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Mémoire du DIU de Pédagogie Médicale
Année 2004-2005
Richard Lévy
Le Centre d’Anatomie Cognitive : un outil pour l’enseignement des bases neurales de la
neuropsychologie et troubles du comportement
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Résumé
Le diagnostic topographique reste indispensable au raisonnement diagnostique en neurologie.
Pourtant, celui-ci est d’assimilation difficile, en particulier pour la neuropsychologie et les
troubles du comportements, autant chez les étudiants en 2ème cycle que ceux en 3ème cycle des
études médicales. Ainsi le but de ce mémoire est de proposer un enseignement du
raisonnement topographique en neuropsychologie afin de mieux identifier les troubles
cognitifs et du comportement, pouvoir les relier à un dysfonctionnement de circuits neuraux
ou de structures cérébrales identifiables. Les objectifs secondaires sont d’améliorer la qualité
du diagnostic en neurologie, favoriser la prise en charge des troubles cognitifs et du
comportement, intégrer les neurosciences en pratique clinique et répondre à une demande
d’enseignement dans un domaine perçu comme essentiel. Pour cela, nous avons élaboré puis
utilisé un « outil », le Centre d’Anatomie Cognitif (CAC), dont le but est de créer une banque
de données concernant les patients présentant une lésion focales du cerveau et altérant les
fonctions intellectuelles et le comportement. L’obtention de données approfondies tant
cliniques que neuropsychologiques ou d’imagerie cérébrale, font du CAC un outil exploitable
pour l’enseignement de la neuropsychologie à partir de l’exemple que représente chaque cas-
patient bien étudié. Le principe de l’enseignement repose sur deux temps: 1) une présentation
sous la forme d’un cas clinique d’un dossier de patient. Ce cas est l’objet d’une analyse
interactive entre les étudiants et les enseignants, de la sémiologie puis de la localisation de la
lésion ; 2) l’observation présentée ouvre sur un ensemble de connaissances et de règles
généralisables qui sont ensuite présentées sous une forme plus académique par l’enseignant.
Nous avons appliqué les principes de cet enseignement à la formation des étudiants en 3ème
cycle et aux professionnels en formation post-universitaire et, nous proposons dans ce
mémoire d’étendre l’expérience aux étudiants en 2ème cycle pour certains thèmes appartenant
au programme de la validation finale du 2ème cycle.
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Sommaire
Introduction p.3
Objectifs p.6
Le C.A.C : banque de données de corrélation clinico-radiologique p.6
Organisation pratique du CAC p.8
Le CAC : outil pour l’enseignement pour la neurologie et les neurosciences p.11
1. Enseignement du 3ème cycle des études médicales, formation médicales post-
universitaire et 3ème cycle de biologie (Master de Neurosciences) p.12
1. A. Modalités d’enseignement p.13
1. B. Conduite pratique de l’enseignement p.13
Préparation de la session p.13
Première partie de la session : la présentation du dossier p.13
Deuxième partie : intégration du dossier à la connaissance
neuropsychologique p.14
1. C. Exemple : un patient aphasique p.14
2. Enseignement du 2ème cycle des études médicales p.21
2.A. Pourquoi un enseignement fondé sur le CAC ? p.21
2.B. Proposition d’enseignement p.22
Discussion p.23
Références p.26
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Introduction
La proportion du volume cérébral dévolue à la cognition et à l’élaboration des comportements
dépasse de loin celle attribuée aux autres fonctions cérébrales. De fait, la plupart des
affections neurologiques touchant le système nerveux central entraîne une altération de
l’intellect et des troubles comportementaux. Compte tenu de l’impact des troubles des
fonctions supérieures sur l’adaptation sociale, une meilleure prise en charge de ceux-ci devrait
représenter en enjeu majeur de santé publique. Cette prise en compte passe dans un premier
temps par leur diagnostic, dépendant de notre capacité à détecter et à analyser correctement
les désordres intellectuelles et à les relier à un désordre structurel clairement déterminé. Cette
approche « structure-fonction » (ou de corrélation clinico-anatomique) est à la base du
raisonnement diagnostique en neurologie, car il s’agit de former à ce stade un diagnostic
topographique permettant ensuite de formuler un diagnostic étiologique. Par exemple, il parait
déterminant de différencier rapidement une aphasie de Wernicke d’une confusion mentale ou
un trouble visuel secondaire à une atteinte du nerf optique des conséquences d’une lésion dans
le cortex visuels associatif. Or, il apparaît que les personnels médicaux, y compris ceux qui
travail dans un domaine médical les confrontant régulièrement aux dysfonctionnements du
cerveau (neurologues, psychiatres, gérontologues, médecins généralistes...) connaissent très
mal les fonctions supérieures, leurs bases neurales et la neuropsychologie. Par exemple, en
France le diagnostic de maladie d’Alzheimer n’est porté qu’une fois sur deux et le plus
souvent à unstade de démence sévère (MMS < 15) (Girard et Canestri, 2000), ce qui est
dommageable dès à présent et encore plus dans l’avenir car les thérapeutiques en cours de
développement devront être prescrite au stade précoce de l’affection. Pourtant, malgré les 800
000 patients atteints de cette affection, seuls quelques rares experts sont capables de porter le
diagnostic de maladie d’Alzheimer à un stade précoce. Dans le même ordre d’idée, d’une part
la prise en charge rééducative des déficits cognitifs secondaires aux lésions séquellaires
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cérébrales (AVC, traumatismes crâniens) et d’autre part, l’évaluation de la nature et de
l’intensité du handicap cognitif par les instances médico-socio-économiques (COTOREP...)
sont largement minorés. Cependant, ces déficits (négligence visuo-spatiale, syndrome frontal
ou syndrome amnésique) altèrent l’autonomie de façon aussi voir plus importante que les
troubles sensoriels ou moteurs.
Le déficit de connaissance dans le domaine de la neuropsychologie pourrait provenir
en grande partie d’un défaut d’enseignement. En effet, si l’enseignement du diagnostic
topographique en neurologie reste au centre du raisonnement diagnostique, un simple
parcours des « textbooks » de neurologie montre la disproportion existant entre l’hypertrophie
des relations structure-fonction pour la motricité et de la sensibilité contrastant avec les faibles
développement de la neuropsychologie. Plusieurs facteurs pourraient expliquer cela : 1) les
bases neurales des fonctions supérieures sont loin d’être totalement élucidées ; 2) l’approche
classique de la neuropsychologie vient renforcer la perception du caractère « ésotérique » de
la neurologie, déjà appréhendée comme une discipline difficile ; 3) Enfin, et probablement le
facteur le plus important, est la relative désaffection par les neurologues français de
l’enseignement des fonctions supérieures et de la neuropsychologie. Ainsi, un externe ou un
interne passant dans un service de neurologie de la région parisienne a peu de chance d’être
correctement formé à cette sous-discipline.
Pourtant, les connaissances dans le domaine des cognitions, du fait des progrès en
neurosciences, principalement par la neuro-imagerie fonctionnelle, les travaux expérimentaux
en electrophysiologie (homme-animal) et par l’amélioration spectaculaire de la sémiologie
neuropsychologique et de la résolution des techniques d’imagerie anatomique facilitant la
confrontation clinico-radiologique doivent être transférées dans le champs de l’enseignement
de la neurologie autant au stade du 3ème cycle des études médicales (neurologie, psychiatrie,
gérontologie), de la formation post-universitaires, de la formation des équipes paramédicales
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(orthophonistes, neuropsychologues, psychologues, ergothérapeutes), de la formation des
neuroscientifiques (Master I et II) et de l’enseignement du 2ème cycle des études médicales.
Concernant, l’enseignement du 2ème cycle des études médicales, cela est d’autant plus justifié
que des connaissances élémentaires de la neuropsychologie et des bases neurales des
fonctions cognitives font partie de façon explicite ou implicite des critères d’acquisition de fin
de 2ème cycle médical. En voici quelques exemples : (BO n°31 du 30 août 2001 : Objectifs
pédagogiques terminaux pour les items de la 2ème partie du 2ème cycle des études
médicales ») module 4 : « Handicap, incapacité et dépendance ; objectifs généraux et aussi
objectifs terminaux » ; n°49 : évaluation du handicap moteur, cognitif et sensoriel et n° 53 :
« Principales techniques de rééducation et de réadaptation. Savoir prescrire la masso-
kinésithérapie et l'orthophonie ». ; Module 9 : « Athérosclérose - hypertension –
thrombose » : n° 133 : « Accidents vasculaires cérébraux ». Module 11 : « Synthèse clinique
et thérapeutique - de la plainte du patient à la décision thérapeutique – urgences » : n° 192 –
« Déficit neurologique récent » ; n° 337 : « Trouble aiguë de la parole. Dysphonie ».
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Objectifs
Le but de ce mémoire est de proposer un projet d’enseignement du raisonnement
topographique en neuropsychologie afin de répondre aux objectifs primaires suivants : mieux
identifier les troubles cognitifs et du comportement, pouvoir les relier à un dysfonctionnement
de circuits neuraux ou de structures cérébrales identifiables. Les objectifs secondaires sont
d’améliorer la qualité du diagnostic en neurologie, favoriser la prise en charge des troubles
cognitifs et du comportement, intégrer les neurosciences en pratique clinique et répondre à
une demande d’enseignement dans un domaine perçu comme essentiel mais pourtant délaissé.
Afin de mettre en place ce projet, nous avons élaboré puis utilisé un « outil », le
Centre d’Anatomie Cognitif (CAC) à l’hôpital de la Salpêtrière, dont le but est de créer une
banque de données (locale, puis nationale et européenne) concernant les patients présentant
une lésion focales du cerveau et altérant les fonctions intellectuelles et le comportement. Les
objectifs généraux sont triples : 1) l’amélioration du service rendu clinique pour la
neuropsychologie ; 2) la recherche et 3) l’enseignement universitaire et post-universitaire.
Dans ce mémoire, nous décrirons le projet C.A.C. puis ses applications actuelles et
potentielles en terme d’enseignement de la neuropsychologie.
Le C.A.C : banque de données de corrélation clinico-radiologique
Le projet de banque de données centré sur la corrélation clinico-radiologique repose sur les
constatations suivantes : 1) l’imagerie fonctionnelle cérébrale a permis d’enrichir
considérablement notre connaissance en cognition mais demeure insuffisante pour rendre
compte des bases neurales de la cognition. En effet, elle décrit le réseau cérébral participant à
une tâche ou une fonction mais ne permet pas d’indiquer au sein de ce réseau les régions
indispensables de celles qui sont accessoires. La corrélation anatomo-clinique permet, en
revanche, de répondre à cette interrogation en montrant qu’à une lésion focale bien définie
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peut correspondre un déficit durable ou, au contraire pas de déficit ou un léger trouble
rapidement compensé. Dans le premier cas, la région est indispensable à la fonction au sein du
réseau détecté en imagerie fonctionnelle. Dans le second cas, la région n’appartient pas au
réseau ou son absence peut être compensé par d’autres régions cérébrales : elle n’est donc pas
indispensable ; 2) L’approche de corrélation anatomo-clinique a longtemps été basée sur la
relation a posteriori entre une lésion cérébrale, dont le siège est prouvé de façon post-mortem
(les exemples les plus fameux sont celles des patients décrits par Broca, Wernicke ou
Déjerine) et un déficit observé chez un ou plusieurs patients. Or, les progrès réalisés au cours
des dernières années permettent in vivo d’envisager des corrélations « structure-fonction »
d’une grande précision. En effet, l’imagerie du cerveau permet aujourd’hui d’améliorer la
résolution anatomique des lésions cérébrales ; En outre, l’imagerie anatomique tire partie de
l’imagerie fonctionnelle qui a permis de mettre au point des espaces anatomiques normalisés
(par exemple, cerveaux normalisés dans le référentiel de Talaraich et Tournoux, 1988) et des
modèles statistiques (telle que les cartes F sous SPM ; Friston et al., 1995), applicables dès à
présent à l’approche de corrélation anatomo-clinique. Cela permet, par exemple, d’appliquer
des méthodes telles que la voxel-based lesion-symptom mapping (VLSM), de superposer sur
un cerveau normalisé les lésions de plusieurs sujets et de montrer quels voxels (voxel = unité
élémentaire de volume) contribuent le plus à un déficit cognitif donné (pour revue Rorden et
Karnath, 2004). De plus, grâce aux progrès de la neuropsychologie nous avons à notre
disposition des outils efficaces d’évaluation des fonctions supérieures ; Ainsi, l’ensemble de
ces progrès permet de nos jours de « re-visiter » l’approche de corrélation anatomo-clinique ;
3) La corrélation « structure-fonction » regroupée dans une analyse synthétique est supérieure
à la simple somme des deux disciplines (neuropsychologie et imagerie) et crée donc pour le
clinicien une valeur ajoutée pour comprendre la relation entre la lésion et les troubles
cliniques observés ; 4) la création d’une base de données en cognition, projet inédit en Europe
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(à notre connaissance un seul projet de ce type existe dans le monde, aux Etats-Unis) « re-
dynamise » la recherche en neuropsychologie, qui doit rester centrale dans l’approche
médicale des fonctions supérieures : en effet, colliger de façon standardisée des données
cliniques, radiologiques et neuropsychologiques et les mettre en relation à travers un moteur
de recherche à critères multiples fournit à la communauté un outil exceptionnel pour la
recherche et l’enseignement.
Au total, le projet C.A.C a pour but de répondre à trois objectifs en parallèle : 1)
amélioration du service clinique pour un patient donné ; 2) développement d’un outil (banque
de données) mise à la disposition de la communauté scientifique et, 3) création de données et
de connaissances utilisables pour l’enseignement.
Organisation pratique du CAC
Le principal critère d’inclusion dans le CAC est l’existence d’une lésion vasculaire
(ischémique ou hémorragique) uni ou bilatérale après la phase aiguë (> 6 mois). Pour chaque
patient adressé au CAC, le programme suivant est mis en route : une hospitalisation de un à
trois jours pour : examen clinique évaluation neuropsychologique, du langage et du
comportement, IRM anatomique dans les trois plans de l’espace et éventuellement imagerie
métabolique (SPECT), avis d’un rééducateur en médecine fonctionnelle. L’ensemble des
examens est effectué selon la même procédure pour tous les patients (évaluations utilisant les
mêmes tests et échelles et IRM 3D selon des paramètres pré-établis). Toutefois, selon la
symptomatologie, des tests ou échelles supplémentaires et ciblés sont utilisés. Les données
obtenues vont alors être retravaillées : 1) une synthèse neuropsychologique est faite et 2) la
lésion est reconstruite dans les trois plans de l’espace et localisée précisément. La
reconstruction en 3D de l’encéphale et de la lésion se fait grâce au logiciel de traitement
d’images Volume analysis, GE. La définition de la localisation anatomique se fait à partir de
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ces représentations 3D, selon trois référentiels anatomiques possibles : l’anatomie sulco-
gyrale en utilisant la nomenclature de la Neuronames Brain Hierarchy ; les aires
cytoarchitectoniques de Brodmann ; et les coordonnées x, y, z dans le référentiel de Talairach
et Tournoux (1988). On ajoute à la description anatomique le calcul du volume de l’encéphale
et de celui du volume de la lésion. A partir des informations cognitives et anatomiques est
réalisée une synthèse anatomo-fonctionnelle par un expert pour chaque patient. Ainsi, une fois
acquise, l’ensemble des données amène a rédiger un compte rendu de corrélation anatomo-
clinique (Figure 1), qui à la différence des classiques compte rendus de neuropsychologie,
associe imagerie, clinique, neuropsychologie et éventuellement l’avis d’un rééducateur pour
aboutir en fin de document à une synthèse anatomo-clinique incluant ces différents
paramètres. Le compte rendu est adressé au(x) médecin(s) traitant(s). Ce travail répond à
l’objectif de service rendu au patient.
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Figure 1. Exemple d’un compte rendu adressé au neurologue traitant.
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Les données pour chaque patient sont alors anonymisées et introduites dans la banque
de données selon un protocole standardisée. La banque de donnée est interrogeable à partir
d’un thésaurus basé sur une dénomination standardisé . N’importe quel croisement de
données est réalisable. Par exemple, il est possible de formuler la requête suivante : « je
souhaiterai obtenir la liste des patients droitiers, dont l’age se situe entre 40 et 75 ans,
présentant une fluence verbale inférieure à 5 et une lésion cérébrale touchant l’aire de Broca
et épargnant l’aire 46 de Brodmann gauche ». Ce type de requête peut être formulé par un
chercheur ayant accès à la base de données (c’est à dire dans le cadre d’un protocole de
recherche avec promotion et avis favorable d’un CCPPRB). Des projets basés sur la banque
de données sont déjà publiés (par exemple, Batrancourt et al., 2002a; 2002b ; Volle et al.,
2002 ; Thibaut et al., 2005). La constitution d’une banque de données fait aussi l’objet de
demandes de financement pour regroupement de plusieurs centres à l’échelle nationale
(projet RENADOC) et à l’échelle européenne.
Enfin le projet CAC est déjà utilisé pour l’enseignement et des extensions dans le
domaine de l’enseignement sont envisagées. La partie « enseignement » est l’objet des
chapitres suivants.
Le CAC : outil pour l’enseignement pour la neurologie et les neurosciences
L’obtention de données approfondies tant cliniques que neuropsychologiques ou d’imagerie
cérébrale, font du CAC un outil exploitable pour l’enseignement de la neuropsychologie à
partir de l’exemple que représente chaque cas-patient bien étudié. Afin de répondre aux
objectifs de l’enseignement (voir la section « objectifs »), le principe de l’enseignement,
quel que soit le niveau des étudiants, repose sur une méthode à deux temps: 1) une
présentation sous la forme d’un cas clinique l’un des dossiers de patients. Ce cas est l’objet
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d’une analyse interactive entre les étudiants et les enseignants, de la sémiologie puis de la
localisation de la lésion ; 2) l’observation présentée ouvre sur un ensemble de connaissances
et de règles généralisables qui sont ensuite présentées sous une forme plus académique et
directive par les enseignants.
1. Enseignement du 3ème cycle des études médicales, formation médicales post-
universitaire et 3ème cycle de biologie (Master de Neurosciences)
A ce jour, l’enseignement de la neuropsychologie à l’aide du CAC est déjà utilisé pour
l’enseignement du 3ème cycle et la formation post-universitaire. Dans ce cadre, des
sessions sont organisées dans le cadre de l’enseignement combiné : DU de
Neuropsychologie- Master 2 de Neurosciences (Université Paris VI). Ce cursus est, entre
autre, suivi par de nombreux médecins en formation post-universitaire (gériatres,
rééducateurs, psychiatres), par des DES en neurologie et en psychiatrie, par des
psychologues et des orthophonistes. De plus, pendant trois ans (2001-2003) une séance
d’enseignement du CAC a été organisée de façon hebdomadaire à la Fédération de
Neurologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière et elle était ouverte aux internes, CCA,
« seniors », psychologues, neuropsychologues, orthophonistes. Elle a attiré
régulièrement entre 30 et 50 personnes, y compris des professionnels extérieurs à
l’hôpital de la Salpêtrière.
Le programme de cet enseignement recouvre l’ensemble des troubles
neuropsychologiques (les aphasies, les amnésies, le syndrome frontal et les troubles
dysexécutifs, les négligences spatiales et l’ensemble des troubles visuo-spatiaux, les
agnosies aperceptives et associatives, les apraxies et les troubles de la programmation
gestuelle, les troubles de l’attention, de la motivation, des émotion et des affects...) ainsi
que l’ensemble des structures cérébrales qui les sous-tendent.
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1. A. Modalités d’enseignement
Une session comporte plusieurs temps. Schématiquement la première partie est centrée
sur la présentation d’un des cas-patients de la banque de données du CAC aboutissant
par raisonnement mené de façon interactive à proposer un diagnostic qui est ensuite
dévoilé. La seconde partie est consacrée à un exposé fait par l’enseignant ou l’un des
participants et portant sur une ou plusieurs des questions soulevées par le dossier
présenté.
1.B. Conduite pratique de l’enseignement
Préparation de la session
Dans l’exemple des sessions hebdomadaires du CAC, qui ont lieu le mardi de 16h30 à
18h, le mardi matin, l’équipe participant au CAC se réunit pour décider du dossier à
présenter la semaine suivante, de vérifier que l’ensemble des documents média sont
disponibles (vidéo de l’examen clinique, l’évaluation neuropsychologique ainsi que les
reconstructions 3D), de vérifier que la corrélation clinico-radiologique est source
d’enseignement, et de choisir le thème de l’exposé qui suivra. La répartition des tâches
(animation de la discussion du diagnostic et présentation de l’exposé) est aussi définie.
L’équipe est composée de deux neurologues, d’un neurologue/neuroradiologue, d’un
neuropsychologue et d’un orthophoniste.
Première partie de la session : la présentation du dossier
Le matériel nécessaire est constitué d’un vidéo-projecteur et d’un tableau. Un enseignant
anime la séance en suscitant la discussion et en s’assurant que le « timing « de la
première partie est bien respecté. La séance commence par la présentation succincte (sur
une seule diapositive) de l’histoire clinique telle qu’elle a été prise à l’admission (y
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compris avec les principales données de l’examen clinique). Cette présentation est suivie
d’une vidéo montée des moments les plus intéressant de l’évaluation neuropsychologique
et/ou de l’examen clinique. A l’issue de cette présentation, l’animateur demande à
l’auditoire de faire une synthèse de la sémiologie. Celle-ci est progressivement notée au
tableau et modifiée au fur à mesure des interventions de l’auditoire. Le neuropsychologue
ou l’orthophoniste livre alors la conclusion de l’examen neuropsychologique. La phase
suivante est abordée par la question : « où est la lésion ? ». L’animateur présente alors un
cerveau standard vide de lésion et propose à l’auditoire de localiser la lésion responsable
des troubles. Les hypothèses topographiques sont apposées sur le cerveau « vierge ». Une
fois, toute les hypothèses représentées au tableau, la solution topographique est donnée
par le neuroradiologue en présentant la lésion sous la forme de reconstructions 3-D
permettant une analyse topographique précise en terme de gyri, sulcus et aires de
Brodmann.
Deuxième partie : intégration du dossier à la connaissance neuropsychologique
Dans ce second temps, un exposé (30 à 45 minutes, suivi de 5 à 10 minutes de questions)
est réalisé par l’un des enseignants sur un ou plusieurs des thèmes abordés par la
présentation du dossier.
1.C. Exemple : un patient aphasique
Voici le déroulement de la session :
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a) Présentation des données cliniques principales
b) Présentation d’une vidéo montrant l’évaluation du langage et permettant de
discuter de la sémiologie ;
c) L’animateur de la séance demande à l’auditoire de donner les principaux
éléments de la sémiologie de l’aphasie. Il note au tableau les réponses
données ;
d) Le neuropsychologue fait la synthèse sur diapositives des données du bilan
neuropsychologiques ;
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e) L’animateur pose la question du diagnostic syndromique (« De quel type
d’aphasie s’agit-il ? Argumenter votre diagnostic ») ;
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L’auditoire doit arriver à la conclusion qu’il s’agit d’une aphasie de conduction.
Que la réponse soit trouvée ou pas, cela conduit l’animateur ou un autre
enseignant à faire un bref exposé sur le syndrome en question.
f) Un résumé de l’ensemble du dossier clinique est alors proposé :
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g) La question de la corrélation anatomo-clinique est alors posée :
La discussion est aidée par une représentation au tableau d’un cerveau vide sur
lequel les étudiants doivent proposer une ou plusieurs localisation en fonction des
données cliniques. Une fois les hypothèses formulées, la réponse est donnée sous
la forme d’une synthèse neuroradiologique ;
h) La solution radiologique et mise en perspective avec la clinique :
i)
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i) Exposé par l’enseignant :
Dans le cas présent, l’exposé porte sur deux axes : 1) les bases neurales de
l’aphasie de conduction et, 2) l’organisation fonctionnelle du cortex pariétal (siège
de la lésion). Voici quelques unes des diapositives de cet exposé :
Explication lésionnelle de l’aphasie de conduction :
22
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Rappel sur l’organisation anatomo-fonctionnelle du cortex pariétal
2. Enseignement du 2ème cycle des études médicales
2.A. Pourquoi un enseignement fondé sur le CAC ?
Nous pensons que le CAC, dans un format modifié et répondant à un programme
pédagogique adapté, peut être appliqué à l’enseignement de la neurologie pour les
étudiants de 2ème cycle des études médicales. En effet :
1) Un certain nombre d’objectifs de validation du 2ème cycle font référence à la
connaissance structure-fonction dans le cerveau ou nécessitent des
connaissances dans ce domaine. Les thèmes dans lesquels le CAC peut être
intégré sont : module 4 : « Handicap, incapacité et dépendance ; objectifs
généraux et aussi objectifs terminaux » ; n°49 : Evaluation du handicap
moteur, cognitif et sensoriel et n° 53 : « Principales techniques de rééducation
et de réadaptation. Savoir prescrire la masso-kinésithérapie et l'orthophonie ». ;
Module 9 : « Athérosclérose - hypertension – thrombose » : n° 133 :
« Accidents vasculaires cérébraux ». Module 11 : « Synthèse clinique et
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thérapeutique - de la plainte du patient à la décision thérapeutique –
urgences » : n° 192 – « Déficit neurologique récent » ; n° 337 : « Trouble
aiguë de la parole. Dysphonie ») ; En particulier, le CAC peut être utilisé dans
les enseignements dirigés (E.D.) portant sur les démences (diagnostics positif
et différentiel de la maladie d’Alzheimer) et les accidents vasculaires
cérébraux (diagnostic topographique des AVC) ;
2) Le diagnostic topographique reste central au raisonnement en neurologie.
L’enseignement du CAC repose pleinement sur ce principe ;
3) L’enseignement dans le cadre du CAC s’intègre dans l’approche moderne de la
pédagogie médicale reposant sur le raisonnement et l’interactivité sans
s’affranchir des connaissances factuelles indispensables pour asseoir le
raisonnement.
2.B. Proposition d’enseignement
Dans le cadre d’E.D. destinés aux étudiants ayant reçu un enseignement de neuro-
anatomie (premier cycle) et un enseignement de sémiologie neurologique (au CHU de la
Pitié-Salpétrière, ce module est validé durant le DCEM1), pourrait être abordé les
objectifs décrit en « 1) » au cours de quelques séances de CAC de 1 à 2 heures.
Prenons l’exemple d’un ED portant sur les AVC :
Deux patients du CAC présentant chacun un AVC avec une sémiologie classique sont
présentés. Le premier cas pourrait être un patient avec une aphasie de Broca et une
hémiparésie gauche à prédominance brachio-faciale. Le second, un patient présentant une
cécité corticale (ces deux observations existent dans la banque de données du CAC).
Les deux cas sont présentés séparément. Pour chacun des cas, des documents
multimédias sont présentés (vidéo de la clinique et reconstruction 3D des lésions). Dans
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un premier temps, il est demandé aux étudiants de reconnaître les syndromes cliniques et
d’argumenter. L’enseignant notant au tableau les réponses proposées. Puis, une discussion
est initiée sur le siège possible des lésions. Après cette discussion, la solution radiologique
est donnée par la présentation des IRM 3D. A ce stade l’enseignant peut prendre le relais
et faire un bref exposé, qui dans le premier cas portera sur les différentes formes cliniques
des aphasies d’origine vasculaire (principalement Broca et Wernicke), sur la somatotopie
des voies motrices (homonculus, différence en terme d’interprétation topographique entre
atteinte brachio-faciale, « crurale » et proportionnelle) et leur relation avec l’anatomie et
les différents territoires de la carotide interne (les étudiants apprendront la topographie de
des AVC dans les territoires superficiel et profond de l’artère cérébrale moyenne et dans
le territoire de l’artère cérébrale antérieure). Dans le second cas, l’enseignement portera
sur la sémiologie des troubles visuels d’origine neurologique (neuropathie optique,
atteinte chiasmatique, hémianopsies homonymes, cécité corticale, négligence visuo-
spatiale et agnosie visuelle) et les AVC dans les territoires des artères cérébrales
postérieures, vertébrales et du tronc basilaire.
Discussion
Le format de présentation du CAC paraît adapté pour l’enseignement de 3ème cycle et de la
formation post-universitaire car il permet d’asseoir des connaissances anatomo-
fonctionnelles préalablement acquises par l’analyse de cas concrets renforçant les
connaissances théoriques. Sa faisabilité est excellente car il repose sur une banque de
données déjà établies et balayant les principaux syndromes neuropsychologiques connus.
De plus, la partie recherche du CAC permet de générer de nouvelles connaissances
pouvant être directement injectées dans la connaissance pré-établie voir même modifier le
champs de connaissances. Cela est particulièrement bénéfique pour l’enseignement post-
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universitaire. Les séances du CAC ont eu un vif succès montrant que cette approche
répond à une attente des étudiants.
L’extension de cet enseignement au second cycle des études médicales est possible si
elle répond au programme. Dans ce sens, plusieurs domaines médicaux devant être validés
par les étudiants peuvent être enrichis par l’approche du CAC. L’avantage du CAC repose
sur un axe fondateur de la neurologie : le diagnostic topographique, engageant toute la
démarche diagnostique et thérapeutique ultérieure. La description de cas concrets ancre la
connaissance et l’interactivité permet de solliciter les capacités de raisonnement médical.
Le format de l’enseignement est à envisager dans le cadre des services de neurologie ou
en enseignement dirigé car l’interactivité nécessaire limite son utilisation dans le cadre
d’un auditoire plus large (amphithéâtre).
Dans tous les cas, les limites de cet enseignement sont : 1) l’absence éventuelle dans la
banque de données de cas typiques de pathologies spécifiques; 2) la charge de préparation
d’un tel enseignement, nécessitant plusieurs étapes lourdes en charge de travail par
comparaison à un enseignement typique : en effet, le matériel multimédia demande pour
chaque dossier plusieurs heures de préparation (montage vidéo, IRM 3D). Néanmoins,
cette limite est facilement contournée à ce jour par le nombre de dossiers déjà préparés
(plus de 60) ; 3) Il nécessite des enseignants formés au CAC et par conséquent, il n’est pas
extensible actuellement à l’ensemble des universités enseignant la neurologie. Cependant,
le CAC fait l’objet de demande de financement pour créer un réseau de services hospitalo-
universitaires concourant à la banque de données. Il n’est donc pas exclue qu’à terme, il
puisse être enseigné au delà de l’université de Paris VI ; 4) Enfin, la bonne réussite d’une
session nécessite la participation active des étudiants. Or, si les connaissances minimales
antérieures (sémiologie et neuro-anatomie) ne sont pas présentes chez les étudiants, il est
difficile de passer à cette phase de travaux dirigés. C’est pourquoi nous le proposons dans
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le cadre du DES, de la formation post-universitaire et dans un champs limités à quelques
items du programme de validation du 2ème cycle des études médicales.
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Références
Batrancourt B, Lévy R, Lehericy S, Samson Y, Lavallée I, Lamure M, Dubois B (2002a). Création d'une base de données sur le cerveau pour une synthèse anatomo-fonctionnelle. C.R. Biologies 325: 439-455.
Batrancourt B, Bonnevay S, Lamure M, Levy R, Dubois B (2002b) An anatomofunctional brain knowledge. Proceedings of the fifth international conference on information fusion. Fusion 2002, Annapolis, USA. Pp. 1269-1276.
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parametric maps in functional imaging: a general linear approach. Hum Brain Mapping 2:189-210.
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Volle E, Beato R, Levy R, Dubois B (2002). Forced Collectionism. Neurology. 58:
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