eléments fondamentaux de droit administratif - · pdf fileiii. organisation de...

80
Eléments fondamentaux de droit administratif Jacques Bouvier Secrétaire communal Avril 2011 Schaerbeek 1

Upload: dinhdung

Post on 06-Feb-2018

214 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Eléments fondamentaux de droit administratif

Jacques Bouvier Secrétaire communal Avril 2011 Schaerbeek

1

Page 2: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

« Eléments fondamentaux

de droit administratif »

Première partie : Généralités Deuxième partie : Les actes de l’administration Troisième partie : Les agents de l’administration Quatrième partie : Les biens de l’administration Cinquième partie : Le Contrôle et la responsabilité de l’administration

2

Page 3: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Table des matières

Première partie : Généralités

I. Caractéristiques

A. Définition B. Développements

1. Le droit administratif est une branche du droit public interne 2. Le droit administratif contient des règles juridiques spéciales 3. Le droit administratif règle l’organisation et l’activité des autorités,

collèges et services chargés de pourvoir à la satisfaction des intérêts publics ainsi que la manière de mettre fin aux litiges suscités par cette activité.

II. Sources

Section 1 Droit positif 1. La Constitution 2. Règes de droit international

- traités internationaux - droit communautaire dérivé

3. Les normes législatives - les lois ordinaires et spéciales - les lois cadres - les lois d’habilitation - les lois programmes - les lois purement formelles

4. Les mesures réglementaires - les arrêtés royaux et arrêtés des Communautés et Régions - les arrêtés ministériels - les arrêtés et règlements provinciaux, communaux et intracommunaux - les règlements des organes de gestion des services publics

5. Les circulaires Section 2 Principes généraux 1. Notions, origine et place dans la hiérarchie 2. Enumération des principes généraux :

a) Principe d’égalité b) Permanence de l’action des pouvoirs publics c) Principe de non rétroactivité des actes administratifs d) Respect de ses propres règlements (Patere legem quam ipse fecisti) e) Principe du contradictoire (audi alteram partem) f) Principe de l’impartialité g) Principe du non bis in idem h) Comparaison des titres émérites des candidats en présence i) Principe de bonne administration

3

Page 4: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

III. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts

1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités administratives 3. Les services publics 4. Le contrat public

B. Description de l’organisation 1. Généralités 2. Collectivités publiques

a) collectivités centrales - L’Etat - Les Communautés et les Régions - Commission communautaire commune et Commission

communautaire française b) collectives locales - Les provinces - Les communes - Les Commissions communautaires française et flamande

3. Les organismes publics a) Enumération - Les établissements publics - Les associations de droit public - Les groupements professionnels de droit public - Les organismes publics consultatifs b) cadre légal - Loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes

d’intérêts publics - Loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises

publiques et économiques

Deuxième partie : Les actes de l’administration

I. Acte administratif unilatéral A. Généralités

1. Acte réglementaire 2. Acte individuel

B. Conditions de validité 1. Validité externe

1. compétences 2. respect des formes

2. Validité interne 1. L’objet 2. Les motifs 3. Le but

4

Page 5: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

C. La police administrative

1. Généralités a) la police administrative générale b) les polices administratives spéciales

2. Concours de police administrative 3. Sanctions administratives : substituts de sanctions pénales

D. Existence de l’acte administratif 1. Entrée en vigueur 2. Disparition

1. Retrait des actes administratifs 2. Abrogation 3. Arrivée de l’échéance

II. Contrats de l’administration A. Généralités B. Régime juridique

1. En ce qui concerne le droit applicable 2. En ce qui concerne le juge compétent

Troisième partie : Les agents de l’administration

I. Les principes généraux de la fonction publique II. Les statuts administratifs

A. Statut B. Admissibilité C. Les droits et devoirs

1. Les devoirs 2. Les droits

D. Recrutement et stage 1. Le recrutement 2. Le stage

E. Carrière et évaluation 1. La carrière 2. L’évaluation

F. Le régime disciplinaire G. Les positions administratives H. Terme de la carrière

III. Le statut pécuniaire

IV. Le statut syndical

5

Page 6: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Quatrième partie : Les biens de l’administration

I. Domanialités A. Domaine public

1. Définition 2. Contenu 3. Caractéristiques

a) affectation b) indisponibilité juridique

4. Utilisations privatives - Les autorisations domaniales

• le permis de stationnement • les autorisations et permissions de voirie

- Les concessions domaniales B. Domaine privé II. Expropriations

A. Eléments substantiels 1. Lois d’expropriation

- lois générales - lois particulières

2. Nécessité d’une autorité publique 3. Finalité de l’utilité publique de l’expropriation 4. Juste et préalable indemnité

B. Procédure 1. Phase administrative 2. Phase judiciaire

- procédure ordinaire - procédure d’extrême urgence

C. Contrôle et sanctions III. Les réquisitions

A .Définition B. Classification

1. Les réquisitions militaires 2. Les réquisitions civiles

IV. Les servitudes d’utilité publique

A. Définition B. Indemnisation

6

Page 7: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cinquième partie : Le contrôle et la responsabilité de l’administration Le Contrôle

A. Contrôle préventif I Procédures contradictoires

1. L’enquête publique 2. Consultation populaire 3. Audition préalable

II Motivation des actes administratifs 1.Généralités 2.Champ d’application

a) l’autorité administrative b) l’acte administratif unilatéral de portée individuelle

3. Contenu de la motivation a) Motif de droit et de fait b) Motif par référence c) Motivation adéquate

4. Les exceptions

III Publicité de l’administration 1. Genèse : information en matière environnementale 2. Principes constitutionnels 3. Loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration

a) Champ d’application : - Autorité administrative - Documents administratifs - Documents à caractère personnel

b) Publicité active c) Publicité passive :

- Principe - Exceptions :

● obligatoires ▪ relatives ▪ absolues

● facultatives - Rétribution - Contrôle

● Commission d’accès aux documents administratifs ● Conseil d’Etat

d) Cumul de législations 4. Le médiateur

7

Page 8: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

B. Contrôle administratif

I Contrôle hiérarchique II Contrôle de tutelle

1. Principes 2. Tutelle générale et tutelle spéciale 3. Organisation et exercice

III Recours administratifs 1. Recours inorganisé 2. Recours organisé

C. Contrôle juridictionnel I Contentieux éclaté

1. Contentieux constitutionnel 2. Contentieux judiciaire 3. Contentieux administratif

II Juridictions de l’ordre judiciaire 1. Organisation générale 2. Compétence générale : droit subjectif 3. Compétences particulières

a) Contrat de travail b) Fiscalité c) La sécurité sociale d) Expropriation pour cause d’utilité publique

III Juridictions administratives spéciales A. Généralités 1. Organisation 2. Caractéristiques B. Enumération exemplative 1. La Cour des Comptes 2. La députation permanente du Conseil Provincial 3. Juridictions ordinales et professionnelles 4. Conseil de la concurrence 5. La Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence 6. La Commission spéciale pour l’indemnisation de détention préventive

IV Le Conseil d’Etat A. Organisation générale B. La section de législation C. La section d’administration 1. Compétence d’avis 2. Compétence juridictionnelle

► le contentieux de l’indemnité ► le contentieux de pleine juridiction ► le contentieux de cassation

8

Page 9: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

► le contentieux d’annulation D. Contentieux d’annulation 1. Conditions de recevabilité 2. Eléments de procédure

La responsabilité

A. Généralités 1. Responsabilité comme forme de contrôle 2. Responsabilité pénale 2. Responsabilité civile

B. Responsabilité pénale 1. L’infraction 2. L’imputation

a) personne physique b) personne morale - de droit privé - de droit public

C. Responsabilité civile 1. Responsabilité de l’Etat

a) fonction législative b) fonction judiciaire c) fonction exécutive

2. Responsabilité de l’administration a) historique b) responsabilité sans faute, c) organe et préposés

3. Responsabilité des agents a) généralité b) champ d’application c) immunité personnelle

9

Page 10: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Première partie : Généralités I. Caractéristiques

A. Définition Le droit administratif est : « la branche de droit public interne qui comprend les règles juridiques spéciales relatives à l’organisation et à l’activité des autorités, collèges et services chargés de pourvoir à la satisfaction des intérêts publics ainsi qu’à la manière de mettre fin aux litiges suscités par cette activité ». Il s’agit là d’une définition classique donnée par le Professeur Léon Moureau et reprise notamment par J. Dembour (Droit administratif, Liège, Faculté de Droit, 1978). B. Développements 1. Le droit administratif est une branche du droit public interne.

Traditionnellement, le droit public interne se compose, d’une part, du droit constitutionnel et, d’autre part, du droit administratif. Le droit constitutionnel règle notamment la répartition des compétences entre les différents pouvoirs qui régissent notre royaume. Le droit administratif arrête les règles qui permettent l’exécution au quotidien des décisions prises par les organes à ce habilités par la constitution ou par les lois portées en vertu de la constitution. Ainsi, le droit public interne va être appelé non seulement à régler l’organisation interne des différents pouvoirs publics (en ce compris le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif) mais également à gérer les relations entre les pouvoirs publics et plus spécialement les pouvoirs exécutifs avec le citoyen.

2. Le droit administratif contient des règles juridiques spéciales. Le droit administratif constitue un droit du déséquilibre dans la mesure où il doit avant tout rester le garant de ce que l’administration puisse prévaloir là où l’intérêt général doit l’emporter sur l’intérêt privé. Cette ambition de l’administration justifiera certaines prérogatives dites de puissance publique comme elle l’astreindra à certaines servitudes dites de service public. Par ailleurs, les règles qui vont fonder l’action de l’administration devront lui permettre de s’adapter continuellement au rôle que l’Etat s’assignera dans la société. En conséquence, les règles juridiques spéciales qui constituent le droit administratif sont destinées :

- à permettre l’adaptabilité permanente de l’administration. Cela expliquera que le droit administratif est un droit très peu codifié et essentiellement doctrinal et jurisprudentiel. Il est, pour reprendre l’expression du premier Président du Conseil d’Etat Robert Andersen, un droit « fugace et expérimental ».

10

Page 11: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cette caractéristique va évidemment poser des problèmes d’accès à l’information surtout pour le citoyen ordinaire.

- à garantir les prérogatives de puissance publique. La puissance publique va obtenir des privilèges exorbitants par rapport au citoyen ordinaire comme le droit unilatéral d’édicter des règles juridiques et de se donner un titre exécutoire qu’elle pourra, le cas échéant, exécuter d’office. Le droit de s’opposer à toute exécution forcée sur certains biens dont elle est propriétaire. On peut également citer le droit d’expropriation, de réquisition ou le droit de lever l’impôt.

- à garantir la suprématie de l’intérêt général Certaines servitudes de la puissance publique telle que la sujétion au seul intérêt général entraînent une série de contraintes plus formelles comme celles que peuvent imposer les autorités de contrôle (tutelle administrative), les règles de comptabilité publique, les règles relatives à la passation des marchés publics, à la motivation des actes administratifs, à la transparence administrative, à l’emploi des langues etc. L’on doit également relever que l’administration n’aura d’autres pouvoirs que ceux qui lui sont attribués par la loi. Plus que tout citoyen, elle doit donc respecter ce principe de légalité. (article 33 C) Le respect de la légalité sera donc le maître mot du contrôle que vont exercer les autorités administratives ou judiciaires sur l’administration. Le principe de légalité est évidemment, et plus encore que la sujétion à l’intérêt général, le refuge du citoyen contre l’arbitraire de l’administration. La légalité doit s’entendre ici de l’ensemble des règles légales que l’administration doit respecter dans son propre fonctionnement et donc non seulement les règles du droit administratif et du droit constitutionnel mais aussi celles du droit civil, du droit pénal, du droit social, du droit commercial, du droit fiscal etc. (Article 159 C) Le respect de la légalité de son action impose également évidemment à l’administration de respecter la hiérarchie des diverses normes légales.

3. Le droit administratif règle l’organisation et l’activité des autorités, collèges et services chargés de pourvoir à la satisfaction des intérêts publics ainsi que la manière de mettre fin aux litiges suscités par cette activité. Cette dernière phrase résume à elle seule le contenu qui doit nécessairement recouvrir un cours de droit administratif. D’abord, l’organisation de l’administration suppose une description du paysage institutionnel et va donc se situer aux confins du droit constitutionnel et du droit administratif. Ensuite, l’action de l’administration dans la réalisation du bien public qui passe par l’adoption de décisions unilatérales ou contractuelles et requiert la mise à disposition de moyens humains et matériels. Enfin, mettre fin aux litiges suscités par l’activité de l’administration, c’est bien évidemment en assurer un contrôle soit d’office, soit sur plainte tant par des autorités administratives que par des autorités juridictionnelles. On n’oubliera pas non plus, à cette occasion, que les litiges issus de l’administration peuvent évidemment mettre en cause la responsabilité de celle-ci.

11

Page 12: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

II Sources

Section 1 : Droit positif

Il y a lieu d’entendre par droit positif l’ensemble des textes écrits et publiés. 1. La Constitution La Constitution contient les règles les plus essentielles quant au fonctionnement des organes publics constituant l’Administration au sens large consacrant à la fois ses prérogatives (expropriations, impôts …), ses sujétions (libertés fondamentales) et ses contrôles (administratif et judiciaire). A cet égard, la Constitution définit les règles permettant de sanctionner non seulement les décisions et règlements administratifs mais aussi les normes législatives. 2. Règles de droit international

- traités internationaux L’article 167 de la Constitution règle le pouvoir de conclure les traités internationaux. Il ne produira cependant ses effets dans l’ordre juridique interne qu’après avoir été revêtu de l’assentiment parlementaire. - droit communautaire dérivé Il s’agit des règlements, directives et décisions de l’Union européenne adoptés par ses organes. Les règlements sont directement applicables alors que les directives ne seront obligatoires qu’en ce qui concerne leurs objectifs. Les décisions, quant à elles, seront obligatoires pour les destinataires qu’elles désignent.

3. Les normes législatives Dans notre état « fragmenté » (article 1 C), il convient de rappeler que le pouvoir législatif est partagé entre l’Etat, les Communautés et les Régions. Formellement, le pouvoir d’adopter des lois appartient à l’Etat, celui d’adopter des décrets appartient aux Communautés et aux Régions sauf la Région de Bruxelles-Capitale qui exercera ses compétences législatives au moyen d’ordonnances, raison pour laquelle il est préférable de parler de « normes législatives » plutôt que de « lois ». Cependant, la théorie classique continue à privilégier le vocable « lois » pour

12

Page 13: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

distinguer celles-ci entre elles. Ces distinctions vaudront dans une certaine mesure également pour les décrets et les ordonnances. L’on distingue :

a) lois ordinaires et spéciales En application du principe de légalité que nous avons examiné tout à l’heure, il est certain que les lois ordinaires et spéciales vont constituer l’essentiel des sources en matière de droit administratif. Elles sont destinées à réglementer de façon générale et impersonnelle des questions d’intérêt général et ne nécessitent pour s’appliquer que des « arrêtés de pure exécution ». En ce sens et par définition, la loi est destinée avant toute chose à produire des normes. Elle sera dite ordinaire quand elle est adoptée à la majorité absolue des suffrages dans l’assemblée législative concernée (article 53 C). La loi sera dite « spéciale » quand elle est adoptée conformément aux exigences de l’article 4 de la constitution. Prévue à l’origine pour la fixation de la frontière linguistique elle concerne aujourd’hui les lois de réformes institutionnelles. Cette majorité spéciale exige que la majorité des membres de chaque groupe linguistique soit réunie, ainsi qu’une double majorité pour ce qui est des suffrages exprimés, à savoir une majorité de votes positifs dans chaque groupe linguistique et une majorité des deux tiers de votes positifs pour l’ensemble de l’assemblée. Cette distinction ne préjudicie pas au fait que certaines lois nécessitent également une majorité spéciale en dehors de l’hypothèse visée à l’article 4 de la constitution. Il s’agit de la majorité qualifiée des deux tiers, nécessaire notamment pour la révision de la constitution (articles 195 et 198 C) ou pour la nomination du successeur du Roi (articles 86 et 87 C). Cette majorité exige un quorum de présence de deux tiers des membres de l’assemblée et une majorité des deux tiers des suffrages ex primés. b) les lois cadres Selon la jurisprudence du Conseil d’état, les lois cadres sont des « lois qui recouvrent un domaine déterminé de l’action des pouvoirs publics en général et qui, après avoir chaque fois fixé les lignes de force des divers éléments de la réglementation, confèrent au Roi un pouvoir relativement étendu ».1 Le Roi exécutera alors cette mission conformément à l’article 108 de la constitution. La loi cadre est destinée à alléger la tâche du législateur dans des domaines relativement techniques où il n’est pas évident d’obtenir des consensus politiques. Le fait qu’il s’agisse d’une loi cadre est révélé par l’intention du législateur telle qu’elle ressort des travaux parlementaires. La technique de loi cadre est transposable pour les régions et les communautés, où l’on parlera de « décrets cadres » ou « ordonnances cadres ». c) les lois d’habilitation Conformément à l’article 105 de la constitution, le législateur peut attribuer au Roi des compétences plus larges que celles qu’il détient de l’article 108. Selon la jurisprudence du conseil d’état, les lois de pouvoirs spéciaux se caractérisent par « l’attribution dans un nombre important de domaines, d’un pouvoir réglementaire au

13

Page 14: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Roi qui, dans l’exercice de ce pouvoir, est autorisé à compléter et à modifier des lois et dispose à cet égard d’un pouvoir discrétionnaire étendu ». Cela « équivaut à offrir au Roi la possibilité de fixer en lieu et place du législateur les lignes de force qui régissent la politique gouvernementale ». L’on retiendra que l’attribution de pouvoirs spéciaux ne peut être consentie que pour une période limitée en raison de circonstances exceptionnelles, étant entendu que dans certains cas ces arrêtés de pouvoirs spéciaux devront être soumis à une confirmation par le législateur. Les arrêtés pris en exécution de ces lois seront appelés « arrêtés de pouvoirs spéciaux » ou également « arrêtés numérotés » du fait que, étant pris à des dates généralement fort rapprochées, on les numérote pour les distinguer. S’ils ne sont pas ratifiés par le législateur, ces arrêtés garderont une valeur d’arrêté royal même s’ils peuvent modifier ou compléter des lois, étant entendu qu’il ne pourrait ultérieurement leur être apporté de changement que par la loi. Les lois de pouvoirs spéciaux constituent évidemment un risque de dérive pour l’exercice des pouvoirs démocratiques mais il convient de relever qu’ils ont été très peu utilisés en Belgique. d) les lois programmes Pour reprendre l’expression du premier président du conseil d’état Robert Andersen, les lois programmes sont « des ensembles hétéroclites de dispositions législatives relatives aux matières les plus diverses et qui n’ont aucun point commun entre elles, si ce n’est de concourir à la réalisation des objectifs de la politique économique du gouvernement ». Ces lois sont aussi appelées « lois fourre-tout » ou « lois-mammouths ». La caractéristique de cette technique législative est qu’elle nuit particulièrement à la clarté des textes législatifs, ce qui n’en facilite ni la lecture ni la compréhension. La même technique peut cependant être également utilisée par les entités fédérées qui ne s’en privent pas. e) les lois purement formelles La doctrine distingue bien souvent la loi formelle et la loi matérielle. Quand on parle de loi formelle, on fait essentiellement référence à la procédure formelle qui aboutit au vote d’une loi. Par contre, dans son sens matériel, la loi désigne le texte qui a un contenu, contenu qui est destiné à modifier l’ordonnancement juridique par l’établissement de nouvelles normes. Par nature, la loi aura un contenu matériel. Il arrive cependant que ce ne soit pas le cas. On parle dans ce cas de loi purement formelle. Ainsi, n’auront pas de contenu normatif les lois budgétaires, les loi des comptes, les naturalisations, le contingent de l’armée, les lois relatives aux opérations domaniales, la liste civile, etc. Certains y classent aussi les lois portant assentiment des traités.

4. Les mesures réglementaires

a. Les arrêtés royaux et arrêtés des Communautés et Régions Il appartiendra tant au Roi qu’au gouvernement des Communautés et des Régions, sur base de textes qui ont la même intensité de force obligatoire, d’adopter les mesures complémentaires destinées à assurer l’exécution des lois et ce pour reprendre la formule employée par la Cour de Cassation : « sans étendre ou restreindre la portée des lois, de dégager du principe de celles-ci et de leurs économies

14

Page 15: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

générales les conséquences qui en dérivent naturellement, d’après l’esprit qui a présidé à leur conception et les fins qu’elles poursuivent ».

b. Les arrêtés ministériels Même si le pouvoir d’exécution incombe au Roi et aux Gouvernements régionaux et communautaires, ceux-ci peuvent déléguer à des Ministres individuellement le pouvoir de déterminer certaines mesures d’exécution d’une réglementation préalablement établie. On retiendra également que les Ministres tirent de leur pouvoir hiérarchique le droit d’édicter des règlements d’organisation et de fonctionnement de leur département.

c. Les arrêtés et règlements provinciaux communaux et intracommunaux La compétence de prendre ces arrêtés et règlements provient essentiellement des lois, décrets et ordonnances organiques des pouvoirs locaux.. On sait qu’en la matière, et en dehors des pouvoirs de police, la situation pourrait être fort différente de région à région depuis la régionalisation de la loi communale. En ce qui concerne les organes intracommunaux, visés à l’article 41 de la Constitution, l’on retiendra qu’ils peuvent se voir déléguer des compétences d’intérêt communal en ce compris réglementaires par les organes communaux.

d. Les règlements des organes de gestion des services publics

L’octroi d’un pouvoir réglementaire aux organes de gestion d’un service public est une compétence très contestée. Il est cependant généralement admis que le pouvoir exécutif peut déléguer aux organes de gestion des services publics les compétences réglementaires accessoires dans les limites encore plus étroites que celles reconnues aux Ministres. On leur reconnaît également la compétence de placer leur personnel en situation statutaire et de fixer leurs statuts.

5. Les circulaires Par nature, une circulaire n’a pas de portée réglementaire en ce sens qu’elle ne peut pas contenir de règle de droit nouvelle. L’on retrouve parmi les circulaires des textes qui sont soit destinés à simplement commenter une législation ou une réglementation, soit qui ont une valeur purement indicative destinée, par exemple, à indiquer quelle sera la ligne de conduite de l’autorité. Dans ces deux cas, il s’agira de documents dont la portée n’est pas contraignante en soi. Ainsi, quand l’autorité de tutelle indique par circulaire les principes qu’elle entend suivre dans l’examen des décisions des autorités locales, elle ne sera pas dispensée pour autant d’examiner au cas par cas les décisions en question. Le Conseil d’Etat considère qu’une circulaire est réglementaire lorsque : 1) elle ajoute quelque chose à la loi ; 2) elle formule des règles générales et abstraites ; 3) elle revêt d’après la manière dont elle est rédigée un caractère impératif aux yeux

de ses auteurs ; 4) elle a comme auteur une autorité qui dispose de la compétence réglementaire

pour la matière traitée ;

15

Page 16: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

5) elle est adressée aux personnes ou aux services chargés d’aider l’autorité normative dans l’application de la loi.

Généralement, ce genre de document sera sanctionné pour incompétence de l’auteur ou vice de forme.

Section 2 : Principes généraux

« L’inflation législative est réglementaire, le caractère inachevé et très souvent inexpérimental de la règle de droit, l’indétermination volontaire des concepts se traduisant par un recours systématique aux standards juridiques et « aux clauses générales » sont autant de facteurs explicatifs du rôle croissant que le juge est, nolens volens, à mener à jouer dans la société contemporaine à l’invitation même du législateur … mais lorsque dans un Etat, l’autorité constituante est volontairement équivoque, l’autorité législative systématiquement défaillante, l’autorité gouvernementale perpétuellement hésitante, ce n’est pas le juge à lui seul qui peut redresser la situation ».2

1. Notions, origine et place dans la hiérarchie Comme on l’a vu plus haut, le droit administratif a ceci de particulier qu’il est très peu codifié. Il se trouvera, dès lors, des circonstances que la loi ne rencontre pas ou que le législateur ou le gouvernement a traité imparfaitement en laissant subsister des lacunes, des incohérences ou des incertitudes. Il faut alors que l’administration puisse pourvoir à ces carences tout en veillant à la cohérence et l’unité. L’administration pourra évidemment se référer à la doctrine et à la jurisprudence mais tant les commentateurs que les juges sont eux-mêmes confrontés à cette « faiblesse » plus particulièrement sensible en droit administratif. Pour assurer la cohérence et à défaut de texte clair, il conviendra de faire appel aux principe dont le fondement pourra se trouver dans la volonté plus ou moins explicite du constituant, du législateur ou de l’autorité réglementaire : il s’agit de ce que l’on appelle les principes généraux de droit. Il s’agit d’une règle de droit non écrite dégagée soit d’une ou plusieurs règles écrites, soit de l’économie générale du système juridique ou de la volonté implicite du constituant, du législateur ou de l’autorité réglementaire. Ainsi, c’est de manière tout à fait explicite que l’égalité devant la loi est consacrée par les articles 10 et 11 de la Constitution. Ainsi également, le juge a pu déduire de l’existence en droit positif d’un statut pour les agents de l’Etat pour y référer en cas de statut incomplet.

2 Cité par R. Andersen in « Crise du juge et contentieux administratif en droit belge » Paris LGDJ – Bruxelles Story Scientia - 1990 p. 107 et suivantes

16

Page 17: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Au-delà de l’expression explicite ou implicite contenue dans le droit positif, certains principes généraux vont être reconnus comme tels parce qu’ils sont « présupposés de toute organisation politique » suivant l’expression du Professeur Leroy 3 (par exemple principe de la permanence de l’Etat). Enfin, il ne faudra pas négliger les principes généraux qui proviennent tout simplement des règles élémentaires de bon sens (par exemple principe qui impose à l’administration d’avoir une connaissance exacte des situations qu’elle est appelée à régler avant de prendre une décision). En ce qui concerne sa place dans la hiérarchie des normes, le principe général de droit, qui ne s’applique en principe qu’à titre subsidiaire, se situera à une place équivalente à celle de la norme écrite à laquelle on peut le rattacher. A défaut de rattachement à telle règle écrite, le principe aura une valeur moindre, voire de simple usage. 2. Enumération des principes généraux :

a) Principe d’égalité On peut dire que le principe d’égalité est sans doute la matrice de la plupart des principes généraux qui orientent l’action de l’administration. Ce principe, qui est contenu explicitement dans la Constitution, est non seulement un principe général mais plus encore un concept fondamental en droit. Le principe d’égalité est inscrit au fronton de la révolution française de 1789 et s’est retrouvé tout naturellement dans la Constitution belge. Il s’est affiné à fur et mesure de l’évolution de nos institutions jusqu’à trouver un protecteur particulier dans le chef de la Cour Constitutionnelle en application de l’article 142, 2ème de la Constitution. C’est en matière fiscale que la Cour de Cassation, dès l’origine, et le Conseil d’Etat, dès sa création, ont rendu les arrêts les plus remarquables en la matière. Il fut d’abord affirmé que la règle d’égalité n’empêche pas les traitements différents étant entendu que tous ceux qui se trouvent dans la même situation doivent être traités de la même manière. Ensuite, la jurisprudence imposa que le critère de distinction entre les catégories soit un critère objectif ne permettant pas l’arbitraire. Enfin, la jurisprudence consacra l’idée que ce critère objectif puisse se justifier en fonction du but poursuivi. C’est sur cette base, alimentée également par des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme, que la Cour d’Arbitrage va procéder, dès sa création, à l’ultime affinement en décrétant dans son arrêt n° 21/89 du 13 juillet 1989 : « les règles constitutionnelles de l’égalité des Belges, de la non discrimination n’excluent pas qu’une différence de traitement soit établie selon certaines catégories de personnes pour autant que le critère de différenciation soit susceptible de justification objective et raisonnable. L’existence d’une telle justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée : le principe d’égalité est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ». Plus tard, la Cour Constitutionnelle affirmera même que « les mêmes règles s’opposent par ailleurs à ce que soient traité de manière identique, sans qu’apparaisse une justification

3 Michel Leroy – Les règlements et leurs juges p. 65

17

Page 18: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

raisonnable, les catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes ».4

b) Permanence de l’action des pouvoirs publics Il s’agit d’un principe considéré comme un présupposé à toute organisation politique. Sa traduction la plus connue se retrouve dans les lois de la continuité du service public ainsi que celles du changement. C’est également sur cette base que la Cour de Cassation a consacré la théorie du fonctionnaire de fait.

c) Principe de non rétroactivité des actes administratifs Il s’agit d’un principe qui s’appuie sur une disposition de droit positif à savoir l’article 2 du code civil. Selon ce principe, un acte administratif ne peut pas sortir d’effet juridique avant que son existence ne soit établie. Par « existence », il faut entendre ici soit sa publication s’il s’agit d’un acte réglementaire, soit sa notification s’il s’agit d’un acte individuel. Le respect des droits acquis ou le principe de l’intangibilité des effets juridiques des actes individuels se justifie par ce principe de non rétroactivité. L’autorité ne peut ni retirer ni abroger une décision constitutive de droit. On soulèvera cependant que ce principe de non rétroactivité n’est pas un principe absolu. D’abord, le législateur peut l’autoriser sous le contrôle de la Cour Constitutionnelle dans le champ de ses compétences. Par ailleurs, certains mécanismes de contrôle de l’action administrative, telle que la tutelle d’annulation, rétroagissent à la date de l’adoption d’un acte. Il est évident également que la rétroactivité pourra être acceptée pour couvrir une situation qui a régulièrement existé dans le passé (suspension préventive en matière disciplinaire) ou parce qu’elle ne cause aucun grief. On retiendra comme dernier tempérament important que la loi du changement permet à l’autorité de modifier pour l’avenir des situations acquises pour autant évidement que l’autorité le justifie par des considérations d’intérêt général et que l’objectif poursuivi soit un objectif admissible. d) Respect de ses propres règlements (Patere legem quam ipse fecisti) Ce principe découle du principe de légalité. Il signifie que l’autorité administrative est tenue de respecter les règlements qu’elle a elle-même édictés. Pour s’appliquer le principe impose donc qu’il s’agisse de deux actes de nature différente : un acte individuel qui dérogerait à un acte réglementaire, tous les deux émanant de la même autorité.

e) Principe du contradictoire (audi alteram partem) Le principe du contradictoire relève plus généralement d’une règle de bonne administration et d’équitable procédure. Il s’agit de permettre à toute personne vis-à-vis de laquelle l’administration s’apprête à prendre une décision en fonction de son comportement alors même

4 C.A. n° 51/98 du 20 mai 1998, 80/92 du 30 juin 1999 et 124/99 du 25 novembre 1999

18

Page 19: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

que cette mesure est susceptible de porter gravement atteinte à ses droits et intérêts, d’être entendue. Ce principe se retrouve bien entendu dans le respect du droit de la défense en matière disciplinaire qui est généralement légalement prescrit. Le principe n’impose pas nécessairement que ce soit l’autorité qui va prendre la décision qui entende. En cas de silence de la loi, il suffit que l’administré ait été mis en mesure de pouvoir se défendre.

f) Principe de l’impartialité Ce principe impose que l’autorité offre les apparences de l’impartialité (impartialité objective) et qu’elle soit effectivement impartiale (impartialité subjective). La loi peut prévoir des cas où la partialité est présumée en adoptant, par exemple, des causes d’incompatibilité. Par ailleurs, et sans que la loi le prescrive clairement, le principe impose également l’interdiction du cumul de certaines fonctions comme, en matière disciplinaire, le cumul de fonction d’instruction du dossier et de participation au délibéré.

g) Principe du non bis in idem Ce principe interdit à l’administration de prendre à l’égard de l’administré plusieurs décisions défavorables pour un même comportement. Ce principe a connu de grands développements tant en matière fiscale qu’en matière disciplinaire.

h) Comparaison des titres et mérites des candidats en présence Il s’agit d’un principe qui en matière de nomination à des emplois publics provient directement de l’application de l’article 10, alinéa 2 de la Constitution. C’est en appliquant ce principe que l’autorité pourra d’ailleurs motiver formellement valablement sa décision. Des applications similaires de ce principe peuvent être également trouvés en matière de comparaison d’offres dans le cadre des marchés publics.

i) Principe de bonne administration et équitable procédure Le principe de bonne administration apparaît rapidement comme concept générique dans lequel on va retrouver plusieurs principes généraux de droit administratif qui ont déjà été cités tel que le principe du contradictoire. Il n’en reste pas moins que ce principe de bonne administration trouve une consécration particulière dans la jurisprudence (balance des intérêts en présence, choix raisonnable, principe de proportionnalité, respect de la sécurité juridique et de la confiance légitime). Il s’agit ici essentiellement de faire contrepoids au pouvoir discrétionnaire utilisé abusivement par l’administration. Ce principe fait singulièrement penser au principe de comportement de « bon père de famille » plus généralement utilisé en droit civil.

III Organisation de l’administration

A. Analyse des concepts

19

Page 20: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

1. Les personnes morales de droit public « Au sein de l’Etat, l’action politique ou administrative s’exerce au nom et pour le compte de personnes morales derrières lesquelles s’effacent des détenteurs physiques du pouvoir »5. Les détenteurs de droit de puissance public sont donc exclusivement des personnes morales de droit public et non des personnes physiques. Il convient de relever que même une personne morale de droit privé peut être chargée d’un service public et être baptisée ainsi « personne morale de droit public ». A la différence cependant d’une personne de droit public pur, la personne morale de droit privée n’aura pas été créée uniquement à cette fin. Bien évidemment, ces personnes morales agissent au travers d’organes afin de satisfaire les intérêts spécifiques qui leur sont confiés, organes qui disposent à cette fin d’un patrimoine propre et des moyens financiers et humains nécessaires. Une personne morale de droit public ne peut être créée qu’en vertu de la Constitution ou des normes législatives arrêtées par l’autorité fédérale, régionale ou communautaire. Comme les personnes morales de droit privé, les personnes morales de droit public sont créées pour « échapper à la précarité des personnes humaines ».6 Par rapport aux personnes morales de droit privé, les personnes morales de droit public se caractérisent par le fait qu’elles sont « créées par les pouvoirs publics et maîtrisées par eux en vue de gérer des intérêts publics et qu’elles disposent à cette fin de prérogatives de puissance publique et sont soumises aux sujétions correspondantes ».7

2. Les autorités administratives La notion d’autorité administrative a reçu une consécration législative dans les lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le Conseil d’Etat, lois qui accordent à la section d’administration de la haute juridiction administrative le pouvoir d’annuler les actes des « autorités administratives ». (art.14, par.1) Le concept d’autorité administrative a donc été affiné à fur et mesure de la jurisprudence du Conseil d’Etat d’abord mais aussi de la Cour de Cassation. D’après cette dernière, l’autorité administrative est l’institution qui est créée ou agréée par les pouvoirs publics fédéraux, les pouvoirs publics des Communautés et des Régions, des Provinces et des Communes et qui est chargée d’un service public et qui ne fait pas partie des pouvoirs législatifs ou judiciaires et cela dans la mesure où son fonctionnement est déterminé et contrôlé par les pouvoirs publics et où elle peut prendre des décisions obligatoires à l’égard de tiers. Nous reviendrons sur cette définition quand nous aborderons le contrôle juridictionnel de l’administration.

3. Les services publics Pour la Cour d’Arbitrage, « les universités de l’Etat sont organiquement des services de droit public » et « les universités libres sont des personnes morales de droit privé qui assument une fonction de service public ».8

5 Y. Lejeune « L’organisation de l’autorité politique in Guide de droit immobilier » Bruxelles Story Scientia Tome IV 1.1.1.-1 6 J. Rivero in Droit administratif – Précis - Paris Dalloz – 1990 p. 52 7 Y. Lejeune – Op. cit. 7.1.1.-3 8 C.A. Arrêt n° 82 :95 du 14 décembre 1995

20

Page 21: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Le service public reçoit donc une double définition suivant que l’on met l’accent sur l’organisme lui-même (critère organique) ou sur son activité (critère fonctionnel). Dans les faits, l’on reconnaîtra le service public organique sur base de certains critères tels que : - son origine (création par les pouvoirs publics); - haute direction des gouvernants impliquant une pleine maîtrise sur l’organisation, la mission et le fonctionnement du service ; - missions d’intérêt général ; - prérogative de droit public (pouvoir d’expropriation, de taxation, de monopole …) ; En ce qui concerne le service public fonctionnel, il sera considéré comme tel dès le moment où il est créé pour pourvoir à un besoin social réputé d’intérêt public et qui peut à cette fin imposer des décisions unilatérales. Les services publics seront généralement soumis au contrôle des pouvoirs publics (concession, agrément …).

4. Le contrat public La nature juridique du lien qui va unir le service public et l’usager a largement évolué au fil du temps. A l’origine, les juridictions de l’ordre judiciaire considéraient qu’il s’agissait d’un lien de nature contractuel relevant purement du droit privé. Dès sa création cependant, le Conseil d’Etat a considéré que l’usager du service public se trouve dans une situation légale et réglementaire puisque ses droits et ses obligations sont déterminés par un acte unilatéral émanant de l’autorité publique, à savoir le règlement de service, lequel peut être modifié unilatéralement par l’administration.9 Il a fallu attendre la fin des années 1980 pour que les juridictions de l’ordre judiciaire se rangent à cette opinion.10 Cette situation réglementaire qui permet à l’autorité d’agir d’une manière unilatérale reçoit cependant une atténuation par le développement du concept de « service universel ».

B. Description de l’organisation

1. Généralités Pour cerner l’organisation administrative, l’on peut se limiter à relever l’existence, d’une part, des collectivités publiques et, d’autre part, des organismes publics. La collectivité publique est un groupement de personnes physiques sur base généralement d’un territoire. Au sein de ces collectivités publiques, l’on distingue les collectivités publiques centrales (dites parfois supérieures) et les collectivités locales (dites parfois subordonnées). La distinction fondamentale entre ces deux types de collectivité est que la première échappe par nature et en principe à tout contrôle d’une autorité publique supérieure. Ces collectivités sont l’Etat, les Communautés française, flamande et germanophone ; les Régions wallonne, flamande et de Bruxelles-Capitale ; la

9 C.E. 10 C.A. Bxl du 12 septembre 1989 – arrêt j.l.m.b ; 1989 p. 1306 et suivantes

21

Page 22: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Commission communautaire commune et la Commission communautaire française de Bruxelles-Capitale du moins lorsque que cette dernière exerce des compétences de la Communauté française. Les collectivités publiques locales sont les 10 provinces et les 589 communes. Ces collectivités locales jouissent d’une personnalité propre et d’une réelle autonomie consacrée par la Constitution sans préjudice du contrôle que peut exercer l’autorité centrale dans le cadre de la décentralisation territoriale au moyen de la tutelle administrative. Les organismes publics, quant à eux, sont des institutions détachées de l’administration de l’Etat, d’une Communauté, d’une Région ou d’une collectivité publique locale, le plus souvent dotées de la personnalité morale, jouissant d’une plus ou moins grande autonomie et chargées, sous le contrôle d’une collectivité publique, de la gestion de certains intérêts spécifiques. Il s’agit du mécanisme de la décentralisation par services. Par définition, un organisme public est une personne publique subordonnée dès lors que nécessairement l’acte créateur implique un contrôle de l’autorité à la base de cette création.

2. Collectivités publiques a) collectivités centrales - L’Etat L’Etat est la « personne de droit public par excellence » 11 ne fut-ce que parce que les principaux organes ainsi que leurs fonctions essentielles sont réglés par notre pacte fondamental à savoir la Constitution. Les « services publics fédéraux » constituent un ensemble d’agents publics organisés et hiérarchisés sous la direction d’un ministre. Les actes qu’ils accomplissent sont, par la théorie de la transparence, les actes de l’Etat fédéral lui-même. Ils seront néanmoins répartis en entités juridiques distinctes avec un budget propre et un cadre propre.

- Les Communautés et les Régions A la suite des réformes institutionnelles, la Belgique compte actuellement trois Communautés (Communauté française, Communauté flamande et Communauté germanophone) et trois Régions (Région wallonne, Région flamande et Région de Bruxelles-Capitale). Chacune de ces personnes publiques possède sa personnalité morale propre. Cependant la Région flamande et la Communauté flamande se sont dotées des mêmes organes. Par ailleurs, même si elle a été tardivement dotée d’une personnalité juridique propre également, la Région de Bruxelles-Capitale peut, au travers de ses organes, adopter des normes qui sont soumises à un régime juridique particulier. Au même titre que le gouvernement fédéral, les gouvernements régionaux et communautaires disposent en propre d’une administration.

11 Y. Lejeune Ops. Cit VII 1.1.12

22

Page 23: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

- Commission communautaire commune et Commission communautaire française. Comme dit plus haut, les collectivités publiques sont généralement compétentes pour un territoire. L’apparition de matières dites « personnalisables » déroge à cette règle dans la mesure où les pouvoirs publics qui seront appelés à gérer ces matières gèreront plus des matières qu’un territoire. Dès lors, les Communautés se révèleront impuissantes à gérer des matières qui, dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale, peuvent difficilement être rattachées à l’une ou l’autre Communauté étant ouvertes à tous les habitants de Bruxelles. Il s’agit des institutions bruxelloises de santé publique ou d’aide aux personnes comme les CPAS. La compétence en cette matière a donc été dévolue à la « Commission communautaire commune » revêtue de la personnalité morale et dotée d’un organe délibérant, de l’assemblée réunie (composée de tous les membres du Conseil régional bruxellois) et d’un exécutif, le collège réuni (composé des membres du gouvernement régional). A cela s’ajoute le fait qu’en application de l’article 138 de la Constitution, la Communauté française a délégué une partie de l’exercice de ses compétences à la Région wallonne et donc, en ce qui Bruxelles, à la Commission communautaire française. Dans le cadre de cette délégation de compétence, la Commission communautaire française va donc jouir d’un pouvoir législatif identique à celui de la Communauté.

b) collectivités locales

- Les provinces L’existence des provinces est consacrée par les articles 41 et 162 de la Constitution. A l’origine l’ensemble du territoire belge était divisé en provinces (9 provinces) avec une province commune à ce qui allait devenir les Régions wallonne, flamande et bruxelloise à savoir la province du Brabant. La province du Brabant a été scindée en une province du Brabant wallon et une province du Brabant flamand. Le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale ne fait plus l’objet d’une subdivision en provinces. Il n’en reste pas moins que, même dépourvu des organes classiques provinciaux (conseil provincial et députation permanente), le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale reste administré par un représentant de l’Etat qui a titre de gouverneur.

- Les communes Il est symptomatique de constater que notre charte fondamentale s’est bornée à prendre acte de la présence des communes qui préexistaient à l’Etat belge. La Constitution va cependant garantir un certain nombre de principes que l’on devra retrouver dans la législation organique des institutions communales confiant ainsi au législateur le soin de régler le fonctionnement de l’institution.

23

Page 24: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Il est à relever que, comme pour les provinces d’ailleurs, cette compétence a été transférée aux Régions moyennant exceptions et ce depuis la réforme des institutions intervenue le 13 juillet 2001.12 Comme pour la province, l’octroi aux institutions communales d’une personnalité morale découle implicitement de son organisation et l’attribution de compétences à ses organes. - Les Commissions communautaires française et flamande Il s’agit de deux institutions publiques subordonnées aux Communautés et compétentes sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale. Sauf ce qui a été plus haut pour la Commission communautaire française, ces personnes publiques interviennent par voie de règlements.

3. Les organismes publics a) énumération - Les établissements publics Ces organismes sont issus du mécanisme de la fondation qui consiste en l’affectation d’un patrimoine à un organisme public personnalisé en vue de gérer les intérêts publics. L’établissement public est un « organisme public personnalisé qui jouit de l’autonomie organique et technique et est doté d’organes de gestion, parmi lesquels ne figure pas le ministre chef du département dont dépend l’établissement ; créé unilatéralement par une ou plusieurs personnes de droit public qui jouent à son égard le rôle de fondatrices, il reçoit la personnalité morale d’un ou de plusieurs législateurs ».13 Il est caractéristique de relever qu’il n’y a pas de statut type pour les établissements publics. Ces statuts seront arrêtés par les lois, décrets ou ordonnances qui les créeront. Une série d’établissements de ce type on été créés par l’Etat, les Régions ou les Communautés dans le cadre provincial ou communal. La collectivité territoriale centrale peut lier ces établissements aux collectivités locales. On peut penser à cet égard notamment aux CPAS ou aux agences locales pour l’emploi. Certains auteurs y classent aussi les zones pluricommunales de police. Il semble également incontestable de pouvoir y ajouter la régie communale autonome qui jouit de la personnalité juridique autonome et est chargée spécialement par le conseil communal de gérer certaines matières sous sa propre autorité. - Les associations de droit public Il arrive à une ou plusieurs personnes publiques de s’associer entre elles, voire de joindre à cette association des personnes privées.

12 Loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles modifiée par la loi du 13 juillet 2001 –art. 6, parag.1er VIII 13 Y. Lejeune Op. cit.VII 1.1.1-23

24

Page 25: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

L’association qui en découlera relèvera soit du droit public, soit du droit privé suivant que la prépondérance des pouvoirs publics y est ou non prépondérante. Pareille association revêtira des formes juridiques diverses plus fréquemment empruntées au droit privé. Dans le cadre de ces associations, il convient d’évoquer les intercommunales. On sait que celles-ci seront pures ou mixtes suivant qu’elles s’associent ou non à des personnes morales de droit privé. L’on sait que la faculté pour les communes de s’associer est expressément reconnue par l’article 162, alinéa 3, de la Constitution. La détermination des conditions et du mode d’association relève de la compétence des Régions.

- Les groupements professionnels de droit public Ces groupements sont créés par la loi et concernent les ordres professionnels (ordre des médecins, ordre des avocats, ordre des architectes) et les instituts professionnels (instituts des réviseurs d’entreprise, des experts comptables et des conseils fiscaux …). Ils constituent des personnes de droit public et associent obligatoirement tous ceux qui exercent les professions visées. Leurs compétences s’exercent essentiellement dans le contrôle du respect des conditions fixées par la loi pour l’exercice de la profession ainsi que dans l’adoption de règles déontologiques et dans l’exercice d’un pouvoir disciplinaire. Bien qu’ils aient un caractère de droit public, ces groupements ont une autonomie très étendue et s’apparentent à des collectivités publiques non territoriales. - Les organismes publics consultatifs Le législateur a créé certains organismes publics consultatifs en matière économique et sociale en les dotant d’une autonomie organique, patrimoniale et budgétaire. Il s’agit principalement d’organismes destinés à rendre des avis aux pouvoirs législatif et exécutif. On peut citer le conseil central de l’économie, le conseil supérieur des classes moyennes, le conseil national du travail etc.

b) cadre légal - Loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d’intérêts publics La plupart des régies personnalisées, des établissements publics et des sociétés de droit public sont soumises aux règles de contrôle administratif, financier et budgétaire prévues par la loi du 16 mars 1954. C’est dans cette loi que l’on retrouvera un classement des organismes publics en 4 catégories : • catégorie A : régies personnalisées

25

Page 26: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

• catégorie B : établissements ou associations chargés de missions diverses sur le plan culturel ou économique • catégorie C : organismes à caractère financier • catégorie D : organismes de sécurité sociale

- Loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques et économiques. Les organismes d’intérêts publics nationaux exerçant des activités industrielles et commerciales, et pour lesquelles une autonomie accrue de gestion s’est avérée nécessaire en raison de leur insertion dans un marché concurrentiel, ont été soumis à une loi particulière. Il convenait d’améliorer l’efficacité dans des activités exercées en concurrence avec le secteur privé tout en préservant les missions relevant du service public. La loi en question fixe un cadre général qui prévoit essentiellement l’adoption « d’un contrat de gestion à conclure entre chaque organisme et l’Etat visant à déterminer clairement les limites à l’autonomie de gestion ». Dans les limites de ce contrat de gestion, les entreprises jouiront d’une totale autonomie en ce qui concerne, par exemple, les choix à opérer des services offerts, des tarifs pratiqués …. Au niveau fédéral, la loi s’applique notamment à Belgacom, la Poste, la SNCB, Belgocontrôle et BIAC. Il convient de relever que le concept a été exporté au niveau des Communautés puisque notamment le décret du 14 juillet 1997 portant statut de la radio télévision belge de la Communauté française érige cet institut en entreprise publique autonome à caractère culturel.

26

Page 27: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Deuxième partie : Les actes de l’administration

I. Acte administratif unilatéral A. Généralités L’acte administratif unilatéral est avant toute chose un acte juridique c'est-à-dire un acte qui produit des effets de droit. Il ne se distingue pas fondamentalement à cet égard du contrat de droit privé. Ce qui fait sa singularité, c’est qu’il n’a besoin de l’accord de personne pour exister : la volonté seule de l’Administration suffit à elle-même. Contrairement au contrat qui implique par définition l’existence de deux volontés au minimum, l’acte administratif unilatéral, comme le mot l’indique, n’implique que la volonté de l’administration. Dans la plupart des cas, il nécessite néanmoins l’adhésion de la personne morale ou physique à laquelle il s’adresse. L’acte administratif unilatéral est également présumé légal. C’est à ce titre que l’administration va bénéficier des privilèges du préalable et de l’exécution forcée. L’acte unilatéral sera réglementaire ou individuel.

1. Acte réglementaire « L’acte réglementaire a pour objet de pourvoir, par des dispositions générales et abstraites, à l’établissement de normes ou de règles de conduite pour le présent et pour l’avenir. Il vise de manière impersonnelle un nombre indéterminé de situations définies selon des critères objectifs. A la différence des décisions individuelles, il n’épuise pas ses effets par son application ».14 Le concept est visé explicitement à l’article 3, paragraphe 1er des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. En effet, les projets d’arrêtés réglementaires doivent en principe être soumis à l’avis motivé de la section de législation. Il faut souligner cependant qu’un certain nombre d’arrêtés incontestablement réglementaires ne doivent pas être soumis à l’avis de la section de législation. Tel est le cas des arrêtés qui ne formulent aucune règle de droit (arrêté fixant les barèmes de rémunération, arrêté fixant les cadres d’une administration etc.). Il n’en reste pas moins que ces arrêtés restent des actes administratifs susceptibles d’un recours devant le Conseil d’Etat. Le pouvoir d’adopter des règlements est classiquement attribué au niveau des collectivités centrales au Roi, aux gouvernements et aux ministres. Au niveau des collectivités locales, ce pouvoir est généralement attribué aux conseils, qu’il s’agisse du conseil provincial ou du conseil communal. Il arrive qu’un pouvoir réglementaire soit reconnu à certains fonctionnaires ce qui peut se justifier par des nécessités purement pratiques. Ce qui est certain, c’est qu’une fois que ce pouvoir réglementaire a été attribué à un organe bien précis, il ne peut en aucun cas être délégué. Il est évident que la force juridique des actes réglementaires dépendra essentiellement de leur forme ou de leur auteur.

14 PB. p. 94

27

Page 28: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Un acte réglementaire sous forme d’arrêté royal, d’arrêté d’un gouvernement régional ou communautaire a la même force obligatoire. Il l’emporte sur des arrêtés ministériels qui priment sur les règlements provinciaux et communaux. L’entrée en vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée généralement à sa publication selon les règles en vigueur pour chaque organe concerné.

2. Acte individuel Comme son nom l’indique, l’acte individuel a, par définition, comme destinataire des personnes déterminées à propos de situations concrètes. Si le nombre de destinataires est multiple, il n’en reste pas moins que l’acte réglementaire peut rester individuel. Ainsi, en sera-t-il d’un arrêté d’insalubrité concernant un immeuble adressé à l’ensemble des propriétaires ou des copropriétaires. Il n’est, enfin, pas impossible qu’un acte individuel constitue en même temps un acte réglementaire ou que, sous le couvert d’un acte individuel, l’on découvre un acte réglementaire.15 On l’a dit, un acte individuel par définition s’épuise dès qu’il est pris sans pour autant évidement disparaître. Ainsi, en va-t-il de la nomination d’un fonctionnaire qui sort ses effets tout au long de la carrière de l’agent. Il s’agit chaque fois d’actes administratifs dont « l’effet instantané est de déclencher l’application durable d’un régime juridique prédéterminé ».16 L’initiative pour l’élaboration d’un acte réglementaire appartient exclusivement à l’administration. Par contre, l’acte administratif individuel peut être accompli sur demande, sur réclamation ou sur déclaration. Il peut même nécessiter un acte de volonté de la part de son bénéficiaire. Il est évident que pour exister, l’acte individuel devra être notifié aux personnes qu’il concerne. Il est évident que l’acte administratif individuel occupe la place la moins élevée de la hiérarchie des normes et doit donc respecter toutes les normes qui lui sont supérieures et, plus particulièrement, le règlement sur base duquel l’autorité qui prend cet acte individuel.

B. Conditions de validité Un acte administratif doit être conforme à la loi au sens large et l’analyse de cette conformité va s’apprécier en regard de cinq éléments touchant d’une part, à la légalité externe et, d’autre part, à la légalité interne. La légalité externe concerne essentiellement la compétence de l’auteur de l’acte et le respect des formes et des conditions de procédure. La légalité interne concerne l’objet de l’acte, les motifs de fait et de droit sur lesquels il repose et sa finalité.

15 PB. exemple p. 97 16 M. Leroay ops. cit p. 24

28

Page 29: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

1. Validité externe

1. Compétences Il est un grand principe consacré par la Constitution : tous les pouvoirs sont d’attribution (art. 33 C). Cela signifie que les autorités administratives ne peuvent avoir d’autres pouvoirs que ceux que les lois leur confèrent. L’incompétence peut être de trois ordres :

• soit l’auteur est incompétent par rapport à l’objet de la décision. On parlera alors d’incompétence matérielle ou incompétence « ratione materiae » ;

• soit l’auteur de l’acte est incompétent en regard du moment où l’acte est pris. On parlera alors d’incompétence temporelle ou d’incompétence « ratione temporis ». Cette dernière incompétence pose le problème des délais imposés à l’autorité pour décider étant entendu qu’il conviendra de déterminer, sur base de la loi, s’il s’agit de délai d’ordre ou de délai de rigueur. Le délai de rigueur est impératif tandis que le délai d’ordre ne contraint pas sous réserve du respect du délai raisonnable ;

• soit l’autorité doit être compétente en regard de l’endroit où la décision doit produire ses effets. On parle alors de compétence territoriale ou « ratione loci ». L’absence attributive de compétence n’empêche pas nécessairement une autorité publique d’agir : il peut exister des compétences spontanées sur base :

• soit du principe du parallélisme des compétences ; • soit du principe de la continuité des services publics notamment par l’application

de la théorie du fonctionnaire de fait ou fonctionnaire putatif ; • le principe du pouvoir hiérarchique. La question est de savoir si l’autorité qui a reçu compétence peut la déléguer. On a vu plus haut que pareille délégation ne peut en aucun cas porter sur des actes réglementaires. Elle peut effectivement se justifier pour des actes individuels dès lors que le volume des affaires administratives à traiter est tel que l’autorité appelée à décider est dans l’impossibilité matérielle d’exercer son pouvoir. Cette délégation peut être soit consentie au titulaire d’une fonction, soit à une personne désignée. De même, la délégation peut être accordée sans réserve ou avec la réserve fondamentale de conserver le pouvoir de décider soi-même. Il importe, en outre, de souligner que la délégation de signature ne se confond pas avec la délégation de pouvoir. On voit cependant mal comment une délégation de pouvoir pourrait s’envisager sans la délégation de la signature. Il est vrai que la délégation de signature est, a priori, une simple opération matérielle. Enfin, il convient de distinguer l’habilitation à déléguer une compétence et l’acte de délégation lui-même. Si l’habilitation ne doit pas nécessairement être expressément prévue par les textes, l’acte de déléguer doit, au contraire, être pris et, le cas échéant, publié.

29

Page 30: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

2. Respect des formes Un acte administratif nécessite bien souvent l’accomplissement d’une série de formalités avant même qu’il ne soit adopté de même que des règles de forme pour sa présentation extérieure. Généralement, les règles qui imposent ces formalités proviennent d’une série de textes ou des principes généraux de droit administratif eux-mêmes. L’incidence de l’inobservation d’une règle de forme dépend de son caractère. L’on parle de « forme prescrite à peine de nullité » qui n’existe que si le texte qui la prévoit la qualifie expressément ainsi. Il s’agit de cas relativement rares. L’on parlera également de « forme substantielle ». Il s’agira de formalités qui revêtent un caractère essentiel. Bien souvent, les textes ne prévoient pas explicitement pareille caractéristique. Elles seront reconnues comme telles par la jurisprudence qui distingue généralement suivant que la formalité est prévue dans l’intérêt de l’administré ou de l’ordre public. Dans ces deux cas la sanction sera l’annulation. Par contre, si la formalité est prévue dans l’intérêt exclusif de l’administration, son oubli ne sera pas nécessairement sanctionné. En ce qui concerne les procédures préalables à l’adoption d’un acte, on peut distinguer les procédures consultatives, d’une part, et les procédures contradictoires, d’autre part. Les procédures consultatives ne peuvent être imposées que par un texte. Elles déboucheront soit sur un avis, soit sur une proposition. L’avis pourra être soit obligatoire, soit facultatif. L’avis obligatoire sera simplement consultatif ou liera l’autorité (avis conforme). De même, les propositions peuvent être soit facultatives, soit obligatoires. Les effets de la proposition ne varient guère de celles de l’avis. En ce qui concerne les procédures contradictoires, il faut distinguer les procédures contradictoires publiques ou les procédures contradictoires individuelles. Dans les deux cas, la procédure a pour objet de soumettre à la critique les projets de décision. L’objectif est de réduire les risques d’erreurs d’appréciation. Dans un cas comme dans l’autre, les procédures contradictoires doivent être effectives c’est-à-dire être organisées en telle sorte qu’elles permettent au contradicteur de pouvoir intervenir en connaissance de cause. Il s’agira de respecter des délais, de mettre à disposition des dossiers complets, de donner toute explication utile etc.

2. Validité interne

1. L’objet L’objet d’un acte est constitué par son contenu. L’acte a un contenu dans la mesure où il apporte une modification à l’ordonnancement juridique. L’objet constitue un élément fondamental de l’acte car il permet de déterminer l’autorité compétente, les formes à respecter et les motifs aptes à le justifier. En réalité, l’objet permet dans les faits de mieux qualifier l’acte de l’administration et d’en vérifier donc la légalité.

30

Page 31: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

2. Les motifs Un acte sans motif ne peut exister sauf à relever de l’arbitraire le plus absolu. Quelle que soit la marche de manœuvre dont dispose l’autorité, il est certain qu’elle ne peut agir sans un motif permettant de justifier l’acte qu’elle pose. Il y a lieu de faire la distinction entre les motifs de droit et les motifs de fait. Les motifs de droit sont le fondement juridique dans lequel l’autorité trouve sa légitimité. Les motifs de fait entraîneront la nullité de l’acte s’il se base sur des faits matériellement inexacts, mal qualifiés en droit ou inaptes à justifier la décision prise.

3. Le but On a déjà vu que l’action de l’administration ne pouvait poursuivre que la satisfaction de l’intérêt général. Même si le texte légal fondant l’autorité administrative à agir n’est pas explicite à cet égard, il n’en reste pas moins que l’intérêt général doit apparaître comme la finalité de l’acte. L’acte administratif sera vicié si l’autorité administrative utilise son pouvoir dans un autre but que celui qui lui est assigné. Il s’agit du vice de détournement de pouvoir. Il ne convient pas de confondre le détournement de pouvoir du détournement de procédure qui n’est qu’un vice de forme. Un détournement de procédure peut constituer une voie illégale pour atteindre un but légal. Il convient également de souligner qu’il n’y a de détournement de pouvoir que si l’existence d’un but illicite est le seul objectif visé par l’acte. Etablir un détournement de pouvoir dans le chef de l’administration implique donc l’analyse de l’arrière pensée de l’auteur de l’acte. Ne peut en être saisi que l’assemblée générale de la section d’administration du Conseil d’Etat qui n’a retenu ce vice qu’à sept reprises jusqu’à ce jour et chaque fois à l’occasion de contentieux mettant en cause des administrations communales.

C. La police administrative 1. Généralités Le domaine de la police administrative constitue un champ privilégié de l’action administrative et ce tant au niveau réglementaire qu’au niveau individuel. Plus que les autres prérogatives de l’action administrative, la police administrative est appelée à faire prévaloir les exigences de l’ordre public en limitant, le cas échéant, les droits et libertés des individus. L’on sait que la police administrative se distingue de la police judiciaire en ce que la police administrative est essentiellement préventive, la police judiciaire étant répressive. Par nature, la police administrative implique le pouvoir d’adopter des règlements et de prendre des mesures individuelles en application de ceux-ci. Il s’agira soit d’interdictions, soit d’injonctions, soit d’autorisations.

31

Page 32: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

La mesure de police, plus que toute autre, devra respecter une due proportion entre les impératifs d’ordre public qu’elle poursuit et l’exercice des libertés consacrées notamment par la Constitution. L’on distingue au niveau des polices administratives : la police administrative générale et les polices administratives spéciales.

a) La police administrative générale La police administrative générale comprend les pouvoirs reconnus aux autorités administratives pour assurer le maintien de l’ordre public général. Par ordre public général, il y a lieu d’entendre d’abord un ordre public matériel qui s’oppose à un ordre public moral. Ce dernier ne sera susceptible d’être réglementé par des mesures de police administrative que dans des cas excessivement limités, explicitement prévus par la loi ou au cas où le désordre moral risque de s’extérioriser et de dégénérer en désordre matériel. Les autorités compétentes pour prendre les mesures de police administrative générale sont, outre le Roi pour l’ensemble du territoire national, les autorités administratives territoriales locales à savoir les autorités provinciales et les autorités communales.

b) Les polices administratives spéciales Les polices administratives spéciales comprennent l’ensemble des pouvoirs reconnus aux autorités administratives par des textes spécifiques dans le but de sauvegarder des aspects limités de l’ordre public. On relève que le champ d’application des polices administratives spéciales a eu tendance à se multiplier ces 30 dernières années et, plus spécialement, dans les domaines économiques et environnementaux.

2. Concours de police administrative On a vu que les pouvoirs de police administrative générale appartenaient à diverses autorités. Compte tenu de ce que ces autorités différent essentiellement par leur compétence territoriale, ces mesures ne peuvent normalement pas se contredire mais simplement se compléter en ce qui concerne le territoire concerné. En cas de contrariété, la mesure prise par l’autorité à compétence territoriale plus générale l’emportera. Il se peut également qu’une mesure de police générale et qu’une mesure de police spéciale puissent entrer en concours.

Trois hypothèses sont à retenir : - le législateur a créé une police administrative spéciale à laquelle il a

attribué explicitement ou implicitement un monopole d’action ; - le législateur a exprimé son intention de permettre la

complémentarité des polices spéciales et générales ; - Dans les autres cas, la contrariété devra se résoudre en application

des deux principes suivants : les mesures spéciales dérogent aux mesures générales et l’exception est de stricte interprétation.

32

Page 33: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Enfin, il se peut que des mesures de police spéciales s’appliquent sur un même objet. En ce cas, la mise en œuvre de ces polices administratives spéciales sera réglée par les principes d’indépendance et de cumul des diverses polices. Ainsi donc, l’activité envisagée devra satisfaire aux exigences posées par les diverses autorités de police administrative spéciale. 3. Les sanctions administratives Le concept de « sanction administrative » n’est pas neuf. Cela fait fort longtemps que l’administration a reçu une compétence punitive liée soit à son pouvoir hiérarchique, soit à son pouvoir régulateur. Confinée d’abord aux matières fiscales et sociales, elle s’est déplacée vers les différents domaines de la vie économique et, sous l’effet de la régionalisation, vers des secteurs nouveaux touchant par exemple à la protection de l’environnement. Pour le Conseil d’Etat, la sanction administrative « consiste en une mesure désavantageuse, d’ordre moral ou matériel, prononcée à l’égard d’une personne physique ou morale, dont l’objet premier est d’exprimer officiellement la réprobation de l’autorité à l’égard d’un comportement que cette personne a eu et qu’elle juge répréhensible ».17 Cependant, la sanction administrative a connu une « évolution législative vers un mode punitif administratif » dont la première illustration sera à trouver dans la loi du 21/12/98 relative à la sécurité lors des matchs de football dite « loi football ». Ainsi donc la sanction administrative s’impose comme mesure destinée à sanctionner des citoyens plus ou moins ordinaires qui se rendent coupables de comportements dérangeants. L’amende administrative communale sera une copie servile de ce régime. Comment expliquer autrement que, contrairement aux autres sanctions administratives communales, l’amende sera prononcée par un fonctionnaire et non par le collège des bourgmestre et échevins et qu’elle fait l’objet d’un « appel » devant le Tribunal de Police et non d’un « recours » devant le Conseil d’Etat ? Sommes-nous toujours en présence d’une simple mesure prise par l’administration avec ses règles et son organisation propre dont l’existence d’une ligne hiérarchique ? Or, dès l’entame du processus législatif qui a abouti à la création des sanctions administratives communales, le Conseil d’Etat a considéré que « le caractère pénal, au sens de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (des sanctions administratives) énumérées à l’article 119bis§2 en projet, ne paraît pas contestable dès lors qu’elles poursuivent un but essentiellement répressif et qu’elles sont susceptibles de s’adresser au public en général ». Cependant, dans son arrêt 18/95 du 2/3/95, la Cour Constitutionnelle a considéré que le fait de qualifier une amende administrative de peine au sens de l’article 6 susvisé n’entraîne pas ipso facto qu’elle soit de nature pénale au sens de la loi belge. La Cour Européenne des Droits de l’Homme, elle-même, tolère que l’action répressive de l’administration ne respecte pas toutes les garanties qui s’imposent au juge pénal moyennant contrôle ultérieur par un organe judiciaire de pleine juridiction.

17 Cité par Dimitri Yernault dans « Les sanctions administratives communales et le principe de contradiction devant l’administration et le juge » APT T1-2002 p.45

33

Page 34: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

En droit strict, l’amende administrative reste donc bien un acte administratif même si il emprunte de nombreux éléments à la fonction de juger.

D. Existence de l’acte administratif 1. Entrée en vigueur Il ne convient pas de confondre l’existence d’un acte administratif et son entrée en vigueur. Il existe dès qu’il a été adopté. Dès ce moment, il a force exécutoire en telle sorte que des mesures peuvent être prises en vue de son application. Son entrée en vigueur, par contre, est subordonnée à sa publication s’il s’agit d’un règlement ou à sa notification s’il s’agit d’un acte individuel. Cette publicité rendra l’acte administratif opposable aux tiers : il acquiert ainsi non plus seulement une force exécutoire mais également une force obligatoire. Comme on l’a vu plus haut, l’acte administratif ne peut normalement pas rétroagir. 2. Disparition 1. Retrait des actes administratifs En retirant un acte administratif, l’autorité le fait disparaître avec effet rétroactif ce qui constitue un tempérament sensible au principe de non rétroactivité. Le retrait ne pourra donc admis que dans des cas limités : - ils sont admis sans limite pour les actes non créateurs de droit, réguliers ou

irréguliers ; - le retrait est interdit pour les actes créateurs de droit réguliers sauf si le

législateur le prévoit ou si le bénéficiaire renonce à ses droits ; - les actes créateurs de droit irréguliers ne peuvent être retirés : • que dans le délai de 60 jours permettant le recours en annulation au

Conseil d’Etat ou si un recours est introduit jusqu’à la clôture des débats ;

• à tout moment si une disposition législative au sens large le permet ou s’ils ont été obtenus par fraude ou s’ils sont entachés d’une illégalité telle qu’ils doivent être tenus pour nuls et non avenus.

2. Abrogation Contrairement au retrait, l’abrogation d’un acte n’entraîne sa disparition que pour l’avenir. S’il ne peut y avoir d’abrogation par désuétude, l’on admet cependant l’existence d’abrogation implicite notamment par l’existence d’un acte contraire au premier. Le motif légal de l’abrogation doit être généralement trouvé dans la loi du changement évoquée plus haut. L’abrogation sera permise dans les mêmes conditions que le retrait en telle sorte qu’il convient également de faire une distinction entre l’acte non créateur de droit et l’acte créateur de droit et, dans ce dernier cas, distinguer suivant que l’acte est régulier ou irrégulier.

34

Page 35: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

L’abrogation pourra concerner certains actes tels que des autorisations au cas où le bénéficiaire ne respecte pas les conditions imposées ou en cas de changement de circonstance. Dans le langage courant, l’on parle erronément de retrait d’autorisation. 3. Arrivée de l’échéance Il arrive qu’un acte administratif soit lié d’une manière ou d’une autre à certaines échéances. Ainsi en sera-t-il des actes administratifs pris pour une période déterminée. D’autres actes seront liés à la survenance d’une condition résolutoire ou du non accomplissement d’une condition suspensive. Ces conditions peuvent d’ailleurs être prévues par la loi (tutelle d’approbation).

II. Contrats de l’administration

A. Généralités Les autorités publiques peuvent parfaitement recourir aux techniques contractuelles et agir en la matière comme les particuliers. Il convient, cependant, de faire une distinction fondamentale entre les conventions usuelles de droit privé consenties par l’autorité administrative et les conventions à caractère administratif. Il est certain que l’administration peut avoir recours à toutes les conventions usuelles de droit privé tant pour la gestion de son patrimoine propre que pour la gestion des services publics. Ainsi est-elle parfaitement habilitée à vendre ou louer ses biens. Par ailleurs, il arrive que certains impératifs liés à l’exercice de la puissance publique devront primer les règles de droit privé qui ne pourront être considérées que d’application supplétive. Il s’agit alors de conventions à caractère administratif. L’on peut citer les contrats entre pouvoirs publics ; les concessions domaniales ; les concessions de service public ; les contrats de gestion ; les contrats d’emprunts publics ; les contrats économiques ; les marchés publics de travaux, de fourniture et de service.

B. Régime juridique 1. En ce qui concerne le droit applicable Les contrats passés par l’administration au sens strict sont régis exclusivement par le code civil qui constitue le droit commun des contrats. Ces contrats sont en principe conclus entre parties égales. Par contre, les contrats administratifs sont soumis à des régimes dérogatoires et régis par des dispositions spéciales de droit administratif. En ce cas, l’administration est généralement dans une position favorable parce qu’elle agit en vue de protéger et de promouvoir l’intérêt général. Dans ce déséquilibre, l’administration pourra effectivement imposer la résiliation ou la modification unilatérale du contrat auquel cependant le cocontractant pourra répondre en demandant réparation sur base de théories comme celle de l’imprévision, des sujétions imprévues et du fait du prince.

35

Page 36: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

2. En ce qui concerne le juge compétent Par nature, s’agissant dans les deux cas de contrat, le contentieux échappe au Conseil d’Etat pour être soumis exclusivement aux Cours et Tribunaux de l’ordre judiciaire dès lors qu’il relève de la protection des droits subjectifs (article 144 de la Constitution). Il y a, cependant, lieu de relever que le Conseil d’Etat reste compétent pour connaître la légalité des actes administratifs unilatéraux qui sont à la base du contrat et qui sont dits détachables de ceux-ci. Un problème pratique se pose dès lors que l’annulation éventuelle d’actes détachables au contrat n’empêche pas la validité du contrat proprement dit en telle sorte que le jour où le Conseil d’Etat se prononce sur l’acte détachable, le contrat a déjà été exécuté. Une réponse partielle à cette problématique a été donnée par l’octroi au Conseil d’Etat d’une compétence de suspension des actes administratifs.

36

Page 37: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Troisième partie : Les agents de l’administration

I. Les principes généraux de la fonction publique Sous le concept de fonction publique, on vise tous les agents chargés de l’exécution des décisions prises par les organes politiques auxquels la loi, au sens large, attribue ce pouvoir. Ces agents constituent l’administration au sens usuel du terme. Notamment sous l’influence de la régionalisation, l’administration a subi un véritable éclatement. Il était donc indispensable d’inscrire dans un texte à portée normative des principes de base à respecter par le plus grand nombre possible d’administrations publiques. Il existait, bien entendu, un statut des agents de l’Etat appelé statut Camu du nom de son concepteur, statut fixé par un arrêté royal du 2 octobre 1937. Ce statut n’était cependant pas applicable comme tel aux agents qui allaient constituer les futures administrations régionales et communautaires. La question se posait de savoir quel organe pouvait adopter un texte comprenant les principes généraux en matière de fonction publique qui serait applicable au-delà des administrations de l’Etat au sens strict. La réponse doit être trouvée dans l’article 87, § 4, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles attribuant au Roi le pouvoir d’identifier dans le statut des agents de l’Etat les principes généraux de la fonction publique. Les principes généraux ont donc été fixés par un arrêté royal du 22 décembre 2000. Le texte les rend applicables aux administrations de l’Etat, des Communautés et des Régions ainsi qu’aux personnes de droit public qui en dépendent. Il s’agit donc pour toutes ces administrations d’un cadre strict qu’elles doivent respecter sous le contrôle éventuel des tribunaux dont la Cour d’Arbitrage. Il est donc vrai que ces principes généraux ont une portée limitée dans la mesure où ils ne s’appliquent effectivement pas à toutes les administrations publiques existant en Belgique. Cependant, les administrations non visées par l’arrêté royal sont libres d’adopter ces principes ou de s’y référer. Par ailleurs, et comme nous l’avons vu en cas de silence du statut du personnel appartenant à une personne publique, il pourra être fait référence en cas de litige aux règles fixant le statut des agents de l’Etat et donc, a fortiori, aux principes généraux. Il ne faut cependant pas pour autant les confondre avec les principes généraux de droit administratif même si, comme on le verra, plusieurs des principes généraux de la fonction publique sont directement inspirés des principes généraux administratifs que l’on a examinés plus haut. Ces principes généraux s’articulent essentiellement autour du statut administratif et du statut pécuniaire des agents.

37

Page 38: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

II. Le statut administratif

A. Statut Est qualifié d’agent de service public toute personne occupée à titre définitif dans une des administrations visées par l’arrêté royal dont question. Par son serment, l’agent accepte l’acte unilatéral de nomination et s’engage à certains devoirs notamment de respecter l’Etat de droit et le principe de légalité. La situation juridique de l’agent est contenue dans un statut. Cet engagement sous statut est la règle à laquelle l’arrêté royal ne prévoit que quelques exceptions : 1) la nécessité de répondre à des besoins exceptionnels et temporaires en

personnel ; 2) le remplacement d’agents en cas d’absence totale ou partielle ; 3) l’accomplissement de tâches auxiliaires ou spécifiques ; 4) l’exécution de tâches exigeant des connaissances particulières ou une expérience large de haut niveau. Une exception supplémentaire est ouverte pour les personnes morales de droit public qui dépendent de l’Etat, des Communautés et des Régions lorsqu’elles entrent en concurrence avec d’autres opérateurs publics. B. Admissibilité Selon les principes généraux de la fonction publique, pour être nommé en qualité d’agent d’une administration, il faut être d’une conduite répondant aux exigences de la fonction, jouir des droits civils et politiques, satisfaire aux lois sur la milice et être médicalement apte. La condition de nationalité n’est pas reprise dans l’arrêté royal pour la simple et bonne raison que cette condition de nomination demeure toujours requise par l’article 10, alinéa 2 de la Constitution. C’est d’ailleurs pour cela que, quoiqu’il n’en fasse pas une condition, l’arrêté royal prévoit que l’agent qui ne satisfait plus à la condition de nationalité, perd d’office sa qualité d’agent. L’on sait cependant que l’exigence portant sur la possession de nationalité belge est contraire à l’article 39 du traité du 25 mars 1957 instituant la communauté européenne. Il est, en effet, acquis au niveau de la Cour de justice européenne que le principe de la libre circulation des travailleurs impose que toutes les fonctions soient ouvertes à tous les citoyens de la communauté européenne. La seule exception admise par la Cour concerne les emplois qui comportent une participation à l’exercice de la puissance publique. C. Les droits et devoirs 1. Les devoirs Comme dit plus haut, par sa prestation de serment l’agent s’engage à respecter certains devoirs dont le plus important est le respect de l’Etat de droit et de la légalité. Les devoirs énumérés par ailleurs par l’arrêté royal au titre de principe général portent sur l’obligation de remplir la fonction avec loyauté, conscience et intégrité sous l’autorité de supérieurs hiérarchiques. L’arrêté ajoute que les agents ont le devoir de se comporter vis-à-vis des usagers avec compréhension et sans discrimination.

38

Page 39: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Il appartient aux agents de se tenir informés des évolutions dans les matières dont ils sont chargés, ce qui implique, le cas échéant, un devoir de formation. Certains devoirs s’imposent aux agents même en dehors de l’exercice de leur fonction. Ainsi, ne peuvent-ils pas adopter des comportements qui puissent ébranler la confiance du public dans le service. Enfin, plus classiquement, les agents ne peuvent solliciter, exiger ou accepter directement ou par personne interposée, même en dehors de leur fonction mais en raison de celle-ci, des dons, gratifications ou avantages quelconques. 2. Les droits Les agents disposent de la liberté d’expression, du droit à l’information, du droit à la formation et du droit à consulter leur dossier personnel. La liberté d’expression s’inscrit, bien évidemment, dans le prolongement de l’article 19 de la Constitution et en porte la liberté de manifester ses opinions. Ce droit de manifester ses opinions, même à propos des faits dont ils ont connaissance à l’occasion de leur fonction, se voit tempéré malgré tout par un certain devoir de discrétion. Ainsi, il n’y aura point de liberté d’expression dès lors que les faits touchent à la sécurité nationale, à la protection de l’ordre public, aux intérêts financiers de l’autorité, à la prévention et à la répression de faits litigieux, au secret médical, aux droits et libertés du citoyen dont le droit au respect de la vie privée. Ces limites au droit d’expression ne peuvent pas porter préjudice aux devoirs de transparence et de publicité voulus par l’article 32 de la Constitution et ses lois d’application. Cet article 32 de la Constitution trouve d’ailleurs un prolongement tout naturel dans le droit qu’ont les agents à obtenir copie de leur dossier personnel. D. Recrutement et stage 1. Le recrutement Une large autonomie de fonctionnement est laissée à chaque entité fédérée en ce qui concerne les conditions générales à remplir pour être recruté en qualité d’agent. Néanmoins, le recrutement d’un agent sera subordonné à la condition que l’intéressé soit porteur du diplôme ou du certificat en rapport avec le niveau de l’emploi à conférer étant entendu qu’il peut être dérogé à cette condition par décision motivée en cas de pénurie sur le marché du travail. Les procédures de sélection en cas de vacance d’emploi doivent être effectuées sur base d’un système objectif offrant toutes les garanties en ce qui concerne l’égalité de traitement, l’interdiction d’arbitraire, l’indépendance et l’impartialité. La déclaration des emplois vacants doit faire l’objet d’une publication au Moniteur belge et, en tout cas, en ce qui concerne les administrations fédérales, régionales et communautaires, le recrutement est confié au Selor en application de l’article 87, § 2, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. 2. Le stage Le stage n’est pas imposé au titre de principe général de la fonction publique étant bien entendu que dès le moment où la personne publique le prévoit, elle ne peut en dispenser le stagiaire qui, en cas de licenciement au cours ou au terme du stage, bénéficiera d’un préavis de trois mois.

39

Page 40: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Bien que n’étant pas des agents au sens de l’arrêté royal, les stagiaires restent soumis à certaines règles contenues dans celui-ci parmi lesquels les droits et devoirs, le régime disciplinaire et le statut pécuniaire. E. Carrière et évaluation 1. La carrière De nouveau, l’arrêté royal confie à chaque entité fédérée une large autonomie en ce qui concerne l’organisation de la carrière et son développement. L’arrêté royal impose cependant que les conditions ainsi arrêtées doivent être soumises à publicité et transparence afin de permettre à chacun de connaître les possibilités de développement de sa carrière. Quant aux emplois vacants, ils sont en principe conférés par recrutement ou par promotion. L’arrêté royal n’impose pas l’existence de promotions à carrière plane ou de régime de mandat qui reçoivent une définition précise : - les promotions de carrière plane constituent des nominations successives dans des emplois supérieurs au sein d’un même niveau ; - le mandat ne peut être utilisé que pour des fonctions de « management ». Il est toujours temporaire et ne peut donner lieu à nomination définitive. 2. L’évaluation Chaque entité fédérée est invitée à fixer les règles et les procédures d’évaluation de ses agents. Le principe impose qu’un recours suspensif soit prévu en cas de désaccord de l’agent. F. Le régime disciplinaire Les principes généraux de la fonction publique mettent en œuvre des règles permettant en même temps à l’administration de réagir aux manquements et à l’agent de pouvoir garantir ses droits. Ces règles contiennent l’énumération limitative des peines disciplinaires, le déroulement de la procédure disciplinaire, la sanction elle-même et la prescription. Les faits qui constituent une faute disciplinaire ne sont qualifiés que par la mention de « manquement aux devoirs ». Les définitions laissent évidement un large pouvoir d’appréciation à l’autorité mais qui peut sur ce point se voir sanctionner par le Conseil d’Etat. La procédure, quant à elle, est largement inspirée du principe du contradictoire. Par ailleurs, les principes rappellent l’application de l’adage « non bis in idem » et ne permettent pas qu’une pluralité de griefs puisse donner lieu à plusieurs procédures et entraîner plusieurs peines. Il est remarquable de constater que les principes généraux ne contiennent pas la règle prévue dans le statut des agents de l’Etat selon laquelle l’action disciplinaire est suspendue dans l’attente du dénouement de l’action pénale. Cette disposition contenue dans le statut des agents de l’Etat est une exception au principe non écrit suivant lequel « le pénal ne tient pas le disciplinaire en état ». Le fait que cet effet paralysant de l’action disciplinaire par l’action pénale ne soit pas repris dans les principes généraux confirme que le statut des agents de l’Etat constitue bien une exception et que les autres organismes publics ne sont pas tenus de l’adopter.

40

Page 41: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

L’arrêté royal prévoit que l’agent puisse être suspendu de ses fonctions par mesure d’ordre sans intention de punir, conjointement ou non avec une action pénale ou disciplinaire. G. Les positions administratives L’arrêté royal ne détermine pas les positions administratives mais impose à chaque personne publique concernée de les fixer. L’arrêté royal prévoit cependant certains droits minimaux touchant à la durée des congés annuels, à la protection de la maternité et à l’éloignement du service pour cause de maladie, aux recours pour les contestations nées de l’absence du travail. En outre, l’arrêté fixe à 38 heures semaine la durée maximale du temps de travail. Enfin, il fait interdiction de sanctionner toute « cessation concertée du travail » si ce n’est par la privation du traitement pour les périodes de travail non accomplies.

H. Terme de la carrière La qualité d’agent se conserve normalement jusqu’à l’âge de la pension qu’elle soit volontaire ou obligatoire. L’on relève que la suppression d’un emploi ne peut donner lieu à la perte de qualité d’agent ou au licenciement. L’agent perd sa qualité d’office et sans préavis lorsque : - sa nomination est irrégulière ; - il cesse de remplir une des conditions d’admissibilité ; - il abandonne son poste sans motif valable et reste absent pendant plus de 10 jours ; - il doit cesser ses fonctions en application des lois civiles ou pénales ; - il est déchu d’office ou révoqué. L’arrêté royal prévoit également le licenciement pour inaptitude professionnelle définitivement constatée ce qui est une suite logique de l’introduction d’un système d’évaluation. Enfin, il est évident que la qualité d’agent se perd par la démission volontaire de l’agent.

III. Le statut pécuniaire

Le statut pécuniaire comprend l’ensemble des règles relatives à la fixation du traitement. Cela va de la détermination des échelles de traitement aux modalités de paiement en passant par la détermination de la classe d’âge, la carrière barémique et l’imputation éventuelle des services antérieurs. Au sens large le statut pécuniaire vise aussi le statut social qui comprend les règles qui touchent à la sécurité sociale des agents et dans lequel le régime des pensions occupe une place de choix. Y figure également le régime de l’assurance maladie, de l’assurance chômage et des allocations familiales. Au même titre que le statut administratif, le traitement et tous ses accessoires sont fixés unilatéralement par l’autorité et ne font pas l’objet de tractations. Les principes posés par l’arrêté royal veulent que si chaque entité fédérée détermine le statut pécuniaire de son personnel en fonction du niveau, de la nature des tâches dévolues et compétences requises, il n’en reste pas moins que :

41

Page 42: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

- dans chaque niveau, les échelles de traitement doivent être fixées en fonction de la nature des tâches et des compétences avec pour chaque échelle un traitement minimum et un traitement maximum fixé par arrêté royal après avis des autorités concernées ;

- les montants sont liés aux fluctuations de l’indice des prix à la consommation ; - tout agent a au moins droit au revenu minimum garanti, au pécule de vacances

et à l’allocation de fin d’année ; - en cas de sujétion particulière, tout agent a droit à diverses primes ou

allocations. Il est à remarquer que ces différents principes s’appliquent tant aux agents statutaires qu’aux agents sous contrat.

IV. Le statut syndical

En application de l’article 87, paragraphe 5 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, l’autorité fédérale est compétente pour fixer le statut syndical des agents des Communautés, des Régions et des personnes morales de droit public qui en dépendent en ce compris le personnel enseignant. Le statut syndical de la fonction publique organise essentiellement un régime de consultation qui, tout en étant obligatoire, ne doit pas déboucher sur un avis liant l’autorité. Le Conseil d’Etat a considéré que les différentes formes de consultation syndicale constituent un frein au jeu normal de la loi du changement, et ne peuvent pas faire l’objet d’une interprétation extensive. Le statut syndical est essentiellement organisé par la loi du 19 décembre 1974 organisant les relations entre les autorités publiques et les syndicats, les agents relevant de ces autorités ainsi que par l’arrêté royal d’exécution du 28 septembre 1984 instituant un régime de relations collectives dans la majorité des services publics du pays. Le champ d’application de cette loi est excessivement large puisqu’il vise non seulement les services de l’Etat mais aussi les personnes morales de droit public qui en dépendent, les services des gouvernements communautaires et régionaux et les personnes morales de droit public qui en dépendent ainsi que les administrations locales. Les agents visés sont tous les membres du personnel, qu’ils soient définitifs, stagiaires, temporaires, contractuels à l’exception des chômeurs mis au travail. Le statut syndical distingue la négociation et la concertation essentiellement en fonction de l’objet en cause. Ainsi, la négociation amène les délégations des autorités et des organisations syndicales à rechercher ensemble, par un dialogue approfondi, des solutions acceptables pour chacune d’entre-elles et qui débouche idéalement sur un protocole d’accord. Celui-ci sera limité aux questions importantes concernant le statut du personnel au sens large et à l’organisation du travail. La concertation, par ailleurs, associe les organisations représentatives des travailleurs à l’adoption de mesures moins importantes que celles qui ont trait à la négociation. La concertation se clôture par un avis qui ne lie pas l’autorité.

42

Page 43: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

En ce qui concerne les services publics qui n’entrent pas dans le champ d’application de la loi du 19 décembre 1974, la situation va de l’absence totale de statut syndical (magistrats, agents de la sûreté de l’Etat, corps enseignant des universités des Communautés) jusqu’à un statut syndical propre (personnel des Chambres et de la Cour des Comptes etc.) en passant par l’adoption de conventions collectives du secteur privé (par exemple institution publique de crédits) ou d’un statut syndical comparable à celui que la loi du 19 décembre 1974 (personnel des services de police, RTBF …).

43

Page 44: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Quatrième partie : Les biens de l’administration

I. Domanialité A. Domaine public

1. Définition On l’habitude de dire que font partie du domaine public les biens qui sont spécialement affectés à l’usage du public ou aménagés en vue d’assurer la réalisation d’un but de service public. En réalité, pareille définition donne une fausse idée du critère d’appartenance tel qu’il est arrêté par la Cour de Cassation et qui est nettement plus restrictif. Selon la Cour de Cassation, font partie du domaine public :

- les biens qui y sont affectés expressément par une loi (article 538 à 541 du code civil) ;

- les biens qui servent indistinctement à l’usage de tous étant entendu qu’une simple destination d’utilité publique ne suffit pas et qu’il faut une affectation réelle.

Il convient de relever que cette jurisprudence de la Cour de Cassation assez restrictive est largement critiquée en doctrine. Il est vrai qu’à s’en tenir au critère retenu par la Cour de Cassation, des immeubles tels que les hôtels de ville, les écoles, les palais de justice ou les bâtiments ministériels n’entreraient pas dans l’affection de domaines publics. La doctrine privilégie dès lors une définition plus large donnée par le Professeur Waline : « fait partie du domaine public tout bien qui appartient à une personne de droit public et qui, soit par sa structure, soit par son importance historique ou scientifique, est nécessaire à un service public ou à la satisfaction d’un besoin public et ne saurait être remplacé par aucun autre dans ce rôle ».18 Cette définition est importante dans la mesure où notamment elle relève que ne peuvent faire l’objet d’un domaine public que les biens qui appartiennent au patrimoine de la personne publique. Il n’est pas exclu, par exemple, qu’un bâtiment privé soit affecté à une utilisation publique mais il est exclu qu’il puisse être de ce fait incorporé au domaine public.

2. Contenu Au départ de la jurisprudence de la Cour de Cassation, on peut conclure :

- que les domaines publics immobiliers comprennent : • les cimetières ; • les églises et les statues qui, scellées dans la pierre, y sont

placées à perpétuelle demeure ; • les immeubles affectés aux bibliothèques et aux musées ; • les centres culturels et autres maisons de la culture ; • les bourses de commerce, les halles, les marchés

couverts ;

18 Waline in Droit administratif – 1957 p. 817

44

Page 45: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

• les chauffoirs, les salles de nuit dépendant de l’administration dans la mesure où tout le monde peut entrer sans avoir à justifier sa présence ;

• les immeubles dotés d’un caractère décoratif, historique, artistique et les constructions destinées à conserver la mémoire d’un grand homme (statues).

- que les domaines publics mobiliers comprennent : • les objets de collection et de musée et des bibliothèques

publiques réunis par les pouvoirs publics si les objets sont mis à la disposition du public pour leur instruction intellectuelle, artistique etc. ;

• les documents d’archives. - que les domaines maritimes ou fluviaux comprennent :

• les étangs salés ; • les rivages de la mer ; • les ports, les havres et les rades ; • les fleuves et les rivières navigables.

- que les voies de communication, et leurs dépendances dépendent du domaine public pour autant qu’elles appartiennent à une personne publique et qu’elles ont reçues une destination publique ;

- que le domaine public miliaire comprend les ouvrages de défense ainsi que des immeubles qui, tout en ne constituant pas de pareils ouvrages, sont cependant affectés au service l’armée.

3. Caractéristiques

a) Affectation L’affectation est une condition indispensable à l’incorporation d’un bien dans le domaine public. Elle se réalise soit naturellement, soit par une décision de l’autorité compétente. La désaffectation ou la sortie d’un bien du domaine public ne peut, de même, se réaliser que par suite d’évènements naturels ou par l’effet d’une décision unilatérale de l’autorité administrative.

b) Indisponibilité juridique

Les biens affectés au domaine public sont considérés comme hors commerce et inaliénables. Ils sont imprescriptibles c’est-à-dire qu’ils ne sont pas susceptibles d’être acquis par une possession prolongée même si cette possession est de bonne foi. Enfin, les biens du domaine public sont insaisissables c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas faire l’objet de voie d’exécution forcée. A l’origine et sur base de la loi de continuité des services publics, l’insaisissabilité touchait autant les biens du domaine public que les biens du domaine privé. Il s’agissait en quelque sorte d’un privilège d’immunité d’exécution reconnu aux personnes morales de droit public.

45

Page 46: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Retenons qu’aujourd’hui, l’insaisissabilité des biens du domaine privé des pouvoirs publics est largement contestée en doctrine et par la jurisprudence.

4. Utilisations privatives Le principe qui veut qu’un bien du domaine public ne soit affecté qu’à l’usage collectif souffre deux exceptions importantes : les autorisations et les concessions domaniales.

- Les autorisations domaniales Il s’agit d’actes administratifs unilatéraux par lesquels l’administration octroie à une personne physique ou morale publique ou privée l’autorisation d’occuper à titre exclusif une parcelle du domaine public moyennant, le cas échéant, paiement d’une redevance. Il y a lieu de distinguer parmi les autorisations domaniales :

• le permis de stationnement qui consiste à occuper à titre privatif et temporaire une portion du domaine public sans ancrage au sol ;

• les autorisations et permissions de voirie qui vont avoir un caractère permanent permettant en plus la modification de l’assiette de la portion attribuée.

L’on admet que les autorisations domaniales, actes unilatéraux, peuvent être abrogées (retirées) tout aussi unilatéralement. Il n’en reste pas moins que pareille décision ne peut être arbitraire et doit être motivée par exemple du fait de l’incompatibilité avec la destination d’utilité publique du bien. - Les concessions domaniales Il ne s’agit plus ici d’actes unilatéraux mais bien de contrats administratifs par lesquels l’autorité publique octroie une occupation privative et précaire d’une parcelle du domaine public à un concessionnaire moyennant paiement d’une redevance. La concession fait donc naître au profit du concessionnaire un droit de créance personnel et incessible bien que toujours précaire.

B. Domaine privé Le domaine privé est un concept de droit public qui se définit par défaut. Font partie du domaine privé tous les biens qui appartiennent à la personne publique et qui ne sont pas affectés au domaine public. Il n’est pas possible de faire une liste de ces biens qu’ils soient immobiliers ou mobiliers. Ces biens sont évidemment dans le commerce et, par voie de conséquence, peuvent être aliénés, loués ou grevés de droits réels au profit de tiers, de même qu’ils peuvent aussi se prescrire à la suite d’une possession prolongée. L’on relèvera cependant qu’en application de l’article 537 du code civil, ces biens ne pourront être aliénés ou administrés que dans des formes particulières. Ainsi : - il existe des modes d’acquisitions de propriétés particulières telles que l’expropriation pour utilité publique, les réquisitions civiles et militaires, l’acquisition par l’Etat de successions en déshérence… ;

46

Page 47: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

- la vente d’un bien du domaine privé requiert en principe un minimum de publicité voire une procédure d’adjudication publique ; - l’administration bénéficie d’un régime fiscal dérogatoire comme l’exonération du précompte immobilier sur le revenu cadastral de certains biens immobiliers dans la mesure où ils ne seraient pas productifs.

II. Les expropriations

A. Eléments substantiels 1. Lois d’expropriation Le siège du pouvoir d’expropriation se trouve dans l’article 16 de la Constitution ainsi rédigé : « nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi et moyennant une juste et préalable indemnité. » La première condition pour s’assurer de la légalité d’une expropriation est donc que celle-ci soit conforme à la loi précise qui les autorise. Les lois d’expropriation sont soit générales, soit particulières : - lois générales : Il s’agit essentiellement de la loi du 17 avril 1835 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique complétée par la loi du 27 mai 1870 portant simplification des formalités administratives en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique et de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d’extrême urgence en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. On parle de lois générales dans la mesure où : ● elles habilitent le pouvoir législatif et le Roi à autoriser des expropriations dans tous les « cas » qui leur appartient de déterminer eux-mêmes ; ● l’expropriation est un pouvoir réservé à tous les pouvoirs publics ; ● elles contiennent essentiellement des règles relatives à la phase judiciaire de l’expropriation ; - lois particulières : Il est impossible de faire un relevé exhaustif des lois particulières qui autorisent tous les pouvoirs publics et notamment tous les organismes issus de la décentralisation par services telles les intercommunales à agir comme autorité expropriante. Par ailleurs, il est évident qu’aujourd’hui la « loi » visée à l’article 16 de la Constitution doit être entendue dans son sens le plus large puisque les lois spéciales de réformes institutionnelles ont habilité les pouvoirs législatifs des Communautés et des Régions à fixer, par décret, les cas et les modalités des expropriations à poursuivre par leur gouvernement respectif. 2. Nécessité d’une autorité publique En application de l’article 16, la loi doit aussi déterminer les autorités publiques habilitées à exproprier. Il y a les cas simples où la décision d’exproprier est reconnue aux pouvoirs publics en fonction des lois générales et, en l’occurrence, à l’Etat, aux Communautés, aux Régions, aux Provinces et aux Communes et, par ailleurs, aux organismes par des lois particulières c’est-à-dire aux régies, aux établissements publics et aux associations de droit public.

47

Page 48: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

C’est à ces pouvoirs qu’il appartiendra d’identifier les biens et les personnes visées par l’opération. Il arrive, cependant, que des lois particulières autorisent un concessionnaire de service public, voire un simple particulier, à procéder à une expropriation. En cette matière, ces personnes doivent être considérées comme « quasi publiques » dans la mesure où elles n’agissent que pour compte de l’autorité qu’elles représentent. On peut encore rencontrer le cas où le pouvoir exécutif va procéder à des expropriations pour compte de personnes privées dont le but et les activités sont reconnues comme étant d’utilité publique. 3. Finalité de l’utilité publique de l’expropriation L’article 16 de la Constitution est clair : l’expropriation ne peut se justifier « que pour cause d’utilité publique ». Il est évident que la notion d’utilité publique a évolué au fil du temps. Il s’agit cependant que non seulement la motivation d’expropriation fasse bien apparaître cette notion d’utilité publique mais également que l’objectif ainsi justifié soit concrètement réalisé. Conçue traditionnellement comme étant un moyen d’accroître le domaine public, la notion d’utilité publique est devenue, au fil du temps, un moyen d’aménager le territoire de façon plus rationnelle en fonction d’objectifs socio-économiques. Il ne convient donc pas de confondre la notion d’utilité publique avec celle d’usage public étant bien entendu qu’elle est, par ailleurs, plus restrictive que celle d’intérêt public ou d’intérêt général.

4. Juste et préalable indemnité L’article 16 de la Constitution est clair : la notion d’expropriation de propriété privée ne peut s’envisager « que moyennant une juste et préalable indemnité ». - Préalable : Les procédures prévues par le législateur doivent nécessairement prévoir que l’indemnité versée au propriétaire doit, en tout état de cause, être consignée avant l’envoi en possession de l’autorité même si le transfert de propriété n’a lieu que plus tard. - Juste : Le caractère juste de l’indemnité entraîne que celle-ci sera plus « indemnitaire » que « économique ». En réalité, l’indemnité d’expropriation ne sera pas le prix de la vente qui généralement correspond à la valeur économique du bien, à sa « valeur marchande ». Au-delà de cette « valeur marchande », l’indemnité devra représenter les dommages et intérêts destinés à réparer le préjudicie causé à l’exproprié. Ainsi, l’indemnité comprendra : ● la valeur vénale réelle du bien ; ● les frais fiscaux et les frais de notaire ; ● la dépréciation des parties restantes en cas d’expropriation partielle ; ● le trouble de jouissance ou d’exploitation ; ● la valeur de convenance ; ● la valeur de notoriété ● la conséquence des aléas monétaires et du marché immobilier.

48

Page 49: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

B. Procédure 1. Phase administrative La phase administrative va déboucher sur l’acte d’autorisation d’exproprier. Cet acte d’autorisation va viser les biens essentiellement. Il se distingue de l’acte de poursuite de l’expropriation qui visera des personnes et va relever essentiellement de la phase judiciaire. Il se distinguera également de « l’acte de réalisation d’expropriation » que constitue le jugement et couvrira la phase d’exécution proprement dite. La phase administrative débute par l’élaboration d’un projet d’expropriation permettant d’obtenir l’autorisation de poursuivre celle-ci. Cette phase impliquera la publicité à donner au plan d’expropriation et, le cas échéant, à l’enquête publique. Ce plan d’expropriation sera soumis à l’autorité chargée d’autoriser la poursuite de l’expropriation c’est-à-dire le Roi ou le Gouvernement communautaire ou régionale compétent. Cet acte prendra généralement la forme d’un arrêté royal ou d’un arrêté du gouvernement. La phase administrative se terminera par les premiers contacts avec l’exproprié en vue de tenter de clôturer l’expropriation par un accord amiable. Si cet accord aboutit, l’expropriation se traduira par une convention de droit privé qui n’équivaudra évidement pas à un jugement d’expropriation. 2. Phase judiciaire : - Procédure ordinaire Cette procédure est fixée par la loi du 17 avril 1835 susvisée et n’est plus que très rarement utilisée bien qu’elle contienne des principes qu’il ne convient pas d’ignorer : a) saisine du Tribunal de Première Instance par l’autorité expropriante par laquelle sont ainsi assignés les propriétaires ou usufruitiers de l’immeuble ; b) avertissement par le propriétaire de cette assignation à tout tiers titulaire de droit réel ou de droit personnel sur le bien visé ; c) jugement déclaratif portant notamment sur : ● la régularité des formalités administratives ; ● la désignation d’experts ; ● le transfert de propriété d) jugement liquidatif déterminant le montant des indemnités ; e) consignation des indemnités ; f) envoi en possession. - Procédure d’extrême urgence Nonobstant le fait que les délais de la procédure ordinaire dès la clôture d’une expropriation en 150 jours, le législateur a estimé utile de prévoir une procédure d’extrême urgence au cas où « la prise de possession immédiate d’un ou de plusieurs immeubles est indispensable pour cause d’utilité publique » Les différentes étapes prévues par la procédure ordinaire restent d’application. Elles vont s’en distinguer essentiellement par le fait que la procédure d’extrême urgence va se dérouler devant le juge de Paix et que celui-ci se voit assigner des délais de rigueur nettement plus courts.

49

Page 50: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

C. Contrôle et sanctions - Contrôle Le contrôle de la légalité de la procédure pose la délicate question de la répartition des compétences entre les tribunaux de l’ordre judiciaire et le Conseil d’Etat. La compétence de principe des tribunaux judiciaires ne souffre cependant que de deux exceptions au profit de la compétence du Conseil d’Etat : ● recours en annulation d’un arrêté d’expropriation avant la phase judiciaire de l’expropriation ; ● recours d’un tiers qui ne serait ni le propriétaire de l’immeuble visé, ni le titulaire d’un droit réel ou d’un droit de créance sur lesdits immeubles. Il est, en tout état de cause, évident que le contrôle juridictionnel ne pourra porter que sur les actes du pouvoir exécutif.

Ce contrôle portera donc : ● sur la légalité externe et sur la légalité interne des actes administratifs, qu’ils soient actes d’autorisation ou actes d’expropriation ; ● sur la notion d’utilité publique à l’occasion de laquelle le juge sera amené à contrôler si l’exécutif est bien resté dans les limites de son pouvoir d’appréciation ou s’il n’a pas à cette occasion détourné le pouvoir que la loi lui a donné ; ● sur la notion d’urgence étant entendu que le juge pourrait contester l’expropriation au motif que l’urgence n’est pas suffisamment motivée, ou que cette motivation est périmée parce qu’un trop grand laps de temps s’est écoulé entre le moment où l’arrêté a été pris et où la procédure est effectivement entamée, ou que l’arrêté révèle un détournement de pouvoir. - Sanctions La sanction essentielle prévue par les lois d’expropriation est la rétrocession. Il s’agit, en réalité, de la sanction qui pourrait être prononcée, à la demande des anciens propriétaires ou de leurs ayant droit, dès lors que l’utilité publique justifiant l’expropriation n’aurait pas été satisfaite dans les faits. On relève que certaines lois d’expropriation particulière prévoient l’exclusion formelle de toute possibilité de rétrocession.

III. Les réquisitions

A. Définition La réquisition est « l’opération de puissance publique par laquelle, aux conditions fixées par les lois et les règlements d’exécution, une autorité administrative ou militaire impose d’autorité à une personne physique ou morale, de droit privé ou de droit public l’accomplissement de prestations dans un but d’intérêt général. ».19 La réquisition, contrairement à l’expropriation, requiert plus que la simple utilité publique, c’est le « salut public » qui doit exiger le recours à ce procédé. Bien entendu, la réquisition doit donner lieu à indemnité, cependant celle-ci ne devra être ni juste, ni préalable au sens de l’article 16 de la Constitution.

19 Dalloz – répertoire de Droit public et de droit administratif – tome II - 1959 v° réquisitions par G. Pequignot

50

Page 51: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

B. Classification 1. Les réquisitions militaires Les réquisitions militaires sont sans doute les réquisitions les plus connues mais en même temps les plus désuètes. Elles sont régies par la loi du 13 mai 1927 sur les réquisitions et par un arrêté royal du 3 mai 1939. Elles peuvent avoir lieu tant en temps de guerre qu’en temps de paix. L’autorité disposant du droit de réquisition est le ministre de la Défense nationale qui adressera ses ordres au collège des bourgmestre et échevins qui sera amené à répartir la réquisition et en assurer le recouvrement complet. On notera également que, suivant l’article 591 du code judiciaire, le juge de Paix est compétent pour connaître les contestations en la matière. 2. Les réquisitions civiles L’objectif de la réquisition civile est d’éviter que le fonctionnement de la vie de la nation dans l’un ou l’autre de ses aspects fondamentaux puisse être mis en péril. Ces réquisitions se retrouvent dans une série de lois disparates. On retiendra deux exemples en matière communale : ● l’article 135, §2, 5ème de la nouvelle loi communale qui permet au bourgmestre de réquisitionner des personnes en vue de « prévenir par des précautions convenables et, de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et fléaux calamiteux tels que les incendies, les épidémies et les épizooties » . ● l’article 134 bis de la nouvelle loi communale qui attribue au bourgmestre le droit de requérir tout immeuble abandonné de plus de six mois pour le mettre à disposition de personnes sans abri moyennant juste dédommagement au propriétaire.

IV. Les servitudes d’utilité publique

A. Définition L’article 637 du code civil définit la servitude comme étant une « charge imposée sur un héritage pour l’utilité et l’usage d’un héritage appartenant à un autre propriétaire ». Il s’agit évidement ici des servitudes légales d’utilité publique et non point des servitudes relevant du droit privé qui se caractérise par l’existence d’un fonds dominant et d’un fonds servant. Ici la servitude se justifie essentiellement par l’existence d’un intérêt général que l’intérêt particulier doit servir. L’exemple le plus flagrant en la matière est la servitude d’ancrage sur les façades de dispositifs destinés à soutenir les câbles électriques.20 La servitude n’emporte évidement pas la suppression du droit de propriété. Elle ne fait qu’apporter des restrictions à l’usage et à la jouissance des propriétés. Le principe d’une servitude d’utilité publique doit être établi par la loi qui en arrête, le cas échéant, les grands principes en confiant pour le surplus à l’autorité administrative le soin de déterminer les conditions générales ou individuelles à respecter.

20 Loi du 10 mars 1925 sur les distributions d’énergie électrique – art. 14

51

Page 52: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

B. Indemnisation Puisqu’il n’y a ni transfert de patrimoine, ni privation définitive de tout droit, une simple restriction à la jouissance d’un droit, le principe est celui de la non indemnisation des servitudes légales d’utilité publique. Il se peut, cependant, que le législateur considère lui-même que la restriction de la jouissance dépasse ce qui est raisonnablement admissible et prévoit un régime d’indemnité. Si la loi ne prévoit rien et qu’un préjudice exceptionnel provienne de la servitude, le seul recours prévu par la loi est le recours au contentieux de l’indemnité devant le Conseil d’Etat.

52

Page 53: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cinquième partie : Le contrôle et la responsabilité de l’administration Le contrôle A. Contrôle préventif

I Procédures contradictoires 1. L’enquête publique L’enquête publique est évidemment le mécanisme le plus ancien par lequel la population est invitée à participer à l’élaboration d’un acte administratif. On le retrouve déjà dans les procédures ordinaires d’expropriation telles qu’elles étaient réglées par la loi du 17 avril 1835. Aujourd’hui, les enquêtes publiques, au sens strict, sont essentiellement prévues en matière d’urbanisme et d’environnement. L’enquête publique a, en règle générale, un caractère obligatoire et est prévue à peine de nullité. Cette enquête publique doit pouvoir permettre au citoyen d’être complètement et valablement informé. La réglementation peut indiquer, par exemple, qu’elle ne puisse se tenir pendant des périodes de vacances et, qu’en outre, elle doit durer un certain temps. De surcroît, l’enquête publique débouche généralement sur un droit pour le citoyen de pouvoir consulter le dossier relatif à l’objet de l’enquête. 2. Consultation populaire La consultation populaire est un thème particulièrement polémique en Belgique. Finalement, le principe en a été consacré par l’article 41, alinéa 2 de la Constitution selon lequel : « les matières d’intérêt communal ou provincial peuvent faire l’objet d’une consultation populaire dans la commune ou la province concernée. La loi règle les modalités et l’organisation de la consultation populaire ». Contrairement à la volonté de certains, la consultation populaire qui n’est pas qualifiée de referendum ne peut porter que sur des matières d’intérêt communal ou provincial. La question d’étendre cette possibilité de consultation populaire au niveau de l’Etat et des entités fédérées fait l’objet de beaucoup de débats encore actuellement. En ce qui concerne les communes et les provinces, ces mécanismes ont été intégrés dans les lois organiques. Au niveau communal, il fait l’objet du titre 15 de la nouvelle loi communale tel qu’il est toujours d’application aujourd’hui en région bruxelloise. Retenons en ce qui nous concerne : - que la consultation peut être lancée soit à l’initiative du conseil communal, soit à l’initiative d’un certain nombre d’habitants de la commune ; - que la consultation ne peut porter que sur certaines des matières visées dans la loi communale. Cependant la référence à l’article 117, qui précise que le conseil règle tout ce qui est d’intérêt communal, permet une large application de ce principe ; - que la demande d’organisation d’une consultation populaire doit répondre à une procédure assez stricte qui lie l’autorité communale;

53

Page 54: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

- que l’organisation même de la consultation fait l’objet également de règles strictes tant en ce qui concerne la liste des personnes à interroger, que la manière dont la consultation devra être organisée concrètement, que de l’information à assurer (voir également l’arrêté royal d’exécution du 10 avril 1995) ; - que la loi consacre le caractère facultatif de la participation à la consultation; Par nature, les résultats de la consultation populaire ne lient pas les autorités communales. 3. Audition préalable Le principe de l’audition préalable avant toute décision à portée individuelle ne fait pas l’objet d’une disposition générale écrite. On la trouve cependant de manière explicite dans de nombreuses législations dont, bien évidement, la législation en matière disciplinaire. Même en ce cas, il n’est pas nécessairement précisé si l’audition doit être effectuée par l’autorité qui décide comme, par exemple, en matière juridictionnelle. En dehors du prescrit légal, la jurisprudence a donné au principe « audi alteram partem » une application extensive applicable à de multiples hypothèses. Cette absence de réglementation précise entraîne un certain flou dans l’application du principe. Retenons en tout cas que, dès lors que l’autorité va devoir prononcer une mesure administrative qui affectera négativement un citoyen, notamment eu égard à son comportement, la jurisprudence impose d’une manière générale l’audition préalable dans la mesure où elle exigera que le citoyen ait au moins été mis dans la possibilité d’exprimer son point de vue.

II Motivation des actes administratifs

1. Généralités « Si on prend la peine d’expliquer à l’homme le pourquoi et le comment de ce qui lui est imposé, sa liberté et sa raison entreront en jeu ; elles sont, pour l’action, des auxiliaires plus féconds que la hargne, la semi hébétude née et de la contemplation d’un imprimé rédigé dans une langue apparemment étrangère … »21. On s’accorde à dire aujourd’hui que la motivation de l’acte administratif apporte des avantages à tous les acteurs à commencer par l’administration elle-même qui est ainsi forcée à s’interroger sur les fondements mêmes de la décision qu’elle prend. Par ailleurs, il est évident que la motivation présente des avantages pour le citoyen et aussi pour l’autorité de contrôle. Il ne faut cependant pas confondre les motifs et la motivation qui n’est que l’expression formelle des premiers. La loi du 29 juillet 1991 a consacré l’obligation de motiver formellement certains actes administratifs. 2. Champ d’application

a) L’autorité administrative L’article 2 de la loi rend cette motivation obligatoire pour les actes des autorités administratives au sens « de l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat ».

21 J. Rivero « à propos des métamorphoses de l’administration » cité par Philippe Bouvier dans « Eléments de droit administratif » p.205

54

Page 55: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Ce renvoi aux lois coordonnées sur le Conseil d’Etat reste ambigu puisque la disposition en question ne définit pas non plus d’une manière claire le concept « d’autorité administrative » qui évolue en réalité au fil de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Il y a, cependant, lieu de citer un arrêt de la Cour de Cassation qui a définit la notion.22 Aujourd’hui retenons que sont considérées comme autorités administratives : les autorités de l’Etat, des Communautés, des Régions, des pouvoirs locaux, des administrations issues de la décentralisation par service, des personnes privées dans la mesure où elles sont chargées, d’une part, d’une mission de service public et, d’autre part, de l’exercice d’une parcelle de la puissance publique. b) L’acte administratif unilatéral de portée individuelle La notion d’acte administratif est également définie par les lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. Cependant, la loi du 29 juillet 1991 donne une définition plus limitée des actes devant être motivés. Il s’agit de : « l’acte administratif unilatéral de portée individuelle émanant d’une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l’égard d’un ou de plusieurs administrés ou d’une autre autorité administrative ». Il est donc clair que la loi ne vise que des actes qui produisent des effets juridiques : il s’agit donc bien d’un acte juridique et non pas d’un simple acte matériel. Ne doit être motivé que l’acte unilatéral et donc pas le contrat administratif. Plus important : seul l’acte individuel, à l’exclusion donc de l’acte réglementaire, devra faire l’objet d’une motivation. Le législateur a considéré que l’acte réglementaire qui par ailleurs, comme on l’a vu, n’est pas toujours considéré comme un acte juridique par le Conseil d’Etat comportait déjà suffisamment de garanties lors de son élaboration que pour ne pas devoir faire l’objet de pareille formalité supplémentaire. Il reste que la frontière entre l’acte réglementaire et l’acte individuel n’est pas toujours aisée à déterminer. L’on sait que l’acte réglementaire se caractérise par sa permanence et par sa vocation à être appliqué dans un nombre indéterminé de cas. Il est cependant des actes mixtes tel le permis de lotir que revêt à la fois un caractère réglementaire et individuel. Les décisions contentieuses administratives échappent à la loi du 29 juillet 1991 dans la mesure où, par ailleurs, elles doivent être motivées en application de l’article 149 de la Constitution. En ce qui concerne les décisions implicites, on a pu prétendre qu’elles empêchaient à ce point l’application de la motivation formelle qu’elles devaient être considérées comme définitivement illégales. Ce serait évidement oublier que l’article 14, §3 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat consacrent l’existence des décisions implicites contre lesquelles des recours peuvent être introduits. Il faut donc plus simplement considérer que l’acte implicite échappe par nature à l’obligation d’une motivation. La décision verbale échappe également à l’obligation de motivation dans la mesure où il sera par définition difficile de rapporter l’existence ou non de cette motivation. Plus délicat reste le problème de la décision prise au scrutin secret.

22 Cassation 14 février 1987 et Cassation 10 septembre 1999

55

Page 56: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

L’on a pu considérer qu’une décision prise au scrutin secret était suffisamment motivée par l’indication du résultat du vote sans qu’il soit nécessaire de chercher à identifier les mobiles des différentes personnes qui participent à la décision. Sous la pression du Conseil d’Etat, il est aujourd’hui considéré que le vote au scrutin secret ne s’oppose nullement à l’exigence de la motivation formelle des actes administratifs. Il faut, en effet, se souvenir que la motivation n’est que la mise en forme des motifs et qu’il est évidemment exclu que l’administration puisse prendre des décisions qui n’auraient aucun motif. En cas de doute sur les motifs, rien n’empêche de soumettre au vote de l’autorité une délibération ultérieure contenant la motivation. Le vote sur cette motivation devrait également intervenir au scrutin secret.

3. Contenu de la motivation L’article 3 de la loi du 29 juillet 1991 est clair : « La motivation exigée consiste en l’indication, dans l’acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision. Elle doit être adéquate. »

a) Motif de droit et de fait La distinction est relativement aisée à faire : les motifs de droit sont les règles auxquelles l’autorité se réfère et qui servent de base à la décision et les motifs de fait sont les considérations précises et concrètes amenant l’autorité à prendre la décision.

b) Motif par référence Il arrive que la décision de l’autorité administrative soit le résultat de tout un processus et qu’il soit difficile dans la décision elle-même de reprendre l’ensemble des éléments qui se retrouvent tout naturellement dans le dossier. Il est certain que rien n’interdit au juge de se référer à ce qui se trouve dans le dossier qui serait ainsi visé simplement dans l’acte. Par ailleurs, il arrive que la décision se réfère à un avis ou une proposition. Cette référence ne viole par l’obligation de motivation formelle pour autant que ces avis ou propositions soient annexés à la décision et qu’ils soient bien évidemment eux-mêmes motivés. Il est évident, également, que si l’autorité s’écarte des avis ou propositions, cela doit être aussi motivé spécifiquement.

c) Motivation adéquate Le législateur a utilisé un terme qui lui-même n’est pas le plus précis. Tenons simplement pour acquis que la motivation doit être claire, précise, concrète et exacte. Aller au-delà, c’est bien entendu passer la frontière qui sépare le contrôle de légalité externe et le contrôle de légalité interne.

4. Les exceptions Le législateur a estimé que, dans certains cas, l’obligation de motiver pouvait ne pas être appliqué. Il s’agit essentiellement des cas où les motifs concernent la sécurité extérieure de l’Etat et l’ordre public. De même, le respect de la vie privée tel que consacré par l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et l’article 22 de la Constitution justifie également de faire exception à ladite obligation. Le respect du secret professionnel peut aussi justifier, dans certains cas, une exception au principe de la motivation.

56

Page 57: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

En tout état de cause, les exceptions doivent rester de stricte interprétation en telle sorte que l’autorité administrative ne peut pas se retrancher derrière elles uniquement dans le but d’échapper à l’obligation de motivation. Par contre, l’article 5 de la loi du 29 juillet 1991 précise bien : « L’urgence n’a pas pour effet de dispenser l’autorité administrative de la motivation formelle de ses actes ». Enfin et malgré le principe selon lequel les lois spéciales dérogent aux lois générales, le législateur fédéral a estimé que des lois particulières ne peuvent s’écarter de l’obligation formelle de motivation sauf à la rendre plus contraignante.

III Publicité de l’administration

1. Genèse : information en matière environnementale L’accès au dossier administratif et la transparence de ceux-ci permettent aussi un contrôle de l’administration par le citoyen. Cette publicité est restée longtemps en marge des préoccupations du législateur. Il est caractéristique de constater qu’elle s’est imposée au départ d’une directive européenne (directive 90/313/CEE du 7 juin 1990 concernant la liberté d’accès à l’information dans les domaines de l’environnement). En réalité, cette directive avait été précédée par une résolution adoptée par le conseil des Ministres de l’Europe le 28 septembre 1977 invitant les gouvernements à consacrer le droit du citoyen à avoir accès au dossier administratif. La directive de 1990 a servi d’accélérateur à l’éclosion d’une véritable révolution de la culture administrative qui sous prétexte de secret ou de confidentialité développait une autarcie qui excluait par principe le citoyen. 2. Principes constitutionnels (art.32). La Constitution ne vise, il est vrai, que la publicité passive c’est-à-dire que celle qui vient en réponse à une démarche personnelle du citoyen. Par contre, elle est très libérale dans la mesure où elle n’exige pas que le citoyen doive justifier d’un intérêt quelconque pour pouvoir consulter ou se faire communiquer des documents souhaités. En plus, le gouvernement a voulu donner une définition très large au terme de documents administratifs accessibles. Il s’agit de « toute information, sous quelle que forme que ce soit, dont les autorités disposent, toutes les informations disponibles, quel que soit le support : documents écrits, enregistrements sonores et visuels, y compris les données reprises dans le traitement automatisé de l’information, les rapports, les études, même de commissions consultatives non officielles, certains comptes-rendus de procès-verbaux, les statistiques, les directives administratives, les circulaires, les contrats et licences, les registres bancaires publics, les cahiers d’examen, les films, les photos dont disposent une autorité ». L’article 32 de la Constitution énonce un principe général qui ne peut être modalisé que par la loi, le décret ou l’ordonnance. Compte tenu de l’importance présumée de l’intervention des différents législateurs, le constituant a reporté l’entrée en vigueur de la disposition au 1er janvier 1995. Les législateurs sont effectivement intervenus tant au niveau fédéral qu’au niveau des Régions et des Communautés. Au niveau fédéral, le législateur a adopté la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration et, plus tard, la loi du 12 novembre 1997 relative au même sujet mais d’application dans les provinces et les communes qui avaient échappé au champ d’application de la première loi.

57

Page 58: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Ces deux lois furent complétées par la suite par une loi du 26 juin 2000 qui assura leur conformité à la directive 90/313/CEE du 7 juin 1990 susvisée. Nous nous bornerons à examiner cette loi du 11 avril 1994 qui est la première à être intervenue et qui a eu pour objectif de traduire tant les recommandations européennes que l’article 32 de la Constitution et apporté ainsi « un véritable tremblement de terre du point de vue de la culture administrative existante » comme on peut le lire dans ses travaux préparatoires. 3. Loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration

a) Champ d’application : - Autorité administrative

Le champ de la loi du 11 avril 1994 est double : d’une part, il ne concerne que les autorités administratives fédérales mais, d’autre part, il vise toutes les autres autorités administratives du pays dans la mesure où cette loi exclut la publicité pour des motifs tels que la protection de la vie privée ou le maintien de l’ordre public. Dans ce dernier cas, les autorités visées sont celles dont il est question à l’article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.

- Documents administratifs Le terme est pris dans son sens le plus large. Il s’agit de toute information sur quel que support que ce soit dont une autorité administrative dispose. A l’instar de ce qui était prévu dans la Constitution, les documents visés sont tant les documents définitifs que les documents préparatoires. En outre, on sait que l’objectif de la loi est de permettre aux personnes qui envisagent d’introduire une action en justice de prendre connaissance du dossier au préalable. Le dossier administratif doit donc s’entendre de la manière dont il s’entend dans le cadre des recours introduits auprès du Conseil d’Etat c’est-à-dire qu’il doit comporter normalement l’ensemble des documents qui ont été recueillis au cours de la préparation de l’acte administratif attaqué outre tous les documents dont l’établissement est requis par les lois et règlements.

- Documents à caractère personnel Dans l’esprit de l’article 32 de la Constitution, nul n’a besoin à justifier d’un intérêt pour pouvoir consulter un document administratif. Le législateur a cependant fait une exception en cette matière en ce qui concerne les documents personnels. Par document à caractère personnel, il faut entendre tout document administratif qui comporte une appréciation ou un jugement de valeur relatif à une personne physique nommément désignée ou aisément identifiable.

b) Publicité active On l’a vu précédemment, l’article 32 de la Constitution ne vise que la publicité passive c’est-à-dire la possibilité pour le citoyen de consulter des dossiers. Le législateur a voulu aller plus loin et imposer aux autorités fédérales un certain nombre d’initiatives à prendre en vue d’assurer l’information. Il s’agit d’abord de la création d’un service d’information fédéral.

58

Page 59: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Il s’agit également de l’obligation pour chaque administration de tenir à disposition du public un guide décrivant ses compétences et l’organisation de son fonctionnement. Il s’agit aussi d’indiquer sur toute correspondance les coordonnées de l’agent chargé du dossier. Enfin, les actes administratifs concernés doivent mentionner l’indication des voies de recours éventuelles, les instances compétentes pour en connaître ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne commence pas à courir. c) Publicité passive :

- Principe Le droit d’accès aux documents administratifs implique l’existence de trois droits différents : 1) un droit de regard, c’est-à-dire le droit de prendre connaissance de tout document administratif ; 2) un droit d’explication c’est-à-dire le droit d’obtenir des explications complémentaires ; 3) un droit de communication c’est-à-dire le droit de recevoir communication des documents sous forme de copies et moyennant éventuelle rétribution. Ce qui est nouveau par rapport à l’article 32 de la Constitution est le droit d’explication.

- Exceptions :

● obligatoires On parle d’exceptions obligatoires dans la mesure où ces exceptions vont s’appliquer à l’ensemble des administrations du pays puisqu’elles portent sur des compétences relevant de l’autorité fédérale. Ces exceptions obligatoires seront soit relatives, soit absolues.

▪ relatives Une série de cas entraîneront des exceptions dites relatives dans la mesure où il appartiendra à l’autorité administrative d’opérer chaque fois une balance des intérêts en présence c’est-à-dire de vérifier si l’intérêt de la publicité ne l’emporte pas sur une des exceptions énumérées. Il s’agit de la sécurité de la population ; de la liberté des droits fondamentaux des administrés ; des relations internationales fédérales de la Belgique ; de l’ordre public, la sûreté ou la défense nationale ; de la recherche ou la poursuite faits punissables ; d’un intérêt économique ou financier fédéral, la monnaie ou le crédit publics, des informations d’entreprise ou de fabrication ; de l’identité d’une personne ayant communiqué une information à titre confidentiel. Dans chacun de ces cas, le fonctionnaire pourrait facilement se prévaloir de son devoir de discrétion tel qu’il est contenu dans les principes généraux de la fonction publique. Il devra, cependant, en outre, mettre en balance le droit constitutionnel du citoyen et l’intérêt qu’a l’administration au devoir de discrétion de l’agent. Cela étant, il est évidemment dommage que le législateur n’ait pas plus clairement réglé l’articulation entre ce devoir de discrétion et ce droit à la

59

Page 60: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

publicité bien que l’on sait que le premier dérive d’un arrêté royal hiérarchiquement subordonné à la loi. ▪ absolues Il existe trois cas où le législateur a considéré que les autorités administratives ne pouvaient avoir d’autre choix que de refuser une demande d’accès aux documents administratifs. Il s’agit des cas où la demande d’accès porte : 1) sur la protection de la vie privée sauf accord préalable et écrit de la personne concernée ; 2) sur une obligation de secret instauré par la loi ; 3) sur le secret de délibération du gouvernement fédéral et des autorités responsables du pouvoir exécutif fédéral ou auquel une autorité fédérale est associée.

● facultatives Les exceptions facultatives ne concernent que les autorités administratives fédérales. Comme le nom l’indique, les exceptions donnent à l’autorité administrative le pouvoir de refuser l’accès aux documents administratifs. Sont ainsi visées les demandes relatives à : 1) un document inachevé ou incomplet dont la divulgation peut être source de méprise, 2) une opinion communiquée librement et à titre confidentiel à l’autorité ; 3) les demandes manifestement abusives ou dont la formulation est manifestement trop vague. - La rétribution Selon, l’article 12 de la loi : « la réception d’une copie d’un document administratif peut être soumise au paiement d’une rétribution dont le montant est fixé par le Roi ». La volonté du législateur était que la rétribution reste raisonnable et ne puisse pas faire obstacle au bon fonctionnement de la publicité. Il est exact que, sous l’empire de l’article 32 de la Constitution, certaines autorités administratives avaient cru pouvoir trouver dans la fixation d’une redevance élevée, la possibilité de limiter l’accès aux documents administratifs. Cette matière est réglée, du moins en ce qui concerne l’exécution de la loi du 11 avril 1994 par un arrêté royal du 30 août 1996 (MB du 20 septembre 1996). Il reste curieux que, contrairement à ce qui est indiqué à l’article 3 de la loi pour la publicité active, l’article 12 ne limite pas la rétribution au prix coûtant.

- Contrôle La bonne exécution de la loi est assurée par un contrôle confié, d’une part, à la Commission d’accès aux documents administratifs et, d’autre part, au Conseil d’Etat. ● commission d’accès aux documents administratifs Cette commission est essentiellement une commission consultative qui, sur demande d’un citoyen, peut remettre un avis sur la régularité du refus d’accès au document administratif que lui aurait opposé une administration.

60

Page 61: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

La commission communique alors son avis non seulement à l’administré mais également à l’autorité et ce dans les 30 jours de la réception de la demande. Au terme de ce délai, l’autorité administrative doit statuer et reconsidérer la demande. Sa décision doit intervenir dans les 15 jours, délai au terme duquel la demande en reconsidération sera rejetée tacitement. ● Conseil d’Etat La décision prise sur reconsidération ou le rejet présumé peut évidement faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat bien qu’il s’agisse d’un recours spécifique visé par la loi du 11 avril 1994. Il ne s’agira évidemment pas de demander l’annulation de la décision prise sur base des documents dont l’accès a été refusé.

d) Cumul de législation « la présente loi ne préjudicie pas aux dispositions législatives qui prévoie une publicité plus étendue de l’administration. » (art.13). On l’a vu, les différentes composantes de l’Etat tirent de l’article 32 de la Constitution le droit de réglementer la publicité de l’administration dans le champ de leurs compétences. Cela a, bien évidement, entraîné une prolifération de textes qui peuvent varier non seulement dans leur champ d’application mais également et surtout dans la définition de ce que sont les documents administratifs et dans le mode de formulation des exceptions. La disposition de l’article 13 ne peut évidement pas être interprété par rapport aux normes législatives prises par les autres niveaux de pouvoir. Elle ne peut s’envisager que pour les normes arrêtées par l’autorité fédérale qui organiserait un régime de publicité moins étendu. L’application de cette règle a cependant connu déjà quelques difficultés d’application.

4. Le médiateur Le médiateur tire son origine de l’institution suédoise de l’Ombudsman (1809). Il s’agissait essentiellement de permettre au Parlement de contrôler l’administration parallèlement au monopole royal. Au fil du temps, cette institution s’est étendue à beaucoup de pays européens. En Belgique, il a fallu attendre les années 90 pour que l’on retrouve ce mode de règlement de contentieux administratif au sein des institutions belges. Le plus significatif est la loi du 22 mars 1995 qui institue des médiateurs fédéraux. Le médiateur répond généralement à trois critères essentiels : 1) son statut est fixé par un texte adopté par une assemblée législative qui le

nomme et le révoque ; 2) il agit à la demande de l’autorité législative ou sur plainte des administrés qui

justifient un intérêt ; 3) il se prononce en équité, jouit d’un large pouvoir d’investigation, ne dispose

d’aucun pouvoir de décision mais bien d’une « magistrature d’influence ». L’institution s’est étendue aux institutions communales. A défaut d’une définition de la mission du médiateur communal par la loi, son statut variera de commune à commune étant entendu que seul le conseil communal

61

Page 62: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

pourra en déterminer le statut dans les limites de la loi organique qui peut varier de région à région.

B. Contrôle administratif

I Contrôle hiérarchique Le contrôle hiérarchique est lié au mécanisme de déconcentration administrative : système d’organisation dans lequel le pouvoir de décision est attribué par délégation ou subdélégation à des agents publics hiérarchiquement subordonnés. Par définition, le supérieur hiérarchique, une fois qu’il est défini comme tel, exerce un contrôle d’office sur l’activité administrative de l’agent subordonné jusqu’à et y compris pouvoir se substituer à lui. A cet égard, l’autorité supérieure peut agir sans texte et selon les moyens de son choix sans être tenue par quelle que conditions de forme ou de délai que ce soit. L’on peut cependant rencontrer des cas où l’exercice de ce contrôle hiérarchique est réglé par un texte à portée législative ou réglementaire.

II Contrôle de tutelle 1. Principes Contrairement au contrôle hiérarchique, le contrôle de tutelle est lié au mécanisme institutionnel de décentralisation administrative : système d’organisation selon lequel un pouvoir de décision est confié à des représentants et agents d’une personne publique autre que l’Etat, les Communautés ou les Régions. Dans ce régime, l’autonomie est la règle et le contrôle l’exception. Ainsi, le contrôle n’existera que pour autant qu’il soit prévu par la loi au sens large et les mécanismes de contrôle seront d’une interprétation restrictive. Le principe de ce système de contrôle est inscrit à l’article 162 de la Constitution en ce qui concerne les communes et les provinces. Sa finalité est exclusivement de vérifier la conformité des décisions des autorités décentralisées : - à la loi (tutelle de légalité) ; - à l’intérêt général (tutelle d’opportunité). Il est évident qu’à côté de ce régime constitutionnel obligatoire pour les communes et les provinces, la loi au sens large peut organiser des mises sous tutelle d’autres organismes. Il s’agit en général de mécanismes où la part ne sera pas toujours facile à faire entre le strict contrôle hiérarchique, le contrôle de tutelle voire le contrôle de l’emploi de fonds financiers.

2. Tutelle générale et tutelle spéciale Il s’agit de la distinction la plus fondamentale entre les modes de tutelle. La tutelle est dite générale quand elle est appelée à s’exercer à l’égard de n’importe quel acte administratif émanant d’une autorité administrative décentralisée. La tutelle est dite spéciale quand elle porte sur les seuls actes visés par la loi ou le décret.

62

Page 63: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Quand elle est générale, la tutelle sera facultative dans la mesure où l’autorité de tutelle ne devra pas nécessairement la mettre en oeuvre et a posteriori dans la mesure où elle portera sur des décisions déjà prises et qui sortent déjà leurs effets. Il s’agit, essentiellement, des tutelles de suspension et d’annulation. En ce qui concerne la tutelle spéciale, elle sera obligatoire en ce sens que l’autorité devra se prononcer, et préventive dans la mesure où la décision ne pourra être prise (autorisation) ou sortir ses effets (approbation) qu’après que l’autorité de tutelle se soit prononcée. La tutelle spéciale sera dite supplétive ou coercitive quand, sans être obligatoire, elle aboutit à ce que l’autorité de tutelle se substitue à l’autorité décentralisée (tutelle de substitution d’action ou de décision). On retiendra, également, que la tutelle de substitution, ne pourrait, au regard des principes, porter que sur le contrôle de la légalité et non pas sur le contrôle de la conformité à l’intérêt général. La doctrine considère, en effet, qu’il s’agit du mode de tutelle le plus préjudiciable au principe d’autonomie en telle sorte qu’il ne peut se justifier qu’au regard de la légalité. Il se peut que des cas de tutelle générale et de tutelle spéciale puissent s’exercer en concours sur un même acte. Il faudra évidement se référer à la volonté du législateur pour faire primer l’une sur l’autre ou, en cas de silence, faire valoir le principe selon lequel le particulier (tutelle spéciale) déroge au général (tutelle générale). On peut, également, invoquer le caractère subsidiaire et facultatif de la tutelle générale. 3. Organisation et exercice de la tutelle L’article 162, alinéa 3 de la Constitution permet de confier aux Communautés et aux Régions l’organisation et l’exercice de la tutelle administrative. En exécution de cette disposition, l’article 7 de la loi spéciale de réforme institutionnelle de 1980 stipule : « […] Les Régions sont compétentes en ce qui concerne l’organisation et l’exercice de la tutelle administrative sur les provinces, les agglomérations et les fédérations de communes, les communes et les organes territoriaux intracommunaux visés à l’article 41 de la Constitution. L’alinéa 1er ne préjudicie pas à la compétence de l’autorité fédérale et des Communautés d’organiser et d’exercer elle-même une tutelle administrative spécifique dans les matières qui relèvent de leurs compétences. » Cette organisation de la tutelle, issue des réformes institutionnelles, aboutit à une nouvelle distinction entre ce qui sera appelé tutelle ordinaire et tutelle spécifique. A l’origine, n’était considérée comme tutelle ordinaire que la tutelle organisée par la loi communale. Sous l’influence de la jurisprudence du Conseil d’Etat, son champ d’application s’est cependant élargi. Par ailleurs, l’autorité régionale, tuteur ordinaire, peut intervenir également comme autorité de tutelle spécifique dans la mesure où elle règlerait le contrôle d’activité des autorités décentralisées ayant des compétences particulières telles que, par exemple, les compétences en matière d’urbanisme. Par ailleurs, les différents organes législatifs issus de l’Etat fédéral, des Régions et des Communautés peuvent exercer en concours leur tutelle sur les activités d’un même organisme. Ainsi, en matière de fonctionnement des zones de police, les Régions conservent leur capacité à exercer des formes de tutelle générale alors que la compétence de l’autorité fédérale d’arrêter des règles de fonctionnement des organes de police et d’en assurer le contrôle est largement reconnue.

63

Page 64: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cela ne manque évidement pas de créer certains troubles de compétence en telle sorte que le législateur spécial s’est senti lui-même obligé de prévoir qu’aucune tutelle ne peut être exercée sur les mesures disciplinaires prononcées à l’égard de policiers en exécution de la loi du 13 mai 1999 portant le statut disciplinaire du personnel des services de police. III Recours administratifs 1. Recours inorganisé Le recours gracieux au sens large est un droit reconnu à tout citoyen et procède de la même nature que le droit de pétition consacré par l’article 28 de la Constitution. Ces procédures consacrent, en fait, l’initiative spontanée et informelle de tout citoyen de recourir soit à l’auteur de l’acte, soit à son autorité hiérarchique, soit à son autorité de contrôle pour tenter de faire retirer, de faire annuler, de faire corriger ou de faire réformer une décision contestée. Par nature, ces recours gracieux ne font l’objet d’aucun texte et ne sont donc soumis à aucune formalité. Il conviendra, cependant, d’être attentif à ce que l’autorité saisie du recours puisse intervenir dans les délais prévus le cas échéant par la loi. De même, ces recours gracieux ne sont pas de nature à suspendre ou à interrompre le délai pour agir en annulation devant le Conseil d’Etat. 2. Recours organisé De multiples textes instituent des recours administratifs internes soit auprès de l’auteur de la décision, soit auprès du supérieur hiérarchique, soit auprès de l’autorité de tutelle. Par ailleurs, des recours sont parfois organisés auprès d’organes spécialement créés à l’occasion. Il est certain que, contrairement au recours gracieux, le recours organisé doit généralement répondre à un certain nombre de conditions de fond et de forme que l’autorité elle-même est obligée de respecter pour se prononcer. Enfin, le citoyen devra, quant à lui, prouver qu’il a utilisé cette voie de recours avant de saisir, par exemple, le Conseil d’Etat. C’est d’ailleurs la décision prise sur recours qui devra faire l’objet de la requête en annulation et non la décision initiale.

C. Contrôle juridictionnel

I Contentieux éclaté La protection juridictionnelle des droits des citoyens s’articule essentiellement autour de trois organisations contentieuses portant la première sur le contentieux constitutionnel, la seconde sur le contentieux judiciaire et la troisième sur le contentieux administratif. 1. Contentieux constitutionnel Les réformes institutionnelles ont eu pour conséquence de répartir les compétences antérieurement exercées uniquement par le pouvoir fédéral entre plusieurs autorités titulaires de pouvoirs équivalents.

64

Page 65: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Il s’agit de l’autorité fédérale mais également des autorités communautaires et régionales. Le risque existait que ces compétences puissent entrer en conflit. Des mécanismes spécifiques ont été mis en place pour éviter ces conflits ou pour les régler. L’article 142 de la Constitution a spécifiquement habilité la Cour d’Arbitrage à régler les conflits visés à l’article 141 de la Constitution à savoir les conflits entre la loi, le décret et les règles visées à l’article 134 ainsi qu’entre les décrets et entre les règles visées à l’article 134. Par la suite, le constituant a élargi les compétences de la Cour d’Arbitrage à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l’article 134, les articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Enfin, plus récemment, la Constitution a étendu les compétences de la Cour d’Arbitrage à la violation par une loi, un décret ou une règle visée à l’article 134 des articles de la Constitution que la loi détermine. En exécution de cette dernière modification, la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d’Arbitrage a été modifiée en 2003 et précise à présent que la Cour d’Arbitrage statue par voie d’arrêt sur les recours en annulation en tout ou en partie d’une loi, d’un décret ou d’une règle visée à l’article 134 de la Constitution pour cause de violation :

1) des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’Etat, des Communautés et des Régions ;

2) des articles du titre 2 « des Belges et de leurs droits et des articles 170, 172 et 191 de la Constitution ».

La Cour d’Arbitrage devient ainsi véritablement une autorité de contrôle, de conformité des normes législatives à la Constitution et c’est pourquoi en mai 2007 la Constitution a été modifiée en telle sorte qu’aujourd’hui la Cour d’Arbitrage est baptisée Cour Constitutionnelle. 2. Contentieux judiciaire L’article 144 de la Constitution confie aux tribunaux judiciaires les contestations qui ont pour objet les droits civils. Il s’agit d’une compétence qualifiée d’exclusive par la Constitution. Par contre, l’article 145 de la Charte fondamentale ne confie aux tribunaux judiciaires les contestations portant sur des droits politiques que pour autant que ces contestations n’aient pas été confiées par la loi à une autre juridiction. En tout cas, donc, un recours qui tend à protéger un droit subjectif civil à l’égard d’une autorité administrative relève de la compétence exclusive des tribunaux judiciaires. Les notions de droit civil et de droit politique ne sont définies dans aucun texte. L’on s’accorde cependant à dire :

- que les droits civils sont les droits relatifs à la personne ou à son patrimoine ; - que les droits politiques sont les droits relatifs à la participation au gouvernement

de la citée, à la jouissance des services et avantages procurés par la puissance publique.

Il est certain que la ligne de partage entre les deux sera difficile à faire et, par voie de conséquence, la ligne de partage entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les juridictions de l’ordre administratif peut poser problème. En réalité, il s’agira essentiellement de définir les champs de compétence respectifs non pas des juridictions administratives spéciales et des juridictions judiciaires mais bien de la juridiction administrative à compétence générale que constitue le Conseil d’Etat et

65

Page 66: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

les juridictions de l’ordre judiciaire fonctionnant sous l’autorité ultime de la Cour de Cassation. Il se peut, en effet, que le contentieux dit objectif, confié à la compétence générale du Conseil d’Etat, ait des conséquences à ce point importantes sur le contentieux des droits subjectifs confiés aux tribunaux de l’ordre judiciaire que pour que l’on considère que le Conseil d’Etat est incompétent. Comme on le verra plus loin, le Conseil d’Etat est une juridiction de création plus récente que la Cour de Cassation. C’est donc à la Cour de Cassation qu’il est revenu de préciser dans sa jurisprudence les limites des contentieux respectifs. Pour ce faire, elle a très tôt fait appel au concept de « l’objet véritable du recours ». Ainsi est-il classiquement admis, par la jurisprudence, que portent sur les droits subjectifs les recours introduits contre des actes administratifs relatifs aux traitements ou pensions des fonctionnaires ; aux contrats de travaux de fournitures et de services etc.

3. Contentieux administratif Le contentieux administratif a, dès l’origine, tenté de mettre en place des mécanismes destinés à résoudre les litiges entre l’administration et les particuliers. Il convient à la fois de protéger les personnes contre l’arbitraire des détenteurs de l’autorité et de ménager à l’administration des moyens d’action efficaces. L’on peut constater que dans les différents pays voisins, l’organisation du contentieux administratif va varier de la création de juridictions spécifiques distinctes des tribunaux de l’ordre judiciaire à une absence totale de distinction en telle sorte que ce type de contentieux relève du droit commun. En Belgique, le choix fait par le constituant de 1831 a témoigné d’une grande confiance au pouvoir judiciaire en lui accordant une quasi exclusivité. A l’origine, il n’est pas question d’un Conseil d’Etat avec une compétence juridictionnelle générale en matière administrative. Cela ne surprend pas dès lors que le Conseil d’Etat tant français qu’hollandais n’avait pas laissé de souvenir impérissable aux révolutionnaires belges. On constate cependant que, dès l’origine, le constituant réserve la possibilité de créer des juridictions distinctes des juridictions judiciaires pour protéger des droits politiques. Dès 1832, une proposition de création d’un Conseil d’Etat ou Conseil administratif avec compétence d’avis en matière législative est déjà déposée. Ce projet n’a jamais été abandonné et s’est même développé en même temps que la frilosité du pouvoir judiciaire à condamner les administrations et ce sous prétexte du respect du principe de la séparation des pouvoirs. Cette frilosité fût singulièrement abandonnée lorsque le 5 novembre 1920 la Cour de Cassation rend son célèbre arrêt «Flandria»23. L’histoire retiendra que cet arrêt est rendu alors même que le gouvernement venait de déposer un projet de création du Conseil d’Etat. Même si le pouvoir judiciaire s’était ainsi arrogé compétence de pouvoir juger de la responsabilité des pouvoirs publics, il n’en restait pas moins que l’annulation proprement dite des décisions des autorités administratives ne pouvait être prononcée. Avant la seconde guerre mondiale, un projet fut adopté par le Sénat octroyant au Conseil d’Etat le pouvoir d’annuler des actes illégaux. C’est sur cette base que fut créé le Conseil d’Etat par la loi du 23 décembre 1946 et installé finalement le 9 octobre 1948.

23 Cassation 5 novembre 1920 – 1ère partie - p. 192

66

Page 67: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Le contentieux administratif recevait ainsi une autorité juridictionnelle à compétence générale. Celle-ci ne sera cependant reconnue par la Constitution qu’en 1993 (art. 160). Dès la création du Conseil d’Etat, le contentieux administratif s’est développé pour prendre aujourd’hui une extension d’autant plus considérable que les pouvoirs publics sont eux-mêmes amenés à intervenir de plus en plus dans la vie économique et sociale. Il convient également de souligner qu’à côté du Conseil d’Etat, autorité juridictionnelle à compétence générale, le législateur a créé une multitude de juridictions administratives à compétence spéciale sur base de l’art. 161 C.

II Juridictions de l’ordre judiciaire 1. Organisation générale

Cour de Cassationla plus haute instance

judiciaire du pays

Cours d’Assises1 par province+ 1 à Bruxelles

Cours d’appel5 Cours d’Appel

Bruxelles, Mons, Liège, Charleroi, Gand, Anvers

Cours du Travail

Tribunal correctionnelde 1ère instance

1 par arrondissement judiciaire

Tribunal civil de 1ère instance

1 par arrondissement judiciaire

Tribunaux de Commerce

1 par arrondissement judiciaire

Tribunal de la Jeunesse

de 1ère instance1 par arrondissement

judiciaire

Tribunaux de Travail1 par arrondissement

judiciaire

Tribunaux de police1 par canton judiciaire

Justice de Paix1 par canton judiciaire

Cour de Cassationla plus haute instance

judiciaire du pays

Cours d’Assises1 par province+ 1 à Bruxelles

Cours d’appel5 Cours d’Appel

Bruxelles, Mons, Liège, Charleroi, Gand, Anvers

Cours du Travail

Tribunal correctionnelde 1ère instance

1 par arrondissement judiciaire

Tribunal civil de 1ère instance

1 par arrondissement judiciaire

Tribunaux de Commerce

1 par arrondissement judiciaire

Tribunal de la Jeunesse

de 1ère instance1 par arrondissement

judiciaire

Tribunaux de Travail1 par arrondissement

judiciaire

Tribunaux de police1 par canton judiciaire

Justice de Paix1 par canton judiciaire

67

Page 68: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

2. Compétence générale : droit subjectif Comme on l’a vu plus haut, la compétence générale des juridictions de l’ordre judiciaire se rattache à la protection des droits subjectifs mais aussi des droits politiques sauf les exceptions établies par la loi. Il est important, également, de relever que quand une juridiction de l’ordre judiciaire met en cause un acte administratif dans le cadre d’un contentieux portant sur des droits subjectifs, il ne lui appartiendra en aucune manière d’annuler cet acte administratif. La Constitution ne donne au pouvoir judiciaire qu’une seule compétence : « les Cours et Tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux que pour autant qu’ils seront conformes aux lois » (art. 159). Par contre, ayant constaté l’illégalité d’un acte, le tribunal de l’ordre judiciaire peut condamner l’auteur de l’acte à réparer le préjudice que cette illégalité aurait entraînée. Cette compétence distingue fondamentalement les juridictions de l’ordre judiciaire du Conseil d’Etat. 3. Compétences particulières

a) Contrat de travail Seules les juridictions du travail sont compétentes pour connaître de l’interprétation, de l’exécution ou de la dissolution des contrats de travail conclus entre un agent et une personne morale de droit public.24 Ainsi donc, le Conseil d’Etat ne pourrait connaître d’un litige entre une autorité publique et un agent dès lors qu’il ressort du dossier que les deux parties sont liées par un contrat de travail, ce qui n’apparaît pas toujours à évidence. b) Fiscalité Les contestations relatives à l’application d’une loi d’impôt relèvent des juridictions de l’ordre judiciaire.25 La précision est d’importance puisque la fiscalité est reconnue comme étant un droit politique qui aurait donc pu être confié à une autre instance que l’instance judiciaire. On rappellera que l’action à introduire devant le Tribunal de première Instance ne sera recevable que pour autant que le recours organisé préalable ait été intenté.26 Il s’agit notamment des recours organisés devant le collège des bourgmestre et échevins. c) La sécurité sociale Les articles 579 à 583 du code judiciaire confient aux juridictions du travail l’ensemble du contentieux touchant aux droits des salariés en matière de sécurité sociale. Il s’agit à nouveau de droits politiques pour lesquels la compétence des tribunaux judiciaires est donc ainsi confirmée. Il s’agit aussi surtout d’une clarification des compétences puisque ainsi toutes ces contestations qui, auparavant relevaient de juridictions administratives diverses, relèvent dorénavant des juridictions du travail. d) Expropriation pour cause d’utilité publique Une large compétence est reconnue en la matière aux juridictions de l’ordre judiciaire étant entendu que le Conseil d’Etat conserve sa compétence générale tant que la procédure d’expropriation elle-même n’a pas débuté.

24 Art. 578, 1ère du code judiciaire 25 Art. 569, alinéa 1 et 617 du code judiciaire 26 Art. 85 undecies – code judiciaire

68

Page 69: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

III Juridictions administratives spéciales A. Généralités 1. Organisation La matière se caractérise par une très grande disparité des juridictions administratives à compétence spéciale. Leur nombre s’élève à plus de 250 et, pire, elles ont été créées au hasard des besoins un peu comme si le législateur, chaque fois qu’il estimait devoir charger une autorité particulière de gérer une activité déterminée, avait en même temps estimé indispensable d’en assurer un contrôle par une juridiction administrative. Elles peuvent être classées en trois catégories : - les juridictions dont les jugements sont susceptibles d’être déférés à une juridiction

de l’ordre judiciaire ; - les juridictions dont les décisions relèvent de la compétence du Conseil d’Etat

comme juge d’appel ; - les juridictions dont les décisions relèvent de la compétence du Conseil d’Etat

comme juge de cassation. Pour simplifier, dans cette dernière catégorie, il convient également de distinguer les cas où le législateur a clairement confié la compétence au Conseil d’Etat et les cas où il est resté muet et où la jurisprudence tant de la Cour de Cassation que du Conseil d’Etat s’accorde à reconnaître une compétence générale de cassation du Conseil d’Etat. 2. Caractéristiques La juridiction administrative se caractérisera par trois traits spécifiques : - leur création suppose l’intervention du législateur au sens large ; - leur décision doit être motivée ; - leur décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée. Déterminer si on a affaire à une juridiction administrative ou une autorité administrative, c’est s’interroger sur certains critères organiques (impartialité et indépendance des juges) ; sur certains critères formels (procédures rigoureuses, contradictions des débats, publicité des audiences, obligation de statuer) et sur certains critères matériels (compétence de trancher des contestations). B. Enumération exemplative 1- La Cour des Comptes, instituée par l’article 180 de la Constitution en qualité d’organe collatéral du Parlement, exerce une mission juridictionnelle dès lors qu’elle est appelée à se prononcer sur la gestion d’un comptable public. 2. La députation permanente du Conseil Provincial La députation permanente exerce également des compétences juridictionnelles notamment en matière électorale. En la matière, des textes précis arrêtent la procédure. A Bruxelles, ces compétences juridictionnelles sont exercées par un collège juridictionnel spécialement institué à cet effet.27

3. Juridictions ordinales et professionnelles

27 art. 83 quinquies, § 2 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises.

69

Page 70: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Lorsqu’ils sont appelés à sanctionner les manquements disciplinaires de leurs membres, les ordres professionnels (médecins, pharmaciens, architectes, avocats, vétérinaires) accomplissent une mission juridictionnelle. Les organisations professionnelles (instituts des réviseurs d’entreprises, des experts comptables, des conseils fiscaux, des juristes d’entreprises) statuent également comme organe juridictionnel quand elles siègent en commission de discipline. 4. Conseil de la concurrence L’organisme créé par la loi du 5 août 1991 sur la protection de la concurrence économique statue comme juridiction administrative quand il se prononce sur le caractère admissible ou non de pratiques restrictives de concurrence ou encore de concentration d’entreprises. 5. La Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence. Quand cette commission se prononce sur l’octroi d’une aide financière à une victime, elle agit comme autorité juridictionnelle. 6. La Commission spéciale pour l’indemnisation de détentions préventives Cette commission statue en appel de la décision du Ministre de la Justice relative à une compensation pécuniaire réclamée par des citoyens demeurés en détention préventive. IV Le Conseil d’Etat A. Organisation générale Comme on le verra, le Conseil d’Etat est composé d’une section de législation et d’une section d’administration. Le Conseil d’Etat comprend dans son ensemble : - un 1er président, un président ; 12 présidents de chambre et 28 conseillers d’Etat que l’on appelle les membres du Conseil d’Etat ; - un auditeur général, un auditeur général-adjoint, 12 premiers auditeurs chefs de section et 56 premiers auditeurs et auditeurs-adjoints que l’on appelle l’auditorat ; - deux premiers référendaires chefs de sections et 12 premiers référendaires et référendaires adjoints que l’on appelle le bureau de coordination. Le Conseil d’Etat est composé de 15 chambres qui comprennent chacune trois membres. On ajoutera dix assesseurs rattachés à la section de législation choisis pour un terme de cinq ans renouvelable parmi les professeurs d’université, les avocats et les hauts fonctionnaires. B. La section de législation Au travers de cette section, le Conseil d’Etat exerce exclusivement une mission consultative en répondant au souci du constituant de garantir le respect de l’état de droit et la qualité légistique et formelle des textes. La loi détermine les cas dans lesquels la section de législation peut ou doit être consultée. Il s’agit d’une formalité substantielle quand elle est obligatoirement prévue.

70

Page 71: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

C. La section d’administration 1. compétence d’avis Il s’agit d’une compétence relativement marginale du Conseil d’Etat dans la mesure où l’avis demandé ne peut porter que sur une question purement administrative, non litigieuse et la demande doit être précise. 2. compétence juridictionnelle

► le contentieux de l’indemnité La section d’administration peut décider en équité de faire droit à des demandes d’indemnité relatives à la réparation d’un dommage exceptionnel moral ou matériel causé par une autorité administrative et ce pour autant qu’il n’existe pas une juridiction compétente. Le fait qu’il ne peut exister d’autres juridictions compétentes empêche que l’autorité administrative en question puisse être responsable au sens des dispositions du code civil auquel cas elle relève de la compétence des tribunaux judiciaires.28 ► le contentieux de pleine juridiction Dans pareil cas, le Conseil d’Etat ne se limite pas à annuler une décision mais en prend une nouvelle qui se substitue à la première. Les cas dans lesquels le Conseil d’Etat dispose de pareille compétence sont limitativement énumérés aux articles 16 et 16bis des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat. ► le contentieux de cassation Le Conseil d’Etat peut statuer en tant que juridiction de cassation contre les décisions contentieuses administratives prises par des juridictions administratives spéciales. Comme on l’a vu, cette compétence de cassation est ou non prévue par un texte. ► le contentieux d’annulation Le Conseil d’Etat peut annuler des actes unilatéraux pris par les autorités administratives dans l’exercice de l’administration active. Il s’agit évidement de la compétence la plus importante du Conseil d’Etat sur laquelle il convient de s’attarder un peu.

D. Contentieux d’annulation 1. Conditions de recevabilité - l’acte attaqué : il doit s’agir d’un acte administratif unilatéral émanant d’une autorité

administrative et produisant des effets qui sont de nature à faire grief ; - l’intérêt à agir : la décision attaquée doit être susceptible de faire grief au requérant.

Cet intérêt doit être personnel ou fonctionnel, direct, certain, légitime et actuel. 2. Eléments de procédure : glossaire - la procédure est écrite, inquisitoire et contradictoire ; - la procédure commence par l’introduction d’une requête, se poursuit avec l’échange

de mémoire en réponse, mémoire en réplique et dernier mémoire et nécessite également un rapport d’auditeur ;

- le Conseil d’Etat peut être saisi par des référés administratifs en urgence ou même en extrême urgence ;

- dans certaines conditions, le Conseil d’Etat peut prononcer des astreintes ; - le Conseil d’Etat peut être amené à poser des questions préjudicielles ;

28 Art. 1382 et suivant

71

Page 72: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

- il existe un pourvoi en cassation contre les arrêts du Conseil d’Etat.

La responsabilité

A. Généralités 1. Responsabilité comme forme de contrôle Le concept de responsabilité est intimement lié à celui de faute puisque la recherche de celle-ci implique un droit de regard suffisant que pour constater et sanctionner la faute et en réparer les conséquences. Cette mission appartient largement au pouvoir judiciaire même si on ne peut sous-estimer l’importance des autorités administratives de contrôle qu’il s’agisse des autorités hiérarchiques ou de tutelle. La faute vise toute erreur de comportement qu’il y ait faute grave ou simple négligence. Elle peut être sanctionnée tant sur le plan civil que sur le plan pénal. Dans certaines circonstances, l’administration peut se voir condamner à indemniser alors même qu’elle n’aurait commis aucune faute. Une première distinction à clarifier est celle entre les concepts de responsabilité pénale et de responsabilité civile. 2. Responsabilité pénale Les fautes pénales ne sont évidement pas toutes de même importance. Le code pénal les classifie en contraventions, délits et crimes. C’est l’occasion de rappeler qu’en matière pénale, plus que dans toutes autres matières, le législateur doit garantir le principe de la liberté individuelle en telle sorte que « nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. » (art. 12 C) étant entendu qu’il ne peut donc y avoir de « faute pénale » sans loi. Par ailleurs, l’infraction pénale au sens large ne peut traditionnellement mettre en cause que des individus clairement déterminés même si cela n’empêche pas la participation de plusieurs personnes au même crime ou délit. Cette individualisation des infractions justifie l’existence de concepts tels que « causes d’excuse », « causes de justification » ou « circonstances atténuantes ». Outre les diverses infractions prévues par le code pénal, d’autres lois, décrets ou ordonnances peuvent également prévoir des sanctions de nature pénale par rapport aux obligations qu’elles imposent. L’interventionnisme de plus en plus important des pouvoirs publics et l’inflation législative qui l’accompagne a multiplié à cet égard les possibilités de sanctions et de poursuites pénales. La législation sociale en est un bel exemple avec d’ailleurs la création de l’auditorat du travail plus spécialement chargé de poursuivre et de requérir en matière d’infraction à ladite législation. Comme on le verra plus loin, le principe même de l’individualisation des sanctions et des peines a reçu une exception importante par l’instauration du principe de la responsabilité pénale des personnes morales.29 3. Responsabilité civile A l’instar de la responsabilité pénale, la responsabilité civile impliquera en principe l’existence d’une faute.

29 Art. 5 du code pénal inséré par la loi du 4 mai 1999, modifié par la loi du 26 avril 2002.

72

Page 73: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cependant si la responsabilité pénale implique une faute commise par rapport à une interdiction légale bien précise, la responsabilité civile peut être engagée d’une manière beaucoup plus large dans la mesure où l’essentiel de la matière se trouve être une disposition générale contenue dans le code civil à savoir l’article 1382 stipulant : « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Par l’action de ses agents, l’administration va voir sa responsabilité civile pouvoir être engagée sur cette base. L’on verra même qu’il ne sera pas indispensable d’identifier une personne physique responsable d’une faute, au sens de l’article 1382 du code civil, pour pouvoir engager la responsabilité de l’administration dès lors que la simple abstention d’agir peut entraîner la responsabilité. Il convient d’ores et déjà également de signaler que la responsabilité de l’administration pourra être engagée automatiquement sur base de dispositions spécifiques qui prévoient une présomption de fautes en certains cas. Ainsi, plus spécialement en ce qui nous concerne, l’on sait que l’article 1384 du code civil prévoit que les instituteurs sont responsables du dommage causé par leurs élèves pendant le temps qu’ils sont sous leur surveillance sauf à eux de prouver qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. Cette responsabilité des instituteurs engagera bien évidement l’administration qui les emploie. En outre, l’article 1386 crée une présomption de responsabilité dans le chef d’un propriétaire de bâtiment en ruine suite à un défaut d’entretien ou à un vice de construction. C’est aussi l’occasion de rappeler que pour engager la responsabilité, la simple négligence ou la simple imprudence peut suffire comme le prévoit l’article 1383 du code civil.

B. Responsabilité pénale 1. L’infraction La responsabilité pénale s’appuie sur l’existence d’une infraction ou plus précisément d’un comportement infractionnel. L’on sait que le code pénal prévoit un certain nombre d’interdictions qui, quand elles sont enfreintes, constituent des infractions. Si le code pénal impose généralement l’intention de commettre l’infraction comme élément constitutif de celle-ci, un certain nombre de comportements infractionnels peuvent être qualifiés de non intentionnels alors même qu’ils sont susceptibles de donner lieu à des poursuites pénales. Si, en ce qui concerne les infractions intentionnelles, l’on peut déduire que l’auteur a accompli l’acte délictueux en pleine connaissance de cause, il ne s’agit évidemment pas de la même hypothèse en ce qui concerne les infractions non intentionnelles. Les infractions non intentionnelles seront soit des « infractions d’imprudence » ou des « infractions réglementaires ». L’infraction d’imprudence est basée sur la simple faute en telle sorte que l’auteur se rend coupable par exemple de coups et de blessures involontaires ou d’homicide du simple fait de son action irréfléchie (code pénal – article 418/420). A côté de ces infractions d’imprudence qui sont classiques, il existe de plus en plus d’infractions non intentionnelles dites « réglementaires ». Nous l’avons déjà vu, l’interventionnisme croissant des pouvoirs publics s’accompagne d’une inflation législative au sens large c’est-à-dire aussi réglementaire.

73

Page 74: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

De plus en plus de textes de droit positif viennent réglementer la vie quotidienne et assortissent leurs prescriptions de sanctions de type pénal. Ces réglementations sont généralement plus fréquentes en droit social, économique, fiscal ou urbanistique. 2. L’imputation

a) personne physique Il n’existe pas en droit belge de responsabilité pénale du fait d’autrui contrairement à ce qui existe en matière de responsabilité civile. Dès lors que la peine doit être prononcée à l’égard d’une personne physique, la responsabilité d’une infraction pénale doit également pouvoir être imputée à une personne physique. La jurisprudence belge a consacré le principe de droit selon lequel seule une personne physique est susceptible de commettre une infraction pénale à l’exclusion des personnes morales. Ce principe de droit s’appuie essentiellement sur le fait qu’une personne morale ne peut avoir d’autres objectifs que les buts qu’elle s’est donnée et qui, par définition, ne peuvent pas constituer des infractions à la loi pénale. Par ailleurs, une personne morale n’ayant ni volonté ni conscience individuelle ne peut en aucun cas se voir reprocher des faits intentionnels de même qu’elle ne peut se voir sanctionner pénalement. b) personne morale

- de droit privé Cette jurisprudence réservant l’imputabilité de faute pénale aux seules personnes physiques a rencontré de plus en plus de critiques en telle sorte que le législateur a établi des principes permettant de retenir la responsabilité pénale de personnes morales. La loi du 4 mai 1999 a inséré un nouvel article 5 dans le code pénal selon lequel : « toute personne morale est pénalement responsable des infractions qui sont intrinsèquement liées à la réalisation de son objet ou à la défense de ses intérêts, ou de celles dont les faits concrets démontrent qu’elles ont été commises pour son compte. » L’on constate donc d’emblée que la responsabilité pénale de la personne morale ne pourra jouer que pour autant que l’infraction soit intrinsèquement liée à la réalisation de l’objet social de la personne morale. Cela signifie qu’il appartiendra au juge de rechercher au travers des statuts si l’infraction commise l’a été à l’occasion de la réalisation de l’objet social. Ce n’est que dans l’affirmative que la responsabilité pénale de la personne morale sera retenue. Il est évident également que l’élément intentionnel sera déterminant dans la recherche de l’existence d’une responsabilité pénale dans le chef de la personne morale. Autrement dit, le juge devra vérifier si la personne morale n’est pas plus victime que bénéficiaire des faits délictueux. Il s’agit là d’une délimitation importante à la responsabilité pénale des personnes morales. Une autre limitation est contenue dans l’alinéa 2 du même article 5 du code pénal qui prescrit : « lorsque la responsabilité de la personne morale est engagée exclusivement en raison de l’intervention d’une personne physique identifiée, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée.

74

Page 75: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Si la personne physique identifiée a commis la faute sciemment et volontairement, elle peut être condamnée en même temps que la personne morale responsable ». Cet article 5 contient donc une règle de responsabilité alternative qui peut exonérer la responsabilité pénale de la personne morale. Il appartiendra au juge à estimer la gravité de la faute commise par la personne physique au service de la personne morale. Il est bien entendu que tant la personne morale que la personne physique peuvent être poursuivies mais seule la personne qui a commis la faute la plus grave sera condamnée. Dans cette responsabilité alternative, l’alinéa 2 contient une règle de cumul de responsabilité pour autant que la personne physique ait « sciemment et volontairement » commis la faute. Cette évaluation est évidement d’autant plus difficile qu’elle peut s’appliquer aussi bien aux infractions intentionnelles qu’aux infractions non intentionnelles.30 Dans la pratique, la fonction exercée par la personne physique au sein de la personne morale sera le critère le plus régulièrement retenu. Le juge examine aussi dans les faits si la personne physique pouvait ou non ignorer les faits et ses conséquences. - de droit public L’article 5 du code pénal est également applicable aux personnes morales de droit public à l’exception cependant de l’Etat fédéral, des Régions, des Communautés, des communes, des zones de police pluricommunales, des CPAS, des provinces … c’est-à-dire de toutes les collectivités publiques qui disposent d’un organe élu démocratiquement. L’explication en est que ces personnes morales de droit public n’ont pas un objet social aussi clairement défini que les autres puisqu’elles sont chargées globalement de servir « l’intérêt général » et que, par définition, la faute pénale ne peut être conforme à pareil objet social. Cette discrimination pouvait cependant poser question par rapport au principe d’égalité devant la loi et la Cour d’Arbitrage a eu l’occasion de rencontrer cette problématique dans son arrêt n° 128/2002 du 10/07/02: « le législateur a pu raisonnablement redouter, s’il rendait ces personnes morales pénalement responsables, d’étendre une responsabilité pénale collective à des situations où elle comporte plus d’inconvénients que d’avantages, notamment en suscitant des plaintes dont l’objectif réel serait de mener par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique ». En conséquence, la Cour estime que le législateur a procédé à une distinction justifiée en la matière. Il convient, cependant, de souligner que le législateur a prévu, dans la nouvelle loi communale, mécanismes de garantie visant à soulager les mandataires locaux dont la responsabilité serait mise en cause. Il s’agit des dispositifs prévus à l’article 271bis, 271ter de la nouvelle loi communale. Il s’agit essentiellement de permettre aux mandataires locaux de pouvoir appeler la commune en garantie des conséquences civiles de condamnations pénales.

30 Cass. 4 mars 2003 R.W. 2003/2004 p. 1022

75

Page 76: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

C. Responsabilité civile 1. Responsabilité de l’Etat

a) responsabilité de l’Etat législateur Il est communément admis que les dommages causés par l’application d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance ne sont pas de nature à engager la responsabilité des pouvoirs publics. C’est cependant ignorer une jurisprudence relativement récente de la Cour de justice des Communautés européennes qui estime que la violation d’une règle communautaire par un état membre ouvre un droit à réparation pourvu que la règle communautaire violée ait pour effet de conférer des droits aux particuliers, que la violation de droit communautaire soit évidente et qu’il existe évidement un lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi. La doctrine s’accorde de plus en plus à considérer, sur cette base, que le juge puisse se déclarer compétent pour connaître d’une action en responsabilité de l’Etat qui dans sa fonction législative violerait les règles de droit international doté d’effet direct ou même la Constitution. Une jurisprudence en ce sens commence à se faire jour. b) responsabilité de l’Etat juge Un juge ou un officier du ministère public qui, dans l’exercice de ses fonctions, commettrait une faute engage l’Etat et la responsabilité de l’Etat dans la réparation du préjudice lié à cette faute. Ni la séparation des pouvoirs, ni l’indépendance du pouvoir judiciaire, ni l’autorité de la chose jugée ne font obstacle à pareille responsabilité. La réparation, cependant, ne pourra être ordonnée que si la décision litigieuse a été supprimée par une nouvelle décision passée en force de chose jugée. De surcroît, il faudra établir que le magistrat a violé une norme selon laquelle il devait soit s’abstenir, soit agir de manière déterminée. En ce qui concerne l’erreur qui serait commise dans l’interprétation ou l’application d’une norme, elle ne sera considérée fautive que si elle consiste en une erreur de conduite que n’aurait pas commise le magistrat normalement soigneux et prudent placé dans les mêmes conditions. c) responsabilité de l’Etat gouvernement La responsabilité du pouvoir exécutif, symbole classique de l’administration, est déjà plus ancienne. Aujourd’hui nul ne peut nier que la faute de l’administration, voire du gouvernement lui-même, dans l’accomplissement d’un acte ou dans l’abstention d’agir peut être déduite d’une méconnaissance d’une disposition légale particulière mais aussi d’un principe général de droit comme par exemple l’obligation générale de prudence et de diligence. La responsabilité de l’autorité administrative sera engagée non seulement par des actes individuels mais peut l’être également à l’occasion de l’exercice du pouvoir réglementaire voire même du non exercice de ce dernier. Ces principes ont été dégagés au terme d’un long processus dont il convient de retracer les grandes étapes.

76

Page 77: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

2. Responsabilité de l’administration

a) historique Pendant près d’un siècle, la Cour de Cassation a considéré, à quelques exceptions près, que les juridictions de l’ordre judiciaire n’étaient pas compétentes pour sanctionner l’erreur de l’administration dans la mesure où cela aboutissait à contrôler le pouvoir exécutif. Une subtile distinction était opérée entre l’administration agissant en tant que pouvoir public et l’administration agissant en tant que personne privée. Dans cette seconde hypothèse, la responsabilité de l’Etat pouvait être engagée étant entendu que les plaignants ne disposaient pas de voies de recours en réparation du préjudice subi. Par son arrêt « La Flandria » du 5 novembre 1920, la Cour de Cassation abandonne définitivement la distinction entre l’activité publique et l’activité privée et pose le principe qu’en égard aux dispositions constitutionnelles, le pouvoir judiciaire est compétent pour ordonner la réparation du préjudice causé par la faute d’une personne morale de droit public. La Cour de Cassation pose également le principe que, dans l’exercice de son action, l’administration est soumise aux règles fixées par les articles 1382 et suivants du code civil consacrant la responsabilité générale civile. Dans un premier temps, la jurisprudence excluait encore toute responsabilité de l’administration si celle-ci disposait d’un pouvoir d’appréciation. Il n’en est plus rien aujourd’hui puisqu’il est admis que l’administration est tenue de répondre devant le juge du judiciaire de sa négligence ou de son imprudence et plus généralement que toute décision entachée d’excès de pouvoir est génératrice de responsabilité lorsqu’un lien est établi entre l’illégalité de la décision et du dommage. b) responsabilité sans faute Une évolution remarquable relativement récente a eu pour conséquence que le juge a considéré que la responsabilité de l’administration pouvait être engagée même en l’absence de toute faute dès lors que l’équilibre entre les droits respectifs des propriétaires est rompu par exemple par l’exécution de travaux publics. Il est ainsi fait application à l’administration des conséquences de la théorie des troubles de voisinage prévue à l’article 544 du code civil. Le juge se déclarera compétent non seulement pour condamner l’administration au paiement de dommages et intérêts mais aussi pour ordonner la réparation en nature du préjudice causé par elle et, enfin, pour lui prescrire les mesures visant à mettre fin à l’illégalité dommageable. Par ailleurs, l’on retiendra également que les règles de responsabilité civiles générales, prévoyant notamment la présomption de responsabilité même en cas d’absence de fautes telles qu’elles sont prévues par les articles 1382 et suivants, sont retenues à charge de l’administration. c) organes v/ préposés Il est évident que la faute de l’administration suppose une action ou une négligence d’un agent, personne physique. Il ne peut donc s’agir que d’une responsabilité pour des actes d’autrui.

77

Page 78: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Dès l’origine, il est apparu essentiel de déterminer le critère sur base duquel la responsabilité publique pourra être engagée. C’est de cette réflexion que naquit la théorie de l’organe en vertu de laquelle l’acte administratif engagera directement la responsabilité de l’autorité publique lorsque la personne physique, à l’origine de la mise en cause de la responsabilité, a agi en qualité d’organe et pour autant en l’espèce qu’elle ait agi dans les limites de ses fonctions. En pareil cas, la faute de l’agent sera considérée comme étant celle de l’autorité elle-même. Ce sera alors à l’autorité de prouver que l’agent n’a pas agi dans les limites de ses fonctions, qu’il ne s’agissait pas d’un acte qu’il devait ou pouvait poser pour se voir exonérer de sa responsabilité. En revanche, si l’auteur de l’acte préjudiciable est considéré comme un préposé, la responsabilité de l’autorité publique pour des faits commis par lui pendant le service est indirecte. Il suffira cependant que l’acte ait été posé à l’occasion de l’exercice des fonctions de l’agent pour que la responsabilité de l’administration soit engagée. Il s’agit du jeu normal des responsabilités basées, d’une part, sur l’article 1382 du code civil (organe) et, d’autre part, sur l’article 1384, alinéa 3 du code civil (préposé). La distinction entre l’agent organe et l’agent préposé n’a jamais été précisée dans la loi et a été affinée au fil du temps par la doctrine et la jurisprudence. Ainsi, les agents d’une administration seront considérés comme « organes » de celle-ci lorsqu’ils disposent en raison de l’autorité dont ils sont revêtus du pouvoir de prendre des décisions juridiques pour le compte de la personne publique. D’une manière assez caricaturale, on a dès lors considéré que l’agent nommé sous statut devait être considéré comme « organe » et l’agent sous contrat comme « préposé ». Cette double distinction « organe-préposé » et « statut- contrat » a eu l’avantage de mettre en évidence l’inadéquation de ces théories au regard du principe d’égalité. Il faut en effet savoir, que la conséquence théorique de la théorie de l’organe est de créer une totale identité, par transparence, entre l’agent, personne physique, et l’administration, personne morale. Ainsi, le juge pénal sera amené à considérer qu’une administration directement responsable du fait de son organe n’a pas à répondre devant lui des conséquences civiles de la faute de l’agent, puisque ce serait consacrer le fait que l’administration, personne morale, a commis l’infraction. En revanche, le juge pénal acceptera de tenir l’administration pour civilement responsable des actes de son agent préposé qui a agi pour son compte. L’organe poursuivi devant le juge pénal se retrouvera donc seul devant celui-ci là où le préposé aura l’avantage de pouvoir appeler son employeur à la cause en tant que civilement responsable. Cette différence de traitement est critiquée. Cette critique en rencontre une autre dès lors que, contrairement aux agents contractuels qui bénéficient des dispositions de l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978, les agents sous statut doivent répondre vis-à-vis de leur employeur non seulement de leurs fautes lourdes ou de leurs fautes légères habituelles mais aussi d’une faute légère purement occasionnelle ayant causé un préjudice à des tiers.

78

Page 79: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

Cette différence de traitement entre les agents statutaires et les agents contractuels a été jugée discriminatoire par la Cour d’Arbitrage. Ces discriminations ont amené le législateur à intervenir.

3. Responsabilité des agents

a) Généralité Le législateur a voulu supprimer les critiques touchant à l’inégalité des agents au service d’une personne publique suivant qu’ils étaient statutaires ou contractuels. Comme dit plus haut, cette inégalité provenait : 1) de la différence entre le régime instauré pour les agents sous contrat et les agents sous statut ; 2) de la différence entre organe et préposé. Le législateur a donc voulu mettre fin à ces inégalités en adoptant la loi du 10 février 2003 relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques. Il s’agit de régler tant la responsabilité civile et personnelle des agents travaillant au service des autorités publiques que la responsabilité des personnes publiques appelées à répondre des fautes de leurs agents. b) Champ d’application ● La loi fixe un régime de responsabilité civile pour l’ensemble de la fonction publique et ce à tous les niveaux : régional, communautaire, fédéral ou local. Seul le législateur fédéral est compétent pour agir ainsi ayant la compétence pour régler la problématique de la responsabilité. Il reste que les législateurs particuliers peuvent éventuellement compléter ce régime principal de même que les organes compétents statutairement en ce qui concerne les autres personnes morales de droit public. Ainsi, en ce qui concerne les agents communaux, il appartiendra au conseil communal, le cas échéant, de prévoir une assurance en responsabilité pour ses agents étant entendu que l’autorité régionale pourrait réglementer la matière pour l’ensemble des communes de la région. ● La loi vise les membres du personnel « au service » des personnes publiques. En utilisant l’expression « au service », le législateur souhaite supprimer la distinction faite entre le personnel d’exécution et le personnel dirigeant, distinction qui est à l’origine du régime discriminatoire entre les organes et les préposés. Il reste que le lien de subordination entre le membre du personnel et l’autorité publique reste indispensable. Ainsi donc la loi ne s’appliquera pas aux représentants indépendants de l’autorité tels que les mandataires politiques. Ces derniers restent donc des organes au sens de l’article 1382 du code civil. La question pourra se poser des fonctionnaires qui siègeraient comme administrateurs d’un organisme public. La réponse sera à trouver dans le lien qu’il y a entre sa qualité de fonctionnaire et sa mission au sein de l’organisme public. ● La loi vise les membres du personnel au service « des personnes publiques ». L’expression « personnes publiques » a été préférée à des expressions telles que « personnes morales de droit public » ou « autorités administratives » vu la volonté du législateur d’inclure dans la loi les agents statutaires travaillant au service d’organismes ayant emprunté une forme juridique de droit privé.

79

Page 80: Eléments fondamentaux de droit administratif - · PDF fileIII. Organisation de l’administration A. Analyse des concepts . 1. Les personnes morales de droit public 2. Les autorités

La volonté est donc très claire d’élargir au maximum la portée de la loi ce qui peut se comprendre dans la mesure où l’intention du législateur était de donner un régime de responsabilité identique à l’ensemble des travailleurs qu’ils appartiennent au secteur privé ou au secteur public. ● La loi vise l’agent public « dans l’exercice de ses fonctions ». Le législateur a curieusement utilisé une autre expression que celle contenue dans la loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail alors même qu’il souhaitait rapprocher les régimes de responsabilité. En effet, l’article 18 de la loi du 3 juillet 1978 vise le personnel « dans l’exécution de son travail » ce qui, notamment, exclut les dommages causés sur le chemin du travail. On peut penser a priori que le législateur a ainsi donné la possibilité d’étendre plus largement l’immunité et donc l’intervention potentielle de l’employeur. Il appartiendra au juge de confirmer ou non cette conséquence de l’utilisation de deux expressions différentes. c) Immunité personnelle ● La loi restreint très clairement la mise en cause de la responsabilité personnelle d’un agent des services publics. Selon l’article 2 de la loi du 10 février 2003 ceux-ci n’ont plus à répondre que de leur dol, de leurs fautes lourdes et de leurs fautes légères lorsque celles-ci présentent un caractère habituel plutôt qu’accidentel. Le régime devient donc identique à celui consacré par la loi sur les contrats de travail. ● La loi prévoit la mise en cause de l’employeur. On se rappelle qu’une des discriminations à laquelle il convenait de mettre fin était l’impossibilité pour l’agent ou pour les victimes d’appeler la personne publique en garantie d’une condamnation à la réparation d’un préjudice dans le cadre d’une action intentée devant le tribunal pénal au cas où l’agent public était considéré comme organe. Conformément à l’article 4 de la loi du 10 février 2003, il sera permis à la personne publique d’intervenir volontairement devant la juridiction répressive lorsque la responsabilité d’un agent statutaire est mise en cause de même que les victimes pourront exiger forcer cette intervention par le biais d’une constitution de partie civile. Cette possibilité entraîne d’ailleurs l’obligation pour l’agent d’informer la personne publique s’il fait l’objet d’une action en dommages et intérêts que ce soit devant la juridiction civile ou devant la juridiction pénale.

80