effet de l’empilement initial sur la transformation et...

21
EFFET DE L’EMPILEMENT INITIAL SUR LA TRANSFORMATION ET LE FRITTAGE Chapitre 3 L'obtention de céramiques ou de composites nano-structurés denses nécessite une parfaite maîtrise du procédé céramique, de la synthèse des nano-poudres à leur frittage, en passant par leur mise en forme. La majorité des études actuelles s'attache à la synthèse de nano-poudres (des poudres céramiques commerciales de l'ordre de quelques dizaines de nanomètres sont aujourd'hui disponibles) ou à des procédés de frittage innovants (par exemple le frittage par Spark Plasma Sintering). Cependant, peu d'études traitent des étapes de mise en forme, alors qu'elles jouent un rôle fondamental sur l'obtention de céramiques nano-structurées denses. D’autre part, les poudres d’alumine nanométriques dites de transition sont métastables et suivent des transformations de phase qui peuvent interférer pendant le frittage. L’objectif de ce chapitre est de présenter l’effet de deux états d’empilement différents des particules dans le cru sur la transformation et le frittage d’une alumine de transition, ainsi que de comparer ces résultats avec ceux obtenus dans la littérature.

Upload: others

Post on 29-Feb-2020

1 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

EFFET DE L’EMPILEMENT INITIAL SUR LA TRANSFORMATION ET LE FRITTAGE

Chapitre

3

L'obtention de céramiques ou de composites nano-structurés denses nécessite une parfaite maîtrise du procédé céramique, de la synthèse des nano-poudres à leur frittage, en passant par leur mise en forme. La majorité des études actuelles s'attache à la synthèse de nano-poudres (des poudres céramiques commerciales de l'ordre de quelques dizaines de nanomètres sont aujourd'hui disponibles) ou à des procédés de frittage innovants (par exemple le frittage par Spark Plasma Sintering). Cependant, peu d'études traitent des étapes de mise en forme, alors qu'elles jouent un rôle fondamental sur l'obtention de céramiques nano-structurées denses.

D’autre part, les poudres d’alumine nanométriques dites de transition sont métastables et suivent des transformations de phase qui peuvent interférer pendant le frittage. L’objectif de ce chapitre est de présenter l’effet de deux états d’empilement différents des particules dans le cru sur la transformation et le frittage d’une alumine de transition, ainsi que de comparer ces résultats avec ceux obtenus dans la littérature.

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

SOMMAIRE EFFET DE L’EMPILEMENT INITIAL SUR LA TRANSFORMATION ET LE FRITTAGE .......................................................................................................... .……72

I Etat de l’art : Effet de la mise en forme sur le frittage des céramiques................ 74

II Caractérisation des crus obtenus par coulage et par pressage avant frittage.... …75

III Évolution des phases cristallines et de la densification.... ………………………78

III.1 Transformation de la phase γ- Al2O3 → α- Al2O3 au cours du frittage…....-78-

III.2 Transformation de la phase θ-Al2O3 → α- Al2O3 au cours du frittage ........-81-

III.3 Densification de l’alumine au cours du frittage...........................................-83-

III.4 Évolution microstructurale de l’alumine au cours du frittage .....................-87-

IV Bilan.................................................................................................................... ..92

73

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

I Etat de l’art : Effet de la mise en forme sur le frittage des céramiques

Lors de l’étude de l’effet de la méthode de mise en forme sur l’empilement et les effets induits sur la densification, une approche expérimentale commune dans les études précédentes [CAMERON 1990, SUMITA 1991, LI 2000, DYNYS 1984, NETTLESHIP 2003, ZHENG 1989] a été d’étudier l’effet de la méthode de mise en forme sur la densité à cru, qui influence ensuite la densification. Une densité à cru faible, résultant de la présence des agglomérats, peut compromettre la capacité du compact à acquérir une densité élevée au cours du frittage [BRUCH 1962].

Pour ces études, où l’empilement initial est étudié en terme de densité à cru, il est important de savoir que différentes méthodes de mise en forme produisent différents types d’empilement. Dans ce contexte, Zheng et Reed [ZHENG 1992] ont fait la distinction entre la variation de la densité à cru par changement de pression lors du pressage de la poudre ou par changement des conditions de dispersion avant coulage en barbotine. Ils ont montré que la variation de la densité à cru des compacts pressés, présentant une distribution bimodale de la taille de pores (inter et intra granulaire) est due à la diminution de la taille des pores inter granulaires avec l’augmentation de la pression de pressage. Cependant, dans le cas des compacts coulés, présentant une distribution de pores monomodale, la variation de la densité à cru est due à la floculation et affecte légèrement la taille de pore qui reste monomodale.

Un concept plus général de l’effet de la densité à cru sur la densification et la croissance des grains de l’alumine a été exploré par Cameron et Raj [CAMERON 1988] qui ont comparé la densification des compacts pressés avec une densité de 56% et des compacts préparés par voie colloïdale avec une densité de 64%. Les échantillons préparés par voie colloïdale ont montré une cinétique de densification meilleure que celle des compacts pressés. Ils ont montré que cette différence de comportement est due à la présence des agglomérats qui diminuent la densité à cru influençant ainsi la vitesse de densification. De même, d’autres études récentes [TRUNEC 2007, KRELL 2006, GUILLON 2007] ont étudié l’effet de la méthode de mise en forme sur la densification mais avec des densités à cru différentes sans tenir compte de leur rôle sur la densification.

Avoir une densité à cru comparable mais une microstructure différente, suite à une mise en forme selon deux méthodes différentes (voie sèche et voie humide), nous permet de comparer légitimement l’effet de l’empilement initial sans être influencé par la densité à cru.

74

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

D’autre part, étant une alumine de transition, la poudre NanoTEK® va subir une suite de transformations de phases au cours du cycle thermique. Ces transformations de phase sont gérées par des réorganisations du réseau cristallin qui pourraient interférer pendant le cycle de frittage et risquer d’en modifier l’évolution. Aucune étude, à notre connaissance, n’a mis en évidence directement l’effet de l’empilement initial sur les mécanismes de transformations de phase et sur le frittage.

Dans ce chapitre, nous nous intéresserons donc à l’effet de l’empilement initial sur la transformation de phase et la densification ainsi qu’à l’évolution microstructurale de l’alumine de transition. Cependant, les mécanismes de transitions de phase et le frittage seront étudiés plus en détails dans le chapitre IV.

II Caractérisation des crus obtenus par coulage et par pressage

avant frittage

Les densités à cru des compacts obtenus par coulage et pressage sont quasi-identiques (62% ±1) (cf. chapitre 2, §III : Méthodes de mise en forme). Des observations microscopiques sont faites sur des surfaces fracturées de ces crus (fig.1).

Malgré la même densité à cru, des différences importantes de microstructure sont observées. Le cru coulé (SC-1 et SC-2) se révèle très homogène et sans agglomérat. Les particules sont bien distribuées grâce à une dispersion optimale, laissant des porosités fines et régulières entre les cristallites. En revanche, le cru pressé à partir de la poudre brute montre, d’une façon reproductible, la présence de gros agglomérats et d’importants pores qui sont la conséquence de ces agglomérats (cf. flèches sur P-1 figure 1). De plus, il montre des agglomérats compacts formés de plusieurs cristallites (dont la distinction est limitée par la couche d’or lors de la métallisation) et d'importants pores inter-agglomérats (cf. flèches sur P-2 figure 1). Ces hétérogénéités proviennent de la poudre initiale, elle-même, agglomérée. L’existence de ces agglomérats (parfois de grosse taille) donne une microstructure avec deux types de pores : pores inter-agglomérats qui coexistent avec des petits pores intercristallites.

75

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Figure 1 : Observations MEB des faciès de rupture des crus pressés (P-1 et P-2) et coulés (SC-1 et SC-2).

Une étude de la distribution en taille des pores, par porosimétrie au mercure, a été effectuée pour les deux compacts afin de quantifier cette différence de taille et de distribution de la porosité. L’appareil utilisé est un porosimètre Micromeritics Autopore II 9400. Une distribution en taille des pores (figure 2) centrée à une valeur de 17 et 18 nm, respectivement pour SC et P, a été mesurée de façon reproductible pour les deux crus. En analysant ces deux distributions, on remarque une différence faible, mais qui semble significative entre P et SC. Notamment, dans le cas du cru pressé, 25% de pores ont une taille supérieure à 0.02 µm alors que cela représente seulement 5% dans le cas du coulé. L’écart observé est cependant moins net que celui révélé en microscopie (figure 1). Ces mesures peuvent être sujettes à discussion car cette technique de porosimétrie au mercure permet d’évaluer le rayon d’interconnections entre les pores plutôt que le propre rayon de ces pores.

76

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

0,01 0,10

20

40

60

80

100

Po

urce

ntag

e cu

mul

é de

l'in

trus

ion

(%)

Diamètre d'entrée au pore (µm)

SC0000 P0000

Figure 2 : Distribution en taille des pores dans les crus coulés et pressés.

Les deux crus coulé et pressé, possédant une densité équivalente, se distinguent donc par l’homogénéité de leur empilement : même si cela n’a pas été confirmé que partiellement porosimétrie à Hg, nos observations MEB (figure 1) le montrent. Cette différence d’empilement peut être illustrée par la figure 3. Cette illustration est fondée sur une étude précédente [ZHENG 1992].

Figure 3 : Représentation schématique de l'état d'empilement des crus pressés (à gauche) et coulés (à droite). Les deux crus présentent la même densité (même volume, même nombre de particules).

77

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

III Évolution des phases cristallines et de la densification

Les divers échantillons qui ont été préparés à différentes températures de frittage sont désignés uniquement par leur méthode de mise en forme et leur température maximale de frittage. Par exemple, un comprimé obtenu par coulage en barbotine et fritté à 1400°C est désigné par SC1400.

III.1 Transformation de la phase γ-Al2O3→α-Al2O3 au cours du frittage

Plusieurs échantillons, coulés et pressés, ont été frittés à différentes températures afin de suivre l’évolution de la transformation de phase. Ces compacts, élaborés dans les mêmes conditions que celles mises en œuvre pour l’étude dilatométrique (voir §III.3), sont portés, à 5°C/min, à différentes températures comprises entre la température ambiante et 1700°C. Dès la température atteinte, un refroidissement rapide est effectué à 20°C/min. Une caractérisation par diffraction des rayons X (RIGAKU) est ensuite réalisée sur les frittés. La détermination des phases présentes se fait à partir des diffractogrammes obtenus. Ces derniers sont réalisés entre 2Θ=42° jusqu’à 2Θ=49° à 0.1°/min et ont été comparés aux fiches JCPDS (δ-alumina : ICCD 16-394, γ-alumina : ICDD 50-741, θ-alumina : ICDD 23-1009, α-alumina : ICDD 46-1212).

Comme le montre la figure 4, les diffractogrammes des crus pressés (P0000) ainsi que coulés (SC0000), avant traitement, sont caractéristiques d’un mélange de phases (δ : γ). Dans le domaine de température 1000-1160°C et 1000-1200°C, pour les crus coulés et pressés respectivement, la diffraction de rayons X montre un mélange d’alumine δ : γ qui se transforme progressivement en θ et α. Ces résultats sont en accord avec des études antérieures qui montrent que la phase γ, en absence d’une pression appliquée, subsiste jusqu’à 1100-1200°C approximativement [WU 1996, MISHRA 1996]. Le tableau 1 regroupe les différentes phases cristallines présentes en fonction de la température de frittage. La transformation de phase suit la séquence γ→δ→θ→α-Al2O3, mais avec cohexistence de plusieurs phases à une température donnée. Ce résultat est similaire à celui reporté dans le cas de transformations de phases d’une alumine de transition issue d’une boehmite [TONEJC 1994]. La transformation totale en phase α, qui se visualise sur le diffractogramme par l’apparition d’un pic unique situé à 2θ = 43.3°, s’achève respectivement à 1160°C et 1200°C pour les crus coulés et pressés. Après ces points singuliers, tous les compacts sont composés de la seule phase α.

78

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

42 43 44 45 46 47 48 49

a)

θδδ+γθ

α

P1200

P1180

P1160

P1000

P0000

Inte

nsité

(u.a

.)

2 θ (degrés)

42 43 44 45 46 47 48 49

b)

θδδ+γθ

α

SC1140

SC1160

SC1000

SC1100

SC0000

Inte

nsité

(u.a

.)

2 θ (degrés)

Figure 4 : Diffractogrammes réalisés sur les compacts pressés P (a) et coulés SC (b) frittés à

différentes températures. Vitesse de chauffe de 5°C/min.

79

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Tableau 1 : Evolution de la structure cristalline en fonction de la température de frittage pour des compacts mis en forme par deux méthodes : pressage (P) et coulage en barbotine (SC).

Température (°C) Cru 1000 1100 1140 1160 1180 1200Pressé γ - δ δ - θ δ - θ - α δ - θ - α α Coulé γ - δ δ - θ - α δ - θ - α δ - θ - α α α α

On constate que la transition de phase vers la forme thermodynamique stable α se fait à plus basse température dans un cru coulé que dans un cru pressé marquant l’influence de l’empilement initial des grains.

Certaines études ont montré l’influence d’un broyage haute énergie d’une poudre d’alumine de transition, permettant de casser d’éventuels agglomérats durs [STENGER 2005, MENDE 2003], sur la transformation de la poudre en sa phase stable α durant le broyage [TONEJC 1994, PANCHULA 1997, WANG 2005-b, LIU 2005]. Cette introduction de germes d’alpha peut diminuer la température de transformation de phase et l’énergie d’activation [KUMAGAI 1985, NORDAHL 1998, YOSHIZAWA 2004]. Dans le cas de notre étude, le broyage est effectué sur un tourne-jarre non énergétique mais en présence de billes d’alumine. Afin de voir s’il y a contamination par ces billes et révéler s’il y a présence de germes α, qui pourront être la cause d’un éventuel avancement de température de transformation de phase, les études de diffraction de rayons X, effectuées sur le cru coulé dans l’intervalle 2θ = 42-49°, ont été examinées. Le détail du diffractogramme est montré en figure 4-b (spectre SC0000) dans lequel on peut remarquer l’absence du pic cristallographique de α-Al2O3 (113) qui doit être présent vers 2θ = 43.3°. La pollution de la poudre par les billes de broyage n’est pas détectée par diffraction des rayons X. Cependant, en cas de présence de pollution par de l’α-Al2O3, celle-ci sera limitée dans les échantillons et n’introduira pas de modification observable de température de frittage ainsi que de la transformation [NORDAHL 1998, NORDAHL 2002]. De plus, le frittage suivi sur un échantillon d’alumine non vieilli et ne nécessitant donc pas une étape de broyage (cf. §II.5) puis coulé montre que la transformation de phase s’achève toujours à une température de 1160°C (cas de l’alumine étudiée dans le chapitre 4). Un autre échantillon a été préparé par broyage de la poudre (24h) à pH 4.5 puis séché et pressé. Cet échantillon présente une température de fin de transformation de 1200°C identique à celle observée pour un cru préparé par pressage direct de la poudre [PALMERO 2009]. Ce résultat montre qu’une activation chimique et/ou mécanique ne permet pas d’expliquer la diminution de la température de transformation de phase observée. En conséquence, la différence de température de fin de transformation de phase entre SC et P est uniquement due à l’effet de l’empilement initial.

80

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

D’autres études ont montré l’effet des hydrates (gibbsite, bayerite) sur la consolidation de l’γ-Al2O3. Leur présence peut influencer le frittage et la transformation de phase et rend difficile le contrôle de croissance des grains [LIAO 1998]. La formation de cette phase hydroxyde d’aluminium est généré par la réaction entre l’Al2O3 et (OH-) provenant soit par absorption de l’humidité de l’air ambiant dans le cas d’une poudre, soit par changement mécano-chimique de l’alumine nanométrique durant la dispersion dans une solution aqueuse. Dans le cas de notre étude, le broyage est fait à pH = 4.5. En se référant aux études de Carrier [CARRIER 2007], l’hydroxyde ne doit pas se former à pH <5, ce qui élimine cet effet dans notre étude.

III.2 Transformation de la phase θ-Al2O3 → α- Al2O3 au cours du frittage

Une analyse thermique différentielle (ATD) (SETARAM TG-ATD 92) a permis l’étude de la transformation de phase de θ vers α-alumina, les autres températures de transformations topotactiques (de γ vers δ et de δ vers θ) ne donnant pas lieu à un signal ATD [WEFERS 1987]. Le comportement thermique des compacts d’Al2O3 a été effectué sur des morceaux de crus, pressés ou coulés, introduits dans un creuset en alumine sous air. Le comportement global a été étudié par traitement thermique jusqu’à 1500°C à 5°C/min.

81

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600-10-8-6-4-202468

1012141618

900 950 1000 1050 1100 1150 1200 1250

PSC

∆V

(µV)

Température (°C)

Figure 5 : Thermogramme des compacts pressés (P) et coulés (SC). Vitesse de chauffe de 5°C/min. (Un zoom des pics, entre les températures 950 et 1250°C, est montré en haut et à gauche de la

figure).

Comme le montre la figure 5 qui correspond à la courbe ATD des alumines pressées et coulées, la transformation de phase de θ vers α s’effectue à une température plus basse dans le cas du coulage que dans le cas du pressage. Dans le cas des compacts coulés, cette transformation commence à une température proche de 1050°C. En revanche, dans le cas des crus pressés, la transformation débute vers 1140°C. La valeur maximale du signal ATD est obtenue à 1120°C et 1180°C respectivement pour les crus SC et P. Les échantillons étant très petits (m=70 mg), ces valeurs maximales doivent donc correspondre au maximum de vitesse de transformation. Nous avons veillé à utiliser des échantillons SC et P de masse identique. L’énergie dégagée lors de la transformation est donc la même et nous pouvons comparer la forme des pics ATD des deux compacts. La transformation semble plus progressive (pic plus large et moins intense) pour le cru coulé (SC) que pour le cru pressé (P).

Ces résultats sont cohérents avec les températures de fin de transformations de phases observées par diffraction de rayons X et confirment l’influence de l’empilement initial sur la transformation de phase θ vers α- Al2O3.

82

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

III.3 Densification de l’alumine au cours du frittage

Afin d’étudier le comportement au frittage des différents crus élaborés, et d’optimiser les cycles, un suivi des variations dimensionnelles en fonction de la température a été effectué par le biais d’un dilatomètre, SETARAM 1700, permettant de déterminer la variation de longueur d’un échantillon solide au cours du traitement thermique.

Pour l’étude du frittage de l’alumine, réalisé sous air, le cycle thermique utilisé est le suivant : chauffage jusqu’à la température finale T=1700°C à 5°C/min puis refroidissement jusqu’à température ambiante à 20°C/min.

Des mesures de la variation dimensionnelle ont été effectuées sur les échantillons après frittage dans différentes directions. La variation est similaire dans toutes les directions. Nous admettrons, alors, un retrait isotrope de l’échantillon au cours du frittage. Cette caractéristique nous permettra, alors, de calculer et suivre la variation de la densité relative en fonction de la température à partir des mesures de retrait dilatométrique et de la densité initiale des crus.

Les courbes de densité et de vitesse de densification, en fonction de la température sont présentées en figure 6. Les différentes caractéristiques de densification ont été résumées dans le tableau 2.

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 16002,0

2,2

2,4

2,6

2,8

3,0

3,2

3,4

3,6

3,8

4,0

-0,12-0,10-0,08-0,06-0,04-0,020,000,020,040,060,080,100,12

Den

sité

(g/c

m3 )

Température (°C)

II

IIb

Ia

II P

P

SC

Vite

sse

de d

ensi

ficat

ion

(u.a

.)

SCI

Figure 6 : Densité et vitesse de densification en fonction de la température des crus pressés (P) et

coulés (SC). Vitesse de chauffe de 5°C/min.

83

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Plusieurs températures ont été sélectionnées pour caractériser les courbes de densification de l’alumine : (1) la température de début de densification, (2) la température pour laquelle la vitesse de densification change de régime et (3) la température de fin de densification.

La température de début de la densification (~1000°C) semble comparable pour SC1700 et P1700, par contre, la cinétique de densification est plus rapide pour les échantillons coulés que pour les échantillons pressés. La densification s’achève à 1500°C pour SC1700 alors qu’elle nécessite des températures plus élevées (>1700°C) pour P1700. Les deux courbes présentent chacune un point singulier pour des températures de 1160°C et 1200°C pour le coulage et le pressage respectivement. Ce point singulier définit deux étapes différentes de densification notées I et II pour les crus coulés et pressés. Il est remarquable que l’étape I de retrait des compacts pressés soit aussi divisée en deux régions notées Ia et Ib.

Par diffraction en rayons X (§III.1), on a montré que les températures 1160°C et 1200°C correspondent à la fin de transformation de phase pour les crus coulé et pressé respectivement. La région I (avant le point singulier cf. figure 6) correspond à la région où s’effectue la transformation de phase de l’alumine de transition en sa forme stable α (voir chapitre 4 pour plus de détails sur cette région), tandis que la région II correspond à la densification de l’alumine α.

La courbe dilatométrique dérivée (vitesse de densification - figure 6) du compact coulé présente deux pics. Le premier étroit à 1140°C est proche de la température de fin de transformation θ→α, ce pic représente donc l’accélération de la densification liée à la transformation de phase. Le second pic large entre 1160 et 1500°C avec son maximum vers 1350-1400°C est caractéristique du frittage de l’alumine α. En revanche, la courbe dilatométrique dérivée du compact pressé présente un seul pic à 1190°C proche de la température de fin de transformation θ→α. La densité finale des échantillons à 1700°C rapportée à la densité théorique de l’alumine alpha (3.987g/cm3) est de 98% pour SC1700 tandis qu’elle est seulement de 79% pour P1700. Ce qui montre que l’empilement homogène des grains favorise leur densification.

84

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Tableau 2 : Différentes caractéristiques de densification des crus coulés (SC) et pressés (P). Vitesse de chauffe 5°C/min.

Températures du point singulier

Densité initiale (g/cm3)

Densité au point singulier (g/cm3)

∆ρ/ρinitial

Au point singulier

Densité relative finale

(à 1700°C)

SC

1160°C

2.18

2.70

24%

98%

P

1180°C

1200°C

2.18

2.53

16%

79%

Les taux de densification ∆ρR (∆ρR=∆ρ/ρinitial) mesurés jusqu’à la formation totale d’α-Al2O3 (point singulier) sont respectivement de 16% et 24% pour les compacts pressés et coulés. La variation de compacité due au seul changement des paramètres cristallographiques lors de la transformation des alumines de transition en alumina α n’explique pas la totalité de la variation de densité observée jusqu’au point singulier. En fait, la variation de la densité relative de la transformation de l’alumine de transition métastable (δ :γ) (3,49g/cm3) en phase thermodynamiquement stable α-alumina (3,987g/cm3), (∆ρR)th, est de 14.24% [ (∆ρR)th = (ρα-ρ(δ : γ)) / ρ(δ : γ) = (3.987-3.49)/3.49 ]. Les ∆ρR expérimentaux de 16% et 24 % obtenus pour le pressage et le coulage respectivement sont plus élevés que (∆ρR)th, surtout pour le cru coulé. La variation de la densité relative expérimentale (∆ρR)exp par rapport au valeur théorique peut être expliquée, dans un premier temps (voir chapitre 4), par le mécanisme de réarrangement des grains durant la transformation de phase permettant l’avancement de la densification. La différence significative de la variation de la densité relative ∆ρR entre les crus coulés (∆ρR= 24%) et pressés (∆ρR=16%) met en relief l’effet de l’empilement initial sur le réarrangement des particules. L’homogénéité de la distribution des grains et donc leur dés-agglomération grâce à la dispersion facilite un réarrangement global des particules et augmente ainsi la densification durant la transformation.

D’autre part, le point singulier à T = 1180°C, dans le retrait des compacts pressés (figure 4), correspond bien à la température de maximum de transformation de phase de θ vers α (figure 6). Cette température divise la région I de transformation de phase en deux sub-régions Ia et Ib (figure 4). La variation de la densité relative dans la région Ib (1180°C-1200°C) est de 9%. Cette valeur est proche de la variation de la

85

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

densité théorique (∆ρR)th de 10.75%, calculée à partir des variations des paramètres de maille, lors de la transformation de phase de θ vers α. En effet, [(∆ρR)th = (ρα-ρθ) / ρθ = (3.987-3.6)/3.6=10.75%]. La sub-région Ib correspondrait alors à la transformation rapide de phase de θ vers α, tandis que la sub-région Ia correspond à la transformation de l’alumine de transition (δ :γ) en phase θ. D’après ces résultats, nous pouvons conclure que la transformation de phase θ→α se déroule d’une façon retardée, puis très rapide dans les crus pressés, influencés par l’état d’empilement initial tandis qu’elle est progressive dans les crus coulés

Pour illustrer le déroulement de la transformation de θ vers α dans le domaine de température [1180-1200°C] dans le cas du cru pressé, une comparaison du retrait lors du refroidissement a été effectué sur plusieurs échantillons pressés et montés à différentes températures.

0 600 700 800 900 1000 1100 1200

-6

-5

-4

-3

-2

-1

0

1

1200°C

1180°C

Ret

rait

(%)

Température (°C)

1170°C

Figure 7: Evolution du retrait, lors du chauffage à 5°C/mn et du refroidissement à 20°C/mn, pour des

frittés à différentes températures finales (1170, 1180, 1200°C). Les flèches indiquent le retrait à la température finale avant le refroidissement.

Les analyses de retrait (figure 7) indiquent qu’à la fin du chauffage et lors du refroidissement de l’échantillon à la vitesse de 20°C/min, des variations de retrait différentes peuvent apparaître. En effet, pour des températures allant jusqu’à 1170°C,

86

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

un arrêt du chauffage est suivi d’un phénomène de dilatation d’environ 0.5% (remontée des valeurs du retrait). A 1200°C, un comportement identique est observé. En revanche, lorsque le chauffage est coupé à 1180°C, un phénomène de retrait important est observé, de l’ordre de 1.5%; celui-ci laisse supposer des variations de la composition des phases et peut être attribué à la poursuite très rapide de la transformation de phase θ vers α pendant la descente en température.

Afin de comprendre et d’interpréter l’influence de l’empilement initial sur les transitions de phase de l’alumine, il est nécessaire d’aborder la notion de mécanisme de ces transitions. D’un point de vue thermodynamique, étant donné que la transformation de phase θ-Al2O3 vers α-Al2O3 est de premier ordre (nucléation croissance), une barrière d’énergie d’activation élevée est nécessaire à franchir afin que les nuclei α-Al2O3 puissent croître. En d’autres termes, un amas d’atomes de cristallographie proche de l’ α-Al2O3 dans un grain de θ-Al2O3 ne pourra croître que si sa taille est supérieure à une taille critique. Nous ne connaissons bien sûr pas cette taille critique mais elle peut être de l’ordre de grandeur, voire supérieure à la taille de particules de la poudre dans le domaine de température étudié [CHANG 2000]. Une réorganisation des particules (‘réarrangement’) doit alors être favorable à la transformation. La transformation peut donc être observée à plus basse température dans le cas d’un cru ou le réarrangement est possible.

III.4 Évolution microstructurale de l’alumine au cours du frittage

Des observations microscopiques en MEB ont été conduites sur les faciès de rupture des échantillons frittés à différentes températures, dans le but d’étudier l’évolution microstructurale en fonction de la température associée à la transformation de phase et / ou frittage de l’alumine de transition. La figure 8 présente les observations microscopiques faites sur des échantillons frittés à 1000°C (début de retrait), 1160°C (fin de transition en α-alumine pour les compacts coulés), 1200°C (fin de transition en α-alumine pour les compacts pressés), 1400°C (densification de α-alumine) et 1700°C (fin de frittage). Les échantillons ont été métallisés à l’or avant l’observation microscopique (épaisseur de 15 nm).

À 1000°C, les observations de la microstructure sont proches de celles effectuées sur les crus : SC1000 est homogène avec la présence des particules sphériques tandis que P1000 est plus hétérogène avec la présence d'agglomérats. Le retrait linéaire des compacts pressés et coulés à cette température est inférieur à 1%.

87

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Aux températures de 1160°C et 1200°C correspondant à la transformation totale en alumine α respectivement pour les crus coulés et pressés, la microstructure est vermiculaire. Une comparaison de la distribution de la porosité entre ces deux compacts (SC1160 et P1200) avec celle des crus (SC0000 et P0000) (figure 9) montre :

• Une évolution marquée de la distribution de la porosité après transformation de phase, pour les crus coulés et pressés. On a dans les deux cas formation de pores plus larges (taille supérieure à 20nm). En effet, la transformation en phase α a été accompagnée par la formation d’une structure vermiculaire, expliquée comme étant caractéristique du mécanisme germination et croissance dans des études antérieures [BADKAR 1976, DYNYS 1982]. Cette microstructure favorise la formation de larges colonies laissant entre elles de plus larges porosités.

• La figure 9 montre une distribution de porosité plus large avec plus de petites

porosités dans le cas du coulé (SC1160) après transformation, que dans le cas du pressé (P1200). Dans le cas du coulé (SC1160), l’apparition d’une porosité de taille inférieure à 10 nm peut être vue comme une conséquence du réarrangement. 78% de pores ont une taille supérieure à 25 nm dans le P1200 contre 30% dans le cas du SC1160. Ce qui montre que la forme vermiculaire est plus prononcée dans le cas de l’échantillon préparé par cru pressé que dans le cas de l’échantillon préparé par cru coulé. L’empilement initial du cru joue un rôle sur la grandeur de chaque colonie ainsi que sur la porosité emprisonnée à l’intérieure. En effet, la taille d’une colonie est gérée par le nombre de germes d’α formé au cours de la transformation. Plus le nombre de germe d’α est grand, plus la taille de la vermicule est petite. La distribution homogène des particules dans le cru coulé a montré une formation progressive et plus homogène des germes α, par comparaison à une formation très rapide dû à un empilement hétérogène du cru pressé (cf §II.3).

88

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

Figure 8: Observations MEB des microstructures de l'alumine Nanotek frittée à différentes

températures. Vitesse de chauffe de 5°C/min.

89

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

0,01 0,1

0,00

0,02

0,04

0,06

0,08

0,10

0,12

Vo

lum

e de

s po

res

(mL/

g)

Diamètre d'entrée au pore (µm)

SC0000 P0000 SC1160 P1200

Figure 9: Distribution en taille des pores dans les crus : coulé (SC0000), pressé (P0000) et les

compacts : coulé (SC1160), pressé (P1200) après transformation totale en α-Al2O3.

La compréhension des mécanismes de transformations des phases polymorphiques est d’une importance majeure sur le frittage des poudres nanométriques d’alumine de transition. La densification, ainsi que la croissance des grains, sont reliées à ces transformations de phase.

À 1400°C, la microstructure de la pièce coulée, SC1400, révèle la présence de grains cuboctaédriques, alors que l’échantillon pressé, P1400, a toujours une microstructure vermiculaire avec une taille de grains plus petite. La densité atteinte après un frittage à 1400°C est de 90% pour les compacts coulés et seulement de 67% pour les compacts pressés. De plus, P1400 présente de nombreux pores, au contraire de SC1400 qui présente une porosité plus réduite et homogène. Cela s’explique par la cinétique de densification, plus rapide pour le coulage que pour le pressage.

En effet, l’empilement homogène du cru initial a favorisé un meilleur réarrangement des grains lors de la transformation de phase, ce qui a permis d’obtenir après la transition de phase en alumine α, une densité de 2.7 g/cm3 pour les crus coulés

90

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

alors qu’elle est seulement de 2.53 g/cm3 pour les crus pressés. Le frittage de l’α-Al2O3, par conséquent, commence avec une densité différente pour les crus coulés et pressés, malgré la même densité à cru initiale. Cette amélioration de la densité après la transformation a favorisé la densification lors du frittage [GUPTA 1972, GRESKOVICH 1972].

D’autre part, l’homogénéité de la distribution des grains dans le cru influence la distribution de la taille des pores qui jouent un rôle prépondérant sur la densification [ZHAO 1988-a, ZHAO 1988-b, ZHENG 1989]. Pour les compacts pressés, les transformations de l’alumine de transition en phase stable α ont produit des structures cristallines vermiculaires avec de larges porosités qui persistent dans le fritté et leur élimination ne se fait que par croissance des grains et nécessite des températures très élevées. Au contraire, cette microstructure vermiculaire est moins prononcée dans le cas du compact coulé, laissant une taille des pores plus fine dans le cas du coulé que du pressé, ce qui permet l’obtention d’un matériau plus dense à plus faible température en partant d’un cru de même densité.

À 1700°C, les compacts coulés et pressés présentent, tous les deux, une microstructure cuboctaédrique. Par contre, le matériau pressé n'atteint pas la densité théorique et des pores intra-granulaires, difficiles à densifier, subsistent toujours tandis que le matériau coulé est dense à 98%. La température élevée du frittage pour les compacts coulés déjà denses à 1450°C donne lieu à un grossissement des grains à 1700°C (cf. figure 8), générant finalement une microstructure micrométrique.

De plus, on remarque une croissance des grains avancée dans le cas du pressé par rapport au compact coulé. Par croissance de grains avancée, nous entendons une plus grande taille de grains à une densité donnée (cf. figure 8 : P1700, qui possède une densité inférieure à SC1400, présente une taille de grain supérieure). La relation densité – taille de grains est donc influencée par la mise en forme. La présence de grains plus gros entraîne une diminution de la vitesse de densification. Cameron et Raj [CAMERON 1988] ont mis en évidence l’effet de l’homogénéité de l’empilement sur le nombre de coordination des grains et la conséquence sur la croissance des grains durant le stade intermédiaire. Ils ont montré que la croissance des grains durant le stade intermédiaire de frittage (ou la porosité est interconnectée) est limitée grâce à la distribution uniforme initiale des grains.

91

Chapitre 3 – Effet de l’empilement initial sur la transformation et le frittage

IV Bilan

Une étude de l'influence de l'état d'empilement sur la transformation et la densification d'une alumine de transition nanométrique a été conduite, en partant de deux méthodes de mise en forme différentes (coulage et pressage). Nous démontrons ici que, avec une même densité à cru (62% ± 1%), la distribution plus homogène des porosités dans le cru coulé permet le réarrangement des particules et facilite ainsi la transformation vers la phase stable α. Ce réarrangement se traduit par une meilleure densification du compact, qui favorise ensuite le frittage de l’α-Al2O3. De plus, l’homogénéité de distribution de porosités de faible taille, après la transformation, limite la formation de colonies vermiculaires et favorise les cinétiques de frittage. Malgré l’amélioration de la densité finale du compact coulé (98%) par rapport au compact pressé (78%), la taille des grains obtenue est plus grande que le micron. Une optimisation des paramètres de frittage est nécessaire. La transformation et le frittage seront étudiés plus en détail dans le chapitre suivant.

92