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  • 8/13/2019 Entretien Bensaid Nueva

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    QUAND L'HISTOIRE NOUS DSENCHANTEEntretien avec Daniel BensadIrne Jami et al. La Dcouverte | Mouvements

    2006/2 - no 44

    pages 159 170

    ISSN 1291-6412

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-mouvements-2006-2-page-159.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jami Irne et al. , Quand l'histoire nous dsenchante Entretien avec Daniel Bensad,Mouvements , 2006/2 no 44, p. 159-170. DOI : 10.3917/mouv.044.0159

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour La Dcouverte.

    La Dcouverte. Tous droits rservs pour tous pays.

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    Quand lhistoirenous dsenchante Entretien avec Daniel Bensad

    PROPOS RECUEILLIS PARIRNEJAMI, PATRICKSIMON ETGILBERTWASSERMAN

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    Difficile de dissocier, depuis 1968,le parcours militant de DanielBensad de celui du couranttrotskiste, aujourdhui incarn parla Ligue communiste rvolutionnaire,au sein duquel il a longtemps exercdes responsabilits. Cest ce titre queMouvements stait entretenu avec lui,en 2000, pour son numro Penser gauche 1. Enseignant la philosophie lUniversit de Paris 8, son engagementmilitant sest doubl dune rflexionpolitique dont tmoignent de nombreuxouvrages. loccasion de la parution deson autobiographie, Une lente impatience ,il revient ici sur ce parcours, voquantnotamment le sens qua pu prendrelengagement politique pour sagnration, ne au lendemain de laguerre, lassociation entre militantismedans les rangs dune organisationpolitique et laboration intellectuelle,

    et sa conception de luniversalisme quila amen prendre position dans ledbat initi par lappel des Indignesde la Rpublique.

    Mouvements : La lecture de Une lente impa-tience 2 donne limpression que la gnrationvenue la politique autour de 1968, obsde

    par la figure tutlaire des militants des priodes prcdentes dont lengagement avait une tout autre porte, vit dans une sorte de

    post-hrosme.Daniel Bensad : Certains passages inspirentpeut-tre cette impression de post-hrosme ,mais cest une lecture a posteriori . Nous esp-rions encore que notre pope tait devantnous. Contrairement ce que laisse entendre lescnario de Semprun pour La guerre est finie , lefilm sorti en 1967, la guerre ntait pas finie pournous: la page du nazisme ntait pas entirementtourne. Il y avait aussi les guerres de librationcoloniales, et nous avions des comptes deman-der quant aux crimes nazis. Nous nous situionsplutt dans la continuit de cette histoire, de larvolution russe Auschwitz et Hiroshima. Leslments structurants taient encore ceux de larsistance, de la guerre civile espagnole et de

    laprs-guerre. Cet imaginaire-l a certainementpes sur nos formes dengagement. Il me sembleque la page na vraiment t tourne qu la findes annes 1970, avec la normalisation de latransition en Espagne et le coup darrt la rvo-lution portugaise. Mais dans limmdiat aprs-68,cette sorte de rendez-vous manqu avec lhis- toire cest le titre du livre de Rgis Debray surPierre Goldman a sans doute lgitim ce quejai appel notre lninisme press . Ce pointretient beaucoup lattention de Jean Birnbaumdans son livre, Leur jeunesse et la ntre 3 : sub-stitutisme militaire, ide selon laquelle : Puisque lvnement ne vient pas nous, on vaaller lvnement, le provoquer. Pour Birn-baum, les vtrans en voie de disparition desannes 1930 et de la Rsistance ont fait lhistoire,alors que les soixante-huitards ont cru la faire, etque les suivants grent les restes. On ne choisit

    1. Mouvements n 9/10, mai-juin/juillet-aot 2000.2. D. BENSAID, Une lente impatience, Paris, Stock,2004.3. J. BIRNBAUM, Leur jeunesse et la ntre :lesprance rvolutionnaire au fil des gnrations ,Paris, Stock, 2005.

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    ni sa situation ni son histoire. Il faut revenir une vision plus prosaque de la politique. Aprsles illusions lyriques, tout le dfi consiste faire

    ce quon doit faire, sans se sustenter de rcitsillusoires. Ce nest pas moins noble. Il y a desflux et reflux de la temporalit politique. Entermes de gnrations, le cas dOlivier Besance-not est atypique. Il est entr dans le militantismepolitique contretemps: 1991, ctait le piremoment pour quelquun qui avait 14 ans. Depuis1995, des choses se sont remises en marche: unrenouveau partiel des mouvements sociaux,mais aussi ce quil est convenu dappeler, mmesil est trs pluriel, le mouvement altermondia-liste. On voit merger de nouvelles forces, des

    volonts militantes qui sexpriment diffrem-ment. Nous avions t ports par la guerre dAl-grie ou lexemple du Che. Aujourdhui, on vachercher ce qui soulve lenthousiasme nces-saire pour consacrer son nergie une causedans le mouvement altermondialiste, dans telleou telle lutte partielle, ou dans des figures

    comme celles du sous-commandant Marcos oudHugo Chvez.

    M. : Cette indispensable part de romantisme,que vous appelez les illusions lyriques, peut-elle

    jouer quand les bilans sont aussi dcevants? D.B. : Elle existe ou elle nexiste pas. Je ne suispas tellement daccord avec la faon dont MichaelLwy valorise sans balance le romantismecomme protestation contre la modernit capita-liste. Je suis plutt, comme aurait dit Pguy, pourla mlancolie classique. Je porte beaucoup din-trt la figure de Blanqui ; or, il ny avait pasplus antiromantique que lui. Mais je ne conoispas non plus dengagement qui reposerait surune pure rationalit. Cest un peu une illusiondintellectuel quimplique, dailleurs, la notiondintellectuel engag: on serait dabord intellec-tuel, puis on sengagerait. Cela ne se passe pas

    ainsi. La raison se mle toujours une part derve et de passion, de messianisme, mme si ceterme na pas bonne presse aujourdhui, en rai-son de lectures contresens. Cest une desdimensions de laction politique. Il peut aussi y avoir une part dutopies en miettes: si lhorizon

    des grands changements politiques apparatimprobable, on aura des utopies partielles, dontErnst Bloch avait dj fait un inventaire dans le

    premier tome du Principe esprance .M. : Sur la question du bilan, vous dites: On aeu raison davoir tort. : en gros, les trotskistesnont pas tremp dans les sales affaires du

    sicle, pas t compromis dans le stalinisme,dans les grandes crises politiques, dans les

    guerres coloniales.Ils ont souvent fait figure de figurants discrets et modestes, mais ils nont pas incarn dactions dont ils auraient serepentir.Cela ne signifie-t-il pas aussi quils ont t trop discrets, trop faibles pour influer rel- lement sur le cours des choses? D.B. : Il est toujours difficile de discerner a pos- teriori entre ce qui relevait du choix politique,dune sous-estimation ou tout simplementdune affaire de survie. Que pouvaient faire lestrotskistes dans la Rsistance? Ils ont tent untravail dans larme allemande. Une forme de

    rsistance plus discrte quhroque ntait pasun choix mais une contrainte. La formule On a eu raison davoir tort. nest pas une revendi-cation dogmatique, cest une protestation contrelide selon laquelle en politique ou en histoire,la victoire aurait valeur de preuve. Dans cer-taines circonstances, tre en minorit, voire eninfimit, nest pas ce qui invalide ou vrifie unepolitique. Cela ne veut pas dire que noussoyons sortis indemnes de ce long parcoursminoritaire. Le nous , en loccurrence, neconcerne pas uniquement des organisationstrotskistes tiquetes, mais aussi des courantscomme Socialisme ou Barbarie, ou des courantslibertaires qui ont rsist la stalinisation.Quand on est aussi minoritaires, on subit aussiles effets de subalternit lgard de ce quoilon soppose. Mais la petitesse nest pas lapreuve de linanit dune cause.

    M. : Ne comporte-t-elle tout de mme pas lerisque dune drive quon pourrait qualifier desthtisante:du moment quon est du ct dubien et du beau, il serait moins important dtre du ct du vrai?

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    D.B. : Tout combat minoritaire de longuehaleine peut se complaire dans une esthtiquede la dfaite: vaincus, mais dans la dignit Il

    faut un effort permanent de lucidit sur soi-mme. Il y a un peu de cette tonalit dans ceque jai crit la fin des annes 1980 : avec lacontre-rforme librale, on avait limpressionque le sol se drobait sous nos pieds. Quitte tre les derniers des Mohicans, au moins tom-ber la tte haute. Cest une pos-ture esthtique et morale, maiscela ne rsout pas les pro-blmes politiques.

    M. : La volont de prserver une certaine puret ne compro- met-elle pas la capacit passer des accords ? La posture mino- ritaire peut devenir une fin en

    soi, elle permet de prserver lacohrence politique danslaquelle on est install.D.B. : Il y a une autre marqueminoritaire, qui consiste sup-pler un rapport de force dfa-

    vorable en misant sur la forcepdagogique des ides. Danslhistoire du mouvement trots-kiste, ctait, en caricaturant un peu, loption dequelquun comme Michel Pablo: on na pasbeaucoup de forces, mais on a des ides; il fautdonc savoir tre au bon endroit pour trouver lesoreilles rceptives qui les souffler. Donc on estconseiller de Makarios, de Ben Bella etc. La LCR a voulu sortir de cette fonction de conseiller duprince ou des princes venir (Chvez oudautres). Car la politique, ce sont aussi des rap-ports de force. Le cheminement des ides peuttre efficace un certain moment puis seffacertout aussi vite. Cela se traduit dans une mmoirecollective qui peut mener, jen suis conscient,

    un ftichisme de lorganisation, voire unconservatisme. Mais dans lhistoire des vingt der-nires annes, nous avons davantage pchdans lautre sens. Nous nous disions trop: cenest pas nous qui avons les cls; alors nousnous sommes rallis ici lAlternative, l la

    campagne Juquin. Tout cela est parti en fume.Nous ne renonons pas une dmarche dal-liances, mais pour quelle soit efficace, il faut

    une organisation forte capable de peser dans leprocessus. En position de dpendance, on nepeut quaccumuler des dceptions. Le problmese pose nouveau aujourdhui. La situation pro-

    voque des dplacements, certains attendus,dautres moins. Tout cela met lordre du jour,

    nous lesprons mais nous les-prons depuis au moins quinzeans , des recompositions deplus grande ampleur. Auxreproches faits la culture mino-ritaire ( Les mains propres, maispas de mains. ; Vous ne vou-lez pas vous salir avec lapolitique. ), nous rpondons: Il faut prendre ses responsabi-lits, y compris celle de gouver-ner, mais dans un gouverne-ment qui mne une politique

    compltement diffrente decelle qui prvaut depuis 20ans. Aujourdhui, mme unepolitique de rforme modrenest pas possible sansreprendre le contrle des poli-

    tiques montaires, sans relancer une politiquedemploi et de services publics. Ce nest pas unultimatum rvolutionnaire. Je connais bienlexemple brsilien: la situation au moment dela victoire lectorale de Lula en 2002 ntait pasrvolutionnaire. Il y avait certes une victoirelectorale, mais avec un mouvement social plu-tt en recul, lexception des sans-terre. Il taitnanmoins possible de prendre des mesures,notamment dans le traitement de la dette, quiauraient permis une politique nettement plusambitieuse, notamment sur le programme Faimzro ou la rforme agraire, dont le bilan san-

    nonce quatre fois infrieur aux objectifs signsen novembre 2003.

    M. : Pour en venir des aspects plus biogra- phiques, quel bilan tirez-vous de votre trajec- toire comme intellectuel ?

    Tout combat minoritairede longue haleinepeut se complaire

    dans une esthtiquede la dfaite : vaincus,mais dans la dignit

    Il faut un effortpermanent de lucidit

    sur soi-mme .

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    D.B. : Cela me gne un peu de donner un senti-ment dautosatisfaction, mais je ne regrette pasmes choix. Je sortais de Normale sup: jaurais pu

    choisir une carrire acadmique. La vie militantenest pas contradictoire avec une activit intel-lectuelle, mais je lui ai donn la priorit. Je naiaucun regret car le militantisme, que lonoccupe, comme je lai longtemps fait, des posi-tions de direction ou non, est un principe deralit et de responsabilit important mes

    yeux. Nombre dintellectuels croient avoirapport au monde un message indispensable.Dans laction collective, on se rend compte queles ides sont le fruit dchanges et quon nepense jamais tout seul (comme la mdiatisationpousse le faire croire). Tout le monde pense.Les intellectuels sont peut-tre privilgis pource qui est de mettre des ides en forme mais, etcest un autre lment de satisfaction, le militan-tisme a t un garde-fou, un anticorps contre lestentations spculatives du travail intellectuel. Etje nai rien sacrifi, sinon un peu de carrire et

    dargent. Certains parmi mes anciens camaradesdisent: Jai perdu du temps en militant dans lesannes 1970. Mais cest en partie parce quilsont milit quils sont devenus ce quils sontaujourdhui. Par comparaison avec une gnra-tion qui a subi des preuves dune tout autrenature les annes 1930, la guerre, etc. , lesacrifice est quand mme mineur. Il y a eu demauvais moments, des tragdies, que je ne veuxpas minimiser: lArgentine o, en 1973-1975,parmi les gens que jai rencontrs dans un cadremilitant, il y a eu un mort sur deux en moins dedeux ans. Ce qui oblige nous interroger surnos propres responsabilits politiques: ils vou-laient mener la lutte arme et on les y a encou-rags, mme si nous avons exprim des doutesou des critiques tel ou tel moment. Dire Onest en guerre au moment du retour de Pernen 1973, ctait dclarer la guerre tout seul, se

    jeter contre un mur. Il reste que cette expriencea permis de ne pas subir le choc des annes1980 et le choc des annes 1989-1991 comme sitout un univers scroulait. Pour moi, cest enpartie li cette activit dans un collectif. Jeconsidre aussi comme une petite victoire

    davoir montr quon peut assumer les servi-tudes du militantisme et faire un vritable travailintellectuel. On naline pas forcment sa libert

    de penser en militant condition de ne pastout tlescoper: activits militantes, temps de larflexion, temps de la recherche, il ny a pasdincompatibilit. Car jamais nous navons dfinidorthodoxie idologique.

    M. : Mais dans le cadre dune activit intellec- tuelle, on est confront des dilemmes difficiles surmonter, tandis qu la direction duneorganisation, on est oblig dassumer des choix

    parfois peu nuancs. Comment concilier la part de doute de toute rflexion intellectuelle et le vote sur une motion? D.B. : Nous nous sommes parfois prononcssur des questions sur lesquelles, aujourdhui, jemabstiendrais. Prendre position sur lAssem-ble populaire de Bolivie 10 000 km de dis-tance

    M. : Nest-ce pas li la conception de lavant- garde autoproclame qui doit avoir un avis sur tout? D.B.: Je ne connais pas davant-garde qui nesoit autoproclame, pas mme les avant-gardes parlementaires de masse! Ds quon estune organisation, quon le dise ou non, on seconsidre peu ou prou comme une avant-garde.

    M. : Donc li la notion mme davant-garde.D.B. : Il est vrai quon peut simaginer avoir unrapport privilgi la vrit (mais cela nest paspropre aux avant-gardes politiques), le privi-lge du point de vue de la totalit par rapportau point de vue partiel.

    M. : Dans la notion davant-garde, il y a tout demme la certitude davoir raison.D.B.: Je ne dirais pas que nous tions toujourssrs davoir raison. Nous tions tout feu toutflamme, enthousiastes, parfois brutaux, arro-gants quelquefois. Nous pensions, et celaexplique beaucoup de choses, que la rvolu-tion tait imminente, que 1968 navait t que la

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    rptition gnrale , quil y aurait une rvolu-tion en Europe dans les cinq ou dix ans. Si loncroit vraiment a, il faut en tirer les cons-

    quences. Mais nous navons jamais dveloppune conception scientiste de la thorie, jamaisconsidr le matrialisme dialectique commeune science ou une logique formelle, nousavons toujours reconnu la part dalatoire et decontingence dans lvnement. Simplement, lapolitique demande un profond engagement :pour modifier des rapports de force, il faut y mettre une nergie absolue tout en tantconscient que cet engagement repose sur unevaluation relative et quon peut tre en train dese tromper. Cest la contradiction de ce que jap-pelle un militantisme profane: avoir sengagersans transcendance divine, scientifique ouautre, sans sombrer pour autant dans lhsita-tion permanente, qui paralyserait toute action.

    M. : Vous voquez, dans Une lente impatience ,le passage de nombre de personnalits du

    monde de la politique, des mdias, dans lesrangs de la Ligue ou de ses sympathisants.Comme pour rappeler, en dpit de leur distancedaujourdhui, lcole que ce militantisme aconstitue pour eux.D.B.: La Ligue a, dans une grande mesure, vit lgard de ses ex , la thmatique du rengat.Cela a permis de garder avec la majorit dentreeux des rapports cordiaux dchanges, voire desympathie ou damiti. Certains, ne croyant plus la rvolution, ont pens contribuer desrformes en allant au PS. Cela ne constitue pasun pch capital en soi. Ce qui mest pnible,cest le cynisme danciens camarades qui tien-nent des discours auxquels ils ne croient pas.Ou le regard condescendant que certains por-tent sur leur propre pass et le ntre : On na

    pas chang le monde, mais on sest bien amu- ss . , dit Ardisson sur la couverture de son livre.

    Tout le monde ne sest pas amus. On peut,sans se prendre trop au srieux, faire les chosessrieusement. Je ne supporte pas le dtache-ment cynique. La mlancolie est un peu monantidote intime contre cela, mais aussi contre lafoi inbranlable. Mais jimagine que chaque

    militant essaie de trouver cette distance intime,de lui ou elle, lui-mme ou elle-mme, quifait que nous ne sommes pas des monolithes

    inaltrables. Il ny a pas de ddoublement depersonnalit intellectuelle et militante: je suis, jelespre, les deux tout le temps. Mais les deuxne sont pas homognes et superposables. Il nefaut pas trop dpolitiser la sphre du priv.Mme si le tout est politique auquel, avecdautres, nous avons prtendu est une formule la limite du totalitarisme.

    M. : Grard Noiriel, dans son dernier livre, fait de vous lun des derniers intellectuels spci-

    fiques investi dans un rle politique aussi fla- grant.Vos dveloppements, vos crits philoso- phiques ont-ils pu ptir de cette situation? D.B. : Les formes dengagement intellectuel,terme que je reprends alors que je lai critiqu,sont en train de changer. Il tait assez natureldtre un intellectuel de parti au dbut du

    XX e sicle : Durkheim, Mauss, Lucien Herr

    Cela allait de soi, on tait intellectuel certes,mais aussi ou dabord citoyen. Dans les annes1930, certains mouvements (les surralistes, legroupe Philosophie) ont eu un engagementpartisan. une poque qui ny tait pas pro-pice, cela a abouti des tragdies comme cellede Nizan. Le thme de lengagement tel que ledveloppe Sartre rpond cet chec : il conoitun intellectuel qui garde sa distance, un com-pagnon de route. Il y a eu une sorte de thermi-dor dans la vie intellectuelle des annes 1980-1990. Cest en train de changer, avec larenaissance des mouvements sociaux. Autourde Copernic ou du conseil scientifique dAttac,des intellectuels organiques associent leurtravail intellectuel des forces sociales en mou-

    vement. Mais le paysage du travail intellectuellui-mme a chang pour des raisons sociolo-giques. La division du travail sy est dvelop-

    pe, il y a des comptences spcifiques quisinvestissent diffremment. Pour revenir ceque dit Noiriel, jtais un des rares intellectuelsmilitants reconnu comme tel. la diffrence debeaucoup dautres, qui ont choisi un modedintervention plus molculaire ces dernires

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    annes, je suis rest militant dun parti. Ctaitdevenu une exception, a lest dj un peumoins. Marx polmiquait contre lillusion

    politique qui rduisait lmancipation auxdroits dmocratiques et civiques. On a eu lillu-sion symtrique dans les annes 1990, lillu-sion sociale , si vous voulez avec lide queseul le mouvement socialapportait le renouveau quand lapolitique tait repoussante oudcevante. On en voit aujour-dhui les limites et il y aura unretour de la question politiquequi interpellera les intellectuelsdans leurs formes dengage-ment. Je ne dis pas quon fera laqueue pour adhrer aux partis,mais le rapport au politique vaencore se modifier.

    M. : Encore faut-il que les orga- nisations politiques soient

    capables de transcrire ces mou- vements dans les champs de lalutte politique et de leur donner une reprsentation. Sinon lesintellectuels peuvent rester des

    participants des structures non partidaires.Il est plus facile dtre au conseil scientifique dAt- tac quau PCF ou la LCR.D.B.: Dans une situation politique qui offre peude possibilits, faire une contre-expertise sur lascurit sociale pour Copernic ou Attac, cestfaire uvre utile. Le regain dintrt pour laquestion politique ne va pas se traduire mca-niquement par un rinvestissement dans lespartis. Il y a des tendances durables. La structu-ration dun espace politique plusieurs acteurs,syndicaux, politiques, associatifs, lieux derflexion, en est une, mon avis. Ce qui faitsymptme mes yeux, cest le regain dintrt

    pour des questions stratgiques, aprs desannes stratgie degr zro, o, mme sur leplan philosophique avec Rancire, Badiou ousous une autre forme, Negri, nous avions sur-tout des rhtoriques, au demeurant ncessaires,de la rsistance.

    M. : Une lente impatience garde, sur certains sujets, un silence assourdissant. Sur le fmi- nisme, on comprend, en substance, que les mili-

    tantes de la Ligue se sont impliques dans lemouvement fministe mais cela ne sembleconcerner quelles: cela ne remet pas vraiment en cause le logiciel politique de lorganisa-

    tion, non plus que son fonction- nement ou les rapports de forcequi y prvalent.En ralit, pour nombre de ces militantes, leconflit de loyaut entre appar- tenance la Ligue et engage- ment fministe a t dchirant dans certains cas, jusquau

    suicide. Ce ntait pas facile concilier Il semble que dunct, la Ligue soit capabledadapter son mode dorganisa- tion et sa presse des ralitsnouvelles mais que de lautreelle conserve peu prs intacte

    la matrice thorique issue dumarxisme dans laquelle est analyse la socit sur laquelleon veut agir, avec une certainedifficult accorder un statut

    la question du genre dans cette matrice.D.B. : Sur le fminisme, jassume mes blancs. Lelivre se prsente comme une autobiographiecritique (mme si jai tenu scander le rcit per-sonnel de chapitres plus gnraux), pas commeune histoire de la Ligue. Il a fallu un processusassez lent, en tenant compte de lexprienceamricaine, pour parvenir lide dun mouve-ment autonome de femmes. partir du dbatautour de deux numros de Partisans en 1970et 1971 (auxquels des camarades femmes de laLigue avaient contribu), il sest rapidementcr une commission femmes mixte. Au dbut,le fminisme avait surtout pour enjeux la

    contraception et lgalit des droits en termessociaux, de classe. La Ligue a eu, ds 1971, unservice dordre mixte, ce qui tait indit. Plustard, nous avons cr les Cahiers du fminisme .Les dbats ont pu tre violents, et vcus dou-loureusement en effet un numro de Critique

    Il ny a pasde ddoublementde personnalit

    intellectuelle etmilitante: je suis,

    je lespre,les deux tout le temps.

    Mais les deuxne sont pas homognes

    et superposables .

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    communiste , paru en 1977, en tmoigne. LaLigue a boug sous leffet dun rapport deforces, de lessor dun mouvement fministe en

    tant que tel, et dune organisation spcifiqueinterne des femmes qui a dvelopp un rapportde force. Je dfendais lpoque une positionminoritaire hostile aux groupes femmesinternes non mixtes, fonde surla dimension universaliste denotre hritage. Mais je suis alldfendre la position majoritairede la Ligue un congrs mon-dial o les Amricains soppo-saient la non-mixit sur la basede lexprience quils en avaientfaite.

    M. : Le mme type de question- nement peut sappliquer aux questions cologiques ou audbat, bien plus rcent, suscit

    par lappel des Indignes.D.B.: Sur les questions colo-giques, nous navons peut-trepas t pionniers, mais je necrois pas que nous ayons tprisonniers dune vision produc-tiviste. Bien sr, nous tenions audveloppement des forces pro-ductives et je pense toujours quun certaindveloppement des forces productives est lacondition de labaissement du temps de travail.Mais nous tions dj actifs dans les premiersgrands combats, Malville, Golfech, le Larzac,sans avoir pour autant une conscience colo-giste (bien que la rflexion sur ces questionsapparaisse assez tt dans Critique communiste , linitiative notamment de Jean-Paul Delage).

    Aprs, nous avons plutt fait un travail derflexion thorique sur lcologie et je consi-dre, quand on lit ce qui se fait, que nous

    navons pas de retard particulier. Mme si celane suffit pas pour irriguer les pratiques au quo-tidien, nous avons pris conscience quil sagis-sait dune des trois contradictions majeures: lesrapports dexploitation, les rapports socit-nature et les rapports collectif-individuel. Si lon

    caractrise la crise actuelle comme crise de civi-lisation (crise gnralise de la mesure rduite la forme valeur), elle se concrtise de triple

    faon, dans les formes dexclusion sociale struc-turelles, dans le drglement de la mesuresociale lpreuve de lcologie et donc dulong terme, et dans les dfis des biotechnolo-

    gies et de lintervention sur le vivant.

    M. : Revenons sur lappel des Indignes de la Rpubliqueavec, pour toile de fond, ledbat sur la lacit, le voile etc.,

    porteur de vritables clivages.Sont-il circonstanciels et lis la ncessit de se positionner

    sur un terrain peu investi ? Faut-il confronter au logiciel politique en place ces fortescontradictions rvles par laloi sur la lacit et par lappel

    des Indignes ? Vous avez contest, dans un texte avec Samuel Joshua et RoselyneVachetta, cette mobilisation sur lhritage colonial au motif quelle isolerait les indignes de ceux qui ne le sont pas.

    D.B. : Jai peru la loi sur le voile comme uneloi de diversion et de discrimination qui, parextension, pse non seulement sur les lvesmais aussi sur les familles. Je nai pas eu beau-coup dtudiantes voiles, mais quand jai dis-cut avec elles, jai constat le lot indm-lable de motivations quelles mettent en avant.Il ne sagit pas de banaliser la part doppressionreligieuse de genre que comporte limpositiondu voile. Noublions pas quen Iran, les mani-festations de 1979 contre le voile ont t lesdernires avant limposition de la dictature du

    clerg chiite. Mais la lutte contre cette oppres-sion ne relve pas de la loi: les transformationsdes murs ont leur rythme propre. Il ny a pasde symtrie entre la loi et le voile, mais le mou-

    vement des femmes ne devait ni banaliser, ni a fortiori valoriser le port du voile.

    Faisons attention un climat

    o le relativisme

    culturelremet en cause

    luniversalisme sensunique des dominants,

    mais aussiluniversalisme

    galitairedes opprims .

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    Sur lappel des Indignes, ce nest pas lidedun mouvement autonome qui me gne, mmesi jai un doute sur le contenu et le sens de cette

    autonomie et sur les critres de sa dlimitation. Je ne crois gure un mme mouvementregroupant les sans-papiers chinois, les tu-diants mauritaniens et dautres. Je crois pluttquon va retrouver des organisations spci-fiques, et lide de regrouper tout cela dans unmme creuset me parat une construction intel-lectuelle. Je ne suis pas du tout hostile larevendication de populations provenant de paysqui ont t coloniss, et qui sont toujours enbutte la discrimination imprgne de lhritagecolonial. La question est de savoir comment trai-ter le problme. Analyser cela travers la grilledu portrait du colonis dautrefois, comme lefont certains textes annexes lappel, cest pas-ser ct de la situation spcifique de popula-tions immigres qui portent sur elles ce stigmatecolonial, mais sont ici pour y vivre de faon nontemporaire et sont confrontes aux contradic-

    tions de cette socit. La rfrence au schmacolonial me parait de ce point de vue passer ct de loriginalit des situations actuelles dansle contexte de la mondialisation librale.

    M. : Cest moins la rptition de ce qui sest pass dans le cadre colonial que le fait que la Francena pas dcolonis son imaginaire et quind-

    pendamment des structures coloniales primes,les discriminations affectent non seulement desimmigrs mais aussi des deuxime, troisime

    gnrations, ce qui ne sest pas produit pour lesautres immigrations non postcoloniales. Il y adeux faons dexpliquer cette singularit.La pre- mire, vhicule par le discours politique domi- nant, consiste dire quils subissent ces situa- tions parce quils sont encore imprgns duneculture distante peu assimilable.Lautre, que la

    socit franaise tend singulariser parce quelle

    est encore imprgne des modes de pense forgsdans le cadre colonial.Le pige que comporte

    pour vous la rfrence au portrait du colonis,cest la socit franaise qui la construit.D.B. : Ce nest pas une raison pour tomberdedans.

    M. : Mais cest la structure dans laquelle onvolue.On ne peut pas lignorer.D.B. : Je ne suis pas convaincu. Je ne reprends

    pas lislamophobie mon compte et je penseque Ramadan est un interlocuteur ; mais cestun alli tactique sur une srie de thmes dans lemouvement altermondialiste, et un adversairestratgique du point de vue la scularisation dumonde. Nous navons pas la mme vision delmancipation. Ce serait la mme chose avecun Juif qui se considre comme appartenant aupeuple lu, ou videmment avec un chrtiencrationniste. Ce nest pas un problme dediversit culturelle. Certains principes sontdevenus des acquis universalisations . Je nesuis pas pour envoyer des troupes au Mali pourempcher lexcision, mais en France, linterditde lexcision ce nest pas ngociable au nom dela diversit des gots et des couleurs. Faisonsattention un climat o le relativisme culturelremet en cause non seulement luniversalisme sens unique des dominants (ce qui est lgi-

    time), mais aussi luniversalisme galitaire quia toujours t une arme pour les opprims,dOlympe de Gouges Toussaint Louverture.

    M. : Les Indignes ne sont pas dans le relati- visme.D.B. : La question me parat bien pose dans sonlivre par Abdellali Hajjatt: il fait une typologiedes positionnements ; en distinguant une auto-nomie de repli et une autonomie douverture.Lautonomie peut tre une base de dpart versde nouvelles alliances, de nouvelles conver-gences, un nouvel horizon duniversalit; ellepeut tre au contraire un choix dautoprotectionpar enfermement et ghettosation volontaires,mme si la socit porte la premire responsabi-lit des sgrgations multiples. Mais la rponseest-elle approprie? Je minquite de dcelerdans lappel une trajectoire inverse de celles de

    Fanon et de Malcolm X. Fanon dit en substance: Je ne veux pas tre esclave, pas mme de les-clavage, je ne suis pas prisonnier de ma gna-logie. il dveloppe une conception de langritude diffrente de celle de Senghor, inscritedans un horizon duniversalit. Malcom X est

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    contre le Black qui nest pas forcment SDF.D.B. : Mais faut-il rpondre cela en thorisantet en essentialisant les diffrences, ou bien

    en cherchant les surmonter?M. : Il faut dabord pointer la ralit socialetelle quelle est.Le discours du Front national,qui dit aux petits Blancs quils doivent avoir accs des ressources qui seraient aujourdhui confisques pour la protection sociale desimmigrs, joue l-dessus.D.B. : On peut sorganiser defaon autonome contre des dis-criminations spcifiques, mais ilfaut dans le mme temps cher-cher construire une solidaritsur la question sociale. Sinon onsenfonce forcment dans unemosaque de concurrence entre

    victimes doppressions. Aujour-dhui on risque en France unconflit inter-thnique entre

    Blacks et Juifs, comme aux tats-Unis. La comparaison de lescla-

    vage et de la Shoah cre lesingrdients dun conflit intercom-munautaire qui sera dautant plus compliququil ne touche pas les mmes couches sociales.

    M. : Cela nous amne un thme que nousvoulions aussi aborder : le judasme, qui nap-

    parat quen pointills dans votre propre par- cours, mais est tout de mme lobjet dunerflexion.D.B.: Jai d minterroger sur le nombre dispro-portionn de militants dorigine juive dans lemouvement ouvrier en gnral, et trotskiste enparticulier. Cest une dimension refoule aupoint dtre nie, estime Jean Birnbaum dontlavant-dernier chapitre du livre est titr ironi-quement: Sois juif, et tais-toi! . On est ns l-

    dedans, et surtout ceux qui sont ns pendantou juste aprs la guerre, cest constitutif de leurformation politique. Le problme cest que,comme le montre Birnbaum, tous les leaders trotskistes Bara Lutte ouvrire, Lambert,Pierre Frank, Mandel ont plutt vit la spci-

    ficit du gnocide pour le dissoudre dans unhorizon dmancipation universelle. Ctaitcomprhensible et, dans une certaine mesure,

    lgitime. On avait voulu les clouer, en tant que victimes, une filiation, leur rponse tait uni- verselle. Petit petit les choses ont chang, etnous avec. Le livre dEnzo Traverso surmmoire et histoire rappelle comment, dans lesannes 1970, par le biais de linstrumentalisa-tion dHannah Arendt, le gnocide est devenuune sorte dvnement thologique absolu,

    rvlateur de la destine juivepar-del lhistoire5. Cetteconception a des effets sur lerapport des institutions commu-nautaires en France. Je negote gure les rfrences lagnalogie, aux origines, auxracines : en bon deleuzien (sur ce point du moins), jepense que cest le devenir quicompte. Nous avons pourtant

    t amens (avec Marcel-Fran-cis Kahn, Rony Brauman, Vidal-Naquet et bien dautres), aprsbeaucoup dhsitations, nous

    exprimer en tant que Juifs. Ctait, dans une cer-taine mesure, nous contredire, mais je ne pou-

    vais accepter que lon prtende parler en monnom pour appuyer la rpression de lIntifada,quon soutienne le mur ou la colonisation desterritoires occups au nom de mes cousins,cousines, oncles ou tantes gazs. Cest un hold-up de mmoire. La premire raction visibleremonte, ma connaissance, 1982 : Marcel-Francis Kahn et dautres ont alors organis unemanifestation des Juifs contre la guerre auLiban. Ctait une dmarche politique: refuserlidentification de la totalit du peuple juif ausionisme mettait les milieux sionistes en diffi-cult. Cela sest avr efficace : cela a dsinhib

    beaucoup de gens, et produit un effet de sym-trie dans une partie des milieux arabes, et per-mis de montrer que le conflit nest ni religieux

    Jassumemes origines juivescomme un judasme

    de ngation:face un antismite,

    je suis juif .

    5. E. TRAVERSO, Le pass, modes demploi : histoire,mmoire, politique , Paris, La Fabrique, 2005.

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    ni ethnique, mais politique. Dans la correspon-dance entre Ralph Miliband et Marcel Liebmannau moment de la guerre des Six jours, qui vient

    dtre publie6

    , on retrouve exactement lesmmes contradictions et les mmes problmes.

    M. : Mais pour obtenir ce rsultat, il a falluinvestir une identit, ce qui est partiellement encontradiction avec votre vision de luniversel.D.B.: Je vois laspect pervers de la question. Jenai jamais effac mes origines juives, mais jenen avais pas fait un usage politique. Enrevanche, jai toujours dit que je lassumaiscomme un judasme de ngation. Face unantismite, je suis Juif. Trotski pensait que laquestion juive steindrait dans le socialisme.Mais aprs les tribulations du Birobidjan etdevant la monte du nazisme, il a t beau-coup plus lucide en 1937, voquant alors expli-

    citement la possibilit du gnocide, ce que peude gens notamment pas les institutions com-munautaires ont alors fait, et sinterrogeant

    sur la place spcifique dune culture juive,identifie la culture yiddish (la culture sfa-rade lui tait inconnue). Marx avait dj mon-tr que les Juifs se sont perptus dans et par lhistoire et non malgr elle. Le fondamenta-lisme juif daujourdhui incarn par Milner,Benny Lvy ou Finkielkraut, revient aucontraire dire Nous avons t dus parlhistoire et la politique, nous retournons doncau Juif originel et ternel et aux textes fonda-teurs. Au lieu de transformer les questionsthologiques en questions profanes, ilsrebroussent chemin, transformant les questionsprofanes en questions thologiques, entrantainsi dans la logique de confessionnalisation du conflit isralo-palestinien.

    6. R. MILIBAND, M. LIEBMAN, Le dilemme isralien.Un dbat entre Juifs de gauche , introduction etconclusion de Gilbert Achcar, Lausanne, EditionsPage 2, 2006.

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