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Remarques pour éclaircir le concept de santé mentale Point de vue Alain Ehrenberg* La souffrance psychique et la santé mentale sont le symbole des boulever- sements qu’a connus la psychiatrie depuis les années soixante-dix : quand bien même resteraient des conditions asilaires, voire des internements abu- sifs, la psychiatrie n’est plus assimilée à eux. Ces deux expressions ont, d’abord, considérablement élargi le périmètre d’action de la psychiatrie, elles ont ensuite accru l’hétérogénéité des problèmes que les cliniciens trai- tent et ont, au final, donné à ces « problèmes » une importance économique, sociale, politique et culturelle inédite. Un nouveau « jardin des espèces » 1 a été planté au cours des trente dernières années dans les sociétés libérales : dépression, stress posttraumatismes, abus sexuels, troubles obsessionnels compulsifs (TOC), attaques de panique, consommations massives de médi- caments psychotropes et de drogues multiples (y compris dans le monde du travail), addictions s’investissant dans les objets les plus divers (le jeu, le sexe, la consommation), anxiété généralisée (le fait d’être en permanence angoissé), impulsions suicidaires et violentes (particulièrement chez les adolescents et les jeunes adultes), syndromes de fatigue chronique, « patho- logies de l’exclusion », souffrances « psychosociales », conduites à ris- ques, psychopathies, etc. Les murs de l’asile sont bien tombés mais, parallèlement, une plainte sans fin s’est progressivement mise à sourdre de partout, une plainte qui trouve sa réponse dans la quête de la santé mentale. Nous sommes manifestement entrés dans une période de redistribution générale des cartes qui nécessite un éclaircissement sociologique. Le rôle du sociologue est de décrire cette redistribution et d’analyser les contextes qui donnent sens aux événements et rendent l’action possible. C’est cette perspective d’ensemble que je propose à la discussion. Il est d’autant plus important de proposer un tel éclaircissement qu’aucun des multiples rapports sur la psychiatrie et la santé mentale, commandés par diverses administrations depuis vingt ans, ne propose une analyse sociolo- gique d’ensemble (mais cela ne faisait pas partie, malheureusement, de la mission de ces divers comités) et n’opère un état des lieux précis des 77 * Sociologue, directeur du Centre de recherche « Psychotropes, santé mentale, société » (CESAMES), CNRS-Inserm-université René-Descartes Paris 5. 1 Selon la célèbre expression de Michel Foucault à propos de la folie à l’Âge classique.

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  • Remarques pour claircir le conceptde sant mentale

    Point de vueAlain Ehrenberg*

    La souffrance psychique et la sant mentale sont le symbole des boulever-sements qua connus la psychiatrie depuis les annes soixante-dix : quandbien mme resteraient des conditions asilaires, voire des internements abu-sifs, la psychiatrie nest plus assimile eux. Ces deux expressions ont,dabord, considrablement largi le primtre daction de la psychiatrie,elles ont ensuite accru lhtrognit des problmes que les cliniciens trai-tent et ont, au final, donn ces problmes une importance conomique,sociale, politique et culturelle indite. Un nouveau jardin des espces 1a t plant au cours des trente dernires annes dans les socits librales :dpression, stress posttraumatismes, abus sexuels, troubles obsessionnelscompulsifs (TOC), attaques de panique, consommations massives de mdi-caments psychotropes et de drogues multiples (y compris dans le monde dutravail), addictions sinvestissant dans les objets les plus divers (le jeu, lesexe, la consommation), anxit gnralise (le fait dtre en permanenceangoiss), impulsions suicidaires et violentes (particulirement chez lesadolescents et les jeunes adultes), syndromes de fatigue chronique, patho-logies de lexclusion , souffrances psychosociales , conduites ris-ques, psychopathies, etc.Les murs de lasile sont bien tombs mais, paralllement, une plainte sansfin sest progressivement mise sourdre de partout, une plainte qui trouvesa rponse dans la qute de la sant mentale.Nous sommes manifestement entrs dans une priode de redistributiongnrale des cartes qui ncessite un claircissement sociologique. Le rledu sociologue est de dcrire cette redistribution et danalyser les contextesqui donnent sens aux vnements et rendent laction possible. Cest cetteperspective densemble que je propose la discussion.Il est dautant plus important de proposer un tel claircissement quaucundes multiples rapports sur la psychiatrie et la sant mentale, commands pardiverses administrations depuis vingt ans, ne propose une analyse sociolo-gique densemble (mais cela ne faisait pas partie, malheureusement, de lamission de ces divers comits) et nopre un tat des lieux prcis des

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    * Sociologue, directeur du Centre de recherche Psychotropes, sant mentale, socit (CESAMES), CNRS-Inserm-universit Ren-Descartes Paris 5.1 Selon la clbre expression de Michel Foucault propos de la folie lge classique.

  • problmes, contrairement ce que lon peut voir dans dautres domaines,comme la famille ou le travail par exemple. Cest dautant plus troublantque les professionnels sont tous proccups par les rapports entre lvolu-tion des valeurs et des normes de la vie sociale, dune part, et les problmespsychopathologiques, dautre part. Nos ministres de la Sant successifs ontmanifestement pass commande en ayant lesprit des perspectives troitestant donn la place nouvelle de ces problmes dans la vie sociale en gn-ral. Dans les rapports qui ont eu pour mission de faire des recommandationspour la recherche, celles-ci nont concern que lpidmiologie, la cliniqueet la neurobiologie. La dimension sociale des psychopathologies, quandelle est aborde, lest toujours superficiellement 1.La souffrance psychique et la sant mentale semblent tre lhorizon delindividualisme contemporain, comme le paradis et lenfer taient celui duMoyen ge. Pourquoi et en quel sens ce couple dexpressions est-il devenulun des principaux points de repre de la socit de lhomme-indi-vidu 2 ? Cette question, qui nest souleve ni par les acteurs, ce qui peut la rigueur se comprendre, ni par les sociologues (sinon dans une perspectivede dnonciation du nouveau capitalisme qui causerait de la souffrance), cequi est une faute professionnelle, sous-tend tous les dbats dans ce domaine(les psychothrapies, les mdicaments psychotropes, les neurosciences, lesdbats internes la psychanalyse sur les nouvelles pathologies ou ceuxdes professionnels du mdico-social sur la souffrance psychosociale des personnes prcarises, etc.). Or cette question est de nature anthropolo-gique dans la mesure o elle renvoie la conception que nous nous faisonsde nous-mmes en tant que membre de la socit. La grande transformationdes vingt ou trente dernires annes est que la subjectivit individuelleest devenue une question collective 3. Et la grande erreur, ajouterai-je, estdidentifier subjectivit et individualit, car cela conduit chercher lint-rieur du sujet (dans sa psych ou dans son cerveau) des transformations denature sociale, cest--dire contextuelles.

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    1 Qui a, par exemple, tudi empiriquement le fonctionnement dun secteur psychiatrique ?Qui sintresse concrtement aux pratiques de prescription en mdecine gnrale ? Quienqute sur ces psychothrapeutes dont on parle tant ? Je pourrais multiplier les Qui ? .Avec un groupe de collgues, nous avons fait crer une unit CNRS-Inserm-Paris 5, leCESAMES, afin de pallier le manque denqutes empiriques et de rflexions de fond sur tousces domaines (malgr les efforts de quelques chercheurs isols). Une thse est en cours Paris5 sur le suivi des malades mentaux en milieu ouvert sur deux secteurs parisiens (Livia Velpry).Avec Philippe Le Moigne et Claudie Haxaire, a t engage une srie de travaux pour connatreempiriquement et dans le dtail les pratiques de prescriptions et les rapports des patients leursmolcules. Franoise Champion commence une recherche sur les marchs de la psychoth-rapie, dans la foule de ses travaux prcdents sur religion, spiritualit et psychothrapie. Voirwww.cesames.org. Il faut aussi souligner le soutien de la mission Recherche de la DREESseule administration qui paule financirement la recherche en sciences sociales dans cedomaine et les rapprochements entre les cliniciens et nous.2 L. Dumont, Homo Hierarchichus, Paris, Gallimard, 1966, p. 300.3 Voir LIndividu incertain, 1995, essai dans lequel jai commenc travailler sur cette ques-tion en montrant dans quelle mesure une culture de la souffrance accompagnait une culture de la performance individuelle (aborde dans Le culte de la performance, 1991 ojai voulu montrer que lhorizon imaginaire de lindividualisme contemporain est de devenirlentrepreneur de sa propre vie).

  • Il faut voir dans ce que je propose dappeler la question mentale , unedes rvolutions invisibles ayant affect les socits dmocratiquesdepuis les annes soixante-dix, un carrefour o se sont cristallises de nou-velles tensions suscites par des valeurs qui ont chang notre vie sociale etdont lesprit commun est lautonomie.

    La question mentale dsigne lusage rcent et systmatique dun vocabu-laire dont le noyau est compos des mots mental , psychique , sub-jectivit , intriorit ou, plus rcemment cerveau . On peut ladfinir par trois critres : le premier est de valeur : latteinte psychique est aujourdhui considrecomme un mal au moins aussi grave que latteinte corporelle et, souvent,plus insidieux ; le deuxime critre est dtendue : latteinte psychique concerne chaqueinstitution (cole, famille, entreprise ou justice) et mobilise les acteurs lesplus htrognes (cliniciens en tout genre, mdecins et non-mdecins, tra-vailleurs sociaux, ducateurs, directions des ressources humaines, nou-veaux mouvements religieux, lglise elle-mme, o se dvelopperait unespiritualit de performance sur le dclin des notions de pch et de culpabi-lit 1, etc.). Elle semble ainsi pouser tous les interstices de nos socits ; le troisime critre est celui de sa forme sociale. Elle se prsente commeun style de description de problmes : non seulement aucune maladie, maisencore aucune situation sociale problmes (la dlinquance adoles-cente, le chmage, lattribution du RMI, la relation entre employs etclients ou usagers, etc.) ne doivent aujourdhui tre abordes sans prendreen considration la souffrance psychique et sans vise de restauration de lasant mentale. L est la nouveaut confuse dans laquelle nous sommes tousplongs : ce souci massif pour les troubles de masse de la subjectivit indi-viduelle. Ils imprgnent aujourdhui lensemble de la vie sociale et balan-cent entre inconfort et pathologie, inconduite et dviance.

    Bien que les deux expressions souffrance psychique et sant mentale soient solidaires, cest plutt la rfrence la sant mentale qui estemploye par les institutions et les acteurs investis dans ce quil faut bienappeler une nouvelle question sociale tellement elle dpasse tout ce quepeut recouvrir la notion de psychopathologie.

    Si le thme est ancien 2, son ancrage samorce partir du dbut des annesquatre-vingt. Depuis plus de vingt ans en France, rapports (le premier datede 1981), lois, dcrets, ordonnances, circulaires insistent peu ou prou sur lencessaire dplacement de la psychiatrie la sant mentale, pour reprendre

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    Remarques pour claircir le concept de sant mentalePoint de vue

    1 Sur ce point voir D. Hervieu-Lger, La religion en miettes ou la question des sectes, Paris,Calmann-Lvy, 2001.2 Voir, par exemple, R. H. Ahrenfeld, La notion de sant mentale , Encyclopdiemdico-chirurgicale, 37960 A10, 11-1966. lpoque, le thme ne concerne que la psy-chiatrie et, qui plus est, ses marges (par exemple, Paul Sivadon et la MGEN, la Fdrationmondiale de sant mentale, fdration sans influence sur la psychiatrie).

  • le titre du rapport des docteurs ric Piel et Jean-Luc Rlandt 1. En dpit desintenses controverses dont il a fait lobjet parmi les psychiatres, notammentsur lobjectif de diminution des lits en milieu hospitalier, il a largement ins-pir le Plan sant mentale : lusager au centre dun dispositif rnover duministre de la Sant, Bernard Kouchner, en 2001. La plupart des profes-sionnels et des associations de patients et de famille de patients se revendi-quent de cette rfrence. De plus, la loi sur le harclement moral du17 janvier 2002 (dans le cadre de la loi de modernisation conomique etsociale) officialise lentre de la sant mentale dans le monde de lentre-prise. La CGT a applaudi cette reconnaissance du sujet psychique delibert et de droit 2. La loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades parti-cipe de ce mouvement, bien quelle ne soit pas centre sur la sant mentale.Je prsenterai dabord rapidement les incertitudes de la psychiatrie et plusgnralement de la psychopathologie, car les questions de sant mentale etde souffrance psychique se posent tant dans la psychiatrie de secteur quedans la psychanalyse, la psychothrapie ou la mdecine librale. Je sou-lverai ensuite quelques questions poses par la notion de sant mentale etproposerai une dmarche densemble pour (peut-tre) les rsoudre.

    Paysage de crise

    Trois vnements de lanne 2003 serviront de point de dpart pour propo-ser quelques jalons en vue dune analyse densemble des bouleversementsqui ont affect le domaine multiforme du trouble mental 3 : les tats gn-raux de la psychiatrie, qui se sont tenus en juin 2003, le rapport de la mis-sion Clry-Melin, remis en septembre, et lamendement Accoyer sur lespsychothrapies dpos en octobre et inclus dans la loi Mattei de santpublique. Les tats gnraux de la psychiatrie ont t loccasion de mettre enscne la crise de la profession : Nous avons pens les tats gnrauxcomme un lieu de rassemblement de tous les professionnels de la psy-chiatrie en vue dtablir un cahier de dolances qui sera dpos devant lespouvoirs publics , crit Christian Vasseur, prsident de lAssociation fran-aise de psychiatrie dans un des quatre rapports prsents en assemble pl-nire. Actuellement, poursuit-il, le soin nest plus lintention premire,

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    1 E. Piel et J.-L. Rlandt, De la psychiatrie vers la sant mentale, rapport de mission, minis-tre de lEmploi et de la Solidarit, ministre dlgu la Sant, juillet 2001.2 P. Rennes et J.-C. Valette, Avant-propos , Droit ouvrier, juin 2002, p. 227. La sant men-tale fait dsormais partie des missions des CHSCT.3 Si tant est quil sagisse toujours de trouble en un sens mdical du terme. La Classifica-tion internationale des maladies (CIM) de lOMS emploie le terme trouble (disorder) uni-quement pour les pathologies mentales. Dans les autres espces pathologiques, cest le terme maladie qui est en usage.

  • mais seconde ou tierce, aprs la gestion, lencadrement, le contrle, grosconsommateurs dnergie psychique, dargent, de temps, aux dpens delintrt pour lhumain, de la crativit, de la vie. Peut-on sincrementesprer une reprise de la vitalit de la psychiatrie si lon continue privil-gier des objectifs comptables, parfaitement relatifs, des impratifs de for-mation et de nombre de personnels, comme le propose le dernier plan desant mentale 1. Cette rhtorique est constante dans la psychiatriepublique non universitaire.Les dbats de ces trois jours ont port sur tous les sujets.Sur les moyens : le nombre de psychiatres diminue, les financements affec-ts aux institutions publiques sont insuffisants et loffre de soins est trsingalement rpartie sur le territoire national.Sur la clinique : de nouvelles pathologies, pathologies du lien ou narcissi-ques, comme les dpressions, les addictions ou le traumatisme (ltat destress posttraumatique) sont aujourdhui des problmes massifs, mais laquestion du nouveau reste controverse. Et derrire la nouvelle cli-nique, se profile le problme des conceptions du patient : on a hautementaffirm la ncessit de ne pas oublier le Sujet parlant face une mdecine etune recherche universitaires proccupes essentiellement du Sujet cr-bral 2. Les limites du domaine de la psychiatrie, les relations entre le normalet le pathologique ou les partages et alliances entre social et mdical sontinterrogs par tous les acteurs. Si crise de la psychiatrie il y a le thme estrcurrent 3 , elle est multiforme, mais je voudrais souligner que cette criseest aussi intellectuelle, tant dans la psychiatrie du cadre que dans la psy-chiatrie hospitalo-universitaire : aux plaintes des premiers succombant souslaccroissement de la demande et dmunis de moyens, semble rpondre enmiroir lassurance des seconds justifie par les progrs des neurosciences,des nouveaux outils de la biologie molculaire et de limagerie crbrale (leprogrs scientifique finira par rsoudre tous les problmes). Sil est vrai queces questions relvent largement de la sant publique, elles sont largementindpendantes des progrs de la recherche. Mais en quoi sont-elles un pro-blme de sant publique ? Cela est peu clair.

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    Remarques pour claircir le concept de sant mentalePoint de vue

    1 La psychiatrie et la relation soignante, rapport pour les tats gnraux de la psychiatrie,8 mai 2003, www.eg-psychiatrie.com, p. 2. et 4.2 Un colloque Autisme et cerveau , qui sest tenu au Collge de France la fin du mois dejuin 2003, est le miroir invers des tats gnraux. Cet affrontement rcurrent est courte vue.Je reviens plus en dtail sur la question dans Le cerveau est-il une me matrielle ? Neuros-ciences, psychiatrie, individualisme , paratre dans Esprit en juin 2004 (dossier neurobio-logie, psychiatrie, psychanalyse).3 Du Livre blanc des annes 1965-1967 aujourdhui sous la houlette dHenri Ey, directeur deLvolution psychiatrique, dans laquelle lessentiel du Livre est publi.

  • Le deuxime vnement est la remise du rapport Plan daction pourle dveloppement de la psychiatrie et la promotion de la sant mentale 1de la mission Clry-Melin en septembre. Le rapport est un ensemble depropositions pour rsoudre la crise : sa mission est la rorganisation deloffre de soins. Se rfrant au tats gnraux, le prambule rsume lesdifficults auxquelles est confronte la discipline : De fait, il semble queces dernires annes une confusion ce soit produite entre les domaines dela psychiatrie et de la sant mentale, et quil faille aujourdhui raffirmer lamission premire de la psychiatrie comme discipline mdicale, dispensa-trice de soins, sans pour autant perdre de vue limportance de la promotionde la sant mentale et celle de la prvention . La dclaration est cum-nique et suscite quelques questions. Confusion certes, mais entre quoi etquoi ? Ancrer la psychiatrie dans la mdecine ? Mais cette discipline sesttoujours caractrise, et se caractrise toujours, par le fait quelle est lafois une mdecine comme une autre et autre chose que de la mdecine dufait de la spcificit de son objet : lesprit humain, que nos socits consid-rent comme le lieu de la vrit de lhomme. Promouvoir la sant mentale ?Tous saccordent sur ce point, mais cet accord recouvre de fortes divergen-ces sur ce que dsigne la sant mentale, ce vritable fourre-tout. Le cons-tat, prcise le rapport est donc que la discipline psychiatrique est ce jourdans une passe relativement problmatique : quil sagisse de la dlimita-tion de ses tches, de lorganisation de loffre de soins, des volutions durecours au soin, des populations concernes, de la gestion des ingalits derpartition des moyens humains et matriels, de la communication de sonimage 2. On le voit la crise est gnrale. Le troisime vnement est lamendement dpos par le dput UMP(et mdecin) Bernard Accoyer 3 sur la question de la qualification des psy-chothrapeutes en octobre. Il a suscit un sisme dans les professions htro-gnes regroupes sous cette tiquette 4. la tendance la remdicalisation de

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    1 Ce rapport a trois auteurs : Philippe Clry-Melin, psychiatre et directeur dune clinique psy-chiatrique prive ; Viviane Kovess, une pidmiologiste rpute qui anime le dpartement dela recherche la MGEN, auteur de nombreux travaux, notamment sur la dpression chez lesprcaires ; et Jean-Charles Pascal, rdacteur en chef adjoint de LInformation psychiatrique,qui est le mensuel des psychiatres des hpitaux, et un des leaders du syndicat des psychiatresdits du cadre, cest--dire hors CHU.2 P. 4 et 6.3 Sur les enjeux de lamendement, voir lanalyse de P.-H. Castel, Lamendement Accoyer etles psychothrapies : une crise complexe, paratre, 2004. Castel souligne bien que le pro-blme principal est empirique (on ne sait pas grand-chose de ce monde des psychothrapies) etsociologique (absence dinterrogation sur la dynamique conduisant ces demandes multifor-mes de soins psychologiques). De plus, en ce qui concerne la psychanalyse, le problme estmoins dans lamendement que dans son culte de la puret qui verse dans une mconnaissancenoire des conditions dexistence de la discipline .4 Pour un bilan des annes soixante-dix, mais aussi pour avoir lanc le sujet avec finesse, voirR. Castel, F. Castel et A.-M. Lovell, La socit psychiatrique avance, Grasset, 1979 ; etR. Castel, La gestion des risques, Minuit, 1981. Le premier essai sur la socit psychothrapeu-tique est celui de P. Rieff, The Triumph of Therapeutics Uses of Faith after Freud, ChicagoPress, 1966, Poche 1987, qui voit dans les techniques postfreudiennes, anxieuses daccrotre[le] capital psychologique , un quivalent fonctionnel des vieux interdits internes ,p. 255-256.

  • la psychiatrie correspond le mouvement inverse de dmdicalisation quereprsentent les psychothrapies. Mais quels rapports y a-t-il entre lespsychothrapies alternatives, les psychanalyses (jcris les , car non seu-lement il y a plusieurs conceptions, mais encore les rapports entre psychoth-rapies et psychanalyse font lobjet de dsaccords internes la profession) etles thrapies comportementalo-cognitivistes (TCC), pour ne prendre que cesexemples ? De plus, la polmique que lamendement suscite est troite dansla mesure o elle se rduit la concurrence entre les professions de cedomaine (chacun dfend sa qualification ).Or lexpos des motifs montre plusieurs questions pendantes. Premirement, sur la crainte de lemprise et de la dpendance : Depuis fvrier 2000, la mission interministrielle de lutte contre les sec-tes signale que certaines techniques psychothrapeutiques sont un outil auservice de linfiltration sectaire et elle recommande aux autorits sanitai-res de cadrer ces pratiques . Notons que lhorizon des inquitudes sur lespharmacothrapies (les mdicaments psychotropes) est analogue celui surles psychothrapies : lemprise de la drogue (il faudrait donc dabord lier,pour mieux les distinguer, les deux problmes). Deuximement, une conception de lindividu fragile dont il faut prser-ver lintgrit psychique : Elles peuvent faire courir de graves dangers des patients qui, par dfi-nition, sont vulnrables et risquent de voir leur dtresse ou plutt leurpathologie aggrave . Un patient, pourtant, nest pas obligatoirement vul-nrable : pensez la paranoa, par exemple, et mme la dpression, moins didentifier toute plainte une fragilit (cest ce que lon a de plus enplus tendance faire). De plus, nous avons affaire un domaine o les trai-tements proposs par la psychiatrie et la mdecine ont des rsultats varia-bles (selon les tudes, les antidpresseurs marchent entre 50 et 60 % descas de dpression), voire alatoires, sans quil soit possible dexpliquer lesraisons du succs ou de lchec sur tel ou tel patient. De plus, la tendance est la chronicisation des pathologies. Or cest l une situation qui conduit lesgens se tourner vers des mdecines alternatives 1 aucune loi, dail-leurs, nempchera quelquun, fragile ou non, de se jeter dans les bras descartomanciens, astrologues et autres rebouteux qui, il faut le souligner, sesont toujours occups de sant mentale , si je puis dire.

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    Remarques pour claircir le concept de sant mentalePoint de vue

    1 Une enqute amricaine sur un chantillon reprsentatif national montre que 65,9 % desrpondants traits par un prestataire conventionnel (mdecin ou psychologue clinicien)pour des attaques de panique et 66,7 % de ceux traits pour une dpression svre ontrecours des mdecines complmentaires et alternatives. R. Kessler et al., The Use of com-plementary and alternatives therapies to treat anxiety and depression in the United States ,American Journal of Psychiatry, vol. 158, 2, 2001. Voir aussi R. A. Rosenheck et B. G. Druss, The use of Practioner-Based Complementary Therapies by Persons reporting Mental Condi-tions in the United States , Archives of General Psychiatry, juillet 2000. Ces deux revues sontles plus prestigieuses au plan international. Dans le cas dune maladie chronique comme le dia-bte, on constate des tendances analogues. Voir G. Y. Yeh et al., Use of complementary anAlternative Medicine among Persons With Diabetes Mellitus : Results of a National Survey ,American Journal of Public health, vol. 92, 10, octobre 2002.

  • Troisimement, sur la sant mentale comme problme de sant publique : Cette situation constitue un danger rel pour la sant mentale despatients et relve de la sant publique . La sant mentale est, on le verra,plus quun problme de sant publique, de plus ltiquette santpublique sapplique aujourdhui nimporte quoi cest trop souvent unftiche que lon brandit pour marquer limportance dun problme. Quatrimement, sur lobjet du soin : Il convient [...] de considrer les psychothrapies comme un vritable-ment traitement 1. Mais un traitement de quoi ? puisque les psychothra-pies visent autant des troubles psychiatriques caractriss, des nvroses entout genre (qui peuvent tre gravissimes) que du dveloppement personnel.La crise que lon vient dvoquer est manifestement totale : conceptions dupatient et de la clinique, limites de la psychiatrie, misre des moyens, pri-mtre daction et accroissement inflationniste des demandes, incertitudequant au statut de pathologie donn de multiples problmes, crispationssur les mthodes thrapeutiques, interrogation sur le rle des normes socia-les dans la transformation de la clinique et des profils pathologiques, etc.Que soigne-t-on ? Mais aussi, sagit-il toujours de soin ? Rpondre cesquestions transversales nest gure vident, pour le sociologue aussi, car ilnest pas en position de surplomb vis--vis de ces problmes la fois maldfinis et trs prsents. Cette srie dincertitudes, ces interrogations quesoulvent la plupart des professionnels sont lexpression dun dsarroisocial et politique plus large dont la psychiatrie est le point dimputation. La sant mentale est une rponse confuse ce dsarroi et une source de ten-sions chez les professionnels.

    Questions sous-jacentes la sant mentaleet propositions pour une dmarche

    Pour se reprer dans le magma de la sant mentale, je propose la dmarchesuivante : il faudrait commencer par dcrire comment nos deux expressions sant mentale et souffrance psychique sont dfinies et utilises.Selon les documents administratifs dont nous disposons, il apparat que lasant mentale vise la fois la dstigmatisation 2 des malades mentauxatteints de psychoses et de troubles psychiatriques graves, la mise en placede rponses spcifiques pour des populations (jeunes, personnes ges) ou

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    1 DIPE, le portail de la psychanalyse francophone, www.dipe.org, pris le 20 octobre 2003.2 Lune des dlicates questions discuter est lambigut entre dstigmatisation et volont defaire de la pathologie mentale une pathologie comme une autre. On confond souvent lexi-gence, pour les patients psychiatriques, dun droit gal aux autres patients avec la spcificit dela pathologie mentale, notamment psychotique. Jesquisse quelques rflexions sur ce pointdans Le cerveau... , art. cit.

  • des syndromes (PTSD, TOC, etc.), la prise en compte de la souffrance psy-chique dans les maladies somatiques graves (cancers, maladies cardio-vas-culaires, sida) et des demandes htrognes auxquelles la multiplicationdes syndromes psychiatriques dans les nomenclatures a donn un nom,donc une identification sociale. Elle apparat galement comme un lmentclef de la sant en gnral ( il ny a pas de sant sans sant mentale , pr-cisait la prsentation dun colloque de lUnion europenne en octobre2001 1) et fait partie dune dynamique gnrale de reconnaissance de lasant comme problme mdical, la mdecine ayant tendance inclure lebien-tre dans son domaine pensons ces pathologies de la qualit de vie,comme le psoriasis, dont la gravit se mesurerait laune de latteinte lestime de soi. Elle semble tre une notion des plus confuses, car elleconcerne un spectre de problmes extrmement large : un extrme, elledsigne les psychoses adultes et infantiles, un autre, le dveloppementpersonnel ( la thrapie pour les normaux ) ou ce que la psychiatrieappelle la sant mentale positive ( une ressource dont nous avonsbesoin pour grer notre vie avec succs 2). Prendre en charge une schizop-hrnie ou amliorer ses performances et son quilibre psychologique, dansle travail, la sexualit ou les relations avec ses enfants relvent dune mmetiquette. Entremlant des problmes franchement pathologiques et dessoucis de mieux-tre, la notion est donc si large quelle en est indtermine.Il en va de mme de son double, la souffrance psychique. La conclusionprovisoire apparatra trs insatisfaisante car elle consiste en un paradoxe :lusage de la sant mentale semble aussi transversal que son objet est malidentifi. Or un paradoxe nexplique rien, il ne fait que souligner une obscu-rit, un problme mal pos.Pour surmonter le paradoxe, il faudrait lattaquer par un examen de la rela-tion normal-pathologique. Je ne me demanderai pas, contrairement lusage fcheux, quelle est la frontire entre le normal et le pathologique,parce que cela oblige poser dabord deux entits substantielles spares,le normal et le pathologique, puis chercher ensuite leurs relations. loppos de lapproche dualiste, sera utilise une approche relationnelle :elle consiste dcrire comment la relation normal-pathologique se modifie,car ces deux ples ne se dfinissent que lun par rapport lautre, ils sontrelatifs lun vis--vis de lautre, ils nexistent pas lun sans lautre. Lavan-tage est dviter les dbats superflus qui grvent lintelligence de cedomaine, comme : faut-il prescrire un antidpresseur une personne quinest pas vraiment dprime ? etc. En effet, lapproche relationnelleimplique que ce nest pas seulement la maladie qui change, mais aussi la

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    Remarques pour claircir le concept de sant mentalePoint de vue

    1 La gestion des problmes lis au stress et la dpression, Union europenne, OMS,25-27 octobre 2001, Bruxelles. Cette confrence fait suite celle de lOMS-Europe, BalancingMental Health Promotion and Mental Health Care, et la Confrence europenne de promo-tion de la sant mentale et de linclusion sociale, toutes deux tenues en 1999.2 V. Kovess, A. Lesage, B. Boisguerin, L. Fournier, A. Lopez, A. Ouellet, Planification et va-luation des besoins en sant mentale, Paris, Flammarion, 2001, p. 9.

  • sant, et de manire simultane et interdpendante. Cest, en effet, toujoursla totalit relationnelle qui se modifie : la sant mentale est lexpressiondune transformation des rapports entre maladie, sant et socialisation.La dmarche implique donc de placer lattention la fois vers le patholo-gique et vers la normalit. Du ct du ple pathologique, la sant mentale est un problme de rformede la psychiatrie et de transformation de la conception du patient et de lapathologie. Il sagirait de faire ressortir les traits majeurs de la conceptionpolitique qui sous-tend laction publique en la matire : quelle vision globaledirige la volont de rformer la psychiatrie ? Partant du dplacement de lamaladie mentale la sant mentale , ma thse est quil faut prciser le terme dplacement : il sagit certes dune extension horizontale, mais aussi dunretournement hirarchique : la maladie mentale est dsormais un aspect de lasant mentale et paralllement la notion de sant mentale travaille la maladiementale elle-mme. Je propose dappeler ce changement de conception legrand renversement 1 : le fou enfermer nest plus quun lment dans unensemble plus vaste qui la englob, celui du citoyen en difficult quil fautsoutenir (mais aussi rprimer, contenir autrement quon ne le faisait avec lefou) et qui doit tre lacteur de sa maladie . On verrait ainsi non seulementquelle signification est donne au mot cl dautonomie, cest--dire dans quelcontexte sanitaire et social on lemploie, mais encore quels problmes il sou-lve. La signification est quil faut prendre en charge moins des maladies quele patient considr comme un tout sur sa trajectoire de vie, ce qui impliqueune reformulation du rapport maladie-sant par la socialisation. Cestexactement ce quoi renvoie les notions de handicap psychique , de dsavantage (dans la classification du handicap adopte par lOMS) oude fonctionnement social dans les chelles de mesure de la sant mentale.Le risque de cette approche est que la place de la psychose soit brouille etperdue de vue dans le marais du mal-tre. Du ct du ple de la normalit, autrement dit, il sagirait de comprendre latrame signifiante dans laquelle baignent la sant mentale et la souffrance psy-chique. Nos deux expressions agrgent de multiples problmes poss par lesvaleurs et les idaux qui se sont diffuss partir des annes soixante-dix etont pris une ampleur croissante au cours des annes 1980-1990. Plusieursdentre eux, interdpendants notons-le, dominent : celui de laccomplisse-ment personnel, quasi-droit de lhomme 2, de linitiative individuelle et de la

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    1 Pour une premire esquisse, voir Le grand renversement , confrence prononce auxtats gnraux de la psychiatrie, 5, 6 et 7 juin 2003. Elle est reprise est modifie dans larticle paratre dans Esprit.2 Lun des traits de notre poque est davoir ajout la liste traditionnelle des droits delhomme un droit nouveau celui de spanouir. Du coup, ce vaste continent de pratiques et derflexions quon a pris lhabitude dappeler, toutes tendances confondues, la psy a vu sondomaine slargir considrablement. [...] Beaucoup de ces thrapies sefforcent de faire acc-der la personne un mieux-vivre, et tentent de la mettre sur le chemin dun panouissementpersonnel , M. Elkam (sld), quel psy se vouer ? Psychanalyses, psychothrapies : les prin-cipales approches, Seuil, 2003, p. 7.

  • proprit de soi, cest--dire de laccroissement considrable des possibilitsmorales de choisir son style de vie . La question mentale est lexpressionde llargissement des frontires de soi et de laugmentation de la responsabi-lit individuelle qui lui est lie. On les voit tant dans le dveloppement per-sonnel ou le counseling, ct psychothrapies, que dans le dopage, notion quia brouill les frontires entre drogues illicites et mdicaments psychotropes,ct pharmacothrapies. Psychothrapies et pharmacothrapies sont desmoyens de dmultiplication de nos capacits dcider et agir, capacitsindispensables au maintien dans la socialit dans un tel contexte. Cette socia-lit mesure laune de lautonomie sincarne dans la figure de lindividuperformant, tenu de se construire lui-mme comme lentrepreneur de sapropre vie et dont lindividu fragile et vulnrable est lombre porte.La transformation indfinie de soi est alors au centre de nos idaux, maiselle est en mme temps le ressort des incertitudes souleves par la relationnormal-pathologique. De l dcoule une reprsentation de lindividu sanslimites, le nouvel individualisme , cause de tous les maux de lhommecontemporain. Nous sommes plutt confronts un changement global dela relation individu-socit, des conceptions que nous avons de chacun entant que membre dune socit, qui rsulte du basculement dune rfrence la discipline une rfrence lautonomie des individus 1. La mdecinementale est un des points majeurs de cristallisation de ces questions via saredfinition par la souffrance psychique et la sant mentale. Il faudrait mon-trer ici comment le fait de justifier nos manires dtre et nos manires defaire, nos actions, dans les termes de lautonomie est llment permettantde dcrire de multiples problmes en termes de souffrance psychique et desant mentale.La thse que je souhaite dvelopper peut tre formule comme suit : on aaffaire une ambiance, un climat, un esprit commun qui fait du couplesouffrance psychique-sant mentale lexpression dun langage qui place aucentre de la vie sociale la subjectivit de chaque individu (son intrio-rit psychique ou crbrale), et cela mesure que lautonomie devientnotre valeur cardinale : plus lindividu est considr comme un tout auto-nome, qui doit tre capable de dcider et dagir par lui-mme, plus la ques-tion de son intriorit devient une proccupation publique. Nos socitssemblent avoir adopt un langage de la vulnrabilit individuelle de massequi permet de nommer, voire de traiter les nouvelles tensions de lindter-mination dmocratique 2 suscites par lemploi gnralis de la rfrence lautonomie, notre signification imaginaire centrale (Castoriadis). Ces nou-velles tensions se caractrisent moins par des conflits entre adversaires biendlimits que par des trajectoires de vie marques la fois par la responsa-bilit et par linscurit personnelles. Si ce double caractre traverse toute

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    1 Je renvoie sur cette question mon essai, La fatigue dtre soi Dpression et socit, OdileJacob, 1998, Odile Jacob Poche, 2000.2 Notion fondamentale pour penser la dmocratie que lon doit Claude Lefort.

  • la socit, il atteint ingalement les couches sociales : Les ingalits co-nomiques renvoient de moins en moins, souligne par exemple ric Maurin, la division sociale du travail entre grandes catgories de salaris et deplus en plus lide dune ingale distribution des capacits personnelles faire face aux exigences du march du travail 1 . Ces tensions trouvent unerponse dans un style de rgulation des conduites qui a tendance se gn-raliser : laccompagnement. Il ne reste plus qu sen servir, comme cer-tains ont commenc le faire, pour formuler politiquement une conceptionde laction publique en phase avec les problmes et les murs dune socitdindividus 2, o il sagit moins dviter que le conflit de classes ne sombredans la guerre civile cest la question sociale telle quelle sest constitueau XIXe sicle que de faire socit en mettant les gens en mouve-ment (lempowerment des Amricains) par une scurisation active destrajectoires 3. Ce nest donc pas parce que les choses semblent plus per-sonnelles aujourdhui quelles sont pour autant moins sociales, moins ins-titutionnelles ou moins politiques. Comprendre, cela permet peut-tredviter le pathos de la souffrance, car entre le sentiment de vulnrabilit etla vulnrabilit, il y a un monde.Au lieu de succomber lillusion typiquement individualiste consistant penser que lindividu est un tre abandonn lui-mme et qui doit seuldcider de rgler sa vie, jespre contribuer clairer le dbat anthropolo-gique et moral sur la nature sociale et politique de lindividualismecontemporain en tentant de montrer comment le style de la vie en communchange.

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    1 E. Maurin, Lgalit des possibles, Seuil, coll. La Rpublique des ides , 2003, p. 71.Cest moi qui souligne.2 Que synthtise J. Bensaid, D. Cohen, E. Maurin et O. Mongin, Les nouvelles ingalits , paratre dans Esprit en 2004.3 J. Donzelot, avec C. Donzelot et A. Wyvekens, Faire socit La politique de la ville auxtats-Unis et en France, Seuil, 2003 ; A. Supiot, Au-del de lemploi : transformations du tra-vail et devenir du droit du travail en Europe, Flammarion, 1999 ; B. Gazier, Tous sublimes Vers un nouveau plein-emploi, Flammarion, 2003, qui synthtise les travaux europens sur les marchs transitionnels du travail ; E. Maurin, op. cit., etc.