Download - Stratégie et imitation concurrentielle
UFR DE SCIENCES DES ORGANISATIONS – ECOLE DOCTORALE DE GESTION - CREPA
THESE
pour l’obtention du titre de docteur en Sciences de Gestion Arrêté du 7 août 2006
Présentée et soutenue publiquement par
PHILIPPE MOURICOU
STRATEGIE ET IMITATION CONCURRENTIELLE :
Une étude des pratiques des programmateurs des radios musicales françaises
JURY
Directeur de thèse : Monsieur Bernard de MONTMORILLON Professeur à l’Université Paris-Dauphine
Rapporteurs : Monsieur Pierre-Yves GOMEZ Professeur à l’EM LYON Business School
Monsieur Xavier LECOCQ Professeur à l’IAE de Lille
Suffragants : Monsieur Pierre ROMELAER Professeur à l’Université Paris-Dauphine
Monsieur Valery ZEITOUN Directeur du label AZ, Universal Music France
MERCREDI 9 DECEMBRE 2009
2
L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans
les thèses : ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
4
Remerciements
’écriture d’une thèse est une tâche trépidante qui n’a rien d’un exercice solitaire. Au
cours des années passées à réaliser ce travail, j’ai eu l’occasion d’accumuler une longue
série de dettes que je serais bien en peine de rembourser. La liste des personnes sans
lesquelles je n’aurais pu mener à bien ce projet est sans fin. Ces quelques mots me
permettront de les remercier.
Mes premiers remerciements sont adressés au professeur Bernard de Montmorillon, mon
directeur de thèse. La patience dont il a fait preuve à mon égard a été infinie et si ses
remarques ont parfois été pour moi une source d’insomnies, c’est parce qu’elles ont stimulé et
largement enrichi ma réflexion. Ce travail n’aurait pas pu aboutir sans ses encouragements et
sans sa bienveillance. Il n’aurait probablement pas été le même si Bernard de Montmorillon
n’avait pas partagé avec moi sa passion pour la théorie des conventions et pour les écrits de
René Girard. Ces quelques mots sont peu de choses en comparaison du soutien qu’il m’a
apporté et du temps qu’il m’a accordé.
Je souhaite également à exprimer, ici, toute ma gratitude envers le professeur Pierre Romelaer
qui m’a prodigué de précieux conseils lors de la pré-soutenance de cette thèse. Nos échanges
continus au fil de ces années, qu’ils soient formels, à l’occasion des séminaires doctoraux du
CREPA, ou informels, au détour d’un couloir ou lors d’une discussion dans la salle des
doctorants, ont largement contribué à me transmettre le virus de la recherche. Pierre Romelaer
reste pour moi un modèle d’intégrité, d’exigence et de curiosité.
Mes plus sincères remerciements aux professeurs Xavier Lecocq et Pierre-Yves Gomez dont
les travaux ont été pour moi une source d’inspiration et qui m’ont fait l’honneur de faire partie
de mon jury de thèse en acceptant d’en être les rapporteurs. Je tiens aussi à remercier très
sincèrement Valery Zeitoun, directeur du label AZ au sein d’Universal Music France, pour
avoir accepté de participer à l’évaluation ce travail.
L
5
Valery Zeitoun fait partie de ces personnes passionnées par leur métier que j’ai eu l’occasion
de rencontrer durant la phase de terrain de ce travail doctoral. Qu’ils officient dans des radios
musicales ou dans des maisons de disques, ces professionnels ont su me communiquer leur
enthousiasme. Je voudrais ici à saluer tout particulièrement Laurent Bouneau, directeur des
programmes de Skyrock, qui a eu la gentillesse de m’ouvrir les portes de l’industrie musicale
et Pierre Lebrun, ancien directeur de la programmation musicale de Fun Radio et de RTL2,
qui m’a accordé énormément de temps. Je me dois par ailleurs de remercier, Sébastien Lebois,
directeur des programmes d’Alouette et Richard Colin (programmateur de la station Voltage
au moment de la collecte des données) avec qui j’ai pris énormément de plaisir à échanger
bien après nos entrevues. Je n’ai jamais eu la sensation d’aller travailler lorsque j’allais
réaliser les entretiens qui ont alimenté le corpus de cette thèse. C’est probablement la raison
principale pour laquelle j’ai prolongé la phase de collecte des données plus longtemps que je
ne l’aurais fait si je m’en étais tenu aux préconisations des ouvrages de méthodologie sur
lesquels je me suis appuyé.
Le travail de terrain nécessite de la rigueur, dans mon cas, il a également été source de plaisir.
J’ai d’ailleurs trouvé dans le groupe de travail « Jeunes chercheurs RADIO » plusieurs
personnes avec qui partager cette passion pour la radio et qui, comme moi, consacraient leurs
travaux académiques à ce secteur. Je rendrai un hommage particulièrement appuyé à Béatrice
Donzelle qui, plusieurs années durant, a consacré une réelle énergie à l’animation de ce
groupe.
J’ai eu la chance de bénéficier du soutien de plusieurs institutions. L’université Paris-
Dauphine et le centre de recherche CREPA m’ont offert un environnement particulièrement
épanouissant. Etudiant, j’ai eu la chance d’y rencontrer des enseignants qui m’ont donné le
goût de la recherche et dont certains sont aujourd’hui devenus de véritables amis. Allocataire
de recherche et moniteur, j’ai pu m’intégrer à une équipe soudée d’enseignants-chercheurs.
Je tiens à saluer Stéphanie Dameron, professeur à l’Université Paris Dauphine, pour la
confiance qu’elle m’a témoigné en m’accueillant dans l’équipe pédagogique de
l’enseignement de management stratégique ainsi que pour sa gentillesse et ses conseils avisés
tant en matière de pédagogie que de recherche.
6
Mes amitiés vont également à Henri Isaac, aujourd’hui directeur de la recherche à l’ESC
Rouen. Passionné de musique, de nouvelles technologies et de politique, Henri fait partie de
ces empêcheurs de penser en rond qui apportent énormément à tous ceux qu’ils côtoient.
Parmi les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer au CREPA, j’adresse ici mes plus
profonds remerciements au professeur Jean-François Chanlat, actuel directeur du centre, et au
professeur Michel Kalika qui l’a précédé. Tous deux ont toujours porté un regard intéressé à
mes travaux et m’ont prodigué de précieuses remarques.
Eric Campoy, Charlotte Fillol, Emmanuel Josserand et Serge Perrot figurent également parmi
les membres du laboratoire avec lesquels j’ai eu beaucoup de plaisir à vivre ces années de
thèse. Je trouve aussi l’occasion de rendre hommage à Ana Druméa et à Florence Parent qui
ont rendu plus agréable encore mon parcours au CREPA.
Le travail doctoral est parfois ponctué de doutes. Je tiens donc à remercier l’ensemble des
doctorants – actuels et anciens – de l’Université Paris Dauphine avec qui j’ai eu l’occasion
d’avoir des échanges stimulants. Mes amitiés vont notamment à Hanane Beddi, Loréa
Hireche, Anouck Adrot, Thibault Bardon, Céline Berard, Marie Bia, Mantiaba Coulibaly,
Julien Cusin, Christophe Elie-Dit-Cosaque, Amine Ezzerouali, Lionel Garreau, Antoine
Harfouche, Aurélie Leclercq, Benjamin Taupin, Céline Viala, Dimbi Ramonjy et Isabelle
Walsh. Je pense aussi à Cécile Belmondo, Frédérique Dejean, Raphael Dornier, Marie Perez,
Julie Tixier et Christophe Torset qui m’ont transmis leur expérience et leur amour de la
recherche. Un merci tout particulier à celles et à ceux qui m’ont soutenu dans la dernière ligne
droite de la rédaction en acceptant de prendre en charge le travail de relecture et de double
codage : Anouck Adrot, Hanane Beddi, Céline Berard, Loréa Hireche et Benjamin Taupin.
Toutes les erreurs qui se trouvent encore dans le document sont bien évidemment les miennes.
Si ce travail n’aurait pu voir le jour sans le soutien de l’Université Paris Dauphine, je me dois
également de mentionner l’Université Paris-Sud et la faculté Jean Monnet où j’ai trouvé un
cadre de travail propice à l’enseignement et à la recherche au cours de mes deux années
d’ATER. Mes salutations les plus sincères sont adressées aux professeurs Sandra Charreire-
Petit et Florence Durieux ainsi qu’à l’ensemble des enseignants-chercheurs et doctorants du
PESOR. J’ai pris énormément de plaisir à participer aux séminaires de ce laboratoire qui ont
été pour moi des moments vivifiants d’échange et de réflexion.
7
J’ai récemment eu l’honneur d’intégrer l’Institut Supérieur de Gestion (ISG) en qualité de
professeur permanent. Je tiens particulièrement à remercier Anne-Marie Rouane (directrice
générale), le professeur Gérard Koenig (conseiller scientifique de l’école), Benoit Lorel
(directeur académique) et Maral Muratbekova-Touron (directrice du département Systèmes,
Décision, Organisation) pour leur confiance.
Ces années de thèse m’ont par ailleurs permis de rencontrer de nombreux chercheurs dans le
cadre des séminaires NVivo que j’ai pris plaisir à animer à Dauphine mais aussi à l’Université
Saint-Joseph (Beyrouth), à l’ESCEM (Tours-Poitiers) ou encore à HEC Genève. Ces
moments ont été l’occasion de discussions passionnantes autour des méthodologies
qualitatives et de l’analyse des données. Mes amitiés vont particulièrement à Géraldine de La
Rupelle (ESCEM) avec qui j’ai désormais la chance de travailler sur plusieurs projets de
recherche.
L’isolement que peut parfois ressentir un chercheur à certaines phases de son travail, si
nécessaire à la production scientifique soit-il, peut parfois être éprouvant. Ces moments
auraient pu être douloureux si je n’avais pas eu à mes côtés des amis fidèles, patients et
enthousiastes. Ces derniers ne réalisent probablement pas à quel point leur présence a été pour
moi essentielle. Les quelques mots qui vont suivre me permettront donc de remercier Marc-
David Choukroun, Eléonore De La Varde, Clément Lacoin, Erwan Le Gal, Pierre Moure et
Fabien Sécherre. Un merci particulier à Erwan et Fabien qui ont accepté de prendre en charge
une partie du fastidieux travail de relecture de la thèse. Je tiens par ailleurs à saluer Julien
Marthon, aujourd’hui animateur sur la station parisienne Ouï FM, qui n’a probablement pas
été étranger au choix du sujet de cette recherche.
Mes proches ont eu à subir mes absences, les semaines sans nouvelles, les vacances
studieuses. C’est à ma famille que je consacrerai donc mes derniers mots de remerciements.
J’adresse toute ma reconnaissance à mon grand-père qui a souvent redouté que je ne
parvienne pas à terminer ce projet, à ma grand-mère, à mon grand-oncle et à ma grand-tante.
J’ai également une pensée émue pour mon père, aujourd’hui disparu, et bien sûr, pour ma
mère qui, malgré la distance géographique, n’a jamais cessé de m’épauler.
8
Sommaire
Remerciements ................................................................................................................................................ 4
Introduction générale ..................................................................................................................................... 12
Première partie : Revue de la littérature
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent .............................................................................................................. 26
1. Quelques éléments de définition ............................................................................................................. 28
2. Une critique théorique ............................................................................................................................. 32
3. Des réalités empiriques ........................................................................................................................... 41
4. Vers une approche explicative et tournée vers les pratiques ................................................................. 52
Résumé du chapitre 1 ....................................................................................................................................... 67
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation ........................................................................................................ 68
1. Les approches instrumentales de l’imitation ........................................................................................... 69
2. Les approches évaluatives de l’imitation ................................................................................................. 86
3. Raisons et pratiques d’imitation concurrentielle ................................................................................... 121
Résumé du chapitre 2 ..................................................................................................................................... 122
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude ............................................................................... 124
1. Un creuset commun .............................................................................................................................. 125
2. Une information en cascade ................................................................................................................. 137
3. La théorie des conventions .................................................................................................................... 141
4. Incertitude et pratiques d’imitation concurrentielle ............................................................................. 148
Résumé du chapitre 3 ..................................................................................................................................... 150
Synthèse de la première partie ..................................................................................................................... 152
1. Ancrage théorique de la problématique................................................................................................ 153
2. Présentation du cadre analytique ......................................................................................................... 155
9
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle ......................................... 162
1. Le champ d’étude .................................................................................................................................. 163
2. Méthodes de recherche ......................................................................................................................... 190
Résumé du chapitre 4 ..................................................................................................................................... 229
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation .............................................................................................. 230
1. Un contexte incertain ............................................................................................................................ 237
2. Une imitation encouragée et facilitée ................................................................................................... 253
3. Contexte et imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 270
Résumé du chapitre 5 ..................................................................................................................................... 272
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle ........................................................... 274
1. Les pratiques instrumentales de l’imitation .......................................................................................... 277
2. Les pratiques évaluatives de l’imitation ................................................................................................ 298
3. Pratiques d’imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 313
Résumé du chapitre 6 ..................................................................................................................................... 314
Discussion : De l’imitation à la différenciation .............................................................................................. 316
1. Discussion des résultats du chapitre 5................................................................................................... 317
2. Discussion des résultats du chapitre 6................................................................................................... 319
3. Discussion transversale ......................................................................................................................... 324
4. Retour à la littérature ............................................................................................................................ 327
Conclusion générale ..................................................................................................................................... 332
1. Synthèse de la recherche ....................................................................................................................... 334
2. Contributions, limites et perspectives ................................................................................................... 336
10
Références
Bibliographie ................................................................................................................................................ 348
Liste des synthèses ....................................................................................................................................... 370
Liste des encadrés ........................................................................................................................................ 371
Liste des tableaux ......................................................................................................................................... 372
Liste des schémas ......................................................................................................................................... 373
Table des matières ....................................................................................................................................... 374
Glossaire radiophonique............................................................................................................................... 384
Annexes
Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) .......................................... 389
Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau .......................................................................................... 391
Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 ......................................................................................... 400
Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien ......................................................................... 401
Annexe 5 : Grille de codage des « topics » ...................................................................................................... 404
Annexe 6 : Codage de deux entretiens ............................................................................................................ 409
Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) ............................................................................... 410
Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage ........................................................................................... 412
12
Introduction générale
Il est sept heures, nous sommes le jeudi 30 juillet 2009, vous écoutez Alouette. »
Stan et Clarisse, les deux animateurs de la tranche matinale d’Alouette, première
radio du Grand-Ouest, lancent le flash d’informations et annoncent les disques qui vont être
diffusés. Derrière l’apparente décontraction des deux animateurs, la tension est réelle dans les
locaux de la station. Comme tous les ans à la même époque, Sébastien Lebois, le directeur des
programmes, fait les cent pas. Alors que sur l’antenne, les chansons se suivent entrecoupées
de jingles annonçant « toujours plus de hits », les résultats des sondages Médiamétrie tardent
à arriver. Ces sondages, Sébastien les attend, les redoute, les espère depuis plusieurs mois.
Des mois passés à travailler à vue, ici, dans ce bureau situé à proximité du centre commercial
Hyper U des Herbiers (Vendée). Dans ce bureau, il a écouté les disques envoyés par les labels
parisiens, négocié avec les attachés de presse pour faire venir les artistes, ajusté
continuellement sa grille des programmes pour tisser un lien de proximité avec les auditeurs,
scruté les moindres mouvements de ses concurrents pour élaborer sa playlist. Sébastien est un
perfectionniste. L’angoisse devient de plus en plus pesante.
Il repense au chemin parcouru depuis sa prise de fonctions en 2003. A ses débuts comme
animateur sur « Radio Alouette » dans les années quatre vingt dix. A la mue entamée par la
station qui, d’une mini radio généraliste, est devenue une puissante radio musicale devançant,
sur sa zone de diffusion, les plus grands réseaux nationaux. Soudain, le doute. Et si les
résultats d’audience étaient en deçà des espérances de Bertrand de Villiers, président et
actionnaire majoritaire d’Alouette ?
De ces résultats dépendront la valeur de l’espace publicitaire commercialisé par Alouette, les
recettes de la station, ses perspectives de développement. De ces résultats dépendra également
l’avenir professionnel de Sébastien. Au même moment, à Lyon, Tourcoing, Orléans, Reims,
d’autres directeurs des programmes, directeurs d’antenne, et programmateurs officiant dans
d’autres radios indépendantes ressentent les mêmes angoisses.
«
Stratégie et imitation concurrentielle
13
La situation des grandes radios musicales nationales n’est guère plus confortable. Confrontés
à une baisse tendancielle de l’audience, les professionnels du secteur perçoivent les limites du
« Top 40 », un modèle inventé aux Etats-Unis qui est fondé sur la répétitivité et dont ils ne
sont jamais véritablement parvenus à s’émanciper.
Pour Alouette, cette vague de sondage est celle du succès. Avec plus de 470 000 auditeurs, la
radio atteint son record historique et conquiert la place de première radio indépendante de
France. Alouette est une des premières radios régionales françaises à frôler le point
d’audience national. L’heure n’est pourtant pas à l’autosatisfaction. Il faut déjà penser à la
suite, à la grille de rentrée, au renouvellement de la playlist, à l’organisation d’un grand
concert gratuit pour les auditeurs de la station. Et toujours cette inquiétude sur l’avenir de la
radio musicale.
L’arrivée d’Internet, les nouvelles habitudes d’écoute de la musique en ligne, la concurrence
des autres médias ont profondément rebattu les cartes. Plus que jamais, les goûts du public
sont mouvants et changeants. L’élaboration du programme musical est un problème insoluble.
Dans l’univers de la radio musicale, l’incertitude n’est pas un concept, c’est une expérience de
tous les jours. Ces acteurs en ont la certitude, ils vont devoir se réinventer… mais comment ?
Faute de pouvoir répondre à cette question, ils s’observent, se talonnent, s’imitent. Jamais les
radios n’ont été aussi standardisées, jamais les formats musicaux – en théorie très différents –
n’ont été en réalité aussi poreux.
De l’incertitude à l’imitation
La situation dans laquelle sont plongés les professionnels de la radio est révélatrice d’un
phénomène plus général lié à l’influence de l’incertitude sur les comportements et sur les
décisions individuelles. Lorsqu’ils ne peuvent déduire le futur du passé, lorsqu’ils ne
disposent pas d’un référentiel suffisamment convaincant, les individus se trouvent incapables
de décider de façon isolée (Gomez, 1996, p.78). Pour agir malgré tout, ils devront observer
les comportements adoptés dans leur entourage, s’en remettre à autrui. L’imitation procure
des repères. Cette idée, centrale dans la description keynésienne du fonctionnement des
marchés financiers (Keynes, 1934 [1969], 1937 [2002]), constitue le socle d’une approche, la
théorie des conventions (Gomez, 1996 ; Orléan, 2004b), qui a fait de l’imitation l’un de ses
principaux centres d’intérêt.
Introduction générale
14
Largement partagée avec les chercheurs appartenant au courant de la sociologie néo-
institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Tolbert et Zucker, 1983), cette idée dissimule
cependant une grande variété dans les objets qui peuvent être imités. Comme le souligne
Schnaars (1994), l’imitation peut, au-delà des produits, également porter sur des éléments tels
que les technologies, les pratiques managériales, les modes d’organisation, les procédures ou
encore les stratégies. Cette diversité des objets potentiellement imitables est perceptible dans
les développements empiriques qui découlent des théories de la diffusion ou de la littérature
néo-institutionnaliste1.
Le tableau qui suit permet d’illustrer la diversité des objets potentiellement imitables en
reprenant quelques exemples de travaux récents consacrés à l’imitation inter-
organisationnelle.
Tableau 1
De la diversité des objets imitables
Domaine concerné Objet imité Travaux emblématiques
Développement
durable Rapports environnementaux Pour Aerts, Cormier et Magnan (2006), les
entreprises allemandes définissent le contenu de leurs rapports environnementaux en imitant des modèles dans leur industrie.
Gouvernance Rémunération des dirigeants Pour Brandes, Hadani et Goranova (2006), les grandes entreprises américaines s’imitent les unes les autres pour définir le niveau des stock-options attribuées aux dirigeants. Cette tendance conduit à une augmentation générale du niveau des stock-options attribuées.
Marketing Lancement de nouveaux produits
Pour Srinivasan, Haunschild et Grewal (2007), les lancements de produit des constructeurs de caméscopes aux Etats-Unis entre 1991 et 1999 s’expliquent largement par l’existence de comportements imitatifs.
Ressources Humaines Politique de recrutement des dirigeants
Williamson et Cable (2003) montrent que les politiques de recrutement des dirigeants des grandes entreprises américaines sont largement définies par l’imitation de modèles, en particulier lorsqu’il existe des administrateurs communs entre l’organisation modèle et l’organisation imitatrice.
1 Ces deux courants de littératures seront présentés dans la première partie de la thèse (chapitres 1 et 2).
Stratégie et imitation concurrentielle
15
Tableau 1 (suite)
De la diversité des objets imitables
Domaine concerné Objet imité Travaux emblématiques
Stratégie Décisions d’alliance Garcia-Pont et Nohria (2002) mettent en avant l’existence d’une imitation entre les constructeurs automobiles. L’imitation serait particulièrement prononcée entre concurrents positionnés sur une même niche du marché.
Fusions Stearns et Allan (1996) expliquent la vague de fusion au sein des entreprises américaines (début des années quatre-vingt) par l’imitation. Le mouvement aurait été initié par des organisations marginales (en termes de statut social) puis se serait institutionnalisé par effet boule de neige.
Positionnement concurrentiel
Les radios américaines s’imitent, que ce soit pour adopter un nouveau positionnement concurrentiel (format), ou pour décider d’abandonner l’ancien (Greve, 1995, 1996, 1998).
Programmes de Qualité Totale
Lorsqu’elle est tardive, l’adoption des programmes de qualité totale par les hôpitaux américains est, selon Westphal, Gulati & Shortell (1997), largement guidée par des motivations liées à la légitimité.
Stratégie d’internationalisation
Comme le montrent Henisz et Delios (2001), les multinationales japonaises ont tendance à imiter les choix les plus fréquemment réalisés (en particulier lorsque les modèles appartiennent au même secteur d'activité). Les organisations les moins expérimentées ont plus souvent recours à l'imitation que les autres.
Stratégies de diversification Les stratégies de diversification des laboratoires pharmaceutiques chinois sont, selon Vermeulen et Wang (2005), largement définies par imitation.
Palmer et Barber (2001) reviennent quant à eux sur les stratégies de diversification des entreprises américaines durant les années soixante. Les pionniers sont souvent des entreprises dirigées par des personnes n'appartenant pas au « système ». En matière de diversification, les entreprises imitent des modèles qui appartiennent à leur réseau social.
Systèmes
d’information Adoption d’un ERP Selon Pupion et Leroux (2006), l'adoption d'un ERP
par les entreprises françaises procède rarement d'un calcul « coût / avantage ». Les attributs perçus de l'ERP et son adoption préalable par d'autres entreprises sont en revanche déterminants.
Usages d’un SIRH L’étude de cas menée par Tixier (2004) fait ressortir qu’au sein d’un même groupe, les usages du Système d’Information RH se diffusent entre les filiales par imitation.
Introduction générale
16
Nous nous focaliserons, dans cette recherche, sur des problématiques stratégiques liées au
positionnement des radios musicales françaises (format) et aux décisions de programmation
musicale. Nous chercherons ainsi à cerner les raisons qui sous-tendent l’imitation, à
comprendre l’influence de l’incertitude et à expliquer de quelle manière l’imitation contribue
à la stratégie des radios.
Imitation et stratégie
Transposée aux problématiques stratégiques (positionnement, gestion du portefeuille
d’activités, structures organisationnelles ou encore modalités de développement), la question
de l’imitation est source de controverses. Nombreux sont les auteurs qui ont défendu l’idée
que, pour être meilleure que ses concurrents, l’entreprise se devait d’adopter une stratégie
originale (Porter, 1996). Selon ces théoriciens, les imitateurs se condamneraient à des
performances réduites, s’enfermeraient dans une « malédiction des suiveurs » (Demil et
Lecocq, 2006). La mise en parallèle de cette conception et de l’observation des
comportements des organisations, fait apparaître un véritable paradoxe que nous prendrons
pour point de départ et auquel nous consacrerons le premier chapitre de la thèse. Dans la
réalité en effet, les entreprises s’imitent, y compris pour élaborer leur stratégie : « Et pourtant,
ils s’imitent » pourrait-on dire à propos des stratèges en paraphrasant Galilée qui, à l’issue du
procès au cours duquel il avait été contraint de renier ses convictions scientifiques aurait
murmuré « Et pourtant, elle tourne » à propos de la Terre.
Au cours de cette recherche, nous avons cherché à comprendre ce qui pouvait pousser des
décideurs, en l’occurrence des programmateurs radio, à reprendre des solutions mises en place
par leurs concurrents et à expliquer de quelle manière leurs pratiques d’imitation
concurrentielle pouvaient alimenter la stratégie de l’organisation. Pour mener ce projet, nous
nous sommes intéressés aux pratiques d’imitation (ce que font les décideurs lorsqu’ils imitent
leurs concurrents), aux raisons individuelles qui les sous-tendent (pourquoi les décideurs
imitent leurs concurrents) et aux modèles de rationalité (les représentations théoriques de la
rationalité humaine dans lesquelles elles s’inscrivent).
Cette démarche s’inscrit dans un courant de recherche émergent, la stratégie en pratiques
(« strategy-as-practice ») et est inspirée de la sociologie compréhensive de Weber (1921
[1995]).
Stratégie et imitation concurrentielle
17
Nous avons ainsi défini la problématique suivante :
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?
Cette problématique est déclinée en deux questions de recherche :
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ? De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?
L’intérêt que nous portons aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux raisons dans
lesquelles elles trouvent leur origine s’inscrit dans le prolongement de recherches ayant insisté
sur le manque de micro fondations des travaux consacrés à l’imitation, et plus généralement, à
la conformité inter-organisationnelle. Les travaux existants se sont, en effet, surtout focalisés
sur les conséquences des phénomènes d’imitation concurrentielle sur la performance des
organisations (imitées ou imitatrices) et sur leurs chances de survie respectives. Ils ont par
ailleurs insisté sur le fait que l’imitation pouvait être à l’origine d’un mouvement de diffusion
des innovations ou d’homogénéisation des organisations dans une population donnée.
Afin de compléter cette vision, DiMaggio (1995) a, dans un commentaire consacré à la
sociologie néo-institutionnelle, appelé de ses vœux l’émergence d’une microsociologie des
institutions2. Cette préoccupation semble partagée par Montmorillon (1999) qui voit dans la
théorie mimétique de Girard (1972, 1982) un moyen de comprendre les « rationalités
mimétiques » individuelles qui sont à l’œuvre dans la théorie des conventions.
L’orientation microscopique et compréhensive de ce travail marque donc une rupture par
rapport aux recherches antérieures. Poser le problème de l’imitation concurrentielle en termes
de pratiques, c’est concevoir la stratégie comme le produit d’actions et d’interactions
d’individus placés en situation d’incertitude. Poser le problème de l’imitation concurrentielle
en termes de pratiques, c’est aussi s’intéresser à la façon dont ces acteurs, au fil de leurs
hésitations et de leurs décisions quotidiennes construisent, fabriquent la stratégie de leurs
organisations. En mettant entre parenthèses les questions liées aux conséquences de
2 Un plaidoyer qui a été, par la suite, prolongé par un ensemble de travaux consacrés à l’entrepreneur institutionnel où la question de l’imitation, centrale dans les travaux fondateurs de la sociologie néo-institutionnaliste, est progressivement devenue périphérique.
Introduction générale
18
l’imitation et à ses objets pour nous focaliser sur la question du comment (traduite ici par
l’intérêt que nous portons aux pratiques) et sur la question du pourquoi (qui transparait dans
l’intérêt que nous portons aux raisons et aux modèles de rationalité), nous n’entendons pas
invalider les travaux antérieurs mais apporter un éclairage complémentaire permettant
d’améliorer la compréhension des phénomènes d’imitation concurrentielle. Cette orientation
nous permettra de mobiliser des travaux issus de champs de recherche très éloignés les uns
des autres mais qui ont tous abordé ces points.
Démarche générale de la thèse
Notre démarche peut être qualifiée d’abductive. Par un va-et-vient entre les enseignements
tirés des théories existantes et l’observation du terrain, nous chercherons d’une part à mieux
comprendre le contexte et les pratiques d’imitation concurrentielle, et d’autre part à éclairer la
façon dont elles contribuent à la fabrication de la stratégie dans les organisations. Le schéma
qui suit propose un aperçu de l’architecture de la recherche.
Schéma 1
Architecture de la thèse
Première partie
Revue de la littérature
Chapitre 1
Et pourtant, ils s’imitent
Chapitre 2
Les deux approches de
l’imitation
Chapitre 3
Imitation et
incertitude
Synthèse de la première partie
Introduction générale
Chapitre 4
Champ étudié et méthodologie
Chapitre 5
Un contexte propice à
l’imitation
Chapitre 6
Une typologie des pratiques d’imitation
Discussion des résultats
Deuxième partie
Méthodologie et résultats
Conclusion générale
Abd
ucti
on
Stratégie et imitation concurrentielle
19
Par souci de clarté, nous avons fait le choix de présenter les éléments théoriques issus de la
littérature avant la partie empirique de la recherche. Ce choix ne correspond par réellement au
processus au cours duquel la recherche a été réalisée. Les deux étapes ont en effet été menées
en parallèle du fait de notre démarche abductive.
Première partie de la thèse : Revue de la littérature
Le chapitre 1 ouvrira la partie théorique de la thèse et prendra pour point de départ
l’opposition qui existe entre la critique théorique dont l’imitation a souvent été l’objet et sa
fréquence en management. Il permettra de formuler la problématique générale de la thèse, de
définir les principaux concepts sur lesquels nous nous appuierons et de préciser l’ancrage de
la recherche dans le courant, plus général, de la stratégie en pratiques (Chanal, 2009 ;
Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Johnson, Melin et Whittington, 2003 ;
Johnson, Langley, Melin et Whittington, 2007 ; Whittington, 2002, 2006). Sur la base d’une
comparaison des théories consacrées à l’imitation concurrentielle, deux axes d’analyse de la
littérature seront distingués. Ils feront l’objet des deux chapitres suivants.
Le chapitre 2 s’intéressera aux raisons qui poussent les décideurs à imiter leurs concurrents. Il
aura pour objectif de montrer que les théories existantes se sont focalisées sur des explications
partielles de l’imitation et qu’elles sont en réalité complémentaires. La dichotomie entre les
raisons « instrumentales » et les raisons « évaluatives » que nous emprunterons à Boudon
(2003), sera utilisée comme un fil directeur permettant d’articuler les théories mobilisées.
Certaines de ces théories s’appuient sur une conception instrumentale de la rationalité
humaine. Les raisons individuelles qu’elles mettent en avant pour expliquer les phénomènes
d’imitation concurrentielle peuvent être liées à la volonté des stratèges de profiter de
l’expérience d’autrui, de diminuer leurs coûts de recherche et développement ou de se
prémunir des conséquences négatives d’une décision malencontreuse. Les autres théories que
nous présenterons se fondent, quant à elles, sur une conception évaluative de la rationalité
humaine. Elles peuvent, par exemple, faire appel à des explications insistant sur la quête
d’identité sociale des décideurs ou à des considérations liées à la légitimité des organisations.
Le chapitre 3 proposera un axe de lecture complémentaire. Il sera consacré à la relation entre
la notion d’incertitude et l’imitation. Si cette idée a fréquemment été mise en avant dans la
littérature, nous verrons que les théories existantes n’appréhendent pas l’incertitude de la
Introduction générale
20
même façon. Au-delà de l’incertitude, c’est la question du rapport des individus au contexte
dans lequel ils doivent décider et agir qui sera abordée.
Les éléments théoriques développés dans la première partie de la thèse feront l’objet d’une
synthèse qui permettra de formuler un cadre d’analyse et de justifier nos questions de
recherche.
Deuxième partie de la thèse : Méthodologie et résultats
Le chapitre 4 consistera en une présentation du champ d’étude (les radios musicales
françaises et leurs programmateurs) et des méthodes utilisées. Par leurs décisions
quotidiennes, les programmateurs façonnent le format musical des stations dans lesquelles ils
opèrent et contribuent, par leurs pratiques, à la fabrication du positionnement stratégique de
leurs organisations respectives. Nous verrons que ce champ d’étude se pose comme un bon
point d’observation pour étudier les pratiques d’imitation concurrentielle. En effet, de
nombreuses controverses, liées à un supposé plagiat de la programmation de NRJ par les
radios régionales indépendantes, ont animé le secteur depuis 2004. Pour étudier les pratiques
d’imitation des programmateurs et la façon dont elles alimentent la stratégie des radios, nous
avons choisi de déployer une méthodologie qualitative inspirée de la théorie enracinée
(Strauss et Corbin, 2004). Une série d’entretiens semi-directifs (Demers, 2003 ; Romelaer,
2005) a été menée avec les programmateurs des principales radios musicales françaises. Les
radios visitées représentent environ 75% de l’audience des radios musicales en France. Ces
entretiens ont été complétés par des entretiens de contexte réalisés auprès de dirigeants et
d’animateurs de radios, de professionnels de l’industrie musicale (directeurs de label,
directeurs de la promotion ou attachés de presse) et par des données secondaires (documents
internes, articles de presse, relevés de diffusions en radio, etc.). Les entretiens ont fait l’objet
d’une analyse de contenu réalisée à l’aide du logiciel NVivo 8. Le processus d’analyse s’est
décomposé en trois phases (Richards, 2005) : codage signalétique, codage descriptif et codage
analytique. Ces étapes correspondent à une progression dans la conceptualisation. Un double
codage a été pratiqué pour garantir la fiabilité du processus d’analyse. L’analyse a permis de
faire émerger deux types de résultats en réponse aux deux grandes questions de recherche
formulées à l’issue de la revue de littérature.
La question du lien entre incertitude et imitation sera traitée dans le chapitre 5. L’étude du
contexte dans lequel évoluent les programmateurs permettra de montrer de quelle manière le
Stratégie et imitation concurrentielle
21
caractère imprévisible des goûts musicaux du public est générateur de doutes et d’hésitations
chez les programmateurs. Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs
utilisent des outils de recherche musicale et mobilisent un ensemble de normes partagées dans
leur environnement professionnel, que nous qualifions « d’orthodoxie du Top 40 ». Ces
normes, qui permettent de définir les « ingrédients d’un tube » n’apportent cependant que des
réponses partielles aux questions récurrentes des programmateurs. L’imitation d’autrui pourra
alors devenir un moyen d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se
forger des certitudes qu’elle sera largement promue par les attachés de presse mandatés par
les maisons de disques et rendue plus simple par l’existence d’un outil de suivi des diffusions
musicales en radio (Yacast).
Dans ce contexte où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des
décideurs, on pourra être surpris par la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. Ces
pratiques, fondées sur des raisons individuelles bien différentes, seront identifiées et analysées
dans le chapitre 6. La typologie que nous présenterons est articulée autour de la dichotomie
« pratiques instrumentales » versus « pratiques évaluatives ». Les neuf pratiques types qui
seront présentées ne répondent pas aux mêmes questionnements, ne donnent pas lieu à
l’imitation des mêmes modèles et ne mobilisent pas les mêmes « raisons ». Les explications
présentées comme mutuellement exclusives par la littérature sont donc complémentaires :
elles trouvent leur expression dans des pratiques concomitantes.
Ces résultats permettront d’amorcer une discussion générale consacrée à la contribution des
pratiques d’imitation concurrentielle à la fabrication de la stratégie. Les pratiques d’imitation
concurrentielles identifiées dans la typologie permettent, chacune à sa manière, de lever des
doutes et des hésitations chez les programmateurs. Ces derniers semblent alors plus enclins à
se singulariser en diffusant des disques inconnus du public. Les résultats de notre étude
consacrée aux radios musicales et à leurs programmes suggèrent que l’imitation peut
constituer un préalable à la différenciation en rassurant les décideurs. Précisons ici que le
terme différenciation n’est pas à entendre dans son acception portérienne mais comme une
démarche visant à se singulariser de ses concurrents. La complémentarité de l’imitation et de
la différenciation a déjà été soulignée par Deephouse (1999) qui, au travers du concept
d’équilibre stratégique (« strategic balance »), défendait l’idée que la clé du succès résiderait
dans une position intermédiaire consistant à être partiellement identique et différent. Notre
analyse est quelque peu différente. De par son ancrage dans le courant de la stratégie en
Introduction générale
22
pratiques et sa posture compréhensive, elle insiste davantage sur les raisons individuelles et la
contribution des pratiques d’imitation à l’élaboration de la stratégie que sur leur influence en
matière de performance.
Cette démarche a un intérêt théorique : elle permet, par l’intégration d’explications théoriques
parcellaires et leur mise en rapport avec le réel, de mieux comprendre les phénomènes
d’imitation concurrentielle en management. Les praticiens pourront trouver, dans nos
résultats, une occasion de prendre du recul tant sur leurs propres pratiques que sur la façon
dont elles contribuent à la stratégie de leur organisation et la façonnent.
En conclusion, les apports et les limites de la recherche seront mis en évidence. Ils
permettront d’esquisser des perspectives qui pourront orienter des travaux futurs.
24
Première partie
Revue de la littérature
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent p.26
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation p.68
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude p.124
Synthèse de la première partie p.152
26
Chapitre 1
Et pourtant, ils s’imitent
« C’est un bétail servile et sot à mon avis que les
imitateurs ; on dirait des brebis qui n’osent
avancer qu’en suivant la première et qui iraient
sur ses pas jeter dans la rivière. »
Jean de La Fontaine, Clymène, 1671.
ette réplique d’Apollon dans Clymène, l’unique comédie écrite par Jean de La Fontaine,
pourrait presque figurer parmi les préceptes d’un manuel de management stratégique.
Perçue comme un non-sens stratégique, l’imitation se trouve, en effet, souvent exclue du
champ de la stratégie.
A l’instar de Michael Porter qui dans un article séminal intitulé « What is Strategy ? »
assimilait les tendances mimétiques des dirigeants à un recul de la réflexion stratégique au
profit de considérations bassement opérationnelles (Porter, 1996, p.11), une importante
littérature considère que dans une perspective de constitution d’avantage compétitif, le propre
de la stratégie d’une organisation doit être de différer de celle menée par les concurrents. Il
s’agira alors de répondre aux contraintes de l’environnement par l’adoption d’un
positionnement concurrentiel original (Ansoff, 1987 ; Porter, 1982 [2004]), d’activer des
ressources uniques auxquelles les concurrents n’auront pas accès (Barney, 1991), d’innover…
en un mot, d’être différent. L’imitation, qui consiste à reproduire ou à chercher à reproduire
une apparence, un acte, un geste d’autrui, à refaire ce que quelqu’un d’autre a déjà fait avant
soi, ne présenterait donc qu’un faible intérêt.
Dans un environnement devenu changeant et hostile (D'Aveni, 1995), elle représenterait, plus
que jamais, une stratégie vouée à l’échec (Bourgeois et Eisenhardt, 1988). Les entreprises qui,
telles des démons de Gerasa, s’engouffreraient dans l’impasse stratégique du mimétisme
seraient d’ailleurs frappées d’une « malédiction des suiveurs » (Demil et Lecocq, 2006) et
C
Première partie : Revue de la littérature
27
condamnées à des performances médiocres (Barreto et Baden-Fuller, 2006 ; Westphal et al.,
1997).
Malgré l’existence de contre-exemples, montrant par exemple une relation positive entre le
conformisme des entreprises du secteur informatique américain et leurs performances
financières et commerciales (Geletkanycz et Hambrick, 1997) et la fréquence de pratiques de
gestion, telles le « benchmarking » ou la veille concurrentielle, qui dissimulent souvent des
comportements imitatifs, le discours dominant s’est institutionnalisé. Comme le résument les
auteurs de ce manuel de référence en management stratégique : « une entreprise [qui] a la
même stratégie que ses concurrents n’a pas de stratégie » (Johnson, Scholes, Whittington et
Fréry, 2005, p.7).
Ce chapitre permettra de positionner la recherche dans le champ du management stratégique.
Il aura également pour objectif de préciser les notions clés que nous utiliserons et d’apporter
une justification théorique à notre sujet de recherche et à notre problématique.
Les notions d’imitation et de mimétisme ont jusqu’ici été utilisées de façon indifférenciée.
Ces deux notions sont cependant distinctes et nécessitent que nous entreprenions un effort de
définition. La section 1 nous amènera à préciser l’objet de la recherche : nous traiterons ici
d’imitation et nous intéressons aux raisons qui poussent des décideurs à s’imiter les uns les
autres.
La section 2 nous permettra de nous effacer derrière les critiques les plus souvent formulées à
l’égard de l’imitation. Stratégie de seconde zone pour certains théoriciens du leadership et
pour les défenseurs de l’avantage du premier entrant (« first-mover advantage »), l’imitation
est décrite comme extrêmement dangereuse par Michael Porter, les partisans de l’approche
par les ressources et certains théoriciens de la croissance endogène.
Ces critiques pourraient laisser à penser que l’imitation est un phénomène marginal dans le
monde des affaires. Il n’en est rien. La section 3 nous donnera donc l’occasion de dresser un
panorama des travaux qui tendent à souligner son omniprésence parmi les organisations. En
dépit de son désintérêt stratégique et de sa dangerosité supposée, l’imitation se pose en effet
comme un comportement récurrent.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
28
C’est à partir de ce paradoxe que sera présentée, en section 4, la démarche de cette recherche.
Malgré les critiques théoriques, les stratèges s’inspirent des solutions mises en œuvre par
leurs concurrents, notamment pour élaborer leur stratégie. Quelles sont leurs intentions ?
Quelles sont leurs pratiques de l’imitation ? Comment ces pratiques contribuent-elles à la
stratégie de l’organisation ? Voilà posées quelques-unes des questions qui seront abordées
dans la thèse.
1. QUELQUES ELEMENTS DE DEFINITION
En envisageant que les décisions réalisées dans certaines organisations puissent avoir une
influence sur d’autres organisations, les recherches consacrées à l’imitation ou au mimétisme
inter-organisationnel s’inscrivent, par construction, dans une critique du postulat d’autonomie
des agents économiques. Elles se placent ainsi dans la filiation naturelle de la sociologie
économique de Mark Granovetter (1985) ou des approches conventionnalistes (Orléan, 2001)
qui prennent, chacune à leur manière, le soin d’encastrer les agents économiques dans un
système de relations.
A l’instar de DiMaggio et Powell (1983) qui décrivent, sans s’enliser dans une définition
fastidieuse, l’impact que peuvent avoir les phénomènes mimétiques sur l’homogénéisation
des pratiques, des structures et des stratégies dans un champ organisationnel donné, rares sont
néanmoins les recherches qui définissent clairement les concepts de mimétisme et d’imitation
inter-organisationnels (Baize 1996)3.
Cet effort est d’autant plus nécessaire que, transposés au domaine du management stratégique,
les termes utilisés renvoient à des postulats différents sur l’organisation. Leur utilisation est
donc susceptible d’orienter le chercheur dans des voies qui influenceront sa façon
d’appréhender les phénomènes qu’il étudie. Cette partie sera donc l’occasion, non seulement
de clarifier les termes utilisés, mais aussi, à la manière du voyageur qui, avant d’entreprendre
son périple déclarerait le contenu de ses bagages en passant à la douane, de soumettre à
l’appréciation du lecteur les présupposés qui imprègneront ce travail.
3 Cette auteure insiste, par ailleurs sur les différences entre les notions d’imitation et celles de copie/contrefaçon qui concerne davantage les produits que ses orientations stratégiques. Voir notamment Baize (1999).
Première partie : Revue de la littérature
29
1.1. LE MIMETISME ET LA MEMETIQUE
A l’origine cantonné au monde animal, le mimétisme recouvre « un ensemble de situations où
il existe une ressemblance entre une chose et un animal, ou entre deux animaux, soit d’une
même espèce, soit de deux espèces différentes » (Baudonnière, 1997, p.7). Le poisson clown
et son anémone, le caméléon prenant la couleur de son environnement immédiat, la seiche se
confondant avec le sable sont trois exemples de mimétisme animal.
Par extension, le terme est largement utilisé pour caractériser des situations de ressemblance
faisant intervenir des organisations ou des êtres humains et impliquant des phénomènes de
contagion. Pour expliquer ces phénomènes, les auteurs utilisant le concept de mimétisme
proposent souvent des explications dénuées de rationalité (au sens ou elles ne postulent pas
que les individus qui s’imitent aient des raisons particulières de le faire). On retrouve par
exemple cette idée chez Tarde (1890 [2001], 1893 [1999]) qui explique les phénomènes de
contagion par l’existence de lois auxquelles obéiraient des individus placés, bien malgré eux,
dans un état proche du somnambulisme. Une idée proche est développée par Le Bon (1895
[2003]) dans sa Psychologie des Foules qui désigne une tendance naturelle des êtres humains
à s’imiter les uns les autres caractérisée par une « âme de la foule ». Comme nous pouvons le
voir, ces explications ont pour point commun de faire appel à de mystérieuses forces
psychologiques ou culturelles (Hedström, 1998).
a) La mémétique (théorie des mèmes)
On pourra trouver, dans la mémétique (ou théorie des mèmes), la version la plus aboutie de
cette vision du monde. Ce n’est pas à partir de travaux en sciences sociales que s’est
développée cette théorie mais à partir de l’intuition d’un homme, le biologiste Robert
Dawkins (1978), concluant son ouvrage Le gène égoïste par une extension de la théorie de
l’évolution de Darwin.
Postulant l’existence d’entités, les mèmes, se répendant par imitation, Dawkins décrit un
mécanisme de diffusion de cerveau à cerveau, semblable au processus de diffusion des gènes
pour les êtres vivants. Cette perspective permettrait d’étudier l’évolution culturelle et sociale
de l’être humain. Les quatre premières notes de la Cinquième Symphonie de Beethoven, le
concept de « produit star » de la matrice BCG, le « Business Process Reingenering » : autant
d’éléments ayant fait leur apparition dans la sphère sociale, managériale ou culturelle et
pouvant être désignés par le concept de mème.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
30
b) Les limites de la mémétique : du mimétisme à l’imitation
Comme le souligne Erner (2008), la mémétique appréhende la question de l’homogénéité et
des ressemblances au niveau de l’espèce humaine. Les individus possèderaient un ensemble
de mèmes (un mèmotype), équivalent socioculturel du patrimoine génétique, sur lequel ils
n’auraient pas de prise. Cette orientation est clairement revendiquée par Susan Blackmore,
grande admiratrice de Dawkins : il existerait des raisons mémétiques qui permettraient
d’expliquer l’évolution humaine (Dawkins et Blackmore, 2006). Comme le montre l’étude de
O’Mahoney (2008), unes des rares à transposer la mémétique dans l’univers du management,
il s’agit de comprendre comment sont transposés les mèmes ou encore d’étudier leur
modification progressive au fil des copies.
Lorsqu’elle est mobilisée en Sciences de Gestion, cette perspective revient à affirmer, avec les
théoriciens de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977), et dans une moindre
mesure avec les tenants de l’approche par le contrôle externe (Pfeffer et Salancik, 1978), que
l’organisation n’a finalement que peu de prise sur son devenir, que celui-ci résulte davantage
des évolutions aléatoires de l’environnement, des pressions externes auxquelles elle doit faire
face, ou de processus de sélection lui échappant.
1.2. L’IMITATION, UNE INTENTIONNALITE
Poser le problème des ressemblances inter-organisationnelles en termes d’imitation revient à
l’opposé, à réintroduire une part de construction dans la destinée de l’organisation. Dans son
sens le plus commun, l’imitation consiste en l’action de reproduire ou de chercher à
reproduire (une apparence, un acte, un geste d’autrui). Imiter, c’est refaire ce que quelqu’un
d’autre a déjà fait avant soi. Comme l’explique le psychologue Pierre-Marie Baudonnière,
« l’imitation suppose que le comportement modèle soit décodé et interprété de façon
suffisamment correcte pour que production et reproduction soient perçues comme
semblables » (Baudonnière, 1997, p.43).
A la différence du mimétisme, elle procède donc d’une intentionnalité et obéit à une
« sélectivité des comportements (on n’imite pas n’importe qui, n’importe quoi, n’importe
quand) » (Baudonnière, 1997, p.7). Parler d’imitation, c’est admettre l’idée que les imitateurs
puissent avoir quelques raisons de dupliquer les comportements, les attitudes ou encore les
décisions de leurs modèles.
Première partie : Revue de la littérature
31
a) L’imitation inter-organisationnelle
L’imitation inter-organisationnelle pourra alors se définir par la séquence suivante
(Haunschild, 1993) : (1) une première organisation adopte une pratique donnée à la date t ; (2)
une seconde organisation est exposée à ce modèle et (3) adopte la pratique en t + x (x
désignant un laps de temps positif). La présence de similitudes entre plusieurs organisations
n’est pas suffisante pour conclure à l’existence de comportements imitatifs chez les
organisations. Comme le soulignent Thompson (1967), Haunschild (1993), Padioleau (2002)
ou encore Webb et Pettigrew (1999), ces dernières peuvent être exposées aux mêmes
problèmes et aux mêmes conditions environnementales. Il semble donc nécessaire d’ajouter à
la définition de Haunschild (1993) une condition : l’existence d’un lien de causalité entre
l’adoption de la pratique par la première organisation et son adoption par la seconde.
b) L’imitation concurrentielle
Ancrée dans le champ de la stratégie, cette recherche s’intéressera à une forme particulière
d’imitation inter-organisationnelle : l’imitation entre organisations concurrentes (désormais
qualifiée « d’imitation concurrentielle »). Au plan théorique, cette question a fait l’objet de
nombreux développements. La section qui suit est consacrée aux écoles les plus critiques vis-
à-vis de l’imitation concurrentielle. Le contraste saisissant entre les critiques académiques qui
vont être exposées, et les travaux empiriques mettant en exergue la fréquence des
comportements imitatifs dans la vie des organisations, en général, et dans leur stratégie, en
particulier, permettra d’amorcer notre réflexion.
Au cours de ce travail, nous chercherons à cerner les raisons qui peuvent pousser les stratèges
à imiter leurs concurrents, à mieux connaître leurs pratiques d’imitation concurrentielle, à
comprendre de quelle manière elles contribuent à la stratégie des organisations.
c) L’imitation réflective et la contrefaçon : deux concepts voisins
Notre définition de l’imitation fait intervenir le concept d’intentionnalité. Cette approche, qui
se justifie par l’intérêt que nous porterons aux raisons individuelles qui sous-tendent
l’imitation, n’est pas la seule possible. Des concepts voisins, qui sortent du champ d’analyse
de la recherche, vont maintenant être présentés afin de lever toute source éventuelle
d’ambiguïté.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
32
Une autre perspective, différente de celle que nous adoptons, pourrait consister à s’intéresser
au degré de similitude entre un modèle et un original. Consacrant ses travaux à l’imitation de
produits, Baize (1999, p.78) définit l’imitation comme une stratégie de l’entreprise consistant
« à emprunter à un produit original certaines de ses caractéristiques » tout conférant à son
offre « des caractères qui lui sont spécifiques parmi lesquels, notamment, la marque propre à
l’entreprise imitatrice. » Le concept d’imitation « réflective » de Baize implique alors une
part d’apprentissage et une volonté de l’imitateur de faire en sorte « que son produit soit
considéré comme étant au moins un équivalent de l’original, c'est-à-dire comme un
concurrent direct et durable. » A l’opposé, la contrefaçon serait destinée à leurrer le
consommateur et consisterait en « la reproduction à l’identique d’un produit original ou, plus
précisément, de ses signes distinctifs » (Baize, 1999, p.76).
2. UNE CRITIQUE THEORIQUE
L’analyse des approches les plus critiques à l’égard de l’imitation inter-organisationnelle
permet de faire émerger trois grands types de critiques.
Un premier argument replace l’imitateur dans un rôle de stratège de seconde catégorie et
décrit, à l’opposé, le leader comme être innovant, créatif, visionnaire, susceptible de résister
au piège de l’imitation. Un effort de déconstruction nous amènera à souligner la filiation entre
cette approche et des travaux plus anciens consacrés à la psychologie des foules.
Un second argument insiste sur le caractère contre-productif des stratégies d’imitation pour
l’organisation qui imite ses concurrents. Il émane de recherches ancrées dans le champ de la
stratégie. Dans les travaux consacrés à l’avantage du premier entrant, comme dans certaines
analyses de Michael Porter, émerge en effet l’idée que les entreprises auraient intérêt à se
différencier, à innover, à pratiquer l’anti-conformisme. Afin de ne pas sombrer dans la
caricature, nous verrons que le caractère normatif de ces analyses est largement amendé dans
certains de leurs développements.
Un troisième argument insiste sur les retombées négatives et collectives des stratégies
d’imitation. L’imitation serait en effet susceptible de plonger des industries toute entières
dans un cercle vicieux qui se traduirait par une baisse des profits pour l’ensemble des
concurrents. En supprimant les incitations à innover, elle nuirait plus globalement à l’intérêt
de la société dans son ensemble.
Première partie : Revue de la littérature
33
2.1. UNE ATTITUDE DE SECONDE ZONE POUR LES STRATEGES
S’éloignant du présupposé « rationaliste » qui imprégnait les premiers travaux sur le dirigeant
d’entreprise (Fayol, 1916 ; Taylor, 1911), de nombreux auteurs ont consacré leurs recherches
à la thématique du leadership.
Si le manager est parfois défini comme « ayant la responsabilité d’une organisation »,
comme « investi d’une autorité formelle dont découle un statut qui conduit à différentes
formes d’interrelations et d’accès à l’information » (Mintzberg, 1989)4, le leader demeure
quant à lui souvent insaisissable. Cette difficulté de définition tient à l’ambiguïté d’un concept
(Pfeffer, 1977) qui renvoie à la fois à des traits de personnalité, à des processus de groupe, à
une position sociale, à une relation de pouvoir, etc. (Bass et Stogdill, 1990). Comme le
résume Bennis (1991, p.11), en considérant le leadership comme une caractéristique
personnelle, « le leadership c’est comme la beauté : difficile à définir mais reconnaissable
quand on la voit ». Parallèlement à des travaux qui, dans un effort de rigueur scientifique ont
différencié plusieurs types de leadership et cherché à étudier leurs effets, certains auteurs ont
tenté de capter l’essence du leadership sur la base de comparaisons entre le leader et
l’administrateur.
La question « les administrateurs et les leaders sont-ils différents ? », posée par Abraham
Zaleznik (1977) tient alors plus de la figure rhétorique que d’une véritable interrogation : la
réponse est bien évidemment positive. A en croire ce professeur à la Harvard Business
School, le monde des affaires serait peuplé de deux sortes d’individus qui divergeraient dans
leurs motivations, leur parcours personnel, leur façon de voir le monde et leur psychologie5.
Alors que l’administrateur a tendance à se concevoir comme le « conservateur et le
régulateur d’un ordre existant »6 (Zaleznik, 1977, p.74), le leader demeure un être à part, plus
proche de l’artiste. Cette opinion est partagée par Warren Bennis (1991, p.15) pour qui les
« leaders ne sont pas du tout des êtres ordinaires. Ils défrichent les terres vierges, là ou
demain commence à prendre forme. » Alors que l’administrateur copie, le leader est un
original. Alors que l’administrateur gère les affaires courantes, le leader développe des
4 Cité par (Calvo-Ryba, 2004, p.2) 5 “The truth of the matter, as I see it, however, is that just as managerial culture is different from entrepreneurial culture that develops when leaders appear in organization, manager and leaders are very different kinds of people. They differ in motivation, personal history, and in how they think and act.” (Zaleznik, 1977, p.70) 6 “Managers see themselves as conservators and regulators of an existing order of affaires with which they personally identify and from which they gain rewards”
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
34
nouveautés. Alors que l’administrateur accepte le statu quo, le leader le défie. Alors que
l’administrateur imite, le leader crée (Bennis, 1991, p.51).
Patricia Pitcher (1996), sur la base de trois idéaux-types, file, quant à elle, la métaphore de
l’artiste, de l’artisan et du technocrate. Visionnaire, créatif et imaginatif, le dirigeant
« artiste » est aidé dans la mise en œuvre de sa stratégie par des « artisans ». A la figure du
leader « artiste » s’oppose celle d’un « technocrate » méthodique, fastidieux, psychorigide,
incapable de tracer sa propre voie, reproduisant des solutions éculées.
En faisant du leader un être ayant la caractéristique de tracer sa propre voie, indépendamment
des choix réalisés par autrui, ces théoriciens du leadership rejoignent « l’image familière d’un
individu isolé […] qui est contenue dans notre représentation de la horde originelle » (Freud,
1921 [2006], p.212). Largement développée par Freud, cette conception appréhende le chef
comme un « opérateur de totalisation du collectif » (Dupuy, 2003, p.58), comme une
« résurrection » du père de la horde primitive : « Même à l’état isolé, ses actes intellectuels
étaient forts et indépendants, sa volonté n’avait pas besoin d’être renforcée par celle des
autres […]. A l’aube de l’histoire humaine, il représentait ce surhomme dont Fietzsche
n’attendait la venue que dans un avenir éloigné. […] Le chef est doué d’une nature de maître,
son narcissisme est absolu, mais il est plein d’assurance et indépendant. » (Freud, 1921
[2006], pp.213-214). Dans la plus pure tradition nietzschéenne, le chef se doit d’être libre.
Libre parce qu’indépendant. Indépendant parce qu’asocial. Envisager qu’un leader puisse
avoir recours à l’imitation reviendrait à atteindre à son indépendance, à s’éloigner de la
représentation familière du chef de horde telle qu’explicitée par Freud. La stratégie, la
création et l’innovation demeurent donc le pré carré des leaders, le suivisme, le conformisme,
l’imitation étant réservés à la horde primitive des managers.
2.2. UNE STRATEGIE ININTERESSANTE POUR LES ORGANISATIONS IMITATRICES
S’éloignant de la vision, pour le moins normative, défendue par les travaux qui viennent
d’être cités, les recherches consacrées au « first-mover advantage », qu’elles s’inscrivent dans
le champ de la stratégie et du marketing, étudient les retombées positives ou négatives
associées au statut d’innovateur, à la position de pionnier. (Kerin, Varadarajan et Paterson,
1992 ; Lieberman et Montgomery, 1988, 1998 ; Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995).
Première partie : Revue de la littérature
35
Cet avantage pourra notamment se traduire par une part de marché supérieure à celle détenue
par les suiveurs (Kalyanaram, Robinson et Urban, 1995 ; Kerin et al., 1992) à laquelle seront
souvent corrélés les bons résultats financiers de l’entreprise (Mueller, 1986, 1997). Il sera
d’autant plus fort que la demande sera incertaine et la technologie changeante (Zhou, 2006).
Les imitateurs qui entreront plus tardivement sur le marché devront supporter des coûts plus
importants pour conquérir une position concurrentielle viable (Bowman et Gatignon, 1996).
L’encadré 1 présente une synthèse des mécanismes permettant d’expliquer pourquoi les
pionniers peuvent espérer jouir d’un avantage concurrentiel.
Encadré 1
Mécanismes explicatifs de l'avantage des premiers entrants
1) Permettant à l’entreprise pionnière de bénéficier d’un avantage de coût, les mécanismes économiques peuvent trouver leur source dans des économies d’échelle, un effet d’expérience (Robinson et Fornell, 1985) ou dans le coût marginal croissant des investissements publicitaires (qui augmente le coût relatif supporté par les suiveurs).
2) Les mécanismes de préemption (« preemption mecanisms ») renvoient à un accès privilégié aux ressources stratégiques. De par sa position de pionnier, l’entreprise pourra accéder aux meilleurs emplacements (Lieberman et Montgomery, 1988) et en faire l’acquisition à un coût souvent inférieur à celui que supporteront ses concurrents. Ces mécanismes peuvent être à l’origine, soit d’un avantage de coût, soit d’un avantage de différenciation.
3) Les mécanismes technologiques peuvent désigner des innovations dans les produits ou les procédés de fabrication autant que des innovations dans l’organisation. Ils peuvent, là encore, être au cœur d’un avantage de coût ou de différenciation.
4) Source de différenciation, les mécanismes comportementaux renvoient aux coûts de transfert supportés par les consommateurs en cas de changement de fournisseur, au statut de « standard du marché » (Carpenter et Nakamoto, 1989) obtenu par le premier entrant, ainsi qu’aux effets de réseau et de réputation.
D’après Kerin et al. (1992)
Une entreprise pionnière ayant rencontré le succès a néanmoins de fortes chances d’être
imitée. Soulignant le rôle moteur de l’innovation dans le développement économique,
l’économiste Joseph Schumpeter avait déjà observé ce phénomène qui s’insérait, selon lui,
dans un processus de destruction créatrice : dans chaque industrie, l’innovation et l’imitation
constituent les deux moteurs de la concurrence à laquelle se livrent les entreprises.
Parce qu’il aura appris à fabriquer des produits d’une qualité supérieure, le pionnier pourra
espérer évincer ses concurrents et jouir d’une rente de monopole. Cette rente demeurera
cependant temporaire. Le pionner sera bientôt imité par des entreprises qui apprendront à
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
36
fabriquer des versions alternatives de son innovation. Le pionnier « a en quelques sortes
vaincu, ouvert un chemin pour d’autres aussi ; il a créé un projet que ces derniers peuvent
copier. Ils peuvent le suivre, ils le suivront, d’abord à quelques-uns, puis par masses
entières » (Schumpeter, 1935 [1999], p.199). C’est par cette mécanique que les anciens
produits sont remplacés par les nouveaux, et que les avancées technologiques se diffusent au
sein de l’économie.
Sans remettre en question les avantages associés à la position de « first-mover », plusieurs
auteurs estiment que des entrants tardifs peuvent parfois obtenir des performances (en termes
de part de marché et de profitabilité) supérieures à celles obtenues par les pionniers (Hoppe,
2000 ; Lieberman et Montgomery, 1988, 1998 ; Tellis et Golder, 1996). Ces travaux seront
détaillés un peu plus loin dans la revue de littérature. La situation est ainsi résumée par Porter
dans L’avantage concurrentiel (Porter, 1986 [2003], p.134) : « Il est fréquent que le
précurseur s’empare d’un avantage durable par les coûts en se réservant les meilleurs
emplacements, en embauchant avant les autres le meilleur personnel, en obtenant un accès
aux fournisseurs les plus recherchés ou en prenant des brevets. De fait, dans certains
secteurs, seul le premier à bouger peut acquérir un avantage substantiel par les coûts. Dans
d’autres secteurs, les firmes qui attendent peuvent obtenir certains avantages dans le
domaine des coûts, parce que la technologie change rapidement ou parce qu’elles peuvent
étudier et imiter à bon compte les actions entreprises par le précurseur. »
Les dirigeants seraient donc bien mal avisés de se couper, a priori, de l’expérience de leurs
concurrents. Porter soutient ainsi que « l’orgueil ne devrait pas empêcher d’exploiter
l’apprentissage des concurrents. […] Il existe un grand nombre de moyens de s’approprier
l’apprentissage des concurrents : rétro-ingénierie des produits, étude de documents publiés
tels que les fichiers des brevets et les articles de journaux, entretien de relations avec leurs
fournisseurs pour accéder au savoir-faire et connaître leurs derniers moyens de production
achetés » (Porter, 1986 [2003], p.131).
Doit-on voir dans ces propos une réhabilitation de l’imitation en matière de stratégie ? Ne
nous y trompons pas : si les auteurs orthodoxes soulignent parfois certains de ses bienfaits
potentiels, ils s’accordent à cantonner l’imitation dans un rôle accessoire. Derrière cet
apparent paradoxe, nous retrouvons la dichotomie « stratégie » versus « efficacité
opérationnelle » reprise par Porter (1996) : L’imitation pourra permettre à l’entreprise de
Première partie : Revue de la littérature
37
conduire ses activités de façon plus efficace que ses rivaux (efficacité opérationnelle) mais ne
devra pas occulter l’essentiel de la stratégie, choisir un positionnement clair et différent de
celui adopté par les concurrents.
2.3. UNE STRATEGIE DANGEREUSE POUR LA COLLECTIVITE
En dépit de son absence d’intérêt stratégique, l’imitation conserve un potentiel de nuisance
bien réel : « une imitation ‘facile’ entraîne une rapide disparition des rentes »7 (Teece, Pisano
et Shuen, 1997, p.526). Si certains auteurs viennent apporter quelques nuances8, cette
conception demeure la plus largement répandue dans la littérature stratégique. Les effets
négatifs de l’imitation ne se limitent cependant pas à l’entreprise pionnière (niveau micro-
économique), ils remettent également en cause la dynamique de l’industrie (niveau méso-
économique), éloignent la collectivité d’une solution optimale et compromettent la croissance
économique (niveau macro-économique).
a) Une menace pour l’avantage concurrentiel
La nocivité de l’imitation pour le pionnier, déjà soulignée par Schumpeter (1935 [1999]), a
notamment été observée par Armour et Teece (1978) qui, dans un article devenu célèbre, ont
montré que les avantages retirés par l’utilisation de la structure multi-divisionnelle
s’amenuisaient à mesure que celle-ci était communément adoptée. Le monde des affaires
regorge d’innovateurs déchus, de pionniers rattrapés et dépassés par leurs concurrents : Intel
dans le domaine de la production de barrettes de mémoire pour PC (imité par des concurrents
japonais), Macintosh pour les OS à interface graphique (imité par Microsoft et son célèbre
Windows) sont deux exemples d’entreprises ayant dû faire face aux effets dévastateurs de
l’imitation (Ma et Karri, 2005, p.71).
En réduisant la capacité des innovateurs à soutenir un avantage concurrentiel, l’imitation
constituerait une menace pour leur performance (Hitt, Ireland et Hoskisson, 2007 ; Sirmon,
Arregle, Hitt et Webb, 2008). Et Koenig (1999, p.221) d’estimer, à la suite de Rumelt (1984),
que « la capacité d’une entreprise à soutenir un avantage concurrentiel dépend de la facilité
avec laquelle elle peut être imitée par d’autres. »
7 "Easy imitation implies the rapid dissipation of rents.” 8 Sur la base de la théorie des jeux, Conner (1995) démontre que des externalités de réseau peuvent amener un innovateur à encourager des imitateurs pour imposer un standard technique, lancer une mode, etc. Le risque est néanmoins d’enfermer l’industrie toute entière dans un standard alors qu’une meilleure alternative serait disponible (Farrell et Saloner, 1985).
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
38
Plusieurs auteurs ont alors tenté d’élaborer des réponses possibles parmi lesquelles la mise en
place de manœuvres visant à rendre l’imitation faiblement payante afin de « défendre sa
position contre des imitateurs ou des nouveaux venus » (Porter, 1982 [2004], p.188) telles que
le positionnement dans un groupe stratégique protégé par des fortes barrières à la mobilité
(Porter, 1979), la mise en place de protections légales tels que les brevets (Coyne, 1986),
l’adoption de stratégies complexes en termes de nombre de décisions et d’interactions entre
ces décisions (Rivkin, 2000) ou de stratégies de ruptures difficilement réplicables (Dumoulin
et Simon, 2005). De leur côté, d’autres contributeurs semblent privilégier des stratégies
d’évitement en préconisant aux entreprises victimes d’imitation de trouver d’autres sources
d’avantage concurrentiel ou de s’internationaliser (Hitt, Tihanyi, Miller et Connelly, 2006 ;
Morrow, Sirmon, Hitt et Holcomb, 2007).
Les développements les plus poussés sont néanmoins à inscrire au crédit des tenants des
approches par les ressources et par les compétences (Barney, 1991 ; Dierickx et Cool, 1989 ;
Peteraf, 1993 ; Rumelt, 1984 ; Teece et al., 1997 ; Wernerfelt, 1984). S’éloignant du postulat
d’homogénéité et de mobilité des ressources (voir notamment Koenig, 1999 ; Priem et Butler,
2001), ces auteurs se sont souvent attachés à mettre en lumière les conditions sous lesquelles
les ressources d’une entreprises peuvent constituer une source d’avantage concurrentiel. Selon
Barney (1991) la rareté, la valeur (la capacité d’une ressource à permettre l’exploitation d’une
opportunité ou la neutralisation d’une menace), la non-substituabilité et le caractère
difficilement imitable d’une ressource sont de nature à permettre la constitution d’un avantage
concurrentiel9.
Comme l’explique Barney, plusieurs éléments peuvent être de nature à gêner et à rendre
coûteuse l’imitation d’une ressource par des concurrents (Barney, 1991, 2001). C’est par
exemple le cas de conditions historiques particulières qui ne se répéteront pas, d’une
imbrication dans des mécanismes sociaux et organisationnels complexes, mais surtout d’une
ambiguïté causale (Lippman et Rumelt, 1982 ; Reed et DeFillippi, 1990) empêchant les
concurrents « d’identifier avec certitude les causes de l’efficience du leader » et de mettre en
9 Notons ici que, dans la conception proposée par Barney, l’avantage concurrentiel ne saurait être durable en ce qu’il pourrait être remis en cause par une évolution majeure de l’environnement (une révolution technologique par exemple). La Resource-based « view » privilégie donc la notion d’avantage soutenable (capable de résister aux tentatives d’imitation des concurrents).
Première partie : Revue de la littérature
39
lumière les « moteurs de son avantage concurrentiel » (Forgues et Lootvoet, 2006, p.199)10.
Dès lors, constituer un avantage concurrentiel sur la base de routines (Nelson et Winter,
1982), de compétences largement tacites (Teece et al., 1997), de ressources et de compétences
fortement ancrées dans les processus de l’entreprise et étroitement liées à ses autres ressources
(Dierickx et Cool, 1989 ; Teece et al., 1997) constituent des moyens de se prémunir de la
menace incarnée par des imitateurs potentiels.
Cette volonté de maintenir un certain degré d’ambiguïté causale pour gêner les imitateurs
potentiels est susceptible de placer l’organisation en situation de « double-bind ». La
codification du savoir (conversion du savoir tacite en savoir explicite) a souvent été décrite
comme un préalable indispensable au transfert de connaissances et à l’apprentissage
organisationnel (Bierly et Chakrabarti, 1996 ; Nonaka et Takeuchi, 1995 ; Szulanski, 1996).
En rendant explicite le savoir tacite, l’organisation facilite néanmoins l’imitation et fragilise
son avantage concurrentiel (Schulz et Jobe, 2001 ; Zander et Kogut, 1995). La codification du
savoir doit donc s’accompagner, pour la firme innovatrice, d’un effort de protection légale de
ses innovations (García-Muiña, Pelechano-Barahona et Navas-López, 2008).
Remettant en question le nécessaire effort de protection vis-à-vis des imitateurs, McEvily et
ses collègues (2000) avancent l’idée que plus un concurrent aura du mal à imiter une
ressource, plus il aura tendance à essayer de trouver une ressource de substitution qui pourra
constituer une menace plus sérieuse pour l’avantage concurrentiel. L’imitation pourrait donc,
selon ces auteurs, constituer un « moindre mal » compte tenu des retombées négatives liées au
développement, par des concurrents, d’une ressource de substitution.
10 Dans toute la littérature consacrée aux barrières à l’imitation, l’ambiguïté causale est probablement le concept ayant fait l’objet du plus grand nombre de travaux empiriques. Pour autant, comme le notent Powell, Lovallo et Caringal (2003) à la suite de King et Zeithaml (2001, 2003), les résultats tendant à prouver une corrélation positive entre ambiguïté causale et performance de l’entreprise demeurent, en l’état actuel, très peu convaincants. Au-delà des défis méthodologiques suscités par la mesure de l’ambiguïté causale, une question théorique majeure demeure non résolue : l’ambiguïté causale peut certes réduire l’imitabilité d’une ressource ou d’une compétence, mais elle peut également rendre plus difficile l’exploitation (en interne) de la dite ressource ou compétence (King et Zeithaml, 2001, 2003 ; Powell et al., 2003). Dès lors, l’influence de cette variable sur la performance de l’entreprise apparaît complexe.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
40
b) Un jeu auquel tout le monde perd
Au-delà de l’entreprise imitée, ce sont les profits de l’industrie toute entière qui peuvent être
affectés par l’imitation (Nelson et Winter, 1982 ; Porter, 1982 [2004]). Dans l’esprit de la
tragédie des communaux11 l’imitation, lorsqu’elle se généralise, est considérée comme le
pillage d’une ressource (d’une innovation) partagée : les imitateurs perdraient de vue l’intérêt
commun en négligeant les retombées négatives de leurs décisions sur les autres. L’imitation
généralisée aurait ainsi contribué à plonger le secteur cimentier français dans une crise de
surcapacité (Dumez et Jeunemaitre, 1995, 1996).
Dans l’industrie, l’imitation est par ailleurs susceptible d’enclencher un cercle vicieux, « une
concurrence à somme nulle, des prix fixes où orientés à la baisse, une pression sur les coûts
de nature à compromettre la capacité des entreprises à réaliser des investissements à long
terme » (Porter, 1996, p.64). En s’imitant les unes les autres, les entreprises chasseraient sur
les mêmes terres stratégiques, entreraient en compétition pour conquérir les mêmes clients et
s’adresser aux mêmes marchés. Cette augmentation de l’intensité concurrentielle aurait, bien
sûr, pour conséquence de minorer la capacité des firmes à générer des profits (Cool, Roller et
Leleux, 1999 ; Whalen, 1992).
Les entreprises auraient donc renoncé à la stratégie, victimes de l’angoisse que ressentent
leurs managers à l’idée de faire des choix clairs. Focalisés sur leurs tableaux de bords,
obsédés par un climat (réel ou fantasmé) d’hyper-compétition, enfermés dans leur quête
d’efficacité opérationnelle et inondés d’informations relatives aux décisions prises par leurs
concurrents, ces derniers auraient succombé au piège des « best-practices » et de l’imitation
renonçant, du même coup, à l’essence de la stratégie. Ils se seraient engagés dans une
concurrence fondée sur la seule efficacité opérationnelle aux résultats dramatiques. Pour sortir
de ce cercle vicieux, Koenig (1999, p.218) préconise de privilégier des stratégies de
distinction qui mettent « en présence des firmes dont les systèmes de ressources sont
profondément différents et qui sont capables d’offrir des produits aux caractéristiques
fonctionnelles […] contrastées » à des stratégies de différenciation ne visant qu’à
11 Phénomène bien connu des économistes, la « tragédie des communaux » renvoie à l’idée que « lorsqu’il existe une ressource commune, que tout le monde peut utiliser gratuitement et librement, aucun usager ne pense aux possibles effets négatifs de ses actes sur les autres » (Stiglitz, 2006, p.228). Popularisée par Garrett Hardin (1968), l’expression renvoie explicitement aux « communaux », terrains sur lesquels les paysans anglais faisaient paître leurs moutons au moyen-âge : focalisé sur son propre intérêt, chaque paysan y envoyait de plus en plus de moutons. Les moutons étant de plus en plus nombreux, l’herbe disparaissait, créant un résultat sous-optimal pour l’ensemble de la collectivité.
Première partie : Revue de la littérature
41
« poursuivre la concurrence sur d’autres variables que le prix. » Les secondes d’instaurer un
simple partage du marché (jeu à somme nulle) là où les premières sont susceptibles de
développer la demande (jeu à somme positive).
c) La croissance économique compromise
Opposant innovation à imitation, de nombreux économistes ont tenté – dans le prolongement
des travaux de Schumpeter – de mettre en exergue les effets négatifs d’une politique
économique encourageant l’imitation sur la croissance économique. Des modèles de
croissance endogène, étudiant les effets de l’innovation et de l’imitation sur l’économie, ont
ainsi été proposés. Là encore l’imitation est souvent décrite comme une voie à ne pas suivre.
En diminuant le retour des investissements en recherche & développement réalisés par les
innovateurs, elle rendrait l’innovation moins attractive et viendrait compromettre la
croissance économique12. Selon Davidson et Segerstrom (1998), qui sont sur ce point rejoints
par Zeng (2001) un gouvernement qui déciderait d’encourager l’imitation par une politique de
subventions, augmenterait certes le bien-être des consommateurs (qui pourraient ainsi
bénéficier d’une offre plus large à des prix plus bas) mais conduirait à ralentir la croissance en
décourageant les innovateurs.
3. DES REALITES EMPIRIQUES
Nous allons maintenant voir qu’en dépit de son caractère anti-stratégique supposé, l’imitation
est très courante en management. Les comportements imitatifs sont susceptibles de concerner
des pans très divers de la vie des organisations tels que le choix du lieu d’implantation (Baum,
Li et Usher, 2000), les décisions d’implanter un progiciel intégré de gestion (Pupion et
Leroux, 2006), le choix d’un banquier d’affaire pour chapeauter une acquisition (Haunschild
et Miner, 1997), l’adoption de tel ou tel régime fiscal (Pupion et Montant, 2004), la fixation
du niveau de stock-options attribués aux dirigeants (Brandes et al., 2006) ou encore la
décision d’entrer dans un consortium (Bolton, 1993).
12 Un argument fréquemment attribué à Arrow (1962) permet d’apporter quelques nuances. En diminuant les rentes associées l’innovation, l’imitation aurait certes un impact négatif sur les profits des entreprises pionnières mais elle les inciterait également à continuer à innover pour conserver leur avance. Dans une économie placée en situation d’équilibre, l’imitation pourrait donc avoir un effet bénéfique (Aghion, Harris et Vickers, 1997 ; Aghion, Harris, Howitt et Vickers, 2001 ; Aghion, Bloom, Blundell, Griffith et Howitt, 2005 ; Zhou, 2009).
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
42
Les décisions stratégiques ne font pas figure d’exception : les radios américaines s’imitent
pour déterminer leur positionnement stratégique (Greve, 1996, 1998), les firmes américaines
s’imitent pour décider de leur structure organisationnelle (Fligstein, 1985 ; Palmer, Jennings
et Zhou, 1993), les multinationales asiatiques s’inspirent de l’expérience de leurs
compétiteurs pour établir leurs stratégies d’internationalisation (Guillén, 2002, 2003 ; Henisz
et Delios, 2001).
Selon les industries étudiées, les comportements imitatifs peuvent être plus ou moins
courants, et plus ou moins tolérés. Dans une étude consacrée à l’industrie hôtelière, Baum et
Ingram (1998) citent ainsi un article tiré de la presse professionnelle aux allures de « pousse
au crime ».
« Un professionnel qui ne visite pas et n’inspecte pas au moins dix hôtels par an est un fainéant. Quand je parle d’inspection des hôtels, je veux dire qu’il faut que vous commenciez par le toit et que vous descendiez jusqu’aux fondations et que vous identifiez tous les bons points de l’offre proposée par le manager de l’hôtel. » 13
Hotel Monthly, Octobre 1939, cité par Baum et Ingram (1998, p.1000)
Au-delà de cet exemple anecdotique, les théories de la diffusion (section 3.1) et les travaux
consacrés aux modes managériales (section 3.2) rendent compte, non seulement de
l’importance du phénomène imitatif en Sciences de Gestion, mais aussi de sa diversité.
Les théories de la diffusion et des modes managériales sont deux ensembles conceptuels qui
ont été façonnés par l’agrégation de très nombreux travaux empiriques consacrés à des
secteurs d’activités divers et s’intéressant à des situations où l’imitation est susceptible de
porter sur des objets très différents.
Ni les théories de la diffusion, ni les travaux consacrés aux modes managériales ne
constitueront le socle conceptuel de la thèse. Leur présentation aura ici pour objectif de
souligner la régularité des phénomènes d’imitation en Sciences de Gestion. Au risque de nous
éloigner du fil directeur de ce chapitre, nous avons fait le choix de présenter de façon
approfondie ces courants afin de ne pas les caricaturer. Les deux courants de recherche seront
synthétisées à la fin des sections 3.1 et 3.2 par le biais d’encadrés de synthèse.
13 “Any hotel man who does not visit and inspect at least ten hotels a year is slipping. When I say inspect the hotels, I mean that you must start at the roof and go to the basement and listen to the good points the manager has to offer.”
Première partie : Revue de la littérature
43
3.1. L’APPORT DES THEORIES DE LA DIFFUSION
Les théories de la diffusion peuvent constituer une porte d’entrée dans l’étude des
phénomènes d’imitation. Le concept de diffusion a, en effet, souvent été mobilisé, en sciences
sociales, pour expliquer l’homogénéité (Strang et Meyer, 1993). Depuis les travaux
fondateurs de Ryan et Gross (1943) consacrés au phénomène de diffusion du maïs hybride,
des chercheurs, officiant dans des disciplines variées, se sont ainsi intéressés à la façon dont
se diffusent des innovations, telles que le téléphone, les tests de dépistage de la tuberculose,
les croyances religieuses, les kidnappings, l’organisation multi-divisionnelle, la stratégie de
diversification, etc.
Ce domaine de recherche, hétéroclite dans ses objets et dans ses champs disciplinaires de
rattachement a largement été façonné par Rogers qui, par les éditions successives de son
ouvrage Diffusion of innovations (Rogers, 1962, 1983, 1995, 2005 ; Rogers et Shoemaker,
1971) a contribué à la visibilité, à l’agrégation de travaux disparates et à la construction de la
plateforme conceptuelle que nous désignons aujourd’hui par le label « théorie de la
diffusion » en proposant un modèle universel de diffusion des innovations.
Le terme innovation est utilisé pour désigner ce qui se diffuse. Dans le domaine des Sciences
de Gestion, il pourra s’agir d’une nouvelle pratique (comme l’attribution de stock-options aux
dirigeants ou la mise en place de cercles de qualité), d’une nouvelle technologie, d’une
nouvelle structure organisationnelle ou d’une nouvelle stratégie (Strang et Soule, 1998). A la
suite de Westphal et ses collègues (1997), il convient de préciser que les modalités d’adoption
de ces innovations peuvent différer d’une organisation à une autre : les entreprises peuvent,
par exemple, adapter des pratiques de qualité totale en fonction de leurs propres spécificités.
a) Principe général
La diffusion est définie comme un « processus par lequel une innovation se communique au
travers de certains canaux au fil du temps parmi les membres d’un système social » (Rogers,
2003)14. Parmi les différents facteurs susceptibles d’influer sur le processus de diffusion,
l’imitation joue un rôle essentiel.
14 “We defined diffusion as the process by which an innovation is communicated through certain channels over time among the members of a social system.”.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
44
Comme le souligne Granovetter (1978, 2000b) dans un de ses premiers travaux, la propension
à l’imitation est différente selon les individus ou selon les organisations : certains acteurs
seraient plus moutonniers que les autres. Prenant l’exemple d’une émeute, le père de la
sociologie économique explique, par exemple, que chaque participant potentiel a besoin
d’attendre qu’un certain nombre d’individus s’y soient engagés préalablement avant de s’y
engager à son tour.
Ce seuil, à partir duquel l’individu décide d’adopter une innovation est défini comme la
proportion d’individus, dans son groupe de référence, ayant fait ce choix avant qu’il ne le
fasse à son tour. Pour les premiers adoptants, ce seuil est proche de 0% : ils adoptent
l’innovation même si personne ne les a précédé. Pour les adoptants tardifs en revanche, ce
seuil est proche de 90% : ils ont besoin que la plupart des individus qui composent leur
environnement social aient adopté l’innovation avant de l’adopter à leur tour. Dans la réalité
cependant, peu d’individus se montrent aussi radicaux ou aussi conservateurs : les individus
ont des seuils moyens, et différents les uns des autres. Nous avons tous un seuil à partir
duquel nous pouvons décider de quitter une réunion publique ennuyeuse (alors que la
politesse ou la timidité nous inciteraient à y rester), de voter pour un candidat à une élection
(non seulement en raison d’une pression sociale mais aussi pour ne pas gaspiller notre vote),
de contribuer à la propagation d’une rumeur, etc. C’est la distribution de ces seuils qui
conditionne la façon dont chaque innovation se diffuse.
b) Du déclenchement du processus de diffusion
Les changements de l’environnement constituent souvent un facteur déclencheur du processus
de diffusion. Selon Fligstein (1990), la politique « antitrust » du gouvernement fédéral
américain aurait ainsi initié la diffusion des stratégie de diversification, les firmes américaines
voyant leurs possibilités d’intégration verticale réduites. Ces stratégies auraient préalablement
été adoptées par des « innovateurs déviants » avant de se diffuser plus largement, par
contagion.
Dans la définition des phénomènes de contagion qu’il propose, Burt (1987) fait entrer en jeu
deux individus (ou deux organisations) respectivement désignés par les termes ego et alter.
L’ego, qui n’a pas encore adopté l’innovation entre en contact avec l’alter, l’ayant déjà
adoptée, et l’adopte à son tour. Cette définition est très proche de celle proposée par
Haunschild (1993) pour caractériser l’imitation.
Première partie : Revue de la littérature
45
Ne connaissant pas avec précision les coûts et les bénéfices associés à l’adoption d’une
innovation (Burt, 1987), les membres d’une organisation sont supposés imiter ce qui est fait
dans d’autres organisations ou ce qui apparaît comme tel, au travers par exemple des discours
des dirigeants (Westney, 1987).
c) De l’observabilité : avantages perçus et transposabilité
L’observabilité d’une pratique est une condition à son imitation (Haunschild, 1993). En
exposant certaines innovations organisationnelles, les grands médias et la presse managériale
peuvent, de la même façon qu’ils contribuent à la dissémination des modes vestimentaires
(Warnier et Lecocq, 2007), contribuer à la diffusion d’innovations managériales, notamment
en relayant les expériences réussies par certaines entreprises pionnières. Les médias jouent
alors un rôle de régulateurs institutionnels de l’innovation (Hirsh, 1972).
Selon Burns et Wholey (1993), la diffusion de la structure matricielle parmi les hôpitaux
américains aurait ainsi largement été influencée par la presse écrite. En « donnant à voir »
certaines pratiques, les cabinets de conseil et les formations en management peuvent
également contribuer à la diffusion d’innovations managériales (Strang et Soule, 1998). Dans
le même ordre d’idée, les prestataires informatiques et les fabricants de matériel auraient,
selon Dos Santos et Peffers (1998), impulsé le processus de diffusion des premières
plateformes de e-commerce aux Etats-Unis. L’observabilité peut également être plus
immédiate. Une entreprise a ainsi plus de facilité à répliquer une décision prise par des
entreprises opérant sur la même zone géographique (Burns et Wholey, 1993 ; Davis et Greve,
1997 ; Greve, 1995, 1998 ; Gygax et Griffiths, 2007). Ce facteur est néanmoins supposé jouer
un rôle moins important avec l’essor d’Internet et des technologies de l’information et de la
communication (Rogers, 2003).
Il serait réducteur d’assimiler les organisations à des moutons de Panurge répliquant
mécaniquement les décisions prises par autrui. Ces dernières adoptent en effet les innovations
en fonction des avantages qu’elles leur associent, de leur pertinence de leur compatibilité avec
des valeurs, des normes, des besoins, ou des expériences passées. Comme le remarquent
Strang et Soule (1998), la perception des avantages associés à une innovation est souvent liée
aux caractéristiques de l’organisation adoptante : les dirigeants d’une grande organisation
adopteront probablement plus rapidement une innovation leur permettant de mieux gérer les
flux d’information qu’une nouvelle pratique sociale telle que les « beer bash Fridays ».
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
46
Même si elles ne mettent pas forcément en œuvre, a priori, des dispositifs formalisés
d’évaluation des innovations qu’elles adoptent, les organisations peuvent asseoir leurs
décisions sur l’observation de leurs concurrents. Cette observation figure parmi les résultats
proposés par Pupion et Leroux (2006), qui s’intéressent aux phénomènes de diffusion des
ERP parmi les PME françaises. Même si la plupart des entreprises interrogées par les deux
auteurs expliquent n’avoir pas formellement évalué les coûts et les bénéfices de l’innovation
avant son adoption, les attributs perçus de l'ERP et son adoption préalable par d'autres
entreprises (en particulier lorsqu’elle a été couronnée de succès) semblent, en revanche, jouer
un rôle déterminant. L’imitation de modèles ayant réussi est alors susceptible d’être à
l’origine d’un effet boule de neige (Strang et Macy, 2001). La question de la transposabilité
des pratiques imitées a souvent été décrite comme étant centrale dans les processus de
décision, en particulier lorsque ce sont des décisions stratégiques qui sont en jeu. Ces
dernières doivent, en effet, être pertinentes au regard des forces et des faiblesses de
l’entreprise et des menaces et opportunités de l’environnement… ce qui limite leur
transposabilité. Les organisations peuvent alors se fonder sur l’existence de caractéristiques
organisationnelles communes, telles que la taille (Fligstein, 1991 ; Haunschild et Beckman,
1998 ; Kraatz, 1995, 1998 ; Lant et Baum, 1995), ou l’exposition à des conditions
environnementales comparables (Greve, 1998) pour sélectionner les innovations à adopter.
Comme nous le verrons dans le chapitre 2, l’imitation de modèles sélectionnés en fonction de
leurs similitudes peut également trouver une explication dans des théories issues de la
psychologie sociale.
d) La diffusion et les réseaux sociaux
Les interactions sociales ont souvent été décrites comme un élément renforçant l’homogénéité
au sein d’un système social (Coleman, Katz et Menzel, 1966). Véritables canaux de
communication interpersonnels, les réseaux sociaux faciliteraient la diffusion en favorisant
l’imitation (Granovetter, 2000a ; Rogers, 2003).
Comme le précise Huault (2004b, p.49), en suivant Laumann, Galskeiwicz et Marsden
(1978), le réseau social est appréhendé comme « un ensemble d’instances, de nodes (telles
que des personnes, des organisations, des groupes sociaux, etc.), liées par des relations
sociales formelles ou informelles, fondées sur l’amitié, le transfert de ressources ou d’autres
axes de solidarité. »
Première partie : Revue de la littérature
47
Les liens sociaux des dirigeants des entreprises ont ainsi fait l’objet de plusieurs travaux
empiriques consacrés aux processus de diffusion. Prolongeant l’étude qualitative de Useem
(1979, 1984) qui mettait en exergue les pratiques d’observation et de réplication des
dirigeants, Galaskiewicz et Wasserman (1989) soulignent, par exemple le rôle des réseaux
sociaux dans la politique de dons à des organismes à but non lucratif des entreprises de la
région de Minneapolis. Les deux chercheurs parviennent à établir que les dons versés par une
entreprise à un organisme sont plus importants lorsque l'organisme a déjà reçu des dons
émanant d'entreprises dans lesquels les managers ou les dirigeants ont des contacts. Ces
contacts peuvent être noués avec des entreprises du même secteur d’activité ou d’autres
industries (Geletkanycz et Hambrick, 1997), par exemple dans le cadre de clubs privés
(Palmer et Barber, 2001 ; Stearns et Allan, 1996), d’associations professionnelles
(Geletkanycz et Hambrick, 1997), ou de participations à des conseils d’administration (Davis,
1991 ; Guillén, 2002 ; Haunschild et Beckman, 1998 ; Henisz et Delios, 2001 ; Palmer et
Barber, 2001 ; Palmer et al., 1993).
Cette dernière idée est confirmée par Haunschild et ses collègues (Haunschild, 1993 ;
Haunschild et Beckman, 1998) qui parviennent à établir que les entreprises imitent des
modèles avec lesquels elles ont des administrateurs en commun pour fixer leur politique
d’acquisition. Des résultats comparables ont été obtenus par des chercheurs s’intéressant aux
« poison pills »15 (Davis, 1991 ; Davis et Greve, 1997), aux contributions versées dans le
cadre de campagnes électorales (Mizruchi, 1992), à l’adoption de la forme multi-divisionnelle
(Palmer et al., 1993), à la mise en place d’une stratégie de diversification (Palmer et Barber,
2001), aux processus décisionnels (Westphal, Seidel et Stewart, 2001), à la taille du
portefeuille d’actifs des fonds américains de capital risque (Gygax et Griffiths, 2007), au
montant des primes d’acquisition (Haunschild, 1994) ou encore aux pratiques de recrutement
des dirigeants (Williamson et Cable, 2003).
De la même façon que les virus se diffusent plus rapidement dans des milieux urbains très
peuplés que dans des milieux ruraux, la densité du réseau social se présente comme un facteur
accélérant la diffusion des innovations (Davis et Greve, 1997). Une innovation aura, par
ailleurs, plus de chances de se diffuser lorsqu’elle aura été adoptée préalablement par une
15 Dispositions juridiques permettant de protéger les actifs stratégiques de l’entreprise en cas de prise de contrôle non désirée.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
48
organisation fortement encastrée (Davis, 1991), c'est-à-dire ayant de nombreux liens avec
l’extérieur.
Au-delà des liens sociaux, les liens financiers (appartenance à un même groupe ou à un même
groupement d’intérêt économique, participations croisées) contribuent eux-aussi à la
dynamique de diffusion (Bourgeois, 2007 ; Westphal et Zajac, 1997). Dans sa célèbre étude
des « poison pills », Davis (1991) montre ainsi que les entreprises ont tendance à imiter des
modèles avec lesquels elles ont des participations croisées. Dans le cas des entreprises
asiatiques, l’appartenance à un même « keiretsu » ou à un même « chaebol »16 (Guillén, 2003)
facilite l’imitation et permet d’expliquer les processus de diffusion. Les stations de radio
américaines imitent les stations détenues par le même groupe ou des concurrents de ces
dernières (Greve, 1995, 1996, 1998). Dans le même esprit, Bourgeois (2007), au travers d’une
étude de cas consacrée à l’entreprise La Redoute, montre comment la maison mère PPR
encourage sa filiale à mettre en place, par mimétisme des outils « à la mode » telles que
l’évaluation 360°.
Comme le notent Haunschild et Beckman (1998), les différents facteurs contribuant à la
diffusion peuvent se substituer ou se renforcer les uns les autres. L’influence des liens sociaux
constitués par les administrateurs est ainsi moins importante chez les entreprises de grande
taille (qui sont supposées avoir accès à d’autres sources d’information). Elle se renforce, en
revanche, lorsque l’entreprise modèle a fait l’objet d’une couverture médiatique importante.
Les modalités de diffusion sont donc susceptibles de varier en fonction de l’environnement,
des caractéristiques des organisations adoptantes ou de l’innovation considérée.
16 Equivalents coréens des keiretsus japonais, ensemble d'entreprises, opérant dans différents secteurs d’activité qui entretiennent entre elles des participations croisées.
Première partie : Revue de la littérature
49
Synthèse 1
Points essentiels des théories de la diffusion en Sciences de Gestion
Auteurs clés : Rogers ; Davis ; Haunschild / Champs disciplinaires : Variés / Niveaux d’analyse : Divers
� Les théories de la diffusion s’intéressent aux modalités et aux processus de diffusion des innovations au sein de population d’organisations.
� Une perturbation de l’environnement est souvent à l’origine de l’apparition de nouvelles pratiques, structures ou stratégies désignées par le terme « innovations ».
� L’adoption d’une innovation est génératrice d’incertitude pour les organisations car elles ne connaissent pas avec précision les coûts et les bénéfices associés.
� Les organisations adoptent les innovations en fonction des coûts et des bénéfices
qu’elles perçoivent mais aussi par imitation, on parle alors de contagion.
� Des facteurs tels que la proximité géographique, l’exposition médiatique, les liens
sociaux constitués par les dirigeants et les administrateurs (interlock ties) viennent alors jouer un rôle déterminant dans la diffusion des innovations.
3.2. L’IMITATION ET LES MODES MANAGERIALES
Les Sciences de Gestion constituent une discipline qui se consacre, souvent de façon
exclusive, à la construction d’outils et à la formulation de prescriptions censées permettre
l’amélioration de la performance. Comme le regrette Isaac, la question de la provenance des
concepts et des méthodes de gestion a souvent été périphérique (Isaac, 2000).
Tel est pourtant l’objet des travaux consacrés aux modes managériales qui, et c’est leur
originalité par rapport aux travaux consacrés à la diffusion des innovations, appréhendent, de
façon complémentaire des facteurs économiques (recherche de performance) et des facteurs
institutionnels, liés par exemple à la recherche de légitimité (Bardon, 2007). Ils permettent
donc de dépasser le biais rationaliste « pro-innovation » qui caractérisait les travaux issus des
théories de la diffusion.
a) Les phases génériques des modes managériales
« Management par projet », « qualité totale », « reeingenering », « benchmarking »,
« knowledge management » sont quelques exemples d’instruments de gestion soumis au
phénomènes de modes (Bourgeois, 2006) dont l’efficacité a souvent été mise en doute
(Abrahamson, 1996 ; Midler, 1986 ; Staw et Epstein, 2000).
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
50
Si elles diffèrent dans leur « cycle de vie » (Abrahamson et Fairchild, 1999) ces modes
résultent d’un accord tacite ou formel entre producteurs et consommateurs de savoir
managérial (Huczynski, 1993). Elles obéissent aux phases standard que sont la création, la
sélection, la légitimation, et la dissémination (Abrahamson, 1996). Ces phases donnent lieu à,
et sont le produit des, interactions entre plusieurs « communautés » telles que les médias, les
consultants, les gourous du management, la communauté académique (Bardon, 2007 ;
Suddaby et Greenwood, 2001).
Les nouveaux instruments trouvent souvent leur origine dans des facteurs sociaux,
économiques, politiques ou technologiques (Abrahamson, 1996 ; Thévenet, 1985). A l’origine
de leur création on peut trouver des managers souhaitant répondre à des besoins spécifiques
ou des « offreurs de savoir » qui peuvent les développer sur la base de connaissances plus
anciennes. Ces instruments sont ensuite sélectionnés et portés à la connaissance de tous,
notamment par les médias (tels que la presse professionnelle et managériale) qui créeront des
discours visant à légitimer la nouvelle technique. La volonté de se forger des certitudes sur la
base d’une pensée déjà formulée (Bourgeois, 2006 ; Midler, Moire et Sardas, 1984), la
recherche de nouveauté par de managers frustrés et s’ennuyant au travail (Abrahamson, 1996
; Midler, 1986) mais aussi la foi dans les bienfaits des instruments nouvellement crées
(Bourgeois, 2006, 2007) constituent, par la suite, de puissants leviers de dissémination des
modes managériales qui peuvent, d’ailleurs, se transformer en concepts « fourre-tout » et
regrouper des pratiques très différentes (Giroux, 2006).
b) Une dissémination des modes managériales
En suivant Bourgeois (2007), on est cependant frappé par le rôle de l’imitation dans la
diffusion des modes managériales. A l’image de Toyota, dont les pratiques de qualité totale
sont souvent imitées17, certaines entreprises jouent ainsi le rôle de « fashion setters » et
contribuent au renforcement des modes managériales (Abrahamson, 1996). C’est en
particulier le cas des grandes entreprises (Midler, 1986) qui viennent apporter une certaine
caution aux instruments de gestion qu’elles adoptent.
c) Des facteurs économiques et socio-psychologiques
Il serait réducteur de présenter les managers adoptant des nouveaux instruments de gestion
comme de simples « victimes de la mode ». Comme le remarque Abrahamson (1996), des
17 Cas Valeo, Ascometal Sollac et Rexam dans la thèse de Christophe Bourgeois (2007)
Première partie : Revue de la littérature
51
motifs rationnels (liés à des facteurs économiques ou technologiques et allant dans le sens
d’une recherche de performance pour l’organisation) existent, en particulier dans le cas d’une
adoption précoce.
Pour autant, ces motifs ne recouvrent qu’une part infime des raisons pour lesquelles des
managers peuvent décider de succomber aux instruments à la mode et doivent être complétés
par des facteurs d’ordre psychosociologiques, « liés aux décideurs en tant qu’individus »
(Bardon, 2007, p.9). Ces facteurs permettent d’expliquer pourquoi des innovations, dont les
retombées positives sont loin d’être avérées, peuvent se disséminer (Abrahamson et
Rosenkopf, 1993).
Les managers peuvent ainsi voir en l’adoption de techniques à la mode un moyen d’accélérer
leur carrière en se présentant comme étant à la pointe de ce qui se fait de mieux ou comme
soucieux de l’intérêt des actionnaires (Huczynski, 1993). Ce type d’attitude peut ainsi se
traduire par des augmentations de salaire (Staw et Epstein, 2000). Les nouvelles pratiques
peuvent, par ailleurs, être perçues comme des remèdes miracles (Gill et Whittle, 1992), ou
s’inscrire dans un besoin de différenciation et de conformité (Bardon, 2007).
Synthèse 2
Points essentiels des travaux consacrés aux modes managériales
Auteur clé : Abrahamson / Champ disciplinaire : Sciences de Gestion Niveaux d’analyse : Champ organisationnel du savoir managérial
� Les modes managériales véhiculent des pratiques de gestion dont l’efficacité a souvent été mise en doute.
� Leur cycle de vie obéit à quatre grandes phases génériques (création, sélection, légitimation, dissémination) qui font intervenir plusieurs communautés.
� L’imitation joue un rôle central dans la phase de dissémination.
� Des facteurs technico-économiques coexistent alors avec des facteurs institutionnels liés à la notion de légitimité.
� A la recherche de performance qui est celle de l’organisation viennent également se greffer des facteurs socio-psychologiques liés aux motivations individuelles des managers.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
52
4. VERS UNE APPROCHE EXPLICATIVE ET TOURNEE VERS LES PRATIQUES
Malgré certaines préconisations théoriques qui poussent les entreprises à adopter une stratégie
différente de celle de leurs concurrents, les sections qui précèdent montrent que les
comportements imitatifs font partie intégrante de la prise de décision stratégique. Comment
s’en étonner ? L’imitation a été mise en évidence dans de nombreux domaines de la vie des
organisations. La stratégie ne fait pas figure d’exception.
De façon provocante, la question qui attirera notre attention pourra se formuler de façon
suivante : Pourquoi des stratèges, exposés aux principes orthodoxes de la stratégie au cours de
leurs études ou de leurs lectures (le discours dominant qui valorise l’innovation et stigmatise
l’imitation est largement diffusé par la presse managériale) se risquent-ils à imiter leurs
concurrents ? Quelles sont les raisons qui poussent ces praticiens à faire de l’imitation un pan
essentiel de leur stratégie ?
4.1. UN APERÇU DE LA RECHERCHE
De par leur enracinement dans le champ des Sciences Sociales, les Sciences de Gestion ont
vocation à expliquer les actions individuelles, les comportements collectifs et organisationnels
auxquels elles sont confrontées. Cet objectif est particulièrement fort lorsque les
comportements analysés semblent, à première vue, contre-intuitifs ou irrationnels. C’est
précisément la situation à laquelle nous sommes confrontés lorsqu’il est question d’imitation
concurrentielle. Notre recherche cherchera donc à répondre à une question souvent posée
(Haunschild, 1993 ; Lieberman et Asaba, 2006) : « pourquoi observe-t-on des comportements
imitatifs chez les organisations ? »
a) Démarche générale
La réponse que nous proposerons prolongera une conception défendue par Miner et Raghavan
(1999). Ces deux auteurs conçoivent, en effet, l’imitation inter-organisationnelle comme le
produit de décisions d’individus plutôt que comme le fruit de processus échappant à leur
contrôle. Nous appréhenderons donc l’imitation concurrentielle au travers des décisions
individuelles. Comme nous allons le voir, la littérature consacrée à ce sujet est abondante.
Elle devient pléthorique si, comme nous allons chercher à le faire, on y intègre des travaux
s’éloignant du champ des Sciences de Gestion.
Première partie : Revue de la littérature
53
Pour faciliter cet exercice, les travaux théoriques existants seront regroupés en fonction des
modèles de rationalité qu’ils mobilisent. La revue de littérature permettra de formuler nos
questions de recherche et de guider la présentation des résultats.
Dans la partie empirique de cette recherche, nous nous intéresserons à un champ d’étude très
concerné par les questions liées à l’imitation concurrentielle : les radios musicales françaises.
Une attention particulière sera portée aux programmateurs qui ont la charge de décider des
disques qui sont diffusés par la radio musicale dans laquelle ils officient.
Parfois accusées d’avoir renoncé à la découverte de nouveaux talents (Blachas, 2004 ; Sok,
2007), les radios musicales françaises sont depuis 2004 placées au cœur d’une controverse
opposant NRJ aux radios indépendantes. En effet, le leader du secteur accuse régulièrement
les radios indépendantes de plagier sa programmation musicale.
La problématique de notre recherche pourra donc se formuler de la façon suivante :
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?
b) Une démarche ancrée dans le courant de la stratégie en pratiques
Par leurs décisions de programmation, les programmateurs contribuent largement au
positionnement concurrentiel des radios pour lesquelles ils travaillent. En effet, en décidant
des disques qui seront diffusés, les programmateurs rendront le programme plus ou moins
attractif vis-à-vis de certaines cibles démographiques. C’est cette audience qui sera ensuite
commercialisée aux annonceurs.
Notre intérêt pour des décisions quotidiennes d’individus qui, bien que n’ayant pas la fonction
de directeurs généraux, contribuent à la formulation de la stratégie rejoint les préoccupations
de la vaste communauté des chercheurs qui s’inscrivent dans le courant de la stratégie en
pratiques (« strategy as practice »). Ce courant de recherche a, depuis plusieurs années, pris le
parti le parti « d’humaniser » la recherche en stratégie (Jarzabkowski, Balogun et Seidl,
2007). Comme le remarque Langley dans un entretien publié par la Revue Française de
Gestion (Rouleau, Allard-Poesi et Warnier, 2007a, p.194), ce n’est pas forcément au niveau
de la direction générale que « la véritable stratégie se fait ou que se trouvent les ingrédients
du succès d’une stratégie réussie. La stratégie se fait-elle vraiment dans les réunions de la
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
54
haute direction ? Elle se fait peut-être autant, sinon davantage, dans les activités de tous les
jours, dans les opérations de base de l’entreprise. »
Il s’agira alors de privilégier des niveaux d’analyse microscopiques (individus, décisions
individuelles) par opposition aux niveaux d’analyse plus agrégés adoptés dans des recherches
centrées sur des organisations, des processus18 ou des populations d’organisations19
(Golsorkhi, 2006b ; Jarzabkowski et al., 2007 ; Whittington, 2006). L’émergence de ce
courant de recherche prolonge le « practice-turn », un mouvement entamé dès les années
soixante-dix en Sociologie et en Anthropologie qui voit la société plus comme le résultat des
interactions sociales quotidiennes des individus que comme le produit de structure sociales
(Chanal, 2009 ; Rouleau, Allard-Poesi et Warnier, 2007b).
Dès lors, la stratégie ne sera plus appréhendée comme quelque chose que « les organisations
ont » mais comme quelque chose que « les gens font » (Johnson et al., 2003). Une idée
formalisée Jarzabkowski, Balogun et Seidl (2007) au travers de la notion de praxis, « des flux
d’activités qui se déroulent dans un contexte donné, qui sont socialement construits et qui ont
des répercussions stratégiques sur l’avenir et la survie d’une organisation, d’un groupe
d’organisations ou d’une industrie »20.
Avec la stratégie en pratiques, c’est le quotidien qui devient stratégique. La notion de
pratiques pourra, par exemple, renvoyer les outils et les artefacts utilisés par les individus
dans leur travail de fabrication de la stratégie (Jarzabkowski, 2005). Nous appréhenderons ici
cette notion dans un sens un peu plus large puisque nous étudierons à la fois ce que les
programmateurs font lorsqu’ils imitent leurs concurrents, mais aussi les raisons qui les
poussent à le faire. Notre étude des pratiques d’imitation concurrentielle s’appuiera donc, non
seulement sur une compréhension des comportements imitatifs mais aussi sur leur explication
en fonction des raisons qui les sous-tendent.
18 Niveau micro-économique. 19 Niveau méso-économique. 20 “Situated, socially accomplished flows of activity that strategically are consequential for the direction and survival of the group, organization or industry” (Jarzabkowski et al., 2007, p.11)
Première partie : Revue de la littérature
55
c) Une démarche abductive
Si l’orientation consistant à mobiliser l’approche par le courant de la stratégie en pratiques
pour étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle est originale, elle rejoint un certain
nombre de préoccupations déjà exprimées dans des travaux antérieurs. Ces travaux, même
s’ils adoptent des niveaux d’analyse plus agrégés, ne peuvent être écartés car ils partent
souvent de raisons individuelles pour expliquer les phénomènes qu’ils décrivent.
Pour réaliser cette recherche, nous avons donc fait le choix d’adopter une « stratégie
hybride » de production de la connaissance (Weingart, 1997) qui consiste en un va-et-vient
permanent entre littérature et données. La conceptualisation qui guidera la présentation des
chapitres théoriques est donc le résultat de cette démarche que nous qualifions, à la suite de
Koenig (1993), de Blaikie (2007) ou encore de Charreire et Durieux (2003), d’abductive.
Comme le remarque Fillol (2007, p.2), une telle démarche permet « d’éviter une distorsion
trop grande entre les construits théoriques et la réalité observée. En effet, l’étude empirique
présente presque toujours des spécificités ou des phénomènes non planifiés ex-ante, qui
viennent troubler la démarche initialement prévue. La démarche abductive permet, dans une
certaine mesure, d’intégrer ces phénomènes non identifiés et d’assurer plus avant la
cohérence entre la conceptualisation et le terrain. »
4.2. AU DELA DES FORMES D’IMITATION
Les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle qui adoptent des perspectives intégratives
ont souvent, pour articuler les théories qu’ils mobilisent, tenté de mettre en lumière plusieurs
formes d’imitation. Si cette orientation ne sera pas celle de notre recherche (nous nous
intéresserons davantage aux modèles de rationalités à l’œuvre) elle constitue néanmoins un
point d’entrée incontournable à toute étude traitant des phénomènes d’imitation
concurrentielle.
A ce titre, le travail de Haunschild et Miner (1997) a considérablement fait progresser la
connaissance en distinguant plusieurs comportements imitatifs chez les organisations. Ce
travail pionnier, qui consiste en une analyse quantitative des décisions d’acquisition de firmes
américaines, fait aujourd’hui figure de référence dans la littérature consacrée à l’imitation en
stratégie.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
56
La typologie proposée par les auteurs souffre cependant d’un certain nombre de limites qui
tiennent d’une part à son incomplétude et d’autre part à l’absence de caractère mutuellement
exclusif des idéaux-types qu’elle propose.
a) La typologie de Haunschild et Miner et ses développements
A l’issue d’un important travail de synthèse de la littérature existante, les deux chercheuses
parviennent à identifier trois formes d’imitation.
La première forme d’imitation est qualifiée d’imitation fondée sur la fréquence (« frequency
based imitation »). L’organisation imitatrice réplique ici une pratique, une structure ou une
décision largement répandue. On pourra trouver un exemple d’imitation fondée sur la
fréquence dans une étude réalisée par Burns et Wholey (1993) où l’adoption préalable de la
structure matricielle par une large proportion d’organisations du secteur conditionne son
adoption par les hôpitaux américains. D’autres recherches empiriques soulignant l’existence
de ce type de comportement ont été réalisées, notamment par Henisz et Delios (2001)
s’agissant des stratégies d’internationalisation des firmes multinationales japonaises. Selon
Miner et Raghavan (1999), cette forme d’imitation, lorsqu’elle se généralise, peut constituer
une puissante source d’homogénéisation au sein d’une population d’organisations.
On parle d’imitation fondée sur les caractéristiques du modèle (« trait based imitation »)
lorsque l’organisation imitatrice réplique une pratique, une structure ou une décision
préalablement adoptée par des organisations ayant certaines caractéristiques (Haunschild et
Miner, 1997). Les modèles peuvent ainsi être sélectionnés en fonction de leur prestige, de leur
taille importante (Baum et al., 2000), de leur proximité géographique (Davis et Greve, 1997 ;
Gygax et Griffiths, 2007), de leur positionnement stratégique (Fiegenbaum et Thomas, 1995 ;
Rhee, Kim et Han, 2006) ou encore, des caractéristiques qu’ils partagent avec l’organisation
imitatrice. Ces similitudes peuvent, par exemple, être liées à la taille des organisations (Baum
et al., 2000 ; Lant et Baum, 1995), à leur structure capitalistique (Greve, 1996), au type de
marché sur lequel elles sont implantées (Greve, 1998) ou à l’existence d’administrateurs
communs (Haunschild, 1993).
L’imitation fondée sur les résultats (« outcomes-based imitation ») est identifiée lorsque
l’organisation imitatrice réplique une pratique, une structure ou une décision s’étant
distinguée par ses bienfaits pour les organisations qui l’ont préalablement adoptée. Ce
Première partie : Revue de la littérature
57
phénomène est notamment mis en évidence par Haveman (1993) dans une étude consacrée
aux stratégies de diversification des banques américaines ou par Lu (2002) dans une recherche
traitant des stratégies d’internationalisation des multinationales japonaises. L’évaluation des
résultats attendus pouvant différer d’une organisation à une autre (notamment en raison d’une
difficulté d’accès aux information ou de différences dans l’interprétation des signaux), cette
forme d’imitation ne génère pas forcément d’homogénéité au sein d’une population
d’organisations (Miner et Raghavan, 1999).
Dans leur recherche consacrée aux comportements imitatifs dans l’industrie automobile
britannique, Rhee, Kim et Han (2006) suivent la voie tracée par Miner et Anderson (1999) qui
invitaient les chercheurs à compléter la typologie initiale et à découvrir de nouvelles formes
d’imitation. Rhee et ses collègues identifient ainsi une nouvelle forme d’imitation qu’ils
qualifient d’imitation fondée sur la confiance (« confidence based imitation »). Les
organisations imiteraient ainsi les pratiques, les structures et les décisions en fonction de la
confiance qu’elles leur attribueraient, cette dernière étant inversement proportionnelle aux
variations observées dans le groupe d’organisations prises pour modèle.
b) Les limites de la typologie
Les nombreux travaux empiriques mobilisant la typologie de Haunschild et Miner (1997)
soulignent sa pertinence dans l’identification des comportements imitatifs. Les résultats variés
auxquels parviennent ces recherches empiriques montrent, par ailleurs, qu’un travail
complémentaire est nécessaire pour mieux comprendre le contexte dans lequel se déroule
l’imitation.
Dans un article relatif aux stratégies d’alliance des constructeurs automobiles, Garcia-Pont et
Nohria (2002) mobilisent ainsi des éléments propres au secteur étudié afin d’expliquer
pourquoi les organisations pratiquent une imitation fondée sur les caractéristiques (similitudes
dans le positionnement) plutôt qu’une imitation fondée sur la fréquence.
En dépit de son succès cette typologie souffre néanmoins d’une limite d’ordre théorique liée
au fait que les idéaux-types proposés par les auteurs ne sont pas mutuellement exclusifs21.
21 Rappelons, ici, qu’en suivant les préconisations émises par Weber (1921), des idéaux-types devraient permettre de rassembler l’ensemble des caractéristiques les plus distinctives caractérisant l’objet étudié.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
58
Par exemple, on voit mal ce qui pourrait empêcher une organisation de reprendre la pratique
la plus répandue autour d’elle (« frequency based imitation ») au motif qu’elle aurait
préalablement démontré ses bienfaits (« outcomes based imitation »).
Ce problème tient, à notre sens, au caractère équivoque de la notion de « forme d’imitation »
utilisée par les auteurs. Il n’est en effet pas précisé si la notion est censée renvoyer à des
comportements imitatifs observés chez des organisations ou aux raisons individuelles qui leur
sont sous-jacentes. Cette confusion a une conséquence dommageable : la typologie sert
davantage à décrire les comportements imitatifs qu’à les expliquer. Comme le notent
Lieberman et Asaba (2006), à la suite de Haunschild (1993) : les raisons qui pourraient
expliquer la tendance des organisations à s’imiter les unes les autres demeurent assez
obscures.
Afin de lever cette difficulté, nous nous proposons ici de distinguer les deux volets. Par
l’appellation comportements imitatifs, nous désignerons désormais les variations qui peuvent
exister dans la façon qu’ont les organisations de reprendre des pratiques, des structures ou des
stratégies préalablement mises en place par d’autres organisations. Ce premier volet doit être
dissocié de l’étude des raisons qui poussent les stratèges à imiter leurs concurrents. Dans
notre recherche, les raisons individuelles que nous étudierons donneront lieu à différentes
pratiques d’imitation concurrentielle.
Si elle est cohérente avec le niveau d’analyse microscopique qui est celui du courant de la
stratégie en pratiques, cette orientation n’est pas sans conséquences sur la présente recherche.
Elle obéit, en effet, à un fondement ontologique amenant à considérer que seuls les individus
humains peuvent être à l’origine d’intentions, de décisions, ou de croyances et revient, dans le
cas présent, à appréhender les comportements imitatifs comme étant le produit exclusif des
raisons individuelles. Dès lors, l’influence des phénomènes écologiques (où l’organisation est
contrainte par son environnement), mais aussi celle des phénomènes collectifs intra-
organisationnels auront tendance à sortir de notre champ d’analyse.
Aussi réductrice soit-elle, cette hypothèse nous semble acceptable dans le cas d’une étude
consacrée aux programmateurs radio qui – le plus souvent – décident seuls des disques
diffusés sur leurs antennes. Nous allons maintenant voir que les raisons individuelles qui
Première partie : Revue de la littérature
59
poussent les décideurs à imiter leurs concurrents peuvent renvoyer à des conceptions plus
générales de la rationalité humaine (les modèles de rationalité).
4.3. DES RATIONALITES MULTIPLES
Aborder la question des raisons qui poussent des acteurs stratégiques à répliquer des
stratégies, des structures ou des pratiques préalablement adoptées par leurs concurrents
conduit à poser la question des rationalités qui sous-tendent l’action humaine. Un exercice
indispensable mais périlleux tant cette notion demeure insaisissable.
Nous allons tout d’abord tenter de faire le point sur la façon dont les chercheurs travaillant sur
le sujet et ayant essayé d’articuler plusieurs cadres théoriques ont pu traiter ce problème.
Nous nous appuierons, par la suite, sur les travaux de Boudon pour arrêter notre grille de
lecture de la littérature.
a) A la recherche des raisons de l’imitation
Comme nous l’avons vu en présentant les travaux relatifs aux modes managériales et aux
théories de la diffusion, les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle ont souvent
cherché à apporter des éléments permettant d’expliquer les phénomènes qu’ils décrivent. Ces
explications peuvent cependant se fonder des conceptions de la rationalité très différentes : les
« facteurs d’ordre psychologique » sur lesquels insistent les théoriciens des modes
managériales n’ont en effet rien de commun avec la volonté de bénéficier de retombées
positives qui animent les imitateurs dans les théories de la diffusion.
A l’instar de Bernard de Montmorillon (1999) qui, dans un article consacré à la théorie des
conventions, met en avant l’existence d’une « rationalité mimétique » en s’appuyant les
travaux de René Girard, les recherches existantes sont souvent relativement restrictives : Elles
ne mobilisent qu’un seul type d’explication pour étudier les comportements imitatifs. La
difficulté à capter les raisons de l’imitation ne résulte pas d’un déficit de concepts et de
travaux sur le sujet, mais de la coexistence de nombreuses explications présentées comme
mutuellement exclusives car ancrées dans des modèle de rationalité différents.
Les démarches intégratives de Lieberman et Asaba (2006), d’une part, et de Paauwe et
Boselie (2005), d’autre part, ont l’immense mérite de tenter d’articuler les travaux existants
en faisant ressortir les postulats – trop souvent implicites – sur lesquels ils reposent. Ces
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
60
auteurs reconnaissent, en effet, l’existence de différentes formes de rationalité guidant les
comportements imitatifs. Ils mettent en parallèle des modèles de rationalité ancrés dans une
tradition économique et orientés vers la quête de performance et des approches ancrées dans
la sociologie néo institutionnelle (DiMaggio et Powell, 1983 ; Scott, 1995 ; Tolbert et Zucker,
1983) mobilisant les notions de normes et de légitimité. Si cette approche a le mérite de la
simplicité, plusieurs raisons peuvent amener à penser qu’elle n’est pas entièrement
satisfaisante.
Les principales limites dans cette opposition tiennent au fait qu’elle tend, d’une part, à
encourager l’idée que les motivations guidées par la légitimité seraient forcément
« irrationnelles » au sens où elles iraient à l’encontre de la performance de l’organisation22 et,
d’autre part, qu’elle revient à considérer que la recherche de performance exclurait toute autre
considération chez les décideurs. La réalité est bien plus subtile et l’opposition de
l’économique et du social nous semble d’autant plus réductrice (et dangereuse) que l’on
pourra trouver dans les travaux relatifs à la construction sociale des marchés (Callon, 1998 ;
Garcia-Parpet, 1986 ; Granovetter, 2000c) ou, dans un registre opposé, dans les recherches
consacrées à l’analyse économique des comportements sociaux (e.g. Becker, 1996) des ponts
entre les deux domaines.
b) Vers un prolongement et un élargissement
Pour dépasser cette limite, c’est la notion même de rationalité qu’il convient d’interroger en
prenant pour point de départ la définition très large de ce concept retenue par la sociologie
classique (Weber, 1921 [1995]) : les individus ont « des raisons » d’agir, étudier la rationalité
revient à rechercher ces raisons. Comme nous le voyons, cette approche déborde largement de
l’acception néo-classique dans laquelle des comportements sont décrits comme rationnels dès
lors qu’ils sont guidés par un principe de maximisation.
L’idée qui est reprise ici ne consiste pas à affirmer que les individus ne sont jamais guidés par
des principes de maximisation ou d’optimisation (de leur utilité personnelle ou de la
performance de l’organisation par exemple), mais qu’ils peuvent parfois être guidés par
22 Une lecture fréquente, en dépit des clarifications apportées par DiMaggio (1995).
Première partie : Revue de la littérature
61
d’autres raisons. C’est précisément cette conception qui est défendue par Boudon dans sa
critique de la théorie du choix rationnel (Boudon, 1979 [2001], 1999, 2003)23.
Dans un ouvrage récent, il met en évidence six postulats constituant l’axiomatique (trop
restrictive selon lui) de cette conception de la rationalité (notés P1 à P6 dans le schéma qui va
suivre). Ces postulats ont pu, par la suite, être complétés ou amendés pour servir de base à
d’autres écoles de pensée (toutes ne seront pas présentées ici).
Parmi les conceptions proposant des versions modifiées de la Théorie du Choix Rationnel, on
retrouve la théorie de la rationalité limitée (March et Simon, 1958 ; Simon, 1982) qui
substitue au postulat de maximisation (noté P6) un postulat de satisfaction (noté P6’). Cette
conception part de l’idée suivante : plutôt que de chercher la meilleure solution possible, les
individus essaient de trouver une solution suffisamment satisfaisante à la suite de quoi ils
arrêtent d’explorer de nouvelles alternatives.
Le schéma 2 propose une représentation schématique fondée sur le recensement réalisé par
Boudon.
23 Nous désignons par théorie du choix rationnel l’école de pensée qui, à la suite de Bentham (1801) notamment, tend à considérer que les actions, les décisions et les comportements des individus sont essentiellement guidés par leur volonté de maximiser leur intérêt personnel (utilité). On pense évidemment à l’économie néo-classique et aux théories micro-économiques s’appuyant sur la notion d’homo oeconomicus mais aussi aux prolongements qu’elles ont pu trouver, au travers de l’hypothèse d’opportunisme dans la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1994) ou du modèle REMM utilisé par la théorie positive de l’agence (Jensen et Meckling, 1994, 1998). Comme nous l’avons précisé plus tôt, les sciences économiques ne constituent cependant pas le champ d’application exclusif de la théorie du choix rationnel. On trouvera ainsi dans les travaux de Becker qui propose des explications microéconomiques des comportements humains, un exemple d’application de la théorie du choix rationnel dans le champ de la Sociologie.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
62
Schéma 2
Principaux postulats relatifs à la rationalité identifiés par Boudon
Représentation établie à partir de Boudon (2003, pp.19-28)
P1 : Individualisme Tout phénomène social est le produit d’actions, de décisions et de comportements… individuels.
P2 : Compréhension Ces actions, ces décisions et ces comportements peuvent être compris
(s’il prend soin de s’informer suffisamment) d’un observateur extérieur. C’est cette compréhension permettra d’expliquer phénomène étudié
Implique
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
Implique
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
P3 : Rationalité Les actions, les décisions et les comportements des individus sont le produit de raisons qui
peuvent être plus ou moins clairement perçues par l’individu.
Implique
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
P4 : Conséquentialisme (ou instrumentalisme) Les raisons qui guident actions, les décisions et les comportements des individus sont
orientés par les conséquences qu’ils envisagent (mais ils peuvent se tromper).
Implique
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
P5 : Egoïsme Les individus s’intéressent en priorité aux conséquences de leurs actions,
décisions et comportements qui les concernent personnellement.
P6 : Maximisation L’individu connaît et compare les
avantages et les inconvénients de chaque action, décision ou comportement possible. Il choisit l’alternative la plus avantageuse.
P6’ : Satisfaction Faute de connaître et de pouvoir comparer
les avantages et les inconvénients de chaque action, décision ou comportement possible. L’individu choisit la première
alternative qu’il juge suffisamment satisfaisante (Simon, 1982).
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
Implique
Permet de poser mais n’oblige pas à poser
Implique
Première partie : Revue de la littérature
63
Sur la base de ce travail de mise en lumière des principaux postulats utilisés pour concevoir la
rationalité humaine, Boudon propose une typologie des grandes écoles de la sociologie. Une
version partielle de cette présentation sera reprise dans le tableau qui va suivre.
Avant de poursuivre, notons néanmoins que dans l’esprit de Boudon, chaque postulat
implique ceux qui le précèdent. Le postulat de maximisation (P6) n’a par exemple de sens que
si l’on accepte l’idée d’une conduite égoïste des individus (P5)24 qui n’a elle-même de sens
que si l’on accepte l’idée d’une rationalité instrumentale (P4). Les postulats sont liés par des
« relations d’implication ascendante ». La réciproque n’est pas vraie. En effet, on peut tout à
fait accepter l’idée d’une rationalité instrumentale (P4) et rejeter le postulat (P5). P4 permet
de poser P5 mais n’oblige pas à le faire. En conséquence, les écoles de pensée allant le plus
loin dans l’acceptation des postulats identifiés par Boudon seront aussi les plus restrictives.
Tableau 2
Postulats sous-jacents à quelques grandes écoles de pensée
Postulats Ecole de pensée
Aucun Holisme
P1 Individualisme méthodologique
P1 + P2 Sociologie compréhensive (au sens de Weber)
P1 + P2 + P3 Modèle rationnel général
P1 + P2 + P3 + P4 Fonctionnalisme (forme principale)
P1 + P2 + P3 + P4 + P5 Utilitarisme diffus
P1 + P2 + P3 + P4 + P5 + P6 Théorie du choix rationnel
P1 + P2 + P3 + P4 + P5 + P6’ Théorie de la rationalité limitée
Repris de Boudon (2003, p.27)
c) Une dichotomie : approches instrumentales et approches évaluatives
Pour construire notre grille de lecture, nous avons souhaité prolonger et élargir la distinction
opérée par Paauwe et Boselie (2005) entre une imitation « compétitive » (supposée être
guidée par des motivations « rationnelles » au sens de la théorie du choix rationnel) et une
imitation « non-compétitive » (guidée par d’autres formes de rationalité). 24 Cette idée pourrait être remise en cause, notamment à la lecture de Romelaer et Lambert (2001) qui considèrent que dans le cadre d’une décision d’investissement, la rationalité substantive peut certes se traduire par la volonté d’un décideur de maximiser son utilisé espérée mais aussi par celle de trouver le meilleur investissement au regard d’un objectif préexistant (le dit objectif n’étant pas forcément un objectif « égoïste »).
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
64
Cette démarche a nécessité que nous interrogions la notion de rationalité. Sur la base de la
catégorisation de Boudon (2003), nous distinguerons deux grandes approches dans les
recherches ayant cherché à expliquer les comportements imitatifs.
Nous regrouperons sous l’appellation « approches instrumentales » les explications qui
partent du postulat que les comportements imitatifs ont une finalité déterminée par les
conséquences attendues par les acteurs stratégiques. Nous retrouvons une acception de la
rationalité très proche de celle posée par Max Weber (1921 [1995], p.55) au travers de la
notion de rationalité en finalité (« zweckrationalität ») qui appréhende l’action sociale comme
le produit « des expectations du comportement des objets du monde extérieur ou de celui
d’autres hommes ». En suivant Boudon (2003), cette définition – correspondant aux
approches fondées, ad minima sur les postulats P1 + P2 + P3 + P4 – permet certes d’inclure
les conceptions dérivées de l’utilitarisme (choix rationnel et rationalité limitée) mais ne se
limite pas à ce dernier.
Comme l’indique Weber (1921 [1995]) dans la typologie qui ouvre Economie et Société, il
existe des formes de rationalité qui ne sont pas instrumentales. Les sujets peuvent ainsi croire
en des valeurs, choisir de s’y conformer ou être influencés par des règles. Les approches de
l’imitation concurrentielle renvoyant à des explications des comportements imitatifs qui, tout
en s’inscrivant dans le modèle de rationalité générale, ne sont pas fondées sur le postulat de
conséquentialisme (P4) seront ici qualifiées « d’approches évaluatives ». On retrouve la
notion weberienne de « wertrationalität » ou encore celle « d’appropriateness » présente chez
March et Olsen (1989) puis chez March et Simon (1993). En reprenant la grille de Boudon,
les approches évaluatives de l’imitation concurrentielle sont situées dans l’espace [(P1 + P2 +
P3) – (P1 + P2 + P3 + P4)].
D’autres découpages auraient pu être envisagés. Dans un article consacré aux rationalités
guidant les décisions d’investissement, Romelaer et Lambert (2001) se proposent ainsi de
dissocier les rationalités optimisatrices des rationalités exploratrices. Alors que les premières
supposent l’existence de raisons définies a priori chez les décideurs, les seconde se forment
une fois la décision prise (en faisant intervenir d’autres individus ou en fonction des
conséquences observées de la décision). A l’intérieur de ces grandes catégories, ils recensent
plusieurs modèles utilisés dans les théories existantes. L’annexe 1 présente une synthèse de
Première partie : Revue de la littérature
65
cette recherche et établit une comparaison entre les grandes catégories utilisées par ces deux
auteurs et celles qui sont utilisées ici.
4.4. ARTICULATION DE LA REVUE DE LA LITTERATURE
Aux critiques adressées aux imitateurs par les théoriciens du management stratégique, nous
avons opposé l’omniprésence des comportements imitatifs : pour lever ce paradoxe, certains
auteurs ont distingué les motifs rationnels guidant la différenciation à une imitation supposée
s’inscrire dans une forme d’irrationalité chez les stratèges. Une interrogation demeure : les
stratèges sont-ils à suffisamment irrationnels pour ignorer délibérément les prescriptions de la
pensée dominante ? Compte tenu de la fréquence des stratégies d’imitation et de la diversité
des formes d’imitation, répondre par la positive serait à notre sens hasardeux.
Pour sortir de théories normatives aux fondements empiriques parfois contestables, il importe
de mieux comprendre le phénomène d’imitation en stratégie, de cerner les raisons des
imitateurs, d’adopter une démarche à vocation compréhensive. Tel sera l’objet de cette
recherche qui, au travers d’une étude qualitative consacrée aux programmateurs des radios
musicales françaises, articulera différentes conceptions de l’imitation en identifiant différentes
pratiques d’imitation concurrentielle et en analysant de quelle façon elles contribuent à la
stratégie des organisations.
En préalable à ce volet empirique, nous mobiliserons différents courants théoriques issus des
Sciences de Gestion, de l’Economie mais aussi de la Sociologie et de la Psychologie sociale.
Cette orientation, résolument multi-paradigmatique, revient à affirmer, avec Desreumaux
(2004, p.30), que la stratégie « est une discipline largement emprunteuse ». Plus
généralement, il nous semble que la diversité des théories mobilisées constitue la condition
sine qua non à une compréhension globale des phénomènes imitatifs en management
stratégique.
Si plusieurs conceptions existent, dans la littérature, quant aux modes de rationalité à l’œuvre
en matière d’imitation concurrentielle, il convient de préciser que ces explications sont
considérées comme mutuellement exclusives par des théories à vocation plus générale. Afin
de décloisonner ces travaux, nous chercherons à les articuler au sein un cadre d’analyse
intégrateur.
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent
66
Le chapitre 2 sera organisé autour de la dialectique « approches instrumentales » versus
« approches évaluatives » de l’imitation. Ce fil directeur sera prolongé et complété dans le
chapitre 3 qui s’intéressera à la notion d’incertitude. En effet, l’incertitude est souvent
considérée comme le principal facteur permettant d’expliquer l’existence de comportements
imitatifs au sein de population d’individus ou d’organisations. En conclusion de la première
partie de la thèse, le cadre d’analyse sera présenté. Il permettra de préciser et de justifier nos
questions de recherche.
Première partie : Revue de la littérature
67
RESUME DU CHAPITRE 1
Notre recherche prend pour point de départ l’opposition entre les prescriptions émanant de la littérature dominante en stratégie et les conclusions de travaux empiriques soulignant l’omniprésence des comportements imitatifs. Après avoir distingué les termes imitation et mimétisme, les approches les plus critiques vis-à-vis de l’imitation sont synthétisées. Stratégie de seconde zone dans certains travaux consacrés à la thématique du leadership, stratégie moins payante que l’innovation pour les tenants du « first mover advantage », stratégie dangereuse dans la théorie des ressources et dans certains travaux consacrés à la croissance endogène, l’imitation demeure pourtant très fréquente.
Les comportements imitatifs concernent des domaines très divers de la vie des organisations dont certains ont une dimension stratégique indéniable (positionnement, diversification, internationalisation). L’imitation est par ailleurs au cœur des phénomènes de dissémination des modes managériales et, plus généralement, de diffusion des innovations. Des facteurs tels que la proximité géographique, l’observabilité, les liens sociaux, viennent alors accélérer les processus de diffusion. Si la vision des théoriciens de la diffusion est très clairement ancrée dans un paradigme rationaliste, celle des théoriciens des modes managériales est plus nuancée en ce qu’elle fait intervenir des facteurs liés, par exemple, à la notion de légitimité.
Le contraste entre la littérature stratégique dominante et la fréquence de l’imitation concurrentielle nous amène à nous approprier une question souvent traitée dans la littérature : « pourquoi observe-t-on des comportements imitatifs chez les organisations ? »
L’approche adoptée dans cette recherche consiste à s’intéresser aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux raisons qui poussent les stratèges à privilégier une orientation – l’imitation concurrentielle – souvent décriée. Dans la partie empirique de ce travail, une attention particulière sera portée à un champ organisationnel très concerné par les phénomènes d’imitation : les radios musicales françaises. Nous étudierons plus précisément la sélection des disques diffusés effectuée par les programmateurs. La programmation musicale a, en effet, été au centre de plusieurs controverses relatives au plagiat dont NRJ, première radio musicale de France, serait la victime. Notre problématique peut dès lors être formulée comme suit : « En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ? »
L’abondance de la littérature consacrée à l’imitation concurrentielle permet la construction d’un cadre d’analyse intégrateur. Centré sur de la notion de rationalité, celui-ci sera articulé autour de la dialectique « approche instrumentales » versus « approches évaluatives » de l’imitation concurrentielle. Précisons que cette grille de lecture a été élaborée à l’issue d’un processus de va-et-vient entre la théorie et les données collectées dans le cadre de la recherche. Présenté en conclusion de la première partie, ce cadre d’analyse permettra de synthétiser la littérature consacrée à l’imitation et de préciser les questions de recherche de notre travail.
68
Chapitre 2
Les deux faces de l’imitation
« Si j'avais du talent on m'imiterait. Si l'on
m'imitait, je deviendrais à la mode. Si je
devenais à la mode, je passerais bientôt de
mode. Donc il vaut mieux que je n'aie pas de
talent. »
Jules Renard
’intérêt porté par le monde académique aux phénomènes d’imitation n’est pas nouveau.
Dès la fin du 19ème siècle, Gabriel Tarde plaçait l’imitation au cœur des relations
sociales et décrivait des Lois de l’imitation (Tarde, 1890 [2001]). Comme l’explique Dupuy
(2003), une tradition française bien établie tend ainsi à considérer que l’imitation obéit à sa
propre logique ; logique qui permettrait d’expliquer les phénomènes de foule (Crocq,
Doutheau et Sailhan, 1987 ; Le Bon, 1895 [2003]).
Cette tradition a cependant fait l’objet de plusieurs critiques. Selon Dupuy (2003), elle
propose un « lecture holographique [qui] suggère mais n’explique rien ». Pour Hedström
(1998) elle se limite à des explications pseudo-scientifiques qui ne parviennent à produire que
des labels (mimétisme, esprit de la foule, etc.) peinant à cacher notre ignorance. Pour ces deux
auteurs, ce sont le manque de micro fondations de la tradition française autant que sa tendance
à adopter une lecture purement irrationnelle de l’imitation qui sont en cause.
Les travaux qui vont être présentés dans ce chapitre ont pour point commun de concevoir
l’imitation comme un comportement découlant de raisons individuelles. Les concepts qu’ils
proposent permettent d’expliquer pourquoi les décideurs imitent leurs concurrents en mettant
en évidence des raisons individuelles. Ce chapitre a pour objectif de présenter et de comparer
ces raisons et de les replacer dans les modèles de la rationalité humaine plus généraux dans
lesquels elles s’inscrivent. En l’absence de théorie susceptible de faire l’unanimité au sein de
L
Première partie : Revue de la littérature
69
la communauté scientifique, nous prendrons le parti de l’éclectisme et chercherons à articuler
ces raisons les unes par rapport aux autres.
Ce travail de comparaison, d’articulation et d’intégration est rendu nécessaire par le fait que
les développements théoriques que nous allons analyser s’inscrivent dans des courants de
recherche relativement cloisonnés. Il constitue, selon nous, un préalable indispensable à une
étude des pratiques d’imitation concurrentielle. Comme nous allons le voir, les raisons
individuelles mises en avant par les théories consacrées à l’imitation ont souvent été
considérées comme mutuellement exclusives. Nous défendons l’idée qu’elles sont en réalité
complémentaires.
Dans cette littérature abondante, qui pourrait rapidement se transformer en labyrinthe
conceptuel, la question de la rationalité constituera notre fil d’Ariane. En prolongement de la
dichotomie entre rationalité instrumentale et rationalité évaluative présentée dans le chapitre
1, nous mettrons en perspective les approches instrumentales (section 1) et les approches
évaluatives de l’imitation (section 2).
A l’issue de chaque section, un tableau de synthèse sera proposé. Il récapitulera les principaux
enseignements des théories mobilisées en mettant en évidence les raisons individuelles
qu’elles placent à l’origine des phénomènes d’imitation. Ce chapitre s’achèvera sur une
synthèse générale consacrée aux raisons des décideurs qui imitent leurs concurrents et aux
prolongements qui seront donnés à cette synthèse de la littérature dans la partie empirique de
la thèse (section 3).
1. LES APPROCHES INSTRUMENTALES DE L’IMITATION
Défenseurs d’une conception utilitariste de l’imitation concurrentielle, de nombreux
chercheurs ont insisté sur les retombées positives de l’imitation concurrentielle pour
l’organisation imitatrice. Nous retrouvons ici la notion « d’imitation rationnelle » développée
par Hedström (1998, p.307) : « en imaginant que les autres acteurs agissent de façon
rationnelle et évitent les alternatives qui ont échoué, le décideur peut prendre de meilleures
décisions […] en imitant le comportement d’autrui »25.
25 “Rational imitation hence refers to a situation where an actor acts rationally on the basis of beliefs that have been influenced by observing the past choices of others. To the extent that other actors act reasonably and avoid alternatives that have proven to be inferior, the actor can arrive at better decisions than he or she would make otherwise, by imitating the behaviour of others.”
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
70
Cette définition soulève, selon nous, plus de questions qu’elle n’en résout. Le libellé
« imitation rationnelle » utilisé par Hedström, tend tout d’abord à réduire la notion de
rationalité à une conception fortement teintée d’utilitarisme. Dans le chapitre précédent, nous
avons cherché à défendre – en nous appuyant sur les travaux de Boudon (2003) – l’idée que
les décideurs, même lorsqu’ils ne sont pas guidés par une volonté d’atteindre le meilleur
résultat possible, peuvent néanmoins avoir de « bonnes raisons » d’imiter leurs concurrents.
Nous avons ainsi considéré que la recherche de retombées positives n’était qu’une explication
possible à intégrer dans une série d’approches plus larges – qualifiées d’approches
instrumentales – qui lient l’imitation aux conséquences attendues par les acteurs (que celles-ci
leur soient bénéfiques ou non, que ces derniers soient clairvoyants ou bien qu’ils se trompent).
La seconde question soulevée par la définition de Hedström renvoie à un problème bien
connu dans le champ des Sciences de Gestion. Réduire la question des retombées positives de
l’imitation à la performance de l’organisation apparaît, en effet, très réducteur : les décideurs
ne sont pas forcément des agents altruistes exclusivement guidés par la recherche de
performance organisationnelle. Ces derniers pourront instrumentaliser l’imitation de leurs
concurrents à leur propre profit en vue de protéger leur carrière ou encore d’asseoir leur
réputation. La dichotomie entre intérêt de l’organisation et intérêt des managers,
abondamment explorée par la théorie positive de l’agence, constituera le fil directeur de cette
première section consacrée aux approches instrumentales de l’imitation. Dans un premier
temps (1.1), nous relierons l’imitation aux conséquences attendues par les décideurs pour leur
organisation. Dans un second temps (1.2), l’imitation sera reliée aux conséquences attendues
par les décideurs pour eux-mêmes.
A l’issue de cette section consacrée aux approches instrumentales de l’imitation, nous nous
intéresserons aux approches évaluatives.
1.1. L’IMITATION ET SES CONSEQUENCES POUR L’ORGANISATION
Afin de comprendre pourquoi les organisations s’imitent, on pourra partir des conséquences
négatives de l’imitation sur l’avantage des concurrents. En imitant ses rivaux, la firme peut
chercher à les neutraliser (Porter, 1982 [2004]) ou vouloir se prémunir de sanctions émanant
des parties prenantes (Meyer et Rowan, 1977 ; Zucker, 1987)26. Cette explication ne remet
26 La littérature néo-institutionnelle, qui fait largement intervenir l’idée d’une quête de légitimité des organisations à la source des stratégies d’imitation, sera traitée plus largement dans le chapitre 4.
Première partie : Revue de la littérature
71
pas en cause le paradigme dominant : elle se contente de décrire l’imitation comme une
stratégie purement défensive. Malgré ses inconvénients supposés, l’imitation serait un moyen
de se protéger d’évènements pouvant remettre en cause la survie de l’organisation (point a).
Les travaux consacrés à l’avantage des entrants tardifs, à l’apprentissage vicariant ainsi que
certaines explications fondées sur la notion de légitimité marquent une rupture profonde en ce
sens qu’ils ne décrivent plus l’imitation comme une stratégie potentiellement inefficace et
adoptée « malgré tout », mais comme une stratégie gagnante pour l’organisation (points b et
suivants).
a) Des actions et des réactions
Partant du concept de destruction créatrice introduit pas Schumpeter (1935 [1999]), nombreux
sont les auteurs qui ont décrit l’imitation comme un moyen utilisé par les organisations pour
détrôner le leader d’un secteur d’activité (Hun, Smith, Grimm et Schomburg, 2000). En
imitant rapidement les décisions fructueuses de leurs rivaux, les stratèges peuvent ainsi
espérer réduire la durée de l’avantage concurrentiels de ces derniers (D'Aveni, 1995 ; Hun et
al., 2000 ; Porter, 1982 [2004], 1986 [2003]).
Des travaux empiriques consacrés aux stratégies d’internationalisation d’entreprises
canadiennes et européennes s’implantant aux Etats-Unis (Flowers, 1976), d’entreprises
américaines du secteur du textile (Yu et Ito, 1988) et d’agences de publicité américaines
(Terpstra et Yu, 1988) viennent accréditer cette idée. Ces résultats sont synthétisés par Delios,
Gaur et Makino (2008, p.177) : « Les entreprises qui imitent leurs concurrents cherchent à
minimiser la menace qu’elles perçoivent vis-à-vis de leur position […]. Si une entreprise ne
suit pas les stratégies d’expansion de ses concurrents, elle court le risque de perdre du
terrain tandis que son concurrent accumulera de nouvelles capacités, des informations, de
l’expérience et pourra conquérir de nouveaux marchés »27. L’imitation peut alors constituer
un moyen de maintenir un certain degré de parité concurrentielle (Garcia-Pont et Nohria,
2002).
27 “Firms engage in such imitative actions to minimize the perceived threat to their competitive position in domestic and international markets. If a firm does not follow the expansion moves of its competitors, it risks losing competitive ground as the competitor may accumulate new capabilities, information, experience and markets”
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
72
L’utilisation de ce type de stratégie déborde largement la sphère du management. Cette
démarche est, par exemple, très fréquente en politique. Largement utilisée par Bill Clinton
durant sa campagne présidentielle de 1994, la triangulation « consiste à “coller” aux
positions du camp opposé lorsqu’elles sont jugées majoritaires dans l’opinion, afin d’en
neutraliser l’impact électoral négatif » (Montebourg et Ferrand, 2009, p.4). Pour Bill Clinton
et son conseiller Dick Morris, il s’agissait alors de neutraliser le camp républicain sur les
questions sociétales pour faire des questions économiques (terrain sur lequel les démocrates
avaient une avance) le thème principal de la campagne.
b) Le calcul des imitateurs
Pour le courant théorique du « late mover advantage », l’imitation n’est plus qu’une stratégie
défensive. Ces recherches ont insisté sur les avantages dont peuvent espérer bénéficier les
organisations qui arrivent tardivement sur un marché. En dehors du cas particulier des
industries à effets de réseau qui rendent profitable à tous l’imitation (Dutton et Freedman,
1985 ; Katz et Shapiro, 1985), plusieurs motivations rationnelles peuvent en effet pousser une
organisation à imiter ses concurrents (Cho, Kim et Rhee, 1998 ; Golder et Tellis, 1993 ;
Lieberman et Montgomery, 1988). Les recherches de Golder et Tellis (1993) et de Lilien et
Yoon (1990) parviennent ainsi à démontrer empiriquement l’existence d’avantages pour les
entrants tardifs. La stratégie d’entrée tardive a, par exemple, fréquemment été adoptée avec
succès par Microsoft (Schnaars, 1994 ; Zhang et Markman, 1998). Précisons néanmoins que
l’existence de facteurs contribuant à la réussite des suiveurs, ne confère pas au « late mover
advantage » un caractère automatique et immuable. De ces travaux, souvent issus du champ
du Marketing, nous verrons que nous pourrons tirer des conclusions largement transposables à
la thématique de la présente recherche.
Une diminution des dépenses de recherche et développement
Si l’innovation présente un coût, matérialisé notamment par des dépenses en recherche et
développement (R&D), il est généralement admis que ces dépenses se justifient par les
bénéfices associés au statut d’innovateur. Ce présupposé est partiellement amendé par
Mansfield et ses collègues (Mansfield, 1985 ; Mansfield, Schwartz et Wagner, 1981).
Les imitateurs parviendraient ainsi à réduire de 30% le temps consacré au développement du
même produit par les innovateurs et de 35% leurs coûts de R&D (Mansfield et al., 1981).
Force est de constater que les occasions de s’inspirer des avancées technologiques des
concurrents ne manquent pas : publication des brevets, articles et colloques de recherche,
Première partie : Revue de la littérature
73
presse professionnelle, débauchage de personnel. Ce mécanisme permettra également à
l’imitateur de bénéficier d’un « round d’observation » qui lui évitera de supporter des
dépenses relatives à la mise au point de produits n’ayant pas de potentiel (Schnaars, 1986,
1994). Comme le remarque Schnaars, l’évaluation du potentiel d’un produit est, en effet, un
exercice difficile a priori.
A ces éléments liés à l’innovation viennent s’ajouter des facteurs technologiques : les suiveurs
peuvent bénéficier de technologies plus perfectionnées que les pionniers et, de ce fait, les
enfermer dans des standards voués à l’obsolescence (Schnaars, 1994).
Des consommateurs à la mémoire courte
Les éléments qui précèdent incitent l’entrant tardif à se concentrer sur des dépenses
promotionnelles lui permettant d’acquérir une meilleure notoriété que le pionnier (Cooper,
1982) et ce d’autant plus facilement que les consommateurs ont souvent la mémoire courte.
Zhang et Markman (1998) soulignent ainsi l’existence d’un « effet poisson rouge »28. Au
travers d’expériences réalisées en laboratoire, ils parviennent à la conclusion que les attributs
des produits commercialisés par les entrants tardifs sont mieux mémorisés que ceux des
premiers entrants. Shankar, Carpenter et Krishnamurthi (1998) ajoutent un élément
d’importance : le suiveur n’aura pas, à la différence du pionnier, à éduquer le consommateur
afin de créer de nouvelles habitudes. Il pourra donc intégralement s’attacher à proposer une
offre répondant mieux aux attentes des clients que celles des concurrents.
Des succès inégaux
En suivant les conclusions proposées par Shamsie, Phelps et Kuperman (2004), l’entrée
tardive ne serait cependant pas une voie à conseiller dans tous les cas de figure. Dans un
article intitulé « mieux vaut tard que jamais », ces trois chercheurs s’intéressent en effet aux
facteurs permettant d’expliquer les différences de performances au sein d’une population
d’entrants tardifs.
Ces performances disparates peuvent, selon eux, s’expliquer par trois types d’éléments.
Les opportunités restant à conquérir sur le marché constituent le premier type d’explication
invoqué par ces chercheurs. La performance d’un entrant tardif dépend de facteurs externes.
On retrouve ici « la métaphore de la pomme juteuse » introduite par Theodore Levitt (1966) :
28 La mémoire d’un poisson rouge ne serait que de trois secondes environ.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
74
si la pomme est assez juteuse, il n’est pas forcément nécessaire d’être le premier à croquer
dedans. Tout le problème est de savoir si, dans le futur, les opportunités disponibles seront
suffisamment nombreuses et intéressantes pour justifier une entrée tardive. Selon qu’ils
entrent sur le marché juste après le pionnier ou en queue de peloton, tous les concurrents ne
seront pas dans des situations aussi favorables. Forts de cette observation, Shankar et ses
collègues (1999) préconisent alors aux suiveurs de privilégier une entrée en phase de
croissance du cycle de vie.
D’autres explications renvoient, quant à elles à la dimension interne. Le succès d’un entrant
tardif dépendra des ressources à sa disposition. Plus une organisation sera capable de déployer
rapidement un stock important de ressources sur un marché, plus elle pourra bénéficier des
retombées positives associées à une entrée tardive. Ces ressources auront, par exemple, pu
être acquises lors d’expériences passées dans des secteurs d’activité présentant certaines
similitudes avec celui dans lequel l’organisation essaiera de pénétrer.
L’adoption d’un positionnement marqué fait, par ailleurs, partie des recommandations
adressées par Porter pour éviter l’enlisement dans la voie moyenne. Cette prescription serait
particulièrement importante pour les entrants tardifs qui devront être clairement différenciés
(Shamsie et al., 2004 ; Urban, Carter, Gaskin et Mucha, 1986 ; Zhang et Markman, 1998), ou
pour l’introduction d’innovations (Shankar et al., 1998) en vue de bénéficier d’un avantage.
Synthèse 3
Points essentiels des travaux consacrés au « late-mover advantage »
Auteurs clés : Schnaars, Golder et Tellis, Lieberman et Montgomery Champs disciplinaires : Economie Industrielle ; Marketing
Niveaux d’analyse : Firmes, secteurs
� Plusieurs travaux viennent remettre en cause l’universalité du « first mover advantage » en soulignant que les entrants tardifs peuvent eux aussi espérer bénéficier de retombées positives. De ce fait, de nombreuses entreprises ont surpassé les pionniers dans leurs secteurs respectifs.
� Au-delà des économies en R&D, les entrants tardifs peuvent profiter du travail
d’éducation des consommateurs réalisé par les pionniers, développer une offre correspondant davantage à leurs besoins pour atteindre un niveau de notoriété plus
important que ceux qui les ont précédé.
� D’un point de vue technologique, ils peuvent profiter de technologies plus avancées et enfermer les pionniers dans des standards dépassés.
� Néanmoins, l’avantage des entrants tardifs ne revêt aucun caractère automatique : il dépend des opportunités restant à conquérir sur son marché (problématique de l’ordre d’entrée sur un marché), des ressources de la firme, et de la clarté de son positionnement.
Première partie : Revue de la littérature
75
c) Un apprentissage par procuration (apprentissage vicariant)
Les premiers travaux décrivant les organisations comme des systèmes capables d’adaptation,
et donc d’apprentissage (Cyert et March, 1963 ; March et Simon, 1958), ont profondément
contribué à la structuration du champ des Sciences de Gestion. Qu’ils conçoivent
l’apprentissage comme un phénomène holiste ou comme une dynamique collective résultant
d’une interaction entre apprentissage individuel et apprentissage organisationnel (Fillol,
2006), qu’ils le décrivent comme un processus intentionnel ou comme un processus non
intentionnel (Huber, 1991), les travaux existants ont souvent insisté sur le rôle joué par les
expériences passées (Cyert et March, 1963) et par les routines (Levinthal et March, 1993 ;
Levitt et March, 1988 ; Nelson et Winter, 1982) dans ce processus souvent incrémental. Au
sein de l’organisation, l’apprentissage donne lieu à une tension entre l’exploitation de routines
existantes et l’exploration, plus risquée, de routines nouvelles (March, 1991). Cette tension
sera d’autant plus forte que les gains retirés, à court terme, par une organisation ayant choisi
d’allouer ses ressources au perfectionnement de ses « anciennes » routines pourront aller de
pair avec une diminution de ses chances de survie, à plus long terme (March, 1991).
Des expériences empruntées
L’imitation vient, dans une certaine mesure, apaiser cette tension. Identifié par les
psychologues au niveau individuel (Bandura, 1977 ; Bandura, 1986), l’apprentissage vicariant
permet à l’organisation d’acquérir une « expérience de seconde main » (Huber, 1991 ; Huff,
1982) en profitant du travail d’exploration réalisé par autrui (Levinthal et March, 1993).
L’organisation entrera ainsi en contact avec une myriade de stratégies et de pratiques qui lui
étaient jusqu’alors inconnues, et pourra copier celles qui auront rencontré le succès. Au-delà
des pratiques imitées, l’observation d’autrui pourra également permettre à l’organisation de
construire un savoir plus abstrait (Miner et Mezias, 1996).
Le concept d’apprentissage vicariant demeure néanmoins difficile à définir. A l’instar de
Srinivasan, Haunschild et Grewal (2007, p.18), de nombreux auteurs qualifient
d’apprentissage vicariant tout comportement conduisant « la firme à modifier son
comportement en réponse au comportement d’autres firmes ». Une définition vague qui
empêche de distinguer clairement imitation, diffusion, mimétisme et apprentissage vicariant
mais qui établit un compromis dans une communauté ayant longtemps débattu du caractère
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
76
intentionnel et instrumental de l’apprentissage29. Dans cette recherche, on parlera
d’apprentissage vicariant (ou d’apprentissage par procuration) lorsqu’un acteur stratégique
trouvera, dans l’imitation, un moyen d’apprendre de ses concurrents en vue d’améliorer les
performances de son organisation.
Cette définition nous amène à souligner une deuxième difficulté, renvoyant cette fois ci à ses
conséquences sur la performance des organisations apprenant par procuration. Ce problème
est notamment soulevé par Denrell (2003) qui apporte de nombreuses nuances aux
conclusions portées par les travaux antérieurs vantant les bienfaits de l’apprentissage
vicariant30. Pour ce chercheur, l’échantillon pris comme référence par les organisations
imitatrices revêt souvent un caractère biaisé. La population des organisations faisant office de
modèles résulte, en effet, d’un processus de sélection complexe ayant conduit à éliminer les
organisations les moins performantes : dans l’échantillon retenu par les imitateurs, il ne reste
que des entreprises ayant survécu.
Ce biais d’échantillonnage, combiné à la tendance naturelle de la presse managériale et des
enseignants en Gestion à se focaliser sur les entreprises ayant réussi, peut conduire les
organisations imitatrices à reprendre, sur la base de cas atypiques, des pratiques risquées
ayant contribué au déclin de nombreuses autres organisations. De façon plus prosaïque, les
organisations peuvent également se tromper en copiant des pratiques et des routines qu’elles
croient bénéfiques mais dont les effets sur leurs propres performances seront en réalité
négatifs (Levitt et March, 1988 ; Miner et Haunschild, 1995). S’il y a bien une forme de
calcul de la part des imitateurs, il n’est pas évident que ces derniers soient systématiquement
en mesure de tirer profit de l’expérience de leurs concurrents. Il s’agira alors de mettre en
évidence les conditions sous lesquelles l’apprentissage par procuration pourra être bénéfique à
l’organisation.
29 On renverra le lecteur à la contribution de Huber (1991) pour une synthèse de ces échanges. 30 Voir notamment Argote et al. (1990) et Darr et al. (1995) sur la relation entre apprentissage vicariant et productivité, Beckman et Haunschild (2002) sur la capacité des entreprises imitatrices à diminuer le coût de leurs acquisitions, Haunschild et Sullivan (2002) sur les effets de l’apprentissage vicariant sur la diminution du nombre d’accidents par certaines compagnies aériennes, Baum et ses collègues sur la relation entre apprentissage vicariant et survie des organisations (Baum et Ingram, 1998 ; Baum et al., 2000 ; Ingram et Baum, 1997).
Première partie : Revue de la littérature
77
Les clés d’un apprentissage par procuration réussi
Pour un observateur extérieur, la mesure de la performance d’une organisation n’est pas chose
facile (Denrell, 2003) : au problème d’accès à l’information, lié notamment aux asymétries
d’informations bien connues des théoriciens de l’agence (Demsetz, 1973), vient
s’ajouter l’interprétation parfois difficile des observations. Il importe donc de sélectionner les
modèles les plus pertinents par rapport à une problématique donnée. Par exemple, les réseaux
de garde d’enfants au Canada ont tendance à aligner leurs décisions d’implantation sur celles
réalisées par de grandes entreprises en croissance (Baum et al., 2000).
La sélection sera d’autant plus efficace que l’organisation apprenante aura été exposée à des
expériences diverses et variées. De par leur fonction de transmission d’information, les liens
sociaux (« network ties », section 3.1 du chapitre précédent) pourront permettre à
l’organisation non seulement de prendre connaissance des différentes stratégies alternatives
possibles dans un contexte donné mais également d’observer les résultats de ces stratégies
dans plusieurs contextes (Westphal et al., 2001). Les sièges dans des conseils
d’administration feraient, comme le montrent les entretiens réalisés par Beckman et
Haunschild (2002), figure de poste d’observation privilégié pour des dirigeants cherchant à
explorer des voies nouvelles. Les résultats du volet quantitatif de cette recherche corroborent,
par ailleurs, l’idée selon laquelle ces comportements contribuent au succès de l’entreprise
imitatrice31. Dès lors, la possibilité pour une organisation d’apprendre par procuration dépend
largement de sa position sociale (Cohen et Levinthal, 1990 ; Levitt et March, 1988).
A la problématique de la diversité des expériences sur lesquelles s’appuie l’apprentissage
s’ajoute celle de leur pertinence. Une attention particulière sera alors portée aux manœuvres
stratégiques des concurrents directs (Abrahamson et Rosenkopf, 1993 ; Miner et Haunschild,
1995). Ces derniers sont en effet souvent dotés de ressources comparables à celles détenues
par l’organisation et doivent faire face aux mêmes contraintes environnementales (Peteraf et
Shanley, 1997). En guise de synthèse, Guillén (2003), dans une recherche empirique
consacrée à des entreprises coréennes, insiste ainsi sur la capacité des organisations à
apprendre de leurs expériences passées, des expériences des autres entreprises de leur chaebol
(avec lesquelles elles entretiennent des liens sociaux) et, dans une moindre mesure, des
expériences des concurrents officiant dans leur secteur d’activité.
31 Les décisions étudiées ont trait au montant payé pour réaliser une acquisition.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
78
Quels effets au niveau des populations d’organisations ?
Au-delà de l’organisation imitatrice, l’apprentissage par procuration pourra également avoir
des conséquences sur des populations d’organisations. On parlera alors de « population level
learning » pour désigner « un changement systématique dans la nature et dans la
combinaison des routines au sein d’une population donnée d’organisations » (Miner et
Haunschild, 1995, p.118)32. Au sein d’une population donnée, les organisations apprendraient
en s’imitant les unes les autres, ce qui permettrait à de nouvelles routines de s’imposer. Les
effets combinés de l’imitation et d’un processus de sélection tendant à faire disparaître les
organisations ne s’adaptant pas (on retrouve l’influence du courant de l’écologie des
populations) contribueraient à l’homogénéisation de la population (McKendrick, 2001 ; Miner
et Haunschild, 1995).
Synthèse 4
Points essentiels des travaux consacrés à l’apprentissage vicariant
Auteurs clés : Levitt et March, Haunschild, Baum, Ingram / Champs disciplinaires : Stratégie, Organisation Niveaux d’analyse : organisations & populations d’organisations
� Prolongeant des travaux de psychologues tentant à prouver l’existence d’une forme
d’apprentissage par l’imitation chez les individus, un important champ de recherche a relié apprentissage organisationnel et imitation au travers du concept d’apprentissage vicariant (ou apprentissage par procuration).
� Les organisations pourraient, par imitation, bénéficier des expériences d’autrui. L’imitation contribuerait ainsi à l’exploration de nouvelles routines.
� Si plusieurs auteurs insistent sur les avantages associés à ce type d’apprentissage (augmentation des chances de survie, gain en productivité et en qualité, etc.) il convient de préciser que les organisations imitatrices peuvent aussi subir un certain nombre de retombées négatives liées au caractère biaisé de l’échantillon qu’elles prennent pour référence. Ce dernier ne comprend, en effet, que des organisations ayant « survécu ».
� Une attention particulière sera alors portée à l’hétérogénéité des expériences
empruntées par l’organisation imitatrice et à leur transposabilité. Les liens sociaux de l’organisation pourront ainsi lui permettre d’accéder à une myriade d’expériences qui seront d’autant plus facilement transposables qu’elles auront été réalisées dans des entreprises opérant dans des contextes comparables (des concurrents par exemple).
� L’apprentissage vicariant est également susceptible de modifier la physionomie du secteur d’activité dans son ensemble en contribuant à l’homogénéisation des pratiques. On parle alors de « population-level learning ». Si ses processus sont bien connus, ses effets, sur la profitabilité des firmes du secteur, demeurent encore méconnus.
32 “A systematic change in the nature and mix of organizational action routines in a population of organizations”
Première partie : Revue de la littérature
79
d) De la légitimité
Un troisième argument peut être avancé pour témoigner des retombées potentiellement
positives de l’imitation pour l’organisation. En imitant des modèles légitimes et largement
acceptés, les organisations pourraient maintenir et accroitre leur légitimité. Si elle s’inscrit
dans le prolongement des théories néo-institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer et
Rowan, 1977) et de l’écologie des organisations (Hannan et Caroll, 1992), cette idée en est
une présentation instrumentale et rationaliste. Comme nous le verrons dans la section que
nous consacrerons aux théories néo-institutionnelles, la notion de légitimité est
principalement utilisée par des auteurs adoptant une approche évaluative de l’imitation
concurrentielle.
Certains pourront considérer que les travaux qui décrivent l’imitation comme un moyen de se
légitimer en vue d’acquérir certaines ressources procèdent à un détournement des thèses néo-
institutionnelles ou écologiques. Force est de constater qu’il existe une ambiguïté sur les types
de rationalités à l’œuvre dans les travaux fondateurs de ces courants. S’ils opposent les
motivations économiques aux motivations institutionnelles d’adoption d’une structure
organisationnelle, Meyer et Rowan (1977) semblent néanmoins mobiliser des modèles de
rationalités ancrés dans une conception instrumentale.
« Les organisations qui, dans leur structure, mettent en place des éléments qui sont socialement légitimés et rationnalisés maximisent leur propre légitimité et améliorent leurs ressources mais aussi leurs chances de survie. »33
Meyer et Rowan (1977)
e) Vers un compromis ?
S’opposant aux auteurs qui mettaient en avant les retombées négatives de l’imitation pour
l’organisation (chapitre 1), les travaux qui viennent d’être présentés insistent, en prenant le
soin de formuler certaines nuances, sur les conséquences positives que peut avoir cette
stratégie sur la performance de l’entreprise. A la question « Faut-il imiter ses concurrents ? »,
les uns, les plus nombreux il est vrai, répondent par la négative, les autres par la positive. Ces
positions tranchées n’éclairent que faiblement les praticiens (Durand et Calori, 2006) : Qui
doit-on croire ? Faut-il imiter ou se différencier ?
33 “Organizations that incorporate societally legitimated rationalized elements in their formal structures maximize their legitimacy and increase their resources and survival capabilities.”
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
80
La théorie de l’équilibre stratégique : une tentative avortée
A défaut de réponse définitive, le travail de David Deephouse (1999) pourra faire office de
jugement de Salomon : l’efficacité maximale résiderait en l’adoption d’un positionnement de
compromis, à mi chemin entre imitation et différenciation. Dans leur activité quotidienne, les
stratèges seraient donc placés dans une tension entre conformisme et différenciation, le
« competitive cusp » (Porac, Thomas et Baden-Fuller, 1989). Un point partout, la balle au
centre ? Pas vraiment.
Malgré le caractère consensuel de sa réponse Deephouse ne semble pas être parvenu à
remporter l’adhésion des partisans du « conform or perform ». A l’exception notable de
Eapen et Krishnan (2009) qui montrent que l’imitation peut avoir des effets différenciés sur la
performance des entreprises (les petites entreprises semblent ici mieux profiter de l’imitation
que les grandes), ces derniers ont en effet continué à alimenter la communauté scientifique en
résultats tendant à prouver l’inefficacité de l’imitation en stratégie (Barreto et Baden-Fuller,
2006 ; Demil et Lecocq, 2006). Si les travaux les plus récents témoignent d’une meilleure
connaissance de l’imitation concurrentielle, le message principal reste conforme aux
prescriptions initiales.
Changer de perspective
La démarche de Deephouse, qui consistait à attaquer les approches orthodoxes de l’imitation
sur la relation entre imitation et performance organisationnelle, se solde donc par un demi
échec. Le chercheur parvient, certes, à apporter quelques nuances dans un débat où les
positions étaient jusqu’alors extrêmement tranchées mais peine à faire évoluer la pensée
stratégique normative dominante. Cette impasse justifie, à notre sens, l’adoption d’une
démarche plus compréhensive. La question ne sera pas ici de savoir si l’imitation est
profitable, ou non, à l’organisation, mais d’améliorer notre connaissance des pratiques
d’imitation concurrentielle et des rationalités sous-jacentes. Sans exclure la quête de
performance organisationnelle, il importe de cerner d’autres motivations possibles.
Telle sera la caractéristique commune des théories qui vont maintenant être analysées. La
section 1.2 conserve une conception instrumentale de la rationalité mais insiste sur les raisons
personnelles qui peuvent pousser le décideur à imiter ses concurrents. Les approches traitées
en section 2 adoptent une autre perspective en insistant sur des raisons ancrées dans des
conceptions évaluatives de la rationalité humaine pour expliquer les phénomènes d’imitation.
Première partie : Revue de la littérature
81
1.2. L’IMITATION ET SES CONSEQUENCES POUR LE DECIDEUR
L’imitation peut être instrumentalisée par les stratèges à des fins personnelles. Comme dans la
théorie normative de l’agence (Jensen et Meckling, 1994), l’intérêt des individus peut parfois
prendre le pas sur l’intérêt de l’organisation. Selon Brandenburger et Polak, (1996) maximiser
l’utilité d’autrui et maximiser sa propre utilité ne conduisent ni aux mêmes décisions, ni aux
mêmes comportements.
a) Un moyen de maintenir sa propre réputation
Le glissement d’une imitation rationnelle, fondée sur la recherche de profit ou d’avantage
concurrentiel de la firme, vers une imitation, toujours aussi rationnelle mais cette fois ci
guidée par les calculs individuels des décideurs est, pour la première fois opéré par Akerlof
(1980) et Jones (1984) qui, chacun à sa manière, cherchent à intégrer la dimension
réputationnelle dans le calcul des individus. Plusieurs années plus tard, le travail de David S.
Scharfstein et Jeremy C. Stein propose, au travers d’une tentative de modélisation des
décisions d’investissement de gestionnaires de fonds (Scharfstein et Stein, 1990), le point de
départ d’une nouvelle génération de modèles inspirés de la théorie de l’agence et insistant sur
une forme de conformisme, très intéressée, chez les intervenants financiers.
Un domaine a priori très éloigné de la stratégie d’entreprise, qui ouvre cependant la voie à de
nombreux développements permettant d’alimenter une réflexion, plus générale, sur les motifs
de la prise de décision individuelle. Scharfstein et Stein imaginent un monde dans lequel les
gestionnaires de fonds seraient inégalement doués : certains seraient mieux à même que
d’autres de détecter les signaux leur permettant d’anticiper l’évolution future des marchés
financiers. Aux « smart managers », bien informés, s’opposent les « dumb managers » dont
les « tuyaux » sont plus que douteux (Scharfstein et Stein, 1990, p.466).
Les bonnes informations ont la particularité d’être liées à la réalité du marché et d’être
concordantes : elles sont auto corrélées. Afin de passer pour des « smart managers », les
gestionnaires ont intérêt à imiter les décisions prises par autrui. Cette attitude leur permettra
de maintenir leur réputation sur le marché du travail ce qui aura, pour eux, une conséquence
sonnante et trébuchante : l’idée que se font des observateurs extérieurs des qualités de chacun
fixe en effet le montant des rémunérations individuelles. Elle impacte également la capacité à
trouver un emploi dans le futur.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
82
Les gestionnaires de portefeuille ont donc à cœur de maintenir leur réputation, en imitant
leurs homologues afin de minimiser les conséquences que pourrait avoir une décision
malencontreuse et isolée sur leur propre avenir professionnel. Pour reprendre la célèbre
maxime de Keynes, « mieux vaut avoir tort avec la foule que raison contre elle ». Une idée
simple et percutante, qui s’est rapidement répandue au sein de la communauté des chercheurs
s’intéressant au monde de la finance et de la banque. Dans une recherche empirique quasi
prémonitoire, Rajan (1994) a par exemple soutenu l’idée que c’est ce type d’attitude qui a
conduit, au début des années quatre vingt dix, les banques de Nouvelle Angleterre à accorder
trop facilement des crédits à des ménages qui se sont, par la suite, révélés incapables de faire
face à leurs échéances. Le phénomène est également décrit par Trueman (1994) qui dénonce
la propension des analystes de marchés à proposer des prévisions qu’ils savent biaisées afin
de ne pas s’éloigner de l’avis de leurs confrères et ainsi, maintenir leur propre réputation.
Dans un effort de conceptualisation, Douglas Bernheim (1994), propose de généraliser ces
résultats. Le problème se poserait à tous les individus devant se soumettre à une évaluation de
leurs compétences ou de leurs prédispositions personnelles. Ces éléments sont difficilement
observables. L’évaluation intègre une large part de subjectivité ce qui cause une distorsion
dans le comportement des individus évalués.
Devant rendre des comptes à des rédacteurs en chef qui ne sont pas au contact direct de
l’évènement, les journalistes cherchent, par exemple, à coller au consensus lorsqu’ils rendent
compte d’une information. Comme l’explique Timothy Cook (2005, p.78) dans un ouvrage
consacrée à la construction de l’information, « La compétition journalistique n’incite pas les
reporters à dénicher des « scoop » exclusifs mais à développer une aversion au risque fondée
sur la présomption que la gloire qu’ils pourraient tirer d’une exclusivité serait beaucoup
moins grande que les ennuis qu’ils devraient subir si jamais leur scoop était remis en
question ou s’ils devaient passer à côté de la grosse information couverte par tout le
monde. »
Dans le même ordre d’idée, les managers intermédiaires étudiés par Prendergast (1993) ont
tendance à faire des recommandations ne remettant pas en question les croyances de leurs
supérieurs hiérarchiques afin de ne pas entraver leur progression dans l’entreprise. L’attitude
de ces « yes men » remet pourtant en cause l’exactitude de l’information des dirigeants et nuit
à la bonne marche de l’entreprise.
Première partie : Revue de la littérature
83
Dans la plus pure tradition des modèles d’agence, il importe alors de définir le contrat et la
structure de rémunération les plus à même d’inciter les agents à privilégier l’intérêt de la
firme à leur ambition personnelle (Khanna, 1997 ; Khanna et Slezak, 2000).
b) Quelques précisions relatives à la théorie de l’agence
Les modèles qui viennent d’être présentés revendiquent une filiation avec la théorie de
l’agence. Le sharing the blame effect serait une manifestation particulière d’un problème plus
général, le problème d’agence, résultant d’une divergence entre l’intérêt d’un mandant (le
principal) et de son mandataire (l’agent). Comme le précise Charreaux (1999), à la suite de
plusieurs auteurs (Eisenhardt, 1989 ; Jensen, 1983 ; Jensen et Smith, 1985) la théorie de
l’agence a donné naissance à deux traditions de recherches bien différentes.
La théorie positive de l’agence s’intéresse, historiquement, à la relation entre propriétaires et
dirigeants pour analyser le fonctionnement de l’entreprise. La firme est alors décrite comme
un ensemble de relations d’agences. Il s’agit de mettre en évidence, parfois de façon
empirique, les arrangements et les mécanismes institutionnels permettant de réduire les
conflits d’intérêt : c’est bel et bien le problème de l’efficience qui est posé.
Dans la théorie normative de l’agence, la question de l’organisation est souvent secondaire. Il
s’agit d’abord d’étudier de façon formalisée des contrats d’agence susceptibles de réduire le
risque d’aléa moral. Les problématiques débordent fréquemment de la thématique du conflit
d’intérêt entre actionnaires et dirigeants.
Si ces deux courants divergent dans leurs disciplines de rattachement, dans leurs objets, dans
leur conception de la nature humaine (rationalité substantive pour la tradition normative,
rationalité limité et créativité des acteurs pour la tradition positive), ou encore dans leur
conception de l’incertitude, c’est probablement dans leur forme que le contraste est le plus
saisissant. Le degré de formalisation et d’abstraction des travaux issus de la tradition
normative tranche radicalement avec le caractère très littéraire des analyses proposées par la
tradition positive.
Les travaux présentés dans cette section pourront donc faire office de « bizarrerie ». Ils
partagent certes avec le courant normatif une conception substantive de la rationalité, une
démarche analytique fondée sur l’abstraction et la formalisation, mais ils viennent alimenter
une réflexion plus compréhensive liée au comportement des individus dans l’organisation.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
84
Synthèse 5
Points essentiels des modèles d’agence de l’imitation
Auteurs clés : Scharfstein et Stein / Champ disciplinaire : Economie Niveau d’analyse : Individus
� Lorsqu’ils sont soumis à une évaluation subjective, les individus ont tendance à s’imiter les uns les autres en vue de maximiser leur réputation personnelle.
� Ce phénomène est particulièrement courant chez les intervenants financiers qui, lorsqu’ils imitent les décisions de leurs pairs, peuvent passer pour des individus bien informés.
� Il est également observé chez les journalistes, qui couvrent souvent une information de la même façon que leurs collègues, ou chez les managers intermédiaires qui émettent des préconisations correspondant aux attentes de leurs supérieurs hiérarchiques.
� Dans tous ces cas, le maintien de réputation permet aux individus de bénéficier de perspectives de carrière favorables.
� Ces initiatives individuelles allant à l’encontre de l’intérêt de l’organisation, il est nécessaire de mettre en place des contrats et des incitations permettant d’aligner les
intérêts.
La section qui s’achève est consacrée à des courants théoriques qui appréhendent l’imitation
comme le fait d’individus capables de tenir compte des conséquences de leurs actions et de
leurs décisions. Ces théories ont été regroupées en trois grandes approches qui ont fait l’objet
d’encadrés de synthèse : (1) « late mover advantage », (2) apprentissage par procuration, (3)
modèles d’agence de l’imitation.
Les deux premières approches insistent sur les retombées positives de l’imitation pour
l’organisation imitatrice. Les modèles d’agence de l’imitation, au travers du concept de
« sharing the blame effect », soulignent quant à elles le fait que les décideurs peuvent se
montrer égoïstes et s’intéresser davantage aux effets de l’imitation sur leur propre situation
personnelle que sur la bonne marche de leur organisation.
Les raisons individuelles qui sont mises en avant par des théories serviront de base à notre
étude des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales
françaises. De ces théories, nous ne conserverons donc que leur dimension individuelle. Le
tableau qui suit dresse une vue d’ensemble de ces courants en reprenant leurs enseignements
tant au niveau individuel qu’aux niveaux organisationnel et populationnel.
Ta
ble
au
3
Ap
pro
che
s in
stru
me
nta
les
de
l’i
mit
ati
on
: u
ne
sy
nth
èse
« First mover advantage »
Ap
pre
nti
ssag
e vic
ari
an
t M
od
èles
d’a
gen
ce d
e l’
imit
ati
on
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u n
ivea
u
ind
ivid
uel
(ra
iso
ns)
Les
déc
ideu
rs v
oien
t dan
s l’
imit
atio
n un
moy
en d
e m
inim
iser
la m
enac
e qu
i ém
ane
de le
urs
conc
urre
nts
mai
s au
ssi d
’am
élio
rer
la s
itua
tion
de
leur
or
gani
sati
on.
Cet
te d
erni
ère
peut
par
exe
mpl
e bé
néfi
cier
d’u
ne
dim
inut
ion
des
coût
s de
rec
herc
he e
t dé
velo
ppem
ent,
tire
r pr
ofit
de
tech
nolo
gies
plu
s ab
outi
es o
u en
core
pro
fite
r du
trav
ail d
’édu
cati
on
des
cons
omm
ateu
rs r
éali
sé p
ar le
mod
èle.
Les
déc
ideu
rs v
oien
t dan
s l’
imit
atio
n un
moy
en d
e bé
néfi
cier
de
l’ex
péri
ence
de
leur
s m
odèl
es.
L’i
mit
atio
n pe
rmet
trai
t en
quel
ques
sor
tes
d’ex
tern
alis
er le
tr
avai
l d’e
xplo
rati
on d
e no
uvel
les
rout
ines
(di
alec
tiqu
e ex
plor
atio
n ve
rsus
exp
loit
atio
n).
Les
déc
ideu
rs v
oien
t dan
s l’
imit
atio
n un
moy
en d
e «
se
couv
rir
». E
n ca
s d’
éche
c, le
ur r
espo
nsab
ilit
é in
divi
duel
le
sera
dil
uée
dans
une
res
pons
abil
ité
coll
ecti
ve (
conc
ept d
e «
shar
ing
the
blam
e ef
fect
»).
L
’im
itat
ion
perm
et a
lors
de
lim
iter
les
cons
éque
nces
né
gati
ves
que
pour
raie
nt a
voir
une
déc
isio
n m
alen
cont
reus
e su
r l’
aven
ir p
rofe
ssio
nnel
du
déci
deur
et
/ou
sur
sa r
émun
érat
ion.
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u n
ivea
u
org
an
isati
on
nel
Les
con
séqu
ence
s de
l’im
itat
ion
sont
réd
uite
s à
la
seul
e qu
esti
on d
e la
per
form
ance
. L
es a
vant
ages
don
t peu
vent
bén
éfic
ier
les
imit
ateu
rs
doiv
ent ê
tre
mis
en
para
llèle
ave
c le
s av
anta
ges
des
inno
vate
urs
et d
es p
rem
iers
ent
rant
s. A
ucun
co
nsen
sus
n’ém
erge
de
ce c
ham
p de
litt
érat
ure
si c
e n’
est p
our
soul
igne
r l’
impo
rtan
ce d
u m
omen
t d’
entr
ée s
ur le
mar
ché
et l’
infl
uenc
e du
type
de
ress
ourc
es d
éten
ues
par
l’or
gani
sati
on im
itat
rice
sur
sa
cap
acit
é à
tire
r pa
rti d
’une
ent
rée
tard
ive.
Les
con
séqu
ence
s de
l’im
itat
ion
sont
réd
uite
s à
la s
eule
qu
esti
on d
e la
per
form
ance
. T
oute
s le
s or
gani
sati
ons
ne s
ont p
as e
n m
esur
e de
tire
r bé
néfi
ce
de l’
appr
enti
ssag
e pa
r pr
ocur
atio
n. L
es o
rgan
isat
ions
qui
ré
ussi
ssen
t son
t cel
les
qui o
nt é
té e
n co
ntac
t ave
c le
plu
s gr
and
nom
bre
de m
odèl
es e
t qui
aur
ont s
élec
tion
né le
s m
odèl
es le
s pl
us p
erti
nent
s au
reg
ard
d’un
e pr
oblé
mat
ique
don
née
ou d
es
cara
ctér
isti
ques
de
leur
pro
pre
orga
nisa
tion
.
Néc
essi
té d
e tr
ouve
r le
s ar
rang
emen
ts o
rgan
isat
ionn
els
et
cont
ract
uels
les
mie
ux à
mêm
e de
lim
iter
ces
co
mpo
rtem
ents
opp
ortu
nist
es e
t de
rédu
ire
les
asym
étri
es
d’in
form
atio
n (t
héor
ie d
e l’
agen
ce).
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u n
ivea
u
po
pu
lati
on
nel
Vis
ion
schu
mpé
téri
enne
de
la d
estr
ucti
on c
réat
rice
et
de
la d
iffu
sion
des
inno
vati
ons
par
l’im
itat
ion.
P
héno
mèn
es d
’app
rent
issa
ge c
olle
ctif
s au
niv
eau
des
popu
lati
ons
d’or
gani
sati
on (
« po
pula
tion
leve
l lea
rnin
g »)
A
ucun
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
86
2. LES APPROCHES EVALUATIVES DE L’IMITATION
Les travaux qui ont été présentés dans la section précédente, qu’ils insistent sur les
conséquences de l’imitation attendues par les décideurs pour l’organisation ou pour eux-
mêmes, présentent un point commun : ils considèrent que les comportements imitatifs ont une
finalité déterminée par les conséquences attendues par les acteurs stratégiques.
A ces approches instrumentales, il est possible d’opposer des approches évaluatives faisant
intervenir des explications fondées sur le désir, la légitimité des modèles ou l’identité, qu’elle
soit sociale ou organisationnelle. Dans cette littérature, le modèle (d’une organisation ou d’un
groupe d’organisations) sera perçu comme un étalon de mesure influençant les actions et les
décisions du stratège. Sans attendre ou anticiper de conséquences particulières, les décideurs
s’aligneront sur des normes de comportement observables dans leur environnement immédiat.
L’imitation sera ici normative, fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989) et
non performative.
Bien qu’elles aient pour point commun de rejeter le postulat de conséquentialisme, les
théories qui vont suivre ne mobilisent pas les mêmes unités d’analyse. Nous invitons le
lecteur à passer outre ces incompatibilités théoriques apparentes, pour se focaliser sur les
raisons mises en avant par les auteurs qui, une fois transposées au monde du management
stratégique, constitueront autant de pistes permettant de comprendre les phénomènes
d’imitation concurrentielle.
Notre exploration des approches évaluatives de l’imitation commencera par l’étude de
l’œuvre de René Girard (1972, 1982) et à sa théorie mimétique (section 2.1). Au vu des
limites souvent attribuées à cette pensée, nous retrouverons la notion de légitimité si chère au
courant néo-institutionnaliste (section 2.2). A la faveur d’un glissement du niveau d’analyse
(nous passerons d’un niveau organisationnel à un niveau individuel), la notion d’identité
sociale apparaitra comme étant en mesure d’expliquer certains comportements imitatifs dans
des groupes d’individus (section 2.3) mais aussi dans des groupes d’organisations (section
2.4).
Première partie : Revue de la littérature
87
2.1. UNE RIVALITE MIMETIQUE
Comme l’explique Dupuy (2003) plusieurs auteurs français ont relié l’imitation, à une forme
de fascination, souvent inconsciente, pour un modèle (Paicheler et Moscovici, 1984). Cette
affirmation rejoint la thèse défendue par René Girard, dont l’œuvre gravite autour d’une idée
fixe désignée indistinctement par les termes « désir emprunté », « désir métaphysique »,
« désir triangulaire », « désir de seconde main » ou « désir mimétique ». Pour Girard,
l’imitation trouverait sa source dans la part de sauvagerie, d’obscurité, propre à chaque être
humain. Tels Dr Jekill se changeant en Mr Hyde, les individus verraient périodiquement cette
animalité primaire refaire surface.
a) Un désir mimétique, une violence primaire
L’existence de rivalités enfantines serait la preuve du caractère inné de l’imitation chez l’être
humain : « Mettez un certain nombre de jouets, tous identiques, dans une pièce vide, en
compagnie du même nombre d’enfants : il y a de fortes chances que la distribution ne se fasse
pas sans querelles » (Girard, 1978, p.17).
Au travers d’une relecture d’œuvres littéraires (Girard, 1961), de mythes antiques (Girard,
1972) ou de textes bibliques (Girard, 1978, 1982), ce philosophe français, expatrié aux Etats-
Unis, cherche à bâtir une théorie, la théorie mimétique, capable de mettre en lumière les
fondements des premiers rites et des premières institutions.
Une relation triangulaire
Au commencement de la pensée girardienne, il y a le désir, un désir intermédié qui n’existe
que dans le cadre d’une relation triangulaire entre l’objet, le sujet et le médiateur (Girard,
1961). Comme l’explique Ehrmann (1963, p.111), « au lieu que le sujet désire un objet sans
intermédiaire, il a besoin, pour s'assurer de la validité de son désir, de la garantie que lui
offre un tiers, l'Autre, que Girard appelle le médiateur. » Chez Girard, le désir d’un individu
pour un objet est donc révélé et exacerbé par le désir d’un autre pour le même objet, c’est un
désir mimétique. L’imitation, qui capte le désir d’autrui, est dès lors encouragée par la
proximité du modèle et du sujet : « le désir s’amplifie avec la proximité des individus »
(Hirigoyen, 2007).
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
88
« Le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur un désir modèle ; il élit le même objet que ce modèle. Le mimétisme du désir enfantin est universellement reconnu. Le désir adulte n’est en rien différent, à ceci près que l’adulte, en particulier dans notre contexte culturel, a honte, le plus souvent, de se modeler sur autrui ; il a peur de révéler son manque d’être. Il se déclare hautement satisfait de lui-même ; il se présente en modèle aux autres ; chacun va répétant : “Imitez-moi” afin de dissimuler sa propre imitation. »
René Girard (1972, p.205)
Cette idée est représentée par le schéma suivant :
Schéma 3
La structure du désir selon Girard
D’après Grote (2003, p.117)
Un modèle obstacle
Loin d’être génératrice d’harmonie, cette tendance naturelle, qualifiée « d’hypermimétisme
humain » (Girard, 2003, p.31), est porteuse de rivalité et de violence : lorsque deux désirs
portent sur le même objet, ils se télescopent, se font concurrence. Par la théorie du « modèle-
obstacle », Girard explique que le désir conduit les individus dans l’impasse de leurs désirs
adverses. Dès lors, imiter l’autre devient une façon de l’anéantir, d’en devenir le double
monstrueux.
On pourra trouver, dans la vie des affaires, de nombreuses illustrations de cette théorie du
« modèle-objet » (Hirigoyen, 2007), et interpréter les décisions de certains dirigeants non
comme le produit d’une réflexion stratégique mais comme la traduction d’un désir mimétique.
En octobre 2006, Bernard Arnault décidait ainsi de lancer une fondation Louis-Vuitton dédiée
à la création artistique (Mouricou, 2007). Cette décision intervenait six mois après une
initiative similaire de son concurrent de toujours, François Pinault, à la tête du groupe PPR.
Malgré les affirmations de Bernard Arnault pour qui « toute comparaison avec d’autres
initiatives ne serait pas pertinente »34, on ne peut qu’être frappé par la grande proximité de
ces décisions, révélatrice de la rivalité entre ces deux figures emblématiques du capitalisme 34 « Arnault défie Pinault dans l’art contemporain », l’Expansion, 2 octobre 2006.
Modèle Sujet
Objet
Première partie : Revue de la littérature
89
français. Faute de pouvoir triompher de son concurrent, Bernard Arnault aurait-il cherché à en
devenir le double monstrueux ?
Une compétition
La théorie de l’équivalence structurelle (Burt, 1982, 1983, 1987), qui lie elle aussi imitation et
compétition, vient apporter quelques éléments de réflexion complémentaires. Lorsque deux
personnes occupent des positions similaires dans le système social, elles deviennent, selon
Burt, interchangeables aux yeux des autres membres du système. Tel est le cas lorsque deux
sœurs d’âges proches essaient d’obtenir les meilleures notes dans les mêmes matières et y
sont encouragées par leurs parents ou lorsque deux étudiants travaillent sur le même sujet et
reçoivent les enseignements des mêmes professeurs. Toute tentative de l’un des deux
individus pour se distinguer positivement de l’autre est interprétée comme un avantage. Le
pionnier est alors imité par le second qui cherche à maintenir sa position sociale : la rivalité
devient mimétique.
b) Une violence contagieuse
La violence et le sacré (1972) permet à René Girard de proposer une illustration de sa théorie
mimétique en mobilisant le mythe d’Œdipe : derrière la prophétie (selon l’Oracle, Œdipe est
condamné à tuer son père pour épouser sa mère), on retrouve le désir mimétique du fils pour
ce qui constitue l’objet du désir du modèle (sa mère pour son père). Personnage tragique,
Œdipe ne parvient pas à échapper à son propre désir mimétique et tue cet inconnu rencontré
au hasard des chemins, Laïos, son père.
« Dans la rencontre d’Œdipe et de Laïos au carrefour, il n’y a d’abord ni père, ni roi ; il n’y a que le geste menaçant d’un inconnu qui barre son chemin au héros, il y a ensuite le désir de frapper, le désir qui frappe cet inconnu et qui se dirige, aussitôt, vers le trône et l’épouse, c'est-à-dire vers les objets qui appartiennent au violent. Il y a, enfin, l’identification du violent comme père et roi. C’est la violence, en d’autres termes, qui valorise les objets du violent. »
René Girard (1972, p.203)
La rivalité est telle que la haine réciproque des rivaux conduit à la destruction de l’objet des
désirs (dans le mythe, Jocaste, veuve de Laïos, mère et épouse d’Œdipe, finit par se pendre
lorsqu’elle découvre la vérité). Une relecture comparable du mythe hindou des Brahmanas est
proposée dans un ouvrage plus récent (Girard, 2003). La violence du désir mimétique a ceci
de particulier qu’elle est contagieuse : les deux individus qui désirent la même chose sont
bientôt rejoints par un troisième, puis par un quatrième. C’est l’effet boule de neige.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
90
Cette violence, annihile les différences entre individus - Girard souligne, par exemple,
l’indifférenciation sexuelle dans le mythe des Bacchantes (Girard, 1972) - et plonge la société
dans le chaos. Pour arrêter la crise, il faut tromper la violence, la détourner, la polariser contre
une victime unique. Cette assertion permet à Girard d’ajouter à la théorie mimétique un
nouveau pan : une théorie du bouc émissaire. Le sacrifice du bouc émissaire a donc pour
fonction de rassasier la soif de violence des individus, de mettre un terme à la crise en
réinstaurant une différence entre le sacrifiable et le non sacrifiable.
« Le miracle du sacrifice, c’est la formidable “économie” de violence qu’il réalise. Il polarise contre une seule victime toute la violence qui, un instant plus tôt, menaçait la communauté entière »
René Girard (2003, p.26)
Le schéma 4 reprend cet enchainement d’évènements. Après une synthèse de la théorie
mimétique de Girard, nous nous interrogerons sur la portée de cette théorie pour les Sciences
de Gestion. Cette réflexion nous conduira à élargir notre champ d’analyse de la littérature et à
nous intéresser à d’autres courants théoriques qui, comme Girard, mettent en avant des
raisons individuelles ancrées dans un modèle évaluatif de la rationalité humaine pour
expliquer les phénomènes d’imitation.
Schéma 4
Du désir mimétique au sacrifice chez René Girard
Désir Mimétique
(deux individus)
Violence
Contagion
Crise
Sacrifice
Première partie : Revue de la littérature
91
Synthèse 6
Points essentiels de la théorie mimétique
Auteur clé : René Girard / Champ disciplinaire : Anthropologie / Niveau d’analyse : individus et société
� Les être humains ont un « désir mimétique » qui les pousse à désirer les choses désirées par autrui. Le désir pour un objet s’inscrit donc dans une relation triangulaire « modèle – objet – sujet ».
� Lorsque deux individus désirent la même chose, ils entrent en concurrence (théorie du
modèle obstacle). La violence qui découle de cette rivalité prend le pas sur l’objet du désir.
� Pour la théorie de l’équivalence structurelle, la proximité sociale de deux individus les place en situation de compétition. Toute tentative de l’un pour se distinguer positivement aux yeux des autres membres du système sociale est alors imitée par l’autre. La rivalité devient mimétique.
� Cette violence est contagieuse, elle plonge la communauté dans une crise. La violence est d’autant plus grande que sont abolies les différences entre les individus.
� Le sacrifice d’un bouc émissaire permet de mettre un fin à cette spirale de violence en rétablissant une différence entre le sacrifiable et le non sacrifiable.
� Le sacrifice est ensuite répliqué puis ritualisé afin de prévenir toute nouvelle éruption de violence mimétique.
� Il aurait existé une violence ancestrale à laquelle on aurait mis fin par un sacrifice. Cette crise sacrificielle originelle aurait donné naissance au fait religieux.
Quels enseignements pour les Sciences de Gestion ?
L’œuvre de Girard est dense, complexe. La présentation qui vient d’en être faite est forcément
réductrice. Le pan métaphysique de la pensée girardienne qui relie sacrifice et naissance du
fait religieux et qui est, selon nous, indissociable de la foi catholique animant l’auteur, a ici
été écarté.
En dépit de sa position particulière, à l’intersection du littéraire, du scientifique et du
religieux, l’œuvre de Girard demeure une lecture stimulante pour les chercheurs en Sciences
de Gestion. Comme l’expliquent Desmond et Kavanagh (2003), l’analyse girardienne pourrait
éclairer d’un jour nouveau l’existence de formes organisationnelles (qui seraient les plus à
même de réduire la violence mimétique de leurs membres) ou les mécanismes de harcèlement
en entreprise. Plus proches de la thématique de la recherche, les auteurs soulignent que la
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
92
théorie du modèle obstacle pourrait apporter des micro fondations aux théories néo-
institutionnelles (Touron, 2005) ou à la théorie des conventions (Montmorillon, 1999).
Mobilisée dans des champs très divers de la théorie des organisations, la théorie mimétique
est supposée permettre une analyse des conflits de succession dans les entreprises familiales
(Grote, 2003 ; Hirigoyen, 2007) ou de l’éthique des affaires (Grote et McGeeney, 1997) ; une
minimisation des risques relationnels et informationnels dans les réseaux d’entreprise
(Simonnet, 2006) ou une analyse de l’adoption précoce des normes comptables anglo-
saxonnes par certaines entreprises françaises (Touron, 2005). Précisons néanmoins qu’aucune
des recherches qui viennent d’être citées n’apporte de base empirique sérieuse à la théorie
mimétique35.
Un point de départ stimulant
L’analyse de Girard insiste sur le rôle du modèle dans les comportements imitatifs et décrit
une relation imitative qui n’est ni objectale (sujet – objet), ni exclusivement interindividuelle
(sujet à sujet) mais triangulaire, le modèle jouant un rôle de révélateur du désir d’autrui.
Girard demeure néanmoins évasif sur les critères de sélection du modèle. On aimerait, par
ailleurs, avoir plus d’explications quant aux motivations qui poussent les individus à s’imiter
les uns les autres ; l’auteur se contentant, en effet, de souligner le caractère instinctif de
l’imitation en insistant sur l’existence de comportements imitatifs chez les jeunes enfants.
Même si les modèles de rationalité sur lesquels elle repose semblent bien éloignés de la
conception classique, la question des raisons qui poussent les individus à s’imiter les uns les
autres demeure périphérique dans la théorie mimétique. Pour Girard, l’essentiel est ailleurs :
le désir mimétique est générateur de violence, la violence est contagieuse, le sacrifice d’un
bouc émissaire vient mettre un terme à cette spirale destructrice.
Plusieurs approches théoriques, issues de la sociologie des organisations ou de la psychologie
sociale, sont en revanche susceptibles d’éclaircir cette question.
35 L’étude qualitative réalisée par Philippe Touron (2005) est ancrée dans le paradigme néo-institutionnel. La théorie mimétique y est surtout présentée comme un prisme intéressant pour interpréter les résultats de la recherche et comme une piste potentielle pour des travaux ultérieurs.
Première partie : Revue de la littérature
93
2.2. L’IMITATION ET LA LEGITIMITE
C’est par exemple le cas du courant néo-institutionnaliste qui affirme la prégnance des
institutions pour comprendre les faits économiques et sociaux (Huault, 2004a ; Meyer et
Rowan, 1977 ; Scott, 1995), marquant ainsi une rupture profonde par rapport aux conceptions
néo-classiques fondées sur une représentation individualiste et maximisatrice des
comportements humains. Si la perspective néo-institutionnelle insiste sur « l’inscription
politique, culturelle, cognitive voire relationnelle des organisations » (Huault, 2004a, p.1),
force est de constater qu’elle rassemble des courants très différents qui semblent avoir
beaucoup de mal à s’entendre sur une définition du terme « institution ». Les chercheurs
s’accordent généralement à décrire « l’institution » comme un produit des représentations et
des comportements individuels mais aussi comme un cadre orientant ces représentations et
ces actions. L’accent est souvent mis sur la durée de vie extrêmement longue des institutions.
Ces considérations générales sont souvent précisées par des classifications permettant de
distinguer plusieurs catégories d’institutions.
Cette section ne prendra pas part aux débats propres à ce champ, pas plus qu’elle ne tentera de
les synthétiser36. Au risque de présenter une vision tronquée de cette tradition de recherche,
nous nous focaliserons sur les travaux abordant les thématiques du mimétisme et de
l’imitation concurrentielle. En effet, les questions liées au conformisme au sein de populations
d’organisations (DiMaggio et Powell, 1983) et les enjeux liés à la légitimité des organisations
(Suchman, 1995) constituent des objets d’analyse traditionnels dans le courant sociologique
de la théorie néo-institutionnelle.
Au cours des dernières années, sous la pression de plusieurs auteurs (DiMaggio, 1988 ;
Oliver, 1991), ce courant a cependant progressivement étendu son champ d’analyse (Acquier
et Aggeri, 2006 ; Lounsbury, 2008). Ses développements théoriques actuels tendent à affiner
des concepts tel que le bricolage institutionnel (Campbell, 2004) ou l’entrepreneur
institutionnel (Hwang et Powell, 2005).
36 On renverra ainsi le lecteur aux états de l’art proposés par Bendrine et Demil (1998) et par Huault (2002).
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
94
a) L’isomorphisme et les pressions institutionnelles
Selon Scott (1995), les dimensions normatives, coercitives et cognitives de l’environnement
constituent les trois piliers de l’analyse néo-institutionnelle : ils exercent une influence sur les
organisations. La théorie néo-institutionnelle marque donc un intérêt particulier pour
l’influence de l’environnement sur l’organisation (Livian et Baret, 2002). En se conformant à
cette influence, les organisations gagnent en légitimité, ce qui peut leur permettre d’accéder à
certaines ressources et de voir leur chances de survie augmenter (Meyer et Rowan, 1977 ;
Scott, 1987 ; Zucker, 1987). Cet intérêt conféré au conformisme organisationnel constitue le
point de départ de la réflexion entamée par DiMaggio et Powell (1983) qui cherchent à savoir
pourquoi, dans un champ donné37, les organisations deviennent similaires.
Pour caractériser le processus d’homogénéisation des organisations, DiMaggio et Powell (tout
comme Hannan et Freeman, 1977) mobilisent le concept d’isomorphisme, « un processus
contraignant qui dans une population donnée, force une unité à ressembler aux autres unités
faisant face aux mêmes contraintes environnementales »38. A la différence du phénomène
décrit par Hannan et Freeman (qualifié par DiMaggio et Powell d’isomorphisme
concurrentiel), l’isomorphisme institutionnel n’est pas le fruit d’un processus de sélection
naturelle, mais résulte des différentes pressions institutionnelles auxquelles sont confrontées
les organisations. Ces pressions institutionnelles peuvent être regroupées en trois grandes
catégories : les pressions coercitives, normatives et mimétiques.
Certains relecteurs ont précisé que ces différentes pressions pouvaient interagir et s’auto-
renforcer. C’est le cas de Desreumaux (2004) qui souligne que le processus isomorphique est
par nature dynamique. Aussi, il est parfois difficile de dissocier, dans la réalité, les différentes
pressions isomorphiques (Mizruchi et Fein, 1999).
Les pressions coercitives
Les pressions coercitives ont trait à l’environnement légal encadrant les activités de
l’organisation. L’idée essentielle est que, face à une législation identique (fiscalité, protection
de l’environnement, droit du travail, normes comptables), les organisations d’un même champ
auront tendance à adopter les mêmes pratiques, à se doter des mêmes structures, à suivre les 37 Le champ organisationnel est défini comme « un groupe d’organisations constituant une sphère particulière de la sphère institutionnelle. Il rassemble les fournisseurs, les consommateurs, les autorités de régulation et les organisations qui opèrent dans le même domaine d’activité » (DiMaggio et Powell, 1983, p.148). 38 “Isomorphism is a constraining process that forces one unit in a population to resemble other units that face the same set of environmental conditions” (Hawley, 1968 ; cité par DiMaggio et Powell, 1983 : 149).
Première partie : Revue de la littérature
95
mêmes stratégies. Les structures organisationnelles et les modes d’action découlent ainsi,
dans une large mesure, des règles édictées par des acteurs dotés d’un pouvoir de surveillance
et de sanction tels que l’Etat (Tolbert et Zucker, 1983) ou les agences gouvernementales
(Meyer et Rowan, 1977 ; Scott, 1995). Ces pressions coercitives peuvent également émaner
de parties prenantes contrôlant des ressources dont dépendent les organisations (Mizruchi et
Fein, 1999). Le pouvoir de sanction des investisseurs sera ainsi d’autant plus grand que
l’accès au capital sera difficile (Aerts et al., 2006).
Les pressions normatives
Les pressions normatives résultent principalement de la professionnalisation du champ
d’activité. Le comportement des organisations n’est pas contraint, mais orienté par des
normes qui, selon DiMaggio et Powell, permettent de distinguer les pratiques considérées
comme « professionnelles » de celles qui ne le sont pas. On retrouve ici l’idée, chère aux
conventionnalistes, de règles de comportements auxquelles souscriraient les acteurs en vue de
rationaliser leurs actions. Les actions individuelles seraient dictées, non seulement par une
logique d’efficacité, mais également par un standard de « professionnalisation » proche du
principe de crédit d’opinion en vigueur dans la cité de l’opinion esquissée par Boltanski et
Thévenot (1991).
Dans un ouvrage consacré à la presse, Cook (2005) offre une illustration de cette idée. La
citation d’experts, l’exposition de points de vue différents, la volonté de s’en tenir aux faits
font ainsi partie intégrante de ce qu’il est convenu d’appeler « l’éthique des journalistes ». Ces
pressions normatives ne se cantonnent d’ailleurs pas aux grands médias. Comme l’a montré
Bird (1992), les personnes officiant dans des tabloïds distribués dans les supermarchés
américains se définissent, elles aussi, comme des journalistes et adhèrent aux mêmes rites
d’objectivité que les journalistes des médias traditionnels.
Une attention particulière peut alors être portée aux institutions – telles que les associations
professionnelles, les instituts de formation, la presse professionnelle, les cabinets de conseil
ou les banquiers d’affaire – qui sont susceptibles, à la manière de Johnny Appleseed39, de
diffuser les « bonnes pratiques » et de normer les comportements au sein du champ
39 La comparaison est empruntée à Haunschild (1994). Johnny Appleseed (de son vrai nom John Chapman, 1774-1845) est un personnage bien connu dans la littérature enfantine anglo-saxonne. Pionnier, missionnaire et écologiste, il a contribué à la diffusion de la culture de la pomme en plantant des pommiers dans de nombreux Etats américains, en apprenant aux personnes qui croisaient son chemin à fabriquer du cidre et en leur vendant des pommiers selon un principe proche du microcrédit.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
96
organisationnel. On pourra trouver dans les travaux de Hirsch (1986), Espeland et Hirsch
(1990) et Stearns et Allan (1996) un prolongement de ces réflexions. Ces auteurs montrent
que les innovations managériales sont souvent, dans un premier temps, adoptées par des
dirigeants n’appartenant pas à l’élite managériale et n’ayant pas fréquenté les grandes écoles
ou par des organisations marginales dans le champ organisationnel et donc supposées être
moins exposées aux pressions normatives.
Les pressions mimétiques
Au fil de leur existence, les organisations ont tendance à négliger l’efficacité réelle des
pratiques, des structures ou des stratégies qu’elles adoptent (Palmer et al., 1993), en
particulier lorsqu’elles doivent faire face à des situations caractérisées par un fort degré
d’incertitude et d’ambiguïté (DiMaggio et Powell, 1983 ; Meyer et Rowan, 1977 ; Powell,
1991). Mues par une quête de reconnaissance, les organisations cherchent alors à adopter les
pratiques qui ont déjà rencontré le succès ailleurs et à suivre un modèle, une autre
organisation qui, précisent DiMaggio et Powell, peut n’avoir aucune envie d’être copiée.
L’organisation imitée (le modèle) est choisie en fonction de sa forte légitimité. Dans une
industrie donnée, il est ainsi fréquent de voir le leader du secteur ou un compétiteur aux
performances supérieures à la moyenne jouer le rôle de « leader d’opinion ». Le modèle verra
alors sa structure, certaines de ses pratiques, ou sa stratégie, se diffuser au sein du champ
organisationnel. Néanmoins, comme le montrent Labianca et Fairbank (2005), au travers
d’une étude de cas consacrée à une université américaine, il peut arriver que des organisations
n’imitent pas une autre organisation légitime en particulier, mais un groupe d’organisations
légitimes (en l’occurrence, celles qui appartiennent au « Top 20 » des « Business Schools »
établi par l’hebdomadaire Business Week).
Les pressions mimétiques – qui émanent des organisations du champ autant qu’elles
s’exercent sur elles – peuvent également jouer en l’absence d’incertitude. En effet, lorsqu’une
proportion significative d’organisations aura adopté une « innovation », celle-ci sera admise
et progressivement adoptée par les autres organisations ce qui contribuera à son
institutionnalisation (Burt, 1987 ; Tolbert et Zucker, 1983).
Zucker (1977) et March (1981) soutiennent alors que les pratiques les plus répandues et les
plus communément admises au sein du champ organisationnel sont parfois adoptées de façon
Première partie : Revue de la littérature
97
quasi inconsciente. A mesure qu’une innovation s’institutionnalise, elle peut acquérir le statut
de règle, son adoption n’étant plus simplement du ressort de l’organisation (Meyer et Rowan,
1977).
b) Un concept central : la légitimité
Dans l’analyse de DiMaggio et Powell, la légitimité intervient de deux façons distinctes dans
le processus mimétique : d’une part dans l’identification des structures, des pratiques et des
stratégies à imiter (celles qui ont préalablement été adoptées par une organisation légitime) ;
d’autre part dans la quête de légitimité à laquelle se livrent les organisations (Huault, 2002 ;
Suchman, 1995). La conformité étant un facteur susceptible d’accroitre la légitimité des
organisations (Dacin, 1997 ; Deephouse, 1996), une organisation pourra imiter une pratique,
adopter une structure ou une stratégie donnée en vue de se légitimer au sein de son champ
organisationnel d’appartenance (Scott, 1987),. La légitimité nouvellement acquise par
l’organisation imitatrice pourra lui permettre d’accéder à certaines ressources (des capitaux
par exemple) et ainsi contribuer à sa performance à long terme (Allouche et Huault, 2003 ;
Dacin, 1997 ; Deephouse, 1996, 1999 ; Meyer et Rowan, 1977 ; Scott, 1987).
Un statut objectif de l’organisation, créé subjectivement par les acteurs
Il n’est donc pas surprenant de voir le concept de légitimité faire l’objet d’une attention
particulière chez les néo-institutionnalistes. Statut conféré par des acteurs sociaux (Ashforth et
Gibbs, 1990 ; Deephouse, 1996 ; Pfeffer et Salancik, 1978), la légitimité d’une organisation
s’observe lorsque ses actions et les valeurs qu’elle affiche sont en cohérence avec les attentes
des acteurs de son environnement social. A la suite de Suchman (1995), on considérera que la
légitimité repose sur « une impression largement partagée que les actions d’une entité sont
désirables, convenables et adéquates, par rapport à un système de normes, de valeurs et de
croyances sociales »40. La légitimité est donc associée au statut objectif d’une organisation et
créée subjectivement et collectivement par les acteurs sociaux.
Les processus de légitimation : la typologie de Suchman
Au-delà de cette définition, Suchman (1995) identifie trois grands processus par lesquels
peuvent se créer la légitimité d’une organisation : (1) la légitimité pragmatique, résultant de la
satisfaction des demandes et des attentes des parties prenantes ; (2) la légitimité normative,
qui est le produit d’une évaluation morale de l’organisation et de ses activités par des tiers ; et
40 “Legitimacy is a generalized perception or assumption that the actions of an entity are desirable, proper or appropriate within some socially constructed system of norms, values, beliefs and definitions” (Suchman, 1995, p.574)
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
98
(3) la légitimité cognitive qui sera liée au taken-for-granted de l’organisation dont l’existence
et la position seront considérées comme normales, évidentes, allant de soi (Aldrich et Fiol,
1994 ; Jepperson, 1991 ; Kostova et Zaheer, 1999).
C’est à ce dernier processus que DiMaggio et Powell (1983) font référence lorsqu’ils
analysent les pressions mimétiques contribuant à l’isomorphisme institutionnel dans un
champ organisationnel donné.
Synthèse 7
Points essentiels de la théorie néo-institutionnelle
Auteurs clés : DiMaggio et Powell, Scott / Champ disciplinaire : Sociologie des organisations Niveaux d’analyse : organisation et champ organisationnel
� L’isomorphisme institutionnel est un processus permettant d’expliquer les similitudes entre des organisations appartenant à un même champ.
� Les organisations se conforment aux pressions intentionnelles. Elles peuvent ainsi bénéficier d’une légitimité accrue, accéder à des ressources, voir leurs chances de survie augmenter.
� L’isomorphisme institutionnel résulte de trois types de pressions : coercitives,
normatives, mimétiques.
� Les pressions mimétiques exercent leur influence lorsque les situations sont caractérisées par un fort degré d’incertitude. Les organisations sont alors tentées d’imiter un modèle à forte légitimité afin de se légitimer.
� Elles peuvent également jouer en l’absence d’incertitude lorsque les organisations imitent, de façon inconsciente, des modèles ou reprennent des pratiques généralement acceptées.
� Parce qu’elle lui permet d’accéder à certaines ressources, la légitimité d’une organisation peut contribuer à sa performance.
� L’analyse de DiMaggio et Powell renvoie à la notion de légitimité cognitive (taken-for-
granted). Une organisation est légitime lorsque les acteurs considèrent son existence comme normale et allant de soi.
c) Des développements empiriques conséquents
De tous les pans de la théorie néo-institutionnelle, les questions liées aux pressions
mimétiques et au rôle central de la légitimité sont indiscutablement celles qui ont suscité le
plus de développement empiriques41. S’ils mobilisent explicitement le cadre conceptuel
41 Une attention jugée disproportionnée par Mizruchi et Fein (1999) qui pointent, en outre, un manque de rigueur dans les mesures utilisées dans les 26 articles qu’ils analysent.
Première partie : Revue de la littérature
99
proposé par les néo-institutionnalistes et mettent en exergue la quête de légitimité des
organisations, certains de ces travaux font référence à plusieurs approches théoriques.
La théorie néo-institutionnelle a ainsi été combinée à la théorie de l’écologie des populations
(Fligstein, 1985 ; Lee et Pennings, 2002), à la théorie de l’agence (Brandes et al., 2006 ;
Davis, 1991), à la théorie des ressources, à la théorie des réseaux sociaux (Galaskiewicz et
Wasserman, 1989) ou aux théories de la diffusion (Palmer et al., 1993 ; Webb et Pettigrew,
1999).
La grande diversité de cette littérature est également perceptible dans le choix des terrains et
des pratiques étudiés. Les pressions mimétiques et la quête de légitimité des organisation
conditionnent les pratiques de recrutement des dirigeants (Williamson et Cable, 2003) ou
l’adoption d’un mode de rémunération pour ces derniers (Brandes et al., 2006 ; Westphal et
Zajac, 1994), de pratiques telles que la mise en place de « poison pills » (Davis, 1991), de
programmes de qualité totale (Westphal et al., 1997), la mise en place d’une démarche de
certification (Guler, Guillén et Macpherson, 2002), le montant des dons attribués à des
organismes non lucratifs (Galaskiewicz et Wasserman, 1989).
Certains de ces résultats viennent, par ailleurs, confirmer les prédictions d’Oliver (1991) qui
envisageait la possibilité de voir des décisions stratégiques se diffuser par imitation.
L’imitation concurrentielle peut ainsi avoir pour objet la structure organisationnelle (Burns et
Wholey, 1993 ; Fligstein, 1985 ; Lee et Pennings, 2002 ; Palmer et al., 1993), le
positionnement stratégique (Greve, 1995, 1996, 1998), les modalités de développement
retenues par l’organisation (Stearns et Allan, 1996), ou encore la stratégie internationale de
l’entreprise (Guillén, 2002, 2003 ; Henisz et Delios, 2001 ; Webb et Pettigrew, 1999).
L’imitation de pratiques largement répandues
Malgré quelques exceptions notoires42, la relation entre la fréquence d’une pratique, d’une
structure, ou d’une stratégie au sein d’un champ organisationnel et son adoption a été établie
par de nombreux travaux. Ces résultats viennent confirmer l’existence d’une « imitation
fondée sur la fréquence » (Haunschild et Miner, 1997 ; Williamson et Cable, 2003). Henisz et
Delios (2001) montrent que le choix d’un pays d’implantation par une entreprise japonaise et
largement conditionné par le nombre d’entreprises s’étant déjà installées dans ce pays.
42 A titre d’exemple, Davis (1991) parvient à des résultats non significatifs lorsqu’il étudie le lien entre la mise en place de poison pills par une organisation et la fréquence de telles pratiques dans son industrie.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
100
Cette relation est particulièrement forte lorsqu’une décision stratégique43 a préalablement été
adoptée par des organisations qui appartiennent au même secteur d’activité que l’organisation
imitante (Fligstein, 1985 ; Henisz et Delios, 2001 ; Palmer et al., 1993).
Des phénomènes d’imitation concernant des décisions stratégiques ont ainsi été mis en
lumière chez les radios musicales américaines (Greve, 1995, 1996, 1998), les agents de
crédits américains (Haveman, 1993), chez les cabinets d’expertise comptable aux Pays-Bas
(Lee et Pennings, 2002).
L’imitation comme moyen de légitimation
Prolongeant le travail fondateur de Tolbert et Zucker (1983), à propos de l’adoption de la
réforme du service civil par les municipalités américaines, plusieurs recherches mettent en
exergue la fonction légitimatrice de l’imitation. Conformément aux propositions néo-
institutionnalistes, les organisations adoptent des pratiques, des structures organisationnelles,
ou des stratégies largement diffusées afin de se légitimer au sein de leur champ
organisationnel d’appartenance. Ces motivations institutionnelles seraient particulièrement
saillantes lors des phases finales du processus de diffusion (Burns et Wholey, 1993 ; Westphal
et al., 1997), durant lesquelles l’innovation a acquis une valeur symbolique liée à son statut de
taken-for-granted (Westphal et Zajac, 1994).
Dans une étude consacrée à l’adoption des programmes de qualité totale par les hôpitaux
américains, Westphal, Gulati et Shortell (1997) mettent en évidence la relation entre le
conformisme des organisations et leur légitimité. Si la démarche des chercheurs, consistant à
s’appuyer sur les notes attribuées par le JCAHO44 aux hôpitaux est contestable, notons ici
qu’il s’agit d’une des rares tentatives de mesure directe de la légitimité. Les résultats de
l’étude montrent que la mise en place tardive de programmes de qualité totale améliore la
notation des hôpitaux alors qu’elle détériore leurs performances.
S’intéressant à la communauté médicale britannique, Broadent, Jacobs et Laughlin (2001)
montrent, de leur côté, que la crainte d’une perte de légitimité peut, elle aussi, être à l’origine
de comportements imitatifs. Les acteurs de la communauté médicale adopteraient de
nouvelles pratiques comptables et financières de crainte de se trouver isolés. Les spécificités
43 Décisions liées au positionnement, à la stratégie corporate (diversification, internationalisation) ou au choix d’une structure organisationnelle. 44 Joint Commission on the Accreditation of Healthcare Organizations.
Première partie : Revue de la littérature
101
du cas étudié par les trois auteurs laissent néanmoins planer certaines interrogations quant à la
nature, coercitive ou mimétique, des pressions institutionnelles à l’œuvre. Les pratiques qu’ils
étudient s’inscrivent, en effet, dans les réformes successives du système de santé introduites
par le gouvernement britannique.
Les deux cas étudiés par Touron (2005) permettent de lever cette ambigüité. Le chercheur
s’intéresse à l’adoption de normes comptables américaines par deux grandes entreprises
françaises (Rhone Poulenc et Saint-Gobain) dans les années soixante-dix. Cette période
précède la création l’International Accounting Standard Committee (IASC). D’autres normes
comptables étaient alors préconisées par les autorités de régulation françaises. C’est ici la
quête de légitimité, traduite par la volonté des entreprises d’afficher leur dimension
internationale, qui est décrite comme le facteur essentiel ayant conditionné l’adoption des
normes comptables américaines.
Lorsqu’elle est liée à une quête de légitimité de l’organisation, l’imitation peut néanmoins
demeurer superficielle. Whestphal et Zajac (1994) soulignent ainsi le caractère largement
cérémoniel de l’adoption de système incitatifs de rémunération à destination des dirigeants
par les grandes entreprises américaines.
S’intéressant aux politiques de prévention du harcèlement moral mises en œuvre par les
municipalités finlandaises, Salin (2008) aboutit à des conclusions comparables et s’étonne
d’une tendance manifeste au « copier/coller » dans les documents officiels : ce sont souvent
les mêmes expressions, voire les mêmes paragraphes, qui sont utilisés par les municipalités
pour attester de leurs bonnes pratiques. Cette pratique, utilisée par ces collectivités en vue de
maintenir leur légitimité, laisse planer un sérieux doute quant à la mise en œuvre effective des
politiques de prévention du harcèlement moral.
L’imitation de modèles légitimes
Même si les organisations imitées ne sont pas toujours celles qui sont les plus admirées
(Labianca et Fairbank, 2005), plusieurs travaux viennent accréditer l’idée d’une sélection des
modèles en fonction de leur légitimité.
Dans le cadre d’un travail consacré aux agents de crédits d’assurances britaniques, Webb et
Pettigrew (1999) montrent, par le biais d’une méthodologie originale (étude longitudinale
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
102
combinant données qualitatives et quantitatives), que les stratégies d’internationalisation de
Prudential et General Accident (les deux leaders du secteur) sont largement reprises par les
concurrents du secteur. Reprenant des extraits d’entretiens réalisés auprès de managers, les
deux chercheurs font par ailleurs état d’une forme d’admiration à l’égard de ces deux
entreprises. Cette dernière observation est cohérente avec l’idée d’une sélection des modèles
sur la base de leur légitimité.
La dimension qualitative de l’étude de Webb et Pettigrew permet d’appréhender la légitimité
des modèles comme un statut leur étant conféré par des acteurs extérieurs. Dans leur grande
majorité, les travaux qui cherchent à intégrer cette dimension le font cependant de façon
indirecte en considérant que les modèles légitimes sont des organisations sélectionnées en
fonction de leur taille ou de leurs bonnes performances.
Pour décider de leurs lieux d’implantation, les banques japonaises de la région de Tokyo
auraient ainsi eu, au début du siècle, tendance à choisir leurs modèles sur la base de leur taille
(Greve, 2000) : « l’isomorphisme peut ainsi se produire lorsque des organisations de petite
taille scrutent le comportement d’organisations de taille plus importante en vue d’obtenir des
indications quant aux comportements normaux appropriés aux grandes organisations et, en
imitant ces dernières, deviennent plus homogènes » (Greve, 2000, p.831)45. Ce résultat rejoint
ceux obtenus par Haunschild & Miner (1997) et par Williamson et Cable (2003) et qui ont été
évoqués plus tôt (imitation fondée sur les caractéristiques du modèle / chapitre 1 / section 4).
Partant du principe que l’existence de modèles de grande taille constitue un facteur
contribuant à la dynamique isomorphique, certains chercheurs ont, par extension, posé et
vérifié l’hypothèse selon laquelle l’influence des pressions mimétiques serait plus forte dans
les industries fortement concentrées (Aerts et al., 2006 ; Westphal et al., 2001).
La légitimité peut également être attribuée par les acteurs du champ à des organisations en
raison de leurs bonnes performances commerciales et financières. Henisz et Delios (2001)
démontrent ainsi que dans le cadre de leur stratégie d’internationalisation, les multinationales
japonaises ont tendance à choisir les mêmes pays d’implantation que ceux précédemment
retenus par des organisations leaders dans leur secteur d’activité. Dans un article intitulé
45 “Mimetic isomorphism can result when initially different small organizations look to large organizations for clues on what behaviors are normal for a large organization and, by imitating those behaviors, be- come more homogeneous.”
Première partie : Revue de la littérature
103
« follow the leader », Haveman (1993) souligne, quant à elle, que les agents de crédits
américains ont tendance à répliquer les décisions d’entrée sur de nouveaux marchés de leurs
concurrents les plus performants. Stearns et Allan (1996) intègrent l’imitation des leaders
dans un modèle plus général, expliquant la vague de fusions-acquisitions aux Etats-Unis dans
les années quatre-vingt. Initiée par des organisations marginales (en termes de statut), à la
suite d’une évolution de l’environnement, la vague est amorcée lorsque les pionniers sont
copiés en raison de leurs bonnes performances financières. Les fusions-acquisitions
s’institutionnalisent, ce qui a pour conséquence de créer un effet boule de neige
(« bandwagon effect ») auquel un nouveau choc environnemental viendra mettre un terme.
Dans le cas de groupes multinationaux, certaines filiales peuvent également jouer le rôle de
modèle. Prolongeant les propositions de Kostova et Zaheer (1999), l’existence d’un
mimétisme intra-organisationnel a ainsi été vérifiée (Davis, Desai et Francis, 2000 ; Kostova
et Roth, 2002 ; Lu, 2002 ; Tixier, 2004). Pour élaborer leurs stratégies d’internationalisation,
les filiales les moins expérimentées ont, par exemple, tendance à imiter d’autres unités du
même groupe (Lu, 2002), en particuliers lorsque les initiatives mises en place par ces
dernières ont été couronnées de succès. Ce constat amène certains auteurs à identifier un
phénomène de dualité institutionnelle : les filiales subissent des pressions qui émanent à la
fois de leur environnement externe et interne (Davis et al., 2000 ; Kostova et Roth, 2002 ;
Tixier, 2004).
Du lien entre incertitude et imitation
Sans reprendre dans le détail les travaux cités dans le chapitre précédent, rappelons, enfin, que
plusieurs chercheurs ont cherché à établir un lien entre imitation et incertitude, rejoignant
ainsi les propositions de DiMaggio et Powell (1983), mais aussi de Keynes (1934, 1937), des
théoriciens de conventions (Gomez 1996, Orléan 2004) et de l’information en cascade
(Banerjee 1992, Bickchandani, Hirshleifer et Welch, 1998).
Malgré l’importance de l’argument fondé sur l’incertitude dans les théories consacrées à
l’imitation, force est néanmoins de constater le faible nombre de travaux cherchant à établir
empiriquement cette relation. Si certaines tentatives sont couronnées de succès (Gygax et
Griffiths, 2007 ; Haunschild et Miner, 1997), les résultats sont souvent peu significatifs. Pour
ne citer qu’un seul exemple, Haunschild (1994) dans une étude consacrée aux primes
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
104
d’acquisitions versées par les entreprises américaines, ne parvient pas à mettre en évidence le
rôle catalyseur de l’incertitude dans les phénomènes d’imitation.
Le caractère mitigé de ces résultats laisse suggérer une relation complexe entre incertitude et
imitation, ne pouvant se traduire par une simple corrélation. Un autre élément d’explication
possible réside dans la définition de l’incertitude qui est adoptée. En effet, les travaux
empiriques existants assimilent souvent l’incertitude à un état objectif de la nature46 et ne
s’appuient pas sur les travaux existants (Koopmans, 1970 ; Milliken, 1987 ; Williamson,
1994) pour distinguer différents types d’incertitude.
Partant du principe que l’incertitude n’est pas appréhendée de la même façon par toutes les
organisations, Henisz et Delios (2001), dans leur étude consacrée aux stratégies
d’internationalisation de entreprises multinationales japonaises, font ainsi apparaître une
relation positive entre l’inexpérience des entreprise et leur propension à l’imitation. De son
côté Greve (1995) parvient à établir que les stations de radio détenues par des grands groupes
médias, supposées avoir accès à plus d’informations et donc être moins exposées à
l’incertitude, pratiquent moins l’imitation que les autres.
Des limites récurrentes
Sans nier la force de conviction de ces travaux empiriques, il est possible de noter certaines
limites en regrettant, à la suite de Mizruchi & Fein (1999), que la théorie néo-institutionnelle
y soit souvent reprise de façon succincte, réductrice, pour ne pas dire caricaturale. La
dimension souvent symbolique et cérémonielle de la citation de l’article séminal de DiMaggio
et Powell offre ainsi la parfaite illustration des thèses néo-institutionnalistes (DiMaggio,
1995).
« En l’espace de quelques années, l’article est devenu une sorte de citation rituelle pour appuyer l’idée qu’en fait, les organisations seraient un peu bizarres et que les individus ne seraient jamais rationnels, alors que figurent dans le sous-titre de l’article les termes de “rationalité collective” » 47
DiMaggio (1995, p.395)
46 Par exemple, Haunschild (1994) s’appuie sur la variance dans les cours des entreprises faisant l’objet d’une acquisition. 47 “Within a few more years, the paper had turned into a kind of ritual citation, affirming the view that, well, organizations are kind of wacky, and (despite the presence of "collective rationality" in the paper's subtitle) people are never rational.”
Première partie : Revue de la littérature
105
La limite la plus importante des travaux empiriques existants réside dans le caractère indirect
des mesures qu’ils proposent : la plupart des travaux n’appréhendent pas directement les
phénomènes dont ils sont supposés rendre compte (Mizruchi et Fein, 1999). La seule
constatation que les pratiques se diffusent est souvent considérée comme une preuve
irréfutable de la quête de légitimité des organisations et de l’institutionnalisation des pratiques
(Lee et Pennings, 2002 ; Scott, 1995).
Compte tenu de la diversité des théories consacrées aux phénomènes d’imitation
concurrentielle, plusieurs explications pourraient néanmoins s’appliquer aux cas étudiés. Un
chercheur constatant que les organisations imitent souvent des modèles connaissant des
performances exceptionnelles pour déterminer leur stratégie internationale, pourrait certes
voir dans son observation une validation de l’argument néo-institutionnaliste fondé sur la
légitimité (la performance conditionne la légitimité d’une organisation, les organisations les
plus légitimes sont imitées), mais il pourrait aussi y voir une validation de l’idée, chère aux
théoriciens de la diffusion, que le succès de l’organisation imitée constitue un indicateur des
bienfaits de la stratégie adoptée.
Adoptant des méthodologies quantitatives, la majorité des travaux empiriques existants
ignore, enfin, les micro fondations de la théorie néo-institutionnelle (lesquelles sont
longtemps restées implicites).
d) A la recherche de micro fondations
A la lecture des travaux néo-institutionnalistes, on pourra, en effet, être frappé par la porosité
de la frontière individu/organisation : les individus apparaissant en ombre portée de la quête
de légitimité animant les organisations. Au travers de reformulations des théories néo
institutionnalistes, certains auteurs semblent d’ailleurs faire preuve d’un anthropomorphisme
assumé. Selon Mintzberg et ses collègues (1999, p.299), l’isomorphisme mimétique renvoie à
la volonté des organisations de « convaincre tout le monde qu’elles sont aussi à la pointe de
ce qui se fait de mieux. » Pour Barthélemy (2002, p.52), il les conduit à « copier les
concurrents directs qu’elles admirent le plus ».
Les explications théoriques de la sociologie néo-institutionnelle demeurent cependant
désincarnées : la perception des individus y faisant figure de boite noire (Hasselbladh et
Kallinikos, 2000). Partant du constat que les individus ont longtemps fait partie de la face
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
106
cachée de la théorie néo-institutionnelle, Powell et DiMaggio (1991, p.16), esquissent alors un
véritable programme de recherche : « Trop peu d’efforts ont été entrepris pour rendre
explicites les fondements micro du néo-institutionnalisme. […] Certes, la dimension macro du
néo-institutionnalisme est fondamentale. Il n’en demeure pas moins que toute
macrosociologie repose sur une microsociologie, aussi tacite soit-elle. En conséquence, pour
comprendre pleinement le néo-institutionnalisme, il est nécessaire d’éclairer ces
postulats. »48
La question des fondements micro du néo-institutionnalisme est particulièrement sensible dès
lors qu’est mobilisé le concept de légitimité. Comme le remarque Deephouse (1996), la
légitimité peut à la fois se concevoir comme une propriété objective associable à une
organisation ou comme un processus au cours duquel les acteurs sociaux interviennent
collectivement et subjectivement. L’étude de la légitimité comme processus conduit alors à
postuler un mode de rationalité alternatif à la conception classique sur les individus.
2.3. UN CONFORMISME DE GROUPE : LES THEORIES DE L’IDENTITE SOCIALE
La quête de légitimité des organisations serait-elle le pendant de la quête d’identité animant
les individus ? C’est ce que semblent soutenir les chercheurs Vermeulen et Wang (2005) et
Massini, Lewin et Greve (2005) qui mobilisent les théories de l’identité sociale pour apporter
le complément théorique interindividuel qui manquait à l’analyse néo-institutionnaliste du
mimétisme inter-organisationnel.
48 “There as been little effort to make neoinstitutionalism’s microfoundations explicit […]. We agree that the macro side of neoinstitutionalism […] is central. Yet any macrosociology rests on a microsociology, however tacit. It follows from this that to understand neoinstitutionalism, it is necessary to bring these assumptions to light.”
Première partie : Revue de la littérature
107
Schéma 5
Les théories de l’identité sociale comme micro-fondation de l’isomorphisme mimétique
Les théories de l’identité sociale s’intéressent à la relation entre l’identité d’un individu et son
appartenance (ou sa non-appartenance) à un groupe ou à une catégorie sociale. Compte tenu
de l’importance de cette littérature, il serait impossible d’en proposer ici un panorama
exhaustif. En complément des travaux fondateurs de Tajfel et Turner (Tajfel et Turner, 1986 ;
Turner, 1985), plusieurs ouvrages de synthèse permettent néanmoins d’en dégager un aperçu
global (Abrams et Hogg, 1988 ; Brown, 2000 ; Hogg, 2001, 2003).
a) De l’identité personnelle et de l’identité sociale
Les recherches qui mobilisent le concept d’identité sociale ont pour point commun de
considérer l’identité d’un individu comme multidimensionnelle. Elles procèdent donc
systématiquement à la distinction de l’identité personnelle (« personal self ») qui à trait aux
caractéristiques distinctives d’un individu (par comparaison aux autres individus) et de
l’identité sociale (« social self » ou « relational self ») qui renvoie son à appartenance à une
ou à plusieurs catégorie(s) sociale(s) (Brewer et Gardner, 1996).
Champ organisationnel
(organisations)
Groupe (individus)
Isomorphisme
Pressions mimétiques
Légitimité cognitive
Identité sociale
« Social self »
Auto catégorisation
Comparaison sociale « Ingroup / Outgroup »
« Related attribute similarity »
Comparaison ascendante
« taken-for-granted »
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
108
Le processus de catégorisation
Pour simplifier leur environnement, les individus sont amenés à le segmenter en catégories
rassemblant des objets perçus comme étant similaires sur certaines dimensions. Chaque
information est alors reliée rapidement à une catégorie préexistante au lieu d’être traitée de
façon isolée et unique. Ce phénomène, bien connu des chercheurs en sciences cognitives, est
illustré par Hogg (2001) de façon éloquente : sans avoir recours à une quelconque
catégorisation, un individu qui rencontrerait une créature dotée de quatre pattes, d’une
imposante crinière et de dents menaçantes serait probablement plongé dans l’embarras le plus
total. L’utilisation de la catégorie « lion » ne rendra pas la situation moins délicate : elle
permettra tout de même à l’individu de lui donner du sens, d’avoir une idée de ce qui risque
de lui arriver, de cerner les actions à mettre en œuvre.
Le monde social n’échappe pas au processus de catégorisation. Nous utilisons des critères tels
que l’appartenance à une organisation, l’âge ou la nationalité pour constituer des catégories
sociales (Tajfel et Turner, 1986). Une catégorie sociale rassemblera alors une collection de
caractéristiques typiques censées représenter ses membres (Turner, 1985). Les individus
appartenant à la catégorie sociale des « joueurs de football » pourront par exemple être définis
par un certain nombre d’éléments relatifs à leur équipement (tenue, ballon), à une dextérité
particulière dans la pratique de ce sport, à leur esprit sportif, etc. Ce processus se traduit par
une dépersonnalisation de la perception qu’ont les individus du monde social (Turner, Hogg,
Oakes, Reicher et Wetherell, 1987) : l’autre n’est plus perçu comme un individu unique mais
comme un membre plus ou moins représentatif de sa catégorie sociale. Les caractéristiques
prototypiques prennent alors le pas sur les caractéristiques individuelles (Hogg, 2001 ; Hogg
et Hains, 1996).
Comme tout processus de catégorisation, la catégorisation sociale permet à l’individu de
construire une représentation simplifiée de la réalité. Elle lui permet également de se situer
cognitivement dans son environnement social (Ashforth et Mael, 1989). Pour permettre cette
simplification du monde réel, les individus auront à opérer une segmentation la plus claire
possible qui se traduira par une augmentation des similarités perçues entre les membres d’une
même catégorie sociale et par une augmentation des différences perçues entre des catégories
sociales différentes.
Première partie : Revue de la littérature
109
Le groupe
Le groupe constitue l’objet d’étude privilégié de la psychosociologie. La question de ses
frontières a été traitée à de nombreuses reprises et plusieurs démarches ont pu être adoptées :
nombre d’individus, nombre d’interactions, caractère direct ou indirect des relations, critères
objectifs tels que le territoire occupé par une tribu, les liens de parenté, etc.
En matière d’identité sociale, la solution adoptée est toute autre : le groupe se présente comme
un ensemble d’individus se définissant et étant définis par les autres comme des membres
d’une même catégorie sociale (Tajfel et Turner, 1986). Parce qu’il n’existe que par les
représentations que les individus se font des autres et d’eux-mêmes, le groupe est un construit
cognitif. Les représentations des individus pouvant différer, tout en conservant un certain
degré de convergence, les frontières du groupe seront par définition poreuses et imprécises.
Schéma 6
Le groupe comme une catégorie sociale
Dans ses Lois de l’imitation, Gabriel Tarde (1890 [2001]) proposait une conception très
différente du groupe et y voyait « une collection d’êtres en tant qu’ils sont en train de s’imiter
entre eux ou en tant que, sans s’imiter actuellement, ils se ressemblent et que leurs traits
communs sont des copies anciennes d’un même modèle. »
Sans faire de l’imitation un élément permettant de définir le groupe, les théories de l’identité
sociale pointent également l’existence d’un conformisme de groupe trouvant sa source dans
les processus par lesquels un individu est amené à définir sa propre identité sociale en relation
avec l’appartenance à un groupe particulier (identification sociale).
b) Les processus d’identification sociale
L’identification sociale s’opère au travers de deux processus cognitifs distincts :
l’autocatégorisation et la comparaison sociale (Abrams et Hogg, 1988).
Catégories
Catégories sociales
Groupe
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
110
Le processus d’autocatégorisation
Par l’autocatégorisation, les individus sont amenés à se positionner dans leur environnement
social, à définir leur groupe d’appartenance, « l’ingroup » (ou endogroupe) et leur groupe de
non appartenance, « l’outgroup » (ou exogroupe). Cette idée s’inscrit dans le prolongement
des travaux de Cooley (1902) qui partait du principe que les individus s’intéressaient à la
façon dont ils sont perçus. Le groupe de référence est défini comme la perception par un
individu de sa position relative par rapport à d’autres individus (Hyman, 1942). Un groupe
pourra alors être plus ou moins attractif, en fonction du désir des individus de le rejoindre et
du sentiment d’appartenance éprouvé par ses membres (French et Raven, 1959).
Comme dans le processus de catégorisation sociale décrit plus haut, l’autocatégorisation
s’accompagne d’une dépersonnalisation : en nous catégorisant de la même façon que nous
catégorisons les autres, nous nous dépersonnalisons (Turner, 1999 ; Turner et al., 1987) et
définissons notre propre identité (« self concept ») par rapport aux caractéristiques les plus
saillantes de notre groupe d’appartenance (Brewer, 1991). Par exemple, un individu
s’identifiant au groupe des parents sera amené à associer à sa propre identité les
caractéristiques les plus évidentes permettant de définir ce qu’est un « parent » telles que
conduire un monospace, connaître les paroles de la comptine « Une souris verte », etc.
(Elsbach, 1999).
Plusieurs expériences menées auprès d’étudiants américains (Aron, Aron, Tudor et Nelson,
1991 ; Powell, Koput et Smith-Doerr, 1996) ont confirmé l’existence de tels mécanismes
(identification à un groupe, association des caractéristiques prototypiques à sa propre
identité).
Le processus de comparaison sociale
Par le processus de comparaison sociale, les individus sont amenés à se comparer à d’autres
(Festinger, 1954). Il s’agit pour chaque individu d’élaborer une image de soi (« self esteem »)
positive en se comparant à autrui (Tajfel et Turner, 1986 ; Turner et al., 1987), en percevant
son groupe social d’appartenance comme différent et meilleur que les autres. Le rôle joué par
l’endogroupe (groupe social d’appartenance) est alors double (Brewer et Gardner, 1996).
D’une part, il apporte aux individus une base leur permettant de s’évaluer et d’évaluer les
autres. D’autre part, il permet de définir leur identité sociale en cohérence à l’endogroupe et
par opposition à l’exogroupe. L’utilisation du « nous » (« nous les français », « nous les
Première partie : Revue de la littérature
111
femmes », « nous les chercheurs en Sciences de Gestion ») marque la frontière entre
« ingroup » et « outgroup ».
Des comportements discriminatoires à l’égard des individus extérieurs au groupe social et de
favoritisme à l’égard des membres appartenant au groupe, pourront alors constituer des
moyens d’asseoir une identité sociale positive (Abrams et Hogg, 1988 ; Stangor et Thompson,
2002 ; Wills, 1981).
c) Un conformisme de groupe
La catégorisation du monde social a une influence sur la perception qu’ont les individus des
autres et d’eux-mêmes. Les membres d’une même catégorie se perçoivent comme
relativement similaires, et distincts des autres catégories sociales.
Au-delà des perceptions
Les processus de catégorisation et d’autocatégorisation sont également supposés orienter les
comportements des membres du groupe. Les caractéristiques prototypiques influeraient sur
les attitudes, les émotions et les comportements des individus. L’influence de ce conformisme
intra-groupe est supposée aller croissante avec le degré d’identification des individus à leur
groupe (Doosje, Ellemers et Spears, 1999).
Plusieurs auteurs (Suddaby et Greenwood, 2001 ; Wheeler et Zuckerman, 1977) soulignent,
en outre, que les individus se comparent à des modèles avec lesquels ils partagent déjà
certaines caractéristiques dans un domaine donné (« related attribute similarity »). Un nageur
aura d’autant plus tendance à se comparer à d’autres nageurs lorsque ces derniers atteindront
des résultats sportifs comparables aux siens et qu’ils auront à peu près le même âge que lui
(Zanna, Goethals et Hill, 1975).
En matière de stratégie d’entreprise, l’argument proposé par les approches fondées sur la
comparaison sociale est complété par l’idée que les stratégies développées par des entreprises
appartenant à la même industrie, faisant face aux mêmes contraintes environnementales, ayant
une taille comparable et mobilisant les mêmes ressources sont susceptibles d’êtres plus
facilement transférables (Westphal et al., 2001).
Il a ainsi été démontré que les managers des laboratoires pharmaceutiques chinois calquaient
leurs décisions de diversification sur les stratégies adoptées par des entreprises de taille
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
112
comparable à la leur (Vermeulen et Wang, 2005). Cette idée, selon laquelle le partage de
certaines caractéristiques (en l’occurrence la taille) faciliterait l’imitation rejoint les
prédictions de Scott (1992, p.258). Nous retrouvons également les conclusions avancées par
Fligstein (1991) à l’issue d’une étude des stratégies de diversification des entreprises
américaines, par Haunschild et Beckman (1998) à propos des politiques d’acquisition, par
Kraatz (1995, 1998) à propos du contenu des formations proposées par les écoles américaines
et par Lant et Baum (1995) à propos des pratiques de gestion des hôtels de la région de
Manhattan.
La théorie de la distinction optimale
La quête de conformisme des individus par rapport à leurs alter ego, membres de l’ingroup,
est à mettre en perspective avec leur volonté de se différencier par rapport aux individus qui
ne font pas partie de leur groupe social (Brewer, 1991, 1993) : la volonté d’être conforme et la
volonté d’être différent constitueraient donc les deux faces de Janus d’une même quête
d’identité sociale chez les individus (théorie de la distinction optimale). Ces deux dynamiques
auraient pour conséquence d’accroitre les similarités à l’intérieur d’un même groupe et
d’accroitre les différences entre des groupes sociaux distincts (Jetten, Spears et Manstead,
1999).
Schéma 7
Conformisme intra-groupe et différenciation inter-groupe
Des résultats empiriques mitigés
De nombreux travaux ont cherché à mettre en évidence l’existence d’un conformisme intra-
groupe (voir Cialdini et Goldstein, 2004 pour une synthèse de ces résultats) susceptible de
concerner émotions, attitudes, opinions ou encore comportements. Abrams et ses collègues
(Abrams, Wetherell, Cochrane, Hogg et Turner, 1990) ont par exemple répliqué l’expérience
« de la petite lumière » imaginée par Sherif (1935) en prenant soin de constituer des groupes
sociaux distincts chez les sujets. Les résultats sont conformes aux prédictions théoriques
mentionnées plus haut : les opinions des sujets ont d’autant plus tendance à s’éloigner de
Première partie : Revue de la littérature
113
celles des autres dès lors qu’ils perçoivent ces derniers comme extérieurs à leur propre groupe
social.
Comme en témoignent les résultats obtenus par Terry et Hogg (1996), la relation entre le
comportant d’un individu et son degré d’identification d’un individu à un groupe social
semble cependant plus difficile à établir. Lors d’expériences menées dans une université
australienne auprès d’étudiants, les deux auteurs ont cherché à montrer que les normes
comportementales du groupe avaient une influence sur le comportement des individus. Les
expériences se focalisaient sur deux types de comportements : la pratique d’une activité
sportive et l’utilisation d’une crème solaire. Si l’influence du groupe semble réelle sur les
intentions de comportement des individus (intention de pratiquer une activité sportive ou
d’utiliser une crème solaire), elle demeure néanmoins difficile à prouver dès lors que l’on
s’intéresse au comportement réel de ces derniers (pratique effective d’une activité sportive,
utilisation réelle d’une crème solaire). Si le contact régulier avec des amis sportifs a pu donner
envie aux sujets qui ont participé l’expérience de faire du sport, ces derniers n’ont pas semblé
enclins à les imiter effectivement.
On peut se demander si les résultats auraient été différents si l’expérience avait porté sur
d’autres types de comportements (consommation de drogue, ou d’alcool par exemple). En
outre, la difficulté à faire le lien entre appartenance à un groupe et comportement tient
probablement à la nature pluridimensionnelle et changeante de l’identité sociale (Turner,
1999) : un même individu peut s’identifier, en fonction du contexte, à différents groupes
sociaux (parfois simultanément).
Un statut social
Comme précédemment mentionné, le processus de comparaison social permet aux individus
de s’évaluer et d’améliorer leur estime-de-soi. Se pose alors la question du choix du modèle
pour établir cette comparaison. Selon Festinger (1954), les individus auraient tendance à
adopter un principe de « comparaison sociale ascendante » (« upward comparison ») visant à
se comparer à meilleur que soi.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
114
Cette idée a été vérifiée empiriquement au travers d’expériences menées auprès de groupes
d’étudiants (Wheeler, 1966)49 et de joueurs de bridge (Nosanchuk et Erickson, 1985)50. Elle
pourra venir appuyer la thèse tardienne selon laquelle les innovations se diffuseraient des
« classes supérieures » vers les « classes inférieures » (Tarde, 1890 [2001]). Dans un ouvrage
provocateur et caustique, le sociologue Thorstein Veblen (1899 [2007]) décrivait également
des phénomènes de ce type. Cherchant à améliorer leur statut social, les consommateurs
auraient tendance à s’identifier aux classes les plus privilégiées et à imiter leurs habitudes de
consommation, quitte à supporter des coûts plus élevés (émulation pécuniaire).
Ces derniers, membres d’une classe de loisirs feraient quant à eux l’acquisition de biens hors
de prix afin de se distinguer des classes défavorisées. Le prix prohibitif étant de nature à
décourager les consommateurs les moins fortunés, il constituerait la garantie pour les
membres des classes favorisées de voir leur statut social se maintenir51. On parle alors de
consommation ostentatoire.
« Dans toute bonne société industrielle, l’assise la plus fondamentale du bon renom, c’est la puissance pécuniaire ; le moyen de briller en ce domaine, et par là de se faire ou de garder une réputation, c’est d’avoir du loisir et de consommer pour la montre. »
Thorstein Veblen (1899 [2007], p.57)
49 De faux résultats à un test écrit sont remis aux étudiants. Les étudiants sont placés dans des petits groupes et obtiennent systématiquement la note médiane et un classement de 4/7. Le chercheur demande alors à chaque étudiant de quelle autre personne il aimerait connaître la note. La plupart des étudiants demandent à connaître la note obtenue par la personne étant classée juste avant eux. 50 Des joueurs de bridge peuvent s’entretenir avec d’autres joueurs à propos du jeu et de ses stratégies. La plupart des joueurs demandent à obtenir des conseils émanant de joueurs plus expérimentés et bien meilleurs qu’eux-mêmes. 51 La relation positive (à qualité équivalente) entre la consommation d’un produit et son prix, qualifiée « d’effet Veblen », a suscité de très nombreuses recherches en marketing (Bagwell et Bernheim, 1996 ; Braun et Wicklund, 1989) dont la présentation déborderait largement du cadre de la recherche.
Première partie : Revue de la littérature
115
Synthèse 8
Points essentiels des théories de l’identité sociale
Auteurs clés : Festinger ; Tajfel, Turner, Hogg / Champ disciplinaire : Psychologie sociale Niveaux d’analyse : individu et groupes d’individus
� Les individus sont mus par une quête d’identité sociale positive qui les amène à se positionner dans leur environnement social.
� Par un processus d’auto-catégorisation, ils associent à leur propre identité des traits qu’ils perçoivent comme étant caractéristiques de leur groupe social d’appartenance (ingroup).
� Par un processus de comparaison sociale, ils se comparent à d’autres individus afin de construire une identité sociale positive. Ils perçoivent les caractéristiques de l’ingroup comme très différentes de celles des autres groupes.
� Ces processus sont supposés engendrer un conformisme intra-groupe. Les membres d’un même groupe social s’imiteraient les uns les autres et adopteraient les mêmes opinions, attitudes et comportements.
� La volonté de se distinguer des autres groupes sociaux (comparaison sociale) aurait pour conséquence l’accroissement des différences entre les groupes sociaux (théorie de la distinction optimale).
� Le processus de comparaison sociale ascendante permet d’envisager la possibilité d’une imitation des groupes de statut social élevé par les groupes de faible statut social. Cette idée est cohérente avec les phénomènes décrits par Veblen et Tarde.
2.4. LES GROUPES STRATEGIQUES COGNITIFS : IDENTITE ET STRATEGIE
En stratégie, des développements empiriques conséquents viennent accréditer l’idée d’une
convergence stratégique des entreprises perçues par leurs dirigeants comme identiques.
Rompant avec une tradition « objective » issue de l’Economie Industrielle qui tendait à
appréhender les groupes stratégiques comme des groupes d’organisations poursuivant la
même stratégie et faisant face aux mêmes conditions environnementales (Hunt, 1972 ; Porter,
1979), la littérature consacrée aux « groupes stratégiques cognitifs » voit en l’environnement
concurrentiel « une représentation mentale composée principalement de catégories de
concurrents perçus comme similaires » (Dornier, 2004, p.40).
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
116
a) Les groupes stratégiques cognitifs
Devant faire face à l’incertitude et étant dotés de capacités cognitives limitées, les dirigeants
des entreprises catégoriseraient ainsi leur environnement concurrentiel par un mécanisme
similaire à celui décrit précédemment (Dutton et Jackson, 1987). Cette opération de
catégorisation, étudiée empiriquement par Reger et Huff (1993), permettrait notamment aux
dirigeants de produire une image simplifiée de l’environnement de leur organisation afin de le
rendre intelligible. Produits de ce processus de catégorisation (Peteraf et Shanley, 1997), les
groupes stratégiques perçus par le dirigeant ne sont pas forcément composés de firmes en
concurrence directe les unes avec les autres (Labianca et Fairbank, 2005) et peuvent n’être
que partiellement liés à la réalité matérielle de la concurrence (Lant et Baum, 1995 ; Porac et
Thomas, 1990). Cette dernière remarque est importante étant donné que la façon dont les
dirigeants se représentent leur environnement a une influence tant sur leurs décisions
stratégiques (Porac et Thomas, 1990 ; Porac et al., 1989) que sur la structure de l’industrie
(Johnson et Hoopes, 2003 ; Porac, Thomas, Wilson, Paton et Kanfer, 1995).
Même si la référence aux théories de l’identité sociale est, pour les auteurs à l’origine du
courant des « groupes stratégiques cognitifs », loin d’être systématique, ces deux champs
apparaissent comme grandement complémentaires. Alors que certaines questions sont propres
au courant des « groupes stratégiques cognitifs » (concordance ou diversité des
représentations concurrentielles, lien avec la performance), de nombreux centres d’intérêts
sont partagés avec les théoriciens de l’identité sociale. Il en est ainsi de la relation entre
l’appartenance à un groupe et les comportements (ici étudiés sous l’angle des décisions
stratégiques). De la même façon que les individus se catégorisent dans un groupe social
donné, les dirigeants définissent leur groupe stratégique cognitif d’appartenance en comparant
les traits les plus saillants de leur organisation aux caractéristiques prototypiques du groupe
(Porac et al., 1989). Les autres membres du groupe peuvent alors être perçus comme des
concurrents directs (Porac et Thomas, 1990 ; Porac et al., 1989)52.
52 Cette idée est amendée par Johnson et Hoopes (2003) qui expliquent que des stratégies de coopération peuvent exister à l’intérieur du groupe, en particulier lorsqu’il existe des effets de réseau.
Première partie : Revue de la littérature
117
b) Une identité de groupe
En intégrant l’idée que les organisations, tout comme les individus, ont une identité (Albert et
Whetten, 1985 ; Dutton et Dukerich, 1991 ; Dutton, Dukerich et Harquail, 1994 ; Fiol et Huff,
1992)53, Peteraf et Shanley (1997) développent le concept d’identité du groupe stratégique :
un système de compréhension réciproque, et de croyances communes (Porac et al., 1989),
entre les membres d’un même groupe stratégique cognitif, au regard de ses caractéristiques
prototypiques54. En présence d’organisations à statut élevé, lorsque les organisations sont
localisées au même endroit, ou lorsque les liens sociaux sont denses entre ces dernières, elles
peuvent s’identifier à leur groupe cognitif d’appartenance.
Peteraf et Shanley expliquent que ces dernières ont alors tendance à imiter les attitudes et les
orientations les plus saillantes dans leur groupe cognitif ce qui contribuera à la convergence
stratégique. Les dirigeants copient la stratégie des organisations appartenant au même groupe
que la leur, en particulier lorsqu’ils ne considèrent pas ces dernières comme des concurrents
directs (Johnson et Hoopes, 2003).
c) Le groupe stratégique, un espace de comparaison sociale
Le groupe stratégique d’appartenance est un groupe de référence. Par un processus proche de
la comparaison sociale, les dirigeants ont ainsi tendance à faire preuve d’une certaine myopie
stratégique en se comparant, non pas avec toutes les entreprises du secteur, mais seulement
avec celles qui sont situées dans leur propre groupe stratégique (Fiegenbaum et Thomas, 1995
; Mbengue, 1992 ; Porac et al., 1989 ; Vermeulen et Wang, 2005).
Incarné par des organisations prototypiques considérées par les dirigeants comme
particulièrement représentatives (Mbengue, 1992 ; Porac et al., 1989), le groupe constituerait
un espace cognitif propice à l’imitation. Les résultats proposés par Dornier (2004), qui
montrent notamment que les voyagistes français considèrent que l’imitation est une pratique
plus répandue à l’intérieur de leur propre groupe stratégique cognitif que dans le secteur pris
dans son ensemble, permettent d’accréditer cette idée.
53 Une réponse utilisée par ses membres à la question : « quelle genre d’organisation sommes-nous ? » (Albert et Whetten, 1985), un ensemble de caractéristiques distinctives, stables et centrales permettant de définir l’organisation. 54 On remarquera que cette conception implique que les représentations concurrentielles des dirigeants convergent, au moins dans une certaine mesure.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
118
Dans le même état d’esprit, Paniagiotou (2007) met en exergue la fréquence des pratiques de
« benchmarking », consistant à se comparer à des organisations de son propre groupe et à les
imiter. Les réponses stratégiques adoptées par les membres d’un même groupe à un choc de
l’environnement identique ont, par ailleurs, tendance à converger. Le même constat est réalisé
Barreto et Baden-Fuller (2006) qui montrent que les banques portugaises ont tendance à
imiter les organisations appartenant à leur groupe de référence.
Pour certains auteurs néanmoins, le lien entre groupe de référence et propension à l’imitation
est plus subtil. Les innovateurs et les imitateurs auraient des groupes de référence différents :
les innovateurs auraient tendance à se comparer à d’autres entreprises innovantes du secteur
alors que les imitateurs se compareraient à des entreprises moyennes (Massini et al., 2005).
DeSarbo et Grewal (2008) viennent également nuancer ces conclusions en reconnaissant, à la
suite de Reger et Huff (1993) et de McNamara et ses collègues (2003), que certaines
entreprises peuvent être associées de façon plus forte que d’autres aux caractéristiques
typiques du groupe (« core firms »). Les « secondary firms », qui occupent une position plus
périphérique, serait ainsi au contact d’autres groupes stratégiques cognitifs et soumis à des
influences multiples. L’intersection de ces différents groupes est appréhendée au travers du
concept de « groupe stratégique hybride ».
Synthèse 9
Points essentiels de l’approche par les Groupes Stratégiques Cognitifs
Auteurs clés : Reger & Huff, Porac et Thomas / Champ disciplinaire : Stratégie Niveaux d’analyse : organisations, groupes d’organisation, industrie
� Les décideurs catégorisent leur environnement stratégique en groupes stratégiques pour le rendre intelligible.
� Les groupes stratégiques cognitifs rassemblent des concurrents perçus comme
similaires.
� Les entreprises qui appartiennent au même groupe stratégique cognitif peuvent se considérer comme des concurrents directs.
� Les entreprises d’un même groupe stratégique cognitif peuvent développer une identité de groupe à l’origine d’une convergence stratégique.
� Elles vont alors imiter les caractéristiques prototypiques de leur groupe et prendre ce dernier comme référence.
� Ce processus proche de la comparaison sociale explique l’existence de pratiques de
« benchmarking » intra-groupe.
Première partie : Revue de la littérature
119
La section qui se termine est consacrée à des courants théoriques qui s’éloigne de la
conception instrumentale de la rationalité humaine et ont une approche évaluative de
l’imitation. Ces théories ont été regroupées en quatre grandes approches qui ont fait l’objet
d’encadrés de synthèse : (1) théorie mimétique, (2) sociologie néo-institutionnelle, (3)
théories de l’identité sociale et (4) théorie des groupes stratégiques cognitifs.
Comme le montre le tableau qui va suivre, ces théories n’adoptent pas le même niveau
d’analyse. La théorie mimétique et les théories de l’identité sociale situent leurs analysent au
niveau des individus et des groupes d’individus alors que la sociologie néo-institutionnelle et
la théorie des groupes stratégiques cognitifs se placent davantage sur un niveau
organisationnel et populationnel.
En faisant état de différentes raisons à l’origine des phénomènes d’imitation, ces approches
théoriques ont une dimension individuelle qui les rend compatible avec la perspective qui
anime notre recherche. Les raisons individuelles qu’elles mettent en avant nous permettront
d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales
françaises.
Ta
ble
au
4
Ap
pro
che
s in
stru
me
nta
les
de
l’i
mit
ati
on
: u
ne
sy
nth
èse
T
héo
rie
mim
étiq
ue
Soci
olo
gie
néo
-in
stit
uti
on
nel
le
Th
éori
es d
e l’
iden
tité
soci
ale
G
rou
pes
str
até
giq
ues
cog
nit
ifs
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u
niv
eau
in
div
idu
el
(rais
on
s)
L’a
dopt
ion
par
autr
ui é
veil
le u
n dé
sir
chez
l’im
itat
eur
(thé
orie
du
mod
èle
obst
acle
).
Ce
dési
r n’
exis
te q
ue p
arce
que
l’ob
jet e
st
égal
emen
t dés
iré
par
autr
ui. L
orsq
ue le
urs
dési
rs s
e té
lesc
open
t, le
s in
divi
dus
entr
ent
en c
ompé
titi
on.
L’i
mit
atio
n es
t la
trad
ucti
on d
e la
vol
onté
d’
appr
opri
atio
n de
s ob
jets
dés
irés
par
au
trui
.
Les
rai
sons
indi
vidu
elle
s re
sten
t im
plic
ites
dan
s le
s tr
avau
x fo
ndat
eurs
de
ce c
oura
nt th
éori
que.
C
erta
ines
inte
rpré
tati
ons
esti
men
t que
les
stra
tège
s im
iten
t des
org
anis
atio
ns q
u’il
s ad
mir
ent a
fin
de c
onva
incr
e le
s au
tres
pr
ofes
sion
nels
qu’
ils
sont
à la
poi
nt d
e ce
qui
se
fait
de
mie
ux.
L’i
mit
atio
n pe
rmet
aux
indi
vidu
s de
co
rres
pond
re a
ux c
arac
téri
stiq
ues
typi
ques
de
leur
gro
upe
soci
al
d’ap
part
enan
ce.
Elle
déc
oule
don
c d’
un p
roce
ssus
de
d’au
toca
tégo
risa
tion
et d
e co
mpa
rais
on
soci
ale.
E
lle a
pou
r co
nséq
uenc
e la
con
stit
utio
n d’
une
iden
tité
soc
iale
pos
itiv
e ch
ez le
s in
divi
dus.
Rep
rise
des
ens
eign
emen
ts ti
rés
des
théo
ries
de
l’id
enti
té s
ocia
le.
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u
niv
eau
org
an
isati
on
nel
Auc
un
(En
reva
nche
, la
théo
rie
livr
e de
s en
seig
nem
ents
au
nive
au d
u gr
oupe
d’
indi
vidu
s et
de
la s
ocié
té p
rise
dan
s so
n en
sem
ble)
.
Les
org
anis
atio
ns im
iten
t des
mod
èles
qu’
elle
s co
nsid
èren
t lég
itim
es.
Les
pre
ssio
ns m
imét
ique
s so
nt p
lus
fort
e en
si
tuat
ion
d’in
cert
itud
e.
L’i
mit
atio
n pe
ut p
erm
ettr
e à
l’or
gani
sati
on d
e ga
gner
en
légi
tim
ité.
Cet
te
légi
tim
ité
nouv
elle
men
t acq
uise
peu
t avo
ir d
es
reto
mbé
es e
n te
rmes
de
perf
orm
ance
or
gani
sati
onne
lle (
accè
s à
cert
aine
s re
ssou
rces
).
Auc
un
(En
reva
nche
, la
théo
rie
livr
e de
s en
seig
nem
ents
au
nive
au d
es g
roup
es
d’in
divi
dus)
.
Les
org
anis
atio
ns im
iten
t les
org
anis
atio
ns
qu’e
lles
asso
cien
t à le
ur g
roup
e st
raté
giqu
e d’
appa
rten
ance
. D
e la
mêm
e m
aniè
re q
u’il
exi
ste
une
iden
tité
so
cial
e ch
ez le
s in
divi
dus,
il e
xist
e un
e id
enti
té s
ocia
le c
hez
les
orga
nisa
tion
s d’
un
mêm
e gr
oupe
str
atég
ique
.
Pri
nci
pa
ux
ense
ign
emen
ts a
u
niv
eau
pop
ula
tion
nel
Auc
un
L’i
mit
atio
n es
t à l’
orig
ine
d’un
e st
anda
rdis
atio
n au
sei
n du
cha
mp
orga
nisa
tion
nel.
Cet
te s
tand
ardi
sati
on p
rend
la f
orm
e d’
un
proc
essu
s is
omor
phiq
ue.
Auc
un
Foca
lisa
tion
des
gro
upes
str
atég
ique
s. L
es
cara
ctér
isti
ques
typi
ques
ont
tend
ance
à
s’ac
cent
uer
avec
le te
mps
.
Première partie : Revue de la littérature
121
3. RAISONS ET PRATIQUES D’IMITATION CONCURRENTIELLE
Ce chapitre nous a permis de dresser un panorama assez large des théories qui se sont
intéressé à la thématique de l’imitation. Notre objectif était ici de comparer ces approches en
faisant ressortir les raisons individuelles qu’elles plaçaient au cœur des phénomènes
d’imitation. Même lorsque ces théories ne traitent pas du sujet particulier de l’imitation
concurrentielle et adoptent une perspective plus globale, elles nous livrent des enseignements
qui peuvent être mobilisés dans le cadre de notre recherche.
Cet exercice de revue de la littérature a pour finalité de nous permettre, sur la base des raisons
individuelles mises en évidence, d’identifier des pratiques d’imitation concurrentielle chez les
programmateurs des radios musicales et d’analyser de quelle façon elles contribuent à la
fabrication de la stratégie des radios musicales (nous retrouvons ici l’orientation « stratégie as
practice de notre recherche »).
Deux grandes approches ont pu être identifiées dans la littérature en fonction des modèles de
rationalité dans lesquels s’inscrivent les théories recensées : aux approches instrumentales de
l’imitation, nous avons opposé les approches évaluatives. Nous conserverons cette dichotomie
lorsque nous chercherons à articuler le cadre d’analyse de la recherche et que nous
présenterons nos résultats.
Le chapitre qui va suivre prolongera notre revue de littérature. Au-delà des raisons
individuelles au cœur des phénomènes d’imitation, il s’intéressera à un concept récurrent dans
la littérature : l’incertitude. Comme nous avons pu le constater lorsque nous avons présenté
les théories néo-institutionnelles, l’incertitude a pu être décrite comme la principale variable à
l’origine de l’imitation. Nous allons voir que cette idée n’est pas propre à la sociologie néo-
institutionnelle et qu’elle est présente dans de nombreux courants de recherche.
En dépit de cet intérêt commun pour l’incertitude, ces courants ne conçoivent pas de la même
manière les situations qu’ils décrivent. En conséquence, les comportements d’imitations
auxquels ils s’intéressent et les raisons individuelles qu’ils décrivent ne sont pas les mêmes.
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation
122
RESUME DU CHAPITRE 2
Le premier chapitre de la thèse se concluait à la fois sur un paradoxe (malgré les préconisations souvent émises par les chercheurs en stratégie, les organisations s’imitent) et sur l’ouverture d’une perspective : cerner les rationalités qui sous-tendent les pratiques d’imitation permettrait, à la fois de mieux comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle, mais aussi d’éclairer leur contribution à la stratégie des organisations.
Tel est l’objet du chapitre 2 qui, au travers de la distinction « approches instrumentales » versus « approches évaluatives » de l’imitation se propose d’opérer une première classification des raisons misent en avant dans la littérature existante pour expliquer les comportements imitatifs des organisations et/ou des individus.
Défenseurs d’une conception instrumentale de l’imitation, les travaux recensés en section 1 ont pour point commun de proposer des théories de l’imitation sur les conséquences prévues ou attendues par les décideurs.
Stratégie défensive permettant d’anéantir l’avantage concurrentiel des concurrents, l’imitation pourrait aussi, dans certains cas, contribuer à la performance des organisations imitatrices. Cet « avantage des entrants tardifs » pourrait ainsi trouver sa source dans une diminution des coûts de Recherche et Développement permise par l’imitation, dans la capacité des imitateurs à bénéficier des dernières avancées technologiques, ou dans des mécanismes liés au comportement des consommateurs. Ces arguments sont complétés par les avancées des recherches s’inscrivant dans le courant de « l’apprentissage vicariant », qui associent imitation et apprentissage organisationnel, et par certaines recherches qui considèrent que l’imitation, en permettant à l’organisation de se légitimer au sein de son environnement, constituerait un moyen d’accéder à certaines ressources et d’améliorer les chances de survie de l’organisation. Au-delà de ces conséquences attendues, qui concernent l’organisation, des facteurs plus individuels, liés à la volonté des stratèges de maximiser leur réputation personnelle, peuvent également permettre d’expliquer pourquoi les stratégies d’imitation sont si fréquentes.
En insistant sur la dimension évaluative des rationalités qui sous-tendent l’imitation, les recherches qui font l’objet de la section 2 marquent un tournant radical par rapport aux approches qui ont ouvert ce chapitre. Les émotions, le désir, la quête de légitimité et d'identité sont ainsi à l'origine de comportements imitatifs pouvant, en Sciences de Gestion, expliquer l'existence de stratégies d'imitation concurrentielle.
Inné chez l'être humain, le désir mimétique pousserait les individus à s’approprier des objets possédés par autrui. Dans cette relation triangulaire (objet - sujet - modèle), l'autre peut se poser comme un obstacle à l'accomplissement du désir individuel. Il y a rivalité mimétique : il s’agit de nier l’existence de l’autre en devenant son double monstrueux.
L’imitation concurrentielle peut également trouver son origine dans la quête de légitimité à laquelle se livrent les organisations. Confrontées à des situations caractérisées par un fort degré d’incertitude, les organisations imitent souvent des modèles à forte légitimité (comme par exemple les leaders de leur secteur d’activité). Elles peuvent également imiter les pratiques les plus largement répandues dès lors que celles-ci seront « taken-for-granted » c'est-à-dire perçues dans l’industrie comme normales, allant de soi.
Première partie : Revue de la littérature
123
RESUME DU CHAPITRE 2 (SUITE)
Pour certains auteurs, la quête de légitimité animant les organisations est à mettre en parallèle à la quête d’identité sociale des individus. Les théories de l’identité sociales mettent ainsi en exergue des comportements imitatifs à l’intérieur des groupes sociaux. Après avoir défini leur groupe d’appartenance par un mécanisme d’auto catégorisation, les individus ont en effet tendance à répliquer les caractéristiques les plus saillantes chez les autres membres de leur groupe. En outre, ces derniers se comparent plus facilement avec les autres membres, ce qui peut, encore une fois, expliquer les comportements imitatifs intra-groupe. L’imitation est alors un moyen de renforcer son identité sociale et de se différencier des autres groupes sociaux.
Malgré des résultats empiriques mitigés, les théories de l’identité sociale peuvent trouver un terrain d’application en Sciences de Gestion au travers du concept de « groupe stratégique cognitif ». Les dirigeants catégorisant leur environnement concurrentiel en vue de le rendre intelligible ont tendance à regrouper les concurrents qu’ils perçoivent comme étant similaires dans des « groupe stratégiques ». Par opposition aux approches fondées sur des caractéristiques objectives, on parlera de « groupes stratégiques cognitifs ».
Les entreprises appartenant à un même groupe stratégique, qui se perçoivent souvent comme des concurrents directs, peuvent alors développer une identité de groupe à l’origine d’une convergence stratégique. Comme le groupe social, le groupe stratégique est en effet un espace de comparaison sociale où se développent des pratiques d’imitation concurrentielle comme le « benchmarking ».
Avant d’articuler ces théories au sein du cadre analytique intégrateur qui sera présenté lors de la synthèse de la première partie de la thèse, il est nécessaire de s’intéresser à un facteur de contexte fréquemment décrit comme étant à l’origine des comportements d’imitation. Le chapitre 3 sera ainsi consacré aux liens entre imitation et incertitude.
124
Chapitre 3
L’imitation comme produit de l’incertitude
« Conscients du peu de valeur de notre jugement
individuel, nous veillons à l’aligner sur le
jugement de tous les autres, sans doute mieux
informés. »
John Maynard Keynes, « Théorie générale de l’emploi », 1937.
ans les approches présentées dans le précédent chapitre, l’imitation est appréhendée
comme le produit de raisons individuelles. Une donnée essentielle n’a pas encore été
analysée : le contexte. Tel sera l’objectif de ce chapitre. A l’instar d’Herbert Simon, père de la
rationalité limitée, nombreux sont les auteurs qui refusent d’envisager les décisions
individuelles en ignorant le contexte environnant. Chez Simon, c’est autant le caractère limité
des capacités du cerveau humain que le caractère incertain de l’environnement qui justifient le
rejet du modèle de rationalité véhiculé par l’économie néo-classique. Une façon d’affirmer,
avec Paul Valery, que dans un monde changeant, peuplé d’acteurs mal connus et peu
prévisibles, les décideurs sont contraints de « tenter de vivre »55.
Ce chapitre sera consacré aux approches théoriques qui ont placé l’incertitude au cœur des
comportements imitatifs. L’idée selon laquelle l’imitation constituerait ainsi un moyen de
surmonter des situations caractérisées par un fort degré d’incertitude (Cyert et March, 1963 ;
March, 1981 ; March et Olsen, 1989) est une thèse largement reprise dont on pourra trouver,
dans les expériences pionnières menées par Sherif et Asch, un creuset commun auquel sera
consacrée la section ouvrant ce chapitre.
55 C’est à Romelaer et Lambert (2001) que nous devons cette référence et son utilisation dans une réflexion consacrée à l’incertitude.
D
Première partie : Revue de la littérature
125
Les sections suivantes seront consacrées aux théories qui en découlent, qu’il s’agisse des
travaux consacrés aux phénomènes d’information en cascade (section 2) ou de ceux issus de
la théorie des conventions (section 3). Cet intérêt porté à l’incertitude ne nous amènera
cependant pas à renoncer à la dichotomie « approches instrumentales » versus « approches
évaluatives » qui nous a jusqu’ici servi de fil conducteur. Les travaux consacrés à
l’information en cascade restent ainsi ancrés dans une conception performative et
instrumentale. A l’opposé, la théorie des conventions s’appuie sur une conception de la
rationalité fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989).
Ces éléments théoriques viendront alimenter le cadre d’analyse qui sera présenté à l’issue de
la première partie de la thèse. Ce cadre analytique aura plusieurs objectifs : (1) il permettra de
préciser et de justifier les questions de recherche de ce travail, (2) il nous orientera dans la
définition des grandes catégories de l’analyse des données, (3) il guidera la restitution de nos
résultats.
1. UN CREUSET COMMUN
Au commencement, il y a l’incertitude, sorte de brouillard empêchant l’exercice de la
rationalité substantive par les individus. Ceux-ci doivent alors s’en remettre à d’autres
mécanismes pour engager leurs actions. Pour les managers il pourra s’agir de réaliser en
interne de certaines tâches (Williamson, 1994), de réduire les coûts de recherche (Cyert et
March, 1963 ; Levitt et March, 1988), de répliquer des décisions passées (Podolny, 1994), de
s’en remettre à des routines (March et Simon, 1993), de recourir à des experts extérieurs tels
que des consultants ou des banquiers d’affaire (Haunschild, 1994)… ou d’imiter les actions
d’autrui.
1.1. DE L’INCERTITUDE
Concept central dans la littérature consacrée à la théorie des organisations, l’incertitude a pu
faire l’objet de plusieurs définitions. A la suite de Milliken (1987), il nous semble possible
d’identifier trois grandes approches.
1. L’incertitude peut, tout d’abord se concevoir comme un déficit d’informations à
propos des relations de cause à effet qui peuvent exister dans le monde du
management (Lawrence et Lorsch, 1967).
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
126
2. Elle peut par ailleurs être définie comme une incapacité à prévoir les conséquences
potentielles d’une décision (Duncan, 1972).
3. L’incertitude a, enfin, pu être définie comme une incapacité des individus à assigner
des probabilités à des états futurs de la nature. Cette définition est par exemple
adoptée par des auteurs classiques comme Pfeffer et Salancik (1978).
Nous retrouvons dans cette dernière définition la conception introduite par Knight (1921) qui,
au travers d’un ouvrage court, Risk, Uncertainty and Profit, fait entrer de façon fracassante
l’incertitude dans le monde statique et certain de l’économie néo-classique. L’incertitude
découle ici de l’incapacité des agents à connaître le lendemain.
a) Un problème spécifiquement humain
Ce problème, nous explique Knight, ne se pose qu’aux êtres dotés de conscience : Seuls les
êtres humains (et peut-être certains animaux précise-t-il) sont capables de voir les « choses
venir ». Cette méconnaissance du lendemain les empêche d’adopter le schéma causal
classique « stimulus / réaction » puisque le stimulus n’existe pas encore au moment de la
réaction. En fait, le stimulus existe… mais d’une façon particulière : il s’agit d’une image,
d’une représentation.
« Fous percevons le monde avant de réagir à celui-ci, et nous réagissons non pas à ce que nous percevons, mais toujours à ce que nous anticipons. »56
Knight (1921, p.201)
S’ils sont doués d’une capacité d’anticipation, les êtres humains n’en sont pas pour autant
infaillibles. Nous pouvons nous tromper et, la plupart du temps, nous nous trompons. Nos
sources d’erreurs sont multiples et peuvent découler d’une piètre connaissance du présent,
d’une information approximative sur les conséquences de nos actions ou de notre incapacité à
respecter nos plans initiaux et à agir comme prévu. Knight se refuse cependant à conclure à
une ignorance totale du lendemain. Notre connaissance (ou notre ignorance) du lendemain est,
selon lui, toujours partielle.
56 “We percieve the world before we react to it, and we react not to what we perceive, but always to what we infer.”
Première partie : Revue de la littérature
127
b) L’incertitude, entre certitude et ignorance
Dans nos expériences de la vie de tous les jours, nous sommes ainsi placés sur un continuum
entre certitude totale et ignorance absolue. Et Knight de présenter quatre types de situations
rendant plus ou moins facile le travail d’anticipation.
Dans le premier type de situations, il sera possible d’anticiper le futur à l’aide de probabilités
a priori (ou probabilités objectives). Ces probabilités sont liées à des propriétés structurelles
de la situation. Ainsi, lorsque je lance un dé (pour peu que le dé soit non pipé), je sais que
structurellement, la probabilité de tomber sur l’une des six faces s’élève à un sixième.
Ces situations sont, selon Knight, extrêmement rares dans la vie de tous les jours. Elles le sont
encore plus dans la vie des affaires. Aussi sommes-nous souvent amenés à formuler des
prévisions à propos du futur en mobilisant des informations passées, en observant un
échantillon représentatif, etc. Les situations du deuxième type permettent l’utilisation de
probabilités statistiques.
Schéma 8
Les quatre degrés d'incertitude selon Knight
Les éléments nécessaires à la construction de probabilités statistiques ne sont pas toujours
disponibles. Il s’agira alors, pour les individus désireux de se projeter dans le futur, de
formuler des estimations en fonction de leur intuition, de leurs sentiments. On se situe ici très
loin de la rigueur mathématique qui était permise dans les deux précédentes situations. Les
probabilités utilisées ne sont alors plus objectives, mais subjectives.
Les trois types de situations qui viennent d’être étudiés reposent sur une hypothèse
commune : la liste des évènements possibles est connue. Elles sont donc au cœur des
phénomènes appréhendés par les travaux qui s’inscrivent dans la tradition des « théories de la
Utilisation
de probabilités
a priori
Igno
ranc
e
C
erti
tude
Utilisation
de probabilités statistiques
Estimations
Opinions
Situations
de risque (ou incertitude simple)
Situations
d’incertitude radicale
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
128
diffusion » et tendent à considérer, avec Rogers (2003, p.6)57 que l’incertitude renvoie au
nombre d’alternatives que les individus perçoivent et associent à un évènement particulier et
aux probabilité relatives de ces alternatives. Les différences concernent les moyens mis en
œuvre pour mesurer les probabilités de réalisation de chaque évènement et la fiabilité de ces
dernières (les probabilités a priori étant supposées plus fiables que les estimations). Pour
appréhender ces trois types de situations de façon formelle, économistes et statisticiens ont
crée de nombreuses astuces mathématiques permettant, en fait, d’avoir une vision assez
« certaine » de l’incertitude, de la réduire à un « simple » problème de calcul de risque.
Ces « tours de passe-passe » ne doivent néanmoins pas occulter l’existence d’une autre forme
d’incertitude, beaucoup plus profonde en ce qu’elle ne laisse aux individus aucun moyen de
connaître (ou même de se représenter) la liste des évènements possibles. Le futur n’est
d’aucune manière déductible du présent : c’est l’incertitude radicale (« true incertainty »).
Impossible à mesurer de façon scientifique, l’incertitude radicale élimine toute possibilité de
traitement statistique.
c) Des objets divers, des expériences individuelles variées
Comme le remarque Williamson (1994), prolongeant les travaux de Koopmans (1957),
l’incertitude à laquelle sont confrontés les managers peut avoir plusieurs objets. Le fondateur
de la théorie des coûts de transaction distingue ainsi l’incertitude primaire (qui concerne les
évolutions de l’environnement général de l’organisation), l’incertitude secondaire (qui
concerne spécifiquement les actions des autres acteurs économiques, et des concurrents) et
l’incertitude comportementale (qui concerne le comportement des co-contractants actuels et
potentiels de l’organisation et renvoie au risque d’opportunisme). D’autres situations peuvent
néanmoins être susceptibles d’être génératrices d’incertitude, comme par exemple l’apparition
d’une innovation (Rogers, 2003) dont les bienfaits sont a priori méconnus des individus.
L’incertitude ne saurait cependant se définir, exclusivement, comme un état objectif de la
nature. S’intéressant aux décisions stratégiques, Daft, Sormunen et Don (1988) définissent
l’incertitude perçue comme le différentiel entre l’information disponible et l’information
nécessaire pour prendre une décision. Ces auteurs insistent sur deux facteurs
environnementaux susceptibles d’influencer l’incertitude perçue par les managers : la
57 “Uncertainty is the degree to which a number of alternatives are perceived with respect to the occurrence of an event and the relative probabilities of these alternatives.”
Première partie : Revue de la littérature
129
complexité de l’environnement (qui s’accroit à mesure qu’augmente le nombre de paramètres
et d’évènements extérieurs à prendre en compte), et son instabilité.
Pour autant, et comme le souligne Milliken (1987), l’incertitude perçue est susceptible de se
traduire par différents problèmes posés aux managers. L’incertitude perçue par les managers
pourra les placer en situation de manque d’information sur les changements en cours dans leur
environnement, les placer dans l’incapacité de prévoir les conséquences de ces changements
sur leur organisation ou encore d’établir une réponse à mettre en œuvre. Cette différence dans
la façon de concevoir l’incertitude sera au cœur de notre analyse dans la deuxième partie de la
thèse.
S’ils mobilisent la notion d’incertitude (sans forcément adopter la même conception), les
travaux existants qui sont consacrés à la relation entre imitation et incertitude revendiquent
souvent une filiation avec les expériences fondatrices de la Psychologie Sociale. La section
qui suit leur sera consacrée.
1.2. DES TRAVAUX FONDATEURS
Par leurs travaux fondateurs, Sherif (1935) et Asch (1951) ont largement inspiré les
développements théoriques consacrés à la relation entre incertitude et imitation.
a) L’expérience de Sherif
Comment réagir à l’incertitude ? Telle est la question de départ qu’adopte Muzaref Sherif,
chercheur à Columbia et père fondateur de la Psychologie Sociale. Son expérience dite de la
« caverne des voleurs » (Sherif, 1935) est l’une des premières à s’intéresser à la relation entre
imitation et incertitude. Ses résultats sont bien connus : lorsqu’ils doivent faire face à
l’incertitude, les êtres humains ont tendance à se référer aux opinions d’autrui. Placés dans
une salle obscure, les participants à l’expérience doivent estimer la distance les séparant d’une
petite lumière. L’estimation est rendue plus difficile par un effet visuel connu des astronomes,
l’effet autocinetique, qui donne l’illusion du mouvement58. Pour reprendre les termes de
Sherif, « le stimulus est ambigu ».
Lorsqu’ils doivent proposer des estimations de façon autonome, les sujets ont tendance à se
créer une norme personnelle, une fourchette à l’intérieur de laquelle se situent leurs réponses.
58 Cette impression de mouvement est très forte lorsque l’on observe une étoile isolée sur un ciel uniforme. Les raisons qui la provoquent font encore aujourd’hui l’objet de débat au sein de la communauté scientifique.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
130
Cette fourchette est susceptible de différer largement d’un individu à un autre. La situation est
ensuite modifiée. Les sujets sont placés en groupes et ils doivent communiquer, à haute voix,
leurs estimations aux autres participants. Les sujets ont alors tendance à s’imiter les uns les
autres et à faire converger leurs estimations autour d’une norme sociale propre à chaque
groupe. On parle de normalisation. Les groupes peuvent, par ailleurs, voir émerger des leaders
d’opinion, des individus ayant plus d’influence que les autres dans la détermination de la
norme sociale.
Lorsque le déroulement est inversé (la séance est dans un premier temps collective puis
individuelle) il est intéressant d’observer que les sujets ont tendance à conserver la norme
collective pour construire leurs estimations individuelles. Les conclusions de l’expérience
sont résumées par Moscovici (1979) dans sa Psychologie des minorités actives : la
convergence résulte de l’incertitude des participants quant à l’exactitude de leurs réponses.
b) L’expérience de Asch
Les individus peuvent également s’imiter lorsque la réponse à la question qui leur est posée
est évidente. Telle est la conclusion à laquelle parvient Asch à l’issue d’une série
d’expériences devenues célèbres (Asch, 1951, 1971). Un sujet est placé dans un groupe de 7 à
9 personnes. Il ignore que ses acolytes ont été mandatés par le chercheur pour l’induire en
erreur. L’expérience parait simple : il s’agit de comparer une barre test à trois autres barres
pour retrouver celle qui a la même longueur.
Schéma 9
L'expérience de Asch
A B C
Première partie : Revue de la littérature
131
L’expérience est répétée selon un déroulement invariable : le cobaye est systématiquement
l’avant dernier à prendre la parole. Deux fois sur trois, les complices du chercheur annoncent
de façon unanime la même mauvaise réponse. Dans un tiers des cas, le cobaye imite la
majorité dans des réponses qu’il sait, à l’évidence, être les mauvaises.
1.3. KEYNES, LE PREMIER CONVENTIONNALISTE
Dans la sphère économique et managériale, comme dans toute activité humaine, les individus
s’imitent, en particulier lorsqu’ils doivent faire face à des situations d’incertitude (expérience
de Shérif). De tous les pères de la pensée économique, John Maynard Keynes est
probablement celui qui rejette avec le plus de vigueur le postulat d’information parfaite cher
aux néo-classiques et aux libéraux.
Il aura fallu dix années, passées à rédiger son Treatise on Probability (1921), pour que
Keynes se résolve finalement à accepter l’existence du brouillard opaque de l’incertitude
radicale et renonce à objectiver les perceptions subjectives des décideurs par un jeu de
probabilités. Un constat d’échec qui marque le point de départ de la pensée keynésienne. Non,
l’incertitude n’est définitivement pas escamotable par les statistiques. Dès lors, l’essentiel
n’est plus de raccrocher les wagons du modèle d’information parfaite mais d’en modifier les
hypothèses pour s’intéresser au comportement des décideurs devant faire face à ce mur
infranchissable. Aux agents économiques rationnels de l’Economie orthodoxe s’opposent les
agents ignorants, moutonniers, sujets à la panique et sensibles aux rumeurs de l’Economie
keynésienne.
a) Le marché foule
Cette idée est particulièrement saillante dans le chapitre 12 de la Théorie Générale de
l’Emploi, de l’Intérêt et de la Monnaie (1934 [1969]) qui, au travers de la métaphore du
concours de beauté, offre au lecteur une véritable « théorie dans la théorie ». Ce texte, connu
pour être le premier chapitre achevé de la Théorie Générale, constitue aujourd’hui un socle
fréquemment utilisé par les chercheurs s’intéressant à la relation entre incertitude et imitation.
Au-delà de son point de départ, consistant à affirmer que le futur n’est aucunement déductible
du passé, son originalité réside probablement dans la volonté de l’auteur de fonder sa théorie
sur une psychologie des foules empruntée à Freud. Keynes vouait en effet une admiration au
père de la psychanalyse qui, comme le révèle Bernard Maris, appréciait en retour les écrits de
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
132
cet économiste considéré de son vivant comme un iconoclaste et comme un empêcheur de
penser en rond (Maris, 2007 ; Maris et Dostaler, 2009).Résolument humains, les décideurs
économiques – et en particuliers les investisseurs sur les marchés financiers - sont selon
Keynes en proie à l’hystérie collective et aux esprits animaux. Ce décor, fait de psychologie et
d’incertitude radicale, est également marqué par la coexistence de deux types d’individus. A
la foule aveugle et moutonnière s’opposent des spéculateurs cherchant à anticiper ses
mouvements.
b) Des investisseurs moutonniers
L’incertitude est donc radicale. Keynes ne se contente pas seulement, à la suite de Knight,
d’émettre la distinction entre le probabilisable et le non probabilisable. Il s’intéresse aux
conséquences d’une connaissance incertaine sur les comportements individuels et collectifs.
« Je n’entend pas simplement distinguer ce que l’on considère comme certain, de ce qui est seulement probable. Le jeu de la roulette n’est pas, en ce sens, sujet à l’incertitude […]. Le sens que je donne à ce terme est celui qu’il revêt lorsque l’on qualifie d’incertains la perspective d’une guerre européenne, le niveau du prix du cuivre ou du taux d’intérêt dans vingt ans, l’obsolescence d’une invention récente ou la place des classes possédantes dans l’échelle sociale pendant les années soixante-dix. Pour toutes ces questions, il n’existe aucune base scientifique sur laquelle construire le moindre calcul de probabilité. Simplement : on ne sait pas. »
Keynes (1937 [2002], p.250)
Ne disposant d’aucune base sérieuse pour établir leurs prévisions les individus doivent se fier
à leur intuition, « faire confiance » (Maris, 2007) ou, pour paraphraser Robert Sugden (1989,
p.89), délaisser les axiomes du choix rationnel pour « quelque chose de plus ».
Incapables de décider de façon autonome, les individus peuvent alors imiter ce qu’ils
observent dans leur entourage.
« Conscients du peu de valeur de notre propre jugement individuel, nous veillons à l’aligner sur le jugement de tous les autres, sans doutes mieux informés. Cela signifie que nous cherchons à nous conformer à l’attitude de la majorité ou de la moyenne. La psychologie d’une société faite d’individus qui, tous, cherchent mutuellement à s’imiter, nous conduit à ce qu’il convient d’appeler très précisément un jugement de convention. »
Keynes (1937 [2002], p.250)
Convention, le terme est désormais explicite. Très présent dans la Théorie Générale, il n’a
cependant pas encore acquis le sens que lui donneront les conventionnalistes. Comme le
remarque Bernard Maris, il est utilisé par Keynes comme un synonyme de « confiance ». S’en
Première partie : Revue de la littérature
133
remettre à la convention, c’est donc pour Keynes avoir confiance. Avoir confiance, tout
d’abord, en la poursuite du présent. Avoir confiance, ensuite, en la capacité de l’opinion à
synthétiser les informations disponibles. Avoir confiance, enfin, en la validité des
informations détenues par autrui. La confiance est néanmoins précaire. Aveugle, moutonnière,
ignorante, la foule est sujette à toutes les paniques, sensible à toutes les rumeurs. Elle est en
proie à l’hystérie. Ses sautes d’humeur sont souvent violentes.
« Une évaluation conventionnelle, fruit de la psychologie de masse d’un grand nombre d’individus ignorants, est exposée à subir des variations violentes à la suite des revirements soudains qui suscitent dans l’opinion certains facteurs dont l’influence […] est en réalité assez petite. Les jugements manquent en effet des racines profondes qui leur permettraient de résister solidement. »
Keynes (1934 [1969], p.169)
c) Des loups dans la bergerie
Lieu d’expression privilégié des tendances mimétiques des agents économiques, les marchés
financiers voient également opérer des acteurs d’un tout autre type, des investisseurs
professionnels qui « se soucient beaucoup moins de faire à long terme des prévisions serrées
du rendement escompté d’un investissement […] que de deviner peu de temps avant le grand
public les changements futurs de la base conventionnelle » (Keynes, 1934 [1969], p.170).
Calculateurs et rationnels, ces investisseurs professionnels doivent faire face à une incertitude
moins radicale que le grand public, les mouvements de foule étant plus facilement prévisibles
que les fondamentaux de l’économie.
Ce système dans lequel « chacun cherche à découvrir ce que l’opinion moyenne croit être
l’opinion moyenne » (Keynes, 1934 [1969], p.171) s’apparente alors à un concours de beauté
dans lequel les lecteurs d’un journal doivent voter, non pas pour la candidate qu’ils trouvent la
plus jolie, mais pour celle qui rassemblera le plus de suffrages.
Une opinion moutonnière et ignorante, des spéculateurs retors et calculateurs. Faut-il voir
dans cette dichotomie une trace de l’élitisme avéré de Keynes59 ? Probablement, mais pas
seulement. Le gout de Keynes pour la spéculation l’a amené à diriger la National Mutual Life
59 Le lecteur souhaitant se plonger dans la biographie de Keynes pourra se référer à l’ouvrage d’Alain Minc (2006), Une sorte de diable, les vies de John M. Keynes.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
134
Insurance Company. Le spéculateur du chapitre 12 de la Théorie Générale ressemble trait
pour trait au John Maynard Keynes de la City.
Calculateur, il joue « avec le futur, activité qui terrorise la majorité de la population, qui se
situe plutôt du côté des rentiers, des prudents, de ceux qui n’ont pas d’esprits animaux ou
d’abondante libido » (Maris, 2007, p.38). Derrière la théorie, l’autoportrait d’un Keynes
schizophrène condamnant, dans ses écrits académiques, les pratiques de spéculations qui sont
les siennes dans ses activités extra-académiques.
« Du point de vue de l’utilité sociale l’objet de placements éclairés devrait être de vaincre les forces obscures du temps et de percer le mystère qui entoure le futur. En fait l’objet inavoué des placements les plus éclairés est à l’heure actuelle de “voler le départ”, comme le disent si bien les Américains, de piper le public, et de refiler la demi-couronne fausse ou décriée. »
Keynes (1934 [1969], p.171)
d) Un héritage disputé
De par sa clairvoyance, son ton caustique, la personnalité hors-norme de son auteur, le
chapitre 12 de la Théorie Générale a donné naissance à plusieurs courants de recherche.
S’inspirant de la métaphore keynésienne du concours de beauté, la théorie des jeux de
coordination (ou théorie des jeux évolutionnistes) s’intéresse à des situations dans lesquelles il
importe d’agir comme autrui (Lewis, 1969 ; Schelling, 1960). Le problème est alors de se
coordonner sur une solution unique. L’élément incertain est ici le comportement des autres
acteurs économiques (incertitude secondaire au sens de Koopmans).
La théorie de l’information en cascade et la théorie des conventions font, quant à elles, peser
un tout autre type d’incertitude sur les individus. Ces derniers ne connaissant pas les états de
la nature (incertitude primaire au sens de Koopmans), ils cherchent à obtenir des informations
manquantes ou à rationaliser leurs propres actions par l’imitation d’autrui.
e) Les jeux de coordination
Des automobilistes peuvent choisir de rouler à gauche… ou à droite, tant qu’ils s’accordent
pour rouler du même côté (Schelling, 1960). Des collègues peuvent décider de prendre leur
pause café à 10h ou à 10h30… tant qu’ils prennent leur pause au même moment (Batifoulier,
2001). Nous pouvons utiliser un mot, plutôt qu’un autre (Lewis, 1969)… l’essentiel est de
parler le même langage pour que la communication puisse s’établir. Comme le remarque
Première partie : Revue de la littérature
135
Chiappori (2004), il ne s’agit pas, ici, de renoncer totalement au principe de rationalité mais
de souligner que ce dernier, dans un contexte de pluralité des équilibres, conduit à une
indécidabilité. Tel est le point de départ de la théorie des jeux de coordination qui s’appuie
largement sur les travaux d’un linguiste et philosophe, David K Lewis.
Parce qu’il n’existe pas de solution individuelle sans solution collective, les individus doivent,
se coordonner sur une réponse unique : ils ont une « préférence pour la conformité »
(Batifoulier et Larquier, 2001). Comme dans le concours de beauté keynésien, le problème
porte sur les décisions d’autrui, elles-mêmes conditionnées par les prédictions de ces derniers
sur nos propres décisions : « la prédiction ne porte pas sur le phénomène lui-même mais sur
les prédictions des autres, y compris leurs prédictions sur nos propres prédictions, et ainsi de
suite à l’infini » (Chiappori, 2004, p.108). Pour sortir de l’impasse, ces derniers devront tenter
de prévoir le comportement d’autrui pour s’aligner sur ce dernier.
Cette idée est à l’origine de « l’approche stratégique des conventions »60 qui définit la
convention comme une régularité de comportement R dans une population donnée
d’individus, « un équilibre stable dans un jeu qui admet deux, ou plus, équilibres stables »
(Sugden, 1986, p.32) qui implique qu’ « une partie au moins de la réponse à la question
“Pourquoi chacun fait-il R ?” se trouve dans : “Parce que tous les autres font R” ».
La convention permet de lever l’incertitude en proposant « un accord non explicite »
(Batifoulier et Larquier, 2001, p.11), dont l’adoption permet aux individus d’atteindre une
solution mutuellement avantageuse. Dès lors, une convention se définira comme « la solution
d’un problème de coordination qui, ayant réussi à concentrer sur elle l’imagination des
agents, tend à se reproduire avec régularité » (Dupuy, 1989). La répétition du jeu permet,
selon Lewis de renforcer la convention en constituant un savoir collectif. Nos collègues de
bureau devant définir leur horaire de pause auront d’autant plus tendance à se retrouver à
10h30 qu’ils auront le souvenir de s’être retrouvé à cette même heure la dernière fois que s’est
posé le problème.
60 Le terme « approche stratégique des conventions » est emprunté à Batifoulier et Larquier (2001) pour distinguer une tradition ancrée dans la théorie des jeux visant à résoudre un problème de coordination d’une tradition issue de l’Economie hétérodoxe et de la Gestion, la théorie des conventions, qui appréhende la convention comme un moyen utilisé par les individus pour rationnaliser leurs propres actions en situation d’incertitude.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
136
Encadré 2
Les six conditions de Lewis
Soit une régularité de comportement (R). On parlera de convention si et seulement si :
� Chacun se conforme à R.
� Chacun anticipe que tout le monde s’y conforme.
� Cette croyance est auto-réalisatrice et auto-renforçante.
� Tous les individus préfèrent une conformité générale.
� Il existe au moins une alternative à R.
� Les conditions qui viennent d’être énoncées sont connues de tous.
D’après Lewis (1969)
Le problème de coordination est plus complexe lorsque les joueurs ne peuvent s’appuyer sur
un antécédent. C’est par exemple le cas dans le film Maman j’ai encore raté l’avion et je suis
perdu dans Few-York lorsque le jeune Kevin et ses parents essaient de se retrouver sans
pouvoir communiquer. La coordination s’effectue finalement au pied de l’immense sapin du
Rockfeller Center. Dans ce « jeu du rendez-vous », c’est un élément exogène qui rend cette
solution plus évidente que les autres : l’action se déroule le jour de Noël. Le Rockfeller
Center fait alors office de « point focal », il est une « alternative plus saillante focalisant
l’attention des joueurs » (Schelling, 1960).
Comme le soulignent Metha, Stermer et Sugden (1994), il est possible de distinguer plusieurs
degré de saillance en fonction de la capacité des joueurs à intégrer dans leur raisonnement les
répercutions de leurs propres actions. Un individu pourra ainsi adopter la première solution
qui lui vient à l’esprit (saillance de premier ordre), il pourra aussi adopter la solution qu’il
imagine être la plus évidente chez l’autre joueur (saillance de deuxième ordre). Il pourra enfin
adopter la solution qu’il imagine être adoptée par l’autre joueur lorsque ce dernier cherchera à
se mettre à sa place (saillance de troisième ordre). Les développements théoriques et les
expérimentations empiriques sur ce thème constituent, à n’en pas douter, une voie de
recherche féconde et stimulante61. L’impossibilité des individus d’observer directement les
actions d’autrui (par exemple lorsque les joueurs agissent de façon simultanée) est ici une
condition sine qua non à l’existence du jeu de coordination.
61 On renverra notamment le lecteur à l’ouvrage passionnant édité par les chercheurs du laboratoire Forum de Nanterre (Batifoulier, 2001).
Première partie : Revue de la littérature
137
Dès lors, les individus ne s’imitent pas les uns les autres, mais s’alignent sur une solution
qu’ils imaginent être la solution collective. Il est donc difficile de relier ces développements à
la thématique de la recherche.
f) L’information en cascade et les conventions
Des clients potentiels d’un restaurant se fient au nombre de personnes déjà installées dans la
salle pour estimer la qualité de la cuisine servie dans l’établissement (Banerjee, 1992). Des
cabinets de conseil justifient leur démarche de certification par les pratiques en vigueur chez
les entreprises de service (Isaac, 1996a). Ces deux exemples, empruntés respectivement aux
théoriciens de l’information en cascade et aux conventionnalistes sont quant à eux totalement
liés aux conséquences de l’incertitude sur les comportements imitatifs des agents.
Incapables de trouver par eux même une solution optimale, ils voient en l’imitation d’autrui
un moyen de sortir du brouillard. Rompant avec le présupposé d’autonomie cher aux
économistes néo-classiques, la rationalité devient mimétique (Montmorillon, 1999),
autoréférentielle (Orléan, 2004b). Convient-il, pour autant, de renoncer à toute forme de
calcul ? La réponse est, à notre sens, négative. S’ils diffèrent dans les degrés d’incertitude
qu’ils appréhendent (risque pour les théories de l’information en cascade, incertitude radicale
pour la théorie des conventions), ces deux champs se distinguent également par les modèles
de rationalité qu’ils mobilisent.
A la logique instrumentale visant à s’accaparer les informations détenues par autrui (théories
de l’information en cascades, section 2) s’oppose la logique de justification au cœur de la
théorie des conventions (section 3).
2. UNE INFORMATION EN CASCADE
Lorsque Warren Buffet achète une action, le cours s’envole (Hirshleifer et Teoh, 2003). Cette
observation témoigne de l’intérêt porté à la question de l’imitation par le monde de la finance
de marché. A l’instar de Bruno-Laurent Moschetto, plusieurs auteurs ont souligné le caractère
moutonnier du comportement des intervenants financiers (Moschetto, 1997, 1998).
Cette préoccupation a donné naissance aux théories de l’information en cascade et au courant
du « herd behavior » (littéralement comportement de troupeau) dans lequel les calculs
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
138
individuels doivent « faire avec » l’incertitude. Dans le prolongement des observations
formulées par Keynes, ces travaux cherchent souvent à démontrer que les comportements
mimétiques modifient les équilibres, et à savoir si certains donneurs d’ordres parviennent à en
tirer profit.
Si la réponse apportée à la première question est bien souvent positive, la seconde question est
encore soumise à débat et à discussions. Dans la perspective compréhensive qui anime ce
travail, l’essentiel sera cependant de comprendre les raisons pour lesquelles les intervenants
financiers s’imitent les uns les autres. Au cœur de cette approche, on trouve une idée,
formulée par Orléan (1986) à la lecture des thèses keynésiennes : dans un système où tous les
agents n’ont pas les mêmes informations, chacun plagie celui qui est supposé être le mieux
informé. Une idée simple, qui est le point de départ de nombreux développements
conceptuels.
a) Une source d’information
A la suite de Bikhchandani et ses collègues, on désignera par les termes « information en
cascade » toute situation dans laquelle il est optimal, pour un individu ayant observé les
actions de ceux qui l’ont précédé, d’agir de la même façon en ignorant ses propres
informations (Bikhchandani, Hirshleifer et Welch, 1992).
Si l’agent économique a bien accès à des informations imparfaites et privées (il est le seul à
les détenir), ce dernier est conduit à les ignorer en supposant que les autres sont mieux
informés que lui-même. L’imitation devient donc un moyen de mettre la main sur les données
qui ne sont pas en sa possession (Banerjee, 1992 ; Bikhchandani et al., 1992). Cet accès
demeure fragile : l’équilibre qui en résulte est donc précaire et susceptible d’être modifié à
l’arrivée d’une nouvelle information ou lorsqu’une évolution des conditions extérieures, aussi
minime soit-elle, se produit (Bikhchandani et Sharma, 2000).
Plusieurs auteurs remarquent également que les agents économiques n’ont pas la même
influence selon le niveau de crédibilité qui leur est attribué par les autres (Bikhchandani,
Hirshleifer et Welch, 1998 ; Moschetto, 1997, 1998). On retrouve ici l’idée du « leader
d’opinion » chère aux théoriciens des modes managériales. Certains agents peuvent également
recevoir des informations avant les autres.
Première partie : Revue de la littérature
139
On pourra alors, à la suite de Hirshleifer, Subrahmanyam et Titman (1994), considérer que la
conformité peut-être subie et non pas recherchée. Le fait que les agents les moins bien
informés agissent de la même manière que les mieux informés avec du retard pouvant être
expliqué par accès tardif à l’information et non par une stratégie d’investissement guidée par
l’imitation.
b) De l’imitation restreinte et de l’imitation totale
Les phénomènes d’information en cascade ne sont pas automatiques sur les marchés
financiers (Bikhchandani et Sharma, 2000). Leur probabilité d’apparition dépendra de
nombreux éléments au premier rang desquels figure l’incertitude ambiante matérialisée par le
bruit du signal initial (Bikhchandani et Sharma, 2000 ; Hirshleifer, 2001 ; Hirshleifer et Teoh,
2003). L’imitation peut, par ailleurs, être restreinte ou totale (Moschetto, 1998). L’intervenant
adoptant un comportement imitatif restreint va confronter ses anticipations à l’opinion du
marché et l’intégrer partiellement. L’imitation est alors un moyen d’alimenter des
anticipations préexistantes, pouvant se fonder sur des informations déjà détenues par
l’intervenant.
L’imitation totale est, quant à elle, le fruit d’agents conscients de leur retard par rapport à
l’opinion du marché : il s’agit alors de s’aligner sur cette dernière afin de maximiser ses gains.
Dans les deux cas, ces comportements viennent renforcer le phénomène et constituent une
externalité négative pour la collectivité (Bikhchandani et Sharma, 2000) car ils contribuent à
la promotion d’informations partielles. Des individus altruistes (mais en l’occurrence, peu
rationnels), ignoreraient l’opinion du marché pour se fier à leurs informations privées, ce qui
améliorerait la qualité générale du signal véhiculé par le marché. Nous nous trouverions alors
dans la situation, décrite par la majorité des modèles de la finance de marché orthodoxe, dans
lesquels le cours des valeurs permet de synthétiser toute l’information disponible à un
moment donné. Même si les phénomènes d’information en cascade sont une situation
extrême, les tendances moutonnières des agents financiers, parce qu’elles empêchent
l’agrégation parfaite de l’information disponible, nous amènent à faire le deuil de la
configuration idéale décrite par Modigliani et Miller. Dans ce type de contexte, les agents
peuvent difficilement prendre des décisions éclairées.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
140
c) La place du bluff
Une fois acceptée l’idée que les agents ont conscience de l’influence de leurs actions (qui
peuvent être décodées et perçues par les autres comme une source d’information), on peut
aisément imaginer que ces derniers vont tenter de retourner la situation à leur avantage et
chercher à induire quelques « pigeons » en erreur afin de faire évoluer les cours à leur
avantage (Moschetto, 1998). Le bluff sera une démarche d’autant plus payante que la
réputation des meneurs sera bonne et que les autres agents auront accès à des informations de
piètre qualité. La possibilité de tirer profit du bluff sur les marchés financiers est cependant
loin d’être mise en évidence de façon empirique.
Synthèse 10
Points essentiels des théories de l’information en cascade
Auteurs clé : Banerjee, Bikhchandani, Hirshleifer, Welch Champs disciplinaires : Economie, Finance de marché / Niveau d’analyse : Individus
� Les individus ne détiennent pas les mêmes informations à propos de l’état du marché.
� En imitant autrui, un intervenant financier peut s’approprier des informations qui ne sont pas en sa possession.
� L’attitude rationnelle d’agents ignorant leurs informations privées et imitant autrui peut conduire à des phénomènes d’information en cascade dont on trouve l’illustration dans le comportement de clients potentiels d’un restaurant évaluant la qualité de l’établissement au regard du nombre de clients déjà installé.
� Tous les intervenants n’ont pas la même influence : les leaders d’opinion sont perçus par les autres comme mieux informés.
� Les phénomènes d’information en cascade sont instables car ils reposent sur des bases précaires. Ils empêchent, par ailleurs, la parfaite agrégation de l’information disponible et rendent donc difficile une prise de décision éclairée des agents.
� Conscients de leur propre influence, certains agents peuvent alors chercher à bluffer de façon à manipuler l’évolution des marchés financiers à leur propre avantage.
Première partie : Revue de la littérature
141
3. LA THEORIE DES CONVENTIONS
La situation qui précède vient pousser la conception standard de la rationalité dans ses
derniers retranchements. L’incertitude entrave les capacités optimisatrices des agents. A
défaut de ne pouvoir agir selon les canons du modèle néo-classique, ces derniers substituent
un principe de satisfaction à la règle standard de maximisation. La rationalité devient limitée
(Simon, 1976). S’il y a bien calcul de la part des agents économiques, celui-ci ne peut se faire
de façon autonome. L’imitation fait alors office de « plug-in » à l’axiomatique rationaliste
néo-classique en lui rajoutant un appendice social. Dans les théories de l’information en
cascade, cet appendice social est un véritable fardeau pour la collectivité car il empêche les
individus d’agir dans l’intérêt de la collectivité.
Plus familière aux chercheurs en Sciences de Gestion, l’approche systémique des conventions
(désormais théorie des conventions) vient questionner, de façon plus radicale, l’édifice néo-
classique. Selon Gomez (1994, 1996, 1997, 1999 ; Gomez et Jones, 2000), le problème posé
par l’incertitude n’est, en effet, pas un problème de calcul rationnel mais de rationalisation des
comportements individuels. Les individus devront alors mobiliser un dispositif cognitif
collectif, la convention (Favereau, 1989), pour aligner leurs actions sur un modèle considéré
comme raisonnable, comme normal. Les questions relatives à l’efficacité deviennent ici
subalternes. Il s’agit de faire quelque chose… à défaut de ne rien faire du tout, d’agir malgré
tout (Gomez, 1996, p.171).
La présentation qui suit utilisera les travaux de Gomez comme fil conducteur62. Précisons ici
que l’ambition affichée par l’auteur, est de proposer un modèle général alternatif au modèle
néo-classique fondé sur le marché et décliné dans la théorie de l’agence et dans la théorie des
coûts de transaction. Une ambition jugée démesurée par Romelaer (1999) qui reproche au
modèle formulé par Gomez son incapacité à rendre compte de l’ensemble des phénomènes
organisationnels et sa propension à se focaliser sur des situations « extrêmes » d’incertitude
radicale pour proposer un modèle à vocation universelle.
62 Les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thévenot (1991), même s’ils constituent une contribution majeure à l’école conventionnaliste, ne seront pas traités en détail car l’imitation y occupe une approche moins centrale que dans les travaux de Gomez.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
142
3.1. UN MOYEN D’AGIR MALGRE TOUT
Comme dans les théories présentées précédemment, l’existence de situations d’incertitude fait
figure de point de départ de la théorie des conventions. Avec la théorie des conventions, le
calcul devient impossible. Comme le note Gensse (2003, p.18), « le contexte dans lequel les
acteurs inscrivent leur action n’est pas risqué mais incertain, au sens de F.H. Knight ». Le
problème n’est plus, pour reprendre l’exemple de Schelling (1960), de choisir entre rouler à
gauche et rouler à droite : en situation d’incertitude radicale, les individus ne savent plus
distinguer leur gauche de leur droite.
Cette incertitude est liée à la fois à l’incapacité des individus de prévoir les états futurs de la
nature, mais aussi à leur incapacité cognitive de prévoir tous les comportements des autres.
On retrouve ici la dialectique classique « incertitude primaire » versus « incertitude
secondaire » proposée par Koopmans (1957) et qui imprégnait déjà la métaphore keynésienne
du concours de beauté (Keynes, 1934 [1969]).
a) Des décisions raisonnables, plutôt que des décisions rationnelles
Le calcul des individus n’est pas seulement handicapé par l’incertitude, il est rendu
impossible. Dès lors, et pour reprendre une interrogation formulée par Isaac (2003, p.8),
« comment agir si rien n’est prévisible ? »
Le choix individuel n’est rendu possible que par l’existence de repères, les conventions, « un
ensemble de critères implicites ou explicites auxquels un individu se réfère au moment de
décider » (Gomez, 1996, p.173). Les individus escamoteront alors la question du « pourquoi »
pour se concentrer sur la question du « comment » (Isaac, 1996b). La décision ne peut plus
être isolée, autonome. L’existence d’autrui apporte des balises. Le mimétisme social devient
un moyen de se soustraire à l’incertitude car le savoir d’autrui est contenu dans la convention.
Gomez tient enfin sa revanche sur Robinson Crusoé63, personnage rationnel, autonome,
informé, et emblématique de l’économie libérale. Isolé sur l’île déserte de son utilité privée, il
doit pour agir mobiliser, ô comble, un système de référence collectif : « Le souverain qu’il
croit être est impuissant. Plus il est souverain, autonome, moins il est capable de trancher
seul » (Gomez, 1996, p.170).
63 La métaphore de Robinson et Vendredi est fréquemment utilisée par les microéconomistes pour modéliser une société simple, fondée sur l’échange marchand et la maximisation sous contrainte.
Première partie : Revue de la littérature
143
Dans une perspective foucaldienne, l’hypothèse de rationalité des individus est alors écartée
au profit d’une hypothèse de rationalisation. Il s’agit moins de décider de façon rationnelle
que de rendre raisonnables ses actions à l’aide des règles de comportements véhiculées par la
convention.
« Dans le cadre conventionnaliste, s’imiter ou imiter ce que l’ont croit être le comportement normal, est la solution raisonnable à l’incertitude »
Gomez (1997, p.67)
Ces règles n’existent cependant que parce que les acteurs ont la conviction que les autres vont
s’y conformer : elles se construisent par imitation réciproque. Cette situation est, en suivant
Sigal (1973, p.37), comparable à celle connue des rédacteurs de journaux qui doivent
sélectionner les évènements dont ils vont rendre compte. « Le jugement du groupe amène une
certaine dose de certitude dans le monde incertain du journaliste. Aucun journaliste n’est en
mesure de connaître le sens d’un évènement, de savoir s’il s’agit ou non d’une information,
ou si les sources sont fiables. »64 Le fait de traiter les mêmes nouvelles que les collègues,
d’utiliser les mêmes sources permet alors « d’authentifier l’information », de rationaliser la
décision.
b) Des conventions aux normes, du raisonnable au légitime
Progressivement, la convention peut s’enraciner, se cristalliser (Orléan, 1997, 2004a ; Sugden,
1986). Les individus vont l’adopter « parce qu’ils croient que c’est leur devoir d’agir ainsi »
(Orléan, 2004a, p.17). La convention acquiert alors un caractère normatif renforcé par la
crainte de sanction sociale éprouvée par les adopteurs (Sugden, 1986). Il ne s’agit plus
simplement de rationaliser ses actions mais de les légitimer aux yeux d’autrui en se
conformant au modèle de comportement. La convention dote les individus de droits et de
devoirs réciproques : « chaque participant se trouve obligé à l’égard des autres de se
conformer à la convention et exerce à l’égard des autres un droit identique à ce qu’ils se
conforment » (Orléan, 2004a, p.23).
64 “This group judgment… imparts a measure of certainty to the uncertain world of the newsman. If no newsman knows what an event means, whether or not it is news, or who the reliable sources are, then reaching some agreement with colleagues on what is news and how to write a story about it helps to authenticate the news.” (Sigal, 1973, p.37)
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
144
3.2. UN TRIPTYQUE : CONVENTIONS, CONVICTION ET LIBERTE
Véritable « système d’information » (Gomez, 1996), la convention transmet des messages qui
sont souvent considérés comme des évidences par les individus. Pour autant, et comme en
rend compte Mercier (2003, p.183), il ne s’agit pas d’une donnée exogène au système social :
« l’individu est convaincu du comportement des autres, de “ce qu’il faut faire”, donc il
adopte la convention et en l’adoptant il renforce sa propre conviction. » La convention
s’apparente donc à une prophétie auto réalisatrice, elle transmet une « conviction sur sa
propre généralisation » (Gomez, 1997, p.68). Injustifiable, autrement que par la référence à
autrui, elle est par ailleurs souvent implicite et rarement questionnée. N’ayant pas d’existence
autonome, « elle se manifeste au cours de la mise en œuvre de l’action par des individus qui
font partie d’une entreprise, d’un groupe, d’une communauté ou plus généralement d’une
organisation » (Isaac, 1996b, p.9).
Selon le modèle conventionnaliste développé par Gomez (Gomez, 1994, 1996, 1997), il est
possible d’analyser une convention au travers de sa morphologie. Cette dernière est composée
d’un énoncé, qui constitue le discours sur les formes d’actions, et d’un dispositif matériel, qui
organise l’action des acteurs.
a) L’énoncé
Le principe supérieur commun est l’élément de justification ultime, apparaissant comme une
évidence pour les adopteurs. A la différence de Boltanski et Thévenot (1991) qui recensaient
un nombre limité de « cités » et de principes supérieurs associés, les travaux dont il est ici
question ne cherchent pas à définir a priori une liste de principes universels. Les deux
approches ont cependant pour ambition commune d’appréhender les critères permettant de
justifier l’action individuelle.
La distinction entre adopteurs permet à chacun de se positionner dans l’environnement social.
Elle établit une hiérarchie des acteurs et attribue sa place à chacun.
La sanction fixe la limite entre le normal et le hors-la-convention. Elle offre aux adopteurs
des repères sur les conséquences d’un non respect de la convention. Elle fait de cette dernière
un ordre autorégulé.
Première partie : Revue de la littérature
145
b) Le dispositif matériel
La fréquence permet de savoir si les individus sont fréquemment en contact avec la
convention ou non.
La technologie est relative à la façon dont sont diffusées et formatées les informations
véhiculées par la convention.
La négociation porte sur le degré de tolérance à l’interprétation de la convention et sur le
degré d’autonomie laissé aux individus dans l’interprétation.
c) La cohérence et la dynamique des conventions
Les six éléments qui précèdent permettent de décrire une convention. Comme le note Isaac
(2003), ils ne suffisent pas à expliquer pourquoi les individus adoptent une convention plutôt
qu’une autre. L’espace social se posant, en effet, comme un lieu de compétition entre
conventions alternatives.
Pour qu’une convention soit généralement adoptée par les individus, elle devra être plus
convaincante que les conventions alternatives, ne pas faire l’objet de suspicion. Comme le
notent De Vos, Lobet Maris et Rousseau (2005, p.11), « cette force de conviction est […]
l’élément majeur à même d’expliquer l’adhésion des acteurs à la convention. Plus ces
derniers percevront la convention comme cohérente – c'est-à-dire correspondant à une réalité
– plus ils y adhéreront et plus la convention se maintiendra dans le temps. »
La force de conviction d’une convention, un gage d’efficacité de cette dernière, résidera dans
la cohérence entre son énoncé et son dispositif matériel. Afin d’éviter toute « suspicion » sur
la cohérence d’une convention, l’énoncé et le dispositif matériel ne doivent pas être
contradictoires, dissonants (Gomez, 1994, 1996). Sous l’effet de la suspicion, la convention
peut soit se modifier (et corriger son incohérence), soit renforcer son principe supérieur
commun, soit s’effondrer et s’effacer au profit d’une convention alternative. On parle alors de
crise conventionnelle (Isaac, 2000 ; Isaac, 2003). Selon Amblard (2003a), la présence
d’individus dissidents, préférant adopter la convention alternative, l’inadéquation du discours
délivré par la convention face aux transformations contextuelles (des situations d’incertitude
nouvelles), où les stratégies délibérées de certains acteurs peuvent venir menacer la
convention en place.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
146
d) Les conventions de qualification et les conventions d’effort
La théorie des conventions propose un modèle alternatif au modèle néo-classique et
notamment à la théorie des coûts de transaction dont le problème principal est celui du choix
entre deux alternatives : le marché et l’entreprise.
Par le concept de convention de qualification, la théorie des conventions se pose comme une
théorie des règles du jeu économique. Apprises par mimétisme, les conventions de
qualification organisent l’échange et contribuent à déterminer les comportements normaux
des co-échangistes. Elles permettent, par exemple, aux agents économiques de déterminer si
une prestation est chère ou bon marché, aux clients d’un restaurant de choisir le montant du
pourboire accordé au serveur d’un restaurant, au médecin et à son patient d’organiser leur
relation, au banquier et à l’emprunteur de connaître les modalités de négociation d’un prêt.
Le « marché pur », fondé exclusivement sur la compétition et la transmission des
informations par l’intermédiaire d’un système de prix, n’est, dès lors, qu’un cas extrême : une
convention de très faible complexité (Gomez, 1994).
Référentiel commun des parties prenantes, la convention d’effort traite quant à elle d’un
problème bien connu des théoriciens de l’agence : l’existence d’intérêts potentiellement
antagonistes entre les « stakeholders » (souvent restreints, dans la théorie de l’agence, aux
seuls actionnaires et salariés). Le problème d’agence est cependant élargi et déplacé. La
question n’est plus de savoir par quels moyens brider l’opportunisme potentiel des agents,
mais d’expliciter les règles de comportement normal de chacun. La convention permettra, par
exemple, de désigner « le tire au flanc par antithèse du salarié normal » (Gomez, 1997,
p.73) : elle fournira un référentiel permettant de mesurer la validité des actions individuelles.
3.3. UN MONDE DE CONVENTIONS
En véhiculant des guides comportementaux, les conventions permettraient aux individus de se
soustraire à l’incertitude et amèneraient à reformuler certains problèmes de gestion. Plusieurs
auteurs ont donc mobilisé le cadre conceptuel conventionnaliste pour éclairer des domaines
tels que la gestion budgétaire (Zécri, 2001, 2003), la relation client-producteur (Marion, 1997,
2003), la comptabilité (Amblard, 2003b), le management des connaissances (De Vos et al.,
2005). Ces approches cherchent avant tout à proposer une lecture nouvelle dans leurs
domaines respectifs, à reformuler certaines questions anciennes, à étendre le champ des
possibles. Lorsqu’il existe, le volet empirique a avant tout une fonction illustrative, visant à
Première partie : Revue de la littérature
147
démontrer la pertinence du cadre conceptuel. Elles participent ainsi à une reformulation de
l’objet de la gestion : même si sa capacité d’action est limitée, le rôle du gestionnaire est de
manipuler des conventions, de construire des convictions partagées (Gomez, 1996), de
dépasser les paradoxes (Isaac, 2003), d’apporter « l’huile de coude qui fait prendre la
mayonnaise de l’action collective » (Montmorillon, 1999, p.194).
Dans une perspective plus compréhensive, la théorie des conventions a également été
mobilisée pour expliquer certains phénomènes organisationnels in situ. Isaac (1996a, 1996b,
2000) a ainsi cherché à déconstruire les logiques de certification dans les activités de service.
Mercier (2003), de son côté, a mis en lumière le rôle de la compétition entre deux conventions
dans le processus de changement organisationnel à la RATP. Si certains mécanismes, tels que
la rationalisation des décisions au travers de règles de comportement ont pu retenir l’attention
des chercheurs (voir ainsi Véran, 2003), les objets étudiés sont le plus souvent des
conventions en place et relativement cristallisées. L’imitation réciproque supposée être au
cœur de la construction des conventions semble exclue du champ des travaux empiriques qui
voient plus dans la théorie des conventions une théorie des règles et des rationalisations
qu’une théorie de l’imitation. En se focalisant sur les relations intra-organisationnelles
(conventions d’effort) ou sur les règles de l’échange économique (conventions de
qualification), la théorie des conventions semble, par ailleurs exclure de son spectre d’analyse
les relations entre concurrents d’un même secteur, et donc les phénomènes d’imitation
concurrentielle.
A l’opposé des travaux empiriques existants, cette recherche retiendra essentiellement de la
théorie des conventions les éléments relatifs à l’imitation des individus et à la logique de
rationalisation qui sera mise en perspective aux explications proposées par les autres théories
présentées dans cette revue de littérature.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
148
Synthèse 11
Points essentiels de la théorie des conventions
Auteur clé : Gomez, Orléan Champ disciplinaire : Sciences de Gestion / Niveau d’analyse : Individus / Conventions
� Il existe des situations caractérisées par un tel degré d’incertitude que les individus ne peuvent agir de façon rationnelle.
� Les individus cherchent alors à agir malgré tout en adoptant des comportements
raisonnables. La convention apporte aux individus une règle de comportement normal.
� Les conventions sont le produit d’une imitation généralisée et réciproque des individus. Elles sont auto-réalisatrices et auto-renforçantes.
� Une convention est composée d’un énoncé (qui constitue le discours sur les formes d’actions) et d’un dispositif matériel (qui organise l’action des individus).
� Pour qu’une convention soit généralement adoptée, elle doit être plus convaincante que les conventions alternatives. La conviction d’une convention trouvera sa source dans sa cohérence interne. Les différents éléments de son énoncé et de son dispositif matériel ne devront pas être dissonants.
� L’analyse de Gomez a d’abord porté sur les règles de l’échange économique (conventions de qualification) avant de traiter du fonctionnement de l’organisation (conventions d’effort).
� Dans leurs développements empiriques, les conventionnalistes ont surtout cherché à réinterpréter la gestion à l’aune de la théorie des conventions. De façon plus marginale, certains chercheurs ont mobilisé cette approche pour étudier certains phénomènes organisationnels in situ.
� Les éléments liés à l’imitation réciproque et à la logique de rationalisation qui sous-tend l’imitation demeurent, à l’heure actuelle, exclu du champ des recherches empiriques conventionnalistes.
4. INCERTITUDE ET PRATIQUES D’IMITATION CONCURRENTIELLE
Ce chapitre s’est focalisé sur un concept, l’incertitude, qui a souvent été placé au cœur des
phénomènes d’imitation concurrentielle. Pour les théories de l’information en cascade, les
individus s’imitent parce qu’ils n’ont pas accès aux informations pertinentes pour prendre une
décision éclairée. La situation qu’appréhendent les conventionnalistes est plus complexe :
l’incertitude est radicale, les individus sont placés en situations d’indécidabilité. L’effet est
cependant le même : les individus s’imitent. Si le comportement que décrivent les deux
théories est identiques, les raisons individuelles qui permettent de l’expliquer sont bien
différentes : accès à l’information pour Banerjee (1992), Bikhchandani, Hirshleifer et Welch
(1992) ; rationalisation pour Gomez (1994, 1996), Isaac (1996, 2000) et l’école
Première partie : Revue de la littérature
149
conventionnaliste. Nous tenons là une piste intéressante pour l’étude des pratiques d’imitation
concurrentielle. Si l’incertitude recouvre un ensemble divers de situations, il est possible
d’envisager qu’elle soit à l’origine d’une variété de pratiques traduisant autant de raisons
individuelles différentes.
Cette piste est d’autant plus stimulante que, comme le précise Milliken (1987), un même
contexte d’incertitude pourra faire l’objet d’interprétations individuelles différentes. Les
acteurs pourront ainsi avoir des difficultés à prévoir l’évolution de leur environnement, à
anticiper les conséquences de ces évolutions sur leur propre situation ou ne pas être en mesure
de déterminer une réponse adaptée.
Cette thématique trouvera son prolongement dans une des deux questions de recherche qui
seront formulée dans la synthèse de la littérature qui va suivre. Elle sera traitée d’un point de
vue empirique dans le chapitre 5.
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude
150
RESUME DU CHAPITRE 3
Les développements théoriques auxquels il est fait référence dans ce chapitre viennent replacer les décisions individuelles et les rationalités qui sous-tendent l’imitation en contexte. Les décisions des individus peuvent, en effet, être entravées par la précarité des informations dont ils disposent. Placés en situation d'incertitude, les individus agissent par défaut et s'imitent les uns les autres.
Prolongeant les travaux de Knight sur les différents types d'incertitude et les expériences pionnières de Sherif et Asch – qui mettent en évidence les conséquences de l'incertitude sur les comportements mimétiques des individus – plusieurs courants théoriques lient incertitude et imitation.
Il convient néanmoins de distinguer des approches qui, à l'instar des théories de l'information en cascade, conservent l'hypothèse de rationalité calculatoire, de travaux s'en éloignant radicalement (théorie des conventions). On retrouve ici la dichotomie entre « approches instrumentales » et « approches évaluatives » qui nous a jusqu’ici servi de fil directeur.
On retrouve d’ailleurs cette idée dans la description du fonctionnement des marchés financiers opérée par Keynes : aux spéculateurs calculateurs s'opposent les investisseurs privés plus moutonniers. Un même contexte, caractérisé par une incertitude, mais des rationalités bien différentes.
Pour la théorie de l'information en cascade, c'est la volonté des agents économiques de s'accaparer des informations détenues par autrui qui les poussent à s'imiter. Tant pis si cela doit les conduire à ignorer leurs propres informations. L’attitude rationnelle de ces individus choisissant d’écarter les informations dont ils disposent pour imiter autrui peut conduire à des phénomènes d’information en cascade dont on trouve l’illustration dans le comportement de clients potentiels d’un restaurant évaluant la qualité de l’établissement au regard du nombre de clients déjà installés. Ces phénomènes d’information en cascade sont instables car ils reposent sur des bases précaires. Ils empêchent, par ailleurs, la parfaite agrégation de l’information disponible et rendent difficile une prise de décision éclairée des agents.
Certains agents particulièrement calculateurs peuvent alors chercher à bluffer de façon à manipuler l’évolution de l’opinion de la foule.
Le point de départ adopté par les conventionnalistes est différent. Il existerait ainsi des situations caractérisées par un tel degré d’incertitude que les individus ne pourraient procéder à aucune forme de calcul. Plongés dans le brouillard le plus opaque, ces derniers chercheraient à agir malgré tout en adoptant les comportements raisonnables véhiculés par les conventions. Produits d’une imitation généralisée et réciproque des individus les conventions se rapprochent des prophéties auto-réalisatrices keynesiennes : elles sont auto-renforçantes. Leur multiplicité les place néanmoins en situation de concurrence : Pour qu’une convention soit adoptée, elle doit être plus convaincante que les conventions alternatives.
152
Synthèse de la première partie
Ebauche d’un cadre d’analyse et
formulation des questions de recherche
otre recherche trouve son point de départ dans un paradoxe : alors que les stratégies
d’imitation ont fait l’objet de critiques théoriques, elles ont souvent été observées chez
les organisations. Ce décalage entre prescriptions théoriques et résultats empiriques nous a
incité à nous intéresser aux micro fondations de l’imitation concurrentielle. Nous avons donc
fait le choix d’une démarche inspirée de la stratégie en pratiques. Cette recherche a pour
objectifs de comprendre les raisons qui animent les décideurs lorsqu’ils imitent leurs
concurrents, d’identifier leurs pratiques d’imitation concurrentielle et d’analyser la façon dont
elles contribuent à la fabrication de la stratégie.
En matière d’imitation concurrentielle, le « practice-turn » pourrait se révéler être une piste
de recherche d’autant plus fructueuse que, faute d’ancrage microscopique, les recherches
empiriques existantes ont souvent ignoré la dimension individuelle des théories qu’elles
mobilisent. A titre d’exemple, les travaux reprenant le concept de pressions mimétiques
(DiMaggio et Powell, 1983) ont rarement observé directement les comportements imitatifs
qui sont, dans la théorie, supposés être l’émanation d’une forme de rationalité fondée sur ce
qui semble approprié et s’inscrire dans le prolongement de la quête de légitimité des
organisations. Cette limite récurrente débouche sur une validation souvent partielle des
théories de l’imitation concurrentielle qui ne sont appréhendées qu’au travers des processus
qu’elles décrivent et jamais des raisons individuelles qu’elles postulent.
La première partie de la thèse a présenté une revue de la littérature consacrée à l’imitation.
Elle nous a permis de mobiliser des travaux issus des Sciences de Gestion, de l’Economie, de
la Sociologie et de la Psychologie Sociale. Ces théories sont, à notre sens, pertinentes pour
entamer une étude des pratiques d’imitation concurrentielle et des raisons individuelles dont
elles sont l’expression.
N
Première partie : Revue de la littérature
153
Nous allons maintenant proposer une synthèse de la revue de littérature. Cette section obéit à
deux objectifs. Nous chercherons tout d’abord à apporter un ancrage théorique à la
problématique que nous avons formulée dès l’introduction de la thèse et qui tient compte du
champ d’étude retenu dans cette recherche (les radios musicales et leurs programmateurs).
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?
Cette section de synthèse de la revue de littérature va nous permettre de mettre en évidence et
de justifier les postulats qui imprègnent notre recherche (section 1). Nous avancerons, ensuite,
un cadre analytique qui aura vocation à être complété et amendé par les résultats de la
recherche (section 2). Ce cadre analytique permettra de préciser nos questions de recherche et
de guider la restitution des résultats.
1. ANCRAGE THEORIQUE DE LA PROBLEMATIQUE
L’ancrage de notre recherche dans le courant de la stratégie en pratiques n’est pas neutre
quant à ses postulats. Ces derniers renvoient au lien entre pratiques et stratégie (postulat n°1)
et à l’articulation des notions de rationalité et de pratiques (postulat n°2).
Postulat n°1
Afin de prolonger les travaux consacrés aux formes d’imitation (Haunschild et Miner, 1997),
nous avons souhaité articuler notre étude autour de la notion de pratiques d’imitation
concurrentielle en nous intéressant à ce que les individus-stratèges font lorsqu’ils imitent leurs
concurrents. Nous rejoignons ici un champ de recherche émergent, le courant de la stratégie
en pratiques, qui considère que les décisions individuelles et quotidiennes contribuent à
façonner la stratégie des organisations. Cette conception se traduit par le postulat suivant :
Postulat n°1 : Les pratiques d’imitation concurrentielle contribuent à la formulation de la stratégie de l’organisation.
Il ne s’agit, bien évidemment, pas de réduire la stratégie de l’organisation aux seules décisions
individuelles. La formulation de la stratégie fait intervenir de nombreux facteurs
environnementaux et organisationnels. Elle est également influencée par des processus
écologiques.
Le postulat n°1 traduit une ambition revendiquée par les tenants du courant de la stratégie en
pratiques : apporter un éclairage microscopique dans un domaine de recherche longtemps
dominé par des travaux adoptant des niveaux d’analyse plus agrégés.
Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche
154
S’il ne résulte pas d’une volonté de remettre profondément en cause les travaux existants,
notre intérêt pour les pratiques est guidé par l’idée qu’une meilleure compréhension des
actions et des interactions individuelles est susceptible de faire progresser la connaissance des
phénomènes d’imitation concurrentielle en management.
Il ne s’agit pas, non plus, d’affirmer que la stratégie d’une organisation ne résulterait que de la
seule imitation. Les organisations innovent, se différencient de leurs concurrents. Nous
chercherons ici à réintégrer les phénomènes d’imitation concurrentielle dans un champ, celui
du management stratégique, qui a eu trop souvent tendance à négliger leur importance.
Postulat n°2
Un second postulat imprègne ce travail. Il consiste à affirmer – tant avec Hedström (1998)
qu’avec Miner et Raghavan (1999) – que l’imitation est un lieu d’expression des rationalités
individuelles. Ce postulat reprend une idée omniprésente chez les tenants du courant de la
stratégie en pratiques puisqu’il conduit, d’une part à appréhender les pratiques (en
l’occurrence, les pratiques d’imitation concurrentielle) comme le produit des actions et des
décisions des individus qui en sont les initiateurs et d’autre part à considérer que ces dernières
procèdent d’une intentionnalité (Chia et MacKay, 2007).
Nous retrouvons ici les trois premiers axiomes de la catégorisation de Boudon (2003)
présentée dans le premier chapitre de la thèse : individualisme (tout phénomène social est le
produit d’actions, de décisions et de comportements individuels), compréhension (ces actions,
ces décisions et ces comportements peuvent être compris d’un observateur extérieur pour peu
qu’il prenne le soin de s’informer suffisamment), rationalité (les actions, les décisions et les
comportements des individus sont le produit de raisons qui peuvent être plus ou moins
clairement perçues par l’individu). Le deuxième postulat sur lequel se fonde notre recherche
peut dès lors être formulé de la façon suivante :
Postulat n°2 : Les pratiques d’imitation concurrentielle sont le lieu d’expression de raisons individuelles.
La diversité des explications théoriques présentées dans la revue de littérature nous conduit à
insister sur le caractère pluriel des rationalités à l’œuvre en matière d’imitation
concurrentielle.
Première partie : Revue de la littérature
155
Il ne s’agit pas d’affirmer que les pratiques d’imitation concurrentielle sont forcément guidées
par un calcul individuel ou qu’elles obéissent à une logique exclusivement instrumentale. Ces
dernières peuvent en effet s’inscrire dans une quête de légitimité ou d’identité sociale ou
rendre plus « raisonnables » des décisions prises en situation d’incertitude. De même, nous ne
chercherons pas à affirmer que les décideurs sont forcément totalement conscients des raisons
qui les poussent à imiter leurs concurrents. Comme le notent Warnier et Lecocq (2007), ces
derniers ne sont d’ailleurs pas forcément capables d’évaluer leur degré de différenciation et de
similarité avec les autres acteurs de l’industrie. Il s’agit simplement d’admettre que les
imitateurs ne sont pas les otages impuissants de forces sociales, psychologiques ou
mémétiques qui les dépasseraient (ce point a été développé dans le chapitre 1 lors de la
distinction entre mimétisme et imitation et dans le chapeau introductif du chapitre 2).
2. PRESENTATION DU CADRE ANALYTIQUE
La revue de la littérature de cette recherche vise à établir un cadre d’analyse qui a vocation à
être complété et amendé dans la seconde partie. Il permettra également de préciser la
problématique en définissant les questions de recherche qui guideront la restitution des
résultats. Précisons à ce stade qu’en raison du caractère hybride de notre stratégie de
recherche, le cadre analytique qui va maintenant être présenté est le produit d’un va-et-vient
constant entre théorie et terrain. Sa formulation résulte donc, dans une certaine mesure, d’un
exercice de rationalisation a posteriori.
Présentation du cadre d’analyse
Sur la base de la dichotomie « approches instrumentales » versus « approches évaluatives » de
l’imitation, le chapitre 2 nous a permis d’articuler plusieurs courants de recherche faisant
intervenir – de façon centrale ou périphérique – la notion d’imitation. Au-delà des différences
dans les niveaux d’analyses qu’ils adoptent (individus, organisations, groupes d’individus,
populations d’organisations), ces travaux ont en commun d’appréhender l’imitation comme le
produit (au moins partiel) de décisions individuelles faisant intervenir des raisons. Aux
théories qui mettent en exergue les conséquences attendues par les décideurs pour expliquer
les comportements imitatifs (ces conséquences pouvant concerner l’organisation ou renvoyer
à l’intérêt personnel des acteurs) s’opposent les explications qui s’inscrivent dans une forme
de rationalité fondée sur ce qui semble approprié (March et Olsen, 1989). Ces dernières
pourront faire intervenir le désir mimétique des individus, la légitimité des modèles ou des
Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche
156
pratiques imités ou des phénomènes liés à l’identité sociale (qu’elle soit individuelle ou
organisationnelle).
Le chapitre 3 a prolongé cette grille de lecture en y intégrant un autre élément, l’incertitude.
La description keynésienne du fonctionnement des marchés financiers – dans lesquels des
spéculateurs dotés d’un réel sens du calcul se distinguent des investisseurs privés plus
moutonniers – nous a permis d’introduire deux courants théoriques : les modèles
d’information en cascade et la théorie des conventions. Si ces deux approches s’intéressent à
la relation entre imitation et incertitude, elles ne reposent pas sur la même conception de la
rationalité humaine. Les théoriciens de l’information en cascade insistent, en effet, sur les
bénéfices attendus par les imitateurs en matière d’accès aux informations alors que la théorie
des conventions intègre l’imitation dans une réflexion plus large liée à la rationalisation et à la
justification des décisions individuelles en situation d’incertitude.
Cette différence découle, selon nous, de la conception de l’incertitude retenue par les auteurs.
A l’incertitude radicale de la théorie des conventions s’oppose le risque encadrant les
décisions individuelles dans les modèles d’information en cascade.
Les développements théoriques qui viennent d’être synthétisés nous permettent de présenter
le cadre d’analyse suivant (schéma 10). Les éléments liés aux raisons individuelles y sont
articulés autour de la dichotomie « rationalités instrumentales » versus « rationalités
évaluatives ».
Ces raisons sont étroitement liées au contexte dans lequel les individus décident et agissent.
Ce contexte peut être caractérisé par un degré plus ou moins fort d’incertitude. Ces raisons
trouvent leur terrain d’expression dans les pratiques d’imitation concurrentielle et donne lieu à
des pratiques d’imitation concurrentielle.
C’est cette notion qui nous permettra de faire la jonction entre un niveau d’analyse individuel
et un niveau d’analyse organisationnel. En suivant le postulat n°1, ces pratiques sont
supposées contribuer à la stratégie des organisations.
Première partie : Revue de la littérature
157
Schéma 10
Présentation d’un cadre d’analyse intégrateur
Problématique et questions de recherche
La contribution des pratiques d’imitation concurrentielle à la stratégie des organisations
constitue le fil directeur de notre travail. Sur la base de ce cadre d’analyse, deux questions de
recherche peuvent être formulées afin de préciser la problématique de la thèse.
La première question de recherche vise à explorer la relation entre raisons et pratiques
d’imitation concurrentielle. Il s’agira de dépasser des travaux consacrés aux formes
d’imitation qui peuvent donner le sentiment de proposer des descriptions relativement
désincarnées. Cette limite est d’autant plus gênante que les explications relatives aux raisons
individuelles qui sous-tendent l’imitation sont nombreuses dans la littérature et le plus
souvent décrites comme mutuellement exclusives. Notre première question de recherche sera
donc formulée comme suit :
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ?
Niv
eau
Indi
vidu
el
Pratiques d’imitation concurrentielle
Stratégie de l’organisation
Orientées par les conséquences attendues pour l’organisation - Diminution des coûts de R&D - « Late-mover advantage » - Apprentissage par procuration Orientées par les conséquences attendues pour le décideur - « Sharing the blame effect » Accès à des informations privées (« herd behavior »)
Niv
eau
Org
anis
atio
nnel
Raisons instrumentales
Désir mimétique - Relation triangulaire objet/modèle/sujet Quête de légitimité - Légitimité du/des modèle(s) - « Taken-for-grantedness » Identité sociale des individus Rationalisation de décisions prises dans un contexte incertain
Sous-tendent
Contribuent à
Raisons évaluatives
Incertitude
Elaboration d’un cadre d’analyse et formulation des questions de recherche
158
L’incertitude a souvent été désignée comme le principal facteur à l’origine des
comportements d’imitation des individus et/ou des organisations (chapitre 3 de la revue de la
littérature). Peu d’auteurs ont cependant cherché à expliciter la relation entre incertitude et
imitation. Au-delà de l’absence de consensus liée à l’opérationnalisation de la « variable »
incertitude traduisant une réelle difficulté à définir et à mesurer ce concept (Delios et Henisz,
2003 ; Delios et al., 2008 ; Garcia-Pont et Nohria, 2002 ; Haunschild et Miner, 1997), ces
travaux sont souvent parvenus des résultats peu significatifs ou au pouvoir explicatif très
limité (en comparaison de l’importance de cette variable dans la littérature).
Pour mieux comprendre le contexte dans lequel apparaissent les pratiques d’imitations, nous
partirons de la distinction entre des situations de risques, que nous supposons être plus
propices à l’exercice de raisons instrumentales chez les acteurs, et des situations d’incertitude
radicale, plus souvent liées à des approches évaluatives de la rationalité. Dès lors, nous
formulerons la question de recherche suivante :
De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?
Les deux questions de recherche que nous venons de formuler nous permettrons d’orienter la
restitution des résultats.
Présentation de la deuxième partie de la thèse
La deuxième partie de la thèse sera consacrée au pan empirique de la recherche. Le chapitre 4
permettra de présenter notre champ d’étude : les radios musicales et leurs programmateurs. Le
champ d’étude ayant largement influencé notre stratégie de collecte et d’analyse des données,
nous avons fait le choix de présenter nos orientations méthodologiques à la suite du secteur
étudié.
L’analyse permet de faire émerger deux types de résultats qui correspondent aux deux grandes
questions de recherche que nous venons de formuler. La question du lien entre incertitude et
imitation, et plus généralement, le rôle joué par le contexte dans lequel évoluent les décideurs
fait l’objet du chapitre 5. Nous montrerons que le caractère imprévisible des goûts musicaux
du public est générateur de doutes, d’hésitations et quelquefois d’angoisses chez les
programmateurs. Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs mobilisent
un ensemble de normes partagées dans leur environnement professionnel, que nous qualifions
Première partie : Revue de la littérature
159
« d’orthodoxie du Top 40 ». Ces normes n’apportent cependant que des réponses partielles
aux questions récurrentes des programmateurs. L’imitation pourra alors devenir un moyen
d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se forger des certitudes qu’elle
sera encouragée (par les attachés de presse officiant dans les labels) et facilitée (par
l’existence d’outils et de liens sociaux facilitant l’observabilité des décisions des concurrents).
Ce contexte, où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des
décideurs, laisse apparaître des pratiques d’imitation concurrentielle diverses. Ces pratiques,
fondées sur des raisons individuelles bien différentes, vont être identifiées et analysées dans le
chapitre 6 au travers d’une typologie. L’analyse des entretiens permet d’identifier neuf
pratiques types définies au travers de propriétés et de dimensions. Les explications présentées
comme mutuellement exclusives par la littérature apparaissent donc comme complémentaires
et concomitantes.
Ces résultats permettront alors d’amorcer une discussion générale consacrée à la contribution
des pratiques d’imitation concurrentielle à la fabrication de la stratégie.
160
Deuxième partie
Méthodologie et résultats
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle p.162
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation p.230
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle p.274
Discussion : De l’imitation à la différenciation p.316
Conclusion générale p.332
162
Chapitre 4
Les programmateurs radio,
praticiens de l’imitation concurrentielle
« And there goes the last DJ
Who plays what he wants to play
And says what he wants to say
Hey, hey, hey
And there goes your freedom of choice
There goes the last human voice
There goes the last DJ ».
Tom Petty, “The Last DJ”
otre recherche s’intéresse à la façon dont des décideurs reproduisent des décisions
adoptées chez leurs concurrents et concourent à faire de l’imitation un pan essentiel de
la stratégie de leur organisation. Afin de comprendre les raisons pour lesquelles certains
managers peuvent être amenés à répliquer les décisions prises par un ou par plusieurs
concurrents, notre attention se portera sur les pratiques d’imitation concurrentielle et sur les
raisons individuelles dont elles sont l’expression. Ce chapitre obéit à un double objectif. Il
s’agira d’une part de présenter le champ d’étude que nous avons retenu (section 1) et d’autre
part d’expliciter et de justifier le « design » de la recherche et nos principales orientations
méthodologiques (section 2).
L’étude de terrain de notre recherche est consacrée aux radios musicales et à leurs
programmateurs. Le secteur de la radio a fait l’objet de peu d’études en Sciences de Gestion.
En dépit d’un poids économique relativement faible (un peu plus de 1,3 milliards d’euros en
2009, 742 millions d’euros en ne prenant en compte que les recettes publicitaires65), ce
65 Source : Etude sectorielle XERFI 700 - Radio, juillet 2009.
N
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
163
secteur semble particulièrement adaptée à la thématique de la recherche. Depuis 2004 en effet,
les radios musicales ont été au centre de nombreuses polémiques liées aux comportements
imitatifs supposés de certaines d’entre elles. Le choix de ce champ d’étude est cohérent avec
l’intérêt que nous portons aux pratiques d’imitation et à leur impact sur la stratégie des
organisations. Le positionnement d’une radio musicale est, en effet, intimement lié à sa
programmation : Les programmateurs participent donc, au travers de leurs décisions de tous
les jours à l’élaboration de la stratégie.
Cette conception a des implications sur le « design » et sur l’esprit général de la recherche.
Elle permet d’une part de justifier l’adoption d’une perspective stratégie en pratiques (Chanal,
2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al.,
2007 ; Whittington, 2002, 2006) et nous conduit, d’autre part, à adopter une démarche
inspirée de la théorie enracinée (Richards, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004). Nous exposerons
alors les choix méthodologiques qui ont guidé la recherche. Comme nous le verrons, la
démarche de collecte des données et le processus d’analyse ont largement été influencés par
les spécificités du champ étudié. La section 2 nous permettra donc de présenter et de justifier
les orientations méthodologiques de la recherche.
1. LE CHAMP D’ETUDE
Cette première section vise à présenter le champ d’étude retenu pour mener cette recherche.
Elle permettra au lecteur de s’immerger dans le quotidien des programmateurs radio. La
section 1.1 dresse un panorama du secteur de la radio en France. Nous préciserons notre objet
d’étude dans la section 1.2 puisque nous y traiterons des problématiques liées à la
programmation musicale et aux programmateurs.
1.1. LA RADIO EN FRANCE
De nombreuses études ont été consacrées à la production musicale. La radio semble, quant à
elle, n’avoir fait l’objet que d’un nombre plus faible de recherches (Ahlkvist et Fisher, 2000).
Dans cette littérature, une proportion importante de travaux prolonge la voie ouverte par
Peterson et Berger (1975) en abordant des thématiques liées à la production culturelle, à la
culture de masse, à la diversité des programmes (Berland, 1990, 1993 ; Berry et Waldfogel,
1999a, 1999b, 2001 ; Lee, 2004 ; Rothenbuhler, 1985 ; Rothenbuhler et Dimmick, 1982 ;
Rothenbuhler et McCourt, 1992). Dans ces recherches, les aspects liés aux modèles
économiques en vigueur dans l’industrie et au fonctionnement des radios sont souvent traités
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
164
de façon parcellaire. L’essentiel de l’attention des chercheurs demeure consacrée au contenu
des programmes. Une littérature peu abondante, ancrée dans les champs de l’Economie
Industrielle et des Sciences de Gestion s’intéresse à la radio pour traiter des questions liées à
la constitution des champs organisationnels (Leblebici, Salancik, Copay et King, 1991), à la
diffusion des innovations (Rossman, 2003, 2004) ou encore à l’imitation inter-
organisationnelle (Greve, 1995, 1996, 1998 ; Mouricou, 2006). Ces travaux offrent au lecteur
des éléments contextuels relatifs au secteur dans leurs parties méthodologiques. Le panorama
qui va suivre s’appuiera également sur des ouvrages à caractère historique – qu’ils émanent de
chercheurs (Cheval, 1997 ; Leblebici, 1995 ; Leblebici et al., 1991), de praticiens (Brochand,
2006 ; Fisher, 2007) ou de journalistes (Mantoux et Simmat, 2008) – mais aussi d’articles
issus de la presse professionnelle et d’entretiens réalisés auprès d’acteurs du secteur dans le
cadre de la recherche.
Dans un premier temps (point a), nous synthétiserons quelques éléments sectoriels nécessaires
à la compréhension des enjeux actuels du champ d’étude. Ces éléments seront complétées par
un bref historique du secteur (point b).
a) Quelques éléments sectoriels
Dans son Histoire de la communication moderne, Patrice Flichy (2004) inscrit la définition
d’une première base économique de développement de la radio au crédit de l’américain David
Sarnoff, responsable technique d’American Marconi : « En 1916, il envoie une note à son
directeur général sur le “radio music box”. “J’ai en tête, écrit-il, un plan de développement
qui ferait de la radio un bien de consommation domestique dans le même sens que le piano ou
le phonographe. L’idée est d’apporter de la musique dans les foyers grâce à la TSF” »
(Flichy, 2004, p.150). Comme le révèle Lyons (1966), l’employé pressent déjà « les bases de
l’exploitation industrielle du procédé et son potentiel publicitaire considérable » (Cheval,
1997, p.25). Il suffira de dix ans pour que la TSF devienne un des principaux supports de la
culture de masse. Dès lors, les développements techniques de la TSF (invention de la bande
FM en 1935, introduction de la stéréo en 1960, invention du transistor, du RDS, radio
numérique) accompagneront l’affirmation du modèle économique de la radio.
Le modèle économique d’une radio commerciale
Selon Leblebici et ses collègues, l’activité d’une radio commerciale consiste en la production
d’un contenu (programme) en vue d’attirer une audience afin de vendre du temps d’antenne à
des annonceurs potentiels (Leblebici, 1995 ; Leblebici et al., 1991).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
165
« En radio, on a affaire à deux types de clients : les annonceurs et les auditeurs. La particularité, c’est qu’un groupe de clients est en quelque sorte un produit, qu’on va vendre au deuxième. »
Entretien réalisé avec le directeur marketing d’un réseau national
Ce modèle économique, que partagent la radio commerciale et la télévision commerciale, a
parfois fait l’objet de formulations malencontreuses. En 2004, Patrick Le Lay, alors PDG de
TF1, avait ainsi déclenché une vive polémique en expliquant « vendre du temps de cerveau
humain disponible » à des annonceurs comme Coca-Cola66.
En France, comme au Canada, au Japon ou en Australie, les radios commerciales privées
coexistent avec des radios de service public et des radios associatives dont l’essentiel du
revenu provient de financements publiques. Aux Etats-Unis, des modèles économiques
alternatifs ont émergé depuis le début des années 2000. Ainsi, des bouquets de radios par
satellite proposent désormais aux auditeurs des formules par abonnement en leur promettant
des programmes sans publicité et sans aucune forme de censure (Fisher, 2007).
L’encadré 3 synthétise quelques éléments quantitatifs relatifs au secteur de la radio en France
et à ses évolutions actuelles. Comme nous allons le voir, le CSA distingue plusieurs
catégories de fréquences propres aux différents types d’acteurs (radios périphériques
historiques, réseaux nationaux, radios indépendantes, radios associatives, franchisés).
66 Source : Les Dirigeants français et le Changement : Baromètre 2004, ouvrage collectif des associés d’EIM, éditions Huitième jour.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
166
Encadré 3
L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres
� En 2008, le secteur de l’édition et de la diffusion de programmes radiophoniques représentait plus de 1,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires provenant majoritairement des recettes publicitaires (742 millions d’euros soit 6,5% des recettes publicitaires tous médias confondus). Les ressources de Radio France (565 millions d’euros) émanent principalement de la redevance audiovisuelle (88,6% du CA de Radio France). De leur côté, les radios commerciales privées tirent leurs ressources, de façon quasi-exclusive, de la publicité. 67
� Le sondage réalisé par Médiamétrie pour la période « Avril-Juin 2009 » révèle que 80,9% des français écoutent la radio quotidiennement (critère d’audience cumulée, lundi-vendredi). La durée d’écoute moyenne s’établit à 180 minutes. Quatre grands groupes (Radio France, NRJ, RTL, Lagardère) concentrent 68,6% de l’audience (critère de part d’audience). Les programmes musicaux drainent, quant à eux, 51,7% de l’audience (critère de part d’audience, PDA du GIE « Les Indépendants » incluse).68
� Les sondages les plus récents mettent en lumière une baisse tendancielle de l’audience des radios musicales nationales au profit des radios généralistes. Cette évolution n’est pas sans conséquences sur les performances financières des radios musicales. Le 28 août 2009, le groupe NRJ annonçait ainsi un recul de 18,5% pour ses activités radio au premier semestre 2009 par rapport à la même période en 200869
� Pour le cabinet Xerfi et pour de nombreux observateurs du secteur, cette évolution est liée au développement des nouveaux supports d’écoute de musique (baladeurs mp3, streaming, etc.) Les investissements réalisés par les radios musicales sur Internet n’ont, pour l’instant, par réussi à enrayer la chute tendancielle de l’audience. Les entreprises du secteur placent aujourd’hui tous leurs espoirs dans le développement de la radio numérique (les premières fréquences numériques devraient entrer en vigueur à la fin 2009).
� Depuis 1989, la régulation des radios est sous la responsabilité du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA). Le CSA est chargé d’attribuer les fréquences, d’autoriser l’exploitation d’une radio à l’issue d’un appel à candidature, de veiller à l’expression du pluralisme. Il contrôle le respect des principes fondamentaux du droit de la communication et des règles de la concurrence.
� Le CSA distingue 5 catégories de radios (hors service public).
� La catégorie A rassemble les radios associatives (ex : Radio Ici et Maintenant, Radio Béton). Pour l’essentiel, leurs ressources proviennent du fonds de soutien à l’expression radiophonique. Elles peuvent être complétées par des rentrées publicitaires dans la limite de 20% du chiffre d’affaires.
� La catégorie B rassemble les radios locales commerciales (ex : Champagne FM, Radio Star Marseille). La desserte de opérateurs de cette catégorie ne peut pas excéder 6 millions d’habitants.
� La catégorie C rassemble les franchisés des réseaux nationaux (ex : NRJ Montpellier). Ces stations ont l’obligation de diffuser un programme d’intérêt local. Elles réalisent donc des « décrochages locaux ».
� La catégorie D rassemble les radios musicales thématiques à vocation nationale (ex : Fun Radio, Chérie FM).
� La catégorie E concerne uniquement RTL, Europe 1 et RMC (les trois radios « périphériques » historiques).
67 Source : Etude sectorielle XERFI 700 - Radio, juillet 2009. 68 Source : Médiamétrie, 126 000 Radio, septembre-octobre 2007, www.mediametrie.fr 69 Source : Communiqué de presse de NRJ du 27 aout 2009.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
167
L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres
� En 2006, les fréquences étaient réparties comme suit
Les recettes publicitaires
La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque
année, 126 000 interviews téléphoniques sont
et plus, entre les mois de septembre et juin. Les résultats sont publiés
L’audience des radios en Île-de
l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête
spécifique, réalisée sur la base de 13
L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique
Médialocales, dont les résultats sont publiés une fois par an.
Trois principaux critères sont u
1. Le critère d’audience cumulée
moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.
2. Le critère de durée d’écoute
auditeurs d’une station.
3. La part d’audience mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute
globale du média radio.
70 www.mediametrie.fr
Catégorie D31%
Catégorie E15%
: Méthodologie et résultats
Encadré 3 (suite)
L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres
En 2006, les fréquences étaient réparties comme suit :
Source : www.csa.fr (données 2006)
La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque
année, 126 000 interviews téléphoniques sont menées auprès de la population âgée de 13 ans
et plus, entre les mois de septembre et juin. Les résultats sont publiés70
de-France donne lieu à une publication spécifique. Depuis 2006,
l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête
spécifique, réalisée sur la base de 13 500 interviews téléphoniques est réalisée à cet effet.
L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique
Médialocales, dont les résultats sont publiés une fois par an.
critères sont utilisés pour mesurer l’audience.
critère d’audience cumulée mesure le nombre d’auditeurs ayant écouté la station au
moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.
critère de durée d’écoute indique la durée d’écoute quotidienne moyenne des
ne station.
mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute
du média radio.
Catégorie A24%
Catégorie B16%
Catégorie C14%
: www.csa.fr (données 2006)
La mesure des audiences radio est réalisée en France par l’Institut Médiamétrie. Chaque
auprès de la population âgée de 13 ans
quatre fois par an.
France donne lieu à une publication spécifique. Depuis 2006,
l’audience des radios est également mesurée pendant les mois de juillet et août. Une enquête
iques est réalisée à cet effet.
L’audience des radios locales est mesurée dans le cadre d’une enquête spécifique :
mesure le nombre d’auditeurs ayant écouté la station au
moins une fois dans la journée. Il ne tient pas compte de la durée d’écoute.
indique la durée d’écoute quotidienne moyenne des
mesure la part que représente l’écoute d’une station dans l’écoute
Catégorie B16%
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
168
L’audience est mesurée par station, mais aussi par agrégat (ex : radios de service public,
radios privées commerciales, radios privées associatives, etc.) et par couplage (un couplage
étant une offre publicitaire regroupant plusieurs stations).
L’essentiel du chiffre d’affaires des radios commerciales provient de la publicité. L’audience
d’une station conditionne ses recettes publicitaires : plus une station est écoutée, plus le prix
que les annonceurs seront disposés à débourser pour louer son espace publicitaire (temps
d’antenne consacré à la diffusion des spots publicitaires) sera important. L’espace publicitaire
des radios est commercialisé par des régies publicitaires, qui sont souvent intégrées à des
groupes radios à l’image de NRJ Régie (Groupe NRJ), IP (Groupe RTL), Lagardère Publicité
(Groupe Lagardère) ou Skyrégie (Skyrock). Le rapport entre les recettes publicitaires d’une
station et sa part d’audience est appelé « Power Ratio ». Il permet de comparer les
performances des différentes régies publicitaires.
b) Un bref historique
Les sections qui suivent permettront d’établir un bref historique des évolutions de la radio en
France.
Au commencement… les radios périphériques
Jusqu’en 1981, l’Etat français bénéficie d’un monopole sur la radiodiffusion. Au fil de ses
évolutions, la Radiodiffusion française (RDF) devient Radio France. En 1964, la
radiodiffusion française est organisée autour de quatre stations : France Inter, France
Musique, France Culture et Radio 7 (Cheval, 1997 ; Mantoux et Simmat, 2008). Dans les
faits, les auditeurs peuvent accéder à une offre commerciale privée alternative au service
public. Depuis de nombreuses années, des stations telles que Radio Luxembourg (devenue
RTL), Europe n°1, Sud Radio ou Radio Monte-Carlo font partie du paysage radiophonique
français. Ces radios peuvent déroger au droit français parce que leurs émetteurs sont situés à
l’extérieur du territoire national71. Dans les faits ces radios « périphériques », qui sont censées
être des radios étrangères, ont des studios basés à Paris. En outre, la participation financière
de l’Etat Français au capital de ces radios72, à défaut d’être le signe d’un contrôle total, révèle
le caractère fictif de leur indépendance économique et éditoriale.
71 RTL émet ainsi depuis de Grand-Duché du Luxembourg, Europe 1 depuis la Sarre Allemande, Sud Radio depuis Andorre et RMC depuis la principauté de Monaco (en fait, à partir d’une parcelle de territoire monégasque située à Roumoules, dans les Alpes-de-Haute-Provence). 72 Via la Sofirad (RMC, Europe 1 et Sud Radio) ou Havas, présent dans le capital de la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT), actionnaire à 49,9% de RTL (Mantoux et Simmat, 2008).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
169
Les « périph’ » proposent un programme hétérogène mêlant informations, fictions
radiophoniques, émissions musicales en public, etc. Avec le développement du transistor,
l’essor du « Rock’n’roll », du « Jazz » et de la musique « Pop », des émissions musicales
thématiques destinées au jeune public sont mises à l’antenne : « En 1966, parmi les jeunes de
15 à 20 ans, 46% disposaient personnellement d’un récepteur et 62% de cette tranche d’âge
écoutaient la radio tous les jours ou presque, souvent pour suivre leur émission préférée :
“Salut les copains” sur Europe n°1 » (Cheval, 1997, p.83)
1981 : Apparition des premières radios musicales
Dès la fin des années soixante-dix apparaissent des stations pirates, pour la plupart reliées au
mouvements étudiants, sociaux, écologistes, syndicaux ou politiques (Brochand, 2006). Ce
n’est qu’avec l’ouverture de la bande FM en 1981, et l’attribution des premières autorisations
en décembre 1982, que naissent les premières radios locales privées. Soustraites aux lois de
l’économie de marché, ces radios ont l’interdiction de diffuser de la publicité jusqu’en 1984.
Les stations qui émettaient auparavant de façon pirate doivent souvent se regrouper sur une
même fréquence par paquet de deux, trois ou quatre : beaucoup s’y refusent. Dans cette
situation de cacophonie, plusieurs stations dépassent allègrement les puissances d’émission
autorisées, diffusent illégalement de la publicité, utilisent des fréquences non attribuées et
constituent des réseaux pour diffuser un programme essentiellement musical.
Particulièrement visée par les autorités, NRJ, qui lors de sa création, émet depuis une chambre
de bonne située près des Buttes Chaumont à Paris73, organise en décembre 1984 une
manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes au nom de la défense de la
musique. La dramatisation est « extrême », « calculée » (Cheval, 1997, p.82) : l’organisation
de la manifestation est confiée à DBO, une célèbre agence de publicité. Créée par Jean-Paul
Baudecroux, jeune héritier de la marque cosmétique Rouge Baiser, cette « Nouvelle Radio
Jeune » s’inspire largement des recettes utilisées par les radios musicales américaines. En
quelques mois, Baudecroux a réussi à poser les bases de ce qui deviendra un véritable
« Empire des ondes » (Mantoux et Simmat, 2008). Au cœur de la réussite de NRJ, un sens
implacable du marketing, un esprit entrepreneurial et des pratiques souvent à la limite de la
légalité, mais surtout, des connexions politiques robustes avec le parti socialiste et son jeune
porte-parole, Bertrand Delanoë.
73 Le choix de la localisation n’est pas réalisé par hasard : l’endroit est situé en altitude ce qui permet à NRJ de couvrir tout Paris. NRJ abandonnera la « rue du Télégraphe » en février 1984 pour l’avenue d’Iéna dans le VIIIe arrondissement de Paris (Mantoux et Simmat, 2008).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
170
Un formatage progressif des radios musicales
Comme l’explique ce professionnel rencontré dans le cadre de la recherche, les radios
généralistes ont, avec la libéralisation de la bande FM, entamé une coexistence avec des
radios musicales de plus en plus thématiques.
« La première étape, c’était “à chacun son émission”, c’était les radios généralistes. Les jeunes avaient leur émission à la fin de journée, les ménagères avaient une émission entre dix heures et midi… Et puis… une émission a été prise et on en a fait une radio. C’était l’étape FRJ. Et après, c’est devenu : “à chacun sa radio”. C'est-à-dire qu’on a pris une émission et on en a fait une radio. Voilà… le “hit” de dix-sept heures sur RTL est devenu FRJ. Et après “à chacun sa radio”, il y a une étape qui est “à chacun sa musique”. On prend une musique, et on en fait une radio… »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’un réseau national
Les historiens de la radio (Cheval, 1997 ; Flichy, 2004) s’accordent à relier l’invention du
transistor et l’essor du « Rock’n’roll » à la dynamique de spécialisation des radios. En
permettant la miniaturisation et la mobilité des postes de radio, le transistor introduit de
nouvelles pratiques d’écoute de la musique. Dans ce « foyer juxtaposé », « chaque membre de
la famille peut écouter la musique qu’il souhaite dans sa chambre » (Flichy, 2004, p.230). Ce
nouveau mode de communication individuelle de la musique qui trouvera son prolongement
naturel dans l’arrivée du baladeur permet une spécialisation des contenus radiophoniques.
Dans la filiation directe des radios communautaires américaines (Fisher, 2007, p.26) qui dès
les années soixante s’étaient engagées dans une dynamique de spécialisation, les stations
françaises, avec plusieurs décennies de retard, entament donc la diffusion de contenus
musicaux thématiques afin d’attirer des audiences spécifiques.
La renaissance des radios « indépendantes »
Au début des années 90, le paysage radiophonique français entre dans une dynamique de
concentration. Des réseaux musicaux nationaux rassemblent un nombre croissant de
franchisés et tombent progressivement sous le contrôle de grands groupes médias.
Si quelques programmes locaux tels que Vibration à Orléans ou Radio Scoop à Lyon
parviennent à concurrencer les réseaux nationaux, de nombreuses radios locales
commerciales, héritières des radios libres de 1981, connaissent de graves difficultés
financières que certains relient à des manœuvres anticoncurrentielles des réseaux nationaux.
Le verbatim suivant est extrait du corpus de la recherche.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
171
« La radio s’est trouvée en dépôt de bilan et a fermé. On a gardé une fréquence, qu’après on a sous-traité à Fun. Fun Radio avait lancé son réseau et voulait mettre une antenne ici. Et vu que ça ne se trouve pas comme ça une fréquence, on avait une fréquence qu’on n’exploitait pas. Donc on a loué sa fréquence à Fun jusqu’en… 2001 ou 2002. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante
Des stations locales se résignent alors à rejoindre des réseaux nationaux. D’autres
s’organisent et mutualisent leurs ressources. Les tentatives de dumping entreprises par NRJ
sur plusieurs marchés locaux et le développement du réseau Rire et Chansons, en dépit des
règles fixées par la législation et le CSA, ne seraient pas étrangères à la fronde des radios
locales (Brochand, 2006).
« Combien de locales sont mortes quand FRJ est arrivé ? L’exemple le plus typique c’est Menton, Platine FM. Radio qui cartonnait, qui marchait très bien et qui avait commencé à avoir des antennes ici. FRJ est arrivé, la radio a coulé. En six mois, elle déposait le bilan. FRJ vendait des spots à 10 Francs à l’époque. Hein… la radio s’est écroulée en six mois. Et combien de radios sont mortes comme ça ? Voilà… si FRJ existe, c’est grâce aux radios locales. Ils ont racheté des fréquences enfin… »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante d’Île-de-France
Crée en 1992, le GIE « Les Indépendants » organise la résistance. Douze radios locales
s’associent alors pour proposer aux annonceurs nationaux une offre publicitaire commune
aujourd’hui commercialisée par TF1 Publicité. Le GIE rassemble désormais plus de cent
vingt stations locales et régionales. Outre les recettes publicitaires qu’il génère, le GIE peut
conseiller les radios adhérentes en matière de programmation musicale ou encore négocier des
tarifs préférentiels auprès de prestataires (studios d’enregistrement de jingles par exemple).
Emblématique de l’essor des radios locales, le groupe Start, construit sur la base du succès de
la radio orléanaise Vibration, contrôle aujourd’hui de nombreuses stations74. Ces acteurs
locaux et régionaux viennent désormais contester le leadership des réseaux nationaux. Le
verbatim qui suit est extrait d’un entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un
important label musical.
74 Forum (Centre) Voltage (Paris), Black Box (Bordeaux), Sun (Lyon), Latina (Paris), Wit FM (Bordeaux), Sud Radio (Grand Sud), Ado FM (Paris) et Vitamine (Marseille).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
172
« Ces radios de province sont locales, en l’occurrence, ça peut être Radio 6 qui est basée à Calais… ou régionales, Alouette par exemple qui est basée aux Herbiers mais dont la zone d’émission est sur neuf départements… ou Vibration qui est une radio qui est basée à Orléans et qui émet aussi bien à Tours qu’à Cholet, à Blois, à Orléans, jusqu’aux portes de Paris quand il fait beau. Voilà. Ce sont de grosses radios qui sont des radios leaders, toutes dans leur domaine, et qui génèrent énormément d’audience. »
Entretien réalisé avec le directeur de la promotion d’un label appartenant à une major
Les éléments qui viennent d’être présentés permettent de cerner les enjeux actuels du secteur
de la radio en France et d’en retracer l’histoire. Notre champ d’étude ne concerne cependant
pas l’ensemble du secteur de la radio mais se porte sur une catégorie particulière de radios, les
radios musicales, et sur un type particulier d’acteurs, les programmateurs. La section qui va
suivre leur est consacrée.
1.2. DU LIEN ENTRE PROGRAMMATION MUSICALE ET STRATEGIE
La population des radios musicales françaises se caractérise par une très grande hétérogénéité,
tant en termes de « taille » (des « petites » radios locales coexistent avec des réseaux
régionaux et nationaux) que de format (des formats très spécialisés coexistent avec des
formats relativement généralistes). Des émissions parlées viennent entrecouper la
programmation. S’il est vrai que le modèle du « Zoo morning show », mettant en scène un
animateur principal et des personnages secondaires qui interagissent avec les auditeurs, est
directement importé des Etats-Unis, l’existence d’émissions de libre antenne en soirée est une
spécificité typiquement française (Glevarec 2005 ; Turner 1993). La présence de ces
émissions parlées ne doit pas occulter le fait que l’essentiel du temps d’antenne des radios
musicales demeure consacré à la musique (Glevarec 2005).
Comme l’explique Berland (1990, p.182) : « La musique n’est pas le véritable produit d’une
radio, mais un moyen utilisé par la radio pour constituer son audience, le produit qui est
commercialisé par la radio aux annonceurs en échange de recettes publicitaires. »75 Le plus
souvent confiée au programmateur, au directeur de la programmation ou directeur des
programmes, la programmation musicale conditionne l’audience de la station et se pose
comme l’élément essentiel de la stratégie concurrentielle d’une radio musicale.
75 “Music programming is not the main commodity produced by radio, but is rather the means to the production of radio real commodity – the audience – to be sold to advertisers in exchange for revenue to the broadcaster.” (Berland, 1990, p.182)
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
173
Après avoir défini la notion de format musical (point a), nous nous intéresserons au rôle du
programmateur dans l’élaboration de la programmation musicale (point b). La mécanique
« Top 40 », un ensemble de techniques élaborées aux Etats-Unis dès le début des années
cinquante aux Etats-Unis, sera ensuite présentée (point c). Nous conclurons en soulignant la
saillance de la thématique de la recherche (l’imitation concurrentielle) dans le champ
opératoire étudié (point d)
a) Le format musical et la programmation
Accompagnant la dynamique de spécialisation des radios américaines, la presse
professionnelle du secteur de la radio et le FCC (l’autorité de régulation américaine) ont mis
en place des nomenclatures permettant de classifier les contenus radiophoniques par
« formats ».
Une définition de la notion de format
En suivant Lee (2004, p.327) on considèrera qu’un format « est composé de titres issus du
même sous-genre musical (rock alternatif, musique urbaine, country, gospel…) »76, par
extension, le terme est également utilisé pour désigner des contenus parlés (on parle alors de
formats « talk »). La classification qui suit (encadré 4) est présentée par Jérôme Delaveau,
professionnel du secteur aujourd’hui directeur des programmes de Hit Radio (une station
musicale du Maroc). Cette classification s’inspire des nomenclatures américaines. Elle est
proposée dans une version plus détaillée en annexe 2.
76 “A format consists of music drawn from closely related sub-genres of music [alternative rock, urban, adult contemporary, country, Spanish, gospel) or by extension a talk format such as “sports” or “news/talk” (Lee, 2004, p.327)
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
174
Encadré 4
Les principaux formats musicaux aux Etats-Unis
� Les formats peuvent être classifiés en fonction du genre musical auquel ils se rattachent.
� Les formats CHR et AC demeurent relativement généralistes. Des sous-formats, plus spécialisés, peuvent leur être rattachés.
� Les formats Rock/Alternative et Urban renvoient quant à eux à des univers musicaux bien identifiés (respectivement le « Rock » et l’univers « Rap/R’n’B/Soul »).
� Les formats « Oldies » sont consacrés à des titres de « back catalogue » (titres relativement anciens).
D’après Jérôme Delaveau (Annexe 2)
Les formats ne sont pas seulement des instruments permettant d’analyser le positionnement
des stations de radio. Ils contribuent également à la standardisation et à la rationalisation des
pratiques radiophoniques (Berland, 1990, 1993), chaque radio définissant son format en
fonction de l’audience qu’elle souhaite atteindre. Charge au programmateur de décliner ce
dernier au travers de ses choix musicaux. Il serait cependant illusoire d’appréhender le format
comme un moule rigide qui s’imposerait au programmateur. Le caractère extrêmement poreux
des formats actuels laisse en effet la possibilité au programmateur d’influer largement sur le
positionnement stratégique de sa station au travers de ses décisions musicales quotidiennes.
Des positionnements poreux
Le Rapport sur la diversité musicale dans le paysage radiophonique établi en 2003 par
l’Observatoire de la Musique souligne un « effet d’endogamie » dans les programmations
musicales des radios. Sur 31 radios « observées », 19 avaient en commun au moins 50% de
leur playlist. Dans une réflexion consacrée aux évolutions dans l’industrie musicale, le
praticien Borey Sok (2007) estime que cette standardisation des « playlist » est en grande
partie responsable de l’engouement des consommateurs de musique pour le téléchargement de
fichiers musicaux sur Internet : « Les jeunes ne se sont pas tournés sur Internet uniquement
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
175
pour son offre et sa gratuité. La forte concentration des médias a poussé ce public à utiliser le
Web comme un médium alternatif aux médias classiques. Des chaînes comme MTV ou MCM
et des stations comme FRJ ou FUF RADIO ont les parts d’audience les plus importantes. Ce
qui ne signifie pas que leur programmation soit “riche” et de “qualité”. Au contraire, les
playlists se voient de plus en plus réduites. » (Sok, 2007, p.31). Le phénomène semble
particulièrement prononcé chez les radios jeunes.
Il peut sembler paradoxal de voir des stations positionnées sur des formats musicaux
différents adopter la même programmation musicale. Loin d’augmenter la diversité de l’offre
musicale, le formatage a, selon certains auteurs, tendance à diminuer la richesse de l’offre
musicale en radio : « l’organisation de l’audience par formats musicaux a pour effet de
rationaliser le marché de la radio. Cette démarche pourrait nécessiter une diversification de
la production musicale et une programmation plus variée… lorsqu’on étudie l’évolution des
formats musicaux, on peut constater que c’est l’inverse qui s’est produit » (Berland, 1993,
p.109). Barnard (1989) invoque quant à lui une « orthodoxie professionnelle » combinant
formatage et recherche musicale, pour expliquer l’homogénéisation des playlists. Il n’est donc
pas rare d’entendre un même titre diffusé sur de très nombreuses radios positionnées sur des
formats différents. Comme le résumait en 2004 le publicitaire Christian Blachas (2004) dans
un éditorial au vitriol, « la différence se fait [désormais] sur des notions ténues : musique du
début des années 80, du milieu des années 80, de la fin des années 80. […] Toujours les
mêmes tubes, les mêmes standards. Et toujours cette dictature de la playlist qui enlève à la
radio la spontanéité qui est pourtant sa raison d’être ».
Décrire le formatage comme la cause exclusive de l’homogénéisation des programmations
musicales serait néanmoins réducteur. L’apparition de titres difficilement classables dans un
genre musical particulier rend, en effet, la notion de genre musical de plus en plus relative.
Les exemples de fusions « Electro/Rock », « Rap/Rock », « Electro/rap » deviennent de plus
en plus fréquents. En 2003 le groupe de Rock Linkin’ Park fait ainsi participer le rappeur Jay
Z à son titre Numb. Le titre est alors programmé sur de nombreuses radios parmi lesquelles
figurent notamment Europe 2, Ouï FM, Le Mouv’ (formats « Rock »), NRJ (formats
généraliste), Fun Radio (format « Dance ») et Skyrock (format « Rap »)77.
77 Données Yacast.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
176
En 2004 c’est le groupe pop Starsailor connait un succès inespéré avec une version
« Electro » de son titre « Four to the Floor » élaborée par le DJ Thin White Duke.
L’expérience est répétée avec un groupe de « Rock », The Killers, qui par l’intermédiaire de
remixes parvient à être programmé sur Contact, une station « Dance » du Nord de la France,
dont le directeur des programmes assume les « écarts » de format.
« Il y a de plus en plus de clubs où les DJ’s passent du “R’n’B”. Bon, je pense que là on va arriver vers le bout et je pense que là, un nouveau son finira par arriver. Là nous par exemple, on est beaucoup sur ces fusions “Rock-Electro” ou “R’n’B-Electro”… parce qu’on sent bien que ça peut remplacer… enfin on y fait attention. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante thématique
En 2007, Mika parvient à être l’artiste le plus programmé en mêlant influences Pop, Rock et
Electro : la clé d’une programmation sur de nombreuses radios aux formats différents. Le
phénomène est désormais renforcé par l’apparition de « Bootlegs », montages réalisés par des
internautes combinant plusieurs titres souvent issus de genre musicaux différents.
Cette porosité des positionnements accentue, à notre sens, le rôle du programmateur dans
l’élaboration de la stratégie. Loin d’être un simple opérateur, il doit désormais constamment
interpréter et questionner le format musical, quitte à s’éloigner, par moments, du
positionnement revendiqué par sa station.
b) Le programmateur, un acteur stratégique
Le positionnement concurrentiel de la station est donc susceptible d’évoluer au gré des choix
musicaux du programmateur. Comme le révèle l’extrait suivant, les changements de
positionnement correspondent souvent à l’arrivée d’un nouveau programmateur.
« Je suis revenu il y a trois ans, trois ans et demi. On m’a appelé, j’étais directeur des programmes d’une radio Suisse. On m’dit : “bah est-ce que tu voudrais venir faire la même chose chez nous ?” Je dis que je n’avais pas prévu spécialement de revenir mais pourquoi pas. Et donc, quand je suis arrivé, la première année, en programmation : Renault, Axel Red, “Manhattan – Kaboul”. Et là, je joue Renault et Axel Red sur la radio. Et là, j’ai plein de gens qui viennent me voir en me disant : “Eh oh, c’est pas le genre de la maison”. Et moi je dis “ok mais bon, je le joue quand même parce que ça va être un tube énorme et je veux passer des énormes tubes”. Et ça a été marrant quoi… et le disque on l’a joué et effectivement, ça a été un tube énorme. La première année, tu dois forcer le respect par le travail. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
177
Une décision sous influence
Les décisions des programmateurs sont souvent largement commentées à l’intérieur des
radios. Le caractère artistique et subjectif de la programmation expose parfois ces acteurs
stratégiques à de nombreuses critiques. Ces interventions peuvent parfois émaner des
dirigeants de la station et être « subies » par les programmateurs.
« Le principe… et c’est vrai que parfois c’est usant… c’est que quoi que tu décides, tu auras toujours 15 000 mecs autour de toi qui seront persuadés qu’ils ont tout compris à la musique et pour eux, tes choix sont forcément nuls. Après quand tu en fais ton métier, tu as une autre approche… tu choisis moins en fonction de tes goûts à toi et plus en fonction de ce que tu imagines des attentes des gens qui écoutent la radio. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio musicale indépendante
Les programmateurs font aussi l’objet d’une attention particulière des attachés de presse
mandatés par les maisons de disques qui cherchent à voir leurs productions diffusées en radio.
Au-delà de la redevance78 versée par les radios et réparties aux ayants-droits au prorata de
leurs diffusions, l’exposition d’un titre en radio est supposée générer des ventes et surtout de
déclencher un cercle vertueux. Lorsqu’une radio entre un titre dans sa programmation, le titre
gagne des places dans « l’Airplay » (le classement des titres les plus diffusés en radio).
« L’Airplay » est scruté par tous les professionnels du secteur, qu’il s’agisse des producteurs
de l’industrie musicale, des distributeurs ou des autres programmateurs. Ce point sera
largement traité dans le chapitre 5 de la thèse.
Des registres de programmation divers
Au-delà de ces contraintes légales qui s’imposent à toutes les stations, les programmateurs
sont susceptibles de concevoir leur métier de différentes façons. C’est à cette conclusion que
parviennent Ahlkvist et Faulkner (2002) au travers d’une étude qualitative consacrée à des
programmateurs officiant dans des radios américaines. Après avoir réalisé une trentaine
d’entretiens, les deux chercheurs parviennent à faire émerger plusieurs « répertoires » qui
correspondent à quatre façons très différentes d’appréhender le métier de programmateur.
78 Depuis le 1er janvier 2008 le taux de rémunération est compris entre 4 et 7% du chiffre d’affaires selon la situation économique de la radio (décision publiée au Journal officiel du 6 novembre 2007). Le taux était précédemment de 4,25% pour toutes les radios.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
178
Pour certains répondants, la programmation musicale est avant tout affaire de passion. Il
s’agira pour le programmateur de mettre à l’antenne les disques qu’il préfère, de réaliser un
travail d’éducation musicale des auditeurs. Cette attitude correspond au « répertoire
subjectif ».
Pour d’autres, les instruments marketing permettent à la programmation de gagner en
scientificité et en objectivité. La programmation doit alors s’aligner strictement sur une
demande des auditeurs supposée pré existante. La programmation de nouveautés est perçue
comme un risque inutile, le suivisme clairement revendiqué. Le programmateur n’est que la
courroie de transmission de la volonté des auditeurs. Il s’agit du « répertoire objectif ».
Les programmateurs qui s’inscrivent dans le « répertoire populiste » travaillent souvent pour
le compte de stations locales communautaires. Leur principal objectif sera de faire évoluer
leur format dans le sens des attentes de leur audience locale. Si cette orientation vers les
auditeurs les rapproche des programmateurs du « répertoire objectif », ils s’en différencient en
ce qu’ils considèrent l’acte de programmation comme une forme d’artisanat où l’empathie
doit primer sur l’utilisation des instruments de recherche. Comprendre son audience, la
connaître, savoir anticiper sur ses goûts musicaux, constituent alors l’essentiel des qualités
d’un bon programmateur.
Enfin, pour une quatrième catégorie d’acteurs, l’essentiel sera de s’aligner sur l’agenda
promotionnel des maisons de disques. Les attachés de presse mandatés par les major
compagnies sont perçus comme des partenaires de travail. Dans ce répertoire qualifié par
Ahlkvist et Faulkner (2002) de « synergique », les objectifs des radios et des maisons de
disques sont perçus comme étant similaires et le programmateur cherchera à maximiser la
valeur ajoutée promotionnelle de sa station.
La typologie élaborée par Ahlkvist et Faulkner (2002) permet de mettre en lumière les
différentes attitudes possibles chez les programmateurs radio. Ces derniers évoluent
néanmoins dans un univers normé, reprenant des techniques et des méthodes élaborées pour la
plupart aux Etats-Unis.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
179
c) Un univers normé
Quel que soit leur format, les radios musicales reprennent en effet très largement la
mécanique du « Top 40 », un ensemble de techniques et d’instruments élaborés au début des
années cinquante aux Etats-Unis. Conçu aux Etats-Unis au début des années cinquante
(Leblebici et al., 1991) sur des radios comme KLIF (Dallas) ou KOWH (Omaha), le « Top
40 » repose sur la multidiffusion, au cours d’une même journée, d’une liste de titres limitée
(« playlist »). Dans ce flux musical, les titres sont entrecoupés de « jingles », l’animateur
intervenant de façon parcimonieuse pour annoncer la programmation, lancer les publicités,
animer des jeux téléphoniques avec les auditeurs, annoncer quelques informations et surtout,
donner une personnalité à l’antenne.
Aux succès du moment, diffusés très fréquemment sur l’antenne, se mêlent des titres plus
anciens et des standards (« golds »). Comme l’expliquent Leblebici et ses collègues (1991), ce
modèle économique a permis de réduire considérablement les coûts de fonctionnement des
radios musicales, le disc-jockey étant chargé de la réalisation technique de son émission, de
l’animation et du standard avec les auditeurs. L’invention du « Top 40 », souvent attribuée à
l’américain Todd Storz, fait aujourd’hui office de mythe fondateur chez les professionnels du
secteur. A l’instar de pionniers décrits par Stinchcombe (1965) qui façonnent, à leur image,
les organisations de leur secteur, Todd Storz a définitivement laissé son empreinte dans le
fonctionnement de toutes les radios musicales actuelles.
Todd Storz, le père du « Top 40 »
L’anthologie de la radio proposée par Mark Fisher (2007) donne des bases historiques
sérieuses à ce mythe. C’est en 1949, dans un paysage radiophonique sinistré par l’arrivée de
la télévision que Todd Storz fait l’acquisition de KOWH, une petite station de radio du
Nebraska à l’audience confidentielle. L’euphorie des premiers jours laisse rapidement la place
à une sévère désillusion : le programme, composé d’émissions parlées (religieuses
notamment) et d’émissions musicales thématiques (musique classique, country) peine à attirer
de nouveaux auditeurs. Les recettes publicitaires se tarissent.
La légende veut que ce soit en observant les clients d’un restaurant glisser des pièces dans le
« jukebox » que Todd Storz ait posé les bases de la radio musicales moderne. « Je me suis
rendu compte que les gens écoutaient leur chanson préférée encore et encore… » (Fisher,
2007, pp.8-9). Fasciné, Storz aurait également observé la serveuse du restaurant, qu’on aurait
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
180
pu croire lassée d’entendre les mêmes disques toute la journée, adopter le même
comportement à la fin de la journée. Convaincu que la clé du succès résidait dans la répétition
des disques préférés des auditeurs, Storz commença par programmer, en 1951, l’émission
« Your Hit Parade » entre neuf heures et onze heures, tous les matins sur KOWH, un
classement des quarante chansons les plus populaires du moment. Rompant avec la croyance
selon laquelle il ne fallait pas diffuser un même titre plus d’une fois durant la même journée,
Todd Storz aurait alors demandé aux animateurs de sa tranche matinale de diffuser les
chansons classées dans « Your Hit Parade ». D’une émission spécifique, le « Top 40 » est
devenu une mécanique d’antenne.
Au-delà de la mécanique du « Top 40 », on doit également à Todd Storz l’introduction
d’innovations telles que les jingles chantés entrecoupant les disques, le ton très particulier des
animateurs de radios musicales, l’utilisation d’un bruit de machine à écrire en fond sonore des
flashs infos et la programmation de ces derniers deux minutes avant l’heure fixe pour délivrer
l’information « deux minutes avant tout le monde ».
Le mode de fabrication du flux musical
Le mode de fabrication du programme musical est, lui aussi, extrêmement standardisé
(Ahlkvist et Fisher, 2000). Dans un ouvrage consacré à la « success story » NRJ, les
journalistes Aymeric Mantoux et Benoit Simmat (2008) décrivent le choc des cultures
provoqué par l’arrivée d’un consultant américain dans la balbutiante NRJ.
« Dès son arrivée, le premier jour, Fergusson commence par diviser la grande horloge murale du studio en autant de parts qu’il existe d’heures. […] Sur chaque morceau, il colle trois pastilles rouges à distance égale. Parallèlement, il trie les disques et en sélectionne certains qui se voient frappés d’une pastille de la même couleur. Les disques “rouges” sont les tubes du moment à passer souvent et à intervalles réguliers : Stevie Wonder, Peter et Sloane, Gilbert Montagné… Les jours suivants, Fergusson arrive avec de nouvelles pastilles de couleur qui sont insérées entre les rouges. Il y a les “jaunes” pour les nouveaux tubes (en progression), les “violettes” pour des 45-tours dont on ne sait pas bien s’ils peuvent marcher […] et puis les “vertes”, pour les nouveautés de la semaine. Enfin, les “golds”, pour les grands standards que FRJ, comme ses concurrentes, diffuse toujours. On programme chaque heure un maximum de “rouges” suivis des “verts”, des “jaunes”, des “violets” et enfin des “golds”. Cookie Dingler (Femme libérée) et Scorpions (Still Loving You) côtoient Jeanne Mas (Toute première fois) puis Jermaine Jackson et Pia Zadora (When The Rain Begins to Fall), et enfin… un bon vieux Dalida par exemple. »
D’après Mantoux et Simmat (2008, p.127)
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
181
Ce jour de 1984 à NRJ, Ted Fergusson introduit trois outils, utilisés depuis très longtemps par
les FM américaines : la playlist, les taux de rotation et les horloges. Il découple également la
fonction de programmation musicale de celle d’animation pour la confier à Max Guazzini,
nommé directeur des programmes.
La playlist est une liste de disques qui sont diffusés quotidiennement sur l’antenne. Les
programmateurs des radios reçoivent en permanence les dernières productions musicales
qu’ils doivent décider d’incorporer, ou non, à leur playlist (Rossman, 2004).
Un même titre est souvent diffusé à plusieurs reprises au cours d’une même journée. On
appelle « taux de rotation » le nombre de passages quotidiens. Les titres sont regroupés en
plusieurs catégories en fonction des taux de rotation. Comme nous l’explique ce
programmateur, un label permet de désigner chaque catégorie (ici les « nouveautés », les
« chauds », les « bouillants »).
« Dans la façon dont tu les fabrique avec tes catégories de titres : tu as les “golds”, les nouveautés, tu as les chauds, tu as les bouillants… c’est tout un bazar. »
Entretien avec le programmateur d’une station indépendante
D’ordinaire, les plus grands succès du moment (les « hits ») sont les titres qui sont
programmés le plus souvent sur une radio. A l’opposé, les « golds » (titres relativement
anciens considérés comme des standards) et les « nouveautés » feront l’objet d’un taux de
rotation plus faible.
Dans la programmation quotidienne d’une station, les disques s’enchaînent en fonction d’un
canevas très rigide. Véritable squelette de chaque heure, « l’horloge » organise l’alternance
des différentes catégories de titres sur l’antenne. Il pourra s’agir, par exemple, de diffuser
systématiquement un titre appartenant à la catégorie « bouillants » en début de chaque heure,
d’enchainer sur un titre issu de la catégorie « nouveautés », puis sur une intervention de
l’animateur, une plage de publicités, un « chaud », une « nouveauté », etc.
Chaque catégorie est donc mobilisée un certain nombre de fois au cours d’une même journée,
et contient un nombre de titres limité. Le ratio « nombre d’appels quotidiens de la catégorie /
nombre de titres contenus dans la catégorie » permet de définir le taux de rotation.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
182
La mécanique est résumée, en entretien, par ce programmateur :
« On a une catégorie d’ “actifs” qui tournent toutes les cinq heures… en fait on en a un par heure et il y en a cinq dedans. Fous on est une radio quand même “Pop-Rock” et pas une radio jeune style FRJ. Je pense que sur FRJ, ça sera cinq “actif” avec deux appels dans l’heure. Grosso modo ça va revenir toutes les deux heures et demi. Ou même plus que ça… parfois encore plus pour certaines radios jeunes. Il y a une radio qui nous ressemble un petit peu en Alsace. D’après ce que j’ai cru comprendre et décortiquer, ils auraient une playlist de neufs titres en ‘actifs’ avec deux appels dans l’heure. Ce qui fait un retour toutes les 4h30. »
Entretien avec le directeur d’une radio indépendant du Ford-Est de la France
L’augmentation des taux de rotation constitue une évolution générale depuis plusieurs
dizaines d’années : à la fin de l’année 1994, l’entrée en playlist par NRJ du premier succès de
Scatman John avec un taux de rotation de six passages quotidiens faisait figure de fait
rarissime. Aujourd’hui, les programmateurs de NRJ n’hésitent plus à diffuser les plus grands
« hits » du moment à un rythme pouvant aller jusqu’à dix-huit passages jour. Malgré cette
évolution générale il convient de remarquer que les taux de rotation sont susceptibles de
varier considérablement d’une station à une autre. Les radios positionnées sur des formats
adultes ont ainsi tendance à pratiquer des taux de rotation plus faibles tandis que les radios
destinées à des publics plus jeunes proposent des programmes beaucoup plus répétitifs. Ces
pratiques sont en cohérence avec la durée d’écoute habituellement plus longue pour les radios
adultes que pour les radios jeunes. Dans une étude consacrée aux radios musicales
américaines, Rossman (2003) constate, par ailleurs, que les radios détenues par de grands
groupes de communication (Clearchannel, Emmis Communication) ont tendance à pratiquer
des taux de rotation plus élevés que les stations indépendantes.
La recherche musicale
Comme l’explique Turner (1993), l’instinct du programmateur a progressivement laissé place
à des méthodes supposées plus « objectives » pour élaborer la playlist. Des instruments de
« recherche musicale » ont ainsi été développés pour « minimiser les risques en évitant
l’innovation » (Ahlkvist et Fisher, 2000, p.304). Deux outils sont particulièrement utilisées :
l’auditorium et le « call-out » (Ahlkvist et Faulkner, 2002).
L’auditorium consiste à rassembler des auditeurs pour leur faire évaluer les différents
éléments qui composent le programme (Ahlkvist et Fisher, 2000). Passionné de radio, Marc
Fisher (2007, pp.271-272) nous plonge dans l’ambiance d’un auditorium.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
183
« Une cinquantaine de personnes avaient pris place autour de tables sur lesquelles on retrouvait des sucreries, des bouteilles de Coca-Cola, des Brownies et de petits boitiers noirs électroniques sur lesquelles on pouvait lire l’inscription “Analyseur de perception”. Il n’y avait ni DJ, ni directeur de la programmation dans la salle. Ces cinquante personnes, recrutées par téléphone et sélectionnées parce qu’elles étaient représentatives de l’audience de la station sur des critères de sexe, d’âge, d’appartenance ethnique et de préférences musicales allaient définir la playlist de WBIG, la station « senior » du district de Washington. Ces personnes étaient payées 65 dollars pour cette séance qui allait durer deux heures trente. Elles allaient passer deux heures à écouter des sept-cent clips sonores, de sept secondes chacun, tirés des titres les plus populaires de leur jeunesse et de leur vie d’adulte. Elles ne savaient pas quelle station avait financé l’opération… mais la plupart d’entre elles s’en douteraient assez vite. Elles allaient entendre les Beatles et Carly Simon, les Supremes, Fleetwood Mac, Elvis, Abba, encore les Beatles, à nouveau des productions Mottown. Extrait sonore après extrait sonore, jusqu’à ce qu’elles aient l’impression d’avoir écouté tous les disques jamais enregistrés. Elles seraient probablement surprises de reconnaitre la plupart de ces chansons à partir d’extraits aussi courts. A l’aide de leur boîtier individuel, on leur demanderait d’attribuer une note, comprise entre zéro et cent, afin d’indiquer si elles souhaiteraient entendre la chanson à la radio ou si l’écoute de cette dernière les feraient immédiatement zapper. Les câbles des ordinateurs auxquels étaient reliés les boîtiers disparaissaient sous une cloison séparant la salle de réunion d’une autre pièce. Une autre pièce dont la porte était fermée. Une autre pièce dans laquelle les dirigeants de WBIG, assis, dégustaient des club-sandwichs en scrutant l’écran géant sur lequel apparaissaient les résultats en temps réel. »
D’après Fisher (2007, pp.271-272)
Reproduits auprès de différents groupes, les « auditos » sont souvent pratiqués une fois par an
par les stations musicales. Ils permettent surtout de définir la base de « golds ». Si certains
titres, comme ceux appartenant au répertoire des Beatles, constituent des classiques
incontournables, les choix peuvent s’avérer plus difficiles lorsqu’il s’agit de sélectionner des
titres moins connus. Le recours aux « auditos » permet ainsi de trier le bon grain de l’ivraie.
Marc Fisher (2007) révèle que lors de sa campagne électorale de 1992, Bill Clinton a pris soin
de faire tester différents hymnes de campagne possibles. Le candidat démocrate a ensuite
adopté une chanson du groupe Fleetwood Mac intitulée « Don’t Stop Thinking About
Tomorrow » dont les résultats aux tests se sont avérés meilleurs que ceux obtenus par
n’importe quel autre titre (à l’exception des chansons des Beatles).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
184
Signe des temps, Hillary Clinton, avant de solliciter les suffrages des sympathisants
démocrates lors des primaires de 2008 a adopté une autre méthodologie en demandant aux
internautes de choisir parmi une dizaine d’hymnes de campagne potentiels, tous pré-
sélectionnés par des consultants. A l’issu d’une opération très médiatisée, c’est finalement la
chanson « You and I » de Céline Dion qui a été retenue.
Introduits en France au début des années quatre vingt-dix, le « call-out » procède de la même
logique que l’auditorium. Différence notoire, il s’agit d’une enquête réalisée par téléphone sur
un panel d’auditeurs représentatifs du public de la station. Après avoir écouté un court extrait
musical, le sondé doit répondre à une série de questions visant à évaluer la notoriété du titre,
l’engouement ou la lassitude qu’il suscite chez les auditeurs, etc. Dans une interview télévisée
accordée en 1993 à l’émission « Radio Mag » de MCM, Jean-Eric Valli, alors président de la
station orléanaise Vibration, précise son utilisation de ces tests :
« Ça nous apporte des informations sur certains morceaux de musique qu’on passe depuis longtemps et pour lesquels on ne sait plus vraiment si l’auditeur les aime ou pas. En revanche, ça ne nous sert pas du tout sur les nouveautés, sur euh… C’est à nous d’investir en quelques sortes. De faire un pari, de voir si ça plait aux auditeurs, de jouer un morceau si ça leur plait, de le retirer si ça ne leur plait pas. Mais ça nous donne des informations… par exemple une info toute simple, c’est de savoir quand les gens en ont marre d’entendre un morceau. Fous, en temps qu’animateurs de radio, on entend le morceau toute la journée… donc on en a très vite marre. L’auditeur écoute deux ou trois heures par jour, par séquences de vingt minutes… il en a peut être marre lui au bout de trois mois. »
Source : « Reportage consacré à Vibration (Orléans) », Radio Mag, MCM, 1993.
Très onéreux, ces outils ont longtemps été réservés aux stations appartenant à des grands
groupes médias qui pouvaient ainsi réaliser des économies d’échelles (Ahlkvist et Faulkner,
2002). Comme le relate Tristan Jurgensen, directeur de Médiapanel sur le site d’information
professionnelle « RadioActu », certains d’entre eux ont d’ailleurs fait le choix de réaliser ces
enquêtes en interne. C’est par exemple le cas du pôle radio France du groupe RTL.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
185
« Mediapanel a été créée dès 1997 par Axel Duroux, alors patron de RTL2, pour réaliser premières études musicales de cette radio. En 1998, les équipes de Fun Radio et RTL2 ont été rapprochées et les services de Mediapanel ont été étendus à l’antenne de Fun Radio, avec – en plus des activités de recherche initiales – la création d’une unité d’études qualitatives pour travailler sur le contenu des matinales et des libre-antennes. Forte de cette expérience sur les deux radios musicales du groupe, Médiapanel est devenue à partir de 2001, une filiale étude à part entière : l’élargissement de ses services à RTL et la construction d’un terrain d’appels interne d’une vingtaine de positions lui ont permis d’acquérir l’autonomie, l’expérience et la réactivité nécessaire à son développement. »
Source : « Mediapanel – Entretien avec Tristan Jurgensen, directeur exécutif », RadioActu, 25 juillet 2006
En France, ces outils deviennent de plus en plus utilisés par les stations locales qui n’hésitent
plus à s’associer afin de mutualiser les coûts.
Une information partagée
Si les programmateurs des réseaux nationaux les plus importants peuvent parfois être associés
au développement de certains artistes, l’essentiel des disques est envoyé par les attachés de
presse des labels. Chaque jour, les programmateurs reçoivent ainsi des envois promotionnels
émanant des maisons de disques. Ces colis contiennent des disques qui, souvent, ne sont pas
encore sortis dans le commerce (certains d’entre eux ne sortiront jamais).
« C’est les maisons de disques qui envoient les disques. Elles signent les disques, les envoient aux radios, et si le titre marche, elles le mettent en vente… si le titre ne marche pas, elles le mettent à la poubelle. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio musicale indépendante
Les radios locales se sont souvent plaintes de ne pas avoir accès aux mêmes titres que les
grands réseaux nationaux. Depuis 2004, le syndicat national des éditeurs phonographiques
(SNEP) a mis en place le dispositif Tite-Live (également connu sous le nom de « Music
Center ») qui permet aux médias d’avoir accès à la quasi-totalité des catalogues via Internet.
Les radios, nationales comme locales, peuvent ainsi avoir accès à un vaste catalogue en
version numérique.
Pour construire leur « playlist », les programmateurs musicaux des radios ont souvent les
yeux rivés sur le classement des meilleures ventes de disques. Cette information est partagée
par l’ensemble des acteurs du secteur (Anand et Peterson, 2000). Etablis en France par
l’institut Ifop, les classements de ventes d’albums, de singles et de compilations sont mis en
ligne le mardi soir sur Internet. Ils sont repris par l’hebdomadaire « Musique Info Hebdo »,
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
186
principal titre de la presse professionnelle, tous les vendredis. Les classements des meilleures
ventes ne constituent cependant par l’unique source d’information utilisée par les
programmateurs. Ceux-ci peuvent en effet consulter le classement des titres les plus diffusés
en radio (« Airplay ») réalisé en France par la société Yacast, les critiques de la presse
musicale nationale et internationale, les argumentaires émanant des attachés de presse, etc.
Encadré 5
Yacast : Un partenaire incontournable de l’industrie radiophonique
Créée en 2000, la société Yacast est aujourd’hui un partenaire incontournable des acteurs de
l’industrie radiophonique. Spécialisée dans la fourniture d’études musicales et publicitaires,
elle a développé une technologie de reconnaissance informatique d’extraits sonores et visuels.
36 radios ont donc été « mises sur écoute » par l’entreprise qui réalise la « pige » musicale et
publicitaire (annexe 3). Le panel comprend également les principales chaînes de télévision
généralistes et musicales.
Les services de l’entreprise sont utilisés par l’autorité de régulation pour veiller au strict
respect des obligations de diffusion de quotas de chansons francophones et de nouveaux
talents par les radios ou par les annonceurs qui souhaitent obtenir des informations relatives
aux investissement publicitaires réalisés sur chaque média.
Ils sont également utilisés par l’industrie musicale pour suivre les diffusions musicales sur les
radios et télévisions. Depuis 2001, le classement Muzicast est réalisé sur la base des
diffusions musicales en radio pour le compte du Syndicat National des Editeurs
Phonographiques (SNEP). Il tient compte de l’audience des stations du panel.
Les radios abonnées au service Yacast peuvent également consulter la liste des titres diffusés
sur les radios concurrentes. Dans le cadre d’une diversification de ses activités, l’entreprise
propose aujourd’hui aux radios de diffuser leurs programmes sur Internet. La technologie de
reconnaissance musicale est, par ailleurs, au cœur d’un service permettant aux utilisateurs de
téléphones mobiles de télécharger en direct la sonnerie correspondant au titre diffusé sur leur
radio préférée.
Source : « Les écrans inspirent encore les Start-up », L’Expansion, mars 2006.
Des contraintes légales
Enjeu culturel, la programmation musicale a souvent été au cœur du débat politique. Dès les
années soixante, les producteurs s’inquiètent du recul de la chanson française dans les
programmes radiophoniques et appellent les pouvoir publiques à engager une réflexion afin
de garantir la diversité musicale (Brochand, 2006). Le 1er février 1994, l’amendement Pelchat,
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
187
voté par l’assemblée nationale dans le cadre de la discussion autour de la loi Carignon,
impose un quota de 40% de chansons françaises entre 6h30 et 22h30. La moitié des diffusions
doit alors être réservée à de jeunes talents79. Appliquée dès le 1er janvier 1996, cette loi est
dans un premier temps dénoncée par les grandes radios musicales dont le succès est avant tout
fondé sur la diffusion de disques anglo-saxons. Des aménagements sont ensuite prévus par le
législateur (loi du premier août 2000) afin de permettre à certaines stations de déroger au
régime général. Les radios jeunes peuvent ainsi diffuser 35% de titres francophones dont 25%
de nouveaux talents ; les radios spécialisées dans la « mise en valeur du patrimoine musical »
peuvent quant à elle diffuser 60% de titres francophones dont 10% de nouvelles productions
avec au minimum un titre par heure en moyenne. Depuis 1996, le CSA adresse régulièrement
des mises en demeure pouvant déboucher sur des sanctions financières aux radios ne
respectant pas les quotas de diffusion d’œuvres francophones80.
Les développements qui précèdent permettent de dresser un panorama relativement complet
du champ d’étude retenu. Nous allons voir qu’il constitue un bon point d’observation pour
une étude qui, comme la nôtre, est consacrée aux phénomènes d’imitation concurrentielle.
d) Moutonnières les radios musicales ?
La porosité des formats musicaux a été évoquée plus haut : en 2003, 19 des 31 radios étudiées
par l’Observatoire de la Musique avaient en commun au moins 50% de leur playlist. Pour
expliquer cette convergence, on pourra se référer aux travaux de chercheurs américains qui
empruntent aux néo-institutionnalistes DiMaggio et Powell (1983, 1991) le concept
d’isomorphisme institutionnel. Il s’agit alors de montrer qu’en situation de forte incertitude,
l’utilisation des mêmes outils (la recherche musicale par exemple), la mobilisation des mêmes
consultants et des mêmes sources d’information (la presse professionnelle et « l’Airplay »
notamment) constituent des sources d’isomorphisme (Berland, 1993 ; Rothenbuhler, 1985 ;
Turner, 1993). Les contraintes environnementales, la réglementation en matière de diffusion
de quotas de chansons françaises ou l’effort de promotion entrepris par les maisons de
disques, constituent également des éléments d’explication possibles des similitudes de
programmation entre les radios.
79 Loi du 30 septembre 1986 modifiée. Lettre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel n°113, 1999. Un « nouveau talent » est un artiste ayant entamé sa carrière après 1974 et n’ayant pas encore obtenu deux disques d’or sur deux albums distincts. 80 Ces décisions sont publiées au Journal Officiel et sur le site Internet du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (www.csa.fr).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
188
Les professionnels français de la radio ont souvent invoqué une autre raison, plus proche de la
thématique de la recherche, en dénonçant les tendances mimétiques de leurs concurrents.
Cette controverse prend d’autant plus de sens que des phénomènes d’imitation ont déjà été
notifiés chez les radios américaines (Greve, 1995, 1996, 1998 ; Schnaars, 1994). Comme le
relèvent Ahlkvist et Fisher (2000), l’imitation est extrêmement courante dans l’industrie des
médias. Sous couvert de « nothing succeeds like success » (Ahlkvist et Fisher, 2000, p.304),
les programmateurs de télévision, eux aussi, s’inspirent souvent de ce qui a été expérimenté
par les concurrents (Bielby et Bielby, 1994). Des comportements similaires ont été observés
chez les journalistes (Gans, 1979 [2004 ; Sigal, 1973). Interrogeant des reporters sur leur
manière de décider des sujets à couvrir, le chercheur Thimothy Cook (2005, p.79) s’était ainsi
vu répondre : « Tu commences avec une idée d’histoire pour la journée… en regardant dans
le Washington Post, dans le Few York Times, dans le Washington Times, ou dans USA Today.
Je dois lire cinq journaux par jour. Je reçois le Post à la maison et c’est la première chose
que je lis… donc ça me permet de savoir ce qui fera la une du jour. »81
Une polémique
Le service proposé par la société Yacast, qui permet aux managers de connaître la liste
exhaustive des disques diffusés sur l’antenne de leurs concurrents, a souvent été désigné par
les grandes radios musicales comme un instrument facilitant le parasitisme. Ainsi, en février
2004, NRJ (alors première radio musicale de France en nombre d’auditeurs quotidiens)
dénonçait dans un communiqué de presse « le clônage de sa programmation » opéré par
certaines radios locales et appelait les pouvoirs publics à engager une réflexion « afin que les
instruments mis en place pour mesurer la diversité musicale ne deviennent pas, par la
livraison à tout le marché de données qui relèvent du secret de fabrication, un instrument
d’appauvrissement du pluralisme musical. »
Des affirmations dénoncées par les stations locales qui expliquaient, chiffres à l’appui que «
les deux-tiers des 18 radios indépendantes du panel Yacast présentent une programmation
musicale originale par rapport à FRJ, pour la moitié ou plus de leurs diffusions musicales du
semestre » avant de conclure de façon laconique : « Les accusations de FRJ sont pour le
81 “You start out with an idea of the story of the day… by looking at the Washington Post, the Few York Times, the Wall Street Journal, the Washington Times, USA Today. I guess I read five papers every day. I get the Post at home and it’s the first thing I see, soi t shapes my impressions of what might be the flow of news today.” (Cook, 2005, p.79)
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
189
moins affectées d’une sérieuse « marge d’erreur »82. Plus récemment83, Frédéric Pau, alors
directeur des programmes de NRJ revendiquait sa posture d’innovateur en affirmant «
démarrer de nombreux jeunes artistes ».
Quelques éléments explicatifs
Plusieurs caractéristiques propres aux décisions de programmation musicale permettent
d’expliquer la récurrence de l’imitation concurrentielle dans le champ opératoire étudié : la
réversibilité des actions, leur faible intensité et leur spécificité.
Nous allons utiliser la grille proposée par Bensebaa (2000) dans le cadre d’un article consacré
aux concepts d’actions et de réactions stratégiques pour les mettre en évidence. Le chercheur
attire notre attention sur quatre caractéristiques des actions stratégiques influant sur une
possible imitation par des concurrents : irréversibilité, spécificité, innovation, et intensité. Ces
quatre caractéristiques et leurs effets sur l’imitation concurrentielle sont détaillés dans le
tableau suivant.
Tableau 5
Caractéristiques des actions stratégiques et imitation
Définition Impact sur l’imitation
Irréversibilité de l’action Les actions engagées ont un coût élevé et sont irréversibles.
Imitation faible
Intensité de l’action Les actions sont perçues par les concurrents comme menaçantes.
Imitation faible
Spécificité de l’action Les actions font partie du « répertoire habituel » des firmes présentes dans le secteur. Les concurrents peuvent les comprendre facilement.
Imitation forte
Caractère innovant
de l’action
L’action exploite l’incertitude en introduisant une nouvelle variable dans le jeu de la concurrence.
Imitation forte
D’après Bensebaa (2000)
De par leur coût minime, les décisions de programmation musicale peuvent être considérées
comme réversibles. Elles font, par ailleurs, partie de l’activité habituelle d’une radio musicale
et pourront être facilement comprises et interprétées par les concurrents. En ce sens, elles
pourront être considérées comme fortement spécifiques. 82 12 février 2004, Communiqué de Presse du SIRTI, « Les chiffres démentent les accusations de NRJ » 83 Musique Info Hebdo daté du 21 septembre 2007.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
190
Prise de façon isolée, il est peu probable qu’une décision d’entrée en « playlist » puisse se
traduire par une remise en cause significative des positions concurrentielles dans le secteur.
L’intensité des décisions de programmation étudiées dans cette recherche peut donc être
présumée faible. Sans trancher, a priori, sur le caractère innovant d’une décision de
programmation, il semble raisonnable d’avancer que la réversibilité, la spécificité et la faible
intensité des actions étudiées seront de nature à faciliter leur imitation. Une autre
caractéristique, propre à toutes les activités de médias peut également expliquer la fréquence
de l’imitation concurrentielle dans les décisions de programmation musicale : l’activité d’un
média rend particulièrement observable les choix réalisés dans l’organisation par ses
concurrents ce qui facilite l’imitation (Greve, 1998).
La première partie de ce chapitre nous a permis de présenter notre champ d’étude : les radios
musicales françaises et leurs programmateurs. Comme nous allons le voir, ce champ d’étude a
fortement influencé les choix méthodologiques qui ont été réalisés pour mener à bien notre
étude empirique. La section qui va suivre leur est consacrée.
2. METHODES DE RECHERCHE
En dépit de son faible poids économique, le secteur étudié semble être particulièrement
pertinent dans la perspective d’une recherche consacrée à l’imitation concurrentielle. Afin
d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs et d’analyser la façon
dont elles contribuent à la stratégie des radios musicales, nous avons déployé une
méthodologie qualitative. Cette section nous permettra de faire le point sur les orientations
méthodologiques de la recherche. Avant de les présenter dans le détail, les quelques éléments
qui vont suivre nous permettrons de préciser l’unité d’analyse retenue dans cette recherche.
Unité d’analyse de la recherche
Nous avons ici décidé de nous focaliser sur un aspect de la stratégie des radios musicales : les
décisions d’entrées en « playlist » réalisées par les programmateurs. Intimement liées au
format, les décisions de programmation constituent le principal élément qui influe sur le
positionnement concurrentiel des radios musicales. Certains pourraient s’étonner de voir
abordée la thématique de l’imitation concurrentielle au travers de « si petites décisions ». Si,
prises isolément, les décisions de programmation musicale ne peuvent prétendre au
qualificatif de stratégique, ces dernières, lorsqu’elles sont appréhendées de façon globale,
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
191
concourent à la définition du format musical et donc du positionnement concurrentiel de
chaque station. Elles entrent donc, à notre sens, dans le champ du management stratégique.
Les décisions d’entrées en « playlist », de par leur observabilité, leur fréquence et leur
réversibilité, sont facilement imitables (et comme nous le verrons, souvent imitées) par les
concurrents. Deux éléments supplémentaires nous ont conduits à nous intéresser à ces
décisions. D’une part, elles sont facilement comparables d’une organisation à une autre et
permettent à un observateur extérieur d’identifier assez facilement les comportements
mimétiques (à la différence des autres éléments du programme qui peuvent être partiellement
imités et partiellement adaptés). Elles sont, d’autre part, directement imputables à un acteur, le
programmateur.
Organisation de la section méthodologique
Cette section, qui précède les chapitres de restitution des résultats, permettra de présenter et
de justifier les orientations méthodologiques de la recherche. Nous insisterons sur la
cohérence méthodologique que nous avons essayé de donner à ce travail.
Définie par Richard et Morse (2007) comme l’alignement entre la stratégie de recherche, les
orientations guidant la collecte des données et celles qui guident leur analyse, la notion de
cohérence méthodologique invite le chercheur à penser globalement son projet de recherche.
« Les mêmes données – nous expliquent les deux auteurs (Richards et Morse, 2007, p.35) –
pourront être interprétées différemment par des chercheurs n’utilisant pas les mêmes
méthodes, et des techniques d’analyses similaires (le codage par exemple) employées par des
chercheurs ne s’inscrivant pas dans la même perspective pourront aboutir à des résultats très
différents parce que chaque chercheur a sa propre manière de penser. »84
84 “The same sorts of data will be interpreted differently by researchers using different methods, and similar data analysis techniques (e.g. coding) employed by researchers using different methods will have quite different analytic results, because each researcher is thinking a different way.”
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
192
Schéma 11
Cohérence méthodologique
La section 2.1 nous permettra de présenter notre stratégie de recherche : celle-ci consiste en
une démarche abductive s’inscrivant, d’une part dans le courant de la stratégie en pratiques
(Chanal, 2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski, 2004, 2005 ; Jarzabkowski et Spee, 2009 ;
Jarzabkowski et al., 2007 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al., 2007 ; Whittington, 2002,
2006) et mobilisant, d’autre part, les techniques et les procédures de la théorie enracinée
(Richards, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004).
La section 2.2 reviendra sur la collecte des données. Comme nous le verrons, plusieurs types
de sources ont constitué le corpus de la recherche. Au-delà des entretiens semi directifs
(Demers, 2003 ; Romelaer, 2005) que nous avons réalisés auprès des programmateurs, des
interviews ont été menées avec des observateurs privilégiés du secteur. Pour collecter ces
données, nous avons essayé de tenir compte des spécificités du champ étudié. Ces données
déclaratives sont complétées par l’utilisation de données secondaires et par des contacts plus
informels avec les professionnels du secteur.
La section 2.3 sera, quant à elle, consacrée au processus d’analyse des données. Une analyse
thématique du corpus a été pratiquée à l’aide du logiciel NVivo 8. Le codage que nous avons
réalisé s’est déroulé en plusieurs phases (codage signalétique, codage descriptif, codage
analytique) qui marquent une progression dans l’abstraction et la conceptualisation. Une fois
l’analyse achevée, un double codage a été réalisé afin de garantir la fiabilité du processus.
Stratégie de recherche
(section 2.1)
Analyse des données
(section 2.3)
Collecte des données
(section 2.2)
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
193
2.1. STRATEGIE DE RECHERCHE
Notre stratégie de recherche se caractérise par son positionnement dans le courant de la
stratégie en pratiques (Chanal, 2009 ; Golsorkhi, 2006a ; Jarzabkowski, 2004, 2005 ;
Jarzabkowski et Spee, 2009 ; Jarzabkowski et al., 2007 ; Johnson et al., 2003 ; Johnson et al.,
2007 ; Whittington, 2002, 2006). Cette orientation n’est pas sans conséquences sur les
fondements épistémologiques de notre projet. Nous partageons l’idée, développée par
Johnson, Langley, Melin et Whittington (2007) que les méthodologies qualitatives sont plus
adaptées que des approches quantitatives fondées sur l’utilisation de bases de données ou
l’envoi de questionnaires pour capter l’essence des pratiques stratégiques et comprendre les
raisons individuelles qui les sous-tendent.
Si la thématique générale de notre recherche, l’imitation concurrentielle, n’est pas un sujet
inexploré en Sciences de Gestion, l’orientation « par la pratique » que nous avons souhaité
donner à ce travail marque une rupture importante par rapport à la littérature existante. Sans
nous couper des travaux antérieurs (nous avons fait le choix d’une démarche abductive), il
nous a donc semblé indispensable de nous ouvrir très largement aux préoccupations
quotidiennes des programmateurs radio afin de comprendre leurs pratiques d’imitation
concurrentielle. Notre volonté de laisser émerger des idées et des concepts du terrain nous a
amenés à faire le choix d’une démarche de recherche inspirée de la théorie enracinée.
La théorie enracinée nécessite la mise en œuvre d’un très long processus de collecte des
données et conduit à réaliser une analyse minutieuse de ces dernières. Malgré sa lourdeur,
cette démarche nous a semblé constituer un passage obligé dans notre étude des pratiques
d’imitation concurrentielle.
a) Une approche tournée vers les pratiques
Les raisons qui nous ont amené à étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle sous
l’angle des pratiques et des raisons individuelles qui les sous-tendent ont largement été
développées dans les chapitres qui précèdent. Cette démarche qui consiste à étudier la
stratégie au travers de ce que « les gens font » (Whittington, 2006, p.627) et ambitionne
d’apporter des micro fondations à des théories plus agrégées (Golsorkhi, 2006b) est celle du
courant de la stratégie en pratiques.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
194
Les fondements épistémologiques de la stratégie en pratiques
Les présupposés épistémologiques de l’approche par les pratiques ont longtemps été occultés
par l’objet d’étude original qu’elle proposait. Selon Chia et MacKay (2007), ce courant de
recherche obéit pourtant à quatre grands piliers.
(1) La stratégie en pratiques considère d’abord que toutes les pratiques sont réductibles
aux actions des acteurs stratégiques dont ils sont supposés être les initiateurs. Le choix
d’un niveau d’analyse « microscopique » constitue un des traits caractéristiques de
cette approche, par opposition aux niveaux d’analyses plus agrégés adoptés dans des
recherches centrées sur des populations d’organisations (niveau méso-économique) ou
dans des recherches consacrées au contenu de la stratégie. Chia et MacKay (2007),
voient dans l’emphase donnée aux individus, à leurs pratiques et aux régularités qui en
découlent l’héritage de l’individualisme méthodologique.
(2) Le niveau microscopique qui est adopté ne doit pas conduire à un traitement asocialisé
et décontextualisé des pratiques d’imitation concurrentielle. Il s’agira ainsi de
valoriser aussi bien l’individu qui pratique, que l’environnement social,
organisationnel et inter-organisationnel, de cette pratique (Gomez, 2006) : les
praticiens de la stratégie seront alors observés comme des individus sociaux,
interagissant dans un contexte où se fabrique la stratégie. Si les pratiques sont le
produit des individus, elles les dépassent car elles sont socialement, culturellement et
institutionnellement enracinées (idée de trans-individualité).
(3) On trouve également dans l’orientation « stratégie en pratiques » l'idée que le monde
social est explicite et peut être décrit, de façon relativement stable, par des catégories,
des concepts, des représentations s'appuyant souvent sur des données qualitatives.
(4) Les chercheurs se revendiquant de ce courant de recherche ont, enfin, tendance à
considérer que l’action humaine (et donc la stratégie) procède d’une intentionnalité
(même si certains éléments de la stratégie peuvent échapper aux acteurs). Une
conception « cartésienne » qui n’implique pas que les décisions stratégiques soient
forcément rationnelles, au sens de la théorie néo-classique, mais qui postule que des
rationalités sont à l’œuvre dans la formulation de la stratégie.
Une mise en pratique… de la stratégie en pratiques
Le tableau suivant montre comment ces quatre principes, identifiés par Chia et MacKay mais
imprégnant l’ensemble des travaux s’inscrivant dans l’école de la « stratégie en pratiques »,
ont été intégrés à la présente recherche.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
195
Tableau 6
Les fondements de la stratégie en pratiques dans la recherche
Principe Application à la recherche
>iveau d’analyse microscopique Etude des programmateurs et de leurs décisions d’entrée en playlist pour mieux comprendre l’imitation concurrentielle
Contextualisation des pratiques Importance donnée au contexte (question de recherche n°1 - chapitre 5)
Potentiel explicatif des catégories conceptuelles Construction de concepts sur la base des données de terrain et de la littérature existante (stratégie hybride)
Intentionnalité des décisions stratégiques Rôle clé du programmateur. Choix d’étudier l’imitation plutôt que le mimétisme. Postulat d’individualisme et de rationalité.
b) Une démarche inspirée de la théorie enracinée
Les recherches s’inscrivant dans le champ de la « stratégie en pratiques » mobilisent de façon
quasi-systématique des méthodologies qualitatives (Johnson et al., 2007). Elles s’appuient
fréquemment sur les méthodes et les procédures de la théorie enracinée (pour un exemple
récent, voir Jarzabkowski et Seidl, 2008). Au fil des contributions empiriques successives, la
théorie enracinée semble être devenue le compagnon méthodologique privilégié de la
« stratégie en pratiques ».
Afin d’appréhender la façon dont les professionnels de la radio « pratiquent » l’imitation
concurrentielle aux travers de leurs décisions de programmation, une démarche inspirée de la
théorie enracinée a été adoptée.
La théorie enracinée : un bref aperçu
Développée à la fin des années soixante par Barney Glaser et Anslem Strauss, la théorie
enracinée est née d’une quadruple ambition (Charmaz, 2000 ; Kelle, 2005) : (1) Rompre avec
la division artificielle opposant théorie et recherche de terrain ; (2) dépasser la vision selon
laquelle les recherches qualitatives seraient moins « rigoureuses » que les recherches de type
quantitatif en détaillant des méthodes et des procédures d’analyses qui n’avaient jusqu’à lors
jamais été formalisées ; (3) envisager la collecte et l’analyse des données comme des
processus simultanés et inter-reliés ; (4) permettre aux recherches qualitatives de sortir de la
simple description en proposant des méthodes à même de faciliter la conceptualisation,
l’élaboration de théories qui dérivent des données.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
196
Emprunté à Royer et Zarlowski (2003), le tableau qui suit propose une comparaison de la
démarche de la théorie enracinée à deux autres démarches possibles (l’expérimentation et
l’ethnographie).
Tableau 7
Présentation de quelques démarches de recherche
Démarche Expérimentation Ethnographie Théorie enracinée
Objectif principal de la
recherche
Tester des relations causales Décrire, expliquer ou comprendre un phénomène social particulier dans son environnement naturel
Elaborer une théorie explicative d’un phénomène social en se fondant sur la mise en évidence de régularités
Mise en œuvre de la
démarche
Test d’hypothèses, souvent effectué en laboratoire, sur des petits échantillons homogènes
Analyse d’un cas en profondeur
Etudes de cas multiples
Collecte des données (voir
Royer et Zarlowski, 2003)
Dispositif strictement contrôlé de recueil des données qui se concrétise par un plan d’expérience dans lequel les facteurs explicatifs varient, les autres restant constants, de manière à isoler leur impact sur la variable dépendante.
Processus flexible où la problématique et les informations collectées peuvent évoluer
Méthode principale : observation continue du phénomène dans son contexte.
Méthode secondaire : tout type.
Processus itératif avec des allers-retours entre les données, les analyses et les théories.
Méthodes utilisées : entretiens ainsi que tout autre type de méthode, notamment exploitation de sources documentaires, observation.
Analyse Analyse quantitative notamment analyse de variance.
Analyse qualitative essentiellement.
Analyse qualitative avec possibilité d’utiliser des analyses quantitatives de manière complémentaire.
Références Campbel et Stanley (1966) Cook et Campbell (1979) Spector (1981)
Atkinson et Hammersley (1994) Jorgensen (1989) Van Maanen (1983) Reeves Sanday (1983)
Glaser et Strauss (1967) Strauss et Corbin (1990, 1994)
D’après Royer et Zarlowski (2003, p.143)
De l’abduction en théorie enracinée
En suivant Kelle (2005) et Blaikie (2007), il convient ici de préciser qu’en insistant sur le
caractère abductif de la démarche, la description qui est faite de la théorie enracinée renvoie
davantage aux écrits les plus récents Strauss et Corbin qu’aux travaux fondateurs de Glaser et
Strauss. Ces derniers préconisaient, en effet, une démarche résolument tournée vers
l’induction en proposant de mettre la littérature existante de côté afin de « s’assurer que
l’émergence des catégories ne soit pas contaminée » (Glaser et Strauss, 1967, p.37).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
197
La question de savoir s’il fallait mener, ou non, une revue de la littérature avant de réaliser le
travail de terrain a donné lieu à une vive controverse entre les deux pères de la théorie
enracinée dans les années quatre-vingt dix, Glaser (1992) défendant, dans un ouvrage au ton
polémique, la ligne originelle inductiviste en utilisant l’argument de la contamination (Kelle,
2005). A la suite de Charmaz (2000), on pourra considérer ces deux positions comme
complémentaires : les techniques et les procédures d’analyse proposées par Strauss et Corbin
(2004 ; 1990) ne devant pas exonérer le chercheur des mises en garde de Glaser (1992) qui
insiste sur la nécessaire interaction avec les données et incite ses lecteurs à ne pas chercher à
faire entrer « de force » les données dans des catégories préexistantes. Au-delà des querelles
propres au champ de la théorie enracinée, tous les auteurs s’accordent sur le fait que ce sont
bien la créativité, l’ouverture d’esprit et l’imagination qui doivent guider le chercheur
lorsqu’il analyse des données.
Se pose alors une question pratique bien connue des chercheurs qualitativistes lorsqu’ils
doivent analyser leurs données : Faut-il analyser les données en fonction d’une grille
théorique prédéfinie ou partir du terrain ? Dans notre recherche, nous avons cherché à
produire une grille d’analyse développée à partir des données et reprenant les thématiques les
plus pertinentes par rapport à la question des pratiques d’imitation concurrentielle. Du cadre
d’analyse que nous avons présenté précédemment, nous avons retenu l’idée qu’il existait
plusieurs raisons individuelles susceptibles d’être à l’origine des comportements d’imitation
(dichotomie rationalité évaluative, rationalité instrumentale) et qu’il convenait de s’intéresser
au contexte d’incertitude afin de les comprendre. A l’intérieur de ce cadre, nous avons tenté
de faire émerger les principaux concepts des données. Théorie et données ont donc joué, dans
notre recherche, des rôles complémentaires.
Une approche réaliste
Comme le remarque Charmaz (2000, p.514), « la plupart des chercheurs en théorie enracinée
font comme si leurs données avaient un statut objectif. Strauss et Corbin évoquent la “réalité
des données” et nous expliquent que “les données ne mentent pas” ». Cette approche,
qualifiée par Silverman (2000) de « réaliste » s’oppose aux approches « narratives » en ce
qu’elle appréhende les données comme un point d’entrée dans une réalité extérieure au
chercheur. Selon Kelle (2005, p.2) cette conception constituait déjà une des racines du
positivisme :
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
198
« Lors de la naissance des sciences naturelles modernes aux XVIIe et XVIIIe siècles, les tous premiers empiristes, comme Bacon et Locke étaient persuadés que les théories légitimes étaient celles qui dérivaient de données observables. »
A la critique « d’empirisme naïf », les tenants de la théorie enracinée objectent que
l’utilisation de plusieurs sources de données et d’interviews réalisées avec plusieurs types de
répondants permet la confrontation des perspectives. Par ailleurs, la comparaison et
l’échantillonnage théorique (Glaser, 1978 ; Glaser et Strauss, 1967) qui constituent des
procédures fondamentales de la théorie enracinée offrent au chercheur la possibilité de
s’abstraire de ses données afin de construire une « théorie » ne se limitant pas à une simple
description des données (Glaser, 2002). Les techniques et les outils les plus formels, tels que
le codage axial et le codage sélectif (Strauss et Corbin, 2004 ; Strauss, 1987 ; Strauss et
Corbin, 1990) permettent, en outre, de formaliser la démarche d’analyse afin d’en assurer la
reproductibilité85. Ces techniques et outils, qui seront mis en œuvre dans le cadre de cette
recherche, seront exposés plus loin.
Une approche interprétativiste ?
Sans remettre en cause les éléments qui précèdent, certains chercheurs en Sciences de Gestion
mobilisant la théorie enracinée revendiquent parfois une affiliation au paradigme
interprétativiste pour attester, à la suite de Walsham (1995), du caractère socialement
construit de notre connaissance de la réalité et utiliser, à la suite de Klein et Myers (1999), les
représentations des acteurs du terrain comme un point d’entrée imparfait dans cette réalité.
L’interaction entre le chercheur et les acteurs de terrain est alors décrite comme la condition
nécessaire à l’élaboration de données qui « n’attendent pas d’être récolées comme des
rochers sur le bord de la mer » (Klein et Myers, 1999, p.74).
Si la présente recherche partage certaines des préoccupations mises en exergue par Klein et
Myers pour caractériser le paradigme interprétativiste (volonté de contextualisation,
raisonnement dialogique, interaction avec les acteurs de terrain pour collecter les données,
triangulation des interprétations et vérification des déclarations des répondants) elle n’a pas
pour objet d’étude les interprétations des acteurs. Ces dernières sont supposées permettre
d’appréhender la réalité des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs radio.
85 Il convient ici de préciser que plusieurs auteurs ont, au début des années 2000, développé une conception « constructiviste » de la théorie enracinée, alternative à la convection « objective ». On pourra notamment renvoyer le lecteur au dialogue Charmaz / Glaser (Charmaz, 2000 ; Glaser, 2002).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
199
Les critères de validité propres au courant de la théorie enracinée
L’ancrage dans la théorie enracinée n’est pas sans conséquence sur les critères de validité
applicables à la recherche. Ces critères sont présentés par Strauss et Corbin et synthétisés par
Douglas (2003).
Tableau 8
Critères de validité d’une recherche en théorie enracinée
Critère Question posée
Adhérence La théorie est-elle cohérente avec le terrain (l’aire substantive au sens de Glaser) étudié ?
Intelligibilité Est-ce que des personnes extérieures au terrain peuvent comprendre la théorie élaborée ?
Possibilité de généralisation Est-ce que la théorie développée s’applique à un nombre élevé de situation dans l’aire substantive étudiée ? Plus la variété des situations étudiées est importante, plus la théorie gagne en possibilité de généralisation.
Contrôle Est-ce que la théorie permet à l’utilisateur un certain degré de contrôle sur les structures et les processus des situations quotidiennes qui évoluent dans le temps ?
Fiabilité du processus Le lecteur a-t-il suffisamment d’éléments pour savoir si les critères précédents sont remplis ? Le processus de recherche est-il cohérent ?
D’après Bandeira-de-Mello et Garreau (2008), adapté de Strauss et Corbin (2004)et Douglas (2003)
Au-delà des résultats de la recherche, les chercheurs en théorie enracinée insistent sur l’effort
de restitution du processus qui doit être opéré. Un soin particulier devra être apporté au détail
des dispositifs de collecte et d’analyse des données pour permettre au lecteur de se faire son
opinion sur la validité de la recherche qui lui est soumise. L’analyse des données faisant appel
aux capacités d’interprétation du chercheur (à sa « sensibilité théorique » pour paraphraser
Glaser), ces choix sont par nature contestables : une raison suffisante pour les mettre en
évidence et faciliter le dialogue avec ses pairs.
Au critère de fiabilité des résultats qui prévaut dans la recherche positiviste, hypothético-
déductive (et souvent quantitative), les chercheurs en théorie enracinée opposent donc une
volonté de fiabilité du processus de recherche qui n’implique pas forcément que deux
chercheurs travaillant sur le même terrain parviennent à des conclusions similaires.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
200
Synthèse 12
Points essentiels de notre stratégie de recherche
� Notre stratégie de recherche se caractérise par un double positionnement dans le courant de la stratégie en pratiques et celui de la théorie enracinée. Une méthodologie qualitative a donc été mise en œuvre.
� La recherche prend pour thématique centrale la question des pratiques d’imitation concurrentielle. Compte tenu de la rupture que représente cette orientation par rapport à la littérature existante, il nous a semblé nécessaire de faire en sorte que des concepts puissent émerger des données. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de mettre en œuvre les méthodes et les procédures de la théorie enracinée (version Strauss et Corbin).
� Nous adoptons une approche réaliste et considérons que les pratiques d’imitation concurrentielle existent et sont indépendantes des représentations du chercheur. La collecte et l’analyse des données permettront de les identifier.
� Notre stratégie d’accès au réel est abductive. La littérature nous a permis d’établir un cadre général et de préciser nos centres d’intérêts (pratiques, raisons, dichotomie entre raisons instrumentales et évaluatives, incertitude). A l’intérieur de ce cadre très général, nous avons essayé de faire émerger des concepts à partir des données.
Nous avons à présent clarifié notre stratégie de recherche. Les deux sections qui suivent
seront respectivement consacrées à la collecte (2.2) et à l’analyse (2.3) des données.
2.2. COLLECTE DES DONNEES
Un dispositif inspiré de celui préconisé par les chercheurs en théorie enraciné Strauss et
Corbin (2004) a été déployé. Cette approche appréhende la collecte et l’analyse des données
comme des processus difficilement dissociables. « A mesure que nous, chercheurs en théorie
enracinée, définissons nos catégories et développons nos construits théoriques, nous
constatons l’existence de “vides” dans nos données, et de “trous” dans nos théories. Alors,
nous retournons sur le terrain et collectons de nouvelles données pour combler ces ‘vides’ et
ces “trous” théoriques » (Charmaz, 2000, p.519). Ce processus est appelé « échantillonnage
théorique » : la collecte des données est réalisée en vue de construire une théorie. Ce n’est pas
la représentativité statistique qui est recherché mais la capacité de l’échantillon à permettre
l’établissement de comparaisonset le questionnement (Romelaer, 2005). Il s’agira donc de
rechercher une variété de situations à même de faciliter le travail de conceptualisation.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
201
Quatre grands principes ont donc guidé la collecte des données : l’intérêt des données par
rapport à la thématique de la recherche, la volonté de comparaison (nous amenant à intégrer
des certains cas atypiques), la recherche de saturation (la collecte s’est arrêtée lorsque les
données nouvellement collectées n’apportaient plus de nouveaux éléments déterminants) et un
souci de triangulation (permettant la comparaison des sources et des points de vue sur les
situations étudiées).
Résolument ancrée dans une perspective réaliste, cette recherche appréhende les pratiques
d’imitation concurrentielle comme des réalités extérieures au chercheur. La collecte des
données place donc le chercheur en situation d’observateur externe. Pour étudier la pratique
de l’imitation concurrentielle et mettre en lumière les raisons qui animent un décideur
lorsqu’il imite ce qui se fait dans une autre organisation, une population atypique a été
retenue : les programmateurs des radios musicales françaises. Les décisions étudiées ont trait
à l’entrée en programmation d’un nouveau titre.
Comme nous le verrons dans le chapitre 5, les décisions de programmation font l’objet d’une
forte incertitude : les nouveautés qui sont intégrées à la playlist sont par définition inconnues
des auditeurs même si elles peuvent être interprétées par des artistes confirmés. Parce qu’elles
sont difficilement identifiables par le public, ces nouveautés ne peuvent pas être
immédiatement testées par l’intermédiaire d’un dispositif de recherche musicale (« call-out »
ou auditorium).
« Les tests, ça ne marche pas. Tu vois le dernier single de M ? Les paroles c’est ‘Je suis M’. La voix du mec est quand même hyper identifiable. On a fait des tests… les gens n’identifient pas. Pour te dire… »
Entretien informel réalisé auprès d’un directeur artistique en major
Compte tenu du rôle central du programmateur dans les décisions étudiées et du niveau
microscopique de l’analyse, l’entretien constitue un passage quasi-obligatoire. Tenant compte
des questions liées à la validité des données, notamment à cause des biais introduits par les
répondants, des problèmes de mémoire, de rationalisation a posteriori, d’éventuelles
difficultés pour les répondants à évoquer des pratiques sujettes à controverse, il a été procédé
à une triangulation des données (Moran-Ellis, Alexander, Cronin, Dickinson, Fielding, Sleney
et Thomas, 2006).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
202
La triangulation obéit ici à un double objectif : il s’agit d’une part de corroborer les
informations recueillies auprès des programmateurs, d’autre part de compléter ces
informations en vue de pouvoir dresser un tableau plus fidèle à la réalité des pratiques
d’imitation concurrentielle. Les entretiens menés auprès des programmateurs ont donc été
complétés par des données secondaires mais aussi par des entretiens formels menés auprès
d’observateurs privilégiés du secteur (entretiens de contexte), des rencontres plus informelles
avec des professionnels de la radio ou de l’industrie musicale et des séances d’observation
informelles (visites de radios, participation à un comité d’écoute, déjeuners avec des
animateurs, etc.).
a) Entretiens réalisés auprès de programmateurs
Vingt-cinq entretiens ont tout d’abord été réalisés auprès de programmateurs dans des radios
musicales nationales et locales. D’une durée moyenne de 75 minutes, ces entretiens se sont
déroulés entre le 20 février 2004 et le 27 avril 2006. Ils ont permis de collecter des
informations relatives à plus de 250 décisions de programmation.
Echantillonnage théorique
Les radios visitées sont sélectionnées en fonction de leur pertinence par rapport à la
thématique de la recherche et non en fonction de critères visant à garantir une représentativité
statistique (Miles et Huberman, 2003 ; Romelaer, 2005 ; Strauss et Corbin, 2004). « L’idée ici
n’est pas du tout d’avoir une représentativité statistique et un échantillon complet. L’idée est
d’avoir exploré suffisamment la variété des situations. » (Romelaer, 2005, p.106).
Selon Strauss et Corbin (2004, p.241), une particularité de ce type d’échantillonnage tient à
son caractère incrémental et évolutif : « plutôt que d’être prédéterminé avant le début de la
recherche, [il] évolue durant le processus. » Les critères orientant le « casting » des
programmateurs interrogés dans le cadre de cette recherche ont donc évolué au fur et à mesure
que se dessinaient de nouvelles pistes, que certains répondants étaient recommandés par
d’autres : « dans cette forme d’échantillonnage, le choix de la prochaine source de données
est déterminé par la théorie qui est en train de prendre forme » (Gibbs, 2002, p.167).
Le panel « Yacast » (une trentaine de stations, annexe 3) a permis d’établir une première liste
de radios potentiellement intéressantes pour la recherche. Cette démarche a eu le mérite de
permettre l’identification de radios indépendantes régionales moins connues que les réseaux
nationaux.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
203
Plusieurs critères ont ensuite été utilisés pour restreindre l’échantillon. Les radios parlées et
les radios « spé »86 ont été écartées. Parmi les radios musicales, seules les stations consacrant
une part non négligeable de leur programmation musicale à des nouveautés (et pratiquant
régulièrement des entrées en playlist) ont été retenues. Les radios ne programmant que des
« golds » (telles que Nostalgie ou Mona FM à Lille) ont donc été exclues du panel.
Il a, dans un premier temps, été envisagé de compléter le panel Yacast par l’ajout de radios et
de webradios associatives. Les premières prises de contact ont fait apparaître que les
différences dans les méthodes utilisées et dans l’organisation interne de ces stations auraient
rendu les comparaisons délicates avec les radios musicales commerciales. En revanche, la
liste initiale de radio a été complétée par des stations indépendantes ne faisant pas partie du
panel Yacast (dont certaines n’étaient que très récemment entrées dans une dynamique de
professionnalisation). Ces stations ont été sélectionnées en fonction de leur proximité (en
termes de formats) avec les radios indépendantes du panel Yacast n’ayant pas souhaité
participer à la recherche.
Pour prolonger les entretiens les plus riches, certaines radios ont été visitées une deuxième
fois (notamment dans les réseaux nationaux qui sont moins nombreux que les radios locales).
Certaines radios ont également pu être visitées une seconde fois, en début et en fin de collecte
des données, lorsque la personne en charge de la programmation avait été remplacée. Les
répondants rencontrés sont les personnes chargées de décider des entrées en playlist. Selon les
stations, ils peuvent occuper la fonction de Directeur Général des Programmes, de Directeur
des Programmes, de Directeur de la Programmation Musicale, de Directeur d’Antenne ou de
Programmateur. Le terme « programmateur » que nous utilisons dans cette recherche est à
prendre dans une acception globale : le programmateur est la personne qui décide des entrées
en programmation, quel que soit l’intitulé exact de sa fonction dans l’entreprise.
La plupart des répondants ont été contactés sur recommandation d’animateurs, d’employés
des radios ou d’autres programmateurs. Des contacts ont également été pris lors du salon
annuel « Le Radio! » aux mois de février 2005 et 2006, par mail ou par téléphone.
86 Le terme est utilisé par les professionnels du secteur pour désigner les radios musicales très spécialisées telles que Nova, TSF, Radio Classique ou Fip.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
204
Encadré 6
Liste des stations visitées dans le cadre des entretiens avec les programmateurs
� Réseaux musicaux nationaux : Chérie FM, Europe 2, Fun Radio, NRJ, RFM, RTL2, Skyrock87
� Radios indépendantes faisant partie du panel Yacast : Alouette, Champagne FM, Contact FM, Hit West, Ouï FM, Kiss FM, Radio 6, Radio Star, Scoop, Voltage FM88
� Radios indépendantes ne faisant pas partie du panel Yacast : Evasion FM, Maritima, RVM.
Sur la base des données Médiamétrie, nous pouvons estimer que les radios visitées
correspondent environ à 75% de l’audience des radios musicales89. L’encadré 7 apporte des
éléments descriptifs complémentaires relatifs à la composition de l’échantillon.
87 Nostalgie, Rire et Chansons et MFM n’ont pas été sollicités. Le Mouv’ n’a pas souhaité donner suite. 88 Top Music, Radio FG et les radios du groupe Start n’ont pas souhaité donner suite. 89 Les part d’audience exactes des stations indépendantes ne sont pas communiquées au public. L’estimation a été réalisée sur la base des sondages nationaux Médiamétrie sur la période 2004 – 2007. En tenant compte des audiences cumulées communiquées par les radios indépendantes et des données Médiamétrie, nous estimons que les radios indépendantes visitées représentent 60% de la part d’audience du GIE les indépendants (les radios du groupe Start mises à part, nous avons eu la chance d’avoir réalisé des entretiens avec les programmateurs des principales radios indépendantes françaises). Le terme « part d’audience des radios musicales » que nous utilisons ici correspond au cumul des parts d’audience des « programmes musicaux », du « Groupement les Indépendants » et de la station « Le Mouv’ » qui figurent dans les communiqués de presse trimestriels de Médiamétrie.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
205
Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs
Thématique musicale de la station
Fonction du répondant
� Les chiffres correspondent au nombre d’entretiens
Déroulement des entretiens
En cohérence avec les conseils formulés par Demers
questions (phase introductive)
confiance (voir annexe 4). Elles
parcours dans l’entreprise, le format m
du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activi
(polémique « NRJ / Les Indépendants
communiqué aux répondants :
dans les radios » (des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’anne
Hits12
Variétés2
Pop-6
Directeurgénéral
1
Directeurprogrammation
Directeurgénéral des prog.
2
Directeurdes prog.
4
Directeurd'antenne
2
Programmateur6
: Méthodologie et résultats
Encadré 7
Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs
de la station Public visé par la station
Type de radio
iffres correspondent au nombre d’entretiens
En cohérence avec les conseils formulés par Demers (2003) et Romelaer (2005)
questions (phase introductive) sont très générales et visent avant tout à mettre le répondant en
voir annexe 4). Elles concernent les fonctions occupées par le répondant, son
parcours dans l’entreprise, le format musical et la cible de sa radio. Notons que compte tenu
du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activi
NRJ / Les Indépendants »), le sujet exact de la recherche est rarement
: « je travaille sur la façon dont travaillent les programmateurs
(des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’anne
-Rock6
Rap-R'n'B1
Dance4 Jeunes
8
Adultes5
Directeur de laprogrammation
musicale10
Réseauxnationaux
13
Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs
par la station
Type de radio
(2005) les premières
sont très générales et visent avant tout à mettre le répondant en
concernent les fonctions occupées par le répondant, son
usical et la cible de sa radio. Notons que compte tenu
du caractère relativement sensible du sujet de la recherche dans ce secteur d’activité
»), le sujet exact de la recherche est rarement
je travaille sur la façon dont travaillent les programmateurs
(des exemples de phrases d’entame sont proposés dans l’annexe 4).
Généraliste15
Radiosindépendantes
12
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
206
Après cette phase introductive très peu directive, l’entretien consiste en l’écoute de plusieurs
extraits musicaux (d’une trentaine de secondes) issus de la programmation musicale de la
radio visitée90. En moyenne, dix extraits sont soumis à l’écoute du répondant pour chaque
entretien. Après l’écoute de chaque extrait, il est demandé au répondant de raconter
l’historique du titre dans la programmation de sa station et d’expliquer les raisons de son
entrée en playlist. Là encore, les questions sont relativement ouvertes et se résument souvent à
« parlez-moi un peu de ce titre… »
Les titres proposés à l’écoute sont choisis parmi les disques les plus fréquemment diffusés par
la station et ont été entrés dans la programmation au cours des semaines précédant
l’entretien91. Des relances sont effectuées lorsque les thèmes de la recherche sont évoqués
spontanément par le répondant (imitation, concurrents, doutes/incertitudes, etc.)92 La majeure
partie de l’entretien est donc consacrée à des situations concrètes de programmation, ce qui
est cohérent avec l’orientation « stratégie en pratiques » qui guide ce travail.
Initialement, l’utilisation d’extraits musicaux avait pour objectif d’inciter le répondant à
éteindre la radio (souvent allumée au moment de la rencontre), de façon à faciliter le travail de
retranscription. Ce « protocole » semble avoir trois avantages qui n’avaient pas été prévus :
(1) son caractère ludique favorise la mise en confiance du répondant et évite une certaine
lassitude, (2) il sollicite la mémoire auditive, particulièrement développée chez les
professionnels de la radio, (3) il rappelle le déroulement d’une réunion de travail ordinaire
entre un responsable de la programmation et un chargé de promotion d’une maison de disque.
Chaque entretien est donc organisé en une dizaine de séquences correspondant aux extraits
soumis à l’écoute du répondant et renvoyant à autant de décisions d’entrée en programmation.
Comme le montre le tableau suivant, les entretiens réalisés dans les radios indépendantes ont,
en moyenne, permis d’aborder un plus grand nombre de décisions d’entrée en programmation
que ceux réalisés dans les radios nationales.
90 Avant l’entretien, le service Yacast est utilisé pour savoir à quelle fréquence chaque titre est diffusé sur la radio au moment de l’entretien et pour savoir d’autres radios avaient déjà commencé à diffuser le titre lors de son entrée en playlist. 91 La sélection est réalisée, soit à partir de l’écoute prolongée de la radio avant l’entretien, soit à partir des données Yacast. 92 On renverra, là encore, le lecteur à l’annexe 2.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
207
Tableau 9
Nombre de décisions abordées par les répondants
Radios indépendantes Réseaux nationaux Toutes radios
>ombre d’entretiens 13 12 25
>ombre de décisions
abordées au cours des
entretiens
156 97 253
Moyenne
décisions / entretien
12 8 10
b) Entretiens de contexte
Au-delà des entretiens réalisés auprès des programmateurs, nous avons souhaité rencontrer
des observateurs privilégiés du secteur. Une volonté de contextualisation et de triangulation a
donc animé la collecte des données. Une quinzaine d’entretiens de contexte ont été réalisés
auprès d’observateurs privilégiés de l’industrie (animateurs, attachés de presse en maison de
disques, directeurs de la promotion, chargés de promotions extérieurs, directeurs de label,
directeurs artistiques). D’une durée moyenne de 80 minutes, ces entretiens se sont déroulés
entre le 22 août 2005 et le 19 janvier 2007.
La plupart des répondants ont été cités lors d’un entretien préalablement réalisé auprès d’un
programmateur (qui a le plus souvent facilité la prise de contact). Après une question
introductive, « pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste votre travail ? », le répondant
évoque des situations au cours desquelles il a été en contact avec des programmateurs radio.
Là encore, les conseils de Demers (2003) et de Romelaer (2005) ont été mobilisés.
« Une question descriptive est une source beaucoup plus riche de données que ne l’aurait été une question directe […] plus abstraite [qui] aurait sans doute suscité une réponse reflétant davantage la dernière lecture ou la dernière formation que les pratiques réelles. Dans le champ de la gestion, les gens connaissent le jargon à la mode et l’utilisent ; les histoires qu’ils racontent sur ce qu’ils font et la façon dont ils le font sont, en général, plus riches. »
D’après Demers (2003, p.189)
Les relances permettent aux répondants de parler du secteur de la radio et de ses enjeux, mais
aussi, leurs relations avec les radios et les programmateurs.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
208
c) Données secondaires
Les données déclaratives ont été complétées par des données secondaires issues des relevés de
programmation réalisés par l’Institut Yacast, glanées dans la presse professionnelle (Musique
Info Hebdo, RadioActu, Le Mag Radio), économique et généraliste, et d’une cinquantaine
d’e-mails envoyés par des attachés de presse aux programmateurs radios dans le cadre de
leurs actions de promotion. Parce qu’ils offrent un aperçu des pratiques concrètes de
promotion des attachés de presse, ils permettent de trianguler les données obtenues lors des
entretiens de contexte.
d) Conversations et observations informelles
Enfin, la phase de collecte des données a donné lieu à de nombreux contacts informels avec
les acteurs du secteur (programmateurs, animateurs, directeurs des programmes, directeurs de
label, attachés de presses, directeurs artistiques) qui ont pu prendre la forme de déjeuners,
d’entretiens informels, de conversations téléphoniques, de visites de radios, d’observations de
réunions de programmation. Des contacts informels nous ont notamment permis de
communiquer aux répondants les premiers résultats de la recherche93 et de leur soumettre nos
premières analyses.
Ces rencontres ont donné lieu à des prises de notes et ont pu faciliter les prises de contacts en
vue d’entretiens ou les prolonger. Elles ont en outre permis d’améliorer notre compréhension
du secteur de la radio et de l’industrie musicale. Compte tenu de leur caractère informel, ces
données n’ont pas fait l’objet d’une analyse structurée.
Synthèse 13
Données collectées
Une volonté de triangulation a guidé la collecte. Le corpus se décompose comme suit :
� 25 entretiens semi-directifs réalisés avec les programmateurs.
� 15 entretiens de contexte réalisés auprès d’observateurs privilégiés du secteur.
� Données secondaires composées, notamment, d’une cinquantaine d’e-mails échangés entre les programmateurs et des attachés de presse du secteur.
� Contacts informels avec les professionnels du secteur (déjeuners, visites de radios, échanges de mails, conversation téléphoniques). Ces contacts ont permis de communiquer aux répondants les premiers résultats de la recherche.
93 Les documents transmis sont les communications présentées à l’AIMS et à EGOS (Mouricou, 2006, 2008) et l’article publié dans la Revue Française de Gestion (Mouricou, 2006).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
209
2.3. ANALYSE DES DONNEES
Les données déclaratives et une partie des données secondaire (e-mails entre les
programmateurs et les attachés de presse) ont fait l’objet d’une analyse thématique. Cette
section nous permettra d’en retracer le cheminement.
Les points (a) et (b) sont consacrés aux grandes étapes de notre codage. Pour coder les
données, nous avons utilisé le logiciel NVivo 8 auquel nous consacrons le point (c). En fin
d’analyse, un double codage a été réalisé afin de garantir la fiabilité du processus d’analyse.
Le point (d) nous permettra d’expliquer de quelle manière nous avons réalisé ce double
codage et d’en présenter le résultat.
a) Codage des données
Les données qualitatives ont fait l’objet d’une analyse thématique prenant la forme d’un
codage. Cette opération « consiste à découper les données en unités d’analyse, à définir les
catégories qui vont les accueillir, puis à placer (ranger ou catégoriser) les unités dans ces
catégories » (Allard-Poesi, 2003, p.246). Une fois organisées de façon hiérarchique, les
catégories et les sous-catégories forment un dictionnaire des thèmes. Comme le remarquent
Richard et Morse (2007), ce type d’analyse peut être intégré à différentes démarches de
recherche. Il prolonge ici la démarche inspirée de la théorie enracinée dans laquelle nous nous
inscrivons. En lien avec les préconisations de Strauss et Corbin (2004) ce travail d’analyse a
d’ailleurs été initié dès la collecte des données afin de faciliter l’échantillonnage théorique.
Certains chercheurs ont pu reprocher au codage de consister en un morcèlement des données,
empêchant le chercheur de donner du sens « au tout »94, il est généralement admis que
l’analyse de contenu thématique permet de faciliter le traitement de données qualitatives qui
sont, par définition, plus volumineuses et moins structurées que des données quantitatives
(Miles et Huberman, 2003). Ce travail de « découpage » est d’ailleurs clairement revendiqué
par Strauss et Corbin qui définissent le codage comme : « Les processus analytiques par
lesquels les données sont fractionnées, conceptualisées et intégrées pour produire de la
théorie » (Strauss et Corbin, 2004, p.20).
94 Voir notamment les critiques de Lincoln, relayées par Charmaz (2000)
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
210
Parce qu’il permet la mise en relation de passages traitant des mêmes sujets, ou pouvant être
reliés aux mêmes concepts, le codage facilite le travail de comparaison au cœur de l’approche
par la théorie enracinée. C’est en effet par la comparaison (de différentes personnes, de
données émanant des mêmes personnes mais recueillies à des moments différents, de
différentes situations, cas ou incidents, de différentes catégories) que les concepts du
dictionnaire des thèmes sont affinés, que leurs propriétés (les éléments qui permettent de les
caractériser) peuvent être mises en lumière (Glaser, 1978 ; Glaser et Strauss, 1967 ; Strauss et
Corbin, 2004 ; Strauss et Corbin, 1990).
Schéma 12
Codage et analyse des données qualitatives
Adapté de Deschenaux (2007)
Les différentes étapes du processus d’analyse des données vont être détaillées. Comme il
n’existe pas de modèle standard d’analyse des données qualitatives, cette démarche résulte
d’essais, d’erreurs, de lectures et de rencontres avec d’autres chercheurs95. Ce processus
d’analyse est probablement perfectible. Aussi, les éléments qui suivent n’ont pas pour objet
de légitimer de quelque façon cette recherche mais de garantir une certaine « traçabilité » des
résultats obtenus et d’assurer une certaine reproductibilité de la démarche.
95 Je tiens ici à remercier tout particulièrement Stéphanie Dameron, Rodrigo Bandeira De Mello, Charlotte Fillol, Hanane Beddi, Loréa Hireche, Géraldine de La Rupelle et Lionel Garreau.
Corpus
Thème 1
- Code 1.1
- Code 1.2
- Code 1.3
Thème 2
- Code 2.1
- Code 2.2
Dictionnaire des thèmes
Résultats de la recherche
Déstructuration et décontextualisation des données
Restructuration et recontextualisation des données
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
211
a) Les grandes étapes du codage
Dans un ouvrage postérieur au Discovery Book co-écrit avec Anslem Strauss, Glaser (1978)
cherche à préciser et à opérationnaliser la théorie enracinée. Pour développer une sensibilité
théorique (« theoretical sensivity »), le chercheur propose de distinguer les « substantive
codes » des « theoretical codes ». L’idée est simple : il s’agit d’entamer l’analyse par une
première phase de codage très proche des données (c’est le rôle des « substantive codes »). Le
codage ainsi obtenu sert de base à une seconde phase d’analyse permettant d’atteindre un
niveau de conceptualisation supérieur (c’est le rôle des « theoretical codes »).
Indépendamment des différents débats ayant pu animer la communauté des chercheurs en
théorie enracinée, la nécessité d’entamer l’analyse par un codage très fin et très proche des
données a souvent été utilisée.
On retrouve cette idée chez Strauss et Corbin (2004) chez qui le codage ouvert et la micro-
analyse constituent un préalable à une analyse approfondie (codage axial et codage sélectif),
chez Miles et Huberman (2003) qui distinguent deux niveaux de codage, ou encore chez
Richards (2005).
Il existe probablement autant de démarches de codage que de recherches qualitatives. En
suivant Richards (2005), trois grandes étapes ont été distinguées afin de dépasser
progressivement le stade de la description pour faciliter la conceptualisation : (i) codage
signalétique ; (ii) codage par « topics » (ou codage descriptif) ; (iii) codage analytique.
Le codage signalétique a permis de classer et d’organiser les données. Le codage des
« topics » a eu pour objectif de recenser les différents sujets discutés par les répondants lors
des entretiens et de regrouper les passages traitant des mêmes sujets. Le codage analytique a
permis de définir les grandes catégories de l’analyse pour les relier à leurs propriétés et à leurs
dimensions. Il a également permis de sélectionner les catégories centrales de l’analyse et de
les relier aux autres catégories pour construire une « théorie » enracinée dans les données.
Les éléments qui suivent permettront au lecteur de voir de quelle manière ces différentes
étapes ont été mises en pratique. Ce sont les entretiens réalisés auprès des programmateurs,
qui ont fait l’objet du codage le plus approfondi.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
212
(i) Codage signalétique
Le codage signalétique ne résulte pas, à proprement parler, d’une analyse des données. Il
consiste en un classement des informations qui permettra de faciliter l’analyse. Cette étape
précède également les analyses de données quantitatives (Gibbs, 2002, p.129) : « les
informations ainsi organisées permettent de décrire un cas » (Richards, 2005, p.90).
Le terme cas qui est utilisé par Richards ne correspond pas à la définition généralement
retenue en Sciences de Gestion. Il s’agit d’une observation, d’un cas clinique qui correspond,
dans la présente recherche, à une décision de programmation musicale. En tout, ce sont plus
de 250 décisions d’entrée en playlist qui ont été analysées.
Chaque passage est donc relié à une décision par le biais code signalétique. Les codes
signalétiques sont définis par des attributs (tableau 10). Ces informations sont notamment
utilisées pour donner des éléments de contexte au lecteur lorsque des verbatims sont cités
dans la recherche : la fonction du répondant, le type de radio (réseau national ou radio
indépendante) et le format (généraliste ou thématique).
Tableau 10
Liste des attributs utilisés lors du codage signalétique
Types d’attributs Détail
Attributs liés à la chanson Nom de l’artiste
Titre
Label
Date de sortie
Chanson française (oui / non)
Nouveau talent (oui / non)
Attributs liés à la radio Nom de la radio
Type de radio (réseau / indépendant)
Format
Cible
Nombre d’auditeurs quotidiens (audience cumulée)
Attributs liés au programmateur Nom du répondant
Intitulé de la fonction
Date de l’entretien
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
213
(ii) Codage descriptif
Pour Strauss et Corbin, le codage ne saurait se résumer à un simple étiquetage des données :
le nom d’un code ne doit pas être une simple description du texte. Une reformulation
théorique est nécessaire : le texte est toujours un exemple d’un phénomène plus général. Cette
prescription est parfois difficile à mettre en pratique. Elle nécessite que le chercheur ait
préalablement acquis une connaissance approfondie de ses données. Richards (2005) et
Charmaz (2000) proposent donc de débuter l’analyse en recensant les différents sujets
évoqués par les répondants de façon ouvertement descriptive de façon à bien dissocier
description et conceptualisation. Cet exercice permet d’organiser les données en rassemblant
les passages traitant des mêmes sujets au sein des mêmes nodes.
Les nodes sont définis de façon totalement inductive (analyse de contenu "ad hoc" selon
Romelaer, 2005), pour être ensuite regroupés par grands thèmes. La question à se poser à la
lecture du passage à analyser est toujours la même : « De quoi ce passage parle-t-il ? » Tous
les entretiens, qu’il s’agisse de ceux réalisés avec les programmateurs ou des entretiens de
contexte, ont fait l’objet d’un codage descriptif.
Schéma 13
Un exemple de codage des « topics »
Dans l’exemple qui précède, le répondant, directeur des programmes d’un très important
réseau national, évoque, parmi d’autres sujets, les attachés de presse mandatés par les maisons
de disques pour faire la promotion de leurs artistes. La première partie de cet extrait a donc
été codée à l’aide du code « Attachés de presse ».
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
214
Suivant les conseils de Richards, les « topics » ont été organisés en catégories et sous-
catégories. Le code « attachés de presse » est ainsi intégré à une catégorie plus générale
intitulée « promotion et maisons de disques ».
Au total, 390 codes descriptifs ont été utilisés (à l’exception des codes descriptifs renvoyant,
nominativement, à des acteurs du champ, ces éléments sont présentés en annexe 5). Les codes
descriptifs sont organisés en sept grandes catégories : contexte, programmation musicale,
concurrents & industrie, imitation concurrentielle, industrie musicale, artistes, chansons96.
Le codage descriptif des entretiens s’est fait en quatre étapes. Dans un premier temps, le
codage de dix entretiens réalisé avec les programmateurs a permis de faire émerger les
principaux codes descriptifs. Ces codes ont ensuite été revisités pour être regroupés dans des
catégories plus larges. Afin de garantir une certaine stabilité des règles de codage, un mémo a
été rédigé. Les autres entretiens ont alors été codés. Dans un dernier temps, les dix premiers
entretiens ont été retravaillés pour intégrer les modifications apportées aux codes descriptifs et
aux règles de codage associées.
Le schéma qui suit permettra au lecteur d’avoir une vue synthétique du contenu de l’ensemble
des entretiens réalisés avec les programmateurs. Le graphique est établi à l’aide du logiciel
NVivo 8 sur la base d’une matrice croisant les sept grandes catégories de codes descriptifs
(après consolidation) et l’attribut « type de radio » (qui présente deux modalités :
indépendant, réseau).
96 Les catégories « artistes », « chansons » et « industrie musicale » ont été regroupées dans un méta-thème intitulé « les ingrédients d’un tube » qui fera l’objet d’une analyse dans le chapitre 5.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
215
Schéma 14
Synthèse du codage descriptif
Réseaux nationaux Radios indépendantes
Encadré 8
Commentaire rapide du schéma 14
Le schéma qui précède synthétise le codage descriptif des entretiens réalisés avec les
programmateurs. Si le nombre de mots codés sous chacune des catégories ne traduit pas
forcément l’importance accordée par les répondants à chaque thématique, cette mesure permet
d’offrir un aperçu global du corpus au lecteur. Plusieurs éléments méritent d’être soulignés.
Nous ne constatons pas de différence significative dans les sujets évoqués par les
programmateurs officiant dans des réseaux et ceux officiant dans des radios indépendantes. Le
thème le plus présent dans les entretiens est celui de la programmation musicale et de ses
outils (playlists, places en playlist, horloges, rotations, tests, quotas, etc.). L’imitation
s’impose comme le deuxième sujet le plus présent dans le corpus.
Les entretiens menés dans les radios indépendantes ont, en moyenne, duré plus longtemps que
ceux réalisés dans les réseaux nationaux ce qui explique qu’ils soient, globalement, plus
riches.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
216
Encadré 8 (suite)
Commentaire rapide du schéma 14
Parmi les différences les plus significatives, on remarquera que les éléments relatifs à la
programmation musicale (playlist, horloges, Selector, tests, etc.) sont davantage évoqués par
les répondants qui officient dans des radios indépendantes. Deux éléments sont, à notre sens,
susceptibles d’expliquer cet écart. 1) Dans les réseaux nationaux les tâches liées à l’entrée des
disques en playlist (écoute des singles, relations avec les labels, etc.) sont souvent dissociées
des tâches liées à la gestion opérationnelle de la programmation (utilisation du logiciel
Selector, programmations quotidiennes). Les premières sont confiées au directeur des
programmes ou au directeur de la programmation musicale. Les secondes à un ou à plusieurs
programmateurs. Dans les radios indépendantes, où cette division des tâches n’est pas
effective, les répondants ont donc tendance à passer plus de temps à détailler les aspects
techniques liés à la programmation. 2) Plusieurs codes intégrés à la catégorie
« programmation musicale » ont trait aux outils de recherche musicale (« call-out »,
auditorium). Les répondants officiant dans les radios indépendantes qui n’ont souvent pas
accès à ces outils ont souvent évoqué l’utilisation qu’ils pourraient faire des tests, leur coût et
l’intérêt que ces derniers pourraient représenter dans leur radio.
A l’inverse, les éléments relatifs aux artistes sont davantage explicités par les répondants
travaillant dans des réseaux nationaux. Ces programmateurs ont en effet souvent évoqué leurs
relations personnelles avec les artistes (sujet qui concerne moins les programmateurs des
radios indépendantes).
Le codage des « topics » permet de s’imprégner des données, il constitue donc une étape
importante de l’analyse. L’annexe 6 propose la retranscription de deux entretiens et le détail
des codes descriptifs utilisés.
Cette étape du codage permet par ailleurs de « réduire » les données en sélectionnant les
passages les plus directement reliés à la thématique de la recherche. Des codes « marqueurs »
ont été crées pour repérer ces passages. Ils sont utilisés lorsque les répondants expliquent
avoir imité un ou plusieurs concurrents, décrivent un état d’incertitude relatif à un titre
particulier, manifestent un certain nombre de doutes ou font part de leurs certitudes ou de leur
volonté de se différencier de leurs concurrents.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
217
Sur les 253 décisions de programmation évoquées lors des entretiens, 68 ont été identifiées
comme faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle (une synthèse quantifiée sera
présentée au lecteur en début de chapitre 5). Ces passages ont fait l’objet d’une analyse
approfondie « semi-formatée » (Romelaer, 2005, p.123) : leur comparaison permet de
préciser, de compléter et d’articuler les éléments mis en évidence dans la littérature en
apportant des éléments de réponse aux questions de recherche énoncées précédemment.
(iii) Codage analytique
L’étape de codage analytique vise à identifier, dans les données, un certain nombre de
catégories d’analyse et à constituer un réseau de thèmes sur la base de relations potentielles. A
mesure que les catégories émergent des données, les premiers résultats sont reliés à la
littérature existante (Orton, 1997), qui pourra être plus ou moins volumineuse selon que l’on
s’inscrive dans la démarche proposée par Strauss et Corbin (2004) – c’est le cas ici – ou dans
celle de Glaser (1978).
Comme le note Richards (2005), cette partie du codage est la plus stimulante
intellectuellement, mais aussi la plus longue et la plus difficilement formalisable. Elle doit
permettre au chercheur – qui a apprivoisé son corpus dans les étapes précédentes – d’agréger
et de donner du sens à ses données (l’auteure utilise la métaphore du « décollage »). Le va-et-
vient continu entre données et littérature a nécessité un re-codage régulier des premiers
entretiens analysés (approche « complète » selon Romelaer, 2005). Le dictionnaire des thèmes
a ensuite été approfondi et stabilisé.
Conformément aux prescriptions de Strauss et Corbin, deux activités ont eu une importance
particulière durant les premières phases d’analyse (codage ouvert) : la micro-analyse et la
comparaison systématique.
Comme le notent Bandeira-de-Mello et Garreau (2008, p.14), « la production de micro-
analyses consiste en la déconstruction d’éléments de données : mots, groupes de mots
lorsqu’il s’agit de données textuelles. L’objectif est de comprendre ce qui est contenu dans les
propos de l’acteur mais qui n’est pas rapporté de façon explicite afin de faire émerger des
catégories potentielles et d’augmenter le nombre de voies d’interprétations possibles. » Si
certaines des pistes seront abandonnées, d’autres pourront être approfondies durant les phases
d’analyse ultérieures.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
218
Encadré 9
Un exemple de passage ayant fait l’objet d’une micro-analyse
Citation du programmateur :
« En fait… euh… c’est ma politique de ce que j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-dire que je laisse les radios le démarrer et quand ça marche un petit peu sur toutes les grosses radios, et bah je suis derrière quoi. Oui j’appelle ça la politique du mouton. Je suis le troupeau. Il y a un troupeau qui se met en place autour du morceau et moi je laisse FRJ le faire, je laisse tout le monde le faire. Et quand je vois que tout le monde le rentre, et beh je le rentre. Parce que… je ne trouve pas ça spécialement comme un tube. Je le dis sincèrement. Je ne trouve pas qu’à première écoute ça passe auprès des auditeurs. Je pense que sur un morceau comme ça, il faut un lavage de cerveau de la télé, des grosses radios pour que nous on puisse le jouer derrière. Si moi demain je joue ça, je trouve que je perds ma crédibilité au niveau des nouveautés. Voilà… mais ça je pense que Ze Pequeno, peut-être que dans six mois on ne saura même plus qui c’est quoi. »
[Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio locale généraliste]
Micro-analyse (extrait d’un mémo rédigé en début de recherche) :
Focus sur l’expression : « politique du mouton »
- L’expression est une sorte d’oxymore. Le terme politique témoigne du caractère réfléchi, prémédité de la démarche. Elle donnerait lieu à une forme de calcul (c’est politique).
- Il s’oppose au deuxième terme, mouton, plutôt péjoratif. Le mouton est un animal souvent dépeint comme un idiot, suivant « bêtement » le troupeau.
Quelques pistes :
- Le fait de se comparer à un mouton n’est pas forcément très flatteur pour le répondant. On peut imaginer que ce programmateur ne soit pas très fier de se comporter comme un mouton. Qu’il préférerait être plus innovant. L’imitation, une stratégie adoptée à regret ?
- L’hypothèse d’une forme de provocation, sur fond de rivalité NRJ / Les Indépendants, peut également être formulée : « je suis un mouton… et je vais vous expliquer pourquoi en vous montrant que je ne suis peut-être pas aussi bête que certains ont pu le dire. »
- Cette dernière hypothèse semble confirmée par la suite du verbatim dans lequel le répondant porte un jugement artistique assez négatif sur le disque dont il est question (d’ailleurs, il avait raison… on en entend plus parler de ce groupe)… et sur la radio l’ayant démarré.
- A approfondir par la suite : l’opposition d’une démarche préméditée à un comportement décrit comme irrationnel indique qu’il faudra certainement s’intéresser à la question de la rationalité des individus.
Comme en témoigne l’encadré qui précède, une attention particulière a été portée aux
métaphores, aux comparaisons et aux analogies utilisées par les répondants pour effectuer ce
travail de micro-analyse. La méthode de la comparaison constante vise à dépasser le caractère
idiosyncrasique de chaque situation. Il s’agit de comparer les cas les uns aux autres, de
commencer à identifier certaines propriétés et certaines dimensions des catégories
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
219
conceptuelles issues des données. Les codes sont alors organisés, classifiés et reliés les uns
aux autres à l’aide du logiciel (Bandeira-de-Mello et Garreau, 2008).
Strauss et Corbin insistent, par ailleurs sur plusieurs réflexes permettant de systématiser le
codage ouvert et de ne pas passer à côté d’éléments qui pourraient se révéler essentiels. La
méthode du flip-flop vise ainsi à inverser un énoncé : « le répondant me dit que la piètre
qualité du titre interprété par Ze Pequeno le conduit à adopter sa ‘politique du mouton’ mais
que se passerait-il s’il avait affaire à un titre artistiquement plus qualitatif ? Ce cas de figure
est-il présent dans un des cas étudiés ? Si ce n’est pas le cas, serait-il intéressant d’aller
poursuivre la collecte des données dans ce sens ? ».
Les grandes catégories de l’analyse ont été définies conjointement aux questions de recherche.
Une attention particulière a donc été portée aux pratiques d’imitation concurrentielle et
notamment aux raisons poussant les programmateurs à imiter des concurrents et aux critères
qu’ils utilisent pour sélectionner leurs modèles. Cette phase de l’analyse a permis de faire
émerger une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle qui sera présentée dans le
chapitre 6 de la thèse.
En parallèle, une partie de l’analyse s’est articulée autour du contexte incertain dans lequel se
prennent les décisions de programmation et aux doutes qui sont ceux des programmateurs
lorsqu’ils doivent entrer un disque en playlist. La construction du dictionnaire des thèmes
reprend l’esprit de la démarche de codage axial proposée par Strauss et Corbin (2004) en ce
qu’elle vise à définir des concepts au travers de leurs propriétés et de leurs dimensions. Notre
approche s’en éloigne cependant car les propriétés et les dimensions sont déterminées de
façon abductive (là où Strauss et Corbin préconisaient d’utiliser un paradigme de codage
défini a priori). Le dictionnaire des thèmes est proposé en annexe 7.
Dans un dernier temps, la mise en relation des grandes catégories du dictionnaire des thèmes
(codage sélectif) a permis d’apporter des éléments de recherche à la première question de
recherche (contribution de l’imitation concurrentielle à la stratégie des organisations).
Concrètement, le codage sélectif nous a amené à mettre en évidence une tension entre
imitation et différenciation à laquelle nous consacrerons une part importante de notre
discussion générale.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
220
Schéma 15
Démarche adoptée pour le codage analytique
b) L’utilisation du logiciel N-Vivo
Comme le souligne Gibbs (2002), les développements des logiciel NUD*IST et N-Vivo ont
largement été influencés par la théorie enracinée97. Plusieurs outils informatiques sont
aujourd’hui à la disposition du chercheur souhaitant entreprendre une recherche qualitative.
Dans une communication ultérieure, le même auteur (Gibbs, 2003) rappelle que ces logiciels
ne réalisent pas l’analyse à la place du chercheur. Ils se contentent de lui épargner la gestion
manuelle des documents et des codes, étape qui pourrait rapidement se révéler extrêmement
fastidieuse et consommatrice de temps. Comme le révèle, non sans une certaine ironie, Kathy
Charmaz (2000), cette remarque est parfois source de déception chez les étudiants. Elle a
cependant le mérite d’insister sur le caractère profondément « humain » d’une analyse des
données qualitatives qui repose avant tout sur la créativité, l’empathie et les intuitions du
chercheur.
Un esprit critique pourrait trouver dans les éléments qui précèdent une forme d’aveu du
manque de rigueur des méthodologies qualitatives. L’essentiel de notre propos est ailleurs :
l’utilisation d’un logiciel d’analyse des données, quel qu’il soit, ne saurait constituer une
garantie de la fiabilité de l’analyse. Cette notion n’ayant pas forcément le même sens selon les
démarches de recherche mobilisées (Douglas, 2003).
Un aperçu sommaire des fonctions permettant de coder des documents va maintenant être
proposé. L’utilisation des fonctions « modèles » et « matrices » ne sera que rapidement
évoquée ici. Les matrices seront utilisées dans le cadre de la présentation des résultats.
97 Lyn Richards, qui a participé à la conception des deux logiciels se définit elle-même comme une chercheuse en théorie enracinée.
Microanalyses et
comparaisons
Codage
axial
Codage
sélectif
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
221
Les documents
A l’exception des conversations et observations informelles réalisées au cours de la collecte,
chaque source de donnée, qu’il s’agisse d’entretiens, d’e-mails, d’articles ou de communiqués
de presse, a donné lieu à la création d’un document. Les documents indexés dans le logiciel
peuvent ensuite être codés et analysés.
Des documents de travail (mémos) ont également été créés tout au long de l’analyse. Ces
mémos ont pu être reliés à un document particulier (par exemple pour intégrer des notes
prises au cours de l’entretien) ou à un code (par exemple permettre de développer une idée
particulière).
Les noeuds
Le codage permet d’identifier et de regrouper les passages qui renvoient aux mêmes idées ou
aux mêmes concepts. Dans N-Vivo, les nœuds sont la manifestation informatique des codes.
Le nœud n’est pas simplement un nom apposé sur un ou plusieurs passages de texte. Il permet
la jonction entre des passages de texte tirés des données et des concepts : « le nom du nœud
n’est qu’un raccourci pour exprimer l’idée ou le concept que les différents passages codés ont
en commun » (Gibbs, 2002, p.58).
Un même nœud pourra donc coder des passages issus de plusieurs documents. Inversement,
un document pourra être codé par plusieurs nœuds. Des liens pourront être établis entre
plusieurs nœuds, ou entre un nœud et un mémo explicatif rédigé par le chercheur en vue
d’une restitution ultérieure.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
222
Schéma 16
Un document codé par plusieurs nœuds
D’après Gibbs (2002, p.63)
Afin d’élaborer un dictionnaire des thèmes, les nœuds sont regroupés au sein d’une
arborescence (nœuds hiérarchiques). Ce dictionnaire des thèmes peut être complété et modifié
à mesure que l’analyse progresse. Aux premiers stades de l’analyse, certains nœuds peuvent
ne pas encore avoir été reliés à une catégorie mère (nœuds libres)98.
En parallèle à l’arborescence du dictionnaire des thèmes, les « cases nodes » permettent de
regrouper les extraits qui renvoient à la même entreprise, au même projet, à la même
personne. Dans la présente recherche, les « case nodes » ont été utilisés pour coder chaque
décision d’entrée en programmation évoquée en entretien. Le « case node » intitulé
« Champagne FM / Gnarls Barkley – Crazy » regroupe donc l’ensemble des passages
renvoyant à la décision d’entrer le titre Crazy du groupe Gnarls Barkley par le programmateur
de la radio Champagne FM. Au total, 253 « case nodes » ont été crées. Ils correspondent aux
253 décisions d’entrée en programmation discutées durant les entretiens.
Requêtes, matrices et quantification des données qualitatives
Lors des dernières phases du codage, les requêtes et les matrices ont été utilisées pour
approfondir nos analyses. L’utilisation de matrices a notamment permis de quantifier un
certain nombre d’éléments relatifs au codage (nombre de passage codé, pourcentage de
documents codés, nombre de « case nodes » codés, etc.). Les matrices ont servi de base à
98 Certains « nœuds libres » ont été utilisés comme des marqueurs durant l’analyse afin, par exemple, de recenser les passages les plus explicites et les plus imagés et faciliter la sélection des verbatims intégrés dans le document final de la thèse.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
223
l’élaboration des graphiques qui viendront alimenter la présentation des résultats. Ces
éléments quantitatifs n’ont pas le même statut que les nombreux verbatims qui vont être
repris.
Ils ne doivent pas être considérés comme des éléments de « preuve » mais comme un moyen
de synthétiser l’ensemble du corpus (la présentation exhaustive des données étant par
définition impossible compte tenu du caractère extrêmement volumineux des données
qualitatives). Ces éléments nous semblent particulièrement utiles pour donner une idée au
lecteur du volume de données ayant servi à l’élaboration des résultats. Plus qu’une
représentativité statistique, ils permettent de traduire le caractère plus ou moins récurrent
d’une observation dans les données.
Nous reprenons ici une piste avancée par Johnson, Langley, Melin et Whittington dans un
écrit consacré aux méthodologies déployées dans les travaux du champ « stratégie en
pratiques » (Johnson et al., 2007, pp.77-78). La quantification de données qualitatives doit
permettre d’éclairer l’analyse et ne pas conduire à masquer les éléments permettant une
compréhension détaillée du terrain et du travail de fabrication de la stratégie.
c) Double codage
Dans un souci d’adhérence entre la grille d’analyse et les données, nous avons procédé à un
double codage des données. Comme le rappellent Gavard-Perret et Helme-Guizon (2008,
p.273), il s’agit de « faire réaliser l’analyse par au moins deux personnes différentes. Si ces
« codeurs » […] obtiennent la même codification/catégorisation du corpus, alors on peut
estimer avoir des assurances sur l’objectivité des résultats. » L’idée générale est que la
fiabilité de l’analyse est plus grande lorsque deux codeurs sont d’accord dans l’attribution de
catégories conceptuelles à des segments de données que lorsqu’ils sont en total désaccord.
Un désaccord total des codeurs pourrait en effet signifier que les catégories conceptuelles sont
ambigües, mal définies qu’elles couvrent des réalités suffisamment différentes pour remettre
en cause leur cohérence interne, ou encore que l’assignation des codes aux segments de
données a été faite au hasard par les analystes.
Si le double codage est une pratique largement préconisée par les ouvrages de méthodologie,
la littérature actuelle n’offre que peu de détails quant à sa mise en pratique (Grawitz, 2001).
L’absence de consensus relatif à l’opérationnalisation du double codage a une conséquence
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
224
fâcheuse en ce qu’elle rend difficilement comparables les taux de fiabilité annoncés par
différents chercheurs. En conséquence, il serait dangereux d’accepter l’idée d’un seuil rigide
en dessous duquel la fiabilité d’une analyse qualitative devrait être remise en question
(Richards, 2005). Si le taux de fiabilité est bel et bien un instrument de mesure, il se
rapproche davantage du « mètre élastique »99 que de l’outil de précision.
Faute de pouvoir proposer une méthode indiscutable, il nous semble essentiel de présenter au
lecteur les détails de la méthode utilisée pour réaliser le double codage. Tel sera l’objet des
points qui vont suivre.
Objectif du double codage : codage ouvert versus codage fermé
La théorie enracinée reconnaît une part de subjectivité dans l’analyse qualitative liée à la
nécessaire interprétation des données par le chercheur. Les problèmes de la fiabilité et de la
traçabilité du processus d’analyse font néanmoins partie des préoccupations de ces
chercheurs. C’est dans cet esprit qu’a été pratiqué le double-codage dans la présente
recherche. Ce point de départ nous a amené à privilégier un codage fermé en proposant aux
codeurs une version simplifiée de la grille du dictionnaire des thèmes.
Double codage intra-codeur versus double codage inter-codeurs
Si la révision des codes et des documents codés a fait partie intégrante du processus d’analyse
des données, nous n’avons pas pratiqué de codage intra-codeur (codage du même corpus à des
moments différents pour attester de la stabilité des règles de codage). Cette pratique est, nous
semble-t-il, particulièrement adaptée à des démarches d’analyses fondées sur une grille de
codage définie a priori à l’aide de la littérature et constituée de catégories marquées par un
fort degré d’abstraction. Le processus de révision constant que nous avons mis en œuvre pour
analyser les données (méthode complète selon Romelaer, 2005) a, à l’opposé, permis de faire
émerger des catégories conceptuelles enracinées dans les données et de les opérationnaliser.
Le double-codage qui a été réalisé a nécessité l’intervention de deux codeurs extérieurs. Nous
tenons ici à remercier Hanane Beddi100 et Benjamin Taupin101 pour leur aide précieuse.
99 Nos remerciements vont à Pierre Romelaer pour cette comparaison. 100 Hanane Beddi a soutenu sa thèse en 2008 à l’Université Paris-Dauphine sous la direction du professeur Pierre Romelaer. Elle a été recrutée en 2009 par l’EM Normandie en qualité d’enseignant-chercheur. 101 Benjamin Taupin est allocataire de recherche au CREPA (Université Paris Dauphine). Il poursuit sa thèse sous la direction du professeur Isabelle Huault.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
225
Périmètre retenu
Seuls les passages ayant fait l’objet d’une analyse approfondie ont fait l’objet d’un double
codage. Le double codage a porté sur 50 des 68 décisions de programmation faisant intervenir
une part d’imitation concurrentielle (chaque codeur extérieur a pris en charge 25 décisions).
Les décisions ayant fait l’objet d’un double codage ont été choisies au hasard et réparties
aléatoirement entre les deux codeurs extérieurs.
A la différence de certains chercheurs qui communiquent des entretiens codés aux codeurs
extérieurs (ces derniers doivent alors indiquer s’ils sont d’accord ou non), nous avons fait le
choix de transmettre des documents vierges. Cette méthode nous parait être la moins biaisée.
Le double codage n’a pas porté sur l’ensemble des codes mais seulement sur la partie
analytique (les codes descriptifs ont, ici, été mis de côté) soit 28 codes. Les codes ayant fait
l’objet du double codage renvoient à trois grandes catégories : le modèle (3 code), les doutes
et hésitations du programmateur (14 codes) et les pratiques d’imitation concurrentielle (9
codes). Concernant les pratiques d’imitation concurrentielle, il a été demandé aux codeurs
extérieurs d’utiliser la catégorie mère pour double coder les entretiens. Les descripteurs
opérationnels associés à chaque catégorie n’ont pas été utilisés dans le cadre du processus de
double codage mais ont été communiqués aux codeurs extérieurs sur la notice qui leur a été
remise à titre informatif.
La décision de ne retenir qu’une partie des codes est justifiée par deux types de
considérations : (1) Les codes descriptifs constituent davantage un outil de travail permettant
à l’analyste d’atteindre des degrés de conceptualisation supérieurs qu’un résultat, à
proprement parler, de l’analyse des données. (2) Nous avons, par ailleurs, cherché à simplifier
la tâche des codeurs externes qui auraient probablement connu des difficultés à intégrer
l’ensemble du dictionnaire des thèmes et des règles de codage associées.
Pré-formatage
Les données ont fait l’objet d’un pré-formatage avant d’être transmises aux codeurs externes.
Cette méthode a l’avantage d’apporter une réponse au problème de compatibilité des
« styles » de codage (les chercheurs peuvent en effet avoir pris l’habitude de coder plus ou
moins largement leurs données).
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
226
Nous avons choisi, en début de l’analyse, de ne pas suivre une préconisation souvent présente
dans la littérature (voir notamment Allard-Poesi, 2003) et qui aurait consisté à fixer, de façon
rigide, une unité de codage (ligne, paragraphe, mot…). Cette option a été écartée car la plus
grande flexibilité permise par l’utilisation des logiciels d’analyse des données permet, à notre
sens, de produire des analyses au plus près des données.
L’option, proposée par NVivo, qui consiste à retenir le caractère comme unité pour le double
codage a également été écartée.
Mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs
Le mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs que nous avons adopté est repris de Miles
et Huberman (2003, p.126). D’autres méthodes de calcul existent. Elles permettent d’éliminer
la concordance aléatoire (Cohen, 1960 ; Rust et Coil, 1994). Nous avons fait le choix
d’adopter la méthode la plus couramment utilisée en Sciences de Gestion.
Encadré 10
Le taux de fiabilité inter-codeurs selon Miles et Huberman
La question est dès lors de définir ce qu’est un accord et ce qu’est un désaccord. La encore,
des pratiques différentes coexistent chez les chercheurs qualitatifs.
Nous avons fait le choix de considérer qu’il y avait accord entre les deux codeurs à chaque
fois que ces derniers assignaient le même code au passage concerné. D’autres approches
privilégient d’inclure dans le nombre d’accords les situations où les deux codeurs choisissent
de ne pas attribuer un code donné au même passage (c’est la méthode utilisée dans la fonction
double-codage du logiciel NVivo 8).
Nous avons, par ailleurs, considéré qu’il y avait désaccord dans les deux cas suivants : (1) un
code est utilisé par le premier analyste et pas par le codeur extérieur ; (2) un code n’est pas
utilisé par le premier analyste et est utilisé par le codeur extérieur (certains chercheurs ne
prennent en compte que le premier cas).
A la différence d’autres chercheurs qui, en cas de désaccord, se laissent la possibilité de
revenir sur leur codage initial et/ou d’engager une discussion avec le codeur extérieur afin de
Taux de fiabilité inter-codeurs = Nombre d’accords
Fombre d’accords + Fombre de désaccords
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
227
faire converger les points de vue (l’idée est alors d’éliminer toutes les incompréhensions et les
oublis liés à l’inattention d’un des deux codages), nous n’avons modifié ni le codage initial, ni
le double codage réalisé par les codeurs extérieurs. Le taux de fiabilité qui va être livré est
donc un indicateur brut.
Résultats du double codage
Nous arrivons à un taux de fiabilité inter-codeurs de 84 % qui nous amène à considérer que le
processus de codage est relativement fiable102. Les détails du calcul sont synthétisés dans le
tableau suivant.
Tableau 11
Détails du calcul du taux de fiabilité inter-codeurs
Codeur ext. n°1 Codeur ext. n°2 Total
Nombre de décisions codées 25 25 50
Nombre de segments de texte 97 102 299
Nombre d’accords 102 99 201
Nombre de désaccords 10 28 38
Total accords + désaccords 112 127 239
Taux de fiabilité 91% 78% 84%
Nous pouvons observer un fort décalage entre les taux de fiabilité obtenus par la comparaison
du codage initial avec les codages réalisés par les deux codeurs extérieurs. Le résultat obtenu
avec le deuxième codeur extérieur s’explique, selon nous, par le fait que celui-ci n’a été mis
au contact de la grille d’analyse qu’au travers du document présenté en annexe 8. Le premier
codeur a quant à lui pu bénéficier d’informations plus nombreuses quant au secteur d’activité,
au vocabulaire spécifique utilisé par les répondants et à la grille d’analyse. Une réunion
préparatoire de deux heures a en effet été organisée avant le double codage afin de lever
toutes les ambigüités résiduelles.
L’étude du codage réalisé par le deuxième codeur extérieur montre, en outre, que ce dernier a
eu tendance à coder très largement (malgré le préformatage des données). La variation entre
102 Romelaer (2005) place à 80% le seuil à partir duquel une analyse qualitative peut être considérée scientifique.
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle
228
les styles de codage n’entame, à notre sens, pas l’adhérence de la grille aux données mais
pose certaines questions relatives à l’utilisation du double codage.
Un tel dispositif évalue, en effet, plusieurs dimensions du travail d’analyse des données : au-
delà de l’adhérence entre la grille d’analyse et le corpus, le taux de fiabilité est impacté par les
différences dans les styles de codage, la connaissance préalable du secteur d’activité et de la
problématique, la façon de préformater les données avant le double codage, la façon qu’ont
les répondants de structurer leurs propos, etc. Ces éléments nous amènent à préconiser la mise
en place de « briefing » avec les codeurs extérieurs, en amont du double codage, mais aussi à
relativiser la signification du taux de fiabilité qui est, selon nous, difficilement comparable
d’une recherche à une autre et d’un codeur extérieur à un autre.
Nous venons de présenter les orientations méthodologiques de notre recherche. Nous allons, à
présent, pouvoir détailler les résultats de la recherche
Synthèse 14
Point essentiel du processus d’analyse des données
� Les données ont fait l’objet d’un codage thématique semi-émergent réalisé à l’aide du logiciel NVivo 8.
� Le processus de codage reprend les trois étapes décrites par Richards (2005) : codage signalétique, codage de « topics », codage analytique. Ces trois étapes correspondent à une progression dans le travail d’abstraction et de conceptualisation.
� La phase de codage analytique mobilise très largement les techniques et les procédures de la théorie enracinée (Strauss et Corbin, 2004). Après une phase ouverte consistant en une série de microanalyses et de comparaisons, nous avons repris à Strauss et Corbin la dyade codage axial – codage sélectif. Le codage axial a permis de définir les principaux concepts de l’analyse en identifiant leurs propriétés et leurs dimensions (typologie des pratiques d’imitation du chapitre 6). Le codage sélectif a permis de mettre en relation les différentes catégories de l’analyse avant de proposer une théorie plus explicative.
� Une fois l’analyse réalisée, un processus de double codage a été mis en place afin de garantir la fiabilité du processus d’analyse. Ce double codage a fait intervenir deux codeurs extérieurs qui ont chacun codé 25 décisions de programmation musicale faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle. Le taux de fiabilité inter-codeurs atteint 84% ce qui nous amène à considérer que le processus d’analyse des données est satisfaisant.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
229
RESUME DU CHAPITRE 4
Pour mener cette recherche, un champ opérationnel original a été retenu : les radios musicales françaises. La saillance de la thématique de l’imitation concurrentielle dans ce secteur a constitué le principal critère ayant guidé ce choix.
Cette population se caractérise par une très grande hétérogénéité tant en termes de zones d’émission (des stations locales concurrencent les grands réseaux nationaux) que de positionnements (des formats très spécialisés coexistent avec des formats relativement généralistes). En dépit de ces différences, toutes les radios musicales commerciales reprennent très largement la mécanique du « Top 40 », un ensemble de techniques et d’instruments élaborés au début des années cinquante aux Etats-Unis.
Confiée au programmateur ou au directeur des programmes, la programmation musicale a progressivement fait l’objet d’une rationalisation : des outils de recherche (« call-out » et auditoriums) sont désormais utilisés par les programmateurs. Ces derniers doivent par ailleurs respecter la législation relative aux quotas de chansons d’expression francophone et répondre aux sollicitations des attachés de presse mandatés par les maisons de disques.
L’homogénéisation des programmations des radios musicales est aujourd’hui un fait établi. Pour expliquer cette tendance, certains auteurs ont pointé du doigt les comportements imitatifs des radios musicales. Cette thèse semble étayée par les polémiques propre aux secteurs opposant NRJ et les radios indépendantes ainsi que par certaine des spécificités de cette industrie. L’imitation semble en outre facilitée par l’existence de l’outil « Yacast » qui permet aux programmateurs de connaître la liste exhaustive des disques diffusés sur l’antenne de leurs concurrents. La thématique de la recherche semble donc particulièrement saillante dans le champ opérationnel retenu.
Un dispositif inspiré de celui préconisé par les chercheurs en théorie enracinée Strauss et Corbin (2004) a donc été déployé. Une trentaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de programmateurs officiant dans des radios musicales entre le 20 février 2004 et le 27 avril 2006. Ils ont été complétés par des entretiens de contexte et des données secondaires.
Les données qualitatives font l’objet d’un codage thématique. Le logiciel N-Vivo a été utilisé pour faciliter l’analyse des données. Reprenant la démarche décrite par Richards (2005) une phase de codage relativement descriptive a précédé l’analyse : ce codage des « topics » a eu pour objectif de recenser les différents sujets discutés par les répondants lors des entretiens et de regrouper les passages traitant des mêmes sujets. Il a par ailleurs permis d’opérer une réduction des données en repérant les extraits spécifiquement consacrés à l’imitation.
Pour réaliser le codage « analytique », qui n’a pu s’amorcer qu’une fois que la phase descriptive était bien avancée, la dyade « codage axial / codage sélectif » a été empruntée à Strauss et Corbin (2004). Le codage axial a permis de définir les grandes catégories de l’analyse pour les relier à leurs propriétés et à leurs dimensions. Le codage sélectif a permis de sélectionner les catégories centrales de l’analyse et de les relier aux autres catégories pour construire une « théorie » enracinée dans les données.
Un dispositif de double codage – dont les modalités de mise en œuvre sont précisées – a enfin été mis en place pour garantir fiabilité du processus d’analyse des données.
230
Chapitre 5
Un contexte propice à l’imitation
« Alors c’est simple : Pour faire du chiffre en
local, tu prends la playlist de FRJ, la playlist de
Chérie FM et tu passes l’un, l’autre, l’un,
l’autre… Ah, c’est comme ça que c’est abordé
en local ! »
Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte
omme l’illustre cette citation, tirée d’un entretien réalisé auprès du programmateur d’un
réseau national à destination des adultes, les répondants n’ont aucune difficulté à
évoquer la thématique de la recherche. Les personnes rencontrées lors de la phase de collecte
des données ont fréquemment donné leur avis sur la controverse ayant opposé NRJ au GIE
« Les Indépendants » en prenant parti soit pour NRJ, soit pour les radios locales.
« C’est de pire en pire. Je n’ai plus envie d’en parler, j’en ai trop parlé. De toutes les façons, ils finiront par le payer ! On trouvera d’autres moyens de… ils le paieront à un moment donné. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes de FRJ
« Quand j’entends FRJ dire qu’on les copie tu vois…Ce qu’il oublie de dire, c’est que la plupart du temps, on entre les nouveautés avant lui. Tu peux être sûr que quand je rentre une nouveauté, dans les 15 jours qui suivent, lui, il la rentre. […] Moi je pense que FRJ, c’est un faux débat. Je pense que c’est lui qui copie et pas nous ! Je pense qu’on l’a prouvé à maintes reprises, qu’on le prouvera encore. L’avenir nous fera… nous fera et nous donnera raison. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste
En cohérence avec les résultats de travaux antérieurs (Greve, 1995, 1996, 1998) et avec les
éléments ayant conduit à choisir l’industrie radiophonique comme champ d’étude, l’imitation
semble être un comportement très répandu en matière de programmation musicale.
C
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
231
Ce constat est d’ailleurs partagé par les observateurs du secteur interrogés dans le cadre des
entretiens de contexte. « Quand FRJ rentre… en général… et ça, c’est le problème de
duplication dont se plaint FRJ… et il a raison Roberto103 – assène le directeur général de la
filiale française d’une major de l’industrie musicale – quand FRJ rentre un titre, il y a
beaucoup de provinces qui le rentrent. C’est sûr ! C’est bien pour nous sauf qu’il faut faire la
queue chez FRJ. »
Au-delà de cette polémique, déjà largement évoquée dans cette thèse, quels sont les
enseignements qui peuvent être tirés de l’étude de l’industrie radiophonique dans une
recherche consacrée à la place de l’imitation en stratégie et aux pratiques d’imitation
concurrentielle ?
Notre restitution des résultats se déroulera en deux temps, qui correspondent aux deux
questions de recherche qui ont été énoncées précédemment. Les questions de recherche sont
reprises dans le tableau 12 qui figure sur la page suivante.
Le premier axe est lié au contexte dans lequel se déroulent les pratiques d’imitation
concurrentielle. La littérature consacrée à ce phénomène – dans le prolongement notamment
des théories néo-institutionnelles (DiMaggio et Powell, 1983, 1991), des expériences
pionnières menées par les psychosociologues Asch (1951, 1971) et Sherif (Sherif, 1935), ou
encore de la description keynesienne du fonctionnement des marchés financiers (Keynes,
1934 [1969], 1937 [2002]) – a énormément insisté sur le rôle d’un facteur de contexte,
l’incertitude, pour expliquer les comportements imitatifs des individus et des organisations.
Cette question fera l’objet de ce premier chapitre de résultats.
Notre deuxième axe renverra à l’étude des pratiques d’imitation qui est, selon nous, rendue
nécessaire par l’existence d’explications mutuellement exclusives dans la littérature (postulant
chacune des raisons très différentes chez les individus) et qui peuvent, à première vue,
sembler incompatibles tant elles sont ancrées dans des conceptions de la rationalité
divergentes. L’étude des pratiques d’imitation se justifie également à nos yeux par l’intérêt
que portent par les chercheurs travaillant sur la thématique de l’imitation concurrentielle à la
question des formes d’imitation. Les limites de ces travaux – qui ont été détaillées dans le
103 Roberto Ciurleo, directeur général des programmes de NRJ de 2004 à 2007, est beaucoup intervenu dans les médias pour dénoncer le supposé plagiat de la programmation musicale de NRJ par les radios locales.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
232
premier chapitre de la thèse – doivent nous encourager à adopter un angle d’analyse
microscopique, à étudier ce que les décideurs font lorsqu’ils imitent des concurrents et à
comprendre les raisons qui les poussent à agir ainsi. L’observation in situ des pratiques
d’imitation concurrentielle sera alors susceptible d’améliorer notre connaissance des
phénomènes d’imitation, d’homogénéisation et de diffusion en apportant un regard
complémentaire aux travaux adoptant des niveaux d’analyse plus agrégés.
Plus globalement, la discussion générale reviendra sur la problématique de la thèse et sera
consacrée à la façon dont les pratiques d’imitation des programmateurs des radios musicales
sont susceptibles d’alimenter la stratégie des organisations du secteur. Au-delà des enjeux liés
à la question théorique de la fabrication de la stratégie, c’est sur ce point que résideront
l’essentiel des apports managériaux de notre recherche.
Tableau 12
Rappel des questions de recherche et axes de restitution des résultats
Questions de recherche Axes de restitution des résultats
Question
De quelle façon l’incertitude environnante – et
plus généralement – le contexte, influent-ils sur les
raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation
concurrentielle ?
Chapitre 5
Analyse des facteurs de contexte susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation concurrentielle chez les programmateurs.
Immersion dans les doutes des programmateurs et dans leurs perceptions de l’incertitude environnante.
Question
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle
sont-elles le terrain d’expression de différentes
raisons individuelles ?
Chapitre 6
Construction d’une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle.
Articulation de la typologie autour de la dichotomie rationalités instrumentales / rationalités évaluatives.
Problématique générale
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle
des programmateurs contribuent-elles à la
stratégie des radios musicales françaises ?
Discussion générale
Analyse du rôle joué par l’imitation dans la fabrication de la stratégie des radios musicales.
Discussion plus générale sur la place de l’imitation en stratégie.
Avant d’entrer dans le détail de la restitution des résultats de la recherche, il nous paraît
nécessaire d’apporter au lecteur des éléments de synthèse liés à l’analyse des données.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
233
a) Une rapide synthèse des données
S’il est difficile de procéder à une quantification du phénomène a l’aide de données
qualitatives et déclaratives, il est possible de remarquer que 68 des 253 décisions étudiées au
travers des entretiens réalisés auprès des programmateurs renvoient explicitement à des
comportements imitatifs (26,9%). Les comportements imitatifs ont été plus fréquemment
identifiés au cours des entretiens menés auprès des radios musicales indépendantes qu’auprès
des réseaux (45 cas d’imitation concurrentielle chez les indépendants contre 23 chez les
réseaux nationaux). Cet écart tient principalement au fait que le nombre de décisions de
programmation abordées lors des entretiens menés au sein des radios locales et régionales est
globalement plus élevé que le nombre de décisions de programmation abordées avec les
programmateurs officiant dans des réseaux nationaux.
Tableau 13
Nombre de décisions abordées par les répondants
Radios indépendantes Réseaux nationaux Toutes radios
>ombre de décisions
abordées au cours des
entretiens
156 97 253
>ombre de décisions
identifiées comme
imitation concurrentielle
45 23 68
Part de l’imitation
concurrentielle 28,8 23,7 26,9
Dans ces cas « typiques » qui ont été identifiés comme faisant intervenir une part d’imitation
concurrentielle, les répondants ont expliqué avoir constaté l’entrée en programmation d’une
chanson sur une ou plusieurs radio(s) concurrente(s) avant d’entamer sa diffusion et
établissent un lien de causalité entre ces deux évènements104.
La définition de l’imitation que nous avons retenue est plus restrictive que celle adoptée en
2003 lors de la rédaction du rapport de l’Observatoire de la Musique. Ses auteurs se
contentaient, en effet, de recenser les titres qui pouvaient figurer sur plusieurs playlists. Nous
considérons ici que des radios peuvent diffuser les mêmes titres sans pour autant s’être
imitées les unes les autres. L’adoption des mêmes critères de sélection ou l’exposition à des
104 Nous retrouvons ici la définition de l’imitation qui a été proposée dans le premier chapitre de ce travail sur la base des travaux de Haunschild (1993).
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
234
mêmes conditions environnementales peuvent aussi être à l’origine de similarités dans la
population étudiée.
Le choix d’une méthodologie qualitative reposant sur des entretiens n’est pas sans poser un
certain nombre de questions liées, par exemple, à la tendance des répondants à rationaliser a
posteriori leurs décisions ou encore à la difficile généralisation des résultats. Dans le cas
présent, elle permet néanmoins de gagner en rigueur dans l’identification des comportements
imitatifs et, comme nous allons le voir, de mieux cerner les logiques qui sont à l’œuvre.
Contrairement aux études quantitatives antérieures consacrées à l’étude des formes
d’imitation concurrentielle, le lien entre adoption par le modèle et par l’imitateur est ici mis
en évidence105.
« Beh pour la petite histoire, je n’avais pas le disque. Là, je l’ai entendu, pour le coup sur FRJ. J’ai entendu ça un samedi après-midi et je me suis dis : “c’est quoi ce truc de malade ?” »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio régionale généraliste
Lorsqu’ils ont expliqué avoir imité un ou plusieurs concurrents, les répondants ont souvent
identifié la ou les radio(s) ayant joué le rôle de modèle. Comme le révèlent les graphiques
suivants, il serait réducteur de considérer que l’imitation ne concerne que des radios locales
prenant pour modèle le leader du secteur (NRJ) : les entretiens font ressortir que les
programmateurs locaux peuvent également s’imiter les uns les autres, ou encore s’inspirer des
programmations de réseaux nationaux thématiques tels que Fun Radio, Europe 2 ou Skyrock.
Les réseaux nationaux peuvent, également, scruter les programmations de leurs concurrents
ou se servir des playlists des radios indépendantes, en particulier lorsqu’ils sont à la recherche
de nouveautés.
105 Sur ce point, on pourra par exemple renvoyer le lecteur à la discussion proposée par Rhee, Kim et Han (2006) en conclusion de leur article consacrée aux comportements imitatifs dans le secteur automobile britannique.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
235
Modèles imités par les programmateurs
b) Le contexte, une donnée souvent oubliée
La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande
variété des pratiques d’imitation et des raisons individuelles qui les sous
présenter cette partie de l’analyse
des éléments de réponse à une
littérature.
De quelle façon l’incertitude environnante contexte, influent-ils sur les d’imitation concurrent
Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles
d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur
commençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le
déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le
point de départ de notre étude des
existante s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes
d’homogénéisation des stratégie
(DiMaggio et Powell, 1983), de diffusion des innovations
managériales (Abrahamson, 1991, 1996)
des entreprises (Deephouse, 1999)
Elle devient moins abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent
faciliter ou encourager les comportements imitatifs.
Une sélection de concurrents
13%
Un concurrent en particulier
46%
: Méthodologie et résultats
Schéma 17
Modèles imités par les programmateurs (68 décisions)
texte, une donnée souvent oubliée
La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande
d’imitation et des raisons individuelles qui les sous
présenter cette partie de l’analyse, ce premier chapitre de présentation des résultats apportera
une question de recherche formulée à l’issue de la revue de la
De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement s sur les raisons qui sous-tendent les
d’imitation concurrentielle ?
Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles
d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur
mmençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le
déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le
point de départ de notre étude des pratiques d’imitation concurrentielle.
s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes
stratégies, des pratiques, des structures dans un champ organisationnel
, de diffusion des innovations (Rogers, 2003)
(Abrahamson, 1991, 1996), d’amélioration ou de détérioration des performances
(Deephouse, 1999) ou de leurs chances de survie (Demil et Lecocq, 2006)
abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent
faciliter ou encourager les comportements imitatifs.
Une tendance générale41%
La diversité des modèles imités par les programmateurs interrogés laisse supposer une grande
d’imitation et des raisons individuelles qui les sous-tendent. Avant de
, ce premier chapitre de présentation des résultats apportera
question de recherche formulée à l’issue de la revue de la
et plus généralement – le tendent les pratiques
Une attention particulière sera donc portée aux éléments de contexte qui sont susceptibles
d’encourager l’imitation chez les programmateurs radio. A la manière de l’enquêteur
mmençant par étudier minutieusement la scène du crime avant d’en reconstituer le
déroulement, d’en cerner le mobile et d’en identifier les auteurs, cette étape constituera le
d’imitation concurrentielle. La littérature
s’est beaucoup intéressée aux conséquences de l’imitation concurrentielle en termes
, des structures dans un champ organisationnel
(Rogers, 2003) et des modes
, d’amélioration ou de détérioration des performances
(Demil et Lecocq, 2006).
abondante lorsqu’il s’agit d’identifier les facteurs de contexte qui peuvent
Une tendance générale
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
236
c) De l’observabilité
Lorsqu’il est question des facteurs de contexte qui sont à l’origine des phénomènes
d’imitation, l’explication la plus fréquemment adoptée tient au caractère incertain de
l’environnement. En restreignant l’accès à l’information, l’incertitude encouragerait
l’imitation car les décideurs y verraient un moyen de s’accaparer des informations
difficilement accessibles autrement (Banerjee, 1992). Ces derniers n’étant par ailleurs pas
capables de fonder leurs décisions sur des éléments tangibles, permettant une évaluation
précise des risques et des conséquences, ils chercheraient à rationnaliser leurs actions en se
conformant à des modèles existants (Gomez, 1994, 1996). Malgré l’importance accordée à
l’incertitude dans les théories existantes, le lien entre incertitude et imitation a, néanmoins,
rarement fait l’objet d’études de terrain. A l’instar de Haunschild et Miner (1997), les
chercheurs ayant tenté d’établir un lien positif entre imitation et incertitude sont souvent
parvenus à des résultats peu convaincants.
On pourra trouver, dans le travail de Greve (1998) notamment, une seconde piste de départ
liée, cette fois, à l’observabilité des comportements et des décisions des autres organisations.
L’idée est simple : puisque l’imitation implique une observation du modèle par l’imitateur
(Haunschild, 1993), il est logique qu’elle soit facilitée dans des contextes où les informations
relatives aux décisions des concurrents sont plus facilement accessibles. La proximité
géographique, l’appartenance à un même groupe ou encore l’exposition médiatique du
modèle constitueraient des éléments accentuant la probabilité de voir apparaitre des
comportements imitatifs.
Sans adopter une démarche purement déterministe qui consisterait à appréhender les
comportements imitatifs des radios musicales à la lumière exclusive du contexte dans lequel
elles opèrent, il nous semble indispensable de commencer la présentation de nos résultats en
tentant d’identifier des facteurs susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation dans le
champ organisationnel.
Ce premier chapitre de présentation des résultats sera organisé en deux sections. Nous nous
intéresserons, dans un premier temps, à la notion d’incertitude et verrons que l’activité de
programmation musicale confronte les individus à des choix dont ils ont du mal à évaluer les
risques et les conséquences potentielles. Si l’existence d’une orthodoxie professionnelle les
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
237
accompagne dans leur prise de décision, elle ne constitue qu’une réponse partielle à leurs
doutes. En dernier recours, les décideurs peuvent alors s’inspirer des solutions expérimentées
par leurs concurrents. Notre attention se portera ensuite sur un ensemble de facteurs
susceptibles d’encourager et de faciliter l’imitation au sein des radios musicales françaises.
Par leurs arguments promotionnels et la pratique des partenariats, les acteurs de l’industrie
musicale semblent ici jouer un rôle clé. Leur influence est renforcée par l’existence
d’éléments facilitant l’imitation en rendant observables par les programmateurs les décisions
de leurs concurrents. Nous pourrons alors conclure ce chapitre en ouvrant une discussion qui
sera prolongée à l’issue de la deuxième partie de la thèse.
1. UN CONTEXTE INCERTAIN
Pourquoi tel artiste est-il parvenu à séduire le public ? Peut-on prévoir le succès commercial
d’un disque ? Existe-t-il une formule magique pour composer des « hits » ?
Les réponses à ces questions ne manquent pas. Au cours des entretiens, les programmateurs,
ont pu mettre en avant le talent des artistes, la qualité de la production ou encore le travail
remarquable de promotion orchestré par la maison de disques pour expliquer les raisons du
succès d’un tube. Si l’énumération de facteurs pouvant permettre de comprendre, a posteriori,
la réussite d’un projet semble être un exercice facile, il semble en revanche beaucoup plus
complexe de prévoir, a priori, les chances de succès d’un disque inconnu du public. Ces
interrogations récurrentes, partagées avec les professionnels de l’industrie musicale,
constituent pourtant le cœur de l’activité de programmation musicale. « Comment on sait que
le titre est un tube ou pas ? – s’interroge ainsi le directeur d’un grand label – En fait, on ne le
sait pas. On a juste l’intuition que c’est un bon titre. Avec un peu… voilà, à force d’écouter
des titres, on a une certaine intuition. »
Parce qu’ils doivent essayer de deviner quels seront les disques qui susciteront un
engouement particulier dans le public – permettant ainsi d’accroitre l’audience de la station –
les programmateurs sont quotidiennement confrontés à l’incertitude. « C’est à nous d’investir
en quelques sortes – résumait Jean-Eric Valli, président du groupe Start, dans une interview
télévisée datant du milieu des années quatre-vingt dix106 – De faire un pari, de voir si ça plait
aux auditeurs, de jouer un morceau si ça leur plait, de le retirer si ça ne leur plait pas. »
106 Reportage de RadioMag (MCM) consacré à la station régionale Vibration (1995).
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
238
La tâche est d’autant plus difficile que les goûts du public sont souvent changeants et
insaisissables. Comme l’explique un interlocuteur rencontré dans le cadre de la recherche :
« On ne sait pas vraiment ce qu’ils attendent les consommateurs. C’est toujours délicat avec
la musique. Bien sûr qu’on saura qu’ils attendent un Madonna… et encore… ça peut ne pas
marcher ! »107 Les échecs répétés d’artistes considérés comme des valeurs sûres ont, en effet,
amené les programmateurs radio à se poser plus de questions qu’auparavant : « Maintenant, je
pense que c’est encore plus dur qu’avant. Même quand tu as un nom, tu peux passer à côté.
Les derniers morceaux de Michael Jackson, ils n’ont pas marché – se souvient ainsi le
directeur d’antenne d’une radio indépendante d’Île-de-France – Et pourtant, c’était quand
même Michael Jackson. Il a eu de “l’Airplay”108, forcément ! Mais ça n’a pas fait grand-
chose ! »
L’incertitude environnante est cependant indissociable de la perception et du ressenti des
programmateurs. Nous allons voir qu’elle peut se traduire par des doutes, des hésitations, des
inquiétudes ou des angoisses qui sont susceptibles de favoriser l’émergence de
comportements imitatifs.
« Des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. C’est vraiment lorsqu’on a des interrogations ou des doutes. On peut avoir des doutes, des inquiétudes… donc voilà. Des inquiétudes, j’en n’ai pas énormément. Mais euh… des doutes oui, c’est normal. »
Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante
« Quand tu as un doute comme ça, tu n’es pas starter. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante
1.1. LES DOUTES DU PROGRAMMATEUR
Le contexte d’incertitude dans lequel ils doivent prendre leurs décisions est à l’origine d’un
certain nombre de doutes chez les programmateurs. Ces hésitations sont d’autant plus
difficiles à surmonter que les professionnels du secteur mettent souvent un point d’honneur à
écarter leur sensibilité artistique personnelle afin de privilégier les goûts des auditeurs :
« Dans la mesure du possible, on essaie de ne pas trop mettre nos goûts trop en avant –
assure ainsi ce directeur des programmes – On ne fait pas de la radio pour nous ! On fait de
la radio pour les auditeurs qui nous écoutent ! Vous, vous pouvez très bien trouver un titre
moyen et l’auditeur lambda, lui, il peut trouver ça très bien. »
107 Entretien réalisé avec un attaché de presse. 108 Airplay : diffusions en radio
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
239
a) « Les voies du public sont impénétrables »
Prévoir la réaction du public à propos d’un titre n’est cependant pas chose aisée. Amené à
commenter sa décision tardive d’entrée en playlist d’un single de Nolwenn Leroy, une artiste
française révélée au public par une émission de télé-réalité, ce programmateur dans une radio
locale explique : « Autant j’ai apprécié énormément, autant je me suis dit au départ… comme
ça n’avait pas marché précédemment puisqu’on l’avait reçue plusieurs fois Folwenn. Je me
suis dit… Peut-être que je suis sceptique sur euh… comment les gens vont apprécier
Folwenn ? Est-ce qu’ils vont adhérer de suite ? Même si je trouvais que l’album était
excellent. »
Les programmateurs des radios indépendantes ne sont pas les seuls à avoir fait part de leurs
doutes. A NRJ, où un comité d’écoute se réunit chaque semaine pour sélectionner les disques
qui intégreront la playlist, les désaccords au sein de l’équipe de direction se traduisent souvent
par une mise à l’écart des artistes concernés : « Evanescence on a été un peu retardataires là-
dessus. On a eu le truc très tôt entre les mains, on l’a eu avant tout le monde et puis… et puis
dans notre comité d’écoute, il y avait une personne qui doutait et on n’a pas rentré
Evanescence au début. »
Comme le résume, de façon laconique, le directeur des programmes d’un grand réseau
national : « les voies du public sont souvent impénétrables ». L’allusion religieuse est assez
révélatrice de la situation dans laquelle sont placés les programmateurs. Ces derniers en sont
souvent réduits à devoir « croire » en un titre sans forcément être capables de fonder leur
décision sur des éléments tangibles. A la question « pourquoi avez-vous entré ce disque ? », la
première réponse apportée par les répondants se résume souvent à un sibyllin : « j’y croyais ».
b) « Ce qui m’a fait douter… »
Lorsqu’ils doivent décider d’entrer, ou non, un titre dans leur playlist, les doutes des
programmateurs peuvent se cristalliser sur différents éléments. Dans l’extrait qui suit, ce sont
les sonorités inspirées des années quatre-vingt d’un titre de Najoua Belyzel, une chanteuse
française ayant connu son premier succès commercial au cours de l’année 2005, qui sont à
l’origine des hésitations de ce directeur des programmes.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
240
« Alors ça… c’est le dilemme. Un son… à un moment, une conviction profonde que c’est un titre différent avec un vrai refrain, une mélodie. Et la peur de le jouer parce que c’est tellement différent… et voilà. Donc on se pose la question. On se dit : “Comment on va y aller ? Est-ce qu’on va y aller ? Pourquoi on devrait y aller ?” Et là, on attend un peu. On traîne. On n’est pas forcément les premiers dessus.»
Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’un réseau national
Une sonorité nouvelle, un déficit de notoriété de l’artiste, ou des échecs passés sont autant
d’éléments pouvant faire hésiter un programmateur et l’amener à écarter un disque… parfois
pour y revenir par la suite…
c) Des alternatives nombreuses
Le caractère pléthorique de la production musicale n’est pas sans compliquer la tâche de nos
décideurs. Quotidiennement, ce sont plusieurs dizaines de nouvelles productions qui leur sont
soumises. Le plus souvent, ces nouveautés font l’objet d’envois physiques des labels ou de
visites promotionnelles de leurs attachés de presse. Dans les radios locales et associatives, les
programmateurs peuvent accéder au « Media Music Center », une plateforme numérique
commune utilisée par les maisons de disques pour permettre l’accès à leurs dernières
productions. En complément du « circuit officiel », certains professionnels ont, en outre, mis
en place leur propre réseau d’approvisionnement par l’intermédiaire de DJs ou de
programmateurs officiant dans des radios étrangères (on parle alors d’import).
De façon plus occasionnelle, les programmateurs des grandes radios sont parfois associés, en
amont, à des projets en cours. Si les alternatives sont généralement connues des
programmateurs (nous ne sommes pas dans une situation d’incertitude radicale au sens de
Knight), c’est semble-t-il leur nombre qui complexifie la tâche des programmateurs. Cette
difficulté est renforcée par le nombre restreint des places en playlist.
« Il n’y a pas tant de places que ça en playlist, on ne peut pas tout développer ! La playlist, c’est soixante titres. Donc euh… quand on sait qu’on reçoit en moyenne entre trente et quarante titres par jour. Bien évidement, on ne peut pas tout passer. Les choix sont parfois difficiles, parfois douloureux et puis, il y a des fois des choses qu’on écarte…»
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
241
Comme l’indique un article paru dans le supplément Radio et Télévision du Monde, « cette
liste de chansons fait l'objet de toutes les attentions : analysée à la loupe, composée au
scalpel, elle doit parfaitement correspondre à la communauté d'auditeurs visée, et renforcer
l'identité de la station »109. Le problème du nombre de places disponibles est alors renforcé
par une contrainte liée au respect d’équilibres musicaux définis en fonction du format de la
radio. « Il y a des moments on doit renoncer parce que aussi, quand on construit la playlist, il
faut des équilibres – nous précise ce répondant. Il suffit qu’on ait deux, trois choses “R’n’B”
à côté pour se dire : Bon bah celui-là, il est évidemment de trop, on ne peut pas le mettre là
maintenant donc on va le laisser et puis on verra bien hein. C’est ce qu’on fait sur quantité de
titres. »
d) L’angoisse du sondage
Omniprésents en période normale, les doutes et les hésitations des programmateurs se
transforment en véritable angoisse lors des périodes de sondage. Les données utilisées par
l’Institut Médiamétrie pour arrêter les résultats d’audience des radios ne sont, en effet,
collectées que pendant quelques semaines chaque année. Durant ces périodes, les craintes des
programmateurs peuvent être de nature à les empêcher de prendre toute décision. « En
période de sondages, généralement, les mecs freezent la playlist quoi – s’énerve ce directeur
de label qui aimerait bien entendre certains de ses jeunes artistes plus régulièrement à la radio.
C'est-à-dire qu’ils jouent leurs tubes et ils ne switchent pas. Et fait, ces périodes de sondages,
c’est les quinze jours où ils sont notés et les mecs sont tétanisés. Ils ne changent plus rien
quoi… Ils passent le Bac et ils font : “Alors… le disque de Placebo est-ce qu’il teste ? Ok, on
va jouer le Placebo !” Et nous on va leur dire : Oui mais tu pourrais jouer le nouveau
Placebo. Ça fait quand même deux mois qu’on est sur celui-là… et eux : “Fon non non, il
teste ! Tu comprends, j’attends la vague Médiamétrie.” »
Véritable examen de passage, le sondage Médiamétrie est régulièrement comparé par les
professionnels du secteur au baccalauréat.
109 « Le matraquage musical des radios jeunes », Le Monde RADIO-TELEVISIOF daté du 16 juin 2005.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
242
« Cette angoisse là est absolument insupportable. On arrive en juillet, on se demande : “Est-ce qu’on a le bac ? Est-ce qu’on est recalés ?” Tous les ans, on vit cette angoisse et des fois, on a des bonnes surprises… et puis d’autres fois, on en a des mauvaises. Il faut apprendre à avoir la victoire modeste, et la défaite modeste également. C'est-à-dire que… il faut essayer de relativiser. Quand vous vous êtes plantés, vous vous dites : “Bon, on va s’y remettre, on va repartir au combat”. Quand vous avez réussi, il faut rester simple, rester humble. Parce que là, on ne sait jamais ce qui se passera l’année suivante. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio locale
Les propos de ce répondant, un programmateur expérimenté, traduisent une certaine distance.
Les résultats des sondages y sont décrits comme temporaires et relativement aléatoires. Pour
la plupart des programmateurs en revanche, le sondage est directement lié à leurs décisions de
programmation. A l’instar de ces deux programmateurs qui officient sur un réseau national
thématique, la diffusion de nouveautés est souvent décrite comme une attitude risquée à
proscrire : « Fous, ça on la connaît la sanction ! Dès qu’on prend des libertés en matière de
programmation, de nouveautés et tout, on se tape des sondages intermédiaires de m…. Donc
d’un côté on nous reproche euh… de favoriser toujours les mêmes artistes, de jouer toujours
la même chose mais dès qu’on joue des nouvelles choses, les gens ne nous écoutent plus. »
Au-delà du sondage en lui-même, ce sont souvent les conséquences d’une mauvaise
performance qui sont redoutées. Lors des entretiens, celles-ci ont pu être reliées à la carrière
du programmateur ou à la survie de l’organisation dans son ensemble.
« Je suis conscient qu’il y a des sondages. Les sondages sont le résultat de notre travail et ont des conséquences sur le taux de remplissage et le prix de nos spots. Et il y a 1 600 salariés qui sont liés à cette marque. Donc on ne peut pas faire n’importe quoi. Un titre pas très bon, l’inconnu, tout ça… c’est du zapping. Mais en même temps… la peur… ou le doute… le doute, la peur… par moments la peur… c’est très bon parce qu’un titre qui interpelle autant, c’est qu’il a quelque chose. »
Entretien réalisé auprès du directeur général et des programmes d’un réseau national
e) Doutes et hésitations des programmateurs : une synthèse
Quatorze types de doutes et d’hésitations chez les programmateurs ont été identifiés lors de
l’analyse des données. Il nous semble possible de distinguer les éléments relatifs à la décision
elle-même (choix d’une alternative, contraintes à intégrer dans la prise de décision, avis
personnel), des éléments qui portent sur les conséquences anticipées ou redoutées de la
décision.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
243
Tableau 14
Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs
Doute / hésitation Verbatim illustratif
Doutes et
hésitations
portant sur la
décision
Alternatives trop nombreuses « Il y avait Kayliah avec “Quand une fille est love” qui était joué sur pas mal d’autres radios. Et puis, il y avait plein d’autres titres qui se ressemblaient un peu tous… c’était compliqué. »
Avis divergent de l’équipe ou des supérieurs hiérarchiques
« Alors ça j’ai un peu un regret. C’est un morceau que je connais depuis longtemps puisqu’il passait sur une radio américaine qui s’appelle KTU, qui est la radio “Dance” de Few-York. Et en fait, j’aimais bien. Et je me suis laissé convraincre par mon équipe… et ils n’étaient pas d’accord avec moi. »
Eloignement de la chanson par rapport au format
« C’est euh… d’abord c’est un super titre. C’est créatif ! C’est artistique ! C’est original ! Mais c’est vrai que théoriquement, ce n’est pas notre matière première. »
Mauvais résultats aux tests « Dans le style musical, je sais que dans les tests qu’on a fait, il ressortait que tout ce qui était “R’n’B” machin, ça n’accrochait pas trop. C’est ce qui ressort des tests donc bon… quand on tombe sur un truc comme ça, on est méfiants. »
Méfiance vis-à-vis de son propre jugement ou de sa propre lassitude
« Des fois, j’en parle avec des attachés de presse que je connais bien et régulièrement, il y a des titres qui arrivent, j’écoute et je me dis “Oh c’est super… mais c’est trop bien… mais ça ne marchera pas”. Et là c’était un peu ça. Et ils sont dégoutés. Ou bien : “C’est trop classe ! C’est bien mais ton morceau, il est trop classe”. Je me méfie un peu de ce que je peux aimer moi. »
Pas accès aux tests « Fon et puis, c’était Sinsemilia aussi. Parce que nous, on l’a joué très tôt. Donc c’était : “Est-ce que je le baisse parce que mes auditeurs sont lassés ?” Et là… d’où l’utilité des tests… mais là je ne les avais pas. »
Pas de places en playlist « Il y a un moment, je ne peux pas rentrer quinze mille artistes. Je n’ai pas quinze mille places. Le problème, c’est qu’à un moment donné, toute décision de programmation devient une décision politique. On fait de la politique, c’est clair ! On touche quatre millions de personnes. Tout le monde veut passer ! »
Quotas à respecter « On revient toujours sur la notion de quotas français. Et là, d’ailleurs c’était le cas présent. On avait Brett avec… c’était quoi ce titre… “Trois nuits par semaine” une reprise. Et ça s’épuisait un peu. Et il me fallait un titre à monter en rotation. »
Réserves artistiques « Moi perso, je trouve ça nul ! Moi, en tant que programmateur, ça n’apporte rien. J’ai trouvé ça lourdingue, la chanson lourdingue, j’ai détesté la voix du mec. »
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
244
Tableau 14 (suite)
Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs
Doute / hésitation Verbatim illustratif
Doutes et
hésitations
portant sur la
décision
(suite)
« Trucs en développement » (in vivo) « Bon, il y a des trucs en développement c’est compliqué. L’inconnu tout ça. Quand FRJ s’y met, on se dit bon… c’est déjà ça. »
Doutes et
hésitations
portant sur les
conséquences
de la décision
Craintes des conséquences d’une mauvaise décision pour la radio
« Je suis conscient qu’il y a des sondages. Les sondages sont le résultat de notre travail et ils ont des conséquences sur le taux de remplissage et sur le prix de nos spots. Et il y a 1600 salariés qui sont liés à cette marque. Donc on ne peut pas faire n’importe quoi. »
Craintes des conséquences d’une mauvaise décision pour le répondant
« Fon mais j’avais peur de me planter. Si je me plante trop souvent… au bout d’un moment… je me fais dégager aussi. »
Craintes portant sur la réaction des auditeurs
« On avait peur que l’auditrice de base se dise : “oh la la c’est la même chose.” Et ça… pffff… c’est vraiment un truc à part dans notre programme. Est-ce que c’était vraiment intéressant d’être là au rendez-vous tout de suite ? On a attendu un peu. »
Peur de perdre en crédibilité « Pour moi, Amel Bent, elle vient de “A la recherche de la nouvelle star”… elle n’avait pas la légitimité “R’n’B”. Mais euh… bon… je ne veux pas perdre en crédibilité vis-à-vis de mes auditeurs. Elle, elle n’était pas crédible au début. »
Synthèse 15
L’incertitude, une expérience quotidienne pour les programmateurs
� Le contexte d’incertitude dans lequel les programmateurs doivent prendre leurs décisions est à l’origine de doutes et d’hésitations.
� Les programmateurs peuvent ainsi avoir l’impression d’être en décalage avec les goûts du public (métaphore : « les voies du public sont impénétrables ») et en sont réduit à « croire » au potentiel des disques qui leurs sont soumis sans disposer d’éléments tangibles pour appuyer leur jugement.
� La tâche est rendue plus complexe encore par le caractère pléthorique de la production musicale. Les programmateurs ne sont pas en mesure d’étudier toutes les alternatives qui sont à leur disposition.
� Des sondages sont réalisés plusieurs fois par an pour mesurer l’audience des radios. Ces périodes sont décrites comme très angoissantes par les répondants. L’angoisse est d’autant plus forte que, prise isolément, une décision de programmation peut difficilement être reliée au résultat d’audience de la radio.
� L’analyse des entretiens réalisés auprès des programmateurs fait ressortir quatorze types de doutes et d’hésitations chez les programmateurs.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
245
1.2. UNE REPONSE PARTIELLE : « L’ORTHODOXIE DU TOP 40 »
Conscients de devoir naviguer « à vue », certains répondants ont développé de véritables
martingales à l’image de ce programmateur qui a établi une théorie « du petit piano » pour
décider des disques à intégrer à la programmation de sa radio : « Quand on ausculte un petit
peu le phénomène, quand on décompose le titre, et si on le joue par exemple sur un petit
piano… on s’aperçoit qu’il y a une chanson dedans. Un truc qu’on peut fredonner sous la
douche. Tout simplement. Et ça, c’est valable sur plein d’autres choses. […] Ce qui prouve
bien ma théorie du petit piano, c’est que, quelle que soit après l’instrumentation et les trucs
qu’on utilise, s’il y a une chansonnette, une mélodie qui se retient : ça passe. »
La plupart des programmateurs se réfèrent néanmoins à « l’orthodoxie du Top 40 », un
ensemble de normes et d’outils imaginés au milieu des années cinquante aux Etats-Unis, pour
réaliser leurs choix. Comme nous l’avons vu plus tôt, ce modèle continue à servir de référence
dans les radios musicales. Playlist, horloges, rotations se sont aujourd’hui banalisées. Et si les
« call-out », ces études marketing réalisées auprès de panels d’auditeurs en vue de tester les
disques, demeurent cantonnés aux réseaux musicaux nationaux et régionaux les plus
importants, c’est plus à cause de leur coût prohibitif qu’en raison d’une volonté délibérée des
radios indépendantes. « Fous, on n’a pas les « callout » – confie ainsi le directeur des
programmes d’une station régionale leader sur sa zone de diffusion. Ça coûte très très cher…
J’espère enfin… je tanne la direction pour y arriver un jour. Aujourd’hui, ça ne fait pas
partie de nos priorités… euh… même si ça fait partie de mes priorités (rires). »
Véhiculée par le recours à des consultants américains et le fort « turn-over » dans l’industrie,
cette orthodoxie professionnelle contribue à l’homogénéisation du secteur, d’une part en
définissant plusieurs formats types110 mais aussi en conduisant les programmateurs à
appliquer un certain nombre de critères de sélection vis-à-vis de la production musicale. Ces
critères étant partagés, les programmateurs peuvent prendre les mêmes décisions de façon
autonome. Le même disque pourra alors être sélectionné par deux programmateurs sans qu’ils
se soient imités mais parce qu’ils auront appliqués les mêmes règles de décision.
110 En renverra le lecteur souhaitant avoir le détail des principaux formats utilisés aux Etats-Unis à l’annexe 1. Voir également Mitchell, Lister et O'Shea (2009) et la classification opérée par l’institut de mesure d’audience américain Arbitron http://www.arbitron.com/home/formats.htm.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
246
C’est ce qui transparait dans le verbatim suivant, tiré d’un entretien réalisé dans une station
indépendante généraliste souvent désignée par NRJ comme imitant sa programmation.
« Je ne pense pas qu’on copie FRJ. Quand tu regardes nos playlists, chacun a un petit peu ses exclus. Alors forcément, euh… une radio “Top 40” ressemble à une autre radio “Top 40”. Parce que c’est une radio “Top 40” ! Donc voilà… les “hits”, à un moment donné, il n’y a en a pas 36 000. »
Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio indépendante généraliste
a) Les « ingrédients d’un hit »
« Myriam Abel c’était un bon titre. Le refrain est bon… il y avait tous les ingrédients »
explique un programmateur lorsqu’il évoque le disque d’une artiste issue d’une émission de
télé-réalité. Nous retrouvons ici une métaphore souvent utilisée par les répondants assimilant
le « hit » à une recette de cuisine111. La qualité d’une chanson découlerait alors des
ingrédients ayant « servi » à sa fabrication. La durée du disque (pas plus de trois minutes et
trente secondes), la puissance du refrain, l’existence de gimmicks, la notoriété de l’artiste sont
autant d’éléments utilisés par les professionnels rencontrés dans le cadre de la recherche pour
définir un « hit ».
Nous retrouvons ici un phénomène proche du processus normatif décrit par DiMaggio et
Powell (1983, p.152) pour qui les membres d’une profession s’accordent souvent « pour
définir les conditions et les méthodes et pour établir une base cognitive légitime à leurs
activités »112. Comme le note Dejean (2005, p.87), « la norme ne contraint pas le
comportement […] mais l’oriente en servant de critère de décision. » C’est sur ce caractère
obligatoire que se fonde la distinction opérée par l’auteure entre norme et règle.
L’analyse des entretiens nous a conduit a regrouper les « ingrédients d’un hit » en trois
grandes catégories : (1) les éléments liés à la chanson, (2) les éléments liés aux artistes, (3) les
éléments liés au travail de promotion et à l’implication de la maison de disques.
111 Les termes « hits » et « tubes » semblent utilisés par les répondants de façon indifférenciée. 112 “We interpret professionalization as the collective struggle of members of an occupation to define the conditions and methods of their work, to control the production of producers, and to establish a cognitive base of legitimation for their occupational autonomy.”
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
247
Encadré 11
Les « ingrédients d’un hit »
Eléments liés à la chanson en elle-même :
Un « hit » est « cross-over » (il plait à toutes les cibles démographiques) : « ça plaît à tout le monde. Le gamin de cinq ans, il danse comme ça devant ses parents, le père qui en a quarante, il tape sur le volant quand il entend la chanson en allant au boulot, et puis… les gens ont envie d’écouter ça. »
Un « hit » se définit par sa construction et par son refrain : « Quand je l’ai écouté, je me suis dit “voilà un titre bien calibré, bien foutu, qui va tout de suite à l’essentiel…” Des couplets courts, des refrains sympas… c’est le plus important le refrain, quand tu chantes un titre, tu chantes le refrain, pas les couplets ! »
Un « hit » est facilement mémorisable. Il pourra, par exemple, intégrer des « gimmicks » (des éléments récurrents) ou être construit sur la base d’un « sample »113 déjà connu : « C’est ce qui fait que tu retiens, c’est le “gimmick” sonore la mélodie ! »
Eléments propres aux interprètes :
Un « hit » doit être facilement identifiable. Le timbre de la voix de l’interprète jouera ici un rôle crucial : « Il faut savoir que… en termes de musique, l’identification, c’est très important. Il y a beaucoup de choses qui passent partout. Tout n’est pas forcément annoncé par les animateurs, parce que sinon, ils ne feraient que ça… et ça ne serait pas très drôle. Donc l’identité sur un titre, c’est très important ! Quand les gens peuvent identifier tout de suite de qui ça vient, ça permet une notoriété beaucoup plus rapide sur le titre donc forcément... Ça permet d’aller beaucoup plus vite sur un titre. En l’occurrence, la voix de la fille est très remarquée. Il suffit qu’elle chante, on sait tout de suite que c’est Evanescence. »
Selon l’orthodoxie professionnelle dans laquelle s’inscrivent les programmateurs, un artiste déjà connu du public a plus de chances de faire un « hit » qu’un nouveau talent : « Ouais ça c’est… pour le coup c’est une valeur sûre. C’est Africanism114, c’est connu… »
113 Un « sample » est un extrait d’une chanson souvent assez ancienne qui a été utilisé pour construire la base musicale d’une nouvelle production. Le titre « Hung Up » de Madonna (sorti en 2005) est ainsi construit sur la base d’un sample tiré de « Gimme! Gimme! Gimme! (A Man After Midnight) », une chanson du groupe Abba sortie en 1979. 114 Production du DJ français Bob Sinclar.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
248
Encadré 11 (suite)
Les « ingrédients d’un hit »
Eléments liés au travail de promotion et à l’implication de la maison de disques :
Un « hit » ne peut se concevoir sans un appui promotionnel et marketing de la maison de disques : « Tu regardes comment ça se passe, s’il y a de la pub à la télé, comment le disque est perçu. »
Sans être nécessairement lié au parcours d’un disque en radio, les moyens octroyés par la maison de disques pour la réalisation d’un clip peuvent être un indicateur de l’implication financière du label : « Moi, si c’est ça, je me dis que la maison de disques se donne les moyens, qu’il y a du budget derrière, qu’ils vont peut-être mettre le clip en avant… Le clip, c’est très important ! Moi, je regarde souvent… souvent, tu as des clips qui sont… je ne parle pas sur des grosses grosses maisons de disques… mais même remarque pour les bonnes maisons de disques, tu as des disques que tu sens assez bien et qui démarrent un petit peu mais derrière, tu n’as pas le budget et tu n’as pas les moyens forcément pour tourner un clip. »
Ce travail de développement marketing peut également s’inscrire dans le cadre d’une promotion liée (par exemple lorsque le titre a été retenu pour figurer sur la bande originale d’un film ou d’un spot publicitaire) : « Moi je pensais que c’était un énorme tube, et que l’environnement s’y prêtait : Le film arrivait en France. »
L’approche de la musique induite par « l’orthodoxie du Top 40 » conduit les programmateurs
à appréhender les productions musicales qui leur sont soumises en analysant leurs
caractéristiques afin de savoir si elles possèdent tous les « ingrédients d’un hit ».
Cette approche conduit à définir le « hit » de façon « objective », comme un disque répondant
aux critères de sélection présentés dans l’encadré 11. « L’orthodoxie du Top 40 » pose un
ensemble de normes qui orientent les décisions individuelles.
Les critères de sélection communs à toutes les radios musicales permettent de réduire le
nombre d’alternatives, de faire un premier tri, d’établir une liste réduite des titres pouvant
potentiellement être programmés par la radio. Nous allons voir qu’ils ne constituent
néanmoins qu’une réponse partielle.
b) Des alternatives équivalentes
Des titres perçus comme équivalents pourront, alors, prétendre à une même place en playlist.
Comme dans les jeux de pure coordination (Lewis, 1969), l’incertitude découle ici de
l’existence de plusieurs options indifférenciées. Pour s’opérer, la sélection finale devra sortir
du cadre étriqué du choix rationnel autonome (Orléan, 2004a ; Sugden, 1989). Place à
l’intuition, à la sensibilité artistique… ou encore à l’imitation.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
249
A la définition « objective » du « hit » conduisant les programmateurs à définir un « bon
titre » (un « hit », un tube) comme un titre répondant à un ensemble de critères (qui sont
d’ailleurs assez peu souvent remis en question), s’en ajoute une autre, plus tautologique :
« c’est un “hit” donc tout le monde le joue, tout le monde le joue donc c’est un “hit” ».
L’adoption d’un titre par autrui sera alors perçue comme un indicateur de sa qualité :
« D’accord, c’est un joli titre – admet ainsi le directeur des programmes d’une station
indépendante en évoquant le premier single de James Blunt, un artiste britannique qui a connu
son premier succès à l’été 2005115. Mais est-ce que c’est un “hit” aujourd’hui ? Pas trop. Pas
trop. Il ne tourne pas énormément. Mais il tournerait aujourd’hui à la fois… il doit tourner
sur Europe 2. Mais il tournerait à la fois sur FRJ, sur Europe 2, sur RTL 2, et sur les locales,
on considèrerait que c’est un “hit”. Un gros “hit”. »
Loin de permettre aux acteurs de décider en totale autonomie, l’orthodoxie professionnelle
semble renforcer leur interdépendance. Le caractère incomplet des normes de sélection
héritées du modèle « Top 40 » place les programmateurs devant un choix insurmontable.
« Alors Hillary Duff, moi j’ai regardé un peu les classements internationaux. Je n’étais pas fan, fan, fan, du morceau au début. J’ai regardé les classements, j’ai vu qu’elle marchait bien à l’étranger, qu’elle était numéro un aux Etats-Unis. En même temps, j’étais à la recherche de nouveautés internationales “Pop-Rock” parce que je savais que la “Pop-Rock” arrivait. J’avais plusieurs titres possibles… Honnêtement, j’ai vu que deux trois radios l’avaient démarré. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format musical généraliste
Même si la plupart d’entre eux explique privilégier « les goûts des auditeurs », les
programmateurs ont souvent beaucoup de difficultés à faire abstraction de leurs jugements
personnels. La situation est particulièrement délicate lorsque les critères de sélection
véhiculés par l’orthodoxie professionnelle vont à l’encontre de leur sensibilité artistique.
115 L’entretien a été réalisé avant l’été.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
250
L’extrait suivant fait apparaître ce « double-bind » auquel peuvent parfois être confrontés les
décideurs.
« Enorme titre. Totalement évident… alors que foncièrement c’est de la soupe…Moi j’aime bien mais… ça ne me touche pas…Ça ne me touche pas plus que ça…Parce que c’est une chanson pfff… plus formaté que ça, il n’y a pas. Mais c’est bien hein… Mais bon, la chanson est américaine hein. Ça aurait pu être Whitney Houston, ça aurait pu être n’importe qui. C’est pour ça, que j’aime bien hein… Mais ça ne me fait ni chaud ni froid. »
Entretien réalisé auprès du directeur de la programmation musical d’un réseau national destiné aux adultes
Placés en situation d’indécidabilité, les programmateurs peuvent alors utiliser l’imitation pour
trancher.
Synthèse 16
« L’orthodoxie du Top 40 » : un référentiel incomplet
� Pour pouvoir prendre des décisions malgré l’incertitude environnante, les programmateurs se réfèrent à un ensemble de méthodes, d’outils et de critères de sélection. Nous qualifions cet ensemble de normes professionnelles « d’orthodoxie du Top 40 »
� « L’orthodoxie du Top 40 » permet notamment de cerner des caractéristiques supposées permettre d’identifier les « hits » (« les ingrédients d’un hit »).
� Ces critères sont néanmoins incomplets : (1) le volume de la production musicale place les programmateurs devant des alternatives équivalentes, (2) le « hit » n’est pas seulement définit de façon objective mais aussi de façon tautologique (en fonction de sa diffusion par les autres radios), (3) les critères peuvent être contredits par la sensibilité artistique du programmateur.
1.3. LES QUOTAS, UNE DIFFICULTE SUPPLEMENTAIRE
Nous venons de voir que l’incertitude entourant les décisions des programmateurs et les
doutes qui en découlent pouvaient trouver une réponse dans l’existence de normes communes
(« l’orthodoxie du Top 40 »). Compte tenu de l’abondance des productions qui sont soumises
aux programmateurs, cette réponse n’est cependant que partielle. Les programmateurs
peuvent alors faire intervenir l’imitation pour réaliser leurs choix.
Cet équilibre précaire peut être modifié lorsque les programmateurs doivent intégrer une
donnée nouvelle, le respect de la législation relative aux quotas de chansons d’expression
francophone et de nouveaux talents. Ce système de quotas, issu d’un amendement présenté
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
251
par le sénateur Michel Pelchat en 1994 (article 12 de la loi n° 94-88 du 1er février 1994),
oblige les radios à réserver une part significative de leur programmation à des œuvres
francophones (actuellement, entre 35 et 50% des diffusions en fonction du format de la radio),
et à des nouveaux talents. En cas de non respect de ces obligations, des sanctions peuvent être
décidées par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (elles consistent la plupart du temps en
une amende mais peuvent également se traduire par une suspension temporaire des
émissions).
Au cours des entretiens, cette règle a occasionné de nombreux commentaires. Une minorité de
répondants a expliqué ne pas éprouver de difficulté particulière à « faire [ses] quotas ». Le
respect des contraintes légales a alors été décrit comme une question essentiellement
technique : « Fous ça ne nous embête pas trop – estime le programmateur d’une station
indépendante du Sud de la France. Je calibre en fonction des horloges. Il me faut tant de
français dans l’heure. »
Pour la majorité des programmateurs, le respect de la législation pose pourtant de réelles
difficultés. Comme l’explique cet interlocuteur, qui officie sur une radio indépendante d’Île-
de-France, « la musique française, chez nous, c’est là où on se pose le plus de questions.
Quand c’est français c’est compliqué ». Parfois perçus comme moins qualitatifs que les
productions internationales, les titres français ont souvent été décrits comme risqués.
« C'est-à-dire qu’aujourd’hui, quand vous programmez un titre en français sur une radio telle que la nôtre, vous vous mettez un petit peu en porte-à-faux. C'est-à-dire que vous affaiblissez le programme. »
Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio indépendante
Le problème est encore plus complexe lorsque « la production n’est pas en face ». En effet, si
la production francophone est riche dans certains genres musicaux tels que la variété ou le
« R’n’B », elle se fait – aux dires des répondants – moins abondante en matière de « Rock »
ou de « Dance Music ». Certains programmateurs peuvent donc éprouver des difficultés à
respecter les quotas tout en maintenant les équilibres musicaux inhérents à leur format. La
législation est alors susceptible d’homogénéiser les décisions prises par les acteurs du secteur
– à la manière des pressions coercitives qui viennent contribuer à l’isomorphisme au sein d’un
champ organisationnel donné (DiMaggio et Powell, 1983) – mais aussi de venir renforcer les
comportements imitatifs des acteurs du secteur.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
252
« Ça devient un problème, et là depuis quelques mois je trouvais que c’était assez difficile, parce que bon… avec les fusions dans les maisons de disques, ils envoient un petit peu moins de CDs. On sent bien que ça s’appauvrit. Ça tire plutôt vers le bas que vers le haut. Et euh… pour des restrictions de budget. Et nous, à l’arrivée, on est tributaires des maisons de disques et des envois qu’on nous fait parvenir. Donc si on reçoit trois titres français et que sur ces trois là, il n’y en a aucun qui : 1) rentre dans le cadre de la couleur qu’on veut donner à la radio, 2) qui n’a pas la connotation tube ou “hit”, on est un petit peu coincés pour faire du quota. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste
a) Des difficultés récurrentes
Les difficultés à respecter la législation semblent être plus importantes pour programmateurs
officiant dans des radios positionnées sur des formats thématiques (particulièrement « Rock »
et « Dance ») : « C’est compliqué parce que la musique qu’on diffuse, en général, elle n’a pas
une grosse expression francophone » explique le directeur des programmes d’une station
indépendante spécialisée dans la « Dance ». Des propos confirmés par un autre
programmateur officiant sur une radio du même type : « Bien sûr, Daft Punk, Bob Sinclar,
David Guetta ou Martin Solveig, ce sont des artistes français… mais leurs productions… elles
sont en anglais. Alors que ce sont les artistes français qui vendent le plus de disques dans le
monde, et nous, on ne peut pas les compter dans nos quotas. C’est vraiment débile parce que
dans notre cas, cette loi, elle n’est pas au service de la création française. »
Cette impression est partagée par le directeur de la programmation musicale de cette radio
« Rock » parisienne : « Je pense qu’on est en France, on est un média français, on se doit de
défendre la production française. Moi je suis complètement pour ça, c’est normal. Après,
c’est l’adaptation qui en a été faite. Ca, c’est beaucoup plus discutable. On a parlé de
production par exemple. Quand on parle de quotas, on ne parle pas de production, on parle
de quotas de chansons chantées dans la langue française. C’est complètement différent. Et ça
peut être contraignant à certains moments. Et ça dépend aussi du format. Alors, c’est sûr que
dans un format “Rock”, ce n’est pas facile du tout. »
Si elles peuvent s’appuyer sur la discographie d’artistes français reconnus, les radios
positionnées sur des formats « adultes » butent, quant à elles, sur l’obligation de diffusion de
« nouveaux talents ».
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
253
« Fous, les formats adultes, on a aussi les quotas de nouvelles productions. Tout ce qui est au dessus de six mois ne compte plus comme nouvelle production. Donc de toutes façons, sur un format adulte, je ne peux pas me contenter de jouer Patrick Bruel, Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national ciblant les adultes
b) Les quotas de chansons françaises : une source de difficultés
Pour respecter leurs obligations, ces programmateurs ont alors tendance à sélectionner des
titres francophones éloignés de leur format musical. Les radios positionnées sur une
thématique « Rock » pourront ainsi s’orienter vers des titres plus « Pop » et les radios
« Dance », vers des titres « R’n’B ». « Ce disque, s’il n’y avait pas la loi des quotas, ne
passerait pas sur la radio – confie le directeur des programmes d’une radio « Dance » à
propos d’un titre « R’n’B » interprété par un artiste français. C’est ce qu’il y a de moins pire et
qui se rapproche le plus de notre format. Donc il faut que ça bouge un peu, euh… et euh…
que ce soit à peu près bien produit. Donc là, ça correspond tout à fait et donc, on l’a rentré.
Mais c’est évident que s’il n’y avait la loi des quotas, on ne le jouerait pas. »
En s’éloignant de leur positionnement d’origine, certains répondants semblent avoir le
sentiment de se mettre en danger et d’affaiblir leur format. Pour limiter les risques, ils
privilégient alors des entrées tardives en playlist.
Synthèse 17
Difficultés inhérentes aux quotas de chansons françaises
� Les radios doivent réserver une certaine part de leurs programmes à des productions d’expression française (entre 35 et 50% des diffusions musicales).
� Certains répondants ont fait état de leurs difficultés à respecter ces obligations légales. Ceux-ci officient, le plus souvent, dans des radios spécialisées dans des genres musicaux où les artistes francophones sont peu représentés (« Rock », « Dance »).
� Devant s’éloigner de leur format de prédilection, ces programmateurs ont souvent tendance à pratiquer l’imitation concurrentielle.
2. UNE IMITATION ENCOURAGEE ET FACILITEE
Nous avons vu que le contexte d’incertitude dans lequel évoluent les programmateurs permet
d’expliquer, au moins en partie, les comportements imitatifs observés dans le secteur. Compte
tenu du caractère incertain et changeant des goûts du public, les programmateurs ne disposent
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
254
pas de bases solides sur lesquelles fonder leurs décisions. En proie aux doutes et aux
hésitations, ces derniers mobilisent souvent des normes véhiculées par l’orthodoxie
professionnelle du « Top 40 ». L’importance de la production musicale et la législation
relative aux quotas de chansons d’expression française confèrent à ces normes un caractère
incomplet. Les programmateurs peuvent alors imiter leurs concurrents pour surmonter leurs
doutes et leurs hésitations.
L’incertitude environnante n’est pas le seul élément influençant les comportements imitatifs
dans le secteur étudié. Ces derniers semblent en effet être encouragés par les pratiques de
promotion des acteurs de l’industrie musicale, et facilités, notamment par l’existence des
services proposés par Yacast, une société spécialisée dans la fourniture d’études musicales et
publicitaires. Si l’outil permet aux programmateurs d’observer en temps réel l’évolution des
playlists de leurs concurrents, il constitue également un instrument de veille et de contrôle
utilisé par l’industrie musicale. Comme l’explique le directeur de la promotion d’un label
musical, le service a très rapidement été utilisé par les maisons de disques pour suivre les
diffusions de leurs artistes sur le média radio.
« Yacast étant l’institut qui pige ces radios pour euh… le CSA et pour les maisons de disques… c’est une espèce de mouchard formidable pour savoir ce qui se passe en temps réel sur nos artistes. Oui… ça nous coûte très cher mais en même temps, c’est un vrai contrôle de suivi de programmation. »
Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un important label
Sur Yacast, les labels peuvent suivre en temps réel les diffusions de disques réalisées sur un
panel de radios incluant, en plus des principaux réseaux nationaux, les radios locales les plus
écoutées ou considérées comme les plus représentatives du paysage radiophonique
indépendant (annexe 3). Ce sont les acteurs de l’industrie musicale qui décident de la
composition du panel. Occasionnellement, un suivi ponctuel d’une radio peut être mis en
place (souvent à la demande de l’autorité de régulation en vue de veiller au respect de la
législation relative aux quotas de chansons françaises). En plus du service de suivi en temps
réel, les données de Yacast sont utilisées afin de construire des classements hebdomadaires
des diffusions radio (« Airplay »). Ces derniers sont disponibles sur le site Internet de Yacast
et repris dans Musique Info Hebdo, l’hebdomadaire de référence du secteur. Si « l’Airplay »
est utilisé par les professionnels de l’industrie musicale pour décider des quantités de disques
à mettre à la disposition des distributeurs, il leur permet aussi de vérifier que les radios
musicales respectent bien leurs engagements de diffusions d’artistes.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
255
« On a donc ce mouchard… Appelons les chats par leur nom… qui arrive le lundi et qui est basé sur une semaine complète allant du vendredi au jeudi de la semaine précédente. Sur toutes les radios qui sont yacastées et qui sont donc… Alors ce tableau de bord arrive donc le lundi. On a ces radios qui sont donc en même temps… supervisées par le CSA en termes de quotas. 40% ou 30% et 20% de nouveaux talents. Donc on a ce tableau qu’on regarde le lundi. Si on a mis une opération à l’antenne quelques jours avant ou quelques semaines avant… bon on a demandé aux programmateurs de nous soutenir sur l’artiste, en fonction des opérations sur leur antenne, des choses qu’ils vont offrir à leurs auditeurs. Il est clair que si le lundi, on n’a pas ce qu’ils nous ont annoncé par téléphone… on va se fâcher. »
Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un important label
2.1. LA RADIO, C’EST LE « NERF DE LA GUERRE »
Interlocuteurs privilégiés des programmateurs, les attachés de presse sont mandatés par les
maisons de disques pour aller défendre les dernières productions des labels. « En musique –
nous explique un jeune attaché de presse officiant dans un label spécialisé sur les artistes
internationaux – on ne sait jamais vraiment ce qu’attendent les consommateurs. Bien sûr
qu’on saura qu’ils attendent le dernier Madonna… et encore… ça peut ne pas marcher ! Le
seul truc, c’est qu’avant les consommateurs, il y a des programmateurs, des journalistes en
presse. Et on a besoin d’eux pour véhiculer… pour atteindre le public. C’est un peu le
péage… sauf qu’il n’y a pas d’argent. » Et le directeur de la promotion d’un autre label
d’ajouter : « Plus on entend parler d’un artiste, plus on l’entend, plus on l’écoute, plus on
génère ou pas d’envie d’acheter le disque, de se le procurer. »
Parce qu’ils jouent le rôle d’une courroie de transmission entre l’offre musicale et les goûts du
public, les médias font l’objet du travail de promotion des maisons de disques. Placés sous
l’autorité du directeur de la promotion, les attachés de presse sont le plus souvent spécialisés
par support (presse écrite, radio, télévision, Internet). Pour certains projets – souvent jugés
moins prioritaires que les autres – le travail de promotion peut être externalisé et confié à des
promoteurs indépendants. La radio permet souvent d’enclencher la dynamique promotionnelle
d’un titre. Comme l’explique cet attaché de presse, « c’est un peu le début de la chaîne… on
va dire d’un tube. Ça passe globalement par la radio en premier ». Une idée largement
reprise par l’ensemble des répondants travaillant pour l’industrie musicale :
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
256
« La radio, […] c’est le nerf de la guerre… Sur certains objectifs, quand tu n’as pas de radios, tu es coincé sur tout le reste ! Parfois, on va se dire : “Tiens, il nous manque telle radio en province, il faut essayer absolument de l’avoir dans les quinze jours qui viennent.” Tu vois et donc… le travail, après, c’est de les appeler. De faire tout le travail pour que ça se fasse et d’être le plus convaincant possible. »
Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux
a) De l’intérêt de figurer dans le panel Yacast
Toutes les radios n’ont pas la même importance. Parmi les radios musicales, NRJ bénéficie de
certains privilèges liés à son statut de première radio musicale de France. « FRJ, c’est un
énorme réseau national, qui en plus déclenche des ventes – explique ainsi un attaché de
presse. C’est lui qui fait vendre mais pas uniquement hein. C’est lui, c’est Fun, c’est Sky…
voilà. Mais bien sûr, FRJ, on touche plusieurs millions de contacts d’un coup. »
Les stations musicales thématiques et les grandes radios périphériques ne font cependant pas
l’objet d’un désintérêt. Elles sont régulièrement sollicitées pour programmer des productions
entrant dans leur format ou susceptibles de plaire à leur cible : « Sky fait vendre beaucoup de
“Rap” et de “R’n’B”. Sur un titre de “Rap”, si tu n’as pas Sky, tu es mal barré. Europe 2 fait
vendre de l’album, ils ne font absolument pas vendre de single. RTL 2 fait vendre de l’album.
Euh… Fun, pour l’instant, vu qu’ils ont changé totalement de format, on va voir ce qu’ils vont
faire. »
La situation des radios indépendantes semble plus hétérogène. Si les stations régionales les
plus importantes sont régulièrement en contact avec les maisons de disques, les « petites »
radios souffrent d’un désintérêt de la filière musicale lié au fait qu’elles ne figurent pas dans
le panel Yacast. A l’instar de cet attaché de presse, les professionnels de l’industrie du disque
rencontrés lors des entretiens de contexte ont parfois pu admettre une certaine inégalité de
traitement parmi les radios en la justifiant par des impératifs promotionnels : « il n’y a que
quelques radios dans le Yacast et ces radios, elles ont des privilèges que les autres n’ont pas.
En termes de promo, d’opérations, d’espace pub acheté… Parce que comme elles ont cette
visibilité dont on a besoin, parce qu’aujourd’hui, ce listing de Yacast qu’on reçoit toutes les
semaines sert d’outil de travail aux gens de télé, les télés regardent Yacast pour savoir quels
sont les artistes qui marchent et les magasins aussi. »
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
257
Une situation qui est souvent mal vécue par les programmateurs des stations indépendantes
non « yacastées » qui s’estiment méprisés par les majors parisiennes.
« En fait, ce qui est dur c’est qu’il y a des catégories en radio : “Yacast” ou “Pas Yacast”. Voilà ! Quand tu es “Yacast”, c’est un peu plus facile et quand tu n’es “pas Yacast”, c’est un peu plus difficile. Fous, on n’est “pas Yacast” ! On mérite d’être “Yacast”… au dernier Médiamétrie, on fait 118 000 auditeurs. Fous, les attachés de presse qu’on nous envoie… c’est souvent des stagiaires. Et ces stagiaires bon… il y en a qui sont gentils mais… non, il y en a, tu sens que ce sont des stagiaires pff… Ils t’appellent, ils ne sont au courant de rien… »
Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio locale généraliste
Malgré la surveillance permanente qui lui est associée, le statut de « radio Yacast » est donc
perçu positivement par les professionnels du secteur en raison des avantages qu’il procure.
Certaines radios ne figurant pas dans le panel ont d’ailleurs mis en place, via des parties
dédiées sur leurs sites Internet accessibles par mot de passe, des outils permettant aux attachés
de presse d’obtenir le détail de leur programmation.
b) Un travail de conviction
Les relations que développent les attachés de presse et les programmateurs sont susceptibles
de varier très largement. Si certains interlocuteurs insistent sur le partage d’une passion
commune pour la musique ou sur une confiance instaurée par de longues années de
collaboration, d’autres mettent en avant l’existence d’intérêts partagés et d’un échange de
bons procédés. Au cours des entretiens de contexte, les professionnels de l’industrie du
disque, qu’ils occupent la fonction d’attaché de presse, de promoteur indépendant, de
directeur de la promotion ou de directeur de label, ont souvent détaillé les arguments utilisés
lors de leurs rendez-vous professionnels avec les programmateurs. Au-delà des différences
dans le type de relations qu’ils entretiennent avec les programmateurs, leur rhétorique
s’articule généralement autour des trois piliers de « l’orthodoxie du Top 40 » : (1) le titre, (2)
l’artiste, (3) l’appui marketing et promotionnel.
« On arrive et puis, par le relationnel, tu arrives, tu fais écouter ton disque, tu amènes des éléments convaincants… Les éléments, ça peut être soit des éléments marketing qui peuvent intervenir à savoir : “On va mettre tant de campagne en télé, on va avoir un gros dispositif dessus.” Ça peut être des éléments liés au titre ou à l’artiste… ça peut les inciter mais surtout, de plus en plus et depuis quelques années, il y a la notion du marketing qui est rentrée dans les radios et ça, c’est un énorme problème. »
Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
258
Lors de leurs rencontres avec les attachés de presse, les programmateurs émettent souvent des
jugements artistiques relatifs aux productions qui leur sont soumises. Les disques suscitant un
engouement particulier chez les professionnels ont, évidemment, plus de chance d’être
programmés que les autres. Insistant sur la dimension artistique de la programmation, le
dirigeant d’un grand groupe médias français décrit, par exemple, les programmateurs comme
« des gens qui d’un seul coup craquent pour des chansons et ont envie de les mettre en
avant ».
Néanmoins, comme le souligne un attaché de presse rencontré en fin de recherche, les
programmateurs peuvent parfois mettre de côté leurs goûts personnels : « les programmateurs
ne sont pas obligés d’aimer ce qu’ils jouent. » Les attachés de presse tentent de les convaincre
du potentiel des titres dont il a la charge : « ils doivent sentir qu’ils peuvent jouer un futur
tube ; qu’ils peuvent miser sur quelqu’un qui leur rapportera des auditeurs plus tard. »
Ayant bien compris le rôle des radios musicales pour enclencher le cycle promotionnel, les
directeurs de labels cherchent parfois à maximiser, non seulement le nombre de radios qui
programment leurs productions, mais aussi la fréquence de passage. Cette stratégie peut
cependant se révéler néfaste pour l’industrie musicale : « la problématique d’une très forte
rotation, c’est… à double tranchant. Parce qu’au bout d’un certain temps, ton disque, les
gens se fatiguent de l’avoir entendu » explique un directeur de la promotion. Les réserves
exprimées par ce répondant prennent, chez un autre attaché de presse, la forme d’un constat
amer :
« On a créé nous même cet espèce d’entonnoir dans lequel on s’est glissés. Ce qui a fait qu’à force de vouloir, nous les maisons de disques, avoir une uniformité dans les radios… dans les radios, si tu as 20 stations, tu voulais que ton titre soit joué sur les 20. Et tu voulais que ce soit le maximum de rotations ! A un moment donné, comment tu veux que les mecs ils aillent acheter ton disque ? Ils zappent et ils ont la radio ! »
Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des réseaux musicaux
Utilisé par les dirigeants des maisons de disques comme un instrument de contrôle permettant
de vérifier que les programmateurs respectent leurs engagements en termes de nombre de
diffusions, l’outil Yacast sert également de tableau de bord pour mesurer l’efficacité du travail
promotionnel réalisé par les attachés de presse. « Moi je veux des résultats… dans le Yacast –
martèle un directeur de label. “L’Airplay” me fait vendre. Toutes les semaines, je fais une
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
259
réunion “Commando Airplay”, parce que j’aime bien les trucs qui tapent116. C’est le lundi,
juste avec les attachés de presse radio. On cible : “Qu’est-ce qu’on fait ? Où sont les
plateaux de province ? Ok, qui on amène ? On amène untel… ok, je veux deux priorités ou
deux développements qui rentrent chez lui ! Il y a un concert Alouette ? On peut amener
qui ?” Et derrière, je rentre des nouveaux disques. »
c) L’argument « qui tue »
Pour les maisons de disques, le classement hebdomadaire établi par Yacast est, à la fois, un
outil de travail interne et un support permettant d’accélérer la diffusion d’un titre. « Tous les
programmateurs sont bloqués sur le Yacast » poursuit ainsi notre interlocuteur avant d’être
rejoint par un membre de son équipe : « FRJ, ça ne te fait pas toujours vendre plein de
disques, mais par contre, FRJ va t’aider à pousser les autres en disant : “P…, FRJ y est
arrivé”. Mais moi, je ne leur dis jamais. Parce qu’ils le voient... ils le voient sur le Yacast. »
Pour les programmateurs qui n’auraient pas les yeux rivés sur les classements Yacast, les
attachés de presse ont pensé à organiser une séance de rattrapage. « Souvent – confie un
programmateur – l’argument premier d’une maison de disques, c’est de dire : “Oui mais
Europe 2 part dessus, ou FRJ part dessus… ou FRJ le joue…” donc c’est important. » Lors
d’un entretien, un autre programmateur a d’ailleurs affiché une certaine ironie en se
réjouissant de ne plus avoir besoin de consulter Yacast « parce que les maisons de disques ne
se gênent pas pour dire “c’est rentré sur FRJ !” »
Comme le montrent les documents suivants, des e-mails sont quotidiennement envoyés aux
programmateurs par les attachés de presse afin de les tenir informés des entrées en playlist,
qu’elles soient avérées ou hypothétiques.
116 Au cours des entretiens, la quasi-totalité des professionnels de l’industrie musicale rencontrés dans le cadre de la recherche ont évoqué l’existence de réunion du même type dans leurs organisations respectives.
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
260
Encadré 12
E-mail envoyé à de nombreux programmateurs dans des radios indépendantes
Africanism toujours au top !
From: UpMusic, Promo (WMI, France) Sent: Friday, May 13, 2005 3:18 PM "Zookey " premier tube extrait de l'album Africanism produit et mixé par Bob Sinclar est depuis aujourd'hui n°1 des clubs en France ! En playlist sur Fun radio , Skyrock, FG et bientôt NRJ ! Clip en télé à partir du 26 mai Sortie commerciale le 14 juin Album déjà dans les bacs.
Encadré 13
E-mail envoyé à plusieurs programmateurs dans des radios indépendantes
Infos entrées Fun Radio
De : [email protected] Envoyé : mercredi 23 novembre 2005 11:17 Cc : [email protected] Pour information : FUN RADIO entrera en PL dès demain à 3/J les deux titres suivants : RICKY MARTIN « I don’t care » BOW WOW « Let me hold you »
Encadré 14
E-mail envoyé à un programmateur
MP3 Ze Pequeno
Sent: Wednesday, June 22, 2005 3:02 PM
Bonjour xxx Voici le titre de Ze Pequeno « Le centre du monde » sur NRJ début Juillet c'est une grosse priorité pour moi c'est là raison pour laquelle je te l'envoi sous format MP3 pour que tu l'as rapidement, si tu pouvais commencer quelques passages avant NRJ se serait top !!! Voilou, xxx Je compte sur toi pour Ze pequeno Je t'embrasseeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeeee
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
261
Pour cet attaché de presse, l’idée est avant tout de rassurer les programmateurs : « Tu dois
toujours les rassurer : “C’est rentré sur telle radio”, “ça rentre sur telle radio”, “le clip est
rentré sur M6”, “il va faire telle émission de télé”, “on va mettre une campagne de pub en
place sur TF1”, “il va faire Star Academy”. Et petit à petit, le programmateur prend
confiance et décide de miser à son tour dessus… »
Néanmoins, du côté des programmateurs, les informations transmises par les attachés de
presse sont parfois sujettes à caution. Selon ce directeur de la programmation musicale, ce jeu
de dupes s’apparente à une vente de voiture d’occasion : « On va voir le mec d’Europe 2, on
lui dit “FRJ va s’y mettre”, en même temps on va voir FRJ en disant : “Europe 2 va s’y
mettre”. C’est comme dire : “attention, j’ai une belle voiture, elle est d’occaz, si vous ne me
l’achetez pas, j’ai un client qui arrive dans cinq minutes” et c’est pas vrai du tout… mais
c’est comme ça. C’est un peu le jeu des enchères aussi… »
L’image de la voiture d’occasion est révélatrice du type de relations qu’entretiennent les
programmateurs et les attachés de presse. Comme dans une vente de voiture, il existe une
asymétrie d’information qui peut être exploitée par une des parties. Cette métaphore est
d’ailleurs reprise par le directeur de la promotion d’un label afin de se différencier de ses
confrères les moins scrupuleux.
« Si vous avez un attaché de presse qui va dire : “J’ai FRJ, j’ai Europe 2, j’ai Fun !”… lui il va vérifier. Et si vous annoncez des choses et que derrière ce n’est pas programmé… quel est l’intérêt ? Vous biaisez des relations ! Vous mettez… on va reprendre l’histoire de vendeur d’occasions, vous mettez du sucre dans le moteur ! Et là c’est foutu ! Transparence, honnêteté. Vous avez un artiste, vous voulez le faire entrer en programmation sur une radio, et bien vous lui donnez tout l’argumentaire honnête que vous avez. Si derrière, FRJ en effet dit, lors d’un rendez-vous : “Je vais y aller”. Et bien vous l’annoncez. “Ils vont y aller, je ne peux pas te dire quand mais j’ai la garantie de leur part qu’ils vont y aller”. C'est-à-dire que certains médias me disent clairement euh… quand j’annonce une entrée FRJ à venir et qu’elle n’est pas encore faire, ils me disent «très bien”. Et ils le savent. C'est-à-dire que si l’entrée n’est pas officielle sur FRJ, je ne l’annonce pas. Euh… après je ne pousse personne. »
Entretien réalisé auprès du directeur de la promotion d’un label
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
262
d) Un discours à l’efficacité variable
Au-delà des doutes qu’ils peuvent avoir sur la véracité des informations transmises par leurs
interlocuteurs dans les labels, les programmateurs ont souvent fait part d’une certaine
exaspération en évoquant une forme de harcèlement. Les programmateurs interrogés ont, en
outre, souvent remis en cause la pertinence des informations qui leur sont transmises : « Là
par exemple – s’énerve un programmateur en consultant sa boite mails – “Martin Rappeneau
– L’âge d’or ; Entrée MFM ce samedi” on en a rien à f… “son nouveau single est déjà en
playlist sur Chérie FM, RFM, RTL et France Bleu Île-de-France”, alors France Bleu Île-de-
France, ça nous intéresse vachement ! » En outre, la référence continue des attachés de presse
à NRJ est parfois interprétée par les programmateurs comme une remise en cause de leurs
compétences.
« Leur argument préféré qui n’en est strictement pas un pour nous, c’est : “Roberto adore”. Je veux dire… ce n’est pas un argument… il faut qu’ils arrêtent de se servir de cette phrase. Ce qui est absurde, c’est que c’est comme si c’était… Un label de qualité ! C’est débile parce que… ce serait supposer qu’il aurait le goût absolu, l’oreille absolue. Alors que quand on connaît le fonctionnement de FRJ ou le fonctionnement des programmations… Alors nous, pour nous énerver, il n’y a rien de mieux à faire ! »
Entretien réalisé auprès de l’équipe de programmation d’un réseau national
Les réactions, parfois vives, des programmateurs amènent certains chargés de promotion à
manier l’argument « joué sur NRJ » avec beaucoup de prudence. « Il faut faire attention, je
veux dire – nous révèle ainsi cette attachée de presse – il ne faut pas trop le brandir. Il ne faut
pas qu’ils aient l’impression que… mais oui, ça aide. Quand la première radio de France
entre le titre, ça aide. »
Réciproquement, la diffusion d’un disque sur des radios indépendantes peut être de nature à
faciliter une entrée en programmation sur NRJ : « De la même manière – poursuit ainsi notre
interlocutrice – bon… si Radio 6 entre un disque, ça ne va pas pousser FRJ à le rentrer. Par
contre, quand le disque est joué sur Alouette, Scoop, Voltage, Vibration, là ça peut avoir un
impact. Mais il faut en avoir un certain nombre. »
e) Les contreparties et les partenariats
En complément de leur discours promotionnel, les attachés de presse peuvent également offrir
des contreparties aux radios en échange de la diffusion de leurs artistes. La mise à disposition
de lots à faire gagner à l’antenne (disques, places de concerts, etc.), l’organisation
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
263
d’opérations de promotion, de venues d’artistes dans les studios de la radio, de concerts privés
pour les auditeurs de la station ou encore la participation à des concerts multi-artistes
organisés par la radio constituent autant d’éléments pouvant être consentis pour appuyer la
programmation d’un titre.
« Sur cet artiste dont tu me parles, j’ai aussi promis que j’allais les aider s’ils croyaient en nous. Enfin voilà, c’était un développement à long terme. On n’est pas là pour rentrer un titre juste pour rentrer un titre. Le genre de promesses, c’est qu’il y aura du marketing pour les aider, des campagnes de pub, que si l’artiste fait une tournée on trouvera sûrement un concert où emmener leurs auditeurs qu’il soit en France ou à l’étranger, donc voilà. Plein de petits trucs comme ça, des concours… style “James Blunt emmène tes auditeurs à Londres”. Là on paie tout ! On paie le voyage, la chambre d’hôtel, les billets de concert. »
Entretien réalisé auprès d’un attaché de presse en charge des radios
L’achat de publicités par une maison de disques en échange d’entrées en playlist sur une radio
apparaît comme une pratique marginale. Les partenariats noués entre les acteurs de l’industrie
du disque et les radios ont, néanmoins, une réelle dimension sonnante et trébuchante : « Des
responsables promo qui travaillent en achetant des pubs… je vais vous dire un truc, moi, j’en
ai connu. Aujourd’hui, je ne les connais plus. Ils ont disparu – explique le dirigeant d’un
important label… avant d’ajouter. Par contre, quand un artiste est programmé sur la radio et
que vous appelez le programmateur en disant : “On va soutenir ta programmation en prenant
une campagne de pub”, alors là… très bien ! Parce que… vous lui témoignez votre
confiance. »
Dans le prolongement ultime de leurs pratiques d’échange promotionnel, les maisons de
disques ont mis en place, depuis les années quatre-vingt dix, des dispositifs de partenariats.
En échange d’une diffusion massive, une radio peut associer son image à celle d’un artiste,
apposer son logo sur les albums, les affiches de concert ou encore, apparaître dans les spots
publicitaires diffusés à la télévision pour promouvoir l’artiste.
Particulièrement demandeurs de ce type d’opérations, les réseaux musicaux nationaux se sont
engagés dans une compétition acharnée dans le but de nouer un maximum de partenariats :
« la concurrence est très rude – souligne un programmateur dans une station indépendante
peu concernée par ces problématiques. Ils se tirent la bourrent pour avoir les partenariats
parce qu’ils ont une rage de ces partenariats. Parce que pour eux, c’est super important
d’avoir un logo associé… »
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
264
A l’instar de cette attachée de presse, certains répondants peuvent alors déplorer une certaine
marchandisation de leurs relations avec les programmateurs.
« [Avant] c’était du vrai travail de promotion : tu arrivais, avec tes informations, tes trucs et compagnie, et puis tu arrivais à convaincre la personne qu’à qualité égale, avec un projet… parce que je n’aime pas dire produit… mais un projet d’Universal, de Sony… que le tiens était meilleur. Mais à partir d’un moment, c’est Fègre117, quand il était chez Sony… qui a été chez CBS à l’époque… qui a décidé que maintenant, il fallait acheter les radios… d’une certaine manière. »
Entretien réalisé auprès d’une attachée de presse en charge des réseaux musicaux
Effet pervers, les programmateurs n’ayant pas réussi à obtenir le partenariat qu’ils
convoitaient auraient tendance à boycotter certains artistes ou à adopter une position de
suiveur. « Les mecs sont tellement plein d’égo… que… quand c’est un partenariat chez untel,
l’autre ne veut pas le jouer – déplore le directeur d’une grande maison de disques ayant
décidé d’abandonner le système des partenariats. Ils disent : “Voilà, tu l’as donné à
[quelqu’un d’autre] et donc, tant pis.” » Une tendance confirmée par les entretiens réalisés
auprès des programmateurs et des attachés de presse.
« C'est-à-dire que nous, on sera peut-être pressés mais eux, ils prendront leur temps. Ils vont attendre, peut-être, que le partenaire fasse son travail au départ et puis après, ils suivront. Il y a plein de choses comme ça. »
Entretien réalisé auprès d’une attachée de presse en charge des réseaux musicaux
Parce qu’elle a pour objectif de créer une relation exclusive entre un artiste et une radio, la
pratique des partenariats est à l’origine de comportements imitatifs chez les programmateurs
qui, à l’instar de ce directeur de la programmation musicale dans un réseau national adulte,
ont tendance à attendre que le média partenaire prenne en charge tous les risques associés au
développement d’un nouvel artiste.
« Quand j’ai pas envie de faire un travail sur un titre, je ne le fais pas ! […] Quand je sais que la maison de disques va donner l’interview, le partenariat et machin à un concurrent. Eh beh écoute, mon grand […] c’est pas moi qui vais donner les premiers coups de pioche pour faire baisser l’inconnu sur ce titre alors que j’ai rien [en échange]. Tu as un partenaire, c’est un grand garçon, vous avez un deal… qu’il fasse son travail, moi j’arrive derrière ! »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national ciblant les adultes
117 Actuel directeur général d’Universal Music France.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
265
Synthèse 18
Une imitation encouragée par les maisons de disques
� Pour les maisons de disques, les diffusions radiophoniques revêtent une importance capitale. Les acteurs de l’industrie musicale ont à leur disposition l’outil Yacast pour suivre le développement de leurs projets.
� Les stations qui figurent dans le panel font donc l’objet d’une attention particulière de la part des attachés de presse. Elles bénéficient de contreparties promotionnelles en échange de leur soutien.
� Certains attachés de presse peuvent tenter d’instrumentaliser l’imitation en encourageant les programmateurs à s’inspirer des décisions de leurs concurrents.
2.2. UNE IMITATION FACILITEE
Nous venons de voir que les acteurs de l’industrie musicale, par leur travail de promotion,
encouragent les comportements imitatifs des radios. Précisons néanmoins qu’ils ne font que
contribuer à un phénomène plus large. Désigner Yacast comme la source de ces
comportements serait également réducteur. Comme l’explique ce directeur de la
programmation, les radios n’ont pas attendu l’arrivée des services proposés par Yacast pour
prêter une oreille attentive aux programmations opérées par leurs concurrents : « moi, j’ai
commencé comme stagiaire. Mon premier job, c’était d’écouter Fun Radio toute la journée et
de noter tous les disques qu’ils passaient avec toutes les heures. Donc quand j’entends dire
que c’est la faute à Yacast, ça me fait bien rigoler. »
a) Yacast, une source d’information
Dans toutes les radios visitées lors de la collecte des données, les programmateurs ont
expliqué pouvoir accéder au service Yacast, prendre connaissance des classements
(classement général et classements thématiques) établis sur la base des diffusions réalisées par
les radios du panel ou consulter en temps réel les programmations des autres radios.
Au même titre que les classements de ventes de disques, la presse musicale ou les appels
téléphoniques des auditeurs reçus au standard de la station, l’outil est utilisé au quotidien
comme une source d’information. « Avec Yacast – explique ce directeur d’antenne – je
regarde ce que font mes petits concurrents. Ça me permet de voir les entrées en playlist. C’est
de se dire “Tiens, FRJ est parti là-dessus ! Tiens, Europe 2 est parti là-dessus !” Et de se dire
euh… après on pèse le pour et le contre. Fous on a ce disque là, on en fait quoi ? : “Est-ce
qu’on le rentre ? Est-ce qu’on ne le rentre pas ?” »
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
266
En raison du caractère restreint du panel Yacast, l’utilisation de cette source d’information
tend à orienter l’attention des programmateurs vers une sélection de concurrents (la
composition du panel Yacast est présentée en annexe 3). Cet effet loupe est renforcé par la
pondération mise en place dans l’élaboration des classements de diffusions (repris de façon
hebdomadaire par Musique Info Hebdo) qui est réalisée sur la base des résultats d’audience
communiqués par Médiamétrie118. Les décisions des programmateurs opérant dans les
réseaux nationaux (qu’ils soient musicaux ou généralistes) bénéficient donc d’une exposition
plus forte que celles des radios indépendantes.
Ce biais potentiel amène parfois les programmateurs à interpréter les données du classement
avec prudence : « Je ne le trouve pas très fiable le [classement] général – affirme ainsi un
programmateur en région. Je dirais que c’est une source sûre, sur le Yacast général, pour les
dix premiers. C’est comme pour les dix premiers du Top 50. Quand c’est dans les dix
premiers du Yacast, ya pas de souci à se faire. Au-delà, après… euh… vu les points de
pondération qu’ont certains réseaux tels que Skyrock, Europe 1, France Inter ou des locales
comme Ouï FM… il faut quand même se méfier sur certains titres. »
Les classements Yacast sont souvent utilisés comme un rétroviseur hebdomadaire par les
programmateurs. L’accès en temps réel aux décisions des concurrents est, quant à lui, un outil
de veille utilisé quotidiennement. Une pratique qui semble être préconisée auprès des radios
locales par le GIE « Les Indépendants ».
« Yacast, je regarde assez souvent… tous les jours en fait… ça me permet de voir ce qui marche en ce moment… plus ou moins ce que les gens veulent entendre. Parce que… d’après les gens du GIE, du Yacast et tout ce qui s’en suit, ce qui est dans le Yacast, c’est vraiment ce que les gens ont envie d’entendre. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio locale ne faisant pas partie du panel Yacast
Particulièrement critique à l’égard de Yacast, NRJ a souvent considéré que la mise à
disposition des relevés de programmation en temps réel favorisait les comportements imitatifs
des radios concurrentes. Dans son communiqué de presse du 9 février 2004 intitulé « Halte au
clônage », la première radio musicale de France estimait ainsi que « La mise en place par
l’Institut YACAST, qui intervient pour de nombreux acteurs de la filière musicale (SFEP,
CSA, Ministère de la Culture et de la Communication, SACEM, SRF, SIRTI, UPFI…), 118 Le critère utilisé est celui du Quart d’heure moyen : nombre d’auditeur moyen pour le quart d’heure sur la période étudiée.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
267
d’instruments informatiques instantanés qui donnent des relevés exhaustifs de l’intégralité de
la diffusion des titres diffusés sur FRJ conduisent à de telles pratiques, puisque ces relevés
sont fournis à toutes les stations concurrentes qui le souhaitent et qui peuvent également
disposer des horloges de programmation et des rotations. »
Ce sentiment de plagiat, qui transparaît également dans les entretiens réalisés auprès des
responsables de la station, a conduit NRJ à demander à ce que ses relevés de programmation
ne soient plus accessibles en temps réel. Une décision largement commentée dans les autres
radios.
« Aujourd’hui, FRJ en est rendu à enlever ses rotations live sur Yacast. Je ne sais pas si tu le sais mais tu te mets en live sur Yacast, tu n’as plus les rotations en temps réel de FRJ. Tu sais pourquoi ? Bon voilà, c’est tout ! Il rentrait un titre, le lendemain il y a 52 radios qui le rentrent. Donc à un moment donné, quand tu fais une radio, tu as besoin d’avoir une plus value. Une différence avec les autres. Parce que si ta radio elle a le même goût que les autres, il n’y a aucun intérêt à venir la consommer. »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national
b) Le rôle du GIE « Les Indépendants »
Dans les radios locales, un deuxième élément contribue à l’observabilité des décisions
réalisées dans d’autres organisations et peut donc faciliter l’imitation.
En organisant des conventions annuelles et en mettant à la disposition des radios qui le
souhaitent l’expertise d’un conseiller aux programmes, le GIE « Les Indépendants » facilite
l’échange d’informations. Au cours des conventions annuelles du GIE, les programmateurs
qui officient dans les radios indépendantes peuvent développer des liens sociaux et continuer
à échanger régulièrement. Cette pratique est favorisée par l’idée, assez répandue parmi les
indépendants, que la concurrence émane avant tout des réseaux nationaux implantés à Paris.
Chaque année, des conventions sont organisées par le GIE « Les indépendants ». Au cours de
ces évènements, les acteurs des radios locales peuvent se rencontrer, échanger avec les
dirigeants de la régie publicitaire qui commercialise l’offre commune, entamer une réflexion
sur leurs programmes. Au cours de l’année, des remises de prix sont également organisées
pour récompenser les radios les plus performantes du groupement. A l’instar des Grammy
Awards dans l’industrie musicale (Anand et Watson, 2004), ces rencontres jouent le rôle
d’évènements configurateurs de champ (Lampel et Meyer, 2008). Elles permettent non
seulement aux acteurs de se rencontrer, de faire des affaires mais aussi de nouer des liens
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
268
sociaux. Ces réunions sont également l’occasion de légitimer et de diffuser « l’orthodoxie du
Top 40 ».
« Alors, chaque année. Le GIE fait une convention, avec les 112 radios réunies. Et la semaine dernière c’était le cas. Donc je suis monté pour y assister. Donc ce séminaire, c’est d’abord une soirée festive. On mange, on rigole, on discute. Enfin bref, on joue ensemble comme des gamins. Et le lendemain, c’est plus sérieux, on parle de régie publicitaire, de chiffre d’affaire, de tests musicaux, de choses un peu plus rébarbatives. Voilà, donc il y a les gens de Lagardère119 qui nous expliquent un petit peu leurs méthodes de travail, il y a quelqu’un qui s’occupe du format musical et qui aide des radios qui ont un petit peu de mal à mettre en place leur format musical, les camemberts, les horloges Selector, etc. »
Entretiens réalisé auprès du directeur d’antenne d’une station indépendante
En marge des réunions de travail, les échanges d’informations auxquels se livrent les
professionnels concernent souvent les aspects liés à la programmation musicale.
« Quand il y a des réunions, on se croise… ou bien aux conventions. On s’échange beaucoup d’infos par rapport aux maisons de disques surtout. “Alors toi ? Telle maison de disques ? Ils t’appellent un petit peu ?” ou “Avec machin tu fais des opés ?” Ça, c’est bien ! On se refile des infos, des petits tuyaux. »
Entretiens réalisé auprès du directeur des programmes d’une station indépendante
Les échanges entamés lors des conventions du GIE peuvent se poursuivre toute l’année. Un
véritable réseau semble s’être constitué entre les programmateurs de province. « Je contacte
beaucoup Laurent à Lyon – explique ainsi ce directeur des programmes dans une importante
station régionale. Comme Laurent peut m’appeler aussi. On échange nos trucs. D’ailleurs
quand on se parle, c’est souvent : “Tiens, tu montes quoi toi en ce moment ? Qu’est-ce que tu
aimes bien dans ce que tu as reçu ?” »
Si les radios locales ont, semble-t-il, toujours refusé de coordonner volontairement leurs
programmations, les échanges auxquels se livrent leurs programmateurs sont souvent le point
de départ à des comportements imitatifs.
119 L’offre publicitaire nationale du GIE « Les Indépendants » était, au moment de la collecte des données, commercialisée par la régie publicitaire « Lagardère Active Publicité » (qui commercialisait également les radios du groupe Lagardère Active : Europe 1, Europe 2 et RFM). Depuis 2008, le GIE a décidé d’arrêter sa collaboration avec Lagardère et est désormais commercialisé par TF1 Publicité. Selon les dirigeants du groupement, les recettes nettes du GIE (50 millions d’euros) étaient en dessous de la valeur réelle de son offre (70 à 80 millions d’euros). Source : Jean-Éric Valli : «La radio reste le média de crise», Le Buzz Media, interview donnée au Figaro.fr le 16 juin 2009. http://tiny.cc/NJms7
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
269
« Je connais un peu Seb d’Alouette qui est sympa. J’ai beaucoup d’affinités avec Laurent qui est un ami. Je l’ai vu la semaine dernière. Très bons contacts avec Valérie de Contact. Euh… des fois elle m’envoie des trucs de fous. Un truc dont j’avais parlé à Laurent, hormis le disque de Hard-fi… Un truc à côté duquel il était passé à l’époque c’était Phoenix. Je l’avais vu, je lui avais dit : “Oh, tu sais quoi Phoenix…” Il l’avait rentré et il m’avait appelé : “Oh p… ouais”. Tu sais, tu reçois plein de trucs, tu zappes des fois. Sur Phoenix c’était ça. Et après, on parle un peu de prog, de ce qui marche chez lui. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante
Ces échanges sont d’autant plus réguliers que ces radios n’opèrent généralement pas sur la
même zone géographique et ne sont pas en concurrence les unes avec les autres. A l’opposé,
les échanges entre réseaux nationaux ou entre réseaux nationaux et radios locales sont quasi
inexistants. Comme le révèle le directeur des programmes d’un grand réseau thématique, les
relations sont courtoises mais distantes : « Euh, on se voit aux réunions Médiamétrie. On se
croise aussi aux concerts, aux soirées des labels parfois, dans des jurys pour des prix.
Roberto, je l’appelle Etienne Daho, parce qu’il me fait penser à Etienne Daho… on s’entend
bien… mais te dire qu’on s’appelle et qu’on se voit, non. »
Depuis plusieurs années, le GIE « Les Indépendants » a, par ailleurs, mis à la disposition de
ses radios adhérentes un conseiller aux programmes. Ce dernier se définit lui-même comme
un Saint-Bernard : « Moi je suis un Saint-Bernard moi ! J’appelle ça un Saint-Bernard… je
suis un bon gros toutou qui arrive avec son petit tonneau et qui dit : Voilà, moi je suis là pour
vous aider. Je n’ai aucun intéressement dans l’affaire… c’est encore mieux. Et en fait, à
chaque fois, je dis : “Voilà, si vous voulez que je vous aide… je vous aide !” »
De par sa position centrale dans le GIE, le conseiller aux programmes est en contact avec de
nombreux programmateurs et peut transmettre les bonnes pratiques mais également intervenir
directement dans la constitution des playlist : « je suis là, je chapote certaines radios, je
vérifie. Sur certaines je fais la playlist, c'est-à-dire que c’est moi qui décide des titres à
rentrer… ça je peux le faire. »
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
270
Synthèse 19
Une imitation facilitée par l’existence de Yacast et les liens sociaux des programmateurs
� Deux facteurs contribuent à l’observabilité des décisions réalisées par les programmateurs. Ils facilitent donc l’imitation concurrentielle au sein du secteur.
� En utilisant le service Yacast, les programmateurs peuvent accéder aux relevés de programmation d’un panel de radios nationales et indépendantes. Cette source d’information est utilisée quotidiennement par les répondants.
� De par leurs liens sociaux, les répondants peuvent également être au contact des décisions réalisées par d’autres programmateurs. Les programmateurs des radios indépendantes s’échangent ainsi très régulièrement leurs informations.
3. CONTEXTE ET IMITATION : UNE CONCLUSION PROVISOIRE
Le champ des radios musicales françaises constitue un terrain opportun pour étudier les
phénomènes d’imitation concurrentielle et les pratiques qui les sous-tendent. Dans ce
chapitre, nous avons cherché à accréditer l’analyse selon laquelle le contexte incertain dans
lequel évoluent les programmateurs musicaux était à l’origine d’angoisses et de doutes. Si
l’existence d’une orthodoxie professionnelle permet aux acteurs de « vivre avec »
l’indécidabilité qui caractérise les décisions de programmation, elle ne constitue pas une
réponse définitive. En effet, les normes professionnelles auxquelles souscrivent les
programmateurs demeurent incomplètes, notamment lorsque les décideurs doivent intégrer
dans leurs décisions les contraintes liées aux obligations de diffusion d’artistes francophones.
Les éléments développés dans ce chapitre soulignent l’interaction qui peut exister entre
comportements imitatifs, normes professionnelles et contraintes réglementaires. C’est cette
interaction qui peut amener les décideurs à douter et à hésiter. Ils pourront alors voir en
l’imitation de leurs concurrents un moyen d’apaiser leurs angoisses. L’imitation sera alors
d’autant plus fréquente qu’elle sera instrumentalisée par les attachés de presse à des fins de
promotion et facilitée d’une part par l’existence de l’outil Yacast permettant de suivre en
temps réel les manœuvres des concurrents et d’autre part par l’existence préalable de liens
sociaux permettant de faire circuler l’information relative aux entrées en playlist des autres
programmateurs. Ces éléments sont synthétisés dans le schéma 18 qui reprend les principaux
résultats de ce chapitre.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
271
Les spécificités du terrain observé et l’orientation consistant à n’étudier qu’un seul contexte
confèrent aux résultats de l’étude un caractère difficilement généralisable. Ces résultats sont
néanmoins riches d’enseignements permettant de relire la littérature existante et qui pourront
trouver leur prolongement dans des travaux futurs.
Schéma 18
Représentation graphique des résultats du chapitre 5
Deux pistes de discussion seront proposées au lecteur lors de la discussion générale de la
thèse. La première traite de l’interaction entre comportements imitatifs, normes
professionnelles et contraintes réglementaires. L’observation du secteur permet, nous semble-
t-il, de venir compléter la vision néo-institutionnelle traditionnelle qui appréhende les
« pressions institutionnelles » comme indépendantes et statiques. La seconde piste de
réflexion ouverte par les résultats proposés dans ce chapitre est liée à la relation entre
incertitude et information qui, trop souvent, reste un point obscure dans la littérature
consacrée à l’imitation concurrentielle.
Orthodoxie « Top 40 »
« Les ingrédients d’un hit »
Contraintes de diffusion
des « quotas français »
Rendent incomplète Imitation
des concurrents
Travail de promotion des
attachés de presse
Accès aux décisions des concurrents
(Yacast)
Facilitent
Encouragent
Partenariats
Liens sociaux (GIE)
Doutes et incertitudes
« Toujours la même
chanson »
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation
272
RESUME DU CHAPITRE 5
La thématique de la recherche est largement évoquée par les répondants au cours des entretiens. Sur 253 décisions de programmation discutées en entretiens, près de 27% font intervenir une part d’imitation concurrentielle (décision prise par le modèle, observation par l’imitateur, adoption par l’imitateur, lien de cause à effet). Il ressort également une grande variété des modèles imités. Les programmateurs pouvant imiter un concurrent particulier, un groupe de concurrents ou s’aligner sur une tendance générale.
Nous avons cherché à approfondir la littérature existante, qui met en avant deux conditions – l’incertitude et l’observabilité des décisions du modèle – pour comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle. Notre attention s’est donc portée sur l’analyse de facteurs de contexte.
De cette partie de l’analyse, il ressort que le caractère imprévisible des goûts musicaux du public est générateur de doutes, d’hésitations et quelques fois d’angoisses chez les programmateurs.
Pour sortir de ces situations d’indécidabilité, les programmateurs ont cherché à développer des outils de recherche musicale et mobilisent un ensemble de normes partagées dans leur environnement professionnel, que nous qualifions « d’orthodoxie du Top 40 ».
Ces normes, qui permettent de définir les « ingrédients d’un tube » n’apportent cependant que des réponses partielles aux questions récurrentes des programmateurs, en particulier lorsque ces derniers sont contraints de s’éloigner de leur format de prédilection afin de respecter leurs obligations légales de diffusion de chansons francophones.
L’imitation d’autrui devient un moyen d’autant plus fréquemment utilisé par les programmateurs pour se forger des certitudes qu’elle sera largement promue par les attachés de presse mandatés par les maisons de disques et facilitée, tant par l’utilisation d’un outil de suivi des diffusions musicales en radio que par l’existence préalable de liens sociaux parmi les programmateurs des radios régionales indépendantes.
De ces résultats, il ressort qu’au-delà du contexte dans lequel ils évoluent, l’incertitude est pour les programmateurs une expérience de tous les jours liée à leur perception de leur environnement. Ce résultat nous amène à privilégier une approche perceptuelle et subjectiviste de l’incertitude, plutôt qu’une approche tendant à la définir exclusivement comme un état objectif de la nature. L’immersion dans les doutes et les hésitations des programmateurs apparaît comme un préalable nécessaire à une compréhension de leurs pratiques d’imitation concurrentielle.
L’étude du champ organisationnel des radios musicales fait, par ailleurs, ressortir une interdépendance des pressions institutionnelles. C’est ici l’interaction entre une orthodoxie professionnelle incomplète se heurtant aux contraintes légales qui est à l’origine des doutes et des hésitations des programmateurs.
Enfin, deux types de facteurs influençant l’imitation ont été mis en évidence. Les comportements imitatifs des radios peuvent être encouragés par les acteurs de l’industrie musicale) ou facilités, d’une part, par l’accès au service Yacast et, d’autre part, par l’existence de liens sociaux entre les programmateurs.
Dans ce contexte où l’incertitude trouve son expression dans les doutes et les hésitations des décideurs, on pourra être surpris par la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. Cette diversité des pratiques va nous conduire, dans le chapitre suivant, à construire une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs.
274
Chapitre 6
Une typologie des pratiques
d’imitation concurrentielle
« En fait… euh… c’est ma politique de ce que
j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-
dire que je laisse les radios le démarrer et
quand ça marche un petit peu sur toutes les
grosses radios, et bah je suis derrière quoi. »
Entretien réalisé avec un programmateur
e chapitre qui précède insiste sur le rôle du contexte. Ce n’est pas tant l’incertitude que
sa perception par les programmateurs qui est susceptible d’expliquer pourquoi ces
derniers vont imiter leurs concurrents. Les doutes et les hésitations des programmateurs
peuvent néanmoins être à l’origine de pratiques d’imitation très différentes. L’objectif de ce
chapitre est d’identifier ces pratiques et de mettre en évidence les raisons individuelles sur
lesquelles elles se fondent. En présentant une typologie de ces pratiques, nous répondrons ici
à une des deux questions de recherche formulées à l’issue de la première partie de la thèse.
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ?
Comme nous allons le voir, les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation
concurrentielle peuvent renvoyer à des conceptions instrumentales ou calculatoires de la
rationalité. Nous retrouvons ici la dichotomie autour de laquelle était articulé le chapitre 2 de
la thèse. Cette articulation sera conservée dans la typologie que nous allons maintenant
présenter puisque nous distinguerons des pratiques « instrumentales » et des pratiques
« évaluatives ». Nous pourrons alors comparer les pratiques des professionnels du secteur de
la radio aux explications proposées dans la littérature pour expliquer les phénomènes
d’imitation concurrentielle. Nous verrons également que certaines pratiques d’imitation
concurrentielle sont situées à l’intersection des rationalités instrumentales et des rationalités
L
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
275
évaluatives. Au total neuf idéaux-types de pratiques d’imitation concurrentielle ont été
identifiés. Les quatre premiers s’inscrivent dans une conception « plutôt instrumentale ». Cinq
autres idéaux-types sont, à l’opposé, la traduction d’une approche « plutôt évaluative » de la
rationalité. La construction de cette typologie des pratiques d’imitation a nécessité
l’identification de plusieurs propriétés et dimensions. En effet, à la différence des démarches
reprenant fidèlement le canevas proposé par Strauss et Corbin, nous avons fait le choix
d’identifier au travers de l’analyse des données les propriétés qui nous semblaient les plus
pertinentes d’un point de vue tant empirique que théorique. Cette approche est cohérente avec
la démarche abductive qui caractérise ce travail de recherche. Les propriétés et les
dimensions120 utilisées pour construire la typologie sont présentées dans l’encadré suivant.
Elles ont été regroupées en trois catégories : (1) Propriétés cognitives ; (2) Acteurs et
contexte ; (3) Propriétés relatives au(x) modèle(s). Lors du codage, ces propriétés ont fait
office de descripteurs opérationnels permettant de construire et d’opérationnaliser la grille
d’analyse.
Encadré 15
Propriétés utilisées pour construire la typologie
���� Propriétés cognitives : Les pratiques d’imitation qui vont être présentées sont l’expression des raisons des programmateurs qui s’inscrivent, elles mêmes, dans des modèles de rationalité. La démarche des programmateurs peut, par ailleurs, être délibérée et traduire une volonté préalable des décideurs d’attendre que leurs concurrents programment un disque avant de l’incorporer à leur playlist ou, à l’opposé, s’inscrire dans un cadre plus émergent. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les répondants ont souvent, au cours des entretiens, exprimé des doutes liés à un environnement perçu comme incertain. Nous nous intéresserons à la nature des
doutes et des incertitudes exprimés par les répondants.
���� Acteurs et contexte : Notre analyse conduira, par ailleurs, à identifier des régularités concernant les acteurs (qui imite ?) et les facteurs de contexte qui conditionnent chaque pratique d’imitation concurrentielle.
���� Propriétés relatives au(x) modèle(s) : Une des questions soulevée par l’étude de la littérature et traitée notamment par les travaux relatifs au forme d’imitation a trait au(x) modèle(s) qui sont imités. Si l’objet d’étude de la recherche – l’imitation concurrentielle – limite notre champ d’étude aux seuls concurrents, nous verrons que ces modèles peuvent être désignés selon plusieurs critères. La fonction jouée par le(s) modèle(s) est également susceptible de varier très largement d’une pratique d’imitation concurrentielle à une autre.
120 Selon Strauss et Corbin (2004), les propriétés et les dimensions permettent de définir une catégorie conceptuelle. Les propriétés sont de nature discrètes (ex : rouge, vert, bleu) et les dimensions, qui sont de nature continue (ex : très clair – très foncé), permettent d’introduire une variation dans la catégorie conceptuelle.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
276
Les deux sections qui vont suivre vont permettre de présenter les pratiques d’imitation
concurrentielle identifiées dans notre typologie. Sur les 68 décisions de programmation
musicale faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle, 35 donnent lieu à une pratique
instrumentale et 33 à une pratique évaluative. Le tableau 15 offre un premier aperçu de la
typologie des pratiques d’imitation concurrentielle. Les éléments qu’il synthétise feront
l’objet d’une présentation plus approfondie dans les sections 1 et 2 de ce chapitre.
Tableau 15
Un premier aperçu de la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle121
Pratiques instrumentales 35 Pratiques évaluatives 33
L’imitation comme source d’information :
L’imitation permet au programmateur d’accéder aux résultats des tests (« call-out ») ou aux informations relatives au choix des singles et à l’agenda promotionnel des maisons de disques. 5
L’imitation comme révélateur de tendance :
La diffusion d’un titre par les concurrents est un indicateur de « ce que les gens veulent entendre ». A partir d’un titre, les programmateurs procèdent à une généralisation et décrivent une tendance plus générale. 4
L’imitation comme forme de parasitisme :
Par une entrée tardive en playlist, le programmateur espère bénéficier de retombées positives liées à la diffusion d’un titre par un concurrent (« lavage de cerveau », externalisation de la prise de risque). 26
L’imitation comme moyen
d’entrer dans la norme :
La diffusion par les concurrents est à l’origine d’un sentiment d’obligation chez le programmateur auquel l’imitation permet de répondre. 4
L’imitation comme moyen de
maintenir la parité concurrentielle :
L’imitation permet de neutraliser un concurrent lorsque ce dernier a pris une avance sur la diffusion d’un titre. Elle permet également de ne pas subir de désavantage concurrentiel lorsqu’un titre est perçu comme risqué. Dans les deux cas, il s’agit de rétablir une forme d’équilibre entre la radio et ses concurrents. 2
L’imitation comme session de rattrapage :
Lorsqu’ils ont préalablement écarté un disque en raison de réserves artistiques et qu’ils l’entendent sur une autre radio, les programmateurs peuvent procéder à une nouvelle écoute. Sur la base d’éléments qu’ils n’avaient pas pris en compte initialement, ils peuvent revenir sur leur décision initiale et imiter leurs concurrents. 13
L’imitation comme argument d’autorité :
L’adoption préalable par autrui permet aux programmateurs de se justifier auprès de leur hiérarchie en cas de remise en question de leur décision ou de mauvais tests. 2
L’imitation comme moyen de se rassurer :
En proie au doute, les programmateurs s’aligneront sur une tendance générale ou copieront des modèles qu’ils connaissent afin de se rassurer. 10
L’imitation comme révélateur de désir :
En entendant un nouveau titre sur une radio concurrente, les programmateurs ressentent un désir d’appropriation dont l’imitation est la traduction. 4
121 Les chiffres correspondent aux nombre de décisions de programmation concernées.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
277
1. LES PRATIQUES INSTRUMENTALES DE L’IMITATION
Les pratiques d’imitation concurrentielle traduisant l’exercice de rationalités instrumentales
chez les programmateurs s’inscrivent le plus souvent dans une démarche délibérée consistant,
pour le programmateur, à écarter a priori un disque et à attendre qu’il soit programmé par une
ou par plusieurs autres radios (nous verrons que certaines exceptions peuvent exister). Au
cours des entretiens, des propos du type « j’avais vraiment envie de savoir comment une radio
comme Skyrock allait réagir », « ce que j’attendais sur Green Day, c’était le démarrage sur
Europe 2 car c’était important qu’Europe 2 démarre le morceau » ou « le titre est bien… je
vais attendre que les autres fassent leur travail » ont pu traduire le caractère délibéré de ces
pratiques d’imitation.
« J’ai dis, voilà tu sais quoi, j’ai dit à l’attaché de presse : Tu sais quoi, c’est pas moi qui vais t’aider sur ça… fais le rentrer par les autres et ne t’inquiète pas, je suivrai. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante du Sud de la France
Lorsqu’il est question des pratiques instrumentales, l’imitation concurrentielle est largement
guidée par les conséquences qu’en attendent les programmateurs. Ces derniers peuvent
espérer bénéficier de retombées positives ou chercher à contourner des obstacles qui
pourraient nuire à leur organisation ou à leur situation personnelle.
L’analyse des données nous a conduits à identifier quatre idéaux-types de pratiques
d’imitation concurrentielle fondées sur une rationalité instrumentale. L’imitation peut être
appréhendée (1) comme une source d’information, (2) comme une forme de parasitisme, (3)
comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle ou (4) comme un argument d’autorité.
Ces pratiques ont été identifiées dans 35 des 68 décisions de programmation faisant intervenir
une part d’imitation concurrentielle. Le schéma 19 propose une représentation graphique
d’une matrice croisant les quatre pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle
identifiées au cours de l’analyse et les type de radios (stations indépendantes et réseaux
nationaux). Comme nous pouvons le voir, la pratique qui apparaît le plus fréquemment au
cours des entretiens consiste à appréhender l’imitation concurrentielle comme une forme de
parasitisme.
Ces comptages ne doivent pas être interprétés comme un indicateur de la fréquence relative de
chaque pratique d’imitation concurrentielle chez les programmateurs radio ou dans quelque
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
278
autre contexte. Ils permettent d’une part de synthétiser les données et d’informer le lecteur sur
le nombre de décisions ayant permis de construire chaque idéal-type et d’autre part d’amorcer
des réflexions sur les raisons pour lesquelles ces pratiques apparaissent plus fréquemment
chez les réseaux ou chez les indépendants.
Schéma 19
Répartition des pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle (35 décisions)
Nombre de décisions codées (cases)
Réseaux nationaux Radios indépendantes
Les sections 1.1 à 1.4 permettent d’analyser chaque idéal-type à l’aide de verbatims tirés des
entretiens réalisés auprès des programmateurs. Chaque pratique d’imitation concurrentielle
fait l’objet d’un encadré de synthèse. En conclusion de la section 1, un tableau récapitulatif
(tableau 17) offre un aperçu des quatre pratiques d’imitation concurrentielle et met en
évidence les propriétés qui permettent de les différencier.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
279
1.1. L’IMITATION COMME SOURCE D’INFORMATION
A la manière des managers décrits par Cyert et March (1963) ou, dans un registre nettement
plus calculatoire, des agents modélisés par les théories de l’information en cascade (Banerjee,
1992 ; Bikhchandani et al., 1998), les programmateurs peuvent trouver dans l’imitation un
moyen d’être mieux informés. Dans la réalité néanmoins, les informations ne sont pas
distribuées aléatoirement : certaines radios sont connues pour être mieux informées que les
autres. Elles seront alors plus fréquemment suivies que les autres.
Les informations détenues par ces radios peuvent renvoyer à plusieurs dimensions de la
programmation musicale. De par leurs contacts privilégiés avec les maisons de disques,
certaines stations sont mieux informées que les autres des dates de sortie des albums et des
choix de singles réalisés par les directeurs de labels. L’observation de l’évolution de leur
playlist sera alors susceptible – pour les programmateurs les moins informés – de révéler ces
informations (point a). L’accès aux « tests », réservé aux stations ayant à leur disposition les
ressources financières les plus importantes, constitue, par ailleurs un motif d’imitation
récurrent chez les stations indépendantes (point b). Les programmateurs auront d’autant plus
tendance à appréhender l’imitation comme une source privilégiée d’accès à l’information
qu’ils exprimeront le sentiment de n’avoir pas accès à toutes les données qui leur
permettraient de prendre de meilleures décisions quant aux entrées en playlist. Très
logiquement, cette pratique de l’imitation concurrentielle semble plus répandue chez les
radios indépendantes122 qui sont souvent dépourvues des outils de recherche musicale et ont
un accès indirect aux labels. Les programmateurs des radios indépendantes vont alors
appréhender les actions de leurs concurrents comme un révélateur d’informations.
a) Des informations relatives aux stratégies promotionnelles des labels
Grâce à leur couverture nationale ou aux relations que peuvent entretenir leurs dirigeants avec
les acteurs de l’industrie musicale, certains concurrents bénéficient d’informations
privilégiées quant à l’agenda promotionnel des maisons de disques. Les programmateurs
portent notamment une attention marquée aux choix des singles. Un single est un
enregistrement court sur lequel figurent généralement une ou deux chansons extraites d’un
album. Ces chansons sont parfois proposées dans des versions légèrement différentes de
celles qui figurent sur l’album (« radio edit »).
122 Tous les cas recensés dans les données concernent des radios indépendantes.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
280
Utilisés pour assurer la promotion des artistes, ce sont les singles qui, en règle générale, sont
diffusés par les radios. Pour les maisons de disques, le choix des titres qui seront mis en avant
revêt une donc importance stratégique. Il est parfois réalisé en concertation avec les
programmateurs des grands réseaux nationaux (en particulier lorsque ces derniers sont
partenaires de l’artiste). Lorsqu’ils ont fortement diffusés la chanson d’un artiste sur leur
antenne et qu’ils détectent une forme de lassitude chez leurs auditeurs (« burn »), les
programmateurs peuvent chercher à « faire le switch » c'est-à-dire à entamer la diffusion du
nouveau single avant sa commercialisation.
C’est ce cas de figure qui est décrit par le répondant suivant. « Là je cherchais du français –
raconte ce jeune programmateur officiant sur une radio parisienne – Ce groupe, j’y pensais
déjà, j’avais écouté l’album, il y a plein de titres… le problème c’est que leur album est super
formaté mais… super efficace. C'est-à-dire que les titres sont tous vraiment efficaces, il y a
plein de singles possibles sur l’album. Je ne savais pas trop lequel allait sortir. » Le
répondant décrit une situation d’indécidabilité dans laquelle les différentes alternatives qui
s’offrent à lui sont perçues comme équivalentes (« il y avait plein de singles possibles »).
Ne sachant pas quel morceau retenir, il va expliquer s’être inspiré de la programmation
d’Europe 2. Selon toute vraisemblance, ce titre était voué à devenir le prochain tube du
groupe.
« J’ai écouté l’album, j’ai vu qu’Europe 2 avait fait quelques passages dessus. Je me suis dit que donc, “ils ont dû apprendre que c’était le prochain single.” Je l’ai pris sur l’album, je l’ai joué, ça a marché et voilà quoi. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante parisienne
Dans ce type de situation, les modèles imités sont sélectionnés en fonction de leurs liens
supposés avec les acteurs de l’industrie du disque. Il pourra s’agir de réseaux nationaux ou
des radios indépendantes les plus puissantes.
b) Des informations relatives à la recherche musicale
Au-delà de la stratégie promotionnelle des maisons de disques, le comportement des
concurrents est susceptible de révéler d’autres types d’informations parmi lesquelles on
retrouve les « call-out », ces études réalisées par certaines radios auprès de panels d’auditeurs.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
281
Malgré la polémique opposant les stations du GIE « Les Indépendants » à NRJ, les
programmateurs interrogés n’ont aucune difficulté à confirmer les accusations de la première
radio de France.
Les entretiens font ressortir qu’une baisse du nombre de diffusions hebdomadaires d’un titre
est souvent interprétée comme la conséquence de mauvais tests : « Quand je vois que le
disque baisse bien – explique le directeur d’antenne d’une radio francilienne – je me dis :
Bon, là aussi, il commence à être grillé, moi aussi il faut que je le baisse. »
Comme l’indique le verbatim qui suit, cette démarche est très répandue chez les
programmateurs des radios indépendantes qui déplorent, par ailleurs, que leurs supérieurs
hiérarchiques ne consacrent pas les moyens financiers nécessaires à la mise en place de ces
outils de recherche musicale. Cette situation est parfois génératrice de frustration lorsque les
répondants se plaignent de ne pas avoir à leur disposition les outils qui leur permettraient de
travailler dans de bonnes conditions car « mine de rien, on est dans une époque de marketing,
on est là pour faire de l’audience et si un disque est grillé, il ne faut pas que le laisser hein !
Il faut l’arrêter »123.
L’intérêt porté par les programmateurs des radios indépendantes à toute information relative
aux tests est particulièrement prononcé lorsque ces derniers ont été en contact avec le
conseiller aux programmes du GIE « Les Indépendants ». Ce dernier les incite, en effet, à se
méfier du sentiment de lassitude qu’ils peuvent ressentir lorsqu’un titre figure depuis
plusieurs semaines dans leur playlist.
« Yacast, c’est bien parce que ça permet de se situer. Je pense que ça permet, à un moment donné, de savoir qu’il faut retirer un morceau. Ça permet de se dire : Tiens, ça sent peut-être le grillé, c’est peut-être le moment où on peut commencer à le baisser voir même le retirer. Parce que là… on l’a tellement… Parce que c’est ça le plus difficile ! C’est pas de rentrer un morceau, c’est de savoir quand on doit le sortir et de se dire : Voilà, ça fait quand même quatre ou cinq semaines que je le passe… moi j’en ai ras le fion, je ne sais pas si tu as envie de le retirer… mais on s’aperçoit que ça teste encore, que les gens ils en veulent encore… et ça, on ne peut pas le deviner !
123 Ces propos sont extraits d’un entretien réalisé auprès du directeur d’antenne d’une radio indépendante francilienne.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
282
Il ne faut pas oublier que quand on est programmateur, on vit vingt quatre heures sur vingt quatre dans la radio, et sept jours sur sept… Les mecs ils saturent beaucoup plus vite que n’importe quel auditeur. Ça a d’ailleurs été le gros discours chez toutes nos radios au départ. Ils allaient plus vite que la musique ! Ils allaient trop vite ! Donc les mecs, quand un morceau marchait, ils l’avaient retiré. Je leur disais : C’est absolument incroyable ! C’est comme si vous semiez et que, je ne sais pas… FRJ en l’occurrence arrive derrière et il récolte ! FRJ était beaucoup plus finot à l’époque que nos radios. C'est-à-dire qu’il arrivait au bon moment. Donc je les ai resynchronisés entre guillemets en leur disant : Attention, n’allez pas trop vite ! Vous n’êtes pas synchros avec les attentes des gens, leurs aspirations, leurs envies ! Il y a un moment donné où le clip va sortir, il va être à la radio, il va y avoir des émissions et machin… et là, il va y avoir une demande ! Et vous vous êtes déjà en amont, vous avez déjà presque fini votre… Fon, non ! Et je leur disais : Continuez, continuez ! Et combien de fois j’ai remis à l’antenne un disque qu’ils avaient bazardé euh… ouais ouais. Ils me disent : Mais ça fait six mois qu’on l’a passé, tu comprends ! Et je réponds : Beh c’est pas grave ! C’est maintenant qu’il faut que tu le passes ! »
Entretien réalisé avec le conseiller aux programmes du GIE « Les Indépendants »
Les conseils de celui qui est parfois surnommé « le coach » sont appliqués à la lettre dans
cette radio indépendante : « Le risque quand on démarre un morceau trop tôt, c’est qu’il y a
toute l’équipe qui pendant des jours va dire : Ahlala, il y en a marre de ce truc là, on en a
marre ! Et à un moment donné, le programmateur sera tellement exaspéré et tellement énervé
d’entendre tout le monde râler qu’il va le zapper… Et au moment où tout le monde le
réclame, où l’auditeur a envie de l’entendre, où les autres radios s’emparent du truc… C’est
dangereux de jouer un morceau trop tôt. Il nous faudrait la recherche musicale… mais bon
on a Yacast. »124
Une baisse des rotations est interprétée comme le résultat de mauvais tests. A l’inverse, une
diffusion par une ou par plusieurs stations concurrentes laisse souvent supposer aux
programmateurs que le disque a obtenu de bons résultats aux tests. « Je fais attention à ce
qu’ils font parce que si c’est programmé chez les jeunes [le répondant désigne les réseaux
musicaux nationaux destinés aux jeunes], je sais que ça teste bien » affirme ainsi le
programmateur d’une station locale du Sud de la France. Et ce répondant de préciser : « Je
sais que si c’est sur Fun et FRJ, ça veut dire que chez les ados ça teste bien ». Une démarche
124 Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante pop-rock.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
283
similaire est clairement revendiquée par le programmateur suivant pour qui Yacast est perçu
comme un réel filet de sécurité.
« Ce qui est dans le Yacast, c’est vraiment ce que les gens ont envie d’entendre. Alors c’est vrai que les radios font un petit peu ce qu’elles veulent aussi mais, on m’a dit qu’effectivement certaines radios faisaient de l’audit. En fait, ils appellent des gens, ils leurs passent de la musique, “est-ce que vous aimez ?”, “est-ce que vous n’aimez pas ?” Donc euh… c’est là je pense une chose qui nous permet de dire : “si on joue ce morceau là, nous on ne se trompe pas !” Même si des fois je ne suis pas d’accord avec tel ou tel morceau. Mais disons qu’ils l’ont vérifié. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une petite radio indépendante
Gardant en tête la polémique lancée en février 2004, ces professionnels se défendent
néanmoins de se livrer à un quelconque plagiat des programmations de leurs concurrents : « je
regarde… mais sans copier » insiste un répondant officiant dans une radio indépendante au
format musical généraliste. L’imitation est alors justifiée par les répondants par l’asymétrie
existant à leurs yeux dans le rapport de force qui les oppose aux grands réseaux nationaux :
« Parce que nous, on n’a pas de panels ! »
NRJ n’est pas la seule radio à être imitée par les stations indépendantes. A l’image de
Vibration, station indépendante orléanaise, certaines radios régionales sont connues pour leur
utilisation des outils de recherche musicale : « Je sais comment ils fonctionnent. Je sais que
Vibration fait des tests. Donc c’est vrai que ça m’influence aussi ». Les radios « qui testent »
constituent ainsi un groupe stratégique constamment observé par les programmateurs des
radios indépendantes : « parce qu’on sait à peu près qui teste, par relations, je me suis un peu
rencardé. »125
125 Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une radio indépendante francilienne.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
284
Synthèse 20
L’imitation comme une source d’information
� L’imitation permet d’accéder aux résultats des tests (« call-out ») ou aux informations relatives au choix des singles et à l’agenda promotionnel des maisons de disques.
� Cette pratique trouve son origine dans le sentiment des programmateurs de ne pas avoir accès aux informations pertinentes pour prendre une bonne décision. Ces derniers officient essentiellement dans des stations indépendantes et adhèrent fortement à « l’orthodoxie du Top 40 ».
� Les modèles imités sont connus pour pratiquer des tests ou avoir des relations régulières avec les maisons de disques.
1.2. L’IMITATION COMME UNE FORME DE PARASITISME
L’accès aux informations détenues par les concurrents, qu’elles renvoient aux stratégies
promotionnelles des labels ou aux résultats de tests, n’est pas la seule raison susceptible de
guider les programmateurs dans leurs pratiques d’imitation concurrentielle. Dans un registre
tout aussi instrumental, certains acteurs peuvent, en effet, chercher à tirer profit de l’entrée en
programmation d’un titre par des concurrents. Qu’il s’agisse d’externaliser les risques ou de
profiter du travail de développement entrepris par d’autres acteurs, l’imitation s’assimile ici à
une forme de parasitisme.
Cette pratique de l’imitation concurrentielle est celle qui est apparue le plus souvent au cours
de l’analyse (26 occurrences). Ce constat ne préjuge en rien de la fréquence de cette pratique
sur le terrain étudié ou dans d’autres contextes. Il indique simplement que les données
utilisées pour mener l’analyse ont été plus nombreuses (et plus riches) que pour les autres
pratiques.
a) Une démarche expérimentale
Comme le confirme ce programmateur, l’entrée en programmation d’un titre peut parfois être
conditionnée à sa diffusion par les concurrents : « Quand j’ai reçu [ce disque], je me suis dit :
Bon, c’est un bon petit morceau de « variétés »… ouais… si je vois que ça grimpe, je le
rentre. »
Pour ces répondants, l’idée est autant d’externaliser la prise de risque liée à l’entrée d’un titre
que de s’en remettre au jugement d’autrui. Le directeur d’antenne de cette radio indépendante
d’Île-de-France évoque ainsi un titre présentant de fortes similitudes avec les anciens tubes de
Tragédie, un groupe ayant connu le succès en 2004.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
285
Problème : Tragédie peine à reconquérir son public. La ressemblance n’est donc pas de nature
à rassurer le répondant. « Tragédie, aujourd’hui, ça ne marche plus ! C’est devenu ringard »
constate-t-il. Sur la base de ces vives réserves, le programmateur décide alors de conditionner
l’entrée en programmation du titre à sa diffusion par d’autres stations.
« Je me suis dit : « C’est encore un truc à la Tragédie, ça ne va peut-être pas prendre ! » Et puis après, suivant mes différents critères, j’ai vu que ça prenait bien. J’ai attendu un tout petit peu et puis… les rotations sont arrivées. »
Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une station indépendante d’Île-de-France
La tendance générale sert ici à valider ou à invalider la mise de côté initiale du morceau par le
programmateur, elle est quasi-expérimentale. L’expérience peut néanmoins être plus ciblée.
En fonction de la nature de ses hésitations, un programmateur peut en effet décider de ne
porter attention qu’aux décisions prises par un groupe restreint de concurrents ou par un
concurrent en particulier.
De par son audience et ses moyens financiers, NRJ fait régulièrement figure de modèle pour
les programmateurs qui ne disposent pas de moyens financiers aussi importants : « Parce
qu’on sait que derrière, il y a la cavalerie, qu’ils vont mettre des moyens, qu’il y a des
sous… »126. Les projets mis de côté par les programmateurs, lorsque ces derniers espérent
qu’ils seront développés par NRJ, ne sont pas choisis au hasard. Au-delà des réserves
artistiques qu’ils suscitent chez les programmateurs, ces titres sont souvent très grand public
et jugés extrêmement commerciaux par les programmateurs ou « moins faciles ».
« Quand j’ai pas d’affinité avec le projet bon, quand c’est pas un truc que je vais écouter chez moi bon, je n’écoute pas le Roi Soleil en boucle tu vois. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste
« Sur des choses un petit peu tendancieuses ou des choses un peu moins faciles, je pense que c’est plus à FRJ de déblayer le terrain. Eux ont une force de frappe qui est beaucoup plus… et après nous on y vient. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste
L’analyse du verbatim suivant fait apparaître un autre cas de figure. Il y est question d’un titre
interprété par Lemar, un chanteur de « soul music » révélé en 2005 par la version anglaise de
l’émission Star Academy. La « soul » étant traditionnellement un genre musical davantage
plébiscité par les adultes que par les jeunes, le répondant – un directeur des programmes dans
126 Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
286
une radio indépendante – explique avoir souhaité attendre la réaction de Skyrock, radio
spécialement dédiée aux 15-25ans.
« En fait j’avais vraiment envie de savoir comment une radio comme Skyrock allait réagir. En fait je me demandais… je me disais : « bon, ça fait très Motown, c’est sur une cible plutôt adulte » et j’avais un doute sur les jeunes. Je voulais vraiment savoir comment une radio comme Skyrock allait se positionner : Est-ce que ce titre-là allait leur plaire ? Allait plaire aux jeunes ou rester sur une dynamique pour les adultes ? »
Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante
Malgré le caractère plus restrictif des critères de sélection du modèle, la démarche reste
expérimentale. La décision de Skyrock vient confirmer ou lever les réserves du
programmateur quant au potentiel du titre vis-à-vis du public jeune. De la même manière, un
programmateur pourra choisir d’attendre les réactions d’un concurrent spécialisé sur un genre
musical bien précis avant de décider d’entrer, ou non, un titre dans sa playlist. Nous
retrouvons cette démarche chez ce répondant, directeur artistique d’un grand réseau national,
qui utilise l’imitation lorsqu’il est confronté à un titre situé à la périphérie (ou en dehors) de sa
thématique musicale de prédilection.
« Sur ce coup, je ne suis qu’un gros suiveur ! Ah bah oui… puisqu’on est pas dans le format. Le titre est bien, il est pas très agressif… c’est pas du “R’n’B” comme on l’entend sur Fun et sur FRJ, il est bien sûr, sur ces deux playlists mais il a quelque chose d’autre. De l’authenticité… c’est un son nouveau, le mec a une attitude nouvelle, je vais attendre qu’ils fassent leur travail, je vais tester. Il teste bien ! Alors je demande un contre-test… pour savoir si je ne me trompe pas, parce que le son est quand même très éloigné de mon format à moi. Après c’est un choix éditorial. On peut très bien dire : « ça teste mais on se l’interdit parce que ce n’est pas dans le format », ou bien se dire « comme il commence à faire beau, c’est le printemps, on va essayer de le jouer et, une fois qu’on l’aura passé, on re-testera dans une semaine pour voir si les gens, l’ayant écouté au milieu de notre programme, sont toujours satisfaits. »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national
Comme nous le voyons, l’imitation n’implique pas une mise de côté des résultats des tests.
Lorsqu’ils disposent de ces instruments, les programmateurs peuvent les utiliser comme un
filet de sécurité.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
287
b) La « politique du mouton »
Dans la section qui précède, nous avons montré que le comportement d’autrui était une
variable intégrée délibérément par les répondants dans leur prise de décision. En effet, il
permettait de détecter le potentiel d’un titre. Pour de nombreux répondants, le statut de « hit »
ne dépend pas seulement de caractéristiques exogènes, liées à l’artiste, à la construction de la
chanson ou aux moyens alloués par la maison de disque. Il est aussi imposé au public par les
diffusions en radio.
Au cœur de cette démarche, on retrouve une conception solidement ancrée dans l’orthodoxie
professionnelle du secteur : certains tubes ont besoin de faire l’objet d’un matraquage
promotionnel et marketing auquel les diffusions en radio contribuent, en particulier lorsqu’ils
ne possèdent pas tous les « ingrédients » attendus127. Pour avoir la certitude de « jouer » des
tubes, il devient donc nécessaire de s’aligner sur les programmations musicales des autres
radios ce qui nécessite de mettre de côté, dans un premier temps, les projets les plus sensibles.
« Je ne l’ai pas joué tout de suite » se remémore un programmateur de province à propos du
premier disque d’une artiste française. « Je voulais laisser un petit peu l’auditeur s’habituer
au son. Euh… pas tellement le plus jeune parce que le jeune est très réactif. Il tourne le
bouton très facilement. L’auditeur qui est installé quoi… celui qui a le poste de radio au
dessus de la machine à café. Celui-là, il ne faut pas trop le brusquer. »
Parmi les avantages associés par les répondants à une entrée tardive en playlist, on retrouve
une idée avancée par les théoriciens de l’avantage des entrants tardifs selon laquelle
l’imitation permettrait de profiter du travail d’éducation des consommateurs réalisé par les
concurrents (Shankar et al., 1999). La métaphore du « lavage de cerveau », utilisée par
plusieurs répondants, permet ainsi de relier diffusion massive et succès commercial.
« Je crois que c’est FRJ qui l’a rentré, il y a eu ce lavage de cerveau là… et puis ça rentre
vite dans la tête» affirme, en effet, ce programmateur du Sud de la France. C’est souvent
parce qu’ils doutent de la capacité d’un titre à pouvoir séduire les auditeurs à la première
écoute que ces derniers décident de s’en remettre au « lavage de cerveau » initié, notamment,
par les grands réseaux nationaux : « Parce que… je ne trouve pas ça spécialement comme un
tube. Je le dis sincèrement. Je ne trouve pas qu’à première écoute ça passe auprès des
127 On retrouve ici la métaphore des « ingrédients d’un tube » qui a été analysée lors du chapitre précédent.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
288
auditeurs. Je pense que sur un morceau comme ça, il faut un lavage de cerveau de la télé, des
grosses radios pour que nous on puisse le jouer derrière. »
Plus explicite encore, l’image de la « politique du mouton » révèle la dimension calculatoire
et préméditée de cette pratique d’imitation. L’expression est fondée sur un oxymore où
s’opposent les termes « politique » et « mouton » (un animal souvent décrit comme dépourvu
d’esprit d’initiative).
« En fait… euh… c’est ma politique de ce que j’appelle : “La politique du mouton”. C'est-à-dire que je laisse les radios le démarrer et quand ça marche un petit peu sur toutes les grosses radios, et bah je suis derrière quoi. Je suis le troupeau. Il y a un troupeau qui se met en place autour du morceau et moi je laisse FRJ le faire, je laisse tout le monde le faire. Et quand je vois que tout le monde le rentre, et beh je le rentre. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante au format généraliste
Il ne s’agit plus, dès lors, de détecter les tubes mais de deviner quels seront les choix réalisés
par les programmateurs, à la manière des agents décrits par Lewis (1969) ou des spéculateurs
du concours de beauté keynésien : « C’est de demander s’ils vont se servir de cette image là…
ou est-ce qu’ils vont choisir un autre groupe. Et s’ils s’en servent, ça veut dire que voilà… ça
veut dire qu’ils vont travailler le morceau et nous, on surfe sur cette vague là. Ils ont des
priorités et nous, on est là pour savoir quelles sont leurs priorités »128.
Plutôt que d’essayer d’anticiper leurs réactions, l’entrée tardive permet de choisir les « bons
titres » - ceux qui sont diffusés par tout le monde – sans avoir à prendre en charge les risques
associés.
« Quand j’ai pas envie de faire un travail sur un titre, je ne le fais pas ! […]Le disque, je le mets quand c’est un tube et c’est parce que les gens veulent l’écouter ! C’est au moment où il est fait ! Quand le fruit est mûr je le prends ! »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musical d’un réseau national adulte
La question qui se pose renvoie alors au moment idéal d’entrée d’un titre. Pour tenter d’y
répondre, les programmateurs reprennent très souvent la courbe du cycle de vie d’un produit
pour décrire l’évolution de l’engouement des auditeurs pour un disque : à une première phase
risquée succèderait une phase d’engouement progressif puis une certaine lassitude (« burn »)
conduisant à une déprogrammation. L’entrée en playlist ne doit donc pas être trop tardive.
128 Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
289
Une préconisation partagée par une importante littérature consacrée à la question du moment
d’entrée (Lieberman et Montgomery, 1998).
« En même temps, il ne faut pas laisser les autres radios partir trop là-dessus. Donc j’ai laissé une semaine quinze jours. Et puis après toc, je commence à installer gentiment le titre. Et puis là je le joue fort… »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante du Grand Ouest
c) Une répartition des rôles
Les éléments qui viennent d’être développés mettent en évidence une grande variété des
modèles imités par les programmateurs qui adoptent une pratique instrumentale de l’imitation
fondée sur une forme de parasitisme. Si les décideurs partagent la volonté de « profiter du
travail de développement » réalisé par un ou plusieurs concurrents, ces derniers peuvent
choisir de s’aligner sur la réaction d’un concurrent particulier, d’un groupe de concurrent ou
préférer attendre qu’un morceau soit diffusé partout ailleurs pour l’entrer en playlist.
Parce qu’ils considèrent que l’attitude consistant à profiter du travail d’autrui est discutable,
les répondants ont souvent jugé utile d’apporter des éléments leur permettant de se justifier.
Des arguments relatifs au positionnement de la station ou à des contraintes techniques se
posant au programmateur au moment de la prise de décision ont alors pu être avancés.
« On n’est pas là pour euh… c’est vrai que nous ne sommes pas une radio très polémique. On ne souhaite pas, par le contenu des textes, faire passer quelconque message : sur un titre de “Rap” comme celui-là, à partir du moment où c’est trop segmentant, on préfère s’absenter… au moins dans un premier temps »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national généraliste
« Kelly Clarkson, oui on va s’y mettre. Parce qu’en fait, ce n’était pas à nous de faire le travail là-dessus. Parce que dans le sens ou ce sont des sons, des titres où nous, on a déjà l’équivalence en playlist. Et donc euh… pour nous c’est pas ultra urgent. En plus, c’est dans le bas du classement donc c’est pas très urgent pour nous. »
Entretien réalisé avec le directeur d’une radio indépendante généraliste
Des propos du type « ce n’était pas pour nous », « on a laissé les radios “Rock” faire leur
boulot… » ou encore « on a été complètement suiveurs sur ce truc… parce que là aussi, c’est
pas notre rôle » montrent – par ailleurs – que les répondants peuvent se livrer à une sorte de
répartition des rôles permettant de désigner les « starters ». Les « radios starters » semblent
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
290
alors naturellement désignées pour prendre en charge le début du travail de développement et
d’assumer – seules ou en groupe – les risques associés.
« Je vais voir mon DG, je lui dis « ça tu vas voir, ça va être dans les cinq premiers », sauf que à la base, c’est plus FRJ parce que c’est vraiment du populaire et ultra-populaire. C’est de la “dance” super basique. »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national thématique
Inversement, certains programmateurs peuvent se sentir investis d’une mission de
développement d’artistes et de projets entrant dans leur thématique de prédilection. C’est
notamment le cas pour ce membre de l’équipe de programmation de Chérie FM lorsqu’il
évoque le dernier succès de la chanteuse Natasha St-Pier.
« Prenons l’exemple de la chanson de Fatasha St-Pier : Si nous on ne joue pas ça, qui va la jouer ? C’est à nous de toute façon… qu’elle nous plaise ou pas. Alors évidemment, si elle était revenue avec un genre “Hard-Rock” et machin… évidemment que ce n’est pas le format et qu’on ne joue pas le titre… mais euh… Fatasha St-Pier, « Un ange frappe à ma porte », avec le texte que c’est, avec la mélodie que c’est bon… j’aime ou je n’aime pas… je m’en fous ! C’est à Chérie de jouer ! Ces artistes, si on n’est pas au rendez-vous pour les exposer avec leurs nouvelles chansons, qui le fera ? Ce n’est pas RFM qui le fera… ce n’est pas FRJ… FRJ dans un premier temps, ce n’est pas leur came donc ils ne le diffusent pas. »
Entretien réalisé avec un des programmateurs de Chérie FM
Le tableau suivant propose une synthèse des justifications utilisées par les programmateurs
pratiquant l’imitation sous sa forme parasitique. Il permet de les relier ces éléments de
discours aux critères utilisés pour répartir les rôles de starter et d’imitateur.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
291
Tableau 16
Critères utilisés pour la répartition des rôles et justifications
Critère
utilisé pour la
répartition des rôles
Justifications
Moyens financiers Le travail de développement de certains artistes est perçu comme coûteux (publicités, partenariats, opérations sur l’antenne…) et doit donc être confié aux radios qui bénéficient des moyens financiers les plus importants (dans ce cas, il s’agit souvent de NRJ).
Partenariat Caractère injuste de l’attribution des partenariats par les labels. Volonté de se venger des radios qui ont obtenu les partenariats que convoitait le programmateur. La radio partenaire a des avantages et donc des responsabilités à assumer parmi lesquelles figure le travail de développement.
Thématique du format Lorsque certains titres sont éloignés du format, les programmateurs considèrent que c’est aux radios spécialisées d’en assurer le développement.
Positionnement généraliste Les titres perçus comme « populaires » sont souvent « laissés à FRJ ». Ce type de propos s’accompagne généralement de jugements artistiques assez négatifs (« c’est de la soupe »).
Cible En fonction du genre musical, un titre pourra être perçu par les programmateurs comme plus ou moins risqué sur une cible particulière. Le « Rap » est ainsi perçu comme risqué sur les adultes. La « Soul » est perçue comme risquée sur les jeunes. Les répondants justifient donc leur attitude par leur volonté de tester le disque sur les cibles les plus risquées en attendant les réactions de radios thématiques (Skyrock pour les jeunes, RFM pour les adultes, Chérie FM pour les femmes, etc.)
Puissance Lorsque les titres sont jugés « moins faciles » et qu’ils nécessitent un « lavage de cerveau », les programmateurs expliquent attendre le « travail de développement » réalisé par les radios les plus puissantes (NRJ et les autres réseaux musicaux nationaux).
La pratique d’imitation dont il est ici question repose sur une forme de parasitisme consistant
à profiter du travail de développement des autres concurrents en externalisant des risques liés
à une entrée précoce d’un titre en programmation. Elle est donc clairement ancrée dans une
conception instrumentale de la rationalité. Cependant, au vu des critères utilisés par les
programmateurs pour désigner les modèles et des justifications qu’ils apportent, il est clair
que cette pratique fait intervenir des notions reliées à une conception évaluative de la
rationalité.
Ainsi, certaines radios semblent plus légitimes que d’autres pour démarrer un titre, en
particulier lorsqu’elles sont spécialisées sur un genre musical bien précis (exemple de
Skyrock avec les musiques urbaines). Sans totalement remettre en cause la distinction entre
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
292
rationalités instrumentales et rationalités évaluatives, nous retrouvons la porosité de ces deux
notions qui était déjà évoquée par Weber (1921 [1995]). Lorsque l’imitation s’apparente à une
forme de parasitisme, l’exercice de la rationalité instrumentale est conditionné par
l’acceptation de critères et de normes généralement admis.
Synthèse 21
L’imitation comme une forme de parasitisme
� Par l’entrée tardive d’un titre en playlist, l’imitateur espère bénéficier de retombées positives liées à sa diffusion par un ou plusieurs concurrents.
� Les programmateurs peuvent chercher à externaliser le risque d’un rejet du titre par une frange particulière du public ou à profiter du « lavage de cerveau » réalisé par les concurrents par leurs diffusions répétées.
1.3. L’IMITATION COMME MOYEN D’ASSURER LA PARITE CONCURRENTIELLE
L’analyse stratégique traditionnelle accorde une place centrale au concept d’avantage
concurrentiel (Porter, 1982 [2004], 1986 [2003], 1996). Si la recherche d’un avantage
concurrentiel ne saurait résumer, à elle seule, l’objectif de la stratégie, elle constitue un
élément indispensable à sa compréhension. Dans l’esprit des travaux consacrés aux actions et
réactions concurrentielles, et dans le prolongement de l’analyse portérienne qui soulignait le
caractère défensif de l’imitation, certains programmateurs semblent instrumentaliser
l’imitation en vue de neutraliser certains de leurs concurrents. La volonté de maintenir une
parité concurrentielle se retrouve également lorsque, veillant à respecter leurs obligations
conventionnelles de diffusion d’œuvres francophones, les décideurs voient dans le
conformisme un moyen de ne pas se mettre en danger. Cette pratique d’imitation
concurrentielle est très peu fréquente dans les données de la recherche puisqu’elle n’apparaît
que dans deux cas de décisions d’entrée en playlist.
a) Un moyen de neutraliser un concurrent
Bien qu’ils l’assimilent à une prise de risque, les programmateurs reconnaissent que la
diffusion d’un morceau avant les concurrents est susceptible de se traduire par une
augmentation de leur audience. Lorsqu’ils considèrent qu’un disque est susceptible de
connaître le succès, certains programmateurs vont ainsi utiliser l’imitation pour réduire
l’avance prise par les concurrents qui l’ont programmé.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
293
« Donc je positionne le titre. Je sais qu’Europe 2 est en programmation dessus aussi, je ne suis pas tout seul. Fotre principal concurrent sur la zone de diffusion, c’est Europe 2 donc je ne les laisse pas complètement partir. Je suis ! »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante
Cette pratique a été identifiée dans un entretien réalisé avec un programmateur officiant dans
une radio indépendante. Rien ne semble indiquer que, dans l’absolu, elle ne puisse pas être
adoptée dans des réseaux. La proximité des formats semble néanmoins constituer une
condition sine qua non au développement de cette pratique d’imitation concurrentielle.
b) Un moyen de se prémunir d’un désavantage concurrentiel
Dans un registre assez proche, certains répondants utilisent l’imitation pour compenser les
conséquences négatives qu’ils associent au respect de la législation relative aux quotas de
chansons françaises. Dans le chapitre précédent, nous avons souligné que cette législation
pouvait parfois amener les programmateurs de certaines radios thématiques à s’éloigner de
leur format de prédilection (en particulier lorsque ces dernières sont positionnées sur des
thématiques « Dance » ou « Rock »). Dans de telles situations, les programmateurs nous ont
parfois fait part de leur sentiment de se mettre en danger et ont évoqué leurs difficultés à
programmer des nouveaux talents francophones. Une solution peut alors consister à diffuser
les mêmes morceaux que les concurrents afin de limiter les risques.
« Bah c’est sûr que pour ce type de morceau, on est beaucoup moins starters. Parce que comme c’est pas « format », je ne vais pas m’amuser en plus de n’être pas dans mon format à jouer un morceau qui n’est pas ce que mes auditeurs attendent, à le jouer en avance. […] C’est juste le fait que quand les gens vont l’entendre chez moi, s’ils ne l’aiment pas et qu’ils vont sur une autre radio ils risquent de tomber aussi dessus. Donc au bout d’un moment, ils vont peut-être s’habituer ou bien [se dire] : moi j’aimais pas mais eux ils le passent aussi donc je vais revenir sur ma radio. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante au format « Dance »
Synthèse 22
L’imitation comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle
� Les programmateurs cherchent à neutraliser des concurrents en imitant leurs décisions.
� Il peut s’agir de réduire l’avance prise par un concurrent particulier sur un disque particulier ou de se prémunir d’un désavantage concurrentiel par rapport aux autres concurrents.
� Dans les deux cas, il s’agit d’une stratégie défensive. Les modèles imités sont le plus souvent les concurrents directs de la radio.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
294
1.4. UN ARGUMENT D’AUTORITE
De façon marginale (deux cas), certains répondants ont souligné que l’entrée préalable d’un
titre par des concurrents pouvait être utilisée comme un argument d’autorité vis-à-vis de leur
hiérarchie ou de leurs collègues. Les relevés de programmation envoyés par les attachés de
presse permettent aux programmateurs de se justifier et d’éviter des conséquences
potentiellement négatives liées à une décision malencontreuse.
« Bien sûr que ces infos on les regarde. Prends ce titre de Angunn… si ça ne teste pas, on aura aussi cet argument là. Cet argument là, c’est un argument que nous aussi on va pouvoir dire à notre directeur général quand on se retrouvera pour une réunion de programmation. »
Entretien réalisé avec les programmateurs d’un réseau national
De l’analyse des données, il ressort que l’argument d’autorité que peut représenter la diffusion
par un concurrent légitime ou par un grand nombre de radios est souvent utilisé par les
programmateurs lorsqu’ils doivent faire face à une remise en question de leur jugement.
Ces critiques sont d’autant moins bien acceptées que les programmateurs ont souvent
tendance à considérer que leurs supérieurs hiérarchiques et leurs collègues n’ont pas leur
niveau de compétences en matière de musique. Au travers de propos tels que « Il y a quand
même une divergence importante entre mon point de vue et le sien [le répondant désigne le
directeur des programmes de la station]. Il faut que tu discutes avec lui et que tu comprennes
» ou « je n’étais pas convaincu et je ne le suis toujours pas ! C’est de la m… ! Ça n’a rien à
f… sur l’antenne. Les arguments du boss sont nullissimes », plusieurs répondants ont exprimé
de réels désaccords artistiques avec leur hiérarchie. En imitant leurs concurrents, les
programmateurs parviendront à mettre un terme à des discussions aussi difficiles
qu’interminables :
« Lorsqu’ils ont entendu le titre, les deux associés…sont arrivés dans le bureau : « Mais ça rappe, pourquoi vous voulez le rentrer, on ne va pas se mettre au “Rap” ! » et ça créait une tension. Et là : « STOP ! C’est moi et X qui décidons de la programmation » et en fait, Gorillaz était numéro un petit peu partout… ou sur les plus hautes marches des classements de toutes les radios. Donc on les a convaincus comme ça. Pour ça, c’est bien de ne pas être tout seul. »
Entretien réalisé dans une radio indépendante
Dans les réseaux nationaux et dans les grosses stations indépendantes, l’argument d’autorité
pourra, par ailleurs, permettre de donner une seconde chance à des productions qui auraient
connu de mauvais résultats aux tests : « Le boss, il pourra dire : Oh, elle ne teste pas, on la
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
295
passe à la casserole. Et moi je répondrai : Oui mais tu vois, RTL vient de le rentrer, donnons
lui encore un peu de chance. »129
Il est ici intéressant de se pencher sur les critères utilisés pour sélectionner les modèles. Si la
fréquence de diffusion (en termes de nombre de radios et de rotations) vient donner du crédit
aux arguments des programmateurs, on pourra s’étonner de voir une radio musicale s’aligner
sur une radio généraliste qui consacre l’essentiel de ses programmes aux informations ou aux
divertissements telle que RTL. Afin d’éclaircir cet apparent paradoxe, on remarquera que les
dirigeants des radios musicales sont généralement plus âgés que leurs auditeurs. Les radios
qu’ils écoutent sont souvent des radios généralistes. Pour le programmateur devant se heurter
à une divergence artistique, les diffusions sur RTL ou France Inter sont donc susceptibles de
constituer un argument efficace. Le modèle n’est pas choisi en fonction de sa pertinence –
dans l’absolu – mais en fonction de son pouvoir de conviction auprès de la hiérarchie. Et ce
programmateur d’ironiser : « Le grand patron ? euh… à part Radio Classique et Bourse FM,
je ne crois pas qu’il écoute beaucoup la radio. En musique il a dû s’arrêter… aux Beatles. »
Les programmateurs sont ici guidés par la volonté des programmateurs de se prémunir des
conséquences négatives que pourrait avoir une remise en question de leur jugement personnel
par leur hiérarchie ou par leurs collègues. Cette raison renvoie clairement à une conception
instrumentale de la rationalité. Néanmoins, comme nous l’avons remarqué lorsque nous avons
analysé les pratiques assimilant l’imitation concurrentielle à une forme de parasitisme, nous
voyons que la rationalité instrumentale fait également intervenir des notions ancrées dans des
conceptions évaluatives de la rationalité. En effet, les programmateurs cherchent à utiliser des
modèles qui sont considérés comme légitimes dans leur entourage professionnel afin
d’apporter du crédit à leurs propres décisions. Si cette pratique de l’imitation traduit une
capacité à évaluer les conséquences d’une décision et à en tenir compte, elle n’est rendue
possible que par l’exercice d’une rationalité évaluative par autrui.
129 Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
296
Synthèse 23
L’imitation comme argument d’autorité
� S’ils décident le plus souvent seul des entrées en programmation musicale, les programmateurs peuvent être placés sous l’autorité d’un directeur des programmes ou d’un directeur général.
� Lorsqu’ils décrivent ce contrôle comme imprévisibles ou fondé sur des critères discutables, les programmateurs peuvent avoir tendance à imiter des modèles perçus comme légitimes dans leur entourage personnel afin de se prémunir des conséquences d’une décision malencontreuse.
� Le plus souvent, le modèle imité est le leader du secteur.
Le tableau 17 présente une vision d’ensemble des pratiques instrumentales d’imitation
concurrentielle qui viennent d’être présentées. Il met en évidence les propriétés et les
dimensions qui permettent de différencier chaque idéal-type. Les chiffres entre crochets
correspondent au nombre de décisions de programmation concernées.
Ta
ble
au
17
Ty
po
log
ie d
es
pra
tiq
ue
s in
stru
me
nta
les
de
l’i
mit
ati
on
co
ncu
rre
nti
ell
e
L’i
mit
atio
n co
mm
e so
urce
d’i
nfor
mat
ion
[5]
L’i
mit
atio
n co
mm
e
form
e de
par
asit
ism
e [2
6]
L’i
mit
atio
n co
mm
e m
oyen
de
mai
nten
ir
la p
arit
é co
ncur
rent
iell
e [2
] L
’im
itat
ion
co
mm
e ar
gum
ent d
’aut
orit
é [2
]
Pro
pri
étés
cog
nit
ives
Rai
son(
s)
L’i
mit
atio
n pe
rmet
au
prog
ram
mat
eur
d’ac
céde
r au
x ré
sulta
ts d
es te
sts
ou
aux
info
rmat
ions
rel
ativ
es a
u ch
oix
des
sing
les
et à
l’ag
enda
pro
mot
ionn
el
des
labe
ls q
ue d
étie
nnen
t cer
tain
s co
ncur
rent
s.
Par
une
ent
rée
tard
ive
en
play
list
, le
prog
ram
mat
eur
espè
re b
énéf
icie
r de
ret
ombé
es
posi
tive
s li
ées
à la
dif
fusi
on d
’un
titr
e pa
r un
con
curr
ent (
lava
ge
de c
erve
au, e
xter
nali
sati
on d
e la
pr
ise
de r
isqu
e).
L’i
mit
atio
n pe
rmet
de
neut
rali
ser
un
conc
urre
nt lo
rsqu
e ce
der
nier
a p
ris
une
avan
ce
sur
la d
iffu
sion
d’u
n ti
tre
ou d
e ne
pas
sub
ir d
e dé
sava
ntag
e co
ncur
rent
iel s
ur u
n ti
tre
perç
u co
mm
e ri
squé
. Il s
’agi
t de
défe
ndre
une
po
siti
on c
oncu
rren
tiel
le e
n ré
tabl
issa
nt o
u en
m
aint
enan
t une
for
me
d’éq
uilib
re.
L’a
dopt
ion
préa
labl
e pa
r un
e au
tre
radi
o pe
rmet
aux
pro
gram
mat
eurs
de
se ju
stif
ier
aupr
ès d
e le
ur h
iéra
rchi
e en
cas
de
rem
ise
en q
uest
ion
de le
ur d
écis
ion
ou d
e m
auva
is te
sts.
Typ
e de
rat
iona
lité
In
stru
men
tale
In
stru
men
tale
In
stru
men
tale
In
stru
men
tale
Dém
arch
e D
élib
érée
ou
émer
gent
e D
élib
érée
D
élib
érée
D
élib
érée
ou
émer
gent
Nat
ure
des
dout
es
et d
es in
cert
itud
es
Sen
tim
ent d
e ne
pas
avo
ir a
ccès
aux
in
form
atio
ns p
erti
nent
es p
our
pren
dre
une
bonn
e dé
cisi
on.
Div
ers.
Man
que
de m
oyen
s fi
nanc
ier,
élo
igne
men
t du
titr
e pa
r ra
ppor
t au
form
at, e
tc.
Reg
ard
parf
ois
désa
busé
sur
la
prog
ram
mat
ion
mus
ical
e et
la
qual
ité
arti
stiq
ue d
es p
rodu
ctio
ns
pléb
isci
tées
par
les
audi
teur
s.
Dif
ficu
ltés
à c
ompr
endr
e le
s go
ûts
du p
ubli
c (o
u d’
une
cert
aine
tran
che
d’âg
e).
Les
pro
gram
mat
eurs
ont
le s
enti
men
t que
l’
audi
ence
de
leur
sta
tion
est
men
acée
et q
ue
leur
s co
ncur
rent
s po
urra
ient
en
tire
r pr
ofit
.
Le
cont
rôle
eff
ectu
é pa
r la
hié
rarc
hie
est
perç
u co
mm
e im
prév
isib
le. L
es
resp
onsa
bles
hié
rarc
hiqu
es s
ont d
écri
ts
com
me
foca
lisé
s su
r le
urs
test
s ou
él
oign
és d
es a
tten
tes
des
audi
teur
s. L
es
cons
éque
nces
d’u
ne d
écis
ion
mal
enco
ntre
use
sont
elle
s au
ssi
ince
rtai
nes.
Pro
pri
étés
rel
ati
ves
au
x a
cteu
rs
et a
u c
on
tex
te
Act
eurs
con
cern
és
Rad
ios
indé
pend
ante
s L
e pl
us s
ouve
nt d
es r
adio
s in
dépe
ndan
tes
Rés
eaux
et r
adio
s in
dépe
ndan
tes
Rés
eaux
et r
adio
s in
dépe
ndan
tes
Fac
teur
s de
co
ntex
te
Dis
pari
tés
dans
les
ress
ourc
es
info
rmat
ionn
elle
s de
s ra
dios
m
usic
ales
. For
te a
dhés
ion
à «
l’or
thod
oxie
Top
40
». V
olon
té d
e fa
ire
le «
sw
itch
»13
0 .
Dis
pari
tés
dans
la p
uiss
ance
de
cert
aine
s ra
dios
(co
uver
ture
, ta
ille
, aud
ienc
e).
L’i
mit
ateu
r es
t sou
vent
un
lead
er s
ur s
on
form
at m
usic
al o
u su
r sa
zon
e gé
ogra
phiq
ue.
Le
trav
ail d
es p
rogr
amm
ateu
rs e
st
supe
rvis
é pa
r un
dir
ecte
ur d
es
prog
ram
mes
ou
par
le d
irec
teur
gén
éral
.
Pro
pri
étés
rela
tiv
es a
u(x
)
mo
dèl
e(s)
Mod
èles
R
ésea
ux n
atio
naux
ou
gro
sses
rad
ios
indé
pend
ante
s U
ne te
ndan
ce g
énér
ale
ou
cert
ains
rés
eaux
nat
iona
ux
Un
conc
urre
nt id
enti
fié,
un
grou
pe d
e co
ncur
rent
s ou
une
tend
ance
gén
éral
e U
n co
ncur
rent
iden
tifi
é (l
e pl
us s
ouve
nt
NR
J).
Cri
tère
s de
dé
sign
atio
n A
ccès
pré
sum
é au
x la
bels
(ré
seau
x pa
rten
aire
s) o
u ut
ilis
atio
n pr
ésum
ée
des
test
s («
les
radi
os q
ui te
sten
t »).
Fréq
uenc
e d’
adop
tion
dan
s le
ca
s d’
une
tend
ance
gén
éral
e.
Pui
ssan
ce d
u m
odèl
e su
r un
fo
rmat
ou
une
cibl
e pa
rtic
uliè
re.
Les
mod
èles
son
t le
plus
sou
vent
les
conc
urre
nts
les
plus
dir
ects
de
la s
tatio
n (p
roxi
mit
é gé
ogra
phiq
ue o
u pr
oxim
ité
du
posi
tion
nem
ent)
.
Lég
itim
ité
attr
ibué
e au
x m
odèl
es p
ar le
s su
péri
eurs
hié
rarc
hiqu
es d
es
prog
ram
mat
eurs
.
Fon
ctio
n du
(d
es)
mod
èle(
s)
Rév
élat
eur
d’in
form
atio
ns
Dév
elop
peur
de
proj
ets
risq
ués
Men
ace
pote
ntie
lle p
our
la s
tati
on
Aut
orit
é lé
giti
me
13
0 Ent
amer
la d
iffu
sion
du
proc
hain
sin
gle
d’un
art
iste
.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
298
2. LES PRATIQUES EVALUATIVES DE L’IMITATION
A l’opposé des pratiques instrumentales de l’imitation concurrentielle qui viennent d’être
présentées, on trouve chez les programmateurs un certain nombre de pratiques qui sont la
traduction d’une forme de rationalité évaluative. Les décisions des répondants ne sont alors
pas guidées par les conséquences attendues ou redoutées de leurs décisions de programmation
mais découlent de règles, de normes, de considérations identitaires ou liées à la notion de
légitimité. On remarquera que ces pratiques s’inscrivent, de façon quasi-systématique, dans
des démarches émergentes. L’imitation n’est pas préméditée : les programmateurs n’ont pas
décidé délibérément de mettre de côté un disque afin d’attendre les réactions des concurrents
et de bénéficier de retombées positives. Cinq pratiques évaluatives de l’imitation
concurrentielle ont été identifiées au cours de l’analyse.
Sur 68 décisions de programmation faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle, 33
ont été l’occasion d’identifier des pratiques évaluatives. Cinq idéaux-types ont été construits :
(1) imitation comme révélateur de tendance, (2) imitation comme moyen d’entrer dans la
norme, (3) imitation comme session de rattrapage, (4) imitation comme moyen de se rassurer
et (5) imitation comme révélateur de désir. Dans la même logique que le schéma 19 (qui était
consacré aux pratiques instrumentales), le schéma 20 est une représentation graphique d’une
matrice présentant la répartition des pratiques évaluatives par type de radios. Les chiffres
indiqués correspondent au nombre de décisions concernées.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
299
Schéma 20
Répartition des pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle (33 décisions)
Nombre de décisions codées (cases)
Réseaux nationaux Radios indépendantes
Les sections 2.1 à 2.5 permettent d’analyser chaque idéal-type à l’aide de verbatims tirés des
entretiens réalisés auprès des programmateurs. Chaque pratique d’imitation concurrentielle
fait l’objet d’un encadré de synthèse. En conclusion de la section 2, un tableau récapitulatif
(tableau 18) offre un aperçu des cinq pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle et met
en évidence les propriétés qui permettent de les différencier.
2.1. L’IMITATION COMME REVELATEUR DE TENDANCE
Les entretiens réalisés avec certains programmateurs dans des radios indépendantes font
apparaître des processus cognitifs proches des conventions de qualification définies par
Gomez (1994, 1996). Pour de nombreux répondants, l’utilisation de Yacast est quasi-
quotidienne. « On a vraiment nous… je… on utilise les Yacast “Pop-Rock”. Donc Top Music,
Europe 2, Ouï FM, Le Mouv’, RTL 2, etc. » précise ainsi le programmateur de cette station
indépendante thématique. La diffusion par autrui est alors interprétée comme un indicateur
permettant de déceler les tendances : « ça me permet de voir ce qui marche en ce moment…
plus ou moins ce que les gens veulent entendre. »
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
300
Le raisonnement des programmateurs déborde largement du titre observé. La diffusion par
autrui qualifie la mode. Au-delà de la chanson diffusée par les concurrents – sur laquelle se
focalise l’attention du programmateur – c’est une tendance plus générale qui est révélée.
Comme dans la logique conventionnelle, le nombre d’adopteurs vient appuyer l’effort
individuel de rationalisation. Plus un titre sera adopté par un grand nombre de radios, plus sa
position dans le classement Yacast sera élevée, et plus il sera considéré comme représentatif
d’une mode par le décideur.
« J’ai vu Green Day sur Yacast et je l’ai rentré. […] Donc c’est la mode du moment, il y a eu la mode “House”, il y a eu la mode “R’n’B”, là c’est la mode “Pop-Rock”… voilà. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante du Sud de la France
La diffusion par les autres radios permet au décideur d’interpréter son environnement. Cette
grille d’interprétation a également une fonction prospective : les diffusions par les radios
permettant au programmateur d’anticiper sur les modes à venir et donc, de réduire
l’incertitude perçue sur les évolutions des goûts du public.
« Je me suis dit : Voilà, ça commence à être programmé sur pas mal de radios. Là pour le coup, nous on est partis assez vite dessus aussi. Parce qu’on trouvait que c’était assez sympa, et puis le rythme… C’est aussi ça, c’est que, d’un été sur l’autre, il y a des vagues qui s’installent. Et ça ne trompe pas. Quand des radios commencent à vous envoyer des choses qui sont très “R’n’B”, ça ne trompe pas, on va avoir un été très “R’n’B”. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante de l’Ouest de la France
L’imitation s’inscrit ici dans un processus cognitif de rationalisation des répondants servant
de base à leurs décisions de programmation. La question de savoir si les consommateurs
adhéreront effectivement aux modes qui sont supposées s’installer demeure, quant à elle,
ouverte.
Synthèse 24
L’imitation comme révélateur de tendance
� Les programmateurs interprètent le fait que leurs concurrents diffusent un titre comme le révélateur d’une tendance plus générale.
� L’imitation permet de faire en sorte que la programmation musicale corresponde à « ce que les gens veulent entendre ».
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
301
2.2. L’IMITATION COMME UN MOYEN D’ENTRER DANS LA NORME
La diffusion massive par des concurrents peut également s’interpréter comme une forme
d’obligation par les programmateurs. Relevés Yacast à l’appui, ce directeur des programmes
dans une radio indépendante de l’Ouest de la France nous précise ainsi qu’« il est hors de
question de ne pas jouer Akon, de ne pas jouer Emmanuel Moire, de ne pas jouer Daniel
Powter, de ne pas jouer Paul Cless, de ne pas jouer Amel Bent. Par exemple ! Parce que c’est
le haut du top, parce que ce sont eux qui sont les plus programmés sur toutes les radios “Top
40”. Hors de question, je ne peux pas passer à côté ! » Si la référence à une tendance
générale (« le haut des classements » dans les propos des répondants) plutôt qu’à des
comportements individuels observés chez un concurrent particulier constitue un point
commun avec la pratique évaluative d’imitation concurrentielle que nous venons d’analyser
précédemment, nous pouvons constater que les diffusions réalisées par les concurrents ne
permettent pas au décideur d’interpréter l’évolution des modes et des tendances musicales.
Elles se cristallisent pour constituer une norme susceptible de conditionner ses décisions
d’entrée en programmation.
a) Une forte adhésion à « l’orthodoxie du Top 40 »
Comme nous le voyons dans l’extrait qui précède, ce sentiment d’obligation s’accompagne
souvent d’une forte adhésion à « l’orthodoxie professionnelle du Top 40 » qui amène les
programmateurs à diffuser un titre dès lors qu’il respecte les critères de sélection constituant
les « ingrédients » et à définir le « tube » de façon tautologique131.
« Le but du jeu et l’essence même d’un tube, c’est qu’on l’entende partout. Si vous commencez un titre en disant : “Ouais j’y crois moyen mais pour marquer ma différence en jouant ce titre là”. S’il n’est joué nulle part ça vous avance à quoi ? A un moment donné un tube c’est ça ! Vous l’entendez partout, bah oui c’est un tube ! C’est énorme, c’est un tube ! »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste
Même lorsqu’ils ont exprimé un fort sentiment d’obligation, les répondants interrogés n’ont
pas été capables de décrire les conséquences que pourraient avoir un non respect de cette
obligation. Les sanctions potentielles demeurent d’autant plus floues que l’audience d’une
radio est un indicateur global qui est difficilement imputable à une décision de
programmation donnée.
131 C’est un tube donc tout le monde le joue, tout le monde le joue donc c’est un tube.
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
302
« Tu es obligé de t’y intéresser ! O-bli-gé ! - PM : Sinon quoi ? - Comment ça sinon quoi ? - PM : Tu m’as dit que tu étais obligé de t’y intéresser, qu’est-ce qui se passerait sinon ? - Euh, sinon rien, j’en sais rien…c’est obligé c’est tout. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une station indépendante francilienne
b) Une norme respectée… malgré tout
Ce sentiment d’obligation est parfois mal vécu par les programmateurs, en particulier
lorsqu’il s’accompagne de fortes réserves artistiques à l’égard d’un titre. Dans l’extrait qui va
suivre, il est question du premier single de M Pokora, un artiste français révélé au public en
2004. Malgré une production de bonne facture, le jugement d’ensemble porté par ce directeur
de la programmation est sévère. Le jeune artiste sera donc lancé par une radio concurrente, le
réseau « Rap » et « R’n’B » Skyrock. Pour autant, plusieurs éléments viennent nuancer le rejet
initial. Si le jugement artistique demeure inchangé, la diffusion sur d’autres radios (« ça
tourne pas mal en radio »), la qualité du clip et les ventes de disques justifient chez ce
programmateur une diffusion a minima (« je le joue mais sans plus »). L’adoption par
d’autres stations devient ainsi un élément permettant de nuancer sa décision.
« Pffff… sans te mentir, j’y crois pas ! Voilà, je le joue parce que je sais que ça fait plaisir aux gamines. Mais […] le mec n’est pas à la hauteur pour chanter, le texte est bidon, l’écriture musicale n’est pas terrible. Je trouve ça pas fini pratiquement. […] C’est Skyrock qui a démarré. Ils trouvent ça fabuleux, génial, ils le tournent à 60 fois/semaine. Gardez-le, moi je ne vais pas me ruer dessus. Je le joue mais sans plus. 20 passages/semaine. […] C’est quand même 11ème du top 50, je peux difficilement faire l’impasse. »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national destiné aux jeunes
S’il est difficile d’établir – au vu des données collectées – un parallèle total entre cette
pratique et les conventions d’effort telles que définies par Gomez (1996), nous pouvons
néanmoins remarquer que le pouvoir de la norme se renforce à mesure que l’adoption par
autrui se généralise. Cette idée est également présente dans de nombreux travaux néo-
institutionnalistes tendant à considérer que lorsqu’une innovation se généralise, son adoption
devient quasi-obligatoire (Burt, 1987 ; Tolbert et Zucker, 1983). Elle apparait également sous
l’appellation « imitation fondée sur la fréquence » dans de nombreux travaux consacrés aux
formes d’imitation (Haunschild et Miner, 1997).
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
303
Conformément à une tradition conventionnaliste, les individus ne sont pourtant jamais
totalement contraints par la norme : il existe une variation permettant aux « adopteurs » de se
distinguer les uns par rapport aux autres. Ce « pouvoir de négociation » se traduit ici par la
possibilité laissée aux programmateurs de définir un taux de rotation plus ou moins élevé.
Pour se singulariser, certains programmateurs auront alors tendance à marquer leur
désapprobation en appliquant une politique de « service minimum » : « Moi je fais du 3
passages jour. Le service minimum en fait. Enfin, je suis vigilant parce que sur les Yacast…
Donc je me suis dit : Quand même, je vais faire de la place chez moi. Mais je ne vais pas en
faire des tonnes. »
Synthèse 25
L’imitation comme moyen d’entrer dans la norme
� La diffusion massive par les concurrents est à l’origine d’un sentiment d’obligation chez le programmateur.
� L’imitation devient alors un moyen d’entrer dans la norme. Certains répondants expliquent « ne pas pouvoir faire autrement ».
� Lorsque l’imitation s’accompagne de vives réserves artistiques, les programmateurs peuvent appliquer une politique du « service minimum » (code in vivo) en pratiquant des taux de rotation plus faibles que ceux appliqués par les concurrents.
2.3. L’IMITATION COMME SESSION DE RATTRAPAGE
Les programmateurs peuvent parfois s’enthousiasmer pour un morceau. C’est ce type de
réaction qu’illustre le verbatim suivant tiré d’un entretien réalisé avec le programmateur d’une
station du GIE « Les Indépendants » au format généraliste. Amené à évoquer le premier
single de la chanteuse Najoua Belyzel sorti en 2005 sous le label Scorpio Music, ce répondant
parle d’un « coup de cœur ».
« C’est mon coup de cœur ! Bon on l’a joué dès le départ, pratiquement. Il y a Gil de Scorpio qui m’appelle et qui me dit : « J’ai un truc pour toi ! Pour toi ! Pour ta radio ! » Il me dit ça comme ça. Alors j’écoute le titre, et déjà, je craque tout de suite dessus. Je me dis qu’il y a tous les ingrédients d’un tube. »
Entretien réalisé auprès du programmateur d’une radio indépendante du Ford de la France
La chanson « Gabriel » dont il est ici question sera massivement soutenue par cette radio
locale qui figurera parmi les premières stations à la diffuser. A l’inverse, lorsque les
répondants ont un jugement artistique très négatif sur une chanson, ils sont souvent moins
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
304
enclins à démarrer sa diffusion. La mise en diffusion d’un disque par une radio concurrente
peut alors faire office de « session de rattrapage » (l’expression, utilisée par un des
répondants, a donné lieu à la création d’un code in vivo). A la différence des deux pratiques
évaluatives évoquées précédemment (imitation comme révélateur de tendance et imitation
comme moyen d’entrer dans la norme), les décisions de programmation des concurrents ne
viennent pas mettre fin aux hésitations du programmateur en le renseignant sur les tendances
musicales à venir ou en lui prescrivant un comportement à reproduire. L’entrée en playlist par
les autres stations vient introduire un doute en remettant à l’ordre du jour une question qui
avait préalablement été tranchée par le répondant. Ce cas de figure apparaît de façon
récurrente dans les entretiens (il concerne 13 décisions de programmation), aussi bien chez les
programmateurs des réseaux nationaux (8 décisions) que les programmateurs des radios
indépendantes (5 décisions).
a) Une seconde chance
Si les décisions d’autrui sont souvent utilisées à un instant t pour rationaliser les décisions
individuelles (Gomez, 1996), elles peuvent également permettre de revisiter des choix déjà
effectués. En donnant une seconde chance à un titre qu’il avait préalablement écarté, le
programmateur intègre une variable issue de l’expérience dans sa décision initiale. Nous
retrouvons ici une définition proche de celle donnée par March (1991) pour définir le
processus de rationalisation a posteriori. Comme l’expliquent Romelaer et Lambert (2001),
les raisons des individus évoluent dans le temps et, en l’occurrence, grâce au concours
d’autrui. Le programmateur pourra alors réécouter un titre qu’il avait au préalable écarté au
motif d’une incompatibilité avec le format de sa station ou en raison de vives réserves
artistiques. Comme en témoignent les verbatims suivants, l’adoption par autrui amène le
programmateur à réexaminer son choix initial.
« Et bien on l’a reçu il y a un moment. Et là, je l’ai entendu sur une autre radio – puisqu’on écoute aussi beaucoup les autres radios, il faut écouter sa radio mais aussi les autres – et donc… Je me dis «p…, c’est pas mal”. Je réécouté après sur le Tite-live. Et là, je me dis que le refrain est tellement efficace que bon… »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante de l’Ouest de la France
C’est ici une deuxième écoute, plus attentive, qui est venue faire évoluer la position initiale du
programmateur. A l’instar du répondant cité dans l’extrait qui va suivre, directeur de la
programmation d’un réseau national thématique – certains programmateurs éprouvent le
besoin de faire intervenir de nouveaux éléments pour modifier leur choix initial.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
305
En l’occurrence, c’est l’utilisation d’un outil de recherche musicale qui permet de justifier une
entrée tardive en playlist.
« A la base, je croyais que ce n’était pas pour moi, pour moi. Par rapport à mon format qui était un peu plus “pop”. J’vais pas mentir, je crois que c’est Europe 2 qui l’a démarré donc moi, j’ai suivi. Mais sinon, moi je suis en démocratie, vraiment ! Soit je ne vois pas un titre arriver, soit je ne crois pas en un titre, et après je demande aux auditeurs. Quand ils veulent quelque chose, je leur donne ! »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musical d’un réseau national adulte
Ce sont souvent les attachés de presse qui vont valoriser auprès du programmateur les
arguments susceptibles de l’encourager à revenir sur un refus. « Je n’étais pas plus intéressé
que ça et puis le directeur promo m’a dit : C’est énorme, il faut y aller, il faut y aller »
raconte un programmateur qui est finalement revenu sur son choix de départ. « Quand j’ai vu
qu’en fait ça prenait – poursuit-il – je me suis dit : tu te ramasses. »
b) Un aveu d’échec qui s’accompagne de regrets
Pour décrire son rôle auprès des programmateurs, un attaché de presse utilise la métaphore de
la session de « repêchage » : « le travail de promo, ça peut aussi être de lancer la session de
repêchage quand les programmateurs ont refusé d’entrer nos titres. » Cette métaphore peut
s’interpréter de deux façons. (1) Dans l’esprit des développements qui précèdent, on peut
considérer qu’il s’agit d’une session de rattrapage permettant de donner une seconde chance à
des titres écartés par des programmateurs. (2) Une deuxième interprétation pourrait
néanmoins consister à décrire cette pratique d’imitation concurrentielle comme un moyen mis
à la disposition des programmateurs pour revenir sur leurs erreurs d’appréciation, de « se
repêcher » (et non pas de « repêcher un titre »). Les trois extraits qui suivent tendraient plutôt
à soutenir cette lecture.
« On a eu tort, on est c…, allez hop, on le joue ! »
Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte
« Mais on peut ne pas… enfin, tout le monde… (il hésite). L’erreur est humaine hein… ça arrive. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’un réseau national adulte
« Ma Philosophie, c’est pas __ qui l’a chargé. Ça je peux te le dire. Tu vois, j’veux dire Amel Bent, je n’aimais pas au départ… je m’y suis mis. C’est ça l’important ! »
Entretien réalisé avec le directeur général des programmes d’un réseau national jeune
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
306
Ce type d’aveu d’échec est parfois complété par des regrets, comme chez ce directeur des
programmes qui se souvient avoir écarté un morceau sur les conseils de son équipe : « C’est
c… parce que je me dis : Là pour le coup, je n’aurais pas dû céder, j’y croyais vraiment,
j’aurais dû y aller. »
c) La « voix de la raison »
Le sentiment d’échec sera d’autant plus prononcé que le décideur considérera, a posteriori,
que les raisons qui l’ont poussé à éliminer le titre en première instance étaient infondées.
L’imitation d’autrui s’apparente ici à une « voix de la raison » (la métaphore est filée par un
des répondants) permettant de rationaliser un changement d’avis. La raison sera alors d’autant
plus forte que le nombre de radios programmant le titre sera important.
« Franchement, moi ce titre là, je ne l’aime pas. Je ne l’aime pas, je le trouve mièvre, je trouve qu’il n’y a pas grand-chose dedans. Maintenant, c’est un des titres les plus diffusés en ce moment en radio. C’est la preuve qu’on ne fait pas la programmation avec la musique qu’on aime mais avec la musique qui est censée générer le plus d’audience possible. Euh… donc, j’ai écouté la voix de la raison et j’ai joué Amel Bent. Je ne l’aime pas trop, mais je le joue fort… »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une radio indépendante généraliste
Nous retrouvons ici un mécanisme clairement identifié par les conventionnalistes et déjà
largement évoqué tendant à souligner la fonction rationalisatrice des décisions et des
comportements d’autrui. Les individus étant placés en situation d’incertitude, ils ne peuvent
agir de façon autonome (et rationnelle au sens de la théorie du choix rationnel).
Synthèse 26
L’imitation comme session de rattrapage
� Lorsqu’ils ont préalablement écarté un titre et qu’ils constatent que celui-ci est diffusé par un par plusieurs concurrents, les programmateurs peuvent remettre en question leur décision initiale et imiter leurs concurrents.
� L’adoption par autrui permet une rationalisation a posteriori de la décision initiale par le programmateur. La décision initiale est fréquemment décrite comme une erreur. Les répondants expriment souvent des regrets.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
307
2.4. L’IMITATION COMME UN MOYEN DE SE RASSURER
Un coup de cœur du programmateur pour un disque n’est pas forcément générateur de
certitudes. Ce dernier peut, en effet, craindre que son engouement ne soit pas partagé par les
auditeurs de sa station et redouter les conséquences d’un échec pour la survie de
l’organisation. Cette pratique de l’imitation est revenue régulièrement au cours de l’analyse.
Elle apparaît dans 10 des 66 décisions faisant intervenir une part d’imitation concurrentielle.
a) Un accueil des auditeurs redouté
En 2003, un DJ italien inconnu du grand public, Benny Benassi, parvient à conquérir les
premières places des charts européens. Malgré une sonorité très dure, le titre Satisfaction est
un succès commercial qui déborde largement le public habituel de la « Dance Music » et
plonge les programmateurs dans des abîmes de perplexité. L’engouement populaire suscité
par Benny Benassi est d’autant plus étonnant que les classements sont, à l’époque, largement
dominés par le « Rock » et le « R’n’B ».
« Première réaction ? Très bon titre ! Maintenant vu la nature du son… c’est quand même pas très facile de prime abord quand on reçoit ça un beau matin. A dix heures du matin, quand on vient de se réveiller, écouter de la techno, ça fait tout drôle ! Et à la fois ça… ça réveille et ça évoque quelque chose. Ça évoque tout de suite quelque chose ! Maintenant on se dit « Oulala ! » On l’a repassé une deuxième fois, on a dit « Ouais les gens qui sont à deux heures du matin dans les clubs avec vingt kilos de son et trois gin-to dans la gueule… est-ce que ce sont les mêmes qui écoutent la radio le matin à sept heures et qui vont au boulot dans leur Twingo avec leur autoradio 2x5 watts ? »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national
Ce ne sont pas sur les qualités artistiques du titre que portent les hésitations du répondant mais
sur sa réception par l’auditoire de la station. Les programmateurs rencontrés lors de l’étude de
terrain ont, en effet, appris à se méfier de leur propre avis personnel qu’ils jugent parfois en
décalage avec les goûts du grand public : « J’ai écouté… parce que ça, c’est le genre de
morceau euh… efficace mais avec un petit côté branchouille tu vois ? Et quand c’est un petit
peu trop branchouille, des fois, ça ne prend pas. C’est compliqué hein mine de rien. Comme
je te disais tout à l’heure, des fois tu as un titre, tu te dis : Il est super ce titre mais… il est
trop classe, ça ne marchera pas ! »132
132 Entretien réalisé avec le directeur d’antenne d’une station francilienne
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
308
La programmation du titre par les concurrents sera alors vécue comme apaisante. « Ça
apporte une sécurité » rappelle ce programmateur du Sud de la France. L’imitation sera
d’autant plus rassurante qu’elle ciblera un modèle déjà connu du programmateur.
b) Un « cocon familial » apaisant
Le modèle imité est nommé, et même incarné par un programmateur auquel le répondant a
pris l’habitude de se fier. Cet univers connu confère au décideur l’impression d’évoluer dans
un « cocon familial » (cette expression a donné lieu à la création d’un code in vivo, elle
reprend les propos d’un des répondants). Les liens sociaux qui préexistent entre le décideur et
d’autres acteurs du secteur jouent ici un rôle clé. « En regardant sur Yacast, et en regardant
une radio comme Ado par exemple, je me suis aperçu que c’était à fond chez eux – nous
raconte le directeur des programmes d’une des principales stations régionales de France à
propos du premier single d’un jeune artiste américain – Et je me suis dit : Bruno Witek133, il
est à bloc là-dessus, et je pense qu’il a tout compris, donc c’est très bien. »
L’idée d’un « cocon familial apaisant » est particulièrement saillante chez les programmateurs
des radios indépendantes. L’utilisation du pronom personnel « nous » pour désigner
l’ensemble des radios indépendantes est révélateur de l’identité sociale peut peuvent partager
ces acteurs. Ce « nous » traduit également l’existence de liens sociaux entre les
programmateurs. Les liens sociaux ont pu être noués à l’occasion de collaborations passées (le
« turn-over » est très important dans le secteur), lors de rencontres organisées par le GIE
« Les Indépendants » pour les programmateurs des radios locales et régionales, au comité de
direction de Médiamétrie ou lors d’évènements organisés par les maisons de disques. Au-delà
de la légitimité que peuvent incarner certains professionnels aux yeux des répondants, il
ressort des entretiens qu’une identité sociale partagée a pu se créer, notamment au sein des
radios indépendantes les plus puissantes. Comme l’explique ce directeur des programmes
d’une radio indépendante largement leader sur sa zone d’émission, les décisions de
programmateurs connus et perçus comme semblables à soi-même viennent lever les doutes et
les hésitations : « Il y a la fibre artistique des autres programmateurs qu’on peut connaître.
Et des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. »
133 Bruno Witek a longtemps occupé la fonction de directeur des programmes des radios du groupe Start (Vibration, Forum, Voltage, Ado…). Malgré nos sollicitations répétées, nous ne sommes pas parvenus à le rencontrer pour mener un entretien.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
309
c) Une source de reconnaissance
De façon symétrique, les modèles pourront appréhender les pratiques d’imitation de leurs
alter ego comme une forme de reconnaissance et non comme une concurrence déloyale.
« Sur ce coup là, j’ai été le premier. Quand je vois que mes potes me suivent, bah j’suis content. C’est clair que ça flatte un petit peu l’ego. “Aaah, j’suis content.” Après tu oublies vite. Après tu passes à autre chose. Tu sais, moi avant quand j’étais gamin, j’étais passionné de musique. J’écoute plus la musique comme avant. Maintenant, la musique, pour moi c’est… un moyen de faire de l’audience point barre. C’est comme un magasin de chaussures qui se dit « en ce moment les Fike, ça cartonne, j’ai des Fike dans mon rayon donc je cartonne »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio francilienne
Synthèse 27
L’imitation comme moyen de se rassurer
� En proie au doute, lorsqu’ils craignent une réaction négative des auditeurs, les programmateurs voient dans l’imitation un moyen de se rassurer.
� L’imitation est d’autant plus rassurante qu’elle se porte sur des modèles connus du décideur (cette pratique est particulièrement fréquente entre les programmateurs des radios indépendantes).
2.5. L’IMITATION COMME REVELATEUR DE DESIR
Une dernière pratique évaluative a été identifiée au cours de l’analyse des données (4
occurrences). L’imitation est alors plus ciblée et porte davantage sur un modèle particulier
que sur un groupe de concurrents ou sur une tendance générale.
a) Des « oreilles baladeuses »
Passionnés par leur métier, les programmateurs écoutent en général beaucoup la radio. Des
détails qui pourraient sembler insignifiants pour n’importe quel auditeur (construction des
horloges, décrochages pour diffuser des écrans de publicité locale, opérations
promotionnelles, etc.) sont systématiquement repérés et analysés : « Moi aujourd’hui, je peux
vous dire comment bouge la prog’ de mes concurrents parce que j’ai l’oreille baladeuse…
exercée je veux dire… enfin oui j’ai les oreilles baladeuses… et aujourd’hui, dès qu’il y a un
truc nouveau, je le repère – affirme ainsi le directeur d’antenne de cette station indépendante.
Je me dis : “Tiens, Alouette a changé des trucs.” FRJ, c’est pareil ! Parce que notre oreille
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
310
est exercée, parce qu’on est dedans et qu’on sait exactement les petites retouches qu’ils font.
L’habillage antenne quand ils le changent »134.
L’écoute des concurrents peut parfois amener le programmateur à découvrir de nouveaux
titres ou de nouveaux talents. Cette situation est illustrée par les verbatims suivants :
« Pour la petite histoire, je n’avais pas le disque. Là, je l’ai entendu, pour le coup sur FRJ. J’ai entendu ça un samedi après-midi et je me suis dis : “M… c’est quoi ce truc de malade ?” Et là, je cherche, je regarde sur l’album, le single rien, je vais sur Tite-Live, rien. Je rappelle la maison de disques : “C’est quoi ce truc là ? je ne l’ai pas ?” Bon, ils mettent du temps à identifier. En fait, c’était la deuxième plage d’un single qu’ils ne m’avaient pas envoyé. Ils m’avaient juste envoyé le single sans la deuxième plage. »
Entretien réalisé avec le directeur des programmes d’une station indépendante
« J’ai écouté ça un jour sur une radio... locale… parisienne… J’ai entendu le premier single et je me suis dit : “Fiou, c’est une bombe atomique.” J’ai donc cherché à savoir qui l’avait en France parce que, là aussi, c’est une radio qui est assez “starter”… que j’écoute de temps à autres. Ils vont chercher des trucs dans le “billboard” aux Etats-Unis etc… ils téléchargent des trucs… »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau national
Ces extraits font ressortir que les programmateurs n’ont pas forcément accès à toutes les
nouvelles productions. Malgré l’existence du système Tite-Live « Music Center » et les
envois physiques des attachés de presse, ces derniers peuvent parfois ne pas avoir eu accès à
une version figurant sur une face B de single (premier des deux verbatims). Nous pouvons par
ailleurs remarquer que certaines radios diffusent, en « import »135, des disques qui ne sont pas
encore sortis en France et qui n’ont pas encore été mis à la disposition de l’ensemble de la
profession. Il est, en outre, assez fréquent – compte tenu du volume de la production musicale
– que les programmateurs passent à côté de titres pour les découvrir, par la suite, en écoutant
leurs concurrents.
b) Une envie incontrôlable
On remarquera que l’écoute de nouveautés chez les concurrents déclenche souvent un
engouement très fort chez les répondants. « C’est un coup de cœur personnel » avoue ce
directeur de la programmation musicale lorsqu’il évoque le premier titre d’un groupe de hip-
hop américain qu’il a découvert chez un concurrent. « La première fois que j’ai entendu ce
134 Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio indépendante. 135 Le terme « imports » désigne des disques sortis à l’étranger et diffusés par certaines stations thématiques alors qu’ils ne sont pas sortis en France.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
311
morceau – se remémore se programmateur en radio indépendante - je me suis dit : ça, ça va
être un carton ! » Sans préjuger des qualités artistiques des morceaux et des artistes dont il est
ici question, on pourra se demander – en s’inspirant du modèle obstacle de Girard (1972,
1982) – si l’adoption préalable par un modèle est totalement étrangère au désir exprimé par
les répondants. Cette intuition est corroborée par la volonté d’appropriation extrêmement forte
qui ressort des extraits qui vont suivre, tous deux tirés d’un entretien réalisé avec le
programmateur d’une station « Pop-Rock » indépendante.
« Alors ça, pour nous… La première fois que je l’ai entendu c’était sur Europe 2 en nouveauté. Et je me suis dit : “ça il me le faut absolument.” C’est le truc que j’ai téléchargé rapide, que j’ai mis en prog. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante thématique
L’utilisation des termes « je le veux » et « il me le faut direct » dans ces deux verbatims
suivants traduit l’immédiateté qui peut caractériser la réaction d’un programmateur lorsqu’il
écoute ses concurrents (dans les deux cas, le réseau national Europe 2). On remarquera, par
ailleurs, le caractère non délibéré de ce type de pratique qui est également très présent dans
l’analyse de l’imitation réalisée par Girard. Notons, enfin que la réappropriation du disque par
le programmateur passe souvent par une diffusion massive à laquelle sont associés des taux de
rotation supérieurs à ceux pratiqués par le modèle.
Synthèse 28
L’imitation comme révélateur de désir
� Les programmateurs découvrent parfois des disques en écoutant leurs concurrents. Certains répondants ont alors évoqué un engouement particulier : l’adoption par le modèle révèle un désir.
� Leur enthousiasme peut alors s’accompagner d’une volonté d’appropriation que vient prolonger l’imitation.
Nous avons identifié et analysé les cinq idéaux-types qui correspondent, dans notre typologie,
aux pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle. Le tableau 18 vient synthétiser ces
éléments et présente une vue d’ensemble. Il met en évidence les propriétés et les dimensions
qui permettent de différencier chaque idéal-type. Les chiffres entre crochets correspondent au
nombre de décisions de programmation concernées.
Ta
ble
au
18
Ty
po
log
ie d
es
pra
tiq
ue
s é
va
lua
tiv
es
de
l’i
mit
ati
on
co
ncu
rre
nti
ell
e
L’i
mit
atio
n co
mm
e
révé
late
ur d
e te
ndan
ce [
4]
L’i
mit
atio
n co
mm
e un
moy
en
d’en
trer
dan
s la
nor
me
[4]
L’i
mit
atio
n co
mm
e se
ssio
n de
rat
trap
age
[13]
L
’im
itat
ion
com
me
moy
en d
e se
ras
sure
r [1
0]
L’i
mit
atio
n co
mm
e ré
véla
teur
de
dési
r [4
]
Pro
pri
étés
cog
nit
ives
Rai
son(
s)
La
diff
usio
n d’
un ti
tre
par
les
conc
urre
nts
est u
n in
dica
teur
de
« c
e qu
e le
s ge
ns v
eule
nt
ente
ndre
. » L
es
prog
ram
mat
eurs
peu
vent
pa
rfoi
s gé
néra
lise
r en
co
nsid
éran
t qu’
elle
per
met
de
révé
ler
une
tend
ance
mus
ical
e pl
us g
énér
ale.
La
diff
usio
n m
assi
ve p
ar le
s co
ncur
rent
s gé
nère
un
sent
imen
t d’
obli
gati
on c
hez
le p
rogr
amm
ateu
r au
quel
l’im
itat
ion
perm
et d
e ré
pond
re.
Cer
tain
s ré
pond
ants
che
rche
nt
néan
moi
ns à
se
dist
ingu
er –
en
part
icul
ier
lors
qu’i
ls é
met
tent
de
vive
s ré
serv
es a
rtis
tiqu
es à
l’ég
ard
d’un
titr
e –
en p
rati
quan
t des
taux
de
rota
tion
pl
us f
aibl
es q
ue le
urs
conc
urre
nts.
Les
rés
erve
s ar
tist
ique
s de
s pr
ogra
mm
ateu
rs p
euve
nt le
s po
usse
r à
écar
ter
cert
ains
titr
es
aprè
s un
e pr
emiè
re é
cout
e.
Lor
squ’
ils
cons
tate
nt q
ue la
ch
anso
n es
t dif
fusé
e pa
r u
ne a
utre
ra
dio
(et a
fort
iori
, par
plu
sieu
rs
autr
es r
adio
s), l
es d
écid
eurs
pe
uven
t pro
céde
r à
une
nouv
elle
éc
oute
, fai
re in
terv
enir
des
él
émen
ts n
ouve
aux
et r
évis
er le
ur
juge
men
t ini
tial
.
En
proi
e au
dou
te, l
es
prog
ram
mat
eurs
s’a
lign
eron
t sur
un
e te
ndan
ce o
u su
r de
s m
odèl
es
qu’i
ls c
onna
isse
nt a
fin
de s
e ra
ssur
er.
Les
pro
gram
mat
eurs
peu
vent
pa
rfoi
s dé
couv
rir
de n
ouve
aux
titr
es e
n éc
outa
nt la
con
curr
ence
. C
es d
erni
ers
susc
iten
t un
dési
r d’
appr
opri
atio
n do
nt l’
imit
atio
n es
t la
trad
ucti
on. L
es
prog
ram
mat
eurs
aur
ont p
arfo
is
tend
ance
à d
iffu
ser
plus
fr
éque
mm
ent l
e ti
tre
imit
é qu
e ne
le f
aisa
it le
ur m
odèl
e.
Typ
e de
ra
tion
alit
é E
valu
ativ
e.
Eva
luat
ive.
E
valu
ativ
e.
Eva
luat
ive.
E
valu
ativ
e.
Dém
arch
e E
mer
gent
e E
mer
gent
e E
mer
gent
e E
mer
gent
e E
mer
gent
e
Nat
ure
des
dout
es e
t des
in
cert
itud
es
- R
éser
ves
arti
stiq
ues
sur
un ti
tre.
S
enti
men
t de
ne p
as «
pou
voir
» f
aire
au
trem
ent.
Le
disq
ue a
pré
alab
lem
ent é
té
reje
té e
n ra
ison
de
rése
rves
ar
tist
ique
s.
Cra
inte
s su
r le
s ré
acti
ons
des
audi
teur
s et
/ou
les
cons
éque
nces
d’
une
déci
sion
mal
enco
ntre
use.
Les
pro
gram
mat
eurs
n’o
nt p
as
eu a
ccès
au
titr
e in
itia
lem
ent o
u n’
ont p
as e
u le
tem
ps d
e l’
écou
ter.
Pro
pri
étés
rel
ati
ves
au
x a
cteu
rs
et a
u
con
tex
te
Act
eurs
co
ncer
nés
Rad
ios
indé
pend
ante
s gé
néra
list
es.
Rés
eaux
et r
adio
s in
dépe
ndan
tes.
R
ésea
ux e
t rad
ios
indé
pend
ante
s.
Rés
eaux
et r
adio
s in
dépe
ndan
tes.
R
ésea
ux e
t rad
ios
indé
pend
ante
s.
Fac
teur
s de
co
ntex
te
- A
dhés
ion
à l’
orth
odox
ie
prof
essi
onne
lle «
Top
40
».
Mis
e de
côt
é pr
éala
ble
du ti
tre.
D
ans
cert
ains
cas
, exi
sten
ce d
e li
ens
soci
aux
entr
e le
s pr
ogra
mm
ateu
rs.
Eng
ouem
ent d
u dé
cide
ur à
la
prem
ière
éco
ute.
Pro
pri
étés
rela
tiv
es
au
(x)
mo
dèl
e(s)
Mod
èles
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale.
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale.
U
n co
ncur
rent
iden
tifi
é ou
une
te
ndan
ce g
énér
ale.
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale
ou d
es
mod
èles
con
nus.
R
ésea
ux n
atio
naux
ou
radi
os
indé
pend
ante
s th
émat
ique
s
Cri
tère
s de
dé
sign
atio
n
Fréq
uenc
e de
dif
fusi
on p
ar le
s co
ncur
rent
s. C
lass
emen
ts
Yac
ast.
Fréq
uenc
e de
dif
fusi
on p
ar le
s co
ncur
rent
s. C
lass
emen
ts Y
acas
t. A
ucun
cri
tère
par
ticu
lier
. L
iens
soc
iaux
et/
ou c
lass
emen
t Y
acas
t. H
abitu
des
d’éc
oute
du
prog
ram
mat
eur.
Fon
ctio
n du
(d
es)
mod
èle(
s)
Rév
élat
eur
de te
ndan
ce.
Inca
rnat
ion
de la
nor
me.
Fa
cteu
r de
rem
ise
en c
ause
du
juge
men
t ini
tial
. E
lém
ent p
erm
etta
nt d
e ra
ssur
er
le d
écid
eur.
R
évél
ateu
r de
dés
ir.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
313
3. PRATIQUES D’IMITATION : UNE CONCLUSION PROVISOIRE
La typologie des pratiques d’imitation concurrentielle qui vient d’être présentée s’articule
autour de neuf pratiques types. Les quatre premières pratiques sont ancrées dans une
conception instrumentale de la rationalité qui insiste sur les conséquences attendues par les
individus et sur leur sens du calcul. Les cinq autres pratiques en appellent davantage à des
conceptions évaluatives de la rationalité fondées sur la rationalisation, l’identité, les normes
de comportement et de décisions et le désir triangulaire.
Ces conceptions sont néanmoins poreuses. Certaines pratiques semblent en effet situées à la
croisée des deux modèles. En outre, les pratiques que nous avons identifiées renvoient à des
explications s’excluant mutuellement dans la littérature. Elles sont en réalité concomitantes.
Chaque programmateur est ainsi capable de mobiliser plusieurs pratiques d’imitation
concurrentielle, renvoyant à des raisons individuelles qui peuvent être assez éloignées les
unes des autres, afin de surmonter ses doutes et ses hésitations. Ces éléments feront l’objet
d’une discussion approfondie dans la prochaine section.
RESUME DU CHAPITRE 6
Le chapitre 6 s’intéresse aux variations qui peuvent exister entre les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales. Il a pour objectif d’identifier plusieurs pratiques type et de proposer une typologie. En cohérence avec la présentation de la littérature qui a été réalisée dans le cadre du chapitre 2, notre typologie s’articule autour de la dichotomie « pratiques instrumentales versus pratiques évaluatives ».
Les pratiques instrumentales de l’imitation sont guidées par la volonté des programmateurs de bénéficier des retombées positives qu’ils associent à l’imitation ou d’éliminer certains risques qui peuvent, soit concerner la radio dans laquelle ils officient, soit venir menacer leur propre situation professionnelle. Ces pratiques supposent que les décideurs soient en mesure d’anticiper les conséquences de leurs pratiques d’imitation concurrentielle. Elles procèdent souvent d’une volonté délibérée du programmateur de mettre de côté un titre pour attendre que celui-ci entre en programmation chez un ou plusieurs de ses concurrents.
Les pratiques évaluatives procèdent, quant à elles, d’une démarche plus émergente. En imitant ses concurrents, le programmateur pourra, par exemple, entrer dans une norme, se rassurer ou encore remettre en question des choix initiaux.
Neuf idéaux-types ont été identifiés et illustrés à l’aide de verbatims tirés des entretiens réalisés avec les programmateurs. Ces pratiques sont, dans la réalité, concomitantes. Elles sont l’expression de raisons individuelles diverses qui renvoient à des explications théoriques présentées, dans la littérature, comme mutuellement exclusives.
Les programmateurs peuvent ainsi appréhender l’imitation (1) comme un moyen de s’approprier des informations détenues par leurs concurrents, (2) comme un moyen de profiter du travail de développement réalisé par les concurrents, (3) comme un moyen de maintenir sa position concurrentielle ou (4) comme un moyen de se prémunir d’une remise en cause de leur jugement par leur entourage professionnel.
L’imitation concurrentielle peut en outre (5) jouer la fonction de révélateur de tendances musicales et acquérir une dimension prospective, (6) s’inscrire dans une volonté des programmateurs d’entrer dans la norme, (7) venir remettre en cause des décisions prises préalablement, (8) donner le sentiment au programmateur qu’il évolue dans un univers protégé ou (9) révéler un engouement particulier pour des disques programmés par une autre station.
Le caractère concomitant de ces pratiques d’imitation concurrentielle s’explique, à notre sens, par la variété des doutes et des hésitations que l’environnement incertain dans lequel évoluent les décideurs est susceptible de générer. Plus qu’une donnée externe liée à une variabilité particulière du contexte ou à un manque d’expérience de l’organisation, l’incertitude est ici une expérience ressentie à laquelle les pratiques d’imitation concurrentielle sont susceptibles de répondre.
316
Discussion
De l’imitation à la différenciation
« Quand je m’examine, je me fais peur.
Quand je me compare, je me rassure. »
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
es deux chapitres de présentation des résultats qui précèdent ont permis de répondre aux
deux questions de recherche de notre travail.
Traitant de la relation entre le contexte dans lequel évoluent les programmateurs et leurs
pratiques d’imitation concurrentielle, le chapitre 5 s’est construit autour de la notion
d’incertitude. En nous éloignant de la conception décrivant l’incertitude comme un état
objectif de la nature, nous nous sommes focalisés sur les doutes et les hésitations des
individus. Parce que les goûts du public sont changeants, parce que les conséquences d’une
décision de programmation sur l’audience sont difficilement évaluables, l’incertitude se pose
comme une expérience quotidienne pour les programmateurs. Pour décider malgré tout, les
programmateurs pourront mobiliser une orthodoxie professionnelle (« l’orthodoxie du Top
40 ») qui leur permet de définir « les ingrédients d’un hit » mais ils devront alors choisir entre
des alternatives perçues comme équivalentes : devant l’abondance de la production musicale,
les normes véhiculées par l’orthodoxie professionnelle demeurent incomplètes. La situation
est particulièrement complexe lorsque les programmateurs doivent s’éloigner de leur
positionnement musical de prédilection afin de respecter leurs obligations en matière de
diffusions d’œuvres d’expression française. L’imitation devient alors une solution d’autant
plus fréquemment adoptée qu’elle est vivement encouragée par les attachés de presse
mandatés par les labels et facilitée par l’existence de Yacast, un service de veille des
diffusions musicales réalisées par les principales radios françaises.
Au-delà du contexte, nous avons cherché à explorer la diversité des pratiques d’imitation
concurrentielle. Une typologie a donc été proposée dans le chapitre 6. Aux pratiques guidées
L
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
317
par des raisons « instrumentales », nous avons opposé les pratiques « évaluatives ». Comme
nous l’avons vu, cette dichotomie dissimule cependant un ensemble de pratiques situées à la
croisée de ces deux modèles de rationalité.
A l’issue des deux chapitres de présentation des résultats, des pistes de discussion et de
comparaison par rapport à la littérature existante ont été annoncées. Nous allons maintenant
les développer (sections I et II). Nous nous intéresserons ensuite à la façon dont les pratiques
d’imitation concurrentielle contribuent à la fabrication de la stratégie des radios musicales. Ce
chapitre fera ainsi écho à la problématique générale de la thèse qui avait été formulée de la
façon suivante :
En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios musicales françaises ?
Nous allons voir que nos résultats permettent de porter un regard renouvelé sur la tension
imitation - différenciation traitée par Deephouse (1999) au travers de la notion « strategic
balance » et par Porac, Thomas et Baden-Fuller (1989) au travers de l’idée d’un « competitive
cusp ».
1. DISCUSSION DES RESULTATS DU CHAPITRE 5
Le chapitre 5 nous a permis de souligner le fait que le contexte incertain dans lequel évoluent
les programmateurs musicaux était à l’origine d’angoisses et de doutes. Les programmateurs
peuvent alors trouver dans l’imitation un moyen de sortir de ces situations difficiles pour
décider malgré tout. Ces résultats nous ont permis de répondre à une des questions de
recherche de la thèse.
De quelle façon l’incertitude environnante – et plus généralement – le contexte, influent-ils sur les raisons qui sous-tendent les pratiques d’imitation concurrentielle ?
Deux pistes de discussion seront ici proposées. La première traite de l’interaction entre
comportements imitatifs, normes professionnelles et contraintes réglementaires.
L’observation du secteur permet, nous semble-t-il, de venir compléter la vision néo-
institutionnelle traditionnelle qui appréhende les « pressions institutionnelles » comme
indépendantes et statiques.
La seconde piste de réflexion ouverte par les résultats proposés dans le chapitre 5 est liée à la
difficulté de définir l’incertitude. Le lien entre imitation et incertitude est largement traité
Discussion
318
dans la littérature existante (Cyert et March, 1963 ; March, 1981 ; March et Olsen, 1989).
Conçue par DiMaggio et Powell (1983) comme un élément de contexte à l’origine de
« pressions mimétiques », elle est définie par les théories de l’information en cascade
(Banerjee, 1992 ; Bikhchandani et Sharma, 2000 ; Bikhchandani et al., 1992 ; Bikhchandani
et al., 1998) comme une situation de manque d’information et appréhendée par la théorie des
conventions au travers de l’indécidabilité dans laquelle elle plonge les individus (Gomez,
1994, 1996, 1997 ; Gomez et Jones, 2000). La démarche que nous avons adoptée consiste à ne
pas appréhender l’incertitude comme un état objectif mais à nous intéresser aux expériences et
aux perceptions des programmateurs. Nous rejoignons ici une perspective défendue par
Milliken (1987) qui nous incitait à nous immerger dans les doutes et dans les hésitations des
managers.
1.1. DES PRESSIONS INSTITUTIONNELLES INTERDEPENDANTES
De tous les pans de l’édifice néo-institutionnel, le plus visible est probablement incarné par le
triptyque « pressions normatives », « pressions coercitives », « pressions mimétiques »
développé par DiMaggio et Powell (1983, 1991). C’est également un des plus critiqués. Parmi
les reproches fréquemment adressés à ces auteurs, nous reprendrons à notre compte une
critique consacrée à un problème de cohérence interne. L’idée de pression véhicule, en effet,
une vision relativement déterministe qui est difficilement compatible avec l’idée d’une
imitation guidée par une quête de légitimité des organisations faisant nécessairement
intervenir une intentionnalité (même si ces individus demeurent invisibles dans la
présentation initiale de la théorie).
Sans reprendre le qualificatif de pression, nous pouvons néanmoins remarquer que l’imitation,
les normes et les règles semblent effectivement participer au phénomène d’homogénéisation
des programmations musicales soulignée notamment par l’Observatoire de la Musique. Pour
autant, alors que le modèle néo-institutionnel initial décrivait des pressions agissant de
manière indépendante et statique (Desreumaux, 2004), l’étude du champ opérationnel des
radios musicales et des maisons de disques donne davantage l’impression d’une interaction et
d’une dynamique qui seraient de nature à influencer les décisions des programmateurs. La
législation relative aux quotas de chansons françaises frappe les normes professionnelles
véhiculées par l’orthodoxie du « Top 40 » d’incomplétude. C’est cette incomplétude qui a
pour effet de placer les acteurs en situation d’indécidabilité.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
319
Les programmateurs peuvent alors voir en l’imitation de leurs concurrents un moyen de
surmonter leurs doutes et leurs hésitations.
1.2. INCERTITUDE ET INFORMATION : UNE TENSION
Le rôle joué par les doutes et les hésitations des programmateurs dans le déclenchement des
pratiques d’imitation concurrentielle permet d’amorcer un deuxième axe de discussion lié,
cette fois, au concept d’incertitude. Souvent appréhendée comme un état objectif de la nature
ou comme la perception d’un contexte par des individus (Milliken, 1987) l’incertitude se pose
ici comme une expérience d’indécidabilité pour les programmateurs. Expérience dont ils ont
pu rendre compte, de façon nécessairement parcellaire, au cours des entretiens.
L’incertitude a parfois été conçue comme une situation de méconnaissance des paramètres de
l’action (causes, conséquences ou réponses à adopter) à laquelle pourrait remédier l’arrivée
d’informations supplémentaires. Elle a alors été réduite à une variable, liée au caractère
changeant de l’environnement (e.g. Geletkanycz et Hambrick, 1997 ; Haunschild et Miner,
1997 ; Podolny, 1994) ou au manque d’expérience de l’organisation dans un domaine donné
(e.g. Henisz et Delios, 2001). L’imitation réciproque, en véhiculant des normes de décision et
de comportement ferait alors office de système d’information et permettrait de sortir des
situations d’incertitude.
Au vu de nos résultats, il incontestable que l’incertitude qui entoure les décisions de
programmation constitue un préalable nécessaire à l’émergence de comportements imitatifs
qui trouvent leur traduction concrète dans les pratiques d’imitation concurrentielle. Pour
autant, l’accès aux informations relatives aux décisions de programmation réalisées par les
concurrents que permet l’introduction du dispositif Yacast se pose également comme un
élément facilitant l’imitation dans le secteur observé. L’imitation concurrentielle apparait
donc comme un phénomène dual résultant à la fois d’un manque d’information (lorsque celle-
ci porte sur les paramètres de la décision) et d’un accès à l’information (lorsque celle-ci porte
sur les décisions d’autrui).
2. DISCUSSION DES RESULTATS DU CHAPITRE 6
Ces éléments ont permis d’introduire la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle
présentée dans le chapitre 6. Neufs pratiques ont été identifiées. Quatre d’entre elles ont été
reliées à des conceptions instrumentales de la rationalité humaine. Les cinq autres s’inscrivent
Discussion
320
dans des conceptions évaluatives. Les pratiques que nous avons identifiées renvoient à des
explications s’excluant mutuellement dans la littérature. L’analyse de nos données montre, à
l’inverse, qu’elles sont concomitantes. Chaque programmateur est ainsi capable de mobiliser
plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle, renvoyant à des raisons individuelles qui
peuvent être assez éloignées les unes des autres, afin de surmonter ses doutes et ses
hésitations.
2.1. DES RATIONALITES POREUSES
Ces modèles de rationalité semblent néanmoins relativement poreux. La pratique
instrumentale consistant pour les programmateurs à appréhender l’imitation comme une
forme de parasitisme qui permet de profiter du travail de développement réalisé par autrui
implique une certaine répartition des rôles entre les concurrents. Pour assigner les rôles de
suiveurs et de « starter », les programmateurs se justifient fréquemment en invoquant des
motifs liés à la notion de légitimité, un concept profondément ancré dans une conception
évaluative de la rationalité.
De même, la pratique – toute aussi instrumentale – consistant à utiliser l’imitation comme un
argument d’autorité permet certes aux programmateurs d’éviter d’avoir à subir les
conséquences malencontreuses qui pourraient découler d’une erreur de programmation, mais
elle n’est rendue possible que par l’existence de modèles jugés suffisamment légitimes dans
l’entourage professionnel des décideurs.
Enfin, l’étude de la pratique évaluative permettant aux programmateurs d’entrer dans la
norme laisse supposer que ces derniers anticipent des sanctions potentielles en cas de non-
respect de la norme même s’ils ne sont pas capables de les définir précisément. Cette pratique
évaluative fait donc intervenir une part d’instrumentalisation chez les décideurs.
Dans ces pratiques d’imitation concurrentielle, un des modèles de rationalité semble dominer
(rationalité instrumentale pour l’imitation comme parasitisme et comme argument d’autorité,
rationalité évaluative pour l’imitation comme moyen d’entrer dans la norme). Ces exemples
permettent néanmoins de souligner les limites de l’opposition stricte entre rationalité
instrumentale et rationalité évaluative autour de laquelle nous avons construit ce travail. Si
cette dichotomie est utile pour présenter des idéaux-types – qui, par définition, amènent le
chercheur à forcer le trait – elle dissimule une réalité plus subtile dans laquelle les conceptions
instrumentales et les conceptions alternatives semblent correspondre à des cas extrêmes situés
sur un même continuum.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
321
2.2. DES PRATIQUES CONCOMITANTES
Les neuf pratiques de l’imitation concurrentielle de la typologie coexistent chez les
programmateurs. A l’exception de la pratique consistant à appréhender l’imitation comme
session de rattrapage qui a émergé du terrain, les différentes raisons individuelles sur
lesquelles se fondent les pratiques de la typologie convergent vers des explications théoriques
présentées dans la première partie de la thèse.
Tableau 19
Ancrage théorique des pratiques identifiées dans la typologie
Pratique de l’imitation concurrentielle Ancrage théorique
Imitation comme source d’information
(instrumentale)
L’imitation est un moyen d’accéder aux informations détenues par les concurrents (théories de l’information en cascade).
Imitation comme forme de parasitisme
(instrumentale)
L’imitation est un moyen de profiter du travail de développement réalisé par les concurrents (approches fondées sur l’avantage des entrants tardifs).
Imitation comme moyen de maintenir la parité
concurrentielle (instrumentale)
L’imitation est une stratégie défensive permettant de se prémunir d’un éventuel désavantage concurrentiel (approche classique portérienne et travaux consacrés aux actions et réactions concurrentielles).
Imitation comme argument d’autorité
(instrumentale)
L’alignement sur les décisions de modèles considérés comme légitimes dans leur entourage permet aux imitateurs de se prémunir des conséquences malencontreuses que pourrait avoir une erreur personnelle sur leur propre carrière (modèles d’agence de l’imitation : « sharing the blame effect »).
Imitation comme révélateur de tendances
(évaluative)
Les décideurs interprètent les décisions de leurs concurrents comme un indicateur des modes actuelles et à venir. La tendance est perçue comme d’autant plus forte qu’elle sera corroborée par un grand nombre d’observations (par certains aspects : convention de qualification).
Imitation comme moyen d’entrer dans la norme
(évaluative)
Lorsqu’elles convergent, les décisions des concurrents se cristallisent pour constituer une norme qui s’impose progressivement aux stratèges (théorie néo-institutionnelle, imitation fondée sur la fréquence).
Les individus conservent néanmoins un pouvoir de négociation dans leur degré d’adhésion à la norme (théorie des conventions, conventions d’effort).
Imitation comme session de rattrapage
(évaluative)
Les décisions d’autrui amènent le programmateur à réexaminer son choix initial et, éventuellement, à l’invalider par l’imitation des concurrents.
Imitation comme moyen de se rassurer
(évaluative)
L’imitation de décideurs perçus comme « semblables » est rassurante pour les individus qui y voient un moyen d’affirmer leur identité sociale (par certains aspects : théories de l’identité sociale et groupes stratégiques cognitifs).
Imitation comme révélateur de désir
(évaluative)
L’adoption par autrui révèle un désir triangulaire (modèle-objet-sujet) chez le décideur (théorie mimétique de Girard).
Discussion
322
Le tableau qui précède reprend les neuf idéaux-types des la typologie et les articule avec les
approches théoriques présentées en première partie de la thèse. La quasi-totalité des
explications proposées par les courants théoriques présentés dans la revue de la littérature se
retrouvent dans une ou dans plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle. Plus qu’une
validation des théories existantes, il faut voir dans ce résultat la conséquence de la démarche
abductive sur laquelle se fonde cette recherche et qui a conduit à compléter la revue de la
littérature à chaque fois que l’analyse faisait apparaître un élément nouveau.
L’exception la plus notable concerne l’explication fondée sur la légitimité, notion centrale
chez les auteurs du courant néo-institutionnaliste. La légitimité attribuée à une organisation
par les autres membres du champ organisationnel n’intervient – dans notre étude empirique –
que de façon secondaire pour appuyer des pratiques instrumentales consistant, pour les
programmateurs radio, à profiter du travail de développement des autres concurrents ou à
utiliser leurs décisions comme un argument d’autorité. De façon plus générale, les résultats de
la recherche suggèrent que les raisons individuelles avancées par les différents courants
théoriques – loin d’être mutuellement exclusives – sont en réalité complémentaires et
coexistent dans les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios
musicales.
Dès lors, comment expliquer que les décideurs s’orientent vers telle ou telle pratique
d’imitation concurrentielle ? Pour chaque situation, existerait-t-il une pratique d’imitation
concurrentielle qui serait plus adaptée que les autres ? S’il nous semble difficile de répondre à
ces questions, au vu des éléments empiriques qui sont en notre possession et de l’état actuel
des travaux consacrés à l’imitation concurrentielle, nous pouvons néanmoins apporter au
lecteur quelques pistes de réflexion qui pourront trouver leur prolongement dans des travaux
ultérieurs.
a) Des répertoires de pratiques assez larges
Au cours des entretiens, chaque répondant a en moyenne évoqué deux pratiques différentes
d’imitation concurrentielle. Le tableau qui suit présente le nombre moyen de pratiques
différentes évoquées par les décideurs en fonction du type de radio dans laquelle ils officient.
La différence entre le nombre moyen de pratiques différentes chez les programmateurs des
deux types de radio s’explique par le fait que les cas d’imitation concurrentielle sont plus
nombreux chez les indépendants que chez les programmateurs des réseaux nationaux.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
323
Tableau 20
Nombre moyen de pratiques d’imitation concurrentielle par décideur
Radios indépendantes Réseaux nationaux
>ombre moyen
de pratiques / décideur
2,4 1,6
Minimum 0 1
Maximum 6 3
Les données indiquent par ailleurs que les pratiques d’imitation concurrentielles d’un même
décideur peuvent être situées dans un registre instrumental et évaluatif. Nous pouvons ainsi
remarquer que lorsqu’ils ont évoqué l’imitation concurrentielle à plus d’une reprise, les
répondants ont évoqué des pratiques situées dans les deux types de rationalité. L’ancrage dans
un modèle de rationalité ne dépendrait donc pas de caractéristiques individuelles.
b) Des sources d’hésitations et de doutes différentes
Notre analyse fait ressortir que la plupart des pratiques d’imitation concurrentielle identifiées
dans la typologie trouvent leur origine dans les doutes et dans les hésitations des décideurs
(qui découlent eux-mêmes du contexte incertain dans lequel ils évoluent). En reprenant l’idée,
avancée notamment par Miles, Snow et Pfeffer (1974), que les managers réagissent – à travers
leurs actions et leurs décisions – à la façon dont ils perçoivent et interprètent leur
environnement, on pourra trouver dans la variété des pratiques d’imitation concurrentielle
recensées sur le terrain une conséquence de la diversité des doutes et des hésitations qu’est
susceptible de générer l’environnement dans lequel évoluent les programmateurs des radios
musicales.
Parmi les éléments à l’origine de pratiques instrumentales de l’imitation, nous avons souvent
retrouvé le sentiment de ne pas avoir accès aux informations pertinentes, l’impression de
manquer de moyens financiers ou de l’expertise nécessaire à une prise de décision, la crainte
de voir remise en cause la position concurrentielle de l’entreprise ou encore l’angoisse de
devoir assumer les conséquences négatives d’une décision malencontreuse
Les réserves artistiques ou les craintes liées aux réactions des auditeurs sont, quant à elles,
associées à des pratiques évaluatives de l’imitation concurrentielle.
Discussion
324
Compte tenu des spécificités du terrain observé, ce volet particulier des résultats de la
recherche semble difficilement généralisable à une réflexion plus large consacrée aux liens
entre les différents types d’incertitude perçue (Milliken, 1987) et les différentes pratiques
d’imitation concurrentielles. Ces résultats nous incitent, néanmoins, à élargir les définitions de
l’incertitude jusqu’ici retenues dans les travaux consacrés à l’imitation concurrentielle.
En appréhendant l’incertitude comme un état objectif qui serait indépendant des perceptions
individuelles et en la réduisant à un nombre très limité de variables, la littérature existante
semble difficilement en mesure d’intégrer la complexité des phénomènes d’imitation
concurrentielle ; complexité dont nous avons essayé de rendre compte dans cette recherche.
3. DISCUSSION TRANSVERSALE
Au-delà de leurs différences, ces pratiques présentent une caractéristique commune : elles
découlent des hésitations ou des doutes des décideurs. Cette section sera l’occasion de
discuter de la façon dont elles contribuent à la stratégie de chaque radio musicale.
a) Un point de départ
Les doutes et les hésitations des programmateurs constituent des éléments déclencheurs pour
les pratiques d’imitation concurrentielle. Si les programmateurs s’imitent les uns les autres,
c’est parce qu’ils doutent de leur capacité à prendre une décision éclairée (parce qu’ils n’ont
pas accès aux tests, ou que les alternatives trop nombreuses), qu’ils ont des réserves vis-à-vis
des productions qui leur sont soumises (réserves artistiques, avis divergents dans l’équipe,
éloignement de la chanson par rapport au format), qu’ils doivent respecter un ensemble de
contraintes (places en playlist, quotas) ou qu’ils redoutent les conséquences que pourraient
avoir une mauvaise décision (en termes de survie de la radio, de perte de légitimité, de baisse
d’audience, ou d’évolution de leur propre situation professionnelle).
En permettant au programmateur d’accéder à des informations qui lui échappaient, de profiter
du travail de développement réalisé par autrui, de maintenir une certaine parité
concurrentielle, de se justifier auprès de sa hiérarchie, de révéler une tendance musicale,
d’entrer dans une norme ou encore de réexaminer une décision préalable, l’imitation vient
lever ces doutes et ces hésitations. Comme le montre le verbatim suivant, les décisions des
concurrents sont perçues par les décideurs comme autant d’éléments permettant de sécuriser
leur propre programmation musicale.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
325
« Bah je dirais que c’est une source sûre, sur le Yacast général, pour les dix premiers. C’est comme pour les dix premiers du top 50. Quand c’est dans les dix premiers du Yacast, ya pas de souci à se faire. »
Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste
b) Une confiance retrouvée
Livrés à leurs doutes, de nombreux répondants ont décrit l’imitation et le service Yacast
comme une source de réconfort. « Yacast, je l’utilise quand je fais ma playlist principalement.
Ça me réconforte. Je regarde la tendance de fond » livre ainsi ce directeur des programmes
dans une radio indépendante. Ce répondant est rejoint par d’autres professionnels :
« Yacast, ça t’aide, quand tu pars sur un truc tout seul tu te dis “bon…” C’est bien de regarder quand même. »
Entretien réalisé auprès du directeur d’antenne du radio indépendante
« Des fois, quand on est un peu hésitant sur un titre, c’est bien de se fier aux autres. C’est vraiment lorsqu’on a des interrogations ou des doutes. On peut avoir des doutes, des inquiétudes… donc voilà. Des inquiétudes, je n’en ai pas énormément. Mais euh… des doutes oui, c’est normal… »
Entretien réalisé auprès du directeur des programmes du radio indépendante
Après avoir reçu une communication AIMS dérivée de la présente recherche, un
programmateur qui avait été préalablement rencontré dans le cadre d’un entretien a regretté
qu’il ne soit pas fait mention, dans nos premiers résultats, des particularités de chaque station
musicale : « Il manque juste cette petite pointe de particularité propre à chaque station de
manière proportionnelle aux convictions de chacun. »
Ce directeur des programmes a ensuite précisé sa pensée lors d’une conversation informelle,
évoquant la mise en confiance que pouvait représenter le conformisme. Des analyses plus
poussées du corpus et des entretiens complémentaires ont alors fait ressortir que lorsqu’ils se
sentaient en confiance, les programmateurs pouvaient avoir tendance à se singulariser en
sélectionnant des chansons totalement inconnues. L’imitation permettrait donc aux décideurs
de se forger des convictions, d’établir des certitudes. Elle ferait office de filet de sécurité
transposable à d’autres décisions.
Plusieurs répondants ont cherché à établir un lien entre leurs pratiques d’imitation et leur
capacité à « partir seuls sur un titre ». Le directeur des programmes de cette radio généraliste
de l’Ouest de la France défend ainsi le conformisme avec conviction : « De toutes façons, on
va toujours tourner dans le microcosme de toutes ces radios là et de voir un petit peu ce
Discussion
326
qu’elles jouent pour que nous aussi, on soit un petit peu pareil là-dessus. Quel intérêt de
jouer un titre inconnu au bataillon ? »
Et le répondant de poursuivre en insistant sur sa capacité à se distinguer : « Mais je
reviendrais là-dessus tout à l’heure parce qu’on l’a fait ! Joué un titre inconnu, partir tout
seuls, on l’a déjà fait…c’était une belle aventure… »
Comme le montre l’extrait suivant, l’imitation constitue alors un préalable à la
différenciation :
« Faire un peu comme tout le monde bon… c’est vrai que d’un côté c’est rassurant mais en même temps, ça ne m’excite pas plus que ça. Alors quand on a tout sécurisé, c’est plus facile de sortir du cadre, d’essayer de faire découvrir des choses à nos auditeurs. »
Entretien réalisé avec le directeur de la programmation musicale d’un réseau thématique
Les programmateurs semblent ici placés au cœur d’une tension entre imitation et
différenciation. Les deux démarches peuvent, dès lors, être représentées comme les deux
positions extrêmes d’un même pendule qui trouverait son origine dans les doutes et les
hésitations des décideurs (schéma 21). Imitation et différentiation seraient donc deux attitudes
complémentaires qui découleraient d’une même situation de prise de décision dans des
conditions d’incertitude.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
327
Schéma 21
Une tension entre imitation et différenciation
4. RETOUR A LA LITTERATURE
La tension entre imitation et différenciation qui vient d’être identifiée chez les
programmateurs n’est pas sans conséquences sur le positionnement stratégique des radios
musicales. Ce positionnement peut alors être conçu comme le produit des doutes et des
hésitations, mais aussi des certitudes et des convictions des programmateurs.
Cette idée tend incontestablement à surévaluer la part de stratégie émergente dans la
fabrication du positionnement concurrentiel (format) des radios musicales. Elle permet
néanmoins de porter un regard renouvelé sur des options stratégiques (se conformer ou se
différencier) fréquemment décrites comme antagonistes dans la littérature stratégique. On
trouvera néanmoins dans deux travaux pionniers (Deephouse, 1999 ; Porac et al., 1989) des
exceptions notables à la pensée dominante. Cette section de retour à la littérature permettra de
comparer notre conception de la tension imitation – différenciation à celle de ces auteurs.
Dans l’étude empirique qu’ils consacrent au secteur écossais du tricot, Porac, Thomas et
Baden-Fuller (1989) constatent, parmi d’autres résultats, l’existence de pressions
contradictoires dans les représentations des dirigeants. Ces derniers font en effet état de
pressions les conduisant à imiter les organisations qui réussissent dans leur environnement
concurrentiel, mais considèrent qu’il est important de se différencier en vue d’occuper un
positionnement stratégique créateur de valeur. Pour résoudre ce dilemme, les producteurs de
Doutes, hésitations
Confiance en soi
Imiter ses concurrents
Se différencier de ses concurrents
Discussion
328
tricot mobilisent l’orthodoxie professionnelle de leur secteur (achat à des fournisseurs locaux,
cible à hauts revenus, production par petit lots, etc.) en même temps qu’ils cherchent à se
différencier en apportant, par exemple, quelques variations aux motifs traditionnels écossais.
Notons ici que les comportements imitatifs et les comportements de différenciation portent
sur des dimensions différentes de l’activité.
L’approche de Deephouse (1999) est quelque peu différente : l’auteur se détache, en effet, des
perceptions des dirigeants pour s’intéresser exclusivement à la réalité des stratégies mises en
œuvre par les banques de la région de Minneapolis (Etats-Unis) et à leurs conséquences en
termes de performance des organisations. Pour Deephouse, les banques qui réussissent le
mieux sont celles qui sont situées dans une position intermédiaire : partiellement différenciées
et partiellement identiques. L’explication proposée par cet auteur renvoie à des idées bien
établies issues de l’analyse portérienne et de la sociologie néo-institutionnelle.
En se différenciant, les banques peuvent occuper une position unique et diminuer l’intensité
concurrentielle à laquelle elles doivent faire face. En imitant leurs concurrents, elles peuvent
gagner en légitimité, ce qui leur donne accès à des ressources stratégiques (notamment
financières). Pour réaliser son étude, l’auteur a construit un indicateur global mesurant un
degré de conformité stratégique qui intègre onze variables propres au secteur étudié. Il est
donc impossible de savoir exactement sur quelles dimensions les banques cherchent à
ressembler à leurs concurrents et sur quelles dimensions elles cherchent à s’en distinguer.
Le tableau qui va suivre permet de comparer ces deux travaux dans leur conception de la
dialectique imitation – différenciation.
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
329
Tableau 21
Deux conceptions de la dialectique imitation – différenciation
Porac, Thomas et Baden-Fuller Deephouse
Concept clé « Competitive cusp » « Strategic balance »
Stratégie appréhendée
au travers…
Des représentations des dirigeants De la performance des entreprises
Secteur étudié Producteurs écossais de tricot Banques de la région de Minneapolis
Enseignement
principal
Les producteurs imitent leurs concurrents sur certaines dimensions de leur stratégie et se différencient sur d’autres.
Les banques qui réussissent sont celles qui, globalement, ne déviant que partiellement des standards de leur environnement concurrentiel.
Théories mobilisées Groupes stratégiques cognitifs (pour le cadre général de la recherche) + Analyse stratégique orthodoxe (Porter) et Sociologie néo-institutionnelle (pour la tension imitation – différenciation).
Analyse Stratégique orthodoxe (Porter, Barney) et Sociologie néo-institutionnelle.
Aports Accès aux perceptions des dirigeants.
Stratégie appréhendée sur plusieurs dimensions qui sont étudiées séparément.
Etude des implications sur la performance de l’entreprise.
Vision nuancée par rapport aux approches normative qui stigmatisaient les stratégie d’imitation.
Limites Dimension exclusivement perceptuelle.
Etude d’un seul secteur d’activité, question de la généralisation possible des résultats laissée ouverte.
Utilisation d’un indicateur global qui empêche de saisir les nuances dans la stratégie des entreprises étudiées.
Etude d’un seul secteur d’activité, question de la généralisation possible des résultats laissée ouverte.
En nous intéressant aux pratiques d’imitation concurrentielle et aux décisions quotidiennes
qui contribuent à la stratégie nous avons adopté une démarche qui diffère, à la fois de celle de
Porac et ses collègues (1989) et de celle de Deephouse (1999).
De notre étude, qui porte sur les radios musicales françaises, nous pouvons tirer
l’enseignement suivant : l’imitation peut constituer un préalable à la différenciation ; les
programmateurs ont d’autant plus tendance à se singulariser sur certaines décisions qu’ils ont
auparavant imité leurs concurrents (nous n’étudions ici qu’une seule dimension de la
stratégie : les décisions de programmation musicale).
Discussion
330
Loin de se contredire, ces enseignements se complètent. En adoptant trois perspectives
différentes (stratégie appréhendée au travers des représentations, stratégie appréhendée au
travers de ses résultats en termes de performance, stratégie appréhendée aux travers des
pratiques et des décisions quotidiennes), des résultats complémentaires ont été proposés.
Chacun à sa manière, ces résultats soulignent l’existence d’une tension entre imitation et
différenciation et y apportent des éléments d’explication.
Schéma 22
Vers une meilleure compréhension de la tension imitation – différenciation
Comme nous allons le voir dans la conclusion générale qui va suivre, la tension « imitation –
différenciation » que nous avons identifiée constitue une piste de recherche stimulante pour
des travaux futurs.
Deehouse (1999)
Imitation appréhendée au regard de ses conséquences sur la performance des organisations
Imitation appréhendée au
travers des pratiques des
acteurs stratégiques
Porac, Thomas et Baden-Fuller (1989)
Imitation appréhendée au travers des perceptions
des dirigeants
332
Conclusion générale
ls s’appellent Deezer, Spotify, MusicMe, WormMe ou Jiwa. Ces services Internet ont la
particularité de proposer l’écoute de musique à la demande sur Internet et sur téléphones
mobiles. Les modèles économiques sont encore tâtonnants (abonnement mensuel ou
financement par la publicité entre les chansons), l’accès aux catalogues est encore loin d’être
total… mais l’essentiel est ailleurs. En proposant un accès illimité et immédiat à la musique,
ces services Internet rendent la mécanique rigide des radios « Top 40 » bien contraignante
pour les consommateurs. Les radios musicales fonctionnaient selon les principes de
segmentation des audiences, de répétitivité des programmes et de sélection des chansons.
Place à l’individualisation des contenus, à la diversité des programmes et à l’abondance de
l’offre. Les règles du jeu ont changé. Les consommateurs n’entendent plus déléguer aux
programmateurs le pouvoir de choisir à leur place ce qu’ils vont écouter. Désormais, la radio
n’est plus un passage obligé pour accéder à un vaste choix musical (le schéma 23 synthétise
l’évolution des pratiques d’écoute de la musique)136.
La fin des radios musicales ? C’est le scénario défendu par la banque HSBC qui, dans une
note consacrée au secteur de la radio publiée le 12 décembre 2007137 estimait que « le modèle
d'entreprise de radio entièrement consacrée à la musique [était] en bout de course. » Moins
menacées « par la fragmentation due au numérique », les stations généralistes seraient les
seules à pouvoir tirer profit de cette évolution profonde des habitudes d’écoute en proposant
des contenus originaux. Un scénario catastrophe que certains professionnels du secteur ont
tenté d’enrayer. Pour Roberto Ciurléo, ancien général directeur des programmes de NRJ, c’est
dans la personnalisation des contenus que réside le futur de la radio. L’idée trouve sa
traduction concrète dans la création de Goom Radio en 2008, un bouquet de radios en ligne
laissant la possibilité aux internautes de créer leurs propres « Goom radios ».
136 La révolution est bien loin de s’arrêter à la musique et à la radio. Des services tels que Hulu, ou Netflix, des dispositifs comme la catch-up TV ou le vidéo-partage permettent désormais aux consommateurs d’accéder aux films et aux programmes sans être contraints par les grilles rigides des chaînes de télévision. On renverra le lecteurs aux articles « Netflix inside » par Daniel Roth (2009) et « The good enough revolution » par Robert Capps (2009) publiés dans le mensuel américain Wired. 137 Source : RadioActu, « HSBC - Des doutes sur l'avenir des stations musicales » par Eléa Vidal, 13/12/2007.
I
Stratégie et imitation concurrentielle
333
Schéma 23
La fin des radios musicales ?
Nouvel entrant dans le secteur, l’animateur et producteur de télévision Arthur, semble
partager cette idée. Le nouveau propriétaire de la radio parisienne Ouï FM entend donner les
clés de la programmation musicale aux auditeurs. Ces derniers peuvent désormais
programmer certaines tranches musicales par l’intermédiaire du site Internet Deezer. A terme,
le dirigeant envisage de généraliser le dispositif à l’ensemble de la journée. Une initiative
largement saluée par les professionnels de la communication138 mais dont l’impact sur les
audiences de la station reste encore à confirmer.
La fin des programmateurs ? Pas si sûr. Les nouvelles habitudes d’écoute de la musique
appellent néanmoins à une redéfinition profonde de leur rôle. Certains programmateurs
rencontrés dans le cadre de la recherche l’ont d’ailleurs bien compris : « Je pense qu’on arrive
dans une génération maintenant qui va aller beaucoup plus vite. Ceux qui aujourd’hui ont
entre 12 et 15 ans, qui vont commencer à être sondés par Médiamétrie, ils vont insuffler une
nouvelle donne. Eux vont vouloir consommer la musique beaucoup plus vite. Et au-delà de
ça, je dirais qu’il y a un autre élément, c’est que… comme les radios euh… aujourd’hui
138 Source : RadioActu, « Ouï FM – Prix de la meilleure initiative de diversification » par Magali Louvard, publié le 17/06/2009.
� � � � � �
� � �
� �
� � �
Production musicale
Consommateurs
������
Radio Musicale Programmateur Consommateur
� Prescripteurs
�
�
� � �
�
�
� � �
� � �
�
� � �
� �
� �
� � �
�
�
Modèle de la radio musicale Nouvelles habitudes d’écoute de la musique
Conclusion générale
334
subissent de plein fouet la concurrence des Ipods et tout ça, si elles veulent rester
compétitives par rapport à ça, elles ne vont plus pouvoir traîner les disques pendant huit
mois. Va falloir que justement ce soit elles qui fassent découvrir la musique pour qu’après les
gens la téléchargent et l’écoutent sur leurs Ipods… pour que les gens aient encore envie, pour
qu’ils aient encore l’élément déclenchant qui leur fasse écouter la radio. Donc je pense que…
qu’on va commencer à entendre de plus en plus de nouveautés sur les radios en France. »139
A l’avenir, les programmateurs auraient donc un rôle de prescripteur plus développé.
Les radios musicales, telles qu’elles ont été étudiées dans cette recherche, pourraient donc
prochainement appartenir au passé. La vocation de notre travail n’est pas de proposer aux
professionnels du secteur une vision prospective de l’avenir de la radio musicale. Nous avons
ici cherché à faire le point sur une pratique généralisée dans le secteur, l’imitation
concurrentielle, tenté d’identifier des pratiques, de cerner des raisons individuelles, et
d’étudier de quelle manière elles pouvaient contribuer à la stratégie des organisations du
secteur.
Certains verront dans nos résultats des éléments permettant de justifier a posteriori la baisse
d’audience tendancielle des radios musicales et défendront l’idée que si les auditeurs sont
aujourd’hui en train de déserter le média, c’est avant tout parce que les radios musicales
proposent des offres trop standardisées (Blachas, 2004 ; Sok, 2007). Tel n’était pas l’objet de
cette recherche, tel ne sera pas le sens de notre conclusion. Après une synthèse de la
recherche, nous en présenterons les contributions et les limites. Leur comparaison permettra
de dégager plusieurs perspectives pour des recherches futures.
1. SYNTHESE DE LA RECHERCHE
Le paradoxe qui émerge de la comparaison d’un ensemble d’approches théoriques très
critiques vis-à-vis de l’imitation, et de nombreux travaux empiriques démontrant sa fréquence
dans le monde des organisations, en général, et en stratégie en particulier, a servi de point de
départ à notre recherche. Adoptant une démarche abductive, elle s’est positionnée dans le
courant de la stratégie en pratiques (« strategy as practice ») pour étudier ce que les décideurs
font lorsqu’ils imitent leurs concurrents et cerner les raisons qui les amènent à agir de la sorte.
Plus globalement, c’est bien à la question de la contribution des pratiques d’imitation
139 Entretien réalisé auprès du directeur des programmes d’une radio thématique.
Stratégie et imitation concurrentielle
335
concurrentielle à la stratégie des organisations que nous avons tenté d’apporter des éléments
de réponse.
Nous avons donc formulé la problématique générale suivante : « En quoi les pratiques
d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent-elles à la stratégie des radios
musicales françaises ? »
Sur la base d’une analyse de théories issues des Sciences de Gestion, de la Sociologie, des
Sciences Economiques et de la psychologie, nous avons cherché à construire un cadre
conceptuel intégrateur permettant, d’une part de mettre en évidence l’existence de raisons
individuelles différentes au cœur des pratiques d’imitation concurrentielle, et d’autre part
d’étudier de quelle façon ces pratiques pouvaient découler d’un contexte incertain. Ce cadre
conceptuel intégrateur, présenté en conclusion de la revue de littérature, nous a permis de
formuler les deux questions de recherche suivantes : (1) « En quoi les pratiques d’imitation
concurrentielle sont-elles le terrain d’expression de différentes raisons individuelles ? » ; (2)
« En quoi les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs contribuent à la
stratégie des radios musicales françaises ? »
Pour traiter ces questions de recherche, nous avons réalisé une étude qualitative permettant
d’analyser les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs des radios musicales
françaises. Vingt-cinq entretiens semi-directifs ont été menés auprès de programmateurs. Ils
ont été prolongés par des rencontres et des conversations plus informelles et complétés par
une quinzaine d’entretiens de contexte réalisés avec des observateurs privilégiés du secteur
ainsi que par l’utilisation de données secondaires. Une analyse thématique de ces données a
été mise en œuvre à l’aide du logiciel NVivo 8 et a fait l’objet d’un double-codage.
A l’issue de l’analyse des données, deux grands types de résultats ont pu être distingués. Tout
d’abord, les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs découlent des doutes et
des hésitations qu’ils ressentent au contact d’un contexte incertain où les goûts du public sont,
plus que jamais, insaisissables. Une grande variation entre les pratiques peut, ensuite, être
mise en évidence. Une typologie composée de neuf pratiques d’imitation concurrentielle est
alors présentée.
Ces éléments ont permis d’amorcer une discussion plus générale sur la contribution des
pratiques d’imitation concurrentielle des décideurs dans la fabrication de la stratégie des
Conclusion générale
336
radios musicales. L’imitation apparait alors comme un préalable possible à des démarches
permettant aux radios de se singulariser dans leur environnement concurrentiel.
2. CONTRIBUTIONS, LIMITES ET PERSPECTIVES
Cette section nous permettra de détailler les contributions et les limites de la recherche. En
continuité avec la réflexion sur l’avenir du secteur qui a ouvert cette conclusion, nous
commencerons par détailler la contribution managériale de cette recherche (2.1). Par la suite,
nous distinguerons des apports et limites méthodologiques (2.2) et théoriques (2.3). Leur mise
en parallèle nous permettra d’esquisser des pistes potentielles pour des travaux futurs.
2.1. CONTRIBUTION MANAGERIALE
La recherche a, avant tout, une vocation compréhensive. Nous n’avons ni cherché à faire la
promotion de l’imitation concurrentielle, ni souhaité mettre en évidence une pratique
d’imitation qui serait meilleure que les autres. Les professionnels de l’industrie musicale, en
premier lieu les directeurs de la promotion et les attachés de presse des labels, trouveront
probablement dans nos résultats (et en particulier dans la typologie des pratiques d’imitation
proposée dans le chapitre 6) quelques pistes pour rendre plus efficaces les arguments
promotionnels qu’ils utilisent lorsqu’ils sont en contact avec les programmateurs.
Il est cependant indéniable que l’absence de dimension performative de notre étude vient
limiter sa contribution managériale autant qu’elle constitue un point de départ potentiel pour
des recherches ultérieures consacrées à la relation entre imitation concurrentielle et
performance. Remarquons néanmoins que cette limite est commune à l’ensemble des travaux
consacrés à l’étude des pratiques stratégiques. Comme l’expliquent, en effet, Jarzabkowski et
Spee (2009, p.84) à la suite de Johnson, Langley, Melin et Whittington (2007), le courant de
la « strategy as practice » s’est construit dans une volonté « d’éviter les écueils habituels de
l’analyse stratégique traditionnelle : expliquer la performance de l’entreprise sur la base de
données volumineuses en se focalisant sur un nombre limité de variables permettant, au
mieux, d’aboutir à des explications très parcellaires de la performance. »140
Cette limite ne signifie pas que les résultats proposés par ce courant de recherche soient
inutiles ou inintéressants pour des acteurs stratégiques. En effet, en permettant aux 140 “it is important that s-as-p research does not try to emulate and, hence, fall into the same traps as traditional strategy research; that is to explain firm performance based on large-scale data sets with parsimonious sets of variables that at best can give only a partial explanation of performance.”
Stratégie et imitation concurrentielle
337
professionnels de prendre du recul vis-à-vis de leurs pratiques, de les contextualiser, d’en
cerner les raisons, ces travaux permettent aux décideurs de s’engager dans une démarche
réflexive pouvant les amener à remettre en question un certain nombre de schémas qu’ils
considéraient préétablis. Cette ambition émancipatrice est notamment très présente chez
Jarzabkowski (2005, p.175) qui, après avoir étudié de quelle manière se fabriquait la stratégie
des universités britanniques, explique que « la principale contribution pratique de [sa]
recherche est de proposer aux dirigeants un ensemble de concepts et des cadres d’analyse
leur permettant de réfléchir à leurs actions quotidiennes et à leurs implications, tant sur la
dynamique de leur organisation que sur l’évolution de leur stratégie. »141
Donner des clés pour comprendre la stratégie. Rendre les clés de la stratégie aux acteurs.
Voilà comment pourrait être formulée la principale contribution managériale du courant de la
stratégie en pratiques. En permettant aux programmateurs – et aux décideurs – de mieux
comprendre leurs pratiques d’imitation concurrentielle, cette recherche a tenté se sortir du
discours « culpabilisant » qui pouvait caractériser certains travaux antérieurs. Un discours
d’autant plus difficile à vivre pour les acteurs qu’il était déconnecté de la réalité des
phénomènes d’imitation concurrentielle dans le monde des affaires. L’enseignement principal
que pourront tirer les professionnels qui liront – peut-être – cette recherche, c’est que les
pratiques d’imitation concurrentielle ont une place dans la fabrication de la stratégie.
Le message de cette recherche ne saurait se résumer à un très normatif « imitez-vous les uns
les autres ». Le message que nous souhaiterions transmettre pourrait davantage prendre la
forme suivante : « vous vous imitez, voici pourquoi et voici de quelle manière vos pratiques
d’imitation concurrentielle contribuent, à notre sens, à la stratégie de vos organisations. »
Comme nous allons maintenant le voir, la comparaison des apports et des limites de cette
recherche – qu’ils soient méthodologiques ou théoriques – permet d’envisager plusieurs
développements possibles qui pourront servir de point de départ à des travaux ultérieurs.
141 “The main practical value of this research is thus providing top managers with a set of concepts and frameworls with which to reflect upon their own actions and the implications these have for organizational dynamics and the pattern strategy takes over time.”
Conclusion générale
338
2.2. PERSPECTIVES DECOULANT DES APPORTS ET LIMITES METHODOLOGIQUES
Notre recherche a adopté une démarche qualitative en vue de permettre une meilleure
compréhension des pratiques d’imitation et des raisons qui les sous-tendent. Une quarantaine
d’entretiens ont été réalisés pour étudier les pratiques d’imitation concurrentielle des
programmateurs radio. Ils ont été complétés par l’utilisation de données secondaires et ont fait
l’objet d’un codage thématique réalisé à l’aide du logiciel NVivo.
a) Un secteur propice à l’étude des phénomènes d’imitation
concurrentielle… mais très singulier
En dépit de son faible poids économique, le secteur de la radio offre un point d’observation
idéal des phénomènes d’imitation concurrentielle. La fréquence des comportements imitatifs
chez les organisations du secteur nous a permis de mettre en œuvre une comparaison visant à
identifier plusieurs pratiques d’imitation concurrentielle mobilisant des raisons individuelles
bien différentes. Ces pratiques trouvent leur point de départ dans les doutes et les hésitations
des programmateurs qui doivent sélectionner les chansons à entrer en playlist dans un
contexte où les goûts du public demeurent incertains. Compte tenu du caractère très singulier
des préoccupations quotidiennes des programmateurs, ces doutes et ces hésitations sont
néanmoins difficilement transposables à d’autres champs d’étude. C’est la question de la
possible généralisation des résultats de la recherche qui est ici posée.
Seule la prolongation de cette recherche dans d’autres contextes pourrait y apporter une
réponse définitive. Une telle démarche permettrait, en outre, de mieux conceptualiser la
notion de doutes et d’incertitudes qui, en l’état actuel, reste cantonnée aux préoccupations
assez opérationnelles des décideurs. Une voie de recherche possible pourrait consister à
étudier des décisions relativement comparables dans des environnements proches, comme par
exemple le choix réalisé par des journalistes de traiter telle ou telle information142.
142 Une approche déjà adoptée dans des travaux antérieurs qui ne se focalisent cependant pas sur la thématique de l’imitation (Cook, 2005).
Stratégie et imitation concurrentielle
339
Schéma 24
Pour un prolongement de la recherche dans d’autres contextes
b) De l’utilisation de données déclaratives
L’étude des pratiques d’imitation concurrentielle s’est traduite par une analyse de données
issues d’entretiens réalisés auprès des programmateurs. Pour mener à bien leur collecte, un
dispositif original, fondé sur l’écoute d’extraits musicaux, a été déployé. Cette initiative nous
a permis de nous approcher d’une situation bien connue des répondant au cours de laquelle ils
sont amenés, en présence des attachés de presse mandatés par les labels, à écouter des disques
et à exprimer leur ressenti. Elle ne doit cependant pas occulter le caractère déclaratif des
données recueillies.
Le fait que nous ayons choisi d’utiliser des données déclaratives nous a permis de dépasser
une limite souvent observée dans les travaux antérieurs qui n’identifiaient les comportements
imitatifs que sur la base d’une similitude entre les décisions du modèle et de l’organisation
étudiée (e.g. Haunschild et Miner, 1997 ; Greve 1995, 1996, 1998). Tenant compte du fait que
des organisations peuvent adopter les mêmes structures, les mêmes stratégies, les mêmes
décisions, sans forcément s’imiter (elles peuvent par exemple être exposées aux mêmes
conditions environnementales), le recours a des données déclaratives nous a permis
d’identifier, dans les propos des répondants, des liens de causalité entre les diffusions qu’ils
constataient chez leurs concurrents et leurs propres décisions d’entrée en programmation.
Le fait que l’adoption par le modèle et par l’organisation imitante ne souffre d’aucune
variation (ce sont les mêmes disques qui sont diffusés) permet, en outre, de nous focaliser sur
Apport Un champ d’étude original qui
constitue un point d’observation idéal des phénomènes d’imitation
concurrentielle.
Perspective Prolonger ce travail dans d’autres champs
opérationnels. L’étude de secteurs connexes (médias, industrie musicale) pourrait constituer une première étape.
Limite Des singularismes forts qui
rendent difficilement généralisables les résultats (en
particulier concernant les doutes et les hésitations des décideurs).
Conclusion générale
340
une forme d’imitation « pure » en évacuant la possibilité que l’imitation puisse comprendre
une part d’innovation (Baize, 1999)143.
Enfin, compte tenu de l’intérêt porté aux raisons individuelles sous-jacentes à l’imitation, il
aurait été difficilement envisageable de ne pas recourir à des données qualitatives et
déclaratives.
Notre analyse pourrait néanmoins être prolongée par une étude quantitative qui permettrait
d’étudier les pratiques d’imitation concurrentielle sur la base d’un nombre plus conséquent
d’observations. Un tel prolongement aurait également pour avantage de limiter les biais
potentiels inhérents aux données déclaratives144. Des données relatives aux décisions de
programmation musicale ont d’ores et déjà été produites par la société Yacast et utilisées par
certains chercheurs (Glevarec, 2005). L’identification des pratiques sur la base des relevés de
programmation poserait néanmoins un certain nombre de défis méthodologiques liés à la
difficulté d’accéder aux raisons individuelles (on risquerait de retrouver alors les mêmes
limites que celles rencontrées par les travaux consacrés aux formes d’imitation).
Schéma 25
Pour une utilisation de données non déclaratives
143 Ceci n’aurait pas été possible si nous avions choisi d’étudier d’autres dimensions du programme, par exemple le contenu des émissions parlées. 144 Ce problème a partiellement été résolu par l’effort de triangulation qui a animé la collecte des données (entretiens de contexte et données secondaires).
Apport Un dispositif de collecte des données original a été mis en
œuvre. L’utilisation de données déclaratives permet d’identifier avec rigueur les comportements imitatifs et de cerner les raisons
des programmateurs.
Perspective Prolonger la recherche par une étude quantitative sur la base des données
Yacast.
Limite Un nombre relativement faible de « cas d’imitation concurrentielle »
étudiés. Des biais inhérents à l’utilisation des données
qualitatives.
Stratégie et imitation concurrentielle
341
c) Une analyse centrée sur l’imitation
Pour réaliser l’analyse des données qualitatives, un codage thématique semi-émergent en trois
étapes (codage signalétique, descriptif et analytique) a été réalisé à l’aide du logiciel NVivo
(Richards, 2005). La mise en place d’un dispositif de double codage permet d’attester de
l’adhérence de la grille de codage avec les données et de garantir la fiabilité du processus de
recherche (Romelaer, 2005). Les catégories centrales de l’analyse correspondent aux
principales thématiques de la recherche : pratiques d’imitation concurrentielle, doutes et
hésitations des programmateurs, modèles imités (et critères de sélection utilisés).
Ce processus, que nous avons essayé de rendre le plus rigoureux possible, souffre néanmoins
d’une limite liée au fait qu’il soit exclusivement centré sur la question de l’imitation. En effet,
nous nous sommes attachés en discussion à décrire l’interaction entre imitation et
différenciation sans avoir procédé à une analyse approfondie des pratiques de différenciation.
Compte tenu du guide d’entretien utilisé lors de la collecte des données, nous n’aurions pas
disposé d’éléments empiriques suffisamment conséquents pour réaliser un tel ouvrage.
Notre idée essentielle est que les pratiques d’imitation concurrentielle, en permettant aux
décideurs de lever des doutes et de dépasser des hésitations, peuvent constituer le point de
départ à des démarches visant à se singulariser. Pour parvenir à une meilleure articulation des
concepts d’imitation et de différenciation et analyser de quelle façon ils interagissent, cette
idée mériterait d’être approfondie par une analyse des pratiques de différenciation. La
question serait alors de savoir s’il existe une symétrie entre pratiques d’imitation et pratiques
de différenciation, susceptible de mieux éclairer la tension à laquelle les stratèges sont
confrontés.
Conclusion générale
342
Schéma 26
Pour une étude des pratiques de différenciation
Nous allons consacrer le point suivant aux apports et aux limites théoriques de la recherche
pour déterminer deux nouvelles pistes de recherche.
2.3. PERSPECTIVES DECOULANT DES APPORTS ET LIMITES CONCEPTUELS
Nous avons, dans ce travail, cherché à articuler des théories très différentes pour construire le
cadre d’analyse de la recherche. Ces approches théoriques ont pour caractéristique commune
de placer l’imitation au cœur des relations inter-individuelles ou inter-organisationelles. De
leur comparaison, il ressort une grande complémentarité. Les théories mobilisées s’appuient,
en effet, sur des conceptions alternatives et complémentaires de la rationalité humaine. Les
raisons avancées dans la littérature étaient considérées comme mutuellement exclusives, elles
donnent en réalité lieu à des pratiques d’imitation concurrentielle qui sont concomitantes.
a) Une mise entre parenthèses des dimensions
organisationnelles et populationnelles
La première contribution théorique est liée à la meilleure compréhension des phénomènes
d’imitation concurrentielle qu’apporte la typologie des pratiques présentée dans le chapitre 6.
Cette typologie découle de la comparaison de nos 68 « cas d’imitation concurrentielle » et du
cadre conceptuel intégrateur que nous ayons construit à la suite de la partie théorique.
Le choix d’étudier les phénomènes d’imitation concurrentielle en nous focalisant sur les
pratiques des décideurs constitue une rupture par rapport à la littérature existante. Si des
tentatives d’articulation de plusieurs théories ont déjà été réalisées, celles-ci sont souvent
Apport L’analyse des entretiens a
notamment permis d’établir une typologie des pratiques d’imitation
et de souligner l’interaction imitation-différenciation.
Perspective Compléter l’étude des pratiques
d’imitation concurrentielle par une étude des pratiques de différenciation.
Analyser une éventuelle symétrie.
Limite Les catégories centrales de
l’analyse sont liées aux thématiques de l’imitation et de l’incertitude perçue (doutes et
hésitations).
Stratégie et imitation concurrentielle
343
consacrées à deux approches théoriques connexes, la sociologie néo-institutionnelle et les
théories de la diffusion, qui adoptent, toutes deux, un même niveau d’analyse populationnel
(Baron, Dobbin et Jennings, 1986 ; Bourgeois, 2007 ; Davis, 1991 ; Davis et Greve, 1997 ;
Fligstein, 1990 ; Galaskiewicz et Wasserman, 1989 ; Geletkanycz et Hambrick, 1997 ; Gygax
et Griffiths, 2007 ; Haunschild, 1994 ; Palmer et al., 1993 ; Stearns et Allan, 1996 ; Webb et
Pettigrew, 1999 ; Williamson et Cable, 2003).
De façon plus marginale, certains travaux ont cherché à intégrer des approches a priori plus
éloignées. C’est notamment le cas de Pupion et Montant (2004) et Pupion et Leroux (2006)
qui tentent d’articuler sociologie néo-institutionnelle et théorie des conventions ou de
Vermeulen et Wang (2005) qui font dialoguer théories de l’identité sociale et sociologie néo-
institutionnelle. Les difficultés d’intégration des théories exprimées par ces chercheurs
peuvent, à notre sens, trouver une réponse dans l’adoption d’une démarche centrée sur les
pratiques. En ne conservant des théories existantes que leur dimension individuelle et en
mettant en perspective les différents modèles de rationalité, nous avons montré qu’il était
possible de faire dialoguer les théories existantes afin de mieux comprendre l’imitation.
Ce choix nous à conduit, cependant, à n’appréhender les théories mobilisées qu’au travers de
leur seule dimension individuelle et cognitive. Certains pourront considérer que cette
approche est réductrice. En effet, la théorie des conventions, les théories de la diffusion, ou la
sociologie néo-institutionnelle ont la particularité d’appréhender l’imitation simultanément au
niveau individuel (au travers des raisons), au niveau organisationnel (au travers de la question
des formes d’imitation et des conséquences en termes d’organisation ou de performance) et au
niveau populationnel (au travers de la notion d’isomorphisme). L’ouverture de notre cadre
conceptuel à des conceptions différentes de la rationalité humaine a pour corollaire un ancrage
quasi exclusif dans un niveau d’analyse microscopique. Notre recherche n’apporte donc pas
d’éléments nouveaux quant aux conséquences que pourraient avoir les pratiques d’imitation
concurrentielle sur la performance des entreprises ou la dynamique sectorielle. La stratégie
n’est abordée que comme un produit (non exclusif) des décisions individuelles, l’organisation
et le secteur sont relégués au rang d’éléments de contexte.
Cette limite pourrait conduire à prolonger la recherche en étudiant les conséquences
organisationnelles et populationnelles de la dialectique imitation-différenciation présentée
dans la discussion générale de la recherche ou à revisiter les théories existantes en tenant
Conclusion générale
344
compte de la diversité des pratiques d’imitation concurrentielle. La dimension compréhensive
de notre travail pourra enfin être mobilisée dans des travaux à vocation plus normative. En
permettant de mieux comprendre les phénomènes d’imitation concurrentielle, nos résultats
pourront alimenter des projets de recherche consacrés à l’influence de l’imitation sur la
performance des organisations.
Schéma 27
Vers un renouvellement des théories existantes
b) Une tension imitation – différenciation identifiée
mais qui reste à explorer
L’analyse des données nous a permis d’étudier de quelle façon les pratiques d’imitation
concurrentielle des programmateurs étaient susceptibles de contribuer à la stratégie des radios
musicales. Constatant que l’imitation concurrentielle permettait aux programmateurs de
s’émanciper de leurs doutes et de leurs hésitations, nous avons souligné qu’elle pouvait
constituer un préalable à des démarches visant à se singulariser des concurrents. Ce résultat
vient éclairer d’un nouveau jour la problématique du « conform or perform » en apportant une
dimension cognitive au concept de d’équilibre stratégique (« strategic balance ») introduit par
Deephouse (1999). Imitation et différenciation ne sont plus alors perçues comme des
démarches antinomiques mais comme les extrémités d’une même tension au travers de
laquelle les décideurs tentent de faire avec l’incertitude environnante. Nous trouvons ici la
deuxième contribution théorique de la recherche.
Apport Un regard renouvelé sur les
phénomènes d’imitation concurrentielle induit par la dimension microscopique de
l’étude.
Perspective Possibilité d’utiliser les résultats de la
recherche pour approfondir la dimension microscopique des théories existantes et
alimenter les travaux consacrés à la relation imitation - performance
Limite Une dimension organisationnelle appréhendée exclusivement au
travers des pratiques. Une dimension populationnelle
absente.
Stratégie et imitation concurrentielle
345
La tension que nous avons identifiée mérite incontestablement des développements
conceptuels et des investigations empiriques complémentaires. Nous pouvons remarquer que
nos préoccupations rejoignent celles de Dameron et Torset (2009) qui, dans une contribution
très récente, conçoivent la fabrication de la stratégie comme un exercice de gestion de
tensions. Les auteurs identifient quatre grandes tensions : (1) travail collectif versus travail
individuel ; (2) focus sur le(s) marché(s) versus focus sur l’organisation ; (3) action versus
réflexion ; (4) analyse versus intuition. Aux tensions mises en évidence par les deux auteurs,
nous pourrions rajouter la tension imitation versus différenciation qui est au cœur de notre
travail.
Schéma 28
Une tension pour la fabrication de la stratégie
Les éléments énoncés dans le cadre de cette conclusion amènent à considérer la présente
recherche comme une étape vers une meilleure compréhension des phénomènes d’imitation
concurrentielle et de leur contribution à la stratégie des organisations. De nombreuses
questions, qui sortaient de la problématique que nous avons définie, demeurent sans réponse à
l’issue de notre travail. Elles constituent autant d’opportunités à saisir et de voies à explorer
pour des recherches futures.
Apport Mise en évidence d’une tension imitation versus differenciation
trouvant sa source dans les doutes et les hésitations des décideurs et
contribuant à la stratégie des organisations
Perspective Possibilité d’intégrer la tension imitation versus differenciation dans le cadre plus général esquissé par Dameron et Torset
(2009).
Limite
Développements conceptuels complémentaires et nouvelles
investigations empiriques nécessaires
346
Références
Bibliographie p.348
Liste des synthèses p.370
Liste des encadrés p.370
Liste des tableaux p.371
Liste des schémas p.372
Table des matières p.373
Glossaire radiophonique p.384
348
Bibliographie
ABRAHAMSON, E. (1991), « Managerial fads and fashions: The diffusion and rejection of innovations », The Academy of Management Review, Vol. 16, No. 3, pp. 586-612.
ABRAHAMSON, E. (1996), « Management fashion », The Academy of Management Review, Vol. 21, No. 1, pp. 254-285.
ABRAHAMSON, E. et ROSENKOPF, L. (1993), « Institutional and competitive bandwagons: Using mathematical modeling as a tool to explore innovation diffusion », The Academy of Management Review, Vol. 18, No. 3, pp. 487-517.
ABRAHAMSON, E. et FAIRCHILD, G. (1999), « Management fashion: Lifecycles, triggers, and collective learning processes », Administrative Science Quarterly, Vol. 44, No. 4, pp. 708-740.
ABRAMS, D. et HOGG, M. A. (1988), Social identifications: A social psychology of intergroup relations and group processes. Routledge.
ABRAMS, D., WETHERELL, M., COCHRANE, S., HOGG, M. A. et TURNER, J. C. (1990), « Knowing what you think by knowing who you are: Selfcategorization and the nature of norm formation, conformity, and group polarization », British Journal of Social Psychology, Vol. 29, pp. 97-119.
ACQUIER, A. et AGGERI, F. (2006), « Entrepreneuriat institutionnel et apprentissages collectifs. Le cas de la global reporting initiative (gri). », XVème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Annecy-Genève, 13-16 juin.
AERTS, W., CORMIER, D. et MAGNAN, M. (2006), « Intra-industry imitation in corporate environmental reporting: An international perspective », Journal of Accounting and Public Policy, Vol. 25, No. 3, pp. 299-331.
AGHION, P., HARRIS, C. et VICKERS, J. (1997), « Competition and growth with step-by-step innovation: An example », European Economic Review, Vol. 41, pp. 771-782.
AGHION, P., HARRIS, C., HOWITT, P. et VICKERS, J. (2001), « Competition, imitation and growth with step-by-step innovation », Review of Economic Studies, Vol. 68, pp. 467-492.
AGHION, P., BLOOM, N., BLUNDELL, R., GRIFFITH, R. et HOWITT, P. (2005), « Competition and innovation: An inverted-u relationship », Quarterly Journal of Economics, Vol. 120, pp. 701-728.
AHLKVIST, J. A. et FISHER, G. (2000), « And the hits just keep on coming: Music programming standardization in commercial radio », Poetics, Vol. 27, pp. 301-325.
AHLKVIST, J. A. et FAULKNER, R. (2002), « "Will this record work for us?": Managing music formats in commercial radio », Qualitative Sociology, Vol. 22, No. 2, pp. 189-215.
AKERLOF, G. A. (1980), « A theory of social custom, of which unemployeent may be one consequence », The Quarterly Journal of Economics, Vol. 94, No. 4, pp. 749-775.
ALBERT, S. et WHETTEN, D. A. (1985), « Organizational identity », Research in Organizational Behavior, Vol. 7, pp. 263-295.
ALDRICH, H. E. et FIOL, C. H. (1994), « Fools rush in? The institutional context of industry creation », The Academy of Management Review, Vol. 19, No. 4, pp. 645-670.
ALLARD-POESI, F. (2003), « Coder les données », dans Y. GIORDANO (éditeur) Conduire un projet de recherche, une perspective qualitative. Editions EMS (Management & Société), pp. 245-290.
ALLOUCHE, J. et HUAULT, I. (2003), « Les ressources humaines. Au-delà des instruments : Les institutions », dans J. ALLOUCHE (éditeur) Encyclopédie des ressources humaines. Vuibert, pp. 743-744.
AMBLARD, M. (2003a), « Vers une théorie sur la dynamique des conventions », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck.
AMBLARD, M. (2003b), « Conventions et modélisation comptable », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck, pp. 61-87.
Références
349
ANAND, N. et PETERSON, R. A. (2000), « When market information constitutes fields: Sensemaking of markets in the commercial music industry », Organization Science, Vol. 11, No. 3, pp. 270-284.
ANAND, N. et WATSON, M. R. (2004), « Tournament rituals in the evolution of fields: The case of
the grammy awards », Academy of Management Journal, Vol. 47, No. 1, pp. 59-80.
ANSOFF, I. (1987), Corporate strategy. London, Penguin.
ARGOTE, L., BECKMAN, S. L. et EPPLE, D. (1990), « The persistence and transfer of learning in industrial settings », Management Science, Vol. 36, No. 2, pp. 140-154.
ARMOUR, H. O. et TEECE, D. J. (1978), « Organizational structure and economic performance: A test of the multidivisional hypothesis », Bell Journal of Economics, Vol. 9, pp. 106-122.
ARON, A., ARON, E., TUDOR, M. et NELSON, G. (1991), « Close relationships as including other in the self », Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 60, pp. 241-253.
ARROW, K. (1962), « Economic welfare and the allocation of resources for inventions », dans R. NELSON (éditeur) The rate and direction of inventive activity. Princeton, Princeton University Press, pp. 609-626.
ASCH, S. E. (1951), « Effects of group pressure upon the modification and distortion of judgement », dans H. GUETZKOW (éditeur) Groups, leadership and men. Pittsburgh, Carnegie Press, pp. 177-190.
ASCH, S. E. (1971), « Influences interpersonnelle : Les effets de la distorsion des jugements », dans C. FAUCHEUX et S. MOSCOVICI (éditeurs), Psychologie sociale théorique et expérimentale : Recueil de textes choisis et présentés. Paris, Mouton, pp. 235-245.
ASHFORTH, B. E. et MAEL, F. (1989), « Social identity theory and the organization », The Academy of Management Review, Vol. 14, No. 1, pp. 20-39.
ASHFORTH, B. E. et GIBBS, B. W. (1990), « The double-edge of organizational legitimation », Organization Science, Vol. 1, No. 2, pp. 177-194.
BAGWELL, L. S. et BERNHEIM, B. D. (1996), « Veblen effect in a theory of conspicuous consumption », The American Economic Review, Vol. 86, No. 3, pp. 349-373.
BAIZE, D. (1999), « De la contrefaçon à l'imitation », Revue française de Gestion, Vol. 25, No. Juin, pp. 76-81.
BANDEIRA-DE-MELLO, R. et GARREAU, L. (2008), « Possibilités et pièges liés à l'utilisation des logiciels dans le processus d'analyse au travers de la théorie enracinée », XVIIème Conférence Internationale de Management Stratégique (AIMS)
Sophia Antipolis, 28-31 mai.
BANDURA, A. (1977), Social learning theory. Orrville Ohio, Prentice Hall.
BANDURA, A. (1986), Social foundations of thought and action. Englewood Cliffs, NJ, Prenctice-Hall.
BANERJEE, A. V. (1992), « A simple model of herd behavior », The Quaterly Journal of Economics, Vol. 107, No. 3, pp. 797-817.
BARDON, T. (2007), « Quel est le rôle des cabinets de conseil en management dans la dynamique du savoir collectif managérial ? Une approche néo-institutionnelle », XVIème Conférence Internationale de Management Stratégique (AIMS), Montréal, 6-9 juin.
BARNARD, S. (1989), On the radio: Music radio in britain. Milton Keynes: Open University Press.
BARNEY, J. B. (1991), « Firm ressources and sustained competitive advantage », Journal of Management, Vol. 17, No. 1, pp. 99-120.
BARNEY, J. B. (2001), « Is the resource-based "View" A useful perspective for strategic management research? Yes », Academy of Management Review, Vol. 26, No. 1, pp. 41-56.
BARON, J. N., DOBBIN, F. R. et JENNINGS, P. D. (1986), « War and peace: The evolution of modern personnel administration in u.S. Industry », The American Journal of Sociology, Vol. 92, No. 2, pp. 350-383.
BARRETO, I. et BADEN-FULLER, C. (2006), « To conform or to perform? Mimetic behaviour, legitimacy-based groups and performance consequences », Journal of Management Studies, Vol. 43, No. 7, pp. 1559-1581.
BARTHELEMY, J. (2002), « Comment l'externalisation vient aux entreprises », Expansion Management Review, No. mars, pp. 44-53.
Bibliographie
350
BASS, B. M. et STOGDILL, R. M. (1990), Handbook of leadership, theory, research and managerial applications, 3rd New-York, Free-Press.
BATIFOULIER, P. (2001), Théorie des conventions. Economica.
BATIFOULIER, P. et LARQUIER, G. D. (2001), « De la convention et de ses usages », dans P. BATIFOULIER (éditeur) Théorie des conventions. Economica, pp. 10-31.
BAUDONNIERE, P.-M. (1997), Le mimétisme et l'imitation, Vol. 150. Flammarion, « Dominos ».
BAUM, J. A. C. et INGRAM, P. (1998), « Survival-enhancing learning in the manhattan hotel industry, 1898-1980 », Management Science, Vol. 44, No. 7, pp. 996-1016.
BAUM, J. A. C., LI, S. X. et USHER, J. M. (2000), « Making the next move: How experiential and vicarious learning shape locations of chains' acquisitions », Administrative Science Quarterly, Vol. 45, No. 4, pp. 766-801.
BECKER, G. S. (1996), Accounting for tastes. Cambridge, Harvard University Press.
BECKMAN, C. M. et HAUNSCHILD, P. R. (2002), « Network learning: The effects of partners' heterogeneity of experience on corporate acquisitions », Administrative Science Quarterly, Vol. 47, pp. 92-124.
BENNIS, W. (1991), Profession leader. Paris, InterEditions.
BENSEBAA, F. (2000), « Actions stratégiques et réactions des entreprises », M@n@gement, Vol. 3, No. 2, pp. 57-79.
BENSEDRINE, J. et DEMIL, B. (1998), « L'approche néo-institutionnelle des organisations », dans H. LAROCHE et J.-P. NIOCHE (éditeurs), Repenser la stratégie, fondements et perspectives. Institut Vital Roux, Vuibert, pp. 85-110.
BENTHAM, J. (1801), Traité de législation civile et pénale, Vol. 1.
BERLAND, J. (1990), « Radio space and industrial time: Music formats, local narratives and technological mediation », Popular Music, Vol. 9, pp. 179-192.
BERLAND, J. (1993), « Radio space and industrial time: The case of music formats », dans T. BENNETT, S. FRITH, L. GROSSBERG, J. SHEPHERD et G. TURNER (éditeurs), Rock and popular music: Politics, policies, institutions. London and New York, Routledge, pp. 104-118.
BERNHEIM, B. D. (1994), « A theory of conformity », The Journal of Political Economy, Vol. 102, No. 5, pp. 841-877.
BERRY, S. T. et WALDFOGEL, J. (1999a), « Mergers, station entry and programming variety in radio broadcasting », FBER Working Paper, No. 7080.
BERRY, S. T. et WALDFOGEL, J. (1999b), « Free entrey and social inefficiency in radio broadcasting », The RAFD Journal of Economics, Vol. 30, No. 3, pp. 397-420.
BERRY, S. T. et WALDFOGEL, J. (2001), « Do mergers increase product variety? Evidence from radio broadcasting », The Quaterly Journal of Economics, Vol. 116, No. 3, pp. 1009-1025.
BIELBY, W. T. et BIELBY, D. D. (1994), « All hits are flukes: Institutional decision making and the rethoric of network prime-time program development », American Journal of Sociology, Vol. 99, pp. 1287-1313.
BIERLY, P. et CHAKRABARTI, A. (1996), « Generic knowledge strategies in the u.S. Pharmaceutical industry », Strategic Management Journal, Vol. 17, pp. 123-135.
BIKHCHANDANI, S. et SHARMA, S. (2000), « Herd behavior in financial markets: A review », IMF Working Paper, No. 00/48.
BIKHCHANDANI, S., HIRSHLEIFER, D. et WELCH, I. (1992), « A theory of fads, fashion, custom, and cultural change as informational cascades », The Journal of Political Economy, Vol. 100, No. 5, pp. 992-1026.
BIKHCHANDANI, S., HIRSHLEIFER, D. et WELCH, I. (1998), « Learning from others: Conformity, fads and informational cascades », Journal of Economic Perspectives, Vol. 12, pp. 151-170.
BIRD, S. E. (1992), For enquiring minds: A cultural study of supermarket tabloids. Knoxville, University of Tennessee Press.
BLACHAS, C. (2004), « Le show et le froid (édito) », CB Fews, No. 803, p. 4.
BLAIKIE, N. (2007), Approches to social enquiry, 2nd Edition. Cambridge, Polity Press.
Références
351
BOLTANSKI, L. et THEVENOT, L. (1991), De la justification. Les économies de la grandeur. Paris, Gallimard.
BOLTON, M. (1993), « Organizational innovation and substandard performance: When is necessity the mother of innovation ? », Organization Science, Vol. 4, No. 1, pp. 57-75.
BOUDON, R. (1979 [2001]), La logique du social. Paris, Hachette, « Pluriel ».
BOUDON, R. (1999), Le sens des valeurs. Presses Universitaires de France, « Quadrige ».
BOUDON, R. (2003), Raison, bonnes raisons. Philosopher en sciences sociales, Presses Universitaires de France.
BOURGEOIS, C. (2006), « Les déterminants de l'adoption par l'entreprise d'un instrument de management à la mode », XVème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Annecy - Genève, 13-16 juin.
BOURGEOIS, C. (2007), Entreprise et instrument de management : Facteurs d'adoption et difficultés d'appropriation, sous la direction de A. DESREUMAUX. GREMCO, Université des Sciences et Technologies de Lille
BOURGEOIS, L. J., III et EISENHARDT, K. M. (1988), « Strategic decision processes in high velocity environments: Four cases in the microcomputer industry », Management Science, Vol. 34, No. 7, pp. 816-835.
BOWMAN, D. et GATIGNON, H. (1996), « Order of entry as a moderator of the effect of the marketing mix on market share », Marketing Science, Vol. 15, No. 3, pp. 222-242.
BRANDENBURGER, A. et POLAK, B. (1996), « When managers cover their posteriors: Making the decisions the market wants to see », The RAFD Journal of Economics, Vol. 27, No. 3, pp. 523-541.
BRANDES, P., HADANI, M. et GORANOVA, M. (2006), « Stock options expensing: An examination of agency and institutional theory explanations », Journal of Business Research, Vol. 59, No. 5, pp. 595-603.
BRAUN, O. L. et WICKLUND, R. A. (1989), « Psychological antecedents of conspicuous consumption », Journal of Economic Psychology, Vol. 10, No. 2, pp. 161-187.
BREWER, M. B. (1991), « The social self: On being the same and different at the same time », Personality and Social Psychology Bulletin, Vol. 17, pp. 475-482.
BREWER, M. B. (1993), « The role of distinctiveness in social identity and group behavior », dans M. A. HOGG et D. ABRAMS (éditeurs), Group motivation. London, Harvester Wheatsheaf, pp. 1-16.
BREWER, M. B. et GARDNER, W. (1996), « Who is this "We"? Levels of collective identity and self representations », Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 71, No. 1, pp. 83-93.
BROADBENT, J., JACOBS, K. et LAUGHLIN, R. (2001), « Organisational resistance strategies to unwanted accounting and finance changes: The case of general medical practice in the uk », Accounting, Auditing & Accountability Journal, Vol. 14, No. 5, pp. 565-586.
BROCHAND, C. (2006), Histoire générale de la radio et de la télévision en france - tome iii 1974-2000. La documentation Française.
BROWN, R. (2000), Group processes, 2nd. Blackwell.
BURNS, L. R. et WHOLEY, D. R. (1993), « Adoption and abandonment of matrix management programs: Effects of organizational characteristics and interorganizational networks », Academy of Management Journal, Vol. 36, No. 1, pp. 106-138.
BURT, R. S. (1982), Toward a structural theory of action. New York, Academic.
BURT, R. S. (1983), « Cohesion versus structural equivalence as a basis for network subgroups », dans R. S. BURT et J. MINOR (éditeurs), Applied network analysis. Bverly Hills, Sage, pp. 262-282.
BURT, R. S. (1987), « Social contagion and innovation: Cohesion versus structural equivalence », The American Journal of Sociology, Vol. 92, No. 6, pp. 1287-1335.
CALLON, M. (éd.), (1998), The laws of the markets. Oxford, Blackwell.
CALVO-RYBA, J. (2004), La dynamique du dirigeant au quotidien : Une analyse en termes de rôles., sous la direction de P. ROMELAER. CREPA, Université Paris Dauphine.
CAMPBELL, J. L. (2004), Institutional change and globalization: Exploring problems in the new institutional analysis. Priceton, Princeton University Press.
Bibliographie
352
CAPPS, R. (2009), « The good enough revolution », Wired, Vol. 17, No. 09, pp. 110-118.
CARPENTER, G. S. et NAKAMOTO, K. (1989), « Consumer preference formation and pioneering advantage », Journal of Marketing Research, Vol. 26, No. 3, pp. 285-298.
CHANAL, V. (2009), « La stratégie en pratiques », dans G. SCHMIDT (éditeur) Le management : Fondements et renouvellements. Editions Sciences Humaines, pp. 42-50.
CHARMAZ, K. (2000), « Grounded theory: Objectivist and constructivist methods », dans N. K. DENZIN et Y. S. LINCOLN (éditeurs), Handbooks of qualitative research, 2nd. Thousand Oaks, Ca., Sage, pp. 509-535.
CHARREAUX, G. (1999), « La théorie positive de l'agence : Lectures et relectures », dans G. KOENIG (éditeur) De nouvelles théories pour gérer l'entreprise du xxie siècle. Economica, pp. 61-141.
CHARREIRE, S. et DURIEUX, F. (2003), « Explorer et tester : Deux voies pour la recherche », dans R.-A. THIETART (éditeur) Méthodes de recherche en management, 2ème édition. Dunod.
CHEVAL, J.-J. (1997), Les radios en france : Histoire, état et enjeux. Rennes, Apogée.
CHIA, R. et MACKAY, B. (2007), « Post-processual challenges for the emerging strategy-as-practice perspective: Discovering strategy in the logic of practice », Human Relations, Vol. 60, No. 1, pp. 217-242.
CHIAPPORI, P.-A. (2004), « Anticipations rationnelles et conventions », dans A. ORLEAN (éditeur) Analyses économiques des conventions, 2ème. Quadrige / Presses Universitaires de France, pp. 102-117.
CHO, D.-S., KIM, D.-J. et RHEE, D. K. (1998), « Latecomer strategies: Evidence from the semiconductor industry in japan and korea », Organization Science, Vol. 9, No. 4, pp. 489-505.
CIALDINI, R. B. et GOLDSTEIN, N. J. (2004), « Social influence: Compliance and conformity », Annual Review of Psychosociology, Vol. 55, pp. 591-621.
COHEN, J. (1960), « A coefficient of agreement for nominal scales », Educational and Psychological Measurement, Vol. 20, No. 1, pp. 37-46.
COHEN, W. M. et LEVINTHAL, D. A. (1990), « Absorptive capacity: A new perspective on learning and innovation », Administrative Science Quarterly, Vol. 35, No. 1, pp. 128-152.
COLEMAN, J. S., KATZ, E. et MENZEL, H. (1966), Medical innovation. New York, Bobbs-Merrill.
CONNER, K. R. (1995), « Obtaining strategic advantage from being imitated: When can encouraging 'clones' pay? », Management Science, Vol. 41, No. 2, pp. 209-225.
COOK, T. E. (2005), Governing with the news: The news media as a political institution. Chicago, The University of Chicago Press.
COOL, K., ROLLER, L.-H. et LELEUX, B. (1999), « The relative impact of actual and potential rivalry on firm profitability in the pharmaceutical industry », Strategic Management Journal, Vol. 20, No. 1, pp. 1-14.
COOLEY, C. H. (1902), Human nature and the social order, 1964. New York, Schoken Books.
COOPER, R. (1982), « New product success in industrial firms », Industrial Marketing Management, Vol. 11, No. 3, pp. 215-223.
COYNE, K. P. (1986), « Sustainable competitive advantage – what it is what it isn’t ? », Business Horizons, Vol. 9, No. 1, pp. 54-61.
CROCQ, L., DOUTHEAU, C. et SAILHAN, M. (1987), « Les réactions émotionnelles dans les catastrophes », Encycl. méd. chir., Psychiatrie, Vol. 37 113 D, No. 2.
CYERT, R. M. et MARCH, J. G. (1963), A behavioral theory of the firm. Englewood Cliffs, Prentice Hall.
D'AVENI, R. (1995), Hypercompetition. Vuibert.
DACIN, M. T. (1997), « Isomorphism in context: The power and prescription of institutional norms », The Academy of Management Review, Vol. 40, No. 1, pp. 46-81.
DAFT, R. L., SORMUNEN, J. et DON, P. (1988), « Chief executive scanning, environmental characteristics, and company performance: An empirical study », Strategic Management Journal, Vol. 9, No. 2, pp. 123-139.
DAMERON, S. et TORSET, C. (2009), « Strategists in an uncertain world : Practices and tools to face tensions », Strategic Management Society Annual Conference. Session 122 : “Strategizing in uncertain times”, Washington DC.
Références
353
DARR, E. D., ARGOTE, L. et EPPLE, D. (1995), « The acquisition, transfer and depreciation of knowledge in service organizations: Productivity in franchises », Management Science, Vol. 42, pp. 1750-1762.
DAVIDSON, C. et SEGERSTROM, P. (1998), « R&d subsidies and economic growth », The RAFD Journal of Economics, Vol. 29, No. 3, pp. 548-577.
DAVIS, G. F. (1991), « Agents without principles? The spread of the poison pill through the intercorporate network », Administrative Science Quarterly, Vol. 36, No. 4, pp. 583-613.
DAVIS, G. F. et GREVE, H. R. (1997), « Corporate elite networks and governance changes in the 1980s », The American Journal of Sociology, Vol. 103, No. 1, pp. 1-37.
DAVIS, P. S., DESAI, A. B. et FRANCIS, J. D. (2000), « Mode of international entry: An isomorphism perspective », Journal of International Business Studies, Vol. 31, No. 2, pp. 239-258.
DAWKINS, R. (1978), Le gène égoïste. Paris, Editions Menges.
DAWKINS, R. et BLACKMORE, S. J. (2006), The meme machine, 2nd. Oxford University Press.
DE VOS, A., LOBET-MARIS, C. et ROUSSEAU, A. (2005), « Diversité et similitudes des stratégies de gestion des connaissances : Pour une lecture conventionnaliste », XIVème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Angers-Nantes, 6-9 juin.
DEEPHOUSE, D. L. (1996), « Does isomorphism legitimate? », The Academy of Management Journal, Vol. 39, No. 4, pp. 1024-1039.
DEEPHOUSE, D. L. (1999), « To be different, or to be the same? It's a question (and theory) of strategic balance », Strategic Management Journal, Vol. 20, No. 2, pp. 147-166.
DEJEAN, F. (2005), L'investissement socialement responsable : Etude du cas français. Vuibert (Fnege).
DELIOS, A. et HENISZ, W. J. (2003), « Policy uncertainty and the sequence of entry by japanese firms, 1980-1998 », Journal of International Business Studies, Vol. 34, No. 3, pp. 227-241.
DELIOS, A., GAUR, A. S. et MAKINO, S. (2008), « The timing of international expansion: Information, rivalry and imitation among japanese firms, 1980–2002 », Journal of Management Studies, Vol. 45, No. 1, pp. 169-195.
DEMERS, C. (2003), « L'entretien », dans Y. GIORDANO (éditeur) Conduire un projet de recherche, une perspective qualitative. Editions EMS (Management & Société), pp. 173-210.
DEMIL, B. et LECOCQ, X. (2006), « La malédiction des suiveurs : Mimétisme, mortalité et lock-in cognitif », XVème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Annecy - Genève, 13-16 juin.
DEMSETZ, H. (1973), « Industry structure, market rivalry, and public policy », Journal of Law & Economics, Vol. 16, No. 2, pp. 413-415.
DENRELL, J. (2003), « Vicarious learning, undersampling of failure, and the myths of management », Organization Science, Vol. 14, No. 3, pp. 227-243.
DESARBO, W. S. et GREWAL, R. (2008), « Hybrid strategic groups », Strategic Management Journal, Vol. 29, No. 3, pp. 293-317.
DESCHENAUX, F. (2007), Guide d'introduction au logiciel qsr nvivo 7. Trois-Rivières, Association pour la recherche qualitative.
DESMOND, J. et KAVANAGH, D. (2003), « Organization as containment of acquisitive mimetic rivalry: The contribution of rené girard », Culture and Organisation, Vol. 9, No. 4, pp. 239-251.
DESREUMAUX, A. (2004), « Théorie néo-institutionnnelle, management stratégique et dynamique des organisations », dans I. HUAULT (éditeur) Institutions et gestion. Vuibert (Fnege), pp. 29-47.
DIERICKX, I. et COOL, K. (1989), « Asset stock accumulation and sustainability of competitive advantage », Management Science, Vol. 35, No. 12, pp. 1504-1511.
DIMAGGIO, P. J. (1988), « Interest and agency in institutional theory », dans L. ZUCKER (éditeur) Institutional patterns and organizations. Cambridge, Ballinger, pp. 3-22.
DIMAGGIO, P. J. (1995), « Comments on "What theory is not" », Administrative Science Quarterly, Vol. 40, No. 3, pp. 391-397.
Bibliographie
354
DIMAGGIO, P. J. et POWELL, W. W. (1983), « The iron cage revisited: Institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields », American Sociological Review, Vol. 48, No. 2, pp. 147-160.
DIMAGGIO, P. J. et POWELL, W. W. (1991), The new institutionalism in organisational analysis. The University of Chicago Press.
DOOSJE, B., ELLEMERS, N. et SPEARS, R. (1999), « Commitment and intergroup behavior », dans N. ELLEMERS, R. SPEARS et B. DOOSJE (éditeurs), Social identity. Blackwell.
DORNIER, R. (2004), Représentations concurrentielles, groupes stratégiques et performance : Le cas du secteur français de la production de voyages, sous la direction de B. D. MONTMORILLON. CREPA, Université Paris Dauphine.
DOS SANTOS, B. L. et PEFFERS, K. (1998), « Competitor and vendor influence on the adoption of innovative applications in electronic commerce », Information & Management, Vol. 34, No. 3, pp. 175-184.
DOUGLAS, D. (2003), « Grounded theories of management: A methodological review », Management Research Fews, Vol. 26, No. 5, pp. 44-52.
DUMEZ, H. et JEUNEMAITRE, A. (1995), « Savoirs et décisions : Réflexions sur le mimétisme stratégique », dans F. CHARUE-DUBOC (éditeur) Des savoirs en action : Contribution de la recherche en gestion. L'Harmattan.
DUMEZ, H. et JEUNEMAITRE, A. (1996), « Information et décision stratégique en situation d'oligopole : L'exemple du secteur cimentier », Revue Economique, Vol. 47, No. 4, pp. 995-1012.
DUMOULIN, R. et SIMON, E. (2005), « Stratégie de rupture et pme : La réplication impossible », Revue française de Gestion, No. 155, pp. 75-95.
DUNCAN, R. B. (1972), « Characteristics of organizational environments and perceived environmental uncertainty », Administrative Science Quarterly, Vol. 17, No. 313-327.
DUPUY, J.-P. (1989), « Convention et common knowledge », Revue Economique, No. 2, pp. 361-400.
DUPUY, J.-P. (2003), La panique. Les empêcheurs de penser en rond, Le Seuil.
DURAND, R. et CALORI, R. (2006), « Sameness, otherness? Enriching organizational change theories with philisophical considerations on the same and the other », The Academy of Management Review, Vol. 31, No. 1, pp. 93-114.
DUTTON, J. E. et JACKSON, S. E. (1987), « Categorizing strategic issues: Links to organizational action », The Academy of Management Review, Vol. 12, pp. 76-90.
DUTTON, J. E. et DUKERICH, J. M. (1991), « Keeping an eye on the mirror: The role of image and identity in organizational adaptation », The Academy of Management Journal, Vol. 34, No. 3, pp. 517-554.
DUTTON, J. E., DUKERICH, J. M. et HARQUAIL, C. V. (1994), « Organizational images and member identification », Administrative Science Quarterly, Vol. 39, No. 2, pp. 239-263.
DUTTON, J. M. et FREEDMAN, R. D. (1985), « External environment and internal strategies: Calculating, experimenting, and imitating in organizations », Advances in Strategic Management, Vol. 3, pp. 39-67.
EAPEN, A. et KRISHNAN, R. (2009), « Conform or rebel: When does keeping to the rules enhance firm performance? », Canadian Journal of Administrative Sciences, Vol. 26, No. 2, pp. 95-108.
EHRMANN, J. (1963), « Mensonge romantique et vérité romanesque by rené girard », The French Review, Vol. 37, No. 1, pp. 111-112.
EISENHARDT, K. M. (1989), « Agency theory: An assessment and review », The Academy of Management Review, Vol. 14, No. 1, pp. 13-47.
ELSBACH, K. D. (1999), « An expended model of organizationnal identification », Research in Organizational Behavior, Vol. 21, pp. 163-200.
ERNER, G. (2008), Sociologie des tendances. Que sais-je ? Presses Universitaires de France.
ESPELAND, W. N. et HIRSCH, P. M. (1990), « Ownership changes, accounting practice and the redefinition of the corporation », Accounting, Organizations and Society, Vol. 15, No. 1-2, pp. 77-96.
FARRELL, J. et SALONER, G. (1985), « Standardization, compatibility, and innovation », The RAFD Journal of Economics, Vol. 16, No. 1, pp. 70-83.
Références
355
FAVEREAU, O. (1989), « Marchés internes, marchés externes », Revue Economique, Vol. 40, No. 2, pp. 273-328.
FAYOL, H. (1916), Administration industrielle et générale. Paris, Bulletin de la Société de l'Industrie Minérale.
FESTINGER, L. (1954), « A theory of social comparison processes », Human Relations, Vol. 7, pp. 117-140.
FIEGENBAUM, A. et THOMAS, H. (1995), « Strategic groups as reference groupes: Theory, modeling and empirical examination of industry and competitive strategy », Strategic Management Journal, Vol. 16, No. 6, pp. 461-476.
FILLOL, C. (2006), L'émergence de l'entreprise apprenante et son instrumentalisation : Etudes de cas chez edf, sous la direction de B. D. MONTMORILLON. CREPA, Université Paris Dauphine.
FILLOL, C. (2007), « Des choix méthodologiques à la production de connaissances opérationnelles », Colloque " Méthodes de recherche innovantes pour créer des connaissances valides et opérationnelles " (Academy of Management - RMD), Lyon, 26-28 mars.
FIOL, C. H. et HUFF, A. S. (1992), « Maps for managers: Where are we? Where do we go from here ? », Journal of Management Studies, Vol. 29, No. 3, pp. 267-285.
FISHER, M. (2007), Something in the air: Radio, rock and the revolution that shaped a generation. Random House.
FLICHY, P. (2004), Une histoire de la communication moderne : Espace public et vie privée. La découverte.
FLIGSTEIN, N. (1985), « The spread of the multidivisional form among large firms: 1919-1979. », American Sociological Review, Vol. 50, pp. 377-391.
FLIGSTEIN, N. (1990), The transformation of corporate control. Cambridge, Mass., Harvard University Press.
FLIGSTEIN, N. (1991), « The structural transformation of american industry: The causes of diversification in the largest firms, 1919-1979 », dans W. W. POWELL et P. J. DIMAGGIO (éditeurs), The new institutionalism in organizational analysis. Chicago, University of Chicago Press, pp. 311-336.
FLOWERS, E. B. (1976), « Oligopolistic reactions in european and canadian direct investment in the united states », Journal of International Business Studies, Vol. 7, pp. 43-55.
FORGUES, B. et LOOTVOET, E. (2006), « Avantage concurrentiel durable, imitation et ambiguïté causale », Revue française de Gestion, Vol. 32, No. 165, pp. 197-209.
FRENCH, R. J. et RAVEN, B. (1959), « The biases of social power », dans D. CARTWRIGHT (éditeur) Studies in social power. Ann Arbord, MI, University of Michigan Press, pp. 150-167.
FREUD, S. (1921 [2006]), « Psychologie des foules et analyse du moi », dans Essais de psychanalyse. Petite bibliothèque Payot, pp. 129-242.
GALASKIEWICZ, J. et WASSERMAN, S. (1989), « Mimetic processes within an interorganizational field: An empirical test », Administrative Science Quarterly, Vol. 34, No. 3, pp. 454-479.
GANS, H. J. (1979 [2004]), Deciding what's news: A study of cbs evening news, nbn nightly news, newsweek and time, 2004. Northwestern University Press, « Visions of the american press s. ».
GARCÍA-MUIÑA, F. E., PELECHANO-BARAHONA, E. et NAVAS-LÓPEZ, J. E. (2008), « Knowledge codification and technological innovation success: Empirical evidence from spanish biotech companies », Technological Forecasting & Social Change, No. in press.
GARCIA-PARPET, M.-F. (1986), « La construction sociale d’un marché parfait : Le marché au cadran de fontaine-en-sologne », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, No. 65.
GARCIA-PONT, C. et NOHRIA, N. (2002), « Local versus global mimetism: The dynamics of alliance formation in the automobile industry », Strategic Management Journal, Vol. 23, No. 4, pp. 307-321.
GAVARD-PERRET, M.-L. et HELME-GUIZON, A. (2008), « Choisir parmi les techniques spécifiques d'analyse qualitative », dans M.-L. GAVARD-PERRET, D. GOTTELAND, C. HAON et A. JOLIBERT (éditeurs), Méthodologie de la recherche, réussir son mémoire ou sa thèse en sciences de gestion. Pearson Education.
GELETKANYCZ, M. A. et HAMBRICK, D. C. (1997), « The external ties of top executives: Implications for strategic choice and performance », Administrative Science Quarterly, Vol. 42, No. 4, pp. 654-681.
GENSE, P. (2003), « Introduction générale », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck.
Bibliographie
356
GIBBS, G. R. (2002), Qualitative data analysis : Explorations with nvivo. Open University Press McGraw-Hill Education, « Understanding social research ».
GIBBS, G. R. (2003), « Caqdas (computer-assisted qualitative data analysis software) », dans M. S. LEWIS-BECK, A. E. BRYMAN et T. F. LIAO (éditeurs), Sage encyclopedia of social science research methods. Sage Publications, pp. 87-89.
GILL, J. et WHITTLE, S. (1992), « Management by panacea », Journal of Management Studies, Vol. 30, No. 2, pp. 281-295.
GIRARD, R. (1961), Mensonge romantique et vérité romanesque, 1999. Hachette Littérature, « Pluriel ».
GIRARD, R. (1972), La violence et le sacré. Paris, Bernard Grasset.
GIRARD, R. (1978), Des choses cachées depuis la fondation du monde. Grasset.
GIRARD, R. (1982), Le bouc émissaire. Paris, Grasset.
GIRARD, R. (2003), Le sacrifice. Bibliothèque nationale de France, « Conférences del duca ».
GIROUX, H. (2006), « It was such a handy term: Management fashions and pragmatic ambiguity », Journal of Management Studies, Vol. 43, No. 6, pp. 1227-1260.
GLASER, B. G. (1978), Theoretical sensitivity. Advances in the methodology of grounded theory. Mill Valley (Ca), The Sociology Press.
GLASER, B. G. (1992), Emergence vs. Forcing: Basics of grounded theory analysis. Mill Valley (Ca), Sociology Press.
GLASER, B. G. (2002), « Constructivist grounded theory? », Forum Qualitative Social Research, Vol. 3, No. 3.
GLASER, B. G. et STRAUSS, A. L. (1967), The discovery of grounded theory : Strategies for qualitative research. New-York, Aldine de Gruyter.
GLEVAREC, H. (2005), « Youth radio as "Social object": The social meaning of "Free radio" Shows for young people in france », Media, Culture and Society, Vol. 27, No. 3, pp. 333-351.
GOLDER, P. et TELLIS, G. (1993), « Pioneering advantage: Marketing logic or marketing legend », Journal of Marketing Research, Vol. 30, No. 158-170.
GOLSORKHI, D. (2006a), La fabrique de la stratégie : Une perspective multidimensionnelle. Institut Vital Roux - Vuibert.
GOLSORKHI, D. (2006b), « Vers une compréhension pratique de la pratique stratégique », dans D. GOLSORKHI (éditeur) La fabrique de la stratégie : Une perspective multidimensionnelle. Institut Vital Roux, Vuibert, pp. 9-26.
GOMEZ, M.-L. (2006), « La fabrique de la stratégie dans la dynamique champ-habitus-pratique », dans D. GOLSORKHI (éditeur) La fabrique de la stratégie : Une perspective multidimensionnelle. Institut Vital Roux - Vuibert, pp. 65-79.
GOMEZ, P.-Y. (1994), Qualité et théorie des conventions. Paris, Economica.
GOMEZ, P.-Y. (1996), Le gouvernement de l'entreprise. Paris, InterEditions.
GOMEZ, P.-Y. (1997), « Informations et conventions : Le cadre du modèle général », Revue française de Gestion, No. 112, pp. 64-77.
GOMEZ, P.-Y. (1999), « De quoi parte-t-on lorsque l'on parle de conventions ? », Les cahiers de l'Artemis, No. 2, pp. 131-147.
GOMEZ, P.-Y. et JONES, B. C. (2000), « Conventions: An interpretation of deep structure in organizations », Organization Science, Vol. 11, No. 6, pp. 696-708.
GRANOVETTER, M. (1978), « Threshold models of collective behavior », American Journal of Sociology, Vol. 83, No. 6, pp. 1420-1443.
GRANOVETTER, M. (1985), « Economic action and social structure: The problem of embeddedness », The American Journal of Sociology, Vol. 91, No. 3, pp. 481-510.
GRANOVETTER, M. (2000a), « Action économique et structure sociale : Le problème de l'encastrement », dans Le marché autrement. Desclée de Brouwer, « Sociologie économique », pp. 75-114.
Références
357
GRANOVETTER, M. (2000b), « Modèles de seuils de comportement collectif », dans Le marché autrement. Desclée de Brouwer, « Sociologie économique ».
GRANOVETTER, M. (2000c), Le marché autrement, essais de mark granovetter. Desclée de Brouwer, « Sociologie economique ».
GRAWITZ, M. (2001), Méthodes des sciences sociales, 11ème édition. Dalloz.
GREVE, H. R. (1995), « Jumping ship: The diffusion of strategy abandonment », Administrative Science Quarterly, Vol. 40, No. 3, pp. 444-473.
GREVE, H. R. (1996), « Patterns of competition: The diffusion of a market position in radio broadcasting », Administrative Science Quarterly, Vol. 41, No. 1, pp. 29-60.
GREVE, H. R. (1998), « Managerial cognition and the mimetic adoption of market positions: What you see is what you do », Strategic Management Journal, Vol. 19, No. 10, pp. 967-988.
GREVE, H. R. (2000), « Market niche entry decisions: Competition, learning, and strategy in tokyo banking, 1894-1936 », The Academy of Management Journal, Vol. 43, No. 5, pp. 816-836.
GROTE, J. (2003), « Conflicting generations: A new theory of family business rivalry », Family Business Review, Vol. 16, No. 2, pp. 113-124.
GROTE, J. et MCGEENEY, J. (1997), Clever as serpents: Business ethics and office politics. Collegeville, MN, Liturgical Press.
GUILLÉN, M. F. (2002), « Structural inertia, imitation, and foreign expansion: South korean firms and business groups in china, 1987-95 », Academy of Management Journal, Vol. 45, No. 3, pp. 509-525.
GUILLÉN, M. F. (2003), « Experience, imitation, and the sequence of foreign entry: Wholly owned and joint-venture manufacturing by south korean firms and business groups in china, 1987-1995 », Journal of International Business Studies, Vol. 34, No. 2, pp. 185-198.
GULER, I., GUILLÉN, M. F. et MACPHERSON, J. M. (2002), « Global competition, institutions, and the diffusion of organizational practices: The international spread of iso 9000 quality certificates », Administrative Science Quarterly, Vol. 47, No. 2, pp. 207-232.
GYGAX, A. F. et GRIFFITHS, A. (2007), « Do venture capitalists imitate portfolio size? », Financial Markets and Portfolio Management, Vol. 21, No. 1, pp. 69-94.
HANNAN, M. T. et FREEMAN, J. (1977), « The population ecology of organizations », The American Journal of Sociology, Vol. 82, No. 5, pp. 929-964.
HANNAN, M. T. et CAROLL, G. R. (1992), Dynamics of organizational populations. New-York, Oxford University Press.
HARDIN, G. (1968), « The tragedy of the commons », Science, Vol. 162, pp. 1243-1248.
HASSELBLADH, H. et KALLINIKOS, J. (2000), « The project of rationalization: A critique and reappraisal of neo-institutionalism in organization studies », Organization Studies, Vol. 21, No. 4, pp. 697-720.
HAUNSCHILD, P. R. (1993), « Interorganizational imitation: The impact of interlocks on corporate acquisition activity », Administrative Science Quarterly, Vol. 38, No. 4, pp. 564-592.
HAUNSCHILD, P. R. (1994), « How much is that company worth?: Interorganizational relationships, uncertainty, and acquisition premiums », Administrative Science Quarterly, Vol. 39, No. 3, pp. 391-411.
HAUNSCHILD, P. R. et MINER, A. S. (1997), « Modes of interorganizational imitation: The effect of outcome salience and uncertainty », Administrative Science Quarterly, Vol. 42, No. 3, pp. 472-500.
HAUNSCHILD, P. R. et BECKMAN, C. M. (1998), « When do interlocks matter?: Alternate sources of information and interlock influence », Administrative Science Quarterly, Vol. 43, No. 4, pp. 815-844.
HAUNSCHILD, P. R. et SULLIVAN, B. N. (2002), « Learning from complexity: Effects of prior accidents and incidents on airlines' learning », Administrative Science Quarterly, Vol. 47, No. 4, pp. 609-643.
HAVEMAN, H. A. (1993), « Follow the leader: Isomorphism and entry into new markets », Administrative Science Quarterly, Vol. 38, No. 4, pp. 593-627.
HEDSTRÖM, P. (1998), « Rational imitation », dans P. HEDSTRÖM et R. SWEDBERG (éditeurs), Social mechanisms: An analytical approach to social theory. Cambridge University Press, pp. 306-327.
Bibliographie
358
HENISZ, W. J. et DELIOS, A. (2001), « Uncertainty, imitation, and plant location: Japanese multinational corporations, 1990-1996 », Administrative Science Quarterly, Vol. 46, No. 3, pp. 443-475.
HIRIGOYEN, G. (2007), « Biais comportementaux et mécanismes régulateurs dans la succession de l'entreprise familiale », Revue Française de Gouvernance d'Entreprise, Vol. 1, No. 1, pp. 67-90.
HIRSCH, P. M. (1986), « From ambushes to golden parachutes: Corporate takeovers as an instance of cultural framing and institutional integration », The American Journal of Sociology, Vol. 91, No. 4, pp. 800-837.
HIRSH, P. M. (1972), « Processing fads and fashions: An organization-set analysis of cultural industry systems », American Journal of Sociology, Vol. 77, pp. 639-659.
HIRSHLEIFER, D. (2001), « Investor psychology and asset pricing », Journal of Finance, Vol. 64, pp. 1533-1597.
HIRSHLEIFER, D. et TEOH, S. H. (2003), « Herd behaviour and cascading in capital markets: A review and synthesis », European Financial Management, Vol. 9, No. 1, pp. 25-66.
HIRSHLEIFER, D., SUBRAHMANYAM, A. et TITMAN, S. (1994), « Security analysis and trading patterns: When some investors receive information before others », Journal of Finance, Vol. 49, No. 5, pp. 1665-1698.
HITT, M. A., IRELAND, R. D. et HOSKISSON, R. E. (2007), Strategic management: Competitiveness and globalization. Mason, OH, Thomson South-Western.
HITT, M. A., TIHANYI, L., MILLER, T. et CONNELLY, B. (2006), « International diversification: A review of recent research on antecedents, moderators, and outcomes », Journal of Management, Vol. 32, No. 6, pp. 831-867.
HOGG, M. A. (2001), « Social categorization and group behavior », dans M. A. HOGG et S. TINDALE (éditeurs), Blackwell handbooks of social psychology: Group processes.
HOGG, M. A. (2003), Social psychology. Volume 3, people in groups. London, Sage.
HOGG, M. A. et HAINS, S. C. (1996), « Intergroup relations and group solidarity: Effects of group identification and social beliefs on depersonalized attraction », Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 70, pp. 295-309.
HOPPE, H. C. (2000), « Second-mover advantages in the strategic adoption of new technology under uncertainty », International Journal of Industrial Organization, Vol. 18, pp. 315-338.
HUAULT, I. (2002), « Paul dimaggio et walter w. Powell : Des organisations en quête de légitimité », dans S. CHARREIRE et I. HUAULT (éditeurs), Les grands auteurs en management. Editions EMS, pp. 100-112.
HUAULT, I. (2004a), Institutions et gestion. Paris, Vuibert (FNEGE).
HUAULT, I. (2004b), « Une analyse des réseaux sociaux est-elle utile pour le management ? Puissance et limites d'une théorie de l'encastrement structural », dans I. HUAULT (éditeur) Institutions et gestion. Paris, Vuibert (FNEGE).
HUBER, G. P. (1991), « Organizational learning: The contributing processes and the literatures », Organization Science, Vol. 2, No. 1, pp. 88-115.
HUCZYNSKI, A. (1993), « Exploring the succession of management fads », The International Journal of Human Resources Management, Vol. 4, No. 2, pp. 443-463.
HUFF, A. S. (1982), « Industry influences on strategy reformulation », Strategic Management Journal, Vol. 3, No. 2, pp. 119-131.
HUN, L., SMITH, K. G., GRIMM, C. M. et SCHOMBURG, A. (2000), « Timing, order and durability of new product advantages with imitation », Strategic Management Journal, Vol. 21, No. 1, p. 23.
HUNT, M. S. (1972), Competition in the major home appliances industry, 1960-70. Graduate School of Business Administration, Harvard University.
HWANG, H. et POWELL, W. W. (2005), « Institutions and entrepreneurship », dans S. ALVAREZ, R. AGRAWAL et O. SORENSON (éditeurs), Handbook of entrepreneurial research. Kluwer Publishers.
HYMAN, H. H. (1942), « The psychology of status », Archives of Psychology, Vol. 269, pp. 5-91.
INGRAM, P. et BAUM, J. A. C. (1997), « Opportunity and constraint: Organizations' learning from the operating and competitive experience of industries », Strategic Management Journal, Vol. 18, pp. 75-98.
ISAAC, H. (1996a), Les codes de déontologie, outil de gestion de la qualité dans les services professionnels, sous la direction de B. DE MONTMORILLON. CREPA, Université Paris Dauphine.
Références
359
ISAAC, H. (1996b), « L'apport de la théorie des conventions à l'analyse de la qualité dans les services », Cahier de recherche CREPA, Vol. 36.
ISAAC, H. (2000), « Qualités, qualification des acteurs et gestion de la qualité : Le cas des services professionnels », Les cahiers de l'Artémis, No. 2.
ISAAC, H. (2003), « Paradoxes et conventions », dans V. PERRET et E. JOSSERAND (éditeurs), Paradoxes et organisations. Ellipses, pp. 147-163.
JARZABKOWSKI, P. (2004), « Strategy as practice: Recursiveness, adaptation, and practices-in-use », Organization Studies, Vol. 25, No. 4, pp. 529-560.
JARZABKOWSKI, P. (2005), Strategy as practice: An activity-based approach. London, Sage.
JARZABKOWSKI, P. et SEIDL, D. (2008), « The role of meetings in the social practice of strategy », Organization Studies, Vol. 29, No. 11, pp. 1391-1426.
JARZABKOWSKI, P. et SPEE, A. P. (2009), « Strategy-as-practice: A review and future directions for the field », International Journal of Management Reviews, Vol. 11, No. 1, pp. 69-95.
JARZABKOWSKI, P., BALOGUN, J. et SEIDL, D. (2007), « Strategizing: The challenges of a practice perspective », Human Relations, Vol. 60, No. 1, pp. 5-27.
JENSEN, M. C. (1983), « Organization theory and methodology », Accounting Review, Vol. 58, No. April, pp. 319-339.
JENSEN, M. C. et SMITH, C. W. (1985), « Stockholder, manager and creditor interests: Application of agency theory », dans E. I. ALTMAN et M. G. SUBRAHMANYAM (éditeurs), Recent advances in corporate finance. pp. 91-131.
JENSEN, M. C. et MECKLING, W. H. (1994), « The nature of man », Journal of Applied Corporate Finance, Vol. 7, No. 2, pp. 4-19.
JENSEN, M. C. et MECKLING, W. H. (1998), « The nature of man », dans M. C. JENSEN (éditeur) Foundations of organizational strategy. Cambridge, London, Harvard University Press, pp. 11-38.
JEPPERSON, R. L. (1991), « Institutions, institutional effects, and institutionalism », dans W. W. POWELL et P. J. DIMAGGIO (éditeurs), The new institionalism in organizational analysis. Chicago, London, The University of Chicago Press, pp. 143-163.
JETTEN, J., SPEARS, R. et MANSTEAD, A. S. R. (1999), « Group distinctiveness and intergroup discrimination », dans N. ELLEMERS, R. SPEARS et B. DOOSJE (éditeurs), Social identity. Blackwell, pp. 107-126.
JOHNSON, D. R. et HOOPES, D. G. (2003), « Managerial cognition, sunk costs, and the evolution of industry structure », Strategic Management Journal, Vol. 24, pp. 1057-1068.
JOHNSON, G., MELIN, L. et WHITTINGTON, R. (2003), « Micro strategy and strategizing towards an activity-based view », Journal of Management Studies, Vol. 40, No. 1, pp. 3-22.
JOHNSON, G., SCHOLES, K., WHITTINGTON, R. et FRÉRY, F. (2005), Stratégique, 7ème. Pearson Education.
JOHNSON, G., LANGLEY, A., MELIN, L. et WHITTINGTON, R. (2007), Strategy as practice: Research directions and resources. Cambridge University Press.
JONES, S. R. G. (1984), The economics of conformism. Oxford, Blackwell.
KALYANARAM, G., ROBINSON, W. T. et URBAN, G. L. (1995), « Order of market entry: Established empirical generalizations, emerging empirical generalizations, and future research », Marketing Science, Vol. 14, No. 3, pp. G212-G221.
KATZ, M. L. et SHAPIRO, C. (1985), « Network externalities, competition and compatibility », American Economic Review, Vol. 75, pp. 424-440.
KELLE, U. (2005), « "Emergence" Vs "Forcing" Of empirical data ? A crucial problem of "Grounded theory" Reconsidered », Forum Qualitative Social Research, Vol. 6, No. 2.
KERIN, R. A., VARADARAJAN, P. R. et PATERSON, R. A. (1992), « First-mover advantage: A synthesis, conceptual framework and research propositions », Journal of Marketing, Vol. 56, No. 4, pp. 33-52.
KEYNES, J. M. (1921), Treatise on probability. Macmillan And Co.
KEYNES, J. M. (1934 [1969]), Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie. Payot.
Bibliographie
360
KEYNES, J. M. (1937 [2002]), « La théorie générale de l'emploi », dans J. M. KEYNES (éditeur) La pauvreté dans l'abondance. Gallimard, pp. 240-260.
KHANNA, N. (1997), « Optimal contracting with moral hazard and cascading », Review of Financial Studies, Vol. 11, pp. 559-596.
KHANNA, N. et SLEZAK, S. L. (2000), « The effect of organizational form on information aggregation and project choice: The problem of informational cascades », Journal of Economics and Management Strategy, Vol. 9, pp. 115-156.
KING, A. W. et ZEITHAML, C. P. (2001), « Competencies and firm performance: Examining the causal ambiguity paradox », Strategic Management Journal, Vol. 24, No. 1, pp. 763-772.
KING, A. W. et ZEITHAML, C. P. (2003), « Measuring organizational knowledge: A conceptual and methodological framework », Strategic Management Journal, Vol. 24, No. 8, pp. 763-772.
KLEIN, H. K. et MYERS, M. D. (1999), « A set of principles for conducting and evaluating interpretive field in information systems », MIS Quaterly, Vol. 23, No. 1, pp. 67-94.
KNIGHT, F. (1921), Risk, uncertainty and profit. Boston, Houghton Mifflin.
KOENIG, G. (1993), « Production de la connaissance et constitution des pratiques organisationnelles », Revue de Gestion des Ressources Humaines, No. 9 (novembre), pp. 4-17.
KOENIG, G. (1999), « Les ressources au principe de la stratégie », dans G. KOENIG (éditeur) De nouvelles théories pour gérer l'entreprise du xxie siècle. Economica, « Gestion ».
KOOPMANS, T. C. (1957), Three essays on the state of economic science. New-York, McGraw-Hill.
KOOPMANS, T. C. (1970), Trois essais sur la science économique contemporaine. Paris, Dunod.
KOSTOVA, T. et ZAHEER, S. (1999), « Organizational legitimacy under conditions of complexity: The case of the multinational enterprise », The Academy of Management Review, Vol. 24, No. 1, pp. 64-81.
KOSTOVA, T. et ROTH, K. (2002), « Adoption of an organizational practice by subsidiaries of. Multinational corporations : Institutional and relational effects
», The Academy of Management Journal, Vol. 45, No. 1, pp. 215-233.
KRAATZ, M. S. (1995), « The role of interorganizational networks in shaping strategic adaptation: Evidence from liberal arts colleges », Academy of Management Proceedings, pp. 246-250.
KRAATZ, M. S. (1998), « Learning by association? Interorganizational networks and adaptation to environmental change », Academy of Management Journal, Vol. 41, No. 6, pp. 621-643.
LABIANCA, G. et FAIRBANK, J. F. (2005), « Interorganizational monitoring: Process, choices, and outcomes », dans G. SZULANSKI, J. PORAC et Y. DOZ (éditeurs), Advances in strategic management: Strategy process, Vol. 22. Elsevier, pp. 117-150.
LAMPEL, J. et MEYER, A. D. (2008), « Field-configuring events as structuring mechanisms: How conferences, ceremonies, and trade shows constitute new technologies, industries, and markets », Journal of Management Studies, Vol. 45, No. 6, pp. 1025-1035.
LANT, T. K. et BAUM, J. C. (1995), « Cognitive sources of socially constructed competitive groups », dans W. R. SCOTT et S. CHRISTENSEN (éditeurs), The institutional construction of organizations. Sage Publications, pp. 15-37.
LAUMANN, E. O., GALASKIEWICZ, J. et MARSDEN, P. V. (1978), « Community structure as interorganizational linkages », Annual Review of Sociology, Vol. 4, pp. 455-484.
LAWRENCE, P. R. et LORSCH, J. W. (1967), Organization and environment. Boston, Harvard University, Graduate School of Business and Administration.
LE BON, G. (1895 [2003]), Psychologie des foules. Presses Universitaires de France.
LEBLEBICI, H. (1995), « Radio broadcasters », dans G. R. CARROLL et M. T. HANNAN (éditeurs), Organizations in industry : Strategy, structure, and selection. New York, Oxford University Press, pp. 308-331.
LEBLEBICI, H., SALANCIK, G. R., COPAY, A. et KING, T. (1991), « Institutional change and the transformation of interorganizational fields: An organizational history of the u.S. Radio broadcasting industry », Administrative Science Quarterly, Vol. 36, pp. 333-363.
Références
361
LEE, K. et PENNINGS, J. M. (2002), « Mimicry and the market: Adoption of a new organizational form », Academy of Management Journal, Vol. 48, No. 1, pp. 144-162.
LEE, S. S. (2004), « Predicting cultural output diversity in the radio industry, 1989-2002 », Poetics, Vol. 32, pp. 325-342.
LEVINTHAL, D. A. et MARCH, J. G. (1993), « The myopia of learning », Strategic Management Journal, Vol. 14, No. Special Issue Organizations, Decision Making and Strategy, pp. 95-112.
LEVITT, B. et MARCH, J. G. (1988), « Organizational learning », Annual Review of Sociology, Vol. 14, pp. 319-340.
LEVITT, T. (1966), « Innovative imitation », Harvard Business Review, Vol. 74, No. 5, pp. 63-70.
LEWIS, D. K. (1969), Convention: A philosophical study. Cambridge, Harvard University Press.
LIEBERMAN, M. B. et MONTGOMERY, D. B. (1988), « First-mover advantages », Strategic Management Journal, Vol. 9, No. Summer, pp. 41-58.
LIEBERMAN, M. B. et MONTGOMERY, D. B. (1998), « First-mover (dis)advantages: Retrospective and link with the ressource-based view », Strategic Management Journal, Vol. 19, No. 12, pp. 1111-1125.
LIEBERMAN, M. B. et ASABA, S. (2006), « Why do firms imitate each other? », Academy of Management Review, Vol. 31, No. 2, pp. 366-385.
LILIEN, G. et YOON, E. (1990), « The timing of competitive market entry: An exploratory study of new industrial products », Management Science, Vol. 36, No. 5, pp. 493-506.
LIPPMAN, S. et RUMELT, R. P. (1982), « Uncertain imitability: An analysis of interfirm differences in efficiency under competition », Bell Journal of Economics, Vol. 13, pp. 418-438.
LIVIAN, Y.-F. et BARET, C. (2002), « Pour une meilleure prise en compte de l'inscription institutionnelle de la gestion des ressources humaines : Quelques propositions », dans I. HUAULT (éditeur) La construction sociale de l'entreprise autour des travaux de mark granovetter. Paris, Editions EMS, pp. 289-311.
LOUNSBURY, M. (2008), « Institutional rationality and practice variation: New directions in the institutional analysis of practice », Accounting, Organizations and Society, Vol. 33, No. 4-5, pp. 349-361.
LU, J. W. (2002), « Intra- and inter-organizational imitative behavior: Institutional influences on japanese firms' entry mode choice », Journal of International Business Studies, Vol. 33, No. 1, pp. 19-37.
LYONS, E. (1966), David sarnoff, a biography. New-York, Harper & Row.
MA, H. et KARRI, R. (2005), « Some sure ways to loose your competitive advantage », Organizational Dynamics, Vol. 34, No. 1, pp. 63-76.
MANSFIELD, E. (1985), « How rapidly does new industrial technology leak out? », The Journal of Industrial Economics, Vol. 34, No. 2, pp. 217-223.
MANSFIELD, E., SCHWARTZ, M. et WAGNER, S. (1981), « Imitation costs and patents: An empirical study », The Economic Journal, Vol. 91, No. 364, pp. 907-918.
MANTOUX, A. et SIMMAT, B. (2008), Frj, l'empire des ondes. Mille et une nuits.
MARCH, J. G. (1981), « Decisions in organizations and theories of choice », dans A. VAN DE VEN et W. F. JOYCE (éditeurs), Prespectives on organization design and behavior. New-York, Wiley, pp. 205-244.
MARCH, J. G. (1991), « Exploration and exploitation in organizational learning », Organization Science, Vol. 2, No. 1, pp. 71-87.
MARCH, J. G. et SIMON, H. A. (1958), Organizations. New-York, Wiley.
MARCH, J. G. et OLSEN, J. P. (1989), Rediscovering institutions: The organizational basic of politics. New York, Free Press.
MARCH, J. G. et SIMON, H. A. (1993), Organizations, 2nd edition. Cambridge, MA, Blackwell.
MARION, G. (1997), « Une approche conventionnaliste du marketing », Revue française de Gestion, No. 112, pp. 78-91.
MARION, G. (2003), « Le marketing et les conventions de qualification : Une première synthèse », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck, pp. 27-62.
Bibliographie
362
MARIS, B. (2007), Keynes ou l'économiste citoyen, 2ème. Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
MARIS, B. et DOSTALER, G. (2009), Capitalisme et pulsion de mort : Freud et keynes. Albin Michel.
MASSINI, S., LEWIN, A. Y. et GREVE, H. R. (2005), « Innovators and imitators: Organizational reference groups and adoption of organizational routines », Research Policy, Vol. 34, No. 10, pp. 1550-1569.
MBENGUE, A. (1992), Les groupes stratégiques réexaminés : Une approche perceptuelle. Université Paris Dauphine.
MCEVILY, S., DAS, S. et MCCABE, K. (2000), « Avoiding competence substitution through knowledge sharing », Academy of Management Review, Vol. 25, No. 2, pp. 294-311.
MCKENDRICK, D. G. (2001), « Global strategy and population-level learning: The case of hard disk drives », Strategic Management Journal, Vol. 22, No. 4, pp. 307-334.
MCNAMARA, G., DEEPHOUSE, D. L. et LUCE, R. A. (2003), « Competitive positioning within and across a strategic groupe structure: The performance of core, secondary, and solitary firms », Strategic Management Journal, Vol. 24, No. 2, pp. 161-181.
MERCIER, E. (2003), « Pour une lecture conventionnaliste du changement organisationnel », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck, pp. 179-202.
METHA, J., STARMER, C. et SUGDEN, R. (1994), « The nature of salience: An experimental investigation of pure coordination games », The American Economic Review, Vol. 84, No. 3.
MEYER, J. W. et ROWAN, B. (1977), « Institutional organizations: Formal structure as myth and ceremony », American Journal of Sociology, Vol. 93, No. 2, pp. 340-363.
MIDLER, C. (1986), « Logique de la mode managériale », Annales des mines, gérer et comprendre, No. juin, pp. 74-85.
MIDLER, C., MOIRE, C. et SARDAS, J. C. (1984), « L'évolution des pratiques de gestion. Etude du développement des cercles de qualité dans les entreprises françaises », Economie et sociétés, Série Sciences de Gestion, No. 4 (janvier), pp. 173-211.
MILES, M. B. et HUBERMAN, A. M. (2003), Analyse des données qualitatives (2ème édition). de boeck, « Méthodes en sciences humaines ».
MILES, R. E., SNOW, C. C. et PFEFFER, J. (1974), « Organization-environment: Concepts and issues », Industrial Relations, Vol. 13, pp. 244-264.
MILLIKEN, F. J. (1987), « Three types of percieved uncertainty about the environment: State, effect and response uncertainty », Academy of Management Review, Vol. 12, No. 1, pp. 133-143.
MINC, A. (2006), Une sorte de diable, les vies de john m. Keynes. Grasset.
MINER, A. S. et HAUNSCHILD, P. (1995), « Population level learning », Research in Organizational Behavior, Vol. 17, pp. 115-166.
MINER, A. S. et MEZIAS, S. J. (1996), « Ugly duckling no more: Pasts and futures of organizational learning research », Organization Science, Vol. 7, No. 1, pp. 88-99.
MINER, A. S. et RAGHAVAN, S. V. (1999), « Interorganizational imitation: A hidden engine of selection », dans B. MCKELVEY et J. A. C. BAUM (éditeurs), Variations in organization science: In honor of donald t. Campbell. London, U.K., Sage, pp. 35-62.
MINER, A. S. et ANDERSON, P. (1999), « Industry and population-level learning: Organizational, interorganizational, and collective learning processes. », dans A. S. MINER et P. ANDERSON (éditeurs), Advances in strategic management, Vol. 16. Stamford, JAI Press, pp. 1-30.
MINTZBERG, H. (1989), Le management, voyages au centre des organisations. Paris, Editions d'organisation.
MINTZBERG, H., AHLSTRAND, B. et LAMPEL, J. (1999), Safari en pays stratégie. Paris, Village Mondial.
MITCHELL, C., LISTER, B. et O'SHEA, A. (2009), « Managing music programming », dans Managing radio. SoundConcept - http://www.soundconcepts.ltd.uk/managingradio/index.html, pp. 138-145.
MIZRUCHI, M. S. (1992), The structure of corporate political action. Cambridge, MA, Harvard University Press.
Références
363
MIZRUCHI, M. S. et FEIN, L. C. (1999), « The social construction of organizational knowledge: A study of the uses of coercive,
mimetic, and normative isomorphism », Administrative Science Quarterly, Vol. 44, No. 4, pp. 653-683.
MONTEBOURG, A. et FERRAND, O. (2009), « Rapport de mission : From campaign to governance », Les notes du secretariat national a la renovation, No. 1.
MONTMORILLON, B. D. (1999), « Théorie des conventions, rationalité mimétique et gestion de l'entreprise », dans G. KOENIG (éditeur) De nouvelles théories pour gérer l'entreprise du xxie siècle. Economica.
MORAN-ELLIS, J., ALEXANDER, V. D., CRONIN, A., DICKINSON, M., FIELDING, J., SLENEY, J. et THOMAS, H. (2006), « Triangulation and integration: Processes, claims and implications », Qualitative Research, Vol. 6, No. 1, pp. 45-59.
MORROW, J. L., SIRMON, D. G., HITT, M. A. et HOLCOMB, T. R. (2007), « Creating value in the face of declining performance: Firm strategies and organizational recovery », Strategic Management Journal, Vol. 28, No. 3, pp. 271-283.
MOSCHETTO, B.-L. (1997), Le caractère mimétique du comportement des intervenants financiers, sous la direction de J. HAMON. CEREG, Université Paris-Dauphine.
MOSCHETTO, B.-L. (1998), Mimétisme et marchés financiers. Paris, Economica.
MOSCOVICI, S. (1979), Psychologie des minorités actives. Quadrige.
MOURICOU, P. (2006), « Toujours la même chanson : Les logiques mimétiques des radios musicales », Revue française de Gestion, Vol. 32, No. 164, pp. 77-94.
MOURICOU, P. (2007), « Stratégie d’entreprise : Copier ou innover ? », Sciences Humaines, No. 182, pp. 38-40.
MUELLER, D. C. (1986), Profits in the long run. Cambridge, Cambridge University Press.
MUELLER, D. C. (1997), « First-mover advantages and path dependence », International Journal of Industrial Organization, Vol. 15, pp. 827-850.
NELSON, R. R. et WINTER, S. G. (1982), An evolutionary theory of economic change. Belknap Press.
NONAKA, I. et TAKEUCHI, H. (1995), The knowledge-creating company. Oxford, Oxford University Press.
NOSANCHUK, T. A. et ERICKSON, B. H. (1985), « How high is up? Calibrating social comparison in the real world », Journal of Personality and Social Psychology, Vol. 48, pp. 624-634.
O'MAHONEY, J. (2008), « The diffusion of management innovations: The possibilities and limitations of memetics », Journal of Management Studies, Vol. 44, No. 8, pp. 1324-1348.
OLIVER, C. (1991), « Strategic responses to institutional processes », The Academy of Management Review, Vol. 16, No. 1, pp. 145-179.
ORLEAN, A. (1986), « Mimétisme et anticipations rationnelles : Une perspective keynesienne », Recherches économiques de Louvain, Vol. 52, No. 1.
ORLEAN, A. (1997), « Jeux évolutionnistes et normes sociales », Economie Appliquée, Vol. L, No. 3, pp. 177-198.
ORLEAN, A. (2001), « Pour une nouvelle approche des interactions financières : L'économie des conventions face à la sociologie économique », dans I. HUAULT (éditeur) La construction sociale de l'entreprise, autour des travaux de mark granovetter. Editions Management & Société, pp. 207-229.
ORLEAN, A. (2004a), « L'économie des conventions : Définition et résultats », dans A. ORLEAN (éditeur) Analyse économique des conventions, 2ème. Presses universitaires de France, pp. 9-48.
ORLEAN, A. (2004b), Analyse économique des conventions, 2ème. Presses Universitaires de France, « Quadrige ».
ORTON, J. D. (1997), « From inductive to iterative grounded theory: Zipping the gap between process theory and process data », Scandinavian Journal of Management Studies, Vol. 13, No. 4, pp. 419-438.
PAAUWE, J. et BOSELIE, P. (2005), « Best practices... In spite of performance: Just a matter of imitation? », International Journal of Human Resource Management, Vol. 16, No. 6, pp. 987-1003.
Bibliographie
364
PADIOLEAU, J.-G. (2002), Le réformisme pervers : Le cas des sapeurs-pompiers. Presses Universitaires de France, « Sociologies ».
PAICHELER, H. et MOSCOVICI, S. (1984), « Suivisme et conversion », dans S. MOSCOVICI (éditeur) Psychologie sociale. Presses Universitaires de France.
PALMER, D. et BARBER, B. M. (2001), « Challengers, elites, and owning families: A social class theory of corporate acquisitions in the 1960s », Administrative Science Quarterly, Vol. 46, No. 1, pp. 87-120.
PALMER, D. A., JENNINGS, P. D. et ZHOU, X. (1993), « Late adoption of the multidivisional form by large u.S. Corporations: Institutional, political, and economic accounts », Administrative Science Quarterly, Vol. 38, No. 1, pp. 100-131.
PANIAGIOTOU, G. (2007), « Reference theory: Strategic groups and competitive benchmarking », Management Decision, Vol. 45, No. 10, pp. 1595-1621.
PETERAF, M. et SHANLEY, M. (1997), « Getting to know you: A theory of strategic group identity », Strategic Management Journal, Vol. 18, pp. 165-186.
PETERAF, M. A. (1993), « The cornerstones of competitive advantage: A ressource-based-view », Strategic Management Journal, Vol. 14, No. 3, pp. 179-191.
PETERSON, R. A. et BERGER, D. G. (1975), « Measuring industry concentration, diversity, and innovation in popular music », American Sociological Review, Vol. 61, No. 1, pp. 175-178.
PFEFFER, J. (1977), « The ambiguity of leadership », The Academy of Management Review, Vol. 2, No. 1, pp. 104-112.
PFEFFER, J. et SALANCIK, G. R. (1978), The external control of organizations, a ressource dependance perspective. New York, Harper and Row.
PITCHER, P. (1996), Artistes, artisans et technocrates : L'élite qu'on mérite ? Paris, Village mondial.
PODOLNY, J. M. (1994), « Market uncertainty and the social character of economic exchange », Administrative Science Quarterly, Vol. 39, No. 3, pp. 458-483.
PORAC, J. F. et THOMAS, H. (1990), « Taxonomic mental models in competitor definition », The Academy of Management Review, Vol. 15, No. 2, pp. 224-240.
PORAC, J. F., THOMAS, H. et BADEN-FULLER, C. (1989), « Competitive groups as cognitive communities: The case od scottish knitwear manufacturers », Journal of Management Studies, Vol. 26, No. 4, pp. 397-416.
PORAC, J. F., THOMAS, H., WILSON, F., PATON, D. et KANFER, A. (1995), « Rivalry and the industry model of scottish knitwear producers », Administrative Science Quarterly, Vol. 40, No. 2, pp. 203-227.
PORTER, M. E. (1979), « The structure within industries and companies' performance », Review of Economics and Statistics, Vol. 61, No. 2, pp. 214-227.
PORTER, M. E. (1982 [2004]), Choix stratégiques et concurrence. Economica.
PORTER, M. E. (1986 [2003]), L'avantage concurrentiel. Paris, Dunod.
PORTER, M. E. (1996), « What is strategy? », Harvard Business Review, No. November-December, pp. 61-78.
POWELL, T. C., LOVALLO, D. et CARINGAL, C. (2003), « Causal ambiguity, management perception, and firm performance », Academy of Management Review, Vol. 31, No. 1, pp. 175-196.
POWELL, W. W. (1991), « Expanding the scope of instiutional analysis », dans W. W. POWELL et P. J. DIMAGGIO (éditeurs), The new institutionalism in organizational analysis. Chicago, London, The University of Chicago Press, pp. 183-203.
POWELL, W. W. et DIMAGGIO, P. J. (1991), The new institionalism in organizational analysis. Chicago, London, The University of Chicago Press.
POWELL, W. W., KOPUT, K. W. et SMITH-DOERR, L. (1996), « Interorganizational collaboration and the locus of innovation: Networks of learning in biotechnology », Administrative Science Quarterly, Vol. 41, No. 1, pp. 116-145.
PRENDERGAST, C. (1993), « A theory of "Yes men" », The American Economic Review, Vol. 83, No. 4, pp. 757-770.
Références
365
PRIEM, R. L. et BUTLER, J. E. (2001), « Is the resource-based "View" A useful perspective for strategic management research? », Academy of Management Review, Vol. 26, No. 1, pp. 22-40.
PUPION, P.-C. et MONTANT, E. (2004), « Le rôle du mimétisme dans les choix fiscaux », Comptabilité - Contrôle - Audit, Vol. 10, No. 1, pp. 103-126.
PUPION, P.-C. et LEROUX, E. (2006), « Diffusion des erp et comportements mimétiques », XVème Conférence de l'Association Internationale de Management Stratégique (AIMS), Annecy - Genève, 13-16 juin.
RAJAN, R. G. (1994), « Why bank credit policies fluctuate: A theory and some evidence », The Quarterly Journal of Economics, Vol. 109, No. 2, pp. 399-441.
REED, R. et DEFILLIPPI, R. J. (1990), « Causal ambiguity, barriers to imitation, and sustainable competitive advantage », Academy of Management Review, Vol. 15, No. 1, pp. 88-102.
REGER, R. K. et HUFF, A. S. (1993), « Strategic groups: A cognitive perspective », Strategic Management Journal, Vol. 14, No. 2, pp. 103-124.
RHEE, M., KIM, Y.-C. et HAN, J. (2006), « Confidence in imitation: Niche-width strategy in the uk automobile industry », Management Science, Vol. 52, No. 4, pp. 501-513.
RICHARDS, L. (2005), Handling qualitative data: A practical guide. Sage Publications.
RICHARDS, L. et MORSE, J. M. (2007), Readme first for a user's guide to qualitative methods research, 2nd Edition. SAGE Publications.
RIVKIN, J. W. (2000), « Imitation of complex strategies », Management Science, Vol. 46, No. 6, pp. 824-844.
ROBINSON, W. T. et FORNELL, C. (1985), « Sources of market pioneering advantages in consumer goods industries », Journal of Marketing Research, Vol. 22, No. 3, pp. 305-318.
ROGERS, E. M. (1962), Diffusion of innovation. New York, Free Press.
ROGERS, E. M. (1983), Diffusion of innovations, 3rd. New York, Free Press.
ROGERS, E. M. (1995), Diffusion of innovations, 4th. New York, Free Press.
ROGERS, E. M. (2003), Diffusion of innovations, 5th. New York, Free Press.
ROGERS, E. M. (2005), Diffusion of innovations, 5th. New York, Free Press.
ROGERS, E. M. et SHOEMAKER, F. F. (1971), Communication of innovations: A cross-cultural approach. New York, Free Press.
ROMELAER, P. (1999), « Quelques problèmes de la théorie des conventions », Les cahiers de l'Artemis, No. 2, pp. 149-208.
ROMELAER, P. (2005), « L'entretien de recherche », dans P. ROUSSEL et F. WACHEUX (éditeurs), Management des ressources humaines : Méthodes de recherche en sciences humaines et sociales. de boeck, pp. 101-137.
ROMELAER, P. et LAMBERT, G. (2001), « Décisions d'investissement et rationalités », dans G. CHARREAUX (éditeur) Images de l'investissement - au-delà de l'évaluation financière : Une lecture organisationnelle et stratégique. Vuibert, « Fnege », pp. 169-230.
ROSSMAN, G. (2003), « Concentration of ownership and concentration of content in rock radio », Media Diversity and Localism Conference, Fordham University.
ROSSMAN, G. (2004), « Who picks the hits in radios », Emerging Scholars in Cultural Policy conference, University of Chicago.
ROTH, D. (2009), « Netflix inside », Wired, Vol. 17, No. 10, pp. 120-125.
ROTHENBUHLER, E. (1985), « Programming decision making in popular music radio », Communication Research, Vol. 12, pp. 209-232.
ROTHENBUHLER, E. et DIMMICK, J. (1982), « Popular music: Concentration and diversity in the industry », Journal of Communication, Vol. 32, No. 1, pp. 143-149.
ROTHENBUHLER, E. et MCCOURT, T. (1992), « Commercial radio and popular music: Processes of selection and factors of influence », dans J. LULL (éditeur) Popular music and communication. Newbury Park, CA, Sage, pp. 101-115.
Bibliographie
366
ROULEAU, L., ALLARD-POESI, F. et WARNIER, V. (2007a), « Rencontres avec ann langley, damon golsorkhi et valérie chanal », Revue Française de Gestion, No. 174, pp. 191-204.
ROULEAU, L., ALLARD-POESI, F. et WARNIER, V. (2007b), « Le management stratégique en pratiques », Revue française de Gestion, No. 174, pp. 15-24.
ROYER, I. et ZARLOWSKI, P. (2003), « La design de la recherche », dans R.-A. THIETART (éditeur) Méthodes de recherche en management, 2ème. Dunod.
RUMELT, R. P. (1984), « Toward a strategic theory of the firm. », dans R. LAMB (éditeur) Competitive strategic management. Englewood Cliffs, NJ, Prenctice-Hall, pp. 556-570.
RUST, R. T. et COIL, B. (1994), « Reliability measures for qualitative data: Theory and implications », Journal of Marketing Research, Vol. 31, No. 1.
RYAN, B. et GROSS, N. C. (1943), « The diffusion of hybrid seed corn in two iowa communities », Rural Sociology, Vol. 8, pp. 15-24.
SALIN, D. (2008), « The prevention of workplace bullying as a question of human resource management: Measures adopted and underlying organizational factors », Scandinavian Journal of Management, Vol. 24, No. 3, pp. 221-231.
SCHARFSTEIN, D. S. et STEIN, J. C. (1990), « Herd behavior and investment », The American Economic Review, Vol. 80, No. 3, pp. 465-479.
SCHELLING, T. (1960), The strategy of conflict. Cambridge, Harvard University Press.
SCHNAARS, S. P. (1986), « When entering growth markets, are pionners better than proachers? », Business Horizons, No. March-April, pp. 27-36.
SCHNAARS, S. P. (1994), Managing imitation strategies. The Free Press.
SCHULZ, M. et JOBE, L. A. (2001), « Codification and tacitness as knowledge management strategies: An empirical exploration », Journal of High Technology Management Research, Vol. 12, No. 1, pp. 139-165.
SCHUMPETER, J. (1935 [1999]), Théorie de l'évolution économique. Dalloz.
SCOTT, W. R. (1987), « The adolescence of institutional theory », Administrative Science Quarterly, Vol. 32, No. 4, pp. 493-511.
SCOTT, W. R. (1992), Organizations: Rational, natural, and open systems, 3d. Englewood Cliffs, NJ, Prenctice Hall.
SCOTT, W. R. (1995), Institutions and organizations. Thousand Oaks, London, New Delhi, SAGE Publications.
SHAMSIE, J., PHELPS, C. et KUPERMAN, J. (2004), « Better late than never: A study of late entrants in household electrical equipment », Strategic Management Journal, Vol. 25, No. 1, pp. 69-84.
SHANKAR, V., CARPENTER, G. et KRISHNAMURTHI, L. (1998), « Late mover advantage: How innovative late entrants outsell pioneers », Journal of Marketing Research, Vol. 35, pp. 54-70.
SHANKAR, V., CARPENTER, G. S. et KRISHNAMURTHI, L. (1999), « The advantages of entry in the growth stage of the product life cycle: An empirical analysis », Journal of Marketing Research, Vol. 36, No. 2, pp. 269-276.
SHERIF, M. (1935), « A study of some factors in perception », Archives of Psychology, No. 187.
SIGAL, L. V. (1973), Reporters and officials: The organization and politics of newsmaking. D C Heath & Co.
SILVERMAN, D. (2000), Doing qualitative research: A practical handbook. London, Thousand Oaks, New Dehli, Sage Publications.
SIMON, H. A. (1976), Administrative behavior. New York, The Free Press.
SIMON, H. A. (1982), Models of bounded rationality : Economic analysis and public policy. Cambridge, The MIT Press.
SIMONNET, J. M. (2006), « Réseaux informels et intelligence économique en contexte collaborationnel : La gestion des risques au sein du réseau », Séminaire VSST’2006 Veille Stratégique Scientifique et Technologique, Université de Lille, 6-17 janvier 2006.
SIRMON, D. G., ARREGLE, J.-L., HITT, M. A. et WEBB, J. W. (2008), « The role of family influence in firms’ strategic responses to threat of imitation », Entrepreneurship Theory and Practice, Vol. 32, No. 6, pp. 979-998.
Références
367
SOK, B. (2007), Musique 2.0 : Solutions pratiques pour de nouveaux usages marketing. Iram, centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles.
SRINIVASAN, R., HAUNSCHILD, P. et GREWAL, R. (2007), « Vicarious learning in new product introductions in the early years of a converging market », Management Science, Vol. 53, No. 1, pp. 16-28.
STANGOR, C. et THOMPSON, E. P. (2002), « Needs for cognitive economy and self-enhancement as unique predictors of intergroup attitudes », European Journal of Social Psychology, Vol. 32, pp. 563-575.
STAW, B. M. et EPSTEIN, L. D. (2000), « What bandwagons bring: Effects of popular management techniques on corporate performance, reputation, and ceo pay », Administrative Science Quarterly, Vol. 45, No. 3, pp. 523-556.
STEARNS, L. B. et ALLAN, K. D. (1996), « Economic behavior in institutional environments: The corporate merger wave of the 1980s », American Sociological Review, Vol. 61, No. 4, pp. 699-718.
STIGLITZ, J. E. (2006), Un autre monde : Contre le fanatisme de marché. Fayard.
STINCHCOMBE, A. L. (1965), « Social structure and organizations », dans J. G. MARCH (éditeur) Handbook of organizations. Chicago, Rand McNally, pp. 142-193.
STRANG, D. et MEYER, J. (1993), « Institutional conditions for diffusion », Theory and Society, Vol. 22, No. 4, pp. 487–511.
STRANG, D. et SOULE, S. A. (1998), « Diffusion in organizations and social movements : From hybrid corn to poison pills », Annual Review of Sociology, Vol. 24, pp. 265-290.
STRANG, D. et MACY, M. W. (2001), « In search of excellence: Fads, success stories, and adaptive emulation », The American Journal of Sociology, Vol. 107, No. 1, pp. 147-182.
STRAUSS, A. et CORBIN, J. (2004), Les fondements de la recherche qualitative : Techniques et procédures de développement de la théorie enracinée. Academic Press Fribourg.
STRAUSS, A. L. (1987), Qualitative analysis for social scientists. Cambridge, MY, Cambridge University Press.
STRAUSS, A. L. et CORBIN, J. (1990), Basics of qualitative research. Grounded theory procedures and techniques. Newbury Park (Ca), Sage.
SUCHMAN, M. C. (1995), « Managing legitimacy: Strategic and institutional approaches », Academy of Management Review, Vol. 20, No. 3, pp. 571-610.
SUDDABY, R. et GREENWOOD, R. (2001), « Colonizing knowledge: Commodification as a dynamic or jurisdictional expansion in professional service firms », Human Relations, Vol. 54, No. 7, pp. 933-953.
SUGDEN, R. (1986), The economics of rights, co-operation and welfare. Oxford, New-York, Blackwell.
SUGDEN, R. (1989), « Spontaneous order », Journal of Economic Perspectives, Vol. 3, No. 4, pp. 83-97.
SZULANSKI, G. (1996), « Exploring internal stickiness: Impediments to the transfer of best practice within the firm », Strategic Management Journal, Vol. 17, No. winter, pp. 27-43.
SZYMANSKI, D. M., TROY, L. C. et BHARADWAJ, S. G. (1995), « Order of entry and business performance: An empirical synthesis and reexamination », Journal of Marketing, Vol. 59, No. 4, pp. 17-33.
TAJFEL, H. et TURNER, J. C. (1986), « The social identity theory of intergroup behavior », dans S. WORCHEL et W. G. AUSTIN (éditeurs), Psychology of intergroup relations, 2nd. Chicago, Nelson-Hall.
TARDE, G. D. (1890 [2001]), Les lois de l'imitation. Paris, Les empêcheurs de penser en rond, le Seuil.
TARDE, G. D. (1893 [1999]), La logique sociale. Paris, Les empêcheurs de penser en rond, le Seuil.
TAYLOR, F. (1911), The principles of scientific management. New-York, Harper & Brothers.
TEECE, D. J., PISANO, G. et SHUEN, A. (1997), « Dynamic capabilities and strategic management », Strategic Management Journal, Vol. 18, No. 7, pp. 509-533.
TELLIS, G. et GOLDER, P. (1996), « First to market, first to fail? Real causes of enduring market leadership », Sloan Management Review, Vol. 37, No. 2, pp. 65-75.
TERPSTRA, V. et YU, C. M. (1988), « Determinants of foreign investment of .U.S advertising agencies », Journal of International Business Studies, Vol. 19, pp. 36-46.
TERRY, D. J. et HOGG, M. A. (1996), « Group norms and the attitude-behavior relationship: A role for group identification », Personality and Social Psychology Bulletin, Vol. 22, pp. 776-793.
Bibliographie
368
THEVENET, M. (1985), « L'écôt de la mode », Revue Française de Gestion, No. sept-oct., pp. 19-30.
THOMPSON, J. (1967), Organizations in action. New York, McGraw-Hill.
TIXIER, J. (2004), Les relations filiales - maison-mère au sein d'une multinationale : Le système d'information ressources humaines (sirh) comme outil d'intégration ?, sous la direction de I. HUAULT. Crepa, Université Paris Dauphine.
TOLBERT, P. S. et ZUCKER, L. G. (1983), « Institutional sources of change in the formal structure of organizations: The diffusion of civil service reform, 1880-1935 », Administrative Science Quarterly, Vol. 28, No. 1, pp. 22-39.
TOURON, P. (2005), « The adoption of us gaap by french firms before the creation of the international accounting standard committee: An institutional explanation », Critical Perspectives on Accounting, Vol. 16, No. 6, pp. 851-873.
TRUEMAN, B. (1994), « Analyst forecasts and herding behavior », The Review of Financial Studies, Vol. 7, No. 1, pp. 97-124.
TURNER, G. (1985), « Social categorization and the self concept: A social cognitive theory of group behavior », Advances in group processes, Vol. 2, pp. 77-122.
TURNER, G. (1993), « Who killed the radio star? The death of teen radio in australia », dans T. BENNETT, S. FRITH et L. GROSSBERG (éditeurs), Rock and popular music: Politics, policies, institutions. London & New York, Routledge.
TURNER, G. (1999), « Some current issues in research on social identity and self-categorization theories », dans N. ELLEMERS, R. SPEARS et B. DOOSJE (éditeurs), Social identity. Blackwell Publishers, pp. 6-34.
TURNER, J. C., HOGG, M. A., OAKES, P., REICHER, S. et WETHERELL, M. (1987), Rediscovering the social group: A self-categorization theory. Oxford, England, Basil Blackwell.
URBAN, G., CARTER, T., GASKIN, S. et MUCHA, Z. (1986), « Market share rewards to pioneering brands: An empirical analysis and strategic implications », Management Science, Vol. 32, No. 6, pp. 645-659.
USEEM, M. (1979), « The social organization of the american business elite and participation of corporation directors in the governance of american institutions », American Sociological Review, Vol. 44, No. 4, pp. 553-572.
USEEM, M. (1984), The inner circle. New-York, Oxford University Press.
VEBLEN, T. (1899 [2007]), Théorie de la classe de loisir. Gallimard.
VERAN, L. (2003), « Organisation de la décision : Efforts de rationalisation et limites conventionnelles. Une analyse clinique », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck, pp. 161-177.
VERMEULEN, F. et WANG, T. (2005), « Imitation or distinction: Strategic responses to social reference groups », EURAM, Munich, 4-7 mai 2005.
WALSHAM, G. (1995), « The emergence of interpretativism in is research », Information Systems Research, Vol. 6, No. 4, pp. 376-394.
WARNIER, V. et LECOCQ, X. (2007), « L'émergence de la mode dans un secteur : Une stratégie collective », dans F. ROY et S. YAMI (éditeurs), Stratégies collectives. Paris, Editions EMS, pp. 221-246.
WEBB, D. et PETTIGREW, A. (1999), « The temporal development of strategy: Patterns in the u.K. Insurance industry », Organization Science, Vol. 10, No. 5, pp. 601-621.
WEBER, M. (1921 [1995]), Economie et société. Paris, Pocket, « Agora, les classiques ».
WEINGART (1997), « How did they do that ? The ways and means of studying group process », Research in organizational behavior, Vol. 19, pp. 189-239.
WERNERFELT, B. (1984), « A resource-based-view of the firm », Strategic Management Journal, Vol. 5, pp. 171-180.
WESTNEY, D. E. (1987), Imitation and innovation: The transfer of western organizational patterns to meiji japan. Cambridge, Harvard University Press.
WESTPHAL, J. D. et ZAJAC, E. J. (1994), « Substance and symbolic in ceos’ long-term incentive plans », Administrative Science Quarterly, Vol. 39, No. 3, pp. 367-390.
Références
369
WESTPHAL, J. D. et ZAJAC, E. J. (1997), « Defections from the inner circle: Social exchange, reciprocity, and the diffusion of board independence in u.S. Corporations », Administrative Science Quarterly, Vol. 42, No. 1, pp. 161-183.
WESTPHAL, J. D., GULATI, R. et SHORTELL, S. M. (1997), « Customization or conformity? An institutional and network perspective on the content and consequences of tqm adoption », Administrative Science Quarterly, Vol. 42, No. 2, pp. 366-394.
WESTPHAL, J. D., SEIDEL, M.-D. L. et STEWART, C. J. (2001), « Second-order imitation: Uncovering latent effects of board network ties », Administrative Science Quarterly, Vol. 46, No. December, pp. 717-747.
WHALEN, G. (1992), « The determinants and performance effects of rivalry in local banking markets », Quaterly Journal of Business and Economics, Vol. 31, No. 2, pp. 38-52.
WHEELER, L. (1966), « Motivation as a determinant of upward comparison », Journal of Experimental Social Psychology, Vol. 1, pp. 27-31.
WHEELER, L. et ZUCKERMAN, M. (1977), Commentary. Washington DC, Hemisphere.
WHITTINGTON, R. (2002), « Practice perspectives on strategy: Unifying and developing a field, best paper proceedings », Academy of Management, Denver.
WHITTINGTON, R. (2006), « Completing the practice turn in strategy research », Organization Studies, Vol. 27, No. 5, pp. 613-634.
WILLIAMSON, I. O. et CABLE, D. M. (2003), « Organizational hiring patterns, interfirms network ties, and interorganizational imitation », The Academy of Management Journal, Vol. 46, No. 3, pp. 349-358.
WILLIAMSON, O. E. (1994), Les institutions de l'économie. Paris, InterÉd.
WILLS, T. A. (1981), « Downward comparison principles in social psychology », Psychological Bulletin, Vol. 90, pp. 245-271.
YU, C. M. J. et ITO, K. (1988), « Oligopolistic reaction and foreign direct investment: The case of the .U.S tire and textile industries », Journal of International Business Studies, Vol. 19, No. 449–460.
ZALEZNIK, A. (1977), « Managers and leaders: Are they different? », Harvard Business Review, Vol. 75, No. 6, pp. 53-63.
ZANDER, U. et KOGUT, B. (1995), « Knowledge and the speed of the transfer and imitation of organizational capabilities: An empirical test », Organization Science, Vol. 6, No. 1, pp. 76-92.
ZANNA, M., GOETHALS, G. et HILL, J. (1975), « Evaluating a sex-related ability: Social comparison with similar others and standard setters », Journal of Experimental Social Psychology, Vol. 11, pp. 86-93.
ZECRI, J.-L. (2001), « Elaboration budgétaire et théorie des conventions », XIIIème Congrès de l'Association Française de Comptabilité, Metz, 17-19 mai.
ZECRI, J.-L. (2003), « Conventions et gestion budgétaire », dans M. AMBLARD (éditeur) Conventions & management. de boeck, pp. 89-116.
ZENG, J. (2001), « Innovative vs. Imitative r&d and economic growth », Journal of Development Economics, Vol. 64, No. 2, pp. 499-528.
ZHANG, S. et MARKMAN, A. B. (1998), « Overcoming the early entrant advantage: The role of alignable and nonalignable differences », Journal of Marketing Research, Vol. 35, No. 4, pp. 413-426.
ZHOU, W. (2009), « Innovation, imitation and competition », The B.E. Journal of Economic Analysis & Policy, Vol. 9, No. 1.
ZHOU, Z. K. (2006), « Innovation, imitation, and new product performance: The case of china », Industrial Marketing Management, Vol. 35, No. 3, pp. 394-402.
ZUCKER, L. G. (1977), « The role of institutionalization in cultural persistence », American Sociological Review, Vol. 42, No. 5, pp. 726-743.
ZUCKER, L. G. (1987), « Institutional theories of organization », Annual Review of Sociology, Vol. 13, pp. 443-464.
Liste des synthèses
370
Liste des synthèses
Synthèse 1 : Points essentiels des théories de la diffusion en Sciences de Gestion ......................................... 49
Synthèse 2 : Points essentiels des travaux consacrés aux modes managériales .............................................. 51
Synthèse 3 : Points essentiels des travaux consacrés au « late-mover advantage » ....................................... 74
Synthèse 4 : Points essentiels des travaux consacrés à l’apprentissage vicariant ............................................ 78
Synthèse 5 : Points essentiels des modèles d’agence de l’imitation................................................................ 84
Synthèse 6 : Points essentiels de la théorie mimétique .................................................................................. 91
Synthèse 7 : Points essentiels de la théorie néo-institutionnelle .................................................................... 98
Synthèse 8 : Points essentiels des théories de l’identité sociale ................................................................... 115
Synthèse 9 : Points essentiels de l’approche par les Groupes Stratégiques Cognitifs .................................... 118
Synthèse 10 : Points essentiels des théories de l’information en cascade ..................................................... 140
Synthèse 11 : Points essentiels de la théorie des conventions ...................................................................... 148
Synthèse 12 : Points essentiels de notre stratégie de recherche ................................................................... 200
Synthèse 13 : Données collectées ................................................................................................................. 208
Synthèse 14 : Point essentiel du processus d’analyse des données ............................................................... 228
Synthèse 15 : L’incertitude, une expérience quotidienne pour les programmateurs .................................... 244
Synthèse 16 : « L’orthodoxie du Top 40 » : un référentiel incomplet ............................................................ 250
Synthèse 17 : Difficultés inhérentes aux quotas de chansons françaises ....................................................... 253
Synthèse 18 : Une imitation encouragée par les maisons de disques ............................................................ 265
Synthèse 19 : Une imitation facilitée par l’existence de Yacast et les liens sociaux des programmateurs ..... 270
Synthèse 20 : L’imitation comme une source d’information ......................................................................... 284
Synthèse 21 : L’imitation comme une forme de parasitisme ......................................................................... 292
Synthèse 22 : L’imitation comme un moyen de maintenir la parité concurrentielle ..................................... 293
Synthèse 23 : L’imitation comme argument d’autorité ................................................................................. 296
Synthèse 24 : L’imitation comme révélateur de tendance ............................................................................ 300
Synthèse 25 : L’imitation comme moyen d’entrer dans la norme ................................................................. 303
Synthèse 26 : L’imitation comme session de rattrapage ............................................................................... 306
Synthèse 27 : L’imitation comme moyen de se rassurer ............................................................................... 309
Synthèse 28 : L’imitation comme révélateur de désir ................................................................................... 311
Références
371
Liste des encadrés
Encadré 1 : Mécanismes explicatifs de l'avantage des premiers entrants ....................................................... 35
Encadré 2 : Les six conditions de Lewis ......................................................................................................... 136
Encadré 3 : L’évolution actuelle du secteur en quelques chiffres .................................................................. 166
Encadré 4 : Les principaux formats musicaux aux Etats-Unis ........................................................................ 174
Encadré 5 : Yacast : Un partenaire incontournable de l’industrie radiophonique ......................................... 186
Encadré 6 : Liste des stations visitées dans le cadre des entretiens avec les programmateurs ...................... 204
Encadré 7 : Statistiques descriptives relatives aux 25 entretiens réalisés auprès de programmateurs .......... 205
Encadré 8 : Commentaire rapide du schéma 14 ............................................................................................ 215
Encadré 9 : Un exemple de passage ayant fait l’objet d’une micro-analyse .................................................. 218
Encadré 10 : Le taux de fiabilité inter-codeurs selon Miles et Huberman ...................................................... 226
Encadré 11 : Les « ingrédients d’un hit »....................................................................................................... 247
Encadré 12 : E-mail envoyé à de nombreux programmateurs dans des radios indépendantes ..................... 260
Encadré 13 : E-mail envoyé à plusieurs programmateurs dans des radios indépendantes ............................ 260
Encadré 14 : E-mail envoyé à un programmateur ......................................................................................... 260
Encadré 15 : Propriétés utilisées pour construire la typologie ...................................................................... 275
Liste des tableaux
372
Liste des tableaux
Tableau 1 : De la diversité des objets imitables .............................................................................................. 14
Tableau 2 : Postulats sous-jacents à quelques grandes écoles de pensée ....................................................... 63
Tableau 3 : Approches instrumentales de l’imitation : une synthèse .............................................................. 85
Tableau 4 : Approches instrumentales de l’imitation : une synthèse ............................................................ 120
Tableau 5 : Caractéristiques des actions stratégiques et imitation ............................................................... 189
Tableau 6 : Les fondements de la stratégie en pratiques dans la recherche .................................................. 195
Tableau 7 : Présentation de quelques démarches de recherche ................................................................... 196
Tableau 8 : Critères de validité d’une recherche en théorie enracinée .......................................................... 199
Tableau 9 : Nombre de décisions abordées par les répondants .................................................................... 207
Tableau 10 : Liste des attributs utilisés lors du codage signalétique ............................................................. 212
Tableau 11 : Détails du calcul du taux de fiabilité inter-codeurs ................................................................... 227
Tableau 12 : Rappel des questions de recherche et axes de restitution des résultats ................................... 232
Tableau 13 : Nombre de décisions abordées par les répondants .................................................................. 233
Tableau 14 : Doutes et hésitations exprimés par les programmateurs.......................................................... 243
Tableau 15 : Un premier aperçu de la typologie des pratiques d’imitation concurrentielle .......................... 276
Tableau 16 : Critères utilisés pour la répartition des rôles et justifications ................................................... 291
Tableau 17 : Typologie des pratiques instrumentales de l’imitation concurrentielle .................................... 297
Tableau 18 : Typologie des pratiques évaluatives de l’imitation concurrentielle .......................................... 312
Tableau 19 : Ancrage théorique des pratiques identifiées dans la typologie ................................................. 321
Tableau 20 : Nombre moyen de pratiques d’imitation concurrentielle par décideur .................................... 323
Tableau 21 : Deux conceptions de la dialectique imitation – différenciation ................................................ 329
Références
373
Liste des schémas
Schéma 1 : Architecture de la thèse ................................................................................................................ 18
Schéma 2 : Principaux postulats relatifs à la rationalité identifiés par Boudon ............................................... 62
Schéma 3 : La structure du désir selon Girard ................................................................................................. 88
Schéma 4 : Du désir mimétique au sacrifice chez René Girard ........................................................................ 90
Schéma 5 : Les théories de l’identité sociale comme micro-fondation de l’isomorphisme mimétique .......... 107
Schéma 6 : Le groupe comme une catégorie sociale ..................................................................................... 109
Schéma 7 : Conformisme intra-groupe et différenciation inter-groupe ......................................................... 112
Schéma 8 : Les quatre degrés d'incertitude selon Knight .............................................................................. 127
Schéma 9 : L 'expérience de Asch.................................................................................................................. 130
Schéma 10 : Présentation d’un cadre d’analyse intégrateur ......................................................................... 157
Schéma 11 : Cohérence méthodologique ...................................................................................................... 192
Schéma 12 : Codage et analyse des données qualitatives ............................................................................. 210
Schéma 13 : Un exemple de codage des « topics » ....................................................................................... 213
Schéma 14 : Synthèse du codage descriptif .................................................................................................. 215
Schéma 15 : Démarche adoptée pour le codage analytique .......................................................................... 220
Schéma 16 : Un document codé par plusieurs nœuds ................................................................................... 222
Schéma 17 : Modèles imités par les programmateurs (68 décisions) ........................................................... 235
Schéma 18 : Représentation graphique des résultats du chapitre 5 .............................................................. 271
Schéma 19 : Répartition des pratiques instrumentales d’imitation concurrentielle (35 décisions) ............... 278
Schéma 20 : Répartition des pratiques évaluatives d’imitation concurrentielle (33 décisions) ..................... 299
Schéma 21 : Une tension entre imitation et différenciation ......................................................................... 327
Schéma 22 : Vers une meilleure compréhension de la tension imitation – différenciation ........................... 330
Schéma 23 : La fin des radios musicales ? ..................................................................................................... 333
Schéma 24 : Pour un prolongement de la recherche dans d’autres contextes .............................................. 339
Schéma 25 : Pour une utilisation de données non déclaratives .................................................................... 340
Schéma 26 : Pour une étude des pratiques de différenciation ...................................................................... 342
Schéma 27 : Vers un renouvellement des théories existantes ...................................................................... 344
Schéma 28 : Une tension pour la fabrication de la stratégie ......................................................................... 345
Table des matières
374
Table des matières
Remerciements ................................................................................................................................................ 4
Sommaire ......................................................................................................................................................... 8
Introduction générale ..................................................................................................................................... 12
Première partie : Revue de la littérature
Chapitre 1 : Et pourtant, ils s’imitent .............................................................................................................. 26
1. Quelques éléments de définition ............................................................................................................. 28
1.1. Le mimétisme et la mémétique ..................................................................................................... 29
a) La mémétique (théorie des mèmes) .............................................................................................. 29
b) Les limites de la mémétique : du mimétisme à l’imitation ............................................................ 30
1.2. L’imitation, une intentionnalité ..................................................................................................... 30
a) L’imitation inter-organisationnelle ................................................................................................ 31
b) L’imitation concurrentielle ............................................................................................................ 31
c) L’imitation réflective et la contrefaçon : deux concepts voisins ................................................... 31
2. Une critique théorique ............................................................................................................................. 32
2.1. Une attitude de seconde zone pour les stratèges ......................................................................... 33
2.2. Une stratégie inintéressante pour les organisations imitatrices ................................................... 34
2.3. Une stratégie dangereuse pour la collectivité ............................................................................... 37
a) Une menace pour l’avantage concurrentiel .................................................................................. 37
b) Un jeu auquel tout le monde perd ................................................................................................ 40
c) La croissance économique compromise ........................................................................................ 41
3. Des réalités empiriques ........................................................................................................................... 41
3.1. L’apport des théories de la diffusion ............................................................................................. 43
a) Principe général ............................................................................................................................. 43
b) Du déclenchement du processus de diffusion ............................................................................... 44
c) De l’observabilité : avantages perçus et transposabilité ............................................................... 45
d) La diffusion et les réseaux sociaux................................................................................................. 46
Références
375
3.2. L’imitation et les modes managériales .......................................................................................... 49
a) Les phases génériques des modes managériales .......................................................................... 49
b) Une dissémination des modes managériales ................................................................................ 50
c) Des facteurs économiques et socio-psychologiques ..................................................................... 50
4. Vers une approche explicative et tournée vers les pratiques ................................................................. 52
4.1. Un aperçu de la recherche ............................................................................................................. 52
a) Démarche générale ....................................................................................................................... 52
b) Une démarche ancrée dans le courant de la stratégie en pratiques ............................................. 53
c) Une démarche abductive............................................................................................................... 55
4.2. Au delà des formes d’imitation ..................................................................................................... 55
a) La typologie de Haunschild et Miner et ses développements ....................................................... 56
b) Les limites de la typologie.............................................................................................................. 57
4.3. Des rationalités multiples .............................................................................................................. 59
a) A la recherche des raisons de l’imitation ....................................................................................... 59
b) Vers un prolongement et un élargissement .................................................................................. 60
c) Une dichotomie : approches instrumentales et approches évaluatives ....................................... 63
4.4. Articulation de la revue de la littérature ....................................................................................... 65
Résumé du chapitre 1 ....................................................................................................................................... 67
Chapitre 2 : Les deux faces de l’imitation ........................................................................................................ 68
1. Les approches instrumentales de l’imitation ........................................................................................... 69
1.1. L’imitation et ses conséquences pour l’organisation .................................................................... 70
a) Des actions et des réactions .......................................................................................................... 71
b) Le calcul des imitateurs ................................................................................................................. 72
Une diminution des dépenses de recherche et développement ....................................................... 72
Des consommateurs à la mémoire courte ......................................................................................... 73
Des succès inégaux ............................................................................................................................. 73
c) Un apprentissage par procuration (apprentissage vicariant) ........................................................ 75
Des expériences empruntées ............................................................................................................. 75
Les clés d’un apprentissage par procuration réussi ........................................................................... 77
Quels effets au niveau des populations d’organisations ? ................................................................. 78
d) De la légitimité ............................................................................................................................... 79
e) Vers un compromis ? ..................................................................................................................... 79
La théorie de l’équilibre stratégique : une tentative avortée ............................................................ 80
Changer de perspective ...................................................................................................................... 80
Table des matières
376
1.2. L’imitation et ses conséquences pour le décideur ........................................................................ 81
a) Un moyen de maintenir sa propre réputation .............................................................................. 81
b) Quelques précisions relatives à la théorie de l’agence.................................................................. 83
2. Les approches évaluatives de l’imitation ................................................................................................. 86
2.1. Une rivalité mimétique .................................................................................................................. 87
a) Un désir mimétique, une violence primaire .................................................................................. 87
Une relation triangulaire .................................................................................................................... 87
Un modèle obstacle ............................................................................................................................ 88
Une compétition ................................................................................................................................. 89
b) Une violence contagieuse .............................................................................................................. 89
Quels enseignements pour les Sciences de Gestion ? ........................................................................ 91
Un point de départ stimulant ............................................................................................................. 92
2.2. L’imitation et la légitimité .............................................................................................................. 93
a) L’isomorphisme et les pressions institutionnelles ......................................................................... 94
Les pressions coercitives .................................................................................................................... 94
Les pressions normatives ................................................................................................................... 95
Les pressions mimétiques .................................................................................................................. 96
b) Un concept central : la légitimité................................................................................................... 97
Un statut objectif de l’organisation, créé subjectivement par les acteurs ......................................... 97
Les processus de légitimation : la typologie de Suchman .................................................................. 97
c) Des développements empiriques conséquents ............................................................................. 98
L’imitation de pratiques largement répandues .................................................................................. 99
L’imitation comme moyen de légitimation ...................................................................................... 100
L’imitation de modèles légitimes ..................................................................................................... 101
Du lien entre incertitude et imitation .............................................................................................. 103
Des limites récurrentes .................................................................................................................... 104
d) A la recherche de micro fondations ............................................................................................. 105
2.3. Un conformisme de groupe : les théories de l’identité sociale ................................................... 106
a) De l’identité personnelle et de l’identité sociale ......................................................................... 107
Le processus de catégorisation ........................................................................................................ 108
Le groupe .......................................................................................................................................... 109
b) Les processus d’identification sociale .......................................................................................... 109
Le processus d’autocatégorisation ................................................................................................... 110
Le processus de comparaison sociale ............................................................................................... 110
Références
377
c) Un conformisme de groupe ......................................................................................................... 111
Au-delà des perceptions ................................................................................................................... 111
La théorie de la distinction optimale ................................................................................................ 112
Des résultats empiriques mitigés ..................................................................................................... 112
Un statut social ................................................................................................................................. 113
2.4. Les groupes stratégiques cognitifs : identité et stratégie ............................................................ 115
a) Les groupes stratégiques cognitifs .............................................................................................. 116
b) Une identité de groupe ................................................................................................................ 117
c) Le groupe stratégique, un espace de comparaison sociale ......................................................... 117
3. Raisons et pratiques d’imitation concurrentielle ................................................................................... 121
Résumé du chapitre 2 ..................................................................................................................................... 122
Chapitre 3 : L’imitation comme produit de l’incertitude ............................................................................... 124
1. Un creuset commun .............................................................................................................................. 125
1.1. De l’incertitude ............................................................................................................................ 125
a) Un problème spécifiquement humain ......................................................................................... 126
b) L’incertitude, entre certitude et ignorance ................................................................................. 127
c) Des objets divers, des expériences individuelles variées ............................................................ 128
1.2. Des travaux fondateurs ............................................................................................................... 129
a) L’expérience de Sherif ................................................................................................................. 129
b) L’expérience de Asch ................................................................................................................... 130
1.3. Keynes, le premier conventionnaliste ......................................................................................... 131
a) Le marché foule ........................................................................................................................... 131
b) Des investisseurs moutonniers .................................................................................................... 132
c) Des loups dans la bergerie ........................................................................................................... 133
d) Un héritage disputé ..................................................................................................................... 134
e) Les jeux de coordination .............................................................................................................. 134
f) L’information en cascade et les conventions .............................................................................. 137
2. Une information en cascade ................................................................................................................. 137
a) Une source d’information ............................................................................................................ 138
b) De l’imitation restreinte et de l’imitation totale ......................................................................... 139
c) La place du bluff........................................................................................................................... 140
Table des matières
378
3. La théorie des conventions .................................................................................................................... 141
3.1. Un moyen d’agir malgré tout ...................................................................................................... 142
a) Des décisions raisonnables, plutôt que des décisions rationnelles ............................................. 142
b) Des conventions aux normes, du raisonnable au légitime .......................................................... 143
3.2. Un triptyque : conventions, conviction et liberté ........................................................................ 144
a) L’énoncé ...................................................................................................................................... 144
b) Le dispositif matériel ................................................................................................................... 145
c) La cohérence et la dynamique des conventions .......................................................................... 145
d) Les conventions de qualification et les conventions d’effort ...................................................... 146
3.3. Un monde de conventions........................................................................................................... 146
4. Incertitude et pratiques d’imitation concurrentielle ............................................................................. 148
Résumé du chapitre 3 ..................................................................................................................................... 150
Synthèse de la première partie ..................................................................................................................... 152
1. Ancrage théorique de la problématique................................................................................................ 153
2. Présentation du cadre analytique ......................................................................................................... 155
Deuxième partie : Méthodologie et résultats
Chapitre 4 : Les programmateurs radio, praticiens de l’imitation concurrentielle ......................................... 162
1. Le champ d’étude .................................................................................................................................. 163
1.1. La radio en France ....................................................................................................................... 163
a) Quelques éléments sectoriels...................................................................................................... 164
Le modèle économique d’une radio commerciale ........................................................................... 164
Les recettes publicitaires .................................................................................................................. 167
b) Un bref historique........................................................................................................................ 168
Au commencement… les radios périphériques ................................................................................ 168
1981 : Apparition des premières radios musicales .......................................................................... 169
Un formatage progressif des radios musicales................................................................................. 170
La renaissance des radios « indépendantes » .................................................................................. 170
1.2. Du lien entre programmation musicale et stratégie ................................................................... 172
a) Le format musical et la programmation ...................................................................................... 173
Une définition de la notion de format .............................................................................................. 173
Des positionnements poreux ........................................................................................................... 174
b) Le programmateur, un acteur stratégique .................................................................................. 176
Une décision sous influence ............................................................................................................. 177
Des registres de programmation divers ........................................................................................... 177
Références
379
c) Un univers normé ........................................................................................................................ 179
Todd Storz, le père du « Top 40 »..................................................................................................... 179
Le mode de fabrication du flux musical ............................................................................................ 180
La recherche musicale ...................................................................................................................... 182
Une information partagée ................................................................................................................ 185
Des contraintes légales ..................................................................................................................... 186
d) Moutonnières les radios musicales ?........................................................................................... 187
Une polémique ................................................................................................................................. 188
Quelques éléments explicatifs ......................................................................................................... 189
2. Méthodes de recherche ......................................................................................................................... 190
Unité d’analyse de la recherche ............................................................................................................ 190
Organisation de la section méthodologique ......................................................................................... 191
2.1. Stratégie de recherche ................................................................................................................ 193
a) Une approche tournée vers les pratiques ................................................................................... 193
Les fondements épistémologiques de la stratégie en pratiques ...................................................... 194
Une mise en pratique… de la stratégie en pratiques ....................................................................... 194
b) Une démarche inspirée de la théorie enracinée ......................................................................... 195
La théorie enracinée : un bref aperçu .............................................................................................. 195
De l’abduction en théorie enracinée ................................................................................................ 196
Une approche réaliste ...................................................................................................................... 197
Une approche interprétativiste ? ..................................................................................................... 198
Les critères de validité propres au courant de la théorie enracinée ................................................ 199
2.2. Collecte des données ................................................................................................................... 200
a) Entretiens réalisés auprès de programmateurs .......................................................................... 202
Echantillonnage théorique ............................................................................................................... 202
Déroulement des entretiens ............................................................................................................ 205
b) Entretiens de contexte ................................................................................................................ 207
c) Données secondaires ................................................................................................................... 208
d) Conversations et observations informelles ................................................................................. 208
2.3. Analyse des données ................................................................................................................... 209
a) Codage des données .................................................................................................................... 209
a) Les grandes étapes du codage ..................................................................................................... 211
(i) Codage signalétique ................................................................................................................ 212
(ii) Codage descriptif .................................................................................................................... 213
(iii) Codage analytique .................................................................................................................. 217
Table des matières
380
b) L’utilisation du logiciel N-Vivo ..................................................................................................... 220
Les documents .................................................................................................................................. 221
Les noeuds ........................................................................................................................................ 221
Requêtes, matrices et quantification des données qualitatives ...................................................... 222
c) Double codage ............................................................................................................................. 223
Objectif du double codage : codage ouvert versus codage fermé ................................................... 224
Double codage intra-codeur versus double codage inter-codeurs .................................................. 224
Périmètre retenu .............................................................................................................................. 225
Pré-formatage .................................................................................................................................. 225
Mode de calcul du taux de fiabilité inter-codeurs ............................................................................ 226
Résultats du double codage ............................................................................................................. 227
Résumé du chapitre 4 ..................................................................................................................................... 229
Chapitre 5 : Un contexte propice à l’imitation .............................................................................................. 230
a) Une rapide synthèse des données ............................................................................................... 233
b) Le contexte, une donnée souvent oubliée .................................................................................. 235
c) De l’observabilité ......................................................................................................................... 236
1. Un contexte incertain ............................................................................................................................ 237
1.1. Les doutes du programmateur .................................................................................................... 238
a) « Les voies du public sont impénétrables » ................................................................................. 239
b) « Ce qui m’a fait douter… » ......................................................................................................... 239
c) Des alternatives nombreuses ...................................................................................................... 240
d) L’angoisse du sondage ................................................................................................................. 241
e) Doutes et hésitations des programmateurs : une synthèse ........................................................ 242
1.2. Une réponse partielle : « l’orthodoxie du Top 40 » ..................................................................... 245
a) Les « ingrédients d’un hit » .......................................................................................................... 246
b) Des alternatives équivalentes ...................................................................................................... 248
1.3. Les quotas, une difficulté supplémentaire .................................................................................. 250
a) Des difficultés récurrentes ........................................................................................................... 252
b) Les quotas de chansons françaises : une source de difficultés.................................................... 253
2. Une imitation encouragée et facilitée ................................................................................................... 253
2.1. La radio, c’est le « nerf de la guerre » ......................................................................................... 255
a) De l’intérêt de figurer dans le panel Yacast ................................................................................. 256
b) Un travail de conviction ............................................................................................................... 257
c) L’argument « qui tue » ................................................................................................................ 259
d) Un discours à l’efficacité variable ................................................................................................ 262
e) Les contreparties et les partenariats ........................................................................................... 262
Références
381
2.2. Une imitation facilitée ................................................................................................................. 265
a) Yacast, une source d’information ................................................................................................ 265
b) Le rôle du GIE « Les Indépendants » ............................................................................................ 267
3. Contexte et imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 270
Résumé du chapitre 5 ..................................................................................................................................... 272
Chapitre 6 : Une typologie des pratiques d’imitation concurrentielle ........................................................... 274
1. Les pratiques instrumentales de l’imitation .......................................................................................... 277
1.1. L’imitation comme source d’information .................................................................................... 279
a) Des informations relatives aux stratégies promotionnelles des labels ....................................... 279
b) Des informations relatives à la recherche musicale .................................................................... 280
1.2. L’imitation comme une forme de parasitisme ............................................................................ 284
a) Une démarche expérimentale ..................................................................................................... 284
b) La « politique du mouton » ......................................................................................................... 287
c) Une répartition des rôles ............................................................................................................. 289
1.3. L’imitation comme moyen d’assurer la parité concurrentielle ................................................... 292
a) Un moyen de neutraliser un concurrent ..................................................................................... 292
b) Un moyen de se prémunir d’un désavantage concurrentiel ....................................................... 293
1.4. Un argument d’autorité ............................................................................................................... 294
2. Les pratiques évaluatives de l’imitation ................................................................................................ 298
2.1. L’imitation comme révélateur de tendance ................................................................................ 299
2.2. L’imitation comme un moyen d’entrer dans la norme ................................................................ 301
a) Une forte adhésion à « l’orthodoxie du Top 40 » ........................................................................ 301
b) Une norme respectée… malgré tout ........................................................................................... 302
2.3. L’imitation comme session de rattrapage ................................................................................... 303
a) Une seconde chance .................................................................................................................... 304
b) Un aveu d’échec qui s’accompagne de regrets ........................................................................... 305
c) La « voix de la raison » ................................................................................................................. 306
2.4. L’imitation comme un moyen de se rassurer .............................................................................. 307
a) Un accueil des auditeurs redouté ................................................................................................ 307
b) Un « cocon familial » apaisant ..................................................................................................... 308
c) Une source de reconnaissance .................................................................................................... 309
2.5. L’imitation comme révélateur de désir ....................................................................................... 309
a) Des « oreilles baladeuses » .......................................................................................................... 309
b) Une envie incontrôlable .............................................................................................................. 310
Table des matières
382
3. Pratiques d’imitation : Une conclusion provisoire ................................................................................. 313
Résumé du chapitre 6 ..................................................................................................................................... 314
Discussion : De l’imitation à la différenciation .............................................................................................. 316
1. Discussion des résultats du chapitre 5................................................................................................... 317
1.1. Des pressions institutionnelles interdépendantes ...................................................................... 318
1.2. Incertitude et information : une tension ..................................................................................... 319
2. Discussion des résultats du chapitre 6................................................................................................... 319
2.1. Des rationalités poreuses ............................................................................................................ 320
2.2. Des pratiques concomitantes ...................................................................................................... 321
a) Des répertoires de pratiques assez larges ................................................................................... 322
b) Des sources d’hésitations et de doutes différentes .................................................................... 323
3. Discussion transversale ......................................................................................................................... 324
a) Un point de départ ...................................................................................................................... 324
b) Une confiance retrouvée ............................................................................................................. 325
4. Retour à la littérature ............................................................................................................................ 327
Conclusion générale ..................................................................................................................................... 332
1. Synthèse de la recherche ....................................................................................................................... 334
2. Contributions, limites et perspectives ................................................................................................... 336
2.1. Contribution managériale ............................................................................................................ 336
2.2. Perspectives découlant des apports et limites méthodologiques ............................................... 338
a) Un secteur singulier ..................................................................................................................... 338
b) De l’utilisation de données déclaratives ...................................................................................... 339
c) Une analyse centrée sur l’imitation ............................................................................................. 341
2.3. Perspectives découlant des apports et limites conceptuels ........................................................ 342
a) Une mise entre parenthèses des dimensions organisationnelles et populationnelles ............... 342
b) Une tension imitation – différenciation identifiée mais qui reste à explorer ............................. 344
Références
383
Références
Bibliographie ................................................................................................................................................ 348
Liste des synthèses ....................................................................................................................................... 370
Liste des encadrés ........................................................................................................................................ 371
Liste des tableaux ......................................................................................................................................... 372
Liste des schémas ......................................................................................................................................... 373
Table des matières ....................................................................................................................................... 374
Glossaire radiophonique............................................................................................................................... 384
Annexes
Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) .......................................... 389
Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau .......................................................................................... 391
Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 ......................................................................................... 400
Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien ......................................................................... 401
Annexe 5 : Grille de codage des « topics » ...................................................................................................... 404
Annexe 6 : Codage de deux entretiens ............................................................................................................ 409
Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) ............................................................................... 410
Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage ........................................................................................... 412
Glossaire radiophonique
384
Glossaire radiophonique
Airplay
Classement hebdomadaire des diffusions radios (« j’ai regardé l’ Airplay »). Diffusion d’un titre en radio (« j’ai vu que ce titre avait un peu d’Airplay »).
Auditorium
Séance de recherche musicale consistant à rassembler dans un même lieu un panel d’auditeurs représentatifs de la radio afin de leur faire écouter des extraits de musique et de sonder leurs réactions.
Burn
Phénomène de saturation des auditeurs à l’égard d’une chanson diffusée en radio.
Call-out
Sondage téléphonique réalisé sur un panel représentatif des auditeurs d’une station en vue de tester la programmation musicale.
Format
Positionnement d’une radio musicale. Le format est composé de titres issus du même sous-genre musical. Par extension, le terme est également utilisé pour désigner des contenus parlés (on parle alors de formats « talk »). Un format est construit en vue d’attirer une cible particulière d’auditeurs.
GIE « Les Indépendants »
Groupement de radios locales et régionales françaises proposant une offre publicitaire commune. Le GIE « Les Indépendants » mets également à la disposition des radios affiliées un ensemble de ressources (conseiller aux programmes, accords avec des studios d’enregistrement de jingles, etc.)
Gold
Chanson relativement ancienne diffusée occasionnellement par une radio musicale.
Hit
Chanson suscitant un engouement particulier chez les consommateurs et diffusée massivement par les radios musicales. Certaines radios ont d’ailleurs fait des « hits » la composante essentielle de leur programme (ex : NRJ, « hit music only »).
Références
385
Horloge
Document formel utilisé par les professionnels de la radio pour standardiser chaque heure de programme. L’horloge indique, par exemple, le moment auquel sont diffusés les écrans publicitaires et établit la répartition des diffusions de chaque catégorie de titres. L’horloge sert de base à l’élaboration des programmations musicales quotidiennes.
Labels (industrie musicale)
Un label est une structure de production de disques. Certains labels sont intégrés à une maison de disque pouvant rassembler plusieurs structures. D’autres sont indépendants des grandes maisons de disques. Chaque label est généralement organisé en trois fonctions : production, promotion et marketing.
Médiamétrie
Institut français chargé de mesurer l’audience des radios et des télévisions.
Partenariat
Accord entre une radio et un label permettant à la radio d’associer son image à un artiste ou à un groupe en échange d’une diffusion sur son antenne.
Playlist
Liste de disques diffusés quotidiennement par une radio musicale. La playlist est régulièrement actualisée par le programmateur.
Programmateur
Personne en charge de la constitution de la playlist. Le programmateur décide des disques qui sont diffusés sur l’antenne d’une radio musicale et assigne à chaque disque une fréquence de passage (appelée taux de rotation).
Quotas de chansons françaises
Les radios musicales françaises sont tenues de réserver entre 35 et 50% de leurs diffusions musicales à des productions d’expression française. Les quotas de chansons françaises incluent également une obligation de passage de « Nouveaux talents ».
Réseaux
Radios ayant une couverture nationale. Les réseaux peuvent détenir certaines fréquences en propre ou avoir noué des accords de franchise avec des opérateurs locaux. Dans certains cas, ils peuvent réaliser des « décrochages » pour émettre des programmes locaux sur créneaux horaires.
Rotation
Fréquence de passage quotidienne ou hebdomadaire d’une chanson sur une radio musicale. Le taux de rotation est définit par le programmateur. Il est généralement commun à un ensemble de disques placés par le programmateur dans une même catégorie (ex : nouveautés, récurrents, « hits », « golds », etc.)
Glossaire radiophonique
386
Selector
Logiciel utilisé par les programmateurs pour construire leurs programmations musicales quotidiennes.
Sondages
Mesure de l’audience des radios réalisée par Médiamétrie. En France, les sondages sont réalisés par téléphone auprès d’un panel représentatif de la population française. Les sondages sont publiés plusieurs fois par an et réalisé sur des périodes très spécifiques. Ils peuvent concerner l’ensemble du territoire national ou être ventilés par zone géographique.
Recherche musicale
Ensemble d’outils marketing permettant aux professionnels de la radio de tester leur programmation musical sur des panels d’auditeurs. Les deux outils principaux de recherche musicale sont l’auditorium et le « call-out ».
Top 40
Modèle de radio inventé aux Etats-Unis durant les années cinquante. Le modèle du « Top 40 » consiste en la diffusion d’une liste limitée de titres (playlist). Les titres sont généralement diffusés plusieurs fois au cours d’une même journée. Le « Top 40 » permet également de définir un ensemble de critères de sélection de titres à diffuser sur une radio musicale (nous avons parlé dans cette recherche « d’orthodoxie du Top 40 » pour désigner ces normes partagées par les professionnels du secteur). Par extension, le terme « Top 40 » est parfois utilisé par certaines radios pour qualifier leur format musical. Il correspond alors à un format généraliste consistant à diffuser les 40 succès du moment.
Yacast
Société française mettant à la disposition des acteurs de la filière musicale un service de veille des diffusions musicales en radio et en télévision. Par extension, le terme « Yacast » est également utilisé pour désigner le service en lui-même (« j’ai consulté le Yacast »).
387
388
Annexes
Annexe 1 : Les modèles de rationalité selon Romelaer et Lambert (2001, p.217) p.389
Annexe 2 : Les differents formats selon Delaveau p.391
Annexe 3 : Composition du panel Yacast en 2006 p.400
Annexe 4 : Déroulement des interviews et guide d’entretien p.401
Annexe 5 : Grille de codage des topics p.404
Annexe 6 : Codage de deux entretiens p.409
Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes (codage analytique) p.410
Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage p.412
An
ne
xe
s
An
ne
xe
1 :
Le
s m
od
èle
s d
e r
ati
on
ali
té
AN
NE
XE
1 :
LE
S M
OD
EL
ES
DE
RA
TIO
NA
LIT
E S
EL
ON
RO
ME
LA
ER
ET
LA
MB
ER
T (
20
01
, P.2
17
)
Mod
èles
de
rati
on
ali
tés
Mod
èles
de
rati
on
ali
tés
op
tim
isatr
ices
Mod
èles
de
rati
on
ali
tés
exp
lora
toir
es
Ty
pe
For
te
Pro
cédu
rale
sta
ndar
d In
flue
ncée
par
les
règl
es
Infl
uenc
ée p
ar le
s va
leur
s C
onte
xtue
lle
Cog
énér
ée
Eco
logi
que
Con
nais
san
ce
des
alt
ern
ati
ves
de
choix
Con
nais
sanc
e to
tale
C
onna
issa
nce
part
iell
e P
roce
ssus
de
rech
erch
e se
gmen
té
Con
nais
sanc
e to
tale
M
ixte
des
sit
uati
ons
préc
éden
tes
Con
nais
sanc
e pa
rtie
lle
Con
nais
sanc
e to
tale
Con
nais
san
ce
des
con
séq
uen
ces
des
ch
oix
Con
nais
sanc
e to
tale
C
onna
issa
nce
tota
le
à co
nséq
uenc
es m
al
appr
écié
es
Com
plet
à l’
inté
rieu
r d’
un e
spac
e re
stre
int
Con
nues
mai
s dé
form
able
s pa
r le
s af
fect
s (i
dem
) C
onna
issa
nces
ré
vélé
es a
u co
urs
de
l’ac
tion
Con
séqu
ence
s bi
nair
es (
prob
lèm
es
solu
tion
nés
ou p
as)
Pré
ord
re s
ur
les
pré
fére
nce
s
Pré
odre
com
plet
et
stab
le d
ans
le te
mps
P
réod
re c
ompl
et e
t st
able
dan
s le
tem
ps
Pré
odre
com
plet
po
uvan
t évo
luer
Inst
able
, inf
luen
cé
par
les
vale
urs
et le
s af
fect
s (i
dem
) A
ntic
ipat
ion
d’ap
pren
tiss
ages
T
echn
olog
ie f
loue
pr
oxim
ité
tem
pore
lle
Règ
le d
e
déc
isio
n g
uid
an
t
le r
ais
on
nem
ent
Alg
orit
hmes
qu
anti
tati
fs (
max
. pr
ofit
, SE
U, e
tc.)
Seu
il d
e sa
tisf
acti
on
Adé
quat
ion
aux
règl
es (
situ
atio
n-id
enti
fica
tion
as
sort
imen
t)
Alg
orit
hme
quan
tita
tif
si
indi
ffér
ence
–
adéq
uati
on a
ux
vale
urs
Am
bigu
ïté
fort
e du
e à
l’al
éa
du c
onte
xte
Ant
icip
atio
n d’
appr
enti
ssag
es
Tec
hnol
ogie
flo
ue
prox
imit
é te
mpo
rell
e
Deg
ré e
t n
atu
re
de
l’a
mb
igu
ité
Abs
ence
d’a
mbi
güit
é A
mbi
guït
é fa
ible
liée
au
x ca
paci
tés
cogn
itiv
es li
mit
ées
Am
bigu
ïté
faib
le li
ée
au p
érim
ètre
lim
ité
de la
déc
isio
n
Am
bigu
ïté
fort
e du
e à
l’in
stab
ilit
é de
s af
fect
s
Am
bigu
ïté
fort
e du
e à
l’al
éa d
u co
ntex
te
Am
bigu
ïté
fort
e du
e à
la m
écon
nais
sanc
e a
prio
ri d
es
cons
éque
nces
Am
bigu
ïté
fort
e du
e à
la m
écon
nais
sanc
e de
s pr
océd
ures
et a
u m
anqu
e de
co
ordi
nati
on d
es
acte
urs
Th
éori
es
Rat
iona
lité
éc
onom
ique
Fin
ance
st
anda
rd (
VA
N, T
IR)
Rat
iona
lité
lim
itée
(b
ound
ed r
atio
nali
ty)
Log
ique
d’
appr
opri
atio
n M
odèl
e no
rmat
if
affe
ctif
(N
/A/)
T
héor
ie d
e l’
imag
e T
héor
ie d
es c
ycle
s de
déc
isio
n M
odèl
e de
la
corb
eill
e à
papi
er
(Gar
bage
Can
)
Pri
nci
pa
ux
au
teu
rs
Sav
age,
Mod
igli
ani
et M
ille
r, B
real
ey e
t M
yers
Sim
on, M
arch
M
arch
-Ols
en, Z
hou
Etz
ioni
B
each
et M
itch
ell
Con
noll
y et
Wag
ner
Coh
en-M
arch
-Ols
en
Annexe 1 : Les modèles de rationalité
390
Comparaison des deux approches
A l’exception des processus écologiques qui font intervenir des processus échappant au
contrôle des individus ou ne les faisant pas intervenir, l’ensemble des modèles de rationalité
utilisés par Romelaer et Lambert (2001) peuvent être classifiés dans le découpage « approches
instrumentales » / « approches évaluatives ».
A la différence des deux auteurs auxquels il est fait référence, nous ne relions pas les modèles
fondées sur les règles et les valeurs à une approche instrumentale. Nous rejoignons en ce sens
Boudon (2003) pour qui les individus peuvent adopter des règles, respecter des normes ou
adhérer à des valeurs non pas en fonction des conséquences qu’ils relient à cette adoption
mais parce qu’ils les jugent légitimes, bonnes ou appropriées.
Nous soulignons par ailleurs que des approches instrumentales s’éloignant les postulats de
maximisation et peuvent exister. Elles renvoient aux modèles de rationalités de contexte dans
lesquels les individus poursuivent des objectifs appropriés à l’aide de moyens effectifs. Cette
idée est développée par Rescher (1995) au travers de la notion de rationalité pratique.
Rationalité forte ou
substantive
Rationalité procédurale ou limitée
Rationalités influencée par les règles, les normes,
les valeurs…
Rationalité contextuelle ou pratique
Rationalité cogénérée
Rationalité écologique
Rationalités optimisatrices Rationalités
exploratoires
Distinction opérée par Romelaer et Lambert
Distinction opérée dans cette recherche
Rationalités instrumentales Rationalités évaluatives
Annexes
391
ANNEXE 2 : LES DIFFERENTS FORMATS SELON DELAVEAU
Billet publié sur le blog de Jérôme Delaveau (professionnel de la radio, ancien directeur des
programmes de Sud Radio, Contact et M6 music) le 14 octobre 2005.
Qu'est ce qu'un format de radio ?
Un format radio, ou format de programmation fait référence au contenu total diffusé sur une
station de radio. Certaines stations proposent plusieurs genres sur l'ensemble de sa grille. Au
fil du temps, les formats ont évolués et de nouveaux sont apparus. Actuellement, beaucoup de
formats radio sont concus pour toucher un segment très spécifique d'auditeurs ou certaines
niches de la population écoutant le média radio en se basant sur des critères démographiques
comme l'age, le sexe, l'éthnicité (c'est surtout vrai aux USA), au niveau social...
Les types de formats et leurs définitions
Vous trouverez ci dessous, beaucoup de formats avec leur description. J'attire votre attention
sur le fait que régulièrement on s'apperçoit qu'en France, les définitions ou les dénominations
des formats radios changent de radio en radio. Ainsi, pour mettre tout le monde d'accord, je
vais m'appuyer sur les définitions courantes sur le marché radio américain. Les définitions que
vous trouverez ci dessous étant utilisées aux Etats-Unis, au Canada et en Amérique Latine.
News, Talk et Sports
Les stations avec une programmation News/Talk proposent une forte concentration
d'informations locales, régionales, nationales, internationales ainsi que du sports, et des infos
services comme la météo et le trafic routier. En plus des infos, ces radios proposent souvent
des émissions de "talk" (des discussions autour de sujets définis) avec souvent des
interventions d'auditeurs. Aux USA, la plupart de ces radios sont disponibles sur la bande
AM. Au Canada, ce format fait son apparition sur la bande FM depuis quelques années (FM
93 à Québec ou Le FM Parlé de Montréal). En France, on a longtemps appellé ces radios, les
"généralistes" ou les "périphériques".
Les stations françaises les plus proches de ce format : France Info, RMC Infos, Europe 1.
Sports
Ce format propose une programmation relative au monde du sport. La plupart des stations
avec un format sport sont tournés vers les infos sportives, les émissions de discussion autour
du sport et bien sur une couverture en direct des évènements sportifs locaux et nationaux. Aux
Etats Unis, la plupart de ces radios sont sur la bande AM. En France, les seules radios à
Annexe 2 : Les différents formats
392
s'essayer à ce format sont Sport FM à Paris et Hits & Sports à Lyon. Elles ont choisi d'être mi-
musicales mi-talk. Et on remarque également que RMC Infos se spécialise sur le format sport
sur ses fins d'après midi.
Talk
Les stations avec ce format se concentrent sur une variété d'émissions parlées. En général les
infos peuvent être entendus en début de chaque heure dans les heures de forte écoute (matin et
retour à la maison aussi appellés AM drive et PM drive). En France, c'est plutôt la spécialité
d'Europe 1.
News/Talk-business
Egalement désigné comme News-talk-finances, ce format concentre les informations données
sur le monde du business, de la bourse, de l'économie... En France, c'est la spécialité de BFM.
Farm/agriculture
C'est une autre déclinaison du format news/talk. Les stations de ce format se concentrent sur
les informations du monde agricole. Aux heures de travail, toute la semaine, ces radios
annoncent le prix des produits agricoles, les dernières nouveautés... En dehors de ces heures,
la plupart de ces radios proposent de la musique (le plus souvent de la Country, AC ou
Oldies). Ce type de radios peut être trouvé aux USA sur la bande AM dans des petits marchés
radiophoniques (très souvent ruraux). A ma connaissance, ce type de radio n'existe pas en
France.
Political/Politique
Selon les américains, ce format est très populaire en Europe et plus spécialement en France.
Le but de ces radios serait d'offrir des informations, de donner les points de vue des
politiciens sur des sujets chauds, et de développer des discussions intellectuelles pour une plus
grande ouverture d'esprit des auditeurs. ??? Il est vrai que nous offrons beaucoup d'émissions
politique sur les radios française (Grand Jury sur RTL, etc.) mais je ne connais pas une radio
française entièrement tournée vers un discours politique. Sauf peut-être la radio d'extrême
droite, Radio Courtoisie.
C.H.R ou Contemporary Hit Radio
Egalement appellé Pop Music Radio, ou Top40, les CHR (contemporary hit radio, radio de
hits contemporains) jouent les tubes du moment ou des dernières années (ou décennies). Ce
Annexes
393
sont en général les radios préférées des jeunes auditeurs. Il y a une très forte dominance de
musique actuelle ou de nouveautés. Aujourd'hui, une bonne majorité des radios formatées
CHR, plus spécialement sur les gros marchés (grandes villes ou réseaux nationaux) orientent
leur programmation musicale vers un style musical particulier.
CHR-pop
Egalement appellé CHR-top 40. Si on le compare au format CHR-rhythmic, les éléments de
bases sont les mêmes, mais la musique sera légèrement plus orientée vers des sons rock ou
alternatifs. La playlist est composée de nouveautés, de hits actuels et de tubes popularisés
dans les 6 ou 12 derniers mois. L'audience visée est jeune adulte à adulte (15 à 35 ans). La
radio qui s'en rapproche le plus sur le marché français, c'est Europe 2.
CHR-rhythmic
Même si un grand nombre de chansons peuvent être joué en commun sur les deux formats
CHR-pop et CHR-rhythmic, la différence entre ces formats et que le CHR-rhythmic
s'inclinera plus vers les sons hip-hop, rap and dance, que vers les sons rock et alternatifs. La
playlist est composée de nouveautés, de hits actuels et de tubes popularisés dans les 6 à 12
derniers mois. L'audience visée est agalement 15-35 ans. On peut dire que les stations qui se
rapprochent le plus de ce format en France sont Skyrock et Fun Radio.
CHR-dance
Toujours orienté sur une musique populaire, ce format s'oriente plutôt vers les hits de la
dance music et les remixes dance de chansons populaires. La playlist est composée de
nouveautés, de hits actuels et de tubes populaires des dernières années. L'audience visée est
entre 15 et 35 ans. La radio qui se rapproche le plus de ce format en France, c'est Contact.
D'ailleurs ce format, je l'ai mis en place sur les émetteurs de cette radio nordiste lorsque j'ai
constaté que la spécialisation du programme musical sur la techno était caduque. La radio
avait une mauvaise image et surtout l'audience était en perte de vitesse (moins d'auditeurs, une
audience vieillissante, une stabilisation par l'apport de nouveaux émetteurs).
CHR - 80s
Ce format fait parti des derniers nés aux USA et il y fonctionne très bien. Certains pourraient
faire remarquer que ce format devrait faire parti des format "golds"; et ils auraient en parti
raison. Mais la cible reste assez jeune et à l'écoute, ces radios ont une ambiance très actuelle...
La musique jouée sur ces radios sont les tubes des années 80 et parfois du début des années
Annexe 2 : Les différents formats
394
90. Certaines radios proposent une ouverture sur la fin des années 70 (mais c'est plus rare).
L'audience visée est plus adulte (les 25-35 ans). Aucune station française ne s'est encore
spécialisée sur ce format.
CHR - español
Egalement connu sous le nom de Latin pop, ce format de niche peut être trouvé dans les
marchés radiophoniques américains ou il éxiste une forte population hispanophone et dans les
villes proches de la frontière mexicaine.On y diffuse les tubes des pays hispaniques (Mexique,
Espagne, Cuba, Amérique Latine...). Il existe une équivalence en France : Radio Latina. Mais
elle ne connait pas le succés des radios hispaniques américaines.
Autres formats CHR
Tous les formats CHR sont les rejetons du CHR : ils ont la même cible, ils contiennent tous
une partie de playlist commune mais ils ont une variation en s'inclinant vers un style musical
ou une période. Par exemple, le format CHR-alternative propose des tubes aussi bien que les
hits des artistes alternatifs. C'est par exemple, le format de la radio Le Mouv' en France. Le
format CHR-pop/rock mélange des tubes actuels avec les hits des artistes rock et/ou
alternatifs. Ce serait assez proche d'Europe 2.
Enfin, le format CHR-local pop Music propose un mélange de tubes locaux avec les grands
tubes internationaux. En fait, c'est le format CHR le plus répandu en France (Radio Scoop,
Vibration, NRJ...) car il permet d'offrir les tubes de Britney Spears comme ceux de Calogero.
Adult contemporary ou A.C
Le plus souvent appellées 'AC', les stations 'adult contemporary' sont en affinitées avec des
auditeurs de 30 ans et plus. Ces radios offrent la musique de la dernière décennie avec des
titres actuels que ce soit du rock, du r'n'b. Des artistes comme Madonna, Lionel Richie, Céline
Dion, Mariah Carey, ou Goldman pour la France par exemple sont les artistes les plus souvent
diffusés sur le format AC.
Hot AC
Les radios avec ce format ont une audience légèrement plus jeune que les autres format AC.
Plus de rythme dans la musique et plus de nouveautés différencie le HOT AC des autres AC.
Hot AC est un format hybride, entre le CHR Pop et le format AC. En France, c'est plutôt le
format de Vibration.
Annexes
395
Modern AC
Tout comme pour le format Hot AC, l'audience est lègèrement plus jeune que pour le AC. Là
aussi, la musique est légèrement plus rythmée et on peut y entendre plus de nouveautés. Le
Modern AC est un mélange de Hot AC et du format Modern Rock. La programmation
musicale se concentre principalement sur les hits des 12 derniers mois. Je en vois pas
d'équivalence de ce format sur le marché français.
Soft AC
Egalement connu sous le nom de 'easy listening' ou 'beautiful music', ce format vise les plus
de 35 ans.A la différence du format AC, la musique peut être des 40 dernières années et
consiste en une grosse majorité de ballades, de chansons d'amour d'artistes populaires, ainsi
que de musique lente et relaxante. Aucune aggressivité sur ce format.
AC - oldies
Ce format typiquement américain est un mix entre la musique typique du format AC et de la
musique Country. Il vise les plus de 30 ans et se retrouve le plus souvent dans les petites villes
ou dans les zones rurales. La musique programmée sur ce format est tirée des années 60 à 90.
Cependant, une adaptation de ce format pour la France est tout à fait envisageable.
AC-Romantica
Ce format est la version hispanique du Soft AC. La majorité des titres programmés est en
espagnol et les animateurs parlent également espagnol. Ces radios visent les plus de 30 ans
membres de la communauté hispanique.
Autres formats AC
D'autres format AC existent. Des hybrides comme le rock AC, rhythmic AC ... Pour ma part,
j'ai eu le plaisir de créer un format Rythmic AC sur Zi ONE (107.4 FM à Mouscron en
Belgique / www.tv-radio.com pour l'écouter)
Formats Rock et Alternatifs
Modern rock
Egalement connu sous le nom de 'new rock' ou 'alternative rock', ce format est ouvert sur la
musique rock alternative. Il y est offert une forte concentration de nouveautés et de hits
actuels ainsi que des titres des 6 à 12 derniers mois. La station publique jeune 'Le Mouv'
propose un format qui s'en rapproche.
Annexe 2 : Les différents formats
396
Active Rock
Les stations de ce format sont axées sur les titres rock populaires du moment et sur les tubes
rock des deux dernières décennies.
Adult alternative
Les américains surnomment souvent ce format 'triple A' ou 'AAA'. Il offre un melange des
formats 'Modern Rock' avec des titres plus progressifs, alternatifs et des classiques du rock
pour plaire à une audience plus agée que les 2 précedents formats présentés. Selon moi, c'est
plutôt le format de la station parisienne Ouï FM.
Alternative
C'est un format qui a grandi dans les radios de colléges au cours des années 80. La musique
alternative y est prépondérante et souvent la selection musicale fait la part belle aux titres non
commerciaux. On y propose beaucoup de nouveautés, peu de titres généralistes, du punk, de
la musique industrielle, du heavy métal et on y aide les artistes locaux. C'est un format
défendu sur quelques radios associatives en France comme l'excellente Radio Béton à Tours.
Classic Rock
C'est l'un des formats les plus populaires sur le territoire des USA. La plupart des marchés
radiophoniques ont leur station Classic Rock et parfois, il y en a même 2. Les playlistes des
stations 'Classic rock' proposent des hits rocks populaires des années 70, 80, 90 et pardois
quelques hits du moment. L'un des courants de ce format s'appelle 'album-oriented rock' (que
je traduirai par 'Rock tiré d'albums') ou AOR. La différence entre ces 2 formats est que les
stations 'classic rock' jouent des singles, alors que les stations AOR préférent jouer des titres
extraits d'albums d'artistes populaires (même s'ils ne sont pas sortis en singles). En France,
c'est RTL2 qui a importé le format 'Classic Rock'. Je ne connais pas de station AOR en France
(ou peut être une web radio ?).
Americana
Un genre de mélange des formats 'adult alternative' avec du blues et de la Country
progressive. Typiquement américain !
Heavy metal
Ce format est l'un des plus bruyant que j'ai pu entendre... C'est un format diffusé sur certaines
College Radios et sur des Web Radios.
Annexes
397
Additional formats
Il existe quelques déclinaisons spécifiques de ces formats alternatifs. Comme les stations
'Zydeco/Cajun' (surtout en Floride, vous l'aurez compris), 'Bluegrass music' et 'Blues music'.
En Europe, on retrouve aussi les formats 'Industrial' et 'techno' (comme par exemple Radio
Galaxy à Lille).
Les Formats Urban (ou Urbains)
Urban contemporary
La plupart du temps, il est désigné tout simplement sous le titre "urban" et il peut être connu
comme le format R&B ( littérallement 'rhythm and blues'), le style musical 'urban
contemporary' refléte largement la musique de la communauté noire aux USA. En mettant en
avant les artistes rap, hip-hop, house, soul. Ces formats 'Urban' sont principalement en affinité
avec les jeunes auditeurs. La station Urban Contemporary la plus efficace sur le marché
français, c'est ADO FM à Paris.
Urban ac
Les stations 'Urban AC' s'adressent à un public plus adulte. Les Play lists de ces radios sont
composées de plus de soul et de ballades et moins de rap ou de hip-hop.
Rhythmic oldies
Surnommées 'jammin' oldies', ces radios sont relativement nouvelles dans le monde
radiophonique. La musique programmée sur les radios de ce format incluent des vieux
standarts de la Black Music, des hits de la Motown, et pas mal de disco, et des souvenirs
'dance' des années 70, 80 et 90. Compte tenu de la loi des quotas francophones, ce type de
format est impossible à créer en France, à moins de le proposer sur une web radio.
Urban oldies
Ce format s'adresse aux USA à un public senior en proposant une programmation des artistes
black des années 50 à 70.
Format 'Oldies' et 'Nostalgia'
Oldies
Ce type de musique peut être entendu sur les stations de ce format. Il propose de ré entendre
les hits des années 50, 60 et parfois des années 70, comme par exemple Elvis Presley, les
Rolling Stones et tous les tubes du label Motown. La plupart des stations formatées 'Oldies' se
Annexe 2 : Les différents formats
398
concentrent sur la musique des années 50 et 60, mais suite à la grande popularité de ce type de
format, on trouve maintenant des radios qui se spécialisent sur une décennie ou un type
musical. Deux de ces formats les plus populaires sont expliqués un peu plus bas. Nostalgie,
qui est la station la plus 'Oldies' du paysage radiophonique français s'est plutôt spécialisée sur
les années 60, 70.
Classic hits
Jouant généralement des titres pop/rock des années 70 et 80, ces radios sont à mi chemin entre
les formats 'Oldies' et "Classic Rock". Ce format se retrouve en dehors des USA, comme par
exemple à Sydney (Australie) où WSFM affiche de très bons résultats d'audience.
Standards
Egalement appelés 'nostalgia' ou 'adult standards', ce format joue la musique populaire des
années 30 à 60 et peut s'ouvrir à des titres big band et au swing. Les artistes 'stars' de ce
format sont Tony Bennett, Nat King Cole, Natalie Cole, and Barbara Streisand. La plupart des
stations de ce format est diffusée sur la bande AM.
Big band
Ce format est proche du format 'standards' à la différence que la musique est plutôt celle des
années 20 à 40, quelelle est légèrement plus rythmée. C'est plutôt un format reservé aux
stations non-commerciales (college radio ou web radios).
Oldies - español
Très populaire sur les marchés à forte population hispanique (Los Angeles, Miami, etc.), ce
format se focalise sur les golds populaires en langue hispanique des années 50 à 70.
MOR
Une abreviation de 'middle of the road', ce format fut populaire ces dernières décennies mais
a quasiment disparu du paysage radiophoniques américain d'aujourd'hui. Ce format combinait
flashs info, talk show et musique. La musique était composée des chansons populaires du
moment (celles qui sont joués sur les radios 'Oldies" et 'Adult aujourd'hui).
Autres formats Oldies
En plus des formats expliqués plus haut, il existe encore d'autres formats 'golds' qui sont
expliqués tout au long de ce dossier. Par exemple le format ' rhythmic oldies' (voir dans le
chapitre des formats 'urban'), 'urban oldies' (voir dans les formats 'urban'), CHR-80's (voir
dans les stations 'CHR'), et 'classic rock' (voir le chapitre des formats 'rock').
Annexes
399
Il existe une grande variété de formats encore...
Je n'ai pas détaillé les formats Jazz, Classique, la multitude de formats latino (certains sont
expliqués plus haut, mais il y en a tant d'autres), les formats 'World Music', enfants, religion,
les Colléges radio...
D'ailleurs, finalement, chaque radio invente plus ou moins son propre format lorsqu'elle
élabore sa stratégie, sa cible, sa playlist, sa grille d'émission...
Annexe 3 : Composition du panel Yacast
400
ANNEXE 3 : COMPOSITION DU PANEL YACAST EN 2006
Radios périphériques et d’information
• Europe 1
• France Bleu
• France Inter
• RMC
• RTL
• Sud Radio
Réseaux musicaux
• FIP
• Fun Radio
• Le Mouv’
• MFM
• NRJ
• RFM
• Rire et Chansons
• RTL2
• Skyrock
Radios indépendantes
• Ado FM
• Alouette
• Champagne FM
• Contact FM
• Hit West
• Ouï FM
• Kiss FM
• Radio 6
• Radio FG
• Radio Star
• Scoop
• Top Music
• Vibration
• Vitamine
• Voltage
Les classements Muzicast sont établis sur la base des diffusions musicales 24h/24 et 7j/7
recensées sur les radios du panel YACAST, pondérées par l’audience réelle communiquée par
MEDIAMETRIE : Quarts d’heure moyen (base : 13 ans et +). Enquêtes 126 000+, IDF et
Medialocales.
Source : Musique Info Hebdo n°389, 5 mai 2006, p14.
Annexes
401
ANNEXE 4 : DEROULEMENT DES INTERVIEWS ET GUIDE D’ENTRETIEN
Après avoir brièvement présenté l’objet de la recherche (« Je cherche à savoir comment se
fait la programmation musicale dans les radios »), une question introductive permet
d’amorcer l’entretien. Le déroulement des entretiens consiste ensuite en l’écoute d’une
dizaine d’extraits musicaux issus de la programmation musicale de la station visitée. A partir
des réactions du répondant, des relances sont effectuées en lien avec un guide d’entretien
prédéterminé. Certaines relances peuvent venir spontanément afin d’approfondir certains
sujets.
Déroulement des entretiens réalisés avec les programmateurs
Question introductive
Le plus souvent, la question d’entame porte sur la radio visitée (surtout pour les radios
indépendantes) ou sur les fonctions occupées par le répondant (surtout pour les radios
nationales, plus connues). Lorsque l’entretien se déroule en période d’actualité chaude pour
les radios (exemple : communication des résultats d’audiences), la question d’entame peut
être modifiée.
Quelques exemples :
PM : J’aimerais bien que pour commencer cette discussion, vous me présentiez un peu Radio XXX… Répondant : En fait, Radio XXX, c’est une radio qui a été lancée début des années 80… au début des radios libres. Euh… mon patron, qui est encore le patron maintenant, euh… excusez moi…
[Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante généraliste du Sud de la France]
Présentation et question introductive
Phase introductive, présentation de la radio, fonctions et parcours du
répondant… (peu directif)
Ecoute d’un extrait musical… « parlez moi un peu de ce titre… »
Mode semi directif. Relances à partir du guide d’entretien.
Annexe 4 : Déroulement des entretiens
402
PM : On peut peut-être commencer par parler de votre radio… Répondant : YYY est positionnée par rapport à une cible particulière. Donc notre positionnement, il ne s’arrête pas à la musique… il va beaucoup plus loin. C'est-à-dire qu’on va aussi travailler sur la perception que les gens ont du produit, sur la communication qu’on peut en faire etc.
[Entretien réalisé avec le programmateur d’une radio indépendante thématique du Ford de la France]
Répondant : On se tutoie hein… PM : D’accord. Alors je propose qu’on commence par parler un peu de ton travail, de la façon dont tu… Répondant : Je vais d’abord couper mon portable… propose moi d’abord de couper mon portable… PM : Alors spontanément je propose que tu coupes ton portable… (rires) Répondant : Voilà… Alors ça se passe de la façon la plus naturelle. C’est un peu paradoxal quand on connaît la puissance de tir de ZZZ. Mais c’est vraiment ça. C’est des gens qu’on appelle les programmateurs qui reçoivent des disques, et qui vont en acheter aussi, en import, et… qui écoutent d’autres radio à travers le monde, et qui d’un seul coup craquent pour des chansons et ont envie de les mettre en avant. C’est pas plus compliqué que ça ! Et alors… il faut choisir, parce que les playlist ne sont pas extensibles.
[Entretien réalisé auprès du directeur général des programmes d’un grand réseau national]
Choix des extraits musicaux
Les extraits musicaux diffusés en entretien (par l’intermédiaire d’un ordinateur portable ou
d’un téléphone portable) sont sélectionnés à partir de la programmation musicale de la radio
visitée. La radio est donc écoutée plusieurs heures durant les jours précédant l’interview. Pour
les radios intégrées au panel Yacast, les relevés de programmations ont pu être utilisés.
L’idée générale est de parvenir à un équilibre, au cours de l’entretien, entre nouveautés
programmées par la station musicale avant les radios concurrentes et entrées en playlist plus
tardives.
Relances prédeterminées
Le tableau qui suit donne propose un aperçu des thèmes explorés durant les entretiens et de
relances associées.
Annexes
403
Guide d’entretien et relances associées (principaux thèmes)
Thèmes à explorer Exemple de relances
Controverse >RJ / GIE Les Indépendants « En effet, on en a beaucoup entendu parler… vous pouvez me donner votre sentiment sur cette affaire ? »
Doutes / Incertitude « Vous n’êtes pas sûr ? Comment ça ? »
Imitation « Ah, c’est amusant, là tu m’expliques que tu y es allé après tout le monde… »
Rapports avec les attachés de presse « Ils peuvent être enquiquinants parfois ? »
Yacast, influence de la programmation des autres
radios
« Comment est-ce que tu l’utilises toi ce Yacast ? »
Cas particulier des entretiens de contexte
Les entretiens de contexte sont réalisés auprès d’observateurs privilégiés du secteur. Ces
derniers peuvent être des professionnels de la radio non programmateurs (dirigeants,
animateurs), des personnes travaillant dans des maisons de disques (directeurs de labels,
attachés de presse), des chargés de promotion indépendants, des responsables administratifs
ou politiques connaissant bien la radio et ses enjeux.
Ces entretiens sont très peu directifs et n’obéissent pas à un déroulement standard. Les
relances sont liées au « topics » figurant dans le dictionnaire des thèmes figurant en annexe 3
(les entretiens de contexte ont débuté alors que l’analyse des entretiens réalisés auprès des
programmateurs avait déjà commencé)
Annexe 4 : Codage des “topics”
404
ANNEXE 5 : GRILLE DE CODAGE DES « TOPICS »
Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau
Concurrents et Industrie Autres programmateurs Alain T.
Bruno W.
Christophe S.
Didier B.
Dominique L.
Eric D.
Jérôme D.
Laurent B.
Laurent R.
Max G.
Pascal G.
Pascal M.
Pierre L.
Rémi D.
Richard C.
Roberto C.
Sébastier L.
Valérie K.
Concurrents et Industrie Autres radios 100%
13 FM
Ado
Alouette
Black Box
Cannes Radio
Champagne FM
Chante France
Chérie FM
Contact
D !rect
Europe 1
Europe 2
FG
Forum
France Bleu
France Info
France Inter
Fun Radio
Génération
Hit West
Kiss FM
Le Mouv’
Maritima
MFM
Mona FM
NRJ
NTI
Ouï FM
Radio 6
Radio 8
Radio Scoop
Radio Star
Radios étrangères
RFM
RTL
RTL2
Skyrock
Sport FM
Start (Groupe)
Sun
Top Music
Vibration
Vitamine
Voltage
Wit FM
Annexes
405
Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau
Concurrents et Industrie Controverse NRJ-GIE
Concurrents et Industrie Crise de l’Industrie Musicale
Concurrents et Industrie CSA
Concurrents et Industrie Histoire, avenir et enjeux de la radio
Concurrents et Industrie Jalousies, « le métier »
Concurrents et Industrie Qualité de la production française
Concurrents et Industrie RadioActu – ComFM
Contexte GIE « Les Indépendants Conseiller aux programmes
Conventions annuelles, réunions
Echange d’expériences
Jeux politiques internes
Liens sociaux
Mutualisation
Professionnalisation
Rentrées publicitaires
Stratégie et fonctionnement du GIE
Contexte Radio Antenne (Programmes, Voice Track)
Claim
Format et cible (détail des formats)
Fréquences
Histoire
Résultats d’audience
Spécificités territoriales
Stratégie (concurrents directs, DG, Orga)
Contexte Répondant Biographie, anecdotes
Caractère, personnalité
Fonctions
Goûts musicaux personnels
Projets professionnels
Radios écoutées
Relations avec les autres programmateurs
Relations avec les artistes
Vie personnelle
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Attitude Débridée
Nouvelle
Punk
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Carrière Biographie
Discographie
Historique avec la radio, précédents
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Image Bonne
Branchée
Féminine
Gamine
Mauvaise
Moderne
Parisienne
Pas crédible
Pas légitime
Populaire
Propre
Wesh-wesh
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes Notoriété Connu
Forte renommée
Inconnu
International
Légende
Star
Star à l’étranger
Annexe 4 : Codage des “topics”
406
Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes
Personnalité Authentique
Bon vivant
Charismatique
Charmant
Débridé
Foufou
Gentil
Hors du commun
Sensible
Super
Sympa
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes
Physique Beau mec
Bien foutu
Coupe de cheveux
Jolie
Mignonne
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes
Talent Mélodiste
Pas de talent
Showman
Les « Ingrédients d’un tube » : Artistes
Voix Bien
Bizarre
De petite fille
Identifiable
Insupportable
Intéressante
Jolie
Particulière
Pas naturelle
Superbe
Vieillotte
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Album
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Avis général (Dimensions) Coup de cœur
Mitié
Négatif
Positif
Tube-hit
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Avis général (Propriétés) Accessible – Passe partout
Actuel
Aérien
Américain
Apaisant
Attachant
Audacieux
Black
Classe
Dancefloor
Différent
Dur
Dynamique
Efficace
Eighties
Energique
Entrainant
Facile à chanter
Facile à écouter
Facile à retenir
Familier
Festif
Formaté
Frais
Gentil
Gros
Identifiable
Intemporel
Intéressant
Mal foutu
Mélodique
Midinette
Annexes
407
Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons
Avis général (Propriétés) Nineties
Nouveau
Ouest
Particulier
Pas agressif
Pas facile
Pas mélodieux
Populaire
Sixties
Soleil
Spé
Strict
Surprenant
Underground
Vivifiant
Vrai
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Cible Adultes
Clubbers
Communauté tuning
Crossover
Filles – Femmes
Gamines
Garçons
Jeunes
Mômes
Niche
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Eléments du titre Boucle
Construction
Couplets
Durée
Gimmick
Mélodie
Orchestration
Pont
Production
Refrain
Rythme
Sample – reprise
Texte (apolitique, bidon, bien écrit, bon –
sympa, cul-cul, dans l’actu, démago,
émouvant, engagé, hardcore, inhabituel,
intelligent, limite, malin, rigolo)
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons
Genre musical Dance
Dancehall
Electro
Funk
Krump
Pop-rock
Ragga
R’n’B – Soul
Trash-metal
Variétés
Les « Ingrédients d’un tube » : Chansons Staff Auteurs
Compositeurs
Directeurs de labels
Producteurs
Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie
musicale
Marketing BO Films
BO Pubs
Calendrier, sorties-promo
Clip
Générique TV
Publicité TV
Télé-réalité
Annexe 4 : Codage des “topics”
408
Grande thématique Codes de premier niveau Codes de deuxième niveau
Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie
musicale
Music business Anecdotes
Petits secrets
Nouvelles signatures
Les « Ingrédients d’un tube » : Industrie
musicale
Promotion Arguments promotionnels (Bluff, diffusion
sur les autres radios, dimension politique,
disque et artiste, échanges – négo,
implication des maisons de disques, mise
sous pression, projets communs,
relationnel, confiance, « Roberto a
adoré »)
Composition du panel Yacast
Contreparties (Argent, liners, partenariats,
petites opés, plateaux et concerts privés,
venues d’artistes, voyages à faire gagner)
Envoi de disques (envois physiques,
Titlive)
Exposition TV
Interlocuteurs (attachés de presse,
directeurs labels, managers, promo indé,
stagiaires)
Moyens de communiquer (déjeuners, e-
mails, présentations d’artistes, invitation
concerts, rendez-vous, téléphone)
Programmation musicale
Façon de travailler (généralités) Acharnement
Intuition
Prise de risque
Sensibilité personnelle
Programmation musicale Comités d’écoute, réunions de
programmation
Programmation musicale Contraintes Pression des annonceurs
Quotas de chanson française
Programmation musicale Indicateurs “Airplay”
Clubs
Expérience
Presse musicale
Recherche musicale (auditoriums, “call-
out”)
Retours internes
Retours Internet
Retours standard
Ventes de disques
Yacast
Outils Burn
Golds
Horloges
Informatique antenne, A2i
Playlist
Rotations
Selector
Annexes
409
ANNEXE 6 : CODAGE DE DEUX ENTRETIENS
Par mesure de confidentialité, ces documents ne figurent pas dans les annexes publiques.
Deux entretiens codés ont été remis aux membres du jury en vue de la soutenance de la thèse.
Annexe 7 : Dictionnaire des thèmes
410
ANNEXE 7 : DICTIONNAIRE DES THEMES (CODAGE ANALYTIQUE)
Thèmes Concepts Descripteurs
Imitation Adoption par le modèle
Adoption par la radio
Décalage temporel
Exposition au modèle (écoute, Yacast,
autres infos)
Lien de causalité
Pratiques évaluatives Moyen de se rassurer Confirmation
Expertise d’autrui
Rassurant
Sentiment de reconnaissance
Pratiques évaluatives Moyen d’entrer dans la norme Adhésion à « l’orthodoxie Top 40 »
Effort minimum
Définition tautologique du tube
Evidence
Sentiment d’obligation
Pratiques évaluatives Révélateur de désir Habitudes d’écoute
Pas accès au titre
Découverte d’un titre
Engouement à la première écoute
Volonté d’appropriation
Pratiques évaluatives Révélateur de tendances C’est à la mode
C’est ce que les gens veulent écouter
Généralisation
Prévision
Pratiques évaluatives Session de rattrapage Mise de coté préalable
« La voix de la raison »
Réécoute
Regrets, aveu d’échec
Pratiques instrumentales Argument d’autorité Discussions internes, désaccords
Intuitions préalables
Volonté de se justifier
Pratiques instrumentales Maintien de la parité concurrentielle Comparaison avec les concurrents
Difficultés à respecter les quotas
Ne pas laisser le concurrent seul sur un titre
Se mettre à niveau
Se prémunir d’une fuite d’audience
Pratiques instrumentales Parasitisme Programmation conçue comme un travail
Répartition des rôles (légitimité)
Démarche expérimentale
« Lavage de cerveau »
« Politique du mouton »
Profiter du travail de développement
Réflexion sur le moment d’entrée
Vengeance, injustice
Pratiques instrumentales Source d’information Disparités dans l’accès aux infos
Disparités dans les moyens
Tests perçus comme un indicateur fiable
Volonté de faire le switch
Accès aux informations promotionnelles
Accès au résultat des tests (burn,
reconnaissance, engouement du public)
Propriétés communes Critères de désignation du modèle Accès présumé au label
Accès présumé aux tests
Cibles du(des) modèle(s)
Concurrent principal
Concurrent(s) sur le format
Concurrent(s) sur la zone
Format(s) du(des) modèle(s)
Lien sociaux, affinités
Moyens financier du(des) modèle(s)
Puissance du(des) modèle(s)
Partenariat sur un projet
Starter
Annexes
411
Thèmes Concepts Descripteurs
Propriétés communes Doutes et incertitudes Alternatives trop nombreuses
Avis divergents de l’équipe ou des
supérieurs hiérarchiques
Craintes des conséquences d’une mauvaise
décision pour la radio (audience, pub, etc.)
Craintes des conséquences d’une mauvaise
décision pour le répondant (je vais me faire
virer)
Craintes sur la réaction des auditeurs (je ne
savais pas si ça allait leur plaire)
Eloignement de la chanson par rapport au
format
Mauvais résultats aux tests
Méfiance vis-à-vis de son propre jugement
ou de sa propre lassitude (perso j’en avais
marre mais…)
Pas accès aux tests
Pas de places en playlist
Peur de perdre en crédibilité
Quotas à respecter
Réserves artistiques
« Trucs en développement »
Propriétés communes Modèles Une tendance générale
Un groupe de concurrents
Une radio
Annexe 8 : Notice utilisée pour le double codage
412
ANNEXE 8 : NOTICE UTILISEE POUR LE DOUBLE CODAGE
Les extraits à coder ont été préformatés dans un tableau (fichier Excel ci-joint). Tous les
extraits sont liés à des décisions qui font intervenir une part d’imitation (le
programmateur explique avoir entré un titre en partie parce que d’autres concurrents
l’avait diffusé avant lui).
Il y a trois séries de codes à utiliser pour le double-codage (version réduite par rapport au
dictionnaire des thèmes initial).
La première série est liée aux pratiques d’imitation (9 codes : P1 à P9) : Il s’agit des
catégories d’une typologie des pratiques où les programmateurs. Les quatre premières
sont dans une approche plutôt instrumentale et plutôt délibérée (mise de coté d’un
disque pour attendre délibérément qu’il soit joué ailleurs). Les cinq autres pratiques sont
dans une approche approche plutôt évaluative (identité, normes, volonté de se rassurer,
etc.) et plutôt émergente. Chaque type est associé à des propriétés et à des dimensions
que je ne vous demande pas de coder. La typologie est proposée en annexe. Les
descripteurs opérationnels qui y figurent vous permettront de repérer facilement chaque
pratique (utilisez les, en particulier lorsque vous avez un doute). La règle de codage est
la suivante : n’attribuer qu’une seule pratique par décision (codage assez large - cellules
fusionnées). Je précise qu’il y a systématiquement une pratique par extrait.
La deuxième série est liée au modèle qui est imité (3 codes : M1 à M3) : Le programmateur
peut expliquer avoir imité une tendance générale (« c’était joué partout », « je l’ai
entendu sur toutes les radios », « j’ai vu que ça montait dans Yacast ») ; un groupe de
concurrents ou un concurrent en particulier. Règle de codage : Codage plus fin, unité
d’analyse = le paragraphe (cases indiquées dans le tableau). Ne pas mettre de code si ce
n’est pas nécessaire.
La troisième série est liée aux doutes et aux hésitations du programmateur (14 codes : D1 à
D14) : L’imitation est la plupart du temps liée à des doutes et à des hésitations
exprimées par le programmateur (liée à l’incertitude du contexte). 14 doutes récurrents
ont été identifiés. Règle de codage : Codage plus fin, unité d’analyse = le paragraphe
(cases indiquées dans le tableau). Ne pas mettre de code si ce n’est pas nécessaire.
Merci encore pour votre aide.
An
ne
xe
s
An
ne
xe
8 :
No
tice
uti
lisé
e p
ou
r le
do
ub
le c
od
ag
e
Ty
po
log
ie d
es
pr
ati
qu
es
in
str
um
en
tale
s d
e l
’im
ita
tio
n c
on
cu
rr
en
tie
lle
L’i
mit
atio
n co
mm
e so
urce
d’i
nfor
mat
ion
[P1]
L
’im
itat
ion
com
me
fo
rme
de p
aras
itis
me
[P2]
L
’im
itat
ion
com
me
moy
en d
e m
aint
enir
la
pari
té c
oncu
rren
tiel
le [
P3]
L
’im
itat
ion
co
mm
e ar
gum
ent d
’aut
orit
é [P
4]
Rais
on
(s)
L’i
mit
atio
n pe
rmet
au
prog
ram
mat
eur
d’ac
céde
r au
x ré
sulta
ts d
es te
sts
ou a
ux
info
rmat
ions
rel
ativ
es a
u ch
oix
des
sing
les
et à
l’ag
enda
pro
mot
ionn
el d
es la
bels
que
dé
tien
nent
cer
tain
s co
ncur
rent
s.
Par
une
ent
rée
tard
ive
en p
layl
ist,
le
prog
ram
mat
eur
espè
re b
énéf
icie
r de
re
tom
bées
pos
itiv
es li
ées
à la
dif
fusi
on d
’un
titr
e pa
r un
con
curr
ent (
lava
ge d
e ce
rvea
u,
exte
rnal
isat
ion
de la
pri
se d
e ri
sque
).
L’i
mit
atio
n pe
rmet
de
neut
rali
ser
un c
oncu
rren
t lo
rsqu
e ce
der
nier
a p
ris
une
avan
ce s
ur la
di
ffus
ion
d’un
titr
e ou
de
ne p
as s
ubir
de
désa
vant
age
conc
urre
ntie
l sur
un
titr
e pe
rçu
com
me
risq
ué. I
l s’a
git d
e dé
fend
re u
ne p
osit
ion
conc
urre
ntie
lle e
n ré
tabl
issa
nt o
u en
mai
nten
ant
une
form
e d’
équi
libr
e.
L’a
dopt
ion
préa
labl
e pa
r un
e au
tre
radi
o pe
rmet
aux
pr
ogra
mm
ateu
rs d
e se
just
ifie
r au
près
de
leur
hi
érar
chie
en
cas
de r
emis
e en
que
stio
n de
leur
dé
cisi
on o
u de
mau
vais
test
s.
Dém
arc
he
Dél
ibér
ée o
u ém
erge
nte
Dél
ibér
ée
Dél
ibér
ée
Dél
ibér
ée o
u ém
erge
nt
>atu
re d
es
do
ute
s et
des
ince
rtit
ud
es
Sen
tim
ent d
e ne
pas
avo
ir a
ccès
aux
in
form
atio
ns p
erti
nent
es p
our
pren
dre
une
bonn
e dé
cisi
on.
Div
ers.
Man
que
de m
oyen
s fi
nanc
ier,
él
oign
emen
t du
titr
e pa
r ra
ppor
t au
form
at,
etc.
R
egar
d pa
rfoi
s dé
sabu
sé s
ur la
pr
ogra
mm
atio
n m
usic
ale
et la
qua
lité
ar
tist
ique
des
pro
duct
ions
plé
bisc
itée
s pa
r le
s au
dite
urs.
Dif
ficu
ltés
à c
ompr
endr
e le
s go
ûts
du p
ubli
c (o
u d’
une
cert
aine
tran
che
d’âg
e).
Les
pro
gram
mat
eurs
que
l’au
dien
ce d
e le
ur
stat
ion
est m
ise
en d
ange
r ou
que
leur
s co
ncur
rent
s po
urra
ient
tire
r pr
ofit
d’u
ne b
aiss
e d’
audi
ence
.
Le
cont
rôle
eff
ectu
é pa
r la
hié
rarc
hie
est p
erçu
co
mm
e im
prév
isib
le. L
es r
espo
nsab
les
hiér
arch
ique
s so
nt d
écri
ts c
omm
e fo
cali
sés
sur
leur
s te
sts
ou
éloi
gnés
des
att
ente
s de
s au
dite
urs.
Les
co
nséq
uenc
es d
’une
déc
isio
n m
alen
cont
reus
e so
nt
elle
s au
ssi i
ncer
tain
es.
Fact
eurs
de
con
tex
te
Dis
pari
tés
dans
les
ress
ourc
es
info
rmat
ionn
elle
s de
s ra
dios
mus
ical
es.
Fort
e ad
hési
on à
« l’
orth
odox
ie T
op 4
0 ».
V
olon
té d
e fa
ire
le «
sw
itch
».
Dis
pari
tés
dans
la p
uiss
ance
de
cert
aine
s ra
dio
(cou
vert
ure,
tail
le, a
udie
nce)
. L
’im
itat
eur
est s
ouve
nt u
n le
ader
sur
son
for
mat
m
usic
al o
u su
r sa
zon
e gé
ogra
phiq
ue.
Le
trav
ail d
es p
rogr
amm
ateu
rs e
st s
uper
visé
par
un
dire
cteu
r de
s pr
ogra
mm
es o
u pa
r le
dir
ecte
ur
géné
ral.
Mod
èles
R
ésea
ux n
atio
naux
ou
gro
sses
rad
ios
indé
pend
ante
s U
ne te
ndan
ce g
énér
ale
ou c
erta
ins
rése
aux
nati
onau
x U
n co
ncur
rent
iden
tifi
é, u
n gr
oupe
de
conc
urre
nts
ou u
ne te
ndan
ce g
énér
ale
Un
conc
urre
nt id
enti
fié
(le
plus
sou
vent
NR
J).
Cri
tère
s d
e
dés
ign
ati
on
Acc
ès p
résu
mé
aux
labe
ls (
rése
aux
part
enai
res)
ou
util
isat
ion
prés
umée
des
te
sts
(« le
s ra
dios
qui
test
ent »
).
Fréq
uenc
e d’
adop
tion
dan
s le
cas
d’u
ne
tend
ance
gén
éral
e.
Pui
ssan
ce d
u m
odèl
e su
r un
for
mat
ou
une
cibl
e pa
rtic
uliè
re.
Les
mod
èles
son
t le
plus
sou
vent
les
conc
urre
nts
les
plus
dir
ects
de
la s
tati
on (
prox
imit
é gé
ogra
phiq
ue o
u pr
oxim
ité
du p
osit
ionn
emen
t).
Lég
itim
ité
attr
ibué
e au
x m
odèl
es p
ar le
s su
péri
eurs
hi
érar
chiq
ues
des
prog
ram
mat
eurs
.
Fon
ctio
n d
u
(des
)
mo
dèl
e(s)
Rév
élat
eur
d’in
form
atio
ns
Dév
elop
peur
de
proj
ets
risq
ués
Men
ace
pote
ntie
lle p
our
la s
tati
on
Aut
orit
é lé
giti
me
Des
crip
teu
rs
op
érati
on
nel
s
- A
ccès
à in
fos
/ sor
ties
et p
rom
o -
Acc
ès a
ux te
sts
- D
ispa
rité
s da
ns l’
accè
s au
x re
ssou
rces
-
Cro
yanc
e en
l’ob
ject
ivit
é de
s te
sts
- V
olon
té d
e fa
ire
le s
wit
ch
- P
rog’
per
çue
com
me
un «
trav
ail »
-
Rép
arti
tion
des
rôl
es
- M
ise
de c
oté
préa
labl
e dé
libé
rée
- P
rofi
ter
du tr
avai
l d’a
utru
i -
Pol
itiq
ue d
u m
outo
n / l
avag
e de
cer
veau
- V
olon
té d
e ne
pas
se
lais
ser
dist
ance
r -
Vol
onté
de
ne p
as s
e m
ettr
e en
dan
ger
sur
un
ti
tre
perç
u co
mm
e ri
squé
-
Obl
igat
ion
de r
espe
cter
les
quot
as a
mèn
e à
s’él
oign
er d
u fo
rmat
- P
rog’
sou
s co
ntrô
le d
e la
hié
rarc
hie
- R
emis
e en
cau
se d
u ju
gem
ent
- T
ensi
ons
inte
rnes
-
Uti
lisa
tion
d’u
n m
odèl
e fa
isan
t aut
orit
é
An
ne
xe
s
An
ne
xe
8 :
No
tice
uti
lisé
e p
ou
r le
do
ub
le c
od
ag
e
Ty
po
log
ie d
es
pr
ati
qu
es
év
alu
ati
ve
s d
e l
’im
ita
tio
n c
on
cu
rr
en
tie
lle
L
’im
itat
ion
com
me
ré
véla
teur
de
tend
ance
[P
5]
L’i
mit
atio
n co
mm
e un
moy
en
d’en
trer
dan
s la
nor
me
[P6]
L
’im
itat
ion
com
me
sess
ion
de r
attr
apag
e [P
7]
L’i
mit
atio
n co
mm
e m
oyen
de
se r
assu
rer
[P8]
L
’im
itat
ion
com
me
révé
late
ur d
e dé
sir
[P9]
Rais
on
(s)
La
diff
usio
n d’
un ti
tre
par
les
conc
urre
nts
est u
n in
dica
teur
de
« ce
que
les
gens
veu
lent
en
tend
re »
. Les
pro
gram
mat
eurs
pe
uven
t par
fois
gén
éral
iser
en
cons
idér
ant q
u’el
le p
erm
et d
e ré
véle
r un
e te
ndan
ce m
usic
ale
plus
gé
néra
le.
La
diff
usio
n m
assi
ve p
ar le
s co
ncur
rent
s gé
nère
un
sent
imen
t d’o
blig
atio
n ch
ez le
pr
ogra
mm
ateu
r au
quel
l’im
itat
ion
perm
et
de r
épon
dre.
Cer
tain
s ré
pond
ants
ch
erch
ent n
éanm
oins
à s
e di
stin
guer
– e
n pa
rtic
ulie
r lo
rsqu
’ils
ém
ette
nt d
e vi
ves
rése
rves
art
isti
ques
à l’
égar
d d’
un ti
tre
– en
pra
tiqu
ant d
es ta
ux d
e ro
tati
on p
lus
faib
les
que
leur
s co
ncur
rent
s.
Les
rés
erve
s ar
tist
ique
s de
s pr
ogra
mm
ateu
rs p
euve
nt le
s po
usse
r à
écar
ter
cert
ains
titr
es a
près
une
pr
emiè
re é
cout
e.
Lor
squ’
ils
cons
tate
nt q
ue la
cha
nson
es
t dif
fusé
e pa
r u
ne a
utre
rad
io (
et a
fo
rtio
ri, p
ar p
lusi
eurs
aut
res
radi
os),
le
s dé
cide
urs
peuv
ent p
rocé
der
à un
e no
uvel
le é
cout
e, f
aire
inte
rven
ir d
es
élém
ents
nou
veau
x et
rév
iser
leur
ju
gem
ent i
niti
al.
En
proi
e au
dou
te, l
es
prog
ram
mat
eurs
s’a
lign
eron
t sur
une
te
ndan
ce o
u su
r de
s m
odèl
es q
u’il
s co
nnai
ssen
t afi
n de
se
rass
urer
.
Les
pro
gram
mat
eurs
peu
vent
par
fois
dé
couv
rir
de n
ouve
aux
titr
es e
n éc
outa
nt la
con
curr
ence
. C
es
dern
iers
sus
cite
nt u
n dé
sir
d’ap
prop
riat
ion
dont
l’im
itat
ion
est
la tr
aduc
tion
. Les
pro
gram
mat
eurs
au
ront
par
fois
tend
ance
à d
iffu
ser
plus
fré
quem
men
t le
titr
e im
ité
que
ne le
fai
sait
leur
mod
èle.
Dém
arc
he
Em
erge
nte
Em
erge
nte
Em
erge
nte
Em
erge
nte
Em
erge
nte
>atu
re d
es
do
ute
s et
des
ince
rtit
ud
es
- R
éser
ves
arti
stiq
ues
sur
un ti
tre.
Sen
timen
t de
ne
pas
« po
uvoi
r »
fair
e au
trem
ent.
L
e di
sque
a p
réal
able
men
t été
rej
eté
en r
aiso
n de
rés
erve
s ar
tist
ique
s.
Cra
inte
s su
r le
s ré
acti
ons
des
audi
teur
s et
/ou
les
cons
éque
nces
d’
une
déci
sion
mal
enco
ntre
use.
Les
pro
gram
mat
eurs
n’o
nt p
as e
u ac
cès
au ti
tre
init
iale
men
t ou
n’on
t pa
s eu
le te
mps
de
l’éc
oute
r.
Fact
eurs
de
con
tex
te
- A
dhés
ion
à l’
orth
odox
ie p
rofe
ssio
nnel
le
« T
op 4
0 ».
M
ise
de c
oté
préa
labl
e du
titr
e.
Dan
s ce
rtai
ns c
as, e
xist
ence
de
lien
s so
ciau
x en
tre
les
prog
ram
mat
eurs
. E
ngou
emen
t du
déci
deur
à la
pr
emiè
re é
cout
e.
Mod
èles
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale.
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale.
U
n co
ncur
rent
iden
tifi
é ou
une
te
ndan
ce g
énér
ale.
U
ne te
ndan
ce g
énér
ale
ou d
es
mod
èles
con
nus.
R
ésea
ux n
atio
naux
ou
radi
os
indé
pend
ante
s th
émat
ique
s
Cri
tère
s d
e
dés
ign
ati
on
Fréq
uenc
e de
dif
fusi
on p
ar le
s co
ncur
rent
s. C
lass
emen
ts Y
acas
t. Fr
éque
nce
de d
iffu
sion
par
les
conc
urre
nts.
C
lass
emen
ts Y
acas
t. A
ucun
cri
tère
par
ticu
lier
. L
iens
soc
iaux
et/
ou c
lass
emen
t Y
acas
t. H
abitu
des
d’éc
oute
du
prog
ram
mat
eur.
Fon
ctio
n d
u
mo
dèl
e
Rév
élat
eur
de te
ndan
ce.
Inca
rnat
ion
de la
nor
me.
Fa
cteu
r de
rem
ise
en c
ause
du
juge
men
t ini
tial
. E
lém
ent p
erm
etta
nt d
e ra
ssur
er le
dé
cide
ur.
Rév
élat
eur
de d
ésir
.
Des
crip
teu
rs
op
érati
on
nel
s
- M
odes
mus
ical
es
- G
énér
alis
atio
n à
part
ir d
e
l’
obse
rvat
ion
d’un
titr
e -
Pou
voir
pro
spec
tif
(ex
: on
aura
un
été
très
roc
k…)
- S
enti
men
t d’o
blig
atio
n -
Déf
init
ion
taut
olog
ique
du
hit (
c’es
t un
hit p
arce
que
tout
le m
onde
le jo
ue /
tout
le
mon
de le
joue
don
c c’
est u
n hi
t)
- Fo
rte
adhé
sion
à «
l’or
thod
oxie
Top
40
» -
Eve
ntue
llem
ent :
eff
ort m
inim
um
- M
ise
de c
oté
préa
labl
e (a
rtis
tiqu
es)
- D
iffu
sion
par
aut
rui =
> r
emis
e en
ca
use
du c
hoix
init
ial
- L
a vo
ix d
e la
rai
son
- R
equa
lifi
cati
on e
n éc
hec
- R
egre
ts
- C
onfi
rmat
ion
d’un
cho
ix
- B
esoi
n d’
être
ras
suré
-
Lie
ns s
ocia
ux a
vec
les
mod
èles
-
Exp
erti
se a
ttri
buée
à a
utru
i -
Iden
tité
par
tagé
e
- D
écou
vert
e de
la c
hans
on e
n éc
outa
nt u
n co
ncur
rent
-
Eng
ouem
ent
- V
olon
té d
e s’
appr
opri
er le
titr
e -
Rot
atio
ns p
lus
élev
ées
que
chez
le
mod
èle
An
ne
xe
s
An
ne
xe
8 :
No
tice
uti
lisé
e p
ou
r le
do
ub
le c
od
ag
e
Le
s m
od
èle
s
•
M1
: Une
tend
ance
gén
éral
e (t
out l
e m
onde
le jo
ue, c
lass
emen
ts Y
acas
t, c’
est d
ans
les
rota
tion
s, e
tc.)
•
M2
: Un
grou
pe d
e co
ncur
rent
s (l
es r
adio
s je
unes
, les
rés
eaux
, les
rad
ios
rock
, les
rad
ios
indé
pend
ante
s, le
s gr
osse
s ra
dios
…)
•
M3
: Un
conc
urre
nt b
ien
iden
tifi
é (N
RJ,
Sky
rock
, Fun
, Vib
ra…
etc
.)
Le
s d
ou
tes
et
les
hé
sit
ati
on
s
•
D1
: Alt
erna
tive
s tr
op n
ombr
euse
s (i
l y
avai
t bea
ucou
p de
dis
ques
pos
sibl
es)
•
D2
: Avi
s di
verg
ent d
e l’
équi
pe o
u de
s su
péri
eurs
hié
rarc
hiqu
es
•
D3
: Cra
inte
s de
s co
nséq
uenc
es d
’une
mau
vais
e dé
cisi
on p
our
la r
adio
(au
dien
ce, p
ub, e
tc.)
•
D4
: Cra
inte
s de
s co
nséq
uenc
es d
’une
mau
vais
e dé
cisi
on p
our
le r
épon
dant
(je
vai
s m
e fa
ire
vire
r)
•
D5
: Cra
inte
s su
r la
réa
ctio
n de
s au
dite
urs
(je
ne s
avai
s pa
s si
ça
alla
it le
ur p
lair
e)
•
D6
: Elo
igne
men
t de
la c
hans
on p
ar r
appo
rt a
u fo
rmat
•
D7
: Mau
vais
rés
ulta
ts a
ux te
sts
•
D8
: Méf
ianc
e vi
s-à-
vis
de s
on p
ropr
e ju
gem
ent o
u de
sa
prop
re la
ssit
ude
(per
so j’
en a
vais
mar
re m
ais…
)
•
D9
: Pas
acc
ès a
ux te
sts
•
D10
: P
as d
e pl
aces
en
play
list
•
D11
: P
eur
de p
erdr
e en
cré
dibi
lité
•
D12
: Q
uota
s à
resp
ecte
r
•
D13
: R
éser
ves
arti
stiq
ues
•
D14
: «
Tru
cs e
n dé
velo
ppem
ent
» (c
ode
in v
ivo)
Vu :
Le président M……………………………………………………………………………
Les suffragants MM………………………………………………………………………
Vu et permis d’imprimer :
Le Vice – Président du Conseil Scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine
STRATEGIE ET IMITATION CONCURRENTIELLE : UNE ETUDE DES PRATIQUES DES PROGRAMMATEURS DES RADIOS MUSICALES FRANÇAISES
En matière de stratégie, l’imitation concurrentielle a souvent été décrite comme une voie à ne pas suivre. Paradoxalement, plusieurs études empiriques ont souligné la fréquence de ce phénomène. A partir du décalage entre la théorie et la pratique, nous cherchons à analyser de quelle façon l’imitation concurrentielle contribue à la stratégie des organisations, à comprendre ce que les managers font lorsqu’ils imitent leurs concurrents. Adoptant une démarche abductive, cette recherche se positionne dans le courant de la stratégie en pratiques (« strategy as practice »). Sur la base d’une analyse de théories issues de plusieurs courants de recherche, un cadre d’analyse a été construit. Deux grandes thématiques sont abordées. L’imitation est tout d’abord décrite comme l’expression de « raisons » individuelles. Elle est ensuite appréhendée comme une conséquence de l’incertitude à laquelle sont confrontés les acteurs. Une étude qualitative consacrée aux radios musicales françaises et à leurs programmateurs a été réalisée. Une quarantaine d’entretiens ont été menés auprès de programmateurs et d’observateurs privilégiés du secteur. Ce corpus a été complété par des données secondaires et a fait l’objet d’un codage à l’aide du logiciel NVivo. L’analyse des données a fait émerger deux grands types de résultats. Tout d’abord, les pratiques d’imitation concurrentielle des programmateurs découlent des doutes et des hésitations qu’ils ressentent au contact d’un contexte incertain où les goûts du public sont, plus que jamais, insaisissables. Une grande variation entre les pratiques peut ensuite être mise en évidence. Une typologie composée de neuf pratiques d’imitation concurrentielle a donc été construite. Ces éléments ont permis d’amorcer une discussion plus générale sur la contribution des pratiques d’imitation concurrentielle des décideurs dans la fabrication de la stratégie visant à dépasser l’opposition traditionnelle entre l’imitation et la différenciation.
Mots clés : imitation ; mimétisme ; stratégie ; pratiques ; radio
STRATEGY AND IMITATION: FRENCH RADIO PROGRAMMERS’ PRACTICES OF COMPETITIVE IMITATION
In the field of Strategic Management, competitive imitation has often been described as a way not to follow. Paradoxically several empirical studies have shown that competitive imitation is a frequent phenomena. Building on the paradox between theory and practice, we try to understand how and why managers imitate their competitors’ strategy. This research embraces the recent turn in strategy research to practice-based theorizing. Drawing on several theoretical approaches, it addresses the topic of competitive imitation. Our integrative framework highlights two research issues. First, we examine the rationales behind imitation. Second, we try to understand how imitative behaviors derive from uncertainty. We chose the French Radio Broadcasting Industry to investigate these issues. Our empirical study is based on a data set of 40 interviews and various second-hand sources. Data have been analyzed and coded using NVivo software. Our main results are the following: (1) Imitation appears to be closely linked with programmers’ perception and experience of uncertainty. (2) They have to make decisions without being able to predict which records will reach success and which records will not. In this context, nine key practices of competitive imitation have been identified and classified. These results lead us to a discussion about the way competitive imitation practices interact with business strategy. We focus on programmers’ doubts and perception of uncertainty to go beyond the opposition of imitation and innovation.
Key words: imitation ; mimicry ; strategy as practice ; radio broadcasting industry