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UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS (PARIS II)
Année universitaire 2012-2013
TRAVAUX DIRIGES – 1ère
année Licence Droit
DROIT CIVIL
Cours de Monsieur le Professeur Nicolas MOLFESSIS
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Distribution : du 12 au 17 novembre 2012.
SIXIEME SEANCE
LES SOURCES SUPRA-LEGISLATIVES
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I.- Présentation – Dans l’approche classique, qui prévalait à l’époque du Code civil, la loi
était la source par excellence du droit. Triomphante et dominante. On a vu qu’une telle
approche est à présent nettement révolue. Au-dessus de la loi, des sources d’origines nationale
mais aussi internationale s’imposent désormais à elles. Le déclin de la loi n’est ainsi pas
seulement qualitatif ; il tient aussi au fait que la loi est sous l’emprise de règles qui lui sont
supérieures. Cela veut dire que la loi ne saurait être contraire à ces sources. Pour se
représenter cette subordination, on classe parfois les sources du droit selon une logique
pyramidale, avec la Constitution au sommet, puis les traités internationaux et les lois en
dessous. Cette représentation pyramidale doit beaucoup à un juriste autrichien Hans Kelsen.
Elle est cependant bien discutable, notamment parce qu’on ne peut toujours mettre la
Constitution au-dessus des conventions internationales.
II.- Les sources constitutionnelles - La Constitution régit le fonctionnement et
l’organisation des institutions. Elle vise à la répartition des pouvoirs, entre le Président de la
République, le Premier ministre, les assemblées, etc. Mais elle consacre aussi, spécialement à
travers son Préambule, des droits et libertés fondamentaux. Le Conseil constitutionnel est
l’institution qui en assure la suprématie à l’encontre de la loi.
Dans l’intention des rédacteurs de la Constitution de la Ve République (1958), le Conseil
constitutionnel devait avoir pour principale fonction d’assurer le respect de la répartition des
compétences entre le Parlement et le Gouvernement (articles 34/37). Il n’était ainsi pas
question qu’il contrôle la conformité de la loi aux principes et aux droits auxquels le
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préambule de 1958 renvoie, c’est-à-dire à ceux qui sont énoncés dans la Déclaration des droits
de l’homme de 1789 comme dans le préambule de la Constitution de 1946.
L’avènement du Conseil constitutionnel s’est fait progressivement. Consacrant la valeur
constitutionnelle du préambule de la Constitution de 1958, le Conseil constitutionnel a admis,
à partir d’une célèbre décision du 16 juillet 1971, de contrôler la conformité de la loi aux
principes et droits contenus dans le préambule de la Constitution de 1958. Il devenait ainsi
protecteur des droits et libertés à l’encontre de la loi. L’enrichissement du bloc de
constitutionnalité s’est poursuivi, comme en témoigne la Charte de l’environnement dont le
Conseil constitutionnel contrôle désormais le respect.
C’est ensuite une réforme constitutionnelle (1974), ouvrant la saisine du Conseil
constitutionnel à soixante députés ou soixante sénateurs, qui vint combler la principale
déficience du contrôle de constitutionnalité, le Conseil ne pouvant jusqu’alors être saisi que
par le président de la République, le Premier ministre et les présidents de chaque assemblée. Il
faut également ajouter, au rang des évolutions ayant permis l’essor du Conseil constitutionnel,
le rôle essentiel des méthodes qu’il a mises en place et, plus généralement, l’influence de ses
audaces jurisprudentielles (ainsi des fameuses réserves d’interprétation).
Surtout, une réforme constitutionnelle est venue ajouter en 2008 au contrôle de
constitutionnalité a priori, un contrôle a posteriori, par voie d’exception. L’avancée est
considérable, qui vient ouvrir le contrôle de constitutionnalité aux justiciables et leur permet
d’invoquer l’inconstitutionnalité de textes de lois en vigueur.
Entrée en vigueur en mars 2010, la réforme a pour effet de transformer la nature même du
Conseil constitutionnel. Intervenant dans les litiges en cours, il devient une véritable
juridiction avec toutes les conséquences qui en résultent sur la procédure qui doit être suivie
devant lui. En deux ans et demi, ce sont près de trois cents questions prioritaires de
constitutionnalité (QPC) qui ont pu être traitées par le Conseil constitutionnel. 290 environ à
ce jour.
Ces différentes évolutions ont entraîné une « constitutionnalisation » de l’ensemble du
droit. Le terme exprime un phénomène affectant le droit objectif, par lequel se manifeste
l’influence de la Constitution ou du Conseil constitutionnel sur une ou plusieurs
branches du droit. C’est dire par là que le contrôle de constitutionnalité de la loi à la
Constitution oriente le droit positif et conduit à faire du respect des droits constitutionnels le
fondement des diverses règles de droit.
Dans le cadre de la présente séance, on se souviendra de ce qui a été vu à la séance 3. Il
importe de saisir le mécanisme même du contrôle de constitutionnalité des lois, et ainsi savoir
distinguer contrôle a priori et contrôle a posteriori (sans accent sur le « a », c’est du latin…),
comprendre la manière dont le Conseil constitutionnel peut être saisi et quelle est l’autorité de
ses décisions.
III.- Les sources conventionnelles : Les traités internationaux sont supérieurs aux lois. Selon
l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés
ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
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En cas de conflit entre un traité international et la Constitution française, la ratification ne sera
possible qu’après révision de la Constitution (art. 54 C.) pour la mettre en accord avec les
stipulations du traité (ex : art. 66-1 C : « Nul ne peut être condamné à la peine de mort »
intégré en 2005 pour permettre l’adoption du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques).
De la supériorité du Traité pour la loi, il résulte que le juge judiciaire est compétent pour
écarter la disposition légale qui méconnaît une disposition issue d’un traité : la Cour de
cassation l’a jugé dans un arrêt dit Jacques Vabres du 24 mai 1975. A la même période,
le Conseil constitutionnel s’est reconnu incompétent pour juger la conformité du traité à la
Constitution (décision IVG du 15 janvier 1975) : il contrôle la conformité des lois à la
Constitution.
La France a approuvé ou ratifié de multiples traités internationaux. Tous n’ont pas la même
importance et tous ne s’intègrent pas dans notre ordre juridique de la même façon. Deux
sources particulièrement importantes doivent retenir notre attention : le droit communautaire
et le droit européen des droits de l’homme.
a).- Le droit communautaire est celui issu de l’Union européenne, construit, notamment, par
les Traités de Rome de 1957 et de Maastricht de 1992. A côté des Traités fondateurs, il faut
souligner l’existence de règlements européens et celle des directives, qui sont des normes
dérivées des traitées. Tous ces textes constituent ainsi un véritable ordre juridique, qui a
vocation à s’appliquer de la même manière dans les 27 Etats membres.
Document 1 : L’ordre juridique de l’Union européenne (présentation publiée sur le Site
Internet de la CJUE).
Pour veiller à l’application du droit communautaire, une juridiction a été instituée : la Cour de
Justice de l’Union européenne. Elle siège à Luxembourg et vise à faire respecter le droit
communautaire et à harmoniser son application sur le territoire européen. Elle rend des
décisions qui sont parfois très importantes et qui peuvent obliger les Etats à revoir leur droit
national.
b).- Il ne faut pas confondre le droit communautaire, droit de l’Union européenne, avec celui
issu du Conseil de l’Europe. Cette institution s’appuie sur un texte particulièrement
important : la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Cette organisation compte plus de
membres que l’Union européenne (47 membres, sur le territoire européen). Son objectif est
aussi différent : alors que l’Union européenne a été créée dans l’optique de favoriser les
échanges commerciaux, le Conseil de l’Europe est une organisation visant à promouvoir la
défense des droits de l’Homme et le renforcement de la démocratie.
Techniquement, la Convention européenne des droits de l’homme est donc un traité
international d’application directe signé à Rome en 1950 et ratifié par la France en 1974. Mais
c’est un traité très particulier. Il comporte l’énoncé de principes et de droits fondamentaux
qui vont devoir être respectés par les lois françaises et qui peuvent être invoqués par les
particuliers à l’occasion d’un procès devant les juridictions nationales : respect de la vie,
liberté d’opinion, de conscience, religieuse, vie privé, procès équitable… La liste a été
enrichie par l’ajout de protocoles additionnels (ex : n°1 sur le droit de propriété).
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Son respect est assuré non seulement par les juridictions internes de chaque Etat l’ayant
ratifié, mais également par la Cour européenne des droits de l’homme. La Cour EDH peut être
saisie non seulement par un Etat mais aussi, depuis 1981, par une personne (recours
individuel) qui aura épuisé les voies de recours internes (elle aura intenté un procès et à
l’issue de ce procès elle peut se plaindre devant la CEDH). Le rôle de la Cour EDH se
caractérise par sa méthode (balance des intérêts en présence) et par son interprétation
audacieuse (interprétation très dynamique du texte de la convention afin de faire prévaloir des
droits concrets et effectifs).
S’agissant de l’affaire en cause, la censure prononcée par la CEDH ne conduit pas au
réexamen de l’affaire au fond, sauf en matière pénale (art. 626-1 CPP issue de la loi du 15
juin 2000). La France est condamnée mais le litige n’est pas rejugé.
S’agissant de la législation interne, la CEDH a une influence très importante, car elle peut
imposer la mise en conformité des législations internes aux dispositions de la CEDH telles
qu’interprétées par la Cour (ex : transsexualisme, enfant adultérin, accouchement sous x).
IV.- Le rapport entre les sources supra-législatives - Il y a donc deux sources supra-
législatives : la Constitution et les Traités internationaux. La question de savoir comment les
agencer est très complexe. En outre, tous les juges, nationaux ou européens, ne donnent pas
nécessairement ici la même réponse, ce qui contribue à rendre l’ensemble particulièrement
difficile à saisir.
Essayons de dégager des conclusions sur certains points :
a).- Le conflit entre la Constitution et le Traité : la Constitution est supérieure aux traités dans
l’ordre interne. La solution résulte de deux arrêts très importants : l’arrêt Fraisse de la Cour
de cassation et l’arrêt Sarran du Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat, dans un arrêt Sarran du 30 octobre 1998, va poser que la suprématie
conférée aux engagements internationaux par l’article 55 de la Constitution selon lequel « les
traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité
supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par
l’autre partie » ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature
constitutionnelle.
La Cour de cassation va suivre cette position dans un arrêt Fraisse rendu par l’assemblée
plénière le 2 juin 2000. La solution peut d’ailleurs trouver un appui textuel dans l’article 54 de
la Constitution qui prévoit que « si le Conseil Constitutionnel, saisi par le Président de la
République, par le Premier Ministre, par le Président de l’une ou l’autre assemblée ou par
soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu’un engagement international comporte
une clause contraire à la Constitution, l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement
international en cause ne peut intervenir qu’après révision de la Constitution ». On peut en
déduire une supériorité de principe de la Constitution.
Document 2 : Cour de cassation - Ass. plén., 2 juin 2000 « Mlle Fraisse »
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On notera que l’arrêt Sarran n’exclut pas que la responsabilité de la France soit recherchée
sur le plan international du fait de l’insertion dans la Constitution d’une disposition qui serait
considérée comme non conforme aux conventions internationales portant sur des droits
fondamentaux. L’arrêt fait ainsi la distinction entre l’ordre interne et l’ordre
international.
En toute hypothèse, la solution retenue s’applique lorsqu’est en cause une norme de droit
international général ou encore une norme issue de la CEDH. Un traitement particulier est en
revanche désormais réservé au droit communautaire.
b).- La spécificité du conflit entre la Constitution et droit de l’Union européenne - Pendant
longtemps, les juridictions françaises n’ont reconnu aucune spécificité au droit de l’Union
Européenne, considérant qu’il devait plier devant la Constitution.
Mais le 10 juin 2004, à propos de la Loi pour la confiance dans l’économie numérique, le
Conseil constitutionnel a abandonné cette approche. Se fondant sur l’article 88-1 de la
Constitution selon lequel « la République participe à l’Union européenne constituée d’États
qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du
traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels
qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 », il a pris en considération
cette intégration du droit de l’Union européenne au droit interne, qui lui donne une nature
particulière. Précisément, il a déduit de l’article 88-1 de la Constitution une exigence
constitutionnelle de transposition en droit interne des directives de l’Union européenne.
Ce qui l’a conduit à exclure par principe de son contrôle de constitutionnalité les
dispositions législatives qui assurent la transposition des dispositions précises et
inconditionnelles d’une directive en se bornant à en tirer les conséquences nécessaires.
La décision du 29 juillet 2004 rappelle ainsi que « la transposition en droit interne d’une
directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être
fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution ; qu’en
l’absence d’une telle disposition, il n’appartient qu’au juge communautaire, saisi le cas
échéant à titre préjudiciel, de contrôler le respect par une directive communautaire tant des
compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantis par l’article 6 du
traité sur l’Union européenne ».
Le raisonnement du Conseil constitutionnel peut être résumé de la manière suivante : lorsqu’il
transpose des dispositions précises et inconditionnelles d’une directive, le législateur ne fait
que « recopier » le droit de l’Union européenne. Dès lors, contrôler la conformité de la loi de
transposition à la Constitution revient en réalité à contrôler la substance de la directive, ce qui
relève de la seule compétence de la CJUE.
Le Conseil constitutionnel refuse en conséquence par principe de contrôler la conformité des
lois de transposition des directives à la Constitution française. Mais il y a des exceptions. Il
refuse en effet le contrôle de la loi de transposition d’une directive à la Constitution
française sauf à ce qu’elle s’avère « contraire à une règle ou un principe inhérent à
l’identité constitutionnelle française » (il faut sans doute entendre par là le principe de
laïcité, la définition du corps électoral politique ou encore le principe d’égal accès aux
emplois publics). C’est en effet la seule hypothèse dans laquelle il considère que le contrôle
que pourrait faire la CJCE ne serait pas équivalent au contrôle qu’il pourrait lui-même
effectuer.
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Il admet également, au nom de l’exigence constitutionnelle de transposition des
directives qu’il a reconnue, de vérifier que la loi de transposition n’est pas
« manifestement incompatible avec la directive qu’elles ont pour objet de transposer ».
Mais il n’exerce ce dernier contrôle que lorsqu’il est saisi a priori et non lorsqu’il est saisi a
posteriori car l’exigence de transposition des directives n’est pas un « droit ou une liberté
constitutionnellement garanti » au sens de la loi sur la QPC de nature à justifier un contrôle a
posteriori.
Il faut souligner que la jurisprudence sur l’exigence de transposition des directives n’a
pas pour effet de remettre en cause l’incompétence du Conseil constitutionnel pour
connaître de la compatibilité des lois avec le droit international, telle qu’elle est posée
depuis 1975 par le Conseil constitutionnel (déc. IVG, 15 janvier 1975, précitée).
Document 3 : Conseil constitutionnel - Déc. 2010-615 DC du 12 mai 2010 - Extraits
V- L’affaire Perruche – Du nom de l’enfant handicapé qui sera sollicitera une indemnisation
du fait d’être né avec un handicap. Il convient de bien comprendre cette décision, c’est-à-dire
le texte de loi qui en est à l’origine et la décision de jurisprudence (dite jurisprudence
Perruche) qui est elle-même à l’origine de la loi.
C’est en effet une chaîne logique, qui met en cause les relations entre la loi et la jurisprudence
puis celle entre la loi et la Constitution, via cette QPC. On relèvera que la Cour européenne
des droits de l’homme elle-même en a été saisie et est intervenue (v.infra). Bref, sur une
même affaire, il y a eu une décision de la Cour de cassation, une loi, une décision de la Cour
européenne des droits de l’homme, à nouveau des décisions de la Cour de cassation et du
Conseil d’Etat, puis une décision du Conseil constitutionnel sur la loi.
Document 4 : L’affaire Perruche et ses différentes étapes
Reprenons.
a).- Premier temps : Assemblée plénière, 17 novembre 2000 - Au départ, il y a une
décision de la Cour de cassation, très critiquée et surtout très mal comprise. Cette décision est
relative à l’indemnisation de ce que l’on a dénommé le « préjudice d’être né ». Elle est
relative au handicap de Nicolas Perruche, handicap dont il a été frappé dès sa naissance. Sa
mère a en effet contracté une rubéole non diagnostiquée. En raison de cette absence de
diagnostic de la rubéole, elle a n’a pas pu recourir à une Interruption volontaire de grossesse
pour motifs thérapeutiques.
Par un arrêt du 17 novembre 2000, la Cour de cassation, en Assemblée plénière, jugera « que
dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution des contrats
formés avec Mme Perruche avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa
grossesse et ce afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut
demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes
retenues ».
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La Cour de cassation a ainsi consacré le droit pour l’enfant né handicapé d’être indemnisé de
son propre préjudice (le fait que les parents soient indemnisés n’est pas contesté et n’est pas à
l’origine de toute la polémique).
On a reproché à la Cour de cassation d’avoir considéré comme un préjudice le seul fait d’être
né : en effet, en l’absence de diagnostic, l’enfant ne serait pas né, puisque la femme aurait
avorté. Ce dont l’enfant obtient réparation, c’est donc d’être né. Le préjudice serait l’existence
elle-même.
b).- Deuxième temps : l’article L. 114-5 Code de l’action sociale et des familles – Une loi
du 4 mars 2002 va alors introduire dans le Code de l’action sociale et des familles une
disposition empêchant cette solution en prévoyant que « Nul ne peut se prévaloir d’un
préjudice du seul fait de sa naissance » et qu’il faut, pour que l’enfant puisse avoir droit a
réparation, que « l’acte fautif ait provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas
permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer » (ce qui exclut la seule erreur de
diagnostic qui empêche l’avortement).
C’est la dernière phrase de l’article qui a soulevé le plus de problèmes. Le législateur y
prévoit en effet que le dispositif légal, introduit par la loi, et qui condamne la solution retenue
par la Cour de cassation, s’applique immédiatement, même dans les procès qui sont en cours :
Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de
celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.
c).- Troisième temps : la condamnation par la CEDH - Dans deux arrêts du 6 octobre 2005
(affaires Maurice et Draon), la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France
à l’unanimité des 17 juges formant la Grande Chambre pour l’application rétroactive de la loi
dite « anti-arrêt Perruche ».
Elle s’est fondée sur l’article 1er
du protocole numéro 1 de la Convention européenne des
droits de l’homme qui accorde « à toute personne physique ou morale » le « droit au respect
de ses biens » ce qui comprend les créances, c’est-à-dire, en l’espèce, le droit d’être
indemnisé pour le préjudice que la Cour de cassation française avait reconnu.
Selon la Cour, « en supprimant purement et simplement avec effet rétroactif une partie
essentielle des créances en réparation » auxquelles pouvait prétendre l’enfant né handicapé
« le législateur français l’a privé d’une valeur patrimoniale préexistante et faisant partie de
son patrimoine ». Elle souligne aussi que depuis 2002, l’engagement par l’État de prendre en
charge le coût lié à une naissance handicapée, à travers un mécanisme de solidarité nationale,
n’avait pas été tenu.
d).- Quatrième temps : la réaction de la Cour de cassation – Suivant les arrêts de la Cour
européenne des droits de l’homme, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu
trois arrêts le 24 janvier 2006.
La Cour juge que la loi « anti-Perruche » ne peut pas s’appliquer de manière rétroactive aux
affaires en cours au moment du vote du texte. Le Conseil d’État retiendra la même position
dans un arrêt du 24 février 2006. Le Conseil d’État avait précédemment estimé que la loi était
conforme au premier protocole additionnel à la CEDH.
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e).- Cinquième temps : l’intervention du Conseil constitutionnel via une QPC – La loi
« anti-jurisprudence “Perruche” » va faire l’objet de l’une des premières QPC, la 2e si l’on en
croit la référence de la décision (2010-2 QPC).
Le Conseil considère l’essentiel de la loi conforme à la Constitution – précisément, ce qui a
trait aux dispositions interdisant sauf exception la mise en jeu de la responsabilité par l’enfant.
Mais il censure son application immédiate aux affaires en cours en considérant que « si les
motifs d’intérêt général pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues
applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne
pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient,
antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de
leur préjudice ».
f).- Sixième temps : les suites devant la Cour de cassation – Le Conseil d’Etat a tiré les
conséquences de cette censure dans une décision du 13 mai 2011 (une action introduite avant
le 4 mars 2002 reste recevable devant les juridictions administratives, une action introduite
postérieurement à cette date est en revanche irrecevable).
La Cour de cassation va retenir une interprétation plus extensive : dans un arrêt du 15
décembre 2011, la Première chambre civile de la Cour de cassation va prendre en compte la
date de survenance du dommage jugeant que, s’agissant d’un dommage survenu
antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’article L. 114-5 du code
de l’action sociale et des familles n’était pas applicable, indépendamment de la date de
l’introduction de la demande en justice.
VI.- Exercice – Dissertation : Les sources du droit et l’affaire Perruche
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Document 1 - L’ordre juridique de l’Union européenne (Extraits)
Pour construire l’Europe, les États (aujourd’hui au nombre de 27) ont conclu entre eux des traités
instituant des Communautés européennes, puis une Union européenne, dotées d’institutions qui
adoptent des règles de droit dans des domaines déterminés.
La Cour de justice de l’Union européenne constitue l’institution juridictionnelle de l’Union et de
la Communauté européenne de l’Energie atomique (CEEA). Elle est composée de trois
juridictions: la Cour de justice, le Tribunal et le Tribunal de la fonction publique, dont la mission
première consiste à examiner la légalité des actes de l’Union et à assurer une interprétation et
une application uniformes du droit de celle-ci.
Au fil de sa jurisprudence, la Cour de justice a dégagé l’obligation pour les administrations et les
juges nationaux d’appliquer pleinement le droit de l’Union à l’intérieur de leur sphère de
compétence et de protéger les droits conférés par celui-ci aux citoyens (application directe du
droit de l’Union), en laissant inappliquée toute disposition contraire du droit national, qu’elle soit
antérieure ou postérieure à la norme de l’Union (primauté du droit de l’Union sur le droit
national).
La Cour a également reconnu le principe de la responsabilité des États membres pour la violation
du droit de l’Union qui constitue, d’une part, un élément qui renforce de façon décisive la
protection des droits conférés aux particuliers par les normes de l’Union et, d’autre part, un facteur
susceptible de contribuer à une mise en œuvre plus diligente de ces normes par les États membres.
Les violations commises par ces derniers sont ainsi susceptibles de donner naissance à des
obligations de réparation qui peuvent, dans certains cas, avoir de lourdes répercussions sur leurs
finances publiques. En outre, tout manquement d’un État membre au droit de l’Union est
susceptible d’être porté devant la Cour et, en cas de non-exécution d’un arrêt constatant un tel
manquement, celle-ci peut lui infliger une astreinte et/ou le paiement d’une somme forfaitaire.
Toutefois, en cas de non communication des mesures de transposition d’une directive à la
Commission et sur proposition de celle-ci, une sanction pécuniaire peut être infligée par la Cour de
justice à un État membre dès le stade du premier arrêt en manquement.
La Cour de justice œuvre également en collaboration avec le juge national, juge de droit commun
du droit de l’Union. Tout juge national, appelé à trancher un litige concernant le droit de l’Union,
peut, et parfois doit, soumettre à la Cour de justice des questions préjudicielles. La Cour est alors
amenée à donner son interprétation d’une règle de droit de l’Union ou à en contrôler la légalité.
L’évolution de sa jurisprudence illustre la contribution de la Cour à la création d’un espace
juridique qui concerne les citoyens en protégeant les droits que la législation de l’Union leur
confère dans différents aspects de leur vie quotidienne.
Principes fondamentaux établis par la jurisprudence
Dans une jurisprudence (initiée par l’arrêt Van Gend & Loos en 1963), la Cour a introduit le
principe de l’effet direct du droit communautaire dans les États membres, qui permet aux citoyens
européens d’invoquer directement des règles communautaires devant leurs juridictions
nationales…
En 1964, l’arrêt Costa a établi la primauté du droit communautaire sur la législation interne. Dans
cette affaire, une juridiction italienne avait demandé à la Cour de justice si la loi italienne de
nationalisation du secteur de la production et de la distribution d’énergie électrique était
compatible avec un certain nombre de règles du traité CEE. La Cour a introduit la doctrine de la
primauté du droit communautaire en la fondant sur la spécificité de l’ordre juridique
communautaire appelé à recevoir une application uniforme dans tous les États membre
En 1991, dans l’arrêt Francovich e.a., la Cour a développé une autre notion fondamentale, à savoir
celle de la responsabilité d’un État membre à l’égard des particuliers pour les dommages qui leur
auraient été causés par une violation du droit communautaire par cet État. Depuis 1991, les
citoyens européens disposent donc d’une action en réparation contre l’État qui enfreint une règle
communautaire…
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Document 2 - Ass. plén., 2 juin 2000 « Mlle Fraisse »
Sur les deuxième et troisième moyens réunis :
Attendu que Mlle Fraisse fait grief au jugement attaqué (tribunal de première instance de Nouméa,
3 mai 1999) d’avoir rejeté sa requête tendant à l’annulation de la décision de la commission
administrative de Nouméa ayant refusé son inscription sur la liste prévue à l’article 188 de la loi
organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie des électeurs admis à participer à
l’élection du congrès et des assemblées de province et d’avoir refusé son inscription sur ladite
liste, alors, selon le moyen : 1° que le jugement refuse d’exercer un contrôle de conventionnalité
de l’article 188 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie au
regard des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16
décembre 1966, 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales et F (devenu 6) du traité de l’Union européenne
du 7 février 1992, l’article 188 étant contraire à ces normes internationales en tant qu’il exige d’un
citoyen de la République française un domicile de dix ans pour participer à l’élection des membres
d’une assemblée d’une collectivité de la République française ; 2° qu’il appartenait
subsidiairement au tribunal de demander à la Cour de justice des Communautés européennes de se
prononcer à titre préjudiciel sur la compatibilité de l’article 188 de la loi organique du 19 mars
1999 avec l’article 6 du traité de l’Union européenne ;
Mais attendu, d’abord, que le droit de Mlle Fraisse à être inscrite sur les listes électorales pour les
élections en cause n’entre pas dans le champ d’application du droit communautaire ;
Attendu, ensuite, que l’article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur constitutionnelle
en ce que, déterminant les conditions de participation à l’élection du congrès et des assemblées de
province de la Nouvelle-Calédonie et prévoyant la nécessité de justifier d’un domicile dans ce
territoire depuis dix ans à la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des
orientations de l’accord de Nouméa, qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de l’article
77 de la Constitution ; que la suprématie conférée aux engagements internationaux ne s’appliquant
pas dans l’ordre interne aux dispositions de valeur constitutionnelle, le moyen tiré de ce que les
dispositions de l’article 188 de la loi organique seraient contraires au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales doit être écarté ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel Mlle Fraisse a
déclaré renoncer : REJETTE le pourvoi.
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Document 3 – Conseil constitutionnel - Déc. 2010-615 DC du 12 mai 2010 - Extraits
[…]
. En ce qui concerne les griefs relatifs au droit de l’Union européenne :
9. Considérant que les requérants soutiennent que « le droit communautaire n’impose nullement
une telle ouverture à la concurrence puisque la Cour de justice de l’Union européenne admet au
contraire le maintien des monopoles dès lors qu’ils sont justifiés par les objectifs de protection de
l’ordre public et de l’ordre social » ; qu’ils invitent le Conseil constitutionnel à vérifier que la loi «
n’est pas inconventionnelle » en se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 16 avril 2010
susvisé qui indique que le Conseil constitutionnel pourrait exercer « un contrôle de conformité des
lois aux engagements internationaux de la France, en particulier au droit communautaire » ;
- Quant à la supériorité des engagements internationaux et européens sur les lois :
10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 55 de la Constitution : « Les traités ou
accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à
celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie » ;
que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité
supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive
être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ;
11. Considérant, d’autre part, que, pour mettre en œuvre le droit reconnu par l’article 61-1 de la
Constitution à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu’une
disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième
alinéa de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée et le deuxième alinéa de son
article 23-5 précisent l’articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui
incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements
internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et
judiciaires ; qu’ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d’une disposition législative aux
engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief
d’inconstitutionnalité ;
12. Considérant que l’examen d’un tel grief, fondé sur les traités ou le droit de l’Union
européenne, relève de la compétence des juridictions administratives et judiciaires ;
13. Considérant, en premier lieu, que l’autorité qui s’attache aux décisions du Conseil
constitutionnel en vertu de l’article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des
juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition
législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la
Constitution ;
14. Considérant, en deuxième lieu, qu’il ressort des termes mêmes de l’article 23-3 de
l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de
constitutionnalité, dont la durée d’examen est strictement encadrée, peut, d’une part, statuer sans
attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement
prévoit qu’il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d’autre part, prendre toutes les
mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu’il peut ainsi suspendre immédiatement tout
éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l’Union, assurer la préservation des droits que
les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la
pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l’article 61-1 de la Constitution
pas plus que les articles 23 1 et suivants de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font
obstacle à ce que le juge saisi d’un litige dans lequel est invoquée l’incompatibilité d’une loi avec
le droit de l’Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des
dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l’Union soient
appliquées dans ce litige ;
15. Considérant, en dernier lieu, que l’article 61-1 de la Constitution et les articles 23-1 et suivants
de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne privent pas davantage les juridictions
- 12 -
administratives et judiciaires, y compris lorsqu’elles transmettent une question prioritaire de
constitutionnalité, de la faculté ou, lorsque leurs décisions ne sont pas susceptibles d’un recours
juridictionnel de droit interne, de l’obligation de saisir la Cour de justice de l’Union européenne
d’une question préjudicielle en application de l’article 267 du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne ;
16. Considérant que, dans ces conditions, il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi en
application de l’article 61 ou de l’article 61-1 de la Constitution, d’examiner la compatibilité d’une
loi avec les engagements internationaux et européens de la France ; qu’ainsi, nonobstant la
mention dans la Constitution du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007, il ne lui revient pas
de contrôler la compatibilité d’une loi avec les stipulations de ce traité ; que, par suite, la demande
tendant à contrôler la compatibilité de la loi déférée avec les engagements internationaux et
européens de la France, en particulier avec le droit de l’Union européenne, doit être écartée ;
- Quant à l’exigence de transposition des directives européennes :
17. Considérant qu’aux termes de l’article 88-1 de la Constitution : « La République participe à
l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de
leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de
l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ;
qu’ainsi, la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence
constitutionnelle ;
18. Considérant qu’il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par
l’article 61 de la Constitution d’une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive
communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu’il exerce à
cet effet est soumis à une double limite ; qu’en premier lieu, la transposition d’une directive ne
saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la
France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; qu’en second lieu, devant statuer avant la
promulgation de la loi dans le délai prévu par l’article 61 de la Constitution, le Conseil
constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur le fondement de l’article
267 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; qu’en conséquence, il ne saurait
déclarer non conforme à l’article 88-1 de la Constitution qu’une disposition législative
manifestement incompatible avec la directive qu’elle a pour objet de transposer ; qu’en tout état de
cause, il appartient aux juridictions administratives et judiciaires d’exercer le contrôle de
compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas échéant, de
saisir la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel ;
19. Considérant, en revanche, que le respect de l’exigence constitutionnelle de transposition des
directives ne relève pas des « droits et libertés que la Constitution garantit » et ne saurait, par suite,
être invoqué dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité ;
20. Considérant qu’en l’espèce, la loi déférée n’a pas pour objet de transposer une directive ; que,
dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 88-1 de la Constitution doit être écarté ;
21. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit de
l’Union européenne doivent être rejetés ;
- 13 -
Document 4 : L’affaire Perruche et ses différentes étapes
a).- Assemblée plénière, 17 novembre 2000
Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche du pourvoi principal formé par les époux X..., et le
deuxième moyen du pourvoi provoqué, réunis, formé par la caisse primaire d’assurance maladie de
l’Yonne :
Vu les articles 1165 et 1382 du Code civil ;
Attendu qu’un arrêt rendu le 17 décembre 1993 par la cour d’appel de Paris a jugé, de première part, que
M. Y..., médecin, et le Laboratoire de biologie médicale de Yerres, aux droits duquel est M. A..., avaient
commis des fautes contractuelles à l’occasion de recherches d’anticorps de la rubéole chez Mme X... alors
qu’elle était enceinte, de deuxième part, que le préjudice de cette dernière, dont l’enfant avait développé
de graves séquelles consécutives à une atteinte in utero par la rubéole, devait être réparé dès lors qu’elle
avait décidé de recourir à une interruption volontaire de grossesse en cas d’atteinte rubéolique et que les
fautes commises lui avaient fait croire à tort qu’elle était immunisée contre cette maladie, de troisième
part, que le préjudice de l’enfant n’était pas en relation de causalité avec ces fautes ; que cet arrêt ayant
été cassé en sa seule disposition relative au préjudice de l’enfant, l’arrêt attaqué de la Cour de renvoi dit
que " l’enfant Nicolas X... ne subit pas un préjudice indemnisable en relation de causalité avec les fautes
commises " par des motifs tirés de la circonstance que les séquelles dont il était atteint avaient pour seule
cause la rubéole transmise par sa mère et non ces fautes et qu’il ne pouvait se prévaloir de la décision de
ses parents quant à une interruption de grossesse ;
Attendu, cependant, que dès lors que les fautes commises par le médecin et le laboratoire dans l’exécution
des contrats formés avec Mme X... avaient empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa
grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la
réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs de l’un et l’autre des
pourvois :
CASSE ET ANNULE, en son entier, l’arrêt rendu le 5 février 1999, entre les parties, par la cour d’appel
d’Orléans ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt
et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée que lors de
l’audience du 17 décembre 1993.
b).- Article L114-5 (modifié en 2005)
I. - Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice
lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les
mesures susceptibles de l’atténuer.
Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des
parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute
caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne
saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La
compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de celles où il a été
irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation.
- 14 -
c).- CEDH, 6 octobre 2005, n° 11810/03, Maurice c. France
[…]
2. Appréciation de la Cour
63. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une violation de
l’article 1 du Protocole no 1 que dans la mesure où les décisions qu’il incrimine se rapportent à ses
« biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens » peut recouvrir tant des « biens actuels
» que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines situations bien définies, des créances.
Pour qu’une créance puisse être considérée comme une « valeur patrimoniale » tombant sous le
coup de l’article 1 du Protocole no 1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a
une base suffisante en droit interne, par exemple qu’elle est confirmée par une jurisprudence bien
établie des tribunaux. Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance
légitime ».
64. Quant à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré dans l’affaire Pressos
Compania Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation résultant
d’accidents de navigation censés avoir été causés par la négligence de pilotes belges. En vertu du
droit belge de la responsabilité, les créances prenaient naissance dès la survenance du dommage.
La Cour qualifia ces créances de « valeurs patrimoniales » appelant la protection de l’article 1 du
Protocole no 1. Elle releva ensuite que, compte tenu d’une série de décisions de la Cour de
cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance légitime » de voir concrétiser
leurs créances quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la responsabilité.
65. La Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos Compania Naviera S.A. et autres
que l’« espérance légitime » était un élément ou un corollaire du droit de propriété revendiqué. Il
résultait toutefois implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait entrer en jeu en
l’absence d’une « valeur patrimoniale » relevant du domaine de l’article 1 du Protocole no 1, dans
le cas d’espèce une créance en réparation. L’« espérance légitime » identifiée dans l’affaire
Pressos Compania Naviera S.A. et autres n’était pas en elle-même constitutive d’un intérêt
patrimonial ; elle se rapportait à la manière dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale »
serait traitée en droit interne, et spécialement à la présomption selon laquelle la jurisprudence
constante des juridictions nationales continuerait de s’appliquer à l’égard des dommages déjà
causés.
66. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’ « espérance
légitime » lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient de manière suffisamment établie une
créance immédiatement exigible. La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une «
contestation réelle » ou d’une « prétention défendable » comme un critère permettant de juger de
l’existence d’une « espérance légitime » protégée par l’article 1 du Protocole no 1. La Cour estime
que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de l’ordre de la créance, il ne peut être considéré
comme une « valeur patrimoniale » que s’il a une base suffisante en droit interne, par exemple
quand il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (Kopecký c. Slovaquie [GC],
no 44912/98,
§§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).
67. Pour juger en l’espèce de l’existence d’un bien, la Cour peut avoir égard au droit interne en
vigueur lors de l’ingérence alléguée. Il s’agissait d’un régime de responsabilité pour faute exigeant
qu’existent un préjudice (ou dommage), une faute, et un lien de causalité entre le dommage et la
faute.
La Cour relève que ni l’AP-HP ni le Gouvernement ne contestent que l’inversion des résultats des
analyses concernant les requérants et ceux d’une autre famille soit constitutive d’une faute. Le seul
point en litige est le lien de causalité entre la faute de l’établissement hospitalier et le préjudice
subi par les requérants. A cet égard, l’AP-HP estime que ce lien n’existe pas compte tenu de ce
que, même en l’absence d’inversion des résultats, le diagnostic prénatal qui aurait été communiqué
aux requérants aurait été incertain, du fait de la présence de sang maternel dans le prélèvement
effectué sur la requérante. La responsabilité de l’AP-HP n’étant donc pas établie, les requérants ne
bénéficieraient pas, selon le Gouvernement, d’une indemnisation automatique, et ne pourraient
donc pas se prévaloir d’une « espérance légitime ».
- 15 -
68. La Cour ne saurait souscrire à cette thèse. Elle relève que les juridictions nationales ont établi
sans ambiguïté, aussi bien dans le cadre des décisions rendues en référé qu’au fond, et à tous les
stades de ces procédures, l’existence d’un lien de causalité directe entre la faute commise et le
préjudice subi.
Les juridictions ont en effet considéré qu’en l’espèce la faute de l’AP-HP a faussement conduit les
requérants à la certitude que l’enfant conçu n’était pas atteint d’amyotrophie spinale infantile et
que la grossesse pouvait être normalement menée à son terme, alors que les requérants avaient
clairement manifesté leur volonté d’éviter le risque d’un troisième accident génétique. La faute
ainsi commise a rendu sans objet tout examen complémentaire que la requérante aurait pu faire
pratiquer dans la perspective d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique, ce qui
aurait sans doute été le cas dans l’hypothèse d’un diagnostic incertain. Pour effectuer ce constat,
les juridictions se sont fondées d’abord sur la jurisprudence Quarez précitée, puis sur les
dispositions de la loi du 4 mars 2002 entrées en vigueur par la suite, qui n’ont d’ailleurs pas
modifié les conditions d’établissement du lien de causalité entre la faute, même caractérisée, et le
préjudice des parents de l’enfant né handicapé.
69. Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’AP-HP sur le fondement de la
jurisprudence Quarez étaient donc bien réunies, et les requérants disposaient par conséquent d’une
créance s’analysant en une « valeur patrimoniale ». Quant à la manière dont cette créance aurait
été traitée en droit interne sans l’intervention de la loi litigieuse, la Cour estime que, compte tenu
de l’arrêt Quarez rendu par le Conseil d’Etat le 14 février 1997 et de la jurisprudence constante
établie depuis par les juridictions administratives en la matière, les requérants pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges
particulières découlant du handicap de leur enfant tout au long de sa vie.
70. De l’avis de la Cour, avant l’intervention de la loi litigieuse, les requérants détenaient une
créance qu’ils pouvaient légitimement espérer voir se concrétiser, conformément au droit commun
de la responsabilité pour faute, et donc un « bien » au sens de la première phrase de l’article 1 du
Protocole no 1, lequel s’applique dès lors en l’espèce.
(…)
iii. Proportionnalité de l’ingérence
86. Une mesure d’ingérence dans le droit au respect des biens doit ménager un juste équilibre entre
les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits
fondamentaux de l’individu (voir, parmi d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, arrêt du 23
septembre 1982, série A no 52, p. 26, § 69). Le souci d’assurer un tel équilibre se reflète dans la
structure de l’article 1 du Protocole no 1 tout entier, donc aussi dans la seconde phrase qui doit se
lire à la lumière du principe consacré par la première. En particulier, il doit exister un rapport
raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant
une personne de sa propriété (Pressos Compania Naviera S.A. et autres, précité, p. 23, § 38).
87. Afin de déterminer si la mesure litigieuse respecte le juste équilibre voulu et, notamment, si
elle ne fait pas peser sur les requérants une charge disproportionnée, il y a lieu de prendre en
considération les modalités d’indemnisation prévues par la législation interne. A cet égard, la Cour
a déjà dit que, sans le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur du bien,
une privation de propriété constitue normalement une atteinte excessive, et un manque total
d’indemnisation ne saurait se justifier sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1 que dans des
circonstances exceptionnelles (Les saints monastères c. Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301-
A, p. 35, § 71, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 89, CEDH 2000-XII, et
Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, § 94, CEDH 2005-VI).
88. La Cour rappelle que le Conseil d’Etat avait reconnu, par son arrêt Quarez du 14 février 1997,
que l’Etat et les personnes de droit public telles que l’AP-HP, établissement public de santé
assurant le service public hospitalier, étaient soumis au droit commun de la responsabilité pour
faute. Elle note que cette jurisprudence, si elle était relativement récente, était stable et
constamment appliquée par les juridictions administratives. La jurisprudence Quarez étant
antérieure à la découverte du handicap de C. et surtout à la saisine des juridictions nationales par
les requérants, ces derniers pouvaient légitimement espérer en bénéficier.
- 16 -
89. En annulant les effets de cette jurisprudence, outre ceux de l’arrêt Perruche de la Cour de
cassation, pour les instances en cours, la loi litigieuse a appliqué un régime nouveau de
responsabilité à des faits dommageables antérieurs à son entrée en vigueur et ayant donné lieu à
des instances toujours pendantes à cette date, produisant ainsi un effet rétroactif. Sans doute,
l’applicabilité aux instances en cours ne saurait-elle en soi constituer une rupture du juste équilibre
voulu, le législateur n’étant pas, en principe, empêché d’intervenir, en matière civile, pour
modifier l’état du droit par une loi immédiatement applicable (voir, mutatis mutandis, Zielinski et
Pradal et Gonzalez et autres c. France [GC], nos 24846/94 et 34165/96 à 34173/96, § 57, CEDH
1999-VII).
90. Mais, en l’espèce, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a purement et simplement supprimé,
avec effet rétroactif, une partie essentielle des créances en réparation, de montants très élevés, que
les parents d’enfants dont le handicap n’avait pas été décelé avant la naissance en raison d’une
faute, tels que les requérants, auraient pu faire valoir contre l’établissement hospitalier
responsable. Le législateur français a ainsi privé les requérants d’une « valeur patrimoniale »
préexistante et faisant partie de leurs « biens », à savoir une créance en réparation établie dont ils
pouvaient légitimement espérer voir déterminer le montant conformément à la jurisprudence fixée
par les plus hautes juridictions nationales.
91. La Cour ne saurait suivre l’argumentation du Gouvernement selon laquelle le principe de
proportionnalité aurait été respecté, une indemnisation adéquate, et donc une contrepartie
satisfaisante, ayant été prévue en faveur des requérants. En effet, elle ne considère pas que ce que
les requérants ont pu percevoir en application de la loi du 4 mars 2002, seule forme de
compensation des charges particulières découlant du handicap de leur enfant, pouvait ou puisse
constituer le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur de la créance
perdue. Certes, les requérants bénéficient de prestations, prévues par le dispositif en vigueur, mais
leur montant est nettement inférieur à celui résultant du régime de responsabilité antérieur et il est
clairement insuffisant, comme l’admettent le Gouvernement et le législateur eux-mêmes, puisque
ces prestations ont été complétées récemment par de nouvelles dispositions prévues à cet effet par
la loi du 11 février 2005. En outre les montants qui seront versés aux requérants en vertu de ce
texte, tout comme la date d’entrée en vigueur de celui-ci pour les enfants handicapés, ne sont pas
définitivement fixés (paragraphes 57 à 59 ci-dessus).
Cette situation laisse peser encore aujourd’hui une grande incertitude sur les requérants et, en tout
état de cause, ne leur permet pas d’être indemnisés suffisamment du préjudice déjà subi depuis la
naissance de leur enfant.
Ainsi tant le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la solidarité
nationale que l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de la loi de
2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de préjudice comme indemnisé de façon
raisonnablement proportionnée depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002.
92. Quant à l’indemnisation accordée, à ce jour, par le tribunal administratif de Paris aux
requérants, la Cour constate qu’elle relève du préjudice moral et des troubles dans les conditions
d’existence, et non des charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de sa
vie.
A cet égard, force est de constater que le montant de l’indemnisation accordée par ledit tribunal est
très inférieur aux expectatives légitimes des requérants et que, en tout état de cause, il ne saurait
être considéré comme définitif, puisqu’il a été fixé par un jugement de première instance dont il a
été interjeté appel, la procédure étant actuellement pendante. L’indemnisation ainsi octroyée aux
requérants ne saurait donc compenser les créances perdues.
93. Enfin, la Cour estime que les considérations liées à l’éthique, à l’équité et à la bonne
organisation du système de santé mentionnées par le Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 6
décembre 2002 et invoquées par le Gouvernement ne pouvaient pas, en l’espèce, légitimer une
rétroactivité dont l’effet a été de priver les requérants, sans indemnisation adéquate, d’une partie
substantielle de leurs créances en réparation, leur faisant ainsi supporter une charge spéciale et
exorbitante.
Une atteinte aussi radicale aux droits des intéressés a rompu le juste équilibre devant régner
entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au
respect des biens.
- 17 -
94. L’article 1er de la loi du 4 mars 2002 a donc violé, dans la mesure où il concerne les
instances qui étaient en cours le 7 mars 2002, date de son entrée en vigueur, l’article 1 du
Protocole no 1.
(…)
- CEDH, 6 octobre 2005, n° 1513/03, Draon c. France
(…)
B. Appréciation de la Cour
1. Sur l’existence d’un « bien » et d’une ingérence dans le droit au respect de ce « bien »
65. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un requérant ne peut alléguer une
violation de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention que dans la mesure où les décisions
qu’il incrimine se rapportent à ses « biens » au sens de cette disposition. La notion de « biens »
peut recouvrir tant des « biens actuels » que des valeurs patrimoniales, y compris, dans certaines
situations bien définies, des créances. Pour qu’une créance puisse être considérée comme une «
valeur patrimoniale » tombant sous le coup de l’article 1 du
Protocole no1, il faut que le titulaire de la créance démontre que celle-ci a une base suffisante en
droit interne, par exemple qu’elle est confirmée par une jurisprudence bien établie des tribunaux.
Dès lors que cela est acquis, peut entrer en jeu la notion d’« espérance légitime ».
66. Quant à la notion d’« espérance légitime », un aspect en a été illustré dans l’affaire
Pressos Companía Naviera S.A. et autres précitée. Celle-ci concernait des créances en réparation
résultant d’accidents de navigation censés avoir été causés par la négligence de pilotes belges. En
vertu du droit belge de la responsabilité, les créances prenaient naissance dès la survenance du
dommage. La Cour qualifia ces créances de « valeurs patrimoniales » appelant la protection de
l’article 1er du Protocole no 1. Elle releva ensuite que, compte tenu d’une série de décisions de la
Cour de cassation, les requérants pouvaient prétendre avoir une « espérance légitime » de voir
concrétiser leurs créances quant aux accidents en cause conformément au droit commun de la
responsabilité.
67. La Cour ne déclara pas explicitement dans l’affaire Pressos Companía Naviera S.A. et autres
que l’« espérance légitime » était un élément ou un corollaire du droit de propriété revendiqué. Il
résultait toutefois implicitement de l’arrêt que pareille espérance ne pouvait entrer en jeu en
l’absence d’une « valeur patrimoniale » relevant du domaine de l’article 1er
du Protocole no 1,
dans le cas d’espèce une créance en réparation. L’« espérance légitime » identifiée dans l’affaire
Pressos Companía Naviera S.A. et autres n’était pas en elle-même constitutive d’un intérêt
patrimonial ; elle se rapportait à la manière dont la créance qualifiée de « valeur patrimoniale »
serait traitée en droit interne, et spécialement à la présomption selon laquelle la jurisprudence
constante des juridictions nationales continuerait de s’appliquer à l’égard des dommages déjà
causés.
68. Dans toute une série d’affaires, la Cour a jugé que les requérants n’avaient pas d’ « espérance
légitime » lorsqu’on ne pouvait considérer qu’ils possédaient de manière suffisamment établie une
créance immédiatement exigible. (...) La jurisprudence de la Cour n’envisage pas l’existence d’une
« contestation réelle » ou d’une « prétention défendable » comme un critère permettant de juger de
l’existence d’une « espérance légitime » protégée par l’article 1er du Protocole no 1. (...) La Cour
estime que lorsque l’intérêt patrimonial concerné est de l’ordre de la créance, il ne peut être
considéré comme une « valeur patrimoniale » que lorsqu’il a une base suffisante en droit interne,
par exemple lorsqu’il est confirmé par une jurisprudence bien établie des tribunaux (voir Kopecký
c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 35 et 48 à 52, CEDH 2004-IX).
69. Par ailleurs, l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention, qui garantit en substance le droit
de propriété, contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase
du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la
deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la
subordonne à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle
reconnaît aux Etats contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens
- 18 -
conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples
particuliers d’atteinte au droit de propriété, doivent s’interpréter à
la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, Pressos Compania
Naviera S.A. et autres, précité, § 33).
70. En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect d’un « bien »,
au sens de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Les parties reconnaissent en effet, eu
égard au régime de responsabilité interne pertinent lors de l’intervention de la loi litigieuse, et
notamment à une jurisprudence constante des tribunaux administratifs établie depuis l’arrêt Quarez
précité, que, d’une part, les requérants avaient subi un préjudice causé directement par une faute de
l’AP-HP, et que, d’autre part, ils détenaient une créance en vertu de laquelle ils pouvaient
légitimement espérer pouvoir obtenir réparation de leur préjudice, y compris les charges
particulières découlant du handicap de leur enfant.
71. La loi du 4 mars 2002, entrée en vigueur le 7 mars 2002, a privé les requérants de la
possibilité d’être indemnisés à raison de ces « charges particulières » en application de la
jurisprudence Quarez du 14 février 1997, alors que, dès le 29 mars 1999, ils avaient saisi le
tribunal administratif de Paris d’une requête au fond et que par deux ordonnances de référé,
rendues le 10 mai 1999 et le 11 août 2001, les juridictions internes leur avaient accordé une
provision d’un montant substantiel, compte tenu du caractère non sérieusement contestable
de l’obligation de l’AP-HP à leur égard. La loi litigieuse a donc entraîné une ingérence dans
l’exercice des droits de créance en réparation qu’on pouvait faire valoir en vertu du droit
interne en vigueur jusqu’alors et, partant, du droit des requérants au respect de leurs biens.
72. La Cour relève que, en l’espèce, dans la mesure où la loi contestée concerne les instances
engagées avant le 7 mars 2002 et pendantes à cette date, telles que celle des requérants, cette
ingérence s’analyse en une privation de propriété au sens de la seconde phrase du premier
alinéa de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention. Il lui faut donc rechercher si
l’ingérence dénoncée se justifie sous l’angle de cette disposition.
(…)
d).- Cour de cassation, 24 janvier 2006, n° 02-12260
Attendu que Mme Y... a donné naissance à une enfant présentant un spina-bifida avec
myéloméningocèle ; que les époux Y... ont engagé contre M. X... , gynécologue obstétricien qui
avait suivi la grossesse, et la société Le Sou médical, son assureur, une action en réparation de leur
préjudice et du préjudice subi par l’enfant du fait de son handicap ; que l’arrêt attaqué a retenu que
M. X... avait commis une faute en ne prescrivant pas d’échographie morphologique au terme de
20-24 semaines alors que cet examen aurait, avec deux chances sur trois, permis la découverte du
spina-bifida et le recours de Mme Y... à une interruption thérapeutique de grossesse, débouté les
époux Y... de leur demande en réparation du préjudice de l’enfant, condamné in solidum M. X... et
la société Le Sou médical à indemniser les époux Y... de leur préjudice constitué par la perte d’une
chance, avant-dire droit ordonné deux expertises sur la réparation de ce préjudice, condamné in
solidum M. X... et la société Le Sou médical au paiement de dommages et intérêts provisionnels et
débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses demandes contre M. X... et la société Le Sou médical ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident formé par M. X... et la société Le Sou médical invoquant
l’application de l’article 1er-I de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades
et à la qualité du système de santé qui est préalable, après l’avertissement prévu à l’article 1015 du
nouveau Code de procédure civile :
Attendu qu’en l’absence de contestation que la faute commise par le médecin dans l’exécution du
contrat formé avec Mme Y... aurait privé cette dernière de la possibilité de voir déceler l’affection
de l’enfant et d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et que les
parents auraient ainsi subi un dommage correspondant à une perte de chance et donc à une fraction
des différents chefs de préjudice résultant du handicap, les époux Y... pouvaient, avant l’entrée en
vigueur de l’article 1er -I, demander la réparation des charges particulières découlant du handicap
de l’enfant tout au long de la vie, causées par la faute retenue ;
- 19 -
Attendu que l’article 1er -I de ladite loi, déclaré applicable aux instances en cours, énonce que "nul
ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, que lorsque la responsabilité d’un
professionnel de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non
décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une
indemnité au titre de leur seul préjudice, que ce préjudice ne saurait inclure les charges
particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap et que la compensation de
ce dernier relève de la solidarité nationale" ;
Attendu, toutefois, que si une personne peut être privée d’un droit de créance en réparation
d’une action en responsabilité, c’est à la condition, selon l’article 1er du protocole n° 1 à la
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que soit
respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et les impératifs de
sauvegarde du droit au respect des biens ; que tel n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que
l’article 1er I, en prohibant l’action de l’enfant et en excluant du préjudice des parents les
charges particulières découlant du handicap de l’enfant tout au long de la vie, a institué un
mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport raisonnable avec une
créance de réparation intégrale quand les époux Y... pouvaient, en l’état de la jurisprudence
applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur préjudice
inclurait les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant, du handicap ;
d’où il suit, ladite loi n’étant pas applicable au présent litige, que le moyen est inopérant ;
Mais sur le moyen unique du pourvoi formé par la CPAM du Loir-et-Cher :
Vu les articles 1147 du Code civil et L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ;
Attendu que pour débouter la CPAM de sa demande, l’arrêt attaqué relève que les dispositions de
l’article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale ouvrant au bénéfice de la Caisse un recours contre
le tiers auquel peut être imputé l’accident à l’origine de ses prestations, étaient manifestement
inapplicables aux faits de la cause, l’état de l’enfant et celui de sa mère, n’étant pas la conséquence
d’un pareil événement ;
Attendu, cependant, que dès lors que la cour d’appel a retenu que les parents avaient subi une perte
de chance résultant de la faute commise par M. X... , les tiers payeurs pouvaient, au titre des
prestations versées en relation directe avec le fait dommageable, exercer leur recours sur les
sommes allouées en réparation de cette perte de chance, à l’exclusion de la part d’indemnité de
caractère personnel ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a débouté la CPAM du Loir-et-Cher de ses
demandes, l’arrêt rendu le 22 octobre 2001, entre les parties, par la cour d’appel d’Orléans ; remet,
en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt
et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Orléans, autrement composée
- Cour de cassation, 30 octobre 2007, n° 06-07-17325
Sur le moyen unique qui n’est pas nouveau :
Vu l’article 1er du protocole n° 1, additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme,
ensemble, l’article 1er de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action
sociale et des familles ;
Attendu qu’il résulte du premier de ces textes que si une personne peut être privée d’un droit de
créance, c’est à la condition que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général et les impératifs de sauvegarde du droit au respect de ses biens ; que le second de ces
textes ne répond pas à cette exigence, dès lors qu’il prohibe l’action de l’enfant né handicapé et
exclut du préjudice des parents les charges particulières qui en découlent tout au long de sa vie,
instituant seulement un mécanisme de compensation forfaitaire du handicap sans rapport
raisonnable avec une créance de réparation intégrale, tandis que les intéressés pouvaient, en l’état
- 20 -
de la jurisprudence applicable avant l’entrée en vigueur de cette loi, légitimement espérer que leur
préjudice réparable inclurait toutes les charges particulières évoquées ;
Attendu que Mme X... a donné naissance, le 5 décembre 1999, à un enfant prénommé Brahim,
atteint d’une trisomie 21 ; que, le 8 novembre 2000, Mme X... a assigné M. Y..., médecin
généraliste, en référé-expertise en vue de rechercher si elle avait bénéficié des examens médicaux
permettant de déceler le mal en cours de grossesse et si l’obligation d’information avait été
correctement exécutée ; qu’au vu du rapport déposé le 7 mars 2002, Mme X..., agissant en son
nom personnel et en sa qualité d’administratrice légale de son fils mineur a, le 13 octobre 2002,
assigné le praticien au fond ; que l’arrêt attaqué, retenant que l’article 1er I de la loi du 4 mars
2002 dispose que le préjudice des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la
grossesse ne peut inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie, de ce handicap,
la compensation de ce dernier relevant de la solidarité nationale, a débouté Mme X... de ses
demandes de réparation du préjudice subi par l’enfant mineur et de son propre préjudice matériel,
l’indemnisant de son seul préjudice moral ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de ses constatations que la révélation du
dommage était nécessairement antérieure à l’entrée en vigueur de la loi, dont elle a fait
application, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 octobre 2005, entre les
parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où
elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de
Douai, autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera
transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;
e).- Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 (extraits)
1. Considérant qu’aux termes du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée : «
Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son
préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas
permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.
« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis
des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute
caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce
préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant,
de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale.
« Les dispositions du présent paragraphe I sont applicables aux instances en cours, à l’exception de
celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation » ;
2. Considérant que les trois premiers alinéas du paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars
2002 précité ont été codifiés à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles par le 1
du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005 susvisée ; que le 2 de ce même
paragraphe II a repris le dernier alinéa du paragraphe I précité en adaptant sa rédaction ;
[…]
SUR LE 2 DU PARAGRAPHE II DE L’ARTICLE 2 DE LA LOI DU 11 FEVRIER 2005
SUSVISÉE :
19. Considérant qu’aux termes du 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005
- 21 -
susvisée : « Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel
qu’il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur
de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement
statué sur le principe de l’indemnisation » ;
20. Considérant que, selon la requérante, l’application immédiate de ce dispositif « aux instances
en cours et par voie de conséquence aux faits générateurs antérieurs à son entrée en vigueur » porte
atteinte à la sécurité juridique et à la séparation des pouvoirs ;
21. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans
laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point
de Constitution » ;
22. Considérant en conséquence que, si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de
droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition de poursuivre un but
d’intérêt général suffisant et de respecter tant les décisions de justice ayant force de chose jugée
que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions ; qu’en outre, l’acte modifié ou
validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce
que le but d’intérêt général visé soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu’enfin, la portée de la
modification ou de la validation doit être strictement définie ;
23. Considérant que le paragraphe I de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est
entré en vigueur le 7 mars 2002 ; que le législateur l’a rendu applicable aux instances non
jugées de manière irrévocable à cette date ; que ces dispositions sont relatives au droit d’agir
en justice de l’enfant né atteint d’un handicap, aux conditions d’engagement de la
responsabilité des professionnels et établissements de santé à l’égard des parents, ainsi
qu’aux préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée ; que, si les motifs
d’intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues
applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils
ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui
avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de
leur préjudice ; que, dès lors, le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005
susvisée doit être déclaré contraire à la Constitution,
DÉCIDE:
Article 1er.- Les premier et troisième alinéas de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des
familles sont conformes à la Constitution.
Article 2.- Le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour
l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées est
contraire à la Constitution.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et
notifiée dans les conditions prévues à l’article 23 11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958
susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 10 juin 2010, où siégeaient : M. Jean-
Louis DEBRÉ, Président, MM. Jacques BARROT, Michel CHARASSE, Jacques CHIRAC,
Renaud DENOIX de SAINT MARC, Mme Jacqueline de GUILLENCHMIDT, MM. Hubert
HAENEL et Pierre STEINMETZ.
f).- Cour de cassation - Première chambre civile 15 décembre 2011 (10-27.473)
Donne acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce qu’il est dirigé contre la société clinique Victor
Pauchet de Butler, venant aux droits de la clinique Sainte-Claire ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 5 octobre 2010), que M. R... C... est né en 1988 atteint d’une
anophtalmie bilatérale, que celui-ci, ses parents, M. et Mme C..., agissant tant en leur nom personnel
- 22 -
qu’en qualité de représentant de leur enfant mineur G..., ainsi que sa sœur, Mme A... C..., ont assigné les
25 et 31 octobre 2006 M. X..., médecin qui avait pris en charge Mme C..., ainsi que la société Clinique
Victor Pourchet de Butler, venant aux droits de la clinique où s’était déroulé l’accouchement, afin
d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices résultant de l’impossibilité d’interrompre la grossesse en
raison d’une erreur de diagnostic prénatal ; que l’arrêt dit notamment que l’article 1er de la loi n° 2002-
303 du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, n’est pas
applicable au litige, ordonne une expertise sur la responsabilité et sursoit à statuer ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen, que dans sa décision n°
2010-2 QPC en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a, rappelant que le paragraphe I de
l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 susvisée est entré en vigueur le 7 mars 2002 et que le législateur l’a
rendu applicable aux instances non jugées de manière irrévocable à cette date, que ces dispositions sont
relatives au droit d’agir en justice de l’enfant né atteint d’un handicap, aux conditions d’engagement de
la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l’égard des parents, ainsi qu’aux
préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée, jugé que, si les motifs d’intérêt général
[…] pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir
relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi
importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en
vue d’obtenir la réparation de leur préjudice (cons.23) ; qu’aux termes de l’article 62 in fine de la
Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles ; que l’autorité des décisions visées par cette disposition
s’attache non seulement à leur dispositif mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire et en
constituent le fondement même ; qu’il ressort des motifs de la décision précitée n° 2010-2 QPC que les
règles issues de l’article 1er, § 1 de la loi du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action
sociale et des familles sont applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées
antérieurement au 7 mars 2002, date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 ; que la cour d’appel a
constaté que M. R... C... est né en 1988 et que lui-même, ses parents et sa sœur, n’ont engagé d’action en
responsabilité à l’encontre de M. X... que par actes en date des 25 et 31 octobre 2006, ce dont se déduit
que les consorts C..., relativement à une situation juridique constituée avant le 7 mars 2002, ont engagé
postérieurement à cette date une procédure en vue d’obtenir la réparation de leurs préjudices respectifs,
de sorte que les règles issues de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles doivent
s’appliquer à l’action en responsabilité formée à l’encontre de M. X... par les consorts C... en vue
d’obtenir la réparation de leurs préjudices respectifs ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel
a violé par refus d’application l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, ensemble
l’article 62 de la Constitution ;
Mais attendu que si l’autorité absolue que la Constitution confère à la décision du Conseil
constitutionnel s’attache non seulement à son dispositif mais aussi à ses motifs, c’est à la condition
que ceux-ci soient le support nécessaire de celui-là ; que le dispositif de la décision 2010-2 QPC du
11 juin 2010 énonce que le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005
pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées
est contraire à la Constitution ; que, dès lors, faute de mention d’une quelconque limitation du
champ de cette abrogation, soit dans le dispositif, soit dans des motifs clairs et précis qui en seraient
indissociables, il ne peut être affirmé qu’une telle déclaration d’inconstitutionnalité n’aurait effet
que dans une mesure limitée, incompatible avec la décision de la cour d’appel de refuser
d’appliquer au litige les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;
que le grief n’est pas fondé ;
Et sur le même moyen, pris en ses deuxième et troisième branches :
Attendu que M. X... fait encore grief à l’arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en toute hypothèse, la loi obéissant à d’impérieux motifs d’intérêt général s’applique
immédiatement aux effets des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur ; que, dans sa
décision n° 2010-2 QPC en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en édictant l’article
1er-I de la loi du 4 mars 2002, le législateur a pris en compte des considérations éthiques et sociales et
que le même texte obéit à des motifs d’intérêt général ; que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002,
devenu l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, qui obéit à d’impérieux motifs
- 23 -
d’intérêt général, s’applique donc immédiatement à l’action en responsabilité formée par la mère de
l’enfant né handicapé à l’encontre du médecin en raison de la mauvaise exécution du contrat conclu
entre eux, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette disposition, soit le 7 mars 2002 ; que lorsque la
mère de l’enfant né handicapé n’a pas intenté son action en responsabilité contractuelle à l’encontre du
médecin avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, elle ne dispose pas d’une
créance pouvant être considérée comme une valeur patrimoniale, au sens de l’article 1 du Protocole n° 1
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors
que cette créance n’avait pas de base suffisante en droit interne, en ce qu’elle n’était plus confirmée par
la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 avait
modifiée, et que la mère de l’enfant n’avait donc plus d’espérance légitime de voir concrétiser sa créance
quant à l’indemnisation des charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de son
handicap ; que la cour d’appel a constaté que M. R... C... est né en 1988 et que lui-même, ses parents et
sa sœur, n’ont engagé d’action en responsabilité à l’encontre de M. X... que par actes en date des 25 et
31 octobre 2006 et donc après l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, ce dont se déduisait que Mme
C... C... n’avait pas d’espérance légitime de voir concrétiser sa créance quant à l’indemnisation des
charges particulières découlant, tout au long de la vie de son enfant, de son handicap ; qu’en refusant
cependant de faire application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’il
priverait Mme C... C... de son droit de créance, sans que soit respecté le juste équilibre entre les
exigences de l’intérêt général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect de ses biens résultant
de l’article 1er du protocole n° 1 additionnel à la Convention, la cour d’appel a violé par fausse
application de cette dernière disposition, et par refus d’application l’article L. 114-5 du code de l’action
sociale et des familles ;
2°/ qu’ en toute hypothèse, la loi obéissant à d’impérieux motifs d’intérêt général s’applique
immédiatement aux effets des contrats conclus antérieurement à son entrée en vigueur et donc à l’action
en responsabilité délictuelle formée par un tiers sur le fondement de la mauvaise exécution de ce contrat ;
que, dans sa décision n° 2010-2 QPC en date du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a jugé qu’en
édictant l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 le législateur a pris en compte des considérations
éthiques et sociales et que le même texte obéit à des motifs d’intérêt général ; que l’article 1er-I de la loi
du 4 mars 2002, devenu l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, qui obéit à
d’impérieux motifs d’intérêt général, s’applique donc immédiatement à l’action en responsabilité formée
par la mère de l’enfant né handicapé à l’encontre du médecin en raison de la mauvaise exécution du
contrat conclu entre eux, postérieurement à l’entrée en vigueur de cette disposition, soit le 7 mars 2002 ;
que lorsque l’enfant né handicapé n’a pas intenté son action en responsabilité délictuelle à l’encontre du
médecin avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, soit le 7 mars 2002, il ne dispose pas d’une
créance pouvant être considérée comme une valeur patrimoniale, au sens de l’article 1 du Protocole n° 1
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dès lors
que cette créance n’avait pas de base suffisante en droit interne, en ce qu’elle n’était plus confirmée par
la jurisprudence établie de la Cour de cassation, que l’article 1er-I de la loi du 4 mars 2002 avait
modifiée, et que l’enfant né handicapé n’avait donc plus d’espérance légitime de voir concrétiser sa
créance en réparation du préjudice résultant de son handicap ; que la cour d’appel a constaté que M. R...
C... est né en 1988 et que lui-même, ses parents et sa sœur, n’ont engagé d’action en responsabilité à
l’encontre de M. X... que par actes en date des 25 et 31 octobre 2006 et donc après l’entrée en vigueur de
la loi du 4 mars 2002, ce dont se déduisait que M. R... C... n’avait pas d’espérance légitime de voir
concrétiser sa créance en réparation de son préjudice de naissance ; qu’en refusant cependant de faire
application de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, en ce qu’il priverait M. R...
C... de son droit de créance, sans que soit respecté le juste équilibre entre les exigences de l’intérêt
général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect de ses biens résultant de l’article 1er du
protocole n° 1 additionnel à la Convention, la cour d’appel a violé par fausse application de cette
dernière disposition, et par refus d’application l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des
familles ;
Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu, abstraction faite de la référence, devenue
surabondante du fait de l’abrogation des dispositions transitoires précitées, à l’article 1er du
premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l’homme, que, s’agissant
d’un dommage survenu antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, l’article L.
114-5 du code de l’action sociale et des familles n’était pas applicable, indépendamment de la date
de l’introduction de la demande en justice ; que les griefs ne sont pas fondés ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.