développement durable et gouvernement d’entreprise : un ... · pdf filestatement...

26
Thierry WIEDEMANN-GOIRAN Frédéric PERIER François LÉPINEUX Développement durable et gouvernement d’entreprise : un dialogue prometteur Préface de Frédéric Tiberghien Président de l’ORSE (Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises) © Éditions d’Organisation, 2003 ISBN : 2-7081-2855-8

Upload: hatuyen

Post on 16-Mar-2018

214 views

Category:

Documents


2 download

TRANSCRIPT

Thierry WIEDEMANN-GOIRANFrédéric PERIER

François LÉPINEUX

Développement durable et gouvernement

d’entreprise : un dialogue prometteur

Préface de Frédéric Tiberghien

Président de l’ORSE(Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises)

© Éditions d’Organisation, 2003 ISBN : 2-7081-2855-8

103

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

4

Le gouvernementd’entreprise :

une mise en perspective

Rappels sur le mouvementdu gouvernement d’entreprise

C’est aux États-Unis, où le thème des relations entre les dirigeantset leurs actionnaires constitue un trait permanent du capitalismeaméricain, qu’est apparue la notion de Corporate Governance

.

L’origine du débat remonte au début des années 1930, lorsqueBerle et Means ont attiré l’attention sur les risques inhérents à laséparation entre la propriété et la direction des sociétés cotées. Ilsavaient alors mis en évidence la nécessité de contrôler lesdirigeants et de préserver les intérêts des petits actionnaires

1

. Le

1. A.A. Berle et G.C. Means,

The Modern Corporation and Private Property

, MacMillan, 1932, 2

e

éd. 1956.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

104

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

développement récent de l’idée de

Corporate Governance

(et de lapratique correspondante), à la suite notamment du rapport Tread-way en 1987

2

, visait à répondre aux préoccupations concernant lefonctionnement des organes de direction des entreprises, et leursrelations avec les actionnaires. Ces préoccupations étaient structu-rées autour de trois axes de réflexion : la légitimité du pouvoirdans les entreprises, la transparence des décisions et l’efficacitédes mécanismes de contrôle des sociétés cotées. Selon le modèlede Corporate Governance dominant outre-Atlantique, le Conseild’administration se doit de poursuivre un unique objectif : maxi-miser le patrimoine des actionnaires

3

; dans cette perspective, ildoit être composé d’administrateurs indépendants. Les intérêtsdes autres parties prenantes ne sont pas pris en compte, puisqu’ilest postulé que la loi du marché le fera.

4

Il s’agit donc d’uneapproche purement capitalistique de l’entreprise, qui consacre laprimauté des apporteurs de fonds propres sur tous les autrestypes d’acteurs.

En Europe, l’émergence de la notion de Corporate Gover-nance est plus récente ; ce retard tient au rôle limité desinvestisseurs institutionnels comme actionnaires des entre-prises, jusqu’aux années 1990. Elle s’est d’abord implantée enGrande-Bretagne, à la suite de plusieurs exemples de dys-fonctionnements majeurs touchant la direction de grandesentreprises (cas de Guinness, BCCI ou Maxwell). Le débat

2. American Institute of Certified Public Accountants,

Report of the National Commission on Frau-dulent Financial Reporting (Treadway Report)

, 1987. Ce premier rapport, qui a joué un rôleimportant dans le débat aux États-Unis, a été suivi d’un second, dix ans plus tard : The Busi-ness Roundtable,

Statement on Corporate Governance

, 1997.3. Ou encore, selon la formule à la mode : « Créer de la valeur actionnariale ».4. L’idée sous-jacente étant que, ce qui est bon pour les actionnaires sert aussi le bien-être

collectif : on retrouve ici la théorie de la « main invisible » de Smith, qui est au fondement dela conception libérale en économie.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

105

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

outre-Manche a été animé par le rapport Cadbury

5

, dont lesrecommandations ont porté sur plusieurs points importants :nécessaire présence au conseil d’administrateurs extérieursau management de l’entreprise, création de comités spéciali-sés et adoption d’un code de bonne conduite fondé sur lesprincipes d’ouverture, d’intégrité et de responsabilité

(accountability).

En France, l’apparition du sujet remonte au début de 1994,l’expression américaine ayant été traduite littéralement par« gouvernement d’entreprise »

6

. Elle se situe dans un contextemarqué à la fois par la montée en puissance des fonds de pensionaméricains et autres grands investisseurs étrangers sur la place deParis, qui souhaitent voir les grandes entreprises adopter desrègles comparables à celles qui ont cours dans leurs paysrespectifs ; et parallèlement, par la prise de conscience des petitsactionnaires de leur capacité d’influence sur les décisions dessociétés, afin que celles-ci ne desservent pas systématiquementleurs intérêts. Par ailleurs, les scandales récents engendrés parcertaines grandes entreprises nationales – à l’instar du CréditLyonnais – ont conduit à remettre en question la concentrationdes pouvoirs entre les mains des PDG, qui, avec le système departicipations croisées entre grandes entreprises, est au cœur dumodèle français.

5. Rapport publié fin 1992. On peut également mentionner deux autres textes plus récents : lesrapports Greenbury (1995) et Hampel (1998).

6. Cette traduction a fait l’objet de contestations multiples : en effet, « gouvernement » ne cor-respond pas à

« governance »

mais à

« government »

; et

« corporate »

ne vise pas les entreprisesen général mais les grandes sociétés. Peut-être aurait-il mieux valu traduire l’expression

« Corporate Governance »

par « gouvernance des grandes entreprises », ce qui serait plusexplicite et prêterait moins à confusion.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

106

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Le premier rapport Viénot (juillet 1995) représente une con-tribution majeure au débat français sur le gouvernementd’entreprise

7

. À la différence de la conception anglo-saxonne, il postule que la mission du Conseil d’administra-tion consiste à défendre en toutes circonstances l’intérêt dela société, qui ne saurait se confondre avec celui des seulsactionnaires

8

. Il considère que la présence d’administrateursindépendants est hautement souhaitable et préconise la miseen place de comités spécialisés au sein du conseil, portantsur les domaines suivants : sélection des administrateurs,rémunération des dirigeants et audit des comptes. Ainsi,chaque entreprise pourrait adopter une organisation statu-taire spécifique, plutôt que de se conformer à un modèleuniforme et impératif.

Au printemps 2002, les entreprises françaises, pour réagir à lacrise de confiance affectant les relations entre les sociétéscotées et leurs actionnaires, ont décidé de compléter lesrecommandations des deux rapports Viénot.

9

D’autres travaux similaires ont été menés au Canada

10

, auJapon

11

, en Allemagne

12

, ainsi que dans certains pays en

7. Viénot,

Le Conseil d’administration des sociétés cotées

, rapport du groupe de travail de l’Association Fran-çaise des Entreprises Privées et du Conseil National du Patronat français, juillet 1995. Ce premier rap-port de place a été suivi d’un second, en 1999 :

Rapport du Comité sur le gouvernement d’entreprise

,Association Française des Entreprises Privées et Mouvement des Entreprises de France, juillet 1999.

8. Le rapport précise que l’entreprise

« poursuit des fins propres, distinctes notamment de celles deses actionnaires, de ses salariés, de ses fournisseurs et de ses clients. »

(p. 8).9. Bouton,

Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées,

rapport du groupe de travail,MEDEF, AFEP-AGREF, Septembre 2002.

10. The Toronto Stock Exchange,

Where were the Directors ? Guidelines for Improved CorporateGovernance in Canada

, Report of the Committee on Corporate Governance in Canada (Rap-port Dey), décembre 1994.

11. Corporate Governance Forum of Japan,

Corporate Governance Principles : A Japanese View

, 1997.12. German Panel on Corporate Governance,

Corporate Governance Rules for Quoted GermanCompanies

, 2000.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

107

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

développement ou « marchés émergents

13

». On observe uneconvergence des conclusions tirées de ces travaux, qui émet-tent des recommandations identiques :

assurer le respect des droits des actionnaires ;

améliorer la transparence de l’information fournie par lesentreprises ;

séparer les fonctions de président du Conseil d’administra-tion et de directeur général ;

nommer au Conseil des administrateurs indépendants ennombre suffisant ;

créer des comités spécialisés.

Ces réflexions ont été relayées au niveau international par lapublication de rapports de l’OCDE sur le sujet

14

.

La réflexion sur le gouvernement d’entreprise est essentielle pourcomprendre les déterminants de la performance des entreprises.Dans cette perspective, certains auteurs en proposent unedéfinition large ; nous indiquons ici celle de G. Charreaux :

« Legouvernement des entreprises recouvre l’ensemble des mécanismesorganisationnels qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs etd’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui gouvernentleur conduite et définissent leur espace discrétionnaire.»

15

Cette définition permet de mieux situer les enjeux inhérents augouvernement d’entreprise, en faisant intervenir l’ensemble des

13.

Cf.

J.G. Holly,

Overview of Corporate Governance : Guidelines and Codes of Best Practice in Deve-loping and Emerging Markets

, 1999.14. OCDE,

Projet de lignes directrices de l’OCDE relatives au gouvernement d’entreprise

, 1998 et

Prin-cipes de l’OCDE relatifs au gouvernement d’entreprise

, 1999.15. Il est intéressant à confronter cette définition avec d’autres définitions de référence. Ainsi,

selon l’Américain Williamson, en 1984, l’expression

« Corporate Governance »

désigne

« l’ensemble des procédures qui régissent le fonctionnement et le contrôle des entreprises »

; et pourles auteurs du rapport Cadbury outre-Manche,

« le système par lequel les entreprises sontdirigées et contrôlées »

.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

108

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

relations qu’entretient l’entreprise avec ses multiples partenaires :actionnaires mais aussi banquiers, salariés, clients, pouvoirs pub-lics et, finalement, toutes les parties prenantes intéressées parl’activité ou le fonctionnement de l’entreprise. La problématique,loin de se limiter aux seules relations entre dirigeants et action-naires, s’élargit alors à tous les

stakeholders

, et peut ainsi s’ouvrir,au-delà de la bonne utilisation des ressources pour créer et main-tenir la richesse, à la recherche du bien commun, en s’appuyantsur des principes éthiques. Elle donne à voir que la responsabilitédes dirigeants n’est pas uniquement civile ou pénale, mais qu’elleest aussi morale. L’ambition qui sous-tend cette conception peutdevenir très vaste : selon J.-C. Shaw, dans cette perspectiveélargie, le comportement des dirigeants

« permettra de faire pro-gresser l’humanité en même temps que l’équité sociale dans un envi-ronnement bien protégé

16

». On rejoint ici les visées dudéveloppement durable.

Ainsi, le débat actuel sur les modèles de

Corporate Governance,

s’il est traversé par de nombreux clivages, semble s’articulerautour d’une distinction fondamentale : celle qui oppose uneconception restreinte, tournée vers les intérêts des seuls action-naires

(shareholders),

à une conception élargie, qui ménage lesattentes de l’ensemble des parties prenantes

(stakeholders)

. Il yaurait lieu ici de s’interroger sur la portée de cette distinction, quin’est pas sans évoquer celle qui a longtemps été posée entre deuxtypes de capitalisme, c’est-à-dire entre un modèle orienté par lavision actionnariale, caractéristique des pays anglo-saxons, d’unepart, et un modèle procédant d’une vision plus partenariale, quicorrespond au capitalisme rhénan ou japonais, plus empreint depréoccupations sociales et de coopération entre les différentes

16. Shaw, J.-C.,

Governance and Accountability, Corporate Governance

, The David Hume Institute,1994.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

109

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

catégories d’acteurs, d’autre part. Faut-il alors considérer que ladémarcation ainsi établie entre les deux modèles de gouvernancerecouvre celle, plus ancienne, des types de capitalisme ? LaFrance, quant à elle, paraît occuper une position intermédiaireentre ces deux modes de gouvernance.

Pour autant, il est également permis de penser qu’une distinctionaussi nette entre les deux types d’approche, pour valide qu’ellesoit, n’en est pas moins quelque peu schématique, et tendrait àsimplifier un sujet marqué par une plus grande complexité qu’iln’y paraît au premier abord. Il n’est pas certain, en effet, que cesdeux conceptions soient totalement contradictoires, et que leuropposition soit irréductible : car, d’une part, les actionnaires peu-vent être attentifs aux effets de l’activité de l’entreprise sur lesautres parties intéressées (y compris l’environnement) ; et d’autrepart, ces dernières peuvent elles-mêmes devenir actionnairespour mieux se faire entendre, lors des Assemblées générales parexemple – si bien que la question des pouvoirs respectifs de cesdeux catégories d’acteurs ne peut être tranchée aussi clairement.En réalité, il semble bien qu’il n’existe pas d’opposition fonda-mentale entre les deux modèles de

Corporate Governance,

maisbien plutôt une différence dans les moyens d’action utilisés parles acteurs concernés ; les deux modèles seraient alors pluscomplémentaires qu’opposés. Dans cette perspective, il devientenvisageable de rechercher les voies d’une conciliation entrel’approche

shareholder

et l’approche

stakeholder,

notamment à tra-vers la prise en compte des critères du développement durable ;il s’agit bien là de l’objet central du présent ouvrage.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

110

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

La prise en comptedu développement durable

dans la stratégie de l’entreprise

Cette seconde section, consacrée à l’intégration des visées dudéveloppement durable dans la stratégie des entreprises, estcomplémentaire de la première, où l’on a examiné les voies de lamobilisation des instruments du gouvernement d’entreprise dansla perspective du développement durable. De plus en plus, cecourant prendra une importance telle que toutes les entreprises(à commencer par les grandes) seront amenées à en tenir compte.Il serait dommage qu’elles se contentent de le faire en termes desimple communication

17

, car la démarche recèle de nombreusesopportunités stratégiques, pour autant que l’on y prête attention.

À titre liminaire, revenons sur le sens de la notion de développe-ment durable telle qu’elle est perçue et mise en œuvre dans lesentreprises. En effet, deux conceptions assez différentes peuventêtre avancées, et font actuellement l’objet d’un intéressant débat.La première conception est centrée sur la dimensionéconomique : la démarche du développement durable vise ledéveloppement économique à long terme de l’entreprise, l’inno-vation au sens classique du terme et la réduction des risquesexternes qui viendraient contrarier cette perspective. Pour laseconde conception, en revanche, la démarche du développe-ment durable consiste à rechercher la pérennité de l’entreprisetout en apportant une plus-value sociétale ou environnementale– les deux termes de cette proposition étant indissociables, oubien l’on sort du paradigme. L’enjeu réside alors dans la capacitéde l’entreprise à « endogénéiser » des paramètres exogènes, afin

17. Comme la loi NRE les y obligera bientôt (

cf

. l’article 116).

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

111

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

de les transmuer en facteurs d’innovation et de développement àlong terme.

Ces deux conceptions, au demeurant, ne semblent pas irréconci-liables, elles renvoient plutôt à la capacité des dirigeants de cha-que entreprise à élargir leur champ de vision et le périmètre deleur rationalité.

Le développement durable : une opportunitéstratégique

L’exercice par les entreprises de leur responsabilité sociale et envi-ronnementale peut revêtir des formes différentes :

favoriser l’emploi, par une gestion prévisionnelle accompa-gnée d’actions préventives visant à développer l’employabi-lité, par l’embauche de jeunes, par l’accueil des chômeurs delongue durée dans le but de les réinsérer ;

jouer le jeu de l’aménagement-réduction du temps detravail ;

gérer en tenant compte des conséquences sur l’environne-ment socio-économique et l’ensemble des parties prenantes ;

contribuer à la vie de la cité, par des actions de mécénat, desponsoring sportif dans les quartiers difficiles, ou la créationd’une fondation d’entreprise ;

favoriser la création d’emplois externes par le soutien audéveloppement local, par l’essaimage, le parrainage ;

recourir à des entreprises d’insertion pour la sous-traitancede certaines tâches ;

mettre en place des partenariats avec des associations,s’impliquer dans la vie communautaire ;

recycler les produits usagés, limiter la consommation d’éner-gie.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

112

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Cette énumération n’est pas exhaustive. Par ailleurs, il appartientà chaque entreprise de trouver les voies par lesquelles elle peuts’inscrire dans la problématique de la responsabilité sociale. Maisla question fondamentale semble bien être celle-ci : la prise encompte du développement durable par l’entreprise, doit-elle semanifester par des actions extérieures à son activité économique,où à travers cette activité même ? Dans ce dernier cas, il estnécessaire de s’interroger sur les implications stratégiques decette prise en compte.

La stratégie d’une entreprise est une question d’adéquation entreses capacités internes et son environnement extérieur. Les métho-des développées dans le cadre de la réflexion stratégique, et lesquestions qui en résultent, découlent de cette proposition. Cesméthodes exigent l’analyse des caractéristiques de l’entreprise,des secteurs d’activité et des marchés dans lesquels elle opère.Les questions principales sont les suivantes : quels sont les critè-res d’une bonne adéquation entre les caractéristiques de l’entre-prise et son environnement externe ? Comment les organisationset leurs dirigeants peuvent-ils favoriser cette adéquation ? Or, ilimporte, pour y répondre, de prendre conscience que l’environ-nement de l’entreprise ne se réduit pas à sa dimension concur-rentielle, mais qu’il comporte aussi les dimensions sociale etenvironnementale.

Le développement durable : un avantage concurrentiel

La prise en compte des préoccupations inhérentes à la responsa-bilité sociale de l’entreprise apparaît alors comme un moyen dese distinguer de la concurrence. Le développement durable et lacitoyenneté d’entreprise deviennent un avantage concurrentiel,s’ils s’inscrivent dans le long terme. En effet, il est de plus en plus

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

113

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

difficile pour les entreprises de se distinguer par la seule qualitéde leurs produits. L’approche stratégique du développementdurable permet ainsi de considérer cette démarche comme unpuissant facteur d’innovation, de lancement de nouveaux pro-duits ou services comportant une valeur ajoutée sociétale ouenvironnementale, donc de différenciation par rapport à laconcurrence, et de création de nouveaux segments de marché.Elle recèle un fort potentiel de développement. L’avance desÉtats-Unis dans ce domaine permet d’observer l’existence d’uncercle vertueux de la performance : une entreprise qui respecteles hommes et l’environnement voit progresser son activité plusvite que la moyenne du marché, ce qui alimente en retour la soli-dité de l’entreprise.

Une double pression sur les entreprises

De plus en plus, les entreprises sont confrontées à une doublepression : celle des consommateurs et de leurs attentes en termesde responsabilité sociale des entreprises, d’une part, et celle desinvestisseurs, dont la sensibilité à la démarche de l’ISR va crois-sant. L’effet

pull

des consommateurs et l’effet push des investis-seurs se combinent pour prendre l’entreprise dans un étau, afinqu’elle se comporte de manière responsable et adopte les vues dudéveloppement durable. C’est le principe de la double sanctionou de la double contrainte, riche de nouvelles opportunités pourl’entreprise.

En réalité, la grande majorité, si ce n’est toutes les grandes entre-prises sont au moins indirectement concernées par la probléma-tique du développement durable, même si leur activité n’est pasdirectement en prise, par exemple, avec les réalités de l’exclusionou de la dégradation de l’environnement. Les collaborateurs de

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

114

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

l’entreprise se montrent de plus en plus sensibles à ces questions,du fait qu’ils savent qu’eux-mêmes ou leurs familles ou prochespeuvent y être confrontés un jour.

Une telle démarche de développement durable, ou de citoyen-neté collective, ne saurait relever uniquement de l’affectivité oudu caractère vertueux de tel ou tel dirigeant, ou se limiter à desactions ponctuelles ou périphériques ; dès que l’organisationentend mettre en œuvre ces actions, il est nécessaire pour elle deles penser en termes stratégiques. Bruno Libert synthétise, en unephrase, les principaux arguments qui confèrent ce caractèrestratégique à l’action citoyenne, et qui ressortissent à la fois auxaspects externes et aux aspects internes de la gestion del’organisation : « La citoyenneté collective est maintenant une straté-gie classique, utilisée par toutes les entreprises exposées – le cas de lagrande distribution dans les quartiers à problèmes –, ou face à desconsommateurs ou des salariés devenus exigeants, particulièrementparce qu’ils ressentent un besoin de sens18. »

Nombreux sont ceux qui pensent que l’intégration de paramètressociétaux ou environnementaux dans la stratégie est une condi-tion de la réussite de la démarche de développement durabledans l’entreprise : ainsi, selon Jan Noterdaeme, coordinateur duréseau CSR Europe à Bruxelles, une démarche sociétale de la partde l’entreprise ne peut être efficace que si elle est « voulue en haut,acceptée par le bas, et qu’elle fait partie intégrante de la stratégie del’entreprise19.

18. Liaisons sociales Magazine, n° 11, avril 2000, p. 30. Bruno Libert est président de l’Alliancepour la citoyenneté des organisations.

19. Liaisons sociales Magazine, op. cit., p. 20.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

115

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

En conclusion, la question de la responsabilité sociale, au senslarge, est une question stratégique pour les entreprises, mêmepour celles qui l’ignorent, aux deux sens du terme20.

Pour illustrer la prise en compte du développement durable dansla stratégie de l’entreprise, on se référera à quatre exemples.

Deux exemples où l’un des axes du développement durable estprivilégié : la dimension sociétale (Deutsche Bank), la dimensionenvironnementale (Ikea).

Approches partielles du développement durable

Une approche centrée sur la dimension sociétale : Deutsche Bank

L’approche de la Deutsche Bank s’exprime en termes deCorporate Citizenship. La banque reconnaît quatre catégo-ries de stakeholders : les actionnaires, les consommateurs,le personnel et la communauté. Ces quatre catégories défi-nissent ses quatre objectifs fondamentaux. Dans cette pers-pective, l’implication dans la communauté représente unobjectif inséparablement lié à celui de la croissance de laShareholder Value. À travers ses programmes de CorporateCitizenship, la Deutsche Bank cherche à répondre auxbesoins de la société et de ses collaborateurs ; à leur offrirdes opportunités de développement des compétences etd’implication dans la vie de la communauté ; et à promouvoirla banque comme étant une entreprise citoyenne et respon-sable.

Les trois domaines d’action privilégiés concernent l’éduca-tion, la micro-finance et l’environnement. Les programmes

20. C’est-à-dire qui ne connaissent pas cette thématique ou qui, la connaissant, ne veulent pas enentendre parler.

Exemple

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

116

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

font l’objet d’une coordination centralisée, mais ils sont appli-qués et gérés localement, afin que les initiatives correspon-dent effectivement aux besoins du terrain et se traduisentsouvent par la mise en œuvre de partenariats avec desacteurs locaux. Il en résulte une amélioration de la motivationdes salariés, du recrutement et de l’image de la banque. Glo-balement, celle-ci joue un rôle de leader au sein de lacommunauté financière ; elle a ainsi été incluse dans le DowJones Sustainability Index. Son ambition, à long terme, estd’être reconnue comme l’un des acteurs majeurs de la Cor-porate Social Responsibility et de développer une culture deresponsabilité au sein de l’entreprise.

Une approche centrée sur la dimension environnementale : Ikea

Chez Ikea, la politique de l’environnement, mise en placedepuis 1990, se décline au quotidien. L’objectif est de veiller,à tous les niveaux, à minimiser les effets nocifs des produitssur la nature. De l’élaboration d’un article à son arrivée dansles magasins, en passant par la fabrication et les transports,tout est contrôlé. On veille ainsi à ne pas détruire les forêtstropicales en coupant trop d’arbres au même endroit. Lesproduits sont emballés dans des cartons plats de façon àcharger au maximum les camions. Ikea France a investi dansdes dispositifs de tri sélectif des déchets pour ses magasinset offre à ses salariés une formation sur le sujet.

Ikea a mis en place, en 1996, le programme Textile : quatrepas verts pour prendre nos responsabilités environnementa-les. Ce programme consiste à vérifier que chaque article tex-tile répond à un certain nombre d’exigences écologiques,classées en quatre niveaux. Chaque fois qu’un modèleatteint l’un d’eux, il fait un « pas vert ». L’objectif consiste,bien sûr, à franchir les quatre pas pour le plus grand nombre

Exemple

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

117

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

d’articles. L’expérience doit être étendue à toutes les autresgammes de produits d’Ikea, à partir de 2003.

En septembre 1998, Ikea a créé, en Suède, la fondationPlanter une graine. Celle-ci a pour but de collecter, dans lesmagasins, les fonds qui serviront à replanter des arbres dansla partie malaise de l’île de Bornéo. En 1999, la Grande-Bre-tagne et la Hollande ont suivi le même exemple. En France,l’opération Sapins de Noël fonctionne très bien : Ikea venddes sapins avec racines et, si les clients les ramènent aprèsles fêtes, ils replantent les arbres en bon état dans des forêtsfrançaises ; ceux qui ne peuvent pas être replantés seronttransformés en compost. D’autres projets sont à l’étude, etIkea est toujours décidée à aller plus loin et à le faire savoir.

L’engagement d’Ikea dans les voies du développement dura-ble ne se limite pas d’ailleurs à l’environnement. L’entreprises’oppose aussi activement au travail des enfants : dans sescontrats, elle a introduit une clause de rupture, en casd’emploi d’enfants par ses fournisseurs. À ce titre, descontrôleurs indépendants effectuent des visites impromptuesdans les usines.

Approches globales du développement durable

Deux exemples ensuite d’approches « globales » du développe-ment durables, où l’ensemble de ses composantes sont intégréesdans la stratégie de l’entreprise : le cas d’une PME (Ben & Jerry’s)et celui d’une multinationale (Shell).

Une stratégie de niche : Ben & Jerry’s

Aux États-Unis, l’exemple le plus marquant d’adoption d’unpositionnement vertueux par une entreprise est sans doutecelui du fabricant de glaces Ben & Jerry’s. L’engagement

Exemple

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

118

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

social et environnemental est l’une des valeurs fondatricesde la marque de crèmes glacées (rachetée par Unilever).

Les deux fondateurs, Ben Cohen et Jerry Greenfield, sont eneffet persuadés que la Linked Prosperity, ou prospérité parta-gée, est l’une des clés du succès en affaires. Leur réussiteest éclatante, et ils sont restés fidèles à leurs convictionsd’origine :

• les glaces sont fabriquées à partir d’un lait écologique(sans hormones de croissance), issu de fermes familia-les du Vermont ;

• les brownies sont produits par une entreprise de Harlemqui réinsère d’anciens détenus ;

• les petits producteurs de café mexicains, auprès des-quels Ben & Jerry’s se fournit, se voient accorder desprix décents, ce qui correspond aux exigences du com-merce équitable ;

• la distribution des glaces est réalisée en partie par desassociations locales d’insertion.

Même le packaging fait l’objet d’une attention spéciale : lespots cartonnés contenant la glace ne sont pas blanchis auchlore, car ce traitement utilise des composés toxiques (dontla dioxine) qui polluent les nappes phréatiques.

Certaines glaces vendues permettent en outre de soutenirune cause particulière ; par exemple, la Wild Maine Blue-berry, préparée avec des airelles achetées aux Indiens duMaine.

Ben & Jerry’s représente ainsi une combinaison unique etexemplaire d’intégration des valeurs de développement dura-ble dans tous les domaines du fonctionnement de l’entre-prise. Il s’agit d’une entreprise socialement responsable auplein sens du terme.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

119

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Le cas d’une multinationale : Shell

Le groupe Shell est engagé dans une démarche de dévelop-pement durable, qui vise à intégrer les dimensions économi-que, sociale et environnementale dans son management,dans une perspective de long terme.

Shell a participé au développement des Global Sullivan Prin-ciples, dont le groupe soutient la mise en application, et asouscrit au défi du Global Compact.

Des systèmes de management relatifs à la santé, à la sécu-rité et à l’environnement ont été mis en place dans pratique-ment toutes les sociétés du groupe, et fixent des objectifs deréduction de la pollution. Shell progresse dans la voie dudéveloppement d’énergies renouvelables commercialementviables. Dans le cadre du programme Sustainable Energy, ilfinance une vingtaine de projets, dans plus de quinze pays,sur quatre continents. Le groupe cherche enfin à développerdes produits innovants, profitables et durables, qui répondentaux besoins des consommateurs.

Le groupe se montre également attentif aux demandes desstakeholders, en particulier les groupes de défense desdroits de l’homme et les communautés locales dans les payspolitiquement sensibles, comme le Nigeria. D’une manièregénérale, les projets à l’étude doivent prendre en compte lesaspects sociétaux et environnementaux pour être retenus, etnon pas seulement les critères financiers.

L’objectif de Shell est que le développement durable fasse unjour parti de sa culture d’entreprise. Le rapport People, Pla-net and Profits (2000) montre l’avancement du groupe sur cechemin exigeant, mais plein d’opportunités, que représentele développement durable.

Exemple

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

121

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Le gouvernement d’entreprise et la prospérité continuepar Philippe BISSARA (délégué général de l’ANSA)

et Joëlle SIMON (directeur des affaires juridiques du MEDEF)

On peut, de prime abord, être sur-pris par le projet de cet ouvragequi associe « gouvernement d’en-treprise » et « développementdurable ». Un vif débat s’était eneffet ouvert après que le premierrapport Viénot21 eut assignécomme finalité de l’action du Con-seil d’administration : « Le seulsouci de l’intérêt de la société ».Cependant, les critiques émises àla parution du rapport Viénot ne sefondaient pas sur l’oppositionentre cet objectif financier et lesnécessités sociales d’une prise encompte des risques encourus parl’environnement ou des intérêtsdes salariés, que préconise lemouvement du développementdurable. Au contraire, formuléesau nom du mouvement du gouver-nement d’entreprise, elles repro-chèrent au rapport de soulignerque l’intérêt général commun detoutes les parties concernées parune entreprise était « d’assurer la

prospérité et la continuité del’entreprise ». C’est précisémentl’idée de continuité qui était incri-minée, au nom de l’intérêt desactionnaires qui, selon certains,impliquerait qu’ils souhaitentessentiellement se partager leplus rapidement possible lesbénéfices tirés de l’activité del’entreprise22.

Les excès boursiers de ces der-nières années et la crise qui endécoule ont calmé cette polémi-que, née d’un aveuglement cir-constanciel, tant il est clair que laprospérité qu’attendent lesactionnaires et les divers parte-naires de l’entreprise s’inscritnécessairement dans la durée.

Cette polémique conduit toutefoisà s’interroger sur les analogies etles différences qu’impliquent lesnotions de durée, mises en avantpar l’un et l’autre des mouve-ments.

21. Le Conseil d’administration des sociétés cotées, juillet 1995.22. Bissara Philippe, « L’intérêt social », in Revue des Sociétés, p. 5, 1999.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

122

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Être à l’écoutedes actionnaires

Le mouvement du CorporateGovernance, ou gouvernementd’entreprise, tend à rétablir lesactionnaires dans leurs droitslégitimes, qui sont supposés, àtort ou à raison, négligés par lesdirigeants des entreprises. Ils’attache à définir des principes etdes procédures dont la mise enœuvre, par les organes des socié-tés cotées, garantirait la diligencedes décisions, prises dans unesprit de loyauté à l’égard desactionnaires et avec transpa-rence. Cela permettrait de fournir,à tout moment, aux opérateurs,sur le marché des titres, des infor-mations sincères et complètes surl’évolution de l’activité et ses con-séquences financières. Ainsi, lesopérateurs pourraient prendreleurs décisions d’investissementou de désinvestissement en con-naissance de cause.

Le but suprême du mouvementdu gouvernement d’entrepriseest donc d’assurer à ceux qui ontmisé ou qui vont miser sur laprospérité d’une entreprise, dontils ont acquis ou vont acquérir lestitres, que leur épargne est en debonnes mains, que les dirigeantsexercent leur tâche avec le soucide la faire fructifier, grâce à laprospérité de l’entreprise. Selon

le type d’investisseur, sera privilé-gié le long terme, par exemplepar des fonds de pension telsque CALPERS, ou le très courtterme, notamment par lesarbitragistes : la perception de ladurée de l’investissement néces-saire pour produire un gain estdonc très variable. Néanmoins,l’évolution du cours de la boursetraduit toujours une anticipationdu futur, qui est rendue plus oumoins plausible par les atouts etles risques de l’activité, ainsi quepar l’examen des performancespassées, des mesures annon-cées et de la conjoncture géné-rale ou sectorielle.

Comment créer de la valeur enpérennisant son patrimoine

Centré sur l’actionnaire, actuel oupotentiel, le mouvement du gou-vernement d’entreprise met plutôtl’accent sur les préoccupations tra-ditionnelles de l’épargnant qui sontd’abord des soucis patrimoniaux :la diversification des risques, gagede la pérennité du patrimoine ; larentabilité financière, qui se traduitpar le slogan « créer de la valeur ».

Libre à chaque épargnant, bienentendu, de subordonner le choixde son investissement non seule-ment à ces objectifs traditionnels,mais également à des préoccupa-tions écologiques, éthiques, socia-

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

123

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

les ou autres. La floraison de fondsspécialisés répond à ces besoins.Par ailleurs, l’apparition d’agencesde notation éthique ou écologiqueou le fait que les syndicats« labellisent » désormais certainsfonds d’épargne salariale attestentégalement de l’importance crois-sante de préoccupations nouvel-les. Encore faudrait-il que cesexigences complémentaires neconduisent pas les épargnants ànégliger les finalités basiques duplacement de leur épargne et àinvestir à tort et à travers dans desactivités, dont les perspectives dedéveloppement sont faibles ou nul-les.

En effet, pour qu’un développe-ment se produise, au niveaud’une entreprise donnée ou de lanation ou du monde, il faut bienque des technologies nouvellessoient mises en œuvre, quesoient fournis les produits et lesservices effectivement réclaméspar la clientèle, sans oublier lesgains de productivité.

Le développement durable, ou l’intérêt général

en question

Le mouvement du développe-ment durable aborde, pour sapart, la question de la productiondes biens et des services sousun angle tout différent, qui est

celui de l’intérêt général. Il pos-tule que le développement n’estni légitime, ni souhaitable, s’ilcompromet l’environnement enpolluant les ressources naturellesles plus sacrées (eau, air, climat)ou s’il compromet la dignité del’homme, en négligeant ses droitsfondamentaux ou en l’avilissantpar la corruption. Qui, dans nospays développés, n’adhéreraitpas à ces exigences ? À pre-mière vue, ces objectifs relèventplutôt des collectivités publiques,dotées du pouvoir d’édicter desnormes au nom de l’intérêt géné-ral et de les faire respecter partous, plutôt que des entreprises,vouées à la production de bienset de services particuliers.

Les entreprises suppléent l’État

Or, ce mouvement est révélateurdu fait que l’intérêt général est demoins en moins garanti par l’Étatet que les citoyens (actionnaires,salariés, consommateurs) se tour-nent dorénavant vers les entrepri-ses pour obtenir réponse à leursattentes. Beaucoup d’entreprisesadhèrent d’ailleurs à ces objectifs,collectivement et individuelle-ment.

D’abord collectivement, carl’ensemble des entreprises estconcerné par les questionsd’intérêt général. Il est étonnant,

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

124

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

à cet égard, d’observer que leMEDEF a délibérément pris partidans le débat. Sa IIIe universitéd’été23 a été consacrée à deuxthèmes ambitieux, la création devaleur et le respect des valeurs, àtravers lesquels les entreprisesont revendiqué leur responsabi-lité et manifesté leur capacité deproposition, en matière de déve-loppement durable. Depuis, leMEDEF a décidé de mettre enplace un comité du développe-ment durable24 et a consacré unforum, à Clermont-Ferrand, surce thème, en novembre 2001. Àcette occasion, Mr Denis Kessler,vice-président délégué duMEDEF, a souligné que : « Ledéveloppement ne peut êtreatteint que par la création derichesse », « le développementdurable implique de raisonner etd’agir dans une perspective àlong terme », et a appelé lesbranches industrielles et lesentreprises à déterminer lamanière d’atteindre les objectifsdu développement durable et« de négocier avec les pouvoirspublics de véritables engage-ments dont la réalisation devraêtre contrôlée par des experts

externes, et leur non-réalisationsanctionnée ».

Quand objectifs riment avec moyens

Les entreprises revendiquent ainsila participation de leurs organisa-tions à la fixation des objectifs et àl’élaboration des moyens, pourque les efforts à accomplir soientproportionnés à leur capacité etcompatibles avec l’évolution,dans la durée, de leur fonction deproduction. Elles sont les mieuxplacées pour mesurer ce qu’ellespeuvent et doivent faire pours’imposer durablement, et souhai-tent donc être écoutées par lespouvoirs publics en ces matières.La proposition commune duMEDEF et de l’AFEP / AGREFpour des engagements négociéssur la réduction des gaz à effet deserre en est l’illustration.

Au niveau de chaque entreprise,comment sont ressentis les objec-tifs d’intérêt général du dévelop-pement durable ? Ces objectifs nesont pas nécessairement incom-patibles avec ceux de l’entreprisequi doit produire et vendre aumoindre coût : la recherche d’unemeilleure efficacité dans l’utilisa-tion d’énergie se traduit ainsi,

23. La revue des entreprises, MEDEF, n° 634, septembre 2001.24. Rapport annuel (2001) du MEDEF.

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

125

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

après une phase d’investisse-ment, par une réduction à termedes coûts.

L’image de l’entreprise influenceson développement

L’image de l’entreprise doit seconformer au demeurant à certai-nes exigences fondamentales del’opinion, notamment en matièred’environnement, sauf, si elle estaltérée, à subir le risque dedésaffections préjudiciables àson développement.

La prospérité concerne tous les acteurs

Par ailleurs, la préoccupationd’une prospérité continue n’esten rien étrangère aux actionnai-res, dont la valeur des titres incor-pore toujours, on l’a dit, uneanticipation du futur de l’entre-prise. Si les préoccupations dudéveloppement durable parais-sent correspondre à celles duconsommateur ou du salarié plu-tôt qu’à celles de l’actionnaire,l’espoir de la durée de la prospé-rité leur est bien commune. Sansentreprise rentable, commentpoursuivre la production desbiens et des services souhaitéspar le consommateur, contribuerà l’amélioration des revenus dusalarié, participer à la protectionde l’environnement ?

La promotion des valeurs

des consommateurs

et des salariés

D’une certaine manière, demême que le mouvement du gou-vernement d’entreprise tend àrestaurer et à affirmer les droitsde l’actionnaire, le mouvement dudéveloppement durable tend àpromouvoir les valeurs des con-sommateurs et des salariés. Sousune terminologie nouvelle, se dis-simule ainsi la triade classique,indispensable à l’entreprise :

• les actionnaires sont indispen-sables parce qu’ils fournissentdes fonds propres, sans les-quels l’entreprise ne sauraitexister et dont il faut assurerune rentabilité suffisante pourattirer les investissements ;

• les salariés doivent être moti-vés pour que l’activité produc-trice soit effectuée au mieux ;

• les consommateurs doivent êtresatisfaits car l’entreprise n’aplus de raison d’être, s’ilsdédaignent les produits ou lesservices proposés.

Cette triade classique a été rajeu-nie et renouvelée par les courantsd’opinion relativement récents duCorporate Governance et dudéveloppement durable.

Les sociétés cotées : du gouvernement d’entreprise au développement durable

126

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

Actionnaires, salariés, consommateurs : une triade en évolution

Cette triade vit un renouvellement àplusieurs niveaux, d’abord par lesvaleurs auxquelles on fait référenceimplicitement ou explicitement :• en proclamant que la création

de valeur peut et doit se fairedans le respect des valeurs ;

• les entreprises affirment qu’iln’y a pas d’incompatibilitéentre le souci premier de larentabilité, qui est une condi-tion permanente de la durée dela prospérité, et les exigenceséthiques ou environnementa-les que peuvent se fixer désor-mais les sociétés développées,grâce à la richesse générée etaux technologies élaborées parleurs entreprises.

À cet égard, historiquement, auxÉtats-Unis et en Grande-Breta-gne du moins, ce sont des affai-res de corruption de grandeampleur qui ont joué le rôle derévélateur des dysfonctionne-ments de certains boards et del’absence de transparence deleur fonctionnement, et ont mar-qué le début de la réflexion sur legouvernement d’entreprise. Celadémontre, si besoin est, qu’unmauvais fonctionnement desorganes de gestion peut favoriserdes comportements contraires à

l’éthique et à la loyauté des affai-res, donc à l’intérêt de l’entre-prise à terme.

Il est important que les organisa-tions professionnelles rappellentcertaines règles de comporte-ments. Dans cet esprit, le MEDEFa mis en place un comité d’éthi-que entrepreneuriale.

Le renouvellement se fait aussipar l’évolution de l’allocation del’épargne : avec le développe-ment des formes nouvellesd’épargne, actionnariat salarié oufonds éthiques ou écologiques, seréunissent à la fois les préoccupa-tions traditionnelles de l’épargnantet celles du salarié ou du consom-mateur, voire du citoyen. Ces nou-velles formes d’allocation del’épargne font coexister, sans lesopposer, des objectifs qualitatifsnouveaux et des objectifs quanti-tatifs traditionnels.

Enfin, le renouvellement se traduitpar une exigence analogue detransparence : de même que lesactionnaires souhaitent être infor-més, quasiment en temps réel,des événements susceptiblesd’avoir un impact significatif surl’entreprise, les consommateurs etles salariés, voire les citoyens,souhaitent être informés à l’avancedes risques que l’activité del’entreprise leur fait courir ou fait

Le gouvernement d’entreprise : une mise en perspective

127

© É

ditio

ns d

’Org

anis

atio

n

courir à son environnement. Laqualité de l’information sur l’entre-prise devient ainsi un élémentessentiel des enjeux auxquels elledoit faire face pour assurer saprospérité et sa continuité.

La relative convergence de mou-vements, à première vue si con-traires, est indéniable et semble

devoir s’inscrire dans la durée, àcondition néanmoins que ne soitpas occultée la fonction premièredes entreprises : produire desbiens et des services correspon-dant aux vœux de leur marché, etdans des conditions de rentabi-lité qui sont indispensables à lacontinuité de leur activité.