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This article was downloaded by: [Washington University in St Louis] On: 08 October 2014, At: 19:08 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/cpdh20 Education et société dans la première moitié du XVIIIe siècle: de Vallange et ses projets de réforme complète de l'éducation 1710–1740 Marcel Grandière a a IUFM , Université d'Angers Published online: 28 Jul 2006. To cite this article: Marcel Grandière (1997) Education et société dans la première moitié du XVIIIe siècle: de Vallange et ses projets de réforme complète de l'éducation 1710–1740, Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education, 33:2, 413-432, DOI: 10.1080/0030923970330202 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/0030923970330202 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages,

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This article was downloaded by: [Washington University in St Louis]On: 08 October 2014, At: 19:08Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH,UK

Paedagogica Historica:International Journal of theHistory of EducationPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/cpdh20

Education et société dans lapremière moitié du XVIIIesiècle: de Vallange et sesprojets de réforme complètede l'éducation 1710–1740Marcel Grandière aa IUFM , Université d'AngersPublished online: 28 Jul 2006.

To cite this article: Marcel Grandière (1997) Education et société dans la premièremoitié du XVIIIe siècle: de Vallange et ses projets de réforme complète de l'éducation1710–1740, Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education,33:2, 413-432, DOI: 10.1080/0030923970330202

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PH XXXIII (1997) 2

Education et société dans la première moitié duXVIIIe siècle: de Vallange et ses projets de

réforme complète de l'éducation 1710-1740

Marcel Grandière, IUFM, Université d'Angers

At the beginning of the 18th century, M. de Vallange proposeda wide-ranging programme to reform education in France. Heintended to introduce teaching methods based on John Locke'sworks and to create a full-scale system of new educational institu-tions. The royal institutions called "collèges" were to be abolishedand a secular body of academics in charge of the new ones was tobe appointed. The new curriculum proposed by M. de Vallangeresponded better than the former to the requirements of society, thechildren's capacity for work, and the new intellectual attainmentsbrought about by the scientific progress of the 17th century.

This project formed part of a larger educational trend that,between 1710 and 1740, brought the notion of education closer tothe concept of society.

De Vallange (vers 1655, vers 1736) fit des études de droit àParis où il fut reçu avocat, devint précepteur dans la capitale et à lacour, puis maître dans différentes académies de la ville.1 Sa penséepédagogique n'a guère retenu l'attention des historiens. Cependant,

1Le Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire (Paris, Hachette, 1882-1893) de Ferdinand Buisson présente ce pédagogue; la Bibliographie de la littératurefrançaise du 18e siècle (Paris, CNRS, 1969) de Cioranescu ne donne qu'une listeincomplète de son oeuvre. Les grandes biographies l'ignorent. Voir les rares informa-tions que l'auteur donne de lui-même dans ses Nouveaux systêmes ou nouveauxplans de méthodes publiés en 1719, p. 11.

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ses ouvrages publiés de 1719 à 1736 présentent des projets deréforme des structures et des méthodes d'éducation qui préparent,dans tous les domaines importants, les débats et les réformes de ladeuxième moitié du siècle: la "génération" des idées et les questionsde méthode, l'enseignement du latin, une nouvelle définition deprogramme d'études pour plus d'utilité sociale et civile, le rôle del'Etat en matière d'éducation, la transformation de la nation parl'école. Ces idées suscitèrent la mise en place d'un important réseaude pensions ou "maisons d'éducation" particulières.

Nous voulons montrer que les projets de de Vallange, d'abordsoutenus par le duc de Bourgogne, père de Louis XV, font partied'un vaste mouvement de transformation qui fait des années1710-1740 une période clef de l'histoire pédagogique du siècle.L'invention d'idées, de structures et de méthodes nouvelles pourconduire le travail des écoliers est d'abord et avant tout le fait dupremier 18e siècle.

Ecrits pédagogiques

De Vallange fit publier à Paris quatorze ouvrages en 1719-1721et 1730-1736. Son oeuvre s'inscrit totalement dans le mouvementde liberté de penser des savants vis-à-vis de la science ancienne etdes habitudes établies et donc totalement dans le champ del'innovation. On peut résumer sa pensée ainsi: les "opérations del'âme" plutôt qu'Aristote, Platon, ou Descartes qui ne sont d'aucuneutilité. Aussi ne trouve-t-on chez lui que nouveautés et routesnouvelles, rupture avec l'existant. Il vit sur cette illusion trèspédagogique que la méthode, à elle seule, peut tout faire, bousculertous les obstacles culturels et économiques.

Il publie d'abord son projet général éducatif en 1719 dans sesNouveaux Systêmes ou nouveaux Plans de méthodes qui marquentune route nouvelle pour y parvenir en peu de tems et facilement à laconnaissance des langues et des sciences, des arts et des exercicesdu corps. De Vallange a l'expérience alors de nombreuses annéesd'enseignement auprès des jeunes gens comme précepteur ou dansdes académies. Il peut ainsi commencer dans cet ouvrage sa critiquede l'enseignement des collèges, ce qui deviendra un exercice obligéau 18e siècle. Il expose surtout ses principes de méthodes avec desexemples d'application concrète et des "abrégés" ou "idées" surtous les enseignements: dans l'ordre, lecture, philosophie, humani-tés, grammaire, écriture, mathématiques, cosmographie, arts,histoire, sciences et langues. De Vallange achève son livre par

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l'"idée" dont il poursuivra la réalisation toute sa vie, une éducationoù les arts et les sciences auraient la meilleure part dans un réseauunifié et cohérent d'académies remplaçant les collèges.

Ce livre programme fut précisé dans les publications ultérieures.Il s'occupa d'abord de méthodologie qui revêtait pour lui la plusextrême importance: de Vallange est d'abord un méthodiste, ilinaugure la voie aux recherches d'ingénierie didactique du premier18e siècle. Dans ses Plans et Projets propres à faciliter l'intelligencedu latin et des autres langues qui pourront servir d'introduction et depréparation à l'explication des auteurs latins, et à l'éloquence,2 ildéveloppe des plans et projets de sciences nouvelles comme la"métonomie latine française" (recherche d'analogie entre deuxlangues) et l'"onomogamie", ou science de la composition des motspour enseigner rapidement le latin, puis, ses projets d'établissementsnouveaux. Le Système ou plan d'une nouvelle méthode pour ap-prendre et en peu de tems la langue latine sans le secours d'aucunmaître, 1719,3 suit le même objectif: proposer d'abord une nouvellegrammaire latine, puis des projets d'établissements pour la jeunesse.De Vallange ne sépare pas l'invention de nouvelles méthodes et lamise en place de nouveaux établissements qui détruiraient le réseaudes collèges.

Son imagination didactique prend toute son ampleur dans leSystème ou Plan d'une nouvelle méthode pour apprendre aisémentl'ortographe [sic], le latin, le grec, l'italien et les autres langues, sansle secours d'aucun maître.4 Cet ouvrage comprend deux parties, un"nouveau système de l'ortholexie" et un "nouveau plan et nouveausystème d'une grammaire française". Les deux derniers titres decette période 1719-1721 sont une Grammaire française raisonnée5

et une Ortho/exie latine.6 On note ainsi une ambiguïté chez deVallange: sa science des langues et son imagination excellent dansla didactique de la grammaire en général comme en témoignent ses

20uvrage non daté, 508 p., les privilèges sont de 1718.3Paris, 480 p., approbation de Fontenelle de 1718.4Paris, 1719, 487 p., approbation de Fontenelle de 1718.5Paris, 1721, 340 p. Le titre complet est le suivant: Grammaire française

raisonnée qui enseigne la pureté et la délicatesse de la langue, avec l'ortographe etqui sert de clef au latin et aux autres langues que l'on peut apprendre sans le secoursd'aucun maître, quand on possède la langue par principe comme on l'enseigne danscette méthode.

"Ortholexie latine, ou l'art qui enseigne à lire le latin par règles et par principes,et usages de l'ortholexie latine, s.d., 48 p., annoncée dans le Mercure de France enjuillet 1722, reprise de l'"ortholexie" du Système ou plan d'une nouvelle méthode.

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écrits; mais il ne produit aucun ouvrage pour les sciences et les arts,l'axe pourtant bien affirmé de sa réforme pédagogique.

De 1729 à 1736, de Vallange cherche à forcer les obstaclespour réaliser les établissements nouveaux qu'il avait annoncés, sousl'appellation générique de "salles académiques" ou "académies". Ilssont à l'origine des nombreuses pensions et maisons d'éducation duXVIIIe siècle.7 De Vallange précise aussi les méthodes et plansd'études qui feront le succès de ces maisons et sollicite vivement lesautorités de l'Etat.8 Il fait paraître alors des textes approuvés dès laRégence et apparemment non publiés. C'est le cas de L'Art d'éleverla Jeunesse, ou différens traitez sur les sciences9 approuvé parFontenelle en 1720; il y expose ses projets d'académies, développeses propositions d'enseignement encyclopédique, de la lecture-écri-ture, des langues anciennes (dont l'hébreu) jusqu'aux nombreuxexercices de piété, du corps, militaires, ainsi qu'à l'étude del'histoire, des arts et des sciences. La deuxième partie de L'Artd'élever la jeunesse parue en 1732 a pour titre: L'éducation desenfans rendue utile aux souverains, au public et aux p'arens.™

Sa préoccupation d'enseigner le latin aux petits enfants pourqu'ils puissent après se consacrer à des études plus utiles l'engageencore à proposer des livres de méthodes. Son Art d'enseigner lelatin est distribué en deux parties, L'art d'enseigner le latin aux petitsenfans en les divertissant et sans qu'ils s'en aperçoivent, et Jeux etdivertissemens propres à enseigner le latin aux petits enfans en lesdivertissant.^ La Bibliothèque grammaticale qui contient les livresnécessaires pour enseigner à lire le latin et le français aux petits

7Voir M. Grandière, "L'éducation en France à la fin du XVIIIe siècle: quelquesaspects d'un nouveau cadre éducatif, les 'maisons d'Education', 1760-1790", Revued'histoire moderne et contemporaine, (janvier-mars 1986), pp. 3-35.

"Ses épîtres au roi, à la reine, au cardinal de Fleury, "premier ministre", dansl'édition de 1736 des Académies royales instructives. Dans l'avertissement de cemême ouvrage, il déclare avec prudence ne vouloir avoir de démêlés avec personneet se ranger aux ordres des magistrats. Son silence de la décennie 1720 estpeut-être dû à des difficultés judiciaires relatives à ses projets d'académies nouvelles.

9S.I., 1730, 77 p., XVII chapitres. On trouve également le titre suivant: L'artd'élever la jeunesse, selon la différence du sexe, des âges et des conditions, ensuivant les principes de la religion, de la politique et de l'économie (Paris, 1730),77 p. L'art d'élever la jeunesse reprend des idées exprimées en 1719 dans Lessciences dévoilées, démontrées si évidemment... Le même ouvrage est annoncé enjuin 1729 dans le Mercure (47 p.).

'"Paris, 1732, 72 p."Ces deux ouvrages ont paru à Paris en 1730 avec 76 et 120 pages. De

Vallange reprend sa méthode en 1734 avec Le latin enségné en peu de tems sansle secours d'aucun maître, sans fatiguer l'esprit ni la mémoire, avec d'autresavantages (Paris), 96 p.

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enfans, et pour leur enseigner le latin quand ils apprennent à lire*2

est du même type: il s'agit de petits ouvrages utiles aux maisons quipratiquent l'éducation domestique et surtout aux "académies" qui secréent alors à Paris pour instruire les enfants hors des collèges, selonles principes pédagogiques nouveaux, ces "académies" ou maisonsparticulières d'éducation qui nuiront tant aux collèges dans le coursdu siècle jusqu'à déstabiliser ce modèle éducatif. De Vallanges'intéresse à la même clientèle dans L'art d'élever les jeunes princesdès le berceau selon les principes de la physique, de la morale, de lapolitique et de la religion.*3

Sa carrière d'écrivain pédagogique s'achève en 1736 avec lesAcadémies royales instructives, dans lesquelles on propose d'éleverles enfans des deux sexes à la décharge de leurs parens; suite del'art d'élever fa jeunesse. L'Etat, malgré les appels lancés au roi, à lareine et au cardinal de Fleury ne décidera rien en faveur desacadémies royales de de Vallange, et du réseau éducatif nouveaudont il trace l'organisation dans son ouvrage. Comment avait-il pucroire qu'il en serait autrement? Les collèges n'étaient pas suffisam-ment affaiblis en 1736. Mais l'échec de de Vallange à réformer leréseau scolaire existant fit en même temps le succès des institu-teurs/maîtres de pension acquis à la cause du mouvement deréforme qui agite alors l'éducation: ils installent leurs maisons —avec réussite — pour répondre aux voeux d'une population qui nevoit plus dans les collèges le modèle éducatif qu'il faut à leursenfants. Ainsi naît le 18e siècle pédagogique, avec son réseauofficiel d'établissements publics tenus majoritairement, sauf à Paris,par les pères, et un réseau de maisons particulières qui étend sonemprise au long du siècle auprès de la population éclairée, réseaufacteur de déstabilisation et d'évolution des collèges.

L'art de penser

De Vallange ne veut plus penser l'éducation selon la science deDieu, c'est-à-dire selon l'autorité de la Bible et des écrits des Pèresde l'Eglise que connaissent si bien les pédagogues depuis le "siècledes saints" comme le prouvent, entre autres, les écrits de Pierre

12Paris, 1731, 24 p.13Paris, 1732, 96 p. Présentation dans le Mercure de novembre 1732.

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Coustel et d'Ambroise Paccori.14 De Vallange ne s'appuie jamaissur la science sacrée. Il préfère les opérations de l'âme, la marche del'entendement selon Locke. Sa recherche pédagogique s'inscrit dansla science et la philosophie de son temps; elle est la conséquence dela certitude que l'homme peut être compris en dehors de l'autoritéde l'Ecriture, non dans son essence sans doute, mais sûrement dansson fonctionnement. Il est sûr que la volonté du XVIIe siècle dechercher une écriture mathématique du monde, que la rupture depensée induite par les Principes mathématiques de Newton provo-quent, avec décalage, changement de point de vue et de méthodedans le domaine des sciences de l'homme.

Aussi, l'oeuvre de de Vallange se situe dans un mouvement quil'accompagne et la dépasse. Si le XVIIIe siècle se passionna depédagogie, comme on l'a souvent fait remarquer, il le doit auxacteurs de la période 1710-1740: c'est la vraie période des grandspédagogues du siècle, et non celle qui précède la Révolution. Et siJean-Baptiste de la Salle comme Charles Rollin15 sont sans aucundoute des auteurs phares du siècle pédagogique en France par leurinfluence concrète dans les classes, leur succès ne doit pas cacherà nos yeux celui obtenu alors par le groupe des réformateurs quin'ont pas bénéficié à terme du même soutien médiatique que lespédagogues approuvés par l'Eglise. L'abbé Pluche s'appuie surl'observation, sur la voie des sens, dans le Spectacle de la nature(1732) et La mécanique des langues et l'art de les enseigner (1735).Louis Dumas occupa les colonnes du Mercure pendant quelque dixans à partir de mai 1730 avec sa méthode pour apprendre à lire, le"bureau typographique"16 et suscita nombre de controverses. Dans

"Pierre Coustel, les règles de l'éducation des enfans, où il est parlé en détail dela manière dont il faut se conduire pour leur inspirer les sentimens d'une solide piétéet pour leur apprendre parfaitement les Belles Lettres (Paris, E. Michallet, 1687). Ceprofesseur (1611-1703) enseigna les humanités à Port-Royal. Ambroise Paccori(1650-1730), également janséniste, principal de collège, fit paraître, entre autresouvrages éducatifs, les Règles pour travailler utilement à l'éducation chrétienne desenfans (Paris, G. Desprez & J. Desessartz, 1726).

16La Conduite des écoles chrétiennes parait à Avignon en 1720, et le Traité desétudes ou De la manière d'enseigner et d'étudier les Belles Lettres à Paris en 1726.

16II publia en 1733 la Bibliothèque des enfants, ou les premiers élémens deslettres contenant le sistème du bureau typographique. Voir "Livres de classe etusages pédagogiques" de D. Julia dans Histoire de l'édition française (Paris, 1984),pp. 468-498, et notre thèse L'idéal pédagogique en France au XVIIIe siècle (Lille,1991, 1032 p., ex. dact.), pp. 231-251.

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le même domaine, notons encore Py Poulain de Launay17 et l'abbéBerthaud18 qui associa pour la première fois, après de Vallange,images et sons pour l'apprentissage de la lecture, sans passerd'abord par l'épellation méthodique. Ils tiennent l'un et l'autre desmaisons d'éducation. De même, le père Buffier,19 salué par Voltai-re, vise-t-il avant tout à faciliter la tâche des élèves et à rapprocherl'école de la société civile: son oeuvre oriente les idées pédagogiquesdu siècle. Au même mouvement de pensée appartient le grammairienDumarsais: son Exposition d'une méthode raisonnée pour apprendrela langue latine (1722) obtint un réel succès d'estime, fut utiliséedans les maisons d'éducation, mais n'entra pas dans les collèges.

Autrement dit, en publiant ses premiers ouvrages en 1719-1721après une déjà longue carrière pédagogique et l'appui du duc deBourgogne avant 1712, de Vallange inaugure une méthode et unmouvement: celui de vouloir à tout prix bousculer la coutume etd'inventer des "voies nouvelles" en s'appuyant sur la penséephilosophique du moment, celui d'entraîner nombre de pédagoguessur le chemin de la mise en cause des pratiques d'éducation. Lesauteurs cités plus haut ne sont que la partie émergée de l'icebergpédagogique qui va bousculer l'ordre établi. Participent encore audébat de méthode, entre autres, l'abbé de Saint Pierre, de l'Acadé-mie, et auteur bien connu (Projet pour perfectionner l'éducation,1728), les grammairiens Grimarest (Nouvelle grammaire réduite entables, qui donne une très grande facilité pour apprendre la languefrançaise, 1718), de Beaumont (Nouvelle grammaire française etlatine, 1722), Fremy de Mirsay (Dissertation préliminaire, ou Essaid'une nouvelle méthode pour l'explication des auteurs de la languelatine et de tout autre langue, à la faveur d'une seule règle monosyl-labique, 1722), Denis Gaullyer (Abrégé de grammaire française,1722), Montet de Collonges (Méthode nouvelle, abrégée et figuréepour apprendre, à l'aide du français et par principes, le latin à toutessortes de personnes, en moins d'un an, 1729), ou encore Restaut

"Méthode du sieur Py Poulain de Launay, ou l'art d'apprendre à lire le françaiset le latin (Paris, N. Le Clerc, 1719). Cette méthode fut connue grâce à l'éditionréalisée par son fils, maître de pension, en 1741.

^Nouveau quadrille des enfans, ou nouvelle méthode, éprouvée pour apprendreparfaitement à lire et l'orthographe en très peu de tems, par le moyen de 160 figurescollées sur autant de fiches, au revers desquelles est imprimée la lettre, ou le son dela langue qui a rapport au nom ou au sens de la figure (Paris, 1743).

18Le père Buffier (1661-1737) a publié une grammaire, une géographie, un coursd'étude en 1712: Cours de science sur les principes nouveaux pour former lelangage, l'esprit et le coeur dans l'usage ordinaire de la vie et le Traité de la sociétécivile (Paris, G. Cavelier & P.F. Gif fart, 1732).

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(Principes généraux et raisonnes de la grammaire française, pardemandes et par réponses, 1730).

On voit l'importance de l'effort pédagogique en ces années clefsoù le roi avait lui-même l'âge d'un écolier et où l'on pense, par laméthode, abréger, simplifier, rendre facile, amuser tout en instrui-sant. Pour être plus complet, il faudrait encore suivre les nombreusesméthodes pour apprendre l'art de l'écriture, l'orthographe, lesmathématiques, l'histoire et la géographie avec, par exemple,Lenglet de Fresnoy, auteur de nombreuses méthodes pour enseignerces deux matières. De Vallange se situe donc au coeur d'un vastemouvement pour renouveler la manière de conduire les apprentissa-ges, un mouvement qui va attirer les enfants dans les nombreusesmaisons d'éducation où ces nouvelles méthodes sont pratiquées àl'exclusion de celles des collèges réputées plus longues, plusdifficiles et rebutantes pour des enfants qui doivent aller vite et sansefforts.

Les recherches de la métaphysique nouvelle, La réhabilitation dela nature humaine,20 selon Roger Mercier, entre 1700 et 1750entraînent le mouvement de la pensée pédagogique. La pédagogieprofite en fait de tout le mouvement scientifique européen du XVIIesiècle, autant des progrès de méthode que des avancées du savoirlui-même. Elle doit beaucoup à la recherche de nouvelles méthodesscientifiques exposées par Francis Bacon en 1604 et 1620 dansVAdvancement of the science et les Novum organum scientiarum: lerefus de l'autorité, la méthode de l'observation et de l'expérience.L'abbé de Saint-Pierre ne remercie-t-il pas Descartes d'avoir libéré lapensée des entraves de l'Antiquité?21 De plus, l'aventure métho-diste des années 1710-1740 a des liens avec l'esprit réformateurdes pédagogues de Port-Royal qui se continue sous Louis XV. Enfin,c'est surtout Newton qui apparaît vraiment comme le modèle dessavants contemporains du jeune roi, le modèle à imiter pour conduiresa pensée. Ses découvertes ont créé un choc de méthode: laméthode des physiciens, l'observation de la nature sont la voie àsuivre dans toutes les sciences. La science d'élever les hommespouvait-elle échapper à ce modèle?

^Villemomble, 1960,491 p.21 Abbé de Saint-Pierre, Projet pour perfectionner l'éducation, avec un discours sur

la sainteté et la grandeur des hommes (Paris, Briasson, 1728): "avant Descartes (...),nous en étions venus à ce point d'imbécilité que pour connaître ce qu'il fallait pensersur telle matière, nous ne disputions plus du fonds de la question, mais de quelsentiment était Aristote".

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De Vallange suit la nouvelle métaphysique; il y puise sa manièrede penser. Il met en évidence le décalage existant entre le mouve-ment scientifique vivant et la manière de conduire les études,traditionnelle, qui n'est plus comprise, vue comme routinière et sansintelligence. Ses méthodes résultent de la recherche passionnéed'une logique nouvelle, d'une nouvelle manière de concevoirl'entendement humain que Locke expose dans son Essai philosophi-que concernant /'entendement humain traduit en partie en 1700.Cette nouvelle philosophie explique largement l'histoire pédagogiquedu siècle.

La volonté de bâtir une méthode pour penser et conduirel'éducation est première chez de Vallange. Son ouvrage programmede 1719, Nouveaux Systèmes ou Nouveaux plans de méthode est,comme l'indique le titre, consacré à définir les paramètres de sapensée éducative. Les principes philosophiques sont exposés endébut d'ouvrage, après la critique de la pédagogie des collèges.Suivent les applications pratiques de ces principes pour toutes lessciences enseignées aux enfants et aux jeunes gens, sous formed'"abrégés", d'"idées" ou de "nouveaux plans de méthodes". Sespromesses sont généreuses d'écrire des petits traités sur toutes sor-tes de sujets pédagogiques, comme sur "l'art d'enseigner à parleraux enfans qui sont au berceau".22

Ainsi les pédagogues du premier XVIIIe siècle sont comme les"savants en mal de méthode" de la période 1600-1640 analysés parRobert Mandrou,23 mais ils sont justement aidés par ces savants etpar ceux du deuxième XVIIe siècle, par Nicole, Arnauld et Locke enparticulier. Les pédagogues français ont également bénéficié destravaux du suisse Jean-Pierre de Crousaz qui donna en 1712 leSystème de réflexions qui peuvent contribuer à la netteté et àl'étendue de nos connaissances, ou Nouvel essai de Logique: cetouvrage leur permet de mieux connaître la nouvelle philosophie del'entendement issue des travaux de Locke. Il y a une filiation trèsnette entre ce métaphysicien de Lausanne et de Vallange. Il expliquel'importance de la méthode qui marque tant la démarche de cedernier: "la partie de la logique qui contient des remarques, quidonne des avis et pose des préceptes propres à nous aider dansl'étude des sujets composez (...) s'appelle méthode, [elle] signifie

22Dans son "Ortholexie", p. 50, première partie de Nouveaux Systèmes ounouveau Plan d'une grammaire française.

"Des humanistes aux hommes de science. XVI et XVIIe siècles (Paris, 1973), pp.154-165.

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procéder méthodiquement (...) marcher dans le chemin et s'avanceren suivant la route qu'il faut".24

Et la route qu'il faut suivre, selon de Crousaz, est la même quepropose de Vallange dans ses Nouveaux Systèmes. Le premier pointet le plus important est l'ordre des connaissances qui permet laclarté et ]a brièveté. Il faut, écrit ce pédagogue, "enseigner (lesprincipes) avec ordre, afin que les uns soutiennent les autres, et queles premiers servent de moyens à faire comprendre les suivans".25

Selon de Crousaz, l'ordre et la manière de ranger ses penséesgarantissent de l'erreur et permettent d'acquérir en peu de temps ungrand nombre de connaissances;26 de plus, il faut suivre la mé-thode analytique pour étudier une question, et non la voie synthéti-que, celle de Descartes, car elle égare l'esprit: voilà des principes quivont beaucoup peser dans l'histoire pédagogique du siècle. Leséléments de la méthode analytique sont les suivants: commencer parles principes, diviser et subdiviser, décomposer les objets, fairel'examen des parties séparément, les comparer et les assembler peuà peu, aller du simple au composé, avancer pied à pied de consé-quence en conséquence, attacher les idées les unes aux autres, allerdu sensible à l'abstrait, de l'expérience au raisonnement. Ce sont cesprincipes de méthode inspirés de Locke et extraits de la logique dede Crousaz qui sont exposés dans les Nouveaux Systèmes de deVallange.

Le rapprochement avec le philosophe anglais apparaît encoretrès nettement grâce à la place très importante que de Vallangedonne aux sens dans ses méthodes. "Le moyen des sens", "l'entre-mise des sens", sont d'usage partout; il rappelle la formule: "nihil estin intellectu quod non prius fuerit in sensu", affirme qu'"il n'y a pointde science qu'on ne puisse enseigner par des représentations ou pardes fictions sensibles"27 hormis la théologie. De Vallange, à la suitede Locke, engage la pédagogie sur les voies nouvelles de la sciencede l'homme. La pédagogie se donne ainsi des principes scientifiquessolides qui en feront un art d'adapter la formation de l'esprit à ceque connaît la science de la nature humaine.

Grâce aux sens, la pédagogie pourra enfin, selon les critiquesdes collèges, dégager les jeunes gens des obscurités des études degrammaire et de philosophie où tout est objet d'ambiguïté et dediscussion. En géométrie, tout est clair. C'est cette clarté, cette

24Jean-Pierre de Crousaz, 4e partie, "de la méthode", p. 177.26de Vallange, Nouveaux Systèmes, p. 88.2ede Crousaz, Systèmes de réflexions, p. 178 et sq."de Vallange, Nouveaux Systèmes, pp. 103, 124 et 125.

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vérité que recherche le nouvel art de penser. "Faites-nous voir lavérité (...) que je la connaisse par les opérations de l'âme"28 lancede Vallange à ceux qui proposent des citations d'Aristote. Il veutdissiper les obscurités de la méthode scolastique, provoquer chez lesjeunes gens "l'habitude de raisonner, (de façon) que jamais on nes'égarent",29 grâce aussi à la connaissance des opérations del'âme.

Un troisième élément de cet art de penser montre bien larupture opérée par le mouvement pédagogique des années 1710-1740: c'est le refus des autorités, la volonté de penser par laméthode de l'expérience sans avoir à suivre surtout les philosophesde l'Antiquité. Ces savants obscurcissent les connaissances,allongent démesurément les apprentissages et rendent les étudesrébarbatives, surtout n'apprennent pas aux jeunes gens à penserpuisqu'on ne leur demande guère que de mémoriser ce qu'ont pupenser les Grecs et les Latins. Il propose en conséquence de lesexclure des plans d'études: "laissons Aristote, Platon et Descartes,et tous les autres philosophes; que leurs noms mêmes nous soientinconnus".30 De même, Euclide est-il inutile pour faire des démons-trations géométriques: il ne faut que des yeux pour voir les figureset opérer des démonstrations.31 La rupture ainsi affirmée avec lascience antique et les autorités en général a de profondes consé-quences; la volonté de penser par soi-même, par principes etméthode — celle des physiciens —, explique beaucoup des rupturesdu XVIIIe siècle. La période 1710-1740 est bien un moment clef.

Méthode

Prennent appui sur ces données de la métaphysique moderne lespropositions de méthode et le programme d'études voulus par deVallange. L'essentiel des idées que le siècle va développer est ainsiproposé entre 1710 et 1740. Il est aussi évident que la métaphysi-que n'explique pas tout: les besoins de la société civile — le jésuiteBuff ier fait paraître en 1726 le Traité de la société civile et du moyende se rendre heureux en contribuant au bonheur des personnes avec

2elbid., p. 69.29lbid., p. 139.30lbid., p. 69. Voir également p. 41 : "A quoi sert l'autorité d'Aristote et de

Platon? La vérité est vérité indépendamment des sentimens de ces philosophes... Jefais plus de cas d'un argument ... appuyé sur des principes solides que de toutes lesautorités de tous les philosophes du monde".

31lbid., p. 243.

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qui on vit —, la volonté de rechercher le bonheur des hommes ensociété animent le groupe des réformateurs pédagogiques constituéssurtout par de Valiange, l'abbé Pluche, le père Buffier, Louis Dumas,Py Poulain Delaunay, Dumarsais, des maîtres de pension commeViart et l'abbé Berthaud. Le couple science nouvelle et besoins de lasociété assurent l'apparition d'une véritable école réformatrice dansles premières décennies du règne de Louis XV.

Quelles sont les propositions de cette école réformatrice? Elless'articulent autour des idées suivantes: abréger et récréer, mettre enordre les connaissances, utiliser la voie des sens, enseigner par lapratique et par l'exemple, commencer dès le plus jeune âge, changerle plan d'études pour faire apprendre des choses et non des mots.C'est le programme de réforme voulu par de Valiange qui restera enbonne partie celui du siècle. Il ajoute en plus les premières proposi-tions pour uniformiser l'éducation dans tout le royaume: publier desméthodes approuvées par le roi et imposées partout, établir égale-ment partout un réseau d'Etat d'institutions d'enseignement.

Précisons la méthode en premier lieu. De Valiange veut faciliterla tâche, rendre la connaissance aimable. Son ambition de transfor-mer le royaume par l'éducation, de rendre bergers et bergères plusaimables et moins grossiers commandait un changement de métho-de.32 C'est pourquoi il commence la longue plainte du siècle relativeà la jeunesse maltraitée. Il parle de "traitemens indignes", de "coupsde fouets et de férules", d'"état pitoyable";33 "je me ressouvienstoujours de ces tems de martyre avec indignation" affirme l'au-teur.34 Il faut noter que le martyr des enfants tient autant à laconduite irraisonnée des études qu'aux mauvais traitements eux-mêmes.

Le remède à ces maux est dans la méthode. La première règlepour abréger et faciliter les études est celle des exemples. Il citeSénèque: "longum iter est per praecepta, brève et efficax perexempla", et propose pour toutes les matières d'enseignement uneapproche pratique. De Valiange veut détruire toutes les grammai-res,35 celles de Despautère et de Port-Royal en particulier, mais en

32"Je me figure que l'on pourra rendre la fille du berger plus polie, plus gracieuseet plus spirituelle que pas une de nos filles de qualité de Paris. (...) ne sont elles pasde la même pâte?", p. 367, in Système ou Plan d'une nouvelle méthode.

33lbid., p. 386.3''Nouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de méthodes, pp. 311-313.36"J'ai formé le dessein d'abattre tous ces édifices pompeux qu'on appelle

grammaires, méthodes et traités". Nouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de mé-thodes..., chap. Il, "Abus et inconvéniens généraux dans les traitez et dans lesméthodes sur les sciences".

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compose quelques unes lui-même... II ne veut pas non plus depréceptes pour l'enseignement de la rhétorique: pas de mémorisationdes définitions latines des figures, mais lecture et analyse desauteurs. Sa physique ignore aussi les qualités occultes d'Aristote etles tourbillons de Descartes, la métaphysique veut abandonnertoutes les obscurités scolastiques, la morale s'en tient strictementà la pratique: l'auteur indique comment aider les écoliers à réfrénerleurs sens en les éloignant du mal, en s'abstenant de tout geste oupensée impurs, en les occupant sans cesse, en installant aussi deschambres particulières dans les académies. La même idée qu'il fautenseigner par l'exemple et non par préceptes s'applique aussi àl'enseignement des métiers —"il faut que l'apprentif voye travaillerl'artisan" — 36, et à l'initiation à l'agriculture par la création dejardins. La mode est d'ailleurs à la création de toutes sortes decabinets pour les sciences dans les pensions concurrentes descollèges qui sont les lieux d'expérimentation des nouvelles métho-des.

La seconde règle pour faciliter les études consiste à suivre lavoie des sens. Le premier âge est celui de la mémoire qui nedemande, selon de Vallange, que des yeux, le jugement ne venantqu'après. Ce principe explique les efforts d'ingéniosité des réforma-teurs pour représenter de manière visible toutes les connaissances.De Vallange est l'inventeur des méthodes par cartes et par boites.Il veut suivre )e goût des enfants, — "ils aiment les images, ne lesépargnons pas, pourvu qu'elles soient instructives — invente desméthodes par le moyen des estampes",37 crée des représentationsen relief, enseigne la métaphysique à des enfants de dix ans enimaginant un système de cartes déposées dans des boites, représen-tant les catégories des "brutes" (les animaux) et des hommes,elles-mêmes compartimentées selon les espèces particulières. Samétaphysique est simple matière d'observation. Ce système decartes a été repris par Louis Dumas dans sa méthode de lecture, lebureau typographique déjà évoqué.

D'ailleurs, de Vallange utilise lui-même les images et lesreprésentations dans la méthode de lecture qu'il expose dans son"Nouveau système de l'ortholexie ou de la méthode qui ensègne àlire par règles et par principes, et la belle prononciation".38 Ilinvente un alphabet et une grammogamie (syllabaire) hiéroglyphi-

36Nouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de méthodes, p. 120.37 lbid., p. 118.3eC'est la première partie du Nouveau Système ou Nouveau Plan d'une grammaire

française.

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ques: les lettres étant trop abstraites parce que ne représentant riende sensible, il invente des figures hiéroglyphiques: un a placé sur latête d'une alouette par exemple, ou la syllabe ba sur un bateau.Chaque lettre et syllabe a son hiéroglyphe. L'écolier les "arrange surde petites tablettes en forme de gradins sur son petit bureau. Il neperd point de vue ces hiéroglyphes et ces lettres en sorte que en peude tems il sait tout son alphabet".39 Cet alphabet n'entre pas dansla mémoire que par les yeux, mais aussi "par les oreilles, par lesarticulations de la langue et même par les doigts".40 Voilà desaffirmations que ne renieraient pas nos spécialistes actuels de lalecture/écriture, bien au contraire! Pour appliquer ces principes, deVallange fait installer des tables sablées, cendrées ou recouvertes decoque d'oeuf bien pulvérisée, appelées tables alphabétiques ougrammographiques; l'enfant y dessine les lettres et syllabes pour lesretenir. On l'aide encore par des petits pains, gâteaux, biscuits,masse-pains, joujoux voire bonbons (déconseillés cependant pourraisons de santé) aux formes appropriées. De Vallange applique lesmêmes méthodes pour les mathématiques "où tout est sensible":étude des nombres avec des pommes ou d'autres fruits, ou encoreavec des figures en gâteau, en bois, en métal".41 Il veut faire jouerles enfants, une règle de la nouvelle pédagogie: "j'ai mis en jeu unegrande quantité de mes méthodes, persuadé que ce qu'on apprendavec plaisir s'apprend bien plus facilement et forme des traces bienplus profondes dans la mémoire".42

Pour abréger le temps des études, de Vallange propose toutsimplement d'éliminer les difficultés. Il annonce des démarchespédagogiques levant tous les obstacles, met au point des mécanis-mes d'apprentissage qui distribuent les connaissances et lesgraduent avec beaucoup de soin. Rendre facile, ménager les étapes,ne pas affronter l'enfant à la difficulté, aplanir ce qui fait barrage:voilà ce qui motive les chercheurs en méthodes nouvelles entre 1715et 1740. Après la mort du grand roi, le temps n'est pas à l'austéritémais à l'ouverture et à la facilitation.

L'exemple type de cette volonté pédagogique concerne l'ap-prentissage du latin.43 De Vallange veut commencer par le françaispour suivre le principe qu'il faut aller du connu à l'inconnu. Les

30lbid., p. 46.""Ibid., p. 85."Nouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de méthodes, p. 451.42lbid., p. 123."Sur cette question, voir les chapitres 15, 16 et 17, pp. 163-218 du Système

ou Plan d'une nouvelle méthode pour apprendre facilement et en peu de tems lalangue latine.

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acquis en langage et grammaire français sont transférables au latin:il existe une grammaire générale qui permet d'apprendre toutes leslangues rapidement. Pas de thème chez lui (prescription reprise partous les pédagogues novateurs), mais la pratique de la langue aumoyen de petits ouvrages spécialement composés pour les appre-nants. L'originalité de l'auteur est de proposer l'étude du latin par lemoyen d'une double traduction, les élèves passant du français aulatin et inversement, ayant à leur disposition les deux textes. Ilsmémorisent de plus de petits discours familiers pour apprendre às'entretenir en latin. Ainsi commence dans les petites académies dudébut du 18e siècle la pratique des textes latins spécialementcomposés pour les élèves; ce sont de petits ouvrages pour lesexercer à la syntaxe latine, expurgés de tout ce qui pourraitcorrompre le coeur, remplis au contraire d'instructions diverses:"cours de sentences et pensées ingénieuses", "cours de maximespolitiques", "cours d'apopthègmes", "axiomes latins" de philosophie,de géométrie et d'arithmétique. De Vallange dit encore avoircomposé de petits ouvrages latins sur l'histoire et la religion. Ils'efforce, en vain, de redonner au latin une valeur de formationhumaine qu'il avait au temps de l'éducation humaniste, de redonnerchair à un squelette vide en lui restituant sa fonction de "palestre del'âme".44

Quant à l'explication des auteurs latins, de Vallange préconisela manière suivante: expliquer d'abord en français les matièrescontenues dans le texte, lire la traduction française, donner tous lestermes latins utilisés, lire l'auteur, mais dans la constructionfrançaise, ajouter les mots sous entendus, lire enfin le texte latin telqu'il est. De Vallange, avec ses petits opuscules de latin arrangé etfactice, avec sa méthode progressive d'approcher les auteurs veutappliquer à cette langue morte la méthode naturelle, celle de l'usageet de la pratique, celle d'une langue vivante. Les mêmes principessont utilisés par Dumarsais en 1722 dans la Méthode raisonnée pourapprendre la langue latine utilisée dans les maisons d'éducation.

L'éducation précoce enfin caractérise la méthode d'éducationde de Vallange. Il veut instruire les enfants au plus tôt, éviter letemps perdu des premières années de la vie. La période 1710-1740est celle des enfants précoces, savants et modèles que l'on montreà la cour et dont on présente dans le Mercure l'immense savoir enmême temps que l'excellence du coeur.45 De Vallange veut com-mencer ses instructions dès le berceau, "ce premier âge étant propre

""Selon E. Garin, L'éducation de l'homme moderne (Paris, Fayard, 1995), p. 230.45Voir notre thèse L'idéal pédagogique, pp. 213-214.

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pour les premières impressions des sciences".46 Sans les contrain-dre et par jeu, les enfants ont d'énormes.capacités d'apprendre;c'est pour cela que le pédagogue veut les placer dès leur plus jeuneâge dans des institutions crées par le roi où ils seraient élevés sansqu'il en coûte rien aux familles. Il veut même regrouper les nourris-sons dans de petites académies où les mères viendraient donner latêtée.47 Le programme des enfants serait le suivant:48 apprendreà parler avec des nomenclatures française et latine, l'alphabet, dèsle berceau, les syllabes avant deux ans. Viendraient ensuite lalecture courante "dans moins de huit jours ... quand ils sçavent lessyllabes", puis la conjugaison, l'orthographe et la grammairefrançaise. Les élèves sauront le latin vers six ou sept ans, avant dequitter les mains des femmes. "Je prétens", affirme de Vallange,"qu'en suivant l'ordre naturel, les enfants de cinq ou six anspourront apprendre les élémens de toutes les sciences, et qu'à dixou douze ans, ils pourront les sçavoir assé raisonnablement".49

Exactement comme les enfants modèles montrés au public commeexemples de l'efficacité des méthodes nouvelles.

Le plan d'études: des choses et non des mots

De Vallange veut réformer le plan d'études en même temps quela manière de conduire la pensée et les méthodes pédagogiques.Tout est fortement lié dans son projet de réforme: son objectif viseà recomposer un programme d'éducation conforme, comme les mé-thodes, à la nature humaine, aux besoins de l'homme en société, àses aspirations au bonheur. Dans ce domaine, de Vallange relanceen France une formule choc exprimant bien son projet, formule quisera reprise tout au long du 18e siècle: "je veux des choses et nondes mots", dit-il à propos de l'enseignement philosophique.50 Cetteformule élargie à l'ensemble du plan d'études sera une arme efficacecontre l'enseignement des collèges parce qu'elle correspondait auxvoeux d'une société très préoccupée du développement de la riches-se de la nation en général, et de l'accroissement des arts utiles enparticulier. Avec elle, le XVIIIe siècle s'éloigne de la réformecatholique du siècle précédent. Res non verba, cette incantation fut

*aNouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de méthodes, p. 295."Système ou plan d'une nouvelle méthode, p. 369.^Nouveaux Systèmes ou Nouveaux Plans de méthodes, pp. 334-335."Ibid., p. 244."Ibid., p. 139.

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également celle de tout un mouvement pédagogique. John Locke areproché à l'éducation classique sa dérive linguistique. En Allemagne,l'aspiration à l'école réelle est très forte en ce début du 18e siècle,et Auguste H. Francke commencera à en appliquer les principes àHalle51 avant qu'un disciple, Johan Hecker, ne fonde la premièreRealschule à Berlin en 1747. En France s'établissent également lesécoles de dessein pour les enfants des artisans.

De Vallange veut faire des arts "le capital de l'instruction de lajeunesse", "les sciences et le latin n'en sont que l'accessoire".52 Ilélimine le latin des classes de rhétorique et de sciences, refuse letemps perdu à la versification latine. Il divise le temps de l'éducationen trois strates: la première, de la naissance jusqu'à six/sept ans, estréservée aux langues, y compris les langues mortes. Les enfantsdoivent savoir le latin avant six ans pour ne pas amputer le tempsprécieux où ils doivent apprendre des choses. Depuis sept ansjusqu'à dix, les enfants apprennent les sciences et les arts. Enfin,après cet âge, on les prépare directement à leur futur métier.

Les études sont voulues concrètes et pratiques. La rhétoriquefrançaise rejette les figures de style inutiles, mais apprend parexemple à faire des lettres. Il en est de même pour la philosophie. Laphysique abandonne Aristote et Descartes, s'occupe essentiellementd'histoire naturelle, de morale, de civilité, de politesse et politique,et la métaphysique, comme nous l'avons vu, s'enseigne aux enfantsde dix ans avec des cartes et des boites. De Vallange donne auxsciences exactes une place particulière, aux mathématiques surtout,arithmétique et géométrie, et à la cosmographie, à l'histoire et aux"exercices du corps". Quant aux arts, il voudrait que les enfants enapprennent les principes à raison d'un par jour, et qu'ils aillent dansles ateliers pour les arts mécaniques. Il fait grand cas de l'agriculturequ'il veut enseigner aux princes eux-mêmes. Il pense en cela à lasociété civile: "j'ai parfaitement compris combien il était importantqu'on exerçât notre jeunesse dans les arts libéraux et méchaniques,parce que c'était par ce moyen qu'on pouvait bannir la misère, enmettant tout le monde en état de gagner sa vie et de s'occuper utile-ment et agréablement." Voltaire, Diderot, D'Alembert, la Chalotaiset bien d'autres auront les mêmes préoccupations: réduire l'ensei-gnement des mots, apprendre des choses, allonger le programmed'études par les arts et sciences utiles à la vie sociale et aux besoins

51Voir l'article de Hanno Schmitt, "On the Importance of Halle in the EighteenthCentury for the History of Education", Paedagogica Historica, XXXII, 1 (1996) pp.85-100.

^Académies royales instructives, p. 6.

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matériels de la nation, ne pas éloigner les jeunes gens des métiers deleurs parents.

Des établissements nouveaux

De Vallange en travaillant à "une réforme générale de l'éduca-tion de toute la jeunesse"53 envisage de recomposer entièrementle réseau des établissements existants. Il supprime, dans son projet,écoles, collèges et universités pour les remplacer par un nouveauréseau d'académies organisé selon les milieux (campagne, ville,cour), selon les âges (jusqu'à 6 ans, 7-11 ans, après 11 ans) etselon la qualité des enfants. En 1736, dans ses Académies royalesinstructives, il lance un dernier appel demeuré sans réponse: ils'appuie sur la lointaine approbation que lui aurait accordé le défuntduc de Bourgogne, sollicite vivement le roi, la reine et le cardinal deFleury de mettre en place les établissements souhaités: "il vous seraglorieux", écrit-il au ministre, "(...) d'être l'auteur d'un nombre infinid'établissements capables de renouveller la face de l'univers, enbannissant à jamais le vice, l'ignorance et la misère, pour faire régnertoutes les vertus morales et chrétiennes, toutes les sciences". DeVallange conçoit l'éducation comme facteur de régénérationnationale: les pédagogues emprunteront aussi cette voie au 18esiècle.

Il imagine un système éducatif complet pour l'ensemble desenfants, sous le terme générique d'académies. Il est ainsi le premierà envisager pour les campagnes un système d'établissementspropres, les "domaines académiques",64 les enfants de qualité, des"notables bourgeois" et du menu peuple étant séparés dans desmaisons différentes. Ils y trouveront, dès le berceau, selon l'auteur,toutes les commodités de la vie, gratuitement, nourriture, logementet habits compris. Il veut employer les enfants de trois et quatre ans"aux opérations de l'agriculture" selon une manière de cultiverproduisant plus de trois fois ce que donne la méthode ordinaire. Pourles enfants des artisans, il projette des "laboratoires instructifs",appelés dans un premier temps "manufactures instructives",56 oùils seront également accueillis "au sortir du sein de leur mère". Ils yapprendront "les premiers principes de tous les arts en forme de

"ibid., dans l'"épitre au roi"."Ibid., p. 21 et sq.BSPlans et projets de sciences nouvel/es, p. 460.

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divertissemens".56 Ces établissements annoncent les écoles dedessin si caractéristiques du 18e siècle.

Les "enfans de famille", c'est-à-dire des avocats, médecins,chirurgiens, notaires, procureurs, marchands, un ensemble encoreappelé par de Vallange "noble bourgeoisie", sont dirigés vers les"académies royales instructives" (depuis la naissance jusqu'à 7 ou8 ans, divisées en académies mamillaires, enfantines et puériles)dirigées par des femmes, puis vers les "académies des arts ingé-nieux", aux mains des hommes, après huit ans, et enfin vers les"académies perfectives", c'est-à-dire sacerdotales, militaires, demédecine, d'architecture et de jurisprudence entre autres choses.Les filles de famille bénéficient des mêmes écoles, sauf les dernièrescitées.

De Vallange propose encore, pour les enfants de qualité, troisniveaux d'établissements: les "hôtels royaux académiques" (depuisla naissance jusqu'à 8 ans), les "hôtels académiques" pour appren-dre les arts (8-12 ans) et enfin les "commanderies royales militaires"après 12 ans. Il invente sur le même modèle "les palais académi-ques" pour les jeunes seigneurs de la cour et leurs soeurs, les"louvres académiques" pour princes et princesses.57 Il s'agit biend'un ensemble cohérent et unifié, créé par le roi et son administra-tion, avec l'idée d'unifier les structures dans l'ensemble de l'Etat. DeVallange soutient donc cette idée que l'Etat doit prendre en charge,pour les besoins de la nation, l'éducation des jeunes français, et quel'unité doit prévaloir dans l'organisation comme dans la méthode;dans le même but, il voudrait que le roi autorise des traités écritspour les différentes sciences, "lesquels traités seraient enseignésdans tout le royaume à l'exclusion de tous les autres".58

Pour diriger les études dans le premier niveau d'académies, deVallange propose de créer un ordre d'académiciennes.69 Ces damescélibataires auraient la possibilité de se marier quand elles enexprimeraient le désir, avec l'attribution d'une dot. Une autre grandeoriginalité de de Vallange est son invention du système du monitorat:les enfants jusqu'à trois ans, puis depuis trois ans jusqu'à huit,seraient instruits par déjeunes "muses académiciennes" de huit/neufans pour les premiers, et par des "commilitons prototypes" pour lesseconds. Pour apprendre à parler, à lire et à écrire, et toutes les

56Académies royales instructives, pp. 29-30.57lbid., pp. 57-67.58Nouveaux systèmes ou nouveaux plans d'éducation, p. 40.59Sur cette question, voir l'Art d'élever la jeunesse, ou différens traitez sur les

sciences.

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Page 22: Education et société dans la première moitié du XVIIIe siècle: de Vallange et ses projets de réforme complète de l'éducation 1710–1740

4 3 2 Marcel Grandière

sciences évoquées plus haut, ils ne feront que jouer avec leurs petitspupilles. Le latin sera appris de cette manière sans aucune difficulté.Il ne faudrait, selon l'auteur, que trois mois pour former ces jeunesmoniteurs.60 "Par le moyen de mes méthodes mises entre les mainsdes jeunes muses et des commilitons prototypes, chaque enfantpourra savoir passablement sept à huit sortes de langues vivantesavant qu'ils ne sortent de vos mains" affirme de Vallange auxacadémiciennes. D'autres commilitons et muses de 10/12 ansseraient chargés d'enseigner les sciences. "C'est cette troupemirmidonne que je destine pour détruire l'ignorance, les vices et lamisère" ajoute-t-il avec beaucoup d'enthousiasme.61

Ainsi de Vallange relie avec force éducation et société. Avec lui,l'école paraît un instrument indispensable pour régénérer une sociétédont les besoins sont immenses. La science des savants du 17esiècle, en apportant méthodes, art de penser et savoirs, autorise lesplus grands projets en ce début du règne de Louis XV. C'estpourquoi tout un mouvement cherche à extraire l'éducation desdérives linguistiques où il est tombé, dérives que dénoncent lesphilosophes et les pédagogues.

C'est ce que fait de Vallange qui propose les grands axes deréforme du 18e siècle. Abréger l'étude du latin, enseigner les arts,créer des écoles militaires, donner à l'Etat la direction de l'éducation,privilégier le jeu et le divertissement, transformer la société par lesconnaissances, voire supprimer les collèges..., un tel programme neretint pas l'attention de Louis XV et de son premier ministre, malgréles pressantes sollicitations d'un homme sûr de son fait.

Ce mouvement pédagogique put trouver refuge dans lesacadémies particulières, pensions et maisons d'éducation qui nuirenttant à l'image des collèges et de leurs professeurs et dans les écolesde dessin. Il avait surtout pour lui la méthode des sciences: elledonna aux réformateurs l'écoute du siècle.

""Ibid., p. 30.61lbid., pp. 22-23,41,43.

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