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Rapport au temps et figures d’écrivains : la fin du XIXe siècle
dans les biographies fictives françaises et québécoises parues
entre 1980 et 2000.
Thèse
Pierre-‐‑Olivier Bouchard
Doctorat en études littéraires Philosophiae Doctor (PhD)
Québec, Canada © Pierre-‐‑Olivier Bouchard, 2017
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Rapport au temps et figures d’écrivains : la fin du XIXe siècle
dans les biographies fictives françaises et québécoises parues
entre 1980 et 2000.
Thèse
Pierre-‐‑Olivier Bouchard
Sous la direction de :
Richard Saint-‐‑Gelais, directeur de recherche
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Résumé
Cette thèse s’intéresse au rapport au temps dont témoignent les fictions
biographiques parues au Québec et en France entre 1980 et 2000, et mettant en scène
des figures d’écrivains ayant été actifs entre 1880 et 1900. L’analyse repose en grande
partie sur la notion de régime d’historicité et vise à montrer dans quelle mesure les
textes de fiction composant le corpus peuvent être interprétés comme des symptômes
du présentisme. Décrit par l’historien François Hartog, ce rapport au temps désigne
une articulation des catégories de présent, de passé et de futur, caractéristique des
sociétés occidentales à partir des dernières décennies du XXe siècle.
L’analyse montre que plusieurs notions fondamentales du présentisme se retrouvent
d’une manière ou d’une autre dans les textes du corpus. Le patrimoine, l’identité et
l’archive sont ainsi utilisés par les auteurs pour représenter le passé et pour dresser le
portrait des auteurs du XIXe siècle. Ces notions sont néanmoins modulées par les
enjeux propres à la littérature qui traversent les œuvres. Des questions d’ordre
esthétique et narratif, de même que les contraintes de la mise en récit et la relation à
l’histoire littéraire jouent en effet un rôle important dans le rapport au temps qui se
dégage des textes. De même des facteurs nationaux entrent en ligne de compte, ce qui
montre que le présentisme se manifeste différemment selon les sociétés. Ces éléments
confèrent aux œuvres un statut particulier par rapport aux autres représentations du
passé produites à la même époque. Contrairement aux textes sérieux consacrés aux
mêmes écrivains, comme les biographies, les récits du corpus semblent se déployer
dans une perspective mémorielle, entremêlant les faits avérés avec des éléments
imaginaires et légendaires. Cette perspective sur le passé permet aux auteurs de
réfléchir à des enjeux contemporains, concernant la littérature et l’identité nationale,
ou, à un autre niveau, leur propre pratique de la littérature.
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Table des matières
Résumé .............................................................................................................................. iii
Table des matières ........................................................................................................ iv
Remerciements .............................................................................................................. vii
Introduction .................................................................................................................... 1
Le rapport au temps dans les fictions historiques ...................................................... 1
Plan de la thèse ........................................................................................................................... 13
Chapitre I .......................................................................................................................... 18
Comment on raconte l’Histoire ............................................................................................ 18
Des auteurs de fiction aux prises avec des questions d’historiens ...................... 21
Thèmes et structures des textes du corpus .................................................................... 26
Fiction, biographie et discours historique ...................................................................... 36
Patrimoine et mémoire ........................................................................................................... 47
Patrimoine et mémoire dans les textes québécois ...................................................... 51
Patrimoine et mémoire dans les textes français .......................................................... 68
L’archive......................................................................................................................................... 75
Conclusion ..................................................................................................................................... 86
Chapitre II ........................................................................................................................ 92
L’histoire littéraire dans la fiction ...................................................................................... 92
Le rapport au XIXe siècle et le rapport au temps .......................................................... 94
Situations d’écrivains ............................................................................................................... 102
Recadrages de l’histoire littéraire ...................................................................................... 129
L’histoire littéraire dans les textes québécois ............................................................... 143
Conclusion ..................................................................................................................................... 161
Chapitre III ....................................................................................................................... 166
Biographies et biographies fictives .................................................................................... 166
Cadres pragmatiques de la biographie et des biographies fictives ...................... 173
Outils méthodologiques .......................................................................................................... 176
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La biographie fictive : un cadre difficile à définir ........................................................ 185
Mémoire et histoire ................................................................................................................... 190
La biographie : une reconstitution problématique du passé .................................. 196
Un cas d’écrivain problématique : les biographies d’Arthur Buies ...................... 207
« Biographies impossibles » .................................................................................................. 217
Histoire ou mémoire ? Les récits ambigus ...................................................................... 224
Les biographies fictives et la tradition ............................................................................. 231
Conclusion ..................................................................................................................................... 244
Conclusion ........................................................................................................................ 247
Un présentisme littéraire ....................................................................................................... 247
Bibliographie .................................................................................................................. 260
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À mon père, Marc, qui n’a pas vu la fin,
et à Eva, qui n’a pas vu le début.
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Remerciements
Mes premiers remerciements vont à mon directeur de recherche, Richard Saint-‐‑Gelais, qui a été un mentor exceptionnel pendant les sept années où j’ai eu le plaisir de travailler avec lui. Dès la maîtrise, il a généreusement mis son érudition et sa sagacité au service de mes idées en m’aidant à développer ma pensée. Il est impossible de dire en quelques mots tout ce que je lui dois en tant que chercheur, ni à quel point je suis redevable de ses conseils et de son enseignement, mais je me console en me disant qu’il est le mieux placé pour prendre la mesure de chemin que j’ai parcouru dans les dernières années. Je veux ensuite remercier Guillaume Pinson, codirecteur de ma maîtrise et membre du comité d’évaluation de cette thèse, pour le rôle déterminant qu’il a joué dans mon parcours depuis le baccalauréat. Il a été le premier à croire en mes capacités et à me donner la chance de participer à des projets de recherche. Sa confiance a été un facteur décisif dans mon choix de poursuivre des études de deuxième et troisième cycle. Je souhaite aussi remercier Jonathan Livernois, pour son enthousiasme, ses précieux conseils et pour les discussions, qui ont souvent dépassé le cadre de la thèse. Merci également à Maxime Prévost, qui a fait preuve d’une grande générosité dans sa lecture et ses commentaires dès le début du projet. Je tiens aussi à remercier les professeurs et les professionnels du Crilcq, que je crois tous avoir consulté à une étape ou l’autre de mon parcours. L’ambiance amicale qui règne au centre a fait de mon doctorat une expérience agréable au quotidien, et je suis reconnaissant d’avoir eu la chance de travailler dans un tel milieu. Merci en particulier à Andrée Mercier et René Audet, qui m’ont appuyé dans la réalisation de plusieurs projets, et à Marie-‐‑Andrée Beaudet, qui m’a fait l’honneur de présider la soutenance de cette thèse. Des remerciements vont à Mylène Bédard et Marie-‐‑Frédérique Desbiens, qui ont été des modèles importants, et qui m’ont encouragé et conseillé pendant tout mon parcours. Ma thèse et mes travaux leur doivent beaucoup. Merci de même à mes collègues étudiants, colocataires de bureau et amis, Stéphanie, Pascale, Julia et Treveur, pour tous les « cafés de recherche » et les bons moments qui m’ont apporté la part de folie et de rire nécessaire pour maintenir l’équilibre. Merci à mes amis, spécialement à Sébastien, Patrick et Julien, qui sont pour moi une source d’inspiration intarissable et une véritable famille avec qui j’ai partagé ce que nous nommons affectueusement les « splendeurs et misères » de la recherche. Leur éloignement, au moment où j’écris ces lignes, est très certainement l’une de ces « misères », mais je les connais trop bien pour ne pas savoir que plusieurs « splendeurs » sont encore à venir.
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Merci aussi à ma belle-‐‑famille, dont l’aide et le support sont inestimables, et qui a partagé tous les moments importants de ce parcours. Merci à mes parents pour leur soutien indéfectible. À plusieurs moments, ils ont été exemplaires et m’ont donné la confiance nécessaire pour continuer. Je les remercie infiniment de croire en ce que je fais, et surtout d’avoir cru que je pouvais le faire. Merci finalement à Marie, qui a cru en moi à chaque moment et qui a été ma source d’énergie pendant ces années. Elle a donné un sens à toute cette entreprise, et elle continue à faire de moi une meilleure personne et à rendre la vie palpitante.
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Introduction
Le rapport au temps dans les fictions historiques
L’histoire et ses objets occupent aujourd’hui une place prépondérante dans les
sphères culturelles et artistiques1. Au cours des décennies 1980-‐‑1990, il s’est déployé
un vaste regain d’intérêt autant pour les périodes historiques plus ou moins éloignées
que pour les figures marquantes du passé. Dans la continuité d’un certain renouveau
du roman historique amorcé dans la seconde moitié du XXe siècle2, on assiste non
seulement à la montée en popularité de récits et de sagas historiques qui, produites
massivement en France comme au Québec, trônent souvent au sommet des palmarès
de ventes, mais également au développement d’un pendant postmoderne du genre,
avec des œuvres beaucoup plus éclatées. S’adressant autant à des lecteurs lettrés
qu’au grand public, les fictions historiques relèvent de tous les genres, de tous les
styles et revêtent de ce fait une importance pour l’étude du rapport qu’une société
peut entretenir avec son passé. Considérées comme le symptôme d’un phénomène
plus large, touchant non seulement la littérature, mais également la culture au sens
large, de telles œuvres constituent un objet privilégié pour questionner la manière
dont s’articulent les catégories de présent, passé et de futur pour une société donnée.
1 Comme l’affirme Marielle Macé : « Un rapport étroit à l’Histoire s’est […] restitué en littérature, sous de nouvelles formes. Ce lien est indissociable d’un nouveau climat intellectuel, le voisinage, désormais constitutif, de la littérature avec les sciences humaines : l’espace du roman est grand ouvert, ce que l’on appelle aujourd’hui "les savoirs" est devenu le dehors principal de la littérature, il constitue pour elle la frontière autour de laquelle exister, devant laquelle se définir ; si la linguistique constituait la basse sourde de ces savoirs il y a quelques décennies, c’est de toute évidence l’Histoire et ses objets qui sont actuellement au centre de la culture » (« ²Le réel à l’état passé² : passion de l’archive et reflux du récit », Protée, vol. 35, no° 3, 2007, p. 46). Mentionnons toutefois que l’institution littéraire entretient toujours des réticences vis à vis le roman historique, du moins dans ses déclinaisons populaires. 2 Voir notamment à ce sujet Seymour Menton, Latin America’s new historical novel, Austin, University of Texas Press, 1993.
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On constate que même si beaucoup d’études se sont penchées sur le rapport que des
récits à caractère historique entretiennent avec le passé en s’intéressant à des genres
spécifiques, peu ont cherché à voir si le rapport au temps pouvait transcender les
limites génériques et nationales et reposer sur des éléments plus fondamentaux au
sein de textes. On trouve ainsi un nombre important d’ouvrages consacrés au roman
historique, à la science-‐‑fiction ou encore au polar historique, sans qu’aucun n’ait
encore tenté d’adopter une perspective plus générale ni de dresser un portrait global
du rapport au passé dont semble témoigner une large part de la littérature à caractère
historique des dernières décennies du XXe siècle. C’est à cette question que j’ai
souhaité m’attaquer, en analysant un ensemble de fictions biographiques mettant en
scène des écrivains français et québécois de la fin du XIXe siècle, et ayant été actifs ou
ayant publié au cours des décennies 1880 et 1890.
Mon objectif sera d’identifier et de décrire le rapport au passé de ces fictions
biographiques, et de dégager les grandes lignes d’une conception du temps qui serait
commune à tous les récits. Je montrerai ainsi que ces textes, publiés en France et au
Québec entre 1980 et 2000, peuvent être interprétés comme l’une des manifestations
d’un certain rapport au temps, le présentisme tel que décrit par l’historien François
Hartog. Ce faisant, cette thèse s’inscrira dans deux champs d’étude connexes, celui du
rapport au temps dans la littérature récente, et celui du retour en force du retour en
force de la biographie dans la fiction au cours de cette même période. La notion de
régime d’historicité, dont je proposerai un usage littéraire, sera utilisée comme cadre
théorique afin d’étudier les enjeux de la représentation fictive du passé. En
m’appuyant sur les conclusions d’Hartog, il s’agira de montrer que ce rapport au passé
se manifeste à travers le prisme de la fiction. Pour ce faire, j’analyserai les textes de
manière à montrer comment l’interaction de différents éléments (notamment les
choix subjectifs effectués par les auteurs ; des facteurs liés à l’histoire et aux cultures
française et québécoise ; la relation que les textes entretiennent avec l’histoire
littéraire et avec les textes critiques et les essais consacrés aux écrivains représentés)
entraine certaines variations au sein du même régime global d’historicité.
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Afin de rendre compte de la cohérence qui unit les textes du corpus, appartenant à des
genres variés et s’adressant à des publics divers, je ne considèrerai pas le présentisme
comme une grille de lecture rigide, mais plutôt comme un concept ouvert et malléable,
perméable aux questions d’esthétique et de mise en récit. C’est d’ailleurs dans cette
perspective que la notion est conçue par Hartog qui, selon ses propres termes, en
propose un usage « tantôt large, tantôt restreint : macro-‐‑ ou micro-‐‑historique3 ». La
panoplie des sujets abordés par Hartog pour illustrer son propos est en effet
remarquable. Son texte traite notamment d’architecture, de politique, de cinéma, de
muséologie, de religion, sans oublier la discipline historique et la littérature. Loin de
proposer une application aussi vaste des régimes d’historicité, mon analyse se
concentrera essentiellement sur la littérature, que je m’efforcerai néanmoins de lier à
d’autres types de discours, comme l’histoire littéraire et la biographie, afin d’en faire
ressortir les spécificités. Utilisant un outil d’analyse historique, il m’a semblé
important de lui adjoindre certaines méthodes d’analyse littéraire afin de rendre
compte de l’importance des aspects esthétiques, narratifs ou encore formels des
œuvres dans le rapport qu’elles entretiennent avec le passé. Je m’attarderai à ces
facettes des œuvres en citant des cas précis – comme les interventions de la narratrice
dans le texte de Micheline Morisset, la temporalité dans les textes de Daniel Oster, ou
encore l’influence de l’idéologie féministe chez Jovette Marchessault – ce qui
n’empêchera pas mes exemples d’avoir une portée générale, en identifiant des
tendances pouvant s’observer dans d’autres textes. Ma lecture sera donc transversale,
c’est-‐‑à-‐‑dire qu’elle ne visera pas à décrire le détail de chaque œuvre, mais au contraire
à identifier des motifs et des thèmes communs laissant voir que les auteurs puisent
dans un même bassin de thèmes pour représenter le passé. C’est précisément ce que
la notion de régime d’historicité m’aidera à faire, en fournissant les termes généraux
d’un rapport au passé qui transcende le milieu littéraire. En appliquant cette grille de
lecture aux textes et en comparant mes conclusions avec celles d’Hartog, je pourrai
3 François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expérience du temps, Paris, Seuil (Points), 2012 (2003), p. 15.
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souligner comment les textes témoignent du présentisme, mais aussi de montrer ce
qui distingue les incarnations littéraires du présentisme de ses autres manifestations.
En sélectionnant les dix-‐‑huit textes4 qui composent mon corpus, j’ai choisi de me
limiter à des œuvres représentant une période historique précise – la fin du XIXe siècle
– et ayant en commun certaines caractéristiques thématiques afin d’éviter de me
confronter à une trop grande masse de textes. Chaque année paraissent en effet des
dizaines de textes de fiction à caractère historique, si bien qu’un inventaire exhaustif
s’étalant sur deux décennies et sur deux aires géographiques différentes semblait une
tâche difficile à réaliser dans le cadre d’une thèse. J’ai choisi de traiter des écritures
biographiques consacrées à la vie d’écrivains réels parce qu’elles constituent un pan
assez hétéroclite de la production de récits à caractère historique. En effet, ces textes
ne constituent pas un genre littéraire, mais relèvent plutôt d’une variété de pratiques
qui vont du roman historique, dans sa forme la plus classique, jusqu’aux récits les plus
éclatés stylistiquement et narrativement. Les textes ouvrent donc des perspectives
d’analyse variées et permettent de mettre en évidence, par comparaison, l’incidence
d’éléments stylistiques sur le rapport au passé. De plus, comme l’ont montré Frances
Fortier et Robert Dion dans Écrire l’écrivain : formes contemporaines de la vie
d’auteur5, ces récits de vie, qui sont en vogue depuis les années 1980, sont l’occasion
pour les auteurs de développer des discours critiques, de réinterpréter les œuvres, de
remettre en question des figures mythiques ou encore de revendiquer des filiations
(parfois étonnantes) ou des héritages littéraires avec les écrivains qu’ils représentent.
De telles œuvres sont donc toutes désignées pour aborder la question du rapport au
passé.
4 Titres des textes (voir bibliographie pour les références complètes) : Maupassant : 1er février 1880, Paul Verlaine : histoire d’un corps, Rêve d’une nuit d’hôpital, Nelligan n’était pas fou, Par tous les temps, Verlaine d’ardoise et de pluie, La lune seule le sait, La saga des poules mouillées, Le grand Buies, Rimbaud le fils, Arthur Buies chevalier errant, Le portrait déchiré de Nelligan, Les trois Rimbaud, La Gloire, Stéphane, Laure Conan la romancière aux rubans, Rainbow pour Rimbaud, Nelligan, Émile Nelligan le spasme de vivre. 5 Robert Dion, Frances Fortier [dir.], Écrire l’écrivain : formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, p. 10-‐‑11.
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Des textes comme ceux des auteurs français Pierre Michon, Daniel Oster et Dominique
Noguez, et des québécois Micheline Morisset, Jovette Marchessault Michel Tremblay,
se révèlent souvent être un espace de questionnement sur l’histoire et sur la
littérature. De ce fait, ils semblent témoigner des grandes orientations de la littérature
à caractère historique des années 1980-‐‑1990. Il arrive d’ailleurs fréquemment que les
textes comportent une dimension métafictionnelle leur permettant de prendre
position sur ces tendances générales, souvent pour les critiquer et pour chercher à
s’en dissocier. Il faut toutefois préciser que cette caractéristique ne constitue pas l’un
des critères ayant servi à la délimitation du corpus. Les récits dans lesquels les
auteurs réfléchissent à leur propre pratique et les œuvres évoquant ouvertement les
enjeux liés à la représentation fictive du passé n’ont pas été favorisés au détriment
d’autres types de textes. Mon objectif étant de m’intéresser au rapport au passé tel
qu’il se manifeste dans les représentations d’écrivains en général, j’ai inclus dans mon
corpus des œuvres d’auteurs venant d’horizons diversifiés et s’adressant à différents
types de lectorat. Cette approche inclusive m’a permis de constituer un échantillon qui
m’apparait représentatif de la production de récits à caractère historique pour la
période étudiée. Je me suis néanmoins limité à des textes ayant fait l’objet d’une
publication et d’une diffusion par des maisons d’édition, c’est-‐‑à-‐‑dire que j’ai laissé de
côté les publications non traditionnelles telles que les fan fictions – comme celles
consacrées à l’univers de Jules Verne ou à la relation entre Rimbaud et Verlaine – de
même que les pièces de théâtre ayant été jouées sans être publiées, mais dont le texte
est disponible par l’intermédiaire des conservatoires d’art dramatique6. Les textes que
j’ai rassemblés se situent, selon les cas, à mi-‐‑chemin entre l’histoire littéraire, la
biographie, le roman, le théâtre, l’essai, ou encore le carnet. Pris dans son ensemble, ce
6 Le Conservatoire d’art dramatique de Montréal possède par exemple le texte d’une pièce de théâtre consacrée à Laure Conan : La vieille fille de La Malbaie, de Madeleine Pion-‐‑Robitaille et Jean-‐‑Noël Dion. À ma connaissance, la pièce ne fut interprétée qu’une seule fois, en 1984, et n’a jamais été publiée par la suite. Cette remarque est l’occasion d’ajouter que mon corpus ne prétend pas être exhaustif. Il est probable qu’un ou plusieurs textes consacrés à des figures d’écrivains de la fin du XIXe aient échappé à mon attention, ce qui n’empêche pas le corpus rassemblé de constituer un échantillon représentatif de la production des années 1980-‐‑1990.
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corpus sera à même de mieux faire voir les nombreux filtres qui teintent la perception
du passé au cours des années 1980-‐‑1990.
Les dates de 1880-‐‑1900 s’imposent avant tout parce que cette période est l’une des
plus représentées dans des textes de fiction au cours des années 1980-‐‑1990. Les
écrivains de la fin du XIXe siècle, notamment en raison de l’imaginaire entourant la fin
de siècle, semblent exercer une fascination particulière sur les auteurs de fiction
biographiques des dernières décennies du XXe siècle. Mon analyse examinera plus en
profondeur les causes de cet intérêt pour la fin du XIXe siècle, bien que certains
éléments de réponse puissent déjà être mentionnés. Le premier est la date symbolique
du centenaire, qui semble avoir encouragé un grand nombre d’auteurs à consacrer des
œuvres à des figures de cette période. Dans une logique de commémoration, plusieurs
textes du corpus ont en effet été publiés ou rédigés pour célébrer différents
centenaires, notamment celui de la mort de Rimbaud, en 1991, et celui de la ville de
Rimouski, en 1996. Cette importance de la notion de commémoration illustre une
facette du rapport au temps qui se manifeste tant dans les œuvres françaises que
québécoises.
Un autre élément pouvant expliquer la popularité de la fin du XIXe siècle dans les
textes de fiction tient au fait que la période semble constituer, pour les auteurs, un
cadre propice à la réflexion sur eux-‐‑mêmes et sur leur époque7. Les auteurs semblent
en effet enclins à projeter leurs propres préoccupations sur les années 1880-‐‑1890,
sans doute à cause de la place que ces décennies occupent dans l’imaginaire. En
France, l’histoire littéraire a longtemps considéré la modernité « classique », celle des
dernières décennies du XIXe siècle, comme « l’origine de la tradition moderniste sur
7 Soulignons, avec Hartog, que « [l]e XIXe siècle est certes une période essentielle, puisque c’est alors que se forgent et se mettent en place les instruments et les orientations d’une politique du patrimoine, mais il a pour ces raisons même largement retenu l’attention depuis que mémoire et patrimoine ont pris tant de place dans notre espace public et nos agendas de recherche ». François Hartog, op. cit., p. 241-‐‑242.
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7
lequel ont vécu les différentes avant-‐‑gardes8 ». Nous reviendrons au cours de l’analyse
sur cette mémoire de la fin de siècle qui s’est construite et transmise par le biais des
textes critiques comme des essais et des biographies, mais on peut déjà souligner
qu’elle trouve des échos importants dans les textes du corpus, notamment dans le
choix de représenter certains auteurs au détriment d’autres. Hormis deux romans –
Maupassant : 1er février 1880 et La lune seule le sait, où apparaît Jules Verne – les textes
sont ainsi consacrés à trois poètes « maudits », Rimbaud, Mallarmé et Verlaine, qui
sont également trois icônes importantes de la modernité littéraire. La popularité de
ces poètes au détriment d’autres écrivains est entre autres attribuable à la nature
novatrice de leurs œuvres, mais on peut supposer que les évènements biographiques
ont aussi joué un rôle déterminant dans le choix de certaines figures, surtout celle de
Rimbaud. Le mystère entourant certaines périodes de la vie de ce dernier ouvre en
effet la voie à la spéculation et à l’imagination, comme en témoignent au moins deux
textes du corpus, Par tous les temps et Les trois Rimbaud, mais aussi plusieurs
ouvrages critiques que j’aborderai en cours d’analyse.
Du côté québécois, la mémoire littéraire du XIXe est beaucoup moins riche. La période
allant de 1880 à 1900 est néanmoins marquée par des changements importants au
niveaux littéraire et social : alors que le champ littéraire québécois achève de se
constituer au cours des années 1860-‐‑1870 9 , les années 1880-‐‑1890 voient
l’essoufflement graduel du mouvement romantique10 et la montée d’un intérêt
croissant pour la modernité européenne, notamment pour les mouvements
symboliste et décadent en France. Cette situation ne trouve toutefois que peu d’échos
au sein du corpus, et c’est plutôt l’existence de l’École littéraire de Montréal et la
fulgurante carrière poétique d’Émile Nelligan, entre 1896 et 1899 qui sont les
évènements majeurs dont traitent une partie des œuvres. Sans surprise, Nelligan est
8 Christophe Charles, La discordance des temps : une brève histoire de la modernité, Paris, Armand Colin, 2011, p. 180. 9 Denis St-‐‑Jacques et Marie-‐‑Andrée Beaudet, « Émergence et évolution du champ littéraire québécois de 1764 à 1914 », dans Texte, no° 12, 1992, p. 142-‐‑144. 10 Marie-‐‑Frédérique Desbiens, La plume pour épée, le premier romantisme canadien, thèse de doctorat en études littéraires, Université Laval, 2005, p. 256.
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en effet l’un des écrivains les plus représentés au sein de mon corpus, avec cinq textes
appartenant à des genres variés – le livret d’opéra écrit par Michel Tremblay, le
scénario d’Aude Nantais et Jean-‐‑Joseph Tremblay, la pièce de Normand Chaurette et le
roman jeunesse d’André Vanasse. Mentionnons également que Nelligan, comme les
deux autres écrivains québécois qui sont dépeints dans les œuvres, Laure Conan et
Arthur Buies, est considéré par les auteurs du corpus comme l’un des fondateurs de la
littérature québécoise. Dans tous les textes québécois, la période s’étalant de 1880 à
1900 prend ainsi une valeur de genèse qu’elle ne possède pas dans l’histoire littéraire.
Cet exemple, dont il sera largement question dans l’analyse, illustre bien le type de
distorsion qui peut s’opérer dans la représentation fictive de figures d’écrivains du
passé.
En me penchant sur des récits situés dans les années 1880-‐‑1890, je serai en mesure
d’identifier certains des traits distinctifs qui, aux yeux des auteurs du corpus, font la
spécificité de la fin du XIXe par rapport à d’autres périodes. Beaucoup de périodes et
de figures historiques (et certaines plus que d’autres) évoquent un imaginaire se
construisant notamment à travers les textes critiques, l’essai, la prose d’idée et les
œuvres de fiction, et susceptible d’évoluer et de se modifier au fil du temps et des
sociétés. Étudier la construction de cet imaginaire de manière à mieux identifier sa
présence et ses variations dans la fiction me semble essentiel à la compréhension du
rapport au temps, c’est pourquoi je porterai attention à l’évolution de plusieurs
figures d’écrivains à travers le XXe siècle. Pour ce faire, j’essaierai d’identifier les liens
que les textes du corpus tissent avec d’autres textes qui sont consacrés aux mêmes
figures. Les auteurs du corpus sont généralement très bien documentés sur les
œuvres des écrivains qu’ils représentent et sur les travaux critiques qui leur sont
consacrés. Tous les textes que j’analyserai comportent d’ailleurs des citations tirées
des œuvres des auteurs représentés, bien que ces emprunts ne soient pas
nécessairement signalés. C’est notamment le cas dans Le grand Buies, où Mireille
Maurice utilise des passages de chroniques, de conférences et d’articles d’Arthur Buies
pour composer les dialogues entre les personnages. Au corpus primaire se greffe donc
un corpus secondaire, mais néanmoins fondamental pour la compréhension des
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textes, composé des œuvres des écrivains représentés et des principaux travaux
critiques et des biographies leur étant consacrés.
Afin de vérifier certaines hypohtèses, je ferai appel à des textes parus avant et après la
période de 1980 à 2000, de même qu’à des récits représentant d’autres périodes
historiques. Ces détours plus ou moins brefs à l’extérieur des périodes circonscrites
pour l’analyse permettront de réinscrire les textes du corpus dans un contexte plus
large et de mettre à l’épreuve la portée globale de certaines observations. Parmi les
textes qui occuperont le plus mon attention, on trouve le récit de Patrick Modiano,
Dora Bruder, paru en 1997, et dont l’intrigue se situe pendant la période de
l’Occupation à Paris. Cette œuvre me permettra d’abord de me pencher plus en détail
sur la place de l’archive dans le rapport au passé, et d’illustrer l’importance de la
notion de mémoire dans les textes de fiction représentant l’Histoire. Un autre texte
auquel je ferai fréquemment référence est Démolir Nisard d’Éric Chevillard, paru en
2006, et qui met en scène un narrateur s’efforçant d’entacher la mémoire de Désiré
Nisard, critique et historien de la littérature ayant été actif au cours de la période
1880-‐‑1900. Par son sujet, ce texte s’apparente aux œuvres du corpus, mais il offrira
néanmoins l’occasion de confronter certaines conclusions de mon analyse à un récit
plus récent. La lecture de cette œuvre apportera d’ailleurs un éclairage particulier à
mon étude, puisqu’il s’agit du seul récit dépeignant négativement une figure du passé.
L’ensemble des récits du corpus se déploie en effet sur le mode de la glorification, une
caractéristique que la comparaison avec le texte de Chevillard mettra en évidence.
La comparaison entre la France et le Québec permettra d’ancrer la réflexion au plan
national, en montrant qu’un même régime d’historicité peut se manifester
différemment selon les régions. Cette perspective comparatiste jouera un rôle
fondamental dans l’analyse et permettra de dresser un portrait beaucoup plus nuancé
et complet des manifestations du présentisme à travers les textes littéraires. Il existe
une démarcation assez nette entre les deux sections du corpus : les textes français
s’inscrivent beaucoup plus fréquemment dans une esthétique postmoderne, en
s’octroyant des libertés face aux figures dont ils dressent le portrait, tandis que les
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textes écrits au Québec semblent, à première vue, beaucoup plus conservateurs et
respectueux de leurs sujets11. En tant qu’outil comparatiste, la notion de régime
d’historicité montrera que ces différences peuvent être interprétées comme autant de
décalages dans l’apparition et dans l’évolution d’un même rapport au temps. Un même
sujet, par exemple le patrimoine, est ainsi traité différemment selon la perspective et
le bagage culturel d’un auteur. Au Québec, cette notion se manifeste d’abord par la
valeur accordée à l’écrivain représenté et à son œuvre, tandis qu’en France, les textes
prennent davantage de recul face aux mouvements de commémoration, si bien que
beaucoup de fictions véhiculent un discours critique sur ce sujet. La comparaison
montrera que les thèmes fondamentaux du présentisme reçoivent une attention
différente selon la provenance des textes, et elle mettra ainsi en lumière des variations
au sein d’un même rapport à l’Histoire et au passé. L’analyse montrera aussi que ces
discordances12 sont le fruit de facteurs d’ordres historique, social et culturel propres à
chaque espace national.
Le fait de comparer des textes provenant d’horizons différents, relevant de registres
variés et s’adressant à plusieurs types de lecteurs n’est pas sans compliquer l’analyse.
J’ai cherché, tout au long de mon étude, à tenir compte des particularités propres à
chaque genre tout en mettant en évidence les grandes tendances qui se dessinent
entre les œuvres. Pour y arriver, beaucoup de travaux critiques sur les récits à
caractère historique ont orienté ma lecture, en fournissant des pistes de réflexion sur
la nature du rapport au temps qui se dégage des textes. C’est le cas, par exemple, des
travaux de Dominique Viart, qui comme beaucoup d’autres critiques constate que la
fin du XXe siècle est marquée par l’expansion d’une « poétique de l'épanorthose où les
corrections, les ajustements, les doutes, les scrupules l'emportent sur l'assertion13 ».
En effet, tout un pan de la production littéraire fictionnelle traitant du passé fait
11 Cette observation générale n’exclut pas que certains textes québécois adoptent une esthétique postmoderne ni que des œuvres françaises s’apparentent à des formes plus conventionnelles. 12 J’emprunte cette expression à Christophe Charles, op. cit. 13 Dominique Viart, « Portraits du sujet, fin de 20ème siècle », [en ligne]. URL : http://remue.net/cont/Viart01sujet.html, [site consulté le 6 janvier 2014].
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preuve d’une certaine méfiance envers le savoir en général, et plus particulièrement
envers la matière historique14. Comme l’écrivait déjà Jean Molino en 1975, les
écrivains semblent peu enclins à considérer que « roman et histoire sont des essences
intemporelles qui se sont peu à peu incarnées dans leur vérité15 », de sorte que
certains récits tendent à brouiller de plus en plus les limites entre fiction et réalité
historique, de même qu’à remettre en cause la démarche historique, soit en proposant
de nouveaux points du vue sur le passé ou en contestant les récits officiels produits
par les historiens et les chercheurs universitaires.
Un autre ouvrage important pour l’analyse de plusieurs textes du corpus est celui de
Linda Hutcheon, A Poetic of Postmodernism, et plus particulièrement le chapitre
consacré aux « métafictions historiographiques ». Ce terme est utilisé par l’auteure
pour décrire des fictions s’inscrivant dans le courant postmoderne et réfutant les
méthodes traditionnelles de distinction entre l’histoire et la fiction16. Bien qu’il semble
avoir connu une plus grande fortune du côté des études anglo-‐‑saxonnes17, ce terme
sera utilisé dans mon analyse pour décrire certains textes qui entretiennent un
rapport particulièrement complexe avec la question de la vérité historique. Dans le
premier chapitre, les caractéristiques identifiées et décrites par Hutcheon
permettront de rendre compte plus précisément du rôle de la fiction dans le rapport
au passé se manifestant dans les œuvres. L’opposition entre faits historiques et fiction
est en effet centrale dans des œuvres comme Stéphane, La Gloire, Les trois Rimbaud et
Arthur Buies chevalier errant qui, par divers procédés, remettent en question les
méthodes de l’histoire et de la biographie en proposant plutôt des démarches basées
sur la fiction. Le texte de Dominique Noguez, Les trois Rimbaud, offrira un exemple de
14 Linda Hutcheon, A Poetics of Postmodernism, New York, Routledge, 1988, p. 89. 15 Jean Molino, « Qu’est-‐‑ce que le roman historique ? », dans Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 75, no. 2, 1975, p. 195. 16 Linda Hutcheon, A Poetics of Postmodernism, New York, Routledge, 1988, p. 89. 17 Voir notamment ces deux thèses, publiées en 2005 et 2010 où le concept de métafiction historique occupe une place centrale : Christopher B. Smith, The development of the reimaginative and reconstructive in historiographic metafiction: 1960—2007, Ohio State University, 2010, 259 p., et Tisha Turk, In the Canon’s Mouth : Rhetoric and Narration in Historiographic Metafiction, University of Wisconsin-‐‑Madison, 2005, 178 p.
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ce phénomène, puisque des œuvres fictives attribuées à Rimbaud sont utilisées de
manière à tenir un discours critique sur ses œuvres réelles. L’analyse sera aussi
l’occasion de nuancer certaines des conclusions proposées dans A Poetic of
Postmodernism, notamment en montrant que les métafictions historiographiques
témoignent d’un même rapport au temps que d’autres récits de facture extrêmement
différente.
Une partie de mon analyse s’appuiera également sur les caractéristiques de ce que
Seymour Menton nomme le nouveau roman historique. Ces caractéristiques, au
nombre de six, recoupent en partie celles identifiées par Hutcheon : 1) le nouveau
roman historique est, à divers degrés, subordonné à trois idées philosophiques
concernant l’Histoire : l’incertitude quant à la vraie nature de la réalité historique, la
nature cyclique de l’Histoire, et la nature imprévisible de l’Histoire ; 2) il présente une
distorsion consciente des faits historiques ; 3) il met souvent à l’avant-‐‑plan des
personnages historiques réels, contrairement à la plupart des romans historiques
antérieurs, qui favorisaient des personnages obscurs ou sans histoire ; 4) il est
métafictionnel, c’est-‐‑à-‐‑dire que le narrateur réfère au processus créatif à l’œuvre dans
son propre texte ; 5) il présente souvent une vaste intertextualité ; 6) il recourt au
dialogisme, à l’ironie et au carnavalesque dans la perspective de Mikhaïl Bakhtine.
Presque tous les textes de mon corpus comportent au moins l’une de ces
caractéristiques, même si les critères proposés par Menton doivent, comme le
souligne Marie-‐‑Frédérique Desbiens, être adaptés aux contextes québécois et
français18.
Un autre ouvrage dont il faut signaler l’influence méthodologique est Le Moyen Âge des
romantiques 19 , dans lequel Isabelle Durand-‐‑Le Guern se penche sur les
représentations fictionnelles et poétiques du Moyen Âge par des écrivains
appartenant au courant romantique. Même si ce texte porte sur une période
18 Marie-‐‑Frédérique Desbiens, art. cit., p. 296. 19 Isabelle Durand Le-‐‑Guern, Le Moyen Âge des romantiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001, 314 p.
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13
complètement différente de celle étudiée dans le cadre de ma thèse, plusieurs
principes orientant la réflexion de Durand-‐‑Le Guern peuvent aisément s’appliquer à
l’étude de mon corpus – et à toute étude consacrée au rapport au passé dans des
textes de fiction. En effectuant une lecture croisée d’œuvres provenant de corpus
français, anglais et allemand, cette étude défend une hypothèse générale similaire la
mienne, à savoir que des textes provenant de différents espaces nationaux peuvent
témoigner de rapports semblables au passé, pour peu que l’on tienne compte des
variantes et des enjeux propres à chaque territoire. De la même manière, la
comparaison au sein de l’ouvrage d’œuvres relevant de genres différents – le conte, le
théâtre, la poésie – montre bien que la représentation du passé peut s’effectuer en
recourant à des thèmes, à des motifs et à un imaginaire qui, tout en étant influencé par
des facteurs esthétiques et formels, transcende les limites génériques des textes.
Précisons toutefois que la distance historique autorise Durand-‐‑Le Guern à des
conclusions beaucoup plus précises que celles auxquelles j’ai pu moi-‐‑même arriver. Le
travail sur des œuvres littéraires relativement récentes et sur un rapport au temps
qui, à plusieurs égards, semble toujours d’actualité, impose en effet une perspective
limitée sur les œuvres et sur les idéologies dont elles peuvent témoigner. Mon analyse
mettra néanmoins en lumière certains éléments qui paraissent témoigner d’un
imaginaire de la fin de siècle, entretenu à la fois par les œuvres de fiction et par le
discours critique.
Plan de la thèse
Pour aborder les questions soulevées par mon objet d’étude, ma thèse se divise en
trois chapitres. Le premier vise à montrer en quoi les textes du corpus peuvent être
considérés comme des symptômes du présentisme malgré leurs différences
esthétiques et formelles. J’aborderai d’abord brièvement certains enjeux
fondamentaux de la représentation du passé, à savoir la relation aux sources et les
liens entre la fiction et l’histoire. Comme tous les auteurs de fiction à caractère
historique, les écrivains du corpus sont en effet contraints de sélectionner et
d’interpréter les textes sources à partir desquels ils construisent leurs récits. Les
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14
caractéristiques esthétiques, formelles et narratives des œuvres peuvent être
interprétées comme les résultats de ces opérations de sélection et d’interprétation, et
elles nous renseignent sur le rapport au temps de plusieurs écrivains. On observe
ainsi deux approches contrastantes qui semblent correspondre à deux attitudes
différentes face au passé et à l’histoire : d’un côté, des récits de formes plutôt
traditionnelles qui ne cherchent pas à empiéter sur le terrain de l’histoire, de l’autre,
des œuvres de natures plus éclatées, confrontant la discipline et cherchant à la
remettre en question.
Les notions de régime d’historicité et de présentisme montreront toutefois qu’il est
possible d’outrepasser cette première classification des œuvres, puisque plusieurs
motifs traversent l’ensemble du corpus, sans préférence pour une approche ou l’autre.
Des notions comme celles de patrimoine et d’archive sont en effet à la base de la
représentation du passé dans une majorité de textes, bien qu’elles reçoivent des
traitements variés selon les auteurs, l’appartenance à l’une des deux aires
géographiques, et les figures d’écrivains représentées. Le patrimoine, par exemple,
joue un rôle tout aussi déterminant dans un texte comme celui de Colette Fayard, où
Rimbaud est représenté sous les traits d’un voyageur spatio-‐‑temporel venu du futur,
que dans un roman historique destiné à de jeunes lecteurs comme celui Louise
Simard, bien que la notion soit exploitée et représentée différemment dans les deux
œuvres. La même observation vaut également pour la place accordée à l’archive dans
les textes. Cette dernière peut s’avérer centrale, comme chez Pierre Michon où la
photographie de Rimbaud par Carjat est l’objet de rêveries biographiques, ou plus
subtile, mais néanmoins essentielle, comme chez Dominique Noguez, qui invente de
fausses œuvres en s’appuyant sur la correspondance de ce même poète. En étudiant
les différentes manifestations des notions de patrimoine et d’archive au sein des
textes, ce premier chapitre montrera comment s’articulent la poétique des œuvres et
les caractéristiques du présentisme. Cette lecture permettra en outre de
contextualiser les récits, en montrant comment ils témoignent d’un rapport au temps
généralisé, qui ne concerne pas uniquement le milieu littéraire.
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15
Le deuxième chapitre explore pour sa part le rapport que les textes entretiennent avec
l’histoire littéraire. Alors que les analyses du premier chapitre montrent que les
œuvres peuvent être interprétées comme autant d’indices d’un rapport plus général
au temps, cette section a pour objectif de montrer en quoi les œuvres constituent des
occurrences particulières de ce même rapport au temps. En effet, chaque objet
culturel, chaque représentation du passé, qu’elle soit sérieuse ou fictionnelle,
comporte ses enjeux propres qui influencent la manière dont un régime d’historicité
s’y manifeste : une loi, un documentaire, une commémoration ou encore un
monument sont des objets d’étude qui peuvent chacun apporter des perspectives
différentes – et souvent complémentaires – sur un même régime. Dans l’ouvrage
d’Hartog, la diversité des éléments analysés laisse voir cette nature polymorphe des
régimes d’historicité, mais elle ne permet pas d’établir clairement les éléments qui
font d’un texte littéraire un avatar particulier du présentisme. Dans le cas des œuvres
du corpus, mon hypothèse est que le présentisme est confronté à un passé ou à un
type de mémoire spécifique, l’histoire littéraire, qui se révèle souvent être le véritable
sujet des œuvres. Les textes représentant des figures auctoriales se distinguent en
effet des autres représentations du passé en ce qu’elles ne visent pas à mettre en
scène l’Histoire au sens large, mais bien l’histoire de la littérature, souvent recadrée et
envisagée à partir du point de vue de l’écrivain représenté. Les évènements
historiques dont il est question dans les œuvres n’ont souvent d’incidence que dans
une perspective littéraire, puisqu’ils mettent en évidence l’évolution des pratiques, ou
encore des effets de rupture. Ces évènements sont très variés ; il peut s’agir de
nouvelles pratiques, comme l’usage du vers libre chez Mallarmé, de la parution ou de
la diffusion d’une œuvre considérée comme importante, par exemple Angéline de
Montbrun au Québec ou Une saison en enfer en France, ou encore de faits marquants,
comme l’internement de Nelligan ou la rencontre entre Rimbaud et Verlaine. En
m’appuyant sur les principaux travaux menés sur les représentations de l’histoire
littéraire par des écrivains, je montrerai que le regard posé sur les figures du passé
correspond souvent à une volonté de s’inscrire dans un continuum historique. Ainsi,
les œuvres du corpus ne nous renseignent pas uniquement sur les écrivains du passé,
mais elles servent aussi à la construction de divers imaginaires de l’histoire littéraire à
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16
travers lesquels les auteurs revendiquent des filiations, relatent ou inventent des
traditions, et se placent sous le patronage des figures historiques représentées. Un
autre effet majeur de ces fictionnalisations de l’histoire littéraire est de donner lieu à
divers recadrages qui concernent autant le statut accordé aux écrivains et aux œuvres
que les limites nationales et temporelles qui structure souvent les ouvrages savants.
Ainsi, les œuvres effectuent des rapprochements entre des écrivains de nationalités
différentes, mais aussi ayant vécu à des périodes différentes de l’Histoire. Il en résulte
des rapports au temps tout à fait singuliers qui, par les articulations qu’ils proposent
entre les catégories de présent, de passé et de futur, créent des variations et des
fluctuations au sein du présentisme, ou qui entrent en concurrence avec lui. Il va sans
dire que cette section de l’analyse sera l’occasion d’une comparaison plus approfondie
entre les textes français et québécois, laquelle mettra en lumière certains éléments
expliquant en partie les différences entre les deux sections du corpus. Alors que du
côté français l’histoire littéraire est nommément abordée, avec des références directes
à des ouvrages et à des historiens de la littérature, elle se fait beaucoup plus discrète
dans les œuvres québécoises, un peu comme si les auteurs n’avaient pas conscience de
traiter d’histoire littéraire, voire comme si cette histoire était, de leur point de vue,
inexistante ou encore à faire.
Le dernier chapitre s’intéresse aux biographies consacrées aux écrivains représentés
dans le corpus, avec comme objectif de comparer le rapport au temps qui se dégage
des représentations fictionnelles et non fictionnelles de ces figures du passé.
Contrairement aux textes du corpus, qui relèvent de plusieurs types d’écritures, la
biographie est une pratique bien établie, faisant appel à des codes reconnaissables
pour les lecteurs. Malgré les nombreux registres que peuvent emprunter les
biographes et les variations qui existent au sein du genre, on peut en effet identifier
clairement les objectifs d’une biographie – raconter, informer, clarifier, analyser, entre
autres – tandis que ceux poursuivis par les auteurs du corpus sont beaucoup plus
variés, comme en témoignent les récits déformant délibérément la réalité historique.
Néanmoins, les biographies sérieuses autant que les biographies fictionnelles ont en
commun de combiner des éléments appartenant au champ du réel, comme par
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17
exemple les dates de naissance et de mort des écrivains représentés ou bien certains
détails tirés de leur correspondance et de documents légaux, et d’autres dont le statut
est plus ambigu, comme des hypothèses ou des spéculations concernant la
psychologie des écrivains. Les biographes et les auteurs du corpus sont toutefois
soumis à des exigences différentes, puisque les premiers engagent leur sincérité alors
que les seconds profitent d’une plus grande liberté20. Il en résulte deux rapports
différents au passé, que je définirai en faisant appel aux notions d’histoire et de
mémoire proposée par Pierre Nora. S’inscrivant dans le champ de l’histoire, la
biographie serait une représentation problématique du passé, c’est-‐‑à-‐‑dire une
reconstitution incomplète et non définitive de l’Histoire, toujours sujette à être
réévaluée ou réfutée. Relevant de la mémoire, la biographie fictive ferait pour sa part
appel à l’imaginaire, au légendaire, au souvenir et au symbole. La mémoire, notion
présentiste par excellence, a aussi pour effet d’inscrire l’Histoire dans le présent, en
actualisant le passé par des gestes commémoratifs concrets et en l’inscrivant dans le
fil d’une tradition. Plusieurs exemples permettront d’illustrer ces deux types de
rapports au passé, notamment certaines des biographies de Rimbaud, et les trois
biographies consacrées à Arthur Buies. En outre, pour mieux définir les catégories
d’histoire et de mémoire, je ferai appel à deux exemples de textes biographiques
extérieurs au corpus, Dora Bruder et Le monde retrouvé de Louis-‐‑François Pinagot, de
l’historien Alain Corbin. Ces deux exemples me permettront également de montrer en
quoi les catégories d’histoire et de mémoire se révèlent particulièrement
fonctionnelles pour décrire les textes à caractère historique parus dans le contexte
des années 1980-‐‑1990.
20 Comme nous le verrons au chapitre III, cette liberté n’est toutefois pas totale puisqu’il importe que les figures d’écrivains représentées soient reconnaissables pour le lecteur, sans quoi la dimension référentielle et biographique des œuvres ne serait pas effective.
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18
Chapitre I
Comment on raconte l’Histoire
Bien qu’il ne constitue qu’un échantillon limité de la production littéraire des
décennies 1980-‐‑1990, le corpus hétéroclite que forment les textes qui seront étudiés
ici est tout à fait représentatif de la diversité des récits à caractère historique. Ces
textes n’appartiennent à aucun genre spécifique, mais s’inscrivent tous dans la
catégorie très large des « fictions biographiques1 », terme regroupant l’ensemble des
pratiques liées à la biographie, non seulement la biographie proprement dite, mais
aussi tout texte où la vie d’un individu est abordée sous un angle biographique, sans
pour autant adopter une démarche proprement biographique ou prétendre à la même
rigueur. Qu’ils appartiennent au genre du roman historique, de la métafiction
historiographique, de la biographie fictive, du récit de science-‐‑fiction, du récit
uchronique, du steampunk, ou autre2, les textes réunis ici traitent néanmoins d’un
sujet commun, la vie d’écrivains français ou québécois de la fin du XIXe siècle.
L’analyse qui suit tient compte de la grande variété de genres et des styles de fictions
historiques, d’abord en prenant en considération les enjeux, les contraintes et les
codes propres à chaque type de texte, mais aussi en montrant que des œuvres de
natures diverses peuvent être interprétées comme les différents symptômes d’un
même rapport au temps. L’étude des formes narratives est fondamentale pour une
bonne compréhension du rapport à l’histoire, et il va sans dire que les choix effectués
par les auteurs sur ce plan exercent une influence majeure sur le rapport au temps qui
se dégage des textes tout comme ils reflètent la manière dont chacun conçoit et se
représente le passé. Néanmoins, une enquête qui porterait uniquement sur le genre et
1 Voir Frances Fortier et Robert Dion, [dir.], Écrire l’écrivain : formes contemporaines de la vie d’auteur, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, p. 10-‐‑11. 2 Un travail considérable reste encore à accomplir dans l’étude des genres touchant à la fiction historique. Certaines œuvres du corpus ne correspondent pas à un genre en particulier, mais se présentent comme des hybrides.
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19
l’esthétique des textes ne pourrait à elle seule constituer une base solide sur laquelle
développer l’analyse du rapport au passé dont témoignent les textes. La question des
genres dans le domaine des fictions biographiques d’écrivains a été largement
explorée, et jusqu’à tout récemment, de nombreuses études ont proposé une variété
de typologies et de classifications des œuvres. Ce travail est nécessaire et éclairant,
dans la mesure où il permet de mieux voir les différences et les points communs entre
les récits, tout comme il permet de dégager diverses conceptions de l’écriture
biographique. Mais cette approche demeure grandement limitée par la nature hybride
des textes, qui empruntent souvent à plusieurs genres (voire à plusieurs registres de
discours) pour constituer des esthétiques particulières, qui se dérobent facilement
aux étiquettes et aux catégorisations3.
Pour éviter de constituer un simple inventaire des genres (qui rendrait peut-‐‑être
compte des effets du rapport au temps sur les textes sans pour autant en questionner
les causes), il semble donc important, dans un premier temps, de tenter de mettre
entre parenthèses les facteurs esthétiques pour aborder la question de la
représentation, en cherchant à identifier des points communs entre les textes. Il s’agit
de voir, par exemple, si les auteurs du corpus choisissent d’inclure dans leurs récits le
même type d’informations biographiques, les mêmes éléments contextuels, si certains
personnages secondaires sont toujours présents lorsqu’un même écrivain est
représenté dans plusieurs textes, etc. Une fois cette base commune mieux détaillée, il
sera plus facile d’identifier le rôle des facteurs esthétiques et narratifs dans le rapport
au temps.
La notion de régime d’historicité, développée autour des travaux de Paul Ricœur, de
Reinhart Koselleck et reprise par Hartog en 2003, sera utilisée comme cadre
théorique afin de montrer qu’un discours général sur l’histoire traverse l’ensemble
des textes du corpus. Dans sa plus simple expression, le terme désigne la « manière
3 Voir à ce sujet l’introduction de la thèse de Charline Pluvinet, L’auteur déplacé dans la fiction, Université Rennes 2, 2009, p. 23-‐‑25. Également en ligne : https://halshs.archives-‐‑ouvertes.fr/tel-‐‑00451032/document
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20
dont une société traite son passé et en traite4 ». L’étude des régimes d’historicité vise,
par l’analyse de différents objets (aussi variés que des pratiques culturelles, politiques
ou sociales, des courants artistiques, des œuvres littéraires) à « mettre en lumière des
modes de rapport au temps : des formes de l’expérience du temps5 ». Un régime donné
se distingue donc par la manière dont il articule les catégories de passé, présent et
futur. Parmi les régimes majeurs ayant marqué les sociétés occidentales, on peut
notamment évoquer l’historia magistra vitae, apparu dans l’antiquité et à travers
lequel le passé représente une source d’exemples à suivre permettant de déterminer
l’attitude à adopter face à l’avenir. Un texte comme les Vies parallèles de Plutarque, où
sont relatées et érigées en modèle les vies d’hommes illustres, représente tout à fait ce
type de pensée orientée vers le passé. Un autre régime, le régime moderne
d’historicité, articule différemment les catégories de présent, passé et futur en
déplaçant l’attention vers l’avenir. Ainsi, vers la fin du XVIIIe siècle, on considère
l’histoire comme une marche vers le progrès : le passé n’indique plus la voie à
emprunter, mais est rétrospectivement interprété comme la base d’une amélioration,
de l’évolution de la société et de l’humanité. C’est cette philosophie qui est, par
exemple, à l’œuvre dans un texte comme Notre-‐‑Dame de Paris, où la représentation
des émeutes populaires apparait comme une préfiguration de la Révolution française.
Le présentisme, comme son nom l’indique, désigne un présent hypertrophié, à partir
duquel sont envisagées les catégories de passé et de futur. Le présent devient alors la
catégorie englobante à partir de laquelle se construit tout le discours sur l’histoire. Le
présent pèse d’abord de tout son poids sur l’avenir, notamment à travers les concepts
de précaution et de responsabilité, qui synthétisent en grande partie notre expérience
du présent. Cette expérience semble largement définie par la conscience des
conséquences potentielles des gestes posés dans le présent sur l’avenir. Le présent se
voit en quelque sorte investi d’une dette envers l’avenir, duquel il se sent
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