Université Paris Saclay
Faculté Jean Monnet – Droit
Année 2015-2016
Réflexions juridiques autour des principes d’information
et de participation dans le domaine du nucléaire
Tenants et aboutissants des questionnements suscités par le projet Cigéo
Juliette GEOFFROY
Sous la direction du Professeur Laurent FONBAUSTIER
Mémoire de Master 2
Mention Droit de l’environnement – Parcours Recherche
2
L’université Paris Saclay n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions
émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
3
Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes rencontrées de manière générale qui ont nourri
cette étude, elles sont nombreuses.
Ma reconnaissance première au Professeur Laurent Fonbaustier pour m’avoir épaulée dans la
construction du sujet de ce mémoire, pour son encadrement sérieux durant l’année, et pour sa
réelle disponibilité à mon égard.
Des remerciements sincères à Thomas Schellenberger pour son intérêt pour mon sujet et ses
encouragements efficaces.
Ma gratitude à mes parents pour leur soutien, ainsi qu’à mes correcteurs qui ont pris le temps
de me relire.
À André Geoffroy.
4
Sommaire
TITRE 1 – CONTEXTE GENERAL AUTOUR DES QUESTIONNEMENTS JURIDIQUES
SUSCITES PAR LE PROJET CIGEO
CHAPITRE 1 – LA PEUR DE L’ATOME, OU LA CONSEQUENCE D’UN ARSENAL
JURIDIQUE TARDIF EN MATIERE DE TRANSPARENCE NUCLEAIRE
Section 1 – L’ouverture progressive du nucléaire à la société civile
Section 2 – L’information et la participation du public dans le nucléaire, confrontées au
secret-défense
CHAPITRE 2 – DE L’ETHIQUE ENVIRONNEMENTALE AU DROIT DANS LA DEFINITION
DES CONCEPTS GRAVITANT AUTOUR DU PROJET CIGEO
Section 1 – Discussion autour du traitement juridique de la notion de réversibilité
concernant le stockage géologique de déchets radioactifs
Section 2 – Autres problématiques suscitées par les déchets nucléaires et par le projet
Cigéo autour des principes du droit de l’environnement
TITRE 2 – ILLUSTRATION DE LA DIFFICULTE DE MISE EN ŒUVRE DES PRINCIPES
D’INFORMATION ET DE PARTICIPATION AU REGARD DU PROJET CIGEO
CHAPITRE 1 – ETUDE DES PROCEDURES PARTICIPATIVES ENVIRONNEMENTALES
APPLIQUEES A CE CAS D’ECOLE
Section 1 - Observations sur l’implantation houleuse du laboratoire et regards critiques
sur le débat public de 2005
Section 2 - Retour sur le second débat public relatif aux déchets radioactifs, un débat
juridiquement critiquable
CHAPITRE 2 – ETUDE DE LA COMPATIBILITE ENTRE NUCLEAIRE ET IMPLICATION DU
PUBLIC
Section 1 – La nécessaire prise en compte d’éléments échappant au droit
Section 2 - Analyse du projet Cigéo sous l’angle de l’effectivité juridique des principes
d’information et de participation
5
Sigles et abréviations utilisés
AAI : Autorité administrative indépendante
AIEA : Agence internationale de l’énergie atomique
AJCT : Actualité juridique des collectivités territoriales
AJDA : Actualité juridique du droit administratif
AN : Assemblée nationale
ANDRA : Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
ASN : Autorité de sûreté nucléaire
BDEI : Bulletin du droit de l’environnement industriel
CADA : Commission d’accès aux documents administratifs
CCSDN : Commission consultative du secret de la défense nationale
CE : Conseil d’Etat
CEA : Commissariat à l’énergie atomique (et aux énergies alternatives depuis 2010)
CHSCT : Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail
CIGÉO : Centre Industriel de stockage Géologique
CIRES : Centre industriel de regroupement, d’entreposage et de stockage
CLIS : Commission locale d’information et de suivi
CNDP : Commission nationale du débat public
CNE : Commission nationale d’évaluation
CPDP : Commission particulière du débat public
CSA : Centre de stockage de l’aube
DA : Droit administratif
DE : Droit de l’environnement
Environnement : Revue Environnement et Développement durable (LexisNexis)
FA-VL : Faible activité vie longue
GIP : Groupement d’intérêt public
HA-VL : Haute activité vie longue
HCTISN : Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire
ICPE : Installation classée pour la protection de l’environnement
INB : Installation nucléaire de base
IRSN : Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
JCP : La semaine juridique
Jcl. Env. : JurisClasseur LexisNexis Environnement
LPA : Les petites affiches
OCDE : Organisation de coopération et de développements économiques
OPESCT : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
PNGMDR : Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs
RDP : Revue de droit public
RISEO : Risques, études et observations
RJE : Revue juridique de l’environnement
RJEP : Revue juridique de l’entreprise publique
6
Introduction
1. Avant-propos
L’énergie nucléaire est celle qui unit les deux particules qui existent dans le noyau d’un atome,
les neutrons et protons, et utilisée pour produire de l’électricité1. La France a lancé le nucléaire
à la fin de la seconde guerre mondiale par une ordonnance du Général de Gaulle le 18 octobre
1945, la première centrale2 étant connectée au réseau électrique depuis 19773. Depuis, jamais
une énergie et sa production n’ont alimenté autant de fantasmes et de débats passionnés. Et pour
cause, le public de manière générale n’aime guère les mystères. Un questionnaire avait été fin
2006 soumis à un échantillon des pays membres de l’Union européenne afin d’étudier l’attitude
du public européen envers le nucléaire et leur rapport aux risques, et afin de recueillir leurs
opinions sur l’information en la matière4. À une question sur la qualité de l’information relayée
par les médias sur les avantages et les risques du nucléaire, 76% des français répondaient par la
négative5.
Le nucléaire, dû à ses risques inhérents, à l’ampleur des catastrophes qui l’ont eu pour cause et
que l’on ne présente plus, a eu pendant longtemps un rapport très distancié avec la société civile.
Un contexte international et européen propice au développement du droit à l’information
environnementale et au droit de participer aux décisions ayant un impact sur notre
environnement ont conduit à repenser cette relation. Il s’imposait que les acteurs de l’industrie
1 Pour une compréhension détaillée et approfondie des aspects techniques, physiques et scientifiques de l’énergie
nucléaire, consulter : Safa, H., Qu’est-ce que l’énergie nucléaire ?, coll. Bulles de sciences, 2011.
2 La centrale REP, construite à Fessenheim dans le Haut-Rhin.
3 Safa, H., Qu’est-ce que l’énergie nucléaire ?, op. cit., p. 165. 4 Le rapport de l’Eurobaromètre spécial n° 271 sur « Les Européens et la sûreté nucléaire », réalisé en octobre-
novembre 2006 et publié en février 2007, consultable en ligne sur :
http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_271_en.pdf
5 Lesourne, J., « Réflexions sur les résultats de l’Eurobaromètre sur « les Européens et la sûreté nucléaire », in
Jacques Lesourne (dir.), L’énergie nucléaire et les opinions publiques européennes, gouvernance européenne et
géopolitique de l’énergie, les études ifri, vol. 2, p. 20, : « si ces résultats ne sont pas étonnants, c’est qu’il est
courant de constater que les récepteurs qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’informer rejettent souvent la
responsabilité sur les émetteurs qui, eux-mêmes, adressent à l’opinion des messages confus, contradictoires et
d’exactitude variée. » Ces propos sont à prendre avec précaution, l’interprétation des sondages nécessite toujours
d’avoir du recul. Il est, en ce sens, évident que ces chiffres ne seront pas interprétés de la même façon selon les
regards portés dessus.
7
nucléaire coupent le cordon ombilical avec les décisions qui se rapportent à l’énergie et
acceptent, motivent, recherchent, l’implication du public dans le processus décisionnel, à
commencer par s’ouvrir à leurs observations. Seulement, cette association ne peut se faire
mécaniquement, et l’on imagine d’emblée la difficulté à obtenir rapidement des résultats
fructueux.
2. Contours de ce mémoire
Nous avons choisi de travailler sur l’implication du public dans le domaine du nucléaire à
travers le prisme du projet Cigéo (Centre industriel de stockage6 géologique7). Le projet Cigéo
est le projet français de centre de stockage profond de déchets radioactifs8. Il est conçu pour
stocker les déchets de haute et moyenne activité à vie longue produits par l'ensemble des
installations nucléaires actuelles, jusqu'à leur démantèlement9, et par le traitement des
combustibles usés10 utilisés dans les centrales nucléaires.
L’assimilation impossible du déchet nucléaire au déchet de droit commun a rendu nécessaire
un traitement juridique différent. Au regard de l’article L. 542-1-1 du Code de l’environnement,
« les déchets radioactifs sont des substances radioactives11 pour lesquelles aucune utilisation
ultérieure n’est prévue ou envisagée. » Ils proviennent en grande majorité de l’industrie
électronucléaire (60%) et de la recherche (27%), les 13% restants provenant de la défense, de
l’industrie non-électronucléaire, et du domaine médical12. Les déchets nucléaires sont
classifiés13. Notre étude sera axée principalement sur les déchets radioactifs de haute activité à
vie longue (HA-VL) et de moyenne activité à vie longue (MA-VL), puisque ce sont ceux
6 Voir glossaire.
7 Ibidem.
8 Ibid.
9 Ibid.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 L’origine des déchets selon l’Andra, disponible à l’URL : http://www.cigeo.com/les-dechets-concernes/notions-
utiles-sur-les-dechets-radioactifs
13 Voir glossaire.
8
concernés par le projet Cigéo car il n’existe à ce jour aucune solution de gestion industrielle
pérennisée pour eux. Concernant les déchets HA-VL, s’ils ne représentent que 3% du volume
des déchets radioactifs existants, ils concentrent la quasi-totalité de la radioactivité14 des déchets
radioactifs, de l’ordre de 99%15. À ce jour, 30% des déchets HA-VL et 60% des déchets MA-
VL destinés à Cigéo sont produits16.
L’expression « déchet nucléaire » a une forte connotation négative. En effet, « le déchet
symbolise l’inutilité, la putréfaction, la mort. Le nucléaire évoque l’expression violente de la
matière et l’agression sournoise de la radioactivité. »17 Si notre rapport au déchet a largement
évolué, vers une conception où le déchet devient une valeur dans le cadre de l’économie
circulaire et de la valorisation du déchet, ce n’est pas le cas du déchet radioactif. Bien que des
recherches soient menées visant à réduire le niveau de radioactivité ou à gérer le volume des
déchets futurs, on ne sait pas anéantir, éliminer, la radioactivité. En ce sens, le déchet radioactif
est sournois et vicieux. Il est considéré comme vivant, ce qui fera dire à Bertrand Thuillier,
ingénieur agronome, et docteur en sciences que « Cigéo, c’est tout sauf un cimetière. On va
enterrer une matière vivante durant des milliers d’années. »18 Ces propos sont le point de départ
de controverses.
La solution retenue depuis 2006, l’enfouissement en couche géologique profonde de ces déchets
est une solution assez consensuelle au sein des acteurs et ingénieurs de l’industrie nucléaire,
mais ne fait pas l’unanimité en dehors de ce cercle. La mauvaise fortune des exemples de
stockage en couche profonde de déchets nucléaire déjà réalisés à l’international laisse un regard
technique sceptique sur ceux à venir19. À cela, s’ajoutent des considérations et préoccupations
14 Voir glossaire.
15 Voir supra n° 12.
16 Ibidem. 17 Pour F. Sorin, de la Société française de l’énergie nucléaire, « accolés, ces deux vocables, composent un
signifiant psychologique détonant qui ne peut induire, a priori, que des représentations alarmantes voire
anxiogènes. », : Sorin, F., Déchets nucléaires, où est le problème ?, coll. EDP sciences, 2015, p. 127. Dans son
livre, il explique en quoi il n’a pas peur des déchets nucléaires.
18 Bure : Stop !, 2014, p. 11.
19 On pense au stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité, stockés jusqu’en 1978 dans le centre
expérimental de Asse, en Allemagne. Il était aménagé dans une ancienne mine exploitée dans un dôme de sel. Des
infiltrations d’eau ont été constatées et d’ampleur assez importantes pour qu’en 2008, les autorités allemandes
décident du retrait des déchets et du démantèlement du site. De manière assez similaire, aux États-Unis, le Waste
isolation pilot plant (WIPP), accueille depuis 1999 des déchets militaires contenant des éléments radioactifs à vie
9
toutes autres, sur lesquelles cette étude sera davantage axée : l’application des principes
juridiques du droit à l’information et de la participation du public au projet Cigéo. En effet, ce
cas d’école nous permet de revenir plus largement sur les particularités de l’information et de
la participation dans le nucléaire et discuter ces principes de manière plus générale. Le droit de
l’environnement a encouragé « une percée générale des droits d’information du public et de
participation dans de nombreux champs du droit, y compris le droit nucléaire. »20 Si la
participation à la décision en matière nucléaire « peut aller de la simple présence lors d’une
audition publique à la participation à des études préliminaires sur des projets liés à l’énergie
nucléaire »21, nous avons considéré que l’étudier à travers le projet Cigéo était symbolique et
permettait d’analyser les mécanismes de prise de décision, afin de juger de leur efficacité et de
vérifier s’ils répondent à un de leurs objectifs principaux : établir de la confiance dans un
domaine qui en a longtemps manqué. Il n’est pas selon nous présomptueux, dans ce contexte,
de considérer que l’enjeu est de taille pour le droit nucléaire qui cherche à adopter une démarche
plus citoyenne, car quelle que soit son issue, ce projet est d’une envergure telle qu’il marquera
les esprits. Faire le point sur ces notions « vagues mais séduisantes de transparence, de droit à
l’information, de démocratie participative (…) »22, à travers le nucléaire nous est apparu
d’actualité, donc très opportun.
3. Ce que ce mémoire ne traitera pas
Bien que cela aurait été intéressant, il n’est pas dans l’esprit de ces propos d’analyser
sociologiquement le rapport des français envers le nucléaire. Nous ne pourrons pas en revanche
nous en émanciper totalement car le nucléaire suscite des émotions chez les individus assez
importantes qui ne peuvent être ignorées, tant elles ont leur part de responsabilité et influencent
les procédures participatives que nous étudierons. Il est opportun de préciser tout de suite qu’il
est difficile d’évaluer l’opinion réelle des français sur le nucléaire. Certains avancent l’idée que
longue, là encore dans une couche de sel. Le site est néanmoins fermé depuis février 2014 suite à l’incendie d’un
camion de transport de sel à 650 mètres sous terre, à la suite duquel fut détectée une semaine plus tard une
contamination radioactive en surface.
20 Emmerechts, S., « Droit de l’environnement et droit nucléaire : une symbiose croissante », Bulletin de droit
nucléaire, 2008, n° 82, p. 98.
21 Ibid., p. 100.
22 Reyners, P., « Le droit nucléaire confronté au droit de l’environnement : autonomie ou complémentarité ? »,
Revue québécoise de droit international (Hors-série), 2017, p. 185.
10
« un pays alimenté par l’électronucléaire jouit d’un certain confort énergétique qui contribue à
adoucir le sentiment social envers l’atome, et que d’autre part, un État étranger à l’énergie
atomique se trouve de fait piégé dans un refus social du nucléaire »23, tout en reconnaissant très
vite que « cette corrélation n’est guère évidente » en prenant l’exemple de la France24. À notre
sens, le public n’a pas un avis tranché sur la question25 et prend encore ses distances avec un
sujet dont les facettes ne sont pas toutes facilement accessibles. Finalement, le nucléaire
engendre chez le public un panel de sentiments très contrastés. Le citoyen a généralement
conscience qu’il existe encore un gouffre qui le sépare des questions nucléaires et ce mystère
fait naître des débats passionnés. Notre travail sera d’outrepasser les fantasmes qui pourraient
paralyser la réflexion, afin que son issue contribue à apporter un autre regard sur l’application
des principes juridiques d’information et de participation au domaine nucléaire, le projet Cigéo
étant l’illustration parfaite pour comprendre les difficultés rencontrées pour évaluer leur
effectivité.
Nous ne sommes pas non plus habilités dans ce contexte à nous prononcer sur l’avenir de
l’énergie nucléaire au sein du programme énergétique français. Nous évoquerons toujours cette
question sous un angle bien précis au sein de nos développements, afin de servir et d’illustrer
notre argumentation. Cette question a donc toute sa place, mais elle ne peut et ne doit pas à
notre sens parasiter le contenu de notre réflexion. Nous avons conscience que le nucléaire est
une question éminemment politique, et cette fenêtre du sujet sera étudiée avec précaution à
travers le prisme du projet Cigéo.
Nous ne sommes pas non plus en mesure d’exposer un avis sur la solution qui serait la plus
judicieuse pour gérer les déchets radioactifs. En revanche, l’argument, il faut avouer très
rhétorique, selon lequel « pour au contre le nucléaire, les déchets nucléaires sont là et il faut
23 Davoust, R., « L’opinion européenne sur l’énergie nucléaire », in Jacques Lesourne (dir.), L’énergie nucléaire
et les opinions publiques européennes, gouvernance européenne et géopolitique de l’énergie », les études ifri, vol.
2, p. 45.
24 Ibidem.
25 Avec tout le recul que l’on se doit de porter à un sondage, un sondage de l’institut français d’opinion publique
(IFOP) en date du 25 avril 2016 révèle qu’une importante minorité de français (47%) est favorable à la fermeture
des centrales nucléaires. Le sondage révèle également un « clivage générationnel », puisque 55% des moins de 35
ans et 57% des 35-49 ans sont favorables à cette fermeture. Sans surprise, ce sont principalement les
problématiques des déchets et la crainte de catastrophes nucléaires qui expliquent ces résultats. Voir l’étude sur :
http://www.ifop.com/media/poll/3370-1-study_file.pdf
11
bien s’en occuper, a une contrainte argumentative forte, qui ne doit pas, à notre sens et au regard
de ce qui sera développé, précipiter la solution de gestion préconisée et planifiée à ce jour.
4. Les enjeux que ce mémoire tentera de cerner
Nous étudierons de manière juridique le rapport entre le public et le nucléaire. Dans le souci de
mener une réflexion la plus exhaustive possible et de ne pas être accusés d’avoir des œillères,
nous avons pris le parti d’analyser toutes les facettes du projet Cigéo qui ont des conséquences
incontestables sur son traitement juridique, et sur l’application des principes d’information et
de participation dont il fait l’objet. Cette méthode, nous l’espérons, n’aura pas de conséquence
sur une réflexion à finalité juridique.
Nous sommes en capacité de réfléchir juridiquement aux aspects qui entourent le projet Cigéo,
le construisent, le nourrissent, qu’ils lui soient positifs ou négatifs. A notre sens, il ne saurait se
résumer à un projet industriel « lambda » qui serait néanmoins lui aussi victime, là encore à tort
ou à raison, des crispations du public. En effet, le projet Cigéo a pour particularité d’être un cas
d’école, expérimental. Les rejets locaux du projet ne sauraient se résumer à des complexes
NIMBY26, les rejets nationaux à une position de principe contre le nucléaire. Le projet Cigéo a
pour difficulté majeure d’hériter du passif du nucléaire en général.
Nous étudierons l’amont, le déroulement, et l’issue des procédures participatives
environnementales en ayant pleinement conscience du contexte dans lesquelles elles s’insèrent.
Nous accepterons de raisonner dans des échelles de temps que l’on ne perçoit pas et qui sont
pour nous du domaine de l’infini. Le nucléaire ouvre des perspectives temporelles inexplorées
et nous invite à réfléchir au long terme, alors même que la politique du court terme est un
symptôme contemporain. Dans ce domaine, le temps est un protagoniste, une justification, un
26 Schellenberger, T., Le droit public des utilisations du sous-sol, Réflexions sur le régime juridique des stockages
géologiques des déchets, Aix-Marseille Université, 2014, p. 20. En effet, il considère selon nous avec justesse, que
« il est de moins en moins pertinent d’appréhender ces oppositions sociales en postulant qu’elles découlent de
considérations exclusivement égoïstes traduites par le concept « NIMBY ». Au contraire, le domaine du stockage
géologique de déchets montre particulièrement que le rejet de certains projets soulève des questions plus
complexes liées à l’équité et à la transparence des choix publics, et donc plus globalement à la légitimité démocratie
de ces derniers. »
12
adversaire27. Nous verrons que le droit tente lui aussi de s’approprier le futur, au rythme de
l’éthique.
5. Démarche adoptée
L’intérêt était donc pour nous de rechercher si l’ouverture juridique du nucléaire à la
société civile comblait les attentes croissantes du public, et si les procédures participatives
environnementales appliquées au nucléaire à travers le projet Cigéo étaient à la fois à la hauteur
des orientations textuelles et des enjeux qui lui sont propres.
C’est dans cette optique que nous nous attacherons à nous imprégner du cadre juridique
spécifique au nucléaire en matière d’information et de participation, ainsi que du climat
juridique autour du projet Cigéo très nourri par des préoccupations éthiques (Titre 1).
S’il va de soi que nous ne sommes pas en mesure de juger de la faisabilité technique et
scientifique du projet Cigéo, nous savons que la faisabilité juridique qui conditionne sa
potentielle réalisation réside entre autres en la réalisation de procédures participatives
environnementales. En ce sens, étudier ce projet nous parait être un excellent biais pour juger
de l’efficacité et de l’effectivité de ces procédures au sein du plus grand projet que l’industrie
nucléaire ait jamais porté. En écho au titre premier, nous prendrons conscience de la difficulté
pour juger de l’efficience de l’information et de la participation dans le domaine du nucléaire,
de s’émanciper des considérations morales et éthiques qui transcendent le nucléaire. (Titre 2).
27 D’iribarne, P., « L’opinion européenne sur l’énergie nucléaire », in Jacques Lesourne (dir.), L’énergie nucléaire
et les opinions publiques européennes, gouvernance européenne et géopolitique de l’énergie, les études ifri, vol.
2, p. 90 : « On a là une objection que l’on ne peut qualifier de métaphysique : le fini (l’homme) ne peut maîtriser
l’infini (la nature dans l’infini des siècles). »
13
Titre I – Contexte général autour des questionnements
juridiques suscités par le projet Cigéo
Le droit nucléaire n’a pas toujours été aisé à définir. En effet, comme le dénote Katia Boustany,
spécialiste reconnue en droit international et ayant notamment crée la première école de droit
nucléaire francophone, « il aura fallu attendre pratiquement 45 ans avant que nous soit livré un
premier travail d’envergure sur l’encadrement juridique de ce secteur », ajoutant que « c’est le
mérite de Denis Bourque (…), d’avoir entrepris cette tâche dans un domaine demeuré
auparavant (…) non défriché. »28
Le droit nucléaire a pour particularité de reposer sur des données scientifiques. Il est caractérisé
par la construction d’un régime juridique particulier ayant trait à l’élaboration d’une
réglementation concernant la radioactivité qui est produite par l’utilisation de matières fissiles
ou de rayonnement ionisants. Il s’agit donc d’un « ensemble de normes juridiques spéciales
formulées en vue de réglementer la conduite de personnes morales ou physiques menant des
activités se rapportant aux matières fissiles, aux rayonnements ionisants et à l’exposition aux
sources naturelles de rayonnement. »29 Cette réglementation tend à répondre à la « nécessité
impérieuse de fixer un équilibre socialement acceptable entre les dangers associés à l’utilisation
de l’énergie nucléaire et les bénéfices que l’on peut en retirer. »30 C'est pourquoi il est
difficilement intelligible. Cette difficulté précoce a eu pour conséquence une perte de velléité
tendant à vulgariser la compréhension de l'énergie. Ce manque d'explication a rendu ce droit
opaque. L'opacité fait peur.
Le nucléaire civil souffre d’un discrédit dû à la menace de l’utilisation du nucléaire dans la
guerre, discrédit auquel s’ajoute un vocabulaire quasi exclusivement scientifique. L'industrie
nucléaire s'est volontairement coupée de la société en rendant le citoyen inquiet. Concrètement,
le droit qui en découlait ne pouvait qu'être obscur dans un domaine même où l'implication des
28 Boustany, K., Compte rendu de l’ouvrage « L’énergie nucléaire et le droit : les autorisations, l’environnement,
les contrôles judiciaires et politiques » [en ligne], Les cahiers de droit, vol. 33, n° 1, 1992, pp. 396-309, disponible
à l’URL : http://id.erudit.org/iderudit/043139ar.
29 Stoiber, C., et al, Manuel de droit nucléaire [en ligne], Publications de l’AIEA, septembre 2006, p. 5.
30 Reyners, P., « Le droit nucléaire confronté au droit de l’environnement », Revue québécoise de droit
international (Hors-série), 2007, p. 161.
14
citoyens est souhaitée. Mettre à l'écart la population a eu pour effet de renforcer un climat
hostile et de défiance. Il s’avérait donc nécessaire que les citoyens puissent avoir des réponses
aux questions que pose cette énergie afin que sa compréhension ne soit ni réservée aux acteurs
de l’industrie, ni aux élus de la démocratie représentative.
L’ouverture du nucléaire à la société civile devait donc passer par une réglementation axée sur
la transparence et l’information du public (pour favoriser des conditions propices à la
participation du public autour des activités nucléaires présentant un risque environnemental) et
sur les processus décisionnels concernant les choix de sites ou l’autorisation d’activités.
(Chapitre 1). Après avoir fait état de cette promotion de la transparence dans le milieu nucléaire
et avoir mis en évidence une volonté finalement assez contenue, il sera temps de s’intéresser
aux thématiques sociétales et éthiques suscitées par le projet Cigéo. Fortement dépendantes de
cette dynamique de transparence, elles sont à rattacher à la manière de faire des choix en société
et ainsi largement aux principes d’information et de participation (Chapitre 2).
Chapitre I – La peur de l’atome, ou une conséquence d’un arsenal
juridique tardif en matière de transparence nucléaire
Le régime juridique de l’énergie atomique fut longtemps singulier, marqué « par l’absence de
législation nucléaire d’ensemble. »31 L’unique base législative sur laquelle reposait la
réglementation nucléaire datait ainsi d’une Loi du 2 août 1961 relative à la lutte contre les
pollutions atmosphériques et les odeurs,32 complétée par un Décret du 11 décembre 196333. A
une « base législative tronquée »34 était associé un encadrement réglementaire reflétant un
déficit démocratique. Résorber ce déficit ne pouvait donc se faire que par l’élaboration d’un
cadre législatif parlant et c’est en ce sens que le Premier Ministre de l’époque confia à Jean-
31 Grammatico, L., Léger, M., « La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : quelles
évolutions pour le droit nucléaire français ? », Bulletin de droit nucléaire, n° 77, 2006.
32 Loi n° 61-842 du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs et portant
modification de la Loi du 19 décembre 1917, JO 3 août 1961, p. 7195.
33 Décret n° 63-1228 du 11 décembre 1963 relatif aux installations nucléaires, JO du 14 décembre 1963, p. 11092.
34 Grammatico, L., Léger, M., « La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : quelles
évolutions pour le droit nucléaire français ? », op. cit.
15
Yves le Déaut le soin de préparer le terrain au sein d’un rapport35 qui, bien qu’il fût rejeté par
le Conseil d’Etat en 1999, fut considéré comme précurseur dans le long cheminement qui
aboutit le 22 février 2006 au projet de loi définitif. De ce rapport à la promulgation de la loi se
sont écoulés huit ans, ce qui dénote la complexité à obtenir des solutions consensuelles en la
matière. Si la loi du 13 juin 200636 n’aborde pas que la question de l’information37, c’est autour
de celle-ci que sera consacré ce chapitre puisqu’elle entretient une relation dialectique avec la
notion de transparence. L’intérêt sera donc de comprendre le cheminement juridique qui a mené
à la consécration de la transparence dans le nucléaire (Section 1), pour mieux étudier sa teneur
réelle (Section 2).
Section 1 – L’ouverture progressive du nucléaire à la société civile
La justification de l’absence de transparence de la filière nucléaire a longtemps résidé en sa
complexité et la sensibilité du public à ses questions. Le droit appliqué aux activités nucléaire
reposait jusqu’en 2006 en majeure partie sur des dispositions réglementaires. Il a fallu attendre
2006 pour que soit créé un droit à l’information en matière de risques nucléaires au sein d’un
régime législatif innovant pour le sujet38, mettant fin à un fonctionnement considéré comme
oligarchique des institutions administratives. L’apparition de ce contre-pouvoir était nécessaire
pour apporter une légitimité au secteur nucléaire. Le tournant de 2006 pour cette industrie est
concomitant à un contexte juridique propice au développement de l’information
environnementale et répond à l’avidité en la matière de la société civile. Une ordonnance du 5
35 Le Déaut, J-Y., Rapport au Premier Ministre, « Le système français de radioprotection, de contrôle et de sécurité
nucléaire : la longue marche vers l’indépendance et la transparence », La Documentation française, 1998, p. 163.
36 Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire dite loi « TSN ».
37 En effet, une grande moitié de son contenu est destinée à rénover en profondeur la réglementation des INB. La
Loi TSN intègre des dispositions environnementales dans ce régime juridique, l’alignant sur celui applicable aux
ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement). Le droit de l’environnement pénètre une
nouvelle fois dans le droit nucléaire. Pour une appropriation du sujet, consulter les décrets d’application la
concernant : Décret n° 2007-830 du 11 mai 2007 relatif à la nomenclature des installations nucléaires de base, JO
12 mai 2007 ; Décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 relatif aux installations nucléaires de base et au contrôle,
en matière de sûreté nucléaire, du transport de substances radioactives, JO 3 nov. 2007, Décret n° 2008-251 du 12
mars 2008 relatif aux commissions locales d’information auprès des installations nucléaires de base, JO 14 mars
2008. Voir en complément l’arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires
de base, JO RF n°0033 du 8 février 2012, p. 2231.
38 Loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et des déchets
nucléaires radioactifs ; Loi du 13 juin 2006 précit.
16
janvier 201239 est venue intégrer ce texte fondamental, le codifiant à droit constant dans le code
de l’environnement40 afin de rendre plus lisible le cadre législatif applicable aux activités
nucléaires pour les citoyens. Elle crée une section spécifique à l’information relative aux
activités nucléaires41. Nous nous intéresserons aux changements explicites (I), puis aux effets
plus implicites (II).
I) Des aspirations sociétales à la consécration législative du droit à l’information
De l’étude des volontés précurseurs (A) aux évolutions notables (B).
A) Les aspirations de la loi tant attendue sur la transparence nucléaire
Dans son ouvrage reconnu « Le nucléaire sans les Français », Jean-Philippe Colson déplorait
déjà « l’absence de débat en France »42, ce qui a inévitablement a engendré une forme de
suspicion (1). Cette crise de confiance a mené à la loi TSN en 2006, dont le champ concerne
presque uniquement le nucléaire civil et qui tente de répondre à l’objectif principal de faire
bénéficier le nucléaire d’un contexte juridique favorable à des fins d’une meilleure acceptabilité
sociale (2).
1) Une assise législative longtemps inexistante
La transparence sur la science, permet l’élévation des consciences, et peut engendrer de
nouvelles formes de gouvernances. La transparence induit les échanges et les interactions,
suscite le débat. Si le nucléaire a pendant près de 50 ans été obscur, cette mise à l’écart de la
société civile était voulue, recherchée. Pendant longtemps, l’information du public, fortement
liée à la notion de transparence, fut restreinte aux installations figurant à l’annexe II du tableau
39 Ordonnance n° 2012-6 du 5 janv. 2012 modifiant les livres Ier et V du Code de l’environnement, JO 6 janv.
2012.
40 Ainsi que la loi de programme n° 2006-739 du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets
radioactifs et la loi n° 68-943 du 30 oct. 1968 relative à la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie
nucléaire.
41 Cette section est organisée en quatre sous-sections : le principe du droit à l’information (art. L. 125-10 et 125-
11), le régime de la transparence en matière nucléaire (art. L. 125-12 à 125-16), l’institution de commissions
locales d’information (art. L. 125-17 à L. 125-33) et le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la
sécurité nucléaire (art. L. 125-34 à L. 125-40).
42 Colson, J-P., Le nucléaire sans les Français. Qui décide ? Qui profite ?, Librairie François Maspero, 1977, coll.
Petite collection Maspero, p. 16 et 20.
17
annexé à l’article R. 123-1 du Code de l’environnement à travers l’enquête publique qui précède
l’autorisation de création d’une INB.
Le Parlement a lui aussi été mis à l’écart de la question puisque le droit nucléaire était rattaché
à la loi n° 61-842 du 2 août 1961 appliquant les dispositions de son article 8 concernant les
pollutions de tous ordres causées par des substances radioactives et renvoyant aux « pollutions
de l’atmosphère et odeurs qui incommodent la populations » de son article 1, la réglementation
des émissions des centrales nucléaires ayant ainsi la même base légale que toutes les émissions
atmosphériques. Or, une loi dont l’objet est restreint à ce type de pollution autorise le pouvoir
réglementaire à régir les pollutions liées à ces substances, et ce sans solliciter le Parlement.
Cette culture du secret n’a pas échappé à tout le monde. On peut penser au premier numéro de
la Gazette nucléaire paru en juin 1976, organe de presse du groupement scientifique pour
l’information sur l’énergie nucléaire (GSIEN) qui ambitionnait « d’empêcher les officiels du
nucléaire de transformer l’information en propagande. »
Le droit à être informé et la mise à disposition des informations en matière nucléaire n’étaient
pas spécifiques aux risques inhérents à cette énergie en droit interne. À titre d’exemples, en
droit interne, l’information concernant les déchets nucléaires était contenue dans celle
concernant les déchets en matière générale43. Au sein des textes internationaux et européens,
l’énergie nucléaire fut en revanche plus rapidement considérée comme une énergie dont
l’information doit être spécifique. En 1997, le premier instrument juridique international
contraignant traitant du droit du public à accéder à l’information et à être consulté est adopté
spécifiquement pour le domaine nucléaire44. En France, il faudra donc attendre la loi TSN pour
43 Les installations nucléaires furent longtemps soumises au droit commun de l’information environnementale. Ce
n’est pas innocent en revanche si au lendemain de Tchernobyl, la loi du 22 juillet 1987 sur la sécurité civile et la
prévention des risques prévoit que « les citoyens ont un droit à l’information sur les risques majeurs auxquels ils
sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent », codifié à
l’article L. 125-2 du Code de l’environnement. Aussi, la loi du 30 décembre 1988 sur les déchets complétée par
celle du 13 juillet 1992 sera codifiée à l’article L. 125-1 du Code de l’environnement portant sur le droit à
l’information spécifique aux déchets, et qui s’étend aux déchets radioactifs (eux-mêmes régis par l’art. L. 541-1
du Code de l’environnement qui dispose que la réglementation déchet sert à « assurer l’information du public sur
les effets pour l’environnement et la santé publique des opérations de production et d’élimination des déchets, sous
réserve des règles de confidentialité prévues par la loi (…) »), ou encore à l’article L. 110-1 du Code de
l’environnement qui permet d’avoir accès aux informations relatives à l’environnement « y compris celles relatives
aux substances et aux activités dangereuses. » Plus récemment, la loi du 13 août 2004 sur la modernisation de la
sécurité civile énonce dès son article 1er que « la sécurité civile a pour objet l’information et l’alerte des populations
sur les accidents, les sinistres, et les catastrophes. » Entre temps, la consécration d’un droit général à l’information
sur l’environnement issu des principes généraux de la loi Barnier de 1995 reconnait à chacun un accès aux
informations relatives à l’environnement « y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses. »
44 Convention commune de Vienne du 5 septembre 1997, où est souligné au point IV de son préambule
l’importance de l’information du public sur les questions qui ont trait à la sûreté et à la gestion des combustibles
usés, et l’article 13 de prévoir la mise à disposition du public des informations sur la sûreté des installations ; Le
18
répondre à la fois aux obligations internationales de la France en matière d’information
nucléaire, favorisant potentiellement une opinion publique positive.
2) L’enjeu fondamental de la loi TSN pour le milieu nucléaire, trouver la confiance
La justification des secrets entourant le nucléaire résidait dans la nécessaire sécurité en la
matière, dont découle la notion de sûreté. Philippe Billet rappelle que la revue « Contrôle » de
l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) « n’a consacré que quatre numéros à l’information sans
vraiment convaincre [entre 1994 et 2006] dont un sur la « Sûreté nucléaire et transparence » de
juillet 2001, dont le bilan qu’il laisse deviner du déficit enregistré est pour le moins édifiant. »45
S’il aura fallu attendre 2006 pour assoir légalement la volonté de transparence dans le secteur
nucléaire, celle-ci s’exprimait déjà à travers le point 3 de la circulaire du 26 janvier 200446. Sans
surprise, cette promotion du droit à l’information nucléaire47 est certainement due à un contexte
juridique propice à l’élaboration de normes relatives à l’information environnementale48. S’en
traité sur la Charte de l’énergie du 17 décembre 1994 signé à Lisbonne et adopté par la Communauté européenne
le 9 mars 1998, de manière plus générale, prévoit quant à lui en son article 19 que « les parties contractantes
favorisent l’évaluation transparente des projets énergétiques et du contrôle ultérieur de leur impact
environnemental », l’article 20 nuançant ces dispositions, rappelant qu’elles « n’imposent pas à une partie
contractante de divulguer des informations confidentielles si cette divulgation empêche l’application du droit ou
est contraire de toute autre manière à l’intérêt public (…). »
45 Billet, P., « La transparence et la sécurité en matière nucléaire – A propos de la loi n° 2006-686 du 13 juin
2006 », Environnement, n° 8-9, Août 2006, étude 12.
46 Circulaire prise pour l’application de l’arrêté du 26 janvier 2004 relatif à la protection du secret de la défense
nationale dans le domaine de la protection et du contrôle des matières nucléaires (JO n° 24 du 19 janvier 2004).
47 Lucas-Alberni, K., « La loi relative à la transparence en matière nucléaire », RDP, 1er janv. 2007, n° 3, p. 707.
48 Un retour classique mais certainement pas exhaustif sur le cadre juridique de l’information et de la participation
du public s’avère en aparté nécessaire car les années 2000 furent importantes pour la promotion de l’information
environnementale (bien qu’elle eut déjà été promue progressivement bien avant, au niveau international
notamment au sein de principes énoncés par la déclaration de Stockholm sur l’environnement de 1972, la Charte
mondiale de la nature de 1982, la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, la
Convention d’Espoo ou « EIE » de 1991 et le Protocole de Kiev relatif à l’évaluation stratégique environnementale
(« ESE »), mais aussi au niveau communautaire : on pense par exemple à la directive dite « EIE » concernant
l’évaluation des incidences de certains projets publics ou privés sur l’environnement ; voire au niveau national
avec la loi dite « Barnier » de 1995, etc.). A la suite de la reconnaissance internationale du droit d’accès à
l’information environnementale et de la participation du public en matière d’environnement par la Convention
d’Aarhus du 25 juin 1998. Les informations relatives aux projets nucléaires sont couvertes par la Convention
d’Aarhus si elles peuvent être considérées comme relatives à l’environnement et détenue par une autorité
publique : de la simple enquête portant sur les niveaux de radioactivité au voisinage d’une centrale nucléaire, à
une demande d’information sur les dispositifs de sûreté d’une installation de dépôt ou de stockage des déchets
radioactifs, excepté si leurs divulgations auraient des conséquences néfastes pour la sécurité du public (art. 4.3 et
4.4). L’article 1 de la Convention précise que « afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations
présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie
19
inspirant, il était légitime que le milieu nucléaire souhaite introduire à son tour une telle
réglementation. Trouver la confiance du public, se réconcilier avec les citoyens, sont pourtant
autant d’objectifs qui ont une dimension très émotionnelle et il sera intéressant en temps voulu,
de vérifier si cette base légale a suffi pour les remplir, ou est du moins parvenue à entamer une
dynamique positive pour l’industrie nucléaire. La Charte de l’environnement élève par ailleurs
la préservation de l’environnement au même rang que d’autres intérêts supérieurs tels que la
défense nationale protégée par le secret défense, et comme l’espér[ait] Marie-Béatrice
Lahorgue49, on pourrait envisager que la protection de l’environnement prévale, « ouvrant ainsi
aux juridictions une large possibilité d’exercer leur pouvoir normatif et interprétatif en matière
de droit à l’information et à la participation. »50
B) Les changements induits par la loi TSN pour le droit nucléaire
Après avoir étudié l’affirmation textuelle du droit à l’information dans le nucléaire (1), elle sera
confrontée à la notion de sécurité (2).
garantit les droits d’accès à l’information sur l’environnement, de participation du public au processus décisionnel
et d’accès à la justice en matière d’environnement. » Ces trois piliers ont été mis en œuvre respectivement par les
directives 2003/4/CE du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement
(qui précise les formes d’informations comme les facteurs, tels que les substances, l'énergie, le bruit, les
rayonnements ou les déchets y compris les déchets radioactifs, les émissions, les déversements et autres rejets
dans l'environnement, qui ont ou sont susceptibles d'avoir des incidences sur les éléments de l'environnement),
celle de 2003/35/CE du 26 mai 2003 prévoyant la participation du public lors de l’élaboration de certains plans et
programmes relatifs à l’environnement), et d’une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du
24 octobre 2003, non adoptée à ce jour. La France a tardé à les transposer, et n’a adopté que le 26 octobre 2005
la loi n° 2005-1319 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire, précisée par son décret
d’application n° 2006-578 du 22 mai 2005 relatif à l’information et à la participation du public en matière
d’environnement dont le nouvel article L. 124-1 du Code de l’environnement prévoit que « le droit de toute
personne d’accéder aux informations relatives à l’environnement ». Cela a pour conséquence majeure la
substitution de la notion d’information à celle de document, l’administration ne pouvait plus opposer un refus de
communication fondé sur l’absence de pièce préexistante. La consécration constitutionnelle des principes de
participation et d’information à l’article 7 de la Charte de l’environnement en 2004 est venue reconnaître à l’article
1er un « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », fondement de la raison d’être
des principes d’information et de participation. La loi n° 2012-1460 du 27 décembre 2012 relative à la mise en
œuvre du principe de participation du public défini à l’article 7 de la Charte de l’environnement est venue dissocier
le principe d’information codifié à l’article L. 110-1-4° du Code de l’environnement, soit celui « selon lequel toute
personne a le droit d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques »,
du principe de participation codifié à l’article L. 110-1-5°, aux termes duquel « toute personne est informée des
projets de décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement dans des conditions lui permettant de
formuler ses observations, qui sont prises en considération par l’autorité compétente. »
49 Lahorgue, M-B., « Quelles avancées pour l’information et la participation du citoyen aux décisions publiques
ayant une incidence environnementale ? », Environnement, n° 3, Mars 2011, 9.
50 Ibidem.
20
1) De l’instauration du droit à l’information à l’analyse de ses contours
Il pourra sembler donc curieux, alors que la construction juridique des principes d’information
et de participation a déjà commencé et s’affine peu à peu, que le « domaine de l’énergie [soit]
à l’origine de la première reconnaissance d’un droit à l’information environnementale. »51
L’article 1er de la loi TSN dispose que « la transparence en matière nucléaire est l’ensemble des
dispositions prises pour garantir le droit du public à une information fiable et accessible en
matière de sécurité nucléaire. » Fiable et accessible ne signifient pas « exhaustive. » Cela
garantit uniquement dans les textes la crédibilité et la qualité de l’information qui sera transmise
au public. Les articles 1er et 2ème de la loi TSN sont les seules dispositions qui s’appliquent
également au secteur défense.
Le Titre 3 de la loi est consacré à l’information du public en matière de sécurité nucléaire. Il est
d’emblée rappelé que « l’Etat veille à l’information du public sur les risques liés aux activités
nucléaires, et leur impact sur la santé et la sécurité des personnes ainsi que sur
l’environnement »52, et est désigné comme « responsable de l’information du public sur les
modalités et les résultats du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. »53 Là où
on aurait pu comprendre une responsabilité pécuniaire, on devrait en réalité voir l’État comme
un garant en la matière54.
En son article 18, la loi élargit le domaine de l’obligation de dispenser des informations au
public dans la continuité de l’obligation de notification rapide d’un accident nucléaire55 à la
charge de tout exploitant d’une installation nucléaire de base (INB) par l’intermédiaire d’un
rapport annuel dont la nature des informations était destinée à être précisée par les pouvoirs
publics par décret, assorti des recommandations du comité d’hygiène, de sécurité et des
conditions de travail (CHSCT). Selon K. Lucas-Alberni, cela « renforce le jeu de la
51 Ibid.
52 Art. 1.2, loi TSN.
53 Ibidem.
54 Brun, P., Clerc-Renaud, L., « Énergie nucléaire », Répertoire de droit civil, Dalloz, mai 2009, point 34.
55 Convention sur la notification rapide d’accident nucléaire, 26 septembre 2986, en vigueur en France depuis 1989
(RGDIP, n° 2/1989, pp. 769-780) ; obligation rappelée au sein de la Direction ministérielle du 7 avril 2005 sur
l’action des pouvoirs publics en cas d’événement entraînant une situation d’urgence radiologique (JO n ° 84 du 10
avril 2005, p. 6478).
21
transparence tant au sein de l’INB qu’entre son exploitant et le public »,56 bien qu’elle note
d’emblée une faiblesse quant à cet article : il est cantonné, limité aux seules INB57. Par ailleurs,
P. Billet, précité, ne manquera pas de souligner « qu’il est certain, dans la mesure où la loi du
13 juin 2006 ne l’exclut pas, que les restrictions habituelles pourront être opposées à la
communication des informations (…), le renvoi aux conditions définies aux articles L. 124-1 à
L. 124-6 du Code de l’environnement [imposant] les limites visées à l’article L. 124-4 du Code
de l’environnement. »58
Cette obligation d’information est complétée par l’extension de l’accès à l’information, puisque
« toute personne a le droit d’obtenir, auprès de l’exploitant d’une installation nucléaire de base,
ou lorsque les quantités sont supérieures à des seuils prévus par le décret, du responsable d’un
transport de substances radioactives ou du détenteur de telles substances59, les informations
détenues, qu’elles aient été reçues ou établies par eux, sur les risques liés à l’exposition aux
rayonnements ionisants pouvant résulter de cette activité et sur les mesures de sûreté et de
radioprotection prises pour prévenir ou réduire ces risques ou expositions. »60 Cet article
56 Lucas-Alberni, K., « la loi relative à la transparence en matière nucléaire », op. cit.
57 Au regard de l’article 28-III de la loi TSN, il s’agit donc des « réacteurs nucléaires, des installations , répondant
à des caractéristiques définies par décret en Conseil d'Etat, de préparation, d'enrichissement, de fabrication, de
traitement ou d'entreposage de combustibles nucléaires ou de traitement, d'entreposage ou de stockage de déchets
radioactifs, des installations contenant des substances radioactives ou fissiles et répondant à des caractéristiques
définies par décret en Conseil d'Etat, et enfin, les accélérateurs de particules répondant à des caractéristiques
définies par décret en Conseil d'Etat. », soit les réacteurs électrogènes, les installations du cycle du combustible,
les installations de recherche, et les centres de stockage de déchets radioactifs. Pour plus d’informations, voir la
liste précise et tenue à jour par l’ASN (ex : décision n° 2009-DC-0127 de l’ASN du 6 janvier 2009 établissant la
liste des installations nucléaires de base au 31 décembre 2008, consultable sur le site de l’ASN).
58 Art. L. 124-4 du Code de l’environnement, modifié par l’article 1 de l’Ordonnance n° 2010-1232 du 21 octobre
2010 : « I.- Après avoir apprécié l'intérêt d'une communication, l'autorité publique peut rejeter la demande d'une
information relative à l'environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte : 1° Aux intérêts
mentionnés à l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 précitée, à l'exception de ceux visés au e et au h du
2° du I de cet article ; 2° A la protection de l'environnement auquel elle se rapporte ; 3° Aux intérêts de la personne
physique ayant fourni, sans y être contrainte par une disposition législative ou réglementaire ou par un acte d'une
autorité administrative ou juridictionnelle, l'information demandée sans consentir à sa divulgation ; 4° A la
protection des renseignements prévue par l'article 6 de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l'obligation, la
coordination et le secret en matière de statistiques. »
59 Décret n° 2011-1844 du 19 décembre 2011 relatif à la transparence en matière de transports de substances
radioactives, JORF n° 0286.
60 Art. 19, loi TSN. En revanche, l’obligation d’information découlant de la définition de la transparence n’est pas
traduite dans les mêmes termes s’agissant des installations et activités nucléaires intéressant la défense. Elle est
définie par le Décret n° 2007-758 du 10 mai 2007 pris pour l’application du titre Ier de la loi du 13 juin 2006
« selon des modalités conciliant les principes d’organisation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection avec les
exigences liées à la défense. » De fait, une information nucléaire intéressant la défense est « considérée comme
[étant] relative à la sûreté nucléaire et à la radioprotection (…), quel qu’en soit le support, relative aux
conséquences, sur la population et l’environnement, des activités exercées sur les sites d’implantation
d’installations nucléaires mentionnées à l’article R. 1333-37 [les INBS, les sites et installations d’expérimentation
nucléaire intéressant la défense et les anciens sites d’expérimentations nucléaires du Pacifique]. Ces informations
22
complète le droit d’accéder à l’information environnementale détenue par les autorités
publiques découlant de l’article L. 124-1 du Code de l’environnement, en ce qu’il offre une
nouvelle perspective.61 Ce droit d’accès est innovant, bien que cantonné aux exploitants d’INB
privés ou publics, en ce qu’il n’est plus restreint aux informations détenues par les autorités
publiques mais est étendu auprès d’exploitants exerçant ce type d’activité. Il constitue donc
bien une avancée très spécifique et novatrice pour le nucléaire civil, bien que l’information
« reste limitée aux risques liés aux activités nucléaires et à leurs impacts », regrette P. Billet62.
En ce sens, les activités nucléaires n’ayant pas de rapport avec les risques qui leur sont
inhérents, telles que « les données relatives à l’activité générale des exploitants des INB et des
détenteurs ou transporteurs de substances radioactives »63 sont exclues.
K. Lucas-Alberni fait une remarque intéressante, selon laquelle l’effectivité de ce droit d’accès
est garanti « dans l’hypothèse d’un refus de communication par un autre acteur [la CADA],
excepté pour tout document administratif classé secret de la défense nationale qui échappe à
[sa] compétence consultative »64 ; la seule institution ayant la capacité « pour émettre un avis
en faveur d’une déclassification totale ou partielle du document ou de l’information sollicitée
afin d’en permettre l’accès » étant la Commission consultative du secret de la défense nationale
(CCSDN).
L’article 29 de la loi TSN dispose que « la mise à l’arrêt définitif et le démantèlement d’une
installation nucléaire de base sont subordonnés à une autorisation préalable. » L’autorité
administrative doit étendre à l’exploitation et au démantèlement d’une INB l’information
préalable et suffisante du public. Néanmoins la jurisprudence avait pris le devant sur cette
portent notamment sur la nature et les résultats des mesures des rejets radioactifs et non radioactifs effectués dans
l’environnement, ainsi que leur impact sur la santé du public. »
61 Les activités nucléaires ayant un impact sur l’environnement, il était déjà possible d’accéder à certaines
informations dans ce domaine mais seulement auprès des autorités publiques. On pense au droit d’accès aux
documents administratifs instauré par la Loi du 17 juillet 1978, et désormais par celui découlant du Décret n° 2006-
578 du 22 mai 2006 (JO n° 119 du 23 mai 2006, p. 7552). Voir à ce sujet : « L’accès à l’information en matière
environnementale dans toutes ses (ré)formes », Environnement, juillet 2006, pp. 30-31. ; Voir également, plus
récemment sur les modalités de l’accès du public à l’information environnementale : Rapport au Président de la
République Française sur « La concertation au service de la démocratie environnementale », par Bertrand
Pancher, Député de la Meuse, octobre 2011, pp. 35-48.
62 Billet, P., op. cit.
63 Henrard, O., « L’information du public en matière de sécurité nucléaire après la loi du 13 juin 2006 », AJDA,
2006, p. 2112.
64 Voir Lucas-Alberni, K., « la loi relative à la transparence en matière nucléaire », op. cit.
23
innovation textuelle majeure, comme l’atteste Sébastien Ferrari, docteur en droit65. En effet, du
démantèlement des centrales nucléaires découlent de nombreux contentieux ayant trait aux
modalités d’information du public. La jurisprudence met ainsi en évidence que les consultations
préalables qui s’appliquent aux projets ayant des incidences environnementales pouvaient déjà
s’appliquer au nucléaire66 ; ce qui était laissé au bon-vouloir des maîtres d’ouvrage en matière
de démantèlement est désormais une obligation normative. M.-B. Lahorgue, dans cette
continuité, accuse une transposition tardive de l’objectif communautaire d’information
préalable à toute décision d’autorisation posée par la directive « EIE » au regard de l’arrêt du
Conseil d’État du 6 juin 2007 relatif à la mise à l’arrêt définitive de la centrale de nucléaire
Brennilis67.
2) La réaffirmation de l’exigence de sécurité nucléaire
Dès l’énonciation de la loi, on comprend que les liens entre transparence et sécurité sont très
forts. Dès lors, on peut effectivement se demander si « les choses ont-elle vraiment
changé ? »68, la sécurité ayant été depuis toujours la justification du secret-défense et de
l’opacité entourant les activités nucléaires. Les exigences de transparence ne se réaliseront
jamais sans répondre à celles de la sécurité nucléaire.
65 Ferrari, S., « Retour sur le principe d’information et de participation du public en matière nucléaire », DA, n° 3,
Mars 2012, comm. 24, note sous CE, 9 déc. 2011, n° 324294, Réseau « Sortir du nucléaire » : jurisdata n° 2011-
027534.
66 Idem., : « Le recours à une procédure d'information et de participation du public, à titre facultatif, n'était donc
guère contestable, dans la mesure où il permettait d'assurer une protection renforcée du principe d'information et
de participation du public (…) Au regard du principe d'information et de participation du public en matière
environnementale, la procédure de consultation organisée par l'autorité administrative doit présenter un caractère
suffisant. La procédure suivie doit permettre au public d'exprimer son avis sur le projet (CE, 3 mars 2004, n°
259001, Sté Ploudalmézeau Breiz Avel : jurisdata n° 2004-066531 ; Rec. CE 2004, p. 123) et intervenir avant que
la décision ayant une incidence sur l'environnement ne soit prise (CE, 6 juin 2007, n° 292386, Assoc. Le réseau
sortir du nucléaire, jurisdata n° 2007-071969). »
67 Lahorgue, M-B., « Le principe de participation et d’information à nouveau devant le Conseil d’État », AJDA
2007, p. 1659 ; Voir également Lecomte, I., Tilmant, L., « Annulation d’un décret autorisant le démantèlement
d’une centrale nucléaire », RJEP, n° 648, décembre 2007, comm. 18, pp. 406-409. 62 ; Sur l’obligation de
consultation préalable des populations environnantes des sites nucléaires en démantèlement et la traduction
concrète de cette obligation, voir Jaeger, L., « Les obligations de consultation des populations aux environs des
sites en démantèlement », Riseo, 2014, pp. 75-101.
68 Billet, P., « La transparence et la sécurité en matière nucléaire – A propos de la loi n° 2006-686 du 13 juin
2006 » op. cit.
24
Au-delà de la transparence qui y sera néanmoins toujours associée, l’article 2 de la loi TSN
précise que « les activités nucléaires sont soumises à plusieurs principes fondamentaux. »69
Le premier article de la loi est consacré à la définition des notions générales qui intéresseront
son développement : la sécurité nucléaire70, la sûreté nucléaire71, la radioprotection72 et la
transparence pour finir. Il précise également que le droit à être informé est étendu « aux risques
liés aux activités nucléaires et leur impact sur la santé et la sécurité des personnes ainsi que sur
l’environnement et sur les rejets des effluents. »73 Cette loi renvoie à l’article L. 1333-1 du Code
de la santé publique régissant l’exposition aux rayonnement ionisants et est également
l’occasion de réitérer les notions des principes de justification74, d’optimisation75, de
limitation76. C’est en ce sens que le droit nucléaire peut être vu comme « une source de concepts
innovants par rapport aux principes antérieurs. »77 Seulement, si ces principes illustrent le
principe de précaution, P. Billet rappelle également que « à ces principes de santé publique sont
associés les principes issus de l’article L. 110-1 II du Code de l’environnement, et pas seulement
69 Jarlier-Clément, C., « La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire – le
temps de la maturité pour le droit nucléaire ? », RJEP, n° 637, décembre 2006, chron. 100058.
70 Art. 1-I-1, loi TSN : « La sécurité nucléaire comprend la sûreté nucléaire, la radioprotection, la prévention et la
lutte contre les actes de malveillance, ainsi que les actions de sécurité civile en cas d’accident »
71 Art. 1-I-2, loi TSN : « La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures
d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des
installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les
accidents ou d’en limiter les effets »
72 Art 1-I-3, loi TSN : « La radioprotection est la protection contre les rayonnements ionisants, c’est-à-dire
l’ensemble des règles, des procédures et des moyens de prévention et de surveillance visant à empêcher ou à
réduire les effets nocifs des rayonnements ionisants produits sur les personnes, directement ou indirectement, y
compris par les atteintes portées à l’environnement »
73 Article 2-II-1 loi TSN.
74 Selon l’article L. 1333-2 al. 1 du CDP, « une activité nucléaire ne peut être entreprise ou exercée que si elle est
justifiée par les avantages qu’elle procure sur le plan individuel ou collectif, notamment en matière sanitaire,
sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l’exposition aux rayonnements ionisants
auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes. »
75 Selon l’article L. 1333-2 al.2 du CSP, « le niveau de l’exposition des personnes aux rayonnements ionisants
[…], la probabilité de la survenue de cette exposition et le nombre de personnes exposées doivent être maintenus
au niveau le plus faible qu’il est raisonnablement possible d’atteindre, compte tenu de l’état des connaissances
techniques, des facteurs économiques et sociétaux et, le cas échéant, de l’objectif médical recherché. »
76 Selon l’article L. 1333-2 al. 3 du CSP, « l’exposition d’une personne aux rayonnements ionisants […] ne peut
porter la somme des doses reçues au-delà des limites fixées par voie réglementaire, sauf lorsque cette personne est
l’objet d’une exposition à des fins médicales ou de recherche biomédicale. »
77 A ce sujet, lire : Grenery-Boehler, M-C., Lochard, J., « Les bases éthiques et juridiques du principe
d’optimisation de la radioprotection », Bulletin de droit nucléaire de l'AEN, déc. 1993, n° 52.
25
le principe de précaution », puisque « la loi rattache d’ailleurs explicitement aux principes de
participation et de pollueur-payeur le droit à l’information et l’obligation pour le responsable
d’activité nucléaire de supporter les coût des mesures de prévention (…) et des mesures de
réduction des risques (…). »78 Les activités nucléaires doivent ainsi répondre aux exigences de
cet article. C’est en ce sens cette fois ci, toujours selon lui, que « les droits que [la loi] consacre
auraient certainement pu trouver application en matière nucléaire sans elle », de manière à
relativiser le caractère novateur des dispositions de la loi.
Au contraire, cette soumission des activités nucléaires aux principes du droit de
l’environnement engendre chez C. Jarlier-Clément, l’interrogation selon laquelle cette loi du 13
juin 2006 pourrait s’apparenter « au temps de la maturité pour le droit nucléaire. »79 Grandir
nécessite d’être [nous soulignons] au préalable. Or, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur
l’existence d’un droit nucléaire ou le considèrent en construction80. La loi TSN a la particularité
d’être une loi spécifique au domaine nucléaire, tout en conduisant « paradoxalement à
l’absorption du droit nucléaire par les autres droits, notamment le droit de l’environnement, et
à l’absorption des principes environnementaux et/ou relatifs aux installations classées pour la
protection de l’environnement. »81 Apporter une base législative à la transparence en matière
nucléaire contribue à l’appropriation des activités nucléaires par les principes du droit de
l’environnement.
II) Entre nouvelle gouvernance, et foi d’indépendance ?
Il est certain que la question nucléaire porte à réflexion et ne doit pas être prise à la légère, ceci
au-delà de nos convictions. C’est justement pour cela qu’il faudrait pouvoir avoir foi en les
informations que l’on nous propose, gage de débats sereins et efficaces bien que le sujet sera
sans doute toujours propice à des échanges passionnés. On peut reprocher aux acteurs du
nucléaire un manque de distance qui paraît en réalité inévitable, on peut encore regretter
78 Billet, P., « La transparence et la sécurité en matière nucléaire – A propos de la loi n° 2006-686 du 13 juin
2006 », op. cit.
79 Jarlier-Clément, C., « La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire – le
temps de la maturité pour le droit nucléaire ? », op. cit.
80 Pontier, J.-M., « Le droit du nucléaire, droit à penser », AJDA, 21 sept. 2015, n° 30, pp. 1680-1688.
81 Grammatico, L., Léger, M., « La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : quelles
évolutions pour le droit nucléaire français ? », op. cit.
26
davantage qu’au sein même de la loi du 13 juin 2006, tout n’ait pas été pensé en amont pour
gagner sans détour la confiance de la société civile envers la transparence proposée. Deux
éléments viennent illustrer ces propos : une nouvelle organisation confuse du contrôle nucléaire
(A), et des instances de l’information du nucléaire (B).
A) Une organisation institutionnelle nouvelle et controversée du contrôle nucléaire
On observe un inattendu partage des prérogatives entre l’Etat et l’ASN (1), et la création du
Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire (HCTISN) (2).
1) Un transfert du pouvoir réglementaire et de contrôle de l’État en matière nucléaire à
l’Autorité de sûreté nucléaire
L’ASN est créé en tant qu’Autorité administrative indépendante (AAI) par l’article 4 de la loi,
succédant à la Direction générale de la sûreté et de la radioprotection (DGSRN) qui depuis le
Décret n° 2002-255 du 22 février 2002 avait pour mission de contribuer à l’information du
public sur les sujets se rapportant à la sûreté nucléaire et à la radioprotection.
Ce ne fut pas évident. Le Conseil d’État avait rejeté dans un avis du 3 juin 1999 l’avant-projet
du Gouvernement au motif qu’il contenait un transfert de pouvoirs du contrôle de la sûreté
nucléaire et de la radioprotection au profit d’une haute autorité de sûreté nucléaire. Il avait donc
estimé qu’une AAI dans le secteur nucléaire, par essence indépendante et autonome dans sa
fonctionnalité, n’était pas un choix judicieux, notamment en raison d’un partage des
prérogatives avec le Gouvernement qui ne rendrait pas lisible un domaine où la simplification
était de rigueur. Or, le projet de texte, « remanié en 2006, sur la suggestion du président de la
République82, s’est attaché à lever les objectifs de la Haute juridiction et à assurer la
constitutionnalité du dispositif »83 malgré les réticences suscitées par cette idée84. Le projet de
82 Jacques Chirac, alors président de la République, avait exprimé le souhait le 5 janvier 2006 à l'occasion de la
cérémonie des vœux aux forces vives de la Nation, de créer « une autorité indépendante chargée du contrôle de la
sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information. »
83 Henrard, O., « L’information du public en matière de sécurité nucléaire après la loi du 13 juin 2006 », op. cit.
84 (de) Malet, C., Miserey, Y., dans « Une Haute Autorité aux pouvoirs controversés – Acteurs et opposants du
nucléaire réagissent au projet de loi sur la sûreté et la transparence dans le nucléaire », Le Figaro, 8 mars 2006,
retranscrivent les propos tenus comme ceux de Greenpeace : « Seuls la pluralité des expertises et un contrôle
strictement indépendant des entreprises et du lobby nucléaire peuvent permettre d'améliorer la transparence et la
sécurité en matière nucléaire. Une concentration des pouvoirs aux mains de quelques personnes les met au contraire
en danger (…) ; ceux du Syndicat CGT : « Toutefois, le projet de loi actuel (…) dessaisit l'État de sa responsabilité
27
loi soulignait « la qualité du dispositif [reposant] notamment sur l’existence d’un organisme
bien identifié, (…), indépendant des personnes en charge de la promotion du développement et
de mise en œuvre des activités nucléaires. »85 C’est précisément cette indépendance qui
soulevait des inquiétudes, parfois même au sein du milieu nucléaire puisque Bernard Laponche,
ancien ingénieur du CEA craignait par exemple « une perte totale de responsabilité du politique
sur un sujet qui le concerne directement : la sécurité, la santé des citoyens, et
l’environnement. »86 M. Léger et L. Grammatico s’interrogent également sur la question,
estimant que « ce n’est pas l’indépendance des autorités de contrôle vis-à-vis de l’État qui est
recherchée et souhaitée par les citoyens, mais celle de ces autorités vis-à-vis des entreprises du
secteur nucléaire. »87 Au regard de notre réflexion, cela n’a pas contribué à une clarification de
la gouvernance nucléaire pour le public. Reste que le Conseil de l’Union européenne a explicité
a posteriori au sein de la directive du 25 juin 2009 les raisons pour lesquelles les États membres
devaient instituer une autorité de réglementation compétente dans le domaine de la sûreté
nucléaire : cette autorité devant être « séparée sur le plan fonctionnel de tout autre organisme
ou organisation s’occupant de la promotion ou de l’utilisation de l’énergie nucléaire, y compris
la production d’électricité, afin de garantir son indépendance effective de toute influence indue
dans sa prise de décision réglementaire, »88 ce qui permettrait de pallier la situation de l’État en
conflit d’intérêts puisque qu’il était à la fois opérateur sur le marché économique et surveillant
de la sûreté nucléaire.
dans ces domaines et offre à une autorité souveraine et incontrôlée le pouvoir d'agir dans des domaines tels que
ceux relevant du Code du travail », ou encore ceux du Réseau Sortir du Nucléaire qui « ne considère aucunement
que l'industrie nucléaire deviendrait acceptable si elle était enfin soumise à une véritable transparence et à un
contrôle indépendant de l'Etat et des exploitants. »
85 Dossiers législatifs – Exposé des motifs de la Loi n° 2006-686 du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la
sécurité en matière nucléaire [en ligne], disponible à l’URL : https://www.legifrance.gouv.fr
86 (de) Malet, C., Miserey, Y., dans « Une Haute Autorité aux pouvoirs controversés – Acteurs et opposants du
nucléaire réagissent au projet de loi sur la sûreté et la transparence dans le nucléaire », op. cit.
87 Grammatico, L., Léger, M., « La loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire : quelles
évolutions pour le droit nucléaire français ? », op. cit.
88 Directive 2009/71/Euratom du Conseil, du 25 juin 2009, établissant un cadre communautaire pour la sûreté
nucléaire des installations nucléaires (JOUE, n° L 172, du 2 juillet 2009, p. 18.
28
2) Une attribution d’information sur le contrôle de la sûreté nucléaire et de la
radioprotection sujette à suspicion ?
L’ASN, de son côté, portait à la connaissance du public ses mises en demeures assorties
d’explications89 avant même de devenir une AAI. Mais depuis 2006, en plus de participer au
contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, elle participe également à l’information
du public dans ces domaines, donc dans le ressort de sa compétence90.
La première limite évidente est qu’elle rend publics ses avis et décisions « dans le respect des
règles de confidentialité prévues par la loi » et des dispositions par le Code de l’environnement
aux articles L. 124-1 à 6 et à la lumière de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978. En soit, elle est
notamment soumise à l’établissement d’un rapport annuel d’activité destiné au Gouvernement,
au Président de la République, et au Parlement qui transitera par l’OPESCT. L’article 7 de la
loi du 13 juin 2006 dispose qu’elle doit à leur demande rendre compte de ses activités aux
commissions compétentes de l’Assemblée nationale, du Sénat, ou de l’OPESCT. À priori, il
s’agirait d’informations différenciées puisque le législateur n’a pas fixé les modalités de ces
comptes rendus, ni « réglé le statut de ces rapports au regard de leur publicité dans le cadre du
droit à l’information. »91 P. Billet dresse par ailleurs avec justesse les autres limites, notamment
la non-mention de la publicité des différents avis et études dont elle pourrait être missionnée
par le Parlement, le Gouvernement ou à la demande de l’OPESCT au regard de l’article 892. Il
insiste sur le « statut flou » « des informations et alertes dont elle est destinataire de la part des
États étrangers dans les hypothèses d’urgence radiologique »93, sur les incertitudes entourant le
sort des informations communiquées à l’ASN par l’exploitant ou par le responsable d’un
transport de substances radioactives dans le cadre des risques découlant de ses déclarations
d’accidents, d’incidents.
89 Note DSIN-GRE/ADIR n° 0060/2000 du 19 juillet 2000 portant sur les mises en demeure de l'ASN [en ligne],
http://www.asn.gouv.fr/
90 Art. 4 al. 3, loi TSN.
91 Billet, P., « La transparence et la sécurité en matière nucléaire – A propos de la loi n° 2006-686 du 13 juin
2006 » op. cit.
92 Ibidem.
93 Ibid.
29
L’ASN n’a en réalité pas un rôle facile puisqu’il est central, et qu’elle est « toujours dans une
situation délicate entre les opérateurs publics, le pouvoir exécutif et l’opinion publique. »94
C’est précisément pour éviter certains malaises et supplanter les critiques qui pourraient lui être
adressées que son indépendance reste à perfectionner95.
B) Une réorganisation douteuse des instances d’information
Le dispositif légal est surtout institutionnel. Si l’on attendait et attend toujours beaucoup des
commissions locales d’information, le Haut comité pour la transparence et l’information sur la
sûreté nucléaire est une nouveauté (2).
1) La bienvenue consolidation des commissions locales d’information
Le renforcement du droit d’accès à l’information nucléaire se ressent davantage lorsque l’on
offre une consécration juridique aux CLI et à l’association nationale des comité et commissions
locales de suivi (ANCCLI) autre que la circulaire dite « Mauroy » du 15 décembre 1981 du
Premier ministre relative « aux commissions d’information des grands équipements
énergétiques. » Plus spécifiquement, la loi du 30 décembre 1991 relative aux déchets
radioactifs avait prévu les Comités locaux et de suivi (CLIS) dont l’unique a été créé en
application de l’article L. 542-13 du Code de l’environnement auprès du laboratoire souterrain
de Bure auxquelles s’ajoutent une quinzaine de commissions d’information et de surveillance
créées autour des sites nucléaires intéressant la défense nationale en application des articles 4
et 5 du décret n° 2001-592 du 5 juillet 2001 relatif à la sûreté et à la radioprotection des
installations et activités nucléaires intéressant la défense. Depuis 2006, les CLI sont largement
confortées dans leur mission générale de suivi, d’information, de concertation en matière de
sûreté nucléaire, de radioprotection et d’impact des activités nucléaires sur les personnes et
l’environnement96. Plusieurs97 soulèveront l’ambiguïté quant à l’implantation systématique ou
94 Delzangles, H., « Le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire dans les opérations de démantèlement des INB »,
Riseo 2014-1, p. 42.
95 Á ce sujet, lire : Delzangles H., « L’indépendance de l’Autorité de sûreté nucléaire, des progrès à envisager »,
RJE, n° 1/2013, p. 7.
96 Art. 22 de la loi TSN, codifié à l’article L. 125-17 al. 2 du C. env.
97 Voir Lucas-Alberni, K., « la loi relative à la transparence en matière nucléaire », op. cit., : « Alors qu'il est
indiqué à l'article 22-I, alinéa 1 qu' « auprès de tout site comprenant une ou plusieurs INB (...) est instituée une
30
non de ces commissions d’informations mais la large diffusion des résultats de leurs travaux
sous une forme accessible au plus grand nombre est saluée puisque qu’elle semble répondre
aux exigences croissantes en matière de transparence par l’intermédiaire d’une instance locale
donc connaisseuse du terrain. Les attentes citoyennes étaient et sont donc toujours
importantes98. Le rôle d’une CLI est d’être active dans la recherche d’informations99 et pas
seulement dans une démarche qui se résumerait à rendre publics les documents dont elle est
destinataire afin de mener à bien ses missions. Les CLI sont bien les meilleurs exemples de
l’exercice d’une forme de démocratie locale et la latitude de leur rôle, renforcée en 2006, laisse
espérer une réelle ouverture du monde nucléaire entre l’exploitant d’une INB et le public bien
que ces espoirs puissent être ternis par les quelques limites textuelles. En attachant un soin
particulier au choix des mots, on remarque que large ne signifie pas exhaustive, et que
« assure » sous-entend une obligation de moyen. P. Billet souligne quant à lui que la loi est
« ambivalente »100 en ce qu’elle associe « résultat » et « travaux », ce qui laisse planer un doute
sur la communication des informations « à l’état brut » et sur la potentielle rétention
d’informations101.
2) La création du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté
nucléaire
Au Conseil supérieur de la sûreté et de l’information nucléaires (CSSIN) crée en 1973, succède
le HCTISN. En effet, l’article 23 de la loi sur la transparence institue ce Haut Comité en tant
qu’instance d’information, de concertation, et de débat sur les risques liés aux activités
nucléaires et sur l’impact de ces activités sur la santé, l’environnement et la sécurité nucléaire.
CLI (...) », l'alinéa 2 stipule qu'une telle structure « peut être créée dès lors qu'une INB a fait l'objet d'une demande
d'autorisation de création (...). »
98 Lire par exemple Mehdi Yazi-Roman, « Pouvoirs locaux et installations nucléaires » in Olivier Guézou,
Stéphane Manson (dir.), Droit public et droit nucléaire, Bruylant 2013, pp. 179 -180 ; Voir les
développements au sein du Chapitre 1 du Titre 2 consacré à l’étude des principes d’information et de
participation autour du projet de stockage en couche géologique profonde.
99 Art. L. 125-24 C. env. « Pour l'exercice de ses missions, la commission locale d'information peut faire réaliser
des expertises, y compris des études épidémiologiques, et faire procéder à toute mesure ou analyse dans
l'environnement relative aux émissions ou rejets des installations du site. »
100 Billet, P., « La transparence et la sécurité en matière nucléaire – A propos de la loi n° 2006-686 du 13 juin
2006 », op. cit.
101 Ibidem.
31
Dans la continuité de l’article précité, il peut « émettre avis dans ces domaines, ainsi que sur
les contrôles et l’information qui s’y rapportent », et même « se saisir de toute question relative
à l’accessibilité de l’information en matière de sécurité nucléaire et proposer toute mesure de
nature à garantir ou à améliorer la transparence définie à l’article L. 125-12 », ou être saisi102
de « toute question relative à l’information concernant la sécurité nucléaire et son contrôle. »
Dans le souci de mener à bien ses missions, les responsables d’activités nucléaires doivent lui
communiquer tous les éléments qui lui seraient utiles. Ses avis doivent être publiés, son rapport
annuel d’activité rendu public. Dans la rédaction initiale du projet de loi, était prévue la saisine
du HCTISN à l’instar de celle de la CADA en cas de difficulté rencontrée par toute personne
pour obtenir des informations sollicitées dans le cadre de l’article L. 125-10 (soit l’article 19 de
la loi TSN). Comme l’explique K. Lucas-Alberni, ce préalable au contentieux, en
complémentarité de son droit à se saisir, aurait garanti l’effectivité du droit d’accès à
l’information et « optimisé l’efficacité de ces deux missions. »103
Suite au Décret du 19 octobre 2008104, celui du 15 mai 2009105 a révélé les noms de ceux qui
composeraient ce Haut Comité et celui du 16 mars 2010106 a précisé son fonctionnement. La
composition de ce Haut Comité, a vite été décriée107, notamment la présence de Bruno Sido,
personnalité locale élue et connue pour son profil pro-enfouissement, et qui a nommé M.
102 Par le ministre chargé de la sûreté nucléaire, les présidents des commissions compétentes de l’Assemblée
nationale et du Sénat, par le président de l’OPECST, ceux des CLI ou par les exploitants des INB.
103 Lucas-Alberni, K., op. cit.
104 Décret n° 2008-1108 du 29 oct. 2008 relatif à la composition du Haut Comité pour la transparence et
l’information sur la sécurité nucléaire.
105 Décret du 15 mai 2009 portant nomination de membres du Haut Comité pour la transparence et l'information
sur la sécurité nucléaire (JORF n° 0110 du 17 mai 2009, p. 8343).
106 Décret n° 2010-277 du 16 mars 2010 relatif au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité
nucléaire (JO n° 65 du 18 mars 2010).
107 Réseau « Sortir du nucléaire », communiqué du 7 mars 2008, |« Le Réseau SDN dénonce le Haut comité pour
la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire » [en ligne] : selon l’extrait proposé, il serait composé par
« les plus pro nucléaires des parlementaires [notamment M. Bruno Sido qui fait partie du duo de parlementaires
désigné par l’AN et le Sénat], des représentants de l’industrie (EDF, Areva, CEA, etc.), [notamment M. Bruno
Cahe, directeur sûreté-qualité-environnement de l’Andra et Joël Pijselman, directeur industriel de la société Areva,
nommés en leur qualité de représentants des personnes responsables d’activités nucléaires] et des syndicats (pro
nucléaires) de l’atome [est ici décriée la nomination de Geneviève Lesourd, représentant l’Union Nationale des
Syndicats Autonomes – Syndicat professionnel autonome des agents de l’énergie nucléaire (UNS-SPAEN)], des
représentants de l’Autorité de sûreté et de l’Etat, paravents historiques de l’industrie nucléaire, des représentants
des CLI [M. David Ros, vice-président de la CLI de Saclay et membre de la commission d’information du centre
CEA de Bruyères-le-Châtel], lesquelles ont échoué depuis des années à faire la "transparence", des "personnalités"
connues pour leur militantisme pro nucléaire, des associatifs à la représentativité incertaine et... désignés par
l’Etat. »
32
Christian Bataille comme Président du CLIS de Bure108. On pouvait donc s’attendre à ce que
les travaux de cette nouvelle instance d’information soient de facto décrédibilisés par un
manque d’hétérogénéité dans la composition du comité. Dans un sujet aussi sensible, il semble
pourtant essentiel que tout soit minutieusement pensé en amont comme en aval. Il ne s’agirait
pas d’oublier combien le mot « transparence » a une connotation plus médiatique que juridique,
ce qui apporte une pression supplémentaire pour l’apport d’une information de qualité. J-Y le
Déaut dans son rapport précurseur insistait déjà sur le fait que « la compétence des acteurs n'est
pas remise en cause mais [que] l'organisation administrative laisse planer toutes les suspicions.»
Il insistait ainsi sur la nécessité de la création d’un organisme « susceptible de faire un
intermédiaire crédible entre le public, les exploitants et le gouvernement » selon les mots de
Olivier Henrard109, Maître des requêtes au Conseil d’État, lequel semblant regretter que le
HCTISN final s’aligne davantage sur les CSSIN qui n’ont pas vocation à s’adresser directement
au public.
Le bilan des années 2008-2014 par le HCTISN110 se veut toutefois positif et avance « des
avancées et résultats notables sur le plan de la transparence et de l’information dans le domaine
nucléaire [que nous étudierons au sein de la section 2 de ce chapitre]. »111
Section 2 – L’information et la participation du public dans le nucléaire, confrontées au
secret-défense
Nous avons d’ores et déjà un aperçu des moyens spécifiques au nucléaire pour honorer les
exigences textuelles en matière d’information du public. En plus de l’information apportée
spontanément par les responsables d’activités nucléaires, il existe les organes largement
institutionnels qui ont été exposés. Par ailleurs, aux côtés de l’ASN, des CLI et ANCCLI, et du
108 Pour plus d’informations, voir l’article sur Reporterre, « Le Comité de la transparence nucléaire un peu plus
opaque » [en ligne], disponible à l’URL : https://reporterre.net/Le-comite-de-la-transparence
109 Henrard, O., « L'information du public en matière de sécurité nucléaire après la loi du 13 juin 2006 », AJDA
2006. 2112.
110 HCTISN, « Bilan du mandat 2008-2014 » [en ligne], 13 fév. 2014, disponible à l’URL : http://www.actu-
environnement.com/media/pdf/news-24205-bilan-hctisn-2008-2014.pdf
111 Idem., p. 10.
33
HCTISN existe également l’institut pour la recherche et la sûreté nucléaire (IRSN)112. Ses
prérogatives à ce sujet ont été renforcées depuis le décret n° 2016-283 du 10 mars 2016 relatif
à l’IRSN113 qui traduit la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique
pour une croissance verte. Cette dernière en son titre VI « Renforcer la sûreté nucléaire et
l’information des citoyens » a autorisé le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnances des
dispositions en matière nucléaire, transposant plusieurs directives européennes ayant trait
notamment à la transparence. L’ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016 portant diverses
dispositions en matière nucléaire a répondu à ces attentes,114 renforçant par différents biais la
transparence et l’information115.
Ceci étant, comme le dit très bien Jean Baril, Professeur de droit, dans un tout autre contexte, «
le critère de divulgation [n’est pas] qui détient l’information ou qui l’a fournie, mais bien la
nature de l’information. »116 Quelle information est communicable, laquelle ne l’est pas ?
Comment le nucléaire, peut-il concilier juridiquement le développement de la transparence et
la préservation de ce qui ne doit pas être divulgué sans entraîner une suspicion sur toutes les
activités qui s’y rapportent ?
112 Créé par la loi n° 2001-398 du 9 mai 2001 et dont les missions et l’organisation ont été définies par le décret n°
2002-254 du 22 février 2002.
113 Art. R.592-3 « L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire contribue à la transparence et à l'information
du public en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, notamment en élaborant et en rendant public un
rapport annuel d'activité »
114 L'ordonnance a ainsi transposé différentes directives européennes : la directive 2011/70/Euratom du Conseil
du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et
des déchets radioactifs ; l'ordonnance réaffirme l'interdiction de stocker en France des déchets étrangers, et oblige
au stockage sur le territoire national des déchets d'origine française ; la directive 2014/87/Euratom du 8 juillet 2014
modifiant la directive 2009/71/Euratom établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des
installations nucléaires ; la directive 2013/59/Euratom du Conseil du 5 décembre 2013 fixant les normes de base
relatives à la protection sanitaire contre les dangers résultant de l'exposition aux rayonnements ionisants.
115 Le rapport annuel élaboré pour chaque installation nucléaire et l’obligation de communication au public par
l’exploitants qui portait sur la sûreté nucléaire s’étend à l’ensemble des impacts de l’installation (art. 19-II-2 « les
mots : « en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection » sont remplacés par les mots : « pour prévenir ou
limiter les risques et inconvénients que l'installation peut présenter pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-
1 »), avec l’obligation légale de déclarer les incidents et accidents relatifs (art. 19-III). La mémoire de la présence
de radioéléments sur des terrains ou bâtiments peut être conservée par l’institution de SUP par les préfets en cas
de pollution radioactive résiduelle.
116 Baril, J., « Droit d’accès à l’information environnementale, : pierre d’assise du développement durable » [en
ligne], Vertigo, La revue électronique en sciences de l’environnement, Hors-série 6 sur « La gouvernance à
l’épreuve des enjeux environnementaux et des exigences démocratiques », disponible à l’URL :
https://vertigo.revues.org/8931
34
Le secret de la défense nationale, le secret industriel et commercial, voire celui du secret
médical sont régulièrement opposés pour garder confidentielles certaines données relatives aux
transports ou activités nucléaires. Tout le travail du législateur est de trouver l’équilibre entre
divers droits et devoirs qui s’opposent et s’imposent. Il existe donc nécessairement deux
commissions supplémentaires à ajouter aux instances dédiées à l’information, la CADA et la
CCSDN qui œuvrent dans leurs aspects contentieux respectifs. De la justification du secret
défense à l’avènement de la transparence, on imagine fort bien une relation conflictuelle entre
ces deux intérêts fondamentaux (I). Pourtant, le droit doit tenter de dépasser ce hiatus abyssal
dans le souci d’intégrer le public aux questions intéressant le nucléaire (II).
I) L’équilibre délicat entre devoir d’information du public et secret en matière
nucléaire
Le rapport de la CCSDN sur la période s’étalant de 1998 à 2004, concomitant aux prémices des
réflexions sur le projet de loi TSN révèle certaines fragilités sur la transparence en France117. Il
met en avant les difficultés des administrations, parallèlement aux aspirations citoyennes pour
conclure par une affirmation qui n’est pas surprenante : « le maintien du secret sur un certain
nombre d’informations, qu’elles touchent ou non aux intérêts fondamentaux de la Nation, n’est
concevable que s’il est ressenti comme légitime dans l’opinion publique. »118 Il faut saisir les
enjeux (A), pour mieux comprendre les limites à la communication d’une information en
matière nucléaire (B).
117 Rapport de la Commission consultative du secret de la défense nationale [en ligne], La Documentation
Française, 2005, p. 133, : « – le souci exprimé par la plupart des directions d’administration centrale de voir
centralisé le traitement des demandes d’accès par un seul service, le plus souvent spécialisé dans les affaires
juridiques, alors même que la déconcentration serait le gage d’une plus grande rapidité et d’une meilleure efficacité
dans la mise en œuvre des règles de transparence ; – le nombre toujours important des refus tacites de
communication, qui montre que les administrations sont encore tentées par la solution de facilité qu’est le « silence
administratif » qui leur permet d’éviter de motiver un refus d’accès ; – l’absence presque systématique de
l’information du public sur les voies de recours qui lui sont offertes, ce point étant particulièrement vérifié lorsque
le refus de communication repose sur le secret de la défense nationale. » Disponible à l’URL :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000109.pdf
118 Idem, p. 134.
35
A) La recherche d’un compromis
Les aspects relationnels entre l’information du public concernant le nucléaire et le secret
défense ont déjà été étudiés, questionnés, améliorés mais pas solutionnés. L’ambiguïté réside
dans le fait que là où l’environnement devient l’affaire de tous, là où un droit à l’information se
transforme en un devoir, le secret défense reste quant à lui intact et un fossé se creuse
inévitablement. M. Prieur s’interroge : « Comment imaginer que des affaires publiques au sens
propre du terme, puisse être cachées au public ? »119 En effet, pour responsabiliser le citoyen
aux causes environnementales par le droit, il s’agit de veiller à ce qu’ils aient des informations
fiables et suffisantes. Si M. Prieur rappelle effectivement « qu’avant 1978, (…), le principe est
le secret de et dans l’administration, l’exception est l’information. »120 Or, le renforcement
juridique du droit à l’information va induire un changement d’optique « le secret-défense
[devenant] une exception au regard du droit à l’information, [devant] être interprété de ce fait
de façon restrictive. »121 Le secret-défense quant à lui est un rempart à une information
exhaustive. Puisse-t-il exister un juste milieu122 ? Il devient nécessaire d’encadrer
juridiquement le secret-défense (1) pour mieux veiller à un équilibre entre ces intérêts
contradictoires (2).
1) L’octroi d’un cadre juridique au secret-défense
Il s’agit dans un premier temps de s’intéresser à l’encadrement juridique du secret défense.
Alors que, comme le rappelle M. Prieur, en raison d’une « pratique administrative »123, la
119 Prieur, M., « Nucléaire, information et secret défense, Débat public – Caen 14 novembre 2005 », RJE, Année
2006, Vol. 31, n° 3, p. 290.
120 Idem., p. 291.
121 Id. p. 293. A titre d’exemple, on pense à la Directive du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à
l’information en matière d’environnement, dont le considérant 16 précise bien que « le droit aux informations
signifie que la divulgation des informations devrait être la règle générale et que les autorités publiques devraient
être autorisées à opposer un refus à une demande d'informations environnementales dans quelques cas particuliers
clairement définis. Les motifs de refus devraient être interprétés de façon restrictive, de manière à mettre en balance
l'intérêt public servi par la divulgation et l'intérêt servi par le refus de divulguer. »
122 Id., p. 291, extrait : « le débat ne conduit pas à choisir entre information ou secret mais à combiner information
et secret, grâce à un dosage subtil qui doit être renouvelé, car on est passé de « plus de secret et moins
d’information » à « plus d’information et moins de secret » [ce que M. Prieur appelle « le renversement des
rapports entre secret et transparence »]. »
123 Voir à ce sujet : Warufsel, B., « Les secrets protégés par la loi, limites à la transparence », Revue générale
nucléaire, 2003, n° 1, janvier-février, pp. 62-66.
36
CADA a eu pendant longtemps la main lourde sur l’invocation du secret défense en matière de
nucléaire124, la réforme du Code pénal en 1994 propose une première ébauche juridique du
secret-défense à l’article 413-9 sous la formule « est couvert par le secret ce qui a été classifié
comme tel. » Les décrets qui suivirent sont venus préciser les contours du secret-défense et de
la classification retenue.125 Le nouveau code pénal et le décret du 17 juillet 1988 en question
ont modifié en profondeur les fondements législatifs et réglementaires, ce qui a nécessité une
nouvelle instruction générale interministérielle afin de « responsabiliser les détenteurs des
informations ou supports protégés et de prévenir tout excès de classification. »126 Par la suite,
plusieurs arrêtés et circulaires127 ont élargi et précisé encore le champ du secret-défense en
matière nucléaire. En découle le fait que l’utilisation de la protection liée aux secrets de la
défense nationale est énumérée limitativement, et ne peut donc s’étendre à l’exploitation
courante des installations nucléaires ou aux questions de sûreté ou de radioprotection même en
cas d’incident.
124 Avis du 13 déc. 1984 « Association Les Amis de la Terre ; Avis du 4 février 1982 où la CADA refuse la
communication du rapport de sûreté de la centrale de Chooz ; Avis du 4 mars 1981 « Lalonde » où la CADA refuse
la communication du rapport de sûreté de l’usine de retraitement de la Hague.
125 Décret du 25 février 1994 renvoyant dans un premier temps à celui n° 81-512 du 12 mai 1981 relatif à la
protection et au contrôle des matières nucléaires (dont l’article 1er précise le champs d’application en le limitant
aux matières considérées comme proliférantes : le plutonium, l’uranium, le thorium, le tritium, le lithium 6),
finalement abrogé par le Décret n° 98-608 du 17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets de la défense
nationale délivrant les exigences de classifications, prérogatives des ministres, sur trois niveaux : très secret-
défense (informations dont la divulgation est de nature à nuire très gravement à la défense nationale et qui concerne
les priorités gouvernementales en matière de défense), secret-défense (informations dont la divulgation est de
nature à nuire gravement à la défense nationale), confidentiel-défense (informations dont la divulgation est nature
à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale classifié au
niveau « très secret-défense » ou « secret-défense ». Cette classification est située à l’article R2311-2 du Code de
la défense (modifié par le Décret n° 2010-678 du 21 juin 2010). L’accès à ces données est limité aux seules
personnes habilitées et justifiant « le besoin d’en connaître. »
126 Instruction générale interministérielle n° 1300/SGDN/PSE/SSD du 25 août 2003 sur la protection du secret de
la défense nationale qui abroge et remplace l'instruction générale interministérielle sur la protection du secret et
des informations concernant la défense nationale et la sûreté de l'État n° 1300/SGDN/SSD du 12 mars 1982
127 Arrêté du 24 juillet 2003 relatif à la protection du secret de la défense nationale dans le domaine de la protection
et du contrôle des matières nucléaires ; le très important Arrêté du 26 janvier 2004 relatif à la protection du secret
de la défense nationale dans le domaine de la protection et du contrôle des matières nucléaires pris pour
l’application du décret du 17 juillet 1998 relatif à la protection des secrets de la défense nationale, précisant le
domaine d’application et concernant les mesures de contrôle et de protection contre les actes de malveillance mises
en œuvre sur les sites autorisés à détenir des matières nucléaires proliférantes et au cours des transports. Il donne
une base réglementaire à la classification d’informations relatives aux domaines énumérés. Il est précisé par la
Circulaire du 26 janvier 2004 prise pour l’application de l’arrêté du 26 janvier 2004 relatif à la protection du secret
de la défense nationale dans le domaine de la protection et du contrôle des matières nucléaires, qui traduit
notamment le vademecum de la mise en œuvre de la classification et précise le cas des transports des matières
nucléaires.
37
Il est essentiel de rappeler que la loi du 8 juillet 1998 instituant la CCSDN en tant que AAI
avait également poursuivi l’établissement d’un cadre juridique au secret-défense. Son champ
n’empiète pas sur celui de la CADA puisque la CCSDN ne peut être saisie que par une initiative
juridictionnelle et par un intermédiaire ministériel pour un avis sur un document classifié.
2) Une relation indubitablement dialectique
Il résulte de ce qui précède plusieurs conséquences législatives et réglementaires128 tendant à
encadrer toujours davantage le secret-défense. L’encadrer permettant de l’affiner tout en
réduisant les risques d’abus. Le droit à l’information en la matière en est de son côté à la fois
affirmé mais limité. On observe donc une corrélation entre l’épanouissement progressif de l’un,
et l’affaiblissement de l’autre ; la tendance s’inversant selon les textes de lois, le défi majeur
étant que l’un ne sclérose pas l’autre pour autant.
La loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009
à 2013 a complété et modifié le dispositif sur la législation du « secret de la défense nationale »,
notamment l’article 410-1 du Code pénal définissant les intérêts fondamentaux de la nation129,
et l’article 413-9 du Code pénal définissant les informations protégées au titre du secret de la
défense nationale130. Un arrêt rendu par le Conseil d’État le 25 mai 2005 précise bien que seule
la classification peut fonder les poursuites pénales prévues par les articles 413-9 à 413-12 du
Code pénal. »131 Là encore, une nouvelle instruction interministérielle s’est avérée nécessaire
128 Divers exemples : l’article 1er de la loi de 1979, modifié en 1986, sur la motivation des actes administratifs qui
dispense de motivation dans les cas où les motifs pourraient être de nature à porter atteinte à un secret de défense
nationale ; l’article 1er du décret 2002-1275 du 22 octobre 2002 codifié à l’article R. 121-2-II du Code de
l’environnement par le décret 2005-935 du 5 août 2005 qui dispense de l’organisation d’un débat public les projets
ou installations qui seraient soumis à des règles de protection du secret de la défense nationale. 129 « Les intérêts fondamentaux de la nation s'entendent au sens du présent titre de son indépendance, de l'intégrité
de son territoire, de sa sécurité, de la forme républicaine de ses institutions, des moyens de sa défense et de sa
diplomatie, de la sauvegarde de sa population en France et à l'étranger, de l'équilibre de son milieu naturel et de
son environnement et des éléments essentiels de son potentiel scientifique et économique et de son patrimoine
culturel. »
130 « Présentent un caractère de secret de la défense nationale au sens de la présente section les procédés, objets,
documents, informations, réseaux informatiques, données informatisées ou fichiers intéressant la défense nationale
qui ont fait l’objet de mesures de classification destinées à restreindre leur diffusion ou leur accès. » « Peuvent
faire l’objet de telles mesures les procédés, objets, documents, informations, réseaux informatiques, données
informatisées ou fichiers dont la divulgation ou auxquels l’accès est de nature à nuire à la défense nationale ou
pourrait conduire à la découverte d’un secret de la défense nationale. »
131 CE, 25 mai 2005, n° 260926.
38
suites aux modifications induites par la loi du 31 juillet 2009 et du décret n° 2010-678 du 21
juin 2010 relatif à la protection du secret de la défense national lui faisant suite. Elle visait à
« clarifier les obligations juridiques et matérielles inhérentes [à la protection du secret de la
défense nationale] », précisant « les conditions dans lesquelles chaque ministre (…) met en
œuvre l’application de ces dispositions, en veillant à limiter le nombre et le niveau des
habilitations et la production de documents classifiés à ce qui est strictement nécessaire. »
Il y a donc au sein des textes internes l’effort d’une juste répartition entre ne pas compromettre
le secret-défense et veiller à ce que le droit à l’information ne perde pas de sa substance. La
dernière instruction ministérielle datant du 30 novembre 2011132 fut prise dans la poursuite de
cette dynamique de sécurisation juridique du secret défense.
B) Les limites textuelles du droit à l’information en matière nucléaire
Il existe néanmoins des limites importantes à la communication d’information (1), qui viennent
amoindrir le droit à l’information (2).
1) Les restrictions à la communication d’une information en matière nucléaire
On connait schématiquement deux types de limites à la consultation ou la communication d’une
information en matière nucléaire. Un refus peut être donc opposé si la demande d’information
porterait atteinte à des certains intérêts que l’on peut énumérer : « au secret des délibérations
du Gouvernement et des autorités responsables relevant du pouvoir exécutif, à celui de la
défense nationale, à ceux de la conduite de la politique extérieure de la France, à celui de la
sûreté de l’État, à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes, à la monnaie et au crédit
public et enfin à la recherche par les services compétents des infractions fiscales et douanières.
»133
La seconde limite est celle du refus de la communication d’une information qui porterait atteinte
« 1°, aux intérêts mentionnés à l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 précitée, à
132 Instruction générale interministérielle n° 1300 du 30 novembre 2011 sur la protection du secret de la défense
nationale, (approuvée par Arr. 30 nov. 2011, JO 2 déc. 2011).
133 Intérêts mentionnés à l’article 6 de la loi de 1978, auquel renvoie l’article 19 de la loi TSN.
39
l'exception de ceux visés au « e » et au « h » du 2° du I de cet article ; 2°, à la protection de
l'environnement auquel elle se rapporte ; 3°, aux intérêts de la personne physique ayant fourni,
sans y être contrainte par une disposition législative ou réglementaire ou par un acte d'une
autorité administrative ou juridictionnelle, l'information demandée sans consentir à sa
divulgation ; 4°, à la protection des renseignements prévue par l'article 6 de la loi n° 51-711 du
7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques. »134
L’article 8-I du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 et le l’article 24-II donnent par ailleurs
la possibilité pour l’exploitant lors de la présentation d’une demande d’autorisation de création
d’une INB ou de la remise du réexamen de sûreté « de fournir sous la forme d’un document
séparé les éléments dont il estime que la divulgation serait de nature à porter atteinte à des
intérêts visés à l’article L. 124-4-I du code de l’environnement » précité. En soit, il peut
invoquer le secret en matière industrielle et commerciale.
L’article L. 124-5 du Code de l’environnement issu de l’article 19-I de la loi TSN prévoit les
cas où il est possible de refuser la consultation ou la communication d’une information relative
à des émissions de substances dans l’environnement135.
2) Un éternel oxymore ?
Si les intérêts précités sont clairement désignés, on s’interroge sur ce qu’ils recouvrent
exactement, et on imagine aisément la difficulté d’appréciation pour distinguer la nature
communicable d’une information d’une qui serait quasi communicable voire presque
134 Intérêts mentionnés à l’article L. 124-4 du Code de l’environnement, à savoir que son II précise qu’il est
également possible de rejeter les demandes portant sur des documents en cours d’élaboration, portant sur des
informations non détenues ou encore formulées de manière trop générale. Par ailleurs, il prévoit également que
l’autorité publique ou le responsable d’activité nucléaire peut rejeter toute demande de documents ou
d’informations qui porteraient atteinte à la sécurité publique.
135 Art. L. 124-5 : « 1° à la conduite de la politique extérieure de la France, à la sécurité publique ou à la défense
nationale ; 2° au déroulement des procédures juridictionnelles ou à la recherche d’infractions pouvant donner lieu
à des sanctions pénales ; 3° à des droits de propriété intellectuelle. » La CADA interprète la notion d’émissions de
substances au regard de l’article 124-5 du Code de l’environnement comme des « émissions dans
l’environnement. » Au niveau communautaire, il est précisé que « les demandes concernant les informations
relatives à des émissions dans l’environnement ne peuvent être rejetées que dans des cas très limités, notamment
le secret industriel et commercial ne peut servir à refuser de telles demandes. » (Voir développements sur le droit
européen et le secret défense au sein de Prieur, M., « Nucléaire, information et secret défense, Débat public – Caen
14 novembre 2005 » op. cit., p. 296).
40
communicable, ou non communicable. Des classifications existent, mais leur contenu est
souvent questionné et demande toujours à être amélioré.
Cela réaffirme l’idée qui a inauguré ce chapitre, à savoir la relation dialectique entre la notion
de transparence et le secret. En effet, l’institution du droit à l’information en matière nucléaire
est tout de suite temporisée selon P. Billet par un double point de vue, regrettant que « les
responsables des activités nucléaires [ne soient] tenus de supporter que le coût des mesures de
prévention136 sans que le législateur ait cru bon de rajouter qu’il en fallait de même pour les
mesures d’information »137, et rappelant qu’un décret en Conseil d’État doit encore préciser les
modalités « conciliant les principes d’organisation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection
avec les exigences liées à la défense. »138 Enfin, il doute légitimement que « la transparence
l’emporte sur les impératifs du secret défense dont la versatilité est souvent accommodante. »139
Le vocabulaire choisi est volontairement critique et suspicieux. Alors que, comme le rappelle
M. Guillaume140 Maître des requêtes au Conseil d’État, « le secret de la défense nationale était
qualifié par le Conseil d’État en 1995 d’angle mort de la transparence »141, les évolutions
législatives et réglementaire ont tenté de répondre à cet équilibre dans le droit. À la même
époque, la jurisprudence notamment de la CEDH montre la difficulté à faire cohabiter le droit
à l’information et les activités dangereuses, notamment nucléaires.142
136 Art. 2-II-2, loi TSN.
137 Billet, P., op. cit.
138 Art. 2-III, loi TSN. Pour rappel, les activités et installations nucléaires intéressant la défense sont exclues du
champ d’application de la loi exceptées les obligations d’information et de contrôle.
139 Billet. P., op. cit.
140 Guillaume, M., « Parlement et secret(s) » [en ligne], Pouvoirs, 2/2001, n° 97, pp. 67-84, disponible à
l’URL : www.cairn.info/revue-pouvoirs-2001-2-page-67.htm.
141 Rapport public du Conseil d’État, Études et Documents, n° 47, La Documentation française, 1995.
142 Consécration du droit à l’information pour les activités dangereuses avec l’arrêt « Guerra et autres c/ Italie »
(19 fév. 1998, Rec. 1998-I), repris dans « Mc Ginley et Egan c/ Royaume-Uni » du 9 juin 1998 où la Cour considère
que « s’il devait s’avérer que l’Etat défendeur a, sans motif légitime, empêché les requérants d’avoir accès à des
documents en sa possession qui les auraient aidés à établir devant la PAT qu’ils avaient été exposés à des niveaux
dangereux de rayonnement (…) cela s’analyserait en une privation d’un procès équitable » ; Voir également la
confirmation par la Cour dans un arrêt de la Grande Chambre du 20 novembre 2004 « Onerlydiz c/ Turquie » du
caractère indispensable du droit à l’information dans le domaine spécifique des activités dangereuse, où
« s’agissant de telles activités dangereuses, l’accès du public à une information claire et exhaustive (…) ne doit
pas être conçu comme se limitant au domaine des risques liés à l’utilisation de l’énergie nucléaire dans le secteur
civil. »
41
II) Un équilibre périlleux dans l’attente d’améliorations
K. Lucas-Alberni use également d’un vocabulaire très orienté lors qu’elle relève des zones
d’ombre au sein de la loi relative à la transparence de 2006143 sans pour autant remettre en
question les impératifs du secret défense. Afin de trouver un équilibre, il faut trouver des pistes
de réflexion visant à améliorer la relation entre la transparence et le secret en matière nucléaire
(A), avant de conclure provisoirement (B).
A) En quête de propositions dans une optique de solutions concernant les aspects
relationnels entre transparence et secret
Des propositions très parlantes ont été formulées par M. Prieur (1), et plus récemment par le
HCTISN (2).
1) Des conseils judicieux non retenus
A l’époque du projet de loi sur la transparence, sollicité par la CNDP, M. Prieur avait formulé
quelques « propositions de réforme du secret défense à la lumière des nouvelles exigences
juridiques du droit à l’information en matière d’environnement. »144 Ce propositions ont été
jointes aux documents du débat portant sur le projet d’EDF de construire une nouvelle unité de
production d’électricité utilisant un réacteur nucléaire de 3ème génération, le réacteur EPR que
ce maître d’ouvrage souhaitait implanter sur le site de Flamanville. M. Prieur y rappelle que le
secret défense est mal adapté aux activités nucléaires civiles « notamment [à cause] (…) de
l’existence d’un régime unique de secret tant pour les activités militaires que civiles »145, le
risque majeur étant des sur-classifications inopportunes. En ce sens, il suggérait que l’article
413-9 du Code pénal définissant le secret défense soit limité aux secrets défense des
installations et activités militaires, excluant de son cercle le secret lié à la sécurité publique pour
lequel il préconiserait un nouvel article en le présentant comme « rejet de demande
d’informations environnementales » et qui énumérerait limitativement les motifs de refus. Les
143 Lucas-Alberni, K., « la loi relative à la transparence en matière nucléaire », op. cit., p. 8
144 Prieur M., « propositions de réforme du secret défense à la lumière des nouvelles exigences juridiques du droit
à l’information en matière d’environnement » [en ligne], Site de la CNDP, disponible à l’URL :
http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-epr/docs/pdf/secret-defense/note-m-prieur-reforme-du-sd-v2.pdf
145 Ibidem.
42
prérogatives de la CADA et de la CCSDN s’en trouveraient modifiées ou améliorées146. Dans
la continuité des suggestions précédentes, il proposait que le décret du 17 juillet 1998 soit
cantonné aux secrets défense de caractère militaire, à charge pour le gouvernement d’élaborer
un nouveau décret relatif à la protection de la sécurité. En soit, il s’agirait de délimiter secret-
défense militaire et secret lié à la protection de la sécurité. Michel Prieur formulait des conseils
au-delà du secret défense, tel un alignement des exigences en matière d’information sur les
exploitants d’INB émanant du projet de loi sur la transparence sur les exploitants d’ICPE qui
contiendraient des matières radioactives.
Ses propositions n’ont pas eu d’écho au sein de la loi TSN.
2) Des conseils réitérés par le HCTISN
Le HCTISN a formulé diverses recommandations en 2011147 qui ne sont pas sans rappeler celles
de M. Prieur. Il s’interroge sur les manières de gérer par le droit le hiatus a priori inexorable
entre transparence et secret. Le public a besoin d’être sûr « que la protection d’une information
du secret est utilisée à bon escient. »148 La confiance ne se mesure pas, mais lorsque l’on
s’emploie à réfléchir juridiquement autour du nucléaire et du projet Cigéo, on réalise que les
normes ne sont pas encore assez travaillées en matière d’information et de participation.
Faisant état des faibles taux de saisines de la CAPA, il enjoint notamment les autorités publiques
à promouvoir les possibilités de sa saisine (recommandation n° 1), estime nécessaire de créer
la possibilité de saisir la CCSDN en dehors des procédures judiciaires (recommandation n° 2),
l’engagement d’une réflexion plus approfondie sur la transparence dans le secteur médical
(recommandation n° 5) la création de CLI comparables à celles autour des INB pour les
installations d’expérimentations nucléaires intéressant la défense (SIENID) (recommandation
n° 6). Il remet également au goût du jour les travaux du groupe 5 du Grenelle de
l’environnement « Construire une démocratie écologique : Institutions et gouvernance » qui
avait pour mission de traduire juridiquement les orientations prévues par le Grenelle en matière
146 Idem., p. 3, extrait : « on pourrait envisager soit de cantonner cette commission [CCSDN] aux seuls secrets
militaires et de confier à la CADA le contrôle du nouvel article proposé pour les atteintes à la sécurité, soit de
confier à la commission la mission de donner son avis sur les refus de communiquer des documents pour risque
d’atteinte à la sécurité. »
147 HCTISN « Transparence et secrets dans le domaine nucléaire, rapports et recommandations » [en ligne], 10
mars 2011, pp. 6-8, disponible à l’URL :
http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/rapport_transparence_secrets_10mars2011vf_cle04150C_cle45421d.pdf 148 Idem., p. 26.
43
de gouvernance écologique. Une des 88 propositions tend à clarifier les informations relatives
au nucléaire civil en recommandant l’élaboration d’un guide formalisant les documents
susceptibles d’être classifiés. Si le HCTISN juge sa rédaction prématurée parce que cela
nécessiterait en amont un travail colossal sur la construction de critères précis, il semble féliciter
la démarche et appuyer l’initiative qui consiste à éloigner le secret-défense militaire du secret
ayant trait à la sécurité publique.
B) Conclusions provisoires sur l’efficience de la transparence en matière nucléaire
Il n’est pas aisé de dresser un bilan même provisoire de la transparence dans le domaine
nucléaire. Nous aurons l’occasion de traiter le sujet et analyser l’application des principes
d’information et de participation spécifiquement au projet Cigéo, mais nous pouvons déjà
proposer quelques regards en matière d’information (1) et en matière de participation (2).
1) Bref état des lieux en matière d’information
Si le HCTISN avance des résultats notables, c’est parce qu’il y a de réels progrès face à une
demande en matière d’informations elle-même croissante. Néanmoins, il est vrai que bien que
le HCTISN s’inscrive dans le développement de dispositifs d’information propres au nucléaire
et décrits comme fiables, certains s’interrogent à tort ou à raison sur les risques de suspicion
dans l’information délivrée que ce soit pour le HCTISN (quant à sa composition vue comme
hétérogène ou comme douteuse selon les points de vue) ou pour l’exploitant de l’INB au sein
de son rapport149.
À la suite d’une saisie par le ministre chargé de la sûreté nucléaire et de l’OPECST, le HCTISN
a rendu un rapport sur la transparence de la gestion des matières et des déchets nucléaires
produits aux différents stades du cycle du combustible150. Après avoir fait une présentation du
cycle du combustible et de chacune de ses étapes, indiqué les flux de matières151 et de déchets
produits à chaque stade ainsi que les stocks de « matières » détenus par les acteurs de la filière
nucléaire,152 détaillé les conditions d’entreposages et de transport de l’uranium appauvri et de
149 Lucas-Alberni, K., « la loi relative à la transparence en matière nucléaire », op. cit., p. 11
150 HCTISN « Avis sur la transparence de la gestion des matières et des déchets nucléaires produits aux différents
stades du cycle du combustible » [en ligne], La Documentation Française, 12 juil. 2010, disponible à l’URL :
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000505.pdf
151 Voir glossaire.
152 Voir supra n° 150.
44
l’uranium de recyclage issu du traitement des combustibles usés153, il propose là encore des
recommandations pour toujours améliorer la transparence et l’accessibilité de l’information154
afin qu’elle soit épurée tout en restant technique. Il souligne surtout les compléments apportés
par le PNGMDR notamment en ce qui concerne les flux des matières radioactives aux
frontières155, et les conditions d’entreposage. Il enjoint le Gouvernement et l’ASN à
« développer la notoriété du PNGMDR » auprès du grand public. L’effort de la clarification de
la distinction établie par la loi française entre matières et déchets radioactifs est par ailleurs
essentiel, car le public doit avoir tous les éléments en tête pour comprendre une des questions
incontournables de notre décennie : la question de la poursuite ou non du nucléaire.
Le bilan de 2008-2014 du HCTISN sur l’efficience de la transparence réitère ses
recommandations de 2011 concernant la conciliation juridique de la transparence et du secret.
Surtout, il s’interroge sur l’efficacité de la transparence à travers Cigéo et l’échec du processus
de recherche d’un site de stockage de déchets FA-VL en 2009.
2) Bref état des lieux en matière de participation
En matière de participation, nous avons pu entrevoir des avancées textuelles certaines
concernant les procédures de consultations préalables, les études d’impacts et les enquêtes
publiques. Les juges s’avèrent scrupuleux pour que les exigences soient respectées à la lettre
malgré les difficultés rencontrées dans ce domaine si particulier du nucléaire.
Néanmoins, il n’est pas aisé de combler les aspirations du public. Quand on s’arrête un instant
sur les débats publics qui ont trouvé récemment un nouveau « terrain d’élection » avec le
nucléaire, on se pose d’emblée deux questions : sont-ce les dispositions des textes juridiques
qui ne s’avèrent pas suffisantes pour permettre une véritable association du public et une prise
en compte réelle, quantitative et qualitative de leurs observations, ou est-ce qu’en réalité
153 Idem., pp. 30-35.
154 Id., pp. 50-53.
155 Id., p. 50, : « En 2000, « L’énergie nucléaire en 110 question », publié par la DGEMP, expliquait en quoi les
volumes d’uranium retraités utilisés en France ne [justifiaient] pas l’extension ou la création d’une industrie
spécifique complète de fabrication de combustible URT, c’est pourquoi il [était] fait recours aux installations
existantes à l’étranger, en Fédération de Russie par exemple. » Le HCTISN explique donc que « si l’existence de
ces mouvements de matières était effectivement non couverte par le secret, par contre l’importance de ces
mouvements et les quantités précises des diverses matières mises en jeu n’étaient pas accessibles avant ce rapport
du Haut comité et, pour partie, avant la dernière édition du PNGMDR (adressée au parlement en mars 2010). »
45
l’implication citoyenne dans le nucléaire n’est-elle toujours pas souhaitée ? Les exemples de
débats publics en la matière laissent perplexes. En effet, le débat sur le projet d’EPR à
Flamanville s’est déroulé postérieurement à son inscription à l’article 5 de la loi d’orientation
sur l’énergie de juillet 2005156. Le Conseil d’État a considéré que le débat portait tout de même
sur l’opportunité du projet dès lors que le débat et l’enquête publique se déroulaient
antérieurement à la délivrance de l’autorisation litigieuse157. Nous retrouvons le même
cheminement concernant le projet ITER, dont le site d’accueil en Provence avait été choisi
antérieurement au débat public. Ce vademecum affecte inévitablement la crédibilité des débats
publics.
Conclusion de chapitre
Ce chapitre sur l’arsenal juridique en matière d’information et de transparence dans le domaine
du nucléaire était un préalable indispensable à la compréhension de notre réflexion. Nous avons
remarqué que les objectifs s’assemblent et se transcendent face aux difficultés rencontrées et
autour de certaines contradictions que l’on peine à dépasser. On pense notamment aux accords
et raccords que l’on tente de trouver entre le cadre juridique du secret défense et le
développement du droit à l’information tandis qu’il s’agit encore aujourd’hui de confrontation.
On pense également à la conciliation existante entre la préservation de l’environnement
constitutionnalisée depuis 2004 et les autres intérêts fondamentaux de la Nation alors que l’on
peut craindre une forme de concurrence. En réalité, le développement d’un principe n’a de sens
que s’il est conforté par des modalités d’application efficaces et a pour essence la volonté ; celle
du gouvernement, celle des acteurs du nucléaire, celle des représentants élus, mais aussi celle
du citoyen. La transparence est la pierre angulaire de la démocratie participative.
Ces réflexions faites, il est temps de revenir aux questionnements induits par le projet Cigéo.
Cette notion de « transparence » est à lier avec des problématiques éthiques dans ce cas précis
puisqu’elle se couple avec des temporalités inexplorées qui impliquent les générations futures.
Ce projet, que l’on a des difficultés à réduire à un simple cas d’espèce par les conséquences
qu’il induit, nécessite en amont des informations claires, précises et exhaustives.
156 Loi n° 2005-781, 13 juill. 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, art. 5 : JO
14 juil. 2005.
157 CE, 23 avr. 2009, n° 306242, France Nature Environnement.
46
Chapitre II – De l’éthique environnementale au droit dans la
définition des concepts gravitant autour du projet Cigéo
Après une mise en lumière de la conception particulière des notions de transparence,
d’information, et de participation en matière nucléaire, nous allons désormais nous concentrer
sur l’étape cruciale du cycle du combustible, le déchet nucléaire, dont les problématiques
inhérentes suscitent des réflexions majeures. La gestion problématique des déchets nucléaires
fut effectivement l’élément déclencheur du développement nécessaire d’un arsenal juridique en
matière de transparence.
Le projet Cigéo part avec un handicape certain en ce qu’il va d’emblée souffrir de l’opacité
générée par l’industrie nucléaire elle-même pendant longtemps La question des déchets
radioactifs ayant été longtemps non élucidée, le projet rentrant parfaitement dans les champs
d’application de la Convention d’Aarhus, le public devait donc être associé à sa construction ;
ceci fera l’objet d’un long développement au sein d’un titre II. Afin de le mettre en perspective,
il est essentiel d’aborder préalablement les questionnements sous-jacents suscités par ce projet,
au-delà de la faisabilité scientifique et technique du projet (sur laquelle cette étude ne sera pas
axée), soit sur les aspects juridiques et sociétaux et ce toujours à travers le prisme de la
transparence.
Face à un sujet aussi expérimental, le droit a posé dès 1991 avec la loi Bataille les jalons des
conditions d’un stockage géologique de déchets radioactifs, mais il eut des difficultés à adopter
une position claire et non ambiguë sur la notion de « réversibilité » qui est pourtant au cœur du
projet Cigéo (Section 1), et qui prend tout son sens lorsqu’elle est rapportée à celle de
« générations futures », acteurs absents qui impliquent des raisonnement poussés (Section 2).
Section 1 – Discussion autour de la notion de réversibilité concernant le stockage
géologique de déchets radioactifs
Bien que les questions techniques relatives à la réversibilité d’un stockage géologique
de déchets radioactifs soient intéressantes et indissociables des autres, l’étude se concentrera
sur les aspects juridiques et sociologiques. Ils reposent effectivement au préalable sur des études
et expertises scientifiques, mais cette réflexion se contentera de mettre en perspective les
questionnements juridiques et moraux qui s’y rattachent. 2016. 25 ans après la loi « Bataille »,
47
il n’existe de définition juridique de la réversibilité que depuis juillet 2016 (I). Cette réalité ne
pouvait être sans impact, notamment celui de créer un climat de tension assez important avec
le public et les opposants au projet Cigéo (II).
I) Un travail de définition juridique lent et peu clair autour de la réversibilité
Nous allons nous attarder sur ce que la réversibilité semble impliquer (A), et sur les prémices
juridiques qui ont tenté de la définir (B).
A) Contours initiaux de la « réversibilité » et d’un « stockage géologique »
Après avoir introduit quelques observations (1), essayons de comprendre les enjeux d’un
stockage réversible (2).
1) Premières observations et brève analyse du vocabulaire
Le temps n’est pas réversible, on ne saurait prendre une revanche sur lui. Selon la plus simple
définition possible, la réversibilité implique de pouvoir revenir en arrière158. Par opposition, on
entend donc par « irréversible » un processus que l’on ne peut enrayer. Le choix des mots est
très important car d’emblée, l’association de la notion de réversibilité à un potentiel stockage
géologique revient, a priori, à pouvoir garantir la « récupérabilité » de ce qui est enfoui et
reprendre « la matière considérée comme déchet de façon sûre, avec un avantage net pour la
société. »159
Concernant le stockage, là encore le choix des mots est essentiel. Au regard de l’étymologie de
« enfouissement », qui vient du latin « infodere » signifiant enterrer, enfouir signifie mettre
quelque chose en terre160. L’enfouissement en couche géologique profonde est dans le contexte
158 Larousse, « Se dit d'une transformation telle qu'il est possible de réaliser exactement la transformation inverse,
tous les paramètres ayant à chaque étape les mêmes valeurs, que la transformation ait lieu dans l'un ou l'autre
sens. »
159 CNE, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs instituée par la loi 91 – 1381 du 30 décembre
1991, « Réflexions sur la réversibilité des stockages », juin 1998, p. 7. Il est précisé que cet avantage peut être basé
sur des progrès scientifiques et technologiques (on entend par là une avancé qui permettrait de savoir agir sur la
radioactivité émanent des radionucléides), sur une évolution économique, des considérations de sûreté, ou
éthiques. »
160 Larousse, définition complétée par « cacher quelque chose quelque part, le mettre sous quelque chose d’autre,
au fond de quelque chose », « enfermer quelque chose en soi pour qu’il n’apparaisse pas. » On remarque que par
48
étudié synonyme de « stockage géologique », ou du moins s’y rapporte dans ses finalités
puisqu’il s’agit bien d’isoler des déchets de la biosphère, de l’atmosphère et de l’hydrosphère.
Ce type de stockage repose sur le principe des poupées russes et sur la multiplication des
barrières de sécurité, à commencer par la barrière géologique elle-même. Il s’agit de quelque
chose de bien plus complexe qu’un simple entreposage161 et comme Thomas Schellenberger162
le suppose, « l’évacuation souterraine peut donc également représenter un moyen de
s’affranchir d’une difficulté. »163
Il pourrait être dit qu’il s’agit là d’un jeu sur le champ lexical, mais les mots choisis ont toute
leur importance. Du stockage réversible à irréversible, de l’enfouissement permanent au
stockage en profondeur, il faut admettre que l’ambiguïté est, volontairement ou non,
entretenue alors même que cette question de réversibilité est la pierre angulaire du projet Cigéo.
Si la question des déchets nucléaires et de leur gestion est l’une de celles qui depuis une petite
trentaine d’années font très polémique dans le domaine nucléaire, c’est précisément parce que
c’est de ce sujet que sont nées les préoccupations du citoyen concernant ce nucléaire. La
méfiance s’était installée progressivement face à ce système obscur, et les experts du nucléaire
ont tenté d’instaurer de nouveaux rapports avec le public sur une problématique qui restait sans
réponse et qui permettait encore une implication de la société civile : le sort des déchets
nucléaires. Très vite, un des principaux sujets de réflexion s’apparente à ce que recouvre cette
notion de réversibilité et de récupératibilité des déchets ; surement parce qu’il conditionne tous
les autres domaines et est bien plus subtile qu’il en a l’air. La reprise des colis164 des déchets
est sujette à des inquiétudes scientifiques, techniques, et éthiques.
2) La problématique initiale de l’importance de la réversibilité d’un stockage géologique
Un stockage géologique de déchets dangereux (radioactifs ou non) repose ab initio sur une
contradiction suffisamment importante pour être notifiée.
extension, la thématique sous-jacente est celle de la dissimulation. Les déchets radioactifs ne sont pas éliminés, ils
sont soustraits à la vision.
161 Voir glossaire.
162 Schellenberger, T., Le droit public des utilisations du sous-sol, Réflexions sur le régime juridique des stockages
géologiques des déchets, op. cit.
163 Idem., p. 13.
164 Voir glossaire.
49
Un mode de stockage réversible est censé garantir la possibilité aux générations futures de
réaliser leurs propres choix en matière de gestion des déchets radioactifs165, ainsi que leur
récupération dans certaines conditions166. Les bases de conception du stockage doivent être
liées à la sécurité. La sûreté du stockage repose sur un ensemble de composants et de
dispositions empêchant ou limitant la migration des substances radioactives ou des toxiques
chimiques vers la biosphère de manière à protéger l’homme et l’environnement167.
D’un autre point de vue qui a dominé jusqu’au début des années 90, un stockage réversible peut
manquer de sécurité car pour ne pas craindre des infiltrations et des failles, un stockage
géologique devrait être confiné de manière irréversible. En effet, jusqu’à la fin des années 80,
le stockage définitif des déchets était considéré comme la meilleure solution par la communauté
technique et scientifique et en ce qu’il permettait d’empêcher toute intrusion humaine en son
sein. Ce n’est qu’avec la loi du 30 décembre 1991 qu’il y eu un changement d’optique et de
logique. Le climat d’incertitude parallèlement aux inquiétudes croissantes du public envers les
déchets nucléaires ont conduit à repenser la question.
Afin de comprendre pourquoi la notion de réversibilité est aujourd’hui encore largement sujette
à discussion, il semble intéressant de revenir sur le socle juridique sur lequel elle repose ; il
s’est longtemps révélé insuffisant en ce qu’il n’apportait pas de réponse explicite à sa définition.
B) L’existence restreinte d’une définition juridique de la réversibilité des stockages
en formation géologique profonde
Les premières tentatives de définition de la réversibilité (1) ont mené à ses premiers traitements
juridiques (2).
165 Sujet qui sera largement étudié au sein de la section II de ce chapitre. En effet, cette question est primordiale
lors de l’étude du projet Cigéo puisqu’un stockage réversible est considéré comme devant permettre une
application ultérieure des modalités d’information et de participation du public.
166 Selon la CNE dans son rapport n° 3, « uniquement justifiée par une inquiétude sur les imperfections de la
réalisation du stockage ou des doutes identifiés sur le comportement à long terme du stockage et sa sûreté. »
167 ASN, « Guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique profonde »,
version du 12/02/2008, p. 7.
50
1) Regards sur l’ébauche initiale de définition
Le régime de réversibilité concernant l’enfouissement des déchets radioactifs s’inspire du
régime de réversibilité du droit commun des déchets. L’article 7 de la loi n° 75-633 du 15 juillet
1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux est également une
source d’inspiration pour le législateur qui va renforcer ses exigences en la matière par la loi n°
92-646 du 13 juillet 1992168. Enfin, la question de la réversibilité gravite autour du principe de
précaution169 qui apparait dans la législation française avec la célèbre loi n° 95-102 du 2 février
1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement (dite loi « Barnier ») au
travers des mesures de précaution (dont la reprise des déchets peut faire partie). C’est sur ce
socle qu’ont reposé les premières réflexions concernant la réversibilité d’un stockage
géologique de déchets radioactifs.
La loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs qui a
introduit le principe de réversibilité s’inspire de celle n° 76-663 du 19 juillet 1976 concernant
les ICPE en conditionnant à l’article 3-1 le retrait des produits enfouis à l’expiration de
l’autorisation. Dans ce contexte, était prévue la réalisation de laboratoires souterrains, afin
d’étudier les possibilités de stockages réversibles, ou irréversibles, dans ces formations
géologiques170 ainsi que les conditions de cette mise en place.
La loi « Bataille » donnait donc le feu vert pour des recherches principalement souterraines.
Les observations de la CNE dans le rapport n° 3 précité sont éclairantes en ce qu’elles rappellent
que « les recherches en laboratoires doivent prendre en compte les deux options de réversibilité
et d’irréversibilité d’un stockage. » Les notions de « stockage définitif » ou « irréversible »
seront par la suite supprimées du jargon juridique171, et n’auraient pu être conservées en ces
termes. En effet, il apparaîtrait invraisemblable qu’un texte législatif ou réglementaire entérine
168 En effet, le législateur modifie l’article original par cette formulation « l’étude d’impact d’une installation de
stockage de déchets (...) indique les conditions de remise en état du site et les techniques envisageables destinées
à permettre une éventuelle reprise des déchets dans le cas où aucune autre technique ne peut être mise en œuvre. »
169 Principe n° 15 de la Déclaration de Rio « en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de
certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l'adoption de mesures
effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement » qui fonde la notion juridique de la réversibilité,
repris dans l’article 130 R du Traité de Maastricht.
170 Loi précitée, article 4.
171 Bien que largement conservées dans le celui de l’opposition, puisque selon l’opposition au stockage géologique
profond l’actuel projet Cigéo n’a de réversible que le nom, ceci appuyé des avis de certains scientifiques et experts
indépendants.
51
des solutions irrémédiables. La CNE considérait déjà à cette époque que « des évènements
imprévus pourraient survenir dans les décennies ou siècles prochains justifiant la prise de
décision de récupération des colis. »172 Cette précision est centrale. Ce n’est pas tant la position
de la CNE qui est sujette à discussion mais sa réalisation pratique. Les réflexions ultérieures
sur le sujet révèleront des controverses autour de la réversibilité.
2) Les bases d’une définition juridique future de la réversibilité
En 2006, un second volet juridique intervient et vient compléter le cadre législatif spécifique
de la loi « Bataille. »173 Cette évolution législative a toute son importance en ce qu’elle définit
une politique nationale de gestion des matières et déchets radioactifs174.
La loi de 2006 tente de répondre aux axes de recherche soulevés par la loi Bataille175, soit la
séparation et la transmutation176 des éléments radioactifs à vie longue, les possibilités de
stockage dans les formations géologiques (la loi devait s’appuyer sur les expériences et résultats
obtenus dans des laboratoires de recherches souterrains177) et l’étude des procédés
d’entreposage de longue durée en surface. Elle est présentée comme la continuité des travaux
réalisés 15 ans durant sur la définition d’une politique de gestion des matières et des déchets
radioactifs et s’appuie sur des rapports de synthèse de faisabilité du projet par l’Andra178, et sur
172 CNE, Rapport n° 3, 1997.
173 Il s’agit effectivement de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des
matières et déchets radioactifs.
174 Politique qui sera mise en place par un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs,
notamment à l’art. L. 542-1-2. – I « Un plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs dresse le
bilan des modes de gestion existants des matières et des déchets radioactifs, recense les besoins prévisibles
d'installations d'entreposage ou de stockage, précise les capacités nécessaires pour ces installations et les durées
d'entreposage et, pour les déchets radioactifs qui ne font pas encore l'objet d'un mode de gestion définitif, détermine
les objectifs à atteindre. », Le décret n° 2013-1304 du 27 décembre 2013 sera pris pour application de l’article et
établi les prescriptions du plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs.
175 Qui furent par la suite codifiés aux articles L. 542-1 et suivants du Code de l’environnement.
176 Voir glossaire.
177 L’article 11 de cette loi programme suscita des réactions vives : « Dans l’article L 542-6 du code de
l’environnement, les mots : « des laboratoires » sont remplacés par les mots « d’un laboratoire souterrain ou d’un
centre de stockage en couche géologique profonde ». En effet, alors qu’il devait y avoir 4 laboratoires, il n’y en eu
qu’un ; ce qui a aujourd’hui pour conséquence de rendre moins expérimental que prévu, pour beaucoup, l’actuel
laboratoire, et davantage opérationnel pour la suite. Cette idée sera de nouveau évoquée et détaillée au sein du
chapitre premier du second titre.
178 ANDRA, « Dossier 2005 Argile », intégralité du dossier sur l’évaluation de la faisabilité d’un stockage
géologique de déchets de haute activité et à vie longue. Disponible sur https://www.andra.fr/download/site-
principal/document/editions/266.pdf
52
différentes évaluations telles que les rapports d’évaluation de la CNE ou encore sur les
conclusions d’un débat public réalisé en 2005179. Le projet a été adopté définitivement le 15
juin 2006.
Cette loi du 28 juin 2006 entérine le stockage en couche géologique profonde180 comme solution
pour les déchets ultimes181 ne pouvant être stockés en surface ou en faible profondeur. Surtout,
il est imposé que le concept de stockage souterrain réfléchi par l’Andra soit réversible sans
donner de définition explicite de la notion.
Il était prévu que les conditions de réversibilité soient fixées par la suite par une nouvelle loi182.
Ce report ne permettait pas une vision claire du projet dans un contexte déjà sensible et animé
par une opposition certaine. L’Andra en tant que maître d’ouvrage a elle aussi souffert de ce
manque de clarté car les années qui ont suivi révèlent un climat de tension important (II).
II) Les conséquences d’une approche législative longtemps inaboutie de la
réversibilité
Le parcours juridique de la notion est chaotique puisqu’elle fut longtemps indéfinie
législativement (A), et n’a finalement été votée qu’en juillet 2016 une définition encore
controversée de la réversibilité (B).
A) La longue absence d’une définition officielle et consensuelle
Les définitions de la réversibilité du dispositif institutionnel et des organisations consacrées au
nucléaire (1) ont pour point commun une forme de « semi-réversibilité » (2).
179 Largement étudié au sein du chapitre 1 du titre II.
180 Art. 3-2 de la loi du 18 juin 2006 précit. « Les études et recherches correspondantes sont conduites en vue de
choisir un site et de concevoir un centre de stockage de sorte que, au vu des résultats des études conduites, la
demande de son autorisation prévue à l'article L. 542-10-1 du Code de l'environnement puisse être instruite en
2015 et, sous réserve de cette autorisation, le centre mis en exploitation en 2025. » Il va de soi que ce calendrier
ne peut plus être respecté.
181 Voir glossaire.
182 Cette loi future est alors présentée comme un indispensable préalable au dépôt de la demande d’autorisation de
création de Cigéo car elle le conditionne.
53
1) Une multiplicité de définitions se rejoignant
Une exigence de la loi du 28 juin 2006, pour que l’autorisation de création du centre
d’enfouissement soit délivrée ultérieurement, résidait en la capacité de l’Andra à démontrer que
la réversibilité de ce stockage soit assurée pour une durée d’au moins 100 ans183, un projet
législatif fixant les conditions de cette réversibilité était donc attendu par le Gouvernement.
Cela a d’autant plus importance que ces conditions ont pour objectif de donner des garanties
aux populations mais également aux scientifiques184. Il s’agit de satisfaire une demande
citoyenne qui s’exprime fortement, notamment lors du débat public de 2005/2006185, et que la
notion de réversibilité du stockage ne soit plus équivoque lors du dépôt de la demande
d’autorisation.
En attendant que toutes ces exigences soient respectées, existaient de nombreuses définitions
subtiles de ce que représenterait la réversibilité.
Selon l’Andra, la réversibilité était donc définie comme trois capacités cumulatives : reprendre
les colis, intervenir sur le processus de stockage, faire évoluer la conception du stockage186.
Pour la CNE, la réversibilité du stockage comprend « l’ensemble des mesures techniques et
administratives permettant de pouvoir, si on le désire, reprendre la matière considérée comme
déchet de façon sûre, avec un avantage net pour la société. »187
L’ASN définit la réversibilité davantage comme un processus qui permettrait de questionner
les décisions prises à chaque étape de conception, de construction et d’exploitation du stockage
183 Andra « La réversibilité de Cigéo », disponible sur https://www.andra.fr/download/site-
principal/document/editions/526.pdf
184 Birraux Claude, député et président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST), le rappelle dans son discours du colloque interdisciplinaire sur la réversibilité, organisé
à Nancy en juin 2009.
185 Que nous reverrons en profondeur dans la seconde partie de ce développement lorsqu’il s’agira de comprendre
comment s’effectue l’association du public au projet Cigéo.
186 Andra, « Option de réversibilité du stockage en formation géologique profonde », étape 2009, p. 15, disponible
sur https://www.andra.fr/download/site-principal/document/editions/393.pdf. Plus précisément, est reprise la
définition retenue dans le « Dossier 2005 Argile » de l’Andra, soit « la capacité à revenir sur des décisions prises
lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage. Elle implique que le processus de mise en œuvre
et les technologies soient suffisamment flexibles pour pouvoir si nécessaire, à tout moment au cours du
programme, inverse ou modifier, sans effort démesuré, une ou plusieurs décisions prises antérieurement ».
187 CNE, « Rapport sur la réversibilité » remis en juin 1998 à la demande du Gouvernement.
54
et permettre un réajustement en cas de nouvelles données. Par ailleurs, elle affirme que la
réversibilité ne peut avoir qu’une durée limitée188.
L’IRSN insiste quant à lui sur deux principes intra réversibilité : la récupérabilité des colis, et
le processus décisionnel189. Cela signifie qu’un calendrier doit être réalisé provisionnant qu’à
telle date devra être prise telle décision, et permette une liberté de choix durant la période de la
possibilité de réversibilité du stockage.
Il ne s’agit pas de rentrer dans des considérations techniques (laissons ce privilège à ceux qui
excellent dans cette vulgarisation) et de rentrer dans une faisabilité scientifique du projet à ce
stade de la réflexion. Il s’agit de comprendre pourquoi cette définition inachevée de la
réversibilité faisait polémique. En réalité, on remarque que si l’on s’en tient à la définition la
plus basique de la réversibilité, qui implique de ne pouvoir revenir en arrière, aucune des
définitions précitées ne peut la satisfaire entièrement puisqu’elles ont toutes en leur sein une
barrière temporelle.
2) Une ambigüité maintenue malgré des efforts certains : un stockage réversible… à quel
point ?
Aussi, on comprend que les esprits divergents sur la question suivante : que reste-t-il de la
notion de réversibilité lorsqu’est prévue une réversibilité qui s’achève ?
Les définitions précédentes semblent répondre chacune aux objectifs qui leurs sont assignés, et
sont effectivement dans la prolongation de la loi de 2006. Pourtant, dans l’esprit collectif règne
encore un flou certain autour de la réversibilité. Dans un second temps, il sera pertinent de
revenir là-dessus car il peut paraître inquiétant de réaliser que le public dans sa globalité n’ait
pas encore réellement compris les tenants et aboutissants du sujet.
En attendant, la réversibilité associée au stockage géologique telle qu’elle ressort des travaux
de l’Andra est celle que la loi de 2006 semble rechercher. Il faut d’emblée préciser qu’il ressort
188 ASN, « Avis de 2006 sur les recherches relatives à la gestion des déchets à haute activité et à vie longue menées
dans le cadre de la loi du 20 décembre 1991 », où elle affirme que « l’accessibilité laissée aux colis de déchets doit
être limitée dans le temps car une fermeture du stockage trop longtemps différée pourrait remettre en cause (…)
la sûreté du stockage. »
189 IRSN, « Thème 1 : la place de CIGEO dans la gestion des déchets », fiche disponible sur
http://www.irsn.fr/dechets/cigeo/Documents/Fiches-thematiques/IRSN_Debat-Public-Cigeo_Fiche-
Reversibilite.pdf
55
du site consacré au projet190, que la fermeture se fera progressivement. On en déduit qu’il n’y
aura pas de réversibilité totale sur au moins cent années, mais des réversibilités provisoires
ponctuées de fermetures intermédiaires. Bien entendu, ces étapes sont destinées à assurer une
sûreté dite « passive », afin de réduire les interventions humaines pour la contrôler. Cependant,
en contrepartie, la récupération des déchets sera de plus en plus complexe.
La controverse est légitime : parler de réversibilité et de récupérabilité peut être considéré
comme un abus de langage. En effet, s’attarder de nouveau sur ce vocabulaire ne semble pas
inopportun car la terminologie revêt ici un caractère essentiel. La définition de la réversibilité
de l’OCDE191 désigne « la capacité à revenir sur des décisions prises lors de la mise en œuvre
progressive d’un système de stockage indépendamment de l’exercice effectif de cette
capacité. » La récupérabilité192 désigne « la capacité à récupérer des déchets seuls, ou sous
forme de colis après leur mise en place dans un stockage, indépendamment de l’exercice effectif
de cette capacité. »
Il s’agit de mettre en relief ce qui saute aux yeux : l’utilisation de la terminologie de
« réversibilité », revêt une certaine illusion terminologique.
B) Les inquiétudes du public face à un récent cheminement juridique critiquable
Le traitement juridique de la réversibilité a été ressenti comme précipité depuis 2014 (1), et
aboutit à une première définition législative qui ne dépasse pas certaines contradictions (2).
1) Une récente décision au parcours considéré comme illégitime : l’amendement Cigéo
de la loi Macron
Alors même que l’opposition au projet Cigéo au sein de l’AN est peu intense, il est de rigueur
de se demander pourquoi les tentatives d’amendements tendant à définir la réversibilité au sein
190 Cigéo, « S’informer sur le projet de centre de stockage profond de déchets radioactifs français », point 9 « un
projet flexible et réversible », disponible sur http://www.cigeo.com/flexibilitat-und-ruckholbarkeit
191 OCDE « Réversibilité des décisions et récupérabilité des déchets radioactifs, éléments de réflexion pour les
programmes nationaux de stockage géologique », 2012, p. 9, disponible sur https://www.oecd-
nea.org/rwm/reports/2012/7105-reversibilite.pdf
192 OCDE, précit.
56
de lois qui ne s’y rapportent pas sont si nombreux. En effet, une quinzaine d’amendements193
ont été neutralisés depuis début 2014. Au cœur du plan commenté du projet de loi de
programmation sur la transition énergétique194 était prévu d’inclure le projet Cigéo. Une
réaction massive des associations et organisations a mené au retrait par Ségolène Royal, alors
Ministre de l’Écologie, de l’article 35 du projet de loi qui prévoyait de démarrer par décret
l’enfouissement des déchets radioactifs dans le cadre du projet Cigéo à Bure, donc sans passer
par l’étape du Parlement ; étape qui n’est pourtant objectivement pour l’heure pas à redouter
par les partisans du projet. La crainte des associations et des opposants au projet était alors que
soit définie d’office la réversibilité, alors qu’il était prévu qu’elle fasse l’objet d’un projet de
loi puis d’une loi spécifique. Plusieurs tentatives eurent lieu par la suite au sein du projet de loi
sur la transition énergétique, qui se soldèrent par des amendements non soutenus ou rejetés et
ce jusqu’au 9 juillet 2015.
Ce jour-là, le gouvernement impose la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances
économiques dite loi « Macron », en ayant recours à l’article 49-3. À un mécontentement
général de par l’utilisation de cet article, s’ajoute une certaine stupeur pour les opposants à
Cigéo : un amendement y avait été glissé ayant vocation à permettre la mise en service
industrielle du centre de stockage géologique de déchets radioactifs à Bure. Adopté sans séance
publique, il n’y eu pas de débat parlementaire sur un sujet qui l’aurait mérité. L’article 201 de
la loi « Macron » issu de l’amendement comportait une disposition particulièrement importante
concernant la réversibilité du stockage, destinée à faire suite à l’article L. 514-10-2 du Code de
l’environnement qui prévoyait les conditions pour l’autorisation de création d’un centre de
stockage souterrain195. La réversibilité était alors définie en ces termes : « la réversibilité est la
capacité, pour les générations successives, à revenir sur les décisions prises lors de la mise en
œuvre progressive d’un système de stockage. La réversibilité doit permettre de garantir la
possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés pendant une période donnée et
d’adapter l’installation initialement conçue en fonction de choix futurs. » Cette définition tend
à confirmer ce qui avait été précédemment avancé dans cette réflexion : la réversibilité ne
193 Fédération mirabelle -LNE, document disponible sur
http://mirabellne.asso.fr/f/SYNTHESE_RECAP_amendements_cigeo_2013_2015.pdf
Nota bene : Mirabel Lorraine Nature Environnement est une fédération régionale d’associations de protection de
la nature et de l’environnement en Lorraine, appartenant à la fédération France Nature Environnement. 194 Loi désormais adoptée et publiée (L. n° 2015-992, 16 août 2015, JO 18 août).
195 Art. précit. « Le Gouvernement présente ensuite un projet de loi fixant les conditions de réversibilité ». Comme
évoqué précédemment, les conditions de réversibilité du stockage restaient donc à instruire le projet Cigéo.
57
concernerait que la période de construction du centre souterrain196, l’installation en elle-même
n’étant plus réversible197.
De plus, ce même article envisage une phase industrielle pilote destinée à démontrer le caractère
sûr de l’installation et sa réversibilité durant cette période. Comme le dénote à juste titre Arnaud
Gossement, « cette phase est destinée à produire des informations que n’importe quel exploitant
d’une ICPE aurait été contraint de fournir avant même de demander l’autorisation d’exploiter
son installation. Le droit nucléaire, qui ne cesse de déroger au droit de l’environnement, permet
ici cette production d’information après l’autorisation de création. »198 En matière de
transparence, le droit nucléaire peine à s’harmoniser sur le droit de l’environnement.
Les 28 parlementaires écologistes ont adressé une lettre dénonçant cet article, qui a été
sanctionné par le Conseil constitutionnel, qui a considéré la procédure d’adoption de cet
amendement irrégulière, amendement ajouté au texte la veille de l’adoption définitive par
l’article 49 alinéa 3 de la Constitution. L’article pouvait être ainsi considéré comme un cavalier
législatif. L’article 45 de la Constitution rappelle qu’un amendement déposé en première lecture
n’est recevable que s’il « présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis » ;
et le Conseil Constitutionnel de trancher que « les dispositions ne présentent pas de lien, même
indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi ; que par suite, elles ont été adoptées
selon une procédure contraire à l’article 45 de la Constitution. »199
L’amendement fut donc sans impact mais doublement révélateur. D’une part on peut s’étonner
de la longue insuffisance législative concernant la réversibilité du projet Cigéo qui a entretenu
un certain flou, et d’autre part de l’intention récente de faire accélérer le processus … mais à
quel prix200 ?
196 Cet argument est régulièrement avancé par les associations dites « anti Bure » telles que Bure : STOP !
197 Gossement, A., avocat. Cette réflexion est pertinente en ce qu’elle insiste une nouvelle fois sur les termes
utilisés. Par « pendant une période donnée », le législateur par un aveu de faiblesse confie le soin de définir cette
période au pouvoir réglementaire alors même qu’il était entendu qu’un projet de loi suscitant de fait un débat
parlementaire devait faire l’objet de la question.
198 Gossement, A., réflexion disponible sur : http://www.arnaudgossement.com/archive/2015/07/15/droit-
nucleaire-l-amendement-cigeo-et-la-charte-de-l-environ-5657184.html
199 Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 (extrait).
200 Bure Stop, communiqué de l’association relatant une absence de connivence entre Démocratie et Nucléaire,
disponible à l’URL : http://burestop.free.fr/spip/spip.php?article659
58
2) Une accélération soudaine du processus fragilisant l’acceptation
Le 30 mars 2016, Gérard Longuet, sénateur, a déposé une proposition de loi précisant les
modalités de création de Cigéo201. Ses intentions ne sont autres que celles qui découlaient des
amendements précités. Les conséquences seraient donc importantes puisque le processus
d’autorisation de création de Cigéo défini par la loi du 28 juin 2006 serait modifié, notamment
par la réalisation d’une « phase industrielle pilote » dont le côté expérimental est discuté.
Cette phase pilote est vue par l’opposition comme une volonté de passage en force alors même
qu’au sein de l’hémicycle, force est de constater que le projet est bien accueilli. Les velléités
du nucléaire de renouer avec le public contrastent avec cette précipitation, sur un sujet qui a
certes l’appui du gouvernement et le vote des parlementaires, mais qui manque de transparence.
Le 17 mai 2016, la proposition est adoptée par le sénat en première lecture. En revanche, la
notion de réversibilité retenue n’avait pas fait l’unanimité202 et l’adoption de deux amendements
destinés à renforcer la transparence autour du projet203 ne semble pas être une satisfaction
suffisante.
L’ASN a dans un avis du 31 mai 2016204 donné ses observations et rappelé ses deux exigences :
« le principe de réversibilité doit se traduire par une exigence d’adaptabilité de l’installation qui
201 Proposition de loi, enregistrée à la Présidence du Sénat le 30 mars 2016, précisant les modalités de création
d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et
moyenne activité à vie longue, disponible à l’URL : https://www.senat.fr/leg/ppl15-522.html
202 Deux amendements du sénateur Jean-Louis Masson, ingénieur en chef des mines et ancien inspecteur des
installations nucléaires, ont été repoussés. Il est intéressant de rappeler ses propos : « Autant je suis pour le
nucléaire et le stockage, autant je trouve scandaleux de nommer réversible un stockage qui ne l'est pas ; (…) tout
stockage souterrain de déchets radioactifs doit être réversible. La réversibilité implique qu'à tout moment dans
l'avenir il soit possible de revenir à la situation antérieure dans des conditions techniques et financières
acceptables". "Voilà ma définition de la réversibilité, honnête et en bon français : elle n'enfume pas nos
compatriotes, elle ! ». Son indignation est partagée par le sénateur écologiste Ronan Dantec : « une réversibilité
sans récupérabilité à tout moment n'en est pas une ». Ces prises de positions sont révélatrices du pléonasme qui
peut caractériser la notion de réversibilité. J.-L. Masson affirme que ce n’est pas le projet qui est contestable, mais
la manière dont il est mené, ainsi que les apparentes relations faussées avec le public. Une nouvelle fois, il
semblerait que tout le monde perde à cette accélération : les partisans du projet dont la volonté est de le faire passer
dans un climat de transparence et respecter ainsi les principes d’information et de participation sont décrédibilisés ;
les anti Cigéo qui déplorent un scénario dont tout le monde connaitrait la fin par avance.
203 L’un au sujet de l’information et de la consultation du public sur l’installation, prévoyant que des revues de la
mise en œuvre du principe de réversibilité seront organisées au moins tous les 5 ans « en concertation avec
l’ensemble des parties prenantes et le public », l’autre adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du
stockage à l’issue de la phase pilote de Cigéo.
204 ASN, avis n° 2016-AV-0267 du 31 mai 2016 relatif à la réversibilité du stockage de déchets radioactifs en
couche géologique profonde, disponible à l’URL : http://www.asn.fr/Reglementer/Bulletin-officiel-de-l-
ASN/Avis-de-l-ASN/Avis-n-2016-AV-0267-de-l-ASN-du-31-mai-2016
59
doit pouvoir évoluer durant son fonctionnement et une exigence de récupérabilité des colis qui
doivent pouvoir être retirés du stockage pendant une période donnée dans des conditions de
sûreté et de radioprotection satisfaisantes. »
Le 15 juin 2016, la nomination du président du Conseil d’administration de l’Andra, le député
socialiste (PS) de Seine-Maritime Christophe Bouillon, comme rapporteur d’une proposition
de loi sur l’enfouissement de ces déchets suscite de nombreux émois. Dans une lettre ouverte,
le Réseau « sortir du nucléaire », la coordination Bure stop et les amis de la terre dénoncent un
« conflit d’intérêts d’une extrême gravité » et un « mépris total des principes démocratiques
élémentaires ». Le président rapporteur rappelle « qu’il n’y a pas d’incompatibilité juridique ni
constitutionnelle entre la présidence du Conseil d’administration de l’Andra, qu’il exerce à titre
bénévole et sans fonction exécutive et la charge de rapporteur d’un texte législatif. »205
Toutefois, il eut le bon sens de saisir le déontologue de l’Assemblée nationale qui confirma ses
dires le 21 juin 2016, tout en reconnaissant que son choix en tant que rapporteur n’avait pas été
forcément des plus judicieux en ce qu’il conforte et entretient le rapport de force instauré depuis
le début.
Le 29 juin 2016, la quasi-totalité des députés de la Commission du développement durable de
l’Assemblée Nationale a adopté la proposition de loi « Longuet » sur l’enfouissement en grande
profondeur des déchets radioactifs. Cette nouvelle avancée a suscité de vives réactions
notamment dans le milieu associatif206, déplorant l’indifférence parlementaire face aux
objections soulevées. Quoiqu’il en soit, le texte fut inscrit sur proposition du Gouvernement à
l’ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement pour être examiné par les députés le
11 juillet 2016 et fut adopté207.
La définition de la réversibilité comporte des enjeux juridiques, et l’adoption de la loi n° 2016-
1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage
205 Propos rapportés par Le Hir, P., « Conflit d’intérêts autour du stockage radioactif de Bure », disponible à
l’URL : http://www.lemonde.fr/energies/article/2016/06/22/conflit-d-interets-autour-du-stockage-radioactif-de-
bure_4956122_1653054.html
206 Réseau « Sortir du nucléaire » : il insiste sur la contestation locale et nationale du projet, et sur certaines
questions jugées « évacuées » telles que les mises en gardes d’un expert indépendant avertissant des risques bien
réels liés à l’enfouissement. Il ne s’agit pas d’ici, de nouveau, d’être juge de la véracité des avertissements de cet
expert, mais de montrer le fossé se creusant toujours plus entre la société civile qui ne se sent pas écoutée et prise
au sérieux, et les partisans à Cigéo. Une conclusion précoce pourrait dénoncer la façon dont le débat est mené avec
le public de façon générale. Communiqué disponible à l’URL : http://www.sortirdunucleaire.org/Cigeo-une-loi-
lourde-d-enjeux-adoptee-a-la-va
207 Voir le compte-rendu intégral de la séance du 11 juillet 2016 à l’AN, disponible à l’URL :
http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016-extra/20161008.asp
60
réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de HA-VL et MA-VL le
montre une nouvelle fois. Une vingtaine de députés étaient présents, ce qui là encore vient ternir
l’image de la démocratie représentative face à une volonté croissante de démocratie
participative effective sur le sujet. La loi est composée de deux articles seulement, dont l’article
1-II-1er qui modifie l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement en proposant une
définition de la réversibilité : « la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre
la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les
choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion (...). Elle inclue la
possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une
durée cohérente avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage. » Il est précisé à
l’alinéa 3 de ce même article que la durée de la réversibilité ne peut être inférieure à cent ans.
En soit, la réversibilité prévue par la loi comporte deux caractéristiques : une récupérabilité
possible des colis pendant la phase d’exploitation, et jusqu’à fermeture, et une concernant la
gouvernance du projet afin de laisser la capacité aux générations futures et aux élus de prendre
d’autres décisions : accélérer, ralentir, modifier le projet. À ce titre, il faut signaler que la
réversibilité est régressive. Cela signifie que plus le temps passera, moins il sera possible de
récupérer les colis techniquement. De plus, la réversibilité telle qu’elle est définie est
contradictoire avec une des raisons qui motive pourtant la réversibilité : parallèlement à un
stockage de moins en moins réversible, les chances que des méthodes innovantes, alternatives,
et plus consensuelles apparaissent risquent d’augmenter208.
Tous les amendements soutenus ont été refusés. À titre d’exemple et dans le dessein d’étayer
la complexité de la définition209, l’amendement n° 20 visait à instaurer une surveillance au-delà
de la période d’exploitation, prolongé par le n° 18 visant à rendre récupérables les colis au-delà
de la période prévue par la loi. En soit, ces amendements consistaient à ajouter de la réversibilité
supplémentaire à un projet qui n’a pas une réversibilité définitive.
208 Barthe, Y., « Les qualités politiques des technologies. Irréversibilité et réversibilité dans la gestion des déchets
nucléaires » [en ligne], Tracés. Revue de Sciences humaines, 2009, mis en ligne le 20 mai 2011, p. 119-137, point
26, disponible à l’URL : http://traces.revues.org/2563 ; DOI : 10.4000/traces.2563
209 L’intégralité des amendements qui ont été soutenus, refusés ou retirés est disponible à l’URL suivante :
http://www2.assemblee-
nationale.fr/recherche/amendements#listeResultats=tru&idDossierLegislatif=34859&idExamen=&missionVisee
=&numAmend=&idAuteur=&premierSignataire=true&idArticle=&idAlinea=&sort=&dateDebut=&dateFin=&p
eriodeParlementaire=&texteRecherche=&zoneRecherche=tout&nbres=10&format=html®leTri=ordre_texte
&ordreTri=croissant&start=1
61
Finalement, on obtient un « dispositif hybride, respectant la réversibilité sur le court terme mais
privilégiant l’irréversibilité sur le long terme, [tenant] sa force dans sa capacité à articuler ces
deux principes radicalement opposés. »210
L’apport majeur de cette loi fait écho au début de ce chapitre. S’il y a désormais une définition
juridique de la réversibilité donc officielle, elle n’est toujours pas consensuelle.
Vraisemblablement, elle ne saurait l’être puisque la réversibilité n’est pas qu’un programme
technique et scientifique. Au contraire, elle s’appuie sur des considérations éthiques. Les
aspects juridiques de Cigéo sont profondément rattachés à des concepts moraux et sociétaux,
ce qui rend les discussions bien plus chaotiques. Il est nécessaire de revenir un temps dessus en
prévision du titre II consacré à la mise en œuvre des principes juridiques d’information et de
participation au projet de stockage des déchets radioactifs en couche géologique profonde. Tout
est lié avec minutie : de la dynamique de transparence au sein des textes juridiques à celle de
savoir sur quoi est-on informé, sur quoi doit-on être informé ? Des réflexions sur un stockage
irréversible puis finalement réversible, à l’adoption d’une définition juridique de la réversibilité
fortement emprunte d’éthiques transversales. De la singularité du droit nucléaire à son
alignement progressif sur le droit de l’environnement. Surtout, de la mise à l’écart originelle
délibérée du public, à l’acceptation des impacts que son implication désormais souhaitée
pourrait avoir. Le droit se nourrit de ces questionnements, mais tout ne s’y passe pas. Pour
comprendre la norme, et pourquoi elle est discutée, il faut comprendre les réflexions qui se
déroulent en amont.
Section 2 - Autres questionnements suscités par les déchets nucléaires et le projet Cigéo
autour des principes du droit de l’environnement
Le sujet implique de revenir sur divers principes consacrés par le droit de l’environnement211
qui viennent moduler l’action de l’homme dans une optique morale : la tendance observée du
droit nucléaire à l’harmonisation avec le droit de l’environnement s’inscrit dans un contexte
« technophobe [qui] s’est accompagné de l’annonce puis de l’imposition de grands principes
dits éthiques destinés à guider les actions des industriels afin de réconcilier leurs démarches
210 Barthe, Y., « Les qualités politiques des technologies. Irréversibilité et réversibilité dans la gestion des déchets
nucléaires », op. cit.
211 Pour simple rappel, il s’agit du développement durable, du principe de précaution, du principe de prévention,
du principe pollueur-payeur, des principes d’information et de participation du public.
62
avec les populations ainsi rassurées. »212 Une des inquiétudes qui s’accentue ces dernières
décennies est traditionnellement formulée en ces termes : « Quelle monde allons-nous laisser à
nos enfants » ? A cette interrogation non dénuée de sens, Jaime Semprun, essayiste, répondra
par un raisonnement par l’absurde : « Quels enfants allons-nous laisser au monde ? »213 En
effet, nous nous accorderons sans surprise sur le fait que l’Homme est responsable de son
empreinte (principalement négative, cela est connu) sur une Terre commune. Cette
responsabilité implique l’application de ces principes, qui doivent accompagner et guider les
décisions de cet acteur titulaire du rôle principal. Le projet Cigéo est l’illustration parfaite pour
étayer cette difficulté, de la situation où l’éthique vient perturber l’utilisation de principes
juridiques eux-mêmes issus de réflexions morales. En réalité, au-delà de la faisabilité
scientifique et technique de l’enfouissement en couche profonde des déchets radioactifs qui
reste évidemment une condition sine qua non, le débat est ailleurs et réside en la perception de
chacun de certains concepts ; ce qui complique sensiblement la question. Y-a-t-il des relations
conflictuelles entre le nucléaire et l’éthique environnementale ? Pour y réfléchir, nous
démontrerons en quoi le nucléaire et en particulier son talon d’Achille, le déchet radioactif,
posent plusieurs inquiétudes qui ont des implications morales et éthiques (I), à la suite de quoi
nous serons tentés de les rattacher à des principes juridiques (II).
I) Les déchets nucléaires, au cœur de préoccupations éthiques
Comprendre les enjeux du projet Cigéo implique d’avoir un certain recul et de raisonner dans
des échelles de temps inhabituelles. Afin de les saisir, l’étude de la notion de « générations
futures (A) se couplera avec celle de « responsabilité » (B).
A) L’omniprésence de la notion de « génération future » dans la réflexion
Comme déjà évoqué précédemment, le rôle du droit nucléaire est de fixer un équilibre social et
environnemental acceptable entre les dangers et les bénéfices qui lui sont associés.
L’application des principes environnementaux s’impose donc d’elle-même dans le nucléaire et
212 Vial, E., Juriste à l’Andra, « Le concept de responsabilité envers les générations futures dans la gestion et le
stockage des déchets radioactifs », 2003, disponible sur le site de l’OECE à l’URL : https://www.oecd-
nea.org/law/nlbfr/nlb-74/015-025.pdf
213 Semprun, J., L’abîme se repeuple, éd. L’Encyclopédie des Nuisances, 1er janv. 1997.
63
s’y épanouit plus ou moins bien. À ceux-ci s’ajoute le concept de responsabilité envers les
générations futures, problématiquement flou (1), mais à la base de toutes les réflexions (2).
1) Un concept sans délimitation juridique
La prise en compte des générations futures est une préoccupation finalement assez moderne,
bien que le concept soit fluctuant dans le temps. La responsabilité qui y est associée n’est pas
classiquement l’obligation de répondre d’un dommage et d’en assumer les conséquences. Elle
est morale, collective, intergénérationnelle, mais pas juridique dans le sens où l’on ne saurait
être inquiété214. Alors qu’une responsabilité juridique est délimitée par les textes, une
responsabilité morale est sans « frontière tangible et incontestable. »215 Les générations futures
ne sont pas juridiquement définies. Elles n’ont donc pas de droits, ne constituent pas une
catégorie juridique de personnes.
On imagine d’emblée combien ce concept moral peut être arbitraire. On sait que même si la
notion n’est pas applicable juridiquement, elle l’est implicitement à travers toutes les décisions
qui rythment le projet Cigéo et elle est également utilisée par les opposants au projet. Elle offre
une certaine latitude qui peut la desservir. Ce qui est imprécis peut s’avérer dangereux ou
épanouissant. L’éthique est un argument rhétorique fort pour éviter en l’espèce une inégalité
intergénérationnelle, là où les générations futures ne peuvent pas être prises en compte en tant
que catégorie juridique. Seulement, attribuer des droits aux générations futures sur la base de
l’éthique est de l’ordre du fantasme, puisque qui peut prétendre savoir satisfaire par avance
juridiquement les besoins des générations futures ? Les difficultés sont grandes.
Quoiqu’il en soit, ce concept « pousse (…) à résoudre dans un cadre juridique [les questions
relatives aux voies de gestion des déchets] »216, ce qui implique en amont de comprendre les
dimensions qu’il revêt.
2) La difficulté à définir juridiquement ce concept
L’éthique est une partie prenante du projet Cigéo, elle l’est également du nucléaire plus
largement. Il peut s’avérer compliqué de détacher les déchets nucléaires de problématiques plus
214 Vial, E., op. cit., p. 17.
215 Ibidem.
216 Idem, p. 9. À savoir : « quelles procédures juridiques viennent encadrer ces voies de gestion, quel avenir pour
les sites, qui est juridiquement responsable de quoi, qui paie quoi ? »
64
générales. En effet, on entendra régulièrement dans l’opposition que devrait être organisé un
véritable débat national sur les énergies afin que soient prises des orientations claires permettant
par la suite de réfléchir à la question des déchets radioactifs qui ne serait alors pas parasitée par
des logiques politico-économiques. Cigéo a une nature très singulière, « dépasse largement
l’échelle de temps des politiques publiques et échappe au cadre des débats publics
traditionnels. »217 Il invite à repenser la manière de faire des choix en société. Qui plus est, avec
le nucléaire de manière générale, « la notion parfois abstraite en droit de « générations futures »,
semble prendre alors tout son sens. »218
Prendre en compte les générations futures est un objectif encore aujourd’hui indéfini. Autour
du projet Cigéo gravitent des attentes morales qu’il faut savoir retranscrire dans le droit pour
plus de stabilité. De la même manière, la transparence est une notion finalement assez vague
initialement et très médiatique, venant du latin trans (au-delà, à travers), parere (paraître) mais
qui trouve sa traduction juridique en les principes d’information et de participation. La
traduction juridique de la prise en compte des générations futures en matière nucléaire n’est
quant à elle pas claire et cela induit de futurs contentieux. Dans un sujet aussi sensible que le
nucléaire, entretenir la confiance est nécessaire face à un public très vigilant. Prenons un
exemple très récent. Selon des critères définis par l’ASN219, le site choisi pour l’enfouissement
des déchets radioactifs ne doit pas se situer sur une zone renfermant une ressource géothermique
représentant un intérêt particulier. Un contentieux est né lorsque Antoine Godinot, docteur en
géologie met en évidence le caractère exploitable du site choisi pour Cigéo, dont la ressource
« est maintenant officiellement reconnue par le Bureau de Recherches Géologiques et Minières
(BRGM).»220 Cette analyse est confirmée par le cabinet suisse Geowatt, expert à en géothermie,
à la demande du CLIS de Bure221. L’Andra, à la suite d’un forage jusqu’à cet aquifère
217 André, J-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie du débat public Cigéo, Mise en scène d’un débat
et d’un choix politique », DE, n° 224, juin 2014, p. 5.
218 Ibidem.
219 Critères définis par la « Règle fondamentale de sûreté de 1991 », devenue Guide de sûreté en 2008 A2-2.2.1. :
« Géothermie et stockage de chaleur... les sites ne devront pas présenter d’intérêt particulier de ce point de vue. »
220 Voir le communiqué de presse commun du Réseau « Sortir du nucléaire » et des associations ASODEDRA,
BureStop55, CEDRA, Les habitants vigilants du canton de Gondrecourt-le-Château et MIRABEL Lorraine Nature
Environnement du 26 mars 2015, disponible à l’URL : http://mirabel-
lne.asso.fr/content/delibere_geothermie_26032015
221 Geowatt, « Revue du déroulement des opérations du forage géothermique au Trias réalisé par l’Andra », avis
critique et seconde opinion sur l’évaluation du potentiel géothermique », Rapport D1320/01, 4 nov. 2013, p. 17,
disponible à l’URL : http://burestop.free.fr/spip/IMG/pdf/d1320_rapport_clis_vb-2.pdf
65
géothermique par l’intermédiaire du groupement d’opérateurs Saunier et Associés – Solexperts
– Intera (SIS), conclut à l’absence de ressource géothermique exceptionnelle au sens d’un
article faisant référence222. Elle reconnait néanmoins que son raccourci pouvait porter à
confusion lors de l’explication scientifique selon laquelle « la production mesurée en test dans
[le forage] EST 433 (5 m3 /h) est nettement inférieure à la gamme de débits des exploitations
géothermiques (150 à 400 m3 /h). »223 Les associations précitées224, après un courrier de mise
en demeure en 2012, ont assigné le 3 mai 2013 l’Andra en responsabilité pour faute pour
« dissimulation de potentiel géothermique. » Le TGI de Nanterre le 26 mars 2015 a déclaré que
les associations n’avaient pas intérêt à agir. Le jugement n’a donc pas eu pour effet de dissiper
le conflit puisque les associations ont fait appel et l’audience aura lieu début 2017. En soit, il
ne s’agit pas ici trancher sur la question, mais de mettre en perspective les notions de
générations futures et de transparence. Précisément, les requérants s’attaquent au manque de
transparence de l’Andra en parlant de dissimulation. Par ailleurs, l’affaire met en relief le
véritable enjeu de la mémoire du risque et les craintes qu’une civilisation prochaine soit privée
d’une ressource géothermique potentielle ou qu’il y ait une future intrusion humaine qui aurait
des conséquences colossales en matière de santé et sécurité publiques. La notion de générations
futures est donc omniprésente sans avoir de qualification juridique.
B) La notion de « responsabilité » questionnée, voire malmenée
« Le nouvel ordre où se situe l'action humaine exige une éthique qui lui soit proportionnée en
matière de prévision et de responsabilité ; cela est tout aussi nouveau que les questions dont
cette éthique a à traiter. »225 Hans Jonas insiste sur l’éthique de la responsabilité au sein de nos
actions. L’insertion de l’éthique au sein des futures décisions de manière générale, mais aussi
particulièrement concernant le nucléaire et les déchets radioactifs, n’est pas sans conséquence.
222 Bourquin, S., Durand, M., Perin, S., « Lower triassic sequence stratigraphy of the west ern part of the Germanic
basin (west of the Black Forest) : fluvial system evolution through time and space », Sedimentary geology, n° 186,
2006, pp. 187-211.
223 Communiqué de presse de l’Andra, 30 janvier 2013, p. 2, disponible à l’URL :
https://www.andra.fr/download/site-principal/document/communque-de-presse/2013-04-30---cp-andra-
geothermie_v2.pdf
224 Voir supra n° 220. 225 Jonas, H., Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, Flammarion, 2008.
66
Elle fait naître des débats passionnés ayant pour braise la notion de responsabilité, elle-même
au cœur des principes environnementaux. Le choix de l’enfouissement peut être vu à la fois
comme responsable (1), et irresponsable (2).
1) De la peur du risque de paralysie…
Le concept de responsabilité envers les générations futures est sans conteste tourné vers
l’avenir. Or, en matière nucléaire, le temps où le public se laissait être écarté est révolu, il est
devenu véritablement un nouvel acteur sur ces thématiques après avoir été un spectateur très
passif. La première difficulté à obtenir une solution consensuelle est due à « la multiplicité des
acteurs intervenant dans la prise de décision et [à] leurs intérêts divergents »226 : de l’acteur de
l’industrie nucléaire serein quant à la solution technique proposée, à la population « très
attachée au respect scrupuleux des principes généreux », aux responsables politiques qui
devront trancher en dernier ressort entre « toutes ces considérations scientifiques, techniques,
morales, environnementales, de sûreté, économiques et sociales. »227 Notons le vocabulaire
utilisé, révélant des positions assez arrêtées et difficilement conciliables. La responsabilité n’est
pas entendue de la même manière selon les différentes modalités de gestion des déchets
radioactifs ni au fil du temps. En effet, les promoteurs de l’enfouissement craindront qu’attendre
des progrès techniques et scientifiques potentiels favorise la passivité et un désaveu de
l’Homme là où il serait responsable de prendre en charge l’héritage radioactif maintenant afin
de limiter les obligations ultérieurement définies à la charge des générations futures. Ce choix
s’appuie sur la préoccupation selon laquelle « les générations présentes [ayant] tiré des
bénéfices de la production d’électricité à partir d’énergie nucléaire, il leur [appartiendrait donc]
d’assumer seules la gestion des déchets induits par ce procédé. »228 Il s’appuie sur la foi en la
faisabilité technique et scientifique du projet dont les risques ne seraient pas jugés inacceptables
pour les générations futures.
226 Vial, E., « Le concept de responsabilité envers les générations futures dans la gestion et le stockage des déchets
radioactifs », op. cit.
227 Ibidem.
228 Ibid., p. 19.
67
2) ... à l’atteinte à la liberté de choix
Pour d’autres, la responsabilité envers les générations futures est un argument « de nature à
légitimer d’incessantes voies de recherche sans se satisfaire des progrès déjà réalisés. »229
L’insatisfaction n’est alors, pour eux, pas négative puisqu’elle n’engendre pas selon ce point de
vue la passivité, mais stimule la recherche afin de trouver une solution qui serait jugée plus
acceptable envers les générations futures. Une solution qui leur laisserait une liberté totale dans
l’élaboration de leurs choix lorsque les évolutions scientifiques le permettront. En somme, leur
garantir une autonomie de choix en fonction de leurs propres critères d’acceptabilité. Dans
l’attente, est préféré à ce sens un enfouissement en subsurface230.
En soit, la notion de responsabilité est utilisée et sert de justification à deux visions totalement
différentes de l’enfouissement. Les deux façons de concevoir ici la notion de responsabilité se
veulent dans une optique de « sécurisation » des populations à venir, mais leurs visions diffèrent
au niveau de la technique. La première croit aux techniques actuelles, la seconde a foi en celles
à venir.
II) Tentative de rapprochement du concept à des principes juridiques consacrés
Avec plus ou moins de pertinence et de raison, le principe de responsabilité vis-à-vis des
générations futures est souvent rattaché au développement durable (A), ou au principe de
précaution (B).
A) Un concept dans la dynamique du développement durable
Si on peut admettre que le principe de responsabilité envers les générations futures a
sensiblement a à première lecture les mêmes objectifs que le développement durable (1), il
s’agit de mettre en perspective la question bien plus largement (2).
229 Ibidem.
230 Voir glossaire.
68
1) Un concept a priori éclairé par le développement durable
La définition retenue du développement durable se lit dans le rapport Brundtland sous ces mots :
« développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des
générations futures de répondre aux leurs. » L’accent est mis sur une logique, voire un impératif
« d’équilibre et de conciliation »231 entre les approches de l’environnement et du
développement, mais pas seulement. Le développement durable suppose un souci d’équité
intergénérationnel. En ce sens, « ce qui doit être légué aux générations futures, ce n’est pas
seulement un patrimoine naturel de qualité, c’est la possibilité de choisir la façon dont elles
satisferont leurs besoins, ce sont des capacités, des univers de choix. »232 Cette conciliation
entre les dimensions sociales, environnementales et économiques nécessite que nos besoins
soient définis, et de permettre que les besoins à venir puissent également être assouvis. En soit,
il importe donc ce ne pas créer de situation irréversible233, afin de satisfaire « l’exigence de
durabilité [qui implique] des décideurs publics et privés un comportement, des décisions, des
stratégies qui garantissent aux générations futures un large éventail de choix possibles. »234
Le développement durable a été repris par plusieurs textes et est aujourd’hui bien ancré
juridiquement235. La tentation de rattacher le principe de responsabilité envers les générations
futures à cette notion juridique est tentante, mais plutôt que de les assimiler, on devrait préférer
simplement les mettre en perspective. S’ils ont des sensibilités similaires, ils ont aussi des
objectifs qui diffèrent. Selon Eugénie Vials, « le concept de responsabilité ne vise pas à prendre
des décisions concernant la satisfaction des besoins actuels de développement mais à assumer
au mieux des choix faits. »236 Cette nuance vient temporiser le rattachement du principe de
231 Lanfranchi, M-P., « développement durable et droit international public », in Jcl Env., Fasc. 2015, points 1 ;
14.
232 Smouts M.-C., Le développement durable – les termes du débat, A. Colin, 2e éd., 2008, p. 14.
233 Lanfranchi, M-P., « développement durable et droit international public », op. cit, point 15.
234 Idem., point 45.
235 Pour ne citer que lui, l’article L 110-1-II du Code de l’environnement, qui définit l’objectif du développement
durable comme celui qui « vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans
compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »
236 Vial, E., « Le concept de responsabilité envers les générations futures dans la gestion et le stockage des déchets
radioactifs », op. cit.
69
responsabilité des générations futures au développement durable. Par ailleurs, cela est encore
plus délicat quand il s’agit de déchets nucléaires.
2) Focus sur la conciliation entre développement durable et nucléaire
Les questions énergétiques dans le développement durable ont des implications importantes.
Les principes d’information et de participation au sein du nucléaire positionnent le public
comme l’un des protagonistes, de la même manière que la notion de développement durable
replace l’homme au cœur des décisions et est indissociable de la démocratie237. En effet, le
développement durable « suppose la plus grande participation des populations au processus
décisionnel, avec en amont un devoir d’information et en aval la reconnaissance de la capacité
à contester par des voies juridiques la décision adoptée. »238 Favoriser la démocratie directe
ainsi que l’équité intergénérationnelle rappelle très largement les préoccupations suscitées
autour des déchets nucléaires. Le nucléaire peut-il s’insérer dans le développement durable ?239
Cette interrogation rappelle celle de savoir si le projet Cigéo s’accommode de ce qu’implique
le principe de responsabilité vis-à-vis des générations futures. En réalité tout dépend quelle
237 Février, J.-M., « Remarques critiques sur la notion de développement durable », Environnement, n° 2, fév.
2007, étude 2, points 10 à 12.
238 Idem., point 13.
239 Il apparaît intéressant de s’arrêter quelques instants sur cette question, car une réponse par la négative ou par
l’affirmative aurait sans doute des répercussions notables dans le cheminement de pensée du public. Le nucléaire
a pour atout de générer peu de gaz à effet de serre mais cela ne saurait être suffisant. La définition du
développement durable a bien d’autres dimensions. Voir à ce sujet le site de l’association « Adéquations », qui
intervient dans le domaine du développement durable. Il y est notamment expliqué en « une fois avoir pris en
compte l’échelle des investissements requis en amont, le coût des infrastructures nécessaires pour l’ensemble de
la filière nucléaire, incluant le transport des combustibles, la maintenance et le démantèlement des centrales, la
gestion et le stockage des déchets sur le long terme, le nucléaire apparaît comme une source de production très peu
efficace – et hors de portée des pays pauvres» ; que « le nucléaire a ceci de spécifique qu’il induit un risque de
catastrophes majeures susceptibles de compromettre l’équilibre des sociétés et la vie sur des territoires très étendus
durant de longues périodes » ; que « une orientation sociétale aussi lourde a été effectuée par une poignée de
scientifiques, ingénieurs et responsables politiques et économiques, en l’absence de tout débat démocratique ou
même d’informations transparentes. » ; et que « le développement soutenable suppose d’avoir conscience de sa
finitude, d’être capable, dans le présent, de se mettre à la place des générations futures et aussi d’imaginer, dès
maintenant, que d’autres cultures et modes d’organisation des sociétés sont possibles », voir à l’URL :
http://www.adequations.org/spip.php?rubrique372. La source précédente est associative donc orientée, mais on
peut opposer des arguments très rationnels : l’uranium n’est pas une denrée renouvelable. Ainsi que l’explique un
rapport de l’AEIA en date du 26 juillet 2012, « les ressources en uranium identifiées sont toujours suffisantes pour
assurer les besoins du secteur pendant 10 ans au rythme de consommation de 2010 », voir l’article à l’URL :
https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/global-uranium-supply-ensured-long-term-new-report-shows ;
enfin, Benjamin Dessus, ingénieur et économiste, a décrit les critères qui permettraient de rendre compatible le
nucléaire avec la notion de développement durable : « une réelle contribution au développement pour tous, une
impossibilité physique d’accident majeur, une impossibilité physique de prolifération, un inventaire final nul des
matières et déchets à haute activité », précisant d’emblée que « si ces exigences sont imposées sous cette forme
dès aujourd’hui, il n’existe pas de solution au problème posé. » Voir Dessus, B., « Energie nucléaire et
développement durable », L’encyclopédie du développement durable, n° 37, mai 2007.
70
dimension nous lui donnons. Soit nous considérons ce dernier comme un principe d’équité, et
le choix de la gestion des déchets radioactifs HA-VL ne devrait pas être semi-réversible [nous
soulignons] au regard de ce que nous avons exposé plus haut afin de préserver la capacité des
générations futures à faire leurs propres choix sans limite temporelle. Soit nous le considérons
uniquement comme un principe de responsabilité, ce qui conduit plutôt à assumer les choix pris
aujourd’hui.
B) Un concept souvent rattaché au principe de précaution
Le principe de précaution peut être lié à celui de l’équité intergénérationnelle. En effet,
l’exigence de durabilité évoquée plus haut peut sous-entendre plusieurs principes dont celui de
précaution240. S’il affectionne à première vue le principe de responsabilité vis-à-vis des
générations futures (1), les atomes crochus sont plus discutés quand il s’agit de déchets
nucléaires (2).
1) Le principe de précaution, ou « l’éthique de l’anticipation »
Le principe de précaution est ainsi défini à l’article 5 de la Charte de l’environnement : « lorsque
la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques,
pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques
veillent, par application du principe de précaution et dans leur domaines d'attributions, à la mise
en œuvre de procédures d'évaluations des risques et à l'adoption de mesures provisoires et
proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » Nous ne nous attarderons pas ici
sur les controverses que le principe suscite au simple examen de ses termes241. En quelques
mots, il met un danger hypothétique au niveau d’un danger réel. Il invite à repenser la notion
de responsabilité242. Seulement, la frontière est très fine entre le principe de précaution et le
principe de prévention. Le principe de précaution enrichit la logique de prévention d’une
240 Lanfranchi, M.-P., « développement durable et droit international public », op. cit., point 46.
241 Sur sa capacité novatrice par exemple, il ne serait point révolutionnaire mais une version restaurée, « sous un
nouveau nom, de la vertu morale et juridique de prudence » : Le Tourneau, P., Responsabilité (en général),
Répertoire de droit civil, Dalloz, mai 2009 (actualisation juin 2016), point 240 ; sur les craintes qu’il suscite quant
à un risque de paralysie du progrès : ibidem, point 242.
242 Voir Radé, C., « le principe de précaution, une nouvelle éthique de la responsabilité ? », RJE, 2001, n° spécial,
p. 75.
71
nouvelle dimension, une forme de « superprévention » pour un « idéal de sécurité »243, une
éthique de l’anticipation. En ce sens, il implique les générations futures alors même qu’elles
sont encore absentes. Robyn Eckersley dans « l’État Vert, repenser la démocratie et la
souveraineté » propose par exemple d’utiliser le principe de précaution comme mécanisme de
justice intergénérationnelle, ce qui permettrait d’inclure dans le processus de décision des
représentants de non-citoyens, qui seront affectés par les décisions prises.
2) Quid des liens entre principe de précaution et gestion des déchets radioactifs ?
À priori, la notion juridique de la réversibilité est fondée par le principe de précaution. Les
premières réflexions concernant la réversibilité d’un stockage géologique de déchets radioactifs
ont abordé le principe de précaution à travers la reprise des déchets. Or, si la très longue durée
permet d’imaginer des aléas à la suite desquels de nouveaux risques pourraient être identifiés,
les risques liés à la gestion des déchets nucléaires dont connus. On ne peut parler d’absence de
certitude car les dangers encourus par une exposition à la radioactivité sont bien connus. En ce
sens, l’application du principe de précaution aux déchets nucléaires ne s’avère pas pertinente.
En revanche, là où est reconnu le principe de précaution au sujet des déchets nucléaires de
manière anticipatrice et clairvoyante, c’est par l’intermédiaire de la volonté d’élargir le champ
des options techniques au-delà du stockage profond, selon l’article 4 de la loi du 30 décembre
1991, évoquant la solution de la séparation chimique et de la transmutation. En effet, on peut
souligner que « cet élargissement (…) découle du principe de précaution, car on est ici dans le
domaine de l’incertitude, les prévisions concernant les effets de l’enfouissement sur l’homme
et l’environnement étant d’autant plus incertaines qu’elles sont projetées dans un futur lointain
(non exhaustivité des scénarios de risques pris en compte, incertitude sur les valeurs des
paramètres les décrivant). » Notons également que « le stockage profond alimente des
controverses scientifiques et socio éthiques, pour peu que l’on sorte des milieux habituels de la
communauté de l’énergie nucléaire. »244 Finalement, le principe de précaution couplé au droit
des générations futures semble dans un premier temps s’opposer à tout stockage irréversible245.
243 Baghestani-Perrey, L., « Le principe de précaution : nouveau principe fondamental régissant les rapports entre
le droit et la science », Recueil Dalloz, 1999, p. 457.
244 Colson, J.-P., Schapira, J.-P., « La gestion des déchets radioactifs et la nécessité d’une loi nucléaire en France »,
RJE, 1996, Vol. 21, n° 3, p. 251.
245 À ce sujet, voir : Prieur, M., « Les déchets radioactifs, une loi de circonstance pour un problème de société »,
RJE, 1992, Vol. 17, n° 1, pp. 19-47 et plus particulièrement la page 29 où Michel Prieur explique en quoi selon lui
la loi « Bataille » est contraire à la Constitution, notamment parce qu’il estime que « l’option de la loi consistant,
malgré des réserves, à tolérer à terme l’irréversibilité de l’enfouissement en couche géologique profonde, est une
72
D’où la dimension désormais non plus confuse, mais controversée du stockage réversible dont
la réversibilité devient a priori au bout de 100 ans irréversible. C’est cette ambivalence qu’il
s’agit soit de contrer, soit d’assumer. Là où « le droit de l’environnement [est] par définition
créateur de réversibilité »246, le débat reste donc encore ouvert. Pour ainsi dire, il n’a pas changé.
Conclusion de chapitre
Ces réflexions se situent en amont de ce qui va être exposé désormais. Elles étaient
essentielles en ce qu’elles permettaient une lecture éclairée des problématiques générales liées
à l’enfouissement des déchets nucléaires, dont la résolution réside en la capacité de l’industrie
nucléaire à faire preuve de transparence afin que les élus et le public puissent réfléchir avec
pertinence. En effet, l’attitude de la population à l’égard du nucléaire dépend de l’aptitude du
nucléaire à être limpide sur les questions que posent cette énergie, et par extension le projet
Cigéo. Cela conduit à repenser les principes évoqués qui gravitent autour de Cigéo, afin de
comprendre réellement nos besoins ainsi qu’adopter une démarche claire et constructive qui ne
pénalise pas les générations futures. Le projet Cigéo pose alors de par son rapport au temps la
question très actuelle de la justice intergénérationnelle247. Il s’agit désormais d’étudier la mise
en œuvre des principes d’information et de participation au projet Cigéo, ayant en tête ces
questionnements principaux et le passif opaque de l’industrie nucléaire en matière de
transparence. Cette perspective est dans la continuité de ce qui a déjà été analysé. La démarche
se veut éclairante et prend son sens dans un contexte qui promeut l’implication citoyenne, la
démocratie environnementale, la démocratie participative, et s’interroge sur la manière de faire
des choix en société.
atteinte au Préambule de la constitution de 1946 en tant que violation du droit à la santé pour les générations futures
[alors que] le Conseil a déjà reconnu que la protection de la santé est un principe de valeur constitutionnel. » Il
prône par ailleurs « au nom du droit des générations futures l’interdiction de toute forme de stockage souterrain,
car compte-tenu des aléas à long terme quant à sa sécurité, il porte nécessairement atteinte au droit des générations
futures sur la base des connaissances actuelles. » Sa position est discutée et discutable, mais c’est toujours celle
des opposants actuels au projet Cigéo.
246 Voir supra n° 244, p. 259.
247 Sur cette question de la justice intergénérationnelle en général, lire : Gosseries, A., Penser la justice entre les
générations, Paris : Aubier, 2004.
73
TITRE II – Illustration de la difficulté de la mise en œuvre
des principes d’information et de participation du public
au regard du projet Cigéo
La façon dont est mené le projet Cigéo dans ses dimensions passées (les années 80), actuelles
(l’ouverture progressive du centre), et potentiellement futures (les phases de fermeture), est
l’occasion de démontrer comment le spectre opaque des années passées pèse encore aujourd’hui
; notamment par une application discutable des principes d’information et de participation, qui
ont en eux-mêmes une dimension à la fois large et restreinte, et de façon générale une
application vaste en contrastes. Cette réflexion, spécifique à Cigéo, peut se lire dans la
continuité des très nombreux travaux réalisés au sujet de ces sacro-saints principes248 dont les
espoirs pesant sur leur réalisation pratique sont plus que légitimes en plus d’être dans l’air du
temps ; le citoyen d’aujourd’hui est informé, est invité à participer, mais peut-il se réjouir
d’avoir un impact réel dans une prise de décision finale ? En effet, la participation du public sur
le plan juridique telle qu’elle est conçue par le droit n’a pas de portée décisionnelle. Pour autant,
le public, entendu largement, est invité à s’exprimer dans le dessein d’être influent dans
l’élaboration de la norme finale. Toute la finesse du principe de participation réside dans la
capacité des décideurs à prendre en compte ce qui a été mis en lumière par le public et à désirer
réellement qu’il soit actif dans le processus. Cette question sera étudiée de près mais sans redite
des essais, réflexions, et écrits réalisés sur ces principes puisqu’elle le sera à travers le cas
concret et expérimental qu’est le projet Cigéo.
Aussi, il s’agit de savoir si le projet Cigéo a su faire oublier l’univers opaque du nucléaire à
travers l’association du public dès les premières évocations du projet à sa réalité d’aujourd’hui,
ainsi que de comprendre de quelle manière ces principes ont été appliqués afin de répondre à
cette question : pouvons-nous être juridiquement satisfaits de la manière dont les procédures
participatives ont été orchestrées (Chapitre I) ?
248 Dont la très intéressante, très fouillée et complète thèse soutenue par Raphaël Brett le 1er décembre 2015, « La
participation du public à l’élaboration des normes environnementales ». Il rappelle notamment dès la page 16
combien la protection de l’environnement et l’aménagement du territoire suscitent des conflits entre la société
civile et les pouvoirs publics au regard de la légitimité de la décision et combien lorsqu’il s’agit de l’environnement
la notion de communauté prend davantage de sens. En effet, en la matière et bien au-delà d’une version romancée,
puisque toute décision et tout acte de l’homme ont un impact sur une terre commune, on observe la tendance à une
responsabilisation collective. Puisque l’on se sent davantage responsable de ce que l’on a décidé, la participation
à la norme environnementale est par bien des aspects très souhaitable, très souhaitée, mais souffre également de la
difficulté (devrait-on dire de l’impossibilité ?) d’obtention d’une satisfaction générale.
74
Dans la continuité, la suite de cette réflexion s’attachera, toujours à travers ce cas expérimental,
à montrer que le nucléaire et la société civile ne sont pas encore parvenus à dépasser le stade
du rapport de force, ce qui a des conséquences sur l’effectivité juridique des principes
d’information et de participation et ce qui, a priori, rend plus difficile l’évaluation de leur
efficacité que dans tout autre domaine (Chapitre II).
Chapitre I – Étude des procédures participatives
environnementales appliquées à ce cas d’école
Le cadre juridique dans lequel s’insère la participation du public qui s’applique de jure au projet
Cigéo est maintenant bien connu. Un questionnement qui va se poursuivre tout au long de ce
chapitre sera celui de comprendre ce que recouvre véritablement ce principe, ses contours et
ses détours, et ce parallèlement à la mise en exergue de ce qui a été réalisé en matière
d’information et de participation du public au niveau national et local. Un projet de cette
envergure nécessite effectivement un temps de réflexion qui ne ressemble à aucun autre. La
thématique temporelle apparaît comme une partie prenante du projet et la réflexion menée n’en
est que davantage complexe249, à commencer par le fait qu’il n’est pas commun de devoir
prendre une décision dont les conséquences concerneront davantage des générations très
futures. Le fossé soulevé par Cécile Duflot250 entre la décision politique ponctuelle et un projet
249 NB. Lors de la discussion de la proposition de loi à l’Assemblée Nationale en première séance du 11 juillet
2016, qui avait été préalablement adoptée par le Sénat et précisant les modalités de création d’une installation de
stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de HA-VL, cette thématique temporelle
a été soulevée à plusieurs reprises bien qu’elle ne fut pas utilisée de la même manière : le climat de tension local à
Bure et national se ressentent également dans l’hémicycle. Un exemple intéressant fut posé par Cécile Duflot,
députée de la 6ème circonscription de Paris, où elle insiste sur le fait que « les actes considérés auront des
conséquences pendant des millénaires. Cette perspective comporte évidemment quelque chose de vertigineux (...)
Le temps politique est souvent soumis au chronomètre électoral, considéré comme seul juge de paix de nos
arbitrages. (…) L’art de gouverner (…), est aussi l’art de plaire dans le temps immédiat. [Qu’elle] ne découvre pas
cette réalité, qui est ancienne, et [n’a] aucune naïveté au sujet de l’état de nos démocraties et du débat public. La
crise démocratique nous la connaissons et nous la constatons (…). » Au-delà du point de vue défendu, on remarque
qu’en quelques lignes sont soulevés à la fois la question du « temps » pour trois idées différentes, la crise de la
représentation, la crise démocratique, et l’état du débat public. De plus est pointée la difficulté de penser la prise
de décision politique au long terme.
250 Ibidem.
75
d’une telle envergure prend alors tout son sens. On peut même effectivement parler sans
emphase d’un hiatus abyssal251 lorsqu’il s’agit des déchets nucléaires.
En revenant à la participation du public, puisque c’est sur ce sujet que ce chapitre est
axé, on peut affirmer d’emblée qu’elle sous-entend la recherche d’un processus de réflexion en
amont d’une décision horizontale252. Il ne faut donc pas enjoliver un principe qui n’a jamais eu
la prétention d’apporter une prise de décision à l’équilibre entre le pouvoir public et la société
civile. En revanche, nous pouvons supposer que l’ambiguïté que soulève ce principe est à la
source de ce qui va longuement être rapporté par la suite, soit le manque d’acceptabilité sociale
du projet Cigéo. Ce principe d’information perd de sa clarté lorsqu’il est confronté à la réalité
du terrain. En effet, « participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur
l’environnement » peut être compris différemment par tous, mais d’autant plus au sein de
rapports de force comme celui qui s’est instauré entre les opposants au projet Cigéo et l’Andra.
Il ressort de ce qui va suivre que selon l’Andra, le public a bien été associé au projet dès le
début, à chaque stade du projet, et qu’il est prévu qu’il le soit aux prochaines étapes253. À
l’inverse, pour le public et en particulier pour l’opposition, les remarques selon lesquelles sa
participation ne serait qu’un leurre, ignorée ou noyée dans des opérations de communication
voire achetée par l’accompagnement économique des territoires sont récurrentes. Il n’est pas
l’heure de tirer des conclusions hâtives, mais la lumière sur la réalité ou non de la prise en
compte de la participation du public à ce projet va tenter d’être réalisée. Cette démarche semble
importante en ce qu’elle permet de savoir à travers un cas concret et expérimental si le droit a
su répondre aux attentes du public dans sa demande croissante de participation. De fait,
251 Brett, R., La participation du public à l’élaboration des normes environnementales, Université Paris-Saclay,
2015 p. 18, extrait : « Nombre de penseurs de Hans Jonas à Michel Serres ont (…) souligné le hiatus abyssal
existant entre le temps et l’envergure de la décision politique ordinaire, rythmé classiquement par les échéances
électorales de la démocratie schumpetérienne et ceux de la décision protectrice de l’environnement, respectivement
plus long et plus grande. »
252 Dès 1988 et alors même que le principe de participation n’avait pas encore été inscrit dans un texte pourvu de
force contraignante, sa signification était ambigüe. En effet, Michel Prieur définit à cette époque la participation
« comme une forme d’association et d’intervention des citoyens à la préparation et à la prise de décision
administrative » dans : « Le droit de l’environnement et les citoyens : la participation », RJE, année 1988, vol. 13,
n° 4, p. 398. On imagine d’emblée l’engouement mais aussi les controverses, les satisfactions mais aussi les
aspirations pour beaucoup démesurées, suscitées par une association des citoyens à une prise de décision
administrative.
253 Le journal de l’Andra, édition Meuse/Haute-Marne, n° 22, automne 2015, p.19 : « la société civile a été
impliquée dès l’origine du projet et l’Andra prévoit qu’elle le sera tout au long de son exploitation. Cela permettra
à la société de participer aux décisions prises au sujet du stockage et donc de mettre en place un pilotage collectif. »
76
l’articulation de ce chapitre s’imposerait presque de manière chronologique afin d’étudier
constructivement la participation du public dès les premières évocations du laboratoire.
Il convient donc de se concentrer dans un premier temps sur une période qui s’étale de 1987 à
2005, période où une opposition importante se met en place. Il sera instructif de voir quelle
manière le public fut informé et invité à participer durant ce long laps de temps (Section 1). Il
apparaît judicieux de poursuivre cette démarche sur la période de 2006 à aujourd’hui (2016),
ce qui permettra à la fois de tirer un bilan intéressant du débat public de 2005 mais également
de mieux comprendre le rapport de force qui est à son point culminant à l’heure où cette analyse
est rendue, conséquence d’une association du public efficace selon certains, en demi-teinte pour
d’autres (Section II).
Section 1- Observations sur l’implantation houleuse du laboratoire et regards critiques
sur le débat public de 2005
Afin que cette étude ne soit pas redondante avec l’abondance et la richesse du sujet de
la participation du public qui sont dues à sa transversalité, s’attarder sur la réalité du terrain à
Bure est intéressant. Cette démarche nécessite de revenir un temps sur une loi qui n’est pas
étrangère aux tensions à venir, dont la non-application totale est plus discutée que son contenu
même, la loi Bataille254. En conséquence, la rencontre entre Bure et le projet Cigéo apparaît
comme un échec relationnel précoce (I). Ce climat quelque peu factuel et général est essentiel
pour ensuite approfondir la question de la participation du public au débat public de 2005 sur
les options de gestion des déchets radioactifs à travers la confrontation des aspirations du public,
des réponses de l’Andra, et des travaux rendus par la CNDP (II).
I. La rencontre entre Bure, village rural et le projet de stockage géologique des
déchets radioactifs : un échec relationnel précoce ?
Les premiers rapports entre le public ont été conflictuels (A), ce qui a largement contribué à
creuser prématurément un fossé (B).
254 Pour rappel, la loi dite « Bataille » du nom de son rapporteur, Christian Bataille, n° 91-1381 du 30 décembre
1991 et par la suite codifiée aux articles L. 542-1 et suivants du Code de l’environnement, première à avoir fixé
les grandes orientations relatives aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie
longue.
77
A) Un apprivoisement du peuple ressenti à la fois comme précipité et tardif
Face à un mécontentement général dû à une stratégie autoritaire (1), le texte de la loi « Bataille »
ne fut pas respecté à la lettre, ce qui entraîna dès lors un déficit de confiance (2).
1) Face à des oppositions radicales, une stratégie critiquable
L’acceptation du public d’une structure destinée à accueillir des déchets nucléaires ne pouvait
se faire sans difficulté. Il est essentiel de revenir brièvement à la fin des années 80, afin de
réaliser un léger historique255 à l’issue duquel sera mieux compris le cas de Bure dans ses
dimensions passées.
Lorsque la solution industrielle préconisée pour se séparer des déchets radioactifs consistant en
leur déversement dans les océans se voit limitée par des traités internationaux256 pour des
raisons essentiellement morales sociales et politiques, la nouvelle solution promue par
l’industrie nucléaire est celle de leur enfouissement à plusieurs centaines de mètres sous terre.
Dès 1987, quatre régions seront choisies par l’Andra pour étudier cette possibilité, sites aux
formations géologiques différentes257. À la suite de ce choix unilatéral, des groupes anti-déchets
vont se former, ainsi qu’une mobilisation d’élus et de manifestants. Au sein de deux des sites
choisis, une lutte importante aura lieu entre 1987 et 1992. Un durcissement des rapports émerge
entre l’Andra et la population qui va se traduire par des affrontements importants avec les forces
de l’ordre258. La lutte est une victoire pour l’opposition, le « vademecum » pour implanter un
laboratoire pour réaliser des recherches souterraines n’a pas fonctionné259. Le 20 janvier 1990,
255 Courant alternatif, n° 233, octobre 2013, p. 11. Disponible sur http://oclibertaire.free.fr/upl/CA233.pdf. Nb : il
est étrangement difficile de trouver des presses de l’époque relatant les faits alors même que la mobilisation dont
il est fait état va durer jusqu’au début des années 90’ et sera victorieuse pour l’opposition.
256 Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets, dite « Convention
de Londres », adoptée le 13 novembre 1972 et entrée en vigueur le 20 août 1975, connue comme étant le premier
dispositif international interdisant l’immersion de déchets fortement radioactifs et exigeant une autorisation
spéciale pour immerger les déchets faiblement radioactifs.
257 L’argile dans l’Aisne, le sel dans l’Ain, le schiste dans le Maine- et Loire et le granit dans les Deux-Sèvres.
258 La mobilisation n’est pas sans rappeler celle de Notre-Dame-des-Landes par la diversité des moyens utilisés
(souvent des actions directes telles que des routes bloquées, sacs de souffre enflammés autour du terrain,
organisation de péage gratuit, la détermination de milliers de personnes (entre 10 000 et 20 000 personnes
recensées à chaque manifestations, remises en culture lors de l’achat des terres par l’Andra, etc.). Les sites Andra
se transforment en camps entourés de tranchées, de grillages et de barbelés. La lutte est vraiment multiforme.
259 Cette idée est exprimée dans le rapport de l’administration du CEA, en 1989, à l’extrait suivant : « Il apparaît
de plus en plus que la contrainte principale dans ce domaine [l’enfouissement des déchets radioactifs] est la
capacité de la population locale à accepter le principe de stockage, beaucoup plus que les avantages techniques
relatifs des différents types de sols (granit, schiste, argile, sel). Dans ces conditions, il semble indispensable que le
78
Michel Rocard annonce sa décision d’un moratoire d’un an pour prendre le temps de réexaminer
le dossier et d’organiser l’évacuation des quatre sites par l’Andra. Un premier avis est rendu le
6 avril 1990 par le Collège de prévention des risques technologiques pour le stockage des
déchets nucléaires HA-VL, à vocation interministérielle260 et crée par décret261 qui va se
montrer assez critique262.
Lorsque sort le rapport Bataille263 « sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité » le
challenge est important. En effet, alors que le premier dispositif utilisait la formule du fait
accompli et n’avait pas fonctionné, un autre schéma d’acceptation a été tenté264. Il était
également prévu qu’il y ait un recours « aux ressources de la démocratie et de l’information.
»265 Ceci étant, une lecture plus approfondie du rapport peut faire ressentir un processus plus
inéluctable qu’il n’y paraît. Est-ce dû à un regard abusivement rétroactif ? Pas nécessairement,
car ces peurs étaient déjà acquises par certains contemporains. Le 1er juin 1991 sort la « RFS
III.2.f. »266, la CRIIRAD ne manquera pas de déplorer « un texte dépourvu de tout critère
choix du site soit fait rapidement par les pouvoirs publics pour éviter toute cristallisation de l’opinion publique sur
des projets dont trois sur quatre seront en tout état de cause abandonnés. » Disponible uniquement sur consultation
à la Bibliothèque Centrale du Conservatoire national des arts et métiers.
260 CPRT, « Déchets et produits de la récupération, Déchets nucléaires : stockage », avis du 6 avril 1990 sur le
stockage souterrain des déchets nucléaires à vie longue.
261 Décret n° 89-85 du 8 février 1989.
262 Gazette nucléaire, n° 103/104, p. 20, extraits rapportés : « Quant aux autres déchets à vie longue, ils ne
nécessitent pas un stockage souterrain immédiat... Si les conditionnements actuellement pratiqués ne présentaient
pas, sur une longue durée, une stabilité suffisante, il conviendrait, non pas d'enfouir ces déchets prématurément,
mais de les soumettre à de nouveaux conditionnements... (..) … plusieurs laboratoires souterrains, et non un seul,
devront être crées. »
263 Bataille, C., Rapport n° 184 (1990-1991), fait au nom de l’OPESCT. Christian Bataille, alors député socialiste
de la 22ème circonscription du Nord, ayant été nommé rapporteur le 30 octobre 1990.
264 Idem., p. 2 : Le programme d’étude devra être engagé pour informer le Parlement sur « les différentes méthodes
de stockage définitif des déchets radioactifs, les solutions envisagées pour les stockages des déchets radioactifs
dans les autres pays utilisant l’énergie nucléaire, les risques que pourrait éventuellement présenter le stockage
souterrain des déchets à vie longue dans les différentes formations géologiques potentiellement favorables, les
éventuels inconvénients et avantages qui pourraient résulter de ces stockages pour les populations des sites qui
seraient choisis et les mesures d’accompagnement qui pourraient être prises en faveur de ces populations, les
modalités d’information du public et de prise en compte des arguments présentés par les personnes et les
groupements favorables ou opposés au projets de stockage. »
265 Id., p. 102.
266 Règles fondamentales de sûreté relatives aux installations nucléaires de base autres que les réacteurs. La RFS-
III.2.f. définit les objectifs à retenir dans les phases d’études et de travaux pour le stockage définitif des déchets
radioactifs en formation géologique profonde afin d’assurer la sûreté après la période d’exploitation du stockage.
Elle a été abrogée par le guide de sûreté relatif au stockage définitif des déchets radioactifs en formation géologique
profonde du 12 février 2008. Ce rapport est disponible sur le site de l’ASN :
79
objectif. »267 Le manque de précision a pour conséquence d’entretenir une forme de « flou »
envers le public qui n’a pas toutes les clefs pour lire entre les lignes.
2) Les suites inattendues d’un texte de loi prometteur
Surtout, le 30 décembre 1991, la loi « Bataille » est votée fixant pour la première fois les
grandes orientations relatives aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs HA-VL et
convoquant le législateur en 2006 pour tirer ultérieurement un bilan des recherches menées
entre temps268. Le corps de la loi insiste sur un processus se voulant démocratique, il est dès
lors prévu que la CNE en tant que commission indépendante évaluera le rapport global des
recherches et que l’exécution de la loi sera contrôlée par l’OPECST. Par ailleurs, le processus
réglementaire se veut transparent puisque l’installation d’un laboratoire souterrain ne pourra
s’effectuer qu’à l’issue d’une concertation préalable avec les élus et les populations, et sont
prévues par cette loi et ses décrets d’application l’organisation d’une enquête publique et d’une
consultation des collectivités locales concernées sur le dossier de demande d’autorisation
d’installer et d’exploiter un laboratoire qui, une fois accordée, est subordonnée à un décret en
Conseil d’État. Localement, une CLI devra être créé autour de chaque laboratoire dont la
vocation sera de devenir un lieu d’informations et d’échanges sur les objectifs, l’avancement et
les résultats des recherches. La loi a enfin également prévu des mesures d’accompagnement
économique des territoires autour des laboratoires dont la mise en œuvre est facilitée par la
constitution de GIP. Le cadre prévu est dans les textes rassurant. Pourtant, lors de sa
préparation, de nombreux parlementaires, au-delà des étiquettes politiques, se posaient des
http://www.asn.fr/Reglementer/Regles-fondamentales-de-surete/RFS-relatifs-aux-INB-autres-que-REP/RFS-
III.2.f-du-01-06-19912
267 Revue d’information CRIIRAD, n° 2, juillet 1994. Elle illustre cette affirmation par les exemples suivants : -
"les colis de déchets doivent assurer une pérennité suffisante"; - "les caractéristiques de confinement des colis
devront contribuer à la limitation de dissémination des radionucléides"; - "les vides créés lors de la réalisation du
stockage devront être comblés pour rétablir autant que possible l'étanchéité du milieu"; - "les barrières ouvragées
de remplissage devront avoir une qualité et une longévité en rapport avec le rôle qui leur sera assigné..."; - "la
barrière géologique doit assurer, à long terme, une capacité d'isolation suffisante des radionucléides"; -
"l'hydrogéologie du site devra être caractérisée par une très faible perméabilité de la formation hôte...", etc.
268 Pour rappel, portant sur la séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue menées par le
CEA, les possibilités de stockage dans les formations géologiques profondes et l’étude de procédés de
conditionnement et d’entreposage de longue durée en surface par le CEA
80
questions sur la finalité du projet de loi et exprimaient notamment des craintes que certains
choix soient déjà entérinés269, et sur la capacité de l’industrie nucléaire à accepter le débat270.
Les années qui suivirent ont terni ce texte prometteur. Il aurait été intéressant de s’attarder
longuement sur les diverses oppositions qui se sont tenues sur le terrain.271 Cette lutte est très
riche par l’association d’habitants et d’élus locaux « qui se constituent en collectifs,
s’informent, constatent que ce projet est porteur d’inconnues majeures et récurrentes,
transmettent l’information aux autres sites et réussissent - presque partout – à faire valoir leur
refus. »272 La coordination porte ses fruits puisque à la suite de ces oppositions radicales autour
des sites approchés, le député Christian Bataille est missionné en 1993 par le gouvernement
pour susciter des sites volontaires. Il apparaît que l’Etat se sente alors contraint de développer
des stratégies d’acceptabilité273, car les années qui viennent de s’écouler ont mis en lumière
l’hostilité des populations vis-à-vis de l’enfouissement, résultant notamment de
l’incompréhension de la démarche jugée trop sûre d’elle et précipitée. Ce changement
d’approche est ainsi destiné à faire avancer les étapes de la réalisation du projet de
269 AN, rapport n° 127 (1991-1992), discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 110, 1991-1992), adopté
avec modifications par l’AN en deuxième lecture, relatif aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs,
extraits des propos tenus par Paul Girod, sénateur de l’Aisne : « il ne me semblerait pas convenable, en tout cas,
que le Parlement français adopte une loi sur le traitement des déchets apparemment ouverte à plusieurs pistes de
recherche, mais en réalité totalement axée sur la seule solution de l’enfouissement définitif (…). Or, si l’on veut
que les autres soient explorées, le seul moyen consiste à bloquer toute recherche sur cette solution de facilité (..)
qui pénalisera lourdement la région dans laquelle elle sera appliquée. Voilà pourquoi, en première lecture, j’avais
déposé un certain nombre d’amendements tendant à interdire toute recherche en matière de stockage souterrain
aussi longtemps qu’on n’aurait pas eu la preuve que les autres directions étaient des impasses. »
270 AN, séance du 27 juin 1991 « Élimination des déchets radioactifs – Suite de la discussion d’un projet de loi »,
extraits des propos tenus par Jean De Gaulle, député UMP des Deux-Sèvres, « En réalité, nous l’avons bien
compris, vous [le Premier Ministre] avez déjà opté pour l’enfouissement irréversible des déchets radioactifs. Tout
le reste n’est qu’habillage. »
271 On pense notamment à la création d’associations sur les différents sites et à de nombreuses réunions dans les
communes, ainsi qu’aux manifestations de rues mobilisant des milliers de personnes. Dans l’arrondissement de
Fougères, cela aboutit au vote le 13 avril 1993 par 48 conseils municipaux sur 57 d’une motion demandant
l’abandon de toute étude sur la région.
272 Collectif Bure STOP ! 55, Notre colère n’est pas réversible – Enfouir les déchets atomiques : le refus, nov.
2014, p. 5. Ce recueil retrace la lutte contre le projet d’enfouir et la mobilisation entre les années 1980 et 2014. Le
travail d’archive est impressionnant et s’appuie sur 20 ans de témoignages d’opposants, de citoyens ainsi que de
prises de positions des élus et de responsables.
273 La tribune de l’expansion, Aline Richard, 25 juin 1991, extrait : « Pour réduire l’opposition écologiste au
stockage des déchets nucléaires, les pouvoirs publics proposent aux parlementaires de conjuguer transparence des
pratiques et incitations financières. » C’est en ce sens qu’est utilisée l’expression « stratégie d’acceptabilité ». Il
est vrai que la presse d’époque relatant les faits et disponible encore aujourd’hui sur ce sujet a souvent un fond
idéologique. Néanmoins, ces sources sont importantes pour nourrir cette réflexion prospective, car on peut déceler
très tôt que les stratégies d’information sont mal perçues ou comprises comme des opérations de communication,
s’apparentant à de la séduction.
81
laboratoire274. Sont promises des compensations financières, une reconnaissance nationale, des
perspectives de développement économique local. Cette technique fonctionne, puisque la même
année Christian Bataille est en mesure de proposer quatre départements d’implantation
différents au gouvernement : le Gard, la Haute-Marne, la Meuse et la Vienne. La lutte se
poursuit, les collectifs275 déplorant la tournure jugée illégitime des accords donnés par les
conseils généraux. Le gouvernement annonce cinq années plus tard, le 9 décembre 1998, le
creusement du laboratoire souterrain dans la Meuse, l’abandon du site dans le Gard à cause de
pressions sociales et populaires trop importantes ainsi que de la Vienne pour des raisons
géologiques. Bien que de février à juin 1999 la consultation populaire par l’association des élus
meusien révèle une large majorité de « non » (bien qu’une faible participation soit à noter), un
décret276 autorise l’Andra à installer un laboratoire à Bure le 3 août 1999.
D’emblée, cette réussite pour le gouvernement ne fait pas oublier qu’à l’origine, dans le texte
de la loi « Bataille », plusieurs laboratoires de recherches devaient être construits : le fait qu’il
soit alors l’unique lui fait perdre son côté expérimental, caractéristique qui rassurait ceux qui
craignaient un processus écrit par avance. L’abandon de la construction face à la pression
sociale et la hâte affichée d’avancer dans le projet ont rendu les rapports entre les populations,
le gouvernement et les élus et la confiance mutuelle fragiles. La confiance en la loi pourtant
primordiale s’amenuise. La population s’est sentie pressée par le temps, consultée tardivement.
B) Un fossé creusé prématurément entre l’industrie nucléaire et le public
concernant le laboratoire
À la suite du décret précité, la mémoire des années passées laisse un climat tendu et de
suspicion. En témoignent des recours juridiques intéressant notre sujet (1), et des attentes
274 Guillaume, H., Pellat, R., Rouvillois, P., Rapport sur le bilan et les perspectives du secteur nucléaire en France,
mai 1989, extrait : « La réalisation rapide du site de stockage souterrain apparaît indispensable : elle seule permet
de « boucler » efficacement le cycle du combustible. (…) Il apparaît de plus en plus que la contrainte principale
dans ce domaine est la capacité de la population locale à accepter le principe de stockage, beaucoup plus que les
avantages techniques relatifs des différents types de sols (granite, schiste, argile, sel). Dans ces conditions, il
semble indispensable que le choix du site soit fait rapidement par les pouvoirs publics pour éviter toute
cristallisation de l’opinion publique sur des projets dont trois sur quatre seront en tout état de cause abandonnés. »
275 Collectifs citoyens « anti-labo » tels que le CDR (55), CEDRA (52), CACENDR (54), CENDR (88), Collectif
Rhodanien (30), Coordination Vienne-Charente (86).
276 Décret n° 99-687 du 3 août 1999 autorisant l’Andra à installer et exploiter sur le territoire de la commune de
Bure (Meuse) un laboratoire souterrain destiné à étudier les formations géologiques profondes où pourraient être
stockés des déchets radioactifs, publié au JORF n° 180 du 6 août 1999 dans sa version initiale.
82
sérieuses des citoyens en matière d’information et de participation à l’aube du premier débat
public, de 2005 (2).
1) Des recours juridiques révélant des efforts de transparence en amont insuffisants
Ces débuts relationnels chaotiques vont mener à des conflits qui se régleront devant la justice.
À ce titre, le défi que s’impose l’industrie nucléaire de s’ouvrir au public est loin d’être
remporté, bien que la justice lui donne souvent raison. Les collectifs n’hésiteront pas de leur
côté à qualifier le nucléaire « d’insoluble dans la démocratie. »277
Au-delà des communiqués et des articles de presse à tendance idéologique, il est pertinent de
voir ce qu’il ressort de ces recours juridiques.
Un collectif d’opposant avait déposé un recours devant le Conseil d’État, au motif duquel
l’article 6 de la loi « Bataille » prévoyant « une concertation avec les élus et les populations des
sites concernés » pour tout projet d’installation d’un laboratoire souterrain n’avait pas été
respecté lors de l’implantation de celui de Bure. Si les conclusions du Commissaire du
Gouvernement relataient que la concertation avait été davantage conduite avec les élus
politiques qu’avec les populations278, le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation du
décret d’implantation du laboratoire279.
Un second recours a été déposé par le collectif précité contre le décret du 3 août 1999 autorisant
l’installation et l’exploitation du laboratoire de recherche à Bure. M, Delrez, membre du
collectif, souhaitant son annulation pour versement illégal de subventions aux élus pendant
l’enquête publique et pour insuffisance de l’étude d’impact. Le requête est déclarée irrecevable
par le Conseil d’État le 21 novembre 2001 pour manque d’intérêt à agir, son domicile n’étant
pas situé dans un périmètre de 10 km autour du site, alors que selon le requérant la région
lorraine dans son entièreté est concernée par le décret en cas de risques encourus par la
radioactivité. On imagine la difficulté face à un risque nucléaire en tout genre, à déterminer
pertinemment la population concernée et devant être informée en priorité, ou participer aux
décisions traitant d’installations ou projets comportant des risques de pollutions radioactives280.
277 BURE : STOP ! « Le nucléaire, insoluble dans la démocratie », 2014, p. 20.
278 http://burestop.free.fr/politic2.htm
279 CE, Section, 28 novembre 1997, n° 156773 156806 163085.
280 On pense alors à « la démocratie des affectés », idée développée dans Eckersley, R., The Green State :
Rethinking Democracy and Sovereignty, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2004. Idée audacieuse, selon laquelle
83
Effectivement, « cette décision est sujette à critique dans la mesure où le juge considère avant
toute expérimentation que le requérant habitant à 90 km du site n’encourt aucun risque. »281 Si
l’installation du laboratoire est considérée comme une décision d’importance locale, le Conseil
d’État avait déjà eu l’occasion d’affirmer que la construction d’une centrale nucléaire est une
décision d’importance nationale caractérisant l’intérêt à agir d’une association à vocation
générale pour contester le permis de construire282. C’est dans ce contexte que la Cour
administrative d’appel de Nancy a été saisie en appel du jugement du 30 mai 2000 par lequel le
Tribunal administratif de Nancy avait rejeté la requête du collectif demandant l’annulation de
l’arrêté inter-préfectoral du 10 mars 1998283 que le plaignant soutenait illégal. À ce titre, le
collectif s’appuie sur l’irrégularité de deux procédures préalables obligatoires : l’étude d’impact
et l’enquête publique. L’étude d’impact en ce qu’elle serait insuffisante et ne prévoyait ni
l’impact sur l’eau et sur le milieu aquatique des sources radioactives utilisées dans le laboratoire
souterrain pour étudier la migration dans l’argile des traceurs radioactifs, ni l’existence d’une
faille géologique, s’appuyant par deux fois sur une contre-expertise. Cet argument fut refusé
par la Cour qui s’appuya sur les données scientifiques fournies par l’Andra ne démontrant pas
d’incidence sur les eaux et le milieu aquatique et n’estimant pas la faille susceptible de présenter
un danger pour l’installation du laboratoire. Sans remettre en question l’intégrité des études
réalisées par l’Andra, il est regrettable que la Cour s’appuie exclusivement sur celles-ci284.
Concernant l’irrégularité de l’enquête publique285, la Cour rejeta l’argument selon lequel un
courrier adressé par un membre du collectif avait été annexé au registre trop tardivement.
tous ceux potentiellement affectés par un risque devraient avoir la possibilité de participer au processus politique
et aux décisions qui engendrent le risque en question ou d’y être représentés.
281 « Chronique des arrêts de la Cour administrative d’appel de Nancy », LPA, 20 juin 2002, n° 123, p. 9.
282 CE, « Association les amis de la terre », 20 juin 1994, publié au Recueil Lebon, p. 233.
283 Pris en application de la loi sur l’eau du 3 janvier 1992 et autorisant l’Andra à rejeter dans le milieu naturel des
eaux traitées, pluviales et d’exhaures lors de l’installation et de l’exploitation du laboratoire.
284 « Chronique des arrêts de la Cour administrative d’appel de Nancy », LPA, op.cit., p. 233. En effet, il est
souligné que « en raison de l’importance du projet qui s’inscrit dans le cadre d’une politique du nucléaire, les
polémiques sont inévitables et prévisibles d’où l’importance pour l’étude d’impact de prendre en compte toutes
les données susceptibles de faire l’objet de contestations quitte à démontrer qu’elles n’ont finalement pas
d’influence sur la régularité de l’étude. Enfin, les moyens scientifiques ne doivent pas être disproportionnés au
profit du maître d’ouvrage, une contre-expertise indépendante s’avérerait utile. »
285 Devant être réalisée selon les termes de l'article 15 du décret n° 85-453 du 23 avril 1985 pris pour l'application
de la loi n° 83-630 susvisée du 12 juillet 1983, applicable notamment aux enquêtes publiques relatives aux
laboratoires souterrains destinés à étudier l'aptitude des formations géologiques profondes à stocker des déchets
radioactifs, en vertu de l'article 2 du décret no 93-940 du 16 juillet 1993.
84
Enfin, concernant l’accusation selon laquelle les élus avaient reçu de l’Andra pendant et avant
l’enquête publique des subventions286, la Cour considéra que ces dernières ayant été versées par
une commission tripartite impliquant l’État, le département de la Meuse et l’Andra, l’article
précité n’était pas méconnu tout en reconnaissant que cette pratique peut apparaître comme
contraire à la déontologie car « les subventions n’étaient pas prévues par la loi et altéraient le
débat démocratique (…) quand bien même les requérants n’étaient pas en mesure de prouver
que ces subventions avaient eu un effet automatique sur l’avis des communes consultées
préalablement à l’enquête publique. »287
Le dernier élément de légalité externe invoqué par le collectif est l’absence d’impartialité de
l’un des commissaires enquêteurs, M. Boiron, qui fut également l’assistant technique de
l’Andra lors de l’enquête publique ouverte en 1995 à propos d’un centre de stockage de déchets
de la Manche alors que le décret du 23 avril 1985 pris en application de la loi du 12 juillet 1983
relative aux enquêtes publique exige qu’ils soient indépendants, non intéressés par l’affaire, pas
en fonction dans l’organisme du maître d’ouvrage depuis moins de cinq ans. À cela, la Cour
répond une nouvelle fois par la négative, M. Boiron n’ayant pas été en fonction au sens de ce
décret.
Nous en resterons aux éléments de légalité externe soulevés par le collectif puisqu’ils
intéressent directement notre réflexion. Tous ces exemples ont pour point commun de
correspondre à des requêtes ayant été rejetées puisque leur contrariété au droit n’a pas été
caractérisée. Ceci étant, par bien des aspects et pour chacun d’entre eux, on remarque qu’en
amont du litige juridique, tout n’a pas été réalisé dans les faits pour ne pas nourrir le doute du
public. L’attention nécessaire dans un objectif d’information et de transparence aux
consultations préalables que sont l’étude d’impact et l’enquête publique n’a pas été suffisante.
2) Les attentes du débat public de 2005 ou « la guerre des mots »
Pour compléter les études scientifiques et techniques de faisabilité, un large processus
d’information et de débat s’est avéré nécessaire. La CNDP a décidé288 d’organiser elle-même
286 Le collectif s’appuie ici sur l’article 12 de la loi n° 91-1381 du 30 décembre 1991 prévoyant des mesures
d’accompagnement économique uniquement à partir du moment où le projet est autorisé par décret.
287 CAA Nancy, 28 février 2002 « Collectif meusien contre l’enfouissement des déchets radioactifs », n°
00NC00883.
288 Au regard de l’article L121-1 modifié par l’article 246 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, la CNDP est
effectivement « chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets
d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements
85
un débat public national « sur les options générales de gestion des déchets radioactifs de haute
activité et de moyenne activité à vie longue » et a ainsi nommé une commission particulière
pour le mener et en fixer les conditions.
Les interrogations à l’aube du débat public de 2005 sont nombreuses et une méfiance s’est
installée progressivement depuis la fin des années 80. Le challenge est de taille.
Le débat fut l’occasion d’observer un rapport triangulaire au-delà du binôme oserions-nous dire
irréconciliable, que forment l’Andra et les opposants au projet. Ainsi, au-delà de ceux que l’on
entend nécessairement ; les responsables du projet entendus largement (le gouvernement et
l’Andra principalement) et les opposants (locaux et nationaux) ; il y a également ceux que l’on
entend moins et dont le point de vue est celui qui permet d’étudier au mieux le déroulement du
débat public et de mesurer son efficacité : le citoyen289. À ce sujet, il n’est pas inutile de préciser
que la participation du public s’entend largement, et si l’on s’en tient à la définition apportée
par la Convention d’Aarhus, sont appelées à participer « une ou plusieurs personnes physiques
ou morales et, conformément à la législation ou à la coutume du pays, les associations,
organisations ou groupes constitués par ces personnes. »290 En ce sens, le contenu minimal
exigé par la participation du public doit faire intervenir le public, la consultation d’un organisme
représentatif (composé d’élus locaux, de représentants des syndicats et des associations) ne
saurait remplacer une consultation du public291.
Le débat public est l’occasion d’obtenir des réponses sur la réalité de la situation. Surtout, après
l’implantation houleuse du laboratoire souterrain, le public attend qu’il lui soit démontré au-
delà de ce qui a déjà été dit et répété, qu’il s’agit uniquement d’un laboratoire de recherche et
publics et des personnes privées, relevant de catégories d’opérations dont la liste est fixée par décret en Conseil
d’État, dès lors qu’ils présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur
l’environnement ou l’aménagement du territoire. »
289 À ce sujet, lire : Fery, B., Le site de Bure et les déchets radioactifs, Carnet de Bure 2001 – 2006, L’Harmattan,
2006. L’auteur est présenté comme un expert dans le domaine des grands projets et de l’aménagement des
territoires et qui a assuré au cours de sa carrière différentes missions notamment pour les grands chantiers de
centrales électronucléaires. Il a également participé à l’organisation et à la conduite de débats publics tel que le
TGV Rhin-Rhône-branche sud, et fut Coordonnateur du Grand chantier du Laboratoire Meuse/Haute-Marne. Il se
concentre dans son livre sur les habitants des villages meusiens et haut-marnais afin de cerner réellement leurs
attentes et inquiétudes, et met en relief le décalage entre ces territoires ruraux et la société contemporaine où tout
va toujours plus vite. En somme, deux temps, deux vitesses …
290 Art. 2.4 de la Convention d’Aarhus.
291 CE, 6 juin 2007, Réseau sortir du nucléaire, req. n° 292386.
86
non pas du futur centre d’enfouissement. Enfin, il espère un véritable débat démocratique sur
la question, ce qui implique une transparence absolue.
Au regard du point 4 de l’article 6 de la Convention d’Aarhus, « chaque partie prend des
dispositions pour que la participation du public commence au tout début de la procédure, c’est-
à-dire lorsque toutes les options sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle
influence. » Un débat public dont l’issue est connue perd donc de son intérêt, et c’est justement
la crainte majeure des populations.
II. Le dialogue entre les experts et les profanes : le pari du débat public de 2005
L’année 2005 est une période charnière pour plusieurs raisons. Bien évidemment, est organisé
le premier débat public concernant les déchets radioactifs mais pas seulement. Quinze ans plus
tôt, le législateur s’était donné rendez-vous pour faire un bilan des recherches demandées par
la Loi Bataille. L’année 2005 précédant ce tournant fut donc ponctuée du rendu de différents
rapports, celui de l’OPESCT292, du CEA293, et de l’ANDRA294. Ces rapports furent évalués par
la CNE295 ainsi que par l’ASN avant de servir de base au projet de loi sur la gestion des déchets
radioactifs qui devait être présenté au Parlement durant le premier semestre de 2006 après le
déroulement du débat public. S’il était évident que ces rapports essentiellement scientifiques
allaient conditionner le projet de loi, ce devait être aussi le cas du bilan du débat public de 2005.
Notre étude exclut de son périmètre la faisabilité scientifique du projet bien qu’essentielle, pour
se concentrer sur la faisabilité juridique. En ce sens, il s’agit d’étudier les enjeux qui
caractérisent ce débat si particulier (A), avant de proposer un bilan sur la qualité des débats (B).
292 OPESCT, L’état d’avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs, rapport
de M. Christian Bataille, Député du Nord et de Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, mars 2005.
293 CEA, Les déchets radioactifs à haute activité et à vie longue - Axe 1 – Axe 3, juin 2005.
294 ANDRA, Dossier 2005 : Les recherches de l’Andra sur le stockage géologique des déchets radioactifs à vie
longue, septembre 2005 ; ANDRA, Dossier Argile 2005 - Synthèse : Evaluation de la faisabilité du stockage
géologique en formation argileuse.
295 CNE, Rapport global d’évaluation des recherches conduites dans le cadre de la loi du 20 décembre 1991, 2005.
87
A) Des enjeux clairement définis
La CPDP a étendu le champ du débat (1), ce qui a permis au public d’exprimer des observations
très diversifiées (2).
1) L’élargissement du périmètre initial du débat
Le débat devait se concentrer sur les questions relatives aux trois axes de recherche précités
correspondant aux solutions de gestions potentielles des déchets radioactifs HA-VL. Or, la
CPDP a vite réalisé que baser le débat uniquement sur des aspects hautement techniques et
scientifiques n’était pas judicieux. Elle l’a étendu à la gestion des déchets radioactifs entendus
dans leur globalité. Par ailleurs, les inquiétudes suscitées par les déchets ne sont pas cantonnées
aux questions scientifiques. Au contraire, le sujet s’insère dans une problématique bien plus
vaste et comporte des enjeux sociaux, économiques, et éthiques. Dans l’esprit de vulgariser les
recherches obtenues sur la faisabilité scientifique des différents axes de recherches, et afin que
le public ait à sa disposition une information rigoureuse et multiple, la CPDP a mis à sa
disposition une analyse contradictoire par trois experts de l’ensemble du sujet concernant les
questions énergétiques et nucléaires296. La CPDP a élaboré plusieurs questions « résumant le
sujet pour cerner le débat sans le réduire. »297
Le public était invité à participé au cœur d’une procédure démocratique et en attendant
beaucoup, il a répondu présent.
296 B. Dessus, B. Laponche, et Y. Marignac.
297 CPDP, Débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs de haute activité
et de moyenne activité à vie longue, dossier presse, sept. 2005, p. 7. De fait, l’approfondissement du sujet devait
donc se faire autour de l’étude de la situation matérielle de l’époque, rappel nécessaire pour tous aient et raisonnent
à partir des mêmes informations. Il s’agissait également de revenir sur les risques inhérents aux déchets et les
précautions à prendre autour de la radioactivité. Ces éléments en tête, le débat pouvait alors se poursuivre au regard
des recherches réalisées sur la question de l’entreposage de longue durée, la solution appliquée actuellement, afin
de savoir si elle pourrait être étendue pour un temps indéfini aux déchets radioactifs à vie longue. Il s’agissait
également de faire le point sur l’état des connaissances en matière de séparation et de transmutation, la question
sous-jacente étant celle de savoir s’il était possible de transformer des éléments radioactifs à vie longue en des
éléments à vie plus courte ou encore de réduire le volume des déchets. Cela revient également à étudier la question
et l’effet du retraitement. Inévitablement, ces questions en plus d’être très scientifiques sont également très
sensibles puisqu’intrinsèquement liées à la poursuite ou non du programme énergétique nucléaire, et leurs réponses
pourraient avoir un effet sur le potentiel renouvellement des centrales nucléaires. Or, il était difficile de ne pas
insérer dans le débat public cette problématique, alors même qu’il était essentiel qu’elle ne paralyse et ne parasite
pas le débat (ni cette étude, de surcroît). La question de la faisabilité scientifique d’un stockage en formation
géologique profonde concluait les aspects techniques qui allaient être discutés. Concernant les aspects éthiques et
sociaux, le débat allait également porter sur la création de conditions équitables de la participation du public, sur
l’équilibre à trouver entre les générations, et sur la question très sensible du futur calendrier. En effet, la perspective
de la loi à venir invitait à réfléchir sur les choix à venir, et surtout sur la manière de les faire.
88
2) Les principaux éléments soulevés par le public
Il est à noter d’emblée que certains ont refusé d’assister au débat, et ce pour plusieurs raisons
notamment évoquées lors de l’organisation du débat au CLIS de Meuse/Haute-Marne le 5
septembre 2005. Ils déploraient un débat tardif et dans l’urgence dans l’optique de la
préparation du projet de loi de 2006, un débat trop court, précipité, et sans publicité adéquate.
Les réticences venaient également de certains élus locaux ou nationaux, s’inquiétant du
déroulement d’un débat sur un sujet « à haut risque » dans leur département298. Face à ceux qui
déploraient un débat tronqué [nous soulignons], d’autres s’inquiétaient des conséquences que
pourrait avoir ce débat299.
Le champ lexical du « mensonge » utilisé par l’opposition, évoquant une « mascarade », une
« caricature de démocratie », un « rideau de fumée pour dissimuler l’intention réelle. »300 Ceux
ayant refusé de prendre part au débat craignaient que le débat porte davantage sur la manière
dont serait mené le projet Cigéo plutôt que sur un choix encore à effectuer sur l’option la plus
appropriée et acceptée pour la gestion des déchets radioactifs. A un débat serait préféré un
référendum national, une partie de la population locale n’ayant plus confiance en leurs élus
qu’ils estimaient achetés par l’État et les subventions versées et promises pour
l’accompagnement du territoire. Ce qui pourrait apparaître comme de la paranoïa ou un manque
de recul peut également être vu, selon les acteurs et leurs intérêts respectifs comme des craintes
rationnelles.
Il est notable que chacun n’a pas les mêmes attentes d’un débat public, notamment parce que
chacun n’a pas les mêmes connaissances ni la même approche du sujet débattu. A cela s’ajoute
le fait que pour certains et au-delà de l’opposant, un débat reste une opération de communication
298 CPDP, Compte rendu du débat public sur les options générales en matière de gestion des déchets radioactifs
de haute activité et de moyenne activité à vie longue, septembre 2005/décembre 2006, p. 16.
299 La CPDP, dans le compte rendu précité, a rapporté les propos largement entendus et partagés par l’opposition :
« il ne servira à rien puisque l’on a déjà tout dit, puisqu’en fait, dans les couloirs, les décisions sont déjà prises » ;
« on préfère avoir un référendum plutôt qu’un débat » ; « quoi que l’on fasse, il y aura toujours un déséquilibre
entre les moyens d’expression des uns et des autres ; Mais également par les partisans du stockage : « Le débat
risque d’être émaillé d’incidents », « il va remettre en cause tout le travail réalisé dans le calme depuis 15 ans » ;
« il faut s’en tenir exclusivement à la question des déchets, et ne pas élargir le périmètre des discussions à d’autres
problématiques » ; « on n’entendra, comme dans presque tous les débats, que ceux qui sont contre … »
300 Idem., p. 5.
89
ou de légitimisation301, alors que la CNDP n’est pas un outil de sensibilisation à un sujet mais
vise à organiser un débat permettant de faire le tour des arguments.
Ce dernier est par ailleurs intéressant puisqu’ils proviennent de différents registres : éthiques,
économiques, financiers et moraux. De l’opposant qui prend la parole pour défendre la terre
face « à ceux qui veulent la salir »302, à celui qui utilise le terme de « poubelle », à celui qui
invoque le « bon sens »303, à celui qui juge qu’une réversibilité qui ne peut durer plus de 100
ans est une réversibilité en demi-teinte304.
Un argument utilisé à la fois contre et pour l’enfouissement en couche géologique profonde est
celui de la responsabilité vis-à-vis des générations futures. Certains considèrent urgent de régler
couplée un problème que les générations antérieures ont créé, et dont les générations
contemporaines profitent encore305. D’autres qu’il n’est pas responsable de léguer aux
générations futures un centre d’enfouissement de cette envergure306. Cette même argumentation
peut jouer en faveur de la poursuite du nucléaire et d’un enfouissement futur307. Certains
réclament un référendum local308, d’autres un référendum national309.
301 Id., p. 6.
302 Id., p. 7. Cet argument est souvent pris pour irrationnel et romantique.
303 Id., p. 8.
304 Ibidem.
305 F. Dosé, député qui a accepté le laboratoire, avance qu’il a « profité de l’électricité et que [il doit] payer. » Son
argument est d’ordre moral. Sa précision est intéressante puisqu’il ajoute refuser « toute compensation
financière. »
306 Nous aurons l’occasion d’analyser cette question au sein du chapitre 2 de ce titre 2.
307 M. Bennahmias à Marseille, au nom des Verts, avant de regretter l’inopérance des débats en prenant en exemple
« le très bon débat sur le projet de LGV Provence Alpes Côte d’Azur » dont le ministre avait donné la solution
avant la fin même du débat, exprime que « il ne peut y avoir de bonne solution tant que l’on continue à produire
des déchets nucléaires. Et pire encore si l’on poursuit le retraitement, voire si on le pousse pour faire de la
transmutation, c’est une fuite en avant qui, pour éliminer certains déchets, en produit d’autres. »
308 Une pétition comportant au moment du déroulement du débat 20 000 signatures circulant à l’initiative de
l’association des élus meusiens et haut-marnais opposés à l’enfouissement et de nombreuses associations de
citoyens. À cela, F.-M. Gonnot alors Président de l’Andra rétorquera que si la loi offre la possibilité aux
collectivités territoriales de procéder à un référendum local sur une question relevant de leurs compétences
directes, il s’agissait ici d’une question de compétence nationale.
309 M. Bennahmias considérant que « le rapport des opinions étant plus défavorable au nucléaire dans la population
qu’au Parlement », qu’il serait donc naturel « de consulter directement le peuple souverain dans ce domaine. »
90
Le public a plusieurs fois réclamé également une clarification des rôles, l’Andra étant à la fois
« l’opérateur en charge de la réalisation et de l’exploitation des sites de stockage, et un
chercheur chargé d’en prouver la faisabilité. »310 Les aspects scientifiques concernant la
faisabilité ont aussi été discutés et les débats ont parfois pris des tournures assez techniques.
Concernant le stockage géologique, la conclusion fut aussi de savoir s’il valait mieux faire
confiance à la géologie ou à la société311, c’est-à-dire faire confiance aux générations futures
pour réaliser les soins et les renouvellements d’entreposages en cas de choix d’un stockage
surveillé en surface, ou avoir foi en la stabilité de la géologie en cas de perte potentielle de la
mémoire du site.
La CPDP a réussi son pari consistant à faire le tour des arguments. Ce qu’elle a relevé est la
fréquence de la question « comment voulez-vous qu’on vous croie ? »312, à la fois concernant
l’organisation des acteurs et concernant le partage des connaissances. Elle insiste sur la
demande pressante de transparence en la matière, et sur la présence d’un conflit d’exigences
entre le secret défense et la nécessité qu’il n’y ait aucun tabou pour un débat éclairé313. À Caen
a notamment été suggéré que des représentants de la société civile participent à des
commissions chargées de prendre les décisions de sûreté, lors d’une séance consacrée au
partage des connaissances où ont été mises en avant des propositions destinées à accroître ce
qui a été entrepris en la matière.
Il serait aussi fastidieux qu’inutile que de procéder à une énumération des arguments, ceci ayant
déjà été réalisé densément par la CPDP. Il s’agissait à travers ces quelques lignes de montrer
comment la parole avait été laissée au public ainsi que de révéler les inquiétudes soulevées.
310 Id., p. 33. À cela, le ministre de l’Industrie a déclaré que cette situation serait modifiée dans la loi de 2006
puisque l’ensemble des solutions serait confié à l’Andra en tant qu’agence de programme.
311 Id., p. 39.
312 Id., p. 33.
313 Id., p. 34.
91
B) Les conséquences du débat public de 2005
Il est difficile de se faire un avis sur le bilan de ce premier débat public (1), mais on peut d’ores
et déjà remarquer qu’il nourrit une controverse sur ce que signifie « prendre en compte les
résultats d’un débat. » (2)
1) Un bilan à la fois positif et négatif, ou ni positif, ni négatif
Dresser un bilan du débat public de 2005 n’est pas aisé puisque cela supposerait de connaitre
véritablement l’issue qu’il doit avoir. Doit-il mettre en avant la discussion, la délibération, la
réflexion ? Le débat public dispose de sérieux fondements juridiques314, mais ce qu’il recouvre
n’est pas tellement explicité, bien qu’il tente de répondre aux aspirations citoyennes de
participer à l’élaboration des décisions.
Si l’on s’en tient au rôle de la CPDP, il apparaît qu’elle l’a fort bien joué malgré les réticences
de part et d’autre, et malgré le sujet très sensible. Il faut noter que pour la première fois un débat
public était organisé sur une question de politique publique, et pas n’importe laquelle315. La
particularité du débat avait très vite été comprise. Il s’agissait bien d’une question d’intérêt
national, mais fut également largement discutée la question de l’acceptabilité d’un laboratoire
et d’un futur centre dans un territoire local.
Comme l’évoque Agnès Weill, du centre de recherche sur les médiations, la stratégie de la
commission était de construire la légitimité du débat « le plus en amont possible » et « a consisté
à anticiper d’éventuels conflits entre acteurs. »316 Elle rappelle également que « la situation
idéale décrite par Jürgen Habermas, au cours de laquelle les acteurs débattraient en toute équité
et rationalité, sans rapport de domination et dans l’unique objectif de l’intérêt commun pour
314 De la circulaire Bianco de 1993 à 2002 à travers la loi relative à la démocratie de proximité qui modernise la
loi Barnier en conférant à la CNDP le statut de AAI.
315 Ce débat est réalisé en prévision d’une future loi et non pas sur la mise en œuvre d’un projet. Qui plus est, à
l’origine, il devait exclusivement porter sur les solutions de gestion des déchets radioactifs et sur le laboratoire
souterrain mais, comme évoqué précédemment, parce que le sujet suscite une émotion et des inquiétudes quant à
l’environnement, la santé, la sécurité et parce que le nucléaire revêt une connotation particulière dans les esprits et
est de nature conflictuelle, il a été élargi et organisé avec une grande minutie (rencontres informelles, réunions
publiques et thématiques, site internet dédié au débat, cahiers d’acteurs collectés..) pour tenter de répondre aux
besoins de tous afin qu’il ne soit pas sclérosé aux thématiques techniques sur lesquelles le public aurait eu des
difficultés à s’exprimer.
316 Weill, A., « Le débat public : entre médiation et mise en scène. Retour sur le débat public « gestion des déchets
radioactifs », Les enjeux de l’information et de la communication, dossier 2009, p. 50-59.
92
parvenir à un consensus reste éloignée de la réalité du débat public. »317 La démarche
s’apparente effectivement davantage à « une négociation au cours de laquelle les divergences
d’intérêts (…) amènent les débatteurs vers des concessions mutuelles. »318 De fait, « des
tensions et (...) des controverses sont inévitables »319 car au-delà de son rôle de collecte des
arguments de toute part, ce débat était un véritable challenge pour la CPDP en tant que
médiateur pour la gestation des conflits découlant des interventions des experts, des différents
acteurs du nucléaire, du gouvernement, des professionnels et des scientifiques vis-à-vis du
public. Celui-ci a par ailleurs émis des réclamations tendant à ce que soient réalisées des
expertises plurielles. On peut souligner qu’à l’exception des analyses contradictoires d’experts
connus pour être critiques envers le nucléaire et dont il a déjà été fait état, le dossier support du
débat comportait en majorité les études des acteurs du nucléaire320 pour qui la solution de
l’enfouissement en couche géologique profonde est une solution consensuelle. De leurs côtés,
« les hauts fonctionnaires comme la directrice générale de l’énergie au ministère de l’Industrie
ont pu vivre l’expérience nécessaire du débat public contradictoire. »321
Surtout, le débat a « remis en selle la solution de l’entreposage en subsurface »322, le public
s’étant souvent prononcé en sa faveur ; issue qui serait donc une alternative puisqu’il ne
s’agirait ni d’un stockage en couche géologique profonde, ni en surface, mais d’un entreposage
pérennisé323.
Le débat est une réussite sur bien des aspects, puisque la CPDP a réussi à mettre en balance les
enjeux touchant aux déchets radioactifs en recensant les interrogations qui allaient au-delà des
317 Ibidem.
318 Ibid.
319 Il est essentiel de rappeler que des associations appartenant au Réseau « sortir du nucléaire » (France Nature
Environnement, WWF, Les amis de la Terre, réseau Action Climat, Agir pour l’environnement, Greenpeace) se
sont d’emblée retirées du débat au motif de marquer leur opposition sur la controverse apparue sur le secret-défense
lors du second débat sur le nucléaire : le débat public « EPR » organisé à la même période. Greenpeace avait
diffusé sur internet un document classé secret-défense où la sécurité des réacteurs type EPR était remise en
question, pour dénoncer le manque d’information et de transparence au sein même du débat.
320 Rapports et présentations des travaux de AREVA sur les opérateurs industriels impliqués dans le cycle des
déchets, du CEA, et d’EDF.
321 Muet, S., « Les déchets radioactifs ont rendez-vous avec les citoyens », Libération, 5 novembre 2005, p. 15.
322 Weill, A., « Le débat public : entre médiation et mise en scène. Retour sur le débat public « gestion des déchets
radioactifs », op.cit.
323 CNDP, Bilan du débat public – Options générations en matière de gestion des déchets radioactifs de haute
activité et de moyenne activité à vie longue, p. 15.
93
aspects forts techniques. Toutefois, il faut avoir conscience que la question du rapport au public
reste de loin la plus problématique, ce qui peut atténuer la performativité du débat324.
2) Une prise en compte controversée des résultats du débat
La loi du 28 juin 2006 déjà citée est adoptée et entérine juridiquement le stockage réversible en
couche géologique profonde comme solution. L’installation accueillant les déchets sera
assimilée à une INB325. On remarque l’élaboration d’un calendrier précis, prévoyant que « les
études et recherches correspondantes [seront] conduites en vue de choisir un site et de concevoir
un centre de stockage de sorte que, au vu des résultats des études conduites, la demande
d’autorisation prévue à l’article L.542-10-1 du Code de l’environnement puisse être instruite
en 2015 et sous réserve de cette autorisation, le centre mis en exploitation en 2025. »326 La loi
crée le PNGMDR, outil permettant de dresser tous les trois ans un bilan de la politique de
gestion des déchets radioactifs, d’évaluer les besoins nouveaux, et de déterminer les objectifs à
atteindre327. Le dernier PNGMDR de 2013-2015 réaffirme par ailleurs les termes de la directive
Euratom n° 2011/70 du 19 juillet 2011 définissant le stockage comme actuellement « la solution
la plus sûre et la plus durable en tant qu’étape finale de la gestion des déchets de haute activité. »
À l'article L.542-6 du Code de l'environnement, les mots : « des laboratoires » sont remplacés
par les mots : « d'un laboratoire souterrain ou d'un centre de stockage en couche géologique
profonde. »328 L’idée de l’entreposage en surface ou en sub-surface de longue durée qui avait
pris de l’ampleur au sein du débat public et semblait avoir été relancée a tout simplement
disparu en tant que solution à part entière au profit du stockage en couche géologique profonde.
Alors qu’il était argué que cette issue n’était ni définitive ni inéluctable, on est en droit de se
demander si un choix n’avait pas été arrêté depuis longtemps. Les orientations fixées de la loi
de 2006 reflètent un choix technique, ayant comme référence les rapports scientifiques de
l’Andra et non pas les éléments soulevés par le public sur cette thématique.
324 Ibid.
325 Au sens de l’art. L. 542-10-1 du Code de l’environnement.
326 Art. 3 alinéa 2, loi précit.
327 Art. L. 541-1-2 du Code de l’environnement
328 Art. 11, loi du 28 juin 2006 précit.
94
On peut néanmoins se rappeler que l’organisation d’un débat public n’a pas pour objet une
délibération avec tous les acteurs, chacun exprimant potentiellement des concessions mutuelles
s’il n’y a pas de solution consensuelle possible. En ce sens, une solution consensuelle n’est pas
non plus ce qui était recherché et dans tous les cas, cela apparaît inespéré concernant un sujet
si stratégique et controversé. En revanche, l’arrière-gout amer suivant la promulgation de la loi
découle davantage de l’illusion selon laquelle le dessein du débat était encore d’explorer trois
solutions. À notre sens, le texte de loi aurait sans doute été écrit dans les mêmes termes avant
le compte-rendu du débat public, la solution de gestion en formation géologique profonde étant
la solution technique plébiscitée par les experts.
Section 2 – Retour sur le second débat public relatif aux déchets radioactifs, un débat
juridiquement critiquable
Le site de Bure a donc été choisi pour accueillir le laboratoire souterrain, ainsi que pour
l’exploitation du centre d’enfouissement en cas d’autorisation future, pour des raisons connues.
Selon le CLIS du Laboratoire de Bure, il s’agit de la présence d’une couche d’argilite avec des
caractéristiques potentiellement favorables, d’une volonté politique locale exprimée, et d’une
zone où la densité de population est faible329. Ces motifs sont teintés d’une certaine ironie,
notamment pour les deux derniers quand on se rappelle les difficultés des collectivités locales
à accepter un laboratoire sur leur territoire. Aline Richard, journaliste rappelle que « les
pouvoirs publics [comptaient] à cet effet encourager les bonnes volontés (…). L’objectif [étant]
de motiver financièrement les élus locaux, en brisant leur alliance avec les écologistes
« irréductibles. » Elle ajoute que « un laboratoire coûtera 1 milliard, emploiera 150 personnes,
(…), et rapportera 60 millions par an à la commune. De quoi faire susciter de nombreuses
candidatures même si ces mesures ressemblent fort à un salaire de la peur. »330 Cette situation
très certainement légale mais moralement condamnable a dès 1991 jeté un discrédit sur la
volonté des acteurs du nucléaire à obtenir l’acceptabilité de la société civile du projet de
stockage par la transparence. L’entretien de la confiance mutuelle est un gage d’efficience des
principes d’information et de participation du public. La difficulté par ailleurs de mesurer cette
efficacité est qu’elle repose sur des données subjectives : l’acceptation, la satisfaction, la
329 http://www.clis-bure.com/cadres/c_questions.html
330 Richard, A., La tribune de l’expansion, 25 juin 1991
95
concession. La période entre 2006 à aujourd’hui [2016] est de nouveau l’occasion d’analyser
le factuel pour se faire un avis sur le rapport entre le nucléaire et le public. Nous étudierons les
éléments se situant en amont du débat public de 2013 (I), pour mieux analyser son déroulement
(II).
I. L’avant 2013, ou la préparation d’un second débat
Alors que le calendrier du projet Cigéo se resserrait, on ne peut que s’étonner que tout n’ait pas
été réalisé en amont du débat public pour favoriser de bonnes relations avec le public (A). Les
enjeux du débat public de 2013 sont alors très différents de celui de 2005 (B).
A) Un continuum de choix controversés
Le choix il faut l’admettre peu avisé de la nomination de Christian Bataille à la tête du CLIS de
Bure (1) ainsi que le mode d’emploi d’acceptation du projet FA-VL, très similaire à celui de
Bure (2), furent l’un comme l’autre des évènements dont l’orchestration ne fut pas judicieuse.
1) La nomination de Christian Bataille comme président du CLIS de Bure : une erreur
comprise comme la volonté implicite de contrôler
Ce CLIS, spécifique au laboratoire souterrain de Bure a vécu une période silencieuse et inactive
suite à la promulgation de la loi de 2006 et à la nomination du député Christian Bataille comme
Président du nouveau CLIS de Bure le 2 octobre 2007. La loi du 18 juin 2006 a précisé le rôle
et la composition du CLIS institué par arrêté préfectoral en novembre 1999, puisqu’au regard
de l’article 18 de la loi précitée, il « est présidé par un de ses membres, élu national ou local,
nommé par décision conjointe des présidents des conseils généraux des départements sur
lesquels s’étend le périmètre du laboratoire », alors qu’il était auparavant dirigé par le préfet du
département du laboratoire ; ce qui est à notre sens une amélioration en terme de neutralité qui
n’a pas été utilisée à bon escient. La nomination de l’initiateur de la loi de 1991 comme
président d’une structure d’information et de concertation qui se veut neutre a provoqué un
mécontentement légitime331. Si on peut avancer qu’il avait le mérite de fort bien connaitre le
331 Cézanne-Bert, P., Chateauraynaud, F., Les formes d’argumentation autour de la notion de réversibilité dans la
gestion des déchets radioactifs, 15 décembre 2009, p. 136, extrait : « Les collectifs d’opposants et les élus opposés
à l’enfouissement dénoncent dès maintenant : la centralisation et la concentration du pilotage du CLIS, la validité
et la légitimité du futur Comité qui siègera en Préfecture, la partialité de l’instance et de ses futures orientations,
la non-indépendance de sa mission d’information (…). »
96
sujet, cela pouvait également pénaliser la confiance de la population locale envers lui qui
pouvait craindre son manque de distance. Cependant, si les opposants reprochaient
effectivement une « fumisterie »332, C. Bataille dénonçait quant à lui que « pendant une période
trop longue, le Clis [avait] été transformé en instance d’expression unique des opposants au
laboratoire, au lieu de jouer son rôle d’information et de débat. »333 On imagine aisément les
difficultés à obtenir et divulguer une information objective dans un domaine qui suscite autant
d’émotions. Il faut toujours garder à l’esprit que la démocratie participative dans le nucléaire
n’a été recherchée qu’en bout de chaîne, à l’issue d’une gestion technocratique. Il reste
regrettable que le choix comme Président du CLIS de Bure ne se soit pas porté sur une
personnalité connue pour sa neutralité. Cette histoire autour de ce CLIS, outil local
indispensable pour une information sérieuse, dénote la difficulté à mettre en œuvre
l’information et la participation sur ce sujet à une échelle différente que celle du débat public.
Cela renforce les clivages, n’atténue pas le rapport de force, déchaîne les passions. On peut se
demander quelles sont les raisons abyssales qui ont amené cette nomination qui est loin d’être
anecdotique.
Ce fut une période creuse, cette nomination faisant perdre de sa crédibilité à l’ensemble du
CLIS. C’est dans ce contexte chaotique que Christian Bataille présenta moins de deux ans plus
tard sa démission, mais attribuant étrangement cet échec à l’Andra. En effet, à la question de
savoir si le CLIS était un outil de médiation de l’Andra avec les acteurs locaux au lieu d’être
un lieu d’information sur la gestion des déchets radioactifs, il répondit que « [c’était] l’une des
erreurs supplémentaires que [fit] l’Andra. L’Andra considère que le CLIS est à lui, donc c’est
étriqué, c’est de la petite politique. »334 Sans surdimensionner la valeur à apporter à ces propos,
ce point de vue est là encore indicateur de la difficulté du nucléaire à s’ouvrir au monde
extérieur.
332 Réseau « sortir du nucléaire », Clis de Bure : une nomination qui fait des vagues [en ligne], février 2008,
disponible à l’URL : http://www.sortirdunucleaire.org/Clis-de-Bure-une-nomination-qui
333 Ibidem.
334 Propos recueillis par Cézanne-Bert, P., Chateauraynaud, F., Les formes d’argumentation autour de la notion de
réversibilité dans la gestion des déchets radioactifs, op.cit., p. 137.
97
2) Le projet FA-VL, dit « fils de Bure » ou un autre exemple d’instrumentalisation de
l’acceptation
Il s’agit ici d’exposer un point de vue qui met en lumière des idées déjà étayées et qui ne
demande qu’à être contredit. À ce stade de la réflexion, nous sommes en mesure de se poser
des questions sur l’intérêt réellement attaché aux principes d’information et de participation
dans le domaine nucléaire. Quand on parle de « stratégie d’acceptabilité »335, on peut y
entrevoir une sorte d’oxymore. Le recours à un processus pour obtenir un consentement peut
sembler contradictoire avec des velléités de transparence et d’honnêteté. Sans parler de
manipulation, on peut y voir une forme d’orchestration pour arriver à une finalité précise. Cet
acquiescement peut être compris comme une forme de résignation voire de soumission.
Quoiqu’il en soit, dans la forme comme dans le fond, on est encore loin d’un rapport équilibré
car on observe une forme d’ascendance de l’industrie nucléaire sur la société civile. Cette
réflexion s’effectue à travers la brève analyse d’un projet analogue à celui de Bure qui est né à
la même époque que la démission de Christian Bataille. Analogue, car il concerne également
des déchets radioactifs mais de faible activité et à vie courte, et sa procédure présente des
similitudes avec celle de Bure. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l’écologie, avait dans un
communiqué chargé l’Andra d’identifier des communes volontaires pour accueillir un centre
de stockage de déchets radioactifs FA-VL « de manière exemplaire et transparente, en se basant
sur le volontariat des communes, dans le respect de la démocratie locale. » Environ 3114
communes largement concentrées dans le Grand-est de la France se sont vues adresser un
dossier d’information par l’Andra ainsi qu’une lettre du préfet336 présentant le projet et
formulant à leur égard un appel à candidatures. Ce quart nord-est accueille déjà un centre de
stockage de déchets très faiblement radioactifs à Morvilliers dans l’Aube, un centre de déchets
radioactifs à vie courte à Soulaines également dans l’Aube, sans compter le potentiel stockage
futur à Bure. L’agence comme les députés locaux soutenant le projet, promettent un
développement économique337, là où l’opposition voit un projet de développement
335 Voir supra n° 273.
336 Morin, H., « La France recherche un site pour ses déchets faiblement radioactifs » [en ligne], Europe solidaire
sans frontières, 9 septembre 2008, disponible à l’URL : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article11323
337 Ibid. Dans l’éditorial du dossier adressé aux élus, le député UMP F-M Gonnot et M-C Dupuis, président et
directrice générale de l’Andra soulignent « une opportunité à saisir pour dynamiser [leur] territoire » ; Kempf, H.,
« L’est : poubelle nucléaire de la France ? » Journal Le Monde, 26 août 2008, propos de l’Andra « Ce projet
constitue une véritable opportunité de développement économique. »
98
s’apparentant à de la « corruption légale. »338 Une trentaine de communes se sont portées
candidates, mais la liste ne fut pas connue339. Des collectifs d’opposants ont dénoncé des
similarités dans le vademecum pour obtenir l’acceptation des élus à travers les subventions
proposées aux communes candidates. Quelques seize associations s’opposant à l’enfouissement
et soutenues par le Réseau « Sortir du nucléaire », la CRIIRAD, Greenpeace, les Amis de la
Terre et Agir pour l’environnement ont décrié ce qu’elles jugent être une manœuvre qui
s’oppose à ce que la procédure de sélection des communes candidates se base sur des critères
scientifiques et géologiques favorables, préférant qu’elle s’appuie sur des critères
sociopolitiques. Elles entendent par là une faible mobilisation potentielle des habitants dans un
territoire en perte de vitesse et enclin à accepter le projet non pas pour servir l’intérêt général
mais davantage pour des raisons économiques. Que l’on s’en agace ou que l’on comprenne la
démarche qui n’a bien évidemment rien d’illégal, on ne peut s’étonner que ce processus, s’il
s’avérait exact, soit sujet à controverses. Il n’a en l’espèce pas porté ses fruits, puisque les deux
communes présélectionnées se sont finalement retirées.
L’Andra a par la suite poursuivi ses recherches et ses investigations en partenariat avec ses
centres dans l’Aube et la Codecom de Soulaines.340 Elle a également entretenu ses liens avec
les sites qui disposaient déjà d’une installation nucléaire et sur les territoires ayant répondu
favorablement son appel aux candidatures. Son rapport d’étape de 2015341 pose les jalons pour
un futur projet de stockage en profondeur et reprend globalement le même argumentaire que
concernant les déchets HA-VL, adapté à leurs particularités et caractéristiques.
338 Lhomme, S., porte-parole du Réseau « sortir du nucléaire » [propos en ligne], disponible à l’URL :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article11323
339 Réseau « sortir du nucléaire », propos de Xavier Rabillourd, « L’Andra se refuse à en publier la liste exacte,
après avoir refusé depuis des mois de la publication de la liste des 3115 communes démarchées, en contradiction
avec la “transparence” revendiquée. » [en ligne], disponible à l’URL :
http://www.sortirdunucleaire.org/Un-site-nucleaire-en-projet-pour-y
340 Communauté de communes de Soulaines (Aube), territoire comprenant les communes de Soulaines-Dhuys,
Epothémont, et Ville-aux-Bois, qui accueille déjà deux centres de stockage en surface : le CSA pour les déchets
de faible et moyenne activité à vie courte et en exploitation depuis 1992, exploité pendant encre une cinquantaine
d’année, et qui entrera dans une phase de surveillance d’environ 300 ans, soit jusqu’à ce que l’impact du stockage
soit similaire à de la radioactivité naturelle ; ainsi que le CIRES, situé sur les communes de Morvilliers et de La
Chaise, autorisé à stocker des déchets de très faible activité, à regrouper des déchets radioactifs non
électronucléaires, et à entreposer des déchets n’ayant pas de solution de gestion définitive.
341 Andra, Projet de stockage de déchets radioactifs de faible activité massique à vie longue (FA-VL) [en ligne],
disponible à l’URL : https://www.andra.fr/download/site-principal/document/editions/rapport-etape-favl
99
B) Les nouveaux enjeux de la participation du public au débat de 2013
Le débat public de 2013 a pour objectif de permettre à la population de s’exprimer librement
sur le projet Cigéo (1). Seulement, le débat fut rejeté ab initio par une partie de la population,
selon laquelle il n’offrait aucune véritable latitude au public (2).
1) Un périmètre bien identifié et clairement défini
La CNDP a reçu une lettre de saisine du président du Conseil d’administration et de la directrice
générale de l’Andra ainsi que le dossier relatif au projet Cigéo. Le 7 novembre 2012, dans le
but d’honorer l’article 12 de la loi du 28 juin 2006342, ainsi que l’article 11 du décret n° 2008-
357 du 16 avril 2008343 enjoignant l’Andra à déposer sa demande d’autorisation au plus tard le
31 décembre 2014, a décidé d’organiser elle-même le débat public sur le projet de création d’un
centre de stockage réversible profond des déchets radioactifs en Meuse/Haute-Marne344. Il n’est
pas inopportun de préciser qu’entre temps, la procédure du débat public avait été rénovée par
la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 afin d’aider à construire une démocratie écologique au
sens des préconisation du groupe 5 du Grenelle de l’’environnement345. La participation du
public, très symptomatique de l’évolution du droit de l’environnement, n’est par ailleurs pas
uniquement à concevoir comme un droit à participer aux décisions ayant trait à notre
environnement collectif, mais également comme un devoir, une responsabilité. Une portée
positive et vaste de la participation du public viserait à satisfaire un droit, et à permettre
l’accomplissement d’un devoir.
L’enjeu de ce débat public était moins original que le premier et portait plus classiquement sur
la création d’un centre de stockage en formation géologique profonde de déchets radioactifs. Si
les deux débats réalisés quant aux déchets radioactifs avaient leurs propres enjeux, il était
néanmoins inévitable que le spectre du premier hante le second. Le premier avait été plutôt bien
342 Renvoit à l’article L. 542-10-1 du Code de l’environnement disposant que « un centre de stockage en couche
géologique profonde de déchets radioactifs est une installation nucléaire de base. Par dérogation aux règles
applicables aux autres installations nucléaires de base (…) le dépôt de la demande d'autorisation de création du
centre est précédé d'un débat public au sens de l'article L. 121-1 sur la base d'un dossier réalisé par l'Agence
nationale pour la gestion des déchets radioactifs créée à l'article L. 542-12. »
343 Décret n° 2008-357 du 16 avril 2008 pris pour application de l’article L. 542-1-2 du Code de l’environnement
et fixant les prescriptions relatives au Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs.
344 Décision n° 2012-58 du 7 novembre 2012 relative au projet de création d'un centre de stockage réversible
profond de déchets radioactifs en Meuse - Haute-Marne (projet CIGEO).
345 [En ligne] www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Gouv_EducG5_Synthese_Rapport.pdf
100
mené puisqu’il avait au moins permis de faire écho à une alternative au stockage en couche
géologique, bien que la loi de 2006 n’ait pas pris en compte les résultats346. Ce n’était donc pas
tant la forme et le fond du débat qui étaient les plus critiquables, mais plutôt sa portée. Afin de
la favoriser, on observe la tendance bienvenue pour la démocratie environnementale d’un suivi
par la CNDP de l’après débat. En effet, la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement
national pour l’environnement a introduit à l’article L. 121-13-1 du Code de l’environnement
la notion de gouvernance de l’après débat public qui « prévoit l'obligation pour le maître
d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet d'informer la Commission, pendant la
phase postérieure au débat et jusqu'à l'enquête publique, des modalités d'information et de
participation qu'il met en œuvre ainsi que de sa contribution à l'amélioration du projet. » Cette
initiative législative est révélatrice de la volonté de créer différents degrés d’intensité
d’association à la décision parmi les mécanismes de participation, le droit au débat public pour
sa part se perfectionnant et recherchant un impact réel de la participation du public347.
Le challenge du second portant directement sur la création du centre de stockage, était quant à
lui que le gouvernement et l’Andra puissent se faire une véritable idée de l’opinion concernant
son opportunité, à charge de la prendre en compte ou non.
L’idée était, comme tout débat public, qu’il soit organisé suffisamment en amont de la décision
finale, c’est-à-dire au stade où le projet ne soit pas encore arrêté. Cette exigence estimée non
respectée par le monde associatif, entre autres, fut précisément la cause de l’impuissance
qualitative de ce débat public.
2) Les dessous du rejet ab initio d’un débat pourtant essentiel
Essentiel, mais pour qui ? Cette interrogation comporte des réponses multiples. Le destinataire
des mécanismes de participation, qu’il s’agisse de la consultation, la concertation, ou du débat
public est le public. Cependant, ces procédures sont aussi importantes pour le maître d’ouvrage
ou la personne publique qui est à l’initiative du projet débattu. En revanche, l’utilisation qui en
346 À ce titre, il est essentiel de rappeler que « le maître d’ouvrage ou la personne publique responsable du projet
ne sont absolument pas tenus de prendre en compte les résultats du débat, obligation leur est faite toutefois de
rendre publiques, dans un délai de trois mois après la publication du bilan, leur décision de poursuivre ou non le
projet ainsi que les modalités de cette poursuite, en mentionnant éventuellement les modifications apportées au
projet pour tenir compte des résultats du débat », art. L. 121-13 du Code de l’environnement.
347 Jamay, F., « Principe de participation », in Environnement, LexisNexis, 1er février 2016, Fasc. 2440, 84.
101
est faite peut inconsciemment (ou non) différer. Il s’agit certes de convaincre, mais également
de séduire, et il s’agit là davantage d’une instrumentalisation. Étape incontournable selon
l’ampleur du projet, leurs promoteurs ont pu y voir une occasion pour légitimer leur projet. Là
où ils ont vu leur emprise se desserrer, ils ont cherché à devenir des bénéficiaires indirects de
cette évolution. Leur conception n’est pas blâmable, bien que l’issue ne soit guère souhaitable
puisque cela fausserait ou compliquerait largement le débat public. C’est précisément à cela
que le droit doit remédier, afin d’offrir des procédures aux retombées efficaces. Il est très
difficile pour le droit d’orienter les comportements. On entend par là que chacun, au sein du
débat public, reconnaisse réellement [nous soulignons] sa place, ainsi que celle de l’autre.
Seulement, la neutralité des intentions n’existe a priori pas. Ces questionnements ne sont pas
en marge d’une réflexion juridique, et encore moins au sein d’un sujet aussi sensible.
Comprendre les intentions des différents acteurs est un cheminement parallèle à notre mémoire,
puisque de la notion de la participation du public ne découlent pas uniquement des procédures
juridiques.
L’Andra a présenté le débat comme une « étape indispensable avant le dépôt de la demande
d’autorisation en 2015 », précisant que « [elle souhaite] apporter les réponses à toutes les
questions que les citoyens se posent légitimement sur cette installation mais aussi transmettre
[sa] conviction. »348 Le dossier du maître d’ouvrage est notamment accompagné du rapport du
HCTISN349, de divers avis de l’ASN dont un publié le premier jour du débat public350, de la
CNE351, qui tout en enjoignant diverses critiques et demandes supplémentaires à l’Andra352
348 Andra, Projet Cigéo – centre industriel de stockage réversible profond de déchets radioactifs en Meuse/Haute-
Marne, Dossier du maître d’ouvrage – Débat public du 15 mai au 15 octobre 2013, p. 4.
349 HCTISN, Rapport préalable au débat public sur le projet de stockage géologique profond de déchets
radioactifs [en ligne], 28 mars 2013, disponible à l’URL :
http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/Rapport_GT_Cigeo_vf_cle8a687d.pdf
350 ASN, Avis n° 2013-AV-0179 du 16 mai 2013 sur les documents produits par l’Andra depuis 2009 [en ligne],
16 mai 2013, disponible à l’URL : [http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-cigeo/docs/docs-complementaires/docs-avis-
autorites-controle-evaluations/asn-avis-16-05-13-dossier-andra-2009.pdf
351 CNE2, Rapport d’évaluation n° 6 [en ligne], novembre 2012, disponible à l’URL :
http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-cigeo/docs/docs-complementaires/docs-avis-autorites-controle-evaluations/asn-
avis-16-05-13-dossier-andra-2009.pdf
352 Voir supra n° 350, l’avis de l’ASN du 16 mai 2013. L’instance de contrôle et d’évaluation pointe l’inventaire
de déchets destinés à Cigéo qui ne prendrait pas en compte l’ensemble des scénarios possibles. Par exemple, en
cas d’une sortie du nucléaire, le sort du combustible usé qui n’est pas officiellement un déchet en France puisqu’il
est retraité pour en extraire l’uranium et le plutonium, pourrait être amené à être stocké le retraitement du
combustible devenant inutile, ce qui accroitrait les volumes de déchets destinés à être enfouis. Une autre remarque
concerne l’évaluation des risques sismiques qui en France repose sur une approche déterministe alors que l’AIEA
recommande plutôt une approche probabiliste pour évaluer l’impact du stockage et quantifier l’aléa sismique.
102
approuvent globalement scientifiquement le projet. Au sein du dossier de saisine sont
présentées les intentions de l’Andra, souhaitant « faire comprendre le choix du stockage
profond pour la gestion à long terme des déchets les plus radioactifs », et « identifier les
conditions nécessaires à l’acceptation du projet Cigéo. »353 On remarque le peu de latitude laissé
aux résultats du débat avant même qu’il n’ait commencé alors que l’objectif de celui-ci est
d’avoir une influence potentielle sur la décision finale. Par ailleurs, la réalisation de ce débat
public peut être vue comme prématurée et révèle un certain empressement local et national à
mettre en œuvre le projet Cigéo. C’est également à partir de ces années que des amendements
ont été insérés dans des lois bien qu’ils aient été retirés ou non soutenus. Une accélération du
processus avec la mise en place de ce débat pourrait traduire des réticences à écouter et non pas
entendre une expression publique contradictoire354. Le débat public n’est pas toujours bien vu
par les maîtres d’ouvrage qui y voient un risque d’être contredits alors qu’ils sont généralement
sûrs de leurs expertises et de l’opportunité du projet présenté. Ils ne sont toujours pas prêts à en
discuter si cela risque de mener à son renoncement. Pourtant, un bon débat public ne mène pas
nécessairement au renoncement du projet. On ne peut se faire juge de l’efficience d’un débat
uniquement au regard de la réalisation finale du projet, de son amélioration ou de son
renoncement. Néanmoins, le maître d’ouvrage peut être réticent à se confronter à des
oppositions véhémentes, et de son côté le public peut regretter de ne pas avoir de place dans la
décision finale. Cette dualité au sein du débat public est une « dissymétrie entre ceux qui jugent
sans pouvoir décider et ceux qui s’efforcent de décider sans vouloir faire part de leur jugement
intime. »355 Ce rapport naturellement plus vertical qu’horizontal ne sera donc sain [nous
soulignons] que si une forme de « confiance » mutuelle s’instaure. Il ne faut pas oublier que le
débat public de 2013 appuie sa légitimité sur la loi de 2006 qui avait retenu le choix de
l’enfouissement géologique au mépris des éléments soulevés par le public. Cet aspect a eu pour
353 Andra, « Projet Cigéo – centre industriel de stockage réversible profond de déchets radioactifs en Meuse/Haute-
Marne », op. cit.
354 Dans certains débats publics tel que celui sur le projet de terminal méthanier à Antifer en 2007, les arguments
des opposants et ceux des associations, exposés durant les séances publiques ont convaincu et contraint le maître
d’ouvrage à renoncer à ce projet. Ceci étant, le Conseil régional lui-même préconisait l’arrêt du projet.
Concrètement, la démocratie représentative allait de pair avec la démocratie participative, ce qui n’est pas
concernant le projet Cigéo. Plus d’informations sur : http://www.lagazettedescommunes.com/116913/le-projet-
de-terminal-methanier-a-antifer-definitivement-abandonne/
355 Téniètre-Buchot, P.-F., « Analyse théorique et politique du débat public : leçons après Cigéo », Courrier de
l’environnement de l’Inra, n° 65, mars 2015, p. 137.
103
effet de renforcer le clivage entre démocratie représentative et démocratie participative sur ce
sujet et cela s’est ressenti dès l’annonce du débat public.
Le 15 mai 2013, le Réseau « Sortir du nucléaire » accompagné de 36 associations locales a
appelé au boycott de ce débat, l’accent étant mis sur « la soi-disant réversibilité », dénonçant
une « vaste opération de communication pour faire accepter le nucléaire et ses déchets », « une
imposture pseudo-démocratique de plus », appelant ainsi à ne pas participer à la rédaction des
cahiers d’acteurs, ni aux 15 réunions publiques prévues356. Le débat tendant davantage à
discuter des caractéristiques du projet plutôt qu’à son opportunité, y participer signifiait
implicitement l’accepter. C’est pourquoi une partie du public s’est littéralement privée de
participation.
II. Analyse du déroulement du débat public de 2013
Si le débat public de 2005 était un cas d’école en ce qu’il ne portait ni sur une infrastructure ni
sur un projet d’aménagement mais sur un choix politique, celui de 2013 vient questionner, voire
malmener, l’article L. 121-1 du Code de l’environnement qui stipule que « le débat doit porter
sur l’opportunité du projet, les objectifs et les caractéristiques du projet. » L’énoncé du débat
public est simplement : « Projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs
en Meuse/Haute-Marne (Cigéo). » Avec du recul, on peut se demander la place de l’opportunité
dans ce débat. D’une part, le principe même du stockage géologique ayant été entériné par la
loi de 2006 laissait une marge de manœuvre faible pour le public pour infléchir la tendance. Le
déroulement chaotique et la forme du débat laissent apparaître un débat qui perd de sa
consistance et de sa capacité originelle à oser le contradictoire (A). D’autre part, une partie de
la CPDP s’est désolidarisée du compte rendu de la CPDP, déplorant elle-même une mise en
scène de débat (B).
A) Un débat virtuel dans la forme
Les débuts houleux du débat ont marqué les esprits, si bien qu’il a été délocalisé sur internet.
(1). Ce choix critiqué permet de faire la critique du débat numérique en général (2).
356 Réseau « Sortir du nucléaire », communiqué de presse du 15 mai 2013 [en ligne], disponible à l’URL :
http://www.sortirdunucleaire.org/article28617
104
1) Contexte autour d’un boycott très médiatisé
Les oppositions à la tenue de ce débat public furent tenaces et ont perduré jusqu’à la fin. La
réunion d’ouverture dans le village de Bure a été suspendue au bout d’un quart d’heure car la
séance fut chahutée357. Les réunions suivantes furent interrompues, différées, annulées. Ce
mécontentement populaire a largement été relayé par les médias locaux et nationaux. L’objectif
du boycott était stratégiquement que ce débat soit très médiatisé. Face à ce mécontentement, la
CPDP a tenté de multiplier des réunions locales et a permis aux participants d’intervenir sur le
site du débat public afin de réduire tant que possible les débordements.
Au sein de l’opposition à l’enfouissement, chacun n’était pourtant pas partisan de cette méthode
ultra contestatrice. L’alors porte-parole d’Europe Ecologie – Les Verts s’inquiétait que « la
méthode du boycott desserve la cause. » En somme, il regrettait que l’opposition ne se soit pas
emparée du débat pour convaincre l’indécis, le débat public étant en toute logique un outil
propice à faire inverser une tendance. Ce point de vue rappelle celui de l’alors vice-présidente
de la CNDP, Laurence Monnoyer-Smith, rappelant que si « le débat implique de donner la
parole à ceux qui s'opposent fondamentalement au nucléaire, (…) leur comportement, suicidaire
et contre-productif, valide les positions des technocrates qui souhaitent décider sans le
citoyen. »358 Utiliser le débat public pour dénoncer est tout autant attendu que pour légitimer
un quelconque projet.
Il apparaît qu’au-delà du boycott contre ce débat et explicitement contre l’enfouissement des
déchets radioactifs, il n’y ait pas eu confiance en l’efficacité de cette procédure participative.
Le choix de réaliser le débat sur internet ne fut pas des plus judicieux, traduisant une forme
d’impuissance de la CPDP à le tenir en réel, et renforçant la distance entre le public et le maître
d’ouvrage.
2) La controverse autour d’un débat numérique
Le côté quasi inédit d’une participation de cette ampleur autour du nucléaire ne se mariait guère
avec un débat virtuel. On imagine aisément la difficulté à trouver les solutions adéquates et
357 Saïsset, C., Débat public sur Cigéo, réunion d’ouverture suspendue [en ligne], 24 mai 2013, disponible à l’URL
: http://www.actu-environnement.com/ae/news/debat-public-cigeo-reunion-publique-bure-18594.php
358 Propos disponibles sur : Interactions, « Débat public, numérique et démocratie : un enjeu de société
fondamental » [en ligne], mai 2016, n° 39, disponible à l’URL : http://interactions.utc.fr/thematiques/regards-sur-
le-monde/debat-public-numerique-et-democratie-un-enjeu-de-societe-fondamental.html
105
consensuelles, mais un débat via internet pouvait-il objectivement garantir la réalisation d’une
participation à la hauteur des enjeux que le sujet comporte, satisfaire les exigences de ce
mécanisme de participation et représenter un test démocratique du nucléaire ? D’un autre côté,
on pourrait tout autant considérer l’utilisation du numérique avait sauvé le débat. Était-ce le
débat public qui devait s’adapter au sujet, ou le sujet était-il à adapter au débat public ? Le débat
public devait a priori s’adapter au sujet, les formes traditionnelles de réunions publiques n’ayant
pu être tenues en raison du boycott.
Sur la question de savoir si le recours au débat numérique fut un choix judicieux, on peut
s’appuyer sur la thèse de Raphaël Brett359, où l’auteur s’intéresse aux bénéfices et désavantages
que comporte un espace numérique de participation. Son analyse révèle que ce recours a le
mérite « d’abolir les contraintes spatio-temporelles qui pèsent sur la participation physique »,
permettant au public de participer quand il le désire, où qu’il soit, ainsi que « d’améliorer la
qualité des échanges entre public et décideurs », car il est ainsi évité que certains acteurs
monopolisent la parole ou que chacun n’ait pas les possibilités de s’exprimer dans le temps
imparti. Il souligne également que « l’usage d’internet permet de préserver, dans une certaine
mesure, la sérénité de la participation. »360 En revanche, il regrette que le débat numérique
puisse creuser les inégalités de par la fracture numérique, et le risque de « l’amoindrissement
potentiel de la qualité des échanges » car un débat numérique ne permet pas de rendre compte
de l’atmosphère, et perd de son côté contradictoire. Ces considérations générales s’appliquent
tout à fait à notre cas d’espèce. Spécifiquement, la vice-présidente de la CNDP de l’époque
insiste sur le fait qu’il est nécessaire de moderniser le débat public afin qu’il reste un instrument
effectif de participation et craint la victoire de la démocratie représentative sur la démocratie
participative. Elle prend l’exemple du débat sur Cigéo en affirmant que « si [ils n’apportent]
pas la preuve que le débat public fait avancer les projets dans un contexte apaisé, il sera
remplacé par des pseudo-débats de sages et de technocrates, à l'heure où le citoyen entretient la
plus grande défiance envers les institutions politiques. »361 Le débat délocalisé sur internet a
359 Brett, R., « La participation du public à l’élaboration des normes environnementales », Université Paris Saclay,
Faculté Jean Monnet, pp. 318-333.
360 Il est fait allusion à Christian Bataille qui, 23 ans avant la tenue du débat public de 2013, se demandait «
comment discuter valablement des choix et des options scientifiques et techniques quand des minorités agissantes
refusent le dialogue et tentent d’imposer leurs vues, au besoin par la force. » ; voir : Bataille C., « Rapport
d’information sur la gestion des déchets nucléaires à haute activité », AN, n° 1839, 14 déc. 1990, p. 64.
361 Interactions, « Débat public, numérique et démocratie : un enjeu de société fondamental » [en ligne], mai 2016,
n° 39, disponible à l’URL : http://interactions.utc.fr/thematiques/regards-sur-le-monde/debat-public-numerique-
et-democratie-un-enjeu-de-societe-fondamental.html
106
permis au public de poser quelques 1508 questions, rendre 497 avis sur un total de 76 000 visites
sur le site internet. Dans ce cas d’espèce, l’utilisation du débat numérique peut être vue comme
la capacité à rebondir selon le gouvernement, mais peut aussi traduire l’empressement à réaliser
un débat à n’importe quelles conditions selon les opposants. Qu’en est-il selon la CPDP ?
B) Un débat virtuel dans le fond : la question de l’opportunité évincée
Le débat a finalement été prolongé de deux mois pour répondre aux attentes de l’ASN découlant
de son avis du 16 mai 2013 et pour permettre un laps de temps assez conséquent pour adapter
le débat aux nouvelles modalités d’organisation.
1) Un bilan révélant un besoin de transparence
La CPDP a d’emblée regretté l’absence de représentativité de l’ensemble du public puisque la
plupart des acteurs opposés au projet n’ont pas participé362, ainsi que l’absence de réunions
publiques tout en estimant que « on aurait tort de penser que le débat sur projet Cigéo n’a pas
eu lieu. »363 La question du calendrier futur a été largement été abordée et prend tout son sens
concernant l’analyse de l’information et de la participation du public. En effet, la tenue du débat
public en 2013 a été vue comme un empressement du gouvernement à réaliser le projet Cigéo.
Or, précipitation information et participation de qualité ne se marient guère. Si nous ne sommes
pas habilités à prêter des intentions aux pouvoirs publics, l’analyse des faits permet de rendre
compte qu’effectivement, une fois encore, tout n’a pas été fait pour entretenir la confiance du
public pourtant indispensable en amont de la tenue de procédures participatives. Les
thématiques temporelles reviennent une fois de plus, le CLIS indique que « la durée nécessaire
au refroidissement et au conditionnement des déchets donne à la société tout le temps nécessaire
pour se décider sans se précipiter. » S’il serait inutile de résumer le bilan de la CNDP, il est en
revanche essentiel de revenir brièvement sur ce qui a été exprimé. Il n’est guère étonnant que
l’éthique fût au cœur des préoccupations à travers la nature de l’héritage à léguer aux
générations futures, la question de la mémoire et les inquiétudes concernant l’indépendance de
la recherche des organismes de contrôle. Les aspects purement techniques concernant
362 CNDP, Bilan du débat public – Projet de centre de stockage réversible profond de déchets radioactifs en
Meuse/Haute-Marne (Cigéo) [en ligne], 12 février 2014, p. 5, disponible à l’URL :
http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-cigeo/docs/cr-bilan/bilan-cpdp-cigeo.pdf
363 Idem., p. 7.
107
notamment la question de la réversibilité et de la récupérabilité étaient aussi inévitables, la
sécurité des transports fut largement évoquée puisque l’Andra dans son dossier prévoit dans
son calendrier prévisionnel deux trains par semaine pour transporter les déchets radioactifs
jusqu’à Bure à partir de 2030-2040. À ce sujet, le maître d’ouvrage a mis l’accent sur la
confidentialité qui entourerait les passages des convois ferroviaires, ce qui pose la question de
la non-information des populations riveraines ainsi que celle de l’information concernant le
transport de matières dangereuses et notamment radioactives. Selon un chiffre de l’ASN datant
du 21 juin 2006, 980 000 colis de substances radioactives sont transportés chaque année,
représentant une très faible part du nombre total de colis de marchandises dangereuses, mais le
trafic pourrait donc largement s’intensifier. Au-delà des risques associés à ces colis, qui sont
connus (risque d’inhalation ou d’ingestion de particules radioactives, d’irradiation externe de
personnes, de contamination etc.), de la sûreté des transports associé aux différentes étapes du
cycle du combustible reposant sur des prescriptions élaborées au niveau de l’AIEA, c’est bel et
bien la question de l’information s’agissant de ces transports qui a été débattue, et à laquelle
peu de réponses ont été obtenues. Le coût du projet Cigéo est quant à lui la grande inconnue du
débat public, alors même que la CNDP avait demandé qu’un coût soit arrêté par l’État avant la
tenue du débat, afin que les discussions ne reposent pas sur des sources diverses et hasardeuses.
Les participants ont également montré leur méfiance à l’égard du processus de décision se
traduisant par deux demandes : la prise en compte des avis formulés et le développement d’une
expertise pluraliste364. Les exigences de transparence ont une importance singulière en la
matière, il était certain que le défis pour l’industrie nucléaire serait grand. À la mesure du
sentiment d’impuissance perceptible et partagé au-delà de l’opposition à l’issue du second débat
public, il semble qu’il n’ait pas été relevé.
2) Un débat vécu comme un échec démocratique au sein d’une partie de la CPDP
Une analyse de Pierre-Frédéric Ténière-Buchot365 tente de comparer un bon et un mauvais débat
à travers les relations entre les différents acteurs. La CPDP doit par exemple respecter
l’acronyme « ETAIN », soit équité, transparence, argumentation vis-à-vis des parties prenantes
au débat, et indépendance et neutralité vis-à-vis de la CNDP. Le CPDP doit entretenir une
relation avec le maître d’ouvrage telle qu’elle doit lui faire comprendre dans quelle mesure le
364 Id., p. 15.
365 Téniètre-Buchot, P-F., « Analyse théorique et politique du débat public : leçons après Cigéo », Courrier de
l’environnement de l’Inra, n° 65, mars 2015, p. 137.
108
débat est une expérience positive pour lui, en sachant allier confiance et distance. Envers le
public, la CPDP se doit de gérer le temps366, et l’espace367. À cela, on ajouterait que la CPDP
doit mener un débat démocratique digne des exigences de la démocratie participative. C’est
précisément ce que reproche une partie de la CPDP à l’issue de ce débat public.
Ariane Métais, une des six membres de la CPDP a pris la parole devant les journalistes368 pour
se désolidariser du compte rendu rédigé par Claude Bernet, le président de la CPDP, regrettant
que « le compte-rendu [soit] un copier-coller des remarques des internautes », ajoutant que « un
débat public ne [puisse] pas consister seulement en un forum internet » et déplorant que « [il
soit] dans le quantitatif, absolument pas dans le qualitatif »369 ; se retirant ainsi car « valider le
compte-rendu, c’est nier les conditions insatisfaisantes d’un débat public dans lequel tout n’a
pas été fait pour recréer un dialogue avec les opposants. »370 Elle explicite ses propos, rejointe
par deux autres membres la CPDP. Après avoir rappelé que « les opposants critiquaient le
processus même du débat public », le fait que « l’État soit considéré comme juge et partie
puisque chargé d’organiser le débat à travers la CNDP »371, elle explique en quoi la CPDP a été
confrontée à la difficulté « encore plus nette de débattre du nucléaire en France. »372
L’argumentation des trois membres de la CPDP porte essentiellement sur la question de
l’opportunité, en rappelant qu’elle doit consister en l’interrogation sur le bien-fondé du projet.
Il est intéressant de constater que ces membres de la CPDP ont le même regard à ce propos que
les opposants initiaux de ce débat qui eux aussi regrettaient que celui-ci questionne les
caractéristiques du projet et non pas l’opportunité du projet. Plus précisément, ces trois
366 L’auteur précité entend par là la maîtrise du temps, une préparation minutieuse du débat qui ne doit pas être
pressée par le temps ni par un calendrier urgent. Il souligne qu’au sujet de Cigéo, le calendrier l’est devenu
brusquement et la considération soulevée en amont du débat dont avaient fait part certains acteurs antinucléaires
du projet selon laquelle le débat de Bure « était une tentative sournoise du gouvernement et de l’Administration
pour faire entériner la loi de 2006 » n’a pu faire l’objet d’un cahier d’acteur car le temps de préparation n’a pas été
suffisant.
367 Il entend par là le périmètre du débat. 368 Binctin, B., « Déchets nucléaires, le projet Cigéo doit attendre, conclut le débat public » [en ligne], Reporterre,
13 février 2014, disponible à l’URL : https://reporterre.net/Dechets-nucleaires-le-projet-Cigeo-doit-attendre-
conclut-le-debat-public
369 Ibidem.
370 Ibid. 371 André, J-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie du débat public Cigéo, Mise en scène d’un débat
et d’un choix politique », DE, n° 224, juin 2014, p. 5. 372 Ibidem.
109
membres s’interrogent sur le fait que le débat ait été limité à « comment réaliser le projet »
plutôt qu’à se demander « pourquoi réaliser le projet. »373 Lorsque la moitié des membres de la
CNDP se sent sclérosée, ressent la consigne implicite [nous soulignons] de devoir se focaliser
[nous soulignons] sur les caractéristiques du projet, la question prend encore plus d’ampleur,
surtout qu’elle est extrêmement sensible et comporte de nombreux enjeux pour l’industrie
nucléaire dont sa viabilité. Pour ces membres, limiter la question au comment reviendrait
également à priver la Meuse et la Haute-Marne « de la possibilité de questionner son avenir. »374
Par ailleurs, lorsque la CNDP et la CPDP acceptent qu’une partie du public ne se joigne pas au
débat, est-ce être caution d’un exercice de communication unidimensionnelle de l’Andra ?
L’Andra elle-même a déploré l’absence de la tenue de réunions publiques375 mais a souligné la
richesse du débat. Puisqu’il apparaît que l’opportunité du projet aurait eu de grandes difficultés
à être remise en question, il semblerait que le Gouvernement et l’Administration regrettent
surtout d’avoir perdu l’opportunité de légitimer le projet. Féliciter la CPDP de la tenue du débat
alors même qu’une partie de ses membres sont en désaccord avec le compte-rendu et déplorent
une « mise en scène d’un choix politique », n’est-ce pas nier une rupture entre les citoyens et
les institutions ?
Plus qu’à la CPDP, c’est envers la CNDP que les trois membres ont le plus de reproches à faire.
Ils considèrent que la CNDP s’est d’emblée fermée au dialogue avec les opposants du débat
public alors même que « ceux-ci auraient accepté de revenir au débat s’il avait été réorienté sur
les raisons même du boycott : le cadre, les conditions, les paramètres du débat et le processus
décisionnel de Cigéo. »376 En réalité, c’est un manque d’indépendance et de neutralité que ces
membres reprochent à la CPDP et à la CNDP qui, dans l’exercice de leurs fonctions, auraient
pu décider que les conditions ne permettaient pas la réalisation d’un véritable débat public, car
contourner les opposants revient à devenir juge et partie bien que ce soit eux qui s’en sont
exclus.
373 Ibid.
374 Ibid.
375 Andra, « Délibération du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
du 5 mai 2014 relative aux suites à donner au débat public sur le projet Cigéo » [en ligne], disponible à l’URL :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028909861&categorieLien=id
376 André, J-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie du débat public Cigéo, Mise en scène d’un débat
et d’un choix politique », op. cit.
110
Par bien des aspects, on serait donc tenté d’avancer que la CNDP doit se remettre en question
concernant ses modalités de fonctionnement car elle aurait été en mesure de redéfinir des
conditions propices à un débat de qualité. Ces membres de la CPDP utilisent en effet un
vocabulaire très osé et critique, dénonçant « l’artificialité du débat », une « mise en scène »,
doutant de « sa bienveillante neutralité » reposant sur une accumulation de faits377.
Conclusion du chapitre
Ce chapitre avait pour ambition d’aider le lecteur à saisir les éléments essentiels concernant
l’information et la participation autour du projet Cigéo. Il ne serait pas incongru d’affirmer que
si le degré d’intensité d’association du public est important selon l’Etat et l’Andra, il est faible
au regard des faits puisque les questions sur l’opportunité ont été occultées. Pour le public,
l’information passe pour de la communication, la recherche de la participation du public
comprise comme l’occasion d’assoir une légitimité autre que représentative pour ce projet.
Le chapitre suivant cherchera à analyser les raisons inhérentes à la non-effectivité de ces
procédures l’évaluation de l’information et de la participation du public à travers un projet
concret étant essentielle pour le juriste. L’évaluation s’avère difficile, puisque comme évoqué
au début de ce chapitre, ces principes n’ont pas vocation à apporter aux citoyens un droit à
délibérer.
377 Idem., p. 9, « L’évacuation de la question de l’opportunité du débat et de l’alternative au projet Cigéo, la
réduction du projet Cigéo à une infrastructure territoriale conventionnelle, le contournement d’une partie du public
par des dispositifs de participation virtuels ou clos, la mise en avant des statistiques de participation du public
comme critère de réussite du débat, l’avis citoyen comme preuve de l’expression du public. »
111
Chapitre II – Étude de la compatibilité entre nucléaire et
implication du public
Force est de constater, bien souligné par Pauline Hili378, rédactrice adjointe du BDEI, que si le
projet Cigéo est une solution juridiquement reconnue et scientifiquement validée, elle reste une
solution à l’avenir incertain. À un calendrier très précis379, s’oppose la question du coût final
du projet dont les estimations varient très largement et croissent dans le temps380, la crainte des
risques qu’une telle installation comporte381. Surtout existe l’obstacle de la démocratie
participative. L’Andra n’a pas réussi à créer une dynamique collective en faveur du projet au
sein de la société civile, car s’y opposent « les associations, les populations locales, certains
élus, citoyens, écologistes, représentants religieux, la notion de démocratie participative
[prenant] ici tout son sens. »382
L’étude locale de la mise en œuvre de l’information et de la participation du public, sans avoir
la prévention d’être exhaustive, met en exergue deux thématiques qui semblent intéressantes.
En effet, on observe un paradoxe assez subtil. Alors qu’au niveau du droit et bien qu’il reste à
perfectionner, l’arsenal juridique tend à favoriser la transparence en matière nucléaire, on
constate que les débats publics concernant le projet Cigéo n’ont guère été productifs. La
sensation d’un projet finalement inéluctable sclérosait largement les débats.
Cela nous amène à nous interroger sur ce qui est pris par la population comme une politique de
fait accompli [nous soulignons] de la part des gouvernements qui se sont succédés. En matière
nucléaire, cela tend à ternir les évolutions notables en matière d’information et de participation.
Là où en soit quasi rien n’est illégal, les lois votées ou les actions réalisées par l’Andra sont
378 Hili, P., « Que faire des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue ? La solution
controversée du projet Cigéo », BDEI, n° 59, septembre 2015, p. 15.
379 La finalisation de la demande d’autorisation de création serait pour fin 2017.
380 Si des chiffres différents sont annoncés selon les organismes ou l’administration, l’Andra elle-même présente
des estimations qui changent selon les paramètres pris en compte. Si les coûts de construction, d’exploitation et de
fermeture du stockage étaient estimés à 15 milliards d’euros sur 100 ans initialement, ils montaient en 2009 à 35
milliards d’euros sur ce même laps de temps et ne cessent d’être revus à la hausse.
381 Voir l’avis du panel de citoyens qui expriment leurs inquiétudes quant aux risques d’incendie, à la sécurité des
personnels, aux risques de pollution de l’atmosphère, à la sécurité du transport des déchets, ou encore ceux liés à
la ventilation ou à la déformation des alvéoles et matériaux en cas de récupération des colis.
382 Hili, P., « Que faire des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue ? La solution
controversée du projet Cigéo », op. cit.
112
comprises comme des instruments pour recueillir l’acceptabilité (Section 1). Inévitablement,
cela pénalise l’effectivité des principes d’information et de participation en matière nucléaire
(Section 2).
Section 1 – La nécessaire prise en compte d’éléments échappant au droit
La réflexion qui va suivre pourra apparaître légèrement en marge de l’ensemble de cette étude.
Pourtant, elle lui est attenante, et l’étaye. Elle met en valeur les directives législatives et
réglementaires face à la réalité du terrain. On pourrait imaginer un rapport triangulaire entre le
droit et ce qu’il préconise, et les aspirations respectives du public et des acteurs de l’industrie
nucléaire. Ces dernières sont révélées par leurs intentions intrinsèques, le comportement qu’ils
adoptent, leurs attitudes, leurs langages. Pour une meilleure compréhension, elles ne peuvent
être occultées.
Il existe deux formes de mécontentements de la population en l’espèce.
Un qui est plutôt territorial et cantonné à Bure. Lorsque le village de Bure devient le terrain
d’accueil du laboratoire souterrain, cela conduit en toute logique à des mesures
d’accompagnement économique du territoire. Seulement, nous avons eu l’occasion d’insister
sur le contexte houleux de l’implantation du laboratoire. Dans l’esprit du citoyen, la frontière
est fine entre accompagnement du territoire et achat d’un territoire. Tout en ayant pleinement
conscience de reposer en partie sur la subjectivité inhérente à chaque personne, cette étape de
la réflexion est incontournable (I).
Un qui est d’envergure nationale. Le premier constat que nous sommes en droit d’exposer, est
que l’industrie nucléaire n’est pas encore parvenue à recouvrer la confiance du public malgré
un cadre juridique qui y est plus propice. L’utilisation des procédures participatives
environnementales habituelles n’a pas permis une réelle implication du public. Seulement, il
faut aller au-delà de ce qui est mis en œuvre juridiquement pour comprendre pourquoi le public
sent sa participation ignorée quand il s’agit de nucléaire (II).
113
I. L’incompréhension de « l’accompagnement économique du territoire » ou
l’obstacle implicite à des relations claires
Si l’accompagnement économique des territoires est une mesure compensatoire légale et
légitime (A), elle peut selon le regard porté avoir des effets pervers (B).
A) Les dessous de l’accompagnement économique du territoire
La loi « Bataille » avait prévu des mesures d’accompagnement économique autour des
laboratoires souterrains, en particulier par la constitution de GIP destinés à mener des actions
d’accompagnement et à gérer des équipements de nature à faciliter l’installation et
l’exploitation de chaque laboratoire. Dans cet esprit, deux groupements d’intérêt public (GIP)
ont été créés en Meuse et en Haute-Marne (1). Seulement, leurs missions ont évolué depuis la
loi « Bataille » et tendent à s’orienter vers un projet de développement local bien plus large (2).
1) La traduction de l’accompagnement économique du laboratoire
Les contreparties de l’implantation du laboratoire sont d’ordre financières et économiques.
Deux GIP ont été créés en Meuse et Haute-Marne par deux arrêtés interministériels signés le
20 mai 2000 et le 16 août 2000, « pour gérer les équipements de nature à favoriser et à faciliter
l’installation et l’exploitation du laboratoire ou de Cigéo et pour mener au niveau départemental
des actions d’aménagement du territoire et de développement économique » et « soutenir les
actions en faveur du développement, de la valorisation et de la diffusion de connaissances
scientifiques et technologiques. »383 Ils ont connu une nouvelle évolution suite à l’article 13 de
la loi du 29 juin 2006 concernant la taxe additionnelle d’ accompagnement à la taxe sur les
installations nucléaires de base et de diffusion technologique pour : « gérer des équipements de
nature à favoriser et à faciliter l'installation et l'exploitation du laboratoire ou du centre de
stockage, mener, dans les limites de son département, des actions d'aménagement du territoire
et de développement économique, particulièrement dans la zone de proximité du laboratoire
souterrain ou du centre de stockage, soutenir des actions de formation ainsi que des actions en
faveur du développement, de la valorisation et de la diffusion de connaissances scientifiques et
383 Site officiel de projet Cigéo, disponible à l’URL : http://cigéo.com/le-developpement-du-territoire/l-
accompagnement-economique-du-projet
114
technologiques, notamment dans les domaines étudiés au sein du laboratoire souterrain et dans
ceux des nouvelles technologies de l'énergie. »384
2) Une évolution notable des missions des GIP
Alors que dans l’esprit du législateur en 1991, les missions des GIP semblaient plus
circonscrites selon la formule originelle à « l’accompagnement économique des laboratoires »,
elles sont aujourd’hui plus étendues et les subventions ont pu être octroyées plus largement. En
effet, suite à la lecture du tableau des dispositifs d’aide du GIP Meuse concernant le programme
d’activité de 2015, les objectifs recouvrent une réalité plus large : le développement
économique, les aides aux infrastructures de communication et de transport, le développement
de l’économie touristique, la formation, la recherche, le développement et le transfert des
technologies, l’habitat et l’urbanisme, les services d’aides à la population, le développement
durable et l’environnement385.
Ces dotations financières s’élevaient en l’espèce à 9 millions d’euros par département et par an
en 2006, pour atteindre 30 millions d’euros depuis 2012. L’objectif est d’insérer le projet Cigéo
dans le territoire afin que son implantation soit dynamique et structurante pour son territoire386.
De fait, au-delà du laboratoire et du potentiel futur centre d’enfouissement, il est donc présenté
comme un projet de territoire plus global destiné à le rendre attractif, et à l’aménager.
B) Un mariage forcé entre communes et déchets nucléaires ?387
Les opposants, qu’il s’agisse de citoyens de manière générale ou d’élus, jugent les sommes
d’argent octroyées aux communes ambigües et orientées (1). Si cette théorie pouvait se vérifier,
cela aurait impacté et impacterait considérablement les procédures participatives
environnementales futures (2).
384 Ibidem.
385 Site du GIP Meuse, disponible à l’URL : http://www.objectifmeuse.org/wp-content/uploads/Les-dispositifs-
daide-du-GIP-Objectif-Meuse-20153.pdf
386 Site du Ministère de l’environnement, de l’énergie, et de la mer disponible à l’URL :
http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2013-02-04_DP_Bure.pdf
387 Pastor, J.-M., « Les communes et les déchets nucléaires : un mariage forcé ? », AJCT, 2011, p. 149.
115
1) Les conséquences implicites de l’accompagnement économique du territoire
Le territoire entre la Meuse et la Haute-Marne affiche une faible démographie et une situation
économique peu dynamique. La nucléarisation du territoire contre des sommes d’argent
importantes est une rhétorique que l’on entend beaucoup dans la voix de l’opposition au projet
Cigéo, dénonçant un « achat » de l’acceptabilité de la population de ce territoire limitrophe
entre la Meuse et la Haute-Marne. Cela aurait comme conséquence de biaiser les procédures
participatives à venir sur le sujet. Si nous ne pouvons que formuler des hypothèses, la Chambre
régionale des comptes dans son rapport préliminaire en date de février 2011 sur le GIP de la
Meuse avait noté que « certaines subventions sont parfois attribuées par extension exagérée du
régime qui les supporte », et souligne « l’imprécision récurrente dans la distribution des
subventions. »388 En soit, cela signifie que les dépenses du GIP avaient parfois un lien assez
extrapolé avec sa mission de départ bien que la Chambre régionale de la cour des comptes de
Lorraine note une amélioration claire dans la distribution des subventions389. Le risque étant
que l’utilisation des sommes colossales du GIP390 fasse l’objet de suspicions391, alimentant une
ambiance déjà très tendue. La chambre note par ailleurs que des subventions sont consenties
« à des partenaires historiques impliqués dans le processus financier du développement
territorial [l’Andra, EDF, et le CEA]392 et enjoint le GIP à « adopter une position de principe
388 Chambre régionale de la Cour des comptes de Lorraine, Rapport d’observations définitives – GIP « Objectif
Meuse » 10 février 2011, p. 5. Cela concerne donc la période entre 2001 et 2009. En effet, la chambre précise que
« depuis 2001, la prépondérance [avait été] donnée au soutien du développement local. Ce n’est qu’à compter de
2009, qu’un rééquilibrage des subventions versées a pu être observé en faveur de la zone de proximité. » Durant
une petite dizaine d’année, les subventions étaient donc distribuées sous le sceau du « développement local », qui
est très large par rapport à la mission donnée à ce GIP.
389 Idem., p. 13.
390 Extrait : « Doté d’une capacité d’intervention près de trois fois supérieure à l’autofinancement courant du
département, il complète [l’action de l’ANDRA]. »
391 En effet, l’argent distribué servirait selon les opposants à Cigéo à « acheter les consciences, et le silence. »
Certains élus refusent l’argent des GIP dans une démarche contestataire. Voir notamment à ce sujet l’article
disponible à l’URL suivante : http://www.la-croix.com/Economie/A-Bure-la-manne-controversee-du-stockage-
nucleaire-2011-04-27-595766, extrait : « Sont ainsi financées la réhabilitation et la construction de locaux
d’entreprises, de logements, de routes ou encore récemment d’une unité Alzheimer. Certaines communes
deviennent même dépendantes des fonds GIP pour leurs gros projets. À Bar-le-Duc, par exemple, ils vont financer
un tiers de la nouvelle gare multimodale, de la requalification du centre-ville et du festival Renaissance. »
392 À savoir que depuis 2007, le GIP « ne perçoit plus de subventions de l'ANDRA mais en substitution, une part
de la taxe additionnelle à la taxe sur les installations nucléaires de base. », au regard du rapport de la chambre
régionale de la cour des comptes datant de décembre 2011.
116
sur le financement des projets de ces acteurs. »393 En effet, les fonds sont alimentés par les taxes
payées par les producteurs de déchets radioactifs.
2) Repositionnement de ces propos dans le sujet
Lorsque J.-M. Pastor, rédacteur en chef de la revue juridique « AJCT », affirme que « au-delà
d’un discours manichéen ressassé, les entreprises du nucléaire se montrent généreuses
financièrement auprès des communes pour qu’elles acceptent leur présence sur leur
territoire »394, sa remarque trouve un écho différent que si elle provenait d’un opposant au projet
Cigéo. En effet, c’est davantage la méthode et l’idée même de l’accompagnement économique
du territoire au stade de projet qui est à repenser, plutôt que le comportement des entreprises du
nucléaire qui serait critiquable.
Si nous tenons compte des hypothèses précédentes, nous ne sommes pas en mesure de prêter
des intentions aux membres du GIP, ni aux acteurs du nucléaire, ni aux élus. En revanche, cette
étape du raisonnement est essentielle car elle montre qu’encore une fois, tout n’a pas été pensé
en amont pour distinguer ultérieurement la participation du public de l’acceptation du public.
Ce cas d’école nous montre à quel point il faut être scrupuleux en amont pour permettre en aval
des procédures participatives de qualité.
La transformation du territoire haut-marnais et meusien réalisée grâce à ces deux GIP contribue
à construire la dimension inéluctable du projet Cigéo dans l’esprit populaire et, selon
l’opposition, à le faire accepter ; la crainte majeure de l’opposition étant que les réticences au
projet du public mais surtout celle des élus locaux s’affaiblissent dans le souci d’être cohérents
avec l’argent accepté par les GIP. Cela conduit aussi à mettre en perspective une nouvelle fois
la démocratie participative et la démocratie représentative. On imagine la situation délicate où
les administrés ne sont pas enthousiastes face un projet que l’élu se sent obligé d’accepter. Ce
qui fait dire à J.-M. Pastor que l’alliance entre les communes et les déchets nucléaires est un
« Mariage sans passion mais [un] mariage de raison pour des élus courtisés par une manne
financière... et fiscale. »395
393 Chambre régionale de la Cour des comptes de Lorraine, Rapport d’observations définitives – GIP « Objectif
Meuse », op.cit., p. 13.
394 Pastor, J.M., « communes et déchets nucléaires : un mariage forcé ? », op. cit.
395 Ibidem.
117
II. L’apparente pratique de « la politique du fait accompli » à plusieurs échelons ou
l’obstacle explicite à la confiance du public en les procédures participatives
environnementales
Une participation du public effective exige au préalable qu’elle se déroule suffisamment en
amont du processus décisionnel. Or, la confiance en les procédures participatives
environnementales est malmenée par l’impression continue d’un processus qui semble
inéluctable (B), craintes qui se traduisent localement par un rapport de force important entre
l’Andra et les opposants (A).
A) Le conflit entre l’Andra et les opposants à propos de la forêt de Mandres-en-
Barrois
S’attarder sur le terrain est à la fois indispensable et délicat dans le cadre de ce mémoire.
Seulement, il est indubitable que les faits nourrissent le droit qui est en évolution permanente.
On ne saurait donc s’en éloigner sous prétexte que ces propos peuvent apparaître en marge
d’une réflexion juridique, alors même qu’il faut avoir l’audace de s’appuyer sur le climat local
à Bure pour comprendre ce qui environne le climat juridique et ce qui contribue à la perte de
confiance envers les institutions nucléaires, et l’information communiquée. En ce sens, sera
évoqué le rapport de force qui s’est récemment installé à Mandres-en-Barrois, jouxtant le
village de Bure (1), et qui s’est poursuivi devant les tribunaux (2).
1) Les dessous du contentieux
Nous l’avons abordé, les riverains et les opposants locaux se sentent dépossédés de leur
territoire face à ce qu’ils appellent des manœuvres politico-juridiques. Très récemment, l’Andra
a entrepris des travaux de défrichement et de clôture sur le bois Lejuc à Mandres-en-Barrois
afin, selon elle, d’effectuer des forages, et d’installer des piézomètres pour étudier le sous-sol
en prévision de la construction de Cigéo. Huit associations de protection de l’environnement396
et 4 habitants ont porté plainte contre l’Andra397 au motif principal que les travaux
s’apparentaient à des travaux préliminaires au projet Cigéo qui n’a pas encore recueilli
d’autorisation. Elles s’appuient également sur l’article L. 341-3 du Code forestier aux termes
duquel « nul ne peut user du droit de défricher ses bois et forêts sans avoir préalablement obtenu
396 Bure Zone Libre, Bure Stop 55, France Nature Environnement, Les Amis de la Terre, Meuse Nature
Environnement, Mirabel-LNE, Réseau « Sortir du nucléaire »
397 Voir la plainte : http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/plainte_c_andra_de_frichement_230616_vd.pdf
118
une autorisation », l’Andra n’ayant pas déposé auprès de l’administration un dossier de
demande d’autorisation de défrichement. Un tel dossier est plutôt lourd de conséquences
puisqu’il induit une étude d’impact et une enquête publique préalables.
Ce qui peut apparaître comme un petit contentieux local et rural revêt une dimension
particulière quand il s’agit du projet Cigéo. Ce contentieux vient illustrer une fois encore la
tentative d’accélération progressive du projet. Durant l’été 2016, les travaux illégaux du bois
Lejuc ont eu un retentissement fort pour le public et les antinucléaires. Face à la suspicion
permanente que cet établissement subit, on peut s’étonner que le comportement de l’Andra ne
soit pas exemplaire ; du moins pas assez pour ne pas être traduite en justice.
2) La traduction en justice du contentieux
Après avoir exigé dans un référé déposé le 25 juillet 2016 l’arrêt des travaux effectués par
l’Andra, le TGI de Bar-le-Duc a ordonné le 1er août 2016 la suspension des travaux illégaux et
a demandé la remise en état du site dans un délais de 6 mois, sauf autorisation en bonne et due
forme obtenue d’ici là. Le tribunal a donc constaté l’existence d’un trouble manifestement
illicite398.
Le tribunal se prononce ainsi en attestant du défrichement et de l’absence d’autorisation pour
ce faire. L’Andra « reconnait une erreur d’appréciation concernant la nature des travaux de
défrichement entrepris au Bois Lejuc. »399 Elle insiste en revanche sur le fait que de nouveaux
travaux devront être réalisés mais sans nouveau défrichement, pour faire face à ce qu’elle
assimile à des « actes de malveillance. » En effet, l’été 2016 a vu la lutte des antinucléaires
prendre une nouvelle ampleur à Bure, et cela s’est notamment traduit par une occupation de la
forêt dont l’Andra est propriétaire, largement relayée par la presse qui l’a amalgamée avec la
zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes. Le raccourci est sans doute hâtif, mais comparer
le projet Cigéo à Bure et la lutte historique contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est
légitime puisque les deux mettent en exergue une crise de la participation.
398 Voir l’ordonnance du TGI de Bar-le-Duc en date du 1er août 2016 pour plus de détails :
http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/ordonnance_2016.08.01_defrichement_et_cloture.pdf
399 Andra, Communiqué de presse du 5 août 2016, URL : https://www.andra.fr/andra-
meusehautemarne/download/andra-meuse-fr/document/communique-de-presse-andra-5-aout-2016.pdf
119
B) Un processus compris comme inéluctable
La politique du fait accompli peut se définir, assez lapidairement comme « prendre les décisions
avant, demander l’avis après. » Ce sont précisément les reproches effectués envers les
responsables politiques et les pouvoirs publics par une partie du public (2), notamment parce
qu’est recherchée l’acceptation à tout prix, voire orchestrée (1).
1) La crainte de l’instrumentalisation de l’acceptation
Alors que la démocratie participative avait trouvé un terrain privilégié avec le nucléaire durant
les années 2000, nous l’avions vu, souvent le même schéma se répète400. Doit-on finalement
considérer que le nucléaire ne se prête guère au débat ? Pourrait-on oser dire que l’information
donnée est finalement orientée afin d’amener la population à accepter l’enfouissement des
déchets radioactifs, solution de gestion reconnue par l’ensemble des acteurs de l’industrie
nucléaire, ainsi que par la Communauté européenne ? On ne peut que remarquer que les
interventions du public n’ont pas eu d’écho significatif dans les décisions qui ont suivi. En
reprenant brièvement chronologiquement les faits, on se souvient des oppositions locales très
importantes en 1987 lors de la première tentative d’implantation d’un centre d’enfouissement
dans quatre régions. L’implantation préconisée par la loi de 1991 du laboratoire souterrain fut
également houleuse puisque là où la loi prévoyait la création de plusieurs laboratoires pour
étudier différentes géologies, il n’en exista qu’un seul à Bure. Finalement, le processus
décisionnel des projets qui mettent en œuvre le domaine nucléaire n’aurait guère évolué, mais
utiliserait une stratégie différente : éviter le conflit suite à des décisions imposées, en intégrant
le public aux raisonnements. En somme, le style est moins autoritaire, imposer sans concertation
préalable devenant inacceptable face à la montée en puissance de l’impératif délibératif401.
Yannick Barthes, sociologue spécialisé dans les controverses sociotechniques et les politiques
publiques relatives aux risques collectifs, observe un glissement subtil de l’imposition d’une
décision à la médiation et non pas à la concertation ; ce qui se distingue très nettement du
contenu de l’article 6 de la loi de 1991, laquelle prévoyait que toute implantation de laboratoires
de recherche pour l’étude du stockage géologique donne lieu au préalable « à une concertation
avec les élus et les populations des sites concernés. » Il est vrai que la loi n’a pas donné de
400 Voir p. 97.
401 Blondiaux, L., Sintomer, Y., « L’impératif délibératif », Politix, vol. 15, n° 57, 2002, p. 17-35.
120
définition à ce qu’elle entendait par « concertation », la médiation pouvant en être une forme.
Le vademecum utilisé est totalement différent : les candidatures sont suscitées par le médiateur,
donc est recherchée la spontanéité. Cette démarche au préalable positive est vite ternie par des
propos revenant souvent. Là où pour assurer la sûreté et la sécurité du projet étaient mises en
avant des conditions géologiques propices, on observe « une nouvelle hiérarchisation des
critères de sélection (…) : établir la carte du « géopolitiquement souhaitable » avant même de
prendre en considération celle du « géologiquement faisable. »402 Cette inversion de la tendance
prête à penser que les pouvoirs publics avaient plutôt comme objectif de faire accepter le projet,
plutôt que de discuter de son opportunité.
Un autre exemple de l’orchestration de l’acceptation concerne la réversibilité du stockage. Là
où un stockage irréversible était préconisé à l’origine, nous avons finalement à un stockage
réversible sur 100 ans ponctué de fermetures intermédiaires. Seulement, certains s’accordent
sur le fait que « pour les organismes nucléaires, la réversibilité est seulement une parenthèse
qui ne remet en cause ni l’objectif initial de créer un stockage en profondeur, ni l’irréversibilité
à terme de ce stockage. »403 En ce sens, la réversibilité ne serait donc qu’une modalité
procédurale destinée à favoriser l’acceptabilité sociale de l’enfouissement. Dans un registre
plus cynique, Yannick Barthes rapporte les propos de Hervé Kempf, journaliste au Monde, lors
d’un colloque à Bure sur « La réversibilité et ses limites » illustrant le point de vue selon lequel
la réversibilité est destinée à obtenir l’assentiment des acteurs locaux : « enfin, il y a eu
bizarrement un accord de différents intervenants sur l’idée que la réversibilité avait été incluse
dans la loi de 1991 pour faire, alors là les intervenants n’étaient pas d'accord sur le terme, mais
je dirais pour faire avaler la pilule des déchets, ce que moi j’émettais à titre d’hypothèse. »404
La démarche est finalement très sociologique, puisque la réversibilité telle qu’elle est
aujourd’hui imaginée dans les textes, limite peu à peu l’éventail des possibilités. En effet, « à
la temporalité courte de la décision tranchée [il est ici fait allusion aux conséquences d’un
stockage irréversible], s’oppose ici la temporalité longue d’un processus de décision qui se veut
davantage adapté aux durées engagées par la problématique des déchets nucléaires (…). Cette
402 Barthe, Y., « Mobilisations et choix techniques. Le cas des déchets nucléaires », 15 sept. 2005, disponible à
l’URL : http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/congreslyon2005/communications/tr1/barthe.pdf
403 Ibidem.
404 Ibid.
121
temporalité longue est censée permettre de dédramatiser la décision et de construire pas à pas
son acceptabilité. »405
Par ailleurs les résultats du débat public de 2006 avaient fait émerger la possibilité d’un
stockage en subsurface qui a finalement été ignorée dans les deux lois concernant le nucléaire
de la même année. La loi de 2006 dressant un calendrier provisoire des différentes phases
administratives et scientifiques à venir, nous assistons à la transformation progressive du
laboratoire de recherche en un futur centre d’enfouissement des déchets radioactifs, alors même
qu’à l’époque, les élus locaux avaient candidaté uniquement pour un laboratoire expérimental.
2) La crainte d’une décision déjà entérinée
Nous insistions tout au long du développement sur les mots et leur signification, ce n’est pas
un hasard. Un point clef est celui que nous venons d’étudier, la réversibilité qui est bien plus
qu’un processus technique. Préconisée, instrumentalisée, elle est au cœur de toutes les
argumentations rhétoriques. Là où pour certains elle est un abus de langage, elle est pour
d’autres la preuve de la prise en compte de considérations éthiques. Poussée à son paroxysme,
elle s’accommode mal de l’enfouissement qui a pour destin de devenir irréversible. Un autre
exemple très récent concerne la phase pilote industrielle, dont le lancement est autorisé par la
loi de juillet 2016, qui pour les opposants ou une partie du public sceptique devrait s’apparenter
à une expérimentation, in situ. Or, ils redoutent que le lancement de la phase pilote « soit un
leurre pour précipiter le lancement industriel de Cigéo. »406
Ces propos sont délicats à tenir, mais il y a visiblement quelque chose qui ne fonctionne pas, et
ce sans avoir une vision manichéenne entre l’Andra, largement diabolisée par les opposants, et
ceux-ci, souvent ignorés. La rencontre du public et du nucléaire est une avancée certaine mais
le décalage que l’on observe entre les élus qui y sont plutôt favorables et la scène publique plus
distanciée est assez saisissant pour être notifié. À tort ou à raison, le premier semestre de 2016
à travers les tentatives d’insertion d’amendements, la loi controversée du 25 juillet 2016, les
405 Barthe, Y., « Les qualités politiques des technologies. Irréversibilité et réversibilité dans la gestion des déchets
nucléaires » [en ligne], Tracés. Revue de Sciences humaines, 2009, mis en ligne le 20 mai 2011, p. 119-137, point
26, disponible à l’URL : http://traces.revues.org/2563 ; DOI : 10.4000/traces.2563
406 Réseau « Sortir du nucléaire », fiche mai 2016, disponible à l’URL :
http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/une_phase_pilote_.pdf
122
travaux de l’Andra dans la forêt du Bois Lejuc, induisent une accélération malvenue là où les
promoteurs du projet et le Gouvernement devraient se montrer exemplaires.
En réalité, il faut s’interroger sur ce que l’on entend réellement par démocratie participative,
sur la place que nous sommes prêts à laisser au public. La démocratie participative a des
difficultés à apprivoiser le milieu du nucléaire civil. Le projet Cigéo est symptomatique d’une
crise de la participation et amène à repenser les modalités participatives, du moins à les clarifier.
En effet, alors même que le citoyen se voit « réhabilité politiquement [au sein d’un phénomène
de reconfiguration de la démocratie environnementale] », on observe dans le même temps « un
mouvement apparemment antagoniste à savoir le renforcement de la démocratie représentative
via la centralité du rôle du législateur dans la définition des conditions et des limites du droit de
la participation. »407
Est-ce le nucléaire qui s’accommode mal de la démocratie participative, ou est-ce le public qui
cerne mal les enjeux de la participation ? Finalement, le contentieux actuel entre les acteurs du
nucléaire et le public serait-il la conséquence du manque de clarté du législateur ?
Section 2 – Analyse du projet Cigéo sous l’angle de l’effectivité juridique des principes
d’information et de participation
L’effectivité de ces principes a comme essence la volonté de ceux qui ont la charge de leur mise
en œuvre. En ce sens, on note un décalage entre les velléités prononcées de répondre à la
demande sérieuse du public à être informé et à participer, et celles sans doute moins visibles de
vouloir prendre en compte leurs observations. Au-delà des aspects comportementaux et de
toutes les fenêtres sociétales et morales que comporte ce sujet et qui ont une place considérable
dans l’explication du divorce prématuré entre les promoteurs du projet et une partie du public,
il convient de s’interroger sur la place du droit. Les aspirations du public ne sont pas assouvies
et cela n’est pas compris. En réalité, il semblerait que cet aspect de la participation du public
n’ait pas été assez clarifié dans le droit, là où les principes d’information et de participation
n’ont pourtant jamais eu la prétention d’offrir une promotion démesurée à la démocratie
participative. Ce cas d’école en est une illustration et s’avère être une occasion parfaite pour
travailler sur l’effectivité de la participation du public. Il ne fait aucun doute que ce cas d’espèce
restera en la matière une source d’inspiration majeure et incontournable pour améliorer les
407 Moliner-Dubost, M., « Démocratie environnementale et participation des citoyens », AJDA, 2011, p. 259.
123
procédures participatives environnementales, notamment le débat public. En attendant, il révèle
certains aspects difficiles à surmonter puisqu’ils sont de différents ressorts (I), ce qui pousse à
s’interroger sur l’évaluation de la participation du public à travers Cigéo (II).
I. Obstacles aux procédures participatives spécifiques aux projets industriels
Les procédures participatives sont inévitablement parasitées par des considérations d’ordre
économiques, sociologiques et politiques. Le travail du juriste est de les dépasser pour que ces
procédures soient de qualité. Il existe également des problématiques qui sont inhérentes aux
projets industriels. Le projet Cigéo est symptomatique de ce qui précède (A). Il vient confirmer
également la difficulté de questionner le risque au sein d’un processus de décision (B).
A) Le projet Cigéo : symptomatique des relations entre projets industriels et société
La prise en compte croissante des aspects environnementaux impactant les zones
d’implantation des projets a conduit les États à se doter d’un arsenal juridique de plus en plus
développé à l’égard des porteurs de projets. Aux problèmes systématiquement rencontrés lors
d’un projet industriel (1), s’ajoutent celles spécifiques au nucléaire (2).
1) Les réaffirmations des problématiques inhérentes aux projets industriels en matière de
participation
Le lancement d’un projet industriel génère souvent des crispations. Un colloque avait été
organisé sur la manière d’organiser la concertation autour d’un projet industriel408. Face à un
déficit de confiance, il s’agissait de s’interroger sur la manière de restaurer la confiance et de
trouver « des outils juridiques pour intégrer les demandes des citoyens. »409 Cette démarche
s’inscrit dans le défi très contemporain de la modernisation de l’environnement qui s’exprime
à travers l’interrogation suivante : « comment concilier prise en compte des demandes
citoyennes et le développement optimum des projets industriels ? » Les pistes proposées
songent à un glissement de vocabulaire de « l’acceptabilité sociale » vers « l’appropriation d’un
territoire », donc une articulation autour « d’un dialogue territorial pérenne afin de se préparer
408 Compte-rendu du séminaire organisé par Décider ensemble le 22 mai 2014 : « Projets industriels : quelle place
pour la concertation ? », BDEI, n° 55, fév. 2015, pp. 32-58.
409 Idem., p. 32.
124
en amont à accueillir des projets industriels. »410 À l’issue de ce séminaire composé de quatre
tables-rondes thématiques, une des conclusions est que n’apparaissent pas comme nécessaires
de nouvelles lois ou règlements, mais une amélioration des méthodes vers une culture de la
concertation411. Comme un écho à ce que nous avons démontré, la place de la confiance au sein
du débat est dans l’esprit des citoyens plus importante que les aspects procéduraux qui ont
pourtant le mérite d’offrir des garanties plus fiables. Aussi, le bilan du colloque dresse certaines
propositions pour parvenir à cette « culture commune », qui s’appuient davantage sur des
pratiques que sur des procédures juridiques412 ainsi que sur la capacité du maître d’ouvrage à
accepter que son projet évolue, change, voire soit abandonné. À l’inverse, et d’autant plus
concernant un projet industriel, Loïc Blondiaux, professeur de sciences politiques, souligne un
« impensé procédural »413 pour la concertation, qui au contraire de l’enquête publique et du
débat public, a pour effet que le terme « [revêt] des réalités très différentes et contribue au
renforcement de ce flou procédural. »414
De plus, un projet industriel qui touche au nucléaire a encore plus de difficulté à s’insérer dans
le territoire.
2) Les attentes supplémentaires aux projets du domaine nucléaire
Au-delà d’être industriel, le projet Cigéo est éminemment politique. Pour étayer cette
affirmation, repensons au débat public de 2006 qui avait pour particularité de ne pas questionner
l’opportunité d’un projet mais de réfléchir à une solution de gestion adéquate pour les déchets
nucléaires.
410 Id., p. 33. Cela passe notamment par la création de support à la concertation au sein même des territoires,
l’instauration d’offices de consultation publique dans les territoires, la mobilisation régulière de l’ensemble des
acteurs et parties prenantes d’un territoire.
411 Id., p. 54.
412 Idem., les propositions à retenir sont donc : la création ou le développement de formations sur la concertation
dans les écoles, la simplification et la meilleure articulation entre les instances de concertation existantes, le recours
à des outils plus modernes (réseaux sociaux, internet), l’adaptation des dispositifs aux pratiques territoriales, à la
taille du projet, au territoire … etc.
413 Blondiaux, L., « L’idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions récurrentes », in Bacqué
M.-H., Rey H., Sintomer, Y. (dir.), Gestion de proximité et démocratie participative, une perspective comparative,
Paris, La Découverte recherche, 2005, pp. 119-137, disponible à l’URL :
https://www.cairn.info/load_pdf.php?download=1&ID_ARTICLE=DEC_BACQU_2005_01_0119
414 Décider ensemble, Projets industriels : quelle place pour la concertation, mai 2014, p. 44, disponible sur :
http://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-21735-projets-industriels.pdf
125
La solution préconisée légalement et autour de laquelle est organisé le calendrier passé et à
venir du projet Cigéo dépend largement de la place de l’énergie nucléaire dans le programme
énergétique. Le volume des déchets qui seraient enfouis dans les sous-sols de Bure dépend de
la qualification de « matière » ou de « déchet radioactif », voire de « déchet ultime ». Eux-
mêmes dépendent des choix énergétiques et de l’avenir jugé plus ou moins incertain du
nucléaire en France. L’inventaire autorisé de Cigéo sera fixé par le décret d’autorisation du
centre, mais il aurait été préférable que le volume ne soit pas tributaire de l’évolution de la
politique électronucléaire française bien que « toute évolution notable sera soumise à une
nouvelle autorisation et fera, à ce titre, l’objet d’une nouvelle enquête publique. »415
La politisation du sujet rend le climat entourant le Cigéo encore plus suspicieux et les attentes
plus sévères. Une étude de l’IRSN mettait en exergue en 2004 avant la loi TSN les attentes des
citoyens en matière de transparence au sein du nucléaire civil. Le bilan montrait une
insatisfaction de la société civile, « une estime relative pour le travail qui est fait par l’organisme
d’expertise public [et] la limite extrême ressentie autour de son indépendance et de sa
transparence », ainsi que des préoccupations quant à la circulation de l’information en matière
nucléaire416. Si le système d’information a été modernisé et le cadre institutionnel complété,
cela n’a pas permis d’enrayer des inquiétudes légitimement ancrées dans les esprits.
B) Des problématiques révélatrices du rapport au risque de la société
C. Liéval, doctorante en géographie, souligne à travers un exemple « éloquent »417 que l’on
observe actuellement un parallélisme étonnant entre l’avènement de la démocratie participative
et la difficulté à intégrer la participation dans la gestion des risques418. Ses propos pourraient
s’appliquer au projet Cigéo qui est lui-même une illustration parlante du dialogue chaotique
415 http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-dechets-concernes.html
416 IRSN, extrait du compte-rendu de la table ronde sur la transparence organisée en novembre 2004, disponible
sur : http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Nucleaire_et_societe/ouverture-
transparence/transparence_irsn/Pages/3-attente-parties-prenantes-transparence-expertise.aspx#.V8rW1piLTIU
417 Liéval, C., « Nouveaux risques », controverse environnementale et démocratie participative : l’exemple de
l’opposition grenobloise aux nanotechnologies » [En ligne], Revue Géographique de l'Est, vol. 53, 2013,
disponible à l’URL : http://rge.revues.org/4616
418 Ibidem., extrait : « élus prenant des décisions relevant à leurs yeux de l’évidence, processus de participation
tardivement instauré au déroulement chaotique, mais aussi contradictions portées par les opposants, tout cela nous
conduit à nous interroger sur le caractère problématique de ces « nouveaux risques ». Comment dénoncer
l’invisible, l’insaisissable ? »
126
entre le promoteur d’un projet industriel et le public (1), notamment du fait de la part de risque
qui lui est inhérente (2).
1) La difficulté à discuter d’un projet industriel entre son promoteur et le public
Si nous nous émancipons un temps des particularités du nucléaire et tentons de considérer le
projet Cigéo comme un projet industriel « lambda », on remarque que ces projets suscitent les
mêmes problématiques. De manière générale, les liens entre le public et les promoteurs de
projets industriels sont tendus et c’est précisément le défi à surmonter. Ils n’arrivent pas à
s’entendre à cause de leurs objectifs différenciés, auxquels s’ajoute une conception du futur
parfois très antagoniste. Là où ils échouent, il faudrait que les procédures participatives
parviennent à recréer du lien, du dialogue, et permettent un débat éclairé et fructueux où les
intérêts ne sont pas confrontés mais discutés.
Pour cela, il faudrait apparemment que les caractéristiques techniques des projets soient
équivalentes aux aspects sociaux. Si le « techniquement faisable » est plus facilement
discutable que le « philosophiquement acceptable », appréhender ces questionnements sur un
même plan d’égalité permettrait que la décision ne soit pas axée principalement sur des
considérations techniques. Cela aurait pour mérite de créer des rapports horizontaux entre les
parties, le public ayant souvent la sensation de ne pas être apte à discuter d’un projet technique.
Cette démarche contribuerait à injecter des « sciences sociales » dans un débat comportant un
choix technique, afin de « clarifier les dispositifs techniques en montrant les hypothèses qu’ils
renferment, et en articulant les critiques qu’ils suscitent. »419 L’appréhension de la technique
est alors toute autre, car elle a en elle-même une approche sociologique. Par conséquent, elle
pourrait être discutée différemment. En somme, ce cheminement n’est point révolutionnaire,
car seul le regard change. Seulement, bien mené, cela pourrait assouplir les rapports et permettre
des débats de qualité sur des décisions qui nous concernent tous.
2) Deux visions du risques incompatibles ?
Un autre phénomène récurrent dans un débat découle de cette suprématie des considérations
techniques dans le processus de décision. Il s’agit du rapport au risque de la population de
manière générale, et cela au-delà du syndrome Nimby.
419 Barthe, Y., « Les qualités politiques des technologies. Irréversibilité et réversibilité dans la gestion des déchets
nucléaires », op. cit., point 35.
127
« Que les hommes politiques soient attentifs aux inquiétudes que suscitent les nouvelles
technologies est sans doute nécessaire, mais doivent-ils pour autant faire croire au plus grand
nombre qu’ils expriment un bon sens populaire auquel il serait urgent de prêter l’oreille ? » Ce
passage est un extrait de l’ouvrage « L’inquiétant principe de précaution. »420 Les auteurs
traduisent les connotations qu’ils jugent paralysantes de ce principe juridique en s’appuyant sur
le rapport aux risques des populations. Toujours selon eux, la démocratie représentative ne doit
pas être supplantée par la démocratie participative qu’ils estiment être moins représentative de
l’intérêt général. Chacun s’accordera a priori sur la définition de la notion d’intérêt général
comme étant un « principe fondamental de légitimation du pouvoir dans les sociétés
modernes », c’est-à-dire que « tout pouvoir quel qu’il soit est en effet tenu d’apparaître comme
porteur d’un intérêt qui dépasse et transcende les intérêts particuliers des membres. »421 En
revanche, chacun ne s’entendra pas sur la place de la démocratie participative pour répondre à
ce principe. Dans une version assez traditionnelle de l’intérêt général, « l’État est érigé en
dépositaire », l’incarne, et « l’appartenance à la sphère publique permet aux représentants
politiques et aux fonctionnaires de placer leur action sous le sceau de l’intérêt général. »422 Cette
vision s’appuie sur le fait que l’intérêt général et les intérêts particuliers seraient d’essence
différentes et contradictoires. À ce postulat selon lequel les élus seraient les porte-paroles de la
volonté de la nation, s’oppose la vision selon laquelle l’État et les représentants élus n’auraient
plus le monopole de l’intérêt général, la loi elle-même dans cette conception souffrant d’un
déficit de crédibilité. Il n’y aurait ainsi plus de franche opposition entre intérêt général et intérêts
particuliers ; l’intérêt général, sans être l’addition d’intérêts particuliers, s’en nourrissant. Qui
plus est, « le recours aux techniques participatives est apparu indispensable pour remédier au
déficit de légitimité de l’État et à la crise de la représentation politique. »423 Or, concernant les
risques, ce n’est pas cette posture qu’adoptent Gérald Bronner et Etienne Géhin dans leur
ouvrage, s’inquiétant d’un précautionnisme concomitant à « la multiplication des instances
420 Bronner, G., Géhin, E., L’inquiétant principe de précaution, PUF 2010.
421 Chevallier, J., « Intérêt général », in Casillo, I., avec Barbier, R., Blondiaux L., Chateauraynaud, F.,
Fourniau J.-M., Lefebvre R., Neveu, C., et Salles, D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la
participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013.
422 Ibidem.
423 Ibid.
128
démocratiques424. Ce parti-pris s’oppose donc avec ferveur à une mise sur pied d’égalité de
l’expert, et du citoyen, dont l’expression serait motivée par des craintes irrationnelles.
Ces points de vue ne sont guère nuancés, mais pointent une difficulté majeure qui nous amène
de nouveau au principe de précaution, de la science à la loi. La place à laisser à la démocratie
participative de manière générale, au public au sein du processus des décisions, n’a pas de
destinée consensuelle. L’appréhension des risques d’un projet en est l’illustration, en ce qu’elle
est liée à une logique subjective qui ne doit pas supplanter l’analyse technique d’un projet selon
les sceptiques de la démocratie participative. L’acceptation et la perception des risques sont des
éléments incontournables du projet Cigéo et mériteraient une réflexion à part entière425.
II. Brève analyse finale de l’ineffectivité de la participation confrontée au manque
d’acceptabilité sociale de Cigéo
À la suite du débat public de 2013, une partie des membres de la CPDP s’était désolidarisée du
bilan et avait dénoncé le fond comme la forme du débat. Ils savaient que le débat s’annonçait
particulièrement tendu puisque « les impératifs et injonctions des démocraties modernes, à
savoir le débat, le dialogue et la concertation [allaient rencontrer] les problématiques de
l’énergie la plus controversée au monde. »426 L’articulation entre « la parole citoyenne sur les
enjeux environnementaux en France et l’un des sujets les plus sensibles de notre démocratie [le
nucléaire] »427 s’avérait compliquée. De fait nous nous attacherons à confronter les conditions
préalables indispensables à la tenue d’un débat public de qualité à ceux organisés concernant
les déchets radioactifs (A). À la suite de quoi, nous nous accorderons sur le fait que la difficulté
à évaluer juridiquement l’efficacité d’une procédure participative n’est pas spécifique au
424 Bronner G., Géhin, E., « Peurs ou intérêt général : les dangers de la démocratie participative » [en ligne],
Science et pseudo-sciences, n° 304, avril 2013, extrait du livre précité « L’inquiétant principe de précaution »
disponible à l’URL : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2129
425 Sur la thématique des risques et particulièrement l’acceptation des risques industriels et nucléaires, lire :
Bernier, S., Perceptions des risques industriels et nucléaires, Enjeux, négociations et construction sociale des
seuils d’acceptation des risques, Sociologie, Université François Rabelais, Tours, 2007.
426 André, J.-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie à l’épreuve du débat public Cigéo, mise en scène
d’un débat et d’un choix politique », op.cit., p. 2.
427 Idem., p. 1.
129
nucléaire et s’insère dans une problématique plus vaste, notamment parce que la participation
du public se réalise à travers des modalités à géométrie variable (B).
A) Les conditions préalables à la tenue de processus participatifs confrontées au
projet Cigéo
Nous avons vu tout au long de ce chapitre les éléments, les notions, les principes, les concepts,
à prendre en considération en amont de la participation. Nous avons remarqué combien « la
confiance » est un thème récurrent au sein de la discussion. Nous ne sommes pas habilités à
juger de la franchise et de la sincérité des divers acteurs. En revanche, les aspects qualitatifs de
la participation du public doivent pouvoir être évalués au-delà de ces considérations arbitraires,
donc juridiquement. Nous tenterons donc de nous y prêter. Il s’agit de vérifier si projet Cigéo
tel qu’il a été présenté au public lors du débat public de 2013 permettait une participation du
public conforme aux exigences de la convention d’Aarhus (1). Cela nous invite à se poser la
question suivante : jusqu’où intégrer le public dans le processus de décision ? (2).
1) Le non-respect de la condition sine qua non du débat public
L’opportunité du projet est l’élément qui motive le déroulement d’un débat public. Du moins,
il est incontournable pour ensuite discuter des éléments qui constituent le corps de ce qui est
débattu : souvent la faisabilité technique, les aspects sociaux et moraux, et tout ce qui a déjà été
exposé. Ce qui est à débattre, c’est sa nécessité et non pas les caractéristiques d’un projet428.
Le débat public de 2013 dysfonctionnait à ce titre avant même qu’il ne commence. Une partie
des membres de la CPDP ont dénoncé la dimension inéluctable de Cigéo à travers
l’implantation de l’Andra dans le territoire ; ce qui n’est pas sans rappeler les propos tenus plus
haut sur l’accompagnement économique du territoire. Ils évoquent à ce titre le fait que « la
population locale vit avec ce projet depuis plus de dix ans ; les infrastructures qu’elle a vu
s’implanter à Bure, la communication proactive de l’andra qu’elle lit ou qu’elle entend
quotidiennement, les soutiens économiques à de multiples projets locaux dont elle bénéficie,
les proches qui travaillent directement ou indirectement à ce projet, la perspective de
428 Peylet, R., « Quelques enseignements d’un débat public », AJDA, 2006, n° 42, p. 2328 et s. : « C’est (…) en
premier lieu, de l’opportunité et des objectifs de tels projets qu’il s’agit de pouvoir débattre publiquement, et en
second lieu, de leurs caractéristiques principales (…). La loi prévoit (...) que ce soit d’un “projet” qu’il soit débattu.
130
dynamisme que peut apporter le projet au territoire et parfois la fierté de travailler pour une
industrie de pointe (…) : [concluant que le projet] ne peut pas ne pas se réaliser. »429
Dans cette continuité, le projet Cigéo est un véritable enjeu pour la politique énergétique
française. Trouver une solution pour les déchets permettrait de « boucler la boucle ». Discuter
de l’opportunité du projet ferait courir le risque qu’il soit remis en question par le public, ce qui
n’est pas l’intérêt du maître d’ouvrage. Il aurait fallu déterminer « l’effet utile » comme facteur
de déclenchement du débat public, au sens adapté par R. Brett de la notion, afin que « les
dispositions organisant le droit de participer soient appliquées de telle manière que leur plein
effet pratique se trouve assuré », ce dernier étant altéré par « l’indétermination de ce que les
autorités publiques attendent de la participation. »430 Or, ces imprécisions génèrent une
inefficacité. En l’espèce, nous sommes en mesure d’affirmer que l’essence du débat public n’a
pas été satisfaite.
2) Clarifier la place du public au processus de décision au préalable
Ce second élément vient plutôt questionner le premier débat relatif aux déchets nucléaires. En
effet, l’exercice de la démocratie participative avait mieux fonctionné puisque du bilan du débat
public avait émergé une alternative au stockage en couche géologique profonde, soit
l’entreposage pérennisé en subsurface ; la parole avait été largement laissée au public. Or, le
Parlement a entériné l’enfouissement l’année suivant le débat. Si cette décision a été mal
acceptée, cela est certainement dû au flou qui entoure la participation et ses enjeux. Il est
vraisemblable que le droit n’ait pas contribué à une clarification de la place du public dans le
processus de décision par les terminologies usitées de « prise en compte » ou de « prise en
considération. » On pourrait presque craindre que ces imprécisions aient elles-mêmes généré
un contentieux. Comme le rappellent les membres de la CPDP, « la participation du public au
processus décisionnel et à l’élaboration des projets n’est pas la participation à la décision en
tant que telle. »431 Tout le challenge du législateur et de ceux qui orchestrent les procédures
participatives est de convaincre le public de l’utilité de son implication au sein du processus
429 André, J.-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie à l’épreuve du débat public Cigéo, mise en scène
d’un débat et d’un choix politique », op. cit,, p. 8.
430 Brett, R., op. cit., p. 371.
431 André, J.-C., Métais, A., Redlingshöfer, B., « La démocratie à l’épreuve du débat public Cigéo, mise en scène
d’un débat et d’un choix politique », op. cit., p. 3.
131
décisionnel tout en s’assurant que les citoyens aient conscience qu’ils n’ont pas de pouvoir
décisionnel. Cependant, pour que le débat public par exemple ne soit pas considéré par le public
comme « un moyen officiel pour le maître d’ouvrage de faire accepter socialement son projet »,
il est nécessaire que la participation soit de nature à faire évoluer, modifier, voire annuler le
projet.
Cela nous amène à nous demander jusqu’où la participation doit être prise en compte et à quel
point le public doit être associé ? La mesure est extrêmement complexe et il n’existe pas de
méthode officielle. La prise en compte des observations du public est soumise à une part
d’arbitraire et à la volonté du promoteur du projet. Étudier l’effectivité juridique de la
participation du public s’avère laborieux, notamment parce que « il n’existe aucun critère
objectif véritablement susceptible d’orienter l’appréciation de la réalité de l’influence du public
sur la décision (…) ni le législateur, ni le juge [ayant] pris le risque de fixer de réels critères
d’appréciation (…), il est vrai que l’exercice semble tout à fait redoutable. »432 Pour autant, cela
ne doit pas décourager le juriste, car évaluer l’efficacité des procédures participatives est
primordial, et certains s’y prêtent.
B) La très délicate évaluation de l’effectivité juridique des processus participatifs
Nous terminerons par des considérations d’ordre générales, qui s’appliquent à tous les
processus participatifs, mais qui viennent s’ajouter aux difficultés spécifiques au nucléaire.
L’appréciation juridique des effets de la participation du public est très clairement un défi actuel
(1). Les pistes proposées ne permettent pas encore une évaluation qualitative et quantitative
optimale, mais permettent de se faire un avis sur la prise en compte des observations du public
(2).
1) Des obstacles de plusieurs natures à une évaluation crédible de la participation
Le paragraphe 4 de l’article 6 de la Convention dispose que « chaque partie prend des
dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-
dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer
une réelle influence. » Après lecture de cet article, Julien Bétaille, maître de conférences en
droit public, rappelle que le Conseil d’État n’a pas reconnu d’effet direct à cet article, ne s’est
432 Bétaille, J., « La contribution du droit aux effets de la participation du public : de la prise en considération des
résultats de la participation », RJE, 2010, n° 2, vol. 35, p. 206, disponible à l’URL : www.cairn.info/revue-revue-
juridique-de-l-environnement-2010-2-page-197.htm
132
pas prononcé sur cette question, et n’a ainsi pas pu fixer de critère sur ce que l’on peut entendre
par « réel. »433
L’évaluation se heurte ensuite à ce que l’on entend par « influence. » Il faudrait imaginer un
vademecum scientifique et rationnel pour mettre fin aux controverses et pour mesurer
« l’influence », facilement perceptible, mais difficilement quantifiable.
Si l’on s’attarde sur l’évaluation du débat public, on peut noter au moins deux difficultés
supplémentaires soulevées par Julien Bétaille. D’une part, il souffre spécifiquement en amont
d’un déficit d’encadrement, « le législateur n’ayant pas prévu les modalités du débat, celles-ci
demeurent à l’entière discrétion de la CNDP. Cette situation peut présenter le bénéfice de la
souplesse. Cependant, cette absence de garantie écrite peut entraîner un déficit de confiance du
public dans la sincérité de la procédure et ainsi alimenter tous les soupçons. En outre, le lien
entre le débat et la décision administrative n’est pas assuré. »434 L’évaluation en aval en est que
plus délicate, car apprécier qualitativement l’issue d’un débat public en vérifiant la prise en
compte des résultats du débat au sein de la décision finale s’avère périlleux. D’autre part, le
débat public devrait être repensé, ou du moins clarifié. Le point de vue selon lequel « les débats
publics sont tiraillés entre deux modèles de la participation du public »435 s’avère à notre sens
très juste. Il faudrait que le débat public s’oriente vers le choix de l’accomplissement soit d’un
principe d’efficacité (et fasse ainsi la part belle à la négociation entre les acteurs et à une
construction du débat très collective), soit d’un principe de légitimité (où il s’agirait davantage
de faire adhérer le public et d’éclairer le décideur)436. Dans cette continuité, on peut opposer au
modèle de la participation comme « mobilisation », celui de la participation comme « action
publique. »437 La seconde hypothèse est plus probable, le projet Cigéo l’étaye. La première
impliquerait une restructuration juridique de la place du public très importante au sein des
processus participatifs.
433 Ibidem.
434 Bétaille, J., Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne, thèse dact, Université
de Limoges, 2012, p. 479.
435 Brugidou, M., Dubien, I., Jobert, A., « Quels critères d’évaluation du débat public ? Quelques propositions »,
in Revel, M., Blatrix, C., Blondiaux, L., Fourniau, J.-M., Hériard Dubreuil, B., Lefebvre, R., (dir.) Le débat
public : une expérience française de démocratie participative, coll. Recherches, La Découverte, 2007, pp. 305-
317.
436 Ibidem.
437 Bresson, M., « La participation : un concept constamment réinventé » [en ligne], Socio-logos, n° 9, 2014,
disponible à l’URL : http://socio-logos.revues.org/2817
133
2) L’indice majeur de la prise en compte des observations du public : la motivation des
décisions
La motivation au sein de la décision finale, qu’il s’agisse d’un acte administratif, d’un projet
public, ou d’un projet privé, est un indice de l’influence de la participation du public qui n’est
pas négligeable. L’exposé des motifs au sein de la décision permet « de pouvoir contrôler le
degré de prise en compte des résultats de la participation, fournissant ainsi un moyen de
l’effectivité de l’article 6 paragraphe 4 de la Convention d’Aarhus »438, ce que Gérard
Monédiaire, professeur de sciences politiques, qualifie de « dynamique cognitive
circulaire. »439 En revanche, Julien Bétaille, reprenant les propos de Bénédicte Delaunay dans
« Le débat public », précise « que la procédure du débat public, même si elle demeure la plus
aboutie, (…) ne garantit nullement une prise en compte des points de vue exprimés et ne permet
pas nécessairement d’associer le citoyen à la décision collective. »440
Conclusion de chapitre
Ces considérations générales et très succinctes n’ont pas vocation à être exhaustives et viennent
simplement étayer dans notre réflexion la latitude laissée au promoteur du projet, en l’espèce à
l’Andra, pour utiliser les résultats de la procédure du débat public à la portée finalement très
relative. Le conflit latent entre l’Andra et une partie du public est très vraisemblablement à
attribuer à des faiblesses textuelles en amont et l’argument rhétorique très largement repris de
« la participation du public au processus de décision » devient par extrapolation mensonger. Il
s’agit donc de clarifier les visées de la procédure de débat public, afin qu’elle ne suscite pas des
aspirations démesurées mais légitimes au sein du public. À cela s’ajoutent les controverses
438 Bétaille, J., « La contribution du droit aux effets de la participation du public : de la prise en considération des
résultats de la participation », op. cit.
439 Monédiaire, G., « Vers la motivation des actes administratifs généraux, spécialement en droit de
l’environnement », in « Pour un droit commun de l’environnement, Mélanges en l’honneur de Michel Prieur »,
Dalloz, Paris, 2007, p. 635.
440 Bétaille, J., Les conditions juridiques de l’effectivité de la norme en droit public interne, p. 479.
134
exposées et propres au nucléaire tout au long de ce chapitre. Nous retiendrons un seul mot, la
confiance, qui est le meilleur facteur d’acceptabilité et d’effectivité à toutes les échelles : une
décision, une norme, ou encore une procédure participative.
135
Conclusion
Le schéma typique de l’examen d’une réglementation peut s’apparenter à un triptyque. On
recherche avant tout s’il existe une réglementation. Ensuite, on l’étudie. Pour finir, on vérifie si
elle est suffisante quant aux objectifs fixés. En l’espèce, il existe désormais un arsenal juridique
en matière d’information et de participation spécifique au nucléaire et nous l’avons étudié. Nous
avons remarqué qu’il n’existait pas de procédures participatives dérogatoires au droit de
l’environnement. Là où le droit nucléaire semble s’aligner sur le droit de l’environnement dans
une démarche de « légimitisation », il ne s’en émancipe pas lorsqu’il s’agit de favoriser
davantage la démocratie participative. Il existe des limites propres en matière nucléaire prévues
notamment par la loi TSN, mais ce sont les procédures classiques qui s’appliquent. Suite à
l’étude de cet arsenal, nous avons tenté une analyse des fenêtres transversales du projet Cigéo
qui, à notre sens, s’apparente à bien plus qu’un simple projet industriel. Il nous emmène
finalement au-delà de l’étude de l’efficacité de ces procédures appliquées à ce cas d’école du
domaine nucléaire vers une véritable expérience sociologique.
En réalité, il faut aller au-delà du droit pour comprendre l’enjeu de ce mémoire et recentrer le
sujet sur l’Homme441. L’idée peut paraître trop vague, trop ambitieuse à traiter, trop risquée et
hasardeuse. Pourtant, l’échec des procédures participatives de Cigéo doit, à notre sens, lui être
attribué davantage plutôt qu’à leur déroulement ou leur organisation qui restent toutefois à
améliorer et sur lesquels le juriste est en capacité d’intervenir. En revanche, l’Homme en lui-
même, qu’il s’agisse de l’expert scientifique, du promoteur du projet, du citoyen impliqué, du
citoyen peu concerné, du pro-Cigéo, de l’anti-Cigéo ou même du juriste, peut être considéré
comme l’acteur principal de cet échec puisqu’il est responsable du contexte juridique, social, et
environnemental dans lequel le projet s’insère. Nous ne sommes pas en mesure d’accuser qui
que ce soit, mais nous avons en temps voulu suffisamment étayé les comportements de chacun
de ces protagonistes pour comprendre combien l’effectivité de la participation du public,
d’autant plus dans le domaine nucléaire, dépend très largement du bon-vouloir de l’ensemble
des acteurs. L’Homme crée le droit, il est le seul à même d’adopter une démarche cohérente
pour atteindre l’objectif audacieux de dépasser deux paradoxes :
441 Fonbaustier, L., « La participation du public », AJDA, 2015, Dalloz, : « Le reste est silence, ou n'appartient pas
au droit, car la chair de la participation du public en nos affaires est en partie sociale et non institutionnelle. » En
effet, il faut avoir à l’esprit que tout ne se passe pas dans le droit.
136
Dans un premier temps, la contradiction soulevée par Yves Jegouzo, « tout le problème auquel
s’est affronté le droit administratif depuis une vingtaine d’années a donc consisté à résoudre
cette contradiction : la participation exige qu’elle ait une portée effective mais celle-ci ne peut
qu’être consultative. »442 Telle est la contradiction juridique.
Dans un second temps, celle rappelée par Rémi Barbier, sociologue, reprenant les mots de S.
Rui dans « L’impasse de l’amont » en 1990, une « participation le plus en amont possible » fait
partie du guide de bonne conduite de toute démarche participative, l’auteur expliquant que « le
“public” n’est véritablement intéressé, et éventuellement contestataire, que vis-à-vis de projets
déjà bien concrets. »443 Telle est la contradiction de l’Homme, dont les aspirations ne sont pas
toujours cohérentes avec son engagement et son comportement.
Surtout, il faut avoir à l’esprit que l’échec des procédures participatives appliquées au projet
Cigéo sont à replacer dans un contexte bien plus global, et c’est en ce sens que cette étude s’est
attachée à comprendre les éléments qui s’y rattachaient de près ou de loin. C’est précisément le
message que F. Chateauraynaud entend faire passer lors qu’il explique en quoi le débat public
s’inscrit dans « des séries d’épreuves qui [le] précèdent, [le] prolongent, [le] débordent, et [le]
dépassent. »444 Si ce sont des convictions éthiques et philosophiques qui transcendent le sujet,
une prise en compte effective des procédures participatives tendraient certainement à injecter
des considérations morales dans le droit. Ce phénomène peut être dangereux mais le droit,
malgré son opposition traditionnelle avec la morale, a toujours été nourri de ces préoccupations.
Le projet Cigéo méritait d’être longuement étudié sous toutes ces facettes, porteur d’enjeux
incontestables, d’incidences environnementales et de bouleversements juridiques certains. Il est
à la fois une conséquence et un symptôme de notre société, permet d’interroger la démocratie
participative et de questionner le processus décisionnel du nucléaire. En soit, il met en parallèle
deux sujets de société : la manière de faire des choix en société, face aux problématiques
sensibles du nucléaire.
442 Jegouzo, Y., « Principe et idéologie de la participation », in « Pour un droit commun de l’environnement,
Mélanges en l’honneur de Michel Prieur », Dalloz, Paris, 2007, p. 585.
443 Barbier Rémi, « Quand le public prend ses distances avec la participation. Topiques de l'ironie ordinaire »,
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444 Chateauraynaud, F., « La contrainte argumentative. Les formes de l’argumentation entre cadres délibératifs et
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Site Criirad : http://www.criirad.org/
Site HCTISN : http://www.hctisn.fr/
Site Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/
Site Reporterre : https://reporterre.net/
Site Réseau « Sortir du nucléaire » : http://www.sortirdunucleaire.org/
149
Glossaire
Classification des déchets radioactifs : en France, les déchets radioactifs sont classés en
cinq catégories :
les déchets de très faible activité(TFA)
les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC)
les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL)
les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL)
les déchets de haute activité (HA)
Cette classification repose sur de nombreux critères et notamment :
le niveau de radioactivité des déchets, exprimé en becquerel (Bq) par gramme. Également
appelé activité, ce niveau de radioactivité peut être très faible, faible, moyen ou haut ;
la durée de vie des déchets qui dépend de la période radioactive propre à chaque
radionucléide qu’ils contiennent. Par simplification, les déchets dont la radioactivité
provient principalement de radionucléides à vie courte (période ≤ 31 ans) sont appelés
déchets à vie courte, et inversement les déchets contenant une quantité importante.
Colis : dans le contexte des déchets nucléaires, colis désigne un ensemble qui se compose de
trois éléments : les déchets eux-mêmes – l’enrobage (résine, bitume, gravier, béton, fritte de
verre) qui stabilise les déchets – et un emballage (fûts, caissons métalliques ou béton) adapté
selon le volume et la radioactivité des déchets stockés.
Combustible usé : Un combustible nucléaire est dit « usé » lorsqu’il ne peut plus
suffisamment entretenir la réaction en chaîne dans le cœur du réacteur nucléaire et lorsqu’il ne
fournit plus de l’énergie de manière performante. Il doit alors être retiré du cœur du réacteur
pour être remplacé par du combustible neuf.
Déchets radioactifs : Substances radioactives pour lesquelles aucune utilisation ultérieure
n'est prévue ou envisagée ou qui ont été requalifiées comme tels par l'autorité administrative.
Déchets ultimes : Déchets qui ne sont plus valorisables dans les conditions techniques et
économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de
son caractère polluant ou dangereux. À ce titre, ils sont réglementairement les seuls à pouvoir
être stockés (enfouis) dans un centre de stockage.
Démantèlement d’une centrale nucléaire : Comprend la destruction de tous les
composants, y compris les réacteurs. Cela signifie l’arrêt total et définitif de l’exploitation.
150
Entreposage : En opposition à la notion de stockage, l’entreposage désigne le fait de stocker
de façon provisoire (10 à 15 ans), donc réversible, du combustible irradié ou des déchets
radioactifs ultimes. Par extension, un entreposage correspond à l’installation où est réalisée
l’opération d’entreposage.
Matière : Substance radioactive pour laquelle une utilisation ultérieure est prévue ou
envisagée, le cas échéant après traitement.
Radioactivité : Propriété qu’ont certains noyaux d’atomes de se désintégrer de manière
naturelle et spontanée. Ils génèrent alors un autre élément, en émettant des particules ou des
rayonnements électromagnétiques (alpha, beta, gamma, neutronique). Dans ce cas, la
radioactivité est naturelle. Elle est artificielle lorsque l’on bombarde volontairement les noyaux
des atomes.
Séparation/Transmutation : Étude de la possibilité de réduire la nocivité des déchets, en
séparant les éléments les plus dangereux et de durée de vie longue des combustibles usés, afin
de les transformer en éléments radioactifs à durée de vie plus courte ou en éléments moins actifs
voire stables.
Stockage : opération consistant à placer ces substances dans une installation spécialement
aménagée pour les conserver de façon potentiellement définitive sans intention de les retirer
ultérieurement.
Stockage géologique : Stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine
spécialement aménagée à cet effet.
Substance radioactive : Substance qui contient des radionucléides, naturels ou artificiels,
dont l'activité ou la concentration justifie un contrôle de radioprotection.
Subsurface : Concernant le nucléaire, cela concerne l’entreposage ou le stockage des déchets
nucléaires. Les colis de déchets sont placés dans une installation de surface ou sub-surface (de
0 à 20m) destinée à les abriter de manière sûre sur une durée déterminée.
151
Table des matières
Remerciements....................................................................................................................................... 3
Sommaire ............................................................................................................................................... 4
Sigles et abréviations utilisés ................................................................................................................ 5
Introduction ........................................................................................................................................... 6
1. Avant-propos ............................................................................................................... 6
2. Contours de ce mémoire .............................................................................................. 7
3. Ce que ce mémoire ne traitera pas ............................................................................... 9
4. Les enjeux que ce mémoire tentera de cerner ............................................................ 11
5. Démarche adoptée ..................................................................................................... 12
Titre I – Contexte général autour des questionnements juridiques suscités par le projet Cigéo . 13
Chapitre I – La peur de l’atome, ou la conséquence d’un arsenal juridique tardif en matière
de transparence nucléaire ............................................................................................................... 14
Section 1 – L’ouverture progressive du nucléaire à la société civile ....................................... 15
I) Des aspirations sociétales à la consécration législative du droit à l’information ........... 16
A) Les aspirations de la loi tant attendue sur la transparence nucléaire ................................. 16
1) Une assise législative longtemps inexistante ................................................................. 16
2) L’enjeu fondamental de la loi TSN pour le milieu nucléaire, trouver la confiance ...... 18
B) Les changements induits par la loi TSN pour le droit nucléaire ........................................ 19
1) De l’instauration du droit à l’information à l’analyse de ses contours .......................... 20
2) La réaffirmation de l’exigence de sécurité nucléaire ..................................................... 23
II) Entre nouvelle gouvernance, et foi d’indépendance ? ........................................................ 25
A) Une organisation institutionnelle nouvelle et controversée du contrôle nucléaire ............ 26
1) Un transfert du pouvoir réglementaire et de contrôle de l’État en matière nucléaire à
l’ASN..................................................................................................................................... 26
2) Une attribution d’information sur le contrôle de la sûreté nucléaire et de la
radioprotection sujette à suspicion ? ...................................................................................... 28
B) Une réorganisation douteuse des instances d’information ................................................ 29
1) La bienvenue consolidation des commissions locales d’information ............................ 29
2) La création du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire
30
Section 2 – L’information et la participation du public dans le nucléaire, confrontées au
secret-défense ............................................................................................................................... 32
I) L’équilibre délicat entre devoir d’information du public et secret en matière nucléaire
34
A) La recherche d’un compromis ........................................................................................... 35
1) L’octroi d’un cadre juridique au secret-défense ............................................................ 35
2) Une relation indubitablement dialectique ...................................................................... 37
152
B) Les limites textuelles du droit à l’information en matière nucléaire ................................. 38
1) Les restrictions à la communication d’une information en matière nucléaire ............... 38
2) Un éternel oxymore ? .................................................................................................... 39
II) Un équilibre périlleux dans l’attente d’améliorations ........................................................ 41
A) En quête de propositions dans une optique de solutions concernant les aspects relationnels
entre transparence et secret ........................................................................................................ 41
1) Des conseils judicieux non retenus ................................................................................ 41
2) Des conseils réitérés par le HCTISN ............................................................................. 42
B) Conclusions provisoires sur l’efficience de la transparence en matière nucléaire ............ 43
1) Bref état des lieux en matière d’information ................................................................. 43
2) Bref état des lieux en matière de participation .............................................................. 44
Conclusion de chapitre ................................................................................................................ 45
Chapitre II – De l’éthique environnementale au droit dans la définition des concepts
gravitant autour du projet Cigéo ................................................................................................... 46
Section 1 – Discussion autour de la notion de réversibilité concernant le stockage géologique
de déchets radioactifs .................................................................................................................. 46
I) Un travail de définition juridique lent et peu clair autour de la réversibilité ................ 47
A) Contours initiaux de la « réversibilité » et d’un « stockage géologique » ......................... 47
1) Premières observations et brève analyse du vocabulaire ............................................... 47
2) La problématique initiale de l’importance de la réversibilité d’un stockage géologique
48
B) L’existence restreinte d’une définition juridique de la réversibilité des stockages en
formations géologiques profondes ............................................................................................ 49
1) Regards sur l’ébauche initiale de définition .................................................................. 50
2) Les bases d’une définition juridique future de la réversibilité ...................................... 51
II) Les conséquences d’une approche législative longtemps non aboutie de la réversibilité
52
A) La longue absence d’une définition officielle et consensuelle .......................................... 52
1) Une multiplicité de définitions se rejoignant ................................................................. 53
2) Une ambigüité maintenue malgré des efforts certains : un stockage réversible… à quel
point ? .................................................................................................................................... 54
B) Les inquiétudes du public face à un récent cheminement juridique critiquable ................ 55
1) Une récente décision au parcours considéré comme illégitime : l’amendement Cigéo de
la loi Macron ......................................................................................................................... 55
2) Une accélération soudaine du processus fragilisant l’acceptation ................................. 58
Section 2 - Autres questionnements suscités par les déchets nucléaires et le projet Cigéo
autour des principes du droit de l’environnement ................................................................... 61
I) Les déchets nucléaires, au cœur de préoccupations éthiques .......................................... 62
A) L’omniprésence de la notion de « génération future » dans la réflexion ........................... 62
1) Un concept sans délimitation juridique ......................................................................... 63
153
2) La difficulté à définir juridiquement ce concept ........................................................... 63
B) La notion de « responsabilité » questionnée, voire malmenée .......................................... 65
1) De la peur du risque de paralysie… .............................................................................. 66
2) ... à l’atteinte à la liberté de choix .................................................................................. 67
II) Tentative de rapprochement du concept à des principes juridiques consacrés ............. 67
A) Un concept dans la dynamique du développement durable............................................... 67
1) Un concept a priori éclairé par le développement durable ............................................ 68
2) Focus sur la conciliation entre développement durable et nucléaire ............................. 69
B) Un concept souvent rattaché au principe de précaution .................................................... 70
1) Le principe de précaution, ou l’éthique de l’anticipation .............................................. 70
2) Quid des liens entre principe de précaution et gestion des déchets radioactifs ? .......... 71
Conclusion de chapitre ................................................................................................................ 72
TITRE II – Illustration de la difficulté de la mise en œuvre des principes d’information et de
participation du public au regard du projet Cigéo .......................................................................... 73
Chapitre I – Étude des procédures participatives environnementales appliquées à ce cas
d’école ............................................................................................................................................... 74
Section 1- Observations sur l’implantation houleuse du laboratoire et regards critiques sur
le débat public de 2005 ................................................................................................................ 76
I. La rencontre entre Bure, village rural et le projet de stockage géologique HAVL : un
échec relationnel précoce ? ......................................................................................................... 76
A) Un apprivoisement du peuple ressenti à la fois comme précipité et tardif ........................ 77
1) Face à des oppositions radicales, une stratégie critiquable............................................ 77
2) Les suites inattendues d’un texte de loi prometteur....................................................... 79
B) Un fossé creusé prématurément entre l’industrie nucléaire et le public concernant le
laboratoire .................................................................................................................................. 81
1) Des recours juridiques révélant des efforts de transparence en amont insuffisants ....... 82
2) Les attentes du débat public de 2005 ou « la guerre des mots » .................................... 84
II. Le dialogue entre les experts et les profanes : le pari du débat public de 2005 ............. 86
A) Des enjeux clairement définis ........................................................................................... 87
1) L’élargissement du périmètre initial du débat ............................................................... 87
2) Les principaux éléments soulevés par le public ............................................................ 88
B) Les conséquences du débat public de 2005 ....................................................................... 91
1) Un bilan à la fois positif et négatif, ou ni positif, ni négatif .......................................... 91
2) Une prise en compte controversée des résultats du débat .............................................. 93
Section 2 – Retour sur le second débat public relatif aux déchets radioactifs, un débat
juridiquement critiquable ........................................................................................................... 94
I. L’avant 2013, ou la préparation d’un second débat ......................................................... 95
A) Un continuum de choix controversés ................................................................................ 95
154
1) La nomination de Christian Bataille comme président du CLIS de Bure : une erreur
comprise comme la volonté implicite de contrôler ............................................................... 95
2) Le projet FA-VL, dit « fils de Bure » ou un autre exemple d’instrumentalisation de
l’acceptation .......................................................................................................................... 97
B) Les nouveaux enjeux de la participation du public au débat de 2013 ............................... 99
1) Un périmètre bien identifié et clairement défini ............................................................ 99
2) Les dessous du rejet ab initio d’un débat pourtant essentiel ........................................ 100
II. Analyse du déroulement du débat public de 2013 .......................................................... 103
A) Un débat virtuel dans la forme ........................................................................................ 103
1) Contexte autour d’un boycott très médiatisé ............................................................... 104
2) La controverse autour d’un débat numérique .............................................................. 104
B) Un débat virtuel dans le fond : la question de l’opportunité évincée .............................. 106
1) Un bilan révélant un besoin de transparence ............................................................... 106
2) Un débat vécu comme un échec démocratique au sein d’une partie de la CPDP ........ 107
Conclusion du chapitre ............................................................................................................. 110
Chapitre II – Étude de la compatibilité entre nucléaire et implication du public ................... 111
Section 1 – La nécessaire prise en compte d’éléments échappant au droit ......................... 112
I. L’incompréhension de « l’accompagnement économique du territoire » ou l’obstacle
implicite à des relations claires ................................................................................................. 113
A) Les dessous de l’accompagnement économique du territoire ......................................... 113
1) La traduction de l’accompagnement économique du laboratoire ................................ 113
2) Une évolution notable des missions des GIP............................................................... 114
B) Un mariage forcé entre communes et déchets nucléaires ? ............................................. 114
1) Les conséquences implicites de l’accompagnement économique du territoire ........... 115
2) Repositionnement de ces propos dans le sujet ............................................................. 116
II. L’apparente pratique de « la politique du fait accompli » à plusieurs échelons ou
l’obstacle explicite à la confiance du public en les procédures participatives
environnementales ..................................................................................................................... 117
A) Le conflit entre l’Andra et les opposants à propos de la forêt de Mandres-en-Barrois ... 117
1) Les dessous du contentieux ......................................................................................... 117
2) La traduction en justice du contentieux ....................................................................... 118
B) Un processus compris comme inéluctable ....................................................................... 119
1) La crainte de l’instrumentalisation de l’acceptation .................................................... 119
2) La crainte d’une décision déjà entérinée ..................................................................... 121
Section 2 – Analyse du projet Cigéo sous l’angle de l’effectivité juridique des principes
d’information et de participation ............................................................................................. 122
I. Obstacles aux procédures participatives spécifiques aux projets industriels .............. 123
A) Le projet Cigéo : symptomatique des relations entre projets industriels et société ......... 123
155
1) Les réaffirmations des problématiques inhérentes aux projets industriels en matière de
participation ......................................................................................................................... 123
2) Les attentes supplémentaires aux projets dans le domaine nucléaire .......................... 124
B) Des problématiques révélatrices du rapport au risque de la société ................................ 125
1) La difficulté à discuter d’un projet industriel entre son promoteur et le public .......... 126
2) Deux visions du risques incompatibles ? ..................................................................... 126
II. Brève analyse finale de l’ineffectivité de la participation confrontée au manque
d’acceptabilité sociale de Cigéo ................................................................................................ 128
A) Les conditions préalables à des processus participatifs confrontées au projet Cigéo ...... 129
1) Le non-respect de la condition sine qua non du débat public ...................................... 129
2) Clarifier la place du public au processus de décision au préalable .............................. 130
B) La très délicate évaluation de l’effectivité juridique des processus participatifs ............ 131
1) Des obstacles de plusieurs natures à une évaluation crédible de la participation ........ 131
2) L’indice majeur de la prise en compte des observations du public : la motivation des
décisions .............................................................................................................................. 133
Conclusion de chapitre .............................................................................................................. 133
Conclusion .......................................................................................................................................... 135
Références bibliographiques............................................................................................................. 137
Glossaire ............................................................................................................................................. 149