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féminisme actuel ENQUETE AUPRES DES QUÉBÉCOISES Stratégies privées et politiques N ous voulions savoir où en étaient les autres féministes. Après en avoir choisi quelques-unes, nous leur avons demandé, plus qu'un bilan personnel, leurs stratégies d'action féministe pour l'avenir- personnelles et collectives. Productrices culturelles, informatrices, syndicalistes ou fondatrices de centres de femmes, elles ont entre 22 et 44 ans, habitent Montréal, Québec, l'Estrie, la Côte Nord ou le Bas-du-fleuve. Mais elles ont toutes en commun d'être depuis longtemps féministes et militantes - et identifiées ainsi dans leurs milieux respectifs. Il n'y avait que deux (larges) questions : 1. Compte tenu de ton expérience, quelles seront, les prochaines années et dans ton milieu, tes priorités d'action féministe ? 2. Il y aura des élections générales au Québec d'ici deux ans. Selon toi, est- ce que ce sera une occasion valable d'essayer d'imposer politiquement les revendications des femmes ? Si oui, selon quelles formes d'organisation ou de représentation politique : lobbying auprès des partis traditionnels, appui de candidates féministes indépendantes, création d'un parti féministe ? etc. Si non, pourquoi ? Impliquée depuis 1978 dans la lutte féministe collective, entre autres à la revue féministe Des luttes et des rires de femmes. Depuis la publication de Sans (leurs ni cou- ronnes, bilan des pratiques de Des luttes et des rires, ma participation est moins active. J'observe. Décrochée de l'urgence, de l'appar- tenance. Même situation quant à mon impli- cation politique en tant que lesbienne, impli- cation encore intimement liée à mon engage- ment féministe. Position périphérique. Recul. Par mon travail salarié, par mes études à temps partiel, je traverse d'autres milieux. J'écoute, je suis curieuse. Je provoque, j'ap- prends. Après une période de bilans, collec- tifs et personnels, période d'intégration des acquis, réajustements, continuité. La même recherche : celle d'une cohérence entre les pratiques et les discours, l'éclatement de la barrière entre le privé et le public. 10 LA VIE EN ROSE, mars 1984 Les élections générales ? Pour celles qui prennent encore plaisir à jouer de séduction et qui conçoivent que cet atout féminin peut être recyclé. Pourquoi pas ? Je ne garantis, pour- tant, mon vote à personne. Il y a des jours où je n'ai pas envie de jouer à cette échelle-là. Ça m'étourdit. Je préfère les jeux intimes de corps, de coeur et de tète aux prises de bec parlementaires, et j'ai l'impression qu'il y a plus de potentiel de changement radical dans un rapport intime réfléchi que dans une session complète à l'Assemblée nationale. Femme de théâtre lesbienne et fémi- niste radicale, a travaillé entre autres au Théâtre expérimental des femmes. Depuis cinq ans, mon travail s'oriente prin- cipalement vers deux choses : tâcher de raffiner mon projet social et en expérimenter les différentes formes. Mon engagement est à la fois théorique et pratique, individuel et collectif - politique, donc. Tâcher de repenser notre existence, de redéfinir nos rapports, bref de redéfinir notre réalité. Mon discours s'adressant essentiellement aux femmes, je tente de vérifier dans un collectif de travail les limites et les dépassements possibles. II est extrêmement important de proposer des ima- geries décolonisées, d'alimenter notre imagi- naire femelle et de transgresser les limites des schèmes patriarcaux. «S'imaginer autre». D'où l'importance, à court et à moyen terme, de fonder des revues, des lieux de rencontre (théâtre, cinéma, expositions, etc.), des groupes de stratégie politique où les femmes pourraient travailler ensemble à développer et raffiner leurs pensées. Et surtout, où des projets pourraient déjà prendre forme. Pour ma part, j'aimerais mettre sur pied un théâtre lesbien. Je crois que le féminisme se trouve en ce moment à un tournant historique et critique. La société patriarcale prend un sérieux coup de barre vers la droite. L'espèce de relâche- ment politique et idéologique des femmes m'inquiète. Nous devons plus que jamais radicaliser notre pensée et notre action. Question de survie. Question de vie. Et je vois davantage des interventions «extra-politiques» - telles la résistance passive et/ou l'action directe et violente (refuser de collaborer ou détruire systématiquement leurs biens) - qu'un parti féministe. Il me semble illusoire d'aller se battre sur leur terrain parlementaire. Un tel parti risque plutôt d'alimenter le stock des «token women». Et des femmes qui se brûlent inutilement dans des débats inutiles. Micheline Carrier Québec ! Journaliste à la pige, a écrit depuis dix ans des centaines d'articles (Châ- telaine, Le Devoir, Questions fémi- nistes) sur la condition des femmes, particulièrement sur la pornographie et autres violences. Animatrice d'ate- liers, de cours, en contact avec des groupes de femmes, vient de publier son troisième livre, en réponse à Christiane Olivier Faut-il pendre Jocaste? L'information sur la porno et autres vio- lences demeurera une priorité à vie. Mais mon «état» de communicatrice et de critique

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Page 1: ENQUETE AUPRES DES QUÉBÉCOISES Stratégies privées et …bv.cdeacf.ca/CF_PDF/LVR/1984/16mars/84675.pdf · 2008. 2. 15. · 10 LA VIE EN ROSE, mars 1984 Les élections générales

féminisme actuelENQUETE AUPRES DES QUÉBÉCOISES

Stratégies privéeset politiques

N ous voulions savoir où en étaient les autres féministes. Après en avoirchoisi quelques-unes, nous leur avons demandé, plus qu'un bilan

personnel, leurs stratégies d'action féministe pour l'avenir- personnelles etcollectives. Productrices culturelles, informatrices, syndicalistes ou fondatricesde centres de femmes, elles ont entre 22 et 44 ans, habitent Montréal, Québec,l'Estrie, la Côte Nord ou le Bas-du-fleuve. Mais elles ont toutes en commund'être depuis longtemps féministes et militantes - et identifiées ainsi dansleurs milieux respectifs.

Il n'y avait que deux (larges) questions :1. Compte tenu de ton expérience, quelles seront, les prochaines années et

dans ton milieu, tes priorités d'action féministe ?2. Il y aura des élections générales au Québec d'ici deux ans. Selon toi, est-

ce que ce sera une occasion valable d'essayer d'imposer politiquement lesrevendications des femmes ? Si oui, selon quelles formes d'organisation ou dereprésentation politique : lobbying auprès des partis traditionnels, appui decandidates féministes indépendantes, création d'un parti féministe ? etc. Sinon, pourquoi ?

Impliquée depuis 1978 dans la lutteféministe collective, entre autres à larevue féministe Des luttes et desrires de femmes.

Depuis la publication de Sans (leurs ni cou-ronnes, bilan des pratiques de Des luttes etdes rires, ma participation est moins active.J'observe. Décrochée de l'urgence, de l'appar-tenance. Même situation quant à mon impli-cation politique en tant que lesbienne, impli-cation encore intimement liée à mon engage-ment féministe. Position périphérique. Recul.

Par mon travail salarié, par mes études àtemps partiel, je traverse d'autres milieux.J'écoute, je suis curieuse. Je provoque, j'ap-prends. Après une période de bilans, collec-tifs et personnels, période d'intégration desacquis, réajustements, continuité. La mêmerecherche : celle d'une cohérence entre lespratiques et les discours, l'éclatement de labarrière entre le privé et le public.

10 LA VIE EN ROSE, mars 1984

Les élections générales ? Pour celles quiprennent encore plaisir à jouer de séduction etqui conçoivent que cet atout féminin peut êtrerecyclé. Pourquoi pas ? Je ne garantis, pour-tant, mon vote à personne. Il y a des jours où jen'ai pas envie de jouer à cette échelle-là. Çam'étourdit. Je préfère les jeux intimes decorps, de coeur et de tète aux prises de becparlementaires, et j'ai l'impression qu'il y aplus de potentiel de changement radical dansun rapport intime réfléchi que dans unesession complète à l'Assemblée nationale.

Femme de théâtre lesbienne et fémi-niste radicale, a travaillé entre autresau Théâtre expérimental des femmes.

Depuis cinq ans, mon travail s'oriente prin-cipalement vers deux choses : tâcher deraffiner mon projet social et en expérimenterles différentes formes. Mon engagement est àla fois théorique et pratique, individuel etcollectif - politique, donc. Tâcher de repenser

notre existence, de redéfinir nos rapports, brefde redéfinir notre réalité. Mon discourss'adressant essentiellement aux femmes, jetente de vérifier dans un collectif de travail leslimites et les dépassements possibles. II estextrêmement important de proposer des ima-geries décolonisées, d'alimenter notre imagi-naire femelle et de transgresser les limitesdes schèmes patriarcaux. «S'imaginer autre».D'où l'importance, à court et à moyen terme,de fonder des revues, des lieux de rencontre(théâtre, cinéma, expositions, etc.), desgroupes de stratégie politique où les femmespourraient travailler ensemble à développer etraffiner leurs pensées. Et surtout, où desprojets pourraient déjà prendre forme. Pourma part, j'aimerais mettre sur pied un théâtrelesbien.

Je crois que le féminisme se trouve en cemoment à un tournant historique et critique.La société patriarcale prend un sérieux coupde barre vers la droite. L'espèce de relâche-ment politique et idéologique des femmesm'inquiète. Nous devons plus que jamaisradicaliser notre pensée et notre action.Question de survie. Question de vie. Et je voisdavantage des interventions «extra-politiques»- telles la résistance passive et/ou l'actiondirecte et violente (refuser de collaborer oudétruire systématiquement leurs biens) -qu'un parti féministe. Il me semble illusoired'aller se battre sur leur terrain parlementaire.Un tel parti risque plutôt d'alimenter le stockdes «token women». Et des femmes qui sebrûlent inutilement dans des débats inutiles.

MichelineCarrier

Québec !

Journaliste à la pige, a écrit depuisdix ans des centaines d'articles (Châ-telaine, Le Devoir, Questions fémi-nistes) sur la condition des femmes,particulièrement sur la pornographieet autres violences. Animatrice d'ate-liers, de cours, en contact avec desgroupes de femmes, vient de publierson troisième livre, en réponse àChristiane Olivier Faut-il pendreJocaste?

L'information sur la porno et autres vio-lences demeurera une priorité à vie. Mais mon«état» de communicatrice et de critique

Page 2: ENQUETE AUPRES DES QUÉBÉCOISES Stratégies privées et …bv.cdeacf.ca/CF_PDF/LVR/1984/16mars/84675.pdf · 2008. 2. 15. · 10 LA VIE EN ROSE, mars 1984 Les élections générales

féminisme actuel

féministe m'amène à explorer tous lesdomaines influençant la vie des femmes,dont, au cours des prochaines années, lemouvement masculiniste et ses manifesta-tions que signifie la tendance actuelle dunouveau patriarcat porté à réclamer les droitset les pouvoirs des «nouveaux» (?) pères sansqu'on leur ait au préalable attribué des res-ponsabilités et des engagements concrets ?

Je ne donnerai pas une grande importanceaux élections générales. D'autres s'en char-geront. Toutes les occasions sont bonnesd'affirmer les revendications féministes. II neserait pas sage, toutefois, d'abandonner mêmepour quelques mois les tâches en chantier surd'autres terrains, au profit de la politiquepartisane qui engloutit plus d'énergie qu'ellen'apporte de résultats. Cela reviendrait àmiser la totalité de ses avoirs sur une loterie.Pas sûr que les gagnant-e-s partageront avecles femmes. Souvenons-nous du passé récent.

La scène politique ne me semble pas lameilleure, ni même une bonne voie pourchanger profondément, radicalement, dura-blement la société, les personnes, la vie. C'estla condition pour faire accepter dans les faitsles valeurs des femmes, et mon «modeste»objectif de lutte à long terme.

Aider les candidat-e-s pro-femmes etrappeler fermement les exigences féministes,oui. Mais ne pas mobiliser pendant des moistout le temps, toute l'énergie de toutes lesfemmes à cette fin, à l'occasion d'un événe-ment qui s'apparente trop souvent à uneopération-diversion. Ne serait-ce pas accorderune importance excessive à un lieu de pouvoirlimité, éphémère, bien que prestigieux, etpromouvoir d'autres intérêts que les nôtres ?

Marie-AndréeComtois

Québec

Fondatrice avec d'autres de la Maisondes femmes de Québec, candidate en1980 du Rassemblement populaireaux élections municipales de Québec.

Les plans quinquennaux ou triennaux, c'estpas mon fort. La provocation bien plus que laplanification a servi de moteur à mes implica-tions. Mais attention, je ne suis pas une pro-vocatrice, oh non, à l'inverse plutôt, uneéternelle provoquée.

Par exemple, c'est au lendemain du 8 mars1976 (à l'époque de «Pas de libération destravailleurs sans libération des femmes» etvice versa) que cinq, six d'entre nous ont eubesoin de réagir : ce fut la longue aventure dela Maison des femmes de Québec. Un autre 8mars - coïncidence ? - en 1982 nous força àfouiller les multiples confrontations qui sur-gissaient chaque année dans l'organisationde cette journée : et ce fut le Dossier 8 marspublié par le collectif Marie-Géographie.

Mes actions-réflexions, donc, naissentpresque toujours d'un sentiment d'urgence.Or, actuellement ie me sens, je nous senspatience. C'est comme si je m'étais faite àl'idée que ce serait très long, comme si, par

moments, je l'assimilais à un beau rêveComme si, aussi, le prix à payer pour unerecherche d'autonomie devenait très élevé.Coûteux en termes d'amour, de complicités,de sécurité, de fantaisie. Et pourtant... Dansun mois, un an peut-être, l'urgence va ressur-gir, l'espoir, nourri de réflexion-évaluation, depratiques et de transformation personnelle, varepoindre. Le bilan sera inversé et alors,encore une fois provoquée, je...

Les prochaines élections pourraient-ellesservir de catalyseur? L'expérience péquistem'a confirmé qu'un préjugé même favorabledemeure un préjugé. On voit ce que ça adonné. Un parti féministe qui remettrait encause le pouvoir patriarcal et serait porteurd'un changement radical ? Utopie ou possible ?Provoquez-moi.

EdithGodbout

Hauterive

Co-fondatrice de la Maison des fem-mes de Baie-Comeau/Hauterive, tra-vaille à présent au Centre Immersion(issu de la Maison) qui s'occupe del'intégration des femmes au marchédu travail.

Entendons-nous bien : je ne suis pas unevedette du féminisme!... mais une femme

G.I.V Distribution de vidéos. 1308 Gilford.Montréal. Que. H2J 1 R5 (514)524-3259

LA VIE EN ROSE, mars 1984 11

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féminisme actuel

engagée dans l'action collective et qui y croitprofondément. Votre petite enquête tombepile : c'est une réflexion que j'avais amorcéede mon côté. Je sors en effet de cinq annéestrès intenses pendant lesquelles j'ai investibeaucoup de temps et d'énergie dans la lutte.

À force de penser avec et pour le collectif, jeréalise que j'ai fini par manquer de recul pourinterroger mes propres affirmations. Je medonne encore un an au Centre Immersion, surle dossier de la vie économique des femmesAprès je prendrai le temps de souffler un peu,de regarder comment moi, Édith Godbout, jeme définis comme féministe. J'ai le goût delaisser mûrir les choses et d'aller voir ce qui sefait ailleurs, dans d'autres groupes de femmesPour, a long terme, revenir à l'action ressour-cée. Dans trois, quatre ans ?

Quant à la politique et aux élections, je doisavouer que j'éprouve une réticence viscéralevis-à-vis de tout ce qui s'appelle pouvoir. À laMaison des femmes, nous avons beaucoupessayé d'établir des relations égalitaires, àfaire en sorte que personne ne mobilise toutesles informations, n'assume seule toutes lesdécisions. Selon moi, avant de songer augrand saut en politique, nous devons expéri-menter d'autres formes d'organisation sociale

au lieu d'envoyer des femmes se brûler dansl'arène politique.

MadeleineLacombe

Sherbrooke

Travaille depuis 1977 sur le dossierde la violence faite aux femmes,d'abord comme instructrice d'auto-défense (wen-do), ensuite comme co-fondatrice puis permanente, à Sher-brooke, d'un centre d'aide et de luttecontre les agressions à caractèresexuel. A milité dans les regroupe-ments provinciaux des centres contrele viol et des maisons d'hébergement.

J'ai pris un recul face à tout cela depuis1984 ! J'avais envie de réévaluer mon action.La question de la violence demeure trèsimportante pour moi. Tout en reconnaissant la

nécessité de toutes les luttes menées par lesfemmes, j'ai l'impression de toucher là unpoint névralgique de la condition des femmes.Notre impuissance aux niveaux social et poli-tique est liée à notre impuissance dans lequotidien. Impuissance apprise très |eune etentretenue par les agressions sexuelles, parles rapports de force qui régissent les relationshommes/femmes, autour de la sexualité et del'amour, mais qui sont les mêmes sur lemarché du travail, en politique, partout !

Personnellement, je n'ai plus envie de m'in-vestir dans le quotidien d'un centre. Je croisqu'un danger guette les groupes de femmesactuellement, et c'est l'amateurisme. II n'estpas suffisant d'avoir raison, il faut en avoir laforce, être convaincantes, articulées, faire desinterventions de qualité, donner une image decompétence, savoir profiter des expérienceset des acquis, éviter de refaire certaineserreurs. Après avoir beaucoup appris desfemmes, je sens que j'ai aussi des choses àapporter. II me reste à trouver le comment.

Selon moi, il n'est pas suffisant d'amenernos revendications au niveau politique. Cequ'il faut, c'est changer toutes les règles dujeu. Pour le faire actuellement, il faut créer unmouvement de contre-balancier et je crois

et matinées

présentent

Claire BonenfantPrésidente du Conseil du Statut de la Femme

dans une série de

3 CONFÉRENCESsur le thème

LA FORCE DES FEMMES

Frais: 20 SHoraire: 19:30 à 22:00

Dates: mercredi, 28 mars, 4 et 11 avrilLieu: Université de Montréal

Pavillon principal2900, Chemin de la Tour, Montréal

Entrée: Z-1(où une hôtesse vous attend)

Renseignements: 343-6090

Université de MontréalFaculté de l'éducation permanente

LAVIE

ARRACHÉEpar Michèle Mailhot

Ainsi parle — et écrit — MichèleMailhot dans La vie arrachée, queviennent de publier les Éditions LaPresse. La vie arrachée, c'est lasomme relue, revue, revécue de cescahiers dans lesquels elle s'est confiéedepuis l'âge de neuf ans. Diffusés enmajeure partie sur les ondes de Ra-dio-Canada dans le cadre de la série«Journal intime de... », ces cahiers of-frent aujourd'hui, dans ce livre, le té-moignage a la fois lucide et doulou-reux d'un cheminement qui avaitcommencé avec Veuillez agréer..., sonouvrage précédent paru aux EditionsLa Presse.La vie arrachée, un Uvre prenantaprès lequel il n'y a plus que lesilence. Et l'amour.

les éditionsla presse

En ventepartout

éditeurs canadiens

12 LA VIE EN ROSE, mars 1984

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féminisme actuel

que seul un parti féministe peut provoquer cemouvement. Je ne crois plus au lobbyingauprès des partis traditionnels. J'ai appris,pour avoir milité jusqu'à récemment en «poli-tique», que les hommes sur lesquels on peutparfois compter au départ ont souvent un«plan de carrière» et que, dans la pratique,celui-ci passera avant tout idéal. À longterme, on ne peut donc pas compter sur eux.

Bien sûr, le même piège guette les femmes- quoique il ne faut pas avoir de plan decarrière (traditionnel en tout cas) pour seprésenter dans un parti féministe ! L'avan-tage d'un parti féministe, c'est que cesfemmes, même peu nombreuses au début,seront élues sur des bases claires, avec lemandat de défendre nos revendications, etelles seront soutenues par une «base» defemmes désirant des changements fonda-mentaux. En fait, l'idée d'un parti féministem'emballe, je crois sincèrement que dans laconjoncture actuelle ça pourrait faire avancerdes choses.

MarieLeclerc

Québec

A participé à Droit de parole (journalde quartier), à Presse Libre, auxCordes à linge (groupe de musiqueféministe) ; est actuellement au col-lectif Marie-Géographie.

Nous, je, avons à nous affranchir de nosbarrières-entraves mentales et sociétales... «Ah verrai-je jamais le jour

Où je jouirai de chaque geste qui jailliraOù nos cantiques alentourPorteront tumulte d'autres temps,

d'autres choix»...Se créer des espaces de libertéInvestir l'agir en alliance du quotidienConstamment retrouver le rythme intérieur de

nos sensibilitésNe plus s'égarer dans le pluriel des redites de

leurs discoursNous avons figé la mouvance dans des

parcours tracésLaissons monter la flamme, le souffleIncrivons tenacement nos convictions persis-

tantes d'une nécessaire transformationglobale

Monte la résonance de nos avancées face auxretombées de crachats des pouvoirs

L'apprivoisement de nos différences-femmes

jette un pont sur le fosséentre réformisme, modération et radicalisme

Hormis le statu quo, tout nous est envisageableViser la subversion des tribunes du parlemen-

tarismePourquoi pas. Sitoutes nous portons nos flambeauxet arborons nos croyances et absences decroyances,comme une bannière multicolore. Siquand nous prenons nos avenuesnous inscrivons nos vues, nos sentis. Siquand nous conquérons un siègenous nous y dressons au lieu de nous y piéger.

politique du moins pire.

Membre du collectif de production deDes luttes et des rires de femmes de1978 à 1981, a participé entre autresà l'organisation de rencontres-discussions, de tables rondes et dejournées de réflexion entre femmes.

Et maintenant ? Je pense que l'évolue dansun milieu diffèrent d'il y a deux ans. J'ai trans-formé mon champ d'action et d'intérêts et jeme suis mise à travailler dans le secteur«artistique». Car pour moi l'expression artis-tique est une clé importante dans la créationd'images de nous-mêmes valorisantes, forteset uniques. J'ai le goût de participer à l'édifi-cation d'une culture de. femmes réfléchie etapprofondie. Et mes priorités ? Continuer àappuyer la création de ces nouvelles images,avec d'autres femmes et sur une base ponc-tuelle, et tenter de vivre pleinement ma vieavec tout ce que ça implique

Non, je ne crois pas à «l'occasion des élec-tions». L'histoire nous le démontre bien Pasplus qu'auparavant, nous ne pouvons imposerpolitiquement nos revendications lors de cetteélection. Bien sûr, à force de pressions, nousréussissons à faire alléger certaines lois, àimposer partiellement nos idées. Mais le grosde tout ça, nous le devons à nous toutes, ànotre acharnement, à notre propre rayonne-ment.

La manipulation électorale est intrinsèqueau fonctionnement des partis politiques engénéral. Ainsi, ils se servent de nous et nousfont de belles promesses. Mais je voterai biensûr à ces élections, et c'est ce que j'appelle la

VéroniqueO'Leary

Montréal

Militante féministe depuis 1969, auFront de libération des femmes, auComité de lutte pour l'avortementlibre et gratuit, au Théâtre des cuisines,dans divers groupes autour de Matane,etc. Auteure avec Louise Toupin del'anthologie Québécoises Deboutte.

«Je suis fatiguée. Près de 15 ans mainte-nant que je suis devenue féministe. Oui. c'estvrai, nous sommes maintenant des centaines,des milliers, pourtant jamais je ne me suissentie aussi seule. J'ai le sentiment d'êtrepassée de la solidarité entre quelques-unes àla solitude à plusieurs. Je découvre aujourd'huila méfiance entre nous, la division, l'épuise-ment, le désenchantement.»

Hiver 83-84 : l'énergie revient. Commentdiriger mon action féministe dans les pro-chaines années ? Mais par mes anciennesamours, le théâtre, le Théâtre des cuisines. Ydire et y chanter, à qui veut l'entendre, mestristesses, mes colères, mes espoirs de femmeféministe. Mais que vivent encore les femmessur la terre: «Insultées, frappées, violées,mutilées, torturées, massacrées...». Crid'alarme : «On est en guerre. De deux chosesl'une: ou on la gagne, ou on la perd» Mapriorité : «Pour aujourd'hui et dans cent ans.l'union des femmes il faut la faire Faisons lapaix entre nous pour faire la guerre ensemble.»Et chantons à nos enfants : «Dors ma Del-phine, tu seras marine ; dors Sébastien, seraspas chauvin. »

Toutes ces citations entre guillemets sontdes extraits du dernier spectacle du Théâtredes cuisines, écrit et monte pour le 8 mars1984, présenté en audition le 18 janvier aucomité organisateur du show du 8 mars de LaVie en rose Refuse. Ce jury féministe nous dit,au téléphone : «Trop démobilisateur; trop dedéjà vu, parler de guerre heurte, alors qu'onveut lancer un appel féministe. Ça ne va pasavec notre show » C'est vrai, c'est heurtant detoujours se rappeler que le patriarcat et lecapitalisme mènent la guerre, contre lesfemmes...

Mes priorités au printemps 84 l'unionavec moi-même, par le théâtre, la musique, oùle privé est toujours politique et le féminisme

LA VIE EN ROSE, mars 1984 13

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féminisme actuel

une bonne partie de mon oxygène.

Je dis non à un parti féministe. Je ne croispas au monopole des luttes et de l'idéologie,qui nie les divisions et fait taire les différences.

ArmandeSaint-Jean

Stanstead

Journaliste de métier, productriceagricole depuis dix ans, impliquéecomme militante féministe surtout eninformation : émissions de radio et detélévision, collectif et journal Les Tètesde pioche, sessions de formation etateliers sur la condition féminine,entre autres. A publié en novembrePour en finir avec le patriarcat.

Sans doute par dé/formation profession-nelle, je souffre depuis longtemps de lapauvreté des réseaux d'information entre lesfemmes. Or la communication me sembleessentielle à toute survie, à tout progrès desfemmes, individues et collectives. Je veuxdonc continuer d'exercer mon métier endemeurant intimement associée à des fem-mes écrire, publier, diffuser, animer, cher-cher, enseigner, témoigner. Je rêve depuis deslunes à une radio des femmes, comme à lanaissance d'une revue d'idées/actions fémi-nistes

Je continuerai de participer aux diversesactivités féministes publiques où des femmesm'invitent, particulièrement dans ma régionde l'Estrie, auprès de femmes dont je partageles intérêts personnels, comme l'agriculture.

Quant au privé, je poursuivrai une tentativeamorcée depuis quelques années : la mise surpied d'une communauté de femmes autonomesvivant à la campagne, partageant ressourceset activités. II s'agit de se donner un lieugéographique et affectif (hors de l'arènepatriarcale et au-delà de la structure familialetraditionnelle) où établir des rapports d'en-traide, égalitaires, harmonieux et visant àsatisfaire nos besoins respectifs.

La lutte des femmes est désormais poséeen termes politiques. Dans les années 60,nous réclamions l'égalité. La décennie 70nous a vues faire des percées significativesdans tous les champs de l'activité humaine.La décennie 80 doit nous permettre de conso-lider nos acquis et de conquérir tout ce quinous manque encore, notamment le pouvoir.

14 LA VIE EN ROSE, mars 1984

Comment y arriver ? En investissant lesstructures existantes pour changer le systèmede l'intérieur ? Ou en échafaudant de nouvellesorganisations en dehors de l'arène patriarcale ?Ce sont là affaires de stratégie, d'énergie, degoûts personnels. Aucune des routes n'est àdédaigner. II serait cependant illusoire depenser que nous emprunterons toutes lemême chemin. Ce n'est ni souhaitable ninécessaire.

MarianneTremblay

Rimouski I

A milité d'abord au Comité des femmesde la C.E.Q. et, depuis trois ans, à laMaison des femmes de Rimouski.

En dépit de la morosité et de la démobilisa-tion que je peux voir autour de moi, je suisconvaincue qu'il ne faut surtout pas lâcher,qu'il reste encore des batailles à gagner. Pourl'instant et pour les prochaines années, mapriorité est de travailler avec d'autres femmespour en arriver à nous tailler une place dans lavie économique.

J'ai un autre front de lutte, aussi important :le Regroupement provincial contre la porno-graphie. Pour moi, l'abolition du patriarcatpasse nécessairement par une réflexion fémi-niste sur la vie privée, sur la vie sexuelleEnfin, comme syndiquée, je compte bien con-tinuer à m'impliquer à l'intérieur du Comitédes femmes. Je sais bien que la structuresyndicale est mâle ; c'est justement pour celaqu'il faut y rester pour la changer, pour aller,comme femmes, nous y chercher du pouvoir.

Dans la conjoncture actuelle, je trouveprématuré de songer à la mise sur pied d'unparti féministe, quoique l'idée me plaise assez.II faudrait plutôt privilégier des candidaturesféministes indépendantes, à la condition queces femmes s'affichent comme féministes etbasent leur programme électoral - et toutesleurs interventions par la suite - sur lesrevendications des groupes de femmes Lespartis politiques traditionnels ? Surtout pas !Les femmes y sont trop encadrées, assujet-ties a la ligne de parti, tenues à la solidaritéministérielle. Elles abdiquent.

Propos recueillis par :HÉLÈNE LÉVESQUE

LISE MOISANFRANÇOISE GUÉNETTE

Mary O'Brien

«Je cherchais à analyser la naissancecomme une chose réelle, vraie. Personnelle-ment, je la voyais déjà ainsi, non pas parceque j'ai des enfants - je n'en ai pas - maisparce que j'ai été sage-femme jadis. J'aidonc été présente lors de ces incroyables«célébrations» de la féminité. À cause decette expérience, je ne pouvais pas accepterle fait que la naissance soit perçue commealiénante, purement biologique, inintéres-sante et a-historique. Notion entérinée mêmepar Simone de Beauvoir, pour qui la «transcen-dance» ne peut être l'affaire des mères. (J'aid'ailleurs voulu peut-être lui prouver quelquechose à elle en particulier). Moi, j'ai toujourseu ce gros bon sens de penser que l'histoiren'existerait pas sans le fait d'être mise aumonde. Mais c'est une préoccupation tout àfait absente des annales de la pensée deshommes.

En fait, la naissance n'est pas simple C'estun processus complexe non pas au niveau ducorps mais au niveau de la conscience humai-ne. Et tout comme il y a la conscience declasse, il y a la conscience de reproduction,très différente, selon qu'on est un homme ouune femme.»

Le droit des papas«La paternité est ni plus ni moins qu'une

découverte historique. A un moment donné,l'homme découvrit qu'il était à la fois inclusdans et exclus du processus de reproduction.La paternité est une idée, la connaissanced'une cause à effet qu'il fallait matérialiser. Àmon avis, le patriarcat est l'effort des hom-mes, à travers l'histoire, pour se réconcilier