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1 En 2005, plus d’un million de patients en Europe ont subi une opération chirurgicale nécessitant une greffe osseuse. Avec l’allongement de l’espérance de vie et une population beaucoup plus active, ce chiffre est en constante augmentation (environ 5 % par an). Les traumatismes (fractures) liés ou non à la dégénérescence des tissus calcifiés (ostéoporose), à certains facteurs génétiques (maladie de Paget), à des malformations du squelette congénitales ou induites par l’activité professionnelle, à l’ablation d’ostéosarcomes ou plus simplement à l’extraction de dents nécessitent fréquemment une reconstruction osseuse. L’autogreffe, ou transplantation d’os d’un site à un autre chez le même patient, est actuellement la procédure la plus utilisée et considérée comme la plus efficace du fait de ses propriétés ostéogéniques intrinsèques. Néanmoins, l’autogreffe nécessite deux interventions chirurgicales simultanées avec très souvent des complications au niveau du site de prélèvement (fortes douleurs post-opératoires au niveau de la crête iliaque). De plus, la faible quantité de greffon disponible est une limite à cette technique de reconstruction. L’allogreffe est la transplantation d’os, issu en général de la tête fémorale dévitalisée et morcelée, d’un donneur au patient. Elle est beaucoup moins ostéogénique, plus immunogène et moins dégradable que la greffe autologue. De plus, la transmission d’agents pathogènes (virus, prions) reste possible malgré les étapes de nettoyage. La sécurisation microbiologique de ces greffes induit également un accroissement permanent du coût de fabrication, ce qui explique leur utilisation de moins en moins fréquente. Bien qu’initialement les greffons utilisés provenaient de tissus humains (auto et allogreffes) ou animaux (xénogreffes), les progrès de la chimie ont permis depuis plus de 10 ans l’émergence de substituts synthétiques qui sont de plus en plus utilisés par les chirurgiens. Ainsi, les céramiques à base de phosphates de calcium sont bio-compatibles et ostéo- conductrices et résorbables. Cette première génération de biomatériaux est utilisée en clinique avec succès dans de nombreuses indications de reconstruction. Cependant ces matériaux restent plus fragiles que les greffes et présentent un potentiel ostéogénique inférieur à celui de l’autogreffe, ce qui limite leur utilisation au comblement de petits défauts osseux sains. En 2000, nous avons donc lancé un projet visant à développer des matrices phosphocalciques fonctionnalisées permettant une néoformation osseuse dans des environnements peu favorables (ostéoporose, révision prothétique, tumeurs osseuses...) qui représentent la majorité des besoins réels de recapitalisation osseuse. Il s’agit d’un projet pluridisciplinaire, faisant initialement intervenir cinq partenaires afin de pouvoir traiter dans son ensemble l’aspect “ Synthèse – Caractérisation – Evaluation des propriétés ” pour les

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En 2005, plus d’un million de patients en Europe ont subi une opération chirurgicale

nécessitant une greffe osseuse. Avec l’allongement de l’espérance de vie et une population

beaucoup plus active, ce chiffre est en constante augmentation (environ 5 % par an). Les

traumatismes (fractures) liés ou non à la dégénérescence des tissus calcifiés (ostéoporose), à

certains facteurs génétiques (maladie de Paget), à des malformations du squelette

congénitales ou induites par l’activité professionnelle, à l’ablation d’ostéosarcomes ou plus

simplement à l’extraction de dents nécessitent fréquemment une reconstruction osseuse.

L’autogreffe, ou transplantation d’os d’un site à un autre chez le même patient, est

actuellement la procédure la plus utilisée et considérée comme la plus efficace du fait de ses

propriétés ostéogéniques intrinsèques. Néanmoins, l’autogreffe nécessite deux interventions

chirurgicales simultanées avec très souvent des complications au niveau du site de

prélèvement (fortes douleurs post-opératoires au niveau de la crête iliaque). De plus, la faible

quantité de greffon disponible est une limite à cette technique de reconstruction.

L’allogreffe est la transplantation d’os, issu en général de la tête fémorale dévitalisée

et morcelée, d’un donneur au patient. Elle est beaucoup moins ostéogénique, plus

immunogène et moins dégradable que la greffe autologue. De plus, la transmission d’agents

pathogènes (virus, prions) reste possible malgré les étapes de nettoyage. La sécurisation

microbiologique de ces greffes induit également un accroissement permanent du coût de

fabrication, ce qui explique leur utilisation de moins en moins fréquente. Bien

qu’initialement les greffons utilisés provenaient de tissus humains (auto et allogreffes) ou

animaux (xénogreffes), les progrès de la chimie ont permis depuis plus de 10 ans

l’émergence de substituts synthétiques qui sont de plus en plus utilisés par les chirurgiens.

Ainsi, les céramiques à base de phosphates de calcium sont bio-compatibles et ostéo-

conductrices et résorbables. Cette première génération de biomatériaux est utilisée en

clinique avec succès dans de nombreuses indications de reconstruction. Cependant ces

matériaux restent plus fragiles que les greffes et présentent un potentiel ostéogénique

inférieur à celui de l’autogreffe, ce qui limite leur utilisation au comblement de petits défauts

osseux sains. En 2000, nous avons donc lancé un projet visant à développer des matrices

phosphocalciques fonctionnalisées permettant une néoformation osseuse dans des

environnements peu favorables (ostéoporose, révision prothétique, tumeurs osseuses...) qui

représentent la majorité des besoins réels de recapitalisation osseuse. Il s’agit d’un projet

pluridisciplinaire, faisant initialement intervenir cinq partenaires afin de pouvoir traiter dans

son ensemble l’aspect “ Synthèse – Caractérisation – Evaluation des propriétés ” pour les

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matériaux fonctionnels visés. Pour cela, l’idée principale était d’associer par Chimie Douce

des agents thérapeutiques du type gem-bisphosphonate au sein de la matrice

phosphocalcique minérale afin d’inhiber localement l’activité ostéoclastique et favoriser la

repousse osseuse dans 2 situations pathologiques :

• Consolidation de site ostéoporotique à risque fracturaire élevé (col du fémur,

vertèbres)

• Stabilisation de prothèses métalliques ostéoarticulaires (révision)

La principale pathologie visée, l'ostéoporose, se caractérise par une baisse de la masse osseuse

et une dégradation de son architecture, ce qui entraîne un risque important de fractures chez

les patients atteints (Figure 1).

Figure 1

Cette pathologie est induite par un déséquilibre cellulaire dans le remodelage osseux dû à un

surcroît d'activité des ostéoclastes (cellules qui résorbent l'os) par rapport aux ostéoblastes

(cellules qui reconstruisent l'os). Les zones les plus touchées (corps vertébraux, têtes

fémorales) sont celles qui sont riches en os trabéculaire (ou os spongieux) qui subit un

turnover de remodelage beaucoup plus élevé que l’os cortical. 80 % des cas d’ostéoporoses

concernent les femmes, celles-ci pouvant perdre jusqu’à 20 % de leur masse osseuse dans les

5 à 7 ans suivant la ménopause. Ainsi, c’est près de 50% de la population féminine

ménopausée qui présente une ostéoporose à des stades divers pouvant notamment déboucher

sur une fracture (col du fémur, corps vertébraux, poignet), ces fractures entraînant des coûts

hospitaliers d’environ 800 M€ par an en France. Dans le cas d’une fracture du fémur chez le

sujet ostéoporotique, 15 à 30% des patients risquent de présenter une fracture sur l’autre

fémur, et pour un tiers d’entre eux dans le courant de la première année.

La voie habituellement utilisée pour ralentir la dégradation de la matière osseuse, consiste

donc à diminuer l’activité des ostéoclastes. Divers gem-bisphosphonates [(ONa)(OH)P(O)-

CR1R2-P(O)(OH)(ONa)] ont montré un pouvoir inhibiteur de l’activité ostéoclastique, et un

certain nombre d’entre eux sont utilisés par voie systémique. Cependant, ils présentent une

Os normalOs normal Os ostéoporotique

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faible biodisponibilité par voie orale ; l’administration par voie intraveineuse améliore la

biodisponibilité mais celle-ci s’avère très contraignante pour les patients. De plus, ils génèrent

chez certains malades des effets indésirables.

Le Zoledronate développé par Novartis et l’Alendronate développé par Merck (Figure 2), font

partie des amino-bis-phosphonates présentant une forte activité pour traiter l'ostéoporose

(Wilder et coll. , J. Med. Chem., 2002, 45(17), 3721).

NaHO3P PO3HNa

R1Zoledronate R1 = OH, R2 =

Alendronate R1 = OH, R2 = (CH2)4-NH2

N

N

R2

Figure 2. Structures du Zoledronate et de l’Alendronate.

Nous avons donc mis au point un substitut osseux injectable innovant intégrant des

inhibiteurs de la résorption osseuse dans le cadre du développement d’une chirurgie mini-

invasive visant à prévenir les fractures ostéoporotiques. Dans ce cadre, nos recherches se sont

concentrées sur la mise au point d’un dispositif de libération locale de bisphosphonate, qui

serait mis en place sur les principaux sites à risque de fracture induits par l’ostéoporose : le

col du fémur et les corps vertébraux. L’implantation serait réalisée lors d’une opération

chirurgicale intervenant suite à une fracture ou à une révision de prothèse.

Notre objectif était d’utiliser comme phase vectrice du bisphosphonate, des phosphates

de calcium synthétiques développés au sein de l’UMR INSERM 791 comme substituts

osseux*. L'hypothèse de départ était que l'association bisphosphonate /Phosphate de calcium

pouvait se faire de par l'analogie structurale qui existe entre les groupements phosphate et

phosphonate.

L’idée est d’immobiliser le principe actif (bisphosphonate) via les fonctions acides

phosphoniques naturellement présentes, en effectuant en solution une réaction d’échange PO3

* β-TCP (phosphate tricalcique β) CDA (hydroxyapatite déficiente en calcium) HA (hydroxyapatite) BCP (phosphate de calcium biphasique) (25/75 et 75/25 : HA/β-TCP)

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/ PO4 à la surface du matériau phosphocalcique. Ensuite les granules de phosphate de calcium

modifiées seraient mises en suspension au sein d’un polymère de type éther de cellulose pour

obtenir une pâte injectable.

Pour différents types de phosphates de calcium [notés CaPs : hydroxyapatites déficientes en

calcium (CDAs), phosphates de calcium biphasés (BCPs, qui représentent les 2/3 des

substituts osseux présents sur le marché), phosphate tricalcique bêta (β-TCP)], le taux

d’incorporation du bisphosphonate ainsi que la nature de son mode d’association avec les

CaPs ont été étudiés en fonction de la concentration de la solution de bisphosphonate utilisée

pour la synthèse de nos matériaux. Différentes classes de matériaux ont ainsi pu être

identifiées, et celles-ci ont été testées via un modèle in vitro de résorption osseuse. Suivant le

mode d’association du bisphosphonate avec le support phosphocalcique, des activités

biologiques très différenciées ont été constatées. En particulier, un matériau à base de

CDA montre une activité très intéressante avec un net effet dose / réponse : le

bisphosphonate est ainsi lentement relargué à des doses faibles où celui-ci a une activité

inhibitrice de la résorption, sans présenter d’effet cytotoxique.

De plus, à partir des taux d’incorporation en fonction de la masse de bisphosphonate

mise initialement en réaction face au phosphate de calcium, d’une part, et des courbes de

cinétique d’incorporation, d’autre part, nous avons pu établir un modèle mathématique du

processus d’association pour en déduire des paramètres tels que la constante

d’association, le nombre de sites d’adsorption disponibles et des courbes prédictives de

relargage, qui sont en bon accord avec les résultats expérimentaux.

Figure 3

Le processus d’association peut être décrit comme le remplacement d’un bloc

phosphate de surface par un motif bisphosphonate (Figure 3), les deux groupes acide

phosphonique étant liés de façon différente au support, comme en attestent des mesures RMN

Z + P-X

k+

k-

P + Z-X

Zoledronate Phosphate

Site de chimisorption

sur le solide

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31P 2D à l’état solide. Nous avons également montré que la libération du principe actif était

ensuite principalement gouvernée par la concentration en phosphates dans le milieu.

Ce projet à l’interface Biologie/Matériaux/Physique co-coordonné avec Jean-Michel

BOULER de l’UMR INSERM 791 (synthèse des phosphates de calcium et tests biologiques),

est réalisé en partenariat avec l’Institut des Matériaux Jean Rouxel de Nantes [UMR CNRS

6502] et le CEMHTI à Orléans [UPR CNRS 4212] (caractérisation des matériaux), l’École

des Mines de Nantes [Laboratoire Subatech, UMR CNRS 6457] (modélisation des réactions

d’association et de relargage) et l’EPFL de Lausanne (Centre de recherche orthopédique).

Ce projet a été soutenu via le Programme CNRS 2002-2004 « Matériaux Nouveaux

– Fonctionnalités Nouvelles » et fait l’objet d’un brevet CNRS (WO 03/074098 du

12/09/2003).

Ensuite, l’un de nos objectifs était de démontrer que le procédé chimique de fabrication du

biomatériau injectable pouvait être transposé à des homologues auto-durcissables de type

ciment, le durcissement rapide in situ de la préparation implantée devant permettre d’éviter

les risques d’extravasation du matériau, en particulier pour le traitement des vertèbres

lombaires. La préparation du ciment consiste à mélanger une phase liquide appelée durcisseur

(exemple : Na2HPO4 à 2,5% en poids) à une phase solide (exemple : mélange de α-TCP (62,4

%), CaHPO4 (26,8 %), CDA (2 %) et CaCO3 (8,8 %)) pour obtenir une pâte qui durcit en

environ 15 à 30 minutes. La prise du ciment est provoquée par la transformation de phase de

l’α-TCP en CDA, les 2% de CDA introduits initialement jouant le rôle de germes de

nucléation. Notre objectif était d’incorporer un bisphosphonate (Alendronate, avec une teneur

d’environ 0,1 % en poids) à cette préparation sans en altérer les propriétés rhéologiques et les

propriétés de durcissement. Il est donc envisageable d’ajouter l’Alendronate dans la phase

liquide, directement en poudre dilué dans la phase solide ou encore associé chimiquement à

l’un des 4 constituants de la phase solide (nous avons mis au point pour chacun d’eux cette

association chimique). Nous avons constaté que dans la plupart des cas les propriétés de prise

du ciment étaient fortement altérées voire inhibées, et que seules certaines conditions

permettaient de conserver pour le ciment, des temps de durcissement et des propriétés

mécaniques intéressantes. Ces résultats ont fait l’objet d’un brevet déposé en Février 2007.

Les différentes gammes de matériaux préparés sont actuellement évaluées, grâce à

l'utilisation d’un modèle animal d'ostéoporose (brebis) développé au sein de l’UMR INSERM

791. Les implantations de nos biomatériaux se font par des techniques chirurgicales mini-

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invasives par voie percutanée. Ainsi, les injections « intra col du fémur » sont réalisées après

création d’une cavité où est ensuite injecté le biomatériau. Par ailleurs, la vertébroplastie par

voie percutanée (injection d’un biomatériau d’augmentation dans le corps d’une vertèbre

effondrée) est proposée comme une alternative possible dans le traitement des fractures ou

tassements de vertèbres ostéoporotiques, généralement très douloureux.

Les premiers résultats semblent confirmer l’intérêt de notre concept pour la stimulation de

la repousse osseuse en site ostéoporotique (Figure 4).

Figure 4. Vue par microtomographie X des têtes fémorales d’une brebis ostéoporotique, 8

semaines après implantation sur un des deux cols. La vue de gauche correspond au col non

implanté, la vue de droite au col implanté. Notez la repousse osseuse observée sur le site

implanté, alors que le fémur non traité présente toujours les caractéristiques d’une pathologie

ostéoporotique.

A l’issue des essais pré-cliniques, il s’agira de poursuivre les essais pour valoriser les résultats

très encourageants obtenus jusqu’ici. Ainsi, il nous reste à démontrer que la délivrance locale

de bisphosphonate peut entraîner une recapitalisation osseuse sur site ostéoporotique, stable

dans le temps. Pour cela une étude clinique (environ 300 patients) à l’échelle européenne est

en cours de préparation (début : fin 2008), coordonnée par le professeur Jean-Nöel Argenson

(Assistance Publique – Hopitaux de Marseille), chirurgien orthopédiste spécialiste de la

hanche et du genou, et leader d’opinion international dans ce domaine.

La société Graftys, créée par des professionnels issus de grandes sociétés

d’orthopédie valorise actuellement ces résultats. De plus, cette société est un des

partenaires impliqués dans ce projet dont le financement est assuré par l’ANR

(Programme Réseau National des Technologies pour la Santé [RNTS] 2005-2008). La

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société Graftys nous a également alloué une bourse CIFRE à la rentrée 2006, pour

développer ce projet.