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Décembre 2013 n° 90 La mobilisation des gisements fonciers bien situés au sein de la ville et du bourg représente un enjeu en matière d'aménagement de la ville durable ; enjeu mis en avant par la loi 'accès au logement et urbanisme rénové' (ALUR) attendue en 2014. Cependant, la rétention foncière privée freine cette mobilisation des terrains non bâtis. Elle peut gêner 1) les opérations d'aménagement, 2) la construction de logements neufs, 3) la lutte contre l'étalement urbain en empêchant l'utilisation de terrains bien localisés. Face à une notion floue, trop souvent expliquée par la spéculation, cette synthèse apporte un premier appui aux acteurs de l'urbanisme et de l'aménagement afin d'établir le gisement de terrains longtemps immobilisés, au sein du tissu urbain ou en bordure d'agglomération. Le facteur-clé de la rétention foncière est la vente des terrains non construits entre propriétaires et acquéreurs. La rétention privée est donc repérée à partir de la durée de conservation du terrain non bâti, indépendamment des motivations des propriétaires privés qui l'expliquent. Quatre grandes stratégies des propriétaires expliquent les situations où la parcelle n'est pas mise en vente : 1) la parcelle est utilisée ou destinée à un projet, 2) c'est un patrimoine à transmettre aux enfants, 3) le propriétaire optimise la rétention foncière selon une stratégie économique rationnelle, et 4) le foncier entre dans un portefeuille d'investissement. La rétention foncière privée La rétention foncière privée désigne la conservation par les propriétaires de terrains potentiellement urbanisables alors qu'ils pourraient être mis en vente sur le marché foncier du territoire. Dit autrement, la rétention foncière se définit par l'absence de mutabilité d'un terrain potentiellement constructible. Elle se traduit par une baisse du flux de ventes de terrains sur le marché foncier local. « Pour un territoire de marché considéré, l'offre foncière potentielle correspond à la totalité des biens existants, soit physiquement accessibles, soit juridiquement urbanisables, soit encore techniquement urbanisables. Quant à l’offre effective, elle correspond, à un moment donné, aux biens disponibles sur le marché » (Halleux, 2005). service intermodalité aménagement et logement Economie de l'aménagement Marchés fonciers Identifier et comprendre la rétention foncière Synthèse © Laurent Mignaux/METL-MEDDE

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Décembre 2013

n° 90

La mobilisation des gisements fonciers bien situés au sein de la ville et du bourg représente un enjeu en matière d'aménagement de la ville durable  ; enjeu mis en avant par la loi 'accès au logement et urbanisme rénové' (ALUR) attendue en 2014.

Cependant, la rétention foncière privée freine cette mobilisation des terrains non bâtis. Elle peut gêner 1) les opérations d'aménagement, 2) la construction de logements neufs, 3) la lutte contre l'étalement urbain en empêchant l'utilisation de terrains bien localisés.

Face à une notion floue, trop souvent expliquée par la spéculation, cette synthèse apporte un premier appui aux acteurs de l'urbanisme et de l'aménagement afin d'établir le gisement de terrains longtemps immobilisés, au sein du tissu urbain ou en bordure d'agglomération.

Le facteur-clé de la rétention foncière est la vente des terrains non construits entre propriétaires et acquéreurs. La rétention privée est donc repérée à partir de la durée de conservation du terrain non bâti, indépendamment des motivations des propriétaires privés qui l'expliquent.

Quatre grandes stratégies des propriétaires expliquent les situations où la parcelle n'est pas mise en vente : 1) la parcelle est utilisée ou destinée à un projet, 2) c'est un patrimoine à transmettre aux enfants, 3) le propriétaire optimise la rétention foncière selon une stratégie économique rationnelle, et 4) le foncier entre dans un portefeuille d'investissement.

La rétention foncière privée

La rétention foncière privée désigne la conservation par les propriétaires de terrains potentiellement urbanisables alors qu'ils pourraient être mis en vente sur le marché foncier du territoire.

Dit autrement, la rétention foncière se définit par l'absence de mutabilité d'un terrain potentiellement constructible.

Elle se traduit par une baisse du flux de ventes de terrains sur le marché foncier local.

«  Pour un territoire de marché considéré, l'offre foncière potentielle correspond à la totalité des biens existants, soit physiquement accessibles, soit juridiquement urbanisables, soit encore techniquement urbanisables. Quant à l’offre effective, elle correspond, à un moment donné, aux biens disponibles sur le marché » (Halleux, 2005).

serviceintermodalité aménagement et logement

Economie de l'aménagementMarchés fonciers

Identifier et comprendre la rétention foncièreSynthèse

© Laurent Mignaux/METL-MEDDE

Les enjeux de la rétention foncière privée pour l'aménagement des territoires

Une part du gisement foncier que l'action publique destine juridiquement à l'urbanisation dans le plan local d'urbanisme (PLU) reste aux mains de propriétaires privés sans projet de construction.

Dans les territoires connaissant des tensions sur le marché du logement ou un développement urbain peu durable, la mise sur le marché des terrains non bâtis, urbanisables ou à urbaniser, serait favorable aux politiques de l'aménagement et de l'habitat.

Elle peut contribuer à l'optimisation foncière locale, en parallèle de la densification des parcelles « sous-construites ».

Dans les territoires plus détendus, la mobilisation de terrains facilitant l'urbanisation compacte contribue à une gestion économe des espaces naturels et agricoles.

Du point de vue de la cohérence de l'aménagement du territoire d'une collectivité, la rétention foncière en frange urbaine a deux effets négatifs : la pression à l'extension urbaine et le report résidentiel ou économique vers d'autres localisations du bassin de vie.

Face aux propriétaires fonciers qui conservent des terrains non bâtis bien situés, la lutte contre la rétention répond à

la demande sociale de libérer du foncier.

Cette action foncière gagnerait à mieux comprendre les causes de la non-mise en vente des terrains privés et les choix des propriétaires en dehors de toute action publique. C'est l'une des clés de réussite d'une mise en œuvre adaptée au contexte, des dispositifs de lutte contre la rétention foncière.

Préalablement à l'élaboration de leur stratégie foncière, les collectivités locales qui réalisent un diagnostic foncier auront à identifier la rétention privée.

Le projet de loi 'accès au logement et urbanisme rénové' (ALUR) prévoit de rendre obligatoires le diagnostic foncier dans le PLU et l'étude de densification contenue dans le schéma de cohérence territoriale (SCoT).

Parmi les outils de l'action foncière, les collectivités locales compétentes en urbanisme peuvent infléchir la rétention au moyen d’une fiscalité désincitative en majorant volontairement la taxe foncière des propriétés non bâties (art. 1396 CGI) ou en instaurant une taxation complémentaire sur les plus-values de cession des terrains devenus constructibles (art. 1529 et 1609 nonies CGI).

Le gisement foncier « immobilisé »

Figure 1 – Situer le gisement de la rétention des terrains nus potentiellement constructiblesparmi les autres gisements fonciers

Au cours du diagnostic foncier, 4 gisements fonciers potentiellement constructibles sont repérés :

a) les dents creuses du tissu urbain existant qui représente un stock des terrains privés non bâtis. La majorité donnera lieu à des mises en vente ;

b) les terrains privés bâtis qui peuvent être densifiés au moyen d'une division parcellaire (BIMBY),

d'une sur-élévation des constructions présentes ;

c) la rétention foncière de dents creuses, terrains longuement conservés par leur(s) propriétaire(s) sans projet de construction ;

d) le foncier public mobilisable en faveur des équipements publics et du logement, bâti ou non.

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La rétention au sein du tissu urbanisé ou en frange urbaine

La rétention foncière a 2 composantes dynamiques :

1. A court / moyen terme, le PLU ou PLU intercommunal (PLUi) en vigueur définit les droits à construire. La totalité des terrains non bâtis urbanisables peut alors être mesurée par les « dents creuses », aussi appelée capacité résiduelle d'urbanisation à la parcelle. Toutefois, l'ensemble des dents creuses n’est pas en situation de rétention foncière.

A PLU(i) donné, la rétention foncière est repérée, au sein de la capacité résiduelle d'urbanisation, par la conservation « longue » des terrains (Cf. fig1).

L'action foncière de lutte contre la rétention cible ce gisement afin que les terrains soient libérés au fil du temps grâce à une mise en vente.

2. A moyen / long terme, le document d’urbanisme est susceptible d’évoluer et de modifier la constructibilité des terrains. Les terrains nus des franges urbaines peuvent apparaître comme le lieu privilégié du développement futur de l’habitat et des activités économiques, sous réserve d’une localisation adaptée à l’aménagement durable.

Il s’agit d'un second gisement foncier aux contours imprécis, dont le délai de mobilisation est incertain. Les acteurs publics disposent aussi de leviers d’action en frange urbaine (voir taxes évoquées plus haut).

En fin de vie du PLU(i), le gisement immobilisé par la rétention foncière équivaut au stock incompressible de terrains nus non mis en vente par leur propriétaire.

Volume de la rétention foncière : absence de valeur de référence

L'état de l'art n'a pas permis de faire ressortir de durée de rétention qualifiant la conservation du terrain comme inhabituellement longue.

Il n'apporte pas de valeur de référence reconnue quant au volume de la rétention foncière. Ce dernier apparaît évalué par des mesures diversifiées, tant du point de vue de la méthode que de la fourchette annoncée. Ceci renforce le besoin d'une quantification de la rétention pour éclairer l’action publique touchant au foncier.

La rétention foncière est volontaire

Du point de vue des acteurs publics comme de la filière foncière et immobilière, le refus de vendre peut paraître illogique.

En fait, les 4 grandes stratégies de rétention des propriétaires privés prennent en compte, de manière rationnelle, des facteurs extérieurs aux marchés fonciers et à l'aménagement du territoire. Ces facteurs sont à la fois sociologiques, économiques et financiers.

Toutes amènent les propriétaires privés à conserver volontairement leur terrain, mais toutes ne sont pas spéculatives. Ceci nous fait dire que le caractère

volontaire de la rétention foncière n'est pas un critère décisif de son identification.

La rétention peut être subie dans les cas où la demande de foncier est très faible, le détenteur de la parcelle ne parvient alors pas à vendre.

L'élément important est davantage la capacité de ces gisements fonciers à être remis sur le marché - leur mutabilité – afin de devenir bâtis à terme.

Le panorama des motivations à la rétention foncière donne des clés pour apprécier la mutabilité des parcelles.(Cf.tableau p 4)

La diversité des propriétaires fonciers privés

Le « propriétaire foncier privé » est un offreur potentiel de terrains urbanisables, derrière lequel se cachent 3 figures économiques :

1. le petit propriétaire, parmi un nombre important d'autres propriétaires, qui n'a pas le pouvoir d'influencer seul le marché (prix et quantités échangées). Lorsque les conditions d'échange ne lui conviennent pas, ses leviers d'action sont de retirer son bien de la vente ou de différer la cession s'il en a la possibilité ;

2. le grand propriétaire privé qui possède des surfaces étendues par rapport aux localisations équivalentes pour les demandeurs (bassin de vie, zone d'emploi) ou par rapport à la taille de la commune. Il détient un pouvoir de marché du fait de son monopole ou de l'oligopole qui lui permet d'obtenir un prix de vente supérieur si les

demandeurs sont solvables : si le propriétaire foncier refuse la transaction, les demandeurs ont peu d'alternatives équivalentes.

3. les acteurs de la filière foncière et immobilière - opérateurs fonciers, aménageurs-lotisseurs – pour qui les terrains à urbaniser représentent un facteur de production. Les ventes de foncier se réalisent avec des promoteurs immobiliers ou des bailleurs sociaux selon la logique du compte à rebours qui détermine la charge foncière acceptable et la faisabilité de l'opération d'aménagement.

Le maintien d'un flux de parcelles mis en vente est l'une des conditions de bon fonctionnement de leur activité économique et financière (frais financiers). Leurs motivations particulières ne sont pas traitées ici.

Les 4 grandes stratégies de rétention des propriétaires privés

Les propriétaires qui détiennent un terrain non bâti sans projet de construction durant une longue période, sont souvent porteurs d'un projet de vie (cadre de vie, construction différée, …), d'une transmission familiale ou d'un calcul de 'bon sens' de l'entreprise ou du ménage composant avec les spécificités du marché foncier (stock

de matière première, peu de transparence, conjoncture, besoin de trésorerie, etc.).

La spéculation jouant des variations des prix de marché apparaît comme une motivation parmi d'autres à la rétention foncière.

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Les idées fortes des 4 stratégies adoptées par les propriétaires fonciers privés sont présentées dans le tableau ci-dessous. Le propriétaire foncier peut suivre simultanément plusieurs stratégies-types.

1- Usage immédiatdu terrain non bâti, ou

acquisition anticipée d'une parcelle

2- Transmission familiale du patrimoine

3- Optimisation économique sur un marché singulier

4- Stratégie d'investissement

Le propriétaire utilise la parcelle sans la construire

(prolongement de la propriété bâtie, potager,...) ou organise

une construction future (agrandissement d'activité, nouvelle étape du parcours

résidentiel, …).

Selon la forme du foncier local, le propriétaire constitue un tènement de parcelles pour

créer un îlot de propriété adapté à ses besoins.

La terre et le patrimoine foncier ont

une valeur symbolique.(Chayanov)

Le propriétaire se positionne sur le marché foncier local.

3 particularités « freinent » la mise en vente des terrains :

1- l’offreur détient un quasi-monopole de la

localisation qui intéresse des acheteurs potentiels

(Donzel, Napoleone,2008) ;2- le foncier est un stock de matières premières,

la rétention est donc un levier d'ajustement ;

3- l'opacité du marché est source de désajustements et de

coûts de transaction élevés.

Le foncier est un actif au sein d'un portefeuille

d'investissement diversifié.(Granelle)

Le propriétaire arbitre entre la valeur d'usage du terrain et sa

valeur d'échange.(J.Comby, non daté)

La valeur d'usage dépend de l'utilisateur et des circonstances.

Elle tient également compte des usages productifs que

l'utilisateur peut faire du terrain.

Le propriétaire s'inscrit à la fois dans une logique sociologique

d'héritage et une logique économique de transmission

(Broutelle, A-C., et al, 2011)

Le propriétaire optimise la mise en vente / la rétention afin de

maximiser son profit ou de minimiser ses pertes à la

revente.

La spéculation foncière est une opération commerciale faite pour tirer profit des variations du marché.

Tous les propriétaires fonciers n'ont pas acheté dans l'unique

but de revendre.

L'investisseur foncier recherche un rendement sur investissement.

Ce dernier est lié aux plus-values nettes d'impôts

à la revente et/ou aux loyers attendus d'une mise en location.

Le choix de l'investisseur est fondé sur

la rentabilité comparée des actifs réels (dont le foncier)

et des actifs financiers.(Granelle)

La mutabilité augmente lorsque le coût d'opportunité de

conserver le terrain augmente. En effet, si les gains d'un

échange dépassent de plus en plus la valeur d'usage, le

manque à gagner potentiel augmente. La mise en vente

devient opportune.

La mutabilité s'accroît fortement quand le propriétaire a besoin

de se défaire de son patrimoine (divorce, succession, ..).

En conjoncture baissière ou face aux opérateurs fonciers,

plus la valeur que le propriétaire donne au temps est faible (mise

en vente non contrainte), plus la rétention foncière peut

être judicieuse économiquement.

(V.Renard, 1996, 2006 ; J.Comby, non daté)

La mutabilité s'accroît quand le propriétaire anticipe que sa

plus-value nette d'impôts est forte

relativement au risque.

Inversement, dans une conjoncture haussière,

la rétention s'accroît car le propriétaire anticipe une plus-

value future supérieure. (J.Comby, non daté)

La rétention ne peut diminuer en territoire détendu faute de

demande.

La mutabilité s'accroît fortement quand le propriétaire a besoin

de liquidités ou de se défaire de son

patrimoine (retraite, divorce, succession, ..).

La mutabilité s'accroît également, quand

l'investissement foncier est relativement moins rentable ou que les autres actifs deviennent

moins risqués.

Pour en savoir plus...

Le rapport complet « Identifier et Comprendre la rétention foncière », 2013, 34 pest disponible sur http://www.pays-de-la-loire.developpement-durable.gouv.fr/rubrique Infrastructures et aménagement/Urbanisme et territoires

Service intermodalité aménagement et logement

Directeur de la publication Hubert Ferry-Wilczek

Réalisation et maquettage : Agnès Pouillaude

ISSN 2109-0017