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BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2003, N° 276 (2) 59 FORÊTS DE MONTAGNE / LE POINT SUR… Dynamiques des forêts naturelles de montagne à Madagascar Hanta Rabetaliana Apmm (Association des populations des montagnes du monde) Villa Magali, Ivory-nord 301 Fianarantsoa Madagascar Alain Bertrand Cirad-forêt TA/10 D Campus international de Baillarguet 34398 Montpellier Cedex 5 France Norosoa Razafimamonjy lot II E 9 L M Ambohimirary 101 Antananarivo Madagascar Emilson Rabemananjara BP 1388 301 Fianarantsoa Madagascar Pression démographique, pratiques agraires, riziculture pluviale ou irriguée, cultures de rente et risques cycloniques sont autant de facteurs qui déterminent les transformations des forêts naturelles à l’est de Madagascar, aux fonctions écologiques importantes. Face aux deux types de fronts pionniers, cultures de rente et riziculture irriguée, qui les menacent, une politique de transfert de la gestion des forêts aux communautés rurales peut être une solution, à condition d’en valoriser économiquement les ressources. Les filles reviennent du marché d’Ambohimahamasina, où la vente de quelques écrevisses de la forêt a permis d’acheter une baguette parisienne. Girls on their way home from the market at Ambohimahamasina, where proceeds from the sale of a few freshwater forest crayfish allowed them to buy a Parisian baguette. Photo P. Schachenmann.

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B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 3 , N ° 2 7 6 ( 2 ) 59FORÊTS DE MONTAGNE / LE POINT SUR…

Dynamiques des forêtsnaturelles de montagne

à Madagascar

Hanta RabetalianaApmm (Association des populationsdes montagnes du monde)Villa Magali, Ivory-nord301 FianarantsoaMadagascar

Alain BertrandCirad-forêtTA/10 DCampus international de Baillarguet34398 Montpellier Cedex 5France

Norosoa Razafimamonjy lot II E 9 L M Ambohimirary101 AntananarivoMadagascar

Emilson Rabemananjara BP 1388 301 FianarantsoaMadagascar

Pression démographique, pratiques agraires, riziculture pluviale ouirriguée, cultures de rente et risques cycloniques sont autant de facteurs qui déterminentles transformations des forêts naturelles à l’est de Madagascar, aux fonctionsécologiques importantes. Face aux deux types de fronts pionniers, cultures de rente etriziculture irriguée, qui les menacent, une politique de transfert de la gestion des forêtsaux communautés rurales peut être une solution, à condition d’en valoriseréconomiquement les ressources.

Les filles reviennent du marché d’Ambohimahamasina, où la vente de quelques écrevissesde la forêt a permis d’acheter une baguette parisienne. Girls on their way home from the market at Ambohimahamasina, where proceeds from thesale of a few freshwater forest crayfish allowed them to buy a Parisian baguette. Photo P. Schachenmann.

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FOCUS / MONTANE FORESTS

RÉSUMÉ

DYNAMIQUES DES FORÊTSNATURELLES DE MONTAGNE À MADAGASCAR

Les forêts naturelles humides demontagne couvrent encore des super-ficies significatives dans l’est deMadagascar. Elles ont une faible pro-ductivité mais ont des fonctions éco-logiques importantes. Pressiondémographique, pratiques agraires,riziculture pluviale ou riziculture irri-guée, cultures de rente et risquescycloniques se combinent pourinfluencer de façon diversifiée lestransformations des paysages fores-tiers. La forêt naturelle de l’est estmenacée de longue date par deuxfronts pionniers distincts, à l’est et àl’ouest. À l’est, leur dynamique estdéterminée par les cultures de renteet l’évolution des marchés. À l’ouest,ils sont orientés par le développe-ment de la riziculture irriguée, quiconduit à une disparition presquetotale de la forêt naturelle. Les pay-sages sont, ensuite, recomposés pardes plantations forestières pay-sannes d’eucalyptus. Dans certainscas, les dynamiques de ces deuxfronts sont corrélées et influencéespar les relations économiques éta-blies entre les groupes vivant de partet d’autre de cette forêt d’altitude :les marchés des produits de rente etles stratégies foncières paysannes,qui déterminent les évolutions despaysages forestiers. La mise en placed’une nouvelle politique forestièrefondée sur le transfert de la gestionlocale des forêts naturelles aux com-munautés rurales peut être une solu-tion pour le maintien de la forêt natu-relle d’altitude, si les populationslocales exploitent et valorisent à leurprofit ces espaces forestiers.

MMoottss--ccllééss :: forêt de montagne, frontpionnier, culture de rente, gestionlocale contractuelle, Madagascar.

ABSTRACT

THE DYNAMICS OF NATURALMONTANE FORESTS IN MADAGASCAR

Natural humid montane forests stillcover significant areas in easternMadagascar. Although their produc-tivity is low, they have important eco-logical functions. Demographic pres-sure, agrarian practices, rain-fed orirrigated rice crops, cash crops andcyclones have combined to produceprofound transformations in forestlandscapes. The natural forests ofeastern Madagascar have long beenthreatened by two different factors: inthe eastern part, forest dynamics areconditioned by cash cropping andmarket trends, while to the west, nat-ural forests have been almost entirelylost to irrigated rice crops. Landscapepatterns have subsequently beenmodified by eucalyptus plantations insmallholdings. In some cases, there isa correlation between the dynamicsproduced by these two factors, whichare influenced by economic linksbetween the communities living oneither side of the montane forest, i.e.markets for cash crops and accessstrategies to forest lands both deter-mine changes in forest landscapes.Implementing a new forest policybased on transferring responsibilityfor local forest management to grass-roots level could help to preservethese natural montane forests if localpopulations are allowed to use themfor their own benefit.

Keywords: montane forest, pioneerfront line, cash crop, participatorylocal management, Madagascar.

RESUMEN

DINÁMICAS DE LOS BOSQUESNATURALES DE MONTAÑA DE MADAGASCAR

Los bosques naturales húmedos demontaña cubren aún superficies sig-nificativas en la parte oriental deMadagascar. Tienen una baja produc-tividad pero unas importantes funcio-nes ecológicas. Presión demográfica,prácticas agrarias, cultivo de arroz desecano o de regadío, cultivos comer-ciales y riesgos ciclónicos se combi-nan para influir de distintas manerasen las transformaciones de los paisa-jes forestales. El bosque natural delEste está amenazado desde hacemucho tiempo por dos frentes decolonización distintos, uno al Este yotro al Oeste. Al Este, su dinámicaviene marcada por los cultivos comer-ciales y la evolución de los mercados.Al Oeste, viene determinado por eldesarrollo del cultivo de arroz deregadío, que conduce a una desapari-ción casi total del bosque natural.Posteriormente, se recomponen lospaisajes mediante plantacionesforestales campesinas de eucalipto.En algunos casos, las dinámicas deestos dos frentes están correlaciona-das e influidas por las relaciones eco-nómicas establecidas entre los gru-pos que viven en uno y otro lado deeste bosque de altura: los mercadosde productos comerciales y las estra-tegias campesinas de propiedad de latierra, que determinan las evolucio-nes de los paisajes forestales. La ins-tauración de una nueva política fores-tal basada en la transferencia de lagestión local de los bosques natura-les a las comunidades rurales puedeser una solución para el manteni-miento del bosque natural de altura,si las poblaciones locales explotan yvalorizan en su beneficio propio estosespacios forestales.

Palabras clave: bosque de montaña,frente de colonización, cultivo comer-cial, gestión local contractual,Madagascar.

H. Rabetaliana, A. Bertrand, N. Razafimamonjy, E. Rabemananjara

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L’agriculture a fait disparaître lamajeure partie des forêts naturellesdenses humides de basse altitude àl’est de Madagascar. Ces forêts nesubsistent actuellement que dansquelques aires protégées, comme surla presqu’île de Masoala. Les forêtsnaturelles humides malgaches sontessentiellement constituées de forêtsde moyenne altitude et de forêts demontagne, confinées le long de lafalaise orientale, avec des prolonge-ments sur les Hautes Terres (carte 1).

Forêts naturelles et autres formations

forestières de montagne

Des superficies considérablessont couvertes de plantations fores-tières paysannes d’eucalyptus. Enhaute altitude, au-dessus de 1 800 m,par exemple dans le Vakinankaratra, lepin remplace l’eucalyptus, trop sen-

sible au froid. Ces plantations fores-tières paysannes sont exploitées inten-sivement pour la production de boisd’énergie et l’approvisionnement encharbon de bois des agglomérationsd’Antananarivo, de Fianarantsoa, maisaussi des villes d’Antsirabe, d’Ambosi-tra, d’Ambalavao, etc. Plus à l’ouest,de vastes superficies sont couvertespar des peuplements très clairs d’eu-calyptus sur prairie1 graminéenne.

Les forêts naturelles d’altitudede Madagascar sont caractérisées parune faible productivité. Elles ontcependant des fonctions écologiquesimportantes. Elles se retrouvent entre800 m et 2 000 m d’altitude, dans ledomaine du Centre ou des HautesTerres et dans le domaine de l’Est(Humbert, 1955). Le rôle des forêts demontagne, comme écosystèmes deservice (régulation du régimehydrique et de protection des sols), aune valeur essentielle pour l’écono-mie des régions en aval et les culturesde bas-fond (Razafimamonjy, 2001).

L’accès difficile, l’absence d’in-frastructures routières rendent l’ex-ploitation forestière peu rentable.Toutefois, on peut noter que toutes leszones de forêt naturelle qui sont peuou prou accessibles sont l’objet d’uneexploitation intensive concernant sur-tout les essences commerciales devaleur. Les zones de forêt naturelle lesplus inaccessibles, qui concernent dessuperficies non négligeables, restentau contraire peu dégradées.

On observe de multiples combi-naisons entre pression démogra-phique, pratiques agraires, riziculturepluviale sur brûlis (tavy), disponibilitéen terres pour la riziculture irriguée,risque cyclonique, revenus liés aux cul-tures de rente, accès à la route et auxmarchés à travers les circuits de com-mercialisation. Ces facteurs détermi-nent les modalités des transformationsdes paysages des forêts naturelles demontagne à l’est de Madagascar.

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Introduction Les forêtsnaturelles

de montagne à Madagascar

1 Pour une description plus précise des divers types depaysages forestiers sur les Hautes Terres nord, on pourrase reporter aux différents fascicules du rapport « Étuded’aménagement du bassin versant de l’Ikopa dominant laplaine d’Antananarivo » (Bdpa-Scet-Agri/Gersar-Brl/Eep-Dinika, décembre 1994).

Un très bel arbre, Agauria, espèce résistante au feu, dans la forêt de montagned’Imaitso, Andringitra. A fine specimen of fire-resistant Agauria in Imaitso montane forest, Andringitra.Photo P. Schachenmann.

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Villes

Limite Faritany

Aires protégées au-dessus de 1 000 m

Réseau hydrographique

IEFN au-dessus de 1 000 m

Forêts claires sclérophylles de moyenne altitude

Forêts denses humides sempervirentes de basse altitude

Forêts denses humides sempervirentes de moyenne altitude

Forêts denses sclérophylles de montagne

km

Forêts denses sèches-série à Dalbergia, Commiphora et Hildegardia

Forêts ripicoles et/ou des alluvions

Formations marécageuses

Fourrés xérophiles

Plans d'eau

Prairies altimontaines, savanes et/ou pseudosteppes avec éléments ligneux

Prairies altimontaines, savanes et/ou pseudosteppes sans éléments ligneux

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FOCUS / MONTANE FORESTS

Carte 1. Situation des forêts et des aires protégées au-dessus de 1 000 m d’altitude, à Madagascar. Les nombreuxintervenants dans les forêts de montagne sont de plus en plus cantonnés aux aires protégées. Location of forests and protected areas above 1 000 m a.s.l., in Madagascar. The work of numerousorganisations involved in montane forest environments is increasingly confined to protected areas.

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Par ailleurs, ces zones de forêtnaturelle de montagne sont ledomaine des tavy. Selon la descrip-tion classique, le tavy est une culturede riz pluvial par essartage et culturesans labour. Les parcelles sont défri-chées en forêt secondaire dans unsystème de longue jachère forestière.Ce système de culture existe encoredans diverses zones difficiles d’accès.Il conduit à un maintien durable del’espace forestier naturel d’altitude(Aubert et al., 2002).

Les types d’aménagements del’espace forestier varient aussi selonles représentations sociales de lanature au sein des différentes ethnies(encadré 1).

Les conditions écologiques enaltitude (gel, faible durée d’ensoleille-ment de moins de cinq heures) peu-vent limiter l’extension des activitésagricoles. Dans les terroirs villageoisdisposant d’un couvert de forêtsencore important, les forêts d’altitudesont des zones de pacage importantespour l’élevage bovin extensif. Celas’observe en pays antanala, dans laforêt de Manambolo en pays betsileoaussi bien que dans la forêt d’Ambohi-lero en pays sihanaka2, et constituesans doute une des caractéristiquesmajeures des zones de forêt naturellehumide à Madagascar3 (figure 1).

Deux types de frontspionniers menacent les

forêts naturelles d’altitude

Nous allons montrer que la forêtnaturelle de l’est de Madagascar estmenacée de longue date par deuxfronts pionniers différents. L’un sur leflanc est et l’autre sur le flanc ouest.Leurs caractéristiques et leurs effetssur l’aménagement de l’espace ruralamènent à les distinguer nettement :

▪ sur le flanc est, on observe desfronts pionniers plus ou moins actifsselon les zones considérées, qui sonttous liés aux cultures de rente ; lescaractéristiques des diverses zonesoù se développent ces fronts pion-niers sont étroitement reliées auxdiverses cultures de rente concer-nées ;▪ sur le flanc ouest, on observe égale-ment dans certaines zones des frontspionniers liés au défrichement agri-cole pour le développement de la rizi-culture irriguée.

Certaines zones de forêt natu-relle humide de montagne, au centreet au sud de la côte orientale mal-gache, sont l’objet de défrichementssimultanément par les deux fronts àl’est et à l’ouest.

Types de tavy et frontspionniers agr icoles

Il est courant, à l’est deMadagascar, de désigner sous leterme générique de tavy toutes lespratiques agraires utilisant le feucomme pratique culturale. Cettegénéralisation est abusive et relèved’un simplisme réducteur, qui ali-mente trop souvent les discours etles réflexions des politiques, et mêmede certains scientifiques. Cette « dia-bolisation » des feux, du tavy se nour-rit du catastrophisme récurrent etséculaire sur la déforestation deMadagascar (Bertrand, Randria-naivo, 2002).

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 3 , N ° 2 7 6 ( 2 ) 63FORÊTS DE MONTAGNE / LE POINT SUR…

Figure 1. Aménagement de l’espace dans la région montagneuse du nord de Madagascar.Transect présentant le front pionnier depuis les forêts de basse altitude.Spatial planning in the mountainous area of northern Madagascar. Transectshowing the pioneer front moving in from low altitude forests.

Encadré 1LES PERCEPTIONS ET REPRÉSENTATIONSSOCIALES DES FORÊTS SELON DIVERSESETHNIES MALGACHES

On peut distinguer deux groupes de percep-tions et de représentations sociales de la forêtà partir du regroupement d’un certain nombred’ethnies malgaches : les ethnies forestièrescultivant le riz pluvial ; les ethnies des HautesTerres pratiquant la riziculture irriguée.Chez les ethnies forestières comme lesBetsimisasaraka, les Antanala ou encore lesTsimihety, la forêt, avec des nuances spéci-fiques à chaque ethnie, est un espace de vie,une réserve de terres à cultiver, un refuge etune source de produits multiples. L’espace eststructuré par les tavy, où est cultivé le riz plu-vial, les savoka qui sont les jachères fores-tières des anciens tavy et qui sont périodique-ment remises en culture, enfin la forêtnaturelle. Chez les Betsimisaraka, la sociétéest organisée autour de la pratique du tavy. Unpaysan de Vavatenina déclarait, en 1996, dansune réunion publique, qu’« interdire le tavy,c’est vouloir la mort des Betsimisaraka ».Au contraire, pour les ethnies des HautesTerres comme les Merina ou les Betsileo, l’es-pace humanisé est d’abord structuré par lesrizières aménagées. Les tanety, collines déboi-sées, portent quelques cultures pluvialesannexes. La forêt est un lieu plutôt hostile, malconnu et qui sert de refuge aux bandits et auxfuyards.

2 La zone de Didy a, comme de nombreuses régions de Madagascar, une histoire complexe. Elle fut bezanozano au plus fort de leur extension au xixe siècle, lorsquecette ethnie contrôlait le commerce des esclaves entre les Hautes Terres et lesBetsimisaraka installés sur la côte. Elle devint ensuite sihanaka.

3 Les forêts sèches de la côte ouest de Madagascar servent également de pâturage et de refuge pour le bétail.

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Il convient donc de bien distin-guer les différents types de tavy. Lestavy sont une pratique agraire qui tra-duit, sous diverses formes, les rela-tions entre la société et la nature etentre les groupes sociaux à propos dela nature. Les pratiques des tavyexpriment les dynamiques des sys-tèmes agraires. Celles-ci évoluent etse diversifient en fonction de l’évolu-tion des contraintes économiques

mais aussi des constructions socialeset du changement des représenta-tions sociales de la forêt.

Les fronts pionniers que nousallons décrire utilisent le feu commeoutil agricole de défrichement et sontdonc fréquemment désignés commedes tavy. Ils ont, cependant, danschaque cas des caractéristiques trèsparticulières.

À l’est, des frontspionniers liés auxcultures de rente

On observe dans la zone duNord, où cohabitent Tsimihety etBetsimisaraka, un front pionnierdepuis les forêts de basse altitude,constitué par une agriculture itiné-rante sur brûlis avec aménagementrizicole dans les bas-fonds, des par-celles de café plus ou moins délais-sées et des cultures de vanille enforte expansion sur les bas de versantainsi que, dans un certain nombre decas, proches de la forêt, des planta-tions de gingembre (Zingiber offici-nalis).

Dans la zone centrale de la côteest, on observe un front pionnier trèsdynamique de l’ethnie antànala enprovenance de l’est, tout le long del’escarpement, avec un aménage-ment comparable à celui de l’écoré-gion du nord : aménagement rizicolesur des superficies étroites pour le rizirrigué des bas-fonds, café et bananesur les bas de versant, riz pluvial enhaut de versant.

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FOCUS / MONTANE FORESTS

Hameau dans les montagnes d’Andringitra, proche de la forêt d’Imaitso, avecriziculture irriguée, maïs, haricots verts, cultures maraîchères et arbres fruitiers. A hamlet in the Andringitra range near the forest of Imaitso, with irrigated paddyfields, maize, string beans, vegetables and orchards.Photo P. Schachenmann.

Figure 2. Aménagement de l’espace dans la région montagneuse du sud-est de Madagascar. Transect présentant les deux frontspionniers attaquant le corridor forestier de Ranomafana-Andringitra.Spatial planning in the mountainous area of south-eastern Madagascar. Transect showing the two pioneer fronts encroachingon the Ranomafana-Andringitra forest corridor.

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À Andapa, la dynamiquede la vanil le

Dans l’écorégion des mon-tagnes du Nord (Angap, 2000), cor-respondant aux massifs montagneuxet forestiers du Tsaratanàna, duMarojejy et à la zone de Mananara-nord, les forêts montent jusqu’à2 500 m d’altitude. Le relief très acci-denté limite les surfaces rizicoles,l’économie locale étant dominée parles cultures de rente. Celles-ci concer-naient antérieurement le café (Coffearobusta), mais elles se sont réorien-tées vers la vanille (Vanilla spp.) et,dans une moindre mesure, le gin-gembre.

Toutefois, l’autosuffisance en rizreste l’objectif des ménages, celle-cin’étant que partiellement assurée parla production combinée de riz irriguéet de riz pluvial. La production estcomplétée par des achats de riz finan-cés grâce à la vente des produits derente. Le désenclavement au sein dela région de la Sava, dans les années1970 (Sambava, Antalaha, Vohémar,Andapa), a favorisé la diversificationde la production d’autres cultures derente, vanille, letchi (Nepheliumlitchi), girofle (Eugenia caryophyllus),poivre (Piper nigrum), et l’intensifica-tion de la riziculture. Les plantationsde café et de gingembre sont mainte-nues, selon un mode extensif, dansune logique de meilleure productivitédu travail.

Dans la Sava, les impacts d’unemévente de la production de cafépeuvent être tempérés par la ventede la vanille et vice versa. Mais unemauvaise récolte de riz irrigué, unebaisse importante des prix du café oude la vanille au producteur ont deseffets immédiats sur les superficiesde riz pluvial sur brûlis (figure 2).

Le bœuf est indispensable pourles travaux en riziculture irriguée. Ilest acheté avec l’argent de la vanilleet revendu aussitôt la saison agricolepassée, car les conditions clima-tiques ne sont pas favorables à l’éle-vage bovin.

Autour du parc national monta-gnard de Marojejy, la précarité des res-sources forestières a facilité le trans-fert de gestion des forêts et limité lespratiques extensives. À ce jour, la ges-tion de plus de 10 000 ha de forêts demontagne a été transférée aux com-munautés rurales de base, en applica-tion de la loi 96-025, dite loi Gelose(Gestion locale sécurisée).

La vente des produits d’exporta-tion est favorable à la croissance del’économie locale quand les courssont élevés, comme c’est le cas de lavanille depuis quelques années.Cette croissance induit une stratégied’intensification (sur le riz en irriguépour l’essentiel) et de diversificationd’activités chez les ménages, tantpour les cultures vivrières (riz) quepour les autres cultures de rente

comme le café. Depuis peu, des pro-duits non traditionnels tels que lesépices, les produits de l’agriculturebiologique, les fruits (letchi) etlégumes sont recherchés sur les mar-chés régionaux (océan Indien) etinternationaux (Europe, États-Unis).Mais le niveau économique actueldes ménages permet difficilementl’investissement nécessaire à cetteconversion de l’économie.

L’épargne suscitée par la créa-tion des caisses mutuelles d’épargneet de crédit a induit un changementde comportement des ménages versl’investissement par capitalisation :intensification de la riziculture irri-guée, amélioration de la qualité de lavanille et achat d’outillage agricole(herse, sarcleuse).

Mais de nouveaux défriche-ments sont encore visibles dans lepaysage, liés aux problèmes de ges-tion de la fertilité des sols. Si le pro-gramme environnemental, à traversune approche conservation et déve-loppement intégré, a joué le rôled’impulsion de la croissance de l’éco-nomie locale, d’autres programmesde développement doivent mainte-nant prendre le relais pour assurer unchangement irréversible de compor-tement auprès d’un nombre plusimportant de ménages et préserverainsi les forêts de montagne, leursfonctions environnementales et éco-nomiques (Rabetaliana, 2001).

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Forêt intacte de montagne du versant estdu parc national d’Andringitra. Virgin montane forest on the easternslopes of the Andringitra National Park. Photo P. Schachenmann.

Première récolte de riz en vente aux collecteurs de riz, sur la route d’Andringitra. Selling the first rice harvest to rice collectors along the Andringitra road.Photo P. Schachenmann.

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En pays tanala, une transitioncaféière en panne

Le corridor forestier Ranoma-fana-Andringitra est caractéristiquede la situation que nous évoquonsmaintenant.

On trouve les forêts de 800 m àplus de 2 500 m d’altitude. Le reliefest très accidenté de la falaise orien-tale à l’est du corridor forestier. Celalimite les surfaces rizicoles aména-geables et l’économie repose sur leriz et une culture de rente, le café.Celui-ci est associé à la banane (Musaspp.) et au letchi.

Sur le versant est du corridor, lepeuplement se revendique de l’ethnieantanala. Le comportement productifdes ménages est comparable à celuides ménages des montagnes duNord. Mais l’économie des ménagesantanala est sensiblement plus vul-nérable, du fait que la majorité desménages ne produit qu’une seule cul-ture de rente, le café. Les cours ducafé sont depuis plusieurs années auplus bas. La production de bananepeut constituer un complément ali-mentaire et monétaire, mais de faiblevaleur économique, en raison de l’en-

clavement, de l’éloignement des mar-chés et des difficultés de transport.Le letchi ne concerne que les villagesbien desservis par la route ou le che-min de fer. Bien que le prix du cafésoit descendu à un seuil où la culturene rémunère plus le travail, il serécolte encore. La plantation de caféconstitue une sorte d’épargne surpied pour le cas où les cours devien-draient intéressants.

Les pratiques de culture sur brû-lis de forêt en régions de montagneapparaissent, en pays antanala, direc-tement liées aux facteurs extérieurs, àsavoir les marchés internationaux.

Les paysans ont encore besoindu café pour acheter du riz et les pro-duits de première nécessité. Étantdonné la faible capacité d’investisse-ment de la majorité des ménages, lescultures sans aménagement, doncsans capital, constituent leur seuleoption (Blanc-Pamard, Ruf, 1992).Les jeunes ménages se voient obligésde défricher de nouvelles surfaces rizi-coles en forêt car les parents ne parta-gent pas les rizières avant leur mort.

L’analyse de l’évolution de lacouverture forestière du corridorentre 1974 et 1993 confirme cettedynamique à deux vitesses de la dis-parition des forêts dans le corridorRanomafana- Andringitra. Les superfi-cies défrichées sont plus importantesdans la partie orientale.

Aujourd’hui, le cours du café estau plus bas de l’histoire (1 kg de caféau producteur pour 0,3 kg de riz auconsommateur ; figure 3). Les super-ficies de riz pluvial sur brûlis forestiervont certainement augmenter.

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FOCUS / MONTANE FORESTS

Une maison traditionnelle de l’ethnie baraharonga, dans la forêt d’Ambatomboay,entièrement construite avec des produitsforestiers. Traditional dwelling of the Bara Honga groupin the forest of Ambatomboay, built entirelyfrom forest resources.Photo P. Schachenmann.

Figure 3. Évolution comparative des prix du café (producteur) et du riz (consommateur), qui met l’accent sur l’inégalité, de plus en plusprononcée, de l’échange depuis 1984.Comparative trends in coffee prices (producers) and rice (consumer prices), highlighting the increasingly inequitable tradeterms since 1984.

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Riziculture irriguéeet recompositiondes paysages à

l’ouest de la forêt

En pays betsileo, un recultotal de la forêt naturelle

Un front pionnier de l’ethniebetsileo, plus lent, se développe àl’ouest du corridor forestier dans leszones de montagne et de hautes col-lines. La forêt cède la place à desaménagements rizicoles sur dessuperficies plus larges succédant àdes cultures sur brûlis de maïs, deharicot et, dans un passé récent, depomme de terre. Des feux de renou-vellement de pâturages de fin de sai-son sèche parcourent les milieux déjàouverts. Les plantations d’eucalyptusou de pins sont fréquentes.

Dans la partie ouest du corridor,les pratiques agraires des Betsileosont orientées vers des aménage-ments rizicoles permanents. Les par-celles nouvellement défrichées,encore impropres à la riziculture, sontcultivées en haricot ou en maïs. Après5-6 années, les amenées d’eau sontaménagées, la parcelle peut alorsêtre valorisée pour la riziculture irri-guée. Le processus de capitalisationdes ménages betsileo repose sur lavente du riz, considéré comme uneculture vivrière et de rente, associéeà l’élevage porcin (figure 4).

Pour comprendre la dépendancedes ménages betsileo vis-à-vis del’espace forestier et de ses res-sources, il faut connaître le fonction-nement de l’économie familiale. Le

bœuf et la rizière irriguée représen-tent le capital, l’élevage porcin consti-tue le dépôt à terme des ménages, lavolaille et les produits forestiers sontleur compte courant…

Les conditions climatiques etl’enclavement obligent les ménages àavoir plusieurs activités génératricesde revenus : cultures pluviales (tabac,haricot, maïs, manioc), vente de main-d’œuvre, commercialisation de pro-duits artisanaux (vannerie, tissage),de volaille, de produits forestiers decueillette (anguilles, écrevisses, miel,etc.) et, depuis peu, cultures decontre-saison (pomme de terre).

Les jeunes ménages se voientobligés de défricher de nouvelles sur-faces rizicoles en forêt, du fait que lesparents n’ont pas assez de rizières àpartager. Mais il faut aussi savoirqu’un défrichement représente uninvestissement financier qui n’est pasà la portée de tous les jeunesménages. C’est une décision quirelève de la grande famille car lejeune ménage va de facto sortir deson groupe social et de la vie collec-tive, du fait de la distance entre lesvillages et la forêt. Certains ménagesriches font de la spéculation foncièresur cet espace forestier.

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Consultation des rayaman-dreny, les sages du village d’Ambalamanandray,Andringitra, sur les règles de répartition du pâturage. Consulting the rayaman-dreny, the village elders of Ambalamanandray(Andringitra), on traditional rules involved in apportioning pastureland.Photo P. Schachenmann.

Figure 4. Schéma du processus de capitalisation des ménages betsileo des hautes-collines avec, comme éléments moteurs, le riz et l’élevage porcin.The capitalisation process among upland Betsileo households is driven by paddy farming and pig rearing.

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L’interdépendance entre leséconomies locales contribue à accé-lérer la vitesse des défrichements surces deux fronts pionniers. Leséchanges commerciaux entre l’ethniebetsileo et l’ethnie antanala sontséculaires. De l’ordre de 60 % desménages betsileo sont pauvres etsont contraints de vendre main-d’œuvre et produits artisanaux(outillage agricole, vannerie et tis-sage) chez les Antanala en période derécolte du café. Les revenus de cettevente financent la campagne rizicoledu versant ouest, en pays betsileo.Une crise économique du côté anta-nala a des impacts immédiats surl’économie des Betsileo. Les Antanaladéfrichent alors plus de forêts pourproduire plus de riz pluvial ; lesBetsileo le font pour des cultures àcycle court (haricot et maïs), desti-nées à la vente.

Ce schéma est assez semblableà celui qui a conduit au défrichementdu versant est de la forêt naturelle deManjakandriana, celle dont un pro-verbe merina dit que « la forêt de l’Estne finit jamais ».

Depuis deux siècles l’extensiondu peuplement merina sur les HautesTerres de Madagascar s’est faite dansdifférentes directions. Vers l’est,l’Amoronkay était limité par la « forêtde l’Est », qu’occupaient au début duxixe siècle les Bezanozano, intermé-diaires obligés pour le commerce avecla côte. Les guerres de Radama Ier

réduisirent cet obstacle et chassèrentles Bezanozano à l’est de la forêt deManjakandriana, au pied de l’escarpe-ment de l’Angavo dans l’Ankay. Laforêt de l’Est jouissait, sous la royautémerina, d’un statut particulier de« zone interdite ». Sous la colonisa-tion française, l’exploitation du bois ydevint intense, pour répondre à lademande de la construction urbaine àTananarive. Le processus de colonisa-tion agricole par les Merina passe parune déforestation quasi complètepuis par un reboisement progressifdes tanety avec l’eucalyptus.

La forêt a été entamée pour l’ap-provisionnement en bois d’énergiedes forges et progressivement desconsommateurs urbains (avant queles plantations paysannes d’eucalyp-tus viennent prendre le relais), pourl’exploitation forestière du boisd’œuvre et pour la création des voiesde transport4. L’exploitation fores-tière était restée très limitée sous laroyauté merina. En revanche, la pro-gression des concessions forestièresaccordées par l’administration colo-niale fut très forte dès le début dusiècle.

Le défrichement vers l’est de laforêt de Manjakandriana et le déve-loppement des installations humai-nes merina en Amoronkay se sontréalisés progressivement à diffé-rentes périodes (Rakotomahandry,1989). Les installations ne se sont pasfaites selon l’avancée d’un front pion-nier, mais par une colonisation ponc-tuelle de l’espace et de terres culti-vables encore disponibles pour l’ins-tallation familiale, avec, ensuite, ladensification progressive puis plusrapide du peuplement humain(Chartier-Henry, Henry, 1992).

Les plantations paysannesd’eucalyptus recomposent lespaysages des Hautes Terres

Les paysans malgaches, toutspécialement sur les Hautes Terres enpays merina, comme aujourd’hui enpays betsileo, ont été très rapides às’approprier l’eucalyptus. Dès 1904,on observe les premières ventes deplants entre paysans dans les envi-rons de Manjakandriana. Les plantsd’eucalyptus sont rapidement diffu-sés, de part et d’autre de l’axe routieren construction, par les écoliers quiles chapardent dans les pépinièresscolaires et les ramènent dans les vil-lages même éloignés de la route.

L’installation programmée descolons français est, bien entendu,perçue comme une menace par lespaysans malgaches. Ceux-ci sont très

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FOCUS / MONTANE FORESTS

« Tsimalazo », Helichrysum spp., à 2 500 m d’altitude. “Tsimalazo”, Helichrysum spp., at 2 500 m a.s.l. Photo P. Schachenmann.

En route avec le toaka gasy, rhum traditionnel de canne à sucre, et le mielsauvage de la forêt d’Ambatomboay vers le marché hebdomadaire Alakamisi ;une journée entière de marche à pied. Setting off for the weekly market at Alakamisi to sell toaka gasy, a traditionalspirit made with sugar cane, and wild honey from the forest of Ambatomboay: a whole day’s journey on foot.Photo P. Schachenmann.

4 La route et surtout le chemin de fer (traverses).

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rapides, en maints endroits (en parti-culier autour de Manjakandriana), àdévelopper une stratégie défensivepour bloquer l’installation des colons.Ils utilisent à cet effet une loi promul-guée dans les années du protectorat,avant la conquête, organisant l’imma-triculation collective « indigène » desterres en nom collectif. La majeurepartie des terres est ainsi revendi-quée et immatriculée collectivement,par des groupes de chefs de familleou de chefs de lignage, en cerclesdans les terroirs autour des villages(Le Roy et al., 1991).

L’eucalyptus est aussitôt utilisécomme arbre marqueur des limitesdes nouvelles terres immatriculées. Ildevient donc un outil essentiel de ladéfense foncière contre l’installationdes colons.

Dans le même temps, nombrede paysans malgaches ont compristout le parti commercial qu’ils pou-vaient tirer de la vente de bois au che-min de fer, pour faire circuler les loco-motives. L’eucalyptus ne sert passeulement à marquer les limites desnouvelles terres immatriculées. Il estprogressivement planté sur les tanety(collines) déjà déforestées de longuedate, qui sont des pâturages pauvrescouverts de landes à bozaka (grami-nées et éricacées)5.

Les plantations d’eucalyptus lesplus proches de la capitale contri-buent rapidement à l’approvisionne-ment énergétique en bois de feu puisen charbon de bois des ménagesurbains les plus favorisés. En effet, audébut du siècle, en raison de la raretédes ressources ligneuses sur lesHautes Terres, le combustible domes-tique le plus courant à Tananariveétait le bozaka (herbe séchée).

C’est ainsi que l’eucalyptus aprogressivement conquis desespaces considérables sur les HautesTerres orientales proches d’Antana-narivo. Aujourd’hui, un véritable mas-sif forestier continu s’étend sur unesuperficie de plus de 100 000 ha, dusud d’Anjozobe jusqu’au lac Tsiazom-paniry, l’eucalyptus occupant, danscertains terroirs, plus de 70 % de lasuperficie totale.

Forêts naturellescommunautaires

et plantationsforestièrespaysannes

On peut se demander si les peu-plements d’eucalyptus doivent néces-sairement « suivre » la disparition dela forêt naturelle d’altitude. Les for-mations forestières naturelles sont-elles condamnées à disparaître sousla pression des défrichements agri-coles et de l’avancée des fronts pion-niers ? Quelles sont les causes de lapréférence paysanne pour le défri-chement ? La présente étude apportequelques éléments de réponse.

Stratégies foncières et marchés transforment

l’espace rural

La première conclusion globalequ’il est possible de tirer des cas étu-diés concerne les déterminants destransformations et aménagements del’espace rural par les populations mal-gaches, comme nous l’avions déjà sou-ligné ailleurs, à propos des relationsentre élevage et foresterie rurale dansle Vakinankaratra (Bertrand, 2001) : ▪ la pluriactivité paysanne profite detoutes les opportunités commercialesouvertes par les marchés urbains ; cesont les externalités des marchés quistructurent à long terme l’évolutiondes paysages ;

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5 C’est à ce moment que l’élevage se transforme sur les Hautes Terres et passe d’un élevagemobile extensif de troupeaux à un élevage intensif de production de bœufs d’embouche enfosse pour approvisionner en viande et en lait les consommateurs urbains de Tananarive.

Vente des lambalandi au marché hebdomadaire. Un produit traditionnel en soie sauvage de la forêt d’Ambohimahamasina. Selling lambalandi, traditional cloths made of wild silk from the forest of Ambohimahamasina, at the weekly market.Photo P. Schachenmann.

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▪ les pratiques paysannes combinentla recherche de revenus immédiats etdes stratégies d’accumulation à longterme, en jouant entre foresterie etélevage, pour l’utilisation des res-sources renouvelables.

Une autre leçon peut être tiréede l’analyse des dynamiques desplantations paysannes de l’eucalyp-tus. Elle porte sur la fréquente combi-naison des motivations paysannesconcernant le foncier et la recherchede revenus immédiats.

Or, justement, la situation desforêts naturelles gérées jusqu’à pré-sent nominalement par une adminis-tration forestière omnipotente etexclusive, mais qui n’a pas lesmoyens de son ancienne politiquerépressive, conduit à une situationd’accès libre de fait (Weber, 1996),donc à une course à la dégradation età l’accaparement des terres, et ren-force la rupture entre le légal et lelégitime (Razafindrabe, 1997).

Si les forêts naturelles d’altitudesont victimes de la hache des défri-cheurs, qu’ils soient tsmiety, anta-nala, betsileo ou merina, n’est-ce pasparce que ces forêts ne sont pas suf-fisamment valorisées au profit despopulations rurales qui y vivent leurdifficile quotidien ?

C’est sur la base de ce question-nement que la nouvelle politiqueforestière malgache a été discutée etmise en place, de même que la loi 96-025 sur le transfert de la gestion desressources renouvelables (y comprisles forêts) aux communautés localesde base (loi Gelose). La dernière sec-tion de cette loi traite justement de lavalorisation économique de ces res-sources au profit des populationsrurales.

Gestion communautaireavec ou sans valorisationéconomique des produits

forestiers ?

L’orientation vers une gestiondémocratique des forêts, les trans-ferts de gestion des forêts, approchenée du constat d’inefficacité du ser-vice chargé des forêts, est une dispo-sition légale donnant plus de respon-sabilités aux structures communau-taires dans la gestion des forêts deleur terroir (Ramamonjisoa, 2001). Ils’agit d’un processus favorable à unapprentissage des communautés parl’action.

Les expériences sont nom-breuses mais l’absence fréquente demotivation économique, la concur-rence déloyale des exploitations illi-cites, un service forestier régnanttoujours en maître incitent peu lescommunautés à s’investir dans lagestion durable des forêts. Un impor-tant facteur fait souvent cruellementdéfaut à cette approche : un pland’aménagement concerté impliquanttoutes les parties prenantes (struc-tures communautaires de gestion,service forestier, groupes d’utilisa-teurs, exploitants forestiers).

Les expériences les plus pro-bantes restent, outre celles de larégion de Mahajanga, celles de la

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Pigeon bleu, une espèce rare dans un îlot de forêt sèche du versant ouest des hautes montagnes de l’Andringitra. The blue pigeon, a rare species found in an isolated patch of dry forest on the western slopes of the high mountain range of Andringitra.Photo P. Schachenmann.

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région d’Andapa, promues par le ges-tionnaire du parc national monta-gnard de Marojejy. La réussite dutransfert de gestion des ressourcesforestières s’explique par :▪ une réelle volonté des communau-tés villageoises, très conscientes dela précarité des ressources fores-tières de leur terroir, alors que, dansle corridor Ranomafana-Andringitra,ce sont les Ong et les autoritéslocales qui ont demandé le transfertde gestion ; dans le cas de Marojejy,la superficie de l’espace forestiertransféré reste maîtrisable par lescommunautés (entre 30 et 500 hapour l’essentiel) ;▪ son intégration dans un processusplus global de planification du déve-loppement (intensification rizicole,partenariat pour l’amélioration de laqualité de la principale culture derente, la vanille, microfinance et miseen place de structures de concertationpour un développement concerté),alors que, dans le corridor Ranoma-fana-Andringitra, cette synergie entreles acteurs reste insuffisante.

La question de la valorisationéconomique des ressources dont lagestion est transférée aux commu-nautés rurales apparaît comme uneclé essentielle pour la réussite destransferts de gestion, et donc l’utili-sation sur le long terme de l’espaceforestier en régions de montagne, àMadagascar.

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Récolte du miel sauvage de la forêtd’Ambalabe, Andringitra. Harvesting wild honey inAmbalabe forest, Andringitra. Photo P. Schachenmann.

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Synopsis

THE DYNAMICS OF NATURAL MONTANEFORESTS IN MADAGASCAR

H. RABETALIANA, A. BERTRAND, N. RAZAFIMAMONJY, E. RABEMANANJARA

Madagascar’s montane forests Three types of forest are common on andabove Madagascar’s central high plateau:▪ Large areas with scattered village planta-tions of eucalyptus; ▪ At higher altitudes on and above 1 800 m,pine plantations that are more suited to acooler climate;▪ Remnants of natural sclerophyllous mon-tane forests with dominant speciesbelonging to the genera Agauria spp.,Philippia spp. (Ericaceae) and characteris-tic species such as Weinmannia ruten-bergii.

Eucalyptus and pine plantations havelargely economic functions (supplies offuelwood and construction timber for localuse), while natural forests have importantecological functions providing ecosystemservices, such as watershed protectionand hydrological functions for agriculture.Because of their remote locations, difficultaccess and low productivity, natural mon-tane forests do not have much direct eco-nomic value in Madagascar. The value ofthese forests is perceived in different waysby the various ethnic groups.

Montane forests are under threat from pressures of two kinds Most remaining montane forests are partof a vast corridor running from north tosouth along the eastern escarpment ofMadagascar. Consequently two distincttypes of pressure are exerted, from east towest and from west to east. From east towest, lowland pioneers move slowly upthe escarpment following the configura-tion of the watersheds, slashing and burn-ing the forest to grow rain-fed rice andsubsequently consolidating the spacesopened up with cash-crops such asbananas, coffee, leeches, vanilla, cloves,pepper or ginger, depending on latitudeand altitude. From west to east, highlandpioneers first move into the forest withcattle, and subsequently transform natu-ral montane wetlands into irrigated ricefields. These fragmented forests are then

further threatened and damaged by bushfires originating from the yearly cycle ofpasture burning at the end of the dry sea-son.

Correlation between sustainableecosystem services, demography and market forces

Many remaining montane forests haveecological functions that provide ecosys-tem services. They also offer land reservesfor subsistence and cash crop cultivation.Traditionally, crops such as vanilla, coffee,pepper or leeches represent a farmer’s tra-ditional “live” bank account. Pressures onnatural forest resources vary with fluctua-tions in population density and in nationalor world market prices for forest-grownproducts, . For example, when populationsmigrate into “empty” spaces or world mar-ket coffee prices crash, as in 2001, slashand burn cultivation increases in thesouthern montane forest eco-region as asurvival strategy to meet subsistenceneeds. On the other hand, when vanillaprices are high on the world market, asthey are now, this encourages the growthof a monetary economy, which in turnreduces direct dependence and pressureson forest areas and natural resources inthe country’s northern forest eco-region.

Uncontrolled bush fires and increased fuel-wood harvesting, particularly near largercities, threaten plantation forests of euca-lyptus and pine. Although local communi-ties understand this correlation betweeneconomics and ecology, this is not easilytranslated into action because of the per-verse effects of resource ownership andmanagement rights. In other words,resource users (local communities) haveno rights while the owner (the state) hadno uses for the resource, which effectivelydisconnects the primary objectives of thetwo key stakeholders and forces their rela-tionship into a game of cat and mouse.

Community approaches to naturalresource management Madagascar’s new forest policy and legis-lation are favourable to more sustainablemontane forest management. Key innova-tions include:▪ gradual decentralisation of managementcapacity and user rights to local communi-ties as traditional custodians of naturalresources;

▪ a comprehensive reform of national for-est services and administration.

However, the challenges go far beyond thescope of the national forest policy. Theyinclude external factors, such as globalisa-tion and international economic fluctua-tions, climatic uncertainties and migra-tion, which all exert considerable influenceoon local livelihood strategies. Even thehouseholds in the northern mountain eco-region, which have numerous savingsopportunities, do not want to abandontheir extensive production modes (border-line intensification) and subsidence strate-gies entirely, seeing them as insuranceagainst food scarcities. This vulnerabilityof households is not sufficiently taken intoaccount by policy makers, although it isestimated that 90% of export revenues isgenerated by products grown in mountainregions.

An ecoregional approach This approach seems to have considerablepotential to address both ecological andeconomic processes at different scales. Itsmain weakness, in the initial phase atleast, lies in the fact that such measuresare complex, expensive and usually top-down, donor dependant and result-orien-ted, all factors that are less favourable togradual apprenticeship and to substitu-tion by less costly and more sustainablelocal institutions.

Development and conservation policies Both the NEAP (National EnvironmentalAction Plan) and the RDAP (RuralDevelopment Action Plan) are movingtowards this eco-regional approach. Todate, the mountain regions have devel-oped common policies that are geared totwo strategic objectives:▪ human resources and capacity develop-ment for intensified agricultural produc-tion of competitive, value-added products;▪ rehabilitation of rural roads and irrigationinfrastructureto favour regions with highagricultural potential.

The southern mountainous regions arepromoting protected area developmentand eco-tourism. For households in moun-tain eco-regions, gradual commercialisa-tion of traditional subsistence agricultureis only feasible through improved riskmanagement and higher returns on invest-ments.

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