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Alain Gouhier

Solange Mercier-Josa, Théorie allemande et pratique françaisede la liberté. De la philosophie à la politique ou au socialisme ?,Paris, L'Harmattan, 1993In: L Homme et la société, N. 117-118, 1995. Luttes de classes. pp. 168-170.

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Gouhier Alain. Solange Mercier-Josa, Théorie allemande et pratique française de la liberté. De la philosophie à la politique ouau socialisme ?, Paris, L'Harmattan, 1993. In: L Homme et la société, N. 117-118, 1995. Luttes de classes. pp. 168-170.

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Solange Mercier-Josa, Théorie allemande et pratique française de la liberté. De la philosophie à la politique ou au socialisme ? Paris, L'Harmattan, 1993.

Depuis plusieurs années, Solange Mercier-Josa a toujours voulu maintenir une triple référence à Hegel, à Marx et Engels, aux divers social is me s et communismes rencontrés et affrontés au cours de l'histoire des mouvements révolutionnaires postérieurs à 1789. À travers et grâce à une étude en majeure partie consacrée aux relations avec Arnold Ruge, Solange Mercier-Josa rouvre des perspectives et permet des prospectives que des fossoyeurs de l'histoire, après les événements de 1989 et ce qui est advenu à l'URSS, avaient très vite reléguées au musée des rêveries.

Après des « Prolégomènes » présentant le contexte de cette enquête aujourd'hui, trois chapitres proposent des lectures de Hegel, Feuerbach, Marx et Ruge. Une seconde partie est la traduction par Claire Mercier et Bodo Schulze d'un texte de Ruge de janvier 1843, et une troisième partie rassemble plusieurs documents nécessaires à une réelle intelligence de l'histoire prise en considération.

Quelles que soient les circonstances diverses hier et aujourd'hui, le livre de Solange Mercier-Josa maintient l'actualité des désaccords et de leurs interprétations, actualité méconnue encore par une idéologie dominante brouillant les pistes et truquant les cartes. La lecture conjointe des deux corpus, celui de Hegel et celui de Marx-Engels, a pour effet d'obscurcir ce dernier et de lui rendre aussi sa vigueur corrosive originelle, d'élucider et de mettre tout à la fois « en » ou « à la » question le premier (c'est au moins aussi vrai de la lecture de Marx que de la lecture de tout autre hégélien de la première génération, à savoir qu'elle rend possible une certaine « compréhension critique » rétrospective de Hegel : p. 15-16). Car « parler de « crise » est assurément un euphémisme depuis l'effondrement de l'URSS et la diffusion de la désignation de cet événement comme « mort du communisme » (p. 15, note 11).

Alors intervient le débat avec Ruge. Et ce que Marx critique et ce que pourtant il retiendra. Qu'en est-il de « politique » s'agissant de « révolution »? À quoi Marx objecte que « ce n'est pas parce qu'un pays est politique qu'il résout le problème du paupérisme, c'est-à-dire qu'il supprime l'existence du prolétariat » (p. 21).

Or, malgré cette réfutation, Solange Mercier-Josa va entreprendre deux réinterprétations. D'abord montrer une persistance de Ruge chez Marx lui-même. Ensuite montrer l'actualité de Ruge aujourd'hui. Concernant le premier point, elle relève dans Misère de la philosophie (1846-1847), dans le Manifeste du Parti communiste (1848), dans La critique moralisante et la morale critique (octobre- novembre 1847) plusieurs valorisations positives du politique (cf. p. 22-25) invitant à poser « la question de savoir dans quelle mesure Marx a retenu quelque chose de la position d'Arnold Ruge » (p. 24). Concernant le second point, Solange Mercier- Josa propose une lecture de L 'autocritique du libéralisme de Ruge attentive aux thèses relatives à la « nouvelle conscience » et au passage du « libéralisme » à la « démocratie ».

Ainsi à travers une exploration historique et herméneutique de désaccords et de dialectiques dont la difficile lisibilité est souvent due à une constante interpénétration de la théorie et de la pratique, Solange Mercier-Josa élabore une lecture porteuse d'une dynamique positive. Au lieu de présupposer, « antérieurement à tout débat », une vérité telle qu'elle retire tout intérêt au point de vue critiqué », il lui paraît « plus fécond de faire l'hypothèse d'un fond commun à cette intertextualité jeune-hégélienne, de supposer une interaction entre les lectures

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critiques de tous ceux qui se sont saisis de l'architectonie hégélienne, de rechercher ce que Marx et Engels ont reçu, appris, acquis de leurs contemporains (et pas seulement de Feuerbach), de penser que Marx en particulier n'est pas exclusivement actif dans son activité théorique, qu'il ne polémique jamais sans s'approprier dans cette polémique même ce qu'il a tant de talent à pulvériser. Il nous paraît même indispensable pour ne pas nous enfermer dans la théorie marxienne comme dans un savoir univoque dont le dernier moment serait la forme vraie qui invalide tous les moments antérieurs, les rejette et les expulse dans l'archéologie du savoir au lieu de les conserver en lui , et sans pour cela dénier les acquis de cet exceptionnel itinéraire intellectuel, ce qui serait une incontestable régression, il nous paraît indispensable de rouvrir à la lumière de notre expérience du développement historique du xxe siècle les débats entre Marx, Bruno Bauer, Ruge, Feuerbach, Stirner, Moses Hess et les autres... » (p. 26). Et, après avoir cité une page de Engels, en 1841 favorable à Ruge (p. 26-27), Solange Mercier-Josa observe que cette histoire « n'est finalement pas sans intérêt pour la compréhension de Hegel et pour une compréhension plus fine et renouvelée de la formation de la critique marxienne et de l'ensemble de son développement, compréhension historiquement opportune et même obligée si, survivant encore un temps au mouvement apparent de l'histoire, nous ne voulons pas simplement avec elle tourner la page et perdre la mémoire. Car notre vie n'est pas separable de l'intérêt pour cette pensée du xixe qui au xxe, nolens volens, tâcha de se faire monde. Le processus de décomposition de l'Esprit absolu mérite d'être connu, et de telles recherches ne seraient pas des travaux de simple érudition » (p. 27).

C'est qu'en effet l'érudition ici accompagne un pari elpidien, une espérance jamais noyée ni dans les tempêtes de l'histoire vécue, ni dans les difficultés de l'histoire pensée. Solange Mercier-Josa sait gré à Ruge « de reconnaître sans réserves la France comme terre philosophique » et d'avoir « introduit » par sa Révolution « la liberté européenne » (p. 128). Son étude affirme, contre certaine allégation marxienne, la nécessaire « interrogation qui porterait la caractérisation du prolétariat français comme le politique du prolétariat européen » (p. 222). Alors « de même que nous avons longtemps interrogé le rapport de Marx à Hegel sans nécessairement prendre pour point de départ les déclarations de Marx et Engels sur la question, il serait bon de reconsidérer le rapport du prolétariat français à la théorie sans plus accepter d'emblée la distinction engelsienne entre socialisme utopique et socialisme scientifique » (p. 223).

C'est pourquoi, malgré certain scepticisme et contre certain désenchantement idéologiquement entretenu, Solange Mercier-Josa achève son chapitre introductif à la traduction de Ruge par une reaffirmation de ce que aujourd'hui beaucoup voudraient faire considérer comme périmé : « Deux siècles de lutte des classes ouvrières, des prolétariats, n'ont pas suffi pour conquérir le droit effectif « au » et « sur » le travail. La liberté n'est-elle pas fantasmagorique pour qui le travail n'est vécu que sur le mode d'un « don » essentiellement aléatoire, concession qu'il doit cependant « chercher » à obtenir puisque le travail salarié reste la condition nécessaire de la vie de l'individu ? Quelle est la liberté de celui qui, sans pouvoir positif, sans droit reconnu sur l'appareil productif et sur le capital financier auquel celui-ci est assujetti, se trouve menacé d'être expulsé et sans plus de façon par 1 'automation, la redivision du travail et les restructurations corrélatives de l'activité de production et, de ce fait, du lien social normal, des activités sociales ? Penser comme historiquement possible une organisation du travail telle que celui-ci n'apparaîtrait plus comme un don [...], penser du point de vue du prolétariat passe aujourd'hui suprême paradoxe pour un point de vue essentiellement idéaliste

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[...]. La question sociale n'est toujours pas résolue mais évacuée de la théorie. Qui aujourd'hui a l'impudence de continuer à la poser résolument ? L'idéologie dominante occidentale a substitué à sa résolution ou même à une recherche de sa solution, recherche hardie que n'arrête aucune considération, le thème de « la mort des idéologies » puis celui de « la mort du communisme [...]. » La Restauration actuelle se caractérise par un refus de la dialectique comme procès d'unification des extrêmes, par un retour à la légitimation du dualisme État politique/société civile- bourgeoise, même si le dualisme n'est que le masque de la détermination du politique, forme dénuée de contenu analogue à l'Entendement, par l'économique, c'est-à-dire par la logique qui a pour contenu la reproduction élargie du capital » (p. 240-241).

Alain Gouhier Université de Nancy II

Ngô Van, Viêt Nam 1920-1945 : révolution et contre-révolution sous la domination coloniale, Paris, éditions L'Insommniaque, 1995.

Sur la toile de fond, parsemée d'espoirs éphémères et entachée de tragédies, de cette période charnière, on voit s'affronter les différentes fractions du mouvement anticolonialiste, tantôt alliées, tantôt rivales, pour le plus grand plaisir des tenants du pouvoir. Même si Ngô Van (La traduction en vietnamien de l'ouvrage de Ngô Van est actuellement en cours) a simplement voulu témoigner en tant qu'acteur, puisqu'il se défend d'être historien, son ouvrage n'en constitue pas moins une véritable somme historique visant à mettre en lumière certaines dimensions, occultées par les écrits officiels de Hà Noi, d'une époque cruciale de l'histoire récente du Viêt-Nam. D'un bout à l'autre la conviction de l'auteur, gagné à la cause de la lutte des classes dans la perspective de la révolution prolétarienne internationale, sert de fil d'Ariane dans le dédale des événements présentés sous forme de chronique, chronique d'une révolution introuvable. Le va-et-vient incessant entre Saigon, Paris, Moscou et Canton montre bien que le conflit sur le terrain de la colonisation était doublé d'un conflit d'une autre nature, plus complexe, celui du communisme contre l'impérialisme. L'excommunication de Trotsky par Staline, et ses répercussions, illustrent bien le caractère international du combat, et déterminent en partie l'issue du conflit indochinois avec l'arrivée des communistes staliniens au pouvoir. L'auteur ne s'est pas contenté de témoigner, il puise encore ses sources dans les archives, dans les journaux d'époque, dans les travaux d'histoire, et d'autres écrits, bref, dans les références dignes de foi. Son ouvrage vient ainsi compléter sur le plan de la durée celui de Daniel Hémery (Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonial en Indochine. Communistes, trotskistes, nationalistes à Saigon de 1932 à 1937, Paris, Maspero, 1975). qui a permis, il y a vingt ans, au public francophone de découvrir, entre autres, le mouvement trotskiste vietnamien des années 1930. On peut cependant regretter le silence de Ngô Van sur d'autres sources ou travaux concernant de près la période étudiée, par exemple, le Fonds Guernut des Archives d'Aix, véritable mine d'informations relatives aux mouvements sociaux qui explosèrent à l'époque du Front populaire au Viêt-Nam ; l'ouvrage de Patrice Morlat, La répression coloniale au Vietnam 1908-1940 (Paris, L'Harmattan, 1990) ; celui de Hoàng Van Dào, Viêt-Nam Quôc Dân Dang 1927 -1954 (édité à Saigon en 1970). Dans le même ordre d'idées, les vagues de grèves d'une grande ampleur en 1929-1931, qui éclatèrent un peu partout dans le Nord du pays (chez les ouvriers


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