produit/service.

Intensité 3Personnalisation

interactive

Intensité 2Personnalisation

active

Intensité 1Personnalisation passive

ƉĂƌƚŝƌĚΖƵŶ ƉƌŽĚƵŝƚƐƚĂŶĚĂƌĚ FůĞĐŽŶƐŽŵŵĂƚĞƵƌǀ Ă ŵŽĚŝĨŝĞƌůƵŝ-ŵġŵĞůΖĂƐƉĞĐƚ ŽƵůĞƐĐĂƌĂĐƚĠƌŝƐƚŝƋƵĞƐĚĞůΖŽďũĞƚƉŽƵƌůĂĚĂƉƚĞƌĂƵŵŝĞƵdžă ƐĞƐƉƌĠĨĠƌĞŶĐĞƐ ;ĐŚĂƵƐƐƵƌĞƐE ŝŬĞ/ Ϳ

>ΖĞŶƚƌĞƉƌŝƐĞǀ Ă ĂĚĂƉƚĞƌƐŽŶ ƉƌŽĚƵŝƚĨŝŶŝƐĞůŽŶůĞƐĐŚŽŝdžŽƉƚŝŽŶŶĞůƐ ĚĞƐĞƐĐůŝĞŶƚƐ;ǀ ŽŝƚƵƌĞ ϯ ĚĞŝƚƌŽģŶ Ϳ

>ĞŶƚƌĞƉƌŝƐĞĚĠůŝǀ ƌĞƵŶ ƉƌŽĚƵŝƚ ŶĞƵƚƌĞƉƵŝƐůĞĐŽŶƐŽŵŵĂƚĞƵƌĂƉƉƌĞŶĚ ăůΖĂƵƚŽ -ĚĞƐŝŐŶĞƌŽƵă ůĞƌĞƉƌŽŐƌĂŵŵĞƌĂƵŵŽLJĞŶĚΖĂƵƚƌĞƐƐĞƌǀ ŝĐĞƐŽƵƉƌŽĚƵŝƚƐƋƵĞƉƌŽƉŽƐĞůĂŵġŵĞĞŶƚƌĞƉƌŝƐ Ğ;ƚĠůĠƉŚŽŶĞ ĂŵƐƵŶŐ' ĂůĂdžLJ Ϳ

Figure 7 : Les intensités de personnalisation du produit/service par le consommateur

Concernant la « personnalisation passive », l’entreprise va ajuster son produit fini en fonction

des options préfinies par le producteur et retenues par le consommateur final. Par exemple,

Mini-BMW produit ses modèles sur la base des multiples options choisies par le client chez le

15

Page 16: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

concessionnaire (couleurs, stickers, jeu d’options). Le client est accompagné par le vendeur

qui liste ses souhaits. Pour la catégorie « personnalisation active », l’utilisateur va, à partir

d’un produit standard, modifier lui-même l’apparence ou les caractéristiques de l’objet pour

mieux l’adapter à ses préférences.

Accessoires

Le fabricant américain de lunettes Oakley permet à l’Internaute de paramétrer en ligne une dizaine de modèles de lunettes en fonction de ses goûts. Sont concernées la couleur de la monture, la teinte des verres, les branches et la sacoche de protection. http://en-fr.oakley.com/custom#/sunglasses

Cas 21 - Oakley

Chaussures

Nike, via son site NikeID, une application smartphone ou une borne digitale in store, permet aux consommateurs de personnaliser ses baskets. Le client utilise un logiciel de design assisté qui lui permet de concevoir virtuellement la chaussure qu’il souhaite.http://store.nike.com/fr/fr_fr/

Cas 22 – Nike

Enfin, la troisième catégorie de personnalisation, qui fait actuellement partie de la stratégie

co-créative de nombreuses entreprises, est la « personnalisation interactive ». Le principe en

est simple. Un produit est livré neutre puis le consommateur apprend à l’auto-designer ou à le

reprogrammer au moyen d’autres services (applications à télécharger, programmes

informatiques…) ou produits que propose la même entreprise. Cette méthode de configuration

interactive issue du design numérique est utilisée par les jeux vidéo où l’utilisateur peut créer

ou modifier un personnage, apporter une modification plus radicale dans les scenarios grâce

aux outils de conception fournis par le fabricant. Les smartphones et plus généralement tous

les supports numériques sont reprogrammables et modifiables selon une modularité

relativement intuitive.

ModeLevi’s a ouvert un Levi’s Tailor Shop à San Francisco, dans lequel des couturiers sont à la disposition des clients pour personnaliser leurs jeans. Il s’agit d’une personnalisation “à la carte”, non prédéfinie.

Cas 23 – Levi’s

3.2.2. Le « Do It Yourself »/co-construction

Bon nombre d’entreprises font participer le consommateur à la dernière étape du processus.

Faire participer le client au processus de construction du produit ou à celui de servuction

permet de réduire les coûts. Le meilleur exemple est celui d’Ikea. Le consommateur n’achète

que les composants d’un meuble qu’il co-produira une fois arrivé chez lui. Même si dans cette

méthode le consommateur apparaît comme étant faiblement impliqué dans le « co-design » du

produit/service, elle constitue tout de même un moyen d’impliquer le client à la fin du

processus de distribution. Cette technique est aussi largement utilisée dans le domaine des

16

Page 17: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

services (par exemple : l’enregistrement sur un vol aérien sur son application de smartphone.)

Le consommateur effectue lui-même une partie de l’acte de conception.

3.3. LE DEGRÉ 2 : COLLABORER SUR LE PRODUIT

Selon Stappers et Sanders (2008), les collaborations sont de 2 ordres que nous pouvons

hiérarchiser comme suit :

Figure 8 : Classification des niveaux de collaboration avec le consommateur

3.3.1. Collaboration passive des consommateurs : la simple suggestion

Lors de ce type d’études (classiques en marketing), le consommateur tient des propos qui sont

ensuite collectés et analysés par un chercheur ou chargé(e) d’études. Il peut aussi faire l’objet

d’observation en situation d’utilisation du produit ou service. Le chargé d’études est alors

l’intermédiaire, le traducteur/interprète des déclarations (ou actes) entre l’individu (objet de

l’étude) et le designer (ou le team travaillant sur le projet). Ces pratiques permettent de

connaître l’opinion du consommateur, de répertorier ses besoins, d’analyser ses actes. Cette

collaboration passive peut prendre différentes formes : table ronde, interview individuelle,

enquête de satisfaction, suggestions directement issues des communautés d’internautes.

Alimentaire En 2003, Findus avait convié 200 familles à tester plusieurs produits afin de déterminer lesquels avaient le plus de chances d’être vendus.

Cas 24 - Findus

3.3.2. Collaboration active : vers la sollicitation-action du consommateur

La collaboration active regroupe l’ensemble des pratiques qui visent à faire participer “en

toute connaissance de cause” le consommateur à la conception d’un produit (Stappers et

Sanders, 2008). Ici, le projet est clairement défini par l’entreprise. Le consommateur sait à

quel projet il participe et en voit la concrétisation directe en groupe de travail avec les

designers ou d’autres protagonistes du projet. Les idées du consommateur sont le plus souvent

17

Page 18: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

mises en forme en direct par un designer qui interagit avec l’individu objet de l’étude. Le

consommateur est acteur du projet et participe directement par ses idées et son expertise à la

conception du produit ou service. Plusieurs intensités de participation sont à distinguer

cependant.

Figure 9 : Les intensités de collaboration active avec le consommateur

Intensité 1 : demander un avis-action

L’entreprise demande l’avis de ses consommateurs avant de lancer un produit sur son marché.

Cet avis est simultanément traduit en actions. Carrefour a proposé à ses clients de voter pour

le design de sac de courses préféré et de partager ce choix en direct sur les réseaux sociaux.

Le consommateur connaît l’objectif et voit le résultat en quasi-simultanéité.

Alimentaire

Danette interroge chaque année ses consommateurs avant de choisir le prochain parfum à commercialiser. En 2007, plus d’un million d’internautes a répondu au vote pour déterminer le parfum à conserver . « Chocolat blanc » a gagné avec 400000 votes. www.nouvelledanette.com

Cas 25 – Danone

Alimentaire

Ben&Jerry a lancé un jeu-concours mondial visant à proposer un nouveau parfum pour ses crèmes glacées. Après un séjour en République Dominicaine pour les quinze finalistes, la récompense ultime fut l’affichage du visage de l’heureux gagnant aux côtés de celle de Ben et de Jerry sur chaque pot de ce parfum.

Cas 26 – Ben & Jerry’s

Les jeux-concours mettent en avant l’aspect ludique de la co-création et proposent souvent de

diffuser une photo du co-créateur.

18

Page 19: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Intensité 2 : repenser à partir de l’existant

Sur son site Legofactory, Lego offre la possibilité de réaliser virtuellement des constructions

en briquettes. Les internautes ont la possibilité de proposer de nouveaux kits conçus à partir

des pièces existantes sur la page « Design by me » du site web principal de la marque.

Ce niveau de collaboration active s’adresse à des publics maîtrisant le produit. En utilisant

strictement les éléments existants, ils reconfigurent de manière créative le produit pour

proposer « leur » version qui pourra être commercialisée par le producteur.

Intensité 3 : fédérer les contributions externes par le crowdsourcing

L’objectif est ici d’intégrer et d’agréger des connaissances extérieures issues de multiples

sources. Le crowdsourcing est une pratique permettant de fédérer les contributions externes.

Howe (2006) le définit comme le fait d’externaliser (outsourcing) le travail d’un agent et de le

donner à un groupe de personnes (crowd) (Chua, Roth et Lemoine, 2015). Les exemples les

plus connus du « crowdsourcing » sont Wikipédia, YouTube, etc.

JOUET

Lego a mis à disposition sur son site Internet, un espace dédié appelé Lego ID qui permet aux enfants et à toute personne qui visite le site de concevoir des modèles (via un logiciel facile à utiliser et téléchargeable gratuitement) et de participer à des concours. Certains modèles peuvent alors voir le jour ce qui contribue à alimenter la gamme de produits du fabricant.http://www.lego.com/en-us/createandshare/default.aspx

Cas 27 – Lego

Cet exemple Lego peut aller au-delà l’intensité 2 car le logiciel laisse ici toute marge de

liberté et ne contraint pas sur l’utilisation des éléments existants. Il fédère les contributions

multiples et les fait entrer en lice sur la plateforme créative. L’entreprise pourra

commercialiser ces kits élaborés par des internautes ingénieux et offrir une participation au

co-créateur (la rémunération équivaut à un pourcentage du prix du produit vendu).

BOISSONS

La marque de bière Desperados a lancé cette année sur son site communautaire la création de bouteilles personnalisées. Après inscription, l’internaute peut concevoir sa propre étiquette grâce à une large palette de couleurs et de motifs, puis inviter des amis à compléter son décor et à commander ses propres réalisations.http://www.imagine-desperados.fr

Cas 28 – Desperados

19

Page 20: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

MUSIQUE Zikpot

Zikpot, un blog musical, a lancé, début 2010, un concours de co-création musicale pour inciter des artistes (compositeur, musicien, chanteur, parolier…) à s’associer en vue de créer un morceau commun. Les 5 meilleurs titres ont été diffusés en tête de liste sur iTunes, Deezer, Virgin.

Cas 29 – Zikpot

Dans ce cadre, il est important de souligner que chaque contributeur participe à l’édification

d’un projet commun. Le degré 3 porte sur des projets spécifiques et inédits.

3.4. LE DEGRÉ 3 : CO-INNOVER

A ce stade, il s’agit de contributions techniques, expertes et abouties. Les consommateurs

communiquent directement des idées créatives, innovantes et inédites, abouties voire

finalisées. Cette degré de co-création se différencie des formes traditionnelles de sollicitation

passive ou active du consommateur (par focus group, enquête, etc.) tant par le degré d’efforts

nécessaires pour le co-créateur que par la nature quasi-professionnelle de la contribution que

les clients fournissent à l’entreprise. Le consommateur réalise une prestation de consultant

externe. Des professionnels du champ peuvent aussi être appelés à participer.

LessivesCosmétiques

Entre 2007 et 2008, Procter&Gamble a augmenté la productivité de son service Recherche et Développement de presque 60%. En effet, le Groupe a lancé plus de 100 nouveaux produits pour lesquels au moins un aspect du développement est venu de l’extérieur de l’entreprise. (lingettes Swiffer, produits de soins anti-âge de Olay Regenerist …)Cas 30 – Procter et Gamble

Alimentaire

En 2005, Nespresso lance son propre concours de design. Celui-ci avait pour but d’imaginer le futur de la consommation de café afin de créer une machine plus « pratique ». Nespresso Incar et Nespresso Chipcard virent le jour. La première permet à ses possesseurs de préparer un café en voiture. La deuxième stocke les préférences individuelles de café dans la machine.

Cas 31 – Nespresso

Automobile Peugeot

En 2008, lors de son 5ème concours de design, Peugeot international a offert comme premier lot un chèque de 10 000 euros et une console de jeu Xbox aux jeunes designers gagnants. 29 autres projets ont également été récompensés. L’événement a attiré plus de 600 000 visiteurs sur son site internet et de nombreuses interactions sur les blogs et les forums du monde entier.

Cas 32 – Peugeot

A ce stade, l’entreprise recherche de nouvelles idées pour innover en se fondant sur les

apports inédits des clients, leurs détournements de produits existants ou encore leurs

propositions motivées et argumentées. Les processus de co-innovation font généralement

intervenir le consommateur très en amont de la chaîne de valeur.

Sport Reebok

Reebok propose aux internautes de soumettre de nouveaux concepts de produits. L’entreprise a demandé à une communauté d’imaginer et de concevoir ce qu’elle pourrait proposer de nouveau aux femmes de 18 à 25 ans, autres que des chaussures de sport, vêtements, accessoires, équipements etc. Plus de 700 concepts ont été suggérés.

Cas 33 – Reebok

20

Page 21: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Dans cette phase du processus, le consommateur est le co-créateur expert du produit. Il peut

être un lead-user (Bejy-Bécheur et Gollety, 2007) ou user-design à l'origine de nouveaux

concepts.

Cas 34 – My Major Company

Pour l’entreprise, le contributeur adopte une position d’expert : il est à rattacher au

département de Recherche et Développement ou au pôle de design management. Il peut même

être le principal contributeur. On se situe dans un format d’innovation collaborative. La co-

création développe dans ce cas des contacts directs et récurrents entre consommateurs,

designers et ingénieurs/développeurs.

Sport

En 2007, Élan a mis en place un concours de design de ski. Par l’intermédiaire de son studio de design, Wstudio, Élan a proposé aux graphistes de créer une paire de skis. Puis, Élan a « stylisé » ses skis. Une gamme de skis pour femmes a vu le jour.

Cas 35 - Elan

Cette co-conception permet de faciliter la traduction directe des besoins des clients en

spécifications produits et par là même permet au consommateur de participer de manière

experte au processus de design-management. D’autre part, cela facilite les choix entre les

différentes alternatives possibles puisque s’opère une mise en adéquation immédiate de l’offre

et de la demande. Les tests de nouveaux concepts sont réalisés à moindre coût. Les coûts de

développement et de design de produits s’en trouvent réduits. Cette forme de co-innovation

est la forme la plus exigeante et la plus impliquante de la co-création.

Téléphonie Nokia

Le Nokia Concept Lounge2 a été développé en 2005. L’idée était de convier des designers à un salon dans le but d’imaginer le prochain téléphone « tendance » de la marque. Ces designers étaient considérés comme des innovateurs spécialistes du design mais aussi comme des consommateurs dans le sens où ils n’étaient pas des designers spécialistes de la téléphonie. Le gagnant Tamer Nakisci a conçu le Nokia 888.

2 Haddad A., Customer-made, co-création & Global Brain, 2006, enviedentreprendre.com/2006/10/customermade_co.html

21

Page 22: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Cas 36 – Nokia

En plus de ces initiatives orchestrées par les entreprises, des solutions peuvent être également

négociées avec des partenaires externes. Par exemple, Innocentive3 est un agent qui met en

relation les entreprises qui cherchent des solutions à des problèmes scientifiques complexes

avec un réseau de milliers de scientifiques qui officient à titre individuel sur des projets

ponctuels. Les entreprises exposent de façon anonyme leurs problématiques sur le site web

d'Innocentive. Par la suite, des spécialistes hautement qualifiés du monde entier peuvent

proposer des solutions. Les spécialistes qui aboutissent à une solution reçoivent une

compensation financière qui peut aller jusqu’à plusieurs dizaines voire centaines de milliers

de dollars US. Leurs contributions ont souvent conduit à des percées novatrices pour bon

nombre de grandes entreprises, notamment Procter et Gamble, Boeing, et Du Pont.

Le tableau ci-après reprend en synthèse les principaux éléments vus précédemment :

3 INNOCENTIVE, Ce que nous faisons, [http://www.innocentive.com/about-innocentive]

22

Page 23: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Degré deco-création

Niveau d’engagement co-créatif

attendu du consommateur

Intensité de l’action

Pratiques à privilégier

Degré 1« Bricoler »

le consommateur intervient pendant ou après l’achat au stade de la distribution

Niveau 1 :Personnalisation/ Customisation

L’utilisateur modifie selon des formats pré-conçus l’apparence ou les caractéristiques de l’objet (produit / service) pour l’adapter à son utilisation

Intensité 1Personnalisation passiveIntensité 2Personnalisation activeIntensité 3Personnalisation interactive

PERSONNALISER

La customisation en boutique physique

La personnalisation en ligne

L’atelier sur mesure

Niveau 2 :Co-production/Do It Yourself

Le client final participe au processus de production du produit/service. Il co-produit après achat

*

CO-PRODUIRE

Les ateliers de montage

Les stages de mise en œuvre

Degré 2« Collaborer »

le consommateur

participe à l’amélioration/modification du

produit ou service

Niveau 1 :Collaboration passive

L’utilisateur est l’objet inactif de l’étude. Il n’est pas forcément informé du projet

*

SUGGÉRER

Les boîtes à idées

Le recueil d’avis de consommateurs

Les forums

Les blogs

Les réseaux sociaux

Niveau 2 :Collaboration active

Le consommateur participe à la conception du produit ou du service, dans le cadre d’un projet clairement exposé par l’entreprise. Il peut être assisté par des designers qui mettent en forme ses idées. Il est assisté par des professionnels dans un cadre formalisé. Les contributions peuvent s’agréger dans un projet commun. Elles ne sont pas forcément inédites.

Intensité 1Demander un avis-actionIntensité 2Repenser l’existantIntensité 3 Fédérer les contributions externes (crowdsourcing)

FABRIQUER

Les jeux-concours

Les plateformes communautaires

Les groupes de travail (consommateur + team créatif)

Degré 3« Co-innover »

le consommateur participe à la

démarche d’innovation de

l’entreprise

Sollicitation pour une contribution experte

auprès de clients aux compétences reconnues

Le consommateur devient un acteur de l’innovation de l’entreprise, au même titre que les services internes de l’entreprise. Son statut est celui d’un expert « quasi-professionnel » ou d’un consultant professionnel

*

INVENTER

Les sites web des entreprises

Les plateformes collaboratives de l’entreprise

Les concours de design

Les laboratoires internes ouverts ou fermés

23

Page 24: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Tableau 4 – Mise œuvre des niveaux de « co-création » selon les profils

Ces recommandations pourront être utilisées dans le choix des pratiques de co-création par les

responsables de R&D ou par des design managers soucieux d’intégrer le consommateur dans

leur démarche d’innovation par le design.

Mais cette réflexion, encore embryonnaire, pourrait s’enrichir de nouveaux critères de

classement qui permettraient d’affiner ce qui n’est, à ce stade, qu’un essai de classification

des pratiques de co-création.

On pourrait y associer aussi l’éventail des ouitls propres au champ du design et aux processus

de design management (des matrices de créativité, des cartes d’expérience, des techniques de

prototypage rapide, mock-up etc.) Ce travail est en cours et permettra d’enrichir les points

d’ancrage entre marketing et design.

De nombreuses questions restent encore en suspens pour mesurer l’engagement co-créatif du

consommateur et les multiples influences qui peuvent affecter ce processus d’investissement

co-créatif. Au cœur de cette réflexion figurent des modélisations futures que des terrains

qualitatifs et quantitatifs en cours permettront peut-être de corroborer.

24

Page 25: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

CONCLUSION : VERS UNE MODÉLISATION DE L’ENGAGEMENT CO-CRÉATIF DU CONSOMMATEUR ?

Le consommateur au cœur des projets de design management

La mutation des rapports entre le producteur et le consommateur dote le client de nouveaux

pouvoirs (consumer empowerment). Ce dernier n’est plus passif dans son expérience de

consommation mais bien un « consomm’acteur ». Il veut participer à la création de l’offre

qu’on lui destine.

L'identité du consommateur impliqué évolue. On parle dorénavant de "prosumer", c'est-à-dire

d’un consommateur à la fois producteur et consommateur. Ce consommateur actif intervient à

plusieurs niveaux. On fait appel à lui quel que soit son niveau d'expertise, qu'il soit expert

(lead-user) ou simple amateur, tous les avis comptent.

Le développement de l’économie digitale a facilité l'apparition de communautés de

consommateurs pour lesquels Internet est devenu une plateforme d'expression et d'influence

sur le producteur. Ces communautés impliquées semblent être les cibles privilégiées à intégrer

aux processus de co-création (Franke et al., 2008 ; Leroy J., 2008).

Co-créer est une démarche qui permet au consommateur-utilisateur de participer activement à

la génération d’idées, à la conception, au design du produit/service qu’il achètera peut-être.

Pour l’entreprise c’est aussi une opportunité pour dialoguer avec ses clients, pour externaliser

les contributions, pour tester des idées grâce aux opinions des clients et, par la suite, pour

modifier l’approche qu’elle peut avoir de son marché, s’y adapter. Le consommateur est alors

au cœur du projet de l’entreprise.

La co-création : une stratégie et un ensemble de pratiques et outils

En ce sens, la co-création apparaît comme une stratégie multifacettes visant à stimuler et à

exploiter la créativité des consommateurs de manière à créer de la valeur pour le

consommateur et l’entreprise. La co-création renvoie à une palette d’actions, de pratiques-

outils dont la plupart est utilisée à chaque stade de développement du produit ou service. Cet

ensemble de pratiques offre plusieurs niveaux d’engagement du consommateur : "bricoler",

collaborer et co-innover. Chacun de ces niveaux peut être décliné en degrés et intensités

différentes.

Une fois mise en place, la co-création fournit un vivier d'informations stratégiques pour les

entreprises ; ensemble d’informations qui agit directement sur les projets développés par le

producteur. La co-création permet d'orienter la stratégie marketing, la capacité innovante des

ingénieurs/développeurs mais aussi la créativité des designers. À ce titre, elle s’inscrit dans le

cadre du design-management.

25

Page 26: Essai de classification des pratiques de co-création de produits et

Le futur de la co-création dans le design

Au tryptique classique rassemblant marketeurs, designers et ingénieurs au sein du projet vient

s’imbriquer un nouveau pôle : le consommateur en tant que co-créateur. Les nouveaux

champs du design tels que le design sensoriel, le design numérique et interactif, l’experience

design… sont déjà en phase d’intégration d’un consommateur qui s’approprie toujours plus

les nouvelles technologies innovantes. L’enjeu majeur de la co-création dans le design-

management va sûrement consister à trouver des langages communs simples, accessibles,

intuitifs pour intégrer le consommateur au sein des projets, non plus comme un simple objet

d’étude mais comme un des pôles co-créateurs. L’impact de la co-création sur la chaîne de

valeur se traduit essentiellement par un échange mutuel de connaissances et de pratiques qui

permet de diminuer les risques et les coûts du producteur tout en accentuant la valeur co-créée

(Ramírez R.,1999) (cf. Figure 10).

Figure 10 – La co-création dans le processus de design-management

26

Degré 3: Co-innovationCo-innover en cherchant des

solutions inédites

Degré 2: CollaborationCollaborer à la création

du produit/service

Degré 1: Tinkering"Bricoler" le

produit/service déjà créé

Co-création des Consomm

CréationAdvanced design

Designers

Marché(s)/MarketingScénarios de consommation

Marketeurs

InnovationRecherche et

Développement

Ingénieurs/développeurs

Producteur : Projet de l’entreprise / Culture / Valeurs

Valeur co-créée entre Producteur et

Consommateurs

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Mais en confiant à un consommateur inexpérimenté une partie du projet, les entreprises ne

font-elles pas courir le risque d’un appauvrissement de ces mêmes projets (Cova et al.,

2010) ? Comment le consommateur saura-t-il intégrer les valeurs de la marque à son action de

co-création ? Quelles formes de reconnaissance pourront souhaiter les forts contributeurs qui

co-créeront à l’égal des salariés ? Quelles devront être les conditions de mise en œuvre de ces

outils ? Le client peut se sentir « traqué » et opposer une franche résistance au processus de

co-création qu’il considèrera comme un procédé trop intrusif dans ses besoins individuels.

Enfin, au plan juridique, les conséquences de la co-création vue comme une tâche externalisée

et non-rémunérée n’ont pas encore toutes été clairement prises en compte par le législateur.

Quoiqu’il en soit, l’apparition du Web 3.0 peut laisser présager un recours croissant à la co-

création par les entreprises car cette nouvelle génération de consommateurs, plus interactive et

sécurisée, saura susciter davantage d’échanges et rapprocher plus encore consommateurs et

producteurs dans des groupes de projet. Les instruments de la co-création semblent donc

ouvrir la voie à une création riche, interactive et partagée.

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