1
Théo le Besnerais
Tuteur : Frédéric Mazet
Entreprise : Credit Agricole Leasing & Factoring
Année : 2014 / 2015, M1 BFGR Groupe B
Lundi 1 juin 2015
Mémoire:
« Les Monnaies régionales : le modèle de Monnaies Régionales peut-il réellement se développer et s’imposer en Europe ? Les Monnaies Régionales sont-elles une alternative à la crise économique en Europe? »
2
Master 1 Monnaie Banque Finance Assurance :
« spécialité Banque Finance Gestion des Risques BFGR »
« Les Monnaies régionales : le modèle de Monnaies Régionales peut-il réellement se développer et s’imposer en Europe ? Les Monnaies Régionales sont-elles une alternative à la crise économique en Europe ? »
3
Les Monnaies Régionales, sociales et complémentaires apparaissent comme une innovation monétaire de la société civile, comme une réappropriation citoyenne de la monnaie. Celle-‐ci est alors tournée en un outil malléable, permettant d’orienter production et consommation. Dans une perspective de développement local endogène, elles présenteraient trois potentialités : la territorialisation des activités, la dynamisation des échanges et la transformation des pratiques, des modes de vie, et des représentations sociales. Ce mémoire propose d’explorer le spectre des monnaies régionales et complémentaires dans un contexte européen ; de voir dans quelle mesure elles pourraient y participer au développement, et sous quelles formes. L’essor d’Internet et de monnaies virtuelles dans les jeux en ligne ont rendu ce phénomène qui existe depuis les débuts de l’histoire de la monnaie un peu plus familier. Toutefois, la grande majorité de ces initiatives ont un but social et non commercial. Dans le contexte de crise économique et financière, j’ai souhaité m’interroger sur ce phénomène, dont les partisans soutiennent qu’il peut devenir une solution systématique aux problèmes économiques actuels. L’argument central des théoriciens des monnaies complémentaires est la résilience que procure la diversité monétaire à l’économie.
4
SOMMAIRE
REMERCIEMENTS ............................................................................ 5
INTRODUCTION .............................................................................. 6
CONTEXTE POLITIQUE ET GEOGRAPHIQUE ...................................... 6
1. LA MONNAIE CETTE INCONNUE ............................................................. 7 1.1 L’eau et la monnaie, deux flux d’eau ...................................................... 7 1.2 Faire de la monnaie un bulletin de vote ................................................... 7
1.2.1 Valeurs et monnaies citoyennes ......................................................................... 7 1.2.2 Contester l’Euro et soutenir l’économie ............................................................. 8 1.2.3 Antécédents historiques ..................................................................................... 9 1.2.4 Absence de diversité nuit à l’efficacité ............................................................. 10 1.2.5 Des exemples concrets de monnaies complémentaires ................................... 12
1.3 Frein à l’évasion grâce aux renforcements de la production ................. 14 1.3.1 La richesse se crée quand la monnaie circule ................................................... 14 1.3.2 Un point entre besoins sans réponse et ressources sous employés ................. 15 1.3.3 Ce qui compte reste invisible ............................................................................ 16
1.4 Des richesses non valorisés en monnaie ................................................ 16 2. L’AVENIR DES MONNAIES REGIONALES ................................................. 17 2.1 Qu’est ce qu’une Région et une Monnaie Régionale ? .......................... 17
2.1.1 Vers une monnaie labellisée ............................................................................. 18 2.1.2 Le rôle de l’Euro et le « Régio » ........................................................................ 19 2.1.3 Vision et réalité ................................................................................................ 20
2.2 Quelles propositions pour la digitalisation d’une monnaie régionale ? . 21 2.2.1 Un nouveau moyen de paiement digital et local .............................................. 21 2.2.2 La nécessité d’une meilleure réactivité ............................................................ 22
3. UN PROJET POUR UNE EUROPE DES REGIONS : « MISE EN PLACE D’UNE MONNAIE REGIONALE ». ....................................................................... 23 3.1 La phase de définition de la monnaie : bien cerner les exigences et le périmètre de la monnaie ............................................................................. 23
3.1.1 Le « diagnostic » de l’existant : une nouvelle monnaie peu connue des habitants ................................................................................................................... 23 3.1.2 Les ressources à disposition pour réaliser un circuit monétaire ....................... 24 3.1.3 Les contraintes liées à une Monnaie Régionale ............................................... 27 3.1.4 Les résultats attendus ...................................................................................... 28
BILAN ET CONCLUSION .................................................................. 29
BIBLIOGRAPHIE ET SITOGRAPHIE .................................................. 31
5
Remerciements
Je remercie tout d’abord Madame Selsabila Michel, professeur pour mon mémoire
pour m’avoir guidée dans la réalisation de ce travail lors des soutenances d’étapes, pour ses précisions quant à la forme et ses critiques qui m’ont beaucoup aidé.
Mes remerciements vont aussi à Mme Sandra Rigot, professeur d’Economie Monétaire Internationale, pour ses conseils lors de la relecture de mon plan.
Je souhaite également remercier, différents collaborateurs au sein de Crédit Agricole Leasing & Factoring, à qui j’ai pu demander des conseils lors de la rédaction de ce mémoire.
Ce mémoire aurait manqué de profondeur empirique sans les inépuisables ressources d’André-‐Jacques Holbecq et de Phillipe Derudder.
6
Introduction
La crise de l’euro nous oblige à repenser en profondeur la politique monétaire européenne. Loin d’un fédéralisme monétaire esquissé par certains économistes, chaque états membres tout en préservant la zone euro pourrait mettre en circulation sur son propre territoire des monnaies complémentaire, garantie par les recettes fiscales et maintenue à la parité avec l’euro. Cette monnaie parallèle serait une monnaie « populaire » émise sous forme de billets de petite dénomination et destinée aux achats quotidiens. L’euro continuerait d’être utilisé pour régler les transactions de montant plus important, les transactions à l’échelle européenne et servirait de monnaie d’épargne.
Contexte politique et géographique
Le fédéralisme monétaire imaginé par certains économistes, rompt avec le monopole bancaire privé sur l’émission de monnaie. La Banque Centrale Européenne (BCE) par le rachat des dettes souveraines sur le marché secondaire ne fait que conforter un système failli encore en place, alimentant un bulle des actifs (en majorité dé-‐corrélé de l’activité économique réelle).
Plus fondamentalement, il faut affirmer que les principes d’organisation de la monnaie doivent être cohérents avec ceux qui fondent la communauté politique. Dans le cas de l’Union européenne, il s’agit de transposer sur le plan monétaire la vielle maxime « unité dans la diversité », et de reconnaître que la politique monétaire est un des outils dont les peuples souverains doivent pouvoir disposer pour protéger leur existence et s’inscrire dans la durée. Une monnaie complémentaire circulant durablement au sein de l’économie locale, en parallèle à l’euro doit avant tout être acceptée par la population et négociée avec le secteur privé. Pour y parvenir, le gouvernement devra construire activement la confiance dans la nouvelle monnaie et maintenir sa valeur au pair avec l’euro.
La concomitance entre crise et monnaies complémentaires se comprend aisément : l’argent manque, les banques, en difficulté, diminuent leurs facilités de financement, les entreprises et les particuliers sont pris à la gorge, et naît alors l’idée : puisque l’argent manque, créons une autre monnaie ! Il faut comprendre que les monnaies complémentaires et/ou régionales n’ont pas vocation à remplacer la monnaie officielle, mais à trouver sa place en complément de celle-‐ci.
On compte à l’heure à actuelle une multitude de monnaies complémentaires, puisque « nous en sommes à plus de 5 000 en 2009, selon Bernard Lietaer, ancien haut fonctionnaire de la Banque Centrale de Belgique ayant participé à la création de l’euro, aujourd’hui l’un des spécialistes mondiaux des monnaies complémentaires ».
7
1. La monnaie cette inconnue
1.1 L’eau et la monnaie, deux flux d’eau
Nos sociétés modernes ont un besoin vital de monnaie pour vivre et prospérer. La diversité et la quantité des échanges nécessaires, la variété des productions et des consommations de chacun est telle que l’absence de monnaie est quasiment impossible à envisager. Dans l’état actuel du monde, à cet instant de son évolution, l’absence de monnaie signifierait l’absence des échanges, et donc le retour de l’autarcie primitive. Nous sommes donc loin de la société libre, sereine et apaisée où les individus pourront vivre de leurs dons réciproques sans que quiconque songe à tenir la comptabilité de que quoi ce soit.
La monnaie n’a que très rarement été produite logiquement et sainement, en fonction des besoins d’échanges de biens et de services réels. Il a donc souvent existé un déficit, un manque de monnaie structurel dû à un décalage entre niveau d’activité réelle et quantité de monnaie en circulation. Et parallèlement à cela, la distribution de la monnaie a presque toujours été effectuée par une autorité centrale à qui elle conférait le pouvoir de décider ce qui serait valeur ou pas et quelles catégories sociales seraient avantagées.
A l’inverse , on peut dire aussi que face à un besoin pressant de moyen d’échange, il était parfaitement logique, et en quelque sorte profitable à la prospérité d’une certaine partie de la société que la monnaie-‐dette soit inventée et envahisse le monde.
Désormais, 95 % de la monnaie en circulation est constituée de simples lignes de chiffres sur des écrans mais ce n’est pas une raison pour en laisser la gestion à des émetteurs privés, sous forme de dette, sans aucun contrôle, alors que cette gestion pourrait être faite de manière transparente.
1.2 Faire de la monnaie un bulletin de vote
1.2.1 Valeurs et monnaies citoyennes
D’un point de vue économique, le système de création et de distribution monétaire par le crédit qui est en place dans la plupart des pays en ce début de troisième millénaire est porteur d’un grand nombre de défauts majeurs et génère de nombreuses conséquences négatives sur l’ensemble de nos sociétés. A part le petit nombre des détenteurs du privilège monétaire qui profitent des avantages extraordinaires que procurent la maîtrise et le contrôle du processus, le reste des populations est dans une situation de dépendance constante. L’ensemble de l’économie est déformé dans les grandes largeurs par l’inefficacité monopolistique d’un système centralisé. La dette qui accompagne chaque unité monétaire
8
oblige les populations à un effort de production insoutenable qui ne peut être compensé que par un endettement symétrique et exponentiel des Etats eux-‐mêmes. D’un point de vue politique, il est également inacceptable de laisser la gestion d’un outil d’échange aussi fondamentale que la monnaie publique à des entités privées, dont le but n’est pas de servir la communauté, mais au contraire d’utiliser au mieux de ses propres intérêts un système qui lui a été attribué par défaut et par ignorance des conséquences.
D’un point de vue éthique, le fait de confier la création et la distribution de monnaie à des entités qui échappent au contrôle des populations, qui opèrent sur des bases monopolistiques, selon des règles non transparentes et sans le moindre accord démocratique est en complète contradiction avec tous les droits humains fondamentaux
La monnaie courante est à la fois très simple dans son utilisation et très compliqué dès que l’on essaie de s’expliquer d’où vient l’argent, qui le crée, d’où vient le crédit, à quoi sert une banque. Oser se lancer dans l’aventure d’un projet de Monnaie Régionale, c’est finalement pour les citoyens le meilleur moyen de s’approprier les réponses. Car imprimer des billets, c’est une façon pour nous et pour eux, de s’assurer de leur « infalsifiabilité », de garantir les dépôts, bref de créer de la monnaie. C’est l’occasion de découvrir qu’une simple association citoyenne et publique peut se réapproprier cet usage, aujourd’hui confisqué par les établissements bancaires, obsédés non plus de rendre service à leurs usagers mais d’enrichir leur actionnaires et leur salariés. Dans cette reconquête citoyenne, c’est le faire qui détermine le Comprendre.
1.2.2 Contester l’Euro et soutenir l’économie
Une monnaie complémentaire est une monnaie qui peut être utilisée en complément de la monnaie officielle. Nul n’a l’obligation de faire ou de recevoir un paiement en monnaie complémentaire, il se fait uniquement si le vendeur et l’acheteur sont d’accord. La monnaie étatique garde donc toute sa prééminence, mais elle n’est pas unique. Alors à quoi sert donc une monnaie complémentaire ? Tout simplement à permettre des transactions qui ne se feraient pas dans la monnaie officielle.
On peut expliquer ce phénomène avec le WIR (« nous » en allemand). Le WIR a été créé en 1934 en Suisse. La crise de 1929 frappe durement les Etats-‐Unis et elle se diffuse dans toute l’Europe, la Confédération helvétique n’y échappe pas.
La tendance à la monnaie locale est particulièrement forte depuis 2011. Elles ont plusieurs noms selon la ville ou la région où elles sont proposées mais surtout, les monnaies locales sont considérées comme des monnaies éthiques, alternatives ou encore solidaires. Leur principe : offrir un moyen de paiement alternatif à l’euro, basé sur un système local reconnu par les partenaires. En général, les initiateurs d’une monnaie locale pensent aussi à l’économie régionale : les artisans, leur savoir-‐faire et les produits locaux sont particulièrement mis en valeur.
9
Le manque de confiance envers l’euro est aussi l’un des moteurs des nombreuses monnaies locales. La monnaie solidaire et peut être régionale un jour, est le reflet d’une crainte d’une crise économique en France et en Europe encore plus marquée. Dotée de sa propre monnaie, l’économie locale est et sera ainsi consolidée, sans risque de crise de liquidité. Bien entendu, le système a ses limites.
1.2.3 Antécédents historiques
Tout comme les assemblées directes locales, les monnaies complémentaires ne sont pas des phénomènes nouveaux, mais elles restent relativement méconnues et peu enseignées dans nos cours d’histoire. Les monnaies complémentaires qui ont existé dans l’histoire ont pourtant correspondu à des périodes de prospérité pour les habitants.
Contrairement aux idées reçues, les monnaies régionales disposent en Europe d’une historicité considérable. Elles existèrent de façon continue entre Charlemagne et Napoléon. Il faut noter que si les monnaies régionales ont disparu du paysage européen, ce n’est pas en raison de leur inefficacité. Dans la plupart des cas, elles ont été abolies, sans autre forme de procès, par un pouvoir central qui entendait étendre l’usage de son propre système monétaire pour mieux contrôler les économies régionales, et cela sans égard pour les effets négatifs sur la population. Il est important de rappeler que la monopolisation monétaire s’est souvent accompagnée de mesures de répression militaires et d’interdiction de systèmes et d’usages préexistants.
Le parallélisme avec les assemblées des villes et les luttes des communes contre l’Etat pour le maintien des « libertés municipales » est frappant.
Il faut reconnaître toutefois que dans certains pays et sous certaines conditions, il existe des monnaies complémentaires connaissant un succès qui ne se dément pas. Le WIR notamment, en Suisse, qui a réussi à perdurer depuis 1934 (le fait que l’organisation se trouve à Bâle et possède le statut bancaire y est peut-‐être pour quelque chose). Les banques, dont la situation se détériore, restreignent les lignes de crédit accordées aux entreprises, au risque de les pousser à la faillite. Seize entrepreneurs décident alors de se réunir pour voir comment ils pourraient sauver leurs sociétés. Constatant que l’entreprise A a besoin d’argent pour acheter des marchandises à l’entreprise B, qui elle-‐même a besoin d’argent pour payer son principal fournisseur, l’entreprise C, ils décident de créer un système de crédit mutuel entre eux : quand A achète chez B, A enregistre un débit et B un crédit correspondant, de même quand B achète à C, etc. Ces débits et crédits sont dénommés WIR, et pour simplifier les choses, il est établi que 1 WIR = 1 franc suisse. Mais dans ce nouveau système, l’argent dus système bancaire ne circule plus. Ces entrepreneurs venaient de créer leur propre monnaie, ainsi que leur propre banque (la banque WIR) pour la gérer. A l’époque, les banques suisses firent tout pour stopper ce projet, mais en vain. C’était en effet une part de leur marché qui leur échappait, des transactions sur lesquelles
10
elles ne toucheraient plus de commission. Mais le WIR perdure et se diffuse dans toute l’économie suisse.
Aujourd’hui, une PME suisse sur cinq (soit 60 000 entreprises) adhère au système, et utilise donc le WIR en complément du franc suisse. En 2000, un économiste américain, James Stodder, a réalisé une étude économétrique qui reprenait tout l’historique des transactions depuis la naissance du système. Il a démontré que le volume d’activité du WIR augmente lorsque l’économie suisse se retrouve en récession, et baisse en période de croissance. Autrement dit, cette monnaie a un effet contra-‐cyclique. Une excellente chose, et qui ne coûte pas un franc d’argent public. Sans le WIR, des PME suisses auraient fermé leurs portes, d’autres auraient été amenées à réduire leur niveau d’activité. La monnaie officielle, notamment quant le secteur bancaire est malade, peut devenir une contrainte qui étouffe l’économie ; une autre monnaie, fonctionnant sur d’autres bases, peut alors apporter, au moins en partie, une réponse.
Actuellement (chiffre en décembre 2014), la Banque WIR compte plus de 67 000 PME participantes soit environ 1/5 des PME suisses. Les transactions en WIR atteignent 1,7 milliards de francs suisses soit environ 1,1 milliard d’euros et le système monétaire WIR représente 1 % de la masse monétaire en circulation en francs suisses. Par ailleurs, 884,5 millions ont été octroyés sous forme de crédits en WIR. Depuis 1998, le système WIR suisse s’est transformé en banque coopérative, ajoutant à ses fonctions originelles, un système de crédit en WIR a des taux avantageux et propose des services bancaires classiques comme des placements. De plus, il met aussi ouvert au public, et met à disposition des clients et particuliers une carte à puce WIR permettant de réaliser les paiements en WIR et Francs suisse (CHF) : 8 325 entreprises l’acceptent comme mode de paiement en WIR et 6 727 en WIR et CHF, pour 49 879 d’utilisateurs. Ce dispositif est le seul survivant de la vague de création de systèmes d’échange-‐marchandises des années 30.
1.2.4 Absence de diversité nuit à l’efficacité
Le Yin-‐Yang est un concept taoïste de relation entre deux polarités. Le Yin correspond plutôt au féminin, au coopératif et le Yang au masculin et au compétitif. Selon Lao Tseu, « Quand le masculin et le féminin se combinent toutes les choses réalisent l’harmonie ».
Les monnaies conventionnelles, comme l’euro ou le dollar, peuvent être qualifiées de monnaies Yang. « Une monnaie Yang est une monnaie dont l’émission est basée sur une hiérarchie, sur laquelle on applique un intérêt qui encourage l’accumulation, et qui tend à créer la compétition entre ses utilisateurs. Toutes les monnaies conventionnelles sont des monnaies Yang parce qu’elles manifestent chacune de ces caractéristiques. C’est pourquoi l’économie compétitive qu’elles alimentent sera définie comme « économie Yang ». Une économie Yang vise à générer du capital financier.
11
Les monnaies complémentaires, quant à elles, peuvent être qualifiées de monnaie Yin. Une Monnaie Yin est une monnaie dont l’émission est gérée par les utilisateurs eux-‐mêmes, qui décourage l’accumulation et qui encourage la coopération entre ses usagers. L’économie Yin vise à générer du capital social.
La complémentarité entre monnaies Yang (monnaies conventionnelles) et monnaies Ying (monnaies complémentaires, régionales ou locales) pourrait nous permettre de lutter efficacement contre la rareté de l’argent et contre le chômage et nous conduire vers une prospérité économique, financière, sociale et durable, ainsi que l’analyse Bernard Lietaer : « les monnaies complémentaires sont un des instruments qui facilitent la transition vers le prochain système économique. The Future of the money donne un plan détaillé pour une stratégie systématique qui offre dès aujourd’hui une possibilité réaliste d’atteindre l’abondance durable en une génération au moyen des monnaies complémentaires.
Source : Lietaer, 2009
Aujourd’hui il existe plusieurs types de monnaies :
-‐ les monnaies basées sur le temps
-‐ S.E.L ou Systèmes d’Echanges Locaux
-‐ Monnaies locales complémentaires
Les monnaies basées sur un système d’échange de temps. Les conditions de l’échange peuvent être, soit indépendantes de la valeur du service rendu (une heure vaut une heure), soit basées sur la négociation (on se met d’accord sur des valeurs d’échange différentes selon la nature du service). Elles sont bien adaptées aux communautés où le besoin essentiel est l’entraide mutuelle. Le Time Dollar et les SELs fonctionnent souvent sur ce modèle. Ces systèmes fonctionnent très bien à court terme : les blocages économiques
12
dus au manque de chiffres dans le système monétaire officiel (récession, pauvreté, chômage) sont résolus quasi instantanément. Mais à long terme, tout comme dans le système monétaire actuel, la question de l’accumulation n’est pas traitée.
Un S.E.L. permet des échanges de biens, de services et de savoirs. Comme tous mes systèmes d’échange, il regroupe une communauté de personnes bien définie au sein d’une ville ou d’une région. Il y a plus de 450 SELs en France. Ils ont tendance à se former à la suite ou au cours d’une crise dans les régions où la pénurie monétaire se fait douloureusement sentir au niveau de l’activité économique et de l’emploi. Les difficultés financières provoquent une prise de conscience de la source profonde du problème : un manque de moyen d’échange. La solidarité et l’astuce font le reste. La monnaie d’un SEL est une simple comptabilité mutuelle matérialisée par un certain nombre d’unités monétaires autonomes. Chaque membre de l’association possède son propre carnet de compte. Les transactions, crédit de l’un et début de l’autre, sont simplement inscrites sur les carnets de deux intervenants à chaque transaction, avec parfois une troisième inscription sur un registre global. Chaque monnaie complémentaire, qu’elle soit mise en œuvre sous forme de monnaie locale, de SEL, ou autre, est fondée sur des règles parfois complexes, mais toujours transparentes. Ces règles sont acceptées librement et en tout connaissance de cause par l’ensemble des membres de la communauté qui l’utilisent.
Plus de 2 000 systèmes de monnaies complémentaires sont utilisés dans le monde. Toutefois, il va sans dire que les Etats surveillent sans relâche du coin de leur œil omniscient toutes ces tentatives de se libérer du joug de la monnaie-‐dette officielle. Au moindre signe de succès ou d’extension en dehors d’un petite zone bien contrôlable et maîtrisée, la bras omnipotent de l’Etat, armé de son arsenal efficace de lois diverses et variées, ne manque pas de décourager et d’étouffer toute velléité d’extension, soit en qualifiant les entraides locales en travail clandestin et en poursuivant les adhérents malchanceux, soit en mettant l’amende et en taxant les utilisateurs les plus zélés qui effectueraient des transactions trop fréquentes, soit encore en interdisant tout simplement la prolongation des expériences bien avant qu’elle puissent menacer de concurrencer le monopole d’Etat.
1.2.5 Des exemples concrets de monnaies complémentaires
En France une monnaie complémentaire a acquis une certaine célébrité : le SEL. Les membres de ce groupe (une association dont il faut être membre) s’échangent des services ou des savoir-‐faire. Ici l’unité de compte est l’heure. S’il on donne un cours particulier de mathématiques, on obtient un crédit qui permet ensuite de demander une réparation demandant une heure de travail à un plombier. Seul le temps de travail est ici pris en compte, et non son niveau de compétence supposé ou réel : une heure de cours de trigonométrie vaut une heure de tonte de pelouse. On trouve de tels systèmes également aux Etats-‐Unis (les Time Dollars), au Canada, au Japon, en Suisse, etc. Les premiers SEL sont apparus en France en 1994, on est compte aujourd’hui 300. Ils se développent plutôt dans
13
les régions enclavées et à faible niveau de revenu : l’argent manque et payer un plombier revient trop cher, alors on donne de son temps dans une compétence que l’on possède, et on peut ensuite payer la réparation. On comprend ici parfaitement comment cette monnaie complémentaire permet la réalisation de transactions qui sinon ne se feraient pas. Ces échanges permettent ensuite aux personnes de mieux s’intégrer dans le tissu économique, pour leur plus grand bénéfice et celui de la communauté.
Dans l’un de ses ouvrages, l’économiste anglais Nicholas Kaldor (1908-‐1986) glisse une remarque anodine : lorsqu’une compagnie aérienne offre des miles à ses clients, ne fait-‐elle pas d’une monnaie au plein sens du terme bien sûr, le bénéficiaire ne peut pas le céder ou l’utiliser chez son marchand des quatre-‐saisons. Mais tout de même, il s’agit de « quasi-‐monnaie ». Avec certains programmes, on peut acheter des objets ou des services (location de voiture, cinéma, etc.). On est ici à la frontière du programme de fidélisation et de la monnaie. De la même façon, lorsque l’on utilise un chèque déjeuner au restaurant ou au rayon traiteur du supermarché, on utilise aussi une quasi-‐monnaie. Ces transactions échappent au réseau bancaire, mais elles n’existeraient pas toutes si les paiements devaient s’effectuer en euros.
Au delà d’exemple particuliers, les monnaies complémentaires les plus répandues sont celles qui s’affichent à parité avec la monnaie officielle, comme le WIR (1 WIR = 1 franc suisse) et sont utilisables chez tout ou partie des commerçants d’une ville ou d’une région comme j’ai pu l’expliquer précédemment.
En Allemagne, des dizaines de monnaies sont actives ou en cours de lancement, la plus connue étant le Chiemgauer, du nom de cette région de Bavière qui l’utilise : lancée en 2003, elle est acceptée par plus de 600 commerçants et a déjà circulé à hauteur de plusieurs millions.
En Belgique, le RES circule surtout en Flandre depuis 1996 et réunit plus de 5 000 commerçants et PME, et 100 000 particuliers. Le RES est à la fois une monnaie inter-‐entreprises, comme le WIR, et une monnaie ouverte aux particuliers, comme le Chiemgauer.
En France, plusieurs projets locaux apparaissent : l’Eusko dans le Pays basque, le Déodat à Saint-‐Dié-‐des-‐Vosges, l’abeille à Villeneuve-‐sur-‐Lot, l’Occitant à Pézenas, la muse à Anger, l’Héol à Brest, la sardine à Concarneau, la mesure à Romans-‐sur-‐Isère etc. A chaque fois, une unité de ces monnaies égale en euro, par souci de simplicité. On compte plus de 5 000 monnaies complémentaires à travers le monde, contre seulement quelques-‐unes au début des années 1990. Nous vivons à l’époque de l’avènement des monnaies complémentaires.
Pour exemple, les promoteurs de l’Eusko attendent des collectivités qu’elles acceptent la monnaie complémentaire dans les piscines, les transports communs, la restauration scolaire, etc. Tout est cela est prévu et pensé dans les esprits, mais ce n’est pas encore mis en place.
14
1.3 Frein à l’évasion grâce aux renforcements de la production
1.3.1 La richesse se crée quand la monnaie circule
Une monnaie-‐dette rapporte quand elle n’est pas utilisée, elle permet de soutirer de la richesse à ceux qui n’en possèdent pas et à qui on peut la prêter avec intérêt, ce qui évite d’avoir à produire soi-‐même. La monnaie-‐dette a donc tendance à être accumulée.
Dans certaines monnaies complémentaires, l’unité est parfois « fondante », c’est à dire grevée d’un intérêt négatif. Ceci incite à la dépenser plutôt qu’à la thésauriser, puisque plus on la garde, plus elle perd de sa valeur. Ceci à tendance à accélérer la fréquence des transactions (V, la vitesse de circulation augmente), ce qui relance mécaniquement l’activité économique de la région. Mais à long terme, l’option « monnaie fondante » retire de la valeur à l’unité monétaire et diminue la masse monétaire existante. De plus, la question de l’accumulation et de ses conséquences n’est toujours pas réglée.
Par exemple, si j’épargne et garde toute la monnaie chez moi pour le futur, une des conséquence est que je peux priver les autres de cet argent pour réaliser leurs échanges potentiels. C’est ce que l’on observe à l’échelle mondiale où l’argent est ultra-‐concentré dans certaines zones et complètement absent à d’autres endroits. Le capitalisme avec l’intérêt met en avant la thésaurisation. Le fait d’épargner et d’accumuler 100 euros deviendront 104 euros à la fin de l’année. La fonte de la monnaie (développée par Silvio Gesell) mais qui existait déjà au Moyen-‐Âge (monnaie de Surestarie), et en Egypte ancienne permet de diminuer la valeur de la monnaie avec le temps.
La monnaie est un outil. En fonction des besoins et de ce que l’on souhaite créer, on peut arbitrer entre accumulation et/ou circulation on peut choisir l’un ou l’autre des paramètres.
Nous savons depuis Jared Diammond que la plupart des civilisations qui nous ont précédé ont disparu par au moins deux causes similaires : la consommation plus rapide que la production des ressources nécessaires à leur survie et l’explosion liée au manque de cohésion sociale et d’intégration de leurs populations de plus en plus diverses, que leur empire centralisé n’a pu assurer. Imaginer donc notre société qui offrira trop de promesses de consommation via le crédit ? La réponse semble simple, réduire nos promesses, réduire notre empreinte, mais donner corps à une autre promesse via des outils monétaires et bancaires à une échelle « géographique » plus proche.
15
1.3.2 Un point entre besoins sans réponse et ressources sous employés
Avec des monnaies locales complémentaires, les forces productives paralysées par le manque de monnaie officielle peuvent à nouveau s’exprimer, les chômeurs se remettent en activité, et tous les gens qui ont des savoir-‐faire et des connaissances inemployées peuvent recommencer à les utiliser de manière productive. Même si le volume de monnaie locale augmente considérablement suite à cette relance, c’est uniquement parce que l’activité augmente.
Les régions ont de nombreux besoins, liés notamment à des problèmes sociaux tels que le chômage, l’emploi des jeunes ou la prise en charge des personnes âgées. Davantage de besoins économiques seront satisfaits quand un réseau de clients bien constitué permettra aux entreprises locales de mieux faire face à la concurrence des grandes entreprises. Les besoins écologiques ou culturels peuvent être remplis si l’on soutient efficacement les associations locales. La préservation de l’identité locale répond également à un besoin culturel.
Par exemple, la prochaine fois que vous irez au restaurant ou au cinéma, comptez le nombre de places ou de tables vides : il s’agit là aussi de ressources non mobilisées. Les écoles fermées après les heures de cours ou pendant les vacances d’été, sont également une ressource, tout comme certains cours de l’université que suivent parfois tout au plus une dizaine d’apprentis. L’idée est d’introduire des monnaies locales et complémentaires (MLC) ou monnaies régionales, là où les monnaies nationales ne permettent pas de satisfaire tous les besoins et, en plus, négligent l’utilisation de ressources bien réelles.
1.3.3 Ce qui compte reste invisible
L’économie ne demande qu’à grandir et à accueillir toutes les personnes qui le souhaitent. Il y a d’immenses champs d’activité qui ne sont pas reconnus par le système monétaire existant. Un bénévole qui rend visité à des personnes âgées ne crée-‐t-‐il pas de la
Besoins insatisfaits Ressources non utilisées
-‐Emploi des jeunes
-‐Aide aux personnes âgées
-‐Préservation de l’environnement
-‐Ecoles en-‐dehors des heures de cours
-‐Sièges vides dans les cinémas et restaurants
-‐Chômeurs
16
richesse pour tous ? Un jeune homme n’enrichit-‐il pas la société quand il crée un logiciel gratuit. Un retraité qui transmet son expérience à des plus jeunes ne produit-‐il rien ? Une mère qui s’occupe elle-‐même de son bébé, qui aide ses enfants à faire leurs devoirs, un père qui passe du temps avec sa famille ne sont-‐ils pas utiles à la société tout entière.
Dans un système redevenu juste équitable, croissance des échanges ne signifie pas forcément croissance et pollution et du pillage des ressources, bien au contraire. Il y a tant d’activités nuisibles à réduire et des secteurs utiles à développer.
La monnaie est devenue un anneau dans le nez de « l’homo economicus » et dicte sa loi violente et absurde à six milliards d’humains et à quasiment toutes les formes de vie sur terre. Que penseront nos arrières arrière-‐petits-‐enfants, quand ils regarderont les pertes collatérales de cette compulsion dévorante et addictive pour l’argent comme fin, et non comme moyen ?
98 % des transactions en monnaie se font sur les marchés financiers et à peine 2 % servent à l’économie réelle qui pourtant à pour fonction entre autre de maintenir en santé, nourrir, vêtir, loger, déplacer et informer tous les citoyens pour qu’ils puissent, dans le respect des autres et du bien commun, étendre leur liberté individuelle et expérimenter le chemin de leur propre bonheur.
1.4 Des richesses non valorisés en monnaie
L’hypothèse sous-‐jacente à la mise en place d’une Monnaie Régionale est celle de l’existence d’une capacité excédentaire des entreprises locales, par exemple un surplus de stocks pour certaines ou un surplus de temps pour d’autres. Il existe une demande non satisfaite de ces biens et services parce qu’il y a une pénurie de moyens d’échange. En d’autres termes, des biens et services sont offerts, que d’autres souhaitent acheter, mais à cause de la pauvreté (en monnaie nationale), les biens et services excédentaires ne sont pas utilisés, et la demande n’est pas satisfaite. C’est cette capacité excédentaire qui n’est pas utilisée qu’il s’agit de monétiser par la création de nouveaux moyens d’émettre et d’acquitter des crédits entre ces entreprises.
Derrière les caractéristiques technique des monnaies complémentaires, il y a volonté, celle de se réapproprier les échanges économiques et la circulation monétaire, et ainsi de favoriser l’activité locale avec une monnaie « saine » (sans planche à billets). L’absence de taux d’intérêt indique aussi clairement que ce n’est pas de l’accumulation d’argent que viendra la richesse mais bien du travail. L’économie réelle marque ainsi clairement sa primauté sur une vision purement financière.
17
2. L’avenir des Monnaies Régionales
2.1 Qu’est ce qu’une Région et une Monnaie Régionale aujourd’hui ?
Pourquoi la majorité des acteurs (économistes et intellectuels) spécialistes des monnaies complémentaires font-‐ils le choix de les structurer et de tenter de les administrer à l’échelle de la région et des régions de l’Europe ? On peut citer les écrits de Jane Jacobs qui a démontré de façon convaincante que la « cité-‐région » est l’unité de base de l’activité économique humaine, car elle est l’unité au sein de laquelle les ressources naturelles et la division humaine du travail s’associent pour répondre aux besoins humains. Du point vu des promoteurs des monnaies complémentaires, il est essentiel que les initiatives locales se formalisent autour d’une échelle plus grande, la région. Cette dernière devant ainsi être la mesure pour imaginer une économie du futur, sociale et solidaire.
La proposition consiste à utiliser la région biogéographique métropolitaine comme l’unité parfaite pour développer des stratégies de redynamisation régionale ; qui incorpore la ville et son arrière-‐pays écologique. Une monnaie bio-‐régionale serait une monnaie complémentaire dont l’objectif spécifique combinerait des besoins insatisfaits avec des ressources inutilisées ; ces deux produits étant façonnés dans la région par les hommes et la nature.
Les systèmes de monnaies complémentaires exposés dans la partie une de mon mémoire tendent à montrer que le réseau ne dépasse pas mille personnes. L’ambition à travers la région est de pouvoir fédérer sur un plus grand spectre un nombre d’acteur et de participants conséquents ; par exemple entre dix mille à un million d’acteurs.
Le postulat qu’il faut considérer avant de se pencher sur la création d’une Monnaie Régionale, est que la résolution de la crise de l’Euro est possible.
La monnaie régionale peut suivre un chemin très efficace. Avec elle, les états en crise de l’Euro pourront accélérer la circulation de la monnaie dans leurs économies (optimisation de liquidité) ; ceci conduira à une croissance économique, à de nouveaux emplois, à plus de recettes fiscales et à plus d’indépendance de l’étranger. Les parlements et gouvernements de la Grèce, du Portugal ou de l’Irlande pourront décider cela eux-‐mêmes et introduire une monnaie régionale d’état, monnaie qui sera appelé « Régio » dans la suite de ce texte.
18
2.1.1 Vers une monnaie labellisée
Le problème c’est que les banques n’aiment pas les monnaies complémentaires. Et on les comprend. Personne n’abandonne de gaîté de cœur une situation de monopole. Or les banques le sont à la fois sur la création de monnaie et sur le contrôle des échanges. C’est comme expliquer les bénéfices du logiciel libre à Bill Gates. Ces nouveaux logiciels se sont pourtant développés sans lui, preuve que la bataille est jouable.
Analyser le rôle des pouvoirs publics dans le processus d’émergence des dispositifs de monnaies sociales nécessite de revenir brièvement sur les conditions dans lesquelles ils émergent généralement. En première approche, nous pouvons distinguer deux cas : d’une part, les dispositifs de monnaies sociales qui sont impulsés au niveau local par des regroupements associatifs (formels ou informels, et quels que soient les statuts lorsqu’ils sont formels), et d’autre part ceux initiés localement par les collectivités locales ou avec leur appui. Que les gouvernements centraux établissent un cadre législatif adapté est une autre question.
Une monnaie régionale d’état pourrait être introduite par un parlement européen ou par un gouvernement d’un des états en crise.
Parmi les propositions qui circulent actuellement au sujet de la Grèce et des autres pays en crise, une principale se rapproche d’une monnaie régionale dont l’Etat resterait le garant. En 2012, Christian Gelleri est aussi aller dans ce sens en parlant de « monnaie express » (il est à l’origine de la monnaie régionale bavaroise le Chiemgauer).
Cette monnaie devra être l’unité de compte du bien commun, expression de notre volonté commune et qui sera l’incarnation même de la deuxième phrase du premier article des droits de l’homme et du citoyen de 1789, fondement de notre constitution pour faire société entre nous : « … les distinctions sociales sont fondées sur l’utilité commune ».
Pour arriver à cette finalité, il nous faudra « labelliser » notre monnaie commune, lui donner une odeur, l’odeur de ce qui est juste et bon, du bien et du vrai, de l’utile et du vital.
On pourrait d’ores et déjà imaginer cette monnaie labellisée pourrait être l’acte le plus engagé qui soit donnée à un citoyen dans ce contexte de crises monétaires et financières à répétition.
19
2.1.2 Le rôle de l’Euro et le « Régio »
Le Régio ne sera pas une monnaie autonome, mais une monnaie « secondaire » de l’Euro ; il lui sera attaché et sera utilisé en complément. Il sera mis en circulation par l’état et la banque centrale ensemble. Le Régio aura deux particularité : par l’impulsion à circuler (droit d’usage de la monnaie), sa circulation sera accélérée ; cela stimulera l’économie. Un doublement de la vitesse de la circulation pourra conduire à un doublement du Produit Intérieur Brut (PIB).
Par un frein à l’évasion (change contre Euro payant), la monnaie restera dans le pays, renforcera l’économie régionale et réduira le déficit commercial. Le projet est simple il met l’accent sur la dynamisation des économies locales, il cherche à faire circuler plus rapidement la masse d’euros disponible dans une région en la convertissant en une monnaie de type « Régio » dotée à la fois d’une incitation à circuler (taxe de liquidité sur les avoirs liquides excessifs poussant les détenteurs de liquidité à ne pas les conserver en l’état mais à les dépenser ou à les investir à long terme) et d’un frein à l’évasion (taux de change de monnaie régionale en euro grevée de 10 % de frais pour limiter sa conversion). Par ce biais, la pénurie monétaire pourrait être entièrement résolue par le seul accroissement de la vitesse de la circulation de la monnaie régionale.
Les pays bénéficieront des avantages d’une monnaie régionale et pourront en même temps rester en zone Euro ; cela sera une alternative largement meilleure à une sortie catastrophique de l’Euro.
On débat souvent si la Grèce, le Portugal et d’autres pays surendettés devraient sortir de la zone euro, car il serait trop fort et « étouffant » pour ces pays. L’Euro fort ne conviendrait pas à l’économie faible des pays, les prestations intérieures deviendraient trop chères, raison pour laquelle ces pays ne pourraient se sortir de la récession, du chômage et des recettes fiscales en baisse. Une sortie de la zone couplée à l’introduction d’une monnaie nationale comme le Drachme, l’Escudo ou la Livre irlandaise conduirait à une forte dévaluation contre l’Euro et baisserait ainsi surtout les coûts salariaux à un niveau compétitif. En même temps, toutes les importations renchériraient et deviendraient inaccessibles pour les bas salaires. Et puisque les dettes antérieures sont libellées en Euros, celles-‐ci exploseraient, et une restructuration radicale s’imposerait. La confiance des créanciers extérieurs serait totalement ruinée. Celle-‐ci n’est déjà pas très grande et maintenue seulement par le fait que les pays à meilleure signature assument la garantie.
Ce que je cherche à démontrer, c’est qu’il y a une meilleure alternative que la sortie de l’Euro. L’idée d’une monnaie régionale, pourvue d’un frein à l’évasion pourrait stimuler en plus l’économie nationale, tout en évitant la création de nouvelles dettes extérieures, ni subventions. En quelque sorte cela reviendrait à dire que l’autonomie et la responsabilité directe du pays en difficulté viendraient au premier plan et remplaceraient la dépendance extérieure grandissante. Davantage de transactions conduiraient à davantage d’emplois, réduiraient le déficit commercial, les prestations sociales et augmenteraient les impôts.
20
L’idée de base est : Si on peut introduire davantage de monnaie dans l’économie parce qu’elle se retire instantanément via les importations ou la fuite de la monnaie, il conviendrait donc d’utiliser une des monnaies régionales « Euro Régio » ou monnaies complémentaire déjà existante ; cela produirait une optimisation de liquidité au sein du zone géographique précise.
2.1.3 Vision et réalité
Après le boom des monnaies locales, quel est le bilan ? Les monnaies locales ne sont pas une solution en cas de crise. Complémentaire de l’euro – car tous les achats ne peuvent réglés avec une monnaie locale -‐, les monnaies locales en sont aussi dépendantes. Le taux de change de 1 pour 1 est une preuve. La monnaie locale reste adossée à l’euro… et à ses risques. En cas de grave crise économique, si l’euro devait subir une forte dépréciation, la valeur des monnaies locales serait probablement dévaluée d’autant.
En Allemagne, le Chiemgauer est la plus important des plus de 60 Regiogeld (monnaies régionales) qui existent dans le pays. Né en 2002, elle a actuellement un turnover de plus de 550 000 CH/mois pour un chiffre d’affaire annuel des entreprises en Chiemgauer de plus de 6 millions d’euros en 2011. De plus, en 2010, le Chiemgauer fait partie du projet REGIO, qui regroupe environ 30 monnaies locales opérationnelles. Le réseau Chiemgauer compte aujourd’hui 3 050 membres (1% de la population de la région) : 602 entreprises, 217 associations, 2 230 consommateurs. Il s’est associé récemment à un système local voisin, le Sterntaler. De fait, le Chiemgauer s’est développé avec le « bio », et 50% des Chiemgauers passent par les agriculteurs « bio ». 1,5 millions d’euros ont été changés en Chiemgauer « papier » en 2010, 520 000 Chiemgauers sont en circulation, (dont 330 000 en e-‐Chiemgauer, la monnaie électronique). Après étude pour l’année 2010, les Chiemgauers ont circulé en 2010 sur le territoire 2,3 fois plus vite que les euros (11,23 contre 4,87 fois pour l’euro).
En Suisse, la Banque WIR opère un système d’échange de marchandises inter-‐entreprises à partir d’une unité monétaire interne. Née en Suisse en 1934 afin de lutter contre les effets de la dépression sur les petites et moyennes entreprises, elle fédère aujourd’hui plus de 50 000 PME et a été analysée comme un facteur de la stabilité économique suisse, ayant un effet contra-‐cyclique et stabilisateur sur l’économie nationales.
Au Royaume-‐Uni, les Brixton Pounds et les Bristol Pounds sont deux initiatives majeures de monnaies locales et complémentaires du Réseau des Villes en Transition. La première, lancée en septembre 2009 compte 200 commerçants affiliés pendant que la seconde, lancée en septembre 2012, inclut 400 commerçants et 800 particuliers. Soutenues par des conseils municipaux de ces deux villes, ces monnaies permettent d’y régler ses taxes municipales, et à Bristol une partie des salaires des fonctionnaires est payée en monnaie locale.
21
La multiplication des monnaies locales est une problématique. Au fond ne serait-‐il pas judicieux d’avoir une seule monnaie complémentaire à l’échelle d’une région ? Le « Régio » devrait faire face aux mêmes problèmes exposés ci-‐dessus.
A noter, point crucial, que la question du coût du financement des pouvoirs publics n’est pas prise en considération pour l’élaboration administrative et technique de la monnaie « Régio »à l’échelle de la France ou d’autre pays au sein de l’Union européenne.
2.2 Quelles propositions pour la digitalisation d’une monnaie régionale ?
La technologie a précipité le déclin de l’argent liquide. 97% de la masse monétaire est constitué de monnaie électronique. L’émission d’argent liquide est monopole étatique, tandis que la monnaie électronique peut être créée par les banques lorsqu’elles octroient des crédits. Ce pourcentage a donc un impact important : l’immense majorité de la création monétaire repose désormais entre les mains d’acteurs privés (un fait dont sont conscients étonnement peu de personnes, et en particuliers peu de décideurs ou d’entrepreneurs).
2.2.1 Un nouveau moyen de paiement digital et local
A titre d’exemple, fin 2006, l’institution qui gère les Chiemgauer a émis des e-‐Chiemgauer. Au début, les commerçants avaient tendance à échanger leur e-‐Chiemgauer qu’ils n’avaient pas dépensé ; maintenant les utilisateurs sont prêts à les conserver.
Le support électronique a parfois été choisi. Le SOL expérimental en France a choisi des cartes à puce lues par des terminaux spécifiques. Le coût technique est alors bien plus élevé que les coupons papier. Bien entendu, le choix de la carte à puce a des effets directs sur la façon dont la monnaie peut être diffusée, acceptée et appropriée par les acteurs.
Lors de ma soutenance orale, j’aborderai le thème des « FinTech », à travers la stratégie de grands groupes innovants que sont Google, Amazon, Facebook et Apple.
22
2.2.2 La nécessité d’une meilleure réactivité
Les monnaies régionales convertibles en euro sont dépendantes de l’euro. Le taux de change de un pour un en est une preuve. La monnaie régionale comme imaginée reste adossée à l’euro… et à ses risques. En cas de grave crise économique, si l’euro devait subir une forte dépréciation, la valeur des monnaies locales serait probablement dévaluée d’autant. On peut considérer que la monnaie papier comme l’euro actuel n’est adossée à aucune valeur tangible. De l’autre côté, on identifie une monnaie locale et régionale est destiné à un usage immédiat. Cette dernière ne permet aucune épargne dans le temps. Certaines monnaies locales sont d’ailleurs « fondantes » : leur valeur décroît avec le temps, une fois un délai de trois mois passé. C’est aspect comme on l’a vu est censé favoriser leur circulation. Mais dans ces conditions, impossible de garder des valeurs chez soi pour les coups durs. Heureusement que cette valeur ne caractérise pas l’or (monnaie refuge par excellence). Par exemple, si l’or garantit le capital des particuliers, il pourrait aussi garantir une solidité du système monétaire. L’or comme l’argent sont d’ailleurs longtemps restés des modes de paiement reconnus, et dans le monde entier d’ailleurs. Sans pour autant qu’une pièce ne perde de sa valeur : avec une once d’or, on peut acheter sensiblement les mêmes valeurs qu’au début du siècle. Pour développer une monnaie solidaire de référence, c’est sans doute vers un étalon or qu’il faudrait se tourner. Une solution qui permettrait aux particuliers de payer les pots cassés en cas de faillite bancaire, ou de crise économique à grande échelle.
Pour poursuivre qu’il s’agisse de la monnaie « Regio » ou d’une monnaie régionale basé sur l’or, on comprend vite que la mise en place de telles monnaies n’a rien d’un simple problème technique ou juridique. Le défit est d’ordre politique : bien entendu il ne va pas de soi qu’un Etat frappé par une crise financière et déchiré par des conflits sociaux parvienne à réunir les conditions politiques nécessaire pour créer la confiance dans une monnaie régionale de ce type, ni qu’il soit capable d’assumer une politique fiscale et monétaire responsable par la suite. La comparaison des différentes expériences montrent que les difficultés varient en fonction des conditions économiques objectives (taux d’endettement, de déficit extérieur, d’exportations, etc.) mais aussi de conditions politiques (légitimité des institutions et qualité des négociations collectives). Spontanément, on comprend que la responsabilité revient aux acteurs eux-‐mêmes.
23
3. Un projet pour une Europe des Régions : « Mise en place d’une Monnaie Régionale ».
Au fil de mes recherches et de mes questionnement, je me suis rendu compte que les
personnes étaient séduites par l’idée d’une monnaie régionale complémentaire mais démunies, c’est pour cela que j’ai décidé d’imaginer la troisième partie de mon mémoire comme un guide afin que les personnes désireuses de se lancer dans l’aventure est un canevas. Cette dernière partie est un laboratoire, où l’erreur est permise.
3.1 La phase de définition de la monnaie : bien cerner les exigences et le périmètre de la monnaie
Une monnaie est le symbole de la confiance en mouvement dans l’espace et dans le temps. C’est aussi tout système librement accepté au sein d’une communauté pour tenir la comptabilité mutuelle de ses échanges de valeur. A l’instar du rugby et de la diversité de ses adhérents, elle doit intégrer des entreprises de nature, de forme et de taille différente.
La monnaie devra être analyser comme une institution sociale et non comme l’outil de maximisation individuelle de l’utilité. La monnaie ne sera que la manifestation visible de la main invisible, d’un voile posé sur les échanges, un lubrifiant qui aide l’économie dans la sphère réelle.
De plus, les individus, de par leurs relations qui entretiennent font société, alors que celle-‐ci finalement n’est observée comme un tissu de dettes ; dont la monnaie serait le médium qui donnerait une forme mesurable et quantifiée à cet ensemble de relations sociales.
3.1.1 Le « diagnostic » de l’existant : une nouvelle monnaie peu connue des habitants
Il est souhaitable, souvent nécessaire vis-‐à-‐vis de la loi, que les personnes qui désirent utiliser la MLC adoptée sur leur territoire adhèrent de manière formelle au réseau. On peut suggérer que cette adhésion se traduise par :
-‐ La remise d’un bulletin d’adhésion sur lequel figure une charte. La signature de la charte représente en effet l’acte essentiel d’adhésion. Par cette signature, la personne signifie qu’elle a pris connaissance des valeurs et objectifs et qu’elle les partage.
-‐ Le paiement d’une contribution annuelle.
24
Bien entendu, il faut rappeler que le réseau a besoin de revenus. S’agissant d’une démarche qui s’inscrit dans la durée, elle ne peut être imaginée que conduite par des bénévoles. L’expérience démontre qu’il y a usure. Un ou des salariés seront nécessaires tôt ou tard. Compte tenu de la nature de la participation à cette expérience, une contribution financière donne crédibilité et valeur à l’engagement citoyen. Reste maintenant à déterminer le montant : fixer une contribution pivot invitant les personnes ayant plus d’aisance financière à donner plus et permettant à ceux qui ont de faibles revenus à verser moins est une piste intéressante à explorer.
De même que pour les utilisateurs, il est demandé aux prestataires professionnels de remplir un bulletin d’adhésion, de signer la charte et de verser une contribution. Mais au-‐delà de cela se pose la question de savoir si on accepte tout le monde sans distinction ? Au contraire souhaite-‐t-‐on être très sélectif afin de n’accueillir que les prestataires qui correspondent aux valeurs de la charte ?
Selon l’endroit où l’on se trouve, il n’est pas inutile de savoir comment l’expérience peut s’intégrer dans le paysage sans risquer d’être abandonnée pour cause d’illégalité, à moins bien sûr d’en faire une action délibérée de désobéissance civile. Dans tous les cas, mieux vaut savoir où on pose les pieds et prendre en considération que ce que l’on décide de faire peut avoir des conséquences sur l’ensemble du mouvement. En général, les promoteurs se sont mis en rapport avec les autorités monétaires de leur pays pour avoir confirmation de la légalité de leur action. Tel fut le cas pour le RES en Flandres, et pour le Chiemgauer en Allemagne qui a contacté la banque centrale.
En France, les MCL sont légales à condition qu’elles circulent à l’intérieur d’un réseau identifié et limité et qu’elles soient garanties par un montant équivalent en euros. Ceci n’est pas le cas partout. En règle générale, il est fortement recommandé d’apposer sur les billets une mention du type « coupon d’échange, « bon d’échange » ou quelque chose du genre pour éviter d’être accusés de contrevenir au monopole d’émission de la monnaie.
3.1.2 Les ressources à disposition pour réaliser un circuit monétaire
L’attitude prédominante consiste-‐t-‐elle à veiller à ce que les entreprises candidates soient en accord avec la finalité de l’action et précisent leur ferme intention de poser des actes pour tendre pas à pas vers cette finalité ; la création de monnaies régionales au sein de l’Union Européenne.
Les ressources actuelles se trouvent au sein même des institutions européennes. Il suffirait d’étoffer et de faire rayonner les institutions ci-‐dessous.
L’Association des Régions frontalières européennes (ARFE) est un institut européen qui en réalité est une fondation, avec une organisation et une direction allemandes. Nous distinguerons essentiellement deux éléments : les caractéristiques alliées à l’aspect historique et les conséquences sur le terrain. L’ARFE a pour but de favoriser la coopération
25
transfrontalière grâce à l’émergence d’entités territoriales, les euro-‐régions. Il suffirait de répliquer ce modèle et l’appliquer autour des monnaies complémentaires et/ou régionales (Euro Régio).
Il s’agit simplement de surmonter les cicatrices laissées par l’histoire, de permettre à la population vivant de part et d’autre d’une frontière de mieux coopérer et de vivre ensemble et de concrétiser une « Europe des citoyens ». La pluralité des problèmes et des opportunités que l’on rencontre de part et d’autre des frontières en Europe rend la coopération transfrontalière indispensable. Au sein de cette association, nous trouvons des Basques, des Catalans, des Galiciens… pour l’Espagne ; des Sud-‐tyroliens, Friouls-‐Vénitiens… pour l’Italie ; des Slovènes ; des Flamands dans l’euro-‐région Bénélux (belgo-‐hollandais)… pour n’en citer que quelques-‐uns. En effet, nous retrouvons les mêmes membres composant cet institut au sein des commissions de l’Assemblée des Régions (ARE), du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe (CPLRE) et du Comité des Régions (CdR) qui distillent des mesures en faveur du régionalisme et de la protection des minorités dans toutes les instances européennes.
Le socle de départ est représenté par les Fonds structurels, la tirelire de l’Union européenne. Ces fonds ont pour but, selon la version officielle, de « promouvoir un meilleur équilibre économique et social au sein de l’Union européenne et de réduire les disparités régionales en cofinançant les actions de développement des Etats dans les régions membres.
Ces fonds structurel se subdivisent en quatre plans dont deux principaux :
-‐Le FEDER (Fonds Européen de Développement Régional)
-‐Le FSE (Fonds Social Européen)
Dans le cadre d’une Europe où les frontières des Etats ne sont plus qu’administratives (et que l’on pourra déplacer comme c’est le cas en France avec la formation de 13 régions depuis janvier 2015), où la liberté de circulation et d’établissement est autorisée, où le principe de subsidiarité fonctionne à plein régime, où toutes les variétés culturelles sont préservées au sein de régions autonomes.
Ces territoires frontaliers ont de l’avenir et sont en mesure de devenir des entités territoriales autonomes, en quelque sorte de nouvelles provinces, car la « Loi Fondamentale » autorise des transferts de souveraineté comme le spécifie l’article 24 alinéa de la constitution allemande.
Les hommes politiques pour encourager les monnaies régionales pourraient s’appuier sur l’Assemblée des Régions d’Europe (ARE). La fondation de l’ARE remonte à 1985. La vocation de l’ARE est de se faire le porte-‐parole politique des régions en Europe, comme le proclame la Déclaration Finale du sommet tenu à Madère les 28 et 29 novembre 1988. Le travail de l’ARE a donc répercussions sur la mise en place de structures fédérales en Europe. L’influence de l’Allemagne et de ses alliés est déterminante. Nous pouvons le constater à deux niveau le plus simple, nous trouvons des Allemands qui occupent des
26
postes-‐clefs au sein de l’ARE ; deuxièmement, compte tenu que la promotion du régionalisme va de pair avec celle de la coopération transfrontalière, les représentants des euro-‐régions de l’ARFE (Basques, Catalans, Frioul-‐Vénitiens etc. et membres aussi de l’ARE). L’Europe est avant tout caractérisée par une pluralité régionale. La construction de la maison européenne commune et l’étroite coopération européenne dans tous les domaines doivent tenir compte des structures régionales et de leurs particularités, et elles doivent les conserver et les développer. Une solidarité durable avec les régions frontalières et transfrontalières particulièrement défavorisées est indispensable. L’introduction vaste et conséquente de la notion de régionalisation dans l’ordre constitutionnel des Etats d’Europe favorise directement la coopération transfrontalière régionale.
Un autre appui pour la promotion des monnaies régionales pourrait être le Congrès des Pouvoirs Locaux et Régionaux de l’Europe (CPLRE), cet institut européen s’appelait la Conférence européenne des Pouvoirs locaux et vit le jour le 12 janvier 1957 sous la présidence de Jacques Chaban-‐Delmas. Le CPLRE a pour objectifs depuis sa naissance de « garantir la participation des pouvoirs locaux et régionaux au processus d’unification européenne et aux travaux du Conseil de l’Europe. L’une de ses tâches prioritaire est de promouvoir la démocratie locale et régionale et de renforcer la coopération transfrontalière et interrégionale dans l’Europe ».
Le Comité des Régions est le dernier né des instituts européens ; il a tenu sa première assemblée en mars 1994. A la différence de l’ARE, dont les activités couvrent l’ensemble de l’Europe, le CdR s’occupe uniquement des régions de l’Union européenne. Le Traité de l’Union européenne prévoit la consultation du CdR par le Conseil de l’Europe ou la Commission européenne dans les domaines suivants : jeunesse, santé publique, réseaux européens de transport (télécommunications et énergie), cohésion économique et sociale. De toutes les initiatives et mesures qui émanent du CdR, nous retiendrons essentiellement deux éléments de poids : la réforme des Fonds structurels et le rapport « Régions et villes, piliers de l’Europe ». Le CdR estime que c’est dans les régions et les communes, en particulier, qu’ils (les citoyens) trouvent un appui, un sentiment de sécurité et de repères. C’est dans cet environnement immédiat qu’ils sont nés, qu’ils ont grandi ou que l’o a grandi, vécu auxquels on peut être attaché par des liens inextricables. Dans la même perspective, on peut dire qu’ils sont unis au paysage, à la nature, à l’environnement et surtout à leurs prochains par un lien instinctif direct, à la fois irremplaçable et inimitable. Les régions et les communes constituent un champ de forces territorial, qui confère à la société sa stabilité.
Rappelant la nécessité d’accorder et d’assurer la protection aux minorités, les rapporteurs ajoutent en tout bonne logique qu’ils espèrent que la citoyenneté européenne représentera un plus par rapport à la citoyenneté nationale, qu’elle complète. Les mots « je suis citoyen de l’Union européenne utilisant les monnaies locales ou régionales » doivent avoir une signification particulière. La citoyenneté européenne est particulièrement avantageuse pour les citoyens appartenant à des minorités ethniques, culturelles et linguistiques. Il s’agit là d’un atout marketing puissant pour développer la mise en place de monnaies régionales au sein de l’Union Européenne.
27
3.1.3 Les contraintes liées à une Monnaie Régionale
D’un point de vue juridique en ce qui concerne la France on peut citer l’expérience de Lignières en Berry. Cette dernière a conduit le gouvernement d’alors à modifier l’article 136 du Code pénal que l’on retrouve dans la loi actuelle sous le n° 442-‐4. Elle stipule que « la mise en circulation de tout signe monétaire non autorisé ayant pour objet de remplacer les pièces de monnaie ou les billets de banque ayant cours légal en France est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». On peut en déduire que si la monnaie locale n’est pas couverte par des euros, elle, « remplace » ceux-‐ci…
Mais la monnaie locale est-‐elle une monnaie ? Sans doute y aurait-‐il moyen de débattre autour de ce point juridique. Mais il n’est pas l’esprit actuel des acteurs de s’opposer à… mais de construire. A l’heure actuelle, parions plutôt sur la dynamique d’évolution que générera ce mouvement.
La notion de taille critique est un terme récurrent lorsque l’on parle d’activités économiques. Elle représente par exemple le niveau de moyens (financiers et/ou humains) minimal nécessaire à une entreprise lorsqu’elle souhaite investir un marché particulier afin de pouvoir supporter la concurrence. Bien sûr, cette taille critique dépend de nombreux facteurs, dont le type de produits ou services concernés, le nombre d’acteurs présents sur le marché ou encore le degré de concurrence entre eux.
Dans le cas d’une monnaie complémentaire, la notion de taille critique est aussi fondamentale car « une monnaie commence à fonctionner lorsqu’il y a suffisamment de personnes pour acheter et vendre afin de respecter un écosystème viable. Elle désigne le nombre minimal d’utilisateurs nécessaire à son déploiement ; on peut par exemple fixer un pourcentage de la population du territoire à impliquer dans la démarche dans un délai de trois à six mois après le lancement de la monnaie. A noter que l’on peut également mesurer cette taille critique en terme de volume de transactions, le nombre d’utilisateurs pouvant donner une information partielle ou erronée sur le dynamisme de la monnaie et des échanges.
Même si la taille critique apparaît difficile à évaluer a priori (elle dépend en partie de l’assiette considérée), il convient de fixer des objectifs rationnels afin de se donner un cap à franchir le plus tôt possible, ce qui contribuera à deux choses. La première est d’asseoir la monnaie dans l’esprit des gens et donc de dépasser certains freins psychologiques ; la seconde est d’assurer le dynamisme des échanges et de jouer sur la vitesse de rotation de la monnaie. En effet, on constate que « les mécanismes monétaires fonctionnent mal avec un petit nombre de participants et sont de plus en plus efficaces au fur et à mesure que la taille du groupe croît ».
On observe beaucoup de problèmes techniques récurrents, autant sur les terminaux de paiement que sur les Back-‐Office de gestion, rencontrés par les entreprises et les acteurs, ce qui a conduit en pleine période de lancement à jeter un lourd discrédit par la suite et une démobilisation sur le déroulement et le développement de l’expérience.
28
3.1.4 Les résultats attendus
L’examen du rapport des dispositifs de monnaies sociales aux collectivités locales et à l’Etat central permet d’identifier l’éventail suivant : méfiance et soupçons ; désintérêt ou négligence ; reconnaissance de l’existence et de l’utilité des dispositifs ; soutiens techniques voire financiers ; intégration dans les politiques publiques spécifiques ; création d’un cadre légal adapté.
Cela conduit à une certaine complexité de lecture des rapports observables. Si les pouvoirs publics ne vont pas jusqu’à des modifications législatives ou réglementaires pour asseoir la légitimité des dispositifs de monnaies sociales et affirmer leur rôle, certains reconnaissent officiellement leur utilité comme par exemple l’Etat britannique qui considère les banques de temps comme outil de construction des capacités communautaires et d’amélioration des quartiers. Elles sont parfois appréhendées comme relais de l’Etat là où celui-‐ci s’est désengagé (lutte contre la pauvreté, santé, lien social, services sociaux), ce qui peut mener à des risques de dérive. Cette reconnaissance converge vers l’institutionnalisation progressive des monnaies sociales en tant qu’outil pouvant avoir une utilité ou une finalité économique, sociale et/ou environnementale.
Deux scenarii se dégagent alors qui montrent une tension entre, d’une part, promouvoir et faire advenir et, d’autre part, piloter et mettre en œuvre.
La mise en place d’un agrément pour les coordinateurs du circuit des MLC ou des monnaies régionales donnera la possibilité à l’ACPR (ou tout autre organe à créer) de contrôler les activités autour de ces nouvelles initiatives. De plus, l’inscription des monnaies régionales pourrait apparaître au sein de la comptabilité publique. Avancer dans la connaissance des monnaies régionales pourrait se faire à travers un observatoire ; ce dernier pourrait être financé sur la base des fonds de reconversion des monnaies régionales.
29
BILAN Au cours de ce développement, nous avons pu voir les grands fondements et
orientations des monnaies complémentaires, ainsi que les différents types de devises alternatives. Nous nous sommes ensuite penchés sur les défis les plus importants qui se posent dans ce cadre, ainsi que les moyens que les Régios et ses éventuels partenaires auraient la possibilité de mettre en œuvre afin de maximiser les chances de succès d’un tel déploiement. Bien entendu, l’ensemble de ces problématiques, et l’orientation de la monnaie potentiellement créée sont largement dépendants du contexte du territoire d’implantation et de ses spécificités. Le champ des possibles apparaît vaste, et il convient de laisser une certaine latitude aux porteurs de projets, tout en fixant des objectifs, notamment en termes d’orientation de la monnaie.
Un projet pilote ou une expérimentation pourrait voir le jour en cas de financement de partenaires intéressés par les monnaies complémentaires ou de collectivités locales souhaitant dynamiser leur économie locale tout en orientant les échanges vers des produits et services ayant une plus-‐value sociale et/ou environnementale. Dans ce cadre, l’organisation d’un appel d’offres serait un moyen judicieux pour recueillir des « candidatures » solides et ancrées localement, en plus de constituer un excellent coup de projecteur sur le Régio et le projet retenu. Les porteurs de celui-‐ci et la société auront un objectif commun de ce point de vue : faire en sorte que la monnaie créée ait un vrai poids dans les échanges et dans les consciences.
En attendant, le déploiement de ce programme, d’un point de vue légal ; l’article 16 de la LOI n° 2014-‐856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire établit la reconnaissance des monnaies locales et complémentaires ainsi :
-‐ Le chapitre 1er du titre 1er du livre III du Code monétaire et financier est complété par une section 4 ainsi rédigée :
§ Section 4 :
o « Les titres de monnaies locales complémentaires. »
o « Art. L 311-‐5. – Les titres de monnaies locales complémentaires peuvent être émis gérés par une des personnes mentionnées à l’article 1er de la loi n° 2014-‐856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire dont c’est l’unique objet social. »
o « Art. L 311-‐6 – Les émetteurs et gestionnaires de titres de monnaies locales complémentaires sont soumis au titre 1er du livre V lorsque l’émission ou la gestion de ces titres relèvent des services bancaires de paiement mentionnés à l’article L. 311-‐1, ou au titre II du même livre lorsqu’elles relèvent des services de paiement au sens du II de l’article L. 314-‐1 ou de la monnaie électroniques au sens de l’article L. 315-‐1. »
30
CONCLUSION
Les monnaies sociales et complémentaires, en tant que dispositifs monétaires innovants, témoigne d’une réappropriation de la monnaie par des acteurs qui la transforment en un outil au service d’objectifs socio-‐économiques spécifiques. Elles sont à la fois la plus radicale subversion du capitalisme et son prolongement naturel.
La problématique de ce travail était de savoir dans quelle mesure les monnaies régionales peuvent participer à un développement local endogène des économies européennes. Pour y répondre, nous nous sommes d’abord revenus sur le concept de monnaie et avons montré comment une vision « économiciste » de celle-‐ci pouvait être réducteur et amener à exclure du champ d’étude la pluralité des usages et des pratiques monétaires, dont les monnaies sociales et complémentaires. Leur usage se révèlera d’autant plus pertinent dans le contexte étudié des économies européennes, où le système financier moderne peut ne pas servir le plus grand nombre, et où la monnaie conventionnelle ne jouerait pas pleinement son rôle.
On notera notamment que le mouvement des monnaies sociales a d’abord concerné les pays occidentaux et n’a atteint les pays du Sud que marginalement à partir de la seconde moitié des années 1990 seulement.
Les monnaies sociales et complémentaires, ont pour l’instant été peu adoptées comme outil par les communautés locales dans le cadre de la mise en œuvre leurs politiques publiques. Elles présentent toutefois des avantages qui pourraient les intéresser pour la réalisation de leurs objectifs économiques et sociaux. A l’heure actuelle, elles sont d’abord vues comme une atteinte à la souveraineté de l’Etat, avant d’être au moins tolérées, au mieux encouragées. Du point de vue de la recherche, celle-‐ci s’y intéresse peu, et l’étude plus approfondie des impacts de ces monnaies est nécessaire.
Les potentiels des monnaies sociales et complémentaires amènent finalement à envisager une forme de « subsidiarité monétaire », dans une configuration permettant une dialectique entre communauté local et réseau global.
Aujourd’hui, après plus de vingt ans d’engagement, et en parallèle des dysfonctionnements globaux de notre système financier, les monnaies citoyennes commencent à être reconnues comme outil de restauration des grands équilibres humains et naturels. Elles sont même entrées depuis peu dans la nouvelle loi sur l’Economie Sociale et Solidaire votée en juin 2014. A la demande de la Ministre du logement de l’égalité des territoires et de la ruralité (Sylvia Pinel) et de la secrétaire d’Etat chargée du commerce, de l’artisanat, de la consommation et de l’économie sociale et solidaire (Carole Delga), un rapport inter-‐ministériel a été rendu public en Avril 2015 avec comme intitulé « D’autres monnaies pour une nouvelle prospérité ».
Pour votre curiosité, la monnaie « SYMBA » vient d’être présentée dans le bassin parisien.
31
BIBLIOGRAPHIE
COSTANZA, R et al., 2013. Vivement 2050 ! Programme pour une économie soutenable et désirable. Paris : Les petits matins / Institut Veblen.
FARE, M., 2012. Monnaies sociales comme outil du développement soutenable. Notes de l’Institut Veblen.
BLANC, J., 2000. Les Monnaies Parallèles, Unité et Diversité du Fait Monétaire. Paris : L’Harmattan, Logiques Economiques.
BLANC, J. & FARE, M., 2010. Les monnaies sociales en tant que dispositifs innovants : une évaluation. Xe Rencontres du réseau inter-‐universitaire de l’économie sociale et solidaire (RIUESS) : « Elaborer un corpus théorique de l’économie sociale et solidaire pour un autre modèle de société », Luxembourg.
BLANC, J. 2006. Monnaies sociales, Rapport Exclusion et liens financiers : Economica.
PLIHON, D., 2013. La monnaie et ses mécanismes. Paris : La Découverte, Repères.
THERET, B., 2012. Réduction du temps de travail, démocratie participative et monnaie-‐temps. Notes de l’Institut Veblen.
LIETAER, B., & KENNEDY, M., Les monnaies régionales, 2008, Ed. Charles Léopold Meyer.
SITOGRAPHIE
Groupe de discussion en ligne Innovation monétaire http://reseau.fing.org/groups/profile/62215/innovation-‐montaire/
Site internet de l’Association SOL France http://www.solfrance.org/
http://www.lamonnaieautrement.org
www.fbf.fr