Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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Que l’événement traumatique soit une catastrophe naturelle, accident de la route, un incendie ou un attentat, les entreprises du XXIe siècle sont confrontées à une nouvelle donne : composer avec la continuité de l’activité économique, dans un égrégore émotionnel chahuté. Déjà catégorisées comme un risque professionnel pour certains métiers, les menaces terroristes et criminelles, sont-‐elles désormais un risque psychosocial émergent pour tous types d’entreprises et professions ? Bien que les grandes agglomérations et les lieux de fortes concentrations de publics soient les cibles privilégiées, des attaques dans des zones à faible attractivité géographique nous démontrent bien que le risque est partout et également sur les lieux de travail. La société et le monde de l’entreprise sont confrontés à une profonde mutation de leurs conditions de vie, en témoigne ce mois de novembre empreint de dualité : -‐ Le 1er novembre 2015 Journée mondiale : "24 heures de méditation pour la terre". -‐ Le 13 novembre 2015, "Journée mondiale de la gentillesse" pour la bienveillance en entreprise. -‐ Le 14 novembre 2015, après une soirée de terreur à Paris et à 6 semaines des fêtes de fin d’année, un contraste saisissant est observé dans les rues désertes des grands magasins et les cafés parisiens, éteins de leur âme humaine. L’état d’urgence et le deuil national de 3 jours sont décrétés jusqu’au 17 novembre 2015. -‐ Le lundi 16 novembre 2015, malgré l’horreur, le monde des bureaux reprend bel et bien son train quotidien.
1) Le monde de l'entreprise est en reprogrammation cellulaire : Entre la mort lente des modèles économiques traditionnels à la disparition de l’emploi des salariés, les risques latents d’actes criminels et la mort subite de vies humaines dans des attentats, l’employeur doit-‐il encore considérer tous ces évènements dramatiques et tragiques comme trop rares ou exceptionnels ? Fort de ces constats, l’employeur a le choix entre la politique de l’autruche ou le syndrome du cafard. En effet, addict de sensations fortes et en quête quotidienne de désirs éphémères, les comportements des êtres humains de la société occidentale et les systèmes des entreprises modernes, se sont accommodés à de nouveaux modes de fonctionnement : "disponible de suite", "consommé jetable" des produits, services et des informations "breaking news", développant une perte de sensibilité affective de l'individu et d’empathie pour soi et l’autre.
Vie et sécurité en entreprise au sein de la collectivité Focus
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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Comme il est constaté à la suite de chaque catastrophe naturelle avec un lourd bilan humain, les acteurs économiques sont confrontés au dilemme des lois d’attractivité spirituelle et des lois d’attractivité économique. Les décideurs sont tiraillés entre les réflexions et décisions sur : -‐ L'état des prévisions du chiffre d’affaires de leur activité, à en lire les premières réactions d’analystes économiques post-‐évènement traumatique depuis le 15 novembre 2015. -‐ Et les temps de négociations très longs tels des "arbres à palabre", pour bâtir une approche systémique plus globale de la qualité de vie au travail. Et pendant ce temps-‐là… Le salarié confronté à cette nouvelle réalité déstabilisante, devrait-‐il désormais apprendre à gérer seul ses émotions post-‐traumatiques ?
2) De l'acceptation du constat des morts en masse, à l’état de mutation d’être vivant dans l’entreprise Que l’on soit meurtri dans sa chair par la mort brutale d’un ou plusieurs, proches, collaborateurs ou collègues, victimes blessées des attentats ou des personnes choquées par la réalité, comment s’auto-‐motiver pour réaliser les trajets aller-‐retour travail maison en transports communs ou avec son véhicule personnel, sans être dans un état de paranoïa permanente voire de suspicion ou d’agressivité vis-‐à-‐vis d’autrui ? Conscients d’avoir échappé à la mort, nombreux sont ceux et celles qui souffrent de crise de panique, de tétanie, d’insomnies, font des cauchemars. Vivant dans un état constant de peur et d’angoisse. Certains salariés craignent de reprendre le chemin du travail, au point d’envisager de consulter leur médecin traitant ou médecin du travail, pour poser un arrêt maladie de courte ou de longue durée. Que l’on soit employeur ou employé, encadrant, cadre ou encadré, ou l’un ou l’autre à tour de rôle, chacun est dans ce même état de peur et d’inquiétude pour leur vie et celles de leurs proches. Les employeurs font maintenant face aux conséquences psychosociologiques post-‐attentats, pouvant impacter l’ambiance au travail, le calme mental, la paix intérieure et la motivation interne des individus. En tant qu’employeur, vous êtes aujourd’hui face à vos équipes, candidats, clients et partenaires. Du plus sensible au plus distancié face aux évènements, chacun s’observe avec de multiples questionnements propres aux jeux du mental. Bien que chacun soit invité à ne pas sombrer dans la psychose, comment s’assurer qu’en ouvrant la porte des locaux de l’entreprise à un visiteur (candidat, client, livreur, partenaire,…), ou qu’en travaillant en pleine réunion avec plusieurs collègues sur un projet, du risque de ne pas être nez à nez avec une personne prête à commettre un acte de folie ?
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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3) La dynamique du travail face aux conséquences de la mort humaine et aux besoins de la vie économique : Dans ce monde sans pitié du "sois fort, courageux, vaillant et debout contre toute épreuve", les rituels des pauses café-‐clopes suffiront peut-‐être à certains et pas à d’autres, pour libérer les maux par les mots, tant le mal à dire dans ces circonstances est omniprésent. Au même titre qu’il est proposé un protocole et une boîte à outils aux enseignants pour organiser le dialogue avec les élèves après les attentats, pourquoi l’enfant intérieur qui sommeille dans le corps d’adulte en entreprise, n’aurait-‐il pas besoin de s’exprimer dans le cadre d’un dialogue organisé ? Parce que ce dialogue difficile qui fait l’objet de nombreux tabous n’est jamais évident à mener pour l’employeur. Bien que l’intention, la volonté et les compétences en interne soient réunies, les entreprises sont dominées par le rythme de l’urgence et surinvesties des questions de prévisions économiques post-‐attentats. Le temps du système économique est rapide et violent, et ne tolère aucun écart sur les considérations humaines. Comme à l’accoutumée et décuplé dans ces circonstances, les blessures, les émotions et l’état de stress négatif refoulés, l’isolement, le silence, le surinvestissement au travail, l’excès de consommation de nourritures sucrées ou salées, l’alcool, les drogues légales ou illicites, sont d’excellentes béquilles pour garder la face vis-‐à-‐vis des collègues et de la hiérarchie. Les salariés observateurs de ces comportements, malgré la volonté naturelle de venir en aide, ne peut contraindre les collègues concernés à dévoiler leurs besoins et leur réalité, souvent par respect de l'intimité d'autrui et tant ces derniers craignent pour leur image vis à des collègues et de la hiérarchie, craignent pour leur emploi. Alors, en levant quelques minutes la tête de son écran, par une simple observation de son environnement spatial proche, chacun à son niveau, peut contribuer par de petites actions banales (un sourire, un clin d'œil, un coucou de la main, une grimace, une marche dans le jardin intérieur de l'entreprise...) à l’apaisement des angoisses et l’anxiété, pour préserver à minima un état de sérénité au travail et préparer le mental à reprendre le trajet du retour au domicile. L’entreprise pourrait se saisir de l’expérience de cette tragédie, pour migrer vers un nouveau paradigme de qualité de vie au travail et une renaissance du système relationnel entre collègues. L’idée de déployer un dispositif d’accompagnement des salariés pour mieux préparer l’inconscient collectif en entreprise aux nouveaux risques criminels, serait-‐elle saugrenue ? Comment y associer en conscience chaque partie prenante ?
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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Aujourd'hui, bien que Paris soit envahie d'un sentiment profond d'attachement à la survie physique, se libérer de l'énergie collective de la peur en société et en entreprise devient un challenge individuel et collectif. New York, Madrid, Londres, puis en France à Toulouse et Paris, le même scénario de répétition se reproduit : les médias et les réseaux sociaux repassent en boucle les vidéos de scènes de destruction humaine, sont inondés de messages d’incompréhension, de colère, d’angoisse, de peine, de haine, mais aussi de mots, phrases, textes spirituels et philosophiques, d’images, de caricatures et de photos bienveillantes, appelant à la paix, à la solidarité, au respect des valeurs et des convictions, au courage de ne pas se laisser intimider par l’horreur et l’inacceptable. Les échanges au sein de l'espace virtuel des réseaux sociaux et dans la vie de bureau, confrontent l'être humain à des injonctions paradoxales : la peur légitime de la mort et la peur rester en vie pour certains, au désir profond d'exister pour d'autres, tout en ayant peur de perdre la survie matérielle. Des ambivalences de la société occidentale, qui déclenchent un désordre et une perte de cohésion interne, au sein de la sphère sociale, familiale, affective et professionnelle. Dès lors, comment accompagner en entreprise les effets subtils de ces changements et repères spatiaux temporels sur l'être humain au travail, pour préserver dans l'inconscient collectif des sentiments de bien-‐être, d'être bien ancré et bien centré ?
1) La transition -‐ De la chaine humaine sociétale virtuelle à la chaine humaine en entreprise : Loin des échanges informels et lisses entre collègues sur l’actualité, servant de costume au "moi", autoriser un temps de dialogue pour partager dans les locaux de l’entreprise, les réactions émotionnelles liées aux évènements traumatiques, relève en tant qu’employeur, d’un acte courageux, bien que normal. Quel que soit l'interlocuteur interne chargé de cette action, cela lui demande de faire preuve d'une certaine neutralité, de distanciation et de reconnaître que le décideur, manager ou collaborateur compétent, brillant et performant qu'il connaît, est aussi un être humain fragile, vulnérable et peut être ébranlé, par ces nouveaux risques criminels et terroristes lors de ses déplacements professionnels en plein cœur de Paris ou dans le monde. Cela dénote également d’une certaine maturité de compétences comportementales d’écoute, d’empathie, de compassion, de tolérance, d’intelligence de situation, d’honnêteté intellectuelle, pour se dissocier du risque d’instrumentalisation des informations partagées dans un cercle ou groupe restreint, au regard de son grade et du grade ou positionnement d’autrui dans l’entreprise.
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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Quelles que soient ses opinions personnelles, politiques, philosophiques ou convictions religieuses, autoriser en tant qu’employeur l’expression de la peur d’une nouvelle attaque terroriste, son rapport à la mort et l’impermanence pour soi et ses proches, c’est autoriser l'accueil d'une émotion naturelle en équipe et reconnaître ensemble qu'il existe une partie de soi et chez l’autre. C’est un acte humaniste et de responsabilité sociale. 2) Le tabou de l'accompagnement des évènements traumatiques intérieurs et extérieurs à l’entreprise : Les méthodes, approches, outils et dispositifs d’accompagnement collectif pour les évènements traumatiques qui ont lieu dans les locaux de l’entreprise, sont connus des grands groupes, des experts et peu évangélisés auprès des employeurs des petites et moyennes entreprises pouvant être désarmés et pris de cours face à l'imprévisible. Les cellules d’accompagnement psychologiques spécifiques aux grandes tragédies ou aux situations graves isolées (décès d’un patron, d’un cadre dirigeant ou d’un salarié suite à accident de travail ou de trajet, d'une tentative de suicide, d'un suicide,…), existent déjà et sont proposées par la médecine du travail, les CHSCT qui agissent en partenariat ou pas avec les acteurs du conseil. En revanche, le déploiement d’un dispositif d’accompagnement collectif pour des évènements traumatiques extérieurs à l’entreprise est peu développé dans les entreprises françaises. Par ailleurs, tous les employeurs n’ont pas le réflexe de faire appel à un partenaire externe privé ou public, pour motifs de pratiques culturelles d’entreprise, de difficultés à identifier les acteurs correspondant à leurs besoins, de convictions, valeurs et croyances, contraintes temporelles et organisationnelles, financières,…
3) Les pistes d'actions pour les directions générales, RH et opérationnelles Loin du scénario du film d’espionnage et en acceptant que le risque 0 n’existe pas, l’employeur gagnerait malgré tout à s’interroger sur l’intérêt de mettre en place un dispositif d'accompagnement des salariés "Gestion et prévention des attentats". L'actualité économique, sociale et l'agenda RH plongent les décideurs d'entreprise dans une posture opérationnelle quotidienne, qui les éloignent des temps de recul et d'analyse nécessaires sur leurs pratiques, fonctionnements, actions et décisions. Les actions proposées ci-‐dessous ont pour objectif d'accompagner le processus de réflexion et de décision de la direction générale, de la direction RH et des directions opérationnelles, ou toute autre partie prenante à un dispositif d'accompagnement des salariés "Gestion et prévention des attentats" : -‐ Concevoir un dispositif d'alerte pour anticiper le risque, accompagner la dynamique de vie d’équipe et préserver le capital confiance auprès des parties prenantes, en cas de perte d’un à deux tiers des effectifs de personnel lors d'un accident ou d'un attentat. -‐ Proposer un aménagement du temps et des conditions de travail, par la mise en place de nouveaux modes de travail adaptés afin de prévenir le stress lié aux déplacements professionnels dans des zones géographiques à risque. -‐ Définir un plan de communication en organisant des actions de sensibilisation, sur les risques inhérents aux métiers de l’entreprise et lors des déplacements professionnels locaux, nationaux et internationaux.
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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-‐ Déployer un parcours de formation sur les fondamentaux de la Sureté et de la Synergologie avec des anciens professionnels du RAID et du GIGN permettant : A) L’adaptation des capacités du salarié en matière de prévention de gestion ou d’atténuation des conséquences des risques, pouvant affecter les personnes, les biens et l’environnement. B) Le développement des capacités d’observation et des réflexes face à une personne au comportement suspect. -‐ Renforcer l’investissement des formations premiers secours de niveau 1 et 2, ainsi que les formations de remise à niveau. -‐ Mettre à disposition des protections individuelles renforcées : des casques protégeant la tête, des gilets par balles ou gilets en métal pour se protéger d’éventuels tirs de kalachnikovs, des trousses individuelles à pharmacie, des kits individuels de survie, des masques à oxygène... -‐ Des services et espaces sécurisés mis à disposition des salariés : l’accès aux locaux de l’entreprise via des navettes aux carrosseries et vitres blindées, qui récupèrent les salariés depuis leur domicile, des bunkers au sous-‐sol de chaque entreprise… Monsieur l’Agent de sécurité à l’entrée de l’immeuble de l’entreprise est certes rassurant et compétent, tout en étant un être humain ni invulnérable, ni infaillible, ni invincible. 4) Libérer les initiatives d’innovation interne d’intelligence collective Employeurs, vous pensez qu’un dispositif collectif pour prévenir le risque psychosocial émergent, lié aux menaces terroristes et criminelles, relève de la fiction, est inutile, inapproprié, alarmiste et relève plutôt de la responsabilité individuelle de vos collaborateurs et salariés ? Vous pouvez néanmoins, autoriser les volontés de vos collaborateurs de se rendre utile, durant ces prochains jours, semaines, mois, voire années pour : -‐ Mettre en place des rites d’entreprises spécifiques aux situations contextuelles de peur et d’angoisse collectives. -‐ Créer ou renforcer les activités régulières en intérieur et en extérieur proposées par les comités d’entreprises ou les programmes de santé bien-‐être au travail, telles que : A) Des ateliers pratiques de gestion du stress et du mental, s’appuyant sur des approches holistiques pluridisciplinaires. B) Des activités s’appuyant sur les bases des arts martiaux pour décristaliser les émotions figées. C) Des initiatives de salariés ayant la pratique ou la maitrise d’un outil ou d’une méthode pour soutenir le bien-‐être du corps, du mental et de l’esprit. N’oublions pas, tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime dans l’inconscient collectif de votre entreprise. Employeurs, comment envisagez-‐vous de mutualiser l’ensemble des forces individuelles de votre entreprise, pour faire face à la nouvelle ère des évènements imprévisibles et préserver la dynamique émotionnelle collective ? À l’ère de la digitalisation, ces nouveaux risques géopolitiques des temps modernes vont-‐ils décupler la capacité d’innovation et de créativité du génie humain, au point de concevoir des puces électroniques et biométriques, permettant de détecter le danger, à partir de l’aura ou du champ magnétique d’un individu ?
Auteur : Elisabeth Bastide – Coach d’organisation & Consultante RH
Le 17 novembre 2015
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A propos de l’auteur – Elisabeth Bastide Après un parcours opérationnel dans la fonction RH au sein de grands groupes (Orange, Opéra National de Paris, Caisse des dépôts et Institut de Formation de l’UCPA), j’intègre en 2005 les métiers du conseil en management RH et du coaching. De 2008 à 2013, je me lance dans l’expérience entrepreneuriale et fonde Bastide Consulting avec l’appui d’une équipe de 5 à 10 Consultants/Coachs partenaires pour son développement. J’y acquiers une expertise de pilotage de projets multipartenaires au sein d’équipes pluridisciplinaires, dans des contextes de forts enjeux business et social. Mon parcours est enrichi d’une connaissance multisectorielle, renforcée d’une triple posture conseil, formation et coaching. Mes fonctions d’Enseignante au Cnam pendant 4 ans, ont enrichies mes compétences méthodologiques en matière de développement des organisations et des compétences. Mon savoir-‐faire dans l’accompagnement individuel et collectif des cadres dirigeants et de leurs équipes, m’a permis de développer une expertise de la de supervision et d’analyse de pratiques pour des professionnels du secteur privé et public, dans des contextes d’organisations structurelles stables et instables.