ÀPROPOSDESAUTEURS
SheaOlsenvitdansl’Étatdel’Oregon.Elleestproductricedefilms.Elizabeth Craft vit à Los Angeles. Elle écrit et produit de nombreuses
séries en duo avecSarahFain, dont la célèbreTheShieldetWomen’sMurderDetectiveClubréaliséeparJamesPatterson.
PourSarahFain:maintenant,c’esttontour.ElizabethCraft
PourSky.SheaOlsen
«Leseulmoyendesedélivrerd’unetentation,c’estd’ycéder.»OSCARWILDE
AVANT
Mamèreestmortel’annéedemesdouzeans.Elle avait toujours été insouciante. Irresponsable. Nous abandonnant, ma
sœurMia etmoi, chaque fois qu’unhommedébarquait dans sa vie. Je l’avaisvue tomber amoureuse un nombre incalculable de fois, comme si l’Amour luiapportaitl’oxygènedontelleavaitdésespérémentbesoinpourvivre.Ellenousaquittéespouruneénièmeboufféed’air,etcelle-ciluiaétéfatale.
L’Amourpeutnousanéantir.L’Amourpeuttoutdétruire.Alors,cetteannée-là,jem’étaisfaitunepromesse:pasdepetitami,pasde
bal de promo, pas de sortie le samedi soir. Je passeraismes soirées à étudier,j’obtiendraisdesnotesexcellentes,j’iraisàl’universitépourmefaçonnerunbelavenir. Je ne laisserais rien se mettre en travers de mon chemin. Rien nipersonne.
Maisdepuis,toutachangé.Depuis,jel’airencontré.
APRÈS
Sonregardtombesurmeslèvresetyrestefixé.Puisilcollesabouchesurlamienne.Jerépondsàsonbaiseravecfougue.Ilmesaisitlespoignets,pressesoncorpscontrelemien.
Encore,jemurmure.Ildéposeunetraînéedebaiserslelongdemagorge,demoncou.Jesensson
soufflechaud,tandisqu’ilmordillemapeau.Illèvelatêtepourmeregarder,etje lis dans ses yeux l’ardeur de son désir. Je plongemon regard dans le sienpendantqu’ilm’embrasse.Lechatouillementd’unbaiserléger,simplefrôlementdelèvrescontrelèvres.Encore.
Etencore.Onferme lesyeuxaumêmemoment.Nos languesse rencontrent,samain
agrippemahanche. Jedéfais la fermetureÉclairde sonsweat. Ilgémitcontremeslèvresetunfrissonmeparcourt.
Jeprends alors conscience, en cet instantmerveilleux, terrifiant, que je nepourraisrienluirefuser.
Rien.
Chapitre1
Deuxmoisplustôt…
Montéléphoneportablebipedansmonsacàmain,unsifflementstridentquirappelle celui d’un train. Je le déniche sous des tubes de baume à lèvres, desticketsdecaisseetuneservietteenpapierduLoneBean.
C’estuntextodeCarlos,monmeilleuramidepuislecollège.
Tufaisquoi?Topsecret.
J’accompagne mon message de deux émoticônes en forme de fleur, pourillustrermonpropos.Carlossaitpertinemmentoù jeme trouve. Je travailleauBloomRoom, un fleuriste haut de gamme, quatre soirs par semaine après lescours,depuistroisans.
TuneveuxmêmepasassisteràaumoinsUNEdesfêtesdeFarrah,avant laremisedesdiplômes?
Farrah Sullivan organise une fête chaque fois que son père quitte la ville,c’est-à-direunefoisparmois.Etmêmesic’estunsoirdesemaine,lamajoritédesélèvesdePacificHeightss’yrendvolontierspours’éclater.NonseulementFarrahaunepiscineetune tabledeping-pongdansson jardin,maisencore labière—gratuite,celavasansdire—couleàflots.Enréalité,Carlosneveutpasyallerseul,carAlanGregory,legarçonpourlequelilcraque,seraprésent.Alanva àWorther Prep, àBeverlyHills, et tous deux flirtent depuis qu’ils se sontrencontrésàunconcertindéàWestHollywood,lemoisdernier.
Jesoupireenlaissantglissermescoudessurlecomptoir.
Désolée.Tut’ensortirasbiensansmoi,commetoujours.
Jeratetouteslesfêtes,lessortiesenboîtedenuit,lessoiréespasséessurlaplagedeVeniceBeachàsiroterdurhum,faceaucoucherdusoleil.Parfois, jeme dis que c’est un miracle que notre amitié ait survécu si longtemps. MaisCarlosetmoisommesdesâmessœurs.Desâmessœursplatoniques.C’estmoiqu’ilappelle,chaquefoisquesadernièrerelationamoureusesetermineouqu’ilestmalade,réclameunepiledemagazinespeopleetqu’onluilivrelesplatsde
son restaurant préféré de Santa Monica. En échange, il m’emmène voir desgroupes dont je n’ai jamais entendu parler dans des gargotes improbables, lesraressoirsoùjenesuispasentraindetravailleroud’étudier.Nouspassonsdesheuresàdiscuterautéléphone,gloussantjusqu’àcequenousnousendormions,nostéléphonescollésàl’oreille.
Ilmefaitrire.Etjel’empêchedesombrerchaquefoisqu’iltombeamoureuxdumauvais garçon, ou panique à l’idée de ne pas être admis dans une bonneuniversité.Carlos,c’estmonéquilibre.Jen’imaginepasmaviesanslui.
Montéléphonebipeànouveau:
J’AIBESOINDEMACHARLOTTE.
Jeriset,sousmonsouffle,mafrangeeffiléesesoulève.
Hélas, taCharlotte adit àHollyqu’elle ferait la fermeture, ce soir.Amuse-toipournousdeux.Çavaaller.
Ma vie n’a rien d’excitant : journées en cours, travail quatre jours parsemainechezlefleuriste,stagederechercheàUCLAlesjeudis,soiréesàétudierdanslabicoqueminusculequejepartageavecmagrand-mère,masœuraînéeetsonbébé.Lamêmerengainehebdomadaire.Nonquej’aiechoisid’êtrelaplusgrandepariadeLosAngeles.Maisjesuisdéterminéeàêtrelapremièrefemmedemafamilleàalleràl’université,etjeneveuxpasm’égarercommel’ontfaitmamèreetmasœur:enceintesavantd’avoirvingtans,ettouteuneflopéed’ex-petits amis derrière elles. C’est la raison pour laquelle, à dix-huit ans, je n’aijamais assisté à un bal du lycée, jamais tenu la main d’un garçon dans lescouloirs,jamaisétéembrassée.
Me sentant le dernier des losers, je lance une playlist au hasard sur montéléphone.Quelquesinstantsaprès,j’entendslespremièresnotesdeMyGirl,desTemptations,unmorceauoldiesquiplairaitbienàmagrand-mère.J’augmentelevolume et commence à préparer les bouquets commandés pour la fêted’anniversaired’unefillettedehuitans—thématiqueprincesse.
Alors que la musique va crescendo, je me trémousse. J’ai sûrement l’airridicule,maispeuimporte:jesuisdéterminéeàmettredecôtélecarcanétroitdema vie, son absence totale de spontanéité. J’attrape du ruban rose, blanc etjaune;jejettedespaillettessurlespétalesdestulipes,enparsèmesurlesvases;je chante au rythme des paroles qui hurlent à travers mon téléphone. Jem’abandonnecomplètement,aupointd’enoublierquejesuisautravail.
Jesuistoujoursàfonddedans,quandjeressenssoudaindespicotementssurlanuque:quelqu’unm’observe.
Je lève les yeux de la joyeuse pagaille que j’ai semée sur le comptoir etretiensmonsouffle.
Ungarçonsetientdel’autrecôtéducomptoir,lesmainsdanslespoches,etme regarde. Je n’aimême pas entendu la porte carillonner quand il est entré.Mortifiée, je me redresse et réalise alors que la bretelle de mon débardeur aglissé,laissantentrevoirmonsoutien-gorgerose.
Jemedépêched’éteindremontéléphoneetlemetsdanslapochearrièredemonjean,tandisquel’embarrascoloremesjoues.
—Jepeuxt’aider?Ilm’étudie, sesyeuxfoncésglissantde labasedemoncouàmonvisage,
commes’ilavaitbesoinderéfléchiràlaquestion.—Jecherchedesfleurs,répond-ilfinalement.Il est canon : des pommettes saillantes, des lèvres joliment dessinées…
lèvressurlesquellesjem’attardeunpeutroplongtemps.—Tusaiscequetuveux,exactement?J’essaiedemerappelerlesquestionsquejeposehabituellementauxclients,
pendant que mes yeux continuent de le passer discrètement en revue : jeandéchiré,crânerasé,allurelégèrementdébraillée.Ondevinesesmusclessouslesmanches de son T-shirt en coton et son torse large, puissant. Précisément legenredephysiquequeCarlosaimepointerdudoigtdanslesruesdeL.A.Celuides mecs qui sortent de la salle de sport, des boîtes de nuit, ou qui font dujogginglelongdeSunsetBoulevard:grand,musclé,élancé.
Nonpasquej’aieremarquéquoiquecesoit.Je cligne des yeux etme concentre à nouveau sur son visage, priant pour
qu’il ne note pas mes joues brûlantes. Il a l’air sur la défensive, comme s’ilm’avaitsurpriseentraindelejaugeretattendaitleverdict.
—Pasencore,murmure-t-ilaprèsunmoment.—Suis-moi,dis-je,sortantdederrièrelecomptoir.Il garde ses distances tandis que nous nous dirigeons vers l’arrière de la
boutique, où sont entreposés les roses, les lis et les bouquets que viendrontchercherlesclientsouquiserontchargésdansl’undescamionsdelivraisondeHolly.
Jemerapprochedelachambrefroide,essayantdenepaslaissermesyeuxs’attarder trop longtempssursonvisage. Ignorer lesgarçonsattirantsdemande
touteunediscipline,maisjesuisdevenueexperteenlamatière.Pourtant,ilyaquelquechosechezluiquimedéstabiliseetfaitressortirmamaladresse.
—Lesrosessonttoujoursunevaleursûre!Des fleurs, son regard revient vers moi. Il hésite, les lèvres pincées. Je
connaisbiencetteattitude, j’yfaisfacefréquemment: legarçonabesoind’unbouquet pour l’anniversaire de sa petite amie, de leur rencontre, ou pours’excuserdequelquechose,maisne sait pasdu toutquelle couleur choisir, nicombiendefleursacheter,siellesdoiventêtreenveloppéesouprésentéesdansunvase.Ensuite,ilsetriturel’espritaucomptoirpourtrouverlemessageidéalàinscriresurlapetitecartequiaccompagnerasonprésent.
J’aiconsciencequ’ilm’observe,maisjenepeuxcependantm’empêcherdeluilancerunregardàladérobée.Jenesaispassic’estlestraitsdesonvisage,lastructure parfaite de sa mâchoire, la lueur ténébreuse de ses yeux quim’interpelle, mais il me paraît vaguement familier. Peut-être va-t-il au mêmelycéequemoi:l’undecesgarçonstorturésquifumentdescigarettesàlapause,surleparking.
N’ytenantplus,jefinispardemander:—Onseconnaît?Instantanément, je regrette mes paroles : s’il est effectivement dans mon
lycée, jepréféreraisqu’onprétendenepasseconnaître,ensecroisantdanslescouloirs, histoired’éviter le signede tête et le souriregênésqu’on se sentiraitobligésd’échanger.
Il sebalancesursespieds, lesmains toujoursdans lespoches,commes’ilattendaitque jerépondeàmaproprequestion.Lesilences’installeentrenous.Tandisquej’essaiedecachermagênegrandissante,luisembleamusé.
Montéléphonesiffledelapochearrièredemonjean.Unefois,deuxfois.—Tuespopulaire,dit-il,enlevantlesourcil.—Pasvraiment.J’aijusteunmeilleurami,commentdire…trèstêtu.Jesorsletéléphonerapidement,lemetssurvibreur.—Tupeuxrépondre,netegênepaspourmoi.—Paslapeine.Ilinsistepourquejel’accompagneàunefête.—Ettunecomptespasyaller?Jesecouelatête.—Non.Jedoisfairelafermeturedelaboutique.—Etensuite?Ilinclinelégèrementlatêteetjejureraisquejeleconnais.Pourtant,quelque
chosemeditquejenedevraispasm’obstiner.
—J’aidesdevoirs,jerépondsvaguement.—Tunet’autorisesmêmepasuneviréed’unsoir?Jel’observe,étonnéequ’ilinsiste.—Sijeneveuxpastravaillerchezcefleuristepourlerestantdemesjours,
non.Encore une lueur amusée dans son regard… Il esquisse un sourire. Une
fossettesedessinesursajouegauche.—Quelleesttapréférée?demande-t-ilenfin,brisantlesilence.—Mapréférée?Ilpointedumentonlesétagères.—Tafleurpréférée.—Jen’aipasvraiment…—Tuenasforcémentune,mecoupe-t-il,faisantréapparaîtrebrièvementla
fossette.Tutravailleschezunfleuriste.Tuesentouréedefleurs.—Ouimais…jenepensepasquecesoitcequetucherches.Ilplisselesyeux,intrigué.—Unebonnevendeusenediraitpasça.J’examine les seaux de fleurs qui explosent de mille couleurs autour de
nous : orchidées vibrantes et lis parfumés ; hortensias et pivoines qui ne sontjamais de saison mais toujours populaires. Ainsi que les variétés plus rares :campanules,renoncules,dahliasetcamélias.
—Situveuxtoutsavoir…J’aimelesrosesviolettes.Ilserapproche,siprèsquejepourraispresqueletoucher,sij’enavaisenvie.—Pourquoi?—Ellessymbolisentl’amouréphémère.—Éphémère?C’estunpeupessimiste,tunecroispas?— Non, pas pessimiste, réaliste. L’amour éphémère est moins rare que
l’amourquiduretouteunevie.Ilnerépondpasimmédiatementet,l’espaced’uninstant,jemedemandede
quoinoussommesréellemententraindeparler.— Pourquoi quelqu’un voudrait-il offrir des roses violettes ? reprend-il,
dubitatif.—C’estlaseulerosequin’essaiepasdesefairepasserpourcequ’ellen’est
pas.Elleestauthentique,belleet,pourtant,personnenelachoisitjamais.Jemesensrougirdavantageenréalisantquejeviensd’enrévélerbeaucoup
plusquejen’enavaisl’intention.Jemeretourneverslachambrefroide,faisantsemblantdevérifierqu’elleestbienfermée,pourmedonnerunecontenance.
—Vapourlaviolette,alors.Ilmefautquelquessecondespourmeressaisir.—OK,super.Combien?—Qu’est-cequetuenpenses?—Unedouzaine?—Tu n’es pas une simauvaise vendeuse que ça en fait, déclare-t-il, l’air
amusé.Nousretournonsverslecomptoir.Ildégageuneodeurfraîche,plaisante.Ilmeregarde, tandisque j’entresacommandedans l’ordinateur.Levant la
têtedel’écran,jem’enquiers:—Àquelnom?—Pardon?—Tonnom.J’enaibesoinpourlacommande.Ilmegratified’unsourireencoin,commes’ildétenaitunsecretqu’iln’avait
pasenviedepartager,puislâchefinalement:—Tate.Je termine la commande, compte les billets qu’il me tend et lui rends sa
monnaie. Mais, au lieu de la ramasser, il tend la main vers moi, réduisantl’espaceentrenous.Sesdoigtsfrôlentmajoue,justesousl’œilgauche.
Le souffle court, je m’apprête à lui demander ce qu’il fabrique, quand ilretiresamainetl’agitedevantmoi.
—Despaillettes,explique-t-il.—Quoi?Jelouchesursesdoigts:l’extrémitédesonpouceetdesonindexscintille.
Despaillettes.Biensûr.Lesdécorationsdelafêted’anniversaire!—Merci,dis-je,lesjouesenfeu.Ilmelanceunsourire,franccettefois.—Çat’allaitbien.Jesecouelatête,aucombledel’embarras.Qu’est-cequiclochechezmoi,cesoir?—Si tu as quelquesminutes, je peux préparer le bouquetmaintenant. Tu
peuxégalementlerécupérerdemain.Onpeutaussitelesfairelivrer.—Demain.Ilempochelamonnaie.—Jeviendraileschercher.—Ellesserontprêtesàpartirde10heures.Avantdepouvoirmeretenir,jepoursuis:
—J’espèrequ’ellesplairontàtapetiteamie.Sonregards’adoucit.—Jen’aipasdepetiteamie…Ilmarqueunepauseetajoute:—…Charlotte.Jedéglutispéniblementtandisqu’ils’éloigneducomptoir,etsedirigevers
lasortie.Commentconnaît-ilmonprénom?Puismesdoigtstombentsurlebadgeaccrochéàmondébardeur,oùlemot
«CHARLOTTE»estinscritenlettresblanches.Évidemment.Il s’arrête, la main sur la poignée. Une partie de moi — la moins
raisonnable — souhaite qu’il se retourne. Mais il se fond dans l’obscuriténaissante, tandisque j’agrippe lebordducomptoir etme repasseenboucle lesondesavoixquiprononcemonprénom.
Chapitre2
Lelendemain,pendantlecoursd’anglais,quelqu’unfrappeàlaportedelasalledeclasse.Toutlemondeseredressesursonsiège.
M.Rennert, qui enseigne la littérature au lycée de PacificHeights depuisavant lanaissancedemagrand-mère, soupireet laisse tomber lemarqueursursonbureau.
—Entrez.Laportes’ouvre.MistyShaffer,uneélèvedepremièreauxcheveuxcoupés
courtàlagarçonneetausourireperpétuelquimontresesbagues,entredanslasalle. Jem’attendsàcequ’elleaitunpapierà lamain,unenotepersonnelleàdistribueràl’undesélèves.Mais,aulieudeça,elletientunénormebouquetderoses.
Derosesviolettes.Une rangée plus loin, Lacy Hamilton et Jenna Sanchez s’exclament de
surprise,levisagepleind’espoir.Çacommenceàpapoteraufonddelasalle.—Silence!Vousêtestoujoursdansmoncours,prévientM.Rennertdeson
ton sechabituel.MademoiselleShaffer, vous semblezperdue.Ladernière foisquej’aivérifié,j’enseignaislalittérature,pasl’introductionàlabotanique!
—Consignedusecrétariat,M.R., répondMistysanssedémonter,passantdevantlui.Lelivreuraditqueçanepouvaitpasattendre.
Letempssembleralentirtandisqu’elledescendlarangée.Jemedisqu’ellevas’arrêteraubureaudeJennaet,àvoirsonexpression,Jennapenselamêmechose.MaisMistystoppedevantmoi,levisagepresqueentièrementcachéparlebouquet.
Interdite, jeclignedesyeux, lecrayon immobilisé sur lecroquisdeplantegrimpanteàmoitiéterminéquej’étaisentraindedessinerdanslamargedemoncahier.
—Charlotte,annonce-t-elled’unairsolennel.Ellemetendlesroses—lespétalesvioletspresquedelamêmecouleurque
sonappareildentaire—etjeneréagispas,tropébahiepouravoirleréflexedesouleverlesmainspourlesluiprendre.
Impossible.Carlos,assisàcôtédemoi,medonneuncoupdecoudepourmefaireréagir.
Toute la classe m’observe, y compris M. Rennert, qui ne dissimule pas sonagacement.Jemedépêchedesaisirlebouquet,etleposesurmonbureau.Mistyreste plantée là, les yeux grands ouverts, comme si elle attendait que je luiapprennelenomdel’expéditeur.
—Merci,mademoiselleShaffer,vousavezremplivotremission.Peut-êtreest-iltempsdemelaisserremplirlamienne?
M.Rennertobservelesfleurs,tandisquej’essaiedemerendreinvisible.Mistyseretourneavecunderniersourire,etrepartaussisec.—Lespectacleestterminé.Onsereconcentre,ajouteM.Rennert,reprenant
lemarqueur.Mais,àcetinstant,lasonnerieretentitduhaut-parleursituéau-dessusdela
porte,ettoutlemondeselève.M.Rennertlanceunregardfurieuxendirectiondubouquet,puisversmoi.
Jemelèvelentement,commesilagravitéétaittropforte.Jesuisincapablede parler. J’arrive à peine à faire abstraction des murmures et des regardsappuyés des élèves qui me dépassent en sortant. Jenna Sanchez me jette undernierregardpar-dessussonépaule.L’incrédulitéselitsursonvisage.Jepariequelamêmeexpressionestaffichéesurlemien.
—Qu’est-cequetumecaches?demandeCarlos,letonpresqueaccusateur.Nousn’avonspasdesecrets l’unpour l’autre ; jen’ai jamais rieneuà lui
cacher.L’effervescenceducouloirnousengloutit.Sacsàdosetépaules s’écrasent
contremoi,tandisquejemefraieunpassagedanslafoule,Carlossurlestalons.—Quit’aenvoyécesfleurs?Les doigts tremblants, j’extrais la carte du centre du bouquet et examine
l’enveloppe.Jereconnaislafineborduredorée:pasdedoute,lesfleursviennentdenotreboutique.L’enveloppeporte l’inscriptionCharlotteen lettres simples.Lacarteminusculeglissefacilementdel’enveloppe,accompagnéedepaillettesquimecollentauxdoigtsettombentjusqu’ausol,saupoudrantledessusdemesballerinesbleumarine.
Carlesrosesnedevraientpasessayerd’êtrecequ’ellesnesontpas.
—Hmm…Tum’expliques?demandeCarlos,lisantpar-dessusmonépaule,etrepoussantdesonfrontsescheveuxbruns.
Il fait bien trente centimètres de plus quemoi et, quand il se tientdeboutbiendroit,lehautdematêtepourraits’encastrersoussonmenton.
—Etc’estquoi,ledélireaveclespaillettes?Jereplacelacartedansl’enveloppe,lecœurcognantdanslapoitrine.Tate.Il
aachetécesfleurspourmoi.Quiestassezfoupouroffrirdesrosesàunefillequ’ilneconnaîtpas?Etcommenta-t-ilsudansquellycéej’étais?
Carlosagiteunemaindevantmonvisage.—Allô?IcilaTerre!Est-cequemapetiteCharlottes’estenfintrouvéun
admirateur?—Biensûrquenon!Maisunevaguedechaleurm’envahit.—C’estjusteunmecquiestpasséàlaboutique,hier.LabouchedeCarlos formeun«O»de surprise, révélant le léger espace
entresesdeuxdentsdedevant.—Attends…Tul’asrencontréhier,etilt’envoiedéjàdesfleurs?Il caresse l’un des bourgeons délicats, sa bague vintage noire— dégotée
dans un vide-grenier deuxmois plus tôt— dessinant un vif contraste sur lespétalesviolets.
Carlos change de style tous les mois. Aujourd’hui, il porte un blazer àchevronspar-dessusunT-shirtgrisetdesmocassinsàmotifécossaisempruntésàsonpère.
—Jenesaismêmepascommentilasuoùmetrouver,dis-je.—Attends,rembobine.Reprendsdepuisledébut.Ilétaitmignonouilavait
l’airlouche?Je fronce les sourcils au souvenir de son visage symétrique, de ses yeux
ténébreuxetdelamanièredétenduedontils’estpenchépar-dessuslecomptoirpourretirerlespaillettesdemajoue.
Monexpressiondoitme trahir, carCarlosenchaîneavecungrand sourire,passantunbraspar-dessusmonépaule:
—OK,doncilétaitmignon.C’estpasgrave,Charlotte,tuasbienledroitdetrouverunmecmignon.C’estpasçaquivaruinertavie.
Jeluijetteunregardnoir.—Situveuxtoutsavoir,ilétaitmêmecarrémentmignon,mais…
—Tuentendsquoiexactementpar«carrémentmignon»?Supercanon?Beauàtomberparterre?Totalementbaisable?
Comptezsurluipourfairepreuved’enthousiasme.Jecontinue,ignorantsonintervention.—…Maisc’estarrogantdesapartdem’envoyerdesfleurs,alorsquejene
leconnaismêmepas.— Ouais, peut-être qu’il est un peu trop sûr de lui…, acquiesce Carlos,
faisanttournerleverrouducasierqu’onpartage.Chaque année, une fois que nos casiers nous ont été assignés, nous
choisissonsceluidesdeuxqui est lemieux situé et lemoinsbousillé, pour enfairenotrebased’opérations.Cetteannée,notrecasieraseulementdeuxbossesdelatailled’uncoudedanslaporteetleverroumarchesixfoissurdix.
Le lycée est sévèrement surpeuplé, en manque de moyens, et beaucoupmoins glamour que son nom le laisse penser. Il n’y a aucune vue sur l’océanPacifique. Il est situé en plein centre d’Hollywood, au milieu des hordes detouristes et entouré d’immeubles. Tous les lycées huppés et académiquementsupérieurs sont plus à l’ouest, à proximité de l’océan. Qu’est-ce que je nedonneraispaspourenfréquenterun!
—Maisnetevengepassurlesfleurs,ajouteCarlos.Je balance l’imposant bouquet dans le casier, essayant de paraître
indifférente,mêmesijefaisattentiondenepasplieroufendrelamoindretige.—Changementdesujet.Parle-moidelafêted’hiersoir…Est-cequetuyas
vuAlanGregory?Leregardqu’ilmelancesignifieclairementqu’iln’estpasdupe;ilaccepte
néanmoinsladiversion.—Échectotal.Alanm’aenvoyéuntextopourmedirequ’ildevaitréviser
pouruncontrôledephysiqueetqu’ilnepouvaitdoncpasvenir.Alors,j’aiquittéla fêteplus tôtet suis rentrépour regarderdevieilles rediffusionsdeSaturdayNightLivesurmonordi.
Jepasselebrassouslesien.—Tantpispourlui!Peut-êtrequ’ilt’appellerapourteproposerunrendez-
vousceweek-end.—Peut-être.Ilhausselesépaules.—Etpeut-êtrequeM.SexyetMystérieuxt’enverrauneautredouzainede
rosesdemain.—Nenousemballonspas.
C’étaitdéjàsuffisammentembarrassantaujourd’hui.—Eh,écoute…Ilpileauboutducouloir,forçantSophieZinesànouscontourner.Sophieest
belle,dansunstyletrèsapprêté:ellearboretoujoursunmaquillage,descheveuxetdesvêtementsparfaits.Jemesuistoujourssentiebanaleetquelconqueàcôtéde personnes comme elle, silhouette de carton, fade et terne. Mes vêtementsviennent tous de friperies ou m’ont été donnés par ma sœur. Heureusement,Carlosm’aideàorientermeschoixvestimentaires.Quandbienmême,jenepeuxrivaliseraveclesSophiedecemonde.
—J’aimemagentilleCharlottecommeelleest,dit-il,trèssérieux.Laviergeéternelle.
Je grimace, coulant un regard vers Sophie, qui nous a dépassés. J’espèrequ’ellen’apasentendu.Çanegênepeut-êtrepasCarlosdediscuterdemaviesexuelle—ouplutôtdemonabsencedeviesexuelle—enpublic,maismoi…si.
—Paséternelle,jecorrigedoucement.J’attendsjusted’avoirterminélafac.—Ouais,doncjusqu’àlafindestemps…—Arrête,dis-je,secouantlatête,unsourireauxlèvresmalgrémoi.—Tuesunevraiesainte,CharlotteReed!C’estunechosequej’adorechez
toi.Nouspoussonsleslourdesdoublesportesdel’entrée.Ilfaitbeau.Lapelouse
principaleestparseméedegroupesd’élèvesassissurl’herberoussieparlesoleilousurlesbancsbleusauxcouleursfanéesparletemps.
—Maisunjour…,ajouteCarlos,levantunemainenvisièrepourbalayerlapelouseduregard.
—Unjourquoi?—Tu tomberas follement amoureuse d’un homme aux abdos dignes d’un
dieugrec,etjeneseraipascapabledet’arracheràlui.—Ça, c’est legarçonde tes rêves, je répondsdu tacau tac, lui serrant le
bras.Moi,aucungarçonn’envahitmespensées.Il me fait un clin d’œil et me guide à travers la pelouse vers notre coin
déjeunerhabituel.—Tu verras,mon innocente et chaste Charlotte. Un jour, tu rencontreras
quelqu’unquimettratonmondeparfaitsensdessusdessous.
Chapitre3
Notre minuscule maison de plain-pied sur Harper est nichée entre deuxpalmiers imposants etmourants, en retrait de la rue.UneBuickposée sur desblocsdecimentrouillesurplacedepuisdesannées,danslejardinduvoisin.Unchienaboiederrièreungrillagedeuxmaisonsplushaut,etunealarmehurledansune rue adjacente. Et pourtant, à cinq pâtés de maisons de là, les touristesconvergentversSunsetBoulevard.Aprèsavoirphotographié lesétoilesdoréesgravéessur lepavéd’HollywoodBoulevard, ilsprennentdesbusàétagepourvoirlesmaisonsdesstarsdurock,ducinéma,delatélé-réalité,enhaut,danslescollines. Un lieu si proche, presque palpable, et pourtant c’est un universcomplètement différent du quartier dans lequel je vis, délabré, ses peinturesécaillées,sespelousesbrûléesparlesoleil.
Lamaisonestsilencieusequandjerentre.Jedéballelebouquetau-dessusdel’évierdelacuisine,retirelacellophaneetdisposelesfleursdansunvased’eautiède.Leurbeautéressortencoreplus,ici,àlamaison,leurspétalesdouxcommeuneboufféedeprintempscontrelesmursd’unjaunemiteux.
—Quitelesadonnées?La voix de ma sœur s’élève de l’arche séparant la cuisine du salon. La
maison, étouffante, est composée de trois chambres étroites, d’un coinsalon/cuisineetd’unesalledebainsminuscule.Quandjemeraselesjambeslematinsousladoucheavantlescours,jesuisobligéed’appuyerunejambecontrelereborddulavabopourgarderl’équilibre.
—Personne,jeréponds,enposantlevaseaucentredelatabledelacuisine.BébéLeoestperchésurlahanchedeMia,etsespetitsdoigtsagrippentson
chemisierblanc,tachéd’unemixturegluante.Elles’approche,etjechatouillelementondemonneveu.
—Ellessontplusjoliesquecellesqueturapportesd’habitude.
—C’estunecommandequepersonnen’estvenuchercher.La facilité avec laquelle je mens me surprend. Je ne le fais jamais,
d’ordinaire;jen’enaipasl’occasion.J’attendsqueMias’enrendecompte,medemandecommentjepeuxrapporterdesfleursàlamaison,alorsquejenesuispasencorealléeautravail.MaisellejoueaveclefinduvetdeLeo,lesrosesdéjàoubliées.
Elle lesoulèvedesahancheet lepetit tournesesyeuxbleusversmoi,megratifiantd’unsouriretoutengencives.JeleluiprendsdesbrasetregardeMia,qui se passe la main dans ses cheveux ondulés d’un geste épuisé. On diraitqu’ellen’apaseuunmomentpourelledelajournée,sansLeodanslesbras.Sesyeux cernés trahissent un manque de sommeil et, l’espace d’un instant, j’ail’impression de voirmon reflet.Mia a deux ans de plus quemoi et, bien quenousn’ayonspas lemêmepère,onpourraitpresquepasserpourdes jumelles,avecnosyeuxvertsetnoscheveuxcouleurcaramel.
— Je ne sais pas pourquoi tu portes encore ce truc, lance-t-elle en sedirigeantversleréfrigérateur.
—Quoi?JefaissautillerLeoetsourisenl’entendantgazouiller.J’enfouislenezcontresoncouetinspiresonodeurdouceetsucréedebébé,
mélangedetalcetdelaitinfantile.Àbientôthuitmois,ilestvifetjoueur,ettendlesmainspourattraperunemèchedemescheveux,lesjambesfrétillantdejoie.Ilcriecommeundiablequandilabesoind’unesieste,remplissantlamaisondeseshurlementsoutrés :mêmeCarlosprêche lasagessede l’abstinence,chaquefoisqu’onlegarde.Maisj’aibeauvoircombienavoirunbébéabouleversélaviedemasœur,jenepeuximaginerlamaisonsanslui,sanssesjouesroses,sespetitsdoigtscollantsetsesgloussements,quandilestassissursachaisehaute,lematinaupetitdéjeuner.Jel’adoreplusquejenesauraisledire.
—Labaguedemaman.MiaouvreunecannettedeCocalightetpointedumentonmamaingauche,
où la bague turquoise a légèrement glissé.Mon père l’a offerte à notre mèrequandilsontcommencéàsortirensembleetellemel’adonnéeunefoisquej’aiétéassezgrandepournepaslaperdre.
— Ça m’aide à me souvenir d’elle, dis-je, même si ce n’est pas toutel’histoire,Mialesaitbien.
C’est plutôt un souvenir de la tournure qu’a prise sa vie — tomberéperdumentamoureuse,encoreetencore,sesplusbellesannéesderrièreelle—,etunefaçondemerappelerquej’aspireàunavenirdifférent.
Grand-mère passe la porte d’entrée, deux sacs de provisions en équilibredanslesbras.
—Bonjour,lesfilles.Ah,voilàmonpetithomme!Elle embrasse Leo sur le dessus de la tête. Il lui répond par un sourire
baveux.— Jolies fleurs, Charlotte, ajoute-t-elle, s’arrêtant pour les sentir, tandis
qu’ellepassedevantlatable.Jemeraidis,m’attendantàêtreinterrogée,maisellevidedéjàsurleplande
travail le contenu des sacs réutilisables vert et blanc, avec son habituelleefficacité.
Quandnousétionsplusjeunes,Carlosl’asurnommée«Grand-mèreGarbo»d’aprèsl’éblouissanteGretaGarbo,actricedecinémaetstard’Hollywooddanslesannées1920et1930.Grand-mèreatoujoursadorécettecomparaison.Enlaregardant, il est facile de voir d’où lui vient ce surnom. Ses cheveux auburnfoncétombentencascadesursesépaules,sasilhouetteest toujoursmince,sonvisagedénuéderides.Contrairementauxautresgrands-mères,ellenefaitpasdutout son âge. Sous le col blanc impeccable de la tenue de femme deménagequ’elle porte, j’aperçois son collier en or préféré, celui qu’elle a reçu commecadeau demariage de sa belle-mère, quand elle a descendu l’autel, à dix-septans.Elleétaitenceintedesixmoisetdemilorsqu’elleaépousémongrand-père— car c’était la chose à faire, à cette époque. On épousait l’homme dont onportaitl’enfant.Maisilsn’ontjamaiseudelunedemiel,n’ontmêmejamaisfêtéleur premier anniversaire de mariage. Il l’a quittée peu après la naissance dubébé—c’est-à-diremamère.
Et, comme frappées d’un tragique coup du sort, toutes les femmes demafamille ont commis la même erreur. À dix-sept ans, notre mère est tombéeenceinte de Mia. Léo est né avant même que Mia ait obtenu son diplômed’étudessecondaires.Jedéjouedéjàledestinrienqu’enayantatteintmondix-huitièmeanniversairesansavoireud’enfant.
Grand-mère rangedeuxboîtesdecéréalesdans leplacard,plie les sacsdecourses, puis sort une carafe d’eau du réfrigérateur. Elle prend un verre duplacard et se sert, glissant une rondelle de citron dans son verre au derniermoment.
—Ilyaduchiliaufrigopourledîner.Jeseraideretourà22heures,dit-elle.
—Tutravailles,cesoir?demandeMia.
Grand-mère passe de longues heures à nettoyer des bureaux en ville, etrentre souvent tard. Elle est peut-être jeune pour une grand-mère,mais, à sonâge,ellenedevraitpastirerdelourdschariotsdenettoyagedanslescouloirsousepencherpar-dessusunaspirateurpendantdesheures.Pourtant,ellerefusedemelaisserparticiperauxdépensesdufoyeravecmessalairesduBloomRoom.Elleditquetoutcequejegagnedoitservirpourl’université.Etchaquefoisquejeprotesteausujetdeseshorairesàrallonge,alorsqu’ilestévidentqu’elleestépuisée,quesoncorpsluifaitmal,ellebalaiemesinquiétudesd’ungeste.
«Commentcrois-tuquejeconservelaligne?Ceboulotmegardejeune!»—Ameliaestmalade,alorsjelaremplace,explique-t-elle.Sil’idéedepassercinqheuresdeplusdeboutlachagrine,ellenelemontre
pas.—Mais j’ai déjà fait desprojets ! gémitMia.Mon rendez-vouspasseme
prendredansuneheure.Jeme demande comment elle peut vouloir sortir, compte tenu des cernes
soussesyeux.—Jesuisdésolée,machérie,ditgrand-mère,lavoixlégèrementtendue.Je
pourrailegarderdemain.ElleremetlacarafeauréfrigérateurettendlesbraspourmeprendreunLeo
quigigote.Bienqu’elledésapprouveleserreursdeMia—principalementêtretombée
enceinte si jeune—, elle aimeLeo tout autant quemoi.Et elle essaie d’aiderMiaenlegardantchaquefoisqu’ellelepeut,pourquemasœurpuissesortirdelamaisonquandellenesupporteplusderesterenfermée.Cequiarriveunpeutropfréquemment.
—Onvavoirungroupeenconcert.Ilsnejouentpasdemain.Grand-mèresoupireetsecouelatête.Miasetournealorsversmoi.—Charloootte…S’ilteplaît?Cemecmeplaîtvraiment!—Jenepeuxpas,Mi.Jedoisêtreauboulotdansvingtminutes.J’enressensunpincementdeculpabilité.Peut-êtreque jedevraisaiderma
sœur,mefaireporterpâle.Maisc’estsûrementmieuxsiMiaresteéloignéedesgarçonsquelquetemps.N’est-cepascommeçaquetoutacommencé?Uncoupd’unsoirnonprotégé,lagrossessequienarésulté,etletypedisparaissantdesavieaussirapidementqu’ilyétaitentré.
Les lèvrespincées,Miapivotesurelle-même,retournedanssachambreetclaquelaportederrièreelle.
Grand-mèreenfouit lenezdans lecoudeLeo,occupéàessayerdemettresoncollierdanssabouche,etmelanceunsourirequiseveutrassurant.
—Elleestjustecontrariée,murmure-t-elle.Cen’estpasfacileaveclebébé.—Jesais.Miaétaitmonunivers,mameilleureamie.Nousétions les seulesplanètes
dansl’orbitel’unedel’autre.Nousnousétionsmêmetrouvédessurnoms,elle,laReine des fleurs,moi, la princesseCoquelicot.Nous étions tout l’une pourl’autre.Maisaujourd’hui,Mias’enticheden’importequelgarçonquiditl’aimeretluidonnedel’argentpouracheterdescouchesetdenouveauxvêtements.Ilsne s’en rendent pas compte, mais elle se sert plus d’eux qu’ils ne se serventd’elle.
Je coule un regard vers la porte de sa chambre et me demande, pour laénièmefois,commentnouspouvonsêtresidifférentes.
***
C’estunesoiréecalmeàlaboutiqueetjecontemplelecoucherdusoleilparlavitrine,lecielsefondantdansundégradéderoseetd’orange.Jejetteunœilàmamontre:voilàdéjàdixminutesquej’auraisdûfermer.
***
Holly est partie il y a une demi-heure.Nous avons passé presque toute lasoiréeàdiscuterdemonmystérieuxadmirateur.
Elle avait reçuunappel,peuaprès l’ouverturede laboutique,pourque lebouquetderosesviolettessoitlivrédèsquepossibleàCharlotteReed,aulycéede Pacific Heights. Elle avait passé le reste de la journée à ronger son frein,attendantquej’arrivepourmeposermilleetunequestionsàproposdugarçonquim’avaitenvoyélesfleurs.
Elleestaucourant,pourmarègleanti-flirt.Ellesaitquejen’aijamaiseudepetitami.Maisc’estuneincorrigibleromantiqueetellevoulait touslesdétails—cequ’ilportait,cequ’iladitexactement,cequej’airessentiquandj’aivulesfleursarriverdanslasalledeclasse.Jecroisqu’ellenem’apascrue,lorsquejeluiairéponduquej’enavaisétéagacée.
Je me lève du tabouret, marche vers la vitrine et retourne la pancarte«FERMÉ».
Jem’apprête à attrapermon sac àmain etmes clés quand le carillon au-dessusdelaported’entréesonnederrièremoi.
—Désolée,noussommesfermés,dis-je.Jeme retourne pour reconduire poliment le client,maism’immobilise sur
place.—J’aitoujourseuunmauvaistiming.Tatesetientlesmainsdanslespoches,unsourireencoinsurleslèvres.—Qu’est-cequetufaislà?—Jevoulaistevoir.Jerespireprofondémentparlenez,moncœurbattantdemanièreerratique.—Tun’auraispasdûm’envoyercesroses,aujourd’hui.—Pourquoipas?Laquestion flotte dans l’air entre nous. Ilmedévisage et c’est comme si,
d’unsimpleregard,ilpouvaittouchermapeau.Ilmedéstabilise.Etjedétestelapartie demoi qui aime ça ! J’ai déjà eu affaire à des garçons comme lui à laboutique— des garçons qui semblent attendre que je me pâme d’admirationdevanteux,s’imaginentqu’ilspeuventmefaireperdremesmoyensd’unsimpleregard,mais ça n’a jamais eu d’effet surmoi.Çane devrait pas être différentavecTate.Iln’estpasdifférent.
Alors,pourquoiest-cequej’ail’impressiondenepaspouvoirrespirerquandilsetientsiprès?
—Tunemeconnaismêmepas,dis-jeaveceffort.—Jesaisquetuaimeslesrosesviolettes.—C’estundétail,çanesignifierien.Je jette un coup d’œil vers le comptoir, espérant une distraction, mon
téléphone qui semettrait à sonner comme parmagie…Mais je n’ai pas cettechance.J’inspireetmeretiensd’enroulerunemèchedecheveuxautourdemondoigt.
—Laplupartdesfillesaimentlesgarçonsquiremarquentlesdétails.Illèveunsourcil,etenfoncelesmainsplusprofondémentdanssespoches.Jegrincedesdentsdefrustration.—Jenesuispaslaplupartdesfilles.—Non,répond-il,etlafossetteréapparaît.Ça,j’airemarqué.—Ettueslàparceque…?—Sorsavecmoi,déclare-t-ildefaçoninattendue.Complètementpriseaudépourvu,jereculed’unpas.—Quoi?
—Tu as dit que je ne te connaissais pas.Accepte un rendez-vous, que jepuisseapprendreàteconnaître.
Savoixestprofonde,provocante,etsesyeuxglissentsurmoi,àtraversmoi,memettantànue. Ilesthabillépresqueà l’identiqued’hier : jeandélavéetT-shirtblancuni.Mais,àsonpoignetgauche,ilporteunemontreenargentdontjenemesouvienspas.Elleal’aird’avoircoûtéunefortune.
—Je…Jene finispasmaphrase,monesprit est incapablede former lesmots.Et
unepressionquejenepeuxexpliquernaîtdansmapoitrine.J’aimeraisqu’ils’enaille.
Mais il ne part pas. Il se rapproche, même, sans cesser de me fixer, ets’arrêteàquelquescentimètresdemoi.Mapeaumefaitl’effetd’unmorceaudeverrequisefissureetsebrise,justesouslasurface.
Le moment est interrompu par une voiture qui klaxonne dans la rue. Ilregarde par-dessus son épaule juste comme un camion s’éloigne du trottoir.L’espaced’uninstant,ilal’airmalàl’aise,puissonassuranceetsanonchalancereprennentledessus.
—Jeveuxt’inviteràsortir,insiste-t-il.Je ne peux nier le frisson d’excitation quime parcourt.Mais je croise les
bras,lespoingsserrés,ordonnantàmoncorpsdenepasmetrahir.—Non.Lemotestdurdansmagorge.—Jedoisfairelafermetureetensuiterentrer.Jemeforceàrencontrersonregard,pourbienluimontrerquejeneplaisante
pas.La fossette réapparaîtune seconde, commes’il trouvait çadrôle.Oupeut-
êtrequ’ilaimelesdéfis.J’imaginequ’onnedoitpasluidirenontrèssouvent.Ilconsultesamontre,puissedirigeverslaporte.— Bonne soirée alors… Charlotte, dit-il, et sa voix serpente autour de
chaquelettre.Lesoufflecoupé,jeleregardesortiretsefondredanslanuit.
***
Carlospousseuncristrident.—Ilt’ainvitéeàsortir?Jegrimaceetmeratatinesurmachaise.
—Dis-leplusfort,laprochainefois.Jecroisqu’ilsnet’ontpasentendu,àOrangeCounty.
Nous sommes dans la salle informatique deMmeDixon, où le comité derédactiondujournaldulycéeseréunitunefoisparsemaine,aprèslescours,lemercredi.Carlosécritunarticlesurlesycomore,prèsdel’entréeouest.L’arbremeurtlentementàcausedesélèvesquisculptentleursnomssurletronc.Pendantlapause-déjeuner,j’aiutilisélevieilappareildulycéepourprendredesphotosetdocumenterlescœursetlesnomsgravésdansl’écorce:WestonaimeCara.TM+AY,donttoutlemondesaitqu’ils’agitdeTobyMcAlisteretAlisonYarrow,leursnomséternellementgravés,bienqu’ilsnesoientsortisensemblequedeuxsemainesetsedétestentdepuis.
—Désolé, ditCarlos, qui n’a pas l’air désolé du tout.Maismameilleureamievientd’êtreinvitéeparM.Grand,TénébreuxetDélicieux.Jepensequej’ailedroitdevivrel’instantàfond.
—Jeterappellequej’aidécliné.Installée à l’undesordinateurs contre la rangéede fenêtresdonnant sur la
rue, je trie les photos que j’ai prises à la pause, mais l’écran n’arrête pas deplanter et j’aidéjàdû redémarrerdeux fois.La salle informatiqueestunautreexempleducruelmanquedefondsdulycée.MaistravaillerpourleBannerestbénéfiquepourmacandidatureàStanford.Dumoins, c’estpourçaque jemesuis inscrite, au début, mais ça commence à me plaire.Même si prendre desphotosestplusanonymequ’écriredesarticles,j’aiparfoisl’impressionquec’estplus important, comme si une seule photo pouvait en dire davantage qu’unarticledequatrecentsmots.
—Ettunecomprendspaspourquoijem’inquiète!soupireCarlos.Qu’est-cequ’iladitd’autre?
—Rien.Jeluiaidemandédepartir.—Tuasfaitquoi?Ilmedévisagecommesij’étaisfolle.—C’étaitl’heuredefermerlaboutique.Jesuissurladéfensiveetjedétesteça.Jenedevraispasdouterdemoi;je
saisquej’aiagicommeillefallait.Mieuxvautmettreleschosesauclairtoutdesuitepouréviterqu’ilnourrissedefauxespoirs,revienneetcontinued’insister.Bon,j’aiétéunpeubrusque,etalors?
—Jenecroispasquetusachescedonttuasbesoin,marmonneCarlos.Jeluilanceunregardmauvaisquilelaisseimperturbable.—Àquelpointétait-ilcraquant,cettefois?
Jehausseuneépauleetremuelatête,ignorantlafulgurantevaguedechaleurquim’envahit.
—Admets-le,reprendCarlos,pivotantsursachaisepourmefaireface.Tuletrouvescarrémentsexy.
—Çan’aaucuneimportanceet tulesais.J’aiatteint la terminalesansmelaisserdistraireparunmec.Horsdequestionqueçam’arrivemaintenant.
Ce n’est pas comme si je n’avais jamais craqué pour un garçon. L’annéedernière, je retenaismon souffle chaque fois que lamain d’EdgarHoyt,monbinômeencoursdechimie,frôlaitlamienneparaccident.Carlosnecomprenaitpas pourquoi je le trouvais charmant, mais il y avait quelque chose chez lui— ses lunettes carrées àmonture foncée, son nez aquilin et ses brasmuscléslaissant penser qu’il n’était pas seulement un intello— qui me séduisait. Çan’avaitpasd’importance,detoutefaçon.J’aidécidéderestercélibataire.Jeneveuxpasqu’unbéguinstupidedétruisetoutcepourquoij’aitravaillésidur.
—OK,maispourqueleschosessoientclaires:tupensesquandmêmequ’ilestcanonàtomberparterre?
Jesoupire.Iln’abandonnerapas,tantquejeneluiauraipasdonnéquelquechose.
—Onpeutdireça,ouais…Jem’éclaircislagorge,tandisqu’uneimagedeTate—T-shirtblancetyeux
ténébreux—jaillitdansmonesprit.—C’estunedescriptionfidèle.Carloss’esclaffe.— Venant de toi, c’est une déclaration d’amour ! Bien. Au moins,
maintenant,onn’auraplusàfairecommes’iln’étaitpassexyquandonreparleradelui.
—Onneparleraplusdelui.Jereportemonattentionsurl’écrandel’ordinateur.—Onverra,ditCarlos,unsouriredanslavoix.
***
J’aiplusieursbouquetsàconfectionnercesoir,etjesuistouteàmatâche:jetaille les tiges, dresse des nœuds d’organdi et de gros-grain, prépare de bellescompositions.C’est l’undesaspects lesplusagréablesdemonboulot—créerquelquechosederavissantquiégayeralajournéedequelqu’un.Jecomposeunbouquet de tournesols et d’hortensias pour les cinquante ans demariage d’un
couple;unautred’oiseauxdeparadis,lisetmillepertuisrougepourunmaladeàqui l’on souhaite bon rétablissement ; une douzaine de roses rouges pour unedénomméeEmily.Lacarte, quiporte l’inscription«Je suispeut-êtreun idiot,maisjesuistonidiot.Tumepardonnes?Jim»,mefaitrireauxéclats.Ilapeut-êtredesgoûtstrèsconvenusenmatièredefleurs,maisj’espèrequ’Emilyetluiparviendrontàseréconcilier.
C’est le côté surprenant du travail chez un fleuriste. Ça crée une sorted’intimité à laquelle vous ne vous attendiez pas. Vous ne pouvez pas vousempêcherdevousinterrogersur lemembredelafamillemalade—est-cequetante Ruth sera bientôt sortie d’affaire ? ou l’anniversaire de mariage —j’imagineuncoupledepersonnesâgées,assissurunbanc,surlaplage,faceauressac,setenanttoujourslamainaprèstoutescesannées.Jemedemandecequeça fait de vieillir avec quelqu’un, de connaître cette personne sur le bout desdoigtsetdel’aimermalgrétout?PascommemamanetMia,quisesontlaisséemporterparlafouguedumoment,pourseretrouverseulespeuaprès.
Il me reste encore une heure avant la fermeture, une fois les bouquetsterminés,alorsjetravaillesuruneséried’exercicesetrévisepourmonprochaincontrôled’algèbre.Tandisque je résousdeséquations, j’essaied’empêcher lesimagesdeTated’envahirmonesprit—laformedesesyeux, lacourbedeseslèvres,lachaleurdesesdoigtscontremapeau,quandilabalayéuneparticuledepaillette.Jemeconcentresurlesdérivéesetlesdifférentielles,plutôtquesuruncertaingarçonquisetienttropprèsetaspiretoutl’airdelapièce.Pourquoiest-cequejepenseraisàlui,detoutefaçon?J’aieuraisonderefusersoninvitation.J’aitravaillétropdurpourtoutabandonnermaintenant.Monlycéepourri,notremaison minuscule. Je sais que la vie a plus que ça à m’offrir. J’en suisconvaincue.
Quand j’entends la porte carillonner, je pivote brusquement et fais tomberlesciseauxposéssurlecomptoiràcôtédemoi,mepoignardantpresquelepieddroit.
—Merde,jemarmonne,mebaissantpourlesramasser.— Tout va bien ? demande une voix — une voix que je reconnais
instantanément,carunepartiedemoiespéraitsecrètementl’entendreànouveau.Jeramasselesciseauxetmeredressedoucement.—Çairaitmieuxsituarrêtaisdet’approcherdemoiencatimini.Tate est à l’entrée, près de la porte. Il tient deuxporte-gobelets en carton,
quatre gobelets de café à emporter dans chaque. Il m’examine rapidement,s’arrêtantsurlamainquitientencorelesciseaux.
—Est-cequetujetterastonarme,sijedisquejet’aiapportéducafé?Ilsoulèvel’undesporte-gobeletsetletendversmoienguised’offrandede
paix.—Huitcafés?—Jeneteconnaispas,tuterappelles?Alors,jenesaisriendetesgoûts.—Qu’est-cequitefaitcroirequej’aimelecafé?Ilbaisselesyeuxverslesgobelets,puisleslèvedenouveauversmoi.—Est-cequetuaimeslecafé?—Çasepourrait,jeréponds,mêmesi,évidemment,j’aimeça.Ildéposelesporte-gobeletssurlecomptoir.Lasenteursuaveducafé,dulait
etdelacannelleemplitl’air.—Quellessontmesoptions?Jenedevraispasl’encourager.Jedevraisluidemanderdepartir.Maisjeme
pencheverslecomptoir,attiréemalgrémoiparlesarômesenivrants.—Noir?Savoixgraverendlaquestionpresquetropintime.Jesecouelatête.Ilpasseenrevuelesgobelets,puisreportesonattentionsurmoi.—Mochaavecextracrèmefouettée?—Nonplus.—Lattecaramelaveclaitécrémé?Jesecoueencorelatête.Jecommenceàm’amuser.Çafaitdubienderefuser
chaqueoption,commesic’étaitunmoyendenousrappeleràtouslesdeuxqu’ilnesepasserarienentrenous.
Ilplisselesyeux,imperturbable.Puisilsoulèveungobeletetmeletend.—Chailatteaulaitd’amandeavecunepincéedecannelle.J’inclinelatêteet,sansrépondre,leluiprendsdesmains,enfaisantattention
denepaslaissernosdoigtssefrôler.Etmerde!Jedétectelestracesd’unpetitsouriresatisfaitaucoindesabouche.—Çaneveutpasdirequej’accepteunrendez-vousavectoi!—Jen’airiendemandé.Je bois une gorgée de chai et le café chauffe instantanément ma langue.
C’estexactementcedontj’aibesoinpourmedonnerlecouragedeterminermesdevoirs,cesoir.
—Merci.
Ses yeux dérivent vers ma bouche, et je me mordille la lèvre inférieure,tandisqu’unechaleursoudainem’envahit.
Commeilnesemblejamaisfairecequ’onattenddelui,ilattrapealorslesdeuxporte-gobeletsetsetourneverslaporte.
J’ouvrelabouche,surlepointdedire«C’esttout?Tuesvenuseulementpourça?»,maisjemeretiens.
Ils’arrêteàmi-chemin.—Savouretonchai,Charlotte.Et, une fois de plus, il s’en va. Cette fois, je ne peux pas m’empêcher
d’espérerqu’ilreviendra.
Chapitre4
Lelendemain,encoursd’anglais,jeneparlepasdeTateàCarlos.Audéjeuner,jeneparlepasdeTateàCarlos.Après les cours, quand je lui dis au revoir avant deme diriger à l’UCLA
pourmonstage,jeneparlepasdeTateàCarlos.Parlerdeluineferaqu’empirerleschosesàmonavis.Car,mêmesij’essaie
dem’enempêcher,jen’arrêtepasdepenseràlui.
***
Le vendredi, j’ai l’impression que mon corps est survolté, chargé d’uneélectricitéquibourdonneetcraqueauxextrémités. Je suispresséed’arriverautravail, pour voir si Tate reviendra. Je ne devrais pas y penser, encoremoinsespérer quoi que ce soit, mais j’ai beau inspirer et expirer profondémentplusieursfoispourmecalmer,lanervositénemequittepas.
Lesheuress’égrènentlentementet,chaquefoisquelaportes’ouvre,cen’estjamais lui. Quand le dernier client s’en va, je me dirige vers l’entrée de laboutiqueetbalaieduregardlarue,àsarecherche.Iln’estpaslà.Jemedisquec’estmieuxs’ilnevientpascesoir,s’ilnerevientplus.Jen’enrestepasmoinsdéçue.
Je repense à toutes les raisons pour lesquelles jeme suis promis de resteréloignéedesgarçons,surtoutdesgarçonscommelui.Magrand-mèreatravaillédurpouroffriruneviemeilleureànotremère,ensuitemamannousaeues.Tropjeune,pasprêteàassumersesresponsabilités.Nospèressontentrésdanssaviepuisensontressortis,commelakyrielledespetitsamisquidemandaient toutesonattention,prenaientsonargent,sontempsetsonbonheur.JepenseàMiaetLeo,petitLeo…Ilnesaitpasencorequesamèreestaussiintelligentequemoi,
peut-êtremêmeplus,nicequ’elleauraitpudevenir.Malgrétoutsonpotentiel,Mian’irapasà l’université.Savieestenpertedevitesse. Iln’yapasdemotpirequepotentiel.Ilrésumetoutcequineserajamais.
Jeretournelapancarte,fermeàcléetéteinsleplafonnier.Jesuissurlepointdefaireunedernièrevérificationavantdepartirquandjeremarqueunevoiturenoireauxlignesépuréesquistoppepiledevantlaboutique.Lespharesprojettentdesfaisceauxbleutésetlevéhicules’arrêtepresqueensilence.Ilal’aird’avoircoûtéunefortune.
Laportièrecôtéconducteurs’ouvre…etTateensort.Il se tourne vers l’entrée, la voiture bipant derrière lui. Il atteint la porte,
attrape la poignée, et comprend que c’est fermé. Il lève alors les yeux et nosregardssecroisentàtraverslavitre.Moncœurbonditdansmapoitrine.
Ilbaisselesyeuxverslapoignéecommes’ils’attendaitàcequejelelaisseentrer. Mais je lève les clés et les secoue brièvement devant lui.Désolée, jemurmure,esquissantunsourire.
Le soupçon d’incrédulité qui apparaît sur son visage me remplit desatisfaction.Jel’aipeut-êtreattendutoutelasoirée,maisçaneveutpasdirequejevaismeruerverslui.
Jefermelacaisseet l’observeducoinde l’œil. Ilsortsontéléphonedesapocheetlepresseàsonoreille.
Aumêmeinstant,monportablevibredansmonsac.Jelesors.Unnuméroquejenereconnaispasestaffichéàl’écran.JejetteunregardàTate;ilmefaitsignederépondre.J’hésite,puisfinispardécrocher.
—Allô?—Tum’asenfermédehors.J’essaiedenepaslaisserlesondesavoixmedéstabiliser.—C’estfermé.—Hmm,murmure-t-il, comme s’il pesait ses options, cherchait quoi dire
pourmeconvaincredelelaisserentrer.—Aufait,commenttuaseucenuméro?—Jel’aidepuisplusieursjours.—Çanerépondpasàmaquestion.Pourtagouverne,sachequec’estsuper
louchequetum’appelles,alorsquejenet’aimêmepasdonnémonnuméro.—Jen’auraispaseuàappelersituavaisouvertlaporte,rétorque-t-ilavec
undétachementirritant.Illèvelatêteversleciel,avantdesetournerànouveauversmoi.Lanuitlui
va bien, d’une certainemanière, la lumière du réverbèremettant en valeur les
contoursdesonvisageincroyablementsymétrique.Unbrefinstant,jelaressensànouveau,cettesensationdefamiliaritéquin’a
rienàvoiravecnosquelqueséchangesprécédents.Puisilbouge,etlasensationdisparaît.
—Tunerépondstoujourspasàmaquestion…Jeluimontremontéléphone.—Commentas-tueumonnuméro?Lafossetterefaitsurface.—Disonsquej’aides…ressourcesàmadisposition.—Quelgenrederessources?—Desgensdontc’estleboulotdedécouvrircertaineschosespourmoi.Encoreuneréponsevague.Maiss’iladesgens,ildoitêtreplusrichequeje
lepense.—Tunecroispasqueçatedonneunavantageinjuste?—J’aibesoindemettretoutesleschancesdemoncôté.Son regard me retient captive à travers la vitre ; je suis incapable de
détournerlesyeux.—Maintenant,tuasmonnuméroaussi,alorsonestquittes.—Jen’envoulaispas.Je suis contente que l’obscurité cache mon sourire qui en dit long. Je
m’amusebientrop.—Jepensequesi.Autrement,tuauraisdéjàraccroché.Plusieurssecondess’écoulent,pendantlesquellesj’entendsdistinctementsa
respiration, à l’autre bout du fil. Mon estomac en frémit, et des vagues dechaleurondulentsurmapeau.
—Pourquoies-tupassécesoir?Tun’aspasapportédecafé,cettefois.—Situveuxducafé,pasdeproblème.Maistuleboisavecmoi.—Je…—C’estvendredisoir,Charlotte.Viensfaireuntouravecmoi.J’aitantderaisonsderefuser:lepassédemamère,leprésentdemasœur,
monavenir.—Un seul rendez-vous, insiste-t-il, de sa voixbasse, presquehypnotique.
Disoui.Qu’est-cequetuasàperdre?Tout.Maisj’aidespapillonsdansleventre.Monespritestsubmergédepensées
délirantes:j’aienvied’êtreprèsdelui,derespirersonodeurenivrante,desentirsesdoigtscontremapeauencoreunefois.C’estcedontj’aibesoin:undernier
moment avec lui. Après, je pourrai l’oublier complètement. J’ai conscienced’êtreen traindemarchanderavecmoi-même.Maisçam’estégal.Jemesenscapituler.
—Sij’accepteunrendez-vous,tuarrêterasdevenirici?Ilpresselamaincontrelavitredelaporte,commepourscellerunpacte.—Jelejure.Mapeaubrûlecommes’ilétaitentraindemetoucher.Jeraccroche,depeur
quemavoixnemetrahisse.Jefaisexprèsdelefaireattendrependantquejeterminedanslaboutique;
j’aibesoind’unmomentpourretrouvermesesprits.Quand je sors enfin, il est appuyé contre sa voiture, et mon cœur
recommence à cogner dansmapoitrine. Il sourit et, l’espaced’un instant, sonexpressionestplusouvertequejamais.
—Alors?dis-je,espérantqu’ilfassetropsombrepourqu’ilremarquemesjouesrosiesparl’émotion.
—Tuneleregretteraspas,Charlotte.
***
NousremontonsSunsetBoulevardàpied,à lapériphériedeBeverlyHills.L’air est doux et les badauds sirotent des cocktails aux terrassesdes cafés, lestables ornées d’ombrelles jaune et rouge, et de nappes blanches. J’habite àseulementdixminutesd’ici,pourtant,c’estunmondecomplètementdifférent.
Tateneditrien,toutd’abord,etj’appréciesonsilence.J’aipeurdecequ’ilpourraitraconter,decequejepourraisrépondre.
Ilsepasselamainsursoncrânerasé;lecourtduvetindiquequ’ilestchâtainfoncé.
—Çateditd’allermangerunmorceau?demande-t-ilfinalement.—Pourquoipas,jeréponds,grattantmonpoignetauniveaudutrianglede
guingoisquejedessinemoi-mêmeaustyloàbillebleu.—Ilyaunendroitsympaàquelquesruesd’ici.ChezLola.Jelâcheunpetitrireincrédule,maisconstatequ’ilestsérieux.Undînerchez
Lolacoûteprobablementplusquecequejegagneenunesemaine.—Tupensesqu’ilsnouslaisserontentrer?—Pourquoipas?—Parcequ’onest…
Jemarqueunepause,cherchantlabonnefaçond’expliquermapensée,puisremarqueuncouplequimarcheversnous,maindanslamain.Letype,vêtud’uncostumegrisbientaillé,estautéléphone,ignorantlafemmeàsonbras,quiportedestalonshautsincrustésdestrass.
—…parcequenousnesommespaseux.Jelesdésigned’unlégersignedetêtetandisqu’ilsnousdépassent,touten
éléganceetsophistication.Tatemeregardeducoindel’œil,amusé.—Tuasraison,dit-il.Alors,onentreraparl’arrière.Jeconnaisuntypequi
travailledanslescuisines.Ilaunsourireespiègleetsesyeuxpétillentd’unelueurmalicieuse.Jesecouelatête,maiscontinuedemarcher,toutensongeantquejedevrais
retourneràlaboutique,oùmavieilleVolvocouleurbleupoudrém’attend.Queje devrais rentrer. Je ne veux pas l’admettre,mais j’aime cette sensation : lespapillonsdansl’estomac,lavaguedechaleursurmanuqueetmesjoues,chaquefoisqu’ilmeregarde.Unseulrendez-vous.Unseulrendez-vousnemeferapasdévierdematrajectoire.Unseulrendez-vous,etilmelaisseratranquille.
J’arrivepresqueàm’enconvaincre.Les fenêtres du restaurant, allumées presque uniquement à la bougie,
scintillentd’unedoucelueurdevantnous.Carlosetmoiavonsdéambulédevantmaintes fois, Carlos espérant apercevoir l’un de ses nombreux chouchousd’Hollywood, moi, juste venue l’accompagner. Mais nous n’avons jamais eucettechance.C’est tellementsombrequ’ilestpresqueimpossiblededistinguerlesvisagesàl’intérieur.Cequiestprobablementfaitexprès.
Alorsquenouss’approchons,Tatem’attrapelamainetmeconduitversuneallée.Sapaumeestchaude,etjeretiensmonsouffle.Ilfrappedupoingcontreune portemétallique, puis se tourne versmoi. Il ne sourit pas,mais ses yeuxpétillent.
La porte racle contre le sol de béton avant de s’ouvrir en grand sur unhommeentenuedechef—vesteblancheetpantalonbleuàcarreaux—,entraindes’essuyerlesmainsavecuntorchonblanc.
—Çaalors,Tate!s’exclame-t-il,visiblementsurpris.Il jette un coup d’œil vers la cuisine, puis vers nous. Ses yeux passent
rapidementsurmoi.J’ai l’impressionquenousnedevrionspasêtrelà,quecethomme ne va pas nous laisser entrer. Mais il sourit, s’avance, et Tate et luis’enlacentcommedevieuxamis.
—Salut,Ruben!
—C’estbondetevoir,monpote.Çafaitunbail.—Jesais.Ilss’éloignent,etTateluidonneunetapesurl’épaule.—Tuasunetabledelibre?Rubenhochelatête,lesourireauxlèvres,apparemmentravidevoirTate.—Pourtoi?Toujours.Suis-moi.Tate me reprend la main et me guide à travers les cuisines, où tous les
commisetserveurss’arrêtentpournousdévisager.Ruben pousse une porte quimène dans la salle et capte l’attention d’une
hôtesse aux yeux charbonneux, qui porte une robe noire moulante trèsdécolletée. L’espace d’un instant, elle semble paralysée, comme si elle avaitoublié comment faire son travail, puis elle se ressaisit et sourit, révélant desdentsdestardecinéma,parfaitementalignées.
—Parici,dit-elled’unevoixmielleuse.Ses yeux glissent de Tate vers moi comme si elle récoltait des données,
évaluait mon apparence, mes vêtements, mes cheveux, mon absence demaquillage.
Quelquesinstantsplustard,ellenousguidelelongdumurdufondàtraversla sallebondée.Unesymphoniediscrètedeverresqui trinquentetdecouvertsemplitl’air,levisagedechaqueclientétantbaignéparlalueurdesbougiesquiornentlestables.Endépitdecettesemi-obscuritétrèsétudiée,jevoisbienquece n’est pas le genre d’endroit où une fille commemoi s’assoit en face d’ungarçoncommeTate.Pourtant,noussommeslà,installéssurunebanquettedansuncoinplutôtprivédurestaurant.
Tates’adosseàlabanquetteetmeregarde,commes’ilattendaitquejeparlelapremière.Çam’embêtedeluidonnersatisfaction,maisjesuistrèscurieusedeconnaîtrelaraisondenotreprésenceici.
—Tuvienslàtouslescombien?—Assezsouvent.Jefroncelessourcils.—Apparemment.—Cetendroitexistedepuislesannées1930,m’apprend-il.Ças’appelaitLe
Club, à l’époque. Humphrey Bogart et les autres acteurs venaient boire ici,pendantletournagedeCasablanca.
—Jen’aijamaisvuCasablanca.—Quoi?Ilsepencheenavant.
— Je sais, c’est honteux. Je n’ai pas… beaucoup de temps pour voir desfilms,jeréplique,gênée.
—Tufaisquoi,quandtunetravaillespas?Commej’hésiteàluirépondre,ilpoursuit:—Tunetravaillespasàlaboutiquetouslesjours.Qu’est-cequetufais,le
jeudi,aprèslescours?—Tuconnaismeshorairesdeboulot?—Cen’estpasdifficileàdeviner.—Tuasconsciencequec’estcequefontlesmaniaques…traquerl’emploi
dutempsdeleursvictimes.—Tupensesquejeteharcèle?Ilfroncelessourcils,l’airblessé.—Disonsquejen’aipasencoredécidé.—Jen’avaispas l’intentionde te fairepeur. Jeconnais teshorairescar je
suis passé à la boutiqueplusieurs fois et j’ai remarqué lesmoments où tu n’yétaispas.
—Etmonnumérodetéléphone?—C’étaitpluspratique.Nosyeuxsecroisentau-dessusdelatable.Sabouchefrémit,puisilsefend
d’unsourirequinemanifestepaslemoindreremords.Presquemalgrémoi, je souris en retour. Jenepensepasqu’ilmeharcèle,
mais,àl’évidence,ilensaitplussurmoiquemoisurlui.Jemeradoucis.—J’aiunstageàl’UCLA,lesjeudis.—Tufaisquoi?—Tutrouveraisçaennuyeux.Jepresselespaumescontrelasurfacedelatable,appréciantladouceurdela
nappeblanchesousmesdoigts.—Qu’est-cequetuensais?Tuneconnaisriendemoi.C’est la deuxième fois qu’il me renvoie mon argument de la semaine
dernière à la figure. Mais ses propos sont atténués par la fossette qui lesaccompagne.
— Je travaille dans un laboratoire qui étudie la dispersion des spores demoisissures dans l’environnement. Plus particulièrement, comment le ventaffectelesspores.
Je le regarde avec un air triomphant, comme si je venais de réussir à luiprouverquemavieestmortellementennuyeuse,qu’iln’yadoncaucuneraisonpourqu’ils’intéresseàmoi.
Maisilenchaîneparuneautrequestion.—Çateplaît?—Larecherche?Ilfaitouidelatête.Sonregardestattentif,commes’ilavaitvraimentenvie
deconnaîtrelaréponse.—Ouais,jecrois.—Disdonc,quelenthousiasme!Pourquoicestage,alors,si lesujetnete
passionnepas?—Jen’aipasbesoindetrouverçapassionnant.C’estjusteunstagequifera
bonneimpressionpourmacandidatureàl’université.Je détourne le regard, n’ayant pas envie de lui expliquer mes choix.
Heureusement,unserveurpassepar làetTate lui fait signed’ungestediscret.Maisau lieudevenirànotre table, leserveur répondd’unsignede tête—unaccordsilencieux—etrepartprécipitamment.
Tatereportesonattentionsurmoietreprendsoninterrogatoire.—Donc,quandtun’espasencours,autravailouàtonstage,tufaisquoi
pourt’amuser?— Tu as oublié de mentionner le journal du lycée après les cours le
mercredi,etmongrouped’étudedufrançaisunmardisurdeux,dis-je,mifière,mi-embarrassée.
—Jecommenceàcroirequetun’asaucuneviesociale.Jesourissansluirépondre,etjetteuncoupd’œilverslabanquettevoisine,
oùunhommeséduisantauxcheveuxfoncésestencompagnied’unefemmetoutaussibelle.Jejureraisquejelereconnais.C’estpeut-êtrequelqu’undecélèbre.
—Carlosenmourrait,s’ilsavaitquejesuisici.—C’esttonmeilleurami?Jehochelatête.—Ilestobsédéparlescélébrités.—Pastoi?—Jen’aipasletempsdesuivrelespéripétiesdetoutescellesdeL.A.,mais
si on aperçoit quelqu’unne serait-ce qu’unpeu connu commeune starlette detélé-réalité,ilsepeutquejetemettedansl’embarrasenallantluidemanderunautographepourCarlos.
J’essaiedegarderunairsérieux.—J’espèrequeçanet’ennuiepas.—Pasdutout.Ilinclinelatêteetsefendd’ungrandsourire.
—Jet’aideraimêmeàobtenirl’autographeenquestion.—Ah bon, vraiment ? dis-je en gloussant. Tu devras me prévenir, alors,
parcequejenereconnaîtraismêmepasBradPitt,s’ilpassaitlaporte.—Non?Jesecouelatête,tripotantdesdoigtslescouvertsbrillantsdisposéssurune
servietteblancheentissu.—J’aivécuàLosAngelestoutemavie,pourtant,jen’yconnaisabsolument
rienenmatièredecélébrités.—C’estnoté,dit-il.Ilsouritetmedéstabiliseunpeuplus.Un homme tout de noir vêtu arrive à notre table avec un plateau rempli
d’assiettes.Illesdisposesoigneusementsurlatable,reculeetsouritpolimentàTate.
—Lasuitearrive.Jevoussouhaiteunbonappétit.—Merci,Marco,ditTatetandisqueleserveurs’éloigne.—Onn’ariencommandé,jemurmurepar-dessusl’assortimentdecequeje
penseêtredeshors-d’œuvre.—Ilsconnaissentmesgoûts.—Sérieusement,tuviensicitouslescombien?Tatesecontentedesourireetjen’insistepas.J’entreprendsdegoûteràtout:
auxrouleauxdeprintempsdélicatementenveloppés,àlasaladedemandarines,àlasoupeaucurryetàl’associationdelégumesgrillésdressésenformedetour.Tateguettechacunedemesréactions.
Quand les plats principaux arrivent, des nouilles larges et plates quiembaument l’air de senteurs de gingembre et d’épices, je ne suis pas sûre depouvoirencoremanger.Maislesplatssonttellementdivinsquemespapillesenredemandent.
Le repas terminé, je m’adosse au siège, satisfaite et repue. Je regrettevraimentqueCarlosnesoitpaslàpourvivrecetteexpérience.Ilenmourrait,s’ilme voyait installée chez Lola… en face d’un garçon comme Tate — den’importe quel garçon, en fait. Si ce n’était pas grossier, je lui enverrais untexto:Tunedevinerasjamaisoùjesuis!Maisjem’abstiens.
Le serveur n’apporte pas d’addition ; il échange simplement un nouveauhochementdetêteentenduavecTate,pendantqu’ildébarrasselesassiettes.Ondiraitquec’estlaseuleformedecommunicationdanscetendroit.
Je repense au peu de choses que je sais au sujet de Tate, alors qu’il enconnaîtdéjàtantsurmoi.Ilesttempsd’égaliserlescore.
—Commejen’aipaslesmêmesressourcesquetoiàmadisposition,dis-je,reprenant son explication sur la manière dont il a obtenu mon numéro detéléphone,jevaisdevoirdécouvrirquituesàl’ancienne.
Montonestlégerettaquin,mais,l’espaced’uninstant,ilal’airmalàl’aise.Ilfroncelessourcils,commes’ilnecomprenaitpasoùjevoulaisenvenir.Alors,jeposelaquestionquimesemblelaplusimportanteetlaplusévidente:
—Quelâgeas-tu?Ilplisselesyeux,repliesaserviettedélicatementetlareplacesurlatable.—Dix-neufans.—Tuasdoncterminélelycée?—Enquelquesorte…Jen’étaispasdansunlycéetraditionnel.J’avaisdes
professeursparticuliers.Voyez-vousça!Maintenant,toutcommenceàavoirdusens.—Intéressant,dis-je,metapotantlementondudoigt,commesij’étaisune
journalisteentraindeconcocterunarticle.—Ahoui,tutrouves?répond-ilavecunsourirenarquois.Il n’est pas dupe, il comprend bien que j’essaie de lui soutirer des
informations.—Ettoi,tuasquelâge?Je répondsdebonnegrâce,mêmesi j’ai l’impressionqu’il connaîtdéjà la
réponse.—Jeviensd’avoirdix-huitans.TuastoujoursvécuàL.A.?—Pastoujours,depuisquelquesannéesseulement.Une femme à une table voisine pousse un cri aigu. Tate tressaille et se
redresseaussitôtpourbalayerduregardlerestaurant.Maislecrisemueenunlong rireetTate se réinstalle sur son siège, avantde reporter sonattention surmoi.
—Oùest-cequetuasgrandi?—DansleColorado.C’estuneréponseàlaquellejenem’attendaispas.Ilsembletellementdans
sonélémentici.Jepensaisqu’ilmentionneraitSanFranciscoouOrangeCounty,ou encore un endroit plus éloigné comme Seattle. Mais c’est difficile del’imaginerdansunendroitcommeleColorado,surtoutleColoradotelquejemelefigure,véritablepublicitépourlessportsd’hiver:pistesdeski,petitesvillesdemontagne,chocolatchaudàsiroterdevantunecheminéedepierreimmense.C’est sûrement exagéré,mais j’aime cette idée. Un paysage hivernal de cartepostale.
—Jen’aijamaisvulaneige,dis-je.Çadoitêtrebizarredevivreici,aprèsça.C’estdifficileàimaginer.
—C’estvrai.Maisje…j’avaisenquelquesortebesoindeveniricipourleboulot.
C’est lapremièrefoisqu’ilmentionnesontravail,et jepenchelatêtepourmieux l’observer. IlporteunT-shirtbasiqueencoton,mais legenredeT-shirtqui a l’air d’avoir coûté cher.De ces vêtements que vous achetez quand vousvoulez faire croire que vous vous fichez de votre garde-robe,mais qu’en faitnon.
—Tuesmusicien?Ilnerépondpastoutdesuiteetsesmainsseraidissentsurlatable.—Qu’est-cequitefaitpenserça?Jehausselesépaules.—C’estcequejemesuisditlapremièrefoisquejet’aivu.—Alors,tuaspenséàmoiaprèsnotrerencontre?Àlalueurdelabougie,sonvisageestcommeilluminé,sespommettesetla
lignedroitedesonnez,accentuées.Difficilepourmoideregarderailleurs.—Non,dis-je.C’estunmensonge,biensûr,maisiln’apasbesoindelesavoir.—Tuavaisl’allured’unmusicien.Tudégageaisunesorted’auraartistique.Je lui trouvecette attitudedécontractée typiquedesmusiciens, commes’il
composaitunechansondanssatêteetnevoulaitpasêtredérangé.—J’aiuneauraartistique?répète-t-il,unsourireauxlèvres.—Donc,tuesbienmusicien.Ilmegratified’ungrandsourire.—Bonboulot,détective!—Ehoui!Certainsd’entrenousn’ontpasbesoind’auxiliairespourfairele
boulotàleurplace.Onutilisesimplementnotreinstinct.Gêné,ildétourneleregard.Puisilsemordillelalèvreinférieureettapedes
doigtssurlabanquette.Jem’apprêteàluidemanderqueltypedemusicienilest—s’iljouedansungroupeouensolo,s’ilestchanteuroubatteur—,maisilsepencheenavant, lesyeuxpétillants, lescoudessur leborddela table,etparleavantmoi.
—Tuasdebonsinstincts,c’estnoté.Maintenant,àmontour.Ilm’observepar-dessuslatable,l’airdedéciderquellequestionpersonnelle
—etpotentiellementembarrassante,j’ensuissûre—ilpourraitbienmeposer.Jepinceleslèvres,essayantdenepassourireàlafaçondontilmeregarde.
—Jesaisquetuesenterminale.Quelssonttesprojetsaprèslelycée?Laquestionn’estpasaussiembarrassantequejelecraignais.Jeréponds,soulagée:—Stanford.Puisj’ajoute:—Sijesuisadmise.Etsij’ailesmoyensd’yaller.—Qu’est-cequetuveuxétudier?—Labiologie,jecrois.—Commentça«tucrois»?Jehausselesépaules.—Labiologieestunebonnespécialitésituveuxfairemédecine,etc’estce
quejecomptefaire.Lecursusadenombreuxprérequisencommunavecceuxdemédecine.
C’est exactement la même explication que j’ai donnée aux conseillersd’orientationdulycée.Jel’airépétéeàl’entretienpourmonstage,récitéedansmatêtemaintesfois,telunmantra.
C’estleplan.Sijelesuisàlalettre,j’aurailavieàlaquellej’aspire.Mais,contrairementauxconseillersetàmoncoordinateurdestage,Taten’a
pas l’air de me croire, comme si mon discours bien rodé n’arrivait pas à leconvaincrequejesaiscequejefaisdemavie.
— OK, dit-il, en haussant les sourcils. Après l’université, l’école demédecine?
—Oui.Probablement.Merde!Pourquoiest-cequej’ail’aird’hésiter?Pourquoi,assiseicienface
delui,ai-jeladésagréablesensationdenepassavoirdequoijeparle?—Tuastoujoursvouluêtremédecin?Plusilsouhaiteapprofondir,plusj’ail’impressionquecetteconversationva
mefaireperdrepied.— Pas forcément, je réponds avec honnêteté. Mais j’ai dû choisir une
orientationasseztôtpour…planifiermonavenir.Ce n’est pas la raison la plus glamour de faire un doctorat. Ce n’est pas
comme si j’avais grandi avec une passion pour la médecine, les sciences oul’ambitiondetrouverunnouveauvaccin.Maisj’aitoujourssuquej’avaisbesoind’unplanpournepasreproduireleserreursdesautresfemmesdelafamille.Etdevenir médecin semblait le choix de carrière le plus solide, celui qui nelaisseraitaucuneplaceauxdistractionsouaumoindrefauxpas.
Tatemeregardecommes’ilsentaitledoutequim’assaille.
—Est-cevraimentcequetuveux?demande-t-il.—Làn’estpaslaquestion.C’estcequejedoisfaire.Ils’adossedenouveauàsonsiègeetm’observe,laissantflottersesyeuxsur
monvisage.Entempsnormal,j’auraiseulesjouesbrûlantes,maislà,jemesensbiensoussonregard,commeprotégée.
—Ehbien…J’admiretadétermination.Jenesaisqu’ajouter.Jeluisourissimplementenretour,lerestedurestaurant
s’évanouissantenarrière-plan.Unflashenprovenancedel’autrecôtédelapiècemetbrutalementfinàce
moment.Quelqu’unvientdeprendreunephoto.Jejetteuncoupd’œilàlatableàcôté
delanôtre,aucoupletoujoursassislà,l’hommedanssoncostume-cravate.C’estpeut-êtrevraimentquelqu’undecélèbre.
Jecommenceàmepencherpourmieuxvoirsonvisage,quandTateselèvebrusquement.
—Prête?demande-t-il.Jenemelèvepastoutdesuite,pensantqu’ilvatendrelamaincommeill’a
fait quand nous sommes entrés. Mais il se contente d’attendre, le visageinexpressif.
—Euh…oui.Ilmeguidealorsdenouveauàtraverslacuisine.Lescommisetlesserveurs
s’interrompent pour nous regarder partir. Ruben, occupé à dresser plusieursassiettes,salueTated’unsignedelamain,etnousressortonsparlalourdeportemétallique.
Dehors, Tate ne nous ramène pas sur l’artère principale, mais continue,jusqu’àcequenousdébouchionssurlaruesuivante.
—Ilyaunglacieràquelquesruesd’ici,explique-t-il.Jeluijetteunregardperplexe.Cequilepréoccupaitquandnousavonsquitté
lerestaurantadisparu,etl’étincelleestderetourdanssesyeuxténébreux.Jedevraispolimentrefuser,luirappelerquej’aitenumapartdumarchéen
lui accordant ce rendez-vous. Jedevrais retourner àmavoiture et laisser cettenuit n’être qu’un bref souvenir ; la nuit où j’ai feint d’être quelqu’un d’autrependant quelques heures.Mais, malgré toutes les questions que je lui ai déjàposées, il y a quelque chose, chez lui, quim’intrigue etme donne envie d’ensavoirplus.
—Seulements’ilsontdusorbet,jerépondsfinalement.—Quelparfum?
—Citronvert.—Non.—Non,ilsn’enontpas?jedemande,confuse.— Non, tu plaisantes… Personne n’aime le sorbet au citron vert ! dit-il
d’unevoixplusincrédulequ’accusatrice.—Ehbien,moi,si!J’aiparléd’untonrevêche,défendantmonamourpourleparfumquipasse
tristementinaperçu.—Etjemefichedesavoirquilesait!Ilsouritensecouantlatête,commes’iln’enrevenaitpas.—Alors,tudoisêtrelaseuleautrepersonnedelaplanètequiaimeça.Jehausselessourcils,nesachantpass’ilmetaquineencore.—Jesuissérieux, reprend-ildevantmonexpression. Il semblequ’onétait
faitspourserencontrer.—Sansblague?Je lève les yeux au ciel, mais ne peuxm’empêcher de sourire. J’ai envie
d’appréciercesderniersmomentsaveclui,avantdedevoirluidireaurevoir.Lefeupassedurougeauvertetnoustraversonssurlepassagepiéton.L’air
estchaud.Despersonnesapprêtéespourunesoiréeenvilledescendentdestaxis,flânent sur les trottoirs.Puis, justedevantnous,unhommecriequelquechosed’une voix étouffée, et on entend le son perçant du verre qui se brise. Justecommeonpassedevantlaported’unbarmaléclairé,deuxhommesensortententitubant.Ilssontentraindesebattreetdes’insulterens’agrippantparlesT-shirts.Unefillecrie.
Jemetourneettoutarrivesirapidementquejen’aipasletempsderéagir.L’un des types me bouscule violemment, et je pars en arrière. Mes pieds sedérobentsousmoi,et jepercutequelquechosededur. Jemeretrouveplaquéecontre une voiture garée le long du trottoir. Les hommes nem’ontmême pasremarquée;ilscontinuentdesebagarrer,pendantqueleurscorpsm’écrasent.
—Hé!j’essaiedecrier,maismesmotssortentcommeunhalètement.J’essaiedelesrepousser,maisilssonttroplourds.J’entendsd’autresvoix:unefille,quileurhurled’arrêter.Puisunevoixplus
grave, familière—celledeTate.Toutescesvoixsemélangent,bourdonnentàmesoreilles.Jereçoisuncoupdecoudedanslementon;ladouleurestsoudaineet fulgurante. J’essaie de protéger mon visage d’un autre coup, quandbrusquementleurpoidsdisparaît.
J’aspireàgrandesboufféesettâtemonmenton,déjàenfléetdouloureux.
—Hé!rugitundesmecs.Jeclignedesyeux.Tate se tient entreeux, enmaintenant l’unpar lebras,
l’autreparleT-shirt.Desclientssortentdubarets’amassentsurletrottoirpourobserverlascène.
LesyeuxdeTatedévientfurtivementversmoi.Sesmusclessecontractenttandisqu’ilrepousseleplusgranddesdeuxhommesenarrière.Unefilleauxcheveuxnoirset raidesaccourt, ses talonshauts faisantunpetitbruit secsur le trottoir,tandisqu’ellerejointlegarçonqueTatetienttoujours.
—Lâche-le!hurle-t-elle,commesiTateétaitresponsable.Tatetoiseletypeduregard,lamainencoreagrippéeàsonbras,puisfinitpar
lerelâcher.—Salecon,dit-il.Le type secoue le bras, la mine renfrognée. Son œil droit est enflé et
commenceàdevenirviolacé.Unfiletdesangcouledesonnez.Lafilletendlamainverslui,dansl’intentionmanifested’essuyerlesang,maisill’écarted’ungeste.
—Tuteprendspourqui?lance-t-ilàTate.Lamusiqueassourdissantequiprovientdubarfaittremblerl’airchauddela
nuit.D’autrespersonnessortentencore,desbouteillesdebièreetdescigarettespasencorealluméesdanslesmains,espérantprobablementassisteràlabagarre.
—Hé,toi!ajouteletype.Jeteconnais!Tateneseretournepas.Iljouedescoudespourmerejoindre,tendlamain
vers moi… C’est alors que la fille aux cheveux noirs s’écrie : « Oh, monDieu!»
Tatetouchemonbrasdélicatementetexaminemonvisageàlarecherchedeblessures.
—Tuvasbien?demande-t-il.—Çava.Même si j’ai l’impression quemonmenton a déjà la taille d’une balle de
tennis.—Partonsd’ici,dit-ilaussitôt.Unemainluiagrippel’épaule;ilsedégaged’uncoupsec.—C’estbientoi,mec,ditletypeàl’œilenflé.Lafoules’avanceversnous,convergeantcommedesinsectes,s’agglutinant,
bourdonnant,vibrantavecdesmotsquejenepeuxdéchiffrer.Tateasoudainl’airdésespéré.—Charlotte,dit-il,justeassezfortpourquejel’entende.
—Qu’est-cequinevapas?jedemande,désorientée,jetantunœilverstouscesgensquiserapprochentdenous.
Quelqu’uncrie:«C’estlui!»Desflashséclatentautourdenous,mebrouillantlavue.Ensuite,j’entends,
aussiclairementqu’uneclochequisonneraitjusteàcôtédemonoreille:«TateCollins!»
Les voix se font aiguës, frénétiques. Les corps vibrent contre nous ; çapoussedetouslescôtés.
Tate parvient à m’attraper le bras, mais je suis engourdie, incapable debouger,decomprendrecequisepasse.
J’entendsencore:«TateCollins!»—Charlotte,répète-t-il,maissavoixseperdàmoitiédanslebrouhaha.Lesangbatàmestempesetl’airautourdemoiestsoudainépaisetcollant,
envahidemains,d’yeuxetd’éclatsdelumière.Tate Collins. Ce garçon super canon qui est passé plusieurs fois chez le
fleuriste, m’a apporté huit variétés de café, s’est procuré mon numéro deportableetm’afaitentrerendouceparlescuisinesdurestaurantleplussélectdelaville—évidemmentquecen’estpasungarçonordinaire!C’estTateCollins.
Meslèvresbougent,formantlenomquiasoudainungoûtamer.—Tate?J’essaie de repousser les images qui me viennent à l’esprit, le défilé de
reportages à la télévision, celui des photos dans les magazines à scandale deCarlos et sur son compte Instagram, placardées sur les bus et scotchées àl’intérieur des casiers des filles au lycée. Tate Collins, star de la pop, idole,sensationmusicalequipulvériselescharts,etsansdoutel’undeschanteurslespluscélèbres aumonde, se tient justedevantmoi, sesyeux sombres rivésauxmiens,suppliants.
Lafoulemepousse,m’éloignedelui,maisjem’enrendsàpeinecompte.Jenerésistepas.Jeregardecesmainsqui tirentsursesvêtements,cesdoigtssurson crâne rasé. Il baisse les yeux, fuyant les flashs qui explosent dans unecascadedeblancaveuglant.
Je recule d’un pas, puis d’un autre, la foule remplissant en quelquessecondesl’espaceoùjemetenais.JelanceundernierregardversTateavantdefairevolte-faceetdepartirencourant.
Chapitre5
Lelundi,l’airestchaudquandnousquittonslescoursàlafindelajournée.On se croirait au printemps, bien que ce soit presque l’hiver— non pas quel’hiveràL.Aveuillediregrand-chose.
—OnvaauLoneBeanboireuncafé?meproposeCarlos.—C’estparti!J’aiétésilencieuseaujourd’hui,etill’aremarqué.J’ignorepourquoijenelui
ai rienditpourTate.Peut-êtreparceque je suisembarrasséedem’être laisséealleretsurtoutaveclui.
Jene suispasune imbécile. Je saisqui estTateCollins.Tout lemonde lesait.Mêmesivousévitezlestabloïds,quevousn’écoutezpassamusiqueounesuivezpaslespotinsdestars,vousavezforcémententenduparlerdelui.Desondéfilé incessant de petites amiesmannequins ; de sa tournéemondiale durantlaquelle il aurait soi-disant fait la fête avec des membres de la haute sociétébritannique et se serait presque noyé en tombant d’un yacht près des côtesfrançaises,car ilétaitcomplètementdéfoncé ;comment il s’estbattudansuneboîtedenuit new-yorkaise et a été traîné auposte.Tout lemonde connaît cesdétailssordides.
Je connais Tate Collins, la légende. Alors comment ai-je pu ne pasreconnaîtreTateCollins,legarçon?Lesoiroùilestentréchezlefleuristepourlapremièrefois,j’aieulasensationtenacequ’ilmesemblaitfamilier—maisjen’enaipastenucompte.L’aiignorée.Aiestiméquecen’étaitrien.Etdirequejemesuisvantéeauprèsdeluidemesincroyablestalentsdedétective!
Pour ma défense, il avait l’air différent des photos que j’ai vues. La starstylée des gros titres ne ressemble pas du tout au Tate que j’ai rencontré. Sacoupedecheveuxcaractéristiqueadisparuetsesyeuxparaissentbeaucoupplusmornes.Commes’iln’avaitpasdormidepuisdeslustres.
Surlechemin,Carlosmedonneuncoupdecoude.—Qu’est-cequisepasse?Jevoisbienquequelquechosetepréoccupe.Impossibledeleberner.Jetournelatêtepourqu’ilnevoiepasmesyeux,ni
lapeinequiyaffleure.Cematin, avantdequitter lamaison, j’ai appliquéunecouche de maquillage sur mon menton pour cacher le bleu qui est apparurapidement. Il sevoit encoreunpeu. J’aiparléd’un incident chez le fleuriste,disant à grand-mère, Mia et Carlos que j’avais ouvert l’une des portes de lachambrefroidetropbrusquementauBloomRoometqu’ellem’avaitpercutélementon.J’aidétestémentir,maisilsonteul’airdemecroire.
—Jenet’aimêmepasvueàlapause-déjeuner,ajouteCarlos.—Jesais.Jesecouelatête.—Jesuisdésolée.Je suis restée assise dans ma voiture à me repasser les événements de
vendredisoir,jusqu’àcequej’entendelaclochesonner:ledînerchezLola,mabêtise, lorsquej’aiaffirméquejen’avais jamaisvudepersonnecélèbredemavie, alors que j’étais assise en face d’une des rock stars les plus célèbres aumonde.Pasétonnantqu’ilait trouvémonnumérode téléphone :quandiladitqu’ilavaitdesressources,ilneplaisantaitpas.
Les souvenirs tourbillonnent dansma tête, et les indices que j’aimanquésmesautentmaintenantauxyeux.Cettepremièresoirée,àlaboutique,lorsquejeluiaidemandésonnometqu’ilamarquéunepause,prisaudépourvu,commes’ilnepouvaitcroirequej’ignoraissonidentité.
Iladûmetrouversistupide!Toutcequej’aidit,touslescommentairessurmoninstinctprétendumentinfailliblequimesoufflaitqu’ilétaitmusicien…Ilabiendûsemarrer, intérieurement,deconstateràquelpoint j’étaisàcôtéde laplaque.Rienqued’ypenser,j’aienviederentrersousterre.Toutça,c’étaitunjeupourlui:voircombiendetempsçameprendraitpourdécouvrirlavéritéetensuite regarder l’embarrassepeindresurmonvisage.Rienqued’ypenser, jesuisfurieuse.Quiestassezcruelpourfaireça?
Jemerappelleunepériode,l’annéedernière—unvaguesouvenir…Toutesles filles du lycée étaient obsédées par le dernier potin sur lui. Des rumeurscirculaient,affirmantqu’illaissaittomberlamusique:plusdetournée,plusdesortied’album.Qu’ilenavaitterminé,maispourquoi?
Non,jem’enfiche.—Charlotte?Carlosmefixedesesyeuxnoisettedouxetrassurants.
—Je…j’aivucetype,vendredisoir.—Celuiquit’aenvoyélesfleurs?Ilestvenuàlaboutique?JemerevoisauBloomRoom,regardantTateàtraverslavitre,sontéléphone
àl’oreilleetsonexpressioncalculatrice.Puisjerepoussecetteimagedetoutesmesforces.
—Ilestpassétouslesjoursoùjetravaillais.Carlosclignedesyeuxdesurprise.—Sérieux?Ettunem’asriendit?—J’espéraisqu’ils’enirait.Jenevoulaispasfaireunemontagnederiendu
tout.Cen’estpasentièrementfaux.Jevoulaiseffectivementqu’ils’enaille,mais,
chaquefoisqu’ilpassaitlesportesdumagasin,jemerendaiscomptequej’avaisvraimentenviedelevoir.
—Ilm’aredemandédesortiravecluivendredi.Jemarqueunepause,prenantunerespiration.—Etj’aiditoui.—Tuasquoi?Une voiture passe, vitres baissées. Par une coïncidence cruelle, une des
chansonsdeTatesortdesenceintes.Jen’enconnaispasletitre,maislesparoles,oui:uneballade,unechansond’amourquiapoursujetdetomberamoureuxdequelqu’un qui est amoureux de quelqu’un d’autre. Sa voix grave, maintenantétrangementfamilière,meretournel’estomac.Commentnel’ai-jepasentendu?Chaquefoisqu’ilparlait,lavéritéétaitpourtantlà.
— Tu as eu un rencard ? Ton tout premier rencard ? Et c’est seulementmaintenantquej’enentendsparler?
LavoixdeCarloss’élève,mi-excitée,mi-accusatrice.Jefixelebétongris,lespetitscerclesplatsblancsetvertsdechewing-gum
colléssurletrottoir.—OnadînéchezLola.—Tu as dîné chezLola ? Pourquoi est-ce que tu nem’as pas envoyé de
texto ? Je serais venu et je t’aurais regardée à travers la vitre, complètementjaloux.
Pourluifaireplaisir,jemeforceàriredesablague.—C’estexactementpourçaquejenet’aipasprévenu.Monriresetransformeensoupir.—Maisçan’apasd’importance.Jenelereverraiplusjamais.Lefeupiétonpasseauvertetj’avancesansattendreCarlos.
—Quoi?Maispourquoi?Ilmecourtaprès,merattrapantàlamoitiédel’intersection.—Est-ce à cause de ta règle anti-flirt débile ?Ou est-ce qu’il s’est passé
quelquechose?Sonattentionestfocaliséesurmoietilmanquedepercuteruneblondedans
unebrassièredesportblanchequiporteuntapisdeyoga.—Jemesuistrompéeàsonsujet.Jesecouelatête,glissantledoigtsouslalanièredemonsacaccrochéàmon
épaulegauche.Jeneveuxpasluiavouerquej’aidînéavecTateCollins.Ilnemelaisserajamaistranquille.Ilvoudraexaminerchaquedétail;ilenparlerachaquefoisqu’ilenaural’occasion.Etcedontj’aibesoin,c’estdetoutoublier.
—Charlotte!dit-ild’untonbrusque.Jeclignedesyeuxverslui.—Est-cequeçava?Jesouffleunboncoup.—Oui,çava.Unevoitures’arrêtelelongdutrottoirprèsdenousetjelaregardependant
quelquessecondes, la têteailleurs.Puismoncœurfaitunbond :c’estcelledeTate.
J’essaiedevoir à l’intérieur,mais lesvitres sont teintées.Peut-êtrequecen’est pas lui… Je pense pourtant que si. La voiture est trop unique— noire,racéeetpresquesilencieuse—pourquecesoitunecoïncidence.Pourquoiest-cequ’ilmesuit?Jeveuxjustequ’ilmelaissetranquille.
JerecommenceàmarcheretCarlosm’emboîtelepas.Noussommespresquearrivésaucoffeeshop.Plusqu’unseulpâtédemaisons.
Nousnousarrêtonsàl’intersectionsuivanteetCarlossetournedemanièreàmeregarderdroitdanslesyeux.
—Ça n’a pas l’air d’aller, insiste-t-il d’un ton plein de sous-entendus. Ils’estpasséquoiexactement,vendredisoir?
Jepassemalanguesurmesdentsdedevant.—Ils’estpayématête.Voilàcequis’estpassé.J’évite soigneusementde regarder endirectionde la voiturequi nous suit,
tandisquenousremontonsHighlandAvenue.— Je suis contente de m’en être aperçue assez vite. C’était une perte de
temps,detoutefaçon.—Jesuisdésolé,Charlotte.
Ilm’entouredeseslongsbrasfins.Jepresselajouecontreladouceflanelledesachemiseetsonodeurfamilière,mentholéeetsucréecommeduchewing-gum,m’apaise.
—Mais ne fais pas une croix sur tous les mecs pour autant. Il en restequelques-unsdebien.
— Je pense que tu es le dernier, dis-je, levant la tête pour lui offrirmonpremier sourire sincère de la journée.Et,malheureusement, je ne suis pas tongenre.
—Désolé.Situl’étais,jetetraiteraiscommeunedéesse.—C’estdéjàlecas.Ilembrasselehautdelatête.Jem’écarte,maisCarlosgarde lebrasautourdemesépaules,mepressant
contreluipourquenousmarchionsd’unmêmepas.NousarrivonsauLoneBean,unpetitcoffeeshopdécorédevieillesphotos
en noir et blanc d’acteurs hollywoodiens des années 1920 et 1930. Commed’habitude,ilestremplidepersonnesentraindetravaillersurleursordinateursportables, et quelques camarades de lycée qui ont été plus rapides que nous.Nous commandons nos boissons habituelles et un scone aux myrtilles à separtager,puistrouvonsunetabledisponibleenterrasse.Malgrémoi,jerepenseàTate:salivraison-surprisedecafélasemainedernière,lamanièredécontractéedont il est entré dans la boutique, tenant en équilibre deux porte-gobelets deboissons brûlantes, et reparti avec lamême nonchalance. Comme si c’était laroutine,commesij’étaisladernièrefilleàtomberdanslepanneau.
Carlossortsondevoird’histoireaméricaineetcommenceàrâleràproposducontrôle qu’ils ont eu aujourd’hui, car il ne se rappelle pas avoir étudié ça encours. Je lui suis reconnaissante d’avoir changé de sujet. Ça m’empêche depenseràTate.Maisjesuisincapabledemeconcentrersurcequ’ildit.Quandilselèvepourallerauxtoilettes,jejetteuncoupd’œilverslarue:lavoitureesttoujourslà,prèsdutrottoir.
Je baisse la tête et serre la mâchoire, puis m’autorise à l’observer unmoment.Jesaisquec’estlasienne—àquid’autrepourrait-elleappartenir?S’ils’attendàcequejevienneluiparler,ilvaêtredéçu!Encequimeconcerne,ilpeutresterlàtoutelajournée.Jem’enfiche.
Mais alors la portière côté conducteur s’ouvre etTate sort. Il est vraimentcanonderrièreseslunettesdesoleilfoncéesetsonjeangris,cen’estpasjuste!
Jenel’aiencorejamaisvuenpleinjouretjedéglutisavecpeine,abasourdie.Sa beauté est encore plus saisissante, chacun de ses traits mis en valeur : le
contourdesonvisage,salargecarrurequisedessinesoussachemiseblanche.Jepeuxmêmeapercevoirunebandedepeau,d’abdosdurs,àl’endroitoùlebasdesachemiseremonteau-dessusdesaceinture,avantdeseremettreenplace.J’enailesoufflecoupé.
Son regard se pose sur moi, et il avance à grandes enjambées dans madirection.
Je ne veux pas lui parler. Je n’en ai pas envie. Pourquoi refuse-t-il demelaissertranquille?
Jenefaisaucungesteetlefixeavecintensité,espérantqu’ilferademi-touretretourneraàsavoiture.Maisils’approchetoujours,etmoncœurcommenceàs’emballer dansma poitrine. L’espace diminue entre nous, jusqu’à ce qu’il setienne justedevantmoi.Je jetteuncoupd’œilauxpersonnesassisesàcôtédemoi.Quelques-unesleregardentsûrement,carsabeautépeutdifficilementêtreignorée.Mêmes’ilsneréalisentpasencorequiilest,jesais,aprèsl’épisodedevendredi soir, que c’est une question de minutes avant que quelqu’un lereconnaisse.C’estunmiraclequ’onaitpufinirnotredînerchezLolasansêtredérangés.
—Charlotte…,dit-ilàvoixbasse.Maisjelèveunemain.—Non,arrête.—Laisse-moit’expliquer.—Tun’aspasbesoindem’expliquerquoiquecesoit.J’aicompris.—Jenecroispas,non…Ilserapproched’unpas ; jemetassesurmonsiège,creusant l’écartentre
nous.Sesyeuxinspectentmonvisage,commes’ilcherchaitquelquechose,puiss’arrêtentsurmonmenton.
—Çadatedevendredi?—C’estjusteunbleu,jerépondsfroidement.Cen’estvraiment rien,comparéausentimentde trahisonquinemequitte
pas,maisjeneveuxpasqu’ilsachequ’ilalepouvoirdemeblesser.—Jevaisbien.Ilexpireprofondément,réalisantquejenevaispasluirendrelatâchefacile.
Jeveuxqu’ils’enaille.— Viens faire un tour en voiture avec moi. Laisse-moi une chance de
m’expliquer.—Jesuisoccupée.
Je baisse les yeux sur mon manuel scolaire. Mes mains, serrées sur mesgenouxsouslatable,s’agitentnerveusement.
—Tuesavecquelqu’un,là?Il nous a vusmarcher jusqu’ici ; il a vuCarlosm’enlacer et embrasser le
hautdematête.Ilesttendu.—Qu’est-cequeçapeutbientefaire?Cen’estpascommesijecomptais
assezpourquetumedisesquituesvraiment.Sesépaulesseraidissent.—Jen’avaispas l’intentionde tementir.Maiscen’estpas l’endroitpour
avoircetteconversation.Est-cequejepeuxpasserteprendre,plustard?Lesvoixautourdenoussefontplusaiguës,lesmurmuresplusinsistants.Ehoui, vous ne rêvez pas. TateCollins, le seul, le vrai, se tient devant le
LoneBean,échouantlamentablementàprésentersesexcuses.—Jetravaille,cesoir,dis-jesèchement.Detoutefaçon,jen’irainullepart
avectoi.Jemesensbouillirdecolère.Il regardeà sagauche,où trois filles installéesàune tablevoisine sonten
traindeledévisager.—Dis-moijusteunechose.Cemec,ilcomptepourtoi?Jedesserrelesmainsdesouslatableetsoupire.—Ilsetrouvequeoui.C’estCarlos.Ilal’airsoulagé.Maisjeneveuxpasqu’ilsesentesoulagé…Jeveuxqu’il
sesentecommemoi,trahieethumiliée.Jeveuxqu’ilsachelerisquequej’aiprisenacceptantsonrendez-vous,alorsqueluim’amenti,m’adonnél’impressionden’êtrequ’unamusementdeplus.
Seulement,toutcequisort,c’est:—Jeneveuxplusjamaistevoir.Ilsepasselamainsurlanuque.Seslèvress’entrouvrent,àlarecherchede
motsquineviennentpas.J’essaie de rester demarbre devant la manière séduisante dont il serre la
mâchoire,dontsasilhouettesedécoupesurl’horizonbleu,derrièrelui.Ilyaenlui quelque chose—quelque chosede captivant, de séduisantmême—,maisj’interdisàmespenséesdeglissersurceterrain-là.Parcequec’estunmenteur.Ilm’adupée,etjeneveuxplusjamaislerevoir.
Sansunautremot,ilfaitdemi-touretretourneàsavoiture.Sonabsenceestpalpable,l’espaceoùils’esttenuparaîtvide.Deuxdesfilles,àlatableàcôté,bondissent et s’élancent derrière lui en criant sonnom.Mais ilmonte dans sa
voiture sans se retourner.Elles restent surplaceunmoment, déçues, puis fontdemi-tour.
Enfoiré. Mais une petite partie de moi ne peut pas s’empêcher de sedemandercequ’ilauraitdit,sijel’avaislaisséparler,sijel’avaissuivi.
Carlosrevientquelquesinstantsplustard.—Qu’est-cequej’aimanqué?—Absolumentrien!J’ouvre d’une chiquenaudemonmanuel de français et baisse la tête pour
masquer mon visage. Carlos remarquerait, sinon, que je lui cache quelquechose:ilmeconnaîttropbien.
—Faisonsnosdevoirsavantquejeparteautravail.Ilselaissetomberàcôtédemoietsortunstylodesonsacàdos.—C’estparti!Tandisqu’onétudie,jesensquelefan-clubimpromptudeTatemedévisage
avec curiosité.Mais je ne regarde pas dans leur direction. J’essaie de ne paspenseràlui.Peineperdue.Alors,jedisàCarlosquejereviensetmedirigeverslestoilettes.
Quandj’entre,lapièceestvide.Maisquandjesorsdelacabine,unefillesetientdevant le lavabo.L’eaucoule,mais,au lieudese laver lesmains,elle seregardedanslemiroir.Audébut,jepensequec’estl’unedesfillesquiontsuiviTate,mais je réaliseviteque jene l’ai jamaisvueavant.Elle lève lesyeuxetpivote pour me regarder. Elle porte un sweat-shirt et un jean noirs — trèsgothique—etsescheveuxfoncéssontcoupésaucarré,justesoussonmenton.Elle est jolie, la peaupâle avecquelques tachesde rousseur sur le nez. Jemedemande si elle est rousse au naturel, et s’est teint les cheveux en noir pourl’effetgothique.
Jesourispolimentetpassedevantellepourrejoindre les lavabos.Ellesuitmonmouvement du regard comme si elleme connaissait.Le robinet s’allumeautomatiquementquandjepasselesmainsdessous,etl’eaucoule,fraîche,entremesdoigts.
—Ne t’approche plus de lui,murmure-t-elle soudainement, son refletmefixantàtraverslemiroir.
—Pardon?Sabouches’affaisse.—Prendsçacommeunegentillemiseengarde.Je regarde furtivement vers la porte. J’entends des voix, mais personne
n’entre.
—Dequoiest-cequetuparles?J’ailasensationdésagréablequejelesaisdéjà.Elle faitunpasversmoi, commesielleessayaitdeme jauger,de se faire
uneidéeàmonsujet.Jereculecontrelecomptoir,lesmainsagrippéesaurebord.— Dans ton propre intérêt, reste loin de Tate Collins, répète-t-elle, sans
ciller.J’ai l’impression qu’elle va ajouter autre chose,mais la porte des toilettes
s’ouvreetlesdeuxgroupiesentrentenbavardantbruyamment.Lafillegothiquetressailleetseraidit.Jem’apprêteà luirépondre,maiselleseprécipitevers lasortieetsefaufileavantquelaportenesereferme.
Merde,c’étaitquoi,ça?J’inspireungrandcoup.L’unedesgroupiesmejetteunregardappuyé.On
dirait qu’elle veut me demander quelque chose, mais j’ai eu ma dose dediscussions-surprises.Jemedirigeverslaporte,l’entrebâilleetbalaielecoffeeshopduregard.Lafilleestpartie,lavoieestlibre.
Dehors,Carlosoffresonvisageauxrayonsdusoleilquipercentàtraverslesarbres.
Ilouvreunœilpourmeregarder.—T’estombéedansletrou?Heureusement, pendant mon absence, il ne semble pas avoir entendu les
discussionsdestablesvoisinesàproposdelarécenteapparitiondeTateCollins.Jem’affalesurmachaise.
Je devrais lui parler de la fille gothique. Mais je serais alors obligéed’admettrequejesuissortieavecTateCollins,etjenesuispasprêteàrevivrecettehumiliation.Detoutemanière, jen’auraiaucunmalàsuivresa«gentillemiseengarde».Jecompteresterloin,trèsloindeTate.Jeveuxlaissertoutçaderrièremoi.
Jeveuxoublierquelasemainedernièreaexisté.
Chapitre6
Jenetrouvepasdeplacedeparkingprochedelaboutiquedefleurs,alorsjecourssurcinqpâtésdemaisons,monsaccognantcontremescôtes.JesaisqueHollyneserapasfâchéedemonretard—çan’arrivepresquejamais—,maisjemesensquandmêmemalde l’avoir fait attendrepresqueunedemi-heure.Marencontre avec la fille gothique m’a ébranlée, je me suis retrouvée ensuitebloquéesurunproblèmedeconjugaisonetj’aiperdulanotiondutemps.Carlosetmoi sommes retournés au lycée à pied, puisma vieilleVolvo— un tas deferraillequej’aiachetél’annéedernièrepoursixcentsdollarsavecl’argentquej’ai économisé en travaillant au Bloom Room— a refusé de démarrer. Noussommesrestésvingtminutessurleparkingdesélèves,lemoteursifflantchaquefoisquej’essayaisdelemettreenroute,jusqu’àcequ’ilgrognefinalementetsedécide.Vraimentpasmonjour!
—Désolée,dis-jeenouvrant laporte,essouffléeet transpiranteaprèsmonsprint.
Puisjem’arrêtebrusquement,choquéeparcequejedécouvre.—C’estincroyable,non?s’exclameHolly.Elleestassisederrièrelecomptoir,sonvisageenformedecœuréclairépar
la douce lumière bleue de l’écran de l’ordinateur, ses cheveux blond foncécoiffésenqueue-de-cheval.Jenerépondspas.Jenepeuxpas.
Mesyeuxpassentenrevuelaboutique,lesprésentoirsetlesétagèresvides,alorsqu’ilssontd’habitudechargésdebouquets.Seulsrestentquelquespétalesetquelquesfeuillesabîmées,disperséssurlesol.
—Onaétécambriolés?jedemande,abasourdie.—Non. Il a acheté tout lemagasin ! annonce-t-elle gaiement. Jusqu’à la
dernièrefleur.
Je laisse laporteserefermerderrièremoi, laclochecarillonnantau-dessusdemoi.
—Quiça?Jeposelaquestion,mêmesijepenseavoirdevinélaréponse.—Tate Collins, le chanteur, répliqueHolly, visiblement folle de joie, ses
yeuxbleus écarquillésde stupéfaction. Il a appelé il y auneheure, adit qu’ilvoulaitfairelivrertoutcequecontenaitlemagasinàl’hôpitalpourenfants,surWilshire.Lescamionsdelivraisonviennentdepartir.
Un sourire jusqu’aux oreilles, elle lève les mains en l’air et les laisseretombercontresescuisses.
— Je n’ai pas tout compris, mais ça a fait notre quota du mois. J’allaist’appeler, seulement,çaaétéun tel tourbillon…Excuse-moi.Ducoup,onn’aplusrienàvendre.J’espèrequ’unpeudestocknousseraexpédiédanslanuit,autrement,ilsepeutqu’onsoitfermédemain,aussi.Net’inquiètepas,tuserasquandmêmepayéepourtesheures.
Jehochelatêted’unairhébété.Jen’arrivepasàcroirequ’ilaitfaitça.Est-cequ’ils’imaginequ’ilpeutachetermonpardon?
Laportederrièremoicarillonneànouveau,tandisquequelqu’unentre.—Excusez-moidevousinterrompre.VousdevezêtreHolly,lapatronnede
Charlotte?Je pivote. Tate se tient à l’entrée, lesmains dans les poches. Il porte une
chemise gris foncé qu’il a boutonnée et dont les manches sont partiellementretroussées,etunjeanbrut.C’estplusjoliquesatenueducoffeeshopdetoutàl’heure,etçaluivabien.Trèsbien.
Holly se lève brusquement, faisant tomber un morceau de papier au sol.L’incrédulitéselitsursonvisage.
—Oui,répond-elled’unevoixplusaiguëqued’habitude.C’estmoi.Etvousêtes…
Elles’éclaircitlavoix.—…VousêtesTateCollins.—Merci d’avoir fait livrer toutes ces fleurs aussi rapidement, poursuit-il
d’unevoixsuave.Sesyeuxdériventbrièvementversmoietjeluilanceunregardfurieux,pas
amuséedutoutparcequ’ilessaiedefaire.—Pasdeproblème,répond-elle.Hollyécarquillelesyeuxetmeregardecommesielleessayaitdejaugerma
réaction, comme si je ne me rendais pas compte de qui se trouvait dans la
boutiqueavecnous.— J’espérais pouvoir vous emprunter Charlotte pour la soirée, si vous
n’avezpasbesoind’elle,biensûr…Ilsecroitprobablementtrèsintelligentdemeforceràprendremasoirée,en
ayant acheté toute la boutique. Comme si c’était un grand geste romantique.Encoreunautredesesjeuxstupides.Mapoitrineseserre,monirritationenfle.J’aienviedehurler.
—Elleesttoutàvous,répondHolly.— Non, dis-je sèchement, pivotant pour lui faire face. Tu ne peux pas
m’emprunter.Jenesuispasunechosequ’onemprunte!Ilsetourneversmoipourmefixerdroitdanslesyeux,etl’intensitédeson
regardmetransperce.— Ce n’est pas ce que je voulais dire, Charlotte. J’ai juste besoin de
m’expliquer.J’aibesoinquetusachesquejenet’aipasmenti.—Jem’enfiche…Maisma voix faiblit en unmurmure. Je jette un coup d’œil àHolly. Elle
nousdévisage,bouchebée.—Va-t’en!Ilmefixeetjevoisuneombrepassersursonvisage.Iln’aprobablementpas
l’habitudequ’onluidisenon.—D’accord,cède-t-ilfinalement.Jesuisdésolé.Jenet’embêteraiplus.Ilme lance un dernier regard avant de se retourner et de ressortir dans la
lumièredujourdéclinant,lesoleildisparaissantàl’horizon.Je me force à bouger, et je marche jusqu’au comptoir, où Holly se tient
toujoursfigée.— Est-ce que j’ai raté quelque chose ? demande-t-elle. Est-ce que Tate
Collinsvientjustedet’inviteràsortir?Jesecouelatête.—C’étaitplutôtunordre.—Ettuluiasditnon?OndiraitCarlos.—Çafaitplusd’unesemainequ’ilvientici,dis-je,toutenayantconscience
queçan’estpasuneréponse.—Attends…Legarçonmystère,c’estlui?Celuiquit’aenvoyélesroses?Jevoislemomentoùledéclicsefaitdanssonesprit.—L’inconnulouchequim’asuivieetm’aembarrasséedevantlaclasseen
mefaisantlivrerdesfleurs?Ouais,c’estlui.
Ellesedécontractesoudain.—OK,alorsques’est-ilpassé,pourquetuledétestesautant?J’évitesonregard.—Jesuissortieavecluivendredisoir,toutensachantquec’étaituneerreur,
etilm’amenti.Ilnem’apasditquiilétait.Jesuispasséepouruneimbécile.Holly lève lesmains,etsesbraceletsenargentornésdebreloquesglissent
sursesavant-bras.—Attends,attends…Ralentis.Tuessortieavecluiettunesavaispasqu’il
étaitTateCollins?—Ouais,bon…Jegrimace.—Jenel’aipas…reconnu.—Arrête-moisi jemetrompe:etc’estpourçaquetuneveuxplussortir
aveclui,parcequ’ilnet’apasditdèsledébutquiilétait,alorsquepresquetoutel’Amérique—non,lemondeentier—l’auraitreconnuinstantanément?
—C’estsûrqueprésentécommeça…Jesorslebalaiduplacard,etcommenceàrassemblerlesfeuilleséparpillées
ausol.Jemesensmaltoutàcoup.J’ail’estomacnoué.Hollyfaitclaquersalangueensignededésapprobation.— Charlotte… Il est probablement tellement habitué à ce que les filles
tombentàsespiedsquetonattitudeadûluiparaîtrerafraîchissante.—Oui,peut-être.Saréactionquandilestentrédanslaboutiquelapremièrefoismerevienten
mémoire. Il me regardait comme s’il attendait quelque chose, que je lereconnaisse, sans doute.Mais cemoment n’est jamais arrivé. Il a continué devenirmevoir ; ilacontinuédetrouverdesraisonsdepassercetteporte.Peut-êtrequeHollyavujuste.
—Maisçan’aaucuneimportance,dis-je.C’estterminé.Sesmotsrepassentenboucledansmonesprit:«Jenet’embêteraiplus.»—Est-cequ’ilteplaît?Jepinceleslèvres,taisantlavérité.—Non.Enfin…jenesaispas.Hollysepencheenavantcontrelecomptoir.—Lui,en toutcas,a l’airdebeaucoup t’apprécier. Ilaacheté laboutique
justepourpasserunesoiréeavectoi,pourl’amourduciel!Jesaisquetuasdesrèglesstrictesausujetdesgarçons,maistuesunefilleintelligente,Charlotte,ettuastoujoursétésiresponsable.N’aiepaspeurdetelâcherunpeu.
Ellesourit,faisantapparaîtrelesfinesridulesautourdesesyeux.—Luias-tudemandédes’éloignerparcequ’ilneteplaîtpasouparcequetu
aspeurqu’ilteplaise?Pose-toisincèrementlaquestion.Un sentiment nouveau grandit en moi, comme s’il avait eu besoin de la
permission de Holly pour se manifester. Ce n’est pas de la colère, cette fois,mêmesij’essaiedem’yraccrocher.Ilyacessensations,lorsquejesuisprèsdelui, celles des papillons dansmon ventre. Il y a la façon dont il me regarde,comme s’il me voyait vraiment ; la façon dont il m’écoute, quand je parle,semblantpresséd’entendreleprochainmotquisortirademabouche.
—Bon,c’estvrai…Peut-êtrequ’ilmeplaît.Ellefaitunsignedetêteverslaporte.—Iln’estpastroptard.Savoitureesttoujoursdehors.Jemetourne.Lasilhouettedesavoiturenoireauxlignesépuréessedessine
danslarue,lespharestoujoursallumés.J’hésite.—Fonce,mepresseHolly.Laisse-les’expliquer,etensuitedécidesituveux
lerevoirounon.Je souris etpassederrière le comptoirpour l’enlacer.Puis je coursvers la
porte.—Appelle-moisituasbesoindequoiquecesoit!crie-t-elle.Lemoteurest en trainde ronronner.Sans réfléchir, jemeplantedevant la
voiture.Jemeretrouvebaignéeparlalumièrebleutéedesphares,etdiscernelasilhouette deTate sur le siège conducteur, à travers les vitres teintées. J’ai unmoment d’hésitation. Jeme rappelle la fille gothique et samise en garde ; jeprendsconsciencedecequejesuissurlepointdefaire,puisdécidedeneplusypenser.Peut-êtrequejesuisfolle,maisjeveuxentendrecequ’ilaàmedire.
J’ouvrelaportièrecôtépassageretm’installesurlesiège,maisjenesuispasencore assez courageuse pour le regarder, lui. L’intérieur de cuir noir estimpeccable :pasd’emballagesdefast-foodoudebasketssales,mêmepasunebouteilled’eauquitraîne.
Jeretiensmonsouffle.Ilattendquejeparle.—Demande-le-moiencore,dis-jeaprèsquelquessecondes.Puisjelèvelesyeuxverslui.Sonexpressionmecoupelesouffle.—Tedemanderquoi?Sonregardperçantrendtoutepenséecohérentedifficile.—Redemande-moidesortiravectoi.Undébutdesouriresedessinesurseslèvres.—Veux-tusortiravecmoi,Charlotte?
—Oui.Cettefois,lemotvientfacilement.Ilsepenche,attrapemaceintureetl’attache.Sesdoigtsfrôlentmesbrasetle
sangbatàmestempes.J’enfaisabstractionetregardedroitdevantmoi.—Jeveuxtoujourssavoirpourquoitunem’aspasditlavérité.Alors,nete
croispastiréd’affaire.J’aibesoind’uneexplication.—Tuenaurasune,m’assure-t-il.Unsourirenaissantluirelèvelecoindelabouche;ilfaitvrombirlemoteur.—Oùest-cequ’onva?—Chezmoi.Ilpasselapremière,relâchel’embrayage.Lavoituredémarreentrombeet
remonteSunsetBoulevardendirectiondunord.Tateconduitavecassurance,demanière agressive,mais, loin d’être effrayée, je souris, tandis qu’on gravit lescollines d’Hollywood. Puis, tout à coup, la voiture tourne dans une allée etralentitdevantunegrille.Tateappuiesurunboutonsurletableaudebordetlesbattantss’ouvrentautomatiquement.
L’allée serpente en descente, puis sa maison apparaît derrière unenchevêtrement d’arbres majestueux. Je me penche en avant, retenant un crid’exclamation.Delapierre,dubéton,desbaiesvitréessurtroisétages,etuntoitquis’étireverslecielcommes’ilpouvaitatteindrelesfinestraînéesdenuagesdansl’obscurité.
Tatetraversel’alléecirculaireets’arrêteprèsdeportesd’entréeimposantesenmétal.Jeluijetteunregardabasourdi,maisilestdéjàdescendudevoiture.Ilvientm’ouvrirlaportièreetmeprendlamainpourm’aideràsortir.Lachaleurde sesdoigtsprovoqueunevaguede frissons. Il y aquelques jours seulementque nous nous sommes tenu la main, mais j’ai l’impression que ça fait uneéternité.
—Tuvislàtoutseul?Nousremontonsl’alléedegravierblanc.—Ouais.Avant, il y avait d’autres personnes…Maintenant, il n’y a plus
queHank,maisilvitdansladépendance.—C’estqui,Hank?Commes’ilnousavaitentendus,unhommed’unecarrure impressionnante
ouvreengrandlaported’entrée.—Quoideneuf,T.?dit-il,tendantlamainettapantsonpoingcontrecelui
deTate.
Hankestgrandetmassif,ilalecrâneraséetuncouaussilargequ’untroncd’arbre.Maissonsourireestdécontractéetaimable.
—Charlotte,voiciHank,mongardeducorps.—Saufque,dernièrement,T.aprisl’habitudedequitterlamaisonsansmoi,
souligneHank enme regardant. Il a dit qu’il voulait passer inaperçu et qu’ungardeducorpsattirait trop l’attention. Je soupçonnequeçaaquelquechoseàvoiravectoi.
Sonsourireatténuelasévéritédesesparoles,etilmefaitunbaisemain.—VoicidonccetteCharlottequitorturemongarçon…C’estbienquetune
luirendespasleschosesfaciles.Çaluifaitdubiend’avoirlespiedssurterre,detempsentemps.
Jelèvelatêteetluisouris,essayantdenepasm’appesantirsurlefaitquejeconnaisquelqu’unquiasongardeducorpsattitré.
—Jefaisdemonmieux.—Arrêtezdeconspirercontremoi,touslesdeux!ditTate,entirantsurma
main.—Tuasfinipourlasoirée,T.?demandeHank,commenousentronsdansla
maison.Tatemeregarde.—Jecrois,ouais.—Danscecas,jevaismettrelavoitureaugarage.Préviens-moisituenas
besoinplustard.—Merci,Hank.—Çaaétéunplaisirdeterencontrer,Charlotte.—Pourmoiaussi.Hank sort et ferme la porte derrière lui. Je regarde autour demoi et suis
stupéfaite devant l’étendue de la maison. Je me croirais dans un musée d’artmoderne.Lesfenêtresvontdusolauplafond,ettoutelapièceestbaignéed’unedoucelumièredoréequisemblejaillirdesmurseux-mêmes.
Nous traversons lesalon,oùun largepianoblanc,dansuncoin,brille tantqu’ilreflètelalumièreduplafonnier.Toutestpropre,immaculé,parfait.Presquetropparfait.Iln’yapasdephotosdefamilleoud’amissouscadre,aucunsignequecettemaisonsoitvraimenthabitée.
Des albums or et platine sont accrochés aumur— les titres de ses tubesgravéssouschacund’eux.C’estsurréaliste.Etlaréalitémefrappeànouveau.
JesuisdanslamaisondeTateCollins.
Chapitre7
Ilyaplusd’albumsquejenepeuxencompter,etjevoudraisl’interrogeràleursujet,maisTatepassedevantsansmêmeleuraccorderunregard.Lesbaiesvitréesdonnentsurunepiscineàdébordementetrévèlentundéniveléabruptetunevuepanoramique.
—Tuasfaim?Jen’aipasgrand-chosedanslacuisine,peut-êtrequelquesrestesdepizza,oualorsonpourraitcommanderquelquechose…
—Non,çava.Jen’aipastrèsfaim.Jesuistoujoursméfianteàsonsujet,surmesgardes.Le
seulfaitd’êtreprèsdeluiaccélèremonrythmecardiaque.—Est-cequ’onpeutallerdehors?jedemande,attiréeparlespâleslumières
scintillantesdelapiscine.Jen’aijamaismislespiedsdansunaussibelendroit.Iltouchel’unedesportes,quicommenceàserepliercommeunaccordéon,
ouvrantentièrement le salonsur lapelouse. Instantanément, l’odeurde l’herbefraîchementtondueembaumel’air.Lalonguepiscinerectangulaires’étiredevantnous,illuminéed’unbleuvibrant.Au-delàs’étendunelargeétenduedepelouseavecvueépoustouflantesurl’horizon—lemondeentiercommesuspendudansladistance.
Tatemeconduitàl’extrémitédelapelouseetjem’assiedsentailleuràcôtédelui,tropadmirativepourprotesterquandilmeprendlamain.Nousrestonsàcontempler le flanc de colline qui révèle l’étendue infinie de lumièresscintillantesdeLosAngeles,loin,encontrebas.Lavilleal’airspectaculairevued’ici,commeunpaysagedecontedeféesquis’étirejusqu’ausombreocéan.
—Onfinitpars’yhabituer,dit-il,commes’illisaitdansmespensées.—Jenecroispasquejem’yhabituerais.Toutal’airsidifférent,vud’ici.—C’estjusteuneillusion.
Ilétendlesjambesdevantlui.—Deloin,toutparaîtbeau.Je détourne les yeux de l’horizon et observe son visage. Il semble en
permanencesur sesgardes, lamâchoire serrée. Je retiremamain,passantmespaumessurlesbrinsd’herbe.
—Pourquoi?dis-jedoucement.—Pourquoiquoi?J’enfoncelesdoigtsdanslapelouse,sentant la terre légèrementhumideen
dessous.—Pourquoiest-cequetunem’aspasditquituétais?Son air se fait pensif ; il observe les lumières de la ville pendant un long
momentavantderépondre.—Jet’aivue.—Vue?—Lepremiersoir.Danslaboutique.C’estpourçaquejesuisentré,parce
quejet’avaisremarquéeàtraverslavitrine.Ilsepasselalanguesurleslèvres.—Tu écoutais de lamusique sur ton téléphone, tu chantais et tu dansais,
couvertedepaillettes.Sesyeuxseposentsurmesmainsquifourragenttoujoursdansl’herbe.— Tu étais si heureuse, si belle ! Tu n’avais presque pas l’air réelle
—commesituétaislefruitdemonimagination.Ses mots sont des étincelles embrasant l’air entre nous. Personne ne m’a
jamaisrienditdetelet,mêmes’ilraconteçaàtouteslesfillesqu’ilramènechezlui, jeme sensparcouruedepetitesdécharges électriquesquiondulent surmapeau.
—Jen’avaispasbesoind’acheterdesfleurs.Jevoulaissimplementteparler.Etquandj’airéaliséquetuignoraisquij’étais,j’aiétéprisaudépourvu.
Ilfroncelégèrementlessourcils.—Alors j’aimenti,et j’aiditque jevoulaisacheterdes fleurs.Maiselles
t’onttoujoursétédestinées.Jemefrottelesgenoux,essayantdemasquermaréactionàsesmots,deme
donnerunecontenance.—Aprèsça,j’aieuenviedeterevoir,poursuit-il.Tu…m’intriguais.Jene
me rappellepas ladernière foisque j’ai rencontréquelqu’unqui ignoraitmonidentité.
Ilalagrâcedeparaîtreunpeugêné.
—Tum’asinvitéeàsortiravectoiuniquementparcequejenet’avaispasreconnu?
Je parle demanière brusque exprès, pour essayer de casser la tension quigranditentrenous.
—Non,pasuniquement.Jesenssonregardsurmoi,maisjerefusedetournerlatête.Jenemefaispas
confiance.—Ilyavaitquelquechosecheztoi…Ilyaquelquechose…J’ignorecequ’ilveutdireexactementetmonfrontseplisse.Maisjenele
regardetoujourspas.—Tun’avaispasbesoindementir.Le souvenir de ce fameux vendredi soir, avec les paparazzis, la foule qui
poussait et nous encerclait, me noue l’estomac. Je me suis sentie tellementstupide!Et,mêmesinousn’avionseuqu’unseulrencard,complètementtrahie.
—Jen’aipasmenti,dit-il.En fait, il a raison. Il nem’a pas donné de faux nom, nem’a pas dit de
choses qui n’étaient pas vraies à son sujet. J’ai tout de même l’impressiond’avoirétémanipulée.
—Jevoulaissavoirsituaccepteraisunrendez-vous,mêmeenignorantquij’étais.
—Alors,c’étaituntest?—Non.Ilsecouelatête,etjesenssesyeuxglissersurmoi,surmespommettes,mes
cheveuxquitombentsurmanuque,meslèvres.—Jesuiscurieuxdetoi.—Tunedevraispas.Jenesuispassiintéressantequeça.—Jepensequesi.Jeveuxensavoirplussurtoi.Unseulrendez-vousn’était
passuffisant.Je ne réponds pas. J’en suis incapable. J’ai déjà du mal à respirer
normalement. Ilmeprendlamain, laporteàses lèvres.Jefrémisàcecontactsurmapeauetmeforceàregarderailleurs,vers lecielétoiléetscintillantdeslumièresdelaville.
—C’estunvrai?demande-t-il,savoixprochedemonoreille.—Quoi?Il touche l’intérieur demon poignet gauche d’un doigt rugueux, et suit le
tracédutrianglebleufoncé.
Je retire brusquement la main et caresse le triangle de mes doigts ; ilsymbolisedessouvenirs.
—C’estjustedustylo.Jel’aitoujoursdessiné.—Est-cequ’ilsignifiequelquechose?— Les triangles sont la forme la plus solide. Ils peuvent supporter la
pressiondetouslescôtés.J’éloignemonpoignetd’ungesteprotecteur.—Jecroisquec’estcequemamèredisait,maisjen’ensuispascertaine.Dommagequeçan’aitpasmarchépourelle !Ellen’arrivait jamaisàdire
nonauxhommesquiluifaisaientlacour.ToutcommeMia.Maiscesymbolemerappellequejepeuxêtredifférente.
—Est-cequetuasbesoind’êtreforte?—Onenatousbesoin…àunmomentouàunautre.Commelà,maintenant.J’aiplusquejamaisbesoindemerappelerlapromessequejemesuisfaite.
Monfuturestplanifié;j’aiunprojet.Etceplann’inclutpasTate,nilacentainedepapillonsquifrémissentdansmonestomac.
Ilrespire,assezfortpourquejel’entende.—Tudessinesd’autreschoses?—Parfois.Toutletemps.J’aitoujoursaimédessineretpeindre.Enfant,jepensaisquejedeviendrais
artisteengrandissant.Ensuite,j’aiapprisquelaplupartdesartistesn’arrivaientpasàvivredeleurart.MêmeVanGoghetMonetn’étaientpasreconnusdeleurtemps. Alors, j’ai élaboré un projet plus pragmatique. Que des A, le stage,Stanford,lameilleureécoledemédecine,l’internat,puisdécrocherunjob.Maisjeneleluidispas.
—J’aimeraispouvoir faireça :dessineroupeindre,créerquelquechoseàpartirderien,dit-il,s’appuyantsurlescoudesetlevantlatêteversleciel.
— Tu fais de la musique. C’est beaucoup plus impressionnant que desgribouillis.
Sesdoigtsne sontqu’àquelques centimètresdesmiens, et jenepeuxpasm’empêcherdesuivreduregardlalignedesonbrasmuscléjusqu’àsonépaule,puisl’inclinaisondesanuquejusqu’aucreux,derrièresonoreille.
—Jenesaismêmepassionpeutappelerçadelamusique.Cesontjustedesarrangementsetdudesignsonoreenstudio.
Ilritamèrement,latêtetoujourslevéeverslecielinondéderaisdelumière—lesétoilessont tellementplusbrillantesvuesd’ici,où la lueurdesnéonsetdesréverbèresnelesatténuepas.
— Avant, la musique comptait pour moi, c’était la mienne… mais plusmaintenant.Elleaperdutoutcequilarendaitauthentique.
—C’estpourçaquetuasarrêtélesconcerts?Jenesaispasgrand-chosedelavieetdelacarrièredeTateCollins,maisj’ai
entendu à la radio qu’il y avait plus d’un an qu’il n’avait pas donné un seulconcert,nisortiunnouvelalbum,disparaissantdelacirculation,alorsqu’ilétaitausommet.Etpersonnenesemblaitsavoirpourquoi.Et jenem’yétais jamaisvraimentintéressée…jusqu’àmaintenant.Maintenantquejesuisassiseprèsdelui, sur sa pelouse, alors que ses doigts, son épaule, son corps sont sidangereusementprèsdesmiens.
Ilseredresse.—Toutn’estpasrose,danscemilieu.Sonregardsevoilesubitement,commes’ilserappelaituneautreépoque,un
souvenirconnudeluiseul.—J’ailaisséleschosesdégénéreretjenepeuxpasrevenirenarrière.—Quelleschoses?Il ne répond pas.Ne secouemême pas la tête. Son regard est fixé sur un
pointlointain.—Mais tu aimes toujours faire de la musique ? je demande doucement,
tentantdelerameneraumomentprésent.—Çafaittellementlongtempsquejen’airienécrit,jenesuispassûrdeme
rappelercommentonfait.— Je doute que ce soit une chose qu’on oublie, dis-je, pour essayer de
l’encourager.Il se tourne et me regarde pour la première fois depuis que nous avons
commencécetteconversation.Sesyeuxs’adoucissent.—J’espèrequetuasraison.Etilsourit,pourdebon.—Detoutesteschansons,laquelleesttapréférée?J’espère, par cette question, l’aider à se rappeler ce qu’il aimait, peut-être
mêmesesouvenirdecequil’inspirait.— Sûrement une dont tu n’as jamais entendu parler, répond-il d’un air
espiègle.Jedétourneleregard,légèrementembarrassée.
—C’estvraiquejeneconnaispasvraimenttonrépertoire.Jememordilleleborddelalèvreetgrimaceunsourire.Ilrit—unvrairirecettefois.—Encoremieux.Puisilbonditetmetendlamain.—Viensparlà!Ilm’aideàmereleveret,avantquejem’enrendecompte,ilplacelamain
aucreuxdemesreinsetm’attireàlui.Puisnouscommençonsàdanser.Moncœurbatfollementcontremescôtes.—Qu’est-cequetufais?—Tuvoulaisconnaîtremachansonpréférée…C’estlameilleurefaçonde
telafaireconnaître.C’estunechansond’amour—idéalepourunslow.Avant que je puisse protester ou ravaler la boule dans ma gorge, il
commence à fredonner. Doucement, au début, puis en murmurant les parolesd’unechansonquejereconnaisvaguement.
Situsavaiscequeçafait,d’êtreloindetoi,tunem’auraisjamaisquitté.Etdans savoix,dans la teneur suave,gravede sesparoles, j’entendsTate
Collinslechanteur.Tesyeuxsontcommedesémeraudes,toncorpscommedel’or.Siseulementtupouvaisencorem’aimer.Tunesaispascequetuasfait…Il me tient doucement, fermement, et sa voix est un murmure à peine
audible.Jenerésistepas,laissemespaupièressefermer.Nonloin,unebriseselève, soulevant les feuilles d’un arbre proche de nous, et, bien que l’air soitchaud,des frissonsmeparcourent lesbras. Il presse lamain surmondos, sesdoigts appuient contre mon T-shirt, tandis qu’il m’entraîne dans un slowlangoureux.Jem’abandonne.Lemomentm’enveloppecomplètement.
Lorsquejerouvrelesyeux,jem’aperçoisqu’ilestentraindemedévisager.Sonexpressionestindéchiffrable.Sansunmot,ilmeguideverslamaison.Ilsetourneversmoijusteavantquenousatteignionslaporte,passelesbrasautourdematailleetmepressecontrel’unedescolonnesdepierrequientourentsonpatioarrière.Sesyeuxcherchentlesmiens.Sonpoulsbatàlabasedesoncou.Ilserapprochedeplusenplus.
J’inspireungrandcoup,mapoitrinefrôlant lasienne,et il fermelesyeux.Timidement, jeposelesmainssursontorse.Monaudacemecoupepresquelesouffle.Ilestsichaud.Jesenssousmapaumelebattementrapidedesoncœur.
Il caressema pommette d’un doigt, juste sous l’œil. Son corps est si près— seule unemince couche d’air ou de tissu sépare sa poitrine, son torse, seslèvres,desmiens. Je frissonneet ferme lesyeux,mes lèvres s’entrouvrantparanticipation.Sonsouffleeffleuremes lèvres, tièdeetdoux ; jedevinequ’ilesttoutprès.Jesaisqu’ilvam’embrasser.
Etj’enaiterriblementenvie.Ses bras m’enserrent et il m’attire fermement contre lui ; pas même un
centimètrenenous sépare.Ungémissementm’échappeet, avantque jepuissedireoupenserquoiquecesoit,ilpressesabouchecontrelamienne.
Tous mes sens sont en alerte. Une myriade de sensations explosent à lasurfacedélicatedemes lèvres. Jen’ai jamais rien ressentide tel.C’est toutceque j’attendais d’un premier baiser. Ses lèvres sont doucesmais sûres d’elles,avides. Jepriepournepas toutgâcher,me fiant àmon instinct. Il capturemalèvre inférieure avec les siennes, tirant légèrement dessus avant de la libérer.Mesgenouxmenacentdesedérobersousmoi.J’agrippesonT-shirtetserre letissudemespoings.
À chaque effleurement de sa bouche sur la mienne, j’ai l’impression dem’envoler. Il caresse mon visage, ma joue, ma mâchoire, mon menton. Sesdoigtsdescendentlelongdemagorge,suiventmaclaviculeetrestentposéslà.Je prends une inspiration frémissante, craignant qu’il n’ose aller plus loin.Excitéeàl’idéequ’ilailleplusloin…
J’ouvrelesyeuxcommeilromptnotrebaiser.Notrerespirationestsaccadée,nospoitrinessesoulevantets’abaissantdeconcert.Ils’écartejusteletempsdeme poser une question silencieuse, ses yeux ténébreux rivés sur lesmiens. Jerépondsparlepluslégerdeshochementsdetête.
Il m’embrasse alors à nouveau. Plus intensément, cette fois. Mes lèvress’ouvrentsouslessiennes,salanguetièdeeffleuremapeau.Jegémiscontresabouche insistante et il en profite, approfondissant son baiser. Mon cœurs’emballe quand son doigt descend surma gorge et joue avec le décolleté demonT-shirt.
Puis,toutàcoup,jerecouvremesesprits.Saisiedepanique,jelerepoussedoucementpourquenoslèvressedétachent.J’essaiedereprendremonsouffle,de calmermon cœur fou,mais c’est impossible, car il continue de jouer avecmonT-shirt,sesdoigtsfrôlantmapeauàvif.
—MonDieu,Charlotte.Ilsecouelatête.—Jenepeuxpas…
Ils’interromptetmeregardecommesij’étaisunmystèrequ’ilavaitdumalàélucider.
Doucement, je lève la tête pour l’observer, les joues en feu. Je devraism’écarter,maisilcaressemajouedesesdoigtsetjefrissonne,incapabledefaireunmouvement. Je prends une profonde inspiration juste comme il s’apprête àm’embrasserdenouveau.
Etd’uncoup,jelâche:—Jenel’aijamaisfaitavant.—Quoi?Ilreculelégèrement.—Jen’ai…jen’aijamaisembrassépersonneavanttoi.Jefermelesyeuxetdéglutisaveceffort.Quelleidiote.Pourquoiest-cequej’aiditça?Pasmieux pour casser l’ambiance !Mais j’ai paniqué ; tout allait si vite,
c’estsortitoutseul.Tatereculeàpeine,mais,soudain,l’airdelanuitestfroid.—Tun’asjamaisembrassépersonne?Ilal’airstupéfait.Jesecouelentementlatête.Sonregardnemequittepas.—Commentest-cepossible?Jemedétournepouréchapperàsesyeuxpénétrants.—Çan’apasfaitpartiedemespriorités.—Maistuasdéjàeudespetitsamis?Jefroncelessourcils.—Non.J’attendais.Maisçaneveutpasdirequej’aienvied’arrêter.Jesecouelatête,submergéeparl’humiliation.— Je n’aurais rien dû te dire. Je ne sais pas pourquoi je l’ai fait. Je suis
désoléed’avoirtoutgâché.—C’estmoiquisuisdésolé,Charlotte.J’entendsunsoupçonderegretdanssavoix.—Jenepeuxpasfaireça,ajoute-t-il.Savoixestplate,blanche,pourtant,sesmotsmetranspercentlecœur.Il recule,et lemondereprendsaplace : labrisenocturne, lesifflementdu
ventdanslesarbres,unevoiturequipasseauloin.—Tudevraisrentrer.
Il a parlé avec douceur, il est cependant à des millions de kilomètres.L’espace entre nous est froid, comme si son corps ne l’avait jamais occupé,commesij’avaistoutimaginé.
—Hankteraccompagnera.J’aidumalàmeconcentrersursesparoles.Jemesensétourdie, incapable
decomprendrecequiasibrutalementchangéentrenous.Jenehochepas la tête.Jenepeuxmêmepasprononcerunmot.Soutenue
parlacolonnedepierrecontrelaquelleilm’alaisséechancelante,jeleregardese diriger vers lamaison. Il se retourne une fois pourme dévisager. Quelquechose passe entre nous,mais je ne peux déchiffrer son expression : du regret,peut-être ? Ou est-ce l’embarras d’avoir flirté avec une fille tellement naïvequ’elle avait envisagé la soiréed’unemanière totalement différente de lui ? Ildoitdéjàregretterdem’avoirconduiteici.Ilrépète:
—Jesuisdésolé,Charlotte.Etc’esttout.Ensuite,ilrentrechezlui.Je suis dans un état second. Hankme fait sortir. Une berline attend dans
l’allée. Il ouvre la portière arrière et je lève les yeux, abasourdie, versl’imposantefaçadedelamaison.Jem’attendsàvoirlevisagedeTateàl’unedesfenêtres,maisseull’extérieurfroidmerépond.
Jemesenscomplètementetterriblementseule.
Chapitre8
Nous sommes mercredi soir et je suis assise en tailleur sur le sol de machambre, un manuel scolaire d’un côté, Leo de l’autre. Mia avait besoin deprendre une douche et j’ai proposé de m’occuper de lui. En même temps, jerévisepouruncontrôled’histoire.
Je tapote le haut de mon livre avec un surligneur et observe Leo, quimordillejoyeusementunanneaudedentitionauxcouleursvivesenformedesetdeclésdevoiture.
Plus de trois semaines se sont écoulées depuis ce soir-là. Trois semainesdepuisquej’ailaisséTatem’humilier.Encore.
Etjen’arrivepasàpasseràautrechose.Lescoursontétéabrutissants:unedéferlantederédactionsetderévisions
pour les contrôles. Au travail, les jours passent et se ressemblent, sans aucunsigne de lui. Je me suis plongée dans le travail scolaire, ai fait des heuressupplémentaires pour mon stage— dans le seul but de ne plus penser à lui.Pourtant,jem’attendstoujoursàlevoirpasserlaportedelaboutique,ouqu’unautre bouquet de fleurs arrive au lycée,mais rien de cela ne se produit. Bienévidemment,Hollymouraitd’enviedesavoircequis’étaitpasséaprèsquej’aiquitté la boutique, ce soir-là. « J’avais raison la première fois, lui ai-je dit lelendemainenarrivantautravail.J’aieutortdeluidonnerunesecondechance.C’estunabruti.»Ellem’aserréedanssesbrasetm’aditqu’elleétaitfièredemoi, que j’avais bien fait de me lancer, et que je ne devais pas laisser cettehistoireavecTateruinermavisiondel’amour.Maisc’esttroptard.
Je devrais être heureuse que ce soit terminé. C’était ce que je voulais.Seulement,jen’arrêtepasdepenseràlui.Etçam’estinsupportable.
La porte d’entrée se referme ; grand-mère est rentrée du travail. Elle merejointdanslachambreet,dèsqueLeol’aperçoit,illèvesespetitsbraspotelés
vers elle.Parfois, j’ai l’impressionqu’elle est sapréférée.Maisdansquelquesannées,quandjepourrail’emmeneràlaplagepourfairedeschâteauxdesable,etboiredesmilk-shakes,jeseraialorslatantesupercool.Miaetgrand-mèrenerivaliserontpas.
— Comment avancent les révisions ? me demande grand-mère, en sebaissantpourattraperLeo.
Ilsourittandisqu’ellelefaitvolerdanslesairsetlebercedanssesbras.—Jelislamêmepagedepuisuneheure.Ellemurmured’unaircompréhensif:—Tuassemblédistraite,cesdernièressemaines.—Oui.Jenesaispaspourquoi.C’estunmensonge:jesaisprécisémentcequinevapas.Jen’arrêtepasde
penseràlui.—Jepeuxm’occuperdeLéopourquetutravaillestranquillement,propose-
t-elle,marchantverslaporte,Leoaccrochéàsahanche,lecoldesablousedéjàdanssabouche.
Jeluisouris.—Merci.Mais ce n’est pas Leo quim’empêche deme concentrer. C’est quelqu’un
d’autre. Une personne que j’aimerais pouvoir oublier. Hélas plus les jourspassent,plusc’estdifficile.Ilsemblequemoncerveaum’empêchedetournerlapage.Etçaempireaulieudes’améliorer.
Grand-mères’arrêteàlaporte,berçantLeodanssesbras,etseretourneversmoi,l’airgrave.
—Tuas travaillé sidur,Charlotte,dit-elledemanière inattendue.Tun’asjamaislaisséquoiquecesoitsemettreentraversdetonchemin.J’aiconsciencedetoutcequetuasàgérer,entrelescours,letravail,lestageetStanford.Tuastoujoursfaitdetonfuturuneprioritéetjeveuxquetusachesàquelpointjesuisfièredetoi.Jenesaispascequiteperturbecesjours-ci,mais…
Ellesoupire.—… rappelle-toi ceci : les problèmes que tu rencontres aujourd’hui sont
temporaires.L’annéeprochaine,àlamêmepériode,tutracerastaroute.J’acquiesced’unsignede tête.Mais,une foisqu’elleest sortie, je referme
monmanueletappuielatêtecontreleborddemonlit.Çanepeutplusdurer.Jenepeuxpascontinueràprétendrequetoutvabien.
Jedoisfairequelquechose.
***
JedescendsSunsettropvite,lepiedsurl’accélérateur,etmaVolvoproteste.Lanuitdernière, incapabled’étudieràcausedessouvenirsdeTateetdela
soirée chez lui qui repassaient en boucle dans mon esprit, j’ai réalisé que jen’arriverais pas à tourner la page tant que je n’aurais pas compris pourquoi ilm’ajetéedehors,quandilaapprisquejen’avaisembrassépersonneavantlui.
JesillonnelesruesdeWestHollywood.Jedevraisêtreàlamaisonentrainderéviser.Mais,àlaplace,jem’apprêteàfaireunechosequejeregretteraipeut-être.
Je baisse complètement les vitres et augmente le volume de la radio pouressayerdenoyermespensées,d’atténuer lacolèredouloureusequicognedansmapoitrine.Leventsoulèvemescheveux,mesmèchess’emmêlent.J’agrippelevolant et appuie plus fort sur l’accélérateur. La chanson se termine et unenouvellecommence ; lesbasses font trembler lesportières.Magorgese serre,tandisqu’unevoixconnuesortdesenceintes.
«Siseulementtupouvaisencorem’aimer,Situpouvaisvoircequetuasfait,Jen’arrivepasàdormirsanstoi,lelitestglacé.»Lesouvenirs’imposeàmoiavantquejepuisseleréprimer:Tatefredonnant
lamêmechanson,murmurantcesmêmesparolescommenousdansionssousunevoûteétoilée,seslèvrescontremonoreille.
«Mesrêvessontdevenusdescauchemars,Jesensencoretesmainssurmoi…»J’éteins l’autoradio d’un coup sec. Je tourne à droite à l’intersection
suivante, m’éloignant un peu plus de la maison, de la fille raisonnable,rationnelle, qui devrait étudier pour ses examens, peaufiner sa candidature àStanford,s’avancerdansseslecturespoursoncoursd’anglais.Aulieudeça,jesuislecheminquenousavonsempruntécettenuit-là,quandleslumièresdelaville dansaient et tournoyaient derrière ma vitre teintée, quand nous nousenfoncionsdanslescollinesd’Hollywood.
Larouteestfacileàretrouver.Mesmainssemblentconnaîtrelechemin,etguident d’elles-mêmes la voiture à travers les virages serrés et les montéesabruptes, jusqu’à ceque j’arrive au portail. Je n’ai pas de télécommandepourentrer.Alors,jebaissemavitreetfixelaminusculelumièrerougedelacaméradesurveillance.
—Quiest-ce?
LavoixdeHank,quisortsoudainementdel’enceinte,mefaitsursautersurmonsiège.
— Euh… C’est Charlotte. On… on s’est rencontrés, il y a quelquessemaines.
J’ignorepourquelleraisonilmelaisseraitentrer.C’étaituneidéestupide.Mais,aprèsuncourtsilence,ildéclare:—Vas-y,entre.Mesmainscommencentà trembleret je tapotenerveusement levolant.La
grilles’ouvreetj’accélère,descendantl’alléecirculairequimèneàlamaison.Je me gare et inspire un grand coup, avant de monter les marches.
L’imposante porte d’entrée s’ouvre et Hank apparaît, sa carrure emplissantpresqueentièrementl’encadrementdelaporte.
—Quepuis-jefairepourtoi,Charlotte?demande-t-il,jetantuncoupd’œilpar-dessusmonépauleàmontasdeferraille.
—IlfautquejevoieTate,dis-jed’unevoixferme.Jedétestelapitiéquejelisdanssesyeux.—Vousaviezrendez-vous?Je me décale pour regarder derrière lui, à l’intérieur. Dans le salon, la
cheminéecrépitedoucement,maisjenediscernepersonnedanslapénombre.—Est-cequ’ilestlà?Hankfaitunpasenavantetdéclareàvoixbasse:—Jesuiscenséneriendire…Ilregarderapidementversl’intérieuravantderevenirversmoi.—…mais,pourêtrefranc,iln’estpluslui-mêmedepuisquelquessemaines.
Çapourraitluifairedubiendetevoir.Ilouvreengrandetmefaitsignedepasser.Stupéfaite qu’il m’ait laissée entrer, j’avance à pas hésitants dans le hall.
Hanksortetrefermelaportederrièrelui.JesuisseulechezTate.J’entends des bruits de pas. Tate émerge du couloir sur ma droite,
uniquementvêtud’unjean,sontorsenuéclairéparlalumièrevacillante.J’enailesoufflecoupé.Sapeausemblebronzéeàlalueurdufeu.
J’aimeraisluicrieraprès,hurlerqu’ilestunenfoiré,qu’iln’avaitpasledroitdemetraitercommeill’afait.Jeveuxqu’ilsouffre,mêmesiunepartiedemoi,traîtresse,espèreuneexplication,uneraisonacceptableàcequ’iladitcesoir-là.
Mais,avantquejepuisseformerlesmots,ilmecoupel’herbesouslepied.—Qu’est-cequetufaislà?
—Je…Jesuissinerveusequemesmainsentremblent.Jenesuispasvenueavecun
pland’actionprécisentête.Ilplisselesyeux,commepourmieuxmevoirdanslapénombre.Commesilaréponseétaitécritesurmonvisage.
—Pourquoiest-cequetum’asmisedehors,lanuitoùjesuisvenueici?Ilsetournefaceaufeu.Lesflammescrépitentetfontdesétincelles.—Est-ce que c’est parce que je n’avais jamais été embrassée avant ? Tu
m’astrouvéetropinnocente,tropennuyeusepourtoi?Jedétestemonton,maisjedoissavoir.—J’aibesoindetel’entendredire.—Non,répond-il,melançantunregardpar-dessussonépaule.Jemerapproched’unpas.—Alorsquoi?Aprèstousteseffortspourmeconvaincre,pourquoiest-ce
quetum’asrepoussée?Ilsetournecomplètementversmoi.—Jenesuispasceluiqu’iltefaut,dit-il,commesiçaexpliquaittout.Jelaisseéchapperunpetitrire—unrirefroidetdur.— Je te demande pardon ? Ce n’est pas ce que tu pensais, il y a trois
semaines,quandturefusaisdemelaissertranquille.Jemerapprochedelui,etlachaleurdufeus’intensifie.Jeveuxcomprendre.—Jefiniraisparteblesser.—C’est-à-dire?Mavoixvacrescendo.Sonexpressionsevoileetilreportesonattentionsurlefeu.—Tupensesque je suis faible,parceque jen’ai jamaiseudepetit ami?
Sache,pourtagouverne,quec’estbeaucoupplusdifficilederésisterquedeselaisseraller,jete…
—Cen’estpasça,mecoupe-t-il.Ilmefaitfaceànouveauetjelisunesoudainelassitudedanssonregard.J’insiste:—Jenesuispasfaible.Etc’estàmoidedécidercequiestbonpourmoi.Mapropreconvictionmesurprend.D’autantplusquejenesuispassûrede
savoir ceque jeveux.Est-ceque je suisvenue réglermescomptes ?Luidirequ’ilfaituneerreur?Jenesaismêmeplus.
Ilsecouelatêtedemanièrepresqueimperceptible.—Ilvautmieuxquetut’enailles.
—C’esttoi,Tate,quiesàl’originedetoutça!Tum’asenvoyédesfleurs,tuesvenusurmon lieude travail, tuasacheté toute laboutique.Moi, jevoulaisqueças’arrête.Àl’instantoùj’aidécouvertquituétaisvraiment,c’étaitterminépourmoi.Tuesrevenu,pourtant,tuvoulaist’expliquer.Jet’ailaisséunechance,mais toi, tu m’as blessée. Je n’ai rien demandé de tout ça. Seulement,maintenant…Maintenant,jesuislà.Etjeveux…
Maisjenepeuxterminermaphrase—Qu’est-cequetuveux?—Je…Jesecouelatête.—Jel’ignore.Ilmedévisage,leslèvresentrouvertes,commes’ilessayaitdeliredansmes
pensées.—Jen’aijamaiseul’intentiondeteblesser,Charlotte.Cettesituation…ce
n’estpasnonpluscequejevoulais.—Alors,qu’est-cequetuveux?Àpeinecesmotsont-ilsquittémes lèvresque j’aimerais les ravaler. Jene
peuxmêmeplus faire confiance àmespensées, àmaproprevoix ! Je dis deschosesqu’entempsnormaljeneprononceraispasàvoixhauteninepenserais,àvraidire.
—Charlotte…Ils’approchedemoiavechésitation,commes’ilcraignaitquejeneparteen
courant sans me retourner. Mais je suis pétrifiée. Un million de penséescontradictoirestourbillonnentets’affrontentdansmatête.
—Jem’excusepourl’autresoir.Il semble sincèrement désolé, blessé,même, d’évoquer les événements de
cettenuit-là.— Je m’excuse de la manière dont je me suis comporté. J’ai été pris de
court. Je n’avais pas imaginé que ça puisse être ton premier baiser. Il y a deschosesquetuignoresàmonsujet.
Ilprenduneprofondeinspiration,etpoursuit:—Sachequetum’asmanqué.Jen’arrêtepasdepenseràtoi.Jenesaispas
pourquoi mais… je ne me suis pas senti comme ça depuis longtemps. Etmaintenant, tu débarques, et tout ce que je veux, c’est t’embrasser encore, tedemanderdenepaspartir.Maisjesaisquejenedevraispas.
—Pourquoipas?
—Parce que je pourrais te faire souffrir. Parce que nosmondes sont trèsdifférents,etquejeneveuxpassemerlapagailledanstavie.
—C’estmadécision,paslatienne.Jesuisassezclairvoyantesurcequejepeuxgéreroupas.
—Etc’estenpartiepourçaquetum’intriguesautant.Tusaiscequetuveuxdanslavie,tusaisexactementoùtuvas,etjet’envie.
Ce portrait qu’il fait de moi, si responsable, si prévisible, m’arrache unegrimace.Peut-êtrequejeneveuxplusêtrecettefille-là.
—Jeneveuxpastoutgâcher,reprend-il.— Tu te comportes comme si notre histoire était déjà vouée à l’échec.
Commesi,toietmoi,çanepouvaitêtrequ’undésastre.Mespropresmotsmesurprennent—jemedisputeavecluiausujetd’une
relationdecoupledanslaquellenousnesommesmêmepas.—J’ail’impressiond’avoircumuléleséchecs,cesdernierstemps.—Etalorsquoi?Tuneprendrasplusjamaisaucunrisque,c’estça?OndiraitHolly.Cesproposneme ressemblent tellementpas ! Je suisune
expertequandils’agitd’éviterlesrisques,àmoinsqu’ilsnesoientcalculés.Etje lui demande d’en prendre un. La partie rationnelle de mon cerveau acomplètementdésertélaconversation.C’estmoncœurquiladirige.
Ilserapprochedemoi,sontorsenuéclairéparlalueurdufeu.Ilplongesesyeuxdanslesmiens,lerythmedesarespirations’accordantaumien.
—C’estcequetuveux,Charlotte?Prendredesrisques?Je ne peux plus respirer.Mes lèvres s’entrouvrent, les motsme viennent,
puis s’évaporent tout aussi rapidement. Je ne peux avouer ce que je ressensvraiment.Niàmoiniàlui.
Maisavantque j’aie le tempsde trouvercommentesquiver saquestion, ils’avanceversmoi,glisselesmainslelongdemajoueetapprochemonvisagedusien,avantdeposerseslèvressurlesmiennes.L’espaced’uninstant,jesuisincapablederéagir.Puis lachaleurdesabouchem’envahitet jecapitule—jeluirendssonbaiser.Nousnousrespironsmutuellement.Seslèvressontavides,exploratrices. Je toucheduboutdesdoigts son torsepuissant, et despapillonsvolettentdansmonventre.
J’ouvre les yeux. Il abandonne mes lèvres quelques secondes, avant dem’embrasserànouveau,plusdoucementcette fois.Moncœurbat lachamade,tandisqu’ilmecaresselajoue,traçantunelignelelongdemapeau,demoncou.
Puisildescendplusbas,etjecrainsqu’ils’éloignedemoietmelaissetouteseule, comme la dernière fois.Mais il reste près de moi et passe une mèche
derrièremonoreille.—Jesuisdésolé,dit-il.Ilretiredoucementsamain,commes’ilvenaitdebriserunerègle,d’envahir
monespacevital.Commes’ilavaitperdulecontrôledelui-mêmeunbrefinstantetqu’ilavaitbesoindes’excuser.
—Jen’auraispasdûfaireça.Maisj’enavaisenvie.—Jenesuispasaussifragilequetulepenses.Unsourireéclairesonvisage.—Jecommenceàm’enrendrecompte.Moncœur cognedansmapoitrine. Jevoudraisqu’ilme touche encore, je
voudrais sentir ses lèvres sur les miennes. Je baisse la tête et essaie de meressaisir.Puisjedemande:
—Etmaintenant?—Çavadépendredetaréponseàmaquestion,rétorque-t-il,sesyeuxrivés
auxmiens.Es-tuvraimentprêteàprendredesrisques?—Oui,dis-je,lagorgeétrangléeparl’émotion.Ettoi?L’audacedemaréponsemesurprendmoi-même.Ilserapprocheetjepensequ’ilvam’embrasser,maisàlaplaceilmurmure:—Plusquetout.Puissonregardsevoile,quelquechosededouloureuxletraverse.Ildéglutit
aveceffort.—Sionsortensemble,ilfaudraqu’onyailledoucement.Jefroncelessourcils.Oùveut-ilenvenir?—J’aibesoind’êtresûrquetunesoispasblessée.Jesecouelatête.Jenecomprendsvraimentpascequ’ilveutdire.—Ondoitétablirdesrègles.—Commentça,desrègles?—Desrèglespourquenotrehistoirefonctionne.—Àt’entendre,ondiraitqu’onpasseuncontrat,jeluifaisremarquer,malà
l’aise.—C’est laseulefaçonpourqueçamarche.Laseulefaçonquej’aiede te
protéger.—Tun’aspasbesoindemeprotéger.Ilgrimacelégèrement.—Si.—Ettuveuxmeprotégerdequoi,exactement?Ilsoupire.
—Mavie peut être folle, parfois. Les choses bougent très vite dansmonmonde.Jeneveuxpasquetuenfasseslesfrais,quetutesentesobligéeàquoiquecesoit.
— Au risque de me répéter, je suis capable de prendre mes propresdécisions.
— Je veux juste suggérer que tu n’es peut-être pas préparée au chaos quiaccompagne lefaitdesortiravecquelqu’uncommemoi.Tuasvucequis’estpassé l’autre soir, devant le bar, les fans hystériques, prêts à tout pour serapprocherdemoi.Çapeutêtresuffocant.Jeveuxt’enprotéger.C’estpourquoiondoityallerdoucement,sansseprécipiter.
—Qu’est-cequeçasignifie,aujuste?Quetudécideras,quandonseverra,ladatedenosrendez-vous,etjusqu’oùonira?
Ilsepasselamainsurlesyeuxd’ungestelas.—Écoute,j’aibienconsciencequeçaal’airexcessif,maistunesaispasce
quec’est.Cequis’estpasséaprèsnotredînerchezLola…c’étaitseulementunaperçu.Toutcequejefaisestamplifié,scruté,examiné,jugé.Je…jedoisêtredanslecontrôleenpermanence.
—Ettuveuxmecontrôleraussi?Lacolèrebrûlemesjoues.— Non. Mais sortir avec moi ne sera pas comme sortir avec quelqu’un
d’autre.Ilyacertaines…complications,etmoiseulsaiscommentleséviteroules contourner. Ça veut dire que j’ai besoin d’instaurer des limites. Pour taprotectionetlamienne.
—Et si je veux te voir, si je veux t’embrasser ? Est-ce que j’en aurai ledroit?
Montonestsec,etj’aicroisélesbraspourl’empêcherdevenirplusprès.Ilsouffleungrandcoup.—Oui,biensûr.Mais,encoreune fois, ilyaurades limites,dumoinsau
début.J’aibesoinquetumefassesconfiance.Jesecouelatêteetdétourneleregard,lesdentsserrées.—Çanepeutpasêtreautrement,Charlotte.Savoixn’estpasapaisantenisuppliante.Ilsaitquej’aidépassécestade.Labaguedemamèrepèsesoudainàmondoigt.Jelatouchedupouce.— Tate, ce n’est pas ce que je veux… pas comme ça. J’essaie de
comprendre,maistoutcequit’importe,apparemment,c’estd’établirdeslimites.Cen’estpascommeçaquec’estcensésepasser.
Unfrissonmeparcourtl’échine.
—C’estleseulmoyen.Toutparaîtrigidechezluitoutàcoup.J’ailabouchesèche.Jen’encroispasmesoreilles.Jelaisseretombermes
bras,meredressedetoutemahauteuretleregardedroitdanslesyeux.—Danscecas,jesupposequeçanemarcherapas.Je m’éloigne d’un pas, les mains tremblantes. J’ai toujours tout fait pour
garderlecontrôlesurmavie:planifiermonfutur,prendrelesbonnesdécisions.Tracer ma route, commema grand-mère a dit. Je n’ai jamais laissé personneavoirprisesurmoi,etjenevaiscertainementpascommencermaintenant!
Iln’essaiepasdemeretenir,demeconvaincrederester,maisjesensqu’ilmesuitduregard,commejefaisdemi-tourettraverselapièce.
Jeveuxêtreaveclui…maispascommeça.Des larmes me brûlent les yeux. Je ne me retourne pas, me dépêche de
passerlaported’entrée,mespiedsmartelantlapierre.Lanuitm’enveloppedesonsilencedèsquejesuisdehors.J’inspireàpleins
poumonspourrafraîchirmachairbrûlante,lesendroitsoùilm’atouchée.Lesendroitsoùjamaisplusilnemetouchera.
***
L’air est lourd. Mon corps est luisant de transpiration et je rejette lescouvertures.Lafenêtreprèsdemonlitestouverte,maisaucunebrisenepasse.Seullebruitdesinsectesenmouvement,quigrésillentetbourdonnent,dérangelesilence.
Jemeforceàfermerlesyeux.MaismoncerveauestenvahidesouvenirsdeTate.Jepeuxencoresentirseslèvres,sabouchesurlamienne,l’empressementdesesmains, lemurmuredesavoix, tandisqu’ilfredonnaitsachansonàmonoreille.
Jeressasselesmotsqu’ilaprononcésplustôtdanslasoirée:«Es-tuprêteàprendredesrisques?Jedoisgarderlecontrôlesurtoutcequejefais.C’estlaseulefaçonpourqueçamarche.Laseulefaçonquej’aiedeteprotéger.»
Pourquoia-t-ilbesoindetoutcontrôler?Dequoia-t-ilsipeur?Etpourquoisemble-t-ilconvaincuquejefiniraiparêtreblessée?
Je me retourne dans mon lit, écrasant mon visage contre l’oreiller pouressayerd’étouffermespenséesetenfinréussiràm’endormir.
«J’aibesoinquetumefassesconfiance»,a-t-ildit.
J’en ai envie, désespérément. Cependant, je ne suis pas sûre de savoircomment. Je n’ai jamais été en couple et n’ai aucunpoint de comparaison.Etpour ce que je sais des histoires deCarlos, je suis bien sûre qu’aucun de sespetitsamisn’aeuautantbesoindecontrôlerleurrelation.
LecasdeTateestdifférent,certes.Ilestcélèbreetriche,mèneuneviequeje ne peux probablement pas imaginer. Mais il semblait inquiet que quelquechosepuissem’arriver àmoi, commesi sortir avec luipouvait, d’unecertainemanière,détruiremavie.
Jerepassesurledos,lesyeuxgrandsouverts,fixantlemasticduplafond.Jen’aipasbesoindesaprotection.Commejeleluiaiditcesoir,jesuiscapabledeprendremesdécisions.
Etdefairemespropreserreurs.Sic’estcequejeveux,alorsqu’est-cequimeretient?S’ilveutdéciderdes
règlesdecetterelation,quelleimportance,aufond?Mêmeavecdeslimitesànepasfranchirquandnoussommesensemble,çaenvautlapeine.
C’estmavie.Etsijeveuxêtreaveclui,jeméritequ’ilensoitainsi.Jememoquedesconditionsetdes termesducontrat. Jemeretournedansmon litetattrape mon téléphone portable : 3 h 10. J’affiche mon journal d’appels etretrouvesonnuméro.
Ildécrocheàlapremièresonnerie.—Charlotte?—C’estd’accord,dis-jedansunsouffle.Jesuisfébrileetmoncorpstremblemalgrélatranspirationquiperlesurma
peau.—Onvaessayeràtamanière.Le silence s’installe entre nous et j’ose à peine respirer. J’entends sa
respirationdemanièresiclaireque, si je fermais lesyeux, jepourraispresquel’imaginerici,danslachambre,avecmoi.
—J’aipenséàtoitoutelanuit,répond-ilfinalement.Jen’aipaspufermerl’œil.
Çaexpliquepourquoiilaprissivitemonappel.—Jesuisheureuxquetuaieschangéd’avis.À sa voix, je sais qu’il sourit et j’ai la certitude d’avoir pris la bonne
décision.Peuimportentleslimitesetlesrestrictions.Peuimportemarègleanti-flirt.Jeveuxjusteêtreaveclui.
Chapitre9
—Allez, crache lemorceau ! exigeCarlos, appuyant son coude contre lecasierprèsdunôtre.
Jebaigneencoredanslesouvenirdelanuitdernière:lecoupdefilàTateà3heuresdumatin,mapeaubrûlantedanslamoiteurdelanuit.JemeretiensdesouriredevantCarlospournepasmetrahir.Jenesuispasencoreprêteàluifairedesconfidences.Unepartiedemoicraintsaréaction,qu’endépitdetoutessestaquineries,ilnesoitdéçu,aufond,quej’ailleàl’encontredemarègleanti-flirt.
Etpuis,ilyalefaitquejefréquenteTateCollins.Jen’aipasvraimentenviequeçasesache.La livraisonde fleursenpleincoursétaitdéjàembarrassante,alors, j’ose à peine imaginer les réactions, si notre relation était connue dupublic. Pour l’instant, pour aujourd’hui du moins, je ne vais rien dire. Çam’ennuiedecacherçaàCarlos,maisjegardelesparolesdeTateàl’espritetj’yvaislentement.
Jelaissetombermonsacàdosdanslecasier.—Quoi,crachelemorceau?—Tuesrayonnante.—Pasdutout.Machinalement, j’effleure mes joues du bout des doigts. J’ai histoire en
première heure. Je sors mon manuel du casier. Il est recouvert de fleursexotiques et de silhouettes dansantes que j’ai dessinées pendant les leçonsd’histoirelespluschiantesdeM.Trenton.
Carloslaisseretombersoncoudeetsepencheversmoi.—Ohmaissi!Jeteconnaisettuesrayonnante.Cequiconstitueunenette
améliorationaprèstamorositédecestroisdernièressemaines.AmyRogersseglisseàcôtédeluipouratteindresoncasier,maisilattend
monexplication,etnebougepasd’unpouce.
Jeluijetteunregardnoir.—Jen’étaispasmorose!Mesparolesneconvainquentpersonne,etsurtoutpasmoi.—Jesuisjustecontentequ’onsoitvendredi,j’ajoute,commesil’approche
duweek-endpouvaitexpliquermonteintradieux.Heureusement,ilal’airdemecroire.—Eh bien, je suis ravi que la vieille Charlotte soit de retour ! J’ai aussi
désespérémentbesoind’unweek-end.MmeDuncannousa inondésdedevoirsen algèbre et je songe à mettre le feu à mon bouquin de maths en signe deprotestation.
— Je suis sûre qu’une manifestation sera une solution très efficace, jerépondsavecunsourire.
—Contentque tuapprouves.J’aiaussidécidédepasser la journéedevantNetflix,demain,pouroubliertousmesmalheurs.
Je hoche la tête distraitement, lorsque, soudain, mon téléphone bipe. Jefouillemonsacavecempressement.
—On se voit en cours d’anglais, dit Carlos. Et…Charlotte… bon retourparminous!
Il se faufile dans la foule d’élèves en route pour le premier cours de lajournée.
Jesorsmontéléphone.J’aireçuuntextodeTate.
Onpeutsevoir?
Une sensation de chaleurm’envahit et, à l’intérieur demoi, les papillonss’affolent. Je balaie d’un coup d’œil méfiant le couloir bondé, craignant que,d’un simple regard, on ne puisse deviner que je suis en train d’écrire à TateCollins.Maistoutlemondem’ignore,commed’habitude.
Jem’empressederépondre.
Oui.
Unautretextoapparaîtsurl’écran.
Aujourd’hui?
Laclocheretentitau-dessusdematête:plusquecinqminutesavantledébutdescours.Jeclaquelaporteducasieretmefaufiledanslafouledesélèves.Toutenmarchant,j’écris:
Dis-moioù.
La journée avance à une lenteur insoutenable. Nous passons en revuecertainschapitrespourlescontrôlesàvenir,maisj’enregistreàpeinecequisedit. Je me rappelle vaguement avoir terminé un contrôle-surprise en histoire.Non seulement je souffre d’un sérieux manque de sommeil qui rend touteconcentration impossible, mais encore je n’arrête pas de consulter montéléphone,carj’attendsuneréponsedeTate.Maisellenevientpas.
***
Lesoleilperceàtraverslarangéedepalmiersquibordentlaruequandnousquittons les cours, et je lève une main en visière pour me protéger les yeux.Carlos me raconte comment en cours de sport il a accidentellement frappéAmandaCoatsauvisage,enjouantaudodgeball.
— Je me sens super mal, tu t’en doutes. Mais cette fille porte trop demaquillageencoursdesport,etc’estcommesilesballonsétaientattirésparsonvisagetelsdesaimants…
Il continue sonhistoire,mais jen’écouteplus.Mon regard s’estposéplusloindanslarue,au-delàdelafouled’élèvesquiquittentl’enceintedulycée.
LavoituredeTateestgaréeprèsdutrottoir.—MikeLogandonneunefête,cesoir.LavoixdeCarlosmerappelleàlaconversation.—Ondevraitpeut-êtreyaller.Çapourraitêtresympa.Iln’apasencoreremarquélavoiture.Jelaquittedesyeuxpourreportermon
attentionsurlui.—Jenepeuxpas.Ilsoupire.— Qu’est-ce que tu peux bien avoir à faire, ce soir ? C’est vendredi,
Charlotte.Lesdevoirsetlesrévisionspeuventattendredemain.EttuasditqueHollyt’avaitdonnétasoirée.
—Jesais…Jejoueavecunemèchedecheveuxetlaplacederrièrel’oreille,letempsde
peaufinermonmensonge.—C’estjustequejedoism’avancerpourleprochaincontrôled’histoire.Je
croisquej’aicomplètementratéceluid’aujourd’hui.—Çam’étonnerait!CharlotteReedneratejamaisuntest.
Il a raison, sauf que je n’ai pas été aussi concentrée ces trois dernièressemainesetquemêmeunA–risqued’êtrepénalisantpourStanford.
—Jemerattraperai.Caféettélé-réalitéchezmoilasemaineprochaine?Carlossoufflebruyammentpourmontrersonmécontentement.—D’accord.Ilm’embrassetoutdemêmesurlajoueavantdes’éloigner.—Appelle-moidemain.J’aibesoinquetum’aidesenalgèbre,n’oubliepas!Jeluifaisunsignedelamain,feignantdechercherquelquechosedansmon
sacàdos.Quand il a traversé la rue et est hors de vue, je descends lesmarches en
directiondelavoiture.Ellen’apasbougédepuisquejesuissortie.Jemedirigeverselle, toutencommençantàdouter.Peut-êtrequej’aitort.Peut-êtrequecen’estpascelledeTate.
Maislaportières’ouvre.Jemarqueunepauseetjetteunœilàl’intérieur.—Tuviens?faitunevoixquiémanedel’obscurité—lavoixdeTate.Moncœurbonditdansmapoitrine,etjescannerapidementleparkingetla
pelouse.SeuleJennaSanchez,quiestencorecontrariée,selonmoi,quelesrosesviolettesne lui aientpas étédestinées, lèvebrièvement lesyeuxde soncercled’amispourmeregarder.Elleseretourneensuite.
Alors,jeretiremonsacàdosetmeglissesurlesiègepassager.Àl’intérieur,Tatemesouritd’unairpresquetimide.—Salut.—Jenepensaispasquetupasseraismechercher.—Jevoulaistefairelasurprise.—C’estréussi.J’essaiederetenirlesourirequimedémangeleslèvres.Jeneveuxpasqu’il
sache àquel point je suis heureusede le voir. Je ne souhaite pas paraître déjàtropconquise.Çanemeressemblepas.
—Tuassûrementencoredesdoutes.Maisdepuisquetum’asappelé,hiersoir,je…jesuispressédeterevoir.
Je lève les yeux vers lui, savourant du regard la courbe de ses lèvres, sesyeuxténébreux, lemilliondemystèresqu’ilscachentetquejen’aipasencorerésolus.Rienqu’àcettecontemplation,moncœurs’accélère.Lafatigueque jeressentaisplustôts’évapore.ÊtreavecTatemettousmessensenéveil.
Jeremarquesoudainlemorceaudetissunoirqu’iltientàlamain.—Qu’est-cequec’est?
—Unbandeau,dit-ilavecunsourirequifaitapparaîtresafossette.Jeveuxt’emmenerquelquepart,maisc’estunesurpriseaussi.
J’hésite,m’agitantnerveusementsurlesiège.Unbandeau?Sérieusement?Jedevraisquitterlavoiture,là,toutdesuite.Rentreràlamaisonettravailler
surmes rédactionspourStanford, fairemesdevoirs,aiderMiaavecLeo.Toutsaufça.Mais,àlaplace,jeresteimmobile.
—Charlotte, poursuit-il d’unevoixdouce.Tume fais confiance ? Il aditquelquechosedesimilaire,lanuitdernière.Jesaisquec’estimportantpourluiet je veux qu’il sache que je fais des efforts, que j’ai vraiment envie que çamarcheentrenous.
Alors,jehochelatête.—Jetefaisconfiance.Je pivote et me place face à la vitre, qui me renvoie mon reflet : yeux
écarquillés,cheveuxdanslafigure.Tatenouelebandeauetmonrefletdisparaît.Jememordillelalèvreinférieure,légèrementnerveuse,malgrétout.
—C’esttropserré?murmure-t-il.Jesecouelatête.Sonsouffletièdecontremonoreillefaitnaîtreunevague
dechaleuraucreuxdemonventre.—Onnetrichepas,metaquine-t-il.Ildémarreets’insèredanslacirculation.Pour compenser ma vue, mes autres sens prennent le relais. J’entends
distinctementlarespirationlente,décontractéedeTateàcôtédemoi,jesenssoneaudeColognefraîcheetvivifiante,ainsiquequelquechosed’autre,peut-êtrel’air iodéde la plage. Je l’imagine se rapprocher, et jemedemande ce que jeressentiraisd’avoirsesmainssurmoisansêtrecapabledelevoir.
Nousroulonsensilencedurantplusieursminutes,puisTateparleenfin.—Àquoiest-cequetupenses?—Jene…Je m’interromps. Il attend une vraie réponse. Mais je ne peux pas me
résoudreàluidirequej’imaginesesmainssurmapeau.—Jepenseàl’océan.Jenemensqu’àmoitié.—Àquoi,exactement?—Àl’air.Sonodeurdesel,lasensationdusoleil,lanature…Et…Jem’interromps,maisTateneparlepas.J’entendsàpeinesarespiration,à
présent,commes’illaretenaitenattendantquejecontinue.
—Jepenseàlasensationdesvaguessurmescuisses.Quandj’étaispetite,jecroyais que lamer était vivante, que, du plus profond de l’océan, elle voulaitm’emporterdansunactedésespéré.Parfois, j’aienviedelalaisserm’entraînerdans les profondeurs, où je pourrais dériver sur des milliers de kilomètres.Jusqu’àuncontinentlointain.Cetteidéemeplaît.
Tateneditrienpendantunlongmoment.Jemedemandes’ilestentraindemeregarder.
—J’aimetafaçondevoirleschoses,dit-ilfinalement,etjel’entendsbougersursonsiège.
Jemepasselalanguesurleslèvres,puismemordillelalèvreinférieure.Ilprendunegrandeinspiration.
—Charlotte…Savoixestsuppliante.—Quoi?—Ne…nefaispasça,d’accord?—Pourquoipas?À ma grande surprise, je suis à nouveau décontractée. Je m’amuse. Je
reprendsmalèvreentremesdents,lamordilledoucement.Savoirquesesyeuxsont sur moi me fait frissonner. C’est comme s’il me touchait, comme si sesdentsmordillaientmalèvre.
—Charlotte,arrête…Tuvasmerendrefou!Iln’estpas leseulàmener ladanseici,quoiqu’ilendise!Jem’adosseà
monsiège,mesouriantàmoi-même.La voiture s’arrête et je remarque alors que les bruits de la ville se sont
atténués.Nousnesommesplussuruneartèreprincipale.Laportières’ouvreetuncoupdeventmedonnelachairdepoule,bienque
l’air soit chaud et doux. Tate me prend les mains pour me guider hors de lavoiture et un frisson d’excitation me traverse. Quelqu’un klaxonne au loin.J’ignoretotalementoùnoussommes.
Aprèsquelquespas,nouspénétronsdansunédificequi sent légèrement lapoussièreetletissud’ameublementancien.
Puisleboutdemachaussurepercutequelquechosededur.—Attentionauxmarches,murmureTateàcôtédemoi.Jelèvelepieddroit,demanièrehésitanteaudébut,craignantdetomberla
tête lapremière.MaisTatemetient fermement—unepaumeàplataubasdemon dos, son autremain enlaçantmes doigts— et nousmontons un escalierrecouvertd’untapis.
—Oùsommes-nous?jedemande,quandnousarrivonsenhaut.Je tends ma main libre devant moi à la recherche d’un indice, mais mes
doigts se referment sur le vide. Tate ne répond pas. Au lieu de ça, ilme faitavancer,puismelâchecomplètement.Jemesensexposée,vulnérable,commesijepouvaistomberàtoutinstant.
—Tate?Jelèvelesbraspourretirerlebandeauquimecouvrelesyeux.Aussitôt, ses mains remontent le long de mes bras, doucement, tout
doucement.Jeretiensmonsouffle tandisquesesdoigtsglissentsurmanuque,jusqu’àl’arrièredematête.Ildétacheenfinlebandeau,quitombealorsausol.
Jeclignedesyeuxpourquemavues’accommodeàlavasteétenduedulieufaiblementéclairé.C’estuncinéma,majestueuxetrichementdécoré.Leplafondvoûtéestrehaussédedorures,etdesrideauxrougestombentjusqu’ausol.Noussommesaudeuxièmeétagesurunbalconquisurplombedesrangéesdefauteuilsvides,un immenseécrandevantnous. Ilyadeséchellescontreunmuretdesseaux de peinture, de grands draps blancs étalés sur le sol. Le cinéma est entravaux.
—Ils’appelleleLumière,m’apprendTate.Tuenasentenduparler?Jesecouelatêteetleregardepourlapremièrefoisdepuisqu’iladétachéle
bandeau.Ilapresquel’airanxieux,commes’ilcraignaitquesasurprisenemeplaisepas.
—C’estincroyable!dis-jedansunsouffle.—C’estl’undespremierscinémasdeHollywood.Ilaétéferméetarouvert
plusieurs fois au fildesans.Onydiffusait surtoutdes filmsde secondezone.Maisilslerénoventenfin.
J’avancevers la rambarde,passe lespaumes sur labarredemétal froidetbaisse les yeux. À l’étage au-dessous, il manque des fauteuils à certainesrangées.
—Est-cequ’onaledroitd’êtreici?Ilsourit.—J’aiprismesdispositions.Derrièrenous,unepetitetableestdressée,flanquéededeuxchaisesplacées
enfacede labalustrade.Del’eaupétillante,unénormeboldepop-cornetdespetits ramequins en verre contenant un assortiment de bonbons colorés sontdisposéssurlanappeblanche.
Tate me conduit jusqu’aux chaises et nous nous asseyons. Presqueimmédiatement, les lumières s’éteignent, contrôlées à distance. Tout est
parfaitementchorégraphié.Je n’arrive pas à croire que je suis installée là avec Tate Collins dans un
cinéma qui n’est même pas encore ouvert au public. Comment loue-t-on unendroitcommecelui-là?Etcombienest-cequeçaluiacoûté?Maisjeneveuxpasgâcherlemoment.Jepréfèredemander:
—Qu’est-cequ’onregarde?Ilhaussesonsourcilgaucheenundéfisilencieux.—Tuverras.À peine a-t-il prononcé ces paroles que l’immense écran s’allume devant
nous, la pâle lumière se reflétant sur le visage deTate.Des images en noir etblancprennentviesur l’écran :unecarted’Afrique, rapidement remplacéeparunescènedemarchéanimée,granuleuseetdéformée.Lesonacetécholointaintypiquedesvieuxfilms.Jesouris,merappelantnotresoiréechezLola—ilaétésisurprisd’apprendrequejen’avaisjamaisvuCasablanca.Etmaintenant,noussommessurlepointdeleregarder…ensemble.
Ilestimmobile,adosséàsonsiège,maisjesenssesyeuxposéssurmoi.Ilm’observeencoredurant lapremièrescènedebaiserentre lehéros,HumphreyBogartetsonamourperdu,IngridBergman,dansunflash-backàParis,villeoùilssonttombésamoureux.J’attendsqueTatemetouche,quesamainrecouvrelamienne.Àunmomentdonné, il sepenchepourmeservirde l’eauet jepensequ’ilvafrôlermongenou,maisilnemetouchepas,pasuneseulefois.Ilgardesesdistances.Seulssesyeuxseposentsurmoi.
Lefilmsetermineaprèsquelesdeuxamoureuxsesontfaitleursadieuxetquel’avions’estenvoléversl’horizon.L’écranredevientnoiretleslumièresserallument.Tatesetourneversmoi,lesyeuxfixéssurmeslèvres.
—Çat’aplu?Je pose un doigt sur l’accoudoir qui nous sépare, telle une barrière
infranchissable.—C’étaitmerveilleux!Jemeretiensdedirecequejepensevraiment.Jeneveuxpasledécevoir,
alorsqu’ils’estdonnélapeined’organisercettesurpriseincroyable.—Mais?…demande-t-il.Commed’habitude,illitentreleslignes.—C’étaitd’unetelletristesse!—Pourquoiest-cequetupensesça?—Ilsnefinissentpasensemble.Ellepart…—Alors,tun’aspasaimé?
Aulieud’avoirl’airdéçu,commejelecraignais,ilparaîtenfaitintrigué.— Si, beaucoup. J’ai adoré. Mais je ne pensais pas que l’histoire se
termineraitdecettefaçon.Çanesemblepasjustecommeconclusion.Jemesensunpeuridiculedel’admettre,maisluial’airamusé.—C’estunegrandehistoired’amour,merappelle-t-il.— Mais je veux qu’ils finissent ensemble ! C’est le but d’une histoire
d’amour,non?Deuxpersonnesquis’aimentetquisacrifienttoutpourpouvoirêtreensemble.
Sans aucune expérience en la matière, je n’ai donc jamais eu l’occasiond’êtreromantique,maisj’aitoutdemêmeadoréRoméoetJuliette.
—Ilsenontfait,dessacrifices.Ilmarqueunepause,pensif.— Ils ont fait une croix l’un sur l’autre, alors qu’ils étaient amoureux.
Parfois,lavienousempêched’êtreaveclapersonnequ’onaime.—T’asdéjàétéamoureux?Maquestionestpeut-êtretropaudacieuse.Jen’auraispasdûlaposer,mais
jesuiscurieuse.Ilyaencoretantdechosesquej’ignoreàsonsujet.Ettantdechosesquejevoudraisconnaître.
Ilselève,sonjeanbassurleshanches.—Non.Ettoi?Jericane.—Tuveuxrire?Jet’aidéjàditquetuasétélepremieràm’embrasser.Jem’attendsàcequ’ilrépondeparunsourire,maissonregardestlointain.
J’essaie d’interpréter la lueur froide et sombre de ses yeux, lamanière dont ilserrelamâchoire.
—Tuesprête?demande-t-ilfinalement.Jemelèvelentementetfaisunarcdecerclepouradmirerlatailleducinéma
unedernièrefoisavantqu’onparte.—Mercipourcemerveilleuxmoment.Jenel’oublieraijamais.Il attrape ma main, mêle ses doigts aux miens, et nous redescendons
l’escalierjusqu’àuneportedemétalqueTateouvre.La Tesla— j’ai appris que sa voiture noire aux lignes épurées s’appelle
ainsi—attenddehors.Lanuitesttombéependantquenousétionsàl’intérieur.Ilouvrelaportièrecôtépassager.Jeposeunemainsurlecapotdelavoiture,
prête à entrer, quand je remarque un groupe de filles qui se baladent dans laruelle, leurs robes courtes, scintillantes, dansant sur leurs cuisses, leurs talonsdangereusementhauts.Jebaisselesyeux,soudainfrappéeparlabanalitédemon
apparence :mon short en jean tout simple,mesballerinesbleumarinequiontconnu des jours meilleurs, mes cheveux châtains remontés en une queue-de-chevalrapide.
Jesuisordinaire.Jenesuispasl’unedecesfilles.JenefaispaspartiedesJennaSanchezoudesSophieZinesdecemonde,quiattirentl’attentionpartoutoùellesvont.Et,bienquejesoistoutàfaitconscientequelesrobesàpailletteset les talons hauts ne rendent pas ces filles plus intéressantes quemoi, je lesenvie.J’ail’impressionquec’estavecl’uned’ellesqueTatedevraitsortir.
Soudain, je regrette de ne pas avoir un placard rempli de robes, de hautsnoirs élégants, de chaussures de créateurs que je pourrais porter à des rendez-vouscommecelui-ci.Pourtant,Tatesortavecmoi.
—Toutvabien?demande-t-il.—Oui.J’entredanslavoiture.J’aiobservélesfillestroplongtempsetill’aremarqué.Nous roulons en silence— pas un silence inconfortable, mais un silence
baignéd’anticipation,commesinousattendionstouslesdeuxquelquechose.Je n’arrive toujours pas à croire que je suis avec lui. Pas seulement parce
qu’ilestTateCollins.Jen’arrivepasàréaliserquej’aiacceptéunrencard.Que,malgré tout ce que j’ai fait pour construire une vie dans laquelle les garçonscommeluin’ontpasleurplace,jeneveuxpasquelajournéesetermine.C’estcomme si mon esprit souhaitait que je m’éloigne, tandis que mon cœur mepoussaitàmerapprocherdelui.
Jeluidemandedesegareràunpâtédemaisonsdechezmoi.Jeneveuxpasque grand-mère ouMiame voie descendre d’une telle voiture.Le bouquet defleursétaitunechose,maisexpliquerqueTateCollinsmeramèneà lamaisonimposeraituntoutautreniveaudemensonge.
Ildescendsurletrottoir.Jelevoisquibalaieduregardlesimmeublesetlesmaisonsalentour:lesbalconsencombrésd’appareilsàbarbecue,leschaisesenplastique et les vélos, laBuickdemonvoisin qui rouille sur placedepuis desannées. Un garçon dribble avec un ballon de basket plus loin sur le trottoir,faisant des mouvements de karaté occasionnels avec les bras. Il ne nous voitmêmepas.
—Tuvislàdepuiscombiendetemps?J’aimeraispouvoirembellircequ’ilvoit,luidirequecen’estpassiterrible,
d’habitude, ouqu’onvit là temporairement.Mais ça ne changerapas la vérité—c’estmamaison.
— Pratiquement depuis toujours. Ma sœur et moi avons emménagé trèsjeunesavecmagrand-mère.
—Sœuraînéeouplusjeune?—Aînée.—Elleestaussiintelligentequetoi?—Ouietnon.Il sourit, et n’insiste pas,mais il sentmanifestement que je ne lui dis pas
tout.—Mercipourlefilm.—Jesuiscontentquetul’aiesàlafoisappréciéetdétesté.Jeluisouris.—Jenel’aipasdétesté.C’estjustequejenesuispasd’accordaveclafin.—Tuesuneromantique,alors?—C’esttoutrécent…Jemesensrougirenluirépondant.Nous nous tenons à quelques centimètres seulement l’un de l’autre ; l’air
entre nous est si immobile que jeme sens étourdie. Être si proche de luimerappellelecontactdesabouchesurlamienne,sontorsenupressécontremoi,lachaleurdelacheminéequifaisaitfrissonnermapeau.
Jefaisunpasverslui,réduisantladistanceentrenousaustrictminimum.Jeveuxlesentirencore,sentirlegoûtdesabouche.Jeretiensmarespiration.
Sesmainsseposentsurma taille, sesdoigtsappuientcontremeshanches.Mais,aulieudem’attirerverslui,ilmerepoussedoucement.
—Onyvadoucement,tuterappelles?dit-il.Sesyeuxremontentdemes lèvresversmesyeuxet l’ironiede lasituation
mefaitpresquerire.J’aipassémavieàéviterlesgarçons—lesgarçonscommelui,surtout,pensantqu’ilsnes’intéressaientqu’àunechose.Etc’estluiquimeconseillederalentir!
Jemeredresse.—C’estvrai…Jedevraisêtreheureusequ’ilneprécipitepasleschoses.Etm’encontenter.
Pourtant…—Bonnenuit,CharlotteReed,dit-il,melâchantlataille.—Bonnenuit,TateCollins,jeréponds,d’unevoixbeaucoupplusdouceque
lasienne.Jecommenceàm’éloignersurletrottoir.J’entendslelégerronflementdela
Tesla derrièremoi,mais je neme retourne pas. Je refuse d’être la fille qui se
retourne.Mais je sais qu’il me suit des yeux, jusqu’à ce que je disparaisse àl’angle.
Jesenssonregardsurmoilongtempsaprèsquejemesuisallongéeentrelesdrapsfraisdemonlit,unoreillerécrasésurlevisage,merepassantlamanièredontsesdoigtsontglisséavecdextéritésurmeshanches,m’empêchantdemerapprochertropprès,deletoucher,del’embrasser.
Etjem’endorsenrêvantdesesmains.
Chapitre10
Montéléphoneportablevibresurma tabledechevet. Jeme tourne justeàtempspourlevoirtombersurlesol,vibranttoujours.
Jemebaissepourleramasser.J’ai fait la grasse matinée. Il est presque 10 heures. La fenêtre de ma
chambreestouverteetjepeuxsentirladouceurdelabrisedumatin.J’ai un appel manqué de Carlos et un message vocal : il me demande
probablementàquelleheureonpourraseretrouverpourréviser.Etj’aiuntextodeTate.
Jeregardeimmédiatement.
Jeveuxquetuvoiescequejevois.
Jelelisdenouveau,puisdeuxfoisencore.Jelaissetomberletéléphonesurl’édredonjaunepâledontjemesuisdébarrasséeetrepousselescheveuxquimetombentdanslesyeux.Qu’est-cequ’ilveutdire?Jesongeàrépondreavecunpointd’interrogation,maismonportablevibredenouveau.
Jesuisdehors.
Jebondishorsdulit.Jen’aipasletempsdeprendreunedouche,alorsj’enlèverapidementmon
short etmondébardeur, et fouille dansma commode étroite à la recherchedesous-vêtements propres. Jem’excuse par texto auprès deCarlos et enfilemesvêtements :unshorten jean—pas lemêmequ’hier—etunT-shirt rosepâledécolletéquiépousemesformes.Chaquefoisquejeleporte,Carlossiffled’unairappréciateur.
Lesamedimatin,Grand-mèrevaaucentred’activitésseniorpoursoncoursdezumba.Alors,laseulepersonnequejedoisaffronter,c’estMia.
Elleestdans lacuisineentraindelaver lesbiberonsdeLeo.Sesmanchessontretrousséesetquelquesmèchess’échappentdesonchignonbas.
—Tuvasoù?demande-t-elle,s’essuyantlefrontàl’aidedesonavant-bras,etfaisantcoulerdel’eausursatempe.
—Dehors…voirCarlos.—Tufaistesdevoirslesamedi,d’habitude,dit-elled’unairabsent,comme
silaréponsenel’intéressaitpasvraiment.J’atteinslaported’entrée,agrippelapoignée.Jepréféreraismentirlemoins
possible,alorsplusvitejesors,mieuxc’est.—Ouais.C’estcequiestprévu.Del’algèbre.Je grimace. Ma voix sonne tellement faux ! Mais Mia n’a pas l’air de
remarquer.— Tu pourrais me garder Leo, ce soir ? J’ai rendez-vous avec Greg au
Palapapourécouterdelamusiquelive.—Greg?—Ouais,tusais,Greg…Lemecavecquij’aidûannulermonrendez-vous,
il y a quelques semaines, parce que tes activités extrascolaires sont beaucoupplusimportantesqu’aidertasœuretpasserdutempsavectonneveu?
Sesparolessontdures,maissavoixmontresurtoutqu’elleestfatiguée.—Alors,tupourraslegarder?J’ailamainsurlapoignée.Jeveuxl’aider,j’enaivraimentenvie.—Biensûr,dis-je.Sijerentreàtemps.J’ouvre.Ilfautquejesorted’iciavantqu’elleneposed’autresquestions.—Maisjeneteprometsrien.—Charlotte!Maisjesuisdéjàentrainderefermerlaportederrièremoi.Jedescendsl’escalieraupasdecourseavantqueMianepuisseajouterautre
chose.Tatem’attendàunpâtédemaisonsde là, à l’endroitoù ilm’adéposée la
veille, saTesla ronronnant. Je suis essoufflée aprèsmon sprint, et j’inspire ungrandcoupavantd’ouvrirlaportière.
Quandjem’installesurlesiège,ilmelanced’unairtaquin:—Jecommençaisàcroirequetuallaismeposerunlapin.—Jen’aipaseubeaucoupdetempspourmepréparer.J’étaisencoreaulit,
quandj’aireçutontexto.
Lafossetteapparaît.Jesouristandisqu’ildémarreets’éloigne.NoustraversonslesquartiersplusraffinésdeBeverlyHills,oùleshaiesfont
troismètresdehaut,oùd’imposantesgrillesprotègentlesvillas.Lescontrastessont saisissants : une bicoque miteuse comme la nôtre se trouve à quelqueskilomètres à peine des propriétés les plus extravagantes au monde. Une fillecommemoipeutrencontrerunmeccommeTate,commesinousévoluionsdanslemêmemonde.C’estdifficileàimaginer,etpourtant…
— Je me suis rendu compte que je devais travailler plus dur pourt’impressionner,déclare-t-ilsoudain.
Surprise,jetournelatêteverslui.—M’impressionner?Il a les yeux sur la route. Nous dépassons des Mercedes argentées, des
BentleyblanchesetdesFerrarigrisacierauxvitresbaisséespourlaisserentrerl’airchaudduPacifique.
—Louer le célèbre cinéma Lumière pour regarderCasablanca en séanceprivéen’impressionneapparemmentpasCharlotteReed.
—Crois-moi,j’étaisimpressionnée!—Cen’estpasgrave,reprend-il,unsourcillevé,commes’ilnemecroyait
pas.J’aimelesdéfis.Ils’arrêtedevantunbâtimentavecservicedevoiturier.—Tu n’as pas besoin de vêtements hors de prix pour être belle, poursuit
Tate,sonregardsemblantdétaillerchacundemestraits.Maisj’aiquandmêmeenviedet’enoffrir.
—Jenecomprendspas…Qu’est-cequ’onfaitici?Maisilestdéjààl’extérieur,entraindefaireletourdelavoiture.Iltendla
main pour m’aider à sortir. Sur le trottoir, je lève les yeux vers uneimpressionnantemarquise noire, lesmotsBarneysNewYork inscrits en lettresblanches.
—Tate?Je connais le magasin de l’extérieur, bien sûr, mais je ne me suis jamais
arrêtée devant. Je ne pensemêmepas qu’onm’aurait laissé garermaVolvo àproximité.
Tatelancesesclésauvoiturier.—Viens,dit-il.Il me prend la main, mais je m’arrête aux portes, l’estomac noué par la
nervosité.—Jenecroispasque…
Jem’interromps,nesachantpascommentluiexpliquercequejeressens.—Qu’est-cequinevapas?—Tun’aspasbesoindefaireçaIlpasseunbrasautourdematailleetm’attireàlui.Ilnem’apasautanttouchéedepuisquejesuisalléechezlui,l’autresoir,et
uneondedechaleurm’envahit.—Charlotte,j’aivulafaçondontturegardaiscesfilles,hier,aprèslefilm.
Etj’auraibeauterépéterquetuesbelle,pouruneraisonquej’ignore,tuneleverraspas.Alors,jemesuisditquetuavaispeut-êtrebesoindetesentirbelle.Quejepouvaisfaireçapourtoi.
Jesourisetjenepeuxm’empêcherderougiraumot«belle».Jesaisquejesuisassezjolie,parcequeMiaetmoinousressemblonsénormément,maisjenememetsjamaisenvaleur.Çan’estpasimportantpourmoi,çanel’ajamaisété.Jenepeuxcependantmedéfendredejeteruncoupd’œilauxportesdeBarneysetdemedemandercequ’ellesrenferment.
—Tumefaisdéjàmesentirbelle,dis-je,croisantsesyeuxténébreux.Maisça…C’esttrop.
—Non.Etjetel’aidit.J’aimelesdéfis.Ilbaisselatêtepourdéposerunbaisersurmajoue.Unfrissonmeparcourt
etj’inspire,memordillantleborddelalèvreinférieure.—D’accord.Il me prend la main. Ses doigts tapotent les miens en suivant un rythme
connudeluiseul,commesilamusiquenedemandaitqu’àsortirdelui.Àl’intérieur,ils’adresseàunefemmequisemblaitattendrenotrevenueet,
bientôt, je suis conduite par deux vendeuses dans ce qui peut être nommé unparadis de fashionista. Elles sélectionnent des robes courtes à paillettes, desdébardeursensoie,desleggingsnoirs,qu’ellesemportent,dèsquej’acceptedelesessayer.Ellesmeconduisentd’unétageà l’autre,aumilieud’un tourbillonderayons,demarquesetdeprixbeaucouptropélevés.
Tatenoussuit,arborantunairsoucieux,commes’ilcraignaitd’êtrereconnuparundesclientsdumagasin.Mais,chaquefoisquenosregardssecroisent,ilmesourit,s’amusantpeut-êtreencoreplusquemoi.
Finalement,nousarrivonsauxcabinesd’essayage.Là,devantun imposantmiroir en pied, les vendeusesm’aident à zipper les fermetures, défroissent lestissus.Elleséchangentdestaillesetm’apportentdeschaussuresàessayeraveclesdifférentestenues.Bientôt,jen’arriveplusàgarderlefildecequej’aiessayéetdecequej’aiaimé,maisellessemblentavoirunsystèmebienrodé.
Detempsentemps,jesorsdelacabinepourdemandersonavisàTate,maisilmedonnerarementsonopinion.
—Si toiça te plaît, prends-le, dit-il en souriant. Et arrête de regarder lesprix.Çan’apasd’importance,ajoute-t-ilquandj’essaiedereposerunerobequicoûteplusquecequejegagneenunan.
Monespritcommenceàs’embrumerverslatenuenumérodouze,puis,avantmêmeque jem’enrendecompte,nousvoilànousdirigeantvers lasortie,Tateportantsouslebrasunénormepaquet.
Jenesuispasprêteàpenseràtoutl’argentqu’iladépensé.Jemecontentedesourireenregardantlesacbienpluspetitàmonpoignet.Àunmoment,l’unedesvendeusesm’aapportéunjolisoutien-gorgepush-upbleucielàessayersousl’unedesrobes,etlemiroirm’arenvoyéuneimagesidifférentedemoi-même,si étrangementmature, que j’ai eu envie de le garder quel qu’en soit le prix.C’est le seul article que je n’ai pas laissé Tate voir ou payer. J’ai considérécomme une victoire qu’il s’éloigne de la caisse après quelques protestationsseulement.
Dehors,jecherchelevoiturierduregard,maisTatemeprendlamain.— C’est l’heure de l’autre surprise, m’annonce-t-il, me guidant vers
Wilshireavantquejepuissedirequoiquecesoit.Le salon de coiffure, un bâtiment discret en stuc avec un panneau qui
indiquesimplementQ,sesitueenretraitdansunepetiterue.Un homme vient à notre rencontre dans la salle d’attente et se présente
commeétantSteven.Sescheveuxblondsdécolorés sontcoiffésenépiset sonsourirerévèleunespaceétroitentresesdeuxdentsdedevant.CommeHank,ilestgrandetbâticommeunculturiste,avecdesbrasquisecontractentsousunT-shirtmoulantcouleurlavande.
Je jetteundernier regardversTate, rassuréepar son sourireconfiant,puisStevenmeconduitdansunelonguepiècerectangulaire,etm’installeaumilieud’unerangéedesiègesvides,faceàuneétenduedemiroirs.Lelieunousaétéréservé.
Il retire l’élastique qui retient ma queue-de-cheval, laissant mes cheveuxchâtainsretombersurmesépaules.
—Tuascettecoupedepuiscombiendetemps?J’aidéjàaperçuStevendansl’unedesémissionsdetélé-réalitéqueMiaaime
regarder. C’est un coiffeur de stars. Steven Salazar. Et Q, je m’en souviensmaintenant,estlenomdesonpetitchienblanc.
—Depuis1999,jerépondssèchement.
Puisjememordslalèvre,nevoulantpasoffenserl’hommesurlepointdemecouperlescheveux.
Il fait brusquement pivoter le fauteuil, ses mains appuyées sur lesaccoudoirs,etplongesonregarddanslemien.
—Fermelesyeux!—Fermer…lesyeux?—Oui,jeneveuxpasquetuvoiestescheveux.Jeveuxquetulesimagines.Sapeauestcommedumarbre.Il lèveunsourcilparfaitementdessinéet la
peaudesonfrontneseplissemêmepas.Jeclignedesyeux,puisobtempère.—Maintenant,dit-ilàvoixbasse,commes’ilétaitsurlepointdemerévéler
un secret, imagine que tu puisses avoir n’importe quelle coupe, prendren’importequelrisque,parceque,sijamaisçaneteplaisaitpas,turetrouveraistavieillecoupeennuyeuselelendemain.Qu’est-cequetuchoisirais?
Ennuyeuse?J’essaied’imaginerunenouvellecoupe.J’aibienune idéeentête,maisj’hésiteàledire.
—Allez,vas-y.Jevoisbienquedespenséesscandaleusesdéferlentdanstatête.
Alors,jemelance:—Blonde.Unpeu.Ilseredresse.—Alors,commeça,lajoliebrunetteveutdevenirblonde?Ilsetapotelatempedudoigtetroulelalanguecontrel’intérieurdesajoue.—Hmmm,dit-il,l’airpensif.Oui,c’estça.Desmèches.Ilmefaitdenouveaupivoterverslemiroir.—Accroche-toi,ma jolie ! Je suis sur le point de te faire passer les deux
heureslesplusgrisantesdetavie.Saufsi,biensûr…Ilmefaitunclind’œiletdésignedumentonlasalled’attenteoùj’ailaissé
Tate.Jesuissonregard,maisjenel’aperçoispas;iln’estpasassisdansl’undesfauteuilsenboislustré.
—Peut-êtrequeM.TateCollinst’adéjàemmenéeauseptièmeciel?ajoute-t-il,ensepenchantversmoietenmeregardantàtraverslemiroir.
—Pastoutàfait.Ilpenchelatêteenarrièreetéclatederire.— Petite maligne ! Tu as raison, dans cette ville, mieux vaut garder ses
secretspoursoi.
Il semetalorsau travail, enduitd’unproduitvioletgranuleuxdesmèchesqu’ilapréalablementséparées,puisenveloppechacuned’ellesdansunmorceaud’aluminium.Ensuite, j’attends, en feuilletant unmagazine people.Mon cœurrateunbattementquandjetombesurunephotodeTate.Ilestdeboutaumilieudelafoule,unemainenvisièrepouravancerincognito.
Lalégendecommente:
TATECOLLINSAPERÇUENPUBLICAPRÈSUNAND’ABSENCE.
Le cliché a été pris le soir où nous avons dîné chez Lola, quand il a étéassailli par la foule à l’extérieur du bar. Le soir où j’ai appris qui il étaitvraiment.J’ail’impressionqueçafaituneéternité.
Unefoislesmèchesprêtes,Stevenbranditunepairedeciseauxbrillantsetcommenceàcouper.Jeretiensmonsouffle,regardantlesmèchestombersursoldecarrelageblanc.
Lacoupeterminée,ilmesèchelescheveuxetjefermelesyeuxpournepasvoirlerésultatfinal.Jecrainsdedétester,d’avoirdesregrets.Maisquandilmedemanded’ouvrirlesyeux,j’aperçois,stupéfaite,monreflet.
Mescheveuxretombentsouplementsurmesépaules,paraissantbaignésparlesoleil,commeaprèsune journéepasséeà laplage.Lesmèchesblondesfontressortirmesyeuxverts—deuxémeraudesquisemblentpresque translucides.Jepasse lesmainsdansmescheveux;monchâtainnaturelest toujoursvisibledanslesmèchesblondes.J’ensoulèveune;elleseremetenplacenaturellement.
Jemepencheplusprèsdumiroir.—J’ignoraisquemescheveuxpouvaientressembleràça.—Jesuisassezextraordinaire,déclareSteven,avecunclind’œil.Jesourisetpivotepourluifaireface.—Maintenant,turessemblesàlaCharlottequisommeillaitentoi.Jesuisauborddes larmes.Tantdechosessesontpasséesaujourd’hui : la
visite-surprisedeTatecematin,laviréeshoppingimpromptue,etmaintenantça.Sansmême y penser, jem’avance et enlace Steven. Ilme serre dans ses brascommes’ilyétaithabitué.Ilsentlecloudegirofleetlanoixdecoco.
—Ellespleurenttouteslapremièrefois.Ilmefaitunclind’œiletritdesablague.—Merci,jeluidissincèrement.—Oh!tun’aspasencorefini.C’étaitseulementledébut.Denouveau,ilmelanceunregardespiègle.—Àprésent,Mariellevas’occuperdetonmaquillage.
Une femme émerge d’une porte surma gauche. Ses joues sont d’un roselumineux, ses cheveux lisses, noir de jais, coupés avec une frange sévère quitouchepresquesescils.
Steven fait une petite révérence quand je me retourne pour lui jeter undernier coup d’œil, etMarielleme prend lamain pourme conduire dans uneautrepartiedusalon.
Jem’assiedsdansunfauteuilblanctrèsconfortable.Jen’aipassouventeul’occasion de porter du maquillage et je ne sais pas à quoi m’attendre. J’ail’impressionquelabrossedemascaravamerentrerdansl’œil,etjesuispresquesûrequelerecourbe-cilsvam’arrachertouslescils.Mais,d’unemainexperte,elle penche ma tête d’un côté, comme si j’étais une toile et elle une artistepeintreenpleinecréation.
—C’estterminé,dit-ellefinalement.J’ouvrelesyeux.Levisagedanslemiroirappartientàquelqu’und’autre.Découvrir ma nouvelle coupe, c’était comme mettre une perruque pour
Halloween—coolmaistemporaire.Seulement,mevoircommeça,transforméeàcepoint,c’estcommemeréveillerd’unrêveétrange.
—Çateplaît?demandeMarielle.Ellelaisseretombersamaindroitedesataille,lepinceautoujoursentreles
doigts.Jenepeuxdétourner lesyeuxdemon image.Mes lèvressontbrillanteset
pulpeuses, d’un rose assorti àmes pommettes, comme si je venais de finir unjogging par temps froid.Mes yeux sont charbonneux, soulignés d’un trait decrayongris,etmonteintsembleparfait.J’ail’air…magnifique!Etpourtant,jesuistoujoursmoi.
—Jevaisprendreçapourunoui.Ellesouritetdétachelacapequ’onm’avaitnouéeautourducou.Jebaissela
tête,etmesyeuxtombentsurleshortetleT-shirtbanalsquejeportetoujours.—Jecroisquequelquechoset’attenddansuneautrepièce,ditMarielle.Ellemeconduitlelongd’unpetitcouloiretouvreuneportesurlagauche.
C’estunesalledebainsluxueuse,avecdesméridiennesblanchesetdesmiroirsrichementdécorés,dorésetornésdenœudssurleurpourtour.
Etpuis,jelavois,drapéecontreunmur,suspendueàuncrochet:uneroberouge longue et fluide, avec un col haut, des épaules dénudées et une longuefente le longdela jambe.Je l’avaisremarquée,chezBarneys,maisne l’aipasessayée—uncoupd’œilasuffipourdevinerqu’elleseraittropchère.Maiselleestlà.
C’esttrop,beaucoupplusquejenepeuxaccepter.Pourtant,quandjepasselesmainssurletissusoyeux,jenerésistepasàl’enviedel’essayer.
Jeme débarrasse demes vieux habits et passe la robe. Elle glisse surmapeau et tombe parfaitement, comme si elle avait été cousue pour moi. J’encaresseladoucetexture,puismeregardedanslemiroirquivadusolauplafond.Jesuis…éblouissante!Jenepeuxpasdirenonàcetterobe.ToutcommejesuisincapablededirenonàTate.
Jeremarquealorsunepaired’escarpinsàbrides.Jelesenfile,meremetssurmespieds,émerveilléedemahauteur.
Est-cequejevaisréussiràmarcher?Jepliemesvieuxvêtementsetlesfourredansunsacenplastiquesuspendu
derrièrelaporte,unsacdusalondecoiffure,unQimprimésurledevant.Prenantunegrandeinspiration,jequittelasalledebainsetreviensdansle
coinsalon.Tatesetientprèsdelaported’entréeetregardeparlafenêtre.Il se tourne à mon arrivée, puis s’immobilise net, comme frappé de
paralysie.Ses yeux se promènent sur moi quelques instants en silence ; il a l’air
subjugué.Puisnosregardssecroisent.—Tuesabsolumentsublime!dit-ildansunsouffle.Ledésirdanssesyeuxmedéstabilise,etjemeforceàinspirer,expirer,pour
nepasdéfaillir.—Mercipourlarobe,dis-je,faisantcourirmesdoigtssurletissu.Elleest
magnifique.—C’esttoiquiesmagnifique.Ilmeprendlesacplastiquedesmains.J’aidéjàl’impressionqueçafaitune
éternitéquejeportaislesvêtementsquisetrouventàl’intérieur—uneCharlottedifférente,dansuneréalitédifférente.
Jecommencevraimentàm’habitueràlanouvelle.
***
Il Cielo n’est pas un restaurant — c’est un autre univers. Féerique etmagique, tapissé de vignes qui grimpent le long des murs de brique rouge,éclairédechandelierssuspendus,telunocéandelumièrequidiffuseunedoucelumièredorée.
J’ai l’impression d’être dans un conte de fées, une scène égarée duSonged’une nuit d’été ; un monde imaginé par Shakespeare, où les fées et lesamoureuxéconduitsdansent,fontl’amouretconfessentleursobsessionslesunspourlesautres.
Tate est assis en face de moi dans le jardin extérieur, niché au fond durestaurant.Notreserveuse,unepetitecréaturesautillanteauxjouesrosesetauxcheveuxcourts,participedelasensationd’avoirététransportésdansununiversromantique.
Pendant le repas, Tate m’observe, faisant naître en moi des vagues dechaleur. Jemedemandeencorecommentunsimple regarda lepouvoirdemefaireoublierlespromessesfaitesàmoi-même,leserreursdemamèreetcellesdeMia.
—Parle-moidetafamille,demande-t-il,commes’illisaitdansmespensées.Jesoupire.—Mamèrem’aeuetrèsjeune.Elleestmortequandj’avaisdouzeans.Je
n’aijamaisconnumonpère.J’aiunesœuraînéequiaunfils,Leo.Ilapresqueneufmois.Onvit tousavecmagrand-mère.Iln’yapasgrand-chosed’autreàajouter.
Ilmeregardedroitdanslesyeux,etjesuissûrequ’ildevinequecen’estpaslàtoutel’histoire.
—Jesuisdésoléepourtamère.Elledoittemanquer.Bienquej’essaiedelerefouler,lesouvenirdelanuitdesamortmerevient
enmémoire.Ray,sonpetitamidumoment,etelleontpercutédepleinfouetunebarrièredebéton sur l’I-5au suddeSanClemente, alorsqu’ils roulaientdansleurChevymarron.Ilsavaientbuetilsétaientsidéfoncésque,d’aprèslapolice,si l’accident ne les avait pas tués, ils auraient pu faire une overdose plus tarddans lanuit.Cequin’est pas facile à entendrepourune fillettededouze ans.Tandis que les agents annonçaient la nouvelle à grand-mère, dans le salon,j’espionnaisdelaportedemachambre.Miaetmoivivionsdepuistroisansdéjàchezelle,voyantnotremèretouslesdeuxmoisenviron,quandelleavaitbesoind’unendroitoùpasserlanuit.
—Oui,dis-je.Maisc’estcompliqué.Ellenousaabandonnéesquandonétaittrèsjeunes,alorsjenesaispas…
Jehausselesépaules.—Pourêtrehonnête,j’aipassélamajeurepartiedemavieàtoutfairepour
ne pas lui ressembler. C’est pour ça que je ne voulais pas sortir avec toi, au
départ.Elle ne savait pas faire la différence entre unmec bien et unmec peurecommandable,et…
Jem’interromps.— Tu pensais que j’étais un mec peu recommandable ? demande Tate,
stupéfait.Tulepensestoujours?Je l’observe longuement,commesicelapouvaitmepermettredemieux le
cerner.—Ehbien…Sionconsidère lesnombreuxarticlesparusà tonsujetdans
PeopleetUSWeekly,j’auraisdebonnesraisonsdelepenser,non?Ilouvrelabouchepoursedéfendre,maisjepoursuis:— Sauf que ma propre recherche empirique m’amène à une conclusion
différente.Sonairrenfrognésetransformeenunriredontjesavourechaquenote.C’est
lapremièrefoisquejel’entendsrirecommeça,demanièreaussidécontractée,sansretenue.
—Rechercheempirique,hein?—Jesuisunescientifique,nel’oubliepas,dis-jeavecunsourire.
***
Noussommesencoreentrainderireensortantsurletrottoir,etleflashd’unappareilphotoexplosedevantmesyeux.
—Tate!crieunhomme.Etilprenduneautrephoto.Tateréagitimmédiatement.Ilm’attireversluietplacelamaindevantmon
visage.—Tate!crieencorel’individu,essayantdelefaireseretournerverslui.Qui
t’accompagne?Pourquoitecachais-tu?Dis-nouscommentelles’appelle!Ilutilise«nous»,commes’ilyavaitd’autrespaparazzis,maisiln’yaque
lui.Soitquelqu’unl’aprévenu,soitilcampaitdevantlerestaurant,dansl’espoirdevoirquelqu’undecélèbreensortir.
Tate me guide le long du trottoir et nous nous éloignons. Les flashsn’arrêtentpasetjemeprotègelesyeuxdelamain.
J’aperçois bientôt la Tesla. Tate ouvre précipitamment la portière côtépassageretmepousseàl’intérieur.Ilgrimpesurlesiègeconducteuretdémarreen trombe. Le flash de l’appareil photo continue d’exploser contre les vitresteintées,jusqu’àcequ’ons’insèredanslacirculation.
Tate se gare à l’angle de la rue, près de chez moi, et s’adosse au siège.L’ambiance légère du dîner n’est plus qu’un lointain souvenir. Il est tendu, lamâchoirecrispée.
Jetendslamainavechésitationpourluitoucherlebras.—Aumoins,iln’yenavaitqu’un,dis-jed’untonquiseveutrassurant.—Jesuisdésolé,Charlotte.Jedevraisêtreplusvigilantquandjesuisavec
toi.Jen’auraisjamaisdût’emmeneràIlCielo.—Jevaisbien.C’est arrivé trop vite pour que j’aie le temps de comprendre.Tate semble
plusremuéquemoi.Cesont justedesphotos.Etnousn’étionspasentraindefaire quelque chose de scandaleux, ou digne d’un gros titre. Dumoins, je necroispas.J’aidumalà imaginerque lephotographepuisse lesvendreous’enservirpourquoiquecesoit.
MaisTatenemeregardepas,ilesttoujoursrenfrogné.— Je ne veux pas que tu sois photographiée. Je ne veux pas que ta vie
changeparcequej’enfaispartie.—Jesais,maiselleadéjàchangé.Passeulementàcausedetoutcequetu
asfaitpourmoiaujourd’hui—lesvêtements,lesalondebeauté,oulefilm,hier.Ellechangesimplementparcequetuesavecmoi.Etc’estcequejeveux.Jet’aiditquej’étaisprêteàmelancerdanscettehistoireavectoi.Netesenspasobligédemeprotéger.
Ildesserrelesmainsduvolant,lesposesursesgenouxetsetourneversmoi.—Commenttufaisça?—Quoi?—Direexactementcequej’aibesoind’entendre,pileaubonmoment?Jel’observedanslalueurbleutéedutableaudebord.Lestraitsdesonvisage
sontilluminésd’unseulcôté,enunvifcontraste.Jerepenseà tous lesmomentsoùsesmotsm’ontdéstabilisée,aufaitqu’il
m’ait convaincue d’accepter un rendez-vous, deme promener en voiture aveclui,puisquej’aieapprouvélestermesdeson«contrat».Ilaunefaçondemefaireoubliertoutlereste.Toutsauflui.
—C’esttoi,d’habitude,quidisexactementcequ’ilfaut,jeluirappelle.Ilsouritetsesyeuxseposentsurmeslèvres.Jecroisesonregard,puis—audiablelesconséquences—jedemande:—Est-cequ’onpeutallercheztoiunmoment?Ilnerépondpastoutdesuite.
—Jenepeuxpast’emmenerchezmoi,déclare-t-ilfinalement,leregardfixépar-delàlepare-brise.Jenesuispassûrdepouvoirmecontrôler.
—Qu’est-cequetuveuxdire?—L’allurequetuas,cesoir…J’aidumalàgarderlesidéesclaires.Ildéglutitaveceffort.—Jenemefaispasconfiance,quandjesuisprèsdetoi.Je sensmon cœurpalpiter dansmapoitrine.Ledésir soudain chante dans
mesveines.Cette journéeafaitdemoiquelqu’undedifférent,d’audacieuxet,cette fois, jen’aipaspeurde le toucher. Jecaressesoncou, laisseglissermesdoigtsverssamâchoirepuisseslèvres.J’effleuresalèvreinférieure,exerceunepression,sensleurchaleur,etjefrémisdetoutmoncorps.
Ilsetourneversmoi,mesdoigtstoujourscontresabouche.—Charlotte…Savoixestgraveetprofonde.Ilécartemamain.—Sijecommenceàt’embrasser,jenepourraipasm’arrêter.Jecontinuerai
jusqu’àceque…Ilmecaressedoucementlamain,puislareposesurmesgenoux.Sesyeux
glissentversmesjambescachéessouslarobe,puisremontentversmoncouetmeslèvres.
J’ouvrelabouchepourparler,maisilm’arrête.—Pasencore,dit-il.Je soupire. Toutes les cellules enflammées demon corps sont réduites en
cendres,éteintesparsesparoles.Madéceptionestimmense.Jamais je n’aurais imaginé ressentir cela. Jamais je n’aurais pensé que ce
serait moi qui insisterais pour que nous allions plus loin, dans l’attente d’unbaiser qu’il refuse demedonner. Je ne comprends pas ses limites ; ses règlesn’ontaucunsenspourmoi.
Moncerveaurepassealorsenmodepratique,m’empêchantdem’appesantirsur ma déception et la sensation d’échec qui l’accompagne. Je ne peux pasrentreràlamaisonaveclesvêtementsquejeporte.
—Jedoismechanger.Tatemeregarde,hésite,puishochelatête.Ilm’aideàsortiretàm’installer
sur lesiègearrière,où lesacquicontientmesvieuxvêtementsestposéàcôtédes autres achats. Il se glisse sur le siège à côté demoi pour ne pas quemesvoisinsleremarquent,maislacouleurluimonteauxjoueslorsqu’ilréaliseàquelpointnoussommesproches.
—Jeneregarderaipas,promet-il.Iltournelatête,joignantlegesteàlaparole.Il s’attend à ce que jeme changedans la voiture.Lesvitres sont teintées,
presquenoires,iln’yaaucunrisquequequelqu’unmevoie,del’extérieur,maisjesuisdéstabiliséedelesentirsiprès.
Toutefois,jen’aipasd’autreoption.J’enlève mes escarpins noirs. Mes plantes de pied commençaient à être
douloureuses, et je me masse rapidement les talons. J’essaie de défaire lafermetureÉclairdemarobe,mais,danscettepositionmaladroite,jenepeuxpasatteindrelehaut.
—Est-cequetupourrais…Je lui indique le problème d’un signe ; parler à voix haute rendrait la
situationtropintime.Ilseretourne,meregardesansciller,etsesyeuxsemblents’assombrirplus
encore.Jem’ajustesurlesiègedemanièreàluitournerledos,maisilnes’exécute
pastoutdesuite.Jepeuxentendresarespiration,sonhésitationdanschacunedesesexpirations.
Puissesmainsseposentsurmoi,s’attardentàlabasedemanuque,avantdetrouverlehautdelafermetureetdelafaireglisserjusqu’àmataille.Sonsoufflechatouille faiblementmon dos nu et je plaque le devant de la robe contremapoitrine,avantdemeretournerpourleregarder.
Sonvisageapresquel’airdouloureux,commes’illuttaitpournepastendrelamainetme toucherànouveau,pour se retenirdem’arracherma robe. Il setourneensuiteverslavitre,pourmedonnerunsemblantd’intimité.
Jecambre ledoset faisglisser la robe le longdemes jambes jusqu’àmeschevilles.Danslapénombre,lasoierougecontinuedebrillersurletapisdesol.L’air est doux,mais un frisson court surmapeaunue. Je plie la robe, puis lafourredanslesacdusalondebeauté.JeressorsmonshortetmonT-shirt,etmerhabilleaussivitequepossible.
Pendant ce temps, Tate reste immobile, n’essayant pas de regarder à ladérobéemoncorpspartiellementnu.
Quand j’ai fini, je me sens comme Cendrillon après minuit, revenue à lanormaledansmesvêtementsdetouslesjours.
—C’estbon,dis-jedoucement,pourqu’ilsachequej’aiterminé.Il commence àouvrir la portière, puis interrompt songeste, et se retourne
vers moi. L’espace d’un instant, il a l’air gêné, comme s’il avait toujours à
l’espritmoncorpsàmoitiénu,assisàquelquescentimètresdelui.— Je veux te revoir, dit-il,me dévisageant de son regard pénétrant.Cette
semaine.Jeveux le revoiraussi—jeneveuxmêmepas luidireau revoir.Mais le
rappel de toutes les choses que j’ai à faire cette semaine — un contrôled’algèbre,undevoiràrendreenanglais—meramènedurementàlaréalité.
—Çavaêtreunesemainedefolieaulycée.Enplus,j’aiditàHollyquejeferaisdesheuressupplémentaires.
—Peut-êtrequetunedevraisplustravaillerchezcettefleuriste,suggère-t-il.Jepenchelatête,pensantavoirmalentendu.—Quoi?Pourquoi?—Pourqu’onaitplusdetempspoursevoir.Tuasdéjàtellementàfaire!Jerepousseunefinemèchedecheveuxquimetombesurlevisage.—J’aibesoindecejob,Tate.—Jepourraisacheterlaboutiqueetengagerquelqu’unquitravailleraitàta
place.—Tate!Jesuischoquéedel’entendreparlerainsi.Est-ceencoresonbesoindetout
contrôlerquis’exprime?—J’aimemontravail.Etcen’estpasparcequetuasbeaucoupd’argentque
jechercheàmefaireentretenir.Jem’attends à ce que la discussionvire à la dispute,mais il se fendd’un
sourire,quesafossetterendpluscraquant.—J’aimequandtufaisça.—Quoi?jebougonne,encoreunpeusurladéfensive.—Cette tête-là.Quandquelque chose te contrarie, tuplisses lenez.C’est
adorable.—Tate…Agacéequ’ilnemeprennepasausérieux,j’ouvrelaportièreetdescendsde
voiture.J’essaiedegarderuneminesévère,pourbienluimontrerqu’ilnepeutpasmemalmenerainsi.Maisquandjelèvelesyeuxverslui,jeremarquequ’ilarboreundesesraressouriresjusqu’auxoreilles,etjenepeuxpasm’empêcherdesourireàmontour.
Ilmerejointàl’extérieur,portemonpoignetgaucheàseslèvreset,sansmequitterdesyeux,embrasseletriangledessinéaustylobleu.
—D’accord.Garde ton travail.Mais jeveuxquandmême tevoiret, siçaveut dire que je dois acheter tout le stock de fleurs du Bloom Room chaque
semaineetlesfairelivreràdivershôpitaux,c’estcequejeferai.Jesecouelatête.—Bonnenuit,Tate.Mercipourcettemagnifiquejournée.—Bonnenuit,Charlotte.Jesuiscontentqueçat’aitplu.Jefaisquelquespasàreculons.Ilmesuitduregard,puisjemeretourneet
remonteletrottoirrapidement.Arrivéeà laportede lamaison, jecache les sacsderrièreungrandpotde
fleursvide,puisme faufileendouceà l’intérieur,pourvérifierque lavoieestlibre. Mia est dans le salon, devant la télévision, somnolant à moitié, Leoendormisursesgenoux.Unmincefiletdelumièreencadrelaporteferméedelachambredegrand-mère.
Sautantsur l’occasion, jepasse lessacsendouce, filantdansmachambre,évitantdecroiser le regarddeMia.Elleestprobablementcontrariéeque jenesoispasrentréeàtempspourgarderLeo,cequiadûl’obligeràannulerunefoisdeplussasortieavecGreg.Mais jedevaisdéjàmepréoccuperdemonproprerendez-vouset,bienquej’adoreLeo,iln’estpasmaresponsabilité.
Jemedévisageunedernière foisdans lemiroirau-dessusde lacommode,observantl’étrangèreglamourquis’yreflète.Puisj’essuiemonvisageavecunmouchoir,regardantlebeaumaquillagesefondreenunmélangedecrèmeetdegris. N’osant pas suspendre mes vêtements neufs sur des cintres, au cas oùquelqu’un les verrait, je fourre les sacs de Barneys au fond de mon placardminuscule.
Justeavantquej’aillemecoucher,grand-mèrepoussemaporteentrebâilléepour me souhaiter bonne nuit. Elle s’arrête net en remarquant mes cheveux.Alors jemens—encoreunmensonge.Je luidisqueCarlosm’aemmenée lesfairecouperetcolorer—soncadeaud’anniversaireen retard—,qu’ilvoulaitquej’aieuntoutnouveaustylepourlesvacances.
Elleportesonpyjamadecotonblanc,celuiqu’elletraînedepuisdesannéeset repasse tous les soirs avant de se coucher. Ses cheveux auburn sont tressésdanssondos.
Elle a l’air fatiguée,mais je perçois aussi autre chose sur son visage : del’inquiétude,dudoutepeut-être.
—C’estjoli,déclare-t-ellefinalement.J’essaied’ignorer lepincementde culpabilitéque je ressens. Jevisdepuis
longtempsavecelleet jeneluiavais jamaismenti jusqu’àmaintenant, jusqu’àmarencontreavecTate.
Lorsqu’ellequittelapièce,jemeglisseentrelesdrapsetappelleCarlos.Jem’excuse d’avoir séché notre séance de révisions,mais passe sous silencemajournéeavecTate.Jenesuispasprêteàenexaminerchaquedétail,àenpartagerchaquemoment.Unepartiedemoiaimeavoirunsecret,quelquechoseàmoi,rienqu’àmoi.
Tate est le seul élément de fantaisie dansma vie ennuyeuse, responsable.Unefantaisiequejeneveuxdévoileràpersonne.
Chapitre11
Mia fait irruption dansma chambre, la lumière de son téléphone portableflottantau-dessusdemonvisage.Jeclignedespaupières.
—C’estquoiça?aboie-t-elle.Jemefrottelesyeuxet jetteuncoupd’œilauréveilsurlatabledechevet
—iln’estpasencore6heuresdumatin.Mesyeuxs’ajustentàlalueurdesontéléphoneetjereconnaisl’imagesur
l’écran.Aussitôt,jebondishorsdemonlitetluiarrachel’appareildesmains.C’est une photo deTate. Et la personne quimarche à côté de lui, c’est…
moi. Elle date de notre dîner à Il Cielo. Les clichés dont je pensais qu’ilsn’intéresseraientpersonne.
—Tum’expliques?Jeneluirépondspas.Àlaplace,jefaisdéfilerd’undoigtfébrilelasériede
quatreimagessurlesitepeopleoùellesontétépubliées.Heureusement,cen’estpasaussiterriblequejelecraignais:lamaindeTatemasquelamajeurepartiedemonvisage.
—Jesaisquetumeprendspouruneimbécile,Charlotte,ajouteMia,maistutedoutesbienquejereconnaismapropresœurquandjelavois.Ettuporteslabaguedemaman.Onladistingueparfaitement,surcelle-là.
Ellepointedudoigt laphoto.Àmamaingauche levéese trouve labagueturquoisedemaman.Impossibledesetromper.
Merde.J’essaiedefaireabstractiondelasensationdésagréablequinaîtaucreuxde
monventre.Jenepeuxpascontinueràmentir.Jerespireprofondément.—Tuasraison.C’estbienmoi.J’étaisavecluisamedi.
Sesyeuxvertss’écarquillent,commesiellemevoyaitpourlapremièrefois.—Qu’est-cequetufoutaisavecTateCollins?Jeluirendssontéléphoneetcroiselesbras.—Je…onsevoit.Finalement,c’estunsoulagementdeprononcercesmots.J’avaislasensation
demeteniraubordd’unprécipice,etl’avouermedonnel’impressiondesauterd’une falaise. Une fois la peur initiale dépassée, le sentiment de légèreté estincroyable.
—Qu’est-cequetuveuxdire?Voussortezensemble?Je me rends compte que beaucoup de monde parle de Tate Collins, sans
distinguer son prénom de son nom, comme s’il n’était pas comme nous, unepersonneenchairetenos,avecdesdéfautsetdesfaiblesses.
C’estpeut-êtrepourçaqu’ilme tournaitautour,audébut.Parceque,pourmoi,ilétaitjusteTate,etquec’étaitnouveaupourlui.
Miafroncelessourcils.Jeneparvienspasàdéterminersielleestencolèrequejeneluienaiepasparléplustôt,ousielleestjalouse.Iln’yajamaisrieneudans ma vie dont elle ait pu être jalouse, en tout cas pas dans le domaineamoureux.Évidemment, jesupposequesa libertéetsessortiesdusamedisoirdoiventluimanquer.
Mais je n’ai jamais été libre non plus. Pas vraiment. J’étais tenue par lapromesse que je m’étais faite, cette vie planifiée d’avance, dans laquelle lesgarçons n’avaient pas leur place.Une vie qui n’incluait pas Tate.Mais jemeretrouvepropulsée,etdeplusenplusrapidement,dansuneviedifférentedepuisquelquetemps.Etjeneveuxpasfairemachinearrière.
J’acquiescedonc:—Oui.Onsortensemble.Elleglissesonportabledanslapochedesonsweat-shirt.—J’auraisdûmedouterque tanouvelle coupede cheveuxn’était pasun
cadeaudeCarlos.Est-ceque tuvasmedirecomment tuas rencontréune starinterplanétaire?Etcommentilt’ainvitéeàsortir?
Jesoupire.—Ilestentrédanslaboutique,unsoir.Ensuite…c’estjustearrivé.—Grand-mèrevaêtrefurieuse.Çavaladétruire.Jemeprécipiteverselle.—Tunedoisriendire.Promets-le-moi,Mia.Ellenedoitriensavoir.Elletournelementondegaucheàdroite,l’airpensif.—Etpourquoiest-cequejegarderaistonsecret?
—Parcequejet’aicouvertedestasdefois.Je n’en reviens pas qu’elle fasse autant de complications ! Elle préférait
sûrementquandj’étaislasœurrasoirquin’avaitaucuneviesociale.—Lemois dernier, j’ai gardé Leo pour que tu puisses aller retrouver un
mec,aprèsavoirditàgrand-mèrequetuterendaisàunentretien.Etrappelle-toilesoiroùtuesvenuedansmachambreà1heuredumatinpourmedemanderdedormirdanstonlit,àcôtéduberceaudeLeo,pourquetupuissessortirendoucerejoindre le typemarié…Jen’aipasdu toutdormi, cettenuit-là, et j’avaisuncontrôle,lelendemain.Et…
—C’estbon!mecoupe-t-elle,avantquejecontinueàénumérertouteslesfoisoùjeluiaisauvélamise.
Nonpasquejel’aiefaitpourelle,pasexactement.Jel’aifaitpourLeo.—Maissigrand-mèreledécouvre,ajoute-t-elle,jenieraiêtreaucourantde
quoiquecesoit.Jeneveuxpasqu’ellesoitfâchéecontremoiaussi.Jeme passe lamain dans les cheveux, grimaçant à l’idée que grand-mère
découvremonhistoireavecTate.—OK,Mia.Ellesedirigesansbruitversmacommode,tripotantl’assortimentdelivres,
debaumesàlèvresetdestylosdispersésdessus.—Jen’arrivepasàcroirequeCharlotte laparfaiteaitenfinbrisé l’unede
ses règles, reprend-elle— et je ne peux dire si c’est de l’inquiétude ou de lasatisfactionquipercedanssavoix,ouunmélangecompliquédesdeux.EtavecTateCollins,rienqueça!
Ellemelanceunsourireespiègle.—Vousavezdéjàcouchéensemble?—Biensûrquenon!Nonpasqueçateregarde.—Tuasraison.C’esttavie,dit-elle,soudainlasse.Libreàtoidelagâcher,
sic’estcequetusouhaites.—Jenegâcherien,Mi.Jevis,c’esttout.—C’estcequejedisaisaussi,avant.Ellesedirigeverslaporte.J’entendsgrand-mèrequiprépareducafédansla
cuisine.—Faisquandmêmeattention.Une fois qu’elle est sortie, j’attrape mon téléphone portable posé sur le
chevetetenvoieuntextoàTate:
IlyadesphotosdenoussurInternet.
Une heure plus tard, jeme tiens devantmon placard, essayant de déciderquoi mettre pour le lycée, mais mon esprit revient sans cesse aux photos dupaparazzi.
Est-cequequelqu’und’autrevadécouvrirquec’estmoi?Est-cequegrand-mèrevaaussitomberdessus?
Je sors le sacdevêtementsneufs fourré au fondduplacard. J’ai vraimentenvie de porter l’une demes nouvelles tenues ; je veux éprouver ne serait-cequ’undixièmedel’assurancequejeressentaissamedi.Maisjeneveuxpasnonplusattirerl’attention.
Mon téléphonebipealors sur le lit et je l’attrape rapidement,espérantquec’estTate.C’estbienlui.
J’aivulesphotos.Est-cequeçava?Çava.Masœuracomprisquec’étaitmoi.Sinon,R.A.S.Çava,toi?Jem’inquièteseulementpourtoi.
J’ai vraiment envie de lui parler, d’entendre sa voix,mais je ne peux pasprendrelerisquequegrand-mèremesurprenne.
Unnouveautextoarrive.
D’aprèsmonpubliciste, lesmédiasne saventpasqui tu es. Ils t’appellent« la fillemystère».Monéquipetravaillepourfaireensortequeçaresteainsi.Merci.
Sonéquipe.Ilauneéquipe,ces«personnes»qu’ilamentionnéesaudébut.Encoreunrappeldesénormesdifférencesquiexistententrenous.
Jesecouelatêteetvérifiel’heuresurmontéléphone.Ilfautquejem’habilleoujevaisêtreenretard.
Enroutepourlelycée.Onseparleplustard?Biensûr.
Puisilajoute:
Tumemanquesàendevenirfou.
J’opte pour un jean et unT-shirt. Je ne sais pas ce quim’attend au lycée.Mieuxvautmefondredanslamasse,mecomportercommesiderienn’était.
***
Tandis que je traverse le couloir de l’établissement, je remarque avecsoulagementqu’iln’yariend’inhabituel.Seullecafarddulundimatinselitsurles visages. Personne n’est au courant.Comment le pourraient-ils ?D’accord,desphotosdeTateCollinsetd’unefillemystèrecirculentsurtouslesforumsenligne, les blogs et les réseaux sociaux,mais le visage de la fille est dissimuléderrièreunemasse flouedecheveuxblond foncé.Seulemasœurapu faire lelien.
Mais,toutàcoup,unegrandesilhouetteseglisseàcôtédemoi,bloquantlavuepartielleducouloirquej’aidemoncasier.
—Inutiledetecacher!Je lève la tête etCarlosm’observe, ses sourcils formantunarcparfait sur
sonfront. Ilnemeregardepasavecdesyeuxcompatissants. Ilest fâchéaprèsmoi.Parcequ’ilsait.
—Carlos…Illèvesapaumedroitedevantmonvisage—desdoigtslongs,élégants—,
etjefixesalignedeviequipréditsonavenir:troisenfants,beaucoupd’argentetunelongévitéjusqu’àquatre-vingt-dixansaumoins.
Unjour,unefemmedeVeniceBeachquisentaitl’oignonaluleslignesdenosmains.Malignedudestinsedivisaitendeux,selonelle—cequin’étaitpasforcémentunebonnechose—,témoignantdedeuxchoix,deuxcheminsdeviepossibles.J’avaisoubliécetteprédictionjusqu’àmaintenant.
—Est-ce vraiment la peine que je pose la question, ou es-tu prête à toutdéballer?demande-t-il.
Il laisse retomber son bras et enfonce les mains dans les poches de sonpantalon.Aujourd’hui,ilporteunechemisebleumarineboutonnéejusqu’aucouetunpantalongris.
—Jenevoulaispastelecacher.—C’estcequetuasfait,pourtant.—Jesais.Jevoulaisjustequepersonnenelesache…Pasencore.—Jenesuispasn’importequi.Jesuistonmeilleurami,Charlotte!—Jesuisvraimentdésolée.
Jelèvelatête,croisesonregard,etmoncœuralasensationd’êtreécraséetpiétiné.
—J’allaist’enparler.—Quand?Sicesphotosn’avaientpasétéprises,sijen’avaispasremarqué
une bague turquoise très particulière à lamain gauche de lamystérieuse filleblonde à côté de Tate Collins, et ensuite découvert, ce matin, que tu avaissubitementl’airtrèsblonde,quandexactementmel’aurais-tudit?
Jedéglutisaveceffort.Visiblement,ilesttrès,trèsencolère.— Sous peu, dis-je, essayant de paraître convaincante. J’attendais
simplement…lebonmoment.Ilrespirefortparlesnarines,pasdupe.—EtTateCollins?Iltapedudoigtcontrelaporteouverteducasier.—Çat’ennuieraitdem’expliquercommentc’estarrivé?—Ilestvenuàlaboutique,dis-je,répétantcequej’airacontéàMiaunpeu
plustôt.Ensuite,ilm’aenvoyécesroses…—TateCollinsestM.SexyetMystérieux?Ilenestbouchebée,lesyeuxécarquillés.—Oui.Jeréalisesoudainàquelpointjeluiaidissimuléleschoses.Etjevoisàson
expressionqu’ils’enrendcompteaussi.J’aiétéuneamieminable.—J’ai refusé plusieurs fois de sortir avec lui. J’ai essayéde le repousser,
j’ajoute,commesiçapouvaitexpliquermonmanqued’honnêtetéenverslui.Si Tate était sorti de ma vie dès la première nuit, il n’y aurait rien eu à
raconter,rieneuàcacher.—Mais il a continué de passer à la boutique. Finalement, j’ai accepté un
rencardaveclui,etc’estlàquej’aicomprisquiilétait.—Attends,tuignoraisquec’étaitTateCollins?—Jen’yconnaisriendanscedomaine…—MaisTateCollins,quoi!—Crois-moi,Carlos,jemesensdéjàsupernulledenepasl’avoircompris
plustôt.— Et comment t’es-tu retrouvée à quitter Il Cielo dans cette robe rouge
magnifiqueetaveccettecoupedecheveux?Ildésignematêted’ungestethéâtral.—Tatem’aemmenéedansdesboutiques,puischezQ,unsalondecoiffure
àBeverlyHills.
—Ilt’aemmenéechezStevenSalazar?!Jehochelatête,tandisqu’ilsefendd’unsouriremalgrélui.Ilsaitbiensûr
où toutes les célébrités vont se faire couper les cheveux. Il regarde mêmeprobablementl’émissiondeSteven.
—Jecroisquejesuisplusvexéquetunem’aiespasimmédiatementinvitépar textoà te rejoindreausalondeStevenque jene le suisde tonsilencesurTateCollins.
— J’ai été bête de ne pas t’en parler, dis-je, espérant que ma voixcommuniquetoutleregretquejeressens.Toutestarrivésivite,j’aiàpeineeuletempsderespirer.
—Tajournéeshoppingettaséancebeauté,outonhistoireavecTate?—Lesdeux.Sonexpressionseradoucitetillâchelaporteducasier.—Bon…Jet’aimeetjesuisincapablederesterfâchécontretoi.Puisilhausselessourcils.—Maistuferaismieuxdeneplusmecacherunseuldétailàl’avenir!Je
veuxtoutsavoir.Absolumenttout.—Çamarche,dis-je,avecunsourirehésitant.Puis,sansprévenir,ilmeprendparlataille,mesoulèveetmefaittournoyer,
avantdemereposercontrenotrecasier.Lesquelquespersonnesautourdenousjettentdesregardsdansnotredirection,avantdereprendreleursconversations,siroterleurcaféouéchangerdeslivresdansleurscasiers.
—TusorsavecTateCollins!fait-ilàvoixbasse,commepoursoulignerlecôté incroyablede la situation.Le fait que tu aiesunpetit ami estdéjà en soiahurissant. Alors, le méga-célèbre et canon Tate Collins, dont la musiquem’obsèdedepuistroisans,maisdonttun’avaisrienàfaire…ceTateCollins!
Ilprendunegrandeinspiration,commes’ilallaitdéfaillir.Jememordillelalèvresupérieurepourm’empêcherdepouffer.—Ouais,jerépondsdoucement.C’estbienlui.—QuandCharlotteReeddécidedesortiravecungarçon,elleneperdpas
sontempsaveclelycéenmoyen,ellechoisitcarrémentunestar.Jen’ai jamaisétéaussifierdetoi.
Sesparolesmefontpenseràgrand-mère:elleneserapasfière,elle,siellel’apprend.
—Tunemetrouvespasfaible?jedemanded’unepetitevoix.Tuconnaismarègleanti-flirt,etjeviensdelabriser.
Ilsepencheversmoi.
—Tun’espasfaible,merassure-t-il.Tuviensseulementdecomprendreceàcôtédequoitupassais.Riend’autren’achangé—tun’asabandonnéaucundetes objectifs, tu n’as pas laissé tomber les cours. Tu vas juste avoir une vieamoureusepalpitantepouraccompagnertoutça.
Ilmefaitunclind’œiletonsesourit.EntendrequeCarlosn’estpasdéçumefaitmesentirmieux.
Laclochesonne,ettoutlemondesedisperse.Carlosattrapesonmanueld’algèbredansnotrecasier.— On se voit en anglais, Charlotte. Je rêverai de toi et Tate Collins en
attendant.Jelèvelesyeuxaucield’unairamusé,refermenotrecasiercommun,puis
m’éloignedansladirectionopposée,pourmoncoursd’histoire.J’avaisunpeud’appréhension,enarrivantaulycée,maispersonnenejette
un œil dans ma direction. D’autres que Carlos ont vu les photos — JennaSanchezetLacyHamiltonchuchotentàleursujet,pendantqueM.Rennertfaitcours sur le symbolisme dans L’Attrape-cœurs. Mais elles se concentrentdavantagesurlaroberougeàtomberquesurlafilleelle-même.Alorsqu’ellesparlentdesabdosdeTate,Carlosmesouritd’unairentenduenmedonnantuncoup de coude, et je me force à prêter attention au héros du roman, HoldenCaulfield.
Je prends alors conscience que je ne risque rien. La nouvelle petite amiemystérieuse de Tate ne pourra jamais être Charlotte Reed l’intello, le rat debibliothèque,lafillesageetrangée.Unefillecommeellen’attirepasl’attentiondesstarsinterplanétairesdelamusiquecommeTateCollins.
Jejubileintérieurement.Ilsonttoustortàmonsujet.Terriblementtort.
***
Ma vie reprend son cours normal. Je terminemes dossiers de candidatureuniversitaires,vaistravaillerauBloomRoom,révisemescours,agistoutcommejel’aitoujoursfait.Àl’exceptiond’unechose:Tate.
SeulsMiaetCarlossaventquejepassemesvendredisetsamedissoiraveclui, chez lui, ou dans de petits restaurants intimes qu’il réserve rien que pournous. Il me parle de sa musique, m’explique qu’il n’a pas eu envie d’écrirequelquechosedenouveaudepuislongtemps.
Nous sommes plus vigilants, au sujet des paparazzis, et nous évitons lesendroits lesplusbranchés.OndemandeàTatededonnerdes interviewset depasser dans des émissions ; le magazine Rolling Stones veut même faire unarticleausujetdesaréapparitionsoudaine,aprèsunand’absence,etrévélerenexclusivitéaumondeentierl’identitédesapetiteamiemystère.Maisildéclinetouteslesinvitations.Ilneveutpasparlerdenous,nidel’annéedernière.Ilveutseulementqu’onlelaissetranquilleetêtreavecmoi.
Nousfaisonsdelonguesbaladesenvoiturejusqu’àLagunaBeach.Unefois,nousallonsmêmejusqu’àLaJolla,oùons’assoitàlaterrassed’unpetitglacierfaceàl’océan,pourpartagerunecoupedesorbetcitronvert.
Danscesmoments-là,Carlosmesertd’alibi.Jedisàgrand-mèrequenouspassonstoutnotretempslibreàétudieràlabibliothèqueouchezlui,quec’esttropdifficilepourmoide seconcentrerà lamaison,avecMiaetLeo toujoursprésents.
Alorsqu’enfait,jesuisavecTate.Maismêmelorsquenoussommesblottisl’uncontrel’autredanssavoiture
faceàl’océanPacifique,ousursoncanapéentrainderegarderunfilmquej’aichoisi,onnes’embrassepas.«Pasencore»,medit-ilchaquefoisquej’essaiedemerapprocher.
Pasencore.
***
Lepremiersoirdesvacancesd’hiver, j’ai lesommeilagité.DesimagesdeTatesemélangentàmes rêves.Noussommesdansmachambre, seuls,etçaal’air normal, comme s’il avait le droit d’être là. Je peux à peine discerner lestraitsdesonvisagedans l’obscurité,mais jesaisqu’ilmedévisage, jepeux lesentir.Puisilm’attirecontreluietm’embrasse.Sesmainsseposentsurmoi,etjeme sens étourdie,même dansmon rêve.Mon rythme cardiaque s’accélère.Soudain,sesdoigtspassentsousmonT-shirt,ilmel’enlèveetjel’entraîneversmonlit.Ensuite,j’entendssavoix,claireetdouce.Charlotte,Charlotte.
Mais,soudain,lavoixdevienttropbrusque,tropforte.—Charlotte!J’ouvrelesyeuxetjemeredresse.C’estMia,quisetientàl’entréedelapièce.—Tuesréveillée?demande-t-elle.—Maintenant,oui.
—Regardeparlafenêtre.Ilfautquetuvoiesça.—Quoi?Jeremontelescouverturessurmapoitrine.C’estlematin,maisilesttrèstôt,
la lumière extérieure d’un gris-bleu pâle, et le soleil pas encore levé surl’horizon.
—Jem’ensuisrenducomptequandjemesuislevée.—Tu t’es rendu compte de quoi ? je demande, ne voulant pas quitter la
chaleurdemonlit.Elleentredanslachambreettirelerideaud’uncoupsec.—Regarde!Jerejettelescouverturesetlarejoinsàlafenêtre.Audébut,jenevoisrien.L’extérieurestpluslumineuxquejem’yattendais
et je presse lesmains surmes paupières. Çame rappelle la soirée à Il Cielo,quandleflashduphotographenousaaveugléssurletrottoir.Puisjecomprendspourquoitoutal’airsilumineux.Toutestblanc.
Lejardin,sousmafenêtre,estrecouvertd’uneneigeduveteuse,cristalline.Elleestaccrochéeauxbranchesdespalmierstelleunecouchedeglaçagelisse.Partout,ellerecouvrenotrejardin,commelascènedeNoëld’unfilmclassique.
—Commentest-cepossible?Miahausselesépaules,toutenberçantLeo.Ilfaitunpetitbruitdesuccion,
laboucheencul-de-poule.—Aucuneidée.Jecroisqu’iln’ajamaisneigéàL.A.J’ouvrelafenêtreetpasselamaindansl’airdoux.—Etilfaittropchaud,j’ajoute.Puisnosyeuxvertssecroisent;nousvenonstouteslesdeuxdecomprendre.—Tate,jemurmure.Jerefermelafenêtreetattrapemontéléphonesurlatabledechevet.Ilétait
en mode silencieux et j’ai raté un appel de lui voici cinq minutes. J’enfilerapidementunsweaterpar-dessusmonshortetmondébardeur.Maisjem’arrêtenet avant de passer la porte.Miame regarde, toujours près de la fenêtre.Ellepourraitprévenirgrand-mère,ellepourraitallerlaréveillersiellelevoulait.
Maisellehausselesépaulesetmefaitunpetitsignedetête.—Vas-y.Jeluisouris,puistraverselecouloiretsorsàtoutevitesse.J’ail’impressiondepénétrerdansunpaysagehivernalféerique.Je n’ai jamais vu de vraie neige. C’est aussi beau que je l’imaginais.
J’aimeraisavoirunappareilphotodepro:lalumière,aveclesoleilsurlepoint
deselever,estsublime,teintéederose,etseréfractesurlacouchecristalline.Tout est silencieux. Une immobilité qui semble amplifiée par la neige.
Personnen’aencoremarchédessus,iln’yaaucuneautreempreinte—jesuislapremière.Elleest à la foispoudreuseet légèrement friable ; sa froideurgagnemespieds,àpeineprotégésparmeschaussons.
CommentTatea-t-ilfaitça?Etpourquoi?Dansuncoindu jardin, unbonhommedeneigede cartepostale sedresse
sous l’undespalmiers.Uneécharpe rougevif estnouéeautourde soncou, etdeuxpierresnoiresenfoncéesdanssoncrâneneigeuxfontofficed’yeux.
Uneenveloppeestcoincéedansl’unedesbranchettesquifigurentsesbrasetsesmains.
Jeretiresoigneusementlacartequisetrouveàl’intérieur.Lepapierestblanc, lehautparseméd’unsoupçondepaillettes,des lettres
majusculesétroitesm’indiquent:
Regardedanslejardin.
D’habitude, notre jardin est un carré triste qui s’étend jusqu’au grillageséparantnotremaisondecelledesvoisins.Mais,souslaneige,ilesttransformé.Etlà,assissurlevieuxbancbranlantoùMiaetmoiavionsl’habitudedejoueraubateaupirateetcapture-the-castle1,setientTate.
Safossetteapparaît,tandisquejecoursverslui.—Pourquoi?dis-jedansunsouffle.—Tun’avaisjamaisvulaneige.Monsourireestsilargequej’enaipresquemal.—C’estbienlapremièrefois.Ilmetapotelenez,doucement.—Mais pas la dernière. Je voudrais que tum’accompagnes à lamaison,
Charlotte,dansleColorado.PourNoël.UnNoëlsouslaneige.Jenepeuxpasm’enempêcher—jemepencheet l’embrasse.Enfin, ilne
merepousseplus.Puisilmeconduitverslebanc,qu’ilarecouvertd’oreillersetdecouverturesquisontdoucescontremesjambesnues.Jemeblottiscontrelui.
—Tuasassezchaud?demande-t-il.—Presque.Unfrissonmeparcourtetjetremble.Sesbrassereserrentautourdemoi.—C’estmieux?
Seslèvreschatouillentlelobedemonoreilleetjepeuxseulementhocherlatêteenréponse.Jesuisbouleverséed’êtredanssesbras,là,chezmoi,dansmonjardin. Bouleversée qu’il m’invite à rencontrer sa famille. C’est tellementparfait!
Lecœurléger,jecommenceàm’éloignerdelui,maisilmeserrecontrelui,sabouchetrouvantlamiennedenouveau.Ilentouremonvisaged’unemain,sesdoigts doux malgré sa bouche ardente. L’autre se déplace vers ma taille etsoulèvemonsweater.Jesenssachaleurcontremapeau.
Jesuisimpatientedel’accompagnerchezlui,dedécouvriroùilagrandi,demieux comprendre qui il est et pourquoi il est tant sur ses gardes. Puis unepensée me vient : s’il veut que je rencontre sa famille, alors je veux qu’ilrencontre la mienne. J’ai passé tant de temps à le garder secret, allant mêmejusqu’àmementir à propos de ce que je commence à ressentir pour lui. Si jecompte pour lui au point qu’il souhaite me présenter à ses parents, alors j’aibesoindeluimontrerquejeprendsnotrehistoireausérieux,moiaussi.
—Suis-moiàl’intérieur,jeluidis.Jeveuxqueturencontresmagrand-mèreetmasœur.
1. Jeud’aventurepourenfantsdanslequeldeuxgroupesessaientd’assiégerlechâteauprotégéparuntroisièmegroupe.(N.d.T.)
Chapitre12
—C’estunemauvaiseidée,Charlotte.Grand-mèresetientàl’entréedemachambre.Jesuisassisesurmavalise,
essayantdelafermer.— Je ne changerai pas d’avis, dis-je, faisant des efforts pour lui répondre
gentimentetnepaslaissertransparaîtrel’irritationquimegagne.— Après tous les efforts et les sacrifices que tu as faits pour t’offrir un
avenirbrillant,tuvastoutlaissertomberpourt’envolerversleColoradoavecungarçon que tu connais à peine ? Une célébrité qui vit dans un mondecomplètement différent du tien ? Qu’en est-il de ta promesse de restercélibataire,deteconcentrersurtonavenir?Tuvastoutabandonner?
—Jen’abandonnerien.J’attrapemontéléphoneetl’enfoncedansmapochearrière.—Rienn’achangé,saufquej’aiquelqu’undansmavieàquijetiensetqui
tientàmoi—apparemmentassezpourvouloirquejerencontresesparents.Jepensaisquetuseraispluscompréhensive.
Grand-mère a rencontré Tate, l’autre matin, après son invitation-surprised’unNoëlsouslaneige,dansleColorado.Miasetenaitàl’entréedelacuisine,Leodanslesbras,muettepourlapremièrefoisdesavie.ElledévisageaitTatecommes’ilétaituneespèceétrangère,etj’aibiencruqu’elleallaitsemettreàlemitraillerdephotos,là,dansnotrecuisine.Grand-mère,elle,aétépolieetluiaserré lamain, lui a offert du café et un petit déjeuner, a souri gentiment…Etpuis,dèsqu’ilaétéparti,ellem’abombardéedequestions,medisantquej’avaiscomplètementperdul’esprit.Elleasurfésurdifférentssitespeople,étudiantsonhistoriquedebadboy. J’ai protesté.Mais elle nem’a pas crue et neme croittoujours pas. Elle pense que chacune de ses erreurs témoigne de qui il estréellement.Biensûr,ellenepeutpasvoircequemoi,jevois.
—Commentveux-tuquejesoiscompréhensive?Tuvasgâchertavie!—Maisnon,dis-jeensoupirant.Si tudécidesdenepasmesoutenir, tant
pis.Jepars,queçateplaiseounon.—Jenevoulaispasenarriver là,mais tuneme laissespas lechoix :ma
maison,mesrègles.C’estlapremièrefoisqu’ellemeparleainsi—lavoixteintéedecemélange
de frustration et demépris que je pensais réservé àMia et, quandnous étionsplusjeunes,ànotremère.
—Jene te laisseraipas faire lesmêmeserreursque les autres femmesdecettefamille.TuneparspasavecluidansleColorado,c’estmonderniermot!
Jesoulèvemavalisedulitetcroisesonregard.—J’aidix-huitans,tunepeuxpasm’interdirequoiquecesoit.Quand je vois l’expression sur son visage, je regrette instantanémentmes
paroles.Maisjem’empêchedecapituler.C’estpeut-êtresamaison,maisils’agitdemavie.
—S’il teplaît, fais-moiconfiance,OK? j’ajouteplusgentiment, espérantqu’ellecomprendra l’importancequ’acevoyagepourmoi.Jesuis intelligente,tuterappelles?Laisse-moiprendremespropresdécisions.
—Tupeuxêtrebrillante etmalgré tout stupide en amour.Les femmesdecettefamillelesonttoujours.
Jemesuisrépétélamêmechoseaufildesannées,maisentendregrand-mèrelediremecoupelesouffle.Leschoixdesfemmesmafamillen’ontpeut-êtrepasconduit auhappy endespéré,maisMia etmoi ne serions pas là, si ces choixavaient été différents. Leo non plus. Difficile pour moi de me défaire del’impression qu’en cet instant, grand-mère regrette notre existence. Je lacontourne, puis fais rouler ma valise dans le couloir. Elle n’essaie pas dem’arrêter—peut-êtrea-t-ellecomprisquec’étaitpeineperdue.
Avantdesortirdelamaison,jetenteencoreunefoisd’arrangerleschoses.— Je sais que tu t’inquiètes, grand-mère. J’aimeque tu te soucies tant de
moi.Maistum’asapprisàavoirlatêtesurlesépaules.Soistranquille.Sesépauless’affaissent.Sursonvisage,lalassitudearemplacélacolère.—Jen’ensuispassisûre,murmure-t-elle.Jesensunpincementdeculpabilitéenouvrantlaporte.Ellenem’enlacepas
pourmedireaurevoir.Elleneprononcepasuneparole.Jem’envaisetiln’yarienqu’ellepuissefaire.C’estmavie,jemerépète.Etjefermelaportederrièremoi.
***
Tate a envoyé une limousine pourme conduire à l’aéroport, et la voiturerutilantenepassepasinaperçuedansnotreruemiteuse.Lesenfantsduvoisinagelapointentdudoigt,tandisquejem’yengouffre.Cesmêmesenfantsontfaitdeschâteauxetdesangesdeneigedansnotrejardin,avantquetoutnefonde.Noussommeslamaisonlapluspopulaireduquartier,cesjours-ci.
Mais, une fois en route, mes inquiétudes s’évaporent. L’air est doux etchaud;jebaisselesvitrespourfairedesvaguesaveclamainpendantquenousroulons.
Jepensaisque le chauffeurmeconduirait à l’aéroportdeLAX,maisnousallonsverslenord,pourfinalementnousarrêterdansunaéroportdontj’ignoraisl’existence.
Lepanneau,surlagrille,m’informequ’ils’agitdel’aéroportVanNuys.Lalimousine avance jusqu’au tarmac, où un jet blanc, lesmarches baissées et laporteouverte,attend.
Unjetprivé.Mon cœur commence à battre plus fort dans ma poitrine, comme je
m’engage sur le petit escalier. Je me retourne pour jeter un coup d’œil à lalimousine. Le chauffeur donne ma valise à un autre homme, qui l’emportejusqu’àl’avion.
J’aperçoisTatedèsquej’entre;ilestinstallédanslefond,suruncanapédecouleurcrèmequis’étiresurtoutunpandelacarlingue.IlporteunT-shirtgrisetunjean.Mêmedansdesvêtementssimples,ilestsuperbe.
Ilselèvedèsquej’apparais.—Salut,dis-je,presquetimidement.Je suis restée plusieurs jours sans le voir et je ne peuxm’empêcher de le
dévorerdesyeux.IlressembleàTateCollinslebadboy,larockstaràquitouteslesfillesdemonlycéerêveraientdeparler.Etjemetiensenfacedeluidansunjetprivé.
—Salut,répond-il.Tum’asmanqué.—Çafaitàpeinequelques jours,dis-je,essayantdenepas révéleràquel
point je suisheureused’être là. J’aidû fêterNoëlenavanceavecgrand-mère,MiaetLeo.
Iltraversel’espacequinoussépareetpasselamaindansmescheveux.—Jesuiscontentdelesavoirrencontrés.Maisjesuisencorepluscontentde
t’avoirpourmoitoutseul.
C’est étrange comme le désir peut vous prendre par surprise. Je n’avaisjamaisressentiçaavant,mais,quandjesuisaveclui,moncorpsveutdeschosesquemoncerveausaitdéraisonnables.EtaveclesouffledeTatesiprochedemeslèvres, tout ce que je souhaite, c’est sentir sa bouche sur la mienne et qu’ilm’embrasse.Maisilsecouelatête,commepourrepousserlatentation,etretiresamain.
Unefemmeémerged’unepetitepièceàl’avantdel’avion.—Jepeuxvousdébarrasserdevotremanteauetdevotresacàmain,sivous
lesouhaitez,mepropose-t-elleavecunsourireétincelant.Sescheveuxsontrelevésenchignon,avecunefausseorchidéevertetbleu
attachéesurlecôté.Elleest jolie,bronzée,et jemedemandedanscombiendelieuxexotiqueselles’estrendue,lasemainedernière.
—Merci.Jeluitendslemanteaudrapésurmonbras.N’ayantjamaiseubesoind’un
manteauavantcevoyage,jevienstoutjustedel’acheter.Carlosm’atraînéedanspresquetouteslesfriperiesdelaville,jusqu’àcequ’onentrouveunquisoitàlafoisdansmonbudgetetaitl’airpresqueneuf.«Promets-moiquetum’enverrasdestextostouslesjours!»a-t-ilinsisté.
L’hôtessede l’air s’affaire à l’avantde l’avion, etTatem’observependantquejedécouvreleslieux.
Des roses violettes sont disposées dans un vase en verre, que je supposecollé,auboutdelatable.Jetouchel’undesdouxpétales,puisluisouris.Iln’enratepasune.
—Alors?demande-t-il,ensoulevantunsourcilexpectatif.C’estlapremièrefoisquejeprendsl’avionetlejetneressembleenrienaux
avionsquej’aivusdanslesfilms.Jemelaissetomberdanslesofadecuiretjenotedansuncoindematêtede
nerienboirenimanger—meconnaissant,jevaistoutrenverser.—C’estimpressionnant!Tate s’assoit près de moi, un pied sur le genou opposé, complètement
détendu.—C’estcarrémentextravagant.Tupeuxledire.—C’esttoujourscommeçaquetutedéplaces?—Pastoujours.Maisc’estplussimple.Moinsdecomplications.—Moinsdefansetdepaparazzis,tuveuxdire?Ilal’aircontrit.—Ouais,çaaussi.
—Tuashâtedevoirtafamille?Ilsepencheenavant,reposelepiedparterre,etappuielescoudessurses
genoux.—Ilesttempsquejerentre.Çafaitlongtemps.Ilnerépondpasexactementàmaquestion.Ilalamanied’éviterlessujets
quilemettentmalàl’aise.—Combiendetemps?Ilhausselesépaules.—Quelquesannées.—Sérieusement?Tun’aspasvutesparentsdepuisplusieursannées?—Ilsn’approuventpasvraimentmonmodedevie.Etavectoutcequis’est
passé…Ilsnecomprennentpas.—Ilsdoiventpourtantêtrefiersdetoi,detoutcequetuasaccompli.Ilhochelatête.—Oui.Maisquand leschosesontdégénéré, l’annéedernière…Jenesais
pas…Çaaétéplussimplederesteréloignéqued’admettrequ’ilsavaientraison.—Alors pourquoimaintenant ?Pourquoi tu rentres chez toi après tout ce
temps?Illèvelatêtepourmeregarder.—C’estgrâceàtoi.—Moi?Jenecomprendspas.—Jeveuxqu’ilsterencontrent.Etjeveuxquetulesrencontres.Tucomptes
pourmoi,ettaprésencerendraleschosesplusfaciles.Jeposelamainsursonavant-brasetlementoncontresonépaule.—Jesuiscontentequetum’emmènescheztoi,Tate.Ilfermelesyeux.L’hôtesse nous apporte un plateau de fruits, de l’eau pétillante avec des
rondellesdecitronetdesviennoiseries.Tatem’indiquequejepeuxdemandercedontj’aienvie,quel’avionestbienapprovisionné.Sijeveuxdespancakes,delacrèmebrûléeoudesnoisettesgrillées,l’hôtesselespréparera,commeparmagie.
Maisjeveuxsimplementmeblottircontrelui,poserlatêtecontresapoitrineet observer lemonde qui défile sous nos pieds : desmaisonsminiatures, despatchworksdefermesetdesmontagnesenneigées.
Jenepeuxpasm’empêcherdeprendredesphotos,mêmesijen’aiquemontéléphone sous la main. Je les retoucherai plus tard au lycée, les travailleraijusqu’à ce qu’elles ressemblent davantage au paysage qui prend vie sousmesyeux.
Finalement,jereposemonportableetfermelesyeux.Tatepassesonbrasautourdemoi.—Dors,situenasenvie,murmure-t-ilcontrematempe.Ilsemetàfredonner,sonsouffletièdeeffleuremapeau.C’estunemélodie
quejenereconnaispas—pasunedeseschansons—,mais,mêmeétouffée,savoix est fluide et belle. J’écoute un moment avant de relever la tête et dedemander:
—Dequellechansons’agit-il?—Riendespécial.Justeunairquimetrottedanslatête.—Pourunenouvellechanson?—Jenesaispasencore,répond-ildoucement.Peut-être.Jefermelesyeuxpourmieuxsentirlavibrationdeseslèvresquimurmurent
contremonoreille.Jem’endors en écoutantTateCollins qui fredonneunemélodie pourmoi,
unemélodierienqu’àmoi.
***
Sinotrejardinressemblaitàunpaysagehivernaldecartepostale,Telluride,Colorado, est le lieu de tournage idéal pour un film de Noël. Plusieurscentimètresdeneigefraîchement tombéesesontdéjàaccumuléssur le tarmac.Lecielestnuageux,etilcontinuedeneiger.UnSUVnoirnousattend,etnousnousprécipitonsverslui,l’airfroid,mordant,pénétrantnosmanteaux.
—Tutrembles.Tatemeprendlamain.—Ettesdoigtssontglacés.—Çafaitpartiedel’expériencehivernale!Noustraversonslavilleetjesuisémerveillée.Lesoleilvientdesecoucher;
les vitrines de magasins sont parées de guirlandes lumineuses argentées etblanches,defloconsdeneigeenpapieretd’elfesportantdeschapeauxpointusverts.Onsecroiraitdansuncontedefées.
—Jemesensbienici.Ondiraitunendroitoùilfaitbonrevenir.Ilpresseleslèvressurmapaumependantplusieurssecondes.—Tantmieux,dit-il.On s’arrête dans une rue qui serpente autour d’une colline basse. Les
pelousesetlestoitsdesmaisonssontrecouvertsdeneige.Avecleursguirlandesélectriquesqui scintillent, ondirait desmaisonsdepaind’épice.Certainesont
mêmedesbonshommesdeneigegonflablesdansleurjardin,despèresNoëlenplastiqueaccompagnésderennessurleurtoit.OnenvoitaussiàL.A.,maisici,çaal’airnaturel.
Lavoitures’arrêtedevantunchalethautdedeuxétages,avecuneboîteauxlettresornéedelumièresrougesclignotantes.Comparéeànotremaison,c’estunpalais,maisc’estencoreloindelaforteressedeTateàL.A.
—Jen’arrivepasàcroirequetuvivaisici!—Moinonplus,répond-il.Ilinspireungrandcoupavantdereprendremamain.—Prête?—Plusquetoi,j’ail’impression.Il a l’air tenduetmal à l’aise, commes’il anticipait une confrontation.Sa
poigne se resserre sur ma main comme nous gravissons les marches givréesjusqu’àlaported’entrée,sonpoucebattantcontremonindex.
Quand nous sonnons, une charmante femme d’âge mûr, qui a les mêmesyeuxqueTate, nousouvre etnous serre immédiatementdans sesbras. J’ai dumalàcomprendrecequirendTateaussinerveux.
Nousentronsdansl’entrée,oùflotteunesenteurdecannelle,decitrouilleetde feude cheminée.LamèredeTate,Helen, s’agrippe à lui, pendantque sonpère,Bill,me serre lamain.Bill a lescheveuxpoivreet sel, lemêmementonciselé et lamêmemâchoire que son fils. Il porte un pull rouge festif avec unmotifdesapindeNoëlquiluiallaitprobablementencoredixansplustôt,maisdontlescouturesmenacentaujourd’huid’éclater.Helenl’asûrementforcéàleporter—uneffortpourêtredansl’espritdeNoël.
Puis un éclair marron me percute, et me renverse presque. Le chien esténorme, sa fourrure duveteuse auburn, avec du blanc autour des yeux et dumuseau.
—Rocco!s’exclameTate,enfonçantlesmainsdanslepelageduchien.Ils tombent au sol et commencent à batailler gentiment, Rocco léchant le
visagedeTateencoreetencore.Je ne peuxm’empêcher de sourire, à le voir ainsi, dans lamaison où il a
grandi,avecunchienqu’iladore.J’ai l’impressiondedécouvrirunetoutautrefacettedelui.Mêmes’ilétaitnerveuxderentrer,çaneluiapasprislongtempspour sedétendre.Et jeme sensprivilégiéedevivre ça avec lui, devoirqui ilétait,avantlacélébrité.
—Suivez-moi,Charlotte,ditHelen.
Nous nous éloignons pour entrer dans un salon chaleureux. Elle me faitsignedem’asseoirsurlegigantesquesofarougeécossaisets’installeàcôtédemoi.
—LamanièredontTatet’adécriteneterendpasjustice.Sespommettes sont hautes et sonvisage encadréde cheveuxbruns courts
quiglissent sur ses épaules.Elle est jolie, avecdes traits délicats et depetitesmains.
—Ilaparlédemoi?Je ne devrais pas être surprise. Il a forcément dû les prévenir qu’il venait
accompagné.Mais chaque rappel que je suis dans les pensées deTate apportesonfrissondejoie.
—Biensûr.Quandilm’aditqu’ilrentraitetqu’ilemmenaitsapetiteamie,j’aivouluconnaîtrechaquedétail.
Petiteamie.J’éprouveunchocàcemot.Nousn’avonspasencorenomménotrerelation,profitantsimplement,l’uncommel’autre,dumomentprésent.
Je jetteuncoupd’œilversTate. Ilest toujoursàgenoux,en trainde joueravecsonvieilami.
—On a adoptéRocco quandTate avait neuf ans,m’apprend samère.Cechienl’apratiquementélevé.
—EtTateestrestédesannéessansrevenirlevoir,ajoutesonpère,lavoixteintéedereproche.
Unsilencepesants’abataussitôtsurlapièce.Tate,lamâchoirecrispée,jetteàsonpèreunregardfurtif,puissesyeuxse
posentsurmoi.Helensedépêchedereprendrelaparole:—Jesuistellementcontentedevousavoiricitouslesdeux!J’aipréparéla
chambred’amis.J’espèrequetut’ysentirasbien,Charlotte.—Jemecontentedepeu,dis-jepourlarassurer.Jeluisouris,puissourisàTate,quiserelève,samaingrattant toujoursles
oreillesduchien.—Exactementlegenredefillequ’onapprécie,ditBill.J’ai l’impressionqu’il sous-entendautrechose. JemerappellecequeTate
m’a dit dans l’avion : que ses parents n’approuvaient pas son mode de vie.L’argent,lagrandemaison,lesjetsprivés—ilsnecomprennentpas.Cesontdesgens simples, qui apprécient les choses simples. Nous nous entendrons àmerveille.
AprèsunepausequeTatenefaitaucuneffortpourcombler,Helenselèvedusofa.
—Bien,jevaismontrersachambreàCharlotte.Ellesouritd’unairgêné.—Tate,chéri,tachambreestexactementcommetul’aslaissée.Tupeuxy
mettretesaffaires.—Tamèrelaconservecommesic’étaitunmusée,reprendBill.Commesi
elleattendaitqueturéemménages.Jenesauraisdiresic’estuneblague—personnenerit.Tateetsonpèreportentnosvalises,pendantquesamèremeconduitlelong
d’un couloir, au rez-de-chaussée, jusqu’à la chambre où je vais séjourner. PasavecTate.Évidemment,pasavecTate.Jenesaispasàquoijepensais.
—Vousvenez,Charlotte?m’appelleHelen.Jesecouelatête,sortantdemespensées.—J’arrive!
***
Lelendemain,nousnousrendonssurunparkingimmenseconvertienstanddeventede sapins, comme l’indiqueunpanneaudebois accrochéà l’unedesbarrières.Apparemment,choisirunsapinmagnifiquelaveilledeNoëlfaitpartiedestraditionsdelafamilleCollins.J’ensoupired’envie.
Chez nous, grand-mère sort un sapin en plastique en piteux état qu’elle adepuislesannées1990.Onleplacedansuncoindusalon,prèsdelatélévision,et on y suspend une seule guirlande lumineuse et la douzaine d’ornementsqu’elle conserve aussi depuis longtemps.Nous n’avons jamais eu de véritablesapin.
—Onfaitdeuxéquipes?proposeBill,tandisqu’onattendpouracheterduchocolatchaud.
La fille, derrière le stand, est vêtue comme un elfe— tenue complète, ycomprislesoreillespointues.
—Çamarche,répondTate,sanscroisersonregard.— Chaque couple rapporte un arbre ; le plus joli revient avec nous à la
maison.—Deal,acquiesceTate.Il me lance un coup d’œil qui montre clairement qu’il a l’intention de
gagner.
Moi,j’ail’espritbloquésurlemot«couple».Est-cevraimentcequenoussommes,Tateetmoi?
Avantquenousnousséparions,jejetteundernierregardàHelen.Sesyeuxsontpétillantsethumidesàcausedufroid.Elleal’airheureused’avoirenfinsonfils avec elle, même s’il y a encore de la tension entre Tate et son père. Safamilleestaucomplet.C’estundébut.
Le stand est gigantesque, beaucoup plus vaste que les stands de vente desapinsqu’onaàL.A.Jeremarqueunpetitstandappelé«AuroyaumedupèreNoël»,où les enfants font laqueuepour s’asseoir avecunpèreNoëld’allurejoviale;dansd’autres,onpeutacheterdesbonnetsdefête,despetitstrains,desjouets;ilyamêmeuneaireclôturéeoùl’onpeutcaresserunrenne.Onfaitbienplusquechoisirunsapin,ici:c’estunmarchéentièrementconsacréàNoël,desguirlandesauxcannesàsucre.
J’entraîne Tate vers le renne. La créature majestueuse se tient derrière laclôture, mâchouillant bruyamment du foin. Je m’appuie contre la barrière ettendsdoucementlamainpoursentirsafourrure laineuse.Ilmesoufflede l’airchaudsurlesdoigtsetmelèchedesalonguelangue.
—Hé!protesteTate.Cettefilleestdéjàprise!Jesourisetretiremamain.Lerennebaisselatêteetretourneàsonfoin.—Ilestadorable,dis-je.JemeblottiscontreTateetappuie le frontcontresapoitrine.Respirerson
parfum, les battements de son cœur sous son manteau… je me sensimmédiatement envahie d’une chaleur que le froid ne peut dissiper. Il est sidifférent, ici ! Il n’est pas inquiet que des paparazzis le suivent où qu’il aille— d’ailleurs, jusqu’à présent, aucun fan ne l’a reconnu. Peut-être parce quepersonnenes’attendàcequeTateCollinssepromènedansunmarchéféeriquede Noël à Telluride, dans le Colorado. Mais on dirait qu’il y a autre chose.Commes’il avait réussi à laisserderrière lui les fardeauxqui luipèsent tant àL.A.
—Oncommencenotrequêtedusapinparfait?J’acquiesceetm’écartedelui.Maisilgardemamaindanslasienne.—Cettecompétitionestperdued’avance,murmure-t-il.Ilnemeregardepas.Sestraitssontdéformésparlapeine.—Monpèrepensequ’ilsaittoujourscequ’ilyademieux.—Danscecas,contentons-nousdenousamuser,jesuggère.—Çameva.Jel’entraînederrièrel’enclosdurenne.
NoussommescachésparleboisetTatemesurprendenmeplaquantcontrelaparoi.Soncorpscontrelemien,sesmainsautourdemespoignets,sonsoufflechaud dans mon cou me rendent audacieuse. Je lui souris et le défiesilencieusementdem’embrasser.
Sonregardtombesurmeslèvres,puissaboucheseposesurlamienne.Jerépondsàsonbaiseravecfougue,puismurmure:
—Encore.Ildéposealorsune traînéedebaisers le longdemagorge,demoncou.Je
sens son souffle chaud, tandis qu’ilmordillema peau. Il lève la tête pourmeregarder,etjelisdanssesyeuxsondésirardent.
Nous nous embrassons encore. Nos langues se rencontrent, il agrippemahanche.J’attrapeetdéfaislafermetureÉclairdesonsweat.Ilgémitcontremeslèvresetunfrissonmeparcourt.
Jeprends alors conscience, en cet instantmerveilleux, terrifiant, que je nepourraisrienluirefuser.
Rien.Ilgémitànouveau,puiss’éloignelégèrement.—Tumerendsfou,souffle-t-il,l’airtorturé.Sonexpressionpresquesévèrecontrasteavecseslèvresenfléesethumides
denosbaisers.—C’esttoiquimerendsfolle!Jen’arrivepasàcroirecequejeressenspour lui—c’estcommesiunfil
invisiblem’attiraitàlui.Jemesuistoujoursreprésentéementalemententraindegravirunecollineescarpée,haletantsouslepoidsdulycée,dutravailetdemespropresattentes.AvecTate,jemesenslégère.Libre.
Ilneditriendeplus,secontentederemuerlatête,puisons’enfoncedanslesrangéesd’arbres,uneinfinitédechoix.Onentireplusieursdansl’alléepourmieuxlesexaminer.
—Pourquoias-tuquittéleColorado?jedemande,brisantlesilence,commecertaind’avoiraperçu le sapinparfaitdans le fond,Tate se faufiledenouveauparmilesarbres.
—J’aitoujourssuquejem’enirais.Jeveuxêtremusiciendepuisquejesuispetit.
—Maistuespartisanstesparents?—Enquelquesorte.J’aigagnéunconcoursdechantàDenverquandj’avais
quinzeans.Ilsm’ontenvoyéàL.A.paravionpourquejepuissechanterdevantunproducteur.Ilm’afaitsignerdirectementaprès.
—Et?—Et…toutachangé.Jesuispartientournée.J’aienregistrédeuxalbums
quisontdevenusplatineenunan.C’estarrivésivitequejen’aipasvraimenteuletempsdecomprendrecequisepassait.
—Tesparentsn’ontpasdéménagéàL.A.avectoi?—Au début, si. Enfin, ils faisaient pasmal d’allers-retours entre L.A. et
Telluride.Maisleschosesontprisdel’ampleuret,quandjesuisdevenucélèbre,ils ont essayé deme dire comment vivrema vie. Ils avaient peut-être raison,mais,àl’époque,jen’aipasvoululesécouter.
—Jesuisnavrée.Il réapparaît, ramenant avec lui la forte et fraîche senteur des aiguilles de
pin.—J’ai faitdeschosesque j’aimeraispouvoireffacer.Mais jenesuisplus
cettepersonne,Charlotte.Jeveuxquetulesaches.Jenesuispassûredecomprendrecequ’ilveutdire—j’ail’impressionde
nepas tout connaître encore,mais sonvisage s’est fermé. Jedécidedenepasinsister,pasmaintenant.
Jem’approchepourluidonnerunbaiserléger.— Charlotte, murmure-t-il contre mes lèvres, avant de m’embrasser à
nouveau.Seslèvressonttièdesetnosrespirationslaissentéchapperdepetitesvolutes
devapeurdansl’airfroid.Je ne veux pas qu’ilme lâche. Je veux sentir sa bouche contre lamienne
jusqu’àcequel’hiversemueenprintemps.Jeveuxresterici,cachéeaumilieudessapinsdeNoël,jusqu’àcequelanuittombe,etquetoutlemondesoitparti.MaisTate interromptnotrebaiser.Et,soudain, jesens lesflocons,qui tombentducielgrisnuageux.Ilneige.DedouxcristauxatterrissentdansmescheveuxetsurlesépaulesdeTate.
Àcemomentprécis,danssesbras,j’aitoutcedontjepouvaisrêver.Nous finissons par tomber d’accord sur un sapin menu, légèrement de
guingois.Pasdu tout ceque j’avais en tête. Il est inclinéunpeud’uncôté, etpenchebizarrementverslesommet,mais,d’unecertainemanière,ilestparfait.Tateleportesuruneépaulejusqu’àl’entrée,oùlamusiquefestivecontinuedesortirdesenceintes.
À ma grande surprise, Helen et Bill ont sélectionné un sapin dont lesproportionsnesontpasparfaitesnonplus.Billexaminelenôtre,passelesmainssurlesbranches,l’airabsorbé,puissetourneversTateetdéclare:
— Il semblerait qu’on sache tous les deux reconnaître une bonne chosequandonlavoit.
Puis il sourit, un sourire franc et sincère, et donne à Tate une tape surl’épaule.Helenritetporteunemainàseslèvres,auborddeslarmesdevoirlatensionentreeuxsedissiperenfin.
Il faut unmoment àTate pour enregistrer le compliment, réaliser que sonpèrefaituneffort,mais,quandilcomprend,sonvisages’illumine.Nosregardssecroisent,etsafossettesecreuse.
Nous décidons d’acheter les deux arbres. Mais alors que Tate fouille sapocheàlarecherchedesonportefeuille,sonpèrel’interromptd’ungeste.
—Tuespeut-êtreM.PleinauxAs,maisjerestetonpère.Helenprendunephotodenousdeboutprèsdessapins;Tateapasséunbras
autourdemataille,del’autre,iltientnotresapinpenché.La neige tombe autour de nous au ralenti, et les guirlandes de Noël qui
scintillentmedonnentl’impressiond’êtredansunrêve.Jevoudraisnejamaismeréveiller.
Chapitre13
Nousdînonsprèsdufeu,unrepascomposédepommesdeterregrelots,deharicots verts et d’une soupe de chou-fleur si divine que je ferme les yeux àchaquebouchéepourmieux la savourer. Jusqu’à cequeTateme surprenne enflagrantdélit,cequifaitriretoutlemonde.
Nouspassonsensuiteausalon,etjeprendsquelquesminutespourenvoyeruntextoàCarlos,yjoignantlaphotodeTateetmoiprèsdenotresapin,laneigeformantunhaloautourdenous.Aprèsquelquesminutesd’hésitation,jedécidedel’adresseràgrand-mèreaussi.Peut-êtrequejevaisremuerlecouteaudanslaplaie, compte tenu de la façon dont nous nous sommes quittées hier, maisj’espèrequ’elleverracommenoussommesheureuxetarrêterades’inquiéter.
Helen et Bill boivent du vin et me racontent quelques anecdotes surl’enfance de Tate. Il regarde droit devant lui, le visage impassible, mais jem’amusetroppourleurdemanderd’arrêter.J’ail’impression,encetinstant,devivre la vie de famille parfaite dont j’ai toujours rêvé. Nous n’avons jamaisvraiment fêtéNoël, avecma grand-mère etma sœur ;Mia préférait passer lajournée avec ses amis ou son amoureux. Quand ma mère était en vie, nouspassionsgénéralement le réveillondeNoëlàdormirsur lecanapédesonpetitamidumoment.Cettepenséemerefroiditet,tandisquelaconversations’éteintprogressivement, je fixe le feu enme demandant si je ne suis pas en train decommettrelesmêmeserreursqu’elle.
Non,c’estdifférent.Taten’estpascommelesautresgarçons.—Allez,Bill,ditfinalementHelen,posantsonverredevinàmoitiévidesur
latablebasseetselevant.TateetCharlotteontpeut-êtrel’habituded’attendrelepèreNoël,maispasnous.Allonsnouscoucher.
Billavalelerestedesonvin,donneàTateunebourradesurl’épaule,avantde se lever et de suivre son épouse dans la cuisine, où ils font un peu de
rangement,avantd’éteindreleslumières.Une fois qu’ils sont montés à l’étage, Tate me conduit à ma chambre. Il
enroule une demesmèches de cheveux autour de son doigt, avant de laisserretombersamain.
—J’aiadorécettejournée,Tate.Ilsourit.—J’espèreque,demain,tuobtiendrastoutcequetusouhaitespourNoël.—Jepensequec’estdéjàlecas.Jevoislaluttedanssesyeux.Jeveuxletoucher,qu’ilm’accompagnedans
machambre.Et,àsonregard,jevoisqu’ilseraitpeut-êtreincapablededirenon.Maisils’éclaircitlavoix,enprenantunairdéterminé.—Bonnenuit,Charlotte.—Bonnenuit,jerépondsdansunmurmure.Ilmequittesurlepasdelaporteets’éloignedanslecouloir.Jelesuisdu
regardjusqu’àcequ’ilentredanssachambreetrefermedoucementlaporte.
***
Jedevraismemettreaulit.Lamaisonestsilencieuse,maismoncerveauestenébullition.Jen’arrêtepasdepenseràTate.Lajournéeaétéd’unetelleperfection:nos
baisersenflamméscontre l’enclos,sonbaiserdouxentre lesrangéesdesapins,sescaressesquiexprimentcequ’ilsembleincapabledemedireavecdesmots.
Jefais lescentpasdanslapièce,poselamaincontre lavitre,y laissant latracededoigts.Laneigecontinuedetomber;elleformeenseposantdesdemi-lunessurlerebordextérieurdelafenêtre.
La partie rationnelle, raisonnable de mon cerveau me conseille de mecontenterd’êtrelàavecTate,danssamaison.«Allons-ydoucement.»C’estcequ’ilasouhaité.Maispourquoin’est-cepassuffisant?Pourquoisescaressesnesuffisent-ellesjamais?Moncœurcognedansmapoitrine,défiantmoncerveau.
J’aienviedelui.Peuimportequecesoitirréfléchi,queçaailleàl’encontredetoutcequ’iladit,toutcecontrequoimagrand-mèreetmasœurm’ontmiseengarde.J’aibesoind’êtreaveclui,là,maintenant.
J’ouvremavaliseet fouilleà l’intérieur. Je trouveceque jecherche :unerobe blanche courte en dentelle. Tate me l’a offerte le jour de notre viréeshopping chez Barneys, et je ne l’ai encore jamais portée. Je ne pensaiscertainement pas que j’en aurais l’occasion ici, dans le Colorado,mais je l’ai
prisequandmême. J’aiemportépratiquement toutmonplacard,parcraintedemanquerdequelquechose.
Je me déshabille, laisse mes vêtements choir au sol et me glisse avecprécautiondanslarobedélicate.Letissudepuresoie,légeretaérien,épouseàlaperfectionlescourbesdemoncorps.
J’enfile le négligé noir que j’ai également glissé dansmes bagages— unautrecadeaudeTate—,etnouelaceinturedesoieautourdemataille.
Jevaisvraimentlefaire!Jequittelachambreettraverselecouloirsurlapointedespieds,moncœur
fouincapabledesecalmer.Dansl’obscurité,quelquechosebougesoudaindevantmoi.Jem’immobilise, tenant lenégligéfermécontremapoitrine,craignantque
cenesoitBillouHelen,deboutpourseservirunverred’eauouunecollationdeminuit.
MaislemouvementserapprochesansbruitetjereconnaisRocco.Arrivéàmonniveau,illèvelatêteetmereniflelajambe.Jecaresseladoucefourruredesatête, luigratteuneoreille; ilagitelaqueue,frappantunefoiscontrelemuravecenthousiasme.Puis,rassuréquejenesoispasunintrus,ilfaitdemi-touretretourned’unpastranquilleserecoucherprèsdelacheminéedusalon.
Ilfaitfroid,cesoir,etj’ailachairdepoule.Je m’arrête devant la porte de Tate, le cœur battant à tout rompre. Je
l’entendsquijouedelaguitare.Jefrappe,unefois,deuxfois,discrètement.Ilnes’arrête pas de jouer, ne vient pas à la porte. Alors j’ouvre, les lèvrestremblantes.
Une lampe est allumée près d’une chaise, dans un coin. Sur les murs, jediscerne quelques posters : Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Michael Jackson.Plusieurs skate-boards sont alignés sous le bow-window et, sur la commode,contre le mur opposé, trônent des piles de vinyles à côté d’un vieux tourne-disque.Toutest soigneusement rangé—préservéparsamèreaprès toutescesannées.
Tate est assis sur le bord de son lit, une guitare contre la poitrine, desécouteursimposantssurlesoreilles,uncarnetouvertdevantlui.Ilchantonneenregardantlaneigequivoltigecontrelavitreetgrattesaguitaresifacilementquelesnotessemblentjaillirdesesdoigts.Jereconnaislamélodie:c’estcellequ’ilm’afredonnéedansl’avion.
Puisils’arrête,lapaumepresséecontrelescordesdansundernierriff.
Ilse tourneetm’aperçoitdans l’embrasurede laporte. Ilposeaussitôtsesécouteurssurlematelas.
—Charlotte?Est-cequeçava?Jem’avancedanssachambre.—Tuécrivaisdelamusique.Çanet’estpasarrivédepuislongtemps.Ilregardelaguitare,puislafenêtre,etreportesonattentionsurmoi.Lalueur
delalampeenvoiedesombresparesseusessurlesmursdesachambre.—Jemesuissentiinspiré,toutàcoup.Sonregardseposesurmoi.Unefoisencore,jelisdanssesyeuxledésiret
lecontrôlequ’ils’imposeetquimenaceàchaqueinstantdeluiéchapper.Ilselève.
—Est-cequejet’airéveillée?s’inquiète-t-il.J’aifaittropdebruit?—Non.Jesecouelatête.Desdéchargesélectriquescourentsousmapeau.—J’avaisenviedetevoir.Sesyeuxmedétaillent,maismavisions’estlégèrementbrouillée.Prenantmoncourageàdeuxmains,jelance:—J’aiassezattendu.Etjemerapproched’unpas.Ilestsiprèsdemoiquejepourraisletoucher,
maisjen’enfaisrien.Aulieudeça,jedétachelaceinturedemonnégligépourrévélerlarobeblancheendessous.Jenetrembleplus.
Ilnem’arrêterapas,cettefois.Ilaenviedemoi,luiaussi—jelesais,jelevoisdanssesyeuxquicherchent,àtraverslefintissudemarobe,lesformesdemoncorps.Ilrespireprofondément,commes’ilessayaitdesecontrôler.
D’ungestedelamain,jefaisglisserl’unedesépaulesdunégligé,quitombeausol.LabouchedeTates’ouvrecommes’ilallaitparler,maisrienn’ensort.
Ma vision s’aiguise, tout devient soudain net et distinct. Mon cœur aretrouvé un rythme normal, et je plaque lesmains contre sa poitrine, palpe letissu de son T-shirt, la forme dure de ses muscles en dessous. Je sens sonparfum;c’estceluidel’océan,bienqu’onsoitàunmillierdekilomètres.
—Charlotte…Mesdoigtstrouventlabretelledelarobe,s’yattardent,avantdelatirervers
le bas. Je suis nue sous la fine dentelle. Je sens l’excitation jusque dansmonventre.Labretelleglisselelongdemonbras.
Tatepassel’indexsousl’autrebretelle.Àcecontact,mapeaus’embrase.Ildévore mes lèvres du regard. Je me hausse sur la pointe des pieds, priantsilencieusementqu’ilm’embrasse.
Il déglutit bruyamment, comme si son esprit luttait contre le reste de soncorps.
—Jete l’aidit,Charlotte,murmure-t-il, lesyeuxrivéssur labretellequ’iltiententresesdoigts.Jet’aiditcommentçadevaitsepasser.
Sesdoigts laissent labretelle làoùelleest,puisremontent l’autresurmonépaule.
Je lève lesyeuxvers lui,maissonregardest insondable,et ledésirque jejurerais avoir vu quelques instants plus tôt s’est évaporé, comme si je l’avaisseulementimaginé.
J’aienviedehurler,debattreenretraiteetdemecacher.—C’esttroptôt,dit-il.Jesuisdésolé…Jel’interromps:—Arrête!L’humiliation, fulgurante, incandescente, menace de m’engloutir tout
entière.—Laissetomber.Sesyeuxténébreuxs’assombrissentencore.J’aimalaucrâne,jesenspoindreunemigraine.Jemebaisseetramassele
négligé.Jesenssonregardsurmoi tandisque jem’éloigne, le laissantseulaumilieudelapièce.Jenemeretournepas.Mesyeuxmebrûlentdéjà.
Unefoisdansmachambre,jem’enfonceentrelesdraps,toujoursvêtuedelarobe.Lepoidsdelabaguedemamère,véritableancreàmondoigt,m’aideànepasperdrepied.
***
Pendant une heure, je tourne et me retourne dans mon lit. Alors que jecommence à sombrer, on frappe doucement à la porte. Je me précipite, demanière assez pathétique, je trouve, certaine que c’est Tate. Certaine qu’il estvenus’excuser,meracontercequiluiestarrivé,laraisonpourlaquelleiln’adecessedemerepousser.
C’estbien lui.Mais il n’estpas làpourune réconciliation.Un seul regard—labouchepincée, lesyeuxquisedérobent—etjedevinecequ’ilestvenumedire.
—Tumerenvoieschezmoi.Parce que j’ai franchi une limite, la barrière invisible qu’il a érigée entre
nous,pourmonbien, selon lui.Àprésent, faceà son regarddistant, fuyant, je
réalisequ’iln’ajamaisétéquestiondemaprotection,maisdelasienne.S’ilmetenaitéloignéeetm’empêchaitdetropmerapprocher,c’étaitpoursepréserverlui.
Commeilneniepasqu’ilmerenvoiechezmoi,jedemande:—Alors,c’estça?C’estfinientrenous?Sesépaulesseraidissent.—Charlotte…—J’aicompris.C’estmieux,enfait,dis-jed’unevoixdontlastabilitéetle
calmemesurprennent.Jedécolleàquelleheure?Il ne répond pas tout de suite. Il pourrait s’excuser. Protester que je me
trompe,qu’ilneveutabsolumentpasquejem’enaille.Maisilnesepasseriende tout ça. Ilme laissem’enfoncerdans le silenceétouffant.Encet instant, jepourraisbienlehaïr.
Il ferme brièvement les yeux ; il a presque l’air de souffrir. Puis il fixequelquechosejusteau-dessusdemonépaule.
—Unevoitureseralàà7heures.J’aienviedeluicrieraprès,deluimartelerletorsedemespoings,etluidire
combienilm’afaitmal,combienilcontinuedemefairemal.Jeravalechacunedemesparolesamères,meretourneetfermelaportesurlui.Surnotrehistoire.
Chapitre14
Un oragemenace de s’abattre sur la ville, le ciel n’est plus qu’un rideausombreetopaqueàl’horizon.Noussommespresquearrivésàl’aéroportquandlaneigecommenceà tourbillonnerautourde lavoiturequim’emmène loindeTelluride.Aujourd’hui,c’estNoël,etjerentreàL.A.seule.Lavoiturefaitunelégère embardée, glissant vers une congère avant que le chauffeur ne rectifienotre trajectoire, mais je n’ai pas peur. Je me sens étrangement engourdie.Commesijedérivaisencoredansunrêve—maisunesortederêvedifférent.
J’embarque dans le même jet qu’à l’aller, et la même hôtesse de l’airm’accueilleàbord.L’orchidéevertetbleuestàsaplacedanssescheveux,mais,aujourd’hui,ellesemblepenaudeetdéconfite.
— Café ? me propose-t-elle, quand je m’assieds dans l’un des fauteuilsinclinables.
Jefaisexprèsdenepasm’installeraumêmeendroitqu’àl’aller.Jeneveuxpasmerappelerl’espoiretl’excitationquejeressentaisalors.
—Merci,dis-je,reconnaissante.Unefoisdanslesairs,j’observeparlehublotlemondeinfinidublanc.Iln’y
apasdecielbleu,pasdeterreendessous.Quedublanc.—Ilsemblaitheureux,déclarel’hôtesseàlamoitiéduvol,tandisqu’elleme
sertunverred’eaufraîche.—Pardon?Noustraversonsunezonedeturbulences.Elleposelamainsurleplafondde
l’avion avec nonchalance, alors que la cabine n’est que secousses. J’aurais dûêtreterrifiée,maisjemesensvideàl’intérieur.
Lorsquelecalmeestrevenu,elleprécise:—Tate.Çafaisaitlongtempsquejenel’avaispasvusiheureux.
J’expire bruyamment et fais tourner la bague demamère autour demondoigt.
Commeellen’amanifestementpasl’intentiondes’éloigner,jedemande:—Vousvolezsouventaveclui?—Je suis sur laplupartde sesvolsprivés. Il aimeavoir lamêmeéquipe,
répond-elle en souriant. Ses pilotes habituels étaient de retour à L.A.,aujourd’hui,voilàpourquoivousavezdeuxnouveauxpilotes,deDenver.
Ellefaitunsignedetêteverslecockpit,dontlaporteestfermée.— Je suis restée à Telluride. Je me suis dit que j’allais attendre, profiter
d’avoir de la neige à Noël jusqu’à ce que vous soyez tous les deux prêts àrentrer.Jen’avaispasvraimentdeprojets,detoutefaçon.Monpetitamietmoiavonsrompuilyadeuxmois.
—Navrée.Combien d’autres personnes ontmodifié leurs projets, leur vie, pour Tate
Collins?Touttourneautourdelui,danssonmonde.Ildécidedecequ’ilveut,qui ilveut,quand ilveut. Il a sipeurdeperdre lecontrôlequ’il a finiparmeperdre.
Ellehausselesépaules.—Tateestcompliqué.Ilabeaucoupchangé,depuisunan.Onlesemmenait
àLasVegasunweek-endsurdeux,luietunedouzained’amis,desmannequins,des stars de la pop. Il partait àMexico ouMiami sur un coup de tête.Mais,l’annéedernière,ilaàpeinequittéL.A.Etsoudain,l’autrejour,ilaprisl’avionavecvous,justevous.J’aipenséquevousétiezpeut-êtrelabonne.
—Labonne?Ellesouritavecdouceur.—Illuifautbienunedosedenormalitédanslavie.Jedevraissourirepolimentetmeremettreàregarderparlehublot.Laisserla
torpeur m’envelopper tel un cocon. Mais, à la place, je lui donne toute monattention.
—Est-cequevoussavezcequi luiestarrivé?Cequi l’apousséàquitterl’universdelamusique?
Ellehausseuneépaule,commesielleétaitdéjàpasséeàautrechose.—Jenesuispassûre.Ilyaeudesrumeurs,biensûr…Ilauraitmisunefille
enceinte et essayait de garder ça secret, il prenait de la drogue… Les gensparlent.Maisaucunedecesrumeursneluiressemble.Quelquechosed’autreluiafaitabandonnerlamusique,quelquechosedeplussérieuxquetouscesragots.
Nous traversons d’autres turbulences et l’avion commence à faire dessoubresauts.Elles’agrippeàl’arrièred’unsiègepouréviterdetomber.
—Vousferiezmieuxdevousattacher.Lesturbulencesnemedérangentpas.Jeregardedemanièreabsentepar le
hublot,commenousentamonsnotredescente.L.A.sedévoile,argentéeetbleue.L’océan s’étire pour rencontrer le ciel et, soudain, le soulagement m’envahit—jesuisrentrée.
LesoleilesthautdanslecielquandnousatterrissonsdansleHankprèsdelaportièrearrière.Levoirmenouelagorge,et les larmesmenacentdecoulerdenouveau.EncoreunquiadûabandonnersesprojetspourTate.
—Votrecarrosseestavancé,machère,dit-ild’untonfaussementjoyeux.Jeme glisse sur le siège arrière, et patiente pendant qu’il placema valise
danslecoffre.Quand il grimpe sur le siège conducteur, je sens qu’il m’observe dans le
rétroviseur. Jem’enfonce surmon siège, priant pour qu’il ne prononce pas lenomdeTate,ouessaiedemedirequelgentilgarçonilest,aufond.
Commes’illisaitdansmespensées,ilsoupiredoucement.—Jeteramène,Charlotte.Tandisqu’ons’éloignedutarmac,jebaisselavitrepoursentirl’airdouxde
Californiesurmonvisage.Nousnousarrêtonsà lagrille,attendantdepouvoirpasser.
Mais,quandelle s’ouvre,uneclameur s’élève, etdes flashscrépitent.Deshommes armés d’appareils photo se sont regroupés juste à l’extérieur etencerclentlavoiture,criantprèsdelavitre,sedéversantpresqueàl’intérieur.
Jen’aipasletempsdecachermonvisage;c’esttroptard,ilsontmaphoto.—Charlotte!crient-ils.Comment savent-ils qui je suis ? Et comment ont-ils su que je serais là,
descendantd’unavion le jourdeNoël,alorsquemesprojetsn’ontpaschangéavantlemilieudelanuit?
TandisqueHankjureàtout-va,jerepenseàl’équipage,cesnouveauxpilotesquel’hôtesseamentionnés.Est-cequecesonteuxquiontalertélesmédias,leurontdonnémonnom,leurontditquej’étaislapetiteamiemystèredeTate?
De toute façon, ça n’a plus d’importance. Lemal est fait. Pourtant, je nepeux pas m’empêcher de paniquer, mes doigts tâtonnant à la recherche dubouton de fermeture des vitres, pendant que Hank essaie de faire avancer lavoitureà travers lapetite foulequis’estamassée. Ilmartèle leklaxon,profèredesmenaces,maisçan’aaucuneffet.
—Charlotte,Charlotte!Qu’est-cequeçafaitdesortiravec lechanteur leplussexyaumonde?Avez-vousrencontrésesparents?Êtes-vousfiancés?
Ilssaventquijesuis,maisilsignorentapparemmentcequis’estpassé.IlsnesaventpasquejesuisrentréeplustôtqueprévuparcequeTateamisuntermeànotrehistoire.D’unecertainemanière,çarendleschosespiresencore.
Hankfaitvrombirlemoteurpourtenterdefairefuirlespaparazzis.—Tiensbon,mabelle!Ilesttempsdesemerlesvautours.La fenêtre remonte enfin, me séparant du monde extérieur. Dans un
crissementdepneus,Hankparvientenfindanslarue,ets’éloigneàtouteallure.
***
Grand-mèrenemerendpasleschosesfaciles.—Àquoiest-cequetut’attendais?demande-t-elle.Jesuisassiseàlatabledelacuisine,anéantie,lesépaulesvoûtées.Mavalise
esttoujoursprèsdelaporte.—C’étaituneerreur,luidis-je.Jen’auraispasdûyaller.Jerepenseàl’attroupementàl’aéroport,auxflashsdesphotographes.Quand
jesuisrentrée,Miaapassélatêtedanslacuisine,pourm’annoncer,d’unevoixinhabituellementdouce,quelesphotosétaientdéjàenligne,avantderetournerdanssachambre.Elleacomprisquegrand-mèrevoulaitmeparlerseuleàseule.Dans de telsmoments, je suis contente de ne pas avoir Twitter, Instagram ouSnapchat.Jeseraisalorsforcéedevoirencoreetencore lemêmeGIFdemoi-mêmeessayantderemonterlavitrearrière.
Grand-mère replie une pile de torchons et arrange la rangée de bocaux àépicessurleplandetravail.Elleestcontrariée.Etquandelleestdanscetétat,elle fait les cent pas, ne tient pas en place, fait tout pour garder les mainsoccupées.
—Jesuisdésolée.Tuavaisraison,grand-mère.Tuavaistotalementraisonàsonsujet.
Ellepivotepourmeregarderetjesuissurprisedevoirdeslarmesdanssesyeux.
—Jesuistellementdésolée,jerépètedansunsouffle.Elleinspireungrandcoupetm’enlace.—Çava aller,medit-elle. Il valaitmieux le découvrir aujourd’hui, avant
queleschosesn’aillentplusloin.
Maislà,danssesbras, jenepeuxpasm’empêcherdesentirquec’estdéjàallétroploin.Jesuisalléetroploin.J’airessentitropdechoses.
Etmaintenant,jemesenscomplètementvideàl’intérieur.
Chapitre15
C’estunsoulagementdereprendrelescours,d’avoirquelquechoseàfairede mes journées. J’ai passé la dernière semaine des vacances de Noël à lamaison,évitanttoutcequiauraitpumerappelerTate.J’aifaitquelquesheuressupplémentairesauBloomRoom,maisçan’apassuffiàmechangerlesidées.
Carlospasseunbrasautourdemesépaules,meforçantàmarcherenrythmeaveclui,tandisquenousnousdirigeonsversnotrecoursd’anglais.
—Jen’aimaispassamusique,de toute façon,dit-il, la têtehaute,commenousnousfrayonsuncheminparminoscamarades.
Ilsmedévisagenttous.Toutlemondeestaucourant.Toutlemondesaitquemoi, Charlotte Reed, je suis sortie avec Tate Collins. Et maintenant ils meregardenten tentantdecomprendrecequi leuraéchappé,cesquatredernièresannées—cettepartiedemoidontilsnesoupçonnaientpasl’existence.MaisjesuistoujourslamêmeCharlotte,dumoins,vuedel’extérieur.Justeunpeuplusblonde.
—Bienessayé,dis-jeàCarlos.Tuesfandesamusique.Ilgrogneetrepoussesescheveuxdesesyeux.—Plusmaintenant.J’aieffacétoutesseschansonsdemesplaylists,même
l’albumlivedesatournéeLoveisaVerb.Ilmarqueunepause,commes’ils’attendaitàcequejesoisimpressionnée,
puisreprend:—J’aieffacétoutetracedeluidemavie.—Commej’aimeraisqu’unsimple«effacer»lesortedelamienne!—Ildevraityavoiruneapplipourça.—Ouais.Jepaieraisaumoins99centimespourcelle-là,dis-jeensouriant
faiblement.Ilmefaitunclind’œil,etmedonneunpetitcoupdecoude.
—Tuvois?Tun’aspasperdutonsensdel’humour.Çavaaller.Jen’ensuispassisûre.
Mais les jours et les semaines s’égrènent néanmoins, même quand lessouvenirsdeTate resurgissent : lasensationdesesmainssurmoi,quandnousavons dansé sur l’herbe et qu’il a fredonné àmon oreille ; la façon dont seslèvres épousaient les miennes, comme si nous étions faits l’un pour l’autre.J’essaiedemecomportercommesiriendetoutçan’étaitarrivé.Jemeconsacreàmes études, au travail. J’ai remis tous les vêtements qu’ilm’a achetés dansleurs sacs— jeprévoisde lesdonner àMia,oud’en fairedonàune friperie.Maisjen’yarrivepas,alorsjelescacheaufinfonddemonplacard—horsdemavue.AugrandplaisirdeMia,jegardeLeolesoiraprèsletravail,évitantàtoutprixdemeretrouverseule.
J’accepte d’accompagner Carlos à des fêtes quand il me promet que çam’aideraàtournerlapage.Jeboisdelabière(enfin,jeboisunebière,chaquefois, mais c’est dégueulasse alors je ne vais pas plus loin). J’essaie d’êtresociable.Jevaisàdesfeuxdejoie,surlaplage,jediscuteavecdescamaradesquejeneconnaissaisqu’enpassant.
Parfois,quandquelquechosedesuperdrôlearrive,commeAndyStraussquiperd son maillot pendant un bain de minuit en plongeant dans les vaguesdéchaînées, j’éclatede rire,moiaussi, etdans la lueurchaudedu feu j’oublie,l’espaced’uninstant,toutcequis’estpasséavant.
Maisensuite,alorsquejefixelesflammes, jenepeuxpasm’empêcherdepenseràlui.
Lui.Lui.
***
Un soir, jeme rends à la fête d’anniversaire d’AlisonYarrow.Ses parentsquittentlavilleexprèspourqu’ellepuisseinvitertoussesamis,etdonnerlaplusgrosse fête de l’année du lycée. Encore plus grosse que la soirée de promo,disentcertains.
Jen’aijamaisétéinvitéeavant.Jen’aijamaisparticulièrementeuenvied’yaller,nonplus.
Mais, cette année, Alison m’a arrêtée dans les couloirs avant le coursd’algèbrepourm’inviterpersonnellement.
—J’espèrevraimentquetuviendras,a-t-elledit.
Onauraitcruqu’ellecomptaitsurmoicommesimaprésenceàsafêteallaitrenforcer son statut de fille la plus populaire du lycée. Tout le monde croitencore que je suis avec Tate,même si j’ai démenti. Peut-être que le seul faitqu’onaitétéensembleàunmomentdonnéasuffiàmecatapulteraurangdesfilleslespluspopulaires.
Je passe chercher Carlos et nous partons donc chezAlison, qui habite aupieddescollinesd’Hollywood.Onnepeutpasdirequ’ellesoitriche,maiselleaunepiscineet son jardinest luxuriant, entretenuparun jardinierquivientunefoisparsemaine.
Alisonm’aperçoitdèsqu’onpasselabaievitréedonnantsurlepatioarrière.Elle court vers moi et m’enlace, comme si nous étions les meilleures amiesdepuislejardind’enfants,puisellepousseuncristrident:
—Tuesvenue!Elleajouted’unairnonchalant:—Bière, cocktails, snacks…C’estpar là-bas.Sers-toiuncoupàboire, et
vienstraîneravecmoidanslacabane.Jejetteuncoupd’œilpar-dessussonépauleàlacabaneenquestion,située
au bord de la piscine. Son petit toit drapé d’un voile blanc semi-transparentvirevoltedanslabrise.LacyHamiltonetJennaSanchezsontdéjàallongéessurlematelasblanc,affichantunairsupérieur.
***
Quelques heures plus tard,Carlos etmoi sommes assis côte à côte sur untransat,observantlafêtecommedesanthropologues.Auboutd’unmoment,ilselèvepourprendreuneautrebière,etj’entendsquelqu’uncrierderrièremoi:
—CharlotteReed!C’estTobyMcAlister.Ilal’airtrèssoûl;sesjouessontrougiesparl’alcool
et ses cheveux ébouriffés comme s’il venait de passer une heure à embrasserl’unedesélèvesdesecondequiflirtaientavecluiplustôtdanslasoirée.Jesongebrièvement au sycomore du lycée, vestige de sa courte romance avecAlison.Leur propre version des photos de paparazzis, je suppose. Je me demande sic’est parfois douloureuxpour l’und’eux, de passer devant ces initiales, d’êtreainsiconfrontéaupassé.Peut-êtrepas,vuqueTobyestlàcesoiretqu’ilal’airdes’amuser.
—Ces fêtes ne sont pas trop ringardes pour toi ? demande-t-il. CharlotteReed,lacélébritédePacificHeights!Jesuisaucourant,pourTateCollinsettoi.
J’aidumalànepasleverlesyeuxauciel.Sij’avaisreçuundollarchaquefoisqu’unepersonneamentionnéTate,cesdernièressemaines,jen’auraispasàmesoucierd’obteniruneboursel’annéeprochaine!
—C’estterminé.Peut-êtrequ’àforcedelerépéter,j’auraienfinmoinsmal.—Cool.Ilhausselesépaules.—Ondiraitquet’asbesoind’unebière.Ilmetendungobeletrouge,débordantd’unliquidemarronmousseux.Ilen
avisiblementdéjàbuplusieurs.—Pasd’alcoolpourmoi.C’estmoiquiconduis.—Oh!Commetuesresponsable!Il sourit, révélant des dents parfaites. Il faut bien reconnaître qu’il est
charmant.Leproblème,c’estqu’illesait.Jeluioffreunsourirecrispé.—Lapiscine,dit-il,pointantl’indexversl’eaucalme.Tunages?—Tumedemandessijesaisnager?—Jetedemandedenageravecmoi.Il hoquette, puis boit une gorgée du gobelet qu’il a essayé de me refiler
quelquesinstantsplustôt.—AllezCharlooootte!insiste-t-ilenhaussantlessourcilsd’unairsuggestif
qu’ilpenseprobablementsexy.—Nonmerci.Jemelèvedutransat.—Jepensequejevaispartir,enfait.—Non,reste!Il tend lamain etm’agrippe le bras droit. Ses doigts s’enfoncent dansma
peau, pas intentionnellement, mais parce qu’il se sert de moi pour garderl’équilibre.Mais, ce faisant, il me pousse en arrière, plus près du bord de lapiscine.
—Toby!J’essaiedelerepousserdemonautremain,maisnousdégringolonsdéjàen
arrière,lavitessenousentraînant.Justeavantquenoustombionsàl’eau,Carlosapparaîtàmescôtésetm’aideàmeredresser.Toby,lui,chutesurl’herbe.
—Espèced’abruti!lanceCarlosàToby.—Ellenevoulaitpasnageravecmoi,glousseToby,allongésurledos,les
brasenéventail,clignantdesyeuxversleciel.
Iln’apasl’airpressédeserelever.—Jedoisrentrer,dis-jeàCarlos.Ilacquiesced’unsignedetête.—Quelqu’und’autrepeutteramener?j’ajoute.— Je prendrai un taxi. Tu me connais, dit-il, battant des cils. Je voyage
uniquementdansmalimousineprivée.Il ledit avec son fauxaccentbritanniqueet jeme fendsd’unsourirepour
qu’ilsachequejenesuispasfâchéequ’ilreste.—Envoie-moiuntextopourmedirequetuesbienrentrée,d’accord?—OK.La rue sur laquelle vitAlison est étroite, raide et bordée de voitures d’un
côté.Iln’yapasdelampadaires,seulementlalueuroccasionnelled’unporcherestéalluméquiémaned’unedesmaisonsenretraitderrièrelesarbres.
Unchienaboiequandjepasseàcôtéd’ungrillageetj’accélèrelepas.Puisuncraquement—commedesbruitsdepassurlegravier—dérangele
calmeinquiétant.Unfrissonmeparcourtetlapaniquemegagne.—Carlos?j’appelle.Quelquechosebouge,deuxvoituresderrièremoi:uneombrequidisparaît
danslahaiebordantletrottoir.C’estlasilhouetted’unepersonne.Quelqu’unestlà…Quelqu’unmesuit.
Pendantunefractiondeseconde,jem’autoriseàcroirequec’estTate.Quejeluimanque,qu’ilestvenumereconquérir.Maisiln’yaaucuneTeslaenvue,et jechasseaussitôtcettepensée,avantque l’espoirneremplace lapanique. Ilfautquejedégaged’ici,toutdesuite.
J’arriveàhauteurdemavoitureet tâtonnedansmonsacà larecherchedemesclés. Jeclaque laportièreet regardedans le rétroviseur, le cœurbattant àtoutrompre.Aucunsignedel’ombre.
Soudain, on cogne contremaportière. Jepousseun cri et bondis surmonsiège.
Maisc’estseulementTobyMcAlister,chancelantetsoutenuparAlexGarzaet Len Edwards. Sa paume glisse contre la vitre de ma voiture, tandis qu’ilsessaientdel’aideràavancer.
Vivementquejeparted’ici!
***
Aulieuderetourneràlamaison,jerouleversl’ouest.Ilm’estimpossiblederentrer dans notre minuscule bicoque et d’aller me coucher, alors que mespenséestourbillonnent.Puis,tropagitéepourdormir,jeprendslePacificCoastHighwayverslenord.
Il est tard et l’autoroute est une succession de virages déserts, l’océan unabyssenoiretbéantsurmagauche.J’atteinsrapidementMalibuetm’arrêteàlaplagedePlayaPoint.Leparkingestvide.Ilyaduvent,lanuitestfroideetsanslune,lecielnuageux.
Jerestesur lesablependantpresqueuneheure,àregarder leressacenmerappelantlanuitoùj’aiconfiéàTatequej’aimeraisparfoisplongerdansl’océanetlelaisserm’emporterversdesterreslointaines.Versuneviedifférente.
Jemedéshabille,telleuneombredanslanuit.L’airestmordantsurmapeau,maisj’avancedanslesprofondeurs,laissant
l’eaufroiderecouvrirmescuissespuismataille,mapoitrine.Puisjeplongeetl’océanm’engloutit.
Unfrissonglacémeparcourt,mais jemets la têtesous l’eau.Unesériedevagues s’écrasent surmon crâne. Des bulles sortent demes narines et demabouche. Quand je ressors enfin la tête, j’inspire à pleins poumons. Je merenversesurledosetregardelecielmonotoneetplat.
Meslèvresontlegoûtdusel—etjepenseencoreàTate.Je replonge la tête sous l’eau, essayant de le sortir de mes pensées, de
l’effacer de ma peau, de chaque endroit où il m’a touchée, marquée de soncontact. J’ai besoin du froid, j’en ai besoin pour oublier. Pour l’effacercomplètementdemamémoire.
Lecourantmetire,m’emportantplusloin,àl’endroitoùlebleupâledevientnoir.Jemelaissedériver.
La nuitm’enveloppe.Les secondes deviennent desminutes, et je perds lanotiondutemps.Jedérivejusqu’àneplusrienressentir.
Quandlefroidcommenceàengourdirmesjambesetquemoncorpsentierest agité de frissons, je retourne vers la plage, tout emplie de cette véritéinéluctable:ilm’aquittée.
Chapitre16
Noussommesle11févrieretlaSaint-Valentinestdéjàdanstouslesesprits.Le comité des délégués de classe a passé la semaine dernière à découper descœursenpapieretàsuspendredesbanderolesdanschaqueencadrementdeporteetchaquecouloir,enpréparationdel’unedesfêteslesplusattendues—celleoùtout le monde avoue son béguin secret, où les couples s’embrassent dans lescouloirs juste un peu plus longtemps, avant qu’un professeur ne les sépare deforce.
Àlami-journée,lescasiersarborentdéjàdescœursenpapierrougesetrosescontenant des messages. C’est une tradition d’en laisser sur le casier de lapersonne pour qui on craque en secret. Ceux qui obtiennent le plus de cœursd’icilaSaint-Valentinsontlesplusdésirés…parconséquentlespluspopulaires.Lajournéeavance,etiln’yatoujoursaucunenotesurnotrecasiercommun.Jesuissoulagée,maisCarlosenestdépité.
—Onauratoutoubliéd’icilaprochaineSaint-Valentin,luidis-je.Je tentede lui remonter lemoral,mais jepensequ’au fond,c’estmoique
j’essaiedeconvaincre.L’après-midi, je reste assise pendant cinqminutes dansmavoiture, la tête
appuyéesurlevolant,avantd’envoyeruntextoàHollypourluidemandersijepeux prendre ma soirée. Je suis censée faire des heures supplémentaires, carc’est une de nos semaines les plus chargées, et je déteste lui faire faux bond,maisellerépondtoutdesuiteenmedisantderentrer,qu’onseverraplus tarddanslasemaine.
Elle se montre vraiment compréhensive avec moi depuis ma rupture.Sûrementl’undesavantagesdesoncœuréperdumentromantique.
Je rentre à lamaison et fais la sieste, espérant que dormirm’aidera àmesentirmieux.
Quandmonréveilsonneà18heures,jemeforceàmelever.J’aimesheuresdestageàl’UCLA,cesoir,et,sijesèche,jepourraisperdremaplace.
—Tuveuxquejet’emmène?meproposeMiaquandj’entredanslacuisine.J’attrapeunetranchedepizzafroidequegrand-mèreapréparéehier.—Paslapeine,jeluiréponds.
***
Seulsquelquescoursontlieuàcetteheure-làet,lorsquej’arrive,lecampusestcalme.JetrouveuneplaceàcôtédubâtimentdescienceoùlelaboratoireduprofesseurWebbsesitue.
Lelaboratoireestallumé,maisiln’yapersonneàl’intérieur.Cesoir,iln’yaura quemoi et une étudiante de l’UCLA en licence—Rebecca, je crois—,maisellen’estpasencorearrivée.
Je dépose mon sac sur une des chaises pivotantes, et attrape l’une desblouses blanches suspendues derrière la porte. Aujourd’hui, on est censéessimplement surveiller un groupe de spores fongiques testées dans unenvironnement extrêmement humide, pour voir si elles réagissent en relâchantmoins d’un millier de spores. Il y a peu de chances que quelque chose seproduise,etnouspasseronssûrementlasoiréeàobserveretàattendre.
Jem’assiedssuruntabouretetsorsmontéléphone.Jem’apprêteàappelerCarlos, pour tuer le temps avant queRebecca arrive, quand j’entends la portes’ouvrir.Jemetsmonportableenveilleetleglissedansmapoche.
—Salut,Rebecca!dis-je,pivotantverselle.Maiscen’estpasRebecca.C’estTate.Ondiraitqu’iln’apasdormi—sesyeuxsontcernésetrouges.Il
n’enestpasmoinstoutaussiséduisantquedansmessouvenirs,l’airsûrdelui,mêmesijelisdelapeinedanssonregard.Dutourment.
Moncœurfaitunbond,etjedoismeretenirdecourirverslui.— Avant que tu dises quoi que ce soit, laisse-moi parler, s’il te plaît…,
lance-t-il.Jemelèvedutabouretetcroiselesbras,unefaçondemerappelerquejene
veuxplusrienavoiraffaireaveclui.— Inutile, Tate. Ça ne peut pas fonctionner. Toi et moi… on est trop
différents.Ilserapprocheetlesentirtoutprèsmedéstabilise.
—Non,jenecroispas.J’aitoutgâché,jesais.Etj’ensuisnavré.Jen’auraisjamaisdûtelaisserquitterleColoradodanscesconditions.Jen’auraisjamaisdûterepousser.
Jeserrelesdents,maismeforceàarrêterquandjem’enrendscompte.—Maistum’aslaisséepartir.Pire,tum’asmiseàlaportedelamaisonde
tesparents,lematindeNoël!Est-cequetuaslamoindreidéedecequej’aipuressentir?Combiençam’ablessée?Es-tumêmecapabledecomprendre?Outoncœurest-il si vide, si insensible à causede ceque tu asvécuque tune terendsmêmepascomptequandtudétruislesgensautourdetoi?
—Charlotte…Ilmechercheduregardetjetournelatête,refusantdelelaissermetroubler
davantage.—Jen’arrêtepasdepenserà toi.J’ai l’impressiondedevenirdinguesans
toi.Jeserrelespoings.Mesongless’enfoncentdansmespaumes,etnosregards
secroisent.Puislaportedulaboratoires’ouvrederrièreluietRebeccaentre.—Salut!lance-t-elle.Elles’arrêtebrusquementavantdepercuterTate.—Désolée, je suisen retard,ajoute-t-elle,maisseulementmachinalement,
carsonregardestfixésurTate.Je vois dans ses yeux le moment où elle le reconnaît. Et le choc
l’immobilise.—Onpeutparlerdehors?demandeTate,quinem’apasquittéedesyeux.
Justeuneminute.—Jenepeuxpas.J’aidutravail.—Non,çava,intervientRebecca.EllecontourneTatecommesielleavaitpeurdeletoucher,puisposesonsac
àdosparterre,avantd’attraperuneblouse.—Onvapassernotresoiréeàsurveillerdeséchantillonsdespores,detoute
façon.Vas-y,jepeuxmedébrouillerseule.ElleévitesoigneusementdecroiserleregarddeTate.Commetoutlemonde,
elleestaucourantpourmabrèveromanceaveclecélèbremusicien,maiselleatoujoursétésuffisammentpoliepournepasyfaireallusion.Saufquelà,elledoitsentirlatensiondansl’airentrenous.
J’enlèvealorsmablouseetladrapeàl’arrièred’unechaise.Jesuispresséed’enfinir.
—J’enaipouruneminute,Rebecca.—Prendstontemps,dit-ellederrièremoi.JesuisTatedanslecouloir,puisàl’extérieurdubâtiment,danslapénombre
du parking. Dès que nous sommes dehors, il m’attrape la main et me plaquecontrelemurdeparpaing.
—Jenepeuxpasvivresanstoi,murmure-t-il.Jeprendsmoncourageàdeuxmainsetlèvelesyeuxverslui.— On ne peut pas être ensemble, Tate. Pas tant que tu n’auras pas été
honnêteavecmoi.Mavoixestdureetsanspitié.Jem’obligeàrepenserauxsemainesquej’aipasséessanslui,ensolitaire,à
ladouleur,siviolente.—Dis-moiqui tues,que jepuisse te faireconfiance.Dis-moicequi t’est
arrivéquit’arendusiinsensible.Jem’écartedumurpourneplusêtreprisonnièredesesbras.Leparkingest
sombre,exceptéàl’endroitoùleslampadairesprojettentdeslunesdelumière.—J’aicommisdeserreursparlepassé,j’aiblessédesgens.Jenepeuxrien
ychanger.Maisjeneveuxpasfairelesmêmeserreursavectoi.Jesaisquetuesfâchée,jelecomprends.
Ilmesuitduregard,maisn’envahitpasmonespace.— Je pensais qu’en planifiant chaque détail, en contrôlant chacun de nos
mouvements,çapouvaitmarcher.Jemesensàlafoispleinedecolèreetdehonte.—Jenepeuxpascroirequej’aieacceptécetarrangement!Cen’étaitmême
pas une vraie relation, mais un jeu pour toi. J’étais une marionnette que tuvoulaiscontrôler.Etquand j’ai franchi la limite,que jesuisallée tevoir,cettenuit-là,dans ta chambre, tu aspaniqué.Tunepouvais pasmedonner cedontj’avaisenvie:toi.
—J’aimerdé,jesais.Ilserapprochedemoi—enunmouvementtrèslent—etjenem’écartepas
quandiltendlamainetpasselesdoigtsdansmescheveux.—J’aibesoindetoi,Charlotte.J’ail’impressiond’êtremoi-même,quandje
suisavectoi.J’aimêmerecommencéàécriredelamusique.J’aipresqueassezdechansonspourunnouvel album. J’avaisoubliépourquoi j’adorais ça.Maisêtre avec toi… ça m’a transformé. J’ai besoin de toi dans ma vie. Pour merappelerqueCasablancanedevraitpasseterminercommeça.Pourmangerdusorbet citronvert et savoirque tu es la seulepersonnequi aimeça autantque
moi.Pourt’écouterparlerdetonavenir,pourvoirlemondeàtraverstesyeux.Jepeuxencorechanger,laisse-moijusteunechancedeteleprouver.
Mapeaufrémitsoussesdoigtsetjefermelesyeuxquelquessecondesavantdelesrouvrir.
— Ce n’est pas ça une relation, Tate. Tu ne peux pas continuer à merepousserchaquefoisquejemerapproche.
—Jesais.— Pourquoi est-ce que tu viens maintenant, après des semaines sans
nouvelles?—Parcequejenepouvaispasresteréloignédetoi.Jesuisuneloquedepuis
Noël. Je n’en peux plus. Il fallait que je te voie. Je devais essayer de tereconquérir.
Ils’interrompt,justeuninstant,etscrutemonvisage.—S’ilteplaît,Charlotte…— Tu dois me faire confiance, lui dis-je, comme si j’envisageais
véritablementdenousdonneruneautrechance.Tudoismedirecequetupensesaulieudedisparaître.
—Promis.Illaisseretombersamain.—Putain,Charlotte,jesuistellementdésolé!J’inspireungrandcoupetexpire.—Sionreprendnotrehistoire,tudoisarrêterdetoutvouloircontrôleretne
plusessayerdemeprotéger.Tudoismelaisserdéciderdeceque jeveux.Mefaireconfiance.
— Je te fais confiance, dit-il, ses yeux pénétrantsme rappelant comment,d’unsimpleregard,ilalepouvoirdememettreànu.Tuestoutpourmoi.J’aibesoindetoi.
J’aibesoindelui,moiaussi.Moncœurs’accélère.Finalement, je me penche en avant, frôlant ses lèvres des miennes.
Instantanément,ilm’attireverslui,etm’embrasse.Ilm’embrassecommes’ilnevoulaitpasmeperdre,commes’ilnevoulaitplusquejem’éloigne.
—JeveuxjustelevéritableTate.Jemefichedureste,tucomprends?Jem’écartedeluiquelquessecondespourprononcercesparoles.À peine une heure plus tôt, je pensais que je ne le reverrais jamais,mais
maintenant,avecseslèvressiprochesdesmiennes,uneautrepenséemevient,une pensée que je ne peux pas ignorer.Une pensée quime trotte dans la têtedepuisbienavantnotrevoyagedansleColorado.
—Jeveuxêtreavectoi.Etjeveux…Laconfessionque jem’apprêteà faire restemomentanémentcoincéedans
magorge.—Jeteveuxtoutentier,jelâcheenfin.Ilreculeetprendmonvisagedanssesmains.Danssonregard,jevoisqu’il
comprendcequejeveuxdire;jesuislassed’attendre.—Jeteveuxaussi,répond-il,desavoixenivranteetprofonde.Ses caresses se font fiévreuses, urgentes surmon cou. Je sens l’excitation
naîtreaucreuxdemonventre.Puisl’appréhensionvients’ymêler.Jenepourraipas annoncer à grand-mère qu’on se remet ensemble. Pas après ce qui s’estpassé.
—Tate…Peut-on…peut-ongarderçapournous,pourl’instant?Jesaisquecen’estpasfacile,aveclespaparazzisettout,mais…
—Commetuveux.Jel’enlace,respirantsonparfumfrais.Jelaissemeslèvress’attardersurson
cou. J’ai tellement envie de continuer à l’embrasser, de le laisserme poussercontre lemurpourqu’ilmecaresse!Ceseraitsi faciledeperdre lanotiondutemps, d’oublier que je dois retourner au laboratoire. Je trouve pourtant lecouragedelerepousserdoucement.
—Jedoisyaller,Tate.Je commence à passer la porte, mais il me tire en arrière, et m’embrasse
encoreunefois,unbaiserlentetintense,avantdemelibérer.—Jeneteperdraipasunesecondefois,Charlotte.—Tun’aspasintérêt!dis-je,avantdemeglisseràl’intérieurdelasalle.
Chapitre17
Ledimancheaprès-midi,Carlosetmoi sommesassis sur lesgradinsde lasalle de sport, en train de regarder la répétition générale du Songe d’une nuitd’été.LapremièredelapiècealieudansdeuxsemainesetCarlosécritunarticlepourleBanner.Jesuischargéedeprendrelesphotos.
En temps normal, j’aurais été excitée de me servir du matériel photo dulycée, si vieux soit-il, mais c’est dimanche — et la Saint-Valentin — et jepréféreraisêtren’importeoùailleurs.Enfait,non,jevoudraisêtreàunendroitprécis:avecTate.Jenel’aipasvudepuissavisite-surpriseaulaboratoire,voicitroisjours,maisj’ail’intuitionquej’auraidesesnouvellesaujourd’hui.
—Ledécorn’estpasterrible,ditCarlosàvoixbasse.—Jecroisqu’iln’estpasencoreterminé.Ettunepeuxpasmettreçadans
tonarticle.—LecollantdePuckcommenceàcraquerauniveaudel’entrejambe.—Tunepeuxpasécrireçanonplus.Etpourquoiest-cequeturegardesson
entrejambe?Jelèveunsourciltaquindanssadirection.—Lavraiequestion,c’estplutôt,pourquoiest-cequetoi,tunematespas?
AvouequandmêmequeJakeClinedéchiredanslerôledePuck.—Etmoiquicroyaisquetuétaistoujoursfouamoureuxd’AlanGregory!—Ouais.JemedisaisjustequeJakepourraitt’aideràoublierTate,poursuit
Carlos,enmefaisantunclind’œil.Jedétourneleregard,saisiedeculpabilité.IlignorequeTateetmoisommes
denouveauensemble.Etjenecomptepasleluidire.Pasencore,entoutcas.Ilavudansquelétatdedéprimej’étais,aprèsmabrèvevisitedansleColorado,etnous avons passé des semaines à maudire Tate tous les deux. Je ne sais pascommentluiexpliquerquej’aiacceptéqu’ilrevienne.
—Jenesuispasintéresséeparunesolutionderechange.—Nonmais,franchement,t’asvucescuisses?Allez,quoi!—Carlos!Jepivotesurlebancetluiassèneuncoupsurlajambe.—Quoi?Ilhausselesépaules,feignantl’innocence.—J’essaiesimplementdet’aideràtrouverunedistraction.Nos regards se croisent et nous gloussons, nos mains sur la bouche pour
éviterd’interromprelesecondactedelapièce.Jeprendsquelquesphotosdenossièges,puismerapprochedelascène,pour
avoir unemeilleure vue du décor àmoitié construit.Les lecteurs devront s’encontenter.
—Tontéléphoneavibré,ditCarlos,quandjeretournem’asseoir.Il prend des notes sur un carnet et ne lève pas la tête quand je sorsmon
portableetlitletextodeTate:
Chezmoidansquinzeminutes?Jesuisaulycée.
Unautretextoapparaîtimmédiatement:
Vingtminutesalors?
Jesouristrèsfurtivementpournepasmetrahir.
OK.
Ilm’envoie lecodedesonportailet jeverrouillemontéléphone, le tenantserrédansmapaume.
—Ilfautquej’yaille,Carlos.Illèvelesyeuxdesoncarnet.—Oùça?—Euh,aulabo.Monprofesseurabesoinquejeremplacequelqu’un.—Undimancheaprès-midi?—Jesais,çacraint.Maisfautvraimentquej’yaille.—Larépétitionn’estpasterminée,proteste-t-il.— J’ai toutes les photos dont j’ai besoin. Je te promets qu’elles rendront
justiceàtonarticle.Jepassemonsacàl’épauleetyrangel’appareilphoto.
—Jet’appelleplustard.Jefaisungestedelamain,commençantdéjààreculer.—Lâcheuse,va!Sonairesttaquin,maisjesensqu’iln’esttrèspascontent.Surtoutencejour
de Saint-Valentin, que nous sommes censés passer ensemble, célibataires etmisérables.
Je trottine jusqu’à ma voiture, lance mon sac sur le siège passager etdémarre.Moncœurpalpitedéjàd’anticipation.
ArrivéechezTate,j’entrelecodedesécuritéetsourisintérieurement,tandisque legrandportailmétallique s’ouvre. Je lui aidemandédeme laisserentrerdanssavie;jesupposequemeconfiersoncodedesécuritéestunbondébut.
Jemegareetmarchejusqu’auximposantesportesd’entrée.Jem’apprêteàfrapper,quandjevoisqu’unbattantestentrouvert.Jelepousse.
—Tate?Personnenerépond.Lamaisonestsombre,àl’exceptiondeslumièresfeutréessurlesmurs.—Tate?Toujoursrien.J’avance, descends les marches qui mènent au vaste salon. J’appuie les
doigts contre la vitre, savourant la vueque j’ai sur la piscine, la pelouse et lavillequiscintilleencontrebas.
Jen’entendspasTatequis’approchederrièremoi,mais,soudain,sesmainsseposentsurmatailleetdescendentsurmeshanches.
—Salut,dis-je,commençantàpivoterpourluifaireface.Maisilmemaintientfermementenplaceetembrasselecôtédemanuque,
seslèvresglissantdoucementsurmapeau.J’ail’impressiond’êtreparcouruededéchargesélectriquestandisquejegardelesdoigtsplaquéssurlasurfacefroideduverre.
Puisunedesesmainsmelibèreet ilme tournevers lui. Il tientunepetiteboîtebleueornéed’unrubanblanc.
—JoyeuseSaint-Valentin,Charlotte.Jelaprendsetlasoupèse.C’estlapremièrefoisquequelqu’unm’offreun
cadeaupourlafêtedel’amour.—Jen’airienpourtoi,dis-je.Je regrette de ne pas y avoir pensé. Bien que je n’aie aucune idée de ce
qu’onoffreàquelqu’unquiadéjàprobablementtoutcedontilabesoin.—Maissi,répond-iltendrement.Tueslà,c’esttoutcequicompte.
Jecommenceàdéfaireleruban.Jesoulèvelecouvercledelaboîteetlèvebrusquementlesyeuxverslui.
—C’est…—Nedispasquec’esttrop,mecoupe-t-il.Mesdoigtscaressentlebraceletenargentincrustédediamants.Ilbrillede
millefeux.Jelesorsdesonécrin,lesmainslégèrementtremblantes,subjuguéeparsabeautéetsadélicatesse.Puisjeremarquelependentifattachéaufermoir—ilalaformed’untriangle.
— Il te plaît ? lance Tate doucement. Je voulais t’offrir un triangle pluspermanentqueceluiquetutedessinessurlepoignet.
—Ilestextraordinaire,Tate!Jen’enrevienspasquetuaiesfaitça.Jen’aijamaisrienpossédéd’aussibeaudetoutemavieet,mêmesijenelui
posepaslaquestion,jenepeuxm’empêcherdemedemandercombiencebijouacoûté.Sûrementunefortune.
Il l’attache autour de mon poignet gauche, au-dessus du triangle que j’aitracéaustylo-billebleu.Lesdiamantsscintillentmêmedanslafaiblelumièredusalon.Jen’enméritepastant.
—S’ilneteplaîtpas,jepeuxleurdemanderdedessinerautrechose.Ilcontinued’avoirl’airincertain,commes’ils’étaitinquiétédemaréponse
pendantdes jours,craignantque jedéteste lebracelet.Cequisignifiequ’il l’aprobablementfaitconfectionneravantqu’onseremetteensemble.Ilnementaitpasquandiladitqu’ilavaitpenséàmoipendantnotreséparation.
Jem’empressedelerassurer:—Non,ilestabsolumentparfait.Merci,Tate,jel’adore!Je le touche demon autremain, abasourdie qu’il ait fait dessiner quelque
chose pour moi. Qu’il se soit rappelé le triangle sur mon poignet et ce qu’ilsignifiepourmoi.
Ses yeux cherchent les miens, et une vague de chaleur me parcourt toutentière.Jetendslamainverslui,caresseleslignesdesamâchoire.Jeveuxqu’ilsachetoutcequesoncadeaureprésentepourmoi.
—Jesuissérieuse,dis-je.C’estplusquejenemérite.—Nedispasça.Tuméritestellementplus,aucontraire!Jesourisetmelèvesurlapointedespiedspourpressermeslèvrescontreles
siennes.Sonbaiserestdouxaudépart,délicat,puisavide.— Tu pensais vraiment ce que tu as dit, l’autre soir ? demande-t-il, son
soufflechatouillantmonoreille.
Mon cœur cogne contre ma poitrine, pas de peur ou d’hésitation, maisd’excitation. Je lui ai dit que je le voulais tout entier. Maintenant plus quejamais,aprèstoutcequ’onatraversé,jesaisquejesuisprête.Jeveuxpartageravecluiquelquechosequinousuniraetnousrapprochera.
—Oui.—Tuenessûre?Ledésirchantedansmesveines.—J’ensuissûre.J’aperçois des ombres sur la vitre—notre reflet. Tate qui acquiesce d’un
lentmouvementdelatête.—Jevaisquandmêmeyallerdoucementavectoi.J’essaie de répondre, mais ses lèvres trouvent ma gorge ; il m’embrasse
tendrementetremontejusqu’àmamâchoire.Jegémisdeplaisir.J’aitoujourseuenviedesentirsesmainssurmoi,maiscettefoisc’estdifférent.Cettefois,j’ail’impressionquenoscorpsbattentàl’unisson.
Sesdoigtsglissentsurmahanche,lentsmaisdéterminés,puissousl’ourletdemonT-shirt.Jepensaisbienqu’onseverrait,aujourd’hui,etj’aifaitexprèsdemettre le soutien-gorge push-up bleu ciel acheté chez Barneys. Celui qui medonne l’impressiond’être une autre—désirable, sûre d’elle et sexy.Mapeaufrémit.
JefermelesyeuxcommeilremonteleT-shirtsurmonestomacjusqu’àmoncouet je lève lesbraspourqu’il lefassepasserpar-dessusmatêteavantde lelaisserchoirausol.Marespirationsefaitplusprofonde.Nosregardssecroisentdans lavitre ; sesyeuxposentunequestionsilencieuse. Jehochealors la tête.Ses doigts trouvent le bouton demon short, le détachent avec aisance. Puis ildescend labraguette, etmonshort tombeautourdemeschevilles. Jem’écarted’unpasetTatel’éloigned’uncoupdepied.
Jedevraismesentirexposée,vulnérable,ensous-vêtements,maisjemesensembrasée, enflammée par son souffle qui effleuremon épaule. Tousmes senssontenalerte.
—Charlotte,memurmure-t-ilàl’oreilleetunfrissonmeparcourtlanuque.Sesmainsreviennentsurmonbuste,suiventledessindemescôtes.Je peux à peine respirer, à peine penser. Les martèlements de mon cœur
envahissentmesoreillesetjetremble.Va-t-ils’arrêterlà?merepousser?J’ailagorgesècheetjefermelesyeux,effrayéedecequ’ilpourraitdire.
—Allonsdansmachambre,propose-t-ilfinalement.Lesoulagementm’engloutitpresqueentièrement.
***
Sachambreestimmense,lalumièretamiséeparlesstoresbaissés.Sonlitestfaitavecsoin,recouvertd’uncouvre-litgrisanthracite.
Il faitglisserdoucementsesdoigtssurmespommettespourque je reportemon attention sur lui, puism’attire vers lui etm’embrasse. Je fonds dans sesbras,m’abandonneàsescaresses.Jevoudraisqu’ellesnes’arrêtentjamais.
Ils’écarteletempsd’ôtersonT-shirt,etj’aidumalànepasresterbouchebéedevantsontorsepuissantetmusclé.Sesmainstrouventànouveaumataille,etjelèvelatêtepourobserverlescontoursanguleuxdesonvisagesiséduisant.Il se rapproche de moi, dégage mes cheveux de mon visage, et ses yeuxténébreuxbrillent.
—Tuessijolie,Charlotte.Ilmefaitasseoirdélicatementsurleborddulit.Nerveuse,jememordillela
lèvre inférieure.Je touchesesabdosfermes. Ilpassesonpoucesurmes lèvresavant de se baisser pourm’embrasser. Je ferme les yeux, savourant ses lèvresdouces,quigoûtentlatexturedesmiennes,leursaveur.
—Tum’asmanqué.Sesmotsrésonnentdanstoutmoncorps.Sonautremainglissesurmajambenue,surmacuisse,ets’arrêteaubordde
ma culotte. Puis sesmains remontent àma taille, ses pouces appuyés surmeshanches.Jel’embrasseplusintensément,plusavidement,souhaitantqu’ilnemelâcheplus.
Jebasculeenarrièreetm’allongesurledos,fondant,meliquéfiant,etsoncorpssuit.Ilseplaceau-dessusdemoietm’embrasselagorge.Chaqueseconde,j’ai l’impression d’être sur le point de défaillir ; mon corps tremble sous sescaresses,mespenséess’éparpillent.
J’inspireungrandcoup.—Çava?—Oui,jemurmure.Samainmonteplushaut,etjesensledésirmonteravecelle,s’intensifierau
plusprofonddemoi.—Tuaslapeausidouce!Il dépose un autre baiser sur ma gorge et je penche la tête légèrement,
l’offranttoutentièrepourqu’ilm’embrasseànouveau.—Est-cequ’ungarçont’adéjàtouchéecommeça?
Sa voix est basse et calme, plus grave que jamais, et je sensmes jambesflageoler.
—Non,dis-je,d’unevoixàpeineaudible.Tateneralentitpaslerythmedesescaresses;sesmainssemblentconnaître
chaquecourbedemachair,m’enveloppantdansunevaguedechaleur.De ma paume, j’explore la fermeté de son torse. Mes doigts descendent
jusqu’à ses abdos contractés, et je trouve le bord de son jean, bas sur seshanches. Je dessine du doigt le bouton demétal, puis commence à le défaire,maisTatem’arrêted’unecaressesurlamain.Unsourireespièglesedessinesurseslèvresentrouvertes.
—Pasencore.Je lève la tête pour protester,mais sa bouche se presse contre lamienne,
étouffantmesmots,tandisquesamainglisselelongdemoncorps.—Jepeux…?Savoixvibrecontremachairetmoncorpsfrémit.Tandisquejemurmure
untimideoui,moncorpssefaitplusaudacieuxetsecambreverslui.Lesangbatàmesoreilles,mesdoigtsdepied se recroquevillent,mespaumes s’enfoncentdanslematelas,agrippantlesdraps,etjecried’extase.
Je retombe sur le lit, doucement, relâche lematelas, et les doigts de Tateremontent surma cuisse. Son autremain reste posée unmoment surmapeaufrémissante,memaintenant immobilepourque ses lèvres, douces et soyeuses,m’embrassentunedernièrefois.
Ilsouritetroulesurledosenm’entraînant.Jeposelatêtesursonépaule.—Çava?murmure-t-il.—Hmm,jeréponds,incapabled’endirepluspourl’instant.—Bien.Jevaism’yprendredifféremment,cettefois.Jeveuxêtresûrquetu
soisprête.Jelèvelatêtepourleregarder.—Jesuisprête,jet’assure.Jemepelotonnecontrelui,etilcaressemonvisage.Leslèvrescontremon
oreille,ilfredonneunemélodie.—C’estunenouvellechanson?—Unemélodiesurlaquellejetravaille.—Çameplaît,dis-jedansunsoupir.Jemesensgriséeetlégèrecommel’air.—Jevoulaistedire…Jevaisenregistrerunnouvelalbum.Sonsoufflemechatouillelescheveux.
—J’aidéjàécritlaplupartdeschansons,grâceàtoi.Tum’asinspiré.Jemedemande bien commentmoi,CharlotteReed, rat de bibliothèque et
intello,j’aipul’inspirer.C’esttellementabsurdequej’enrispresque.—Monmanagerm’asouventditquej’avaisbesoind’unemusepourécrire
deschansonsaumessagefort.J’ignoraiscequeçavoulaitdire,jusqu’àcequejete rencontre, poursuit-il, tout en caressant ma lèvre inférieure de son pouce.Quand je suis avec toi, les paroles me viennent naturellement à l’esprit, leschansonsjaillissent.Jen’aijamaisvécuçaavant.J’aihâtequetulesentendes.
—C’estformidable,Tate.Maismon cœur commence à battre demanière erratique, le sentiment de
légèretés’évaporantrapidement.J’essaiedenepaspenserauxarticlessurlui,àsavieavantnotrerencontre,
quand il était Tate Collins, l’idole. Les filles, la drogue, tous les extrêmesauxquelsilafaitallusion.
—Maisqu’est-cequeçasignifiera,pournous?Ilseglisseau-dessusdemoipourquenoussoyonsfaceàfaceetmeregarde
danslesyeux.—Beaucoupdetempspasséenstudio,admet-il.Cetalbumdoitêtreparfait.
C’estunnouveauson,unenouvelledirectionpourmoi,et j’aibesoinquemesfanstrouventleursrepèresetsel’approprient.
Sesyeuxsontrivésauxmiens,sonregardestintenseetpénétrant.—Mais je teprometsdeprendredu tempspour tevoiraussi souventque
possible.Tuestoutpourmoi.J’espèrequetulesais.Je hoche la tête, essayant d’ignorer le sentiment de crainte quime gagne
malgrémoi.Ilm’embrasse.—Çavamarcherentrenous,insiste-t-il.MaisjedoispartirpourNewYork
tôtmardi.Jesouristantbienquemal,maismoncœursebriseàl’idéequ’ilreparteà
l’autreboutdupays,alorsqu’onvientàpeinedeseretrouver.—Iln’yapasdestudio,àL.A.?—J’airendez-vousavecunproducteur.Jepensequ’ilseraparfaitpourmon
album. Il comprend ce que j’essaie de faire… quelque chose de brut etd’authentique. De moins artificiel. Il est généralement surbooké, mais monmanageraréussiàm’obtenirunrendez-vous,alorsjenepeuxpaslaisserpassercetteopportunitédetravailleraveclui.
—Tuserasparticombiendetemps?
— Je ne sais pas. Si tout se met en place, il se peut qu’on commence àenregistrertoutdesuite.
—Ici?—Peut-être.OualorsàNewYork.Jenesaispasencore.Ilfaitglisserundoigtsurmatempe,sonregardestattentifetsûrdelui.Jene
peuxpasdétournerlesyeux.—Maisjet’appellerai.Jet’enverraidestextos.Etjeteprometsderevenir
bientôt.Ilm’embrasseetjeluisouris.—Jesuistristequetupartes,maisvraimentraviepourtoi.— C’est temporaire. Je ne supporte pas l’idée d’être loin de toi trop
longtemps,murmure-t-ilcontremeslèvres.Toutaenfindusens.Toi.Moi.Macarrière.Tuesexactementcelledontj’aibesoin,Charlotte.
Jepasselesbrasautourdesoncouetluirendssonbaiser.L’émotiondéferleen moi : bonheur, excitation, nostalgie aussi. Juste au moment où nous noussommes retrouvés, où je l’ai enfin, presque tout entier, j’ai l’impression qu’ilm’échappedéjà.Encore.Mais jechassemacrainteet souriscontre ses lèvres,profitantdumomentprésent.
Chapitre18
Jesuisdevenueunedecesfilles : jeconsultemonportable toutes lescinqminutes, y jette des coups d’œil discrètement sous mon bureau en classe, legarde à la main entre les cours, au cas où Tatem’adresserait unmessage. Jedétesteça,maisc’estplusfortquemoi.QuandMiameprendenflagrantdélit,jemensetprétendsquej’attendsuneréponsedeStanford.Leslettresd’admissionserontenvoyéesd’unjouràl’autre,pourtant,jenepenseàriend’autrequ’àTate.
IlestàNewYorkdepuishuitjoursetj’ail’impressionqueçafaitunmois.Alors,quandunmailarrivedurantlederniercoursdelajournée,j’attrapemontéléphonesiprécipitammentquejelefaistomberparterre.
Le bruit attire l’attention, et je suis obligée de le fourrer dansmon sac etd’attendrelafinducourspourleconsulter.
Quandlaclocheretentitetquej’ouvreenfinlemail,ilmefautunmomentpour comprendre de quoi il retourne. C’est un billet d’avion électronique àdestinationdeNewYork…pourceweek-end.
Je m’arrête brusquement au milieu du couloir, sans plus entendre lebrouhahaautourdemoi.
Ilm’aachetéunbilletd’avionpourNewYork!Ilveutquej’aillelevoir.
***
Jen’aipaslechoix.Jedoistoutavouer.Jenepeuxpasm’envoleràl’autreboutdupayssansledireàquelqu’un.Etj’aibesoind’aide.
Aprèsavoirenvoyéun textomystérieuxàCarlos,nousnousrejoignonsauLoneBean. Jeme sens coupable, alors je lui offre un café glacé, lui fais descomplimentssurunT-shirtqu’iladepuisdeslustresetc’estlàqu’ilm’intimedecracherlemorceau.
—Ilsepassequelquechose,Charlotte.Jeteconnais.Après avoir tourné autour du pot, je lui dis tout : la façon dontTate s’est
excuséaulaboratoire,sapromessequeleschosesseraientdifférentescettefois,lefaitqu’onsorteensembleensecret.Et,pourfinir,jeluiparledubilletd’avionpourNewYork.
Il est comme paralysé, le gobelet de café immobilisé à mi-hauteur de sabouche.
—Pendanttoutcetemps,tulerevoyais?lâche-t-ilenfin.— J’aurais dû te le dire. Je suis vraiment désolée. Mais les choses sont
devenuescompliquées,lapremièrefois,quandtoutlemondeadécouvertnotrerelation.
—Jesuistonmeilleurami.Jepresselesmainscontremesyeux.— Je sais. Je suis vraiment, vraiment désolée. Mais je te dis la vérité
maintenant.Etj’aibesoindetonaide.Ilbaisselesyeuxversmoi,faitroulersalangueàl’intérieurdesajoue.Jelui
aimentideuxfoisausujetdeTate—quandjeluiaicachéquejesortaisavecTateCollins,puisqu’onsefréquentaitànouveau—etjepeuxlireladéceptiondanssesyeux.
Etmaintenant,jeveuxqu’ilmentepourmoi.— J’ai dit à ma grand-mère qu’on allait tous les deux à une conférence
ModelUnitedNationsàNewYork.—OnnefaitmêmepaspartieduclubModelUnitedNations1!—Ellepensequ’il leurmanquaitdeuxpersonnespour levoyageetqu’on
s’estinscrits.—Çasonnetellementfaux!—Peut-être,maisellenelesaitpas.—Jeneveuxpasmentiràtagrand-mèrepourtoi,Charlotte.J’oseàpeinecroisersonregard.—Ellenevapast’appelerpourvérifier,mais,sic’estlecas,disjustequetu
esavecmoietqu’onestvraimentexcitésdereprésenterlaNorvègeoul’Islande,oun’importequelpays,àlaconférence.
—C’estça,lespaysquetuveuxreprésenter?—Choisisceluiquetuveux,dis-jeenriant.Ilfaitlamoue.—JepréféreraisêtrelaSuisseetresterendehorsdetoutça.—S’ilteplaît!Aide-moi,justecettefois-ci.Jetelerevaudrai.
Ilprendunegorgéedesoncaféglacé.—Tunedevraispasyaller.Tun’asjamaisétéNewYorkavantet…Jel’interromps:—Jesaisquetun’appréciespasTate.Maisc’estuniquementparcequetu
ne le connais pas. Il s’est comporté comme un abruti dans le Colorado, c’estvrai,maisdepuisilaétéformidable.Ilessaievraimentdechanger.Ilm’envoiedestextostouslesjours,meditcombienjeluimanque,etlefaitqu’ilmeveuilleàNewYorkauprèsdelui…Çaveutdirebeaucoup!C’estuniquementpour leweek-end, tun’aurasprobablementmêmepasbesoindefairequoiquecesoit.Mais, juste au cas oùmagrand-mère appellerait, j’ai besoin que tume servesd’alibi.
Ilposelesmainssurmesépaulesetbaisselatêtepourmeregarder.—OK,je tecouvrirai.Seulement, tudoismepromettrequetum’enverras
des textos,histoireque jesacheque tuvasbienetqu’ilne t’apasemmenéeàMonacopourfairedetoisafemme.
—Promis.Jemepencheau-dessusdelatablepourl’enlacer.—C’esttoilemeilleur!—Etpromets-moiaussiquetureviendrasavectavirginitéintacte,ajoute-t-
ildemanièreinattendue.Lechocest telquejemanquem’étrangleravecmoncafé.Jemecouvrela
bouchedemamainetm’éclaircislagorge.—Depuisquandtut’intéressesàmavirginité?—Depuisquetuasl’airdeprendrebeaucoupderisquespourcemec.Sois
vigilante,Charlotte.Jeneveuxpasque…tuteperdes.Je souris et secoue la tête. Il a raison, mais je ne me perdrai pas. J’ai
l’impression que Tatem’a trouvée et je n’ai jamais étémoins perdue. Je saisexactementoùestmaplace.
—Jenepeuxpas te fairecettepromesse.Mais je t’aime,dis-jeenbuvantunegorgéedecafé.Jet’enverraiunmessageenarrivant.
Ondiraitqu’ils’apprêteàmemettreengardeencoreunefois,puischanged’avis.
—Jet’aimeaussi.
***
Lecielestdégagéau-dessusdeL.A.,ettoutelavillesemblemiroiter.
Jen’arrivepasàycroire.JesuisvraimentenroutepourNewYork!Jenesaismêmeplusquiestcettefillequisèchelescours,appellesapatronnesousunfauxprétextepournepasallertravaillerettraverselepayspourpasserleweek-end avec un garçon qui lui donne le sentiment d’être audacieuse, rebelle etcapabledepresquetout.LaCharlotted’autrefoisn’auraitjamaisétésitéméraire.
Àprésent,assisesurunsiègedepremièreclasse,regardantparlehublotlesoleilquipointàl’horizon,jen’aipluspeur.Pourlapremièrefoisdemavie,j’aivraimentl’impressionquetoutestpossible.
1. Clubslycéensetétudiantsquisimulentlesdébatsdel’ONU.(N.d.T.)
Chapitre19
NewYorkapparaîtsousmesyeux,telleuneétenduedelumièresscintillantessouslecielcouvert.Jesensl’excitationmegagnertandisquel’avionatterrit.
Hank m’attend au retrait des bagages, tout sourires, et porte ma valisejusqu’àuneEscaladenoire.Lavilleestanimée.NousparcouronsManhattan,sesgratte-ciel immenses au-dessus de nos têtes, ses badauds déambulant sur lestrottoirs. Une bruine légère tombe sur le pare-brise. Je suis vraiment là. Jen’arrivepasàycroire.
Nousfaisonshaltedevantunhôtelimpressionnantetunhommeenuniformem’ouvre la portière, un parapluie à lamain.Un groom récupèrema valise ducoffreduSUVetlafaitroulerjusqu’àlamarquise,àl’abridelapluie.
Hankmerejointsurletrottoiretmetendunecartemagnétiqueenplastique.—Votreclé,machère.Puisilsetourneversl’hommequitientleparapluieau-dessusdematête.—Elleestdanslepenthouse.Lesruesscintillentsouslapluieetsouslalignedepharesdesvoitures.—Tateseraderetourà21heures.Vousavezuneréservationpourledînerà
21h30,m’expliqueHank.—Super.—Jesuisheureuxquetusoislà,Charlotte.Tuluiasmanqué.Ettum’asmanqué,àmoiaussi.—Merci,jeréponds,touchée.TandisqueHankretourneàlavoiture, l’hommeauparapluiemefaitsigne
delesuivre,etnouspassonslesportescoulissantes.Jem’arrête,embrassantduregardleplafondvoûtédoréetleschandeliersdecristal.Desclientssirotentdescocktailsaubaretsurlessofas.C’estlapiècelaplusélégantequej’aiejamaisvue.
—Mademoiselle ? dit l’homme, tenant les portes de l’ascenseur ouvertespourmoi.
Je pénètre dans la cabine vitrée. Il passe son badge sur le bouton decommande, avant d’appuyer sur le bouton « PH ». L’ascenseur commence samontée et jeme tiens à la barre d’appui en cuivre, levant la tête comme si jepouvaisvoirdéfilerlesétagespendantnotreascension.
Quand l’ascenseur s’arrête enfin, il désigne la seule porte de l’étage, del’autrecôtéd’unpetitcouloir.
—Votrechambre,dit-il.JepasselacartequeHankm’adonnéesurlelecteurcarréetlalumièrepasse
auvert,déverrouillantlaporte.J’entredansunesuiteencoreplusimpressionnantequelehalld’entrée.Des
chandeliers sont élégamment suspendus au-dessus du salon et de la salle àmanger. Des canapés blancs font face à une cheminée qui crépite déjà. Desrideaux légers et aériens encadrent de larges baies vitrées qui vont du sol auplafondets’ouvrentsuruneterrasseimmense.
—Désirez-vousautrechose?demandel’homme,posantmavaliseàl’entréedelapièce.
Jesecouelatêteetilseretiredanslecouloirenfermantlesportesderrièrelui.
Jemetienslàuninstantàregarderautourdemoi,puisjemecatapultesurlelitking-size,m’enfonçantdanslesoreillersbleuciel,lesbrasencroix.
Jepousseuncridejoie,puismecouvrelaboucheengloussant.Jevoudraisrestericipourtoujours.
J’aperçoissoudainquelquechosesurmagauche,suspenduàuncrochet,suruneporte.C’estunerobe:unerobelonguenoireetsexy.Jemelèveetmanquetrébucher,tantjesuiseuphorique.Jetraverselapiècepourlirelanoteattachéeaucintre:
Pourtoi.
Jeportelanoteàmeslèvres,unsourirejusqu’auxoreilles.JesuisAliceetjesuisauPaysdesmerveilles!
***
La fille dans lemiroir en pied de la salle de bains est une étrangère.Uneétrangèrequimeplaîtbeaucoup!Letissudelarobe,sisoyeuxcontremapeau,
épouselescourbesdemoncorpsàlaperfection.Jefaiscourirlesdoigtssurmeshanches,savourantlasoienoiredélicate.
Jemesensbelle.Il est 21 h 15 quand je sors sur la terrasse qui surplombeNewYork.Des
voituresklaxonnentencontrebasetjesenslavillevibrer,commesielleavaitunpouls,unbattementquines’arrêtaitjamais.
Quandjesuisfrigorifiéepar lefroidmordant, jeretourneà l’intérieur, faisquelquespasdanslasuitepourfinalementm’affalersurlelit.
OùestTate?D’aprèsHank,ildevraitêtrelà.Vers 22 heures, je sens mes paupières devenir lourdes, mais je ne me
rappelle pasm’être endormie, jusqu’à ce que je sente la chaleur de quelqu’unprèsdemoi.
Unsoufflechaudcontremoncou.J’émerge de mon demi-rêve. Une main se pose sur ma hanche, descend
jusqu’àmacuisse.J’ouvrelesyeux.—Jesuisdésoléd’êtreenretard,murmureTate.Çaadurépluslongtemps
queprévuaustudio.Seslèvresfrôlentmanuque.—Tuasfaim?Jehochelatêteetmetourneverslui.—Onaraténotreréservation,ajoute-t-il.J’aienviede l’embrasser,de le toucher,demeblottirdanssesbras.Alors,
c’estcequejefais.Jeposemeslèvressurlessiennesetilmerendmonbaiser.Mon cœur s’emballe rapidement. Il me caresse les cheveux et repoussegentimentunemèchepourmeregarderdanslesyeux.
—Mangeonsd’abord,dit-il.Le«d’abord»sous-entendqu’ilyauraunaprès,etmonrythmecardiaque
s’accélèreàl’idéedesesmainssurmoi.—Ilyaunepizzeriaouvertetoutelanuitàunpâtédemaisons.—C’estparfait,dis-je.Ilmeprend lesmainspourm’aider àme relever, tout enmedétaillant du
regard.—Tuesàtomberdanscetterobe!Jememetssurlapointedespiedspourl’embrasser.—C’esttoiquil’asachetée.C’esttafaute!Dansl’ascenseur,Tatepasse lebrasautourdemataille.Jem’apprêteà lui
demanders’ilséjournetoujoursdanscethôtelquandilvientàNewYork,mais
sonétreinteseresserreetilmepressecontreuncoindelacabine.Ilm’embrassedenouveau,salangueestdouceettaquine,etjefondsdanssesbras.Quandsonbaisermigreversmagorge,jesuggère:
—Ondevraitpeut-êtrezapperledîner.Ilsecouelatête.—Ilfautquetumangesquelquechose.Puislesportesdel’ascenseurs’ouvrentsurlehalld’entrée.Dehors,lavilleestaussivibranteetaniméequedurantlajournée.Lafoule
sepressesurlestrottoirset j’aimelasensationdel’anonymat,d’êtreperdueetlibredansunevilleoùpersonnene semble reconnaîtreTate.Oùnous sommessimplementdeuxpersonnesquisepromènentsouslapluie.
Je suis beaucoup trophabilléepour lamodestepizzeria,maispersonnenesourcille. Nous passons commande, puis nous installons à une petite tablerecouverted’unenappeàcarreauxrougesetblancsprèsdelavitrine.
Tateposelamainsurmajambesouslatable.— Tu as mis le bracelet, commente-t-il, en désignant du menton mon
poignet,oùsoncadeaudelaSaint-Valentinscintille.—Jel’adore.Jen’aipassouventl’occasiondeleporter.Simagrand-mère
levoyait…Jeneterminepasmaphrase.Jeneveuxpaspenseràellepourl’instant,ni
auxmensongesquejeluiaiditspourpouvoirêtrelà.—Jesuiscontentque tu l’aiesmiscesoir. Ilest fantastiquesur toi.Tuas
l’airfantastique.Je réprime un sourire, puis prends une bouchée de pizza aux tomates
séchées.Nouspassonslerestedudînerànousraconternotresemaineentredeuxbouchéessavoureusesdelameilleurepizzaquej’aiejamaismangée.
Jeluiparledel’hommequiaappeléleBloomRoompourcommanderdeuxbouquets—unpoursafemme,l’autrepoursamaîtresse,avecdescartesportantlamêmeinscription:Jet’aimeàjamais.
Tate me parle du progrès de l’album— je ne comprends pas les termestechniques, mais devine à son expression que tout se passe bien. Il a l’airheureux.
Notre repas terminé, l’urgence du désir revient entre nous, et menace denousembraser.LaruegrouilleetTatemetientprèsdelui,tandisquenousnousfaufilonsentrelestaxis.Aucunpaparazzienembuscade,aucunfanquihurlesonnom. Nous pourrions être n’importe qui. Et j’ai vraiment l’impression d’êtrequelqu’und’autre.Jenoussensànotreplace,ici,àNewYork…ensemble.
Dansl’ascenseurdel’hôtel,Tatenemetouchepas.Maisilmeregardeavecinsistance, comme s’il luttait pour se retenir. Mon ventre se contracte et unevaguedechaleurnaîtdansmesentrailles.
Quandlesportesdel’ascenseurs’ouvrentsurlepenthouse,Tatem’entouredesesbrasetmeconduitdanslesalon.Nousrestonslàunmoment,immobiles,seslèvresflottantsurlesmiennes.
—Jesuisincapabled’avoirlesidéesclaires,quandjesuisavectoi,dit-il.Etmoncœurestprêtàexploser.La baie vitrée est toujours entrouverte sur la terrasse, et une légère brise
rafraîchitmapeausoudainbrûlante.J’entendslesifflementfamilierdemontéléphone.Jeglissehorsdesbrasde
Tate.C’estpeut-êtremagrand-mèrequiprenddesnouvelles.Non,c’estCarlos.J’aicomplètementoubliédeleprévenirquej’avaisbien
atterri.
T’esvivante?Oui.Villeincroyable.Pasenviederentrer.Tuasintérêtàrentrer!Etrappelle-toicequej’aiditausujetdetavirginité.Soissage.Envoie-moiuntextodanslamatinée.XoBonnenuit.Xo
Jenepeuxpasluipromettrequejeseraisage,niquelaCharlottequirentreraàL.A.neserapasuneCharlottedifférente.
Jem’apprêteàreposermontéléphonesurlatablequandjevoisquej’aireçuun mail, en provenance de l’université de Stanford. Mon cœur s’en arrêtepresque de battre. Les doigts tremblotants, j’ouvre le message. Mes yeux lescannentrapidement.
Bureaudesadmissionsdelicence.J’aileplaisirdevousannoncerquevousavezétéadmiseàl’universitédeStanford.Félicitations!
L’espaced’uninstant,jesuiscommeparalysée.Jerelisplusieursfoisavantdecomprendre.
—Toutvabien?medemandeTatedel’entréedelachambre.—Je…jevaisàStanford.Jen’arrivepasàycroire.Iltraverselapièce,levisageilluminéd’unimmensesourire.
—Charlotte!C’estformidable!—Jen’étaispassûred’êtreacceptée.Jebaisseànouveaulesyeuxversl’écran,pourêtresûred’avoirbienlu.—Monconseillerd’orientationn’enétaitpas sûrnonplus.Enfin, jeveux
dire, personne n’est jamais certain du résultat. C’est une université trèscompétitive.Tulesaisdéjà.Pardon,jem’égare…
Jesuisabasourdie,folledejoie,l’espritenvahid’unmilliondepenséesquitourbillonnent.
Tatesourittoujours.—Jesavaisquetuseraisadmise.Jesuistellementheureuxpourtoi!Ilfaut
qu’onfêteça,c’estunegrandenouvelle.Jevaisappelerlaréceptionpourfairemonterduchampagne—jeconnaisleconcierge,çaneposerapasdeproblème.Oualorsonpourraitsortir?C’esttoiquidécides,c’esttasoirée.
Jereposemontéléphonesurlatableetreportemonattentionsurlui.Jemerapproched’unpas, savourantde levoir, là,devantmoi. Jen’aurais aiméêtreavecpersonned’autreaumomentd’apprendrelanouvelle.C’estavecluiquejeveuxpartagermonbonheur.
Jecaressesontorsedemamainetsesyeuxs’enflammentsousmonregard.Ilposelesdoigtssurmonmenton.
—Jeveuxresterici,dis-je.Sa bouche trouve la mienne. Il m’enlace et me soulève facilement. Je
frissonne et passe les bras autour de son cou, tandis qu’ilme conduit dans sachambre.
Ilmedéposedélicatementsurleborddulit.Jeledévoreduregard.Parcoursde ma paume son abdomen, ses abdos durs sous son T-shirt. Il inspireprofondément.Jeveuxlevoirnu, jeveuxtouchersapeau.J’insinuelesdoigtssous l’ourlet de son T-shirt. Il marque une pause, me regarde, puis ôte sonvêtement,etsesbicepssecontractentdemanièreimpressionnante.
—Tum’astellementmanqué,murmure-t-il.Moncœurestunpapillon,rapideetléger,dansmapoitrine.J’aitoutcedont
j’ai rêvé,etmêmeplusquej’aie jamaisosé rêver.Jen’aipluspeurderien.Jesaiscequejeveux.
Lui.
***
Lanuits’étendautourdenousetnousenveloppe.Nousnousdéshabillonsetnous glissons entre les draps blancs en soie. Ses lèvres dessinent surmapeauune carte imaginaire, un chemin que lui seul a parcouru. On s’embrasse, ons’enlace, on y va doucement. Et, bien que nous n’allions pas au bout, c’estcomme si nous avions apposé notremarque l’un sur l’autre.À chaque tendrebaiser, à chaque moment suspendu dans le regard de l’autre, ce que nousdécouvronsvabienau-delàdudésir.
Je prends conscience que je ferais n’importe quoi pour lui, que j’iraisn’importeoù,quejerisqueraistout,simplementpourêtreaveclui.
Ilestpresqueminuitquandnosmainssecalment,quenoslèvrespartagentundernierbaiser,aubordde l’endormissement. Jepose la têtesursonépaule,sesdoigtsdansmescheveux. Je suisépuisée, repue, subjuguée.Quiauraitcruque moi, Charlotte, je vivrais une telle histoire d’amour ? J’avais toujoursimaginélepire,devant lafacilitéaveclaquellemamèreavait lecœurbrisé, lafaçon dont elle se voilait la face ; devantma sœur abandonnée avec Leo, sesrêvesoubliés,savieenpertedevitesse.
Maiscen’estpascommeçaavecTate.Tousmesrêvessesontréalisés.Jesuisdans sesbras, aucentredeManhattan,une lettred’admissiondeStanforddansmaboîtemail.Cettesoiréenepourraitêtreplusparfaite.
—Je t’aime, jemurmure, lesmotssortant toutseuls,commemuspar leurvolontépropre.
Les yeux de Tate dévient furtivement vers moi. J’y aperçois un flashd’émotion, un soupçondepeur. Puis ils s’assombrissent. Il roule sur le dos etregardel’océandeslumièresdelavilleparlabaievitrée.
Jeposelesmainssurmonventre,mesentantsoudainvide.Pourquoiest-cequej’aiditça?Parce que c’est la vérité— parce qu’à cet instant, c’est le sentiment qui
m’habite. Je suis follement, désespérément amoureuse de lui. Rien d’autre nipersonnenepourraitmefaireressentircequejeressensquandjesuisaveclui.
J’entrouvreleslèvres,maisjenesaispascommentleluiexpliquer.Ilsetourneànouveauversmoietm’attirecontrelui.Jeposelatêtesursa
poitrineetécoutelerythmerégulierdesoncœur.Ilembrassematempe,maisneditrien.
Lesilenceestlourdetimpénétrable.Ilnevapasmedéclarersonamour.Iln’éprouvepaslesmêmessentiments.Ilnem’aimepas.Peut-êtren’enest-ilpascapable. Peut-être ne sait-il tout simplement pas comment. Jeme torture avecchaque possibilité, chaque raison pour laquelle il serait incapable de me
répondre.Maisl’épuisementfinitparmesubmergeretjeglissedansunsommeilsiprofondquejenebougeplus,jusqu’àcequelesond’unesirènedepolicemeréveillesibrusquementquejemeredressed’uncoup.
Taten’estplusdanslelit.
***
Jemelèveetpressemeslèvres,merappelantsongoûtcontremabouche.La robe noire forme un petit tas sur le sol. Je l’enfile, à défaut d’une
meilleureoption,ettraverselesalonpiedsnus.LabaievitréeestgrandeouverteetTateestsurlaterrasse,appuyécontrela
rambarde, vêtu de son seul jean malgré la température. L’air est glacial et jem’arrêtesurleseuil,lesbrasautourdemataille.
—Qu’est-cequinevapas?jedemande.Ilnese retournepas.M’a-t-ilentendue?Jesorssur la terrasse,et le froid
mord aussitôt la peau exposée demes bras et demes jambes. Jem’approche,maisilneréagittoujourspas,lesyeuxrivéssurlavilleendormie.
—Tudoisavoirfroid.Jeveux le toucher,mais il demeuredemarbre.Ondirait qu’il nem’apas
encorevue.Jem’apprêteàluisuggérerderentrerquandilsemetenfinàparler.—Jepensaisàladernièrefoisqu’unefillem’aditqu’ellem’aimait.Jemepencheverslui,appuyantlahanchecontrelarambarde.Jefrissonne,
etpasseulementàcausedelabrise.—Elles’appelaitElla.Je me frictionne les bras. J’aimerais qu’il se tourne vers moi, mais son
regardestperduauloin,àlarecherched’unechosequeluiseulpeutvoir.—Tuluiasréponduquetul’aimaisaussi?Jenepeuxpasm’empêcherdeleluidemander,ilfautquejesache.Ilpousseunlongsoupir.—Non.Çan’étaitpascommeçaentrenous.—Commentc’était,alors?Je veux savoir qui est cette fille qu’il n’a jamais mentionnée jusqu’à
maintenant et pourquoi il semblemalheureuxde prononcer sonnom.L’air estlourd,tendu,et jesensquelemomentquej’attendaisestenfinarrivé,qu’ilestsurlepointdemefaireunerévélationd’importance.
Lesmainsserréesdevant lui, il sepencheau-dessusde la rambarde,d’unehauteurdevingtétages.
— J’ai fait beaucoup d’erreurs, Charlotte. J’étais quelqu’un d’autre, àl’époque,unemarque,unerockstarmécanique,quichantaitquandonluidisaitdechanter,quidansaitquandonluidisaitdedanser.Maisaprèsquemesparentssont retournés dans le Colorado, les choses ont dégénéré. Pour échapper à lapression, j’ai commencé à beaucoup faire la fête— beaucoup trop. Certainesnuits,entournée,aprèsunconcert,jenedormaismêmepas.
Ildéglutitaveceffort,fixanttoujourslarue,loin,enbas.—Lesfansétaientpartout.Capablesdetoutpours’introduireencoulisses
—justepourêtreprèsdemoi,pourmetoucher.C’étaitdingue!Tunepeuxpasimaginercequ’onressent,quandonatteintceniveaudecélébrité.Tuteprendspourundieu.Tucroisquetupeuxtouttepermettre.
Lesmusclesdesesépaulesetdesesbras,nusdansl’airglacial,sontcommeuneforteressequejenepeuxpastoucher.Etalorsquejetremble,luinesemblepasaffectéparlefroid.
—C’estàcemoment-làquejel’airencontrée…EllaSt.John.Ilprenduneinspiration,qu’ilrelâchelentement.—Elleavaitdix-septansquandons’estvuslapremièrefois.Elleestvenue
àpresque tous lesconcertsque j’aidonnés,cetteannée-là.Lesvideursavaientl’habitudedesaprésence,alorsilslalaissaiententrer.Onafaitlafêteensembledansplusieursvillesetpuis,unsoir…
Sonexpressions’assombrit,commes’ilpesaitsesmots.—Unsoir,elleestmontéedansmoncardetournée.Ils’arrête,lesyeuxtoujoursfixésauloin.—Ettuascouchéavecelle?Ilnehochepaslatête—c’estinutile.—Lanuitqu’onapasséeensemble…laseulenuit,dit-il,ellem’aditqu’elle
étaitamoureusedemoi.J’étaistellementdéfoncéquej’aicruqu’elleplaisantait.Onneseconnaissaitmêmepas.
C’estlesecretqu’ilm’acaché.Lefardeauqu’ilporte.—Lanuitsuivante,l’étapedetournée,c’étaitChicago.Elleyétait,elles’est
glisséeencoulissesaprèsleconcert.Elleaessayédemevoir.Jemesouviensdel’expressionsursonvisagequandj’aiquittélascène;ellemesouriait,sefrayantun passage à travers la foule.Elle pensait…elle pensait qu’il y avait quelquechoseentrenous.Quejevoudraislavoir,qu’on…jenesaispas…qu’onseraitensemble.Mais,pourmoi,c’étaitjustel’histoired’unenuit.
Ildevientsilencieux.—Tul’asrevue,aprèsça?
—Dansdeuxautresvilles.Elleestvenueencoulisses,elleaessayédemeparler,maisjel’aiignorée.Jen’avaispasl’intentiondeluifairedelapeine,maisellesecomportaitcommesionsortaitensemble.Elleamêmeditàquelques-unsdemesgardesducorpsqu’elle étaitmapetite amie.Eux, ils savaientqu’ilnefallaitpluslalaisserm’approcher.Elleétaitdevenueobsédée.
Jecroise lesbras surmapoitrinepouressayerdeme réchauffer.Obsédée.N’est-cepascequejesuis,moiaussi?Jepenseconstammentàluiquandnousnesommespasensemble.Pourtant,jeveuxcroirequec’estdifférent.Illefaut.
Tatelèvelesyeux,àlarecherched’unsouvenirpeut-être,qu’ilessaieraitdeserappelerdansl’obscurité.
—Jen’aipasanticipécequis’estpassé.Sij’avaissu…Savoixs’éteint,engloutieparlesilence.—Ques’est-ilpassé?Ilsecouelatête.—Unenuit,aprèsleconcertdeSeattle,monmanagerm’aditquelapolice
l’avaittrouvée.Elleavaitsautéd’unpont…Ilneterminepas,maisjecomprends.— Elle avait laissé un mot. Elle avait écrit qu’elle pensait qu’on était
amoureux,qu’onétaitfaitsl’unpourl’autre.—Elles’estsuicidée?L’idéequecettefilleaitpusacrifiersavieàcaused’ungarçon,àcausede
l’amour,mefaitfrissonner.—J’aiécourtélatournée,aprèsça.Etj’aitoutarrêté.Absolumenttout:les
concerts,lesfêtes,lessoirées…Jen’yarrivaisplus.J’airéaliséquelacélébritéétaituneresponsabilité,quemesactespouvaientavoirdegravesconséquences.Si, en une seule nuit, je pouvais détruire la vie d’une fille, je ne voulais pasprendrelerisquedeblesserquelqu’und’autre.
Ils’éloignedelarambarde,demoi,sesmusclesrigidesetcontractés,lapluieglissantsursesépaules.
—C’estpourçaquetut’eséloigné?Cettepremièrenuit,cheztoi,quandjet’aiditquetuétaislepremieràm’embrasser?
Jemerapprochedeluietluitouchelebras.Sesépaulesseraidissent,maisilnes’écartepas.
—Et ensuite dans leColorado ?C’est de là que vient ton besoin de toutcontrôler?
—Jenepensaispastemériter.Tuétais…tues…parfaite.Jenevoulaispastedétruire,toiaussi.Tefaireperdretoutcepourquoituastanttravaillé.
Jesecouelatête,bienqu’ilnepuissepasmevoir.—Jesuisplusfortequeça,Tate.— Avant de te rencontrer, reprend-il à voix basse, je croyais que j’avais
foutumavieenl’air,qu’iln’yavaitpasderetourpossible.Maisavectoi…avectoi,jemedisquej’aipeut-êtreencoreunechance.
—Unechancedequoi?Lentement,ilpivotepourmefaireface,etplongesonregarddanslemien.—D’avoirquelqu’undansmaviequejenedétruiraipas.—CequiestarrivéàEllan’estpastafaute,dis-je,leslèvrestremblantesà
cause du froid. Tu ne pouvais pas savoir qu’elle allait se suicider. Tu dois tepardonner, autrement, tu passeras le reste de ta vie dans la crainte qu’un teldramesereproduise.
Jemepressecontrelui,lespaumessursondosnu.J’entendssoncœurquibatcontremonoreille.Sapeauestétonnammentchaude,malgrélapluiefroidequis’abatsurnous.
—Tudoistournerlapage,Tate.Ilinspirelonguement.—Tudoisteconvaincrequetuneblesseraspersonne.Ilme soulève lementon,me regarde, et je peux lire le tourment dans ses
yeux.Ilm’embrasse,lentement,avecdouceur,etcebaisercontienttoutcequ’ilestincapablededire.
—Merci,murmure-t-ilcontremeslèvres.Jene réponds rien.Lebruitde lapluiequi tombeetde lavillemeuble le
silence.Puisjefinisparluiproposerderentrer.Ilhochelatêteetmeprendlamain.Il referme la baie vitrée et nous retournons dans la chambre, laissant une
traînéed’eauderrièrenous.Marobeesttrempée.JedéfaislafermetureÉclairetlalaissetomberausol.
Tatem’observedel’autrecôtédulit.Nousnousglissonsentrelesdraps,etilmeprenddanssesbras.Jesuisfrigorifiée,maisilmeréchauffedesescaresses.Jepensequesesdoigtsvontexplorerd’autresendroits,réveillerlachaleurenmoijusqu’aupoint denon-retour—pournous emmener jusqu’aubout—,mais ilmurmure:
—Ilesttempsdedormir.Jeregardeunedernièrefoislapluiequis’abatsurlesbaiesvitrées,avantde
fermerlesyeux.Jevoudraisquecemomentduretoujours.
Chapitre20
Le soleil matinal dessine des formes allongées sur le drap blanc. Je meréveille,clignedesyeuxetregardemonbrastendu.Letrianglesurmonpoignets’estestompé.Jenel’aipasautantdessiné,cesdernierstemps.J’aieud’autreschosesentête.
Tate est à côté demoi, allongé sur l’édredon, tandis que je suis enrouléeentre les draps. Je le crois endormi,mais, enme tournant vers lui, je constatequ’ilalesyeuxouverts,etqu’ilregardeparlabaievitrée.
—Salut,dis-je,d’unevoixdouce.—Salut.Ilm’attirecontrelui,etjeposelamainsursonventre.—Tuessuperbequandtudors.La tension de la nuit dernière s’est évaporée, mais il a toujours la mine
sombre.—Est-cequetuasréussiàdormir?—Unpeu.J’inspiresonodeur,tandisquesesdoigtstracentdesligneslelongdemon
bras.—Tudoistravailler,aujourd’hui?—Non.Jesuistoutàtoi.Jesourisetembrassesontorsenu.—Qu’est-ce que tu voudrais faire ? demande-t-il, passant les doigts dans
mescheveux.Tebaladerenville?—Pourquoipas…Maisonestbieniciaussi,non?Une lueur malicieuse apparaît dans son regard, et je me rapproche, pour
l’embrasser sur la bouche. Ses doigts se promènent surma cage thoracique etnotrebaisersefaitplusardent,saboucheplusinsistante.Ilglissesurmoietle
poidsdesoncorpssurlemienfaits’accélérermarespiration.Ilm’embrasselagorge, le lobe de l’oreille, puis revient à mes lèvres pour un baiser intense.Aussitôt,ledésirnousembrase.
Moncorpssecambrecontrelesien.Jenouelesgenouxautourdesesreinsetmesdoigtsdepied se recroquevillentdeplaisir contre ses jambes. Je sens soncœurquicognecontremapoitrineet je saisqu’ilmedésire luiaussi,quesoncorpsestlasd’attendre.
Je ferme les yeux, effleure doucement sa nuque de mes ongles. Il gémitcontremagorge,descendentraçantdescerclesavecsalanguesurmapeau.Toutmoncorpsenfrémitd’anticipation.
Ça y est,me dis-je. C’est lemoment. Plus de secrets entre nous. Plus deraisond’attendre.
Tate remonte, positionne ses hanches au niveau des miennes. Un désirardent,d’unepuissancequejen’aiencorejamaisressentie,naîtdansmonbas-ventre.
—Charlotte,murmure-t-il, les lèvres sousmonmenton.C’estvraimentcequetuveux?
J’acquiescedansunsouffle.Jen’aiaucunehésitation.Il caresse mon visage, m’embrasse sur la bouche, et j’incline la tête en
arrière,meshanchessesoulevantpourappuyercontrelessiennes.Puisquelquechosebriselesilence.Unesonnerie.Montéléphoneportable.Jen’yprêtepasattention,embrasseTatedenouveau,etlasonneriefinitpar
s’arrêter.Sesdoigts sontauborddemaculotte. Iln’yapresque rienquinoussépare, et mon cœur s’emballe. J’ai envie de le sentir tout entier contremoi.Mais…lasonnerierecommence.
Jetendsl’oreille.C’estprobablementCarlosquivérifiequetoutvabien.Lasonneries’arrête,
puisreprendpresqueimmédiatement.Tatebougeetbaisselatêteversmoi.—Ilfautquejeréponde,dis-jeenmedégageant.Jeprendsunpeignoirduplacard,l’enfileetmedirigeàpasfeutrésdansle
salon.Monportablevibresurladesserteoùjel’ailaisséhiersoir.Quand jevoisquim’appelle,monestomac senoue. Jem’éclaircis lavoix
pourparaîtreaussicalmeetnaturellequepossible,etjedécroche.—Salutgrand-mère.Jejetteuncoupd’œilàTate.Ils’estallongésurledosetmeregarde.—Jesaisquetun’espasàcetteconférence.Savoixestfurieusecommejamais.
—Tuesaveclui.Jerestesilencieuse.Lapeurmevrillelesentrailles.—Charlotte,jenepeuxpas…Savoixestétrangléeparlesmots.—…mementir?Jenepeuxpaslecroire,Charlotte…aprèstout…—Grand-mère,je…Lesmotsmemanquent.Commentluiexpliquer?Jevoudraisluidirequece
n’estpascequ’elleimagine,jerefusedeluiservirunnouveaumensonge.Alors,jemarmonne:—Jerentreàlamaison.Mavoixestsibassequejenesaispassiellem’aentendue.Elleraccrocheavantquejepuisseajouterautrechose.Commentest-elleaucourant?Jeconsultemestextos.Carlosm’aenvoyéunephoto,voicideuxheures.On
nousyvoit,Tateetmoi,quittantlapizzeriahiersoir,aveccecommentaire:
TATE COLLINS AVEC SA PETITE AMIE CHARLOTTE REED À NEW YORK.VENDREDISOIR.
Carlosm’aenvoyéunautreSMSquelquesminutesaprèslepremier.
Laphotoestpartout.Tagrand-mèrem’aappelé,ellel’avuesurleportabledeMia.Çacraint!
Une fois encore, lemonde entier sait que nous sommes ensemble. On nepeutpluslenier,désormais.
***
Tate m’accompagne à l’aéroport et me tient la main sur le siège arrière,pendant que Hank manœuvre le SUV noir à travers les rues bondées deManhattan.
JesuisàNewYorkdepuismoinsdevingt-quatreheureset jerentredéjààL.A.
—Onn’auraitjamaisdûquitterlachambre,hiersoir,regretteTate.Jesuisdésolé.J’aieudelachancejusqu’ici,j’aipuresterincognitodepuismonarrivée,maisj’auraisdûfairepluspourteprotéger.
— Ce n’est pas ta faute. Et je te l’ai déjà dit : je n’ai pas besoin de taprotection. Jen’auraispasdûmentir àmagrand-mère. Jen’auraispasdûêtre
obligéedeluimentir.Jeregardelavillequidéfileparlafenêtre,lagrisaillequis’abat,lesnuages
quidescendentsurlesgratte-ciel.—J’aidix-huitans.Ilfautqu’ellemelaissevivremavie.Devant l’aéroport,Tate passe les doigts dansmes cheveux etm’embrasse.
Onsaittouslesdeuxqu’ilnepeutpassortirdelavoiture—ilnepeutrisquerd’être vu et photographié. Si ma grand-mère nous voyait en train de nousembrassersuruntabloïd,çaneferaitqu’envenimerleschoses.
—Quandest-cequejetereverrai?jedemande.—JedevraisêtrederetouràL.A.dansdeuxsemaines.Son expression est indéchiffrable depuis qu’on a quitté l’hôtel. Mais je
perçoisde la tensionsurses traits,et j’essaiedemerassurerenmedisantquec’estseulementparcequ’onaétéforcésdes’arrêtersiprèsdubut.
Ilsefendd’unfaiblesourire,m’embrasseunedernièrefoisetjedescendsdevoiture.
Ce week-end a été presque parfait, m’a offert presque tout ce que j’enattendais.Et,maintenant,jevaisdevoirenaffronterlesconséquences.
***
J’atterris àL.A. dans un état second. J’aurais dû y être préparée,mais lespaparazzis qui m’attendent me prennent au dépourvu. Dès que je descendsl’escalatorpourmedirigerverslasallederetraitdesbagages,ilssontlà,àrôdercommedesvautours.Traquent-ilsnosdéplacementsdepuislanuitdernière?
— Charlotte ! Charlotte ! Où est Tate ? Comment vous êtes-vousrencontrés?Charlotte!
Je les ignore et avance, un bras devant le visage, à la recherche d’uneéchappatoire.
— Êtes-vous toujours ensemble ? C’est vrai qu’il enregistre un nouvelalbum?Pourquoiêtes-vousrentréeplustôt?
Desflashsjaillissent,explosentdetoutesparts.Mavuesetrouble.J’essaiede repérer une sortie, la tête baissée, scannant, malgré tout, les alentours. Àquelquesmètresdevantmoi,unpanonceau indique les toilettespour femmes ;j’ycours,puismeprécipiteàl’intérieur.
J’appuie lesmains contre le lavabo. J’inspire et j’expire. Tatem’a avertieque lacélébritépouvait êtredifficileàgérer, lespaparazzisétouffants,mais je
me découvre terriblement vulnérable seule face à eux. Je tremble comme unefeuille.
Quand je lève les yeux, j’aperçois un visage qui me paraît familier.J’éprouveunesensationdedéjàvu—jeconnaiscesyeuxclairsetcestachesderousseur.Lescirconstancesaussimedisentquelquechose.Où?Quand?Puisledéclicsefait…C’estlafillegothiqueduLoneBean.Cellequim’aditderesteréloignée de Tate. Elle m’était sortie de la tête. Qu’est-ce qu’elle fait là ?Pourquoiest-cequejelacroiseencoreici,danslestoilettes?
Ellemeregardedroitdanslesyeux.—Tunem’aspasécoutée,déclare-t-elle.Sesracinessontapparentes.Commejem’yattendais,souslenoircorbeau,
unsoupçonderouxestvisible.—Jesuisdésolée,jenesaismêmepas…Maisellem’interrompt:—Jet’aidemandédeteteniràdistancedeTate!Ellerecule.—Tuesprévenue.Puis elle fait volte-face et sort des toilettes en bousculant une femme à
l’entrée.Jeme regarde dans lemiroir.Ma queue-de-cheval est en bataille. J’ai les
yeux fatigués. Je parais plusmature, d’une certaine façon, comme si je savaisdésormaisdeschosesquej’ignoraisavantceweek-end.J’ignorequoipenser,ausujet des paparazzis qui attendent derrière la porte, ou de la fille à la teinturenoireetdesonétrangemiseengarde.
Je tente de reprendre mes esprits. Une fois sortie d’ici, je devrai encoreaffrontergrand-mère,etc’estuneperspectivebienplusterrifiante.
***
J’essaied’éviter laconfrontationenrentrantendoucedans lamaisonpourme faufiler jusqu’à ma chambre, mais à peine ai-je posé ma valise qu’elleapparaît à la porte. J’ai dû zigzaguer à travers la foule et prendre le bus pouréviterlespaparazzis;jesuisépuiséeetjeveuxsimplementmeglisserdansmonlitetmereposer.Maisjen’auraipascettechance.
—Jenesaisplusquitues,dit-elleàmi-voix,sonvisageencorejeunerougiparlacolère.
Jedevraism’excuser,admettrequej’aicommisuneerreuretpromettredeneplusjamaisrecommencer,maisjen’encroispasmesoreilles.
—Jesuistoujourslamême,grand-mère.Rienn’achangé.— Pardon ? fait-elle, en avançant d’un pas dans ma chambre. Rien n’a
changé ? Charlotte, tu me mens depuis des mois. La fille que je connaissaisvoulaitalleràStanfordetfairequelquechosedesavie.Sijet’avaisannoncé,ily a sixmois, que tu sortirais endouce et suivrais ungarçon à l’autre bout dupays,tum’auraisriaunez.
— J’ai toujours l’intention de faire quelque chose dema vie, je rétorque,aveuglée par la colère. Ce n’est pas parce que je suis allée à New York quej’abandonnequoiquecesoit.C’estmavie.Etjel’aime.
C’enesttroppourelle.Sesyeuxs’écarquillent,sonvisagesefigeuninstant,puisellesecouelatête,cherchantsesmots.
—Nesoispasstupide,Charlotte!Ungarçoncommeçanes’intéressequ’àuneseulechose.Jepensaisquetulesavais.Jetecroyaisplusintelligentequeça.Quesepassera-t-il,quandilseseralassédetoi,etsemettraenquêted’uneautrejeune fille naïve ? Ton cœur brisé fera la une de tous les tabloïds du pays ;chaque enseignant d’université, chaque employeur potentiel le saura. Peux-tuvraimenttetenirlàdevantmoietaffirmerquec’estcequetuveux?
—Iln’estpascommeça!Etiln’estmêmepasquestiondemoi.Maisdetoi.Tuesterrifiéeàl’idéequejefinissecommeMiaoumaman,parceque,lavérité,c’estqu’ellesonttouteslesdeuxfinicommetoi.Tuasgâchétavieentombantenceintetropjeune.Jenevaispasgâcherlamienne…jenesuispascommetoi.EtTaten’estpascommegrand-pèreoumonpèreouceluideLeo.
—Nemeparlepascommeça!aboie-t-elle.Etnememensplusjamais,pastantquetuvivrassousmontoit!
Ellese retourneet je ravale tous lesmotsquinedemandentqu’àsortir. Jedétestesesrègles,sonobsessionhypocritedelaperfection.
J’attendsqu’elleaitfermélaportedesachambre,puisjehurle:—J’aiétéadmiseàStanford,siçaintéressequelqu’un!Leosemetàpleurer,maisMialecalmerapidement.Ellesetenaitsûrement
auxaguetspendantladispute.Puislamaisonretombedanslesilence.Jem’affalesurmonlitetremontelescouverturessurmatête.Quandj’étais
petite, je pensais que je disparaîtrais, si je fermais les yeux assez fort. Jem’imaginaisdansunendroitnouveau,unendroitquej’avaisdécouvertdansunlivre.
Mais,alorsque lemondes’ouvreenfinàmoi, jemesenspluspiégéequejamais.
Chapitre21
Cinqjoursplustard,leschosesontàpeinechangéàlamaison.Jenemesuispasréconciliéeavecgrand-mère,mais jen’aipasvuTatenonplus—cen’estpascommesijelepouvais,puisqu’ilestàNewYork.Donc,matchnul.
Lejeudisoir,jemerendsàl’UCLA.Rebeccaestdéjàlà,entraind’étiqueterdeséchantillons.
—Salut,dit-elle.Jeluisouris.—Mercid’avoircommencésansmoi,Rebecca.C’estvraimentgentildeta
part.Jesaisquej’aisouventétéenretard,cesdernierstemps.—Pasdesouci.Jen’avaispasréaliséquetuétais…Ellemarqueunepause,cherchantlemotjuste.—…célèbre.—Ah!Àpeine.C’estTatequiestcélèbre.Jemesuisjusteretrouvéesousle
feudesprojecteursparassociation.Elle hoche la tête, et je lui suis reconnaissante de ne pas poser d’autres
questions.Elle sait depuis plus longtemps que les autres que je suis retournéeavec Tate Collins. Elle était là, le jour où il est passé au laboratoire.Étrangement,c’estlaseulepersonneàquijen’aipasmenti.Pourtant,nousnousconnaissons à peine, en dehors des banalités que nous échangeons durant lesheuresdelaboratoire.Ellen’estpasdugenrebavardet,àcetinstantprécis,j’ensuiscontente.
***
Aulycée,lelundi,CarlosavoulutoutsavoirausujetdeNewYork,deTate,decequis’étaitpasséàmonretour,demadisputeavecmagrand-mère.Mêmesi
son inquiétude sincèrem’a touchée, jen’aipasvouluenparler.Depuisque jesuisrentréedeNewYork,j’ail’impressiond’étouffer.
J’enfile ma blouse, lis les notes des deux étudiants de permanence avantnous, puis m’installe sur un tabouret pour aider Rebecca à étiqueter leséchantillons. Dans une heure, il faudra qu’on transfère deux douzainesd’échantillonsdansl’unitéréfrigérée.Autantdireuneéternité!
Pendant qu’on s’affaire, je songe à Tate. Au soir où nous nous sommesrencontrés.J’avaissipeurdem’autoriseràressentirquoiquecesoitpourlui ;j’étais si réticenteà l’idéed’un rendez-vous.Toutemavie, j’aieupeur. Jemesuisempêchéedevivre.Sij’étaisnéedansunefamilleplusconventionnelle,est-ce que je serais là, maintenant, à l’UCLA, en train de rédiger de stupidesétiquettespourdesboîtesdePetristupides,unprojetstupidemenédansleseulbutd’enrichirunecandidatureuniversitaire?
Jebaisselesyeuxsurlaboîtequejetiensàlamain;mesdoigtstremblentlégèrement.Jen’ai jamaispris le tempsdemedemandersic’étaitvraimentceque je voulais. J’ai travaillé si dur pour être admise à Stanford— toutes lesactivités extrascolaires, les notes excellentes, les rédactions parfaites.Maintenant,jesuisadmise.Jepensaisquejeseraisfolledejoie,quel’euphoriedemalettred’admissiondurerait.J’aiobtenucequej’aitoujoursvoulu.
Maissijedésiraisautrechose?Jejetteuncoupd’œilàRebecca,quitrieméthodiquementlesrécipientsen
verre.Noussommestellementdifférentes!Elleadorelesexpériences,lesétudessans fin, l’ordreet laprécision.Peut-êtrequecen’estpasmoncas,au fond…Peut-êtrequecen’estpasmoi.Le stage, lechoixdecarrière,peut-êtrequecen’estpascequejeveux.Pourlapremièrefois,jedoute.Etsi,jusque-là,j’avaistout simplement ignoré qui j’étais et ce que je souhaitais vraiment ? Peut-êtrequejeledécouvreseulementmaintenant.
Tremblantcommeunefeuille,jereposelaboîtedePetri,reculed’unpasetenlèvemablouse.Ensilence,etdemanièrerobotique,jeramassemonsacposésurunechaise.
Rebeccalèvelesyeuxdesontravailpourmeregarder.—Charlotte?—Ilfautquej’yaille.—Oùça?Ondoitfairel’échangedansmoinsdequaranteminutes.—Jenepeuxpas,jemarmonne.—Pourquoi?
Je secoue la tête. J’ignore si je vais rire ou pleurer. Je me sens à la foisenivréeetétrangementlucide.
—Jesuisdésolée,Rebecca.Jetefaisfauxbondencoreunefois.Maisc’esttroppourmoi.
—Tropquoi?—Lelabo,cestage…Ayantsoudainbesoind’uneboufféed’air,jefonceverslasortieetsurgissur
leparkingdubâtimentdescience.Puisjelèvelatêteverslecieletmemetsàrire.
***
Àl’aéroportVanNuys,lachaleurmonteenvaguessurletarmac,encettefind’après-midi.
L’aviondeTateeffectueuncercle,commencesadescenteetatterrit.Çafaitdeuxsemainesquejenel’aipasvu,deuxsemainesdepuisquej’aiquittéNewYork.Etjenemesuispassentiemoi-mêmedepuis.
Lejets’arrêteetlaportes’ouvre.Unevagued’excitationmesubmerge.Tateapparaît dans l’encadrement de la porte, une main en visière, portant unechemiseverteenflanelleetunjeanbrut.Jecoursverslui,alorsqu’ilestencoredansl’escalier,etluisautedanslesbras,enfouissantmonvisagedanssoncou.
J’ai envisagé de tout lui raconter à son retour— le stage que j’ai laissétomber, les paparazzis qui se pointent parfois à la sortie du lycée, la fillegothique,maismaintenantjemedisqueriendetoutcelan’ad’importance.
Laseulechosequiimporte,c’estnous.—Tusenstellementbon!mesusurre-t-ilàl’oreille.—Tum’asmanqué.Il me pose sur le tarmac, les mains sur mes hanches. Hank passe devant
nous,mefaitunclind’œil,etdéposelesbagagesdansl’Escalade.J’entraîneTateverslavoiture,maisilm’arrête.—Charlotte…J’aiquelquechoseàtedire.Lechangementd’intonationm’alerte.—Quoi?Iljetteuncoupd’œilversletarmac,oùunautreavions’arrêtesurlapiste.—Jevaisrepartirentournéepourpromouvoirl’album.Riend’extravagant,
quelques concerts dans des lieux éphémères, mais on travaille déjà sur unetournéeenEurope,pourplustard.
—Quoi?Quand?—Monmanagera fait jouer sescontacts. Jedonneunconcert-surprisece
soir,pourl’ouverturedeDecemberValentine,auStaplesCenter.—Cesoir?Je détourne le regard, essayant de masquer ma déception. Je sais qu’il a
travaillédurpourça,etilméritederetournersurscène.Maisjenepensaispasqueleschosesarriveraientsivite.Unepetitepartiedemoi,égoïste,leveutrienquepourmoi,unmomentencore.
—Jesaisquec’estrapide.Maisilsveulentcréerdubuzzautourdelasortiedunouvelalbum,dansquelquesmois.Après,onauraquelquesjourspournous.
—C’est-à-dire?—Sacramentolasemaineprochaine,Seattlequelquesjoursplustard.Tatem’appuie contre l’aile de la voiture et repoussemes cheveux demes
yeux.Songestetendren’apaiseenrienlesentimentdefrustrationquienfledansmapoitrine.
—C’estgrâceàtoi,Charlotte.Jen’auraispaspureprendrelecoursdemaviesanstoi,niaffronterd’autressallesdespectaclebondées,situnem’avaispasditqu’ilétaittempsquejemepardonne.
Jesaisquec’estcequ’ilveut;jelevoisdanssesyeux.Quelleironie:parcequejel’aiinspiré,ilselancedenouveaudanslestournées,alorsquetoutcequejeveux,c’estqu’ilresteprèsdemoi.
—Latournéeeuropéennedureracombiendetemps?—Unan…probablement.Ils’interromptetrelâchemescheveux.—Ceneserapasfacile.Toi,àStanford,etmoisurlaroute,maisonferaen
sortequeçamarche.Jemetourneverslavitre.C’estplusfortquemoi,jerepenseàcequ’ilm’a
ditàproposdesadernièretournée—lesfêtes,l’alcool,lesfilles.«Tunepeuxmêmepasimaginercequ’onressent,quandonatteintceniveaudecélébrité…Tucroisquetupeuxtouttepermettre.»
—Jenesaispas,Tate.Jesuistoujoursfaceàlafenêtre.—Unan,c’estlong.Surtoutquandsavieserasiintense—tantdetentations,tantd’occasionsde
retrouversesancienneshabitudes.Est-cequejepourrailuifaireconfiance?Est-cequenotrecouplesurvivraà
unerelationlonguedistanced’unan?Çamesemblepresqueimpossible,avec
tantdeforcesquitravaillentcontrenous.—Ceseradur,admet-il.Ilglisseundoigtsousmonmentonpourm’obligeràtournerlevisagevers
lui. Sa bouche est tiède, douce et rassurante, alors qu’il essaie d’effacer mesdoutesparunbaiser.Jepasselamainsursoncrâne,lecaressepourmerappelersescontours,songoûtcontremeslèvres.Ilvientàpeinederentreretnosjourssontdéjàcomptés.
—Oncontinueradesevoir,Charlotte.Ceserajustemoinssouvent.Tuauraslesvacancesetlesweek-ends,etj’aurailejet.
Maismonespritvagabondedéjà;j’imaginel’annéeprochaine:moi,seuleàStanford, croulant sous les devoirs, en manque de sommeil, pendant qu’ilvoyageradeparlemonde,lesfillessefaufilantencoulisses,suppliantes,prêtesàtoutpourêtreaveclui.
—Etsionpouvaitêtreensembletoutletemps?jedemande.Ilreculepourm’observer.—Charlotte…Dequoiest-cequetuparles?L’idéeme trotte dans la tête depuis que j’ai quittémon stage au labo. Le
professeurWebbaessayédem’appeler,melaissantdesmessages,maisjenel’aipasrappelé,nesachantpascommentluiexpliquerquejem’étaistrompéedevie,quelestage,lelabo,cen’étaitpluscequejevoulais.
—Etsijen’allaispasàStanford?—MaistuvasàStanford.—Sijet’accompagnaisentournéeàlaplace?Mavoixsefaitplusaiguë.Çanemeplaîtpas,maisjem’enfiche.—Tunepeuxpaslaissertomberlafacpourmoi!— Je ne laisse rien tomber. Je reporte d’un an. C’est courant, comme
pratique.Ildétourneleregard.—Non,Charlotte.TuastravaillétropdurpourêtreadmiseàStanford.—C’estmadécision,dis-je,plussèchementquejel’auraisvoulu.Onenestencorelà?Pourquoiest-cequetoutlemonde,autourdemoi,croit
savoircequiestlemieuxpourmoi?—Jeprendsenfinmespropresdécisions.Jepensaisquetucomprendrais.—Jecomprends,mais…Son regard se pose sur un point, de l’autre côté du tarmac, et je sensma
frustrationatteindresonpointderupture.
—Tate,jet’aime.Jesaisquec’estduràentendrepourtoi,maisjeveuxquetusachescequejeressens.C’estlabonnedécisionpourmoi.Pournous.
Jeveuxqu’ilmeregarde,qu’ilvoieàquelpointjesuissérieuse.—Jeneveuxpasattendresimplementquetumefassesdelaplacedanston
planning.Çaadéjàétésuffisammentdifficile,cesdernièressemaines.J’aieuunmalfouàmeconcentrer,aulycée.J’auraitoujoursmaplaceàStanford,dansunan.
—T!appelleHank,del’autrecôtédelavoiture.C’estl’heure.Tatehochelatêteetsesyeuxcroisentenfinlesmiens,sitourmentésquej’ai
l’impression d’être de retour sur la terrasse du penthouse, par cette nuitpluvieuse.Ilouvrelaboucheet, l’espaced’uninstant, j’espèrequ’ilvadirecequej’aienvied’entendre.Maisjedéchante.
—Ilfautquej’yaille,Charlotte.J’aidesprisesdesondansquelquesheuresetjedoismepréparer.
Monestomacsenoue.Ilsoupire,fermelesyeuxbrièvement.Cequejepensaisavoirvuadisparu
quandillesrouvre.—Ceserafun,cesoir.Promis.Jemettraitonnomsurlaliste,pourquetu
viennesencoulisses.À20heures,présente-toiauxportesdel’entréesud,ilstelaisserontpasser.
—Etaprès?—Onirachezmoi.Ondiscuteradelasuite.Ontrouveraunesolution.Cesmots, jesuiscontentede lesentendre,maissonregardest sivideque
j’enfrissonnemalgrémoi.Ilm’embrasse sur les lèvres, unbaiser rapide, tout d’abord, puisun autre,
pluslong,etsebaissepourentreràl’arrièreduSUV.Hanketluimeramènentauparkingdel’aéroport,oùmavoitureattend.
Je descends et regarde l’Escalade s’éloigner en essayant deme réjouir duconcert.Monpetitamirockstarm’emmèneencoulissespoursongrandretoursur scène. Franchement, que demander de plus ? Rien, me dis-je. Ensuite,j’essaiedem’enconvaincre,etd’ignorerlasensationquetoutvadetraversentrenous.
Chapitre22
Laportedelachambreserefermederrièremoi.J’empruntelecouloirsurlapointe des pieds jusqu’au salon.Mia est sur le canapé en train d’envoyer destextos.Leoestassisprèsd’elle;iljoueavecunéléphantenpeluchequifaitdubruitchaquefoisqu’illesecoue.
—IlparaîtqueTateestderetourenville,ditMia,meprenantenflagrantdélit,alorsquejetraversefurtivementlacuisine.
Lesmédiasdoiventsavoirqu’ilestrentréetelleaprobablementdéjàludesarticlesàcesujetsursessitesdepotinsdestarspréférés.
La poignée de la porte d’entrée est fraîche sous ma paume et je la serre—symboledemaliberté.
—Oui,ilestrentré.Maisjeneluidispasquej’étaislà,quandilaatterriàL.A.—Tuvaslevoir,c’estça?demande-t-elle,commesiellepouvaitdeviner
mesintentionsd’unsimplecoupd’œil.Monjeanslimnoir,monchemisierblancetmeschaussuresàtalonsn’aident
sûrementpasnonplus.Jeluilanceunregardsuppliant.—S’ilteplaît,nedisrienàgrand-mère,Mia.Ellepinceleslèvresensignededésapprobation.Ellepenselamêmechose
queCarlos à propos de Tate : ilm’a blessée trop de fois, c’est une erreur decontinuer à sortir avec lui. Mais c’est ma sœur, elle voit combien je l’aime—ellesaitcequec’est.Alorsellehochelatête.
—D’accord,dit-elleàvoixbasse.Maistuferaismieuxdetedépêcheravantque…
Ellene finitpassaphrase,cargrand-mèreapparaîtdans l’embrasurede laporte.Elleadûnousentendrediscuterdesachambre.
—Oùvas-tu?medemande-t-elle.Mes yeux glissent rapidement deMia vers elle. Je sens un pincement au
cœurenvoyantàquelpointsonregardestdur.—Jesors.Etjemedépêched’ouvrirlaporteengrandetdem’échapperdanslanuit.Jel’entendsquim’appelle,maisjecoursjusqu’àmavoiture.Jesaisqu’elle
nemesuivrapas, jemepressenéanmoinsd’enfoncerlaclédanslecontact.Jedémarreentrombe,l’adrénalinebattanttoujoursdansmesveines.
Montéléphonesonnedansmonsacposésurlesiègepassager,etjelesorspourconsulterl’écran.C’estelle.J’appuiesurIGNORER.
Ellevaprobablementmepunirjusqu’àlafindel’annéescolaire,maisçan’apas d’importance.Mondiplôme en poche, je compte partir, de toute façon. Jeravalelechagrinquimemonteàlagorgeenpensantàlamauvaisetournurequ’aprisenotrerelation.J’allumelaradio,espérantquelesonnoieramonsentimentdeculpabilité.
La circulation est dense ; une suite de feux rouges et de voitures quiavancentpare-chocscontrepare-chocsmeralentissent.Jequittela101,espérantme faufilerpar lespetites rues,maisnevaisguèreplusvite. J’auraisdûpartirplustôt,anticiper.J’ail’impressiond’avoireuuntrainderetardtoutelajournée.
Quandj’arriveenfin,ungardiendeparkingmedirigeversuneplacepastroploindel’entréeprincipale.Maislespectacleadéjàcommencé;j’entendslebuzzdemusique amplifié qui s’élève de la salle de concert, sens l’air qui vibre. Jecours,memaudissantd’êtreautantenretard.
Je ne me présente pas à l’entrée principale, où les lumières du logo duStaplesCenterenveloppent lesalentoursderougeetdebleu.Au lieudeça, jelonge le mur extérieur en courant jusqu’à la porte sud. Je suis nerveuse. J’ail’impressionque l’avenir denotre relationdépendde la prestationdeTate surscène,que,sijeratelespectacle,quelquechosedeterribleseproduira.
Lesdoublesportessontbaignéesd’unelueurblafardecontrelemurgrisdebéton. Le mot SORTIE se détache en blanc et rouge. C’est beaucoup plusconfidentielquel’entréeprincipale.
Jefrappedeuxfois.Rien.Jefrappeencore.Toujoursrien.Unevoiture tourneenrondsur leparking,
probablementàlarecherched’uneplace.Je m’appuie sur le battant et presse l’oreille contre le métal froid. Je
n’entendsrien,del’autrecôté.Peut-êtrequecen’estpaslebonendroit.
Puislaportetrembleets’ouvrebrusquement.Jereculed’unpas,pournepasmelaprendreenpleinefigure.Unhommeàl’allureofficielle,quiporteunbouc,setientdansl’embrasure.
— Ouais ? demande-t-il distraitement, regardant au-dessus de ma tête,commes’ilattendaitquelqu’und’autre.
Il porte autour du cou plusieurs laissez-passer de couleurs différentes,autorisationsquileconsacrentgardiendescoulisses.
—Jesuissurlaliste,jeréponds.J’ai la sensation d’être dans l’un de ces films où la groupie essaie de se
faufilerdanslestaffpourcoucheraveclarockstar.Saufquejenesuispasunegroupie,jesuissapetiteamie.
—Quelleliste?demande-t-il,grattantlesfavorisquimenacentderecouvrirtoutsonvisage.
—Tatem’aditdemeprésenterici,dis-je,avecplusd’assurancequejen’enaienréalité.JesuisCharlotteReed.Monnomdevraitêtresuruneliste.
Sonregardestassombriparlefaibleéclairageau-dessusdesportes.Danslecouloirsombreetvidederrièrelui,jepeuxentendrelaréverbérationduconcertquirésonne.
Il sort un feuillet blanc plié de sa poche de poitrine. Il l’ouvre et je voisquelquesnomsimprimésdel’autrecôté.Unedemi-douzaine.
—Reed,tudis?—CharlotteReed.Ilmejetteuncoupd’œil.—Jetereconnais.Tuessanouvellenana.J’acquiesce, des papillons dans l’estomac, mélange d’excitation et de
nervosité.Ilreplielepapieretleremetdanssapoche.—Désolé.Tun’espassurlaliste.Ilcommenceàreculerdanslecouloir,maisjel’arrête.—Non!J’agrippeleborddelaportepourl’empêcherdeserefermer.—Attendez,jesaisquej’ysuis.—Désolée,chérie,tun’yespas.—Pouvez-vousrevérifier?—Pasbesoin.—Maisvousmereconnaissez!Voussavezquijesuis!C’estsûrementune
erreur.Jesuiscenséeêtreàl’intérieurencemomentmême.Tatem’attend.
—Pourautantquejesache,ilt’alarguéeplustôtdanslasoiréeettuessaiesd’entrerpoursaccagersaloge.
Ilsaisitluiaussileborddelaporte.—Situn’espassurlaliste,tun’entrespas.Iltireetj’ôtelamainjusteavantquelebattantmétalliqueneserefermedans
unclaquement.—Attendez!Jecrie,jemartèle,donnedescoupsdepiedduboutdemonescarpin,maisil
nerevientpas.Maudissantmonchoixdechaussures,jeretourneaupasdecourseàl’entrée
principale, où les portes vitrées projettent une lumière blanche aveuglante etfluorescente.
À l’intérieur,plusieurspersonnesenuniformenoirdiscutententreelles. Jem’approchedel’unedesfemmesquisetiennentdevantuneaffichedeTate.
Elletendlamainsansmeregarder.—Billet?—Jen’enaipas.Jesuiscenséeêtresuruneliste.—Vous avez achetévosbillets à l’avance ?demande-t-elle, toujours sans
meregarderdirectement.Jerépondsplusfermement:—Non.Jesuissuruneliste.Ellefinitparleverlatêteetplisselesyeux.—Désolée,iln’yapasdeliste,ici.—S’ilvousplaît.Ya-t-ilquelqu’unàquijepuisseparler?—Pasàcetteentrée.—Ildoitbienyavoirunelistepourlesadmissionsencoulisses,ouquelque
chosedanslegenre.Vouspouvezappelerquelqu’un?Ellepousseunsoupirexagéré,etdemande,agacée:—Nom?Jem’empressederépondre:—CharlotteReed.—Attendezici.Ellerejoint,avecunelenteur insoutenable,unhommequise tientprèsdes
escalators.Ilapprochesonportabledesonoreille.Jen’entendspascequ’ildit,mais ilvérifieclairementmonnom.Voilà lemomentque j’attendais ; ilsvontenfinmelaisserpasser.
Aprèsquelquessecondesquimesembledureruneheure, ilraccrocheet lafemmerevientversmoi.J’ail’impressionquejevaisexploser,siellenemarchepas plus vite. D’ici, je peux entendre Tate qui chante sur scène. Sa voix estfacilementreconnaissable,cettevoixquiamurmurédesmotsàmonoreille,quirésonnemaintenantàtraversleStaplesCenter…Etjenepeuxpasl’atteindre!
—Vousn’êtessuraucuneliste,nullepart…dansaucunendroitdubâtiment,dit-elled’unairpresquethéâtral,commepourmieuxfairepasserlemessage.
Impossible.Jeressorsparlesportesprincipalesetretourneàl’entréesud.J’ysuispresque,quandj’aperçoisungroupedefilles—cinqousix—qui
se tiennent devant. L’homme aux favoris réapparaît, le couloir derrière luiprojetantunelumièrefluorescentesur leursvisages.Jem’attendsàcequ’il lesrefoule.
Maisilleslaissepasser.Elles entrent, tout en longues jambes, cheveux souples, brillants, et talons
deuxfoisplushautsquelesmiens.Laportecommenceàserefermer;jepiquealorsunsprintetl’attrapeavantqu’elleclaque.
Jem’apprêteàmeglisseràl’intérieur,quandunemainagrippemonpoignetetmefaitreculer.
—Jecroispas,non,ditlecerbère.—Maiscesfilles!Vouslesavezlaisséesentrer!— Écoute, chérie, c’est mon boulot de m’assurer que les folles restent
dehors.—Jenesuispas…Jedéglutis,tentantdemeressaisir.— Je n’essaie pas d’entrer en douce. Tate m’a demandé de venir à cette
porte ; il a dit que je serais sur une liste.Alors, je ne sais pas quelle liste demerdevousregardez,maisc’estimpossiblequecesnanassoientdessusetmoipas.
Magorgeseserresurlesderniersmots.—Regardezencore!Montonimpérieuxlesurprend,etilfaitunpasenarrière.Unpetitsourirese
peintsurseslèvres,etjemedisqu’ilvadenouveauconsultersafoutuefeuilledepapierou,mieuxencore,melaisserpasser.
—Maisc’estqu’oninsiste,disdonc?— Est-ce que vous pourriez au moins aller chercher Hank, son garde du
corps?Jesuissûrequ’ilestlà.Ilmeconnaît.
Pourquoin’ai-jepassonnumérodansmontéléphone?JedemanderaiàTatedemeledonner,pourqu’untelincidentnesereproduisepas.
Lesouriredel’hommedisparaît.—Écoute,majolie.Nefrappeplusàcetteporteouj’appellelapolice.Etilrefermederrièreluiavecunetelleconvictionquej’ensursaute.Merde.Jeme tourne etm’appuie contre la porte, penchant la tête sous le halode
lumièreetmepassantlesdoigtsdanslescheveux.Unevaguedecrisémergesoudaindel’intérieurdelasalledeconcert,puis
se calme, alors qu’une guitare acoustique commence à jouer. Je ne peux pasrester là, à écouter de l’extérieur. C’est de la torture. Alors jeme redresse etretourneversleparking,devantungardienetlesquelquesderniersdétenteursdebilletsquicourentversl’entréeprincipale.
Jenepeuxpascroirequeçaarrive!Le ciel est voilé de nuages ; il va pleuvoir. Je sors mon téléphone et lui
envoieuntexto:
Paspuentrer.Passurlaliste.
Maisjesaisqu’ilnerépondrapas.Ilestsurscène,enpleinconcert…etjeratetout.
Des chansons que je ne connais pas et des mélodies somptueuses filtrentdans la nuit. Des projecteurs blancs lumineux sortent en ligne droite du toit,tourbillonnentettournoientcommedesluciolessurlesnuages,telunflambeauquisignaleaumondeextérieurquequelquechosed’importantsedérouledanslestadecesoir:TateCollinsestderetour.
J’écoute trois chansonsd’affilée. Jebouillonnede rage. Je suis coincée là,dehors,etjesuiscomplètementimpuissante!
Chapitre23
J’arrive chez Tate et entre le code de la grille, sauvegardé dans montéléphone,depuislejouroùilmel’aenvoyépartexto.
Il pleut des cordes etmes essuie-glaces repoussent furieusement l’eau quiéclabousselepare-brise.Ilestencoretôtpourlespluiesdeprintemps,maiscetteaverseestlabienvenue,unebrèveaccalmiedelachaleursèchecalifornienne.
Jemegareetéteinslemoteur.Aucunelumièredanslamaison.Jetraverseencourantl’alléecentrale,lesmainsau-dessusdelatêtepourme
protégerdelapluie,etj’essaied’ouvrirlaporte:fermée.Jesonne,mêmesijesais que Hank est au concert avec Tate, et qu’il n’y a pas demajordome, defemmedeménageoudepersonnelpour répondre.Je jetteuncoupd’œilàmavoiture. Il ne sera peut-être pas rentré avant une heure ou plus. Puis je merappellelabaievitrée.
Jepousseleportailducôtégauchedelamaisonetgagneàtoutevitesselechemin de pierre éclairé deminuscules lampes solaires. J’émerge à côté de lapiscined’unbleunacré,sasurfacevibrantavecchaquegouttedepluie.JenemesuisjamaistrouvéeicisansTate,etl’obscuritémeparaîtsoudaininquiétante.Jemedépêchedechassercettepensée.
Jecoursjusqu’auxbaies,quis’ouvrent.Àl’intérieur,jem’adosseàlavitre,faisanttomberdel’eausurlesol.Jesavourelefaitd’êtreausec.Jetâtonnesurlemur àmadroite, à la recherched’un interrupteur, quandmonpied entre encollisionaveclatablebasse.Jetitubeetrecule.
Merde.Jemassemongrosorteildroit,vulnérabledansmesescarpinsnoirs.Jen’ai
toujourspasl’habitudedeporterdestalons.Jem’agenouille,poselamainsurleborddelatablebassepourgarderl’équilibre,etcherchejusqu’àcequejetrouve
une large télécommande. Dès que je la touche, tous les boutons s’allument.J’appuie sur celuimarqué FEU et la cheminée semet en route. J’ai assez delumièrepourdistinguerlesmeubles.
Jeconsultemonportable.Pasd’appelmanquénidetextodeTate.Ildoitêtreencoresurscène,ouentraindedonnerdesinterviews,designer
desautographesoud’essayerdesortirdustadesansêtreassailliparlafoule.Jemedirigeversl’escalier;mestalonsclaquentsurlapierre.Auboutducouloir,aupremierétage,derrièredeuxportesdoubles,setrouve
lachambreprincipale.Jen’ysuisentréequ’uneseulefois.Lesouvenirdecettenuit-làmefaitmonterlerougeauxjoues,etjecaressedudoigtlebraceletqu’ilm’aoffertjusteavantdemeconduiredanscettepièce.
La faible lumière du plafonnier est suffisante pour me donner une vued’ensembledetoutelapièce.Jepasseunemainsurl’édredon,letissuestdouxet soyeux sousmes doigts. Des portes coulissantes s’ouvrent sur un patio. Jeposeunemainsurlavitreetregardetomberlapluie.J’attends.
Uneheure s’écoule. Jem’assiedsauborddu lit,puism’affaledenouveausurl’édredon,écoutantlapluiebattrecontreletoit.J’envisaged’écrireuntextoàCarlos,maisjeneluiaipasencoreparlédemadécisionderepousserStanford.Jen’osemêmepasimaginersaréaction.
Àlaplace,allongée,leportableau-dessusdemonvisage,j’envoieunautretextoàTate:
Oùes-tu?
Toutes les cinqminutes, je m’assieds et consulte mon téléphone, certained’avoirmanquéunappelouunSMS.Maisiln’yarien.
Pourquoin’a-t-ilpasencoreappelé?Une idéemevientalors. J’ouvreunepageWebsurmon téléphoneet tape
« Tate Collins ». Des messages postés sur les réseaux sociaux apparaissentimmédiatement : des filles qui tweetent leur présence au concert, des photosgranuleusesdeTatesurscène,viaInstagram.Jefaisdéfilerlesimages.Ilyadesphotos de lui en train de quitter le StaplesCenter, grimpant à l’intérieur d’unSUVnoir, les filles,visiblement indifférentesà lapluie,amasséesautourde lavoiture.
Puis la nature des photos change.Tate est toujours en jean etT-shirt noir,mais le cadre est différent. Il est en boîte de nuit, assis sur une banquette, leslumièresbraquéessursonvisage.Entouré…d’unedemi-douzainedefilles.
Avecfrénésie,j’ouvreplusieursautresimages,toutesdatéesdecesoir:Tatedescendant des shots d’alcool, sa montre de platine brillant dans la lumièrecommeilpenchelatêtepourlesavaler,lesunsaprèslesautres;Tate,uneroussepresséecontrelui,quiluimurmureàsonoreille;Tatequifaitlafête;Tatequin’estpaslà…Tatequin’estpasavecmoi.
Qu’est-cequ’ilfabrique?J’agrippeplusfortmontéléphoneetmesmainscommencentàtrembler;une
douleurmevrillel’arrièreducrâne.Il est enboîte denuit, en cemomentmême, en train de faire la fête avec
d’autresfilles.Puislavérités’imposeàmoi:ilnevoulaitpasdemoiauconcert.Iln’yavaitpasd’erreur.Jen’aipaspuentrerparcequ’iln’avaitpasinscritmonnomsurlaliste.Ilnevoulaitpasdemoilà-bas.Ilneveutpasdemoiàsescôtésmaintenantnonplus.C’estpourçaqu’iln’estpasrentréaprèsleconcert.
Ilfautquejem’enailled’ici.Jerefusequ’ilmedécouvredanssachambre,àl’attendrecommeunepetiteamieobsédéeettropbêtepourcomprendre.Passidifférented’EllaSt.John,finalement.
Mes ongles s’enfoncent dans ma paume, et je me relève en tremblant.J’éteinsmontéléphoneetlefourredansmapoche.JerevoislevisagedeTateàl’aéroport,sonexpression,quandje luiaiannoncéquejevoulaisreportermonentrée à l’université et l’accompagner en tournée. Quand je lui ai dit que jel’aimais.Sonairsoudainimpénétrable,sesyeuxquipouvaientàpeinecroiserlesmiens.
Je commence à avoir très mal au crâne. Je l’ai laissé se moquer de moi.Encore.
Jesuistellementidiote.Tellement,tellementidiote!Jedescendsl’escalieretsorsàtoutevitesse,désespéréedequitterleslieux,
mais convaincue qu’il va ramener ces filles ici et que je serai terriblementembarrassée.
Jerefusedeluidonnercettesatisfaction.J’essaiederetenirmeslarmes,maisma vue se brouille. Ma voiture tangue devant moi, floue dans la pluie quicontinuedetomber.Jem’agrippeaucapot—l’espaced’uninstant,c’estlaseulechosequim’aideàtenirdebout.
J’avancevers laportière, essuyant rageusementmes larmesdemonavant-bras.Jeregretted’êtreentalons,dem’êtrehabilléepourlui.Deporterunetenuequ’ilm’aachetéeàBarneys.Àcausedelui,jesuistombéeamoureuse;àcausede lui, j’ai commis lesmêmes erreursque les autres femmesdema famille et
suis passée pour une imbécile ; à cause de lui, j’ai brisé les promesses que jem’étaisfaitestoutescesannées.Jelehais.
Les larmesbrouillentmavision et je tends le braspourouvrir la portière.J’entends alors quelque chose derrière moi. Des bruits de pas, une courteinspiration. Je m’arrête et me tourne, le sang figé dans les veines, la boucheentrouverte.
Unesilhouetteflouesetientàquelquesmètres,au-delàducercledelumièrequi émane du porche. Je pourrais presque l’imaginer : née de la peurgrandissantequiremontelelongdemacolonnevertébrale,réveillechacunedemesterminaisonsnerveusesetfaitsecontracterlesmusclesdemoncorps.Jemefrotte à nouveau les yeux pour chasser les larmes, pour réussir à distinguer lasilhouettedanslesbranchesalentour.
Ellefaitunpasenavant,etjesaisquejenel’aipasimaginée.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent.—Tate?jedemande,lesoufflecourt,détestantledésespoirdansmavoix.Lasilhouetteavancedequelquespasrapides.Etenuninstant,jecomprends
que ce n’est pas Tate. C’est quelqu’un de menu. Quelqu’un qui approche,traversel’alléepourapparaîtrefinalementsouslafaiblelumièreduporche.
Jelareconnais.C’estlafillequej’aicroiséedanslestoilettesdel’aéroportetcellesduLone
Bean.Lesmêmescheveuxcourtsnoirs,lesmêmestachesderousseur,lamêmepeautrèsblanche.Elleporteunsweatnoiràcapucheetunjeannoir:unetenuedecamouflageidéalepoursetapirdansl’obscurité.
—Qu’est-cequetufaislà?Ellenerépondpas.J’insiste:—Tun’espascenséeêtreici.Jetendslamainderrièremoipourattraperlapoignéedemaportière,mais
elleestverrouillée.—Jet’aisuivie,rétorque-t-elle.Unsentimentdepaniquecommenceàm’envahir.Mesyeuxdévientversma
portière:encombiendetempspuis-jesortirlesclés?—N’ypensemêmepas,dit-elle,devinantmonintention.Jelaregardedenouveau.Lapluiesecalmelégèrementetjepeuxmieuxla
voir.Sesyeuxmefixentsanscligner.J’essaie de gagner du temps, pendant que je tends lentement lamain vers
monsac.
—Pourquoiest-cequetumesuis?—J’aiessayédeteprévenir.Ses bras sont raides le longde son corps, et samain gauche commence à
courirnerveusementlelongdesonjeannoir.—Ensuite,jet’aivue,auconcert.Tuessayaisdetefaufilerencoulisses.Ellecontinuedemefixer.—Tunevaspast’éloignerdelui.Jem’enrendscomptemaintenant.—Tuastort,dis-je,lavoixtremblante.Tateetmoi,c’estterminé.Onn’est
plusensemble.—Menteuse!crache-t-elledansunhoquetindigné.—C’estlavérité.Mamaingauchetâtonnedansmonsacà larecherchedemesclés,mais je
n’arrivepasàleslocaliser.Elleplisselesyeux.—Jel’aimedepuispluslongtempsquetoi.Quen’importequi.J’aivuson
toutpremierconcertàL.A.J’avaisquatorzeans.J’étaisaupremierrangetilm’atouché la main, il m’a regardée comme s’il me voyait vraiment. Commepersonne nem’avait jamais regardée. J’ai su alors que lui etmoi, nous étionsfaitsl’unpourl’autre.C’estjusteunequestiondetemps;onfiniraparserevoir,etilsauraquejesuislafemmedesavie.
Ilfautquejeparted’ici,quej’appellelapolice,trouveTateetleprévienne.Peu importe ce qu’il m’a fait, il ne peut pas rentrer et découvrir cette filleinstablechezlui.Ellepourraitleblesser,retournersacolèreetsafoliecontrelui.
—Jetelelaisse,dis-je.Maissestraitssedurcissentetsonvisagepâlitencoreplus.Ellefaitunautre
pasversmoi.—Ilseraàmoi!Etelleajoute:—Unefoisquetuaurasdisparu.Mesdoigtsseresserrentenfinautourdemaclédevoiture.Jefaisvolte-face,
l’enfonce dans la serrure, et attrape la poignée. Le temps semble s’accélérer,pourtant, j’ai l’impressiond’avancerauralenti : j’ouvred’uncoupsec,maislafille est trop rapide. Elle fonce sur moi, les mains autour de ma gorge. Laportièreserefermedansunclaquement.Mespoumonsseserrent,jesuffoque.
Pendantuneseconde,jesuistellementabasourdiequejeresteengourdie,lesbraslelongducorps.Mavisioncommencedéjààsebrouiller.Puislasensationdepaniquequimegagneme fait réagir, et je plaque lesmains sur sonvisage
pouressayerdelarepousser.Çanefonctionnepas,etonbasculeversl’avantdelavoiture.Sesmainssontautourdemoncou,etmestalonsdérapentsurlepavémouillé.Commejemedébats,nousglissonstouteslesdeuxsurl’aile,ettitubonsdansl’obscurité.Maislaforcedesoncorpsesttroppuissanteetmesjambessedérobentsousmoi.
Noustombonssurlebéton.Depetitspointsblancsapparaissentdevantmesyeuxetl’arrièredematêtemelance,lachaleurserépandantdansmoncrâne.
J’ouvrelabouchepourparler,pourluihurlerd’arrêter,maisaucunsonn’ensort.
Je croise son regard, à quelques centimètres dumien, ses pupilles, noirescommeducharbon,sontextrêmementdilatées,commesiellemevoyaitsansmevoir— elle a le regard videmais satisfait. Sesmains resserrent leur pressionautourdemagorge,appuient,s’enfoncent,déterminéesàm’ôterlavie.Ettoutcommenceàralentir.Jehalète,donnedescoupsdepied,griffe,maisunrictussepeintsursonvisage,unegrimaceentrelerireetleslarmes.
Mesonglesgriffentsesjoues,arrachentdesfragmentsdepeau,maisbientôtjesenslaforcemequitter;mavisiontangue,tachetéedepointsrouges.
Tout commence à disparaître, à s’évaporer, comme si un immense rideaunoirs’abattaitsurmoietm’enveloppait.
Lesnuagess’éloignent,s’estompent.Lecielestmagnifique,noiretparsemédelumièresminuscules.Desétoiles.Riend’autrequedesétoiles.C’estcequejevois.Unepluie d’étoiles qui se consument, touchentmapeau, recouvrent toutautourdemoi.
Lecielsevoile.Destachesdelumièreéclatentdevantmesyeux.Lemondesefaitbrumeux.Puistoutdevientnoir.
***
Lapremièrechosequejesens,c’estmoncœurquibat.Ilmartèlecontremesarticulations,contrechacundemesos,chaquefragmentdetissu.Réduisantmoncorpsenmiettes.
J’essaie d’ouvrir les yeux.Mes paupières sont collantes etmoites. Le cielvacilleau-dessusdemoi.
Ilyaunamasdecheveuxsombres—lafille,toujoursau-dessusdemoi.Etsoudain,unrelâchementdelapression—soncorpsqu’ondétachedumien,sesmains qui desserrentmon cou.Mais je suis incapable de bouger.Mes jambes
sontcommedesenclumes.J’aidespicotementsdanslesbras.Matêteestencoreplusdouloureusequ’avant.
Quelqu’uncrie:lafille,jepense.Jeperçoisdumouvement,despiedscontrelebéton,desmainsquitirent,se
débattent.Jeréalisequemespaupièressesontreferméeset jemeforceà lesrouvrir.
Un visage apparaît. Je tressaille, m’attendant à ce que ce soit encore monassaillante,venuefinircequ’elleacommencé.Venuemetuerpourdebon,cettefois.Maiscen’estpaselle.
C’estTate.Seslèvresremuent.Sesyeuxsontcommeunocéansansfond,etjeveuxm’y
noyer.Ilditquelquechose,maisjesuisincapablededéchiffrersesparoles.Puisses bras me soulèvent, et je me sens aussi légère que l’air. Je le laissem’emporter,latêteappuyéecontresapoitrine.
L’obscuritém’enveloppeune foisdeplus,et jen’entendsplus riend’autrequelecœurdeTatequibatàmonoreille.
***
Le bip régulier d’unmoniteur cardiaqueme réveille. Suis-je à l’hôpital ?J’ouvrelesyeuxetTateapparaît.Lesoulagementm’envahit, jusqu’àcequejemesouviennedesévénementsdelasoirée.
—Salut,dis-je,lavoixrauque,commepasséeaupapierdeverre.—Salut.Ilsouritfaiblement.—Commenttesens-tu?Je ferme lesyeuxet fais l’inventaire.Lesdouleurs sont toujours là—ma
tête,magorge,mondosàl’endroitoùj’aiheurtélebéton—,maisatténuées.Jem’aperçoisalorsquejesuissousperfusion.Pasdedoute,jesuisbienàl’hôpital.
—J’aiconnudesjoursmeilleurs.Jesuislàdepuiscombiendetemps?—Quelquesheures.Tuasdesblessuresàlagorge,peut-êtreunecommotion
cérébrale,alorsilsveulenttegarderenobservationcettenuit.D’aprèseux,tuaseubeaucoupdechance.
Ilgrimace,commes’ilnepartageaitpasleuravis.—Tafamilleestàl’accueilavecHank,entraindeparleraveclapolice.As-
tu besoin de quelque chose ? Un médecin ? Je devrais leur dire que tu esréveillée.
— Ils s’en rendront compte, dis-je. Ces moniteurs doivent bien servir àquelquechose.
Çamefaitmaldelevoirici,sachantoùilétaitencorepeuavant,danscetteboîtedenuitavecd’autres filles.C’estunedouleurquin’a rienàvoiravec ladouleurphysique.Etpourtantjeneveuxpasqu’ilparte.Pasencore.
Ilpasselamainsursanuque,etnosregardssecroisent.Maiscenesontpaslesyeuxdontjemerappelle—lesyeuxdequelqu’unquinepeutpasvivresansmoi.Cesontlesyeuxdequelqu’unquim’adéjàquittée.
—Charlotte…,murmure-t-il.Jesuistellementdésolé!Jen’étaispasdutoutaucourantpourcette fille. J’ignoraisque j’avaisuneharceleuse,encoremoinsqu’elles’enprendraitàtoi.Jen’aijamaisvouluqu’unetellechoseseproduise.Jeneseraisjamaisretournésousl’œildupublic,sij’avaissuqueçaferaitdetoiunecible.Tuas…
—Jen’étaispassurlaliste,dis-jeavecdifficulté,magorgedouloureuse.Ilneditrien.—J’aivud’autresfillesentrer,maismoijenepouvaispas.Mavoixestérailléeetrauque.—Tuimaginescombiençaaétéhumiliant?Sonvisageseraiditetsesyeuxfixentlesol.—Tu devrais te reposer,me conseille-t-il, au lieu d’admettre ce qui s’est
passé,etqu’ilm’atoutsimplementévincéedesavie,delapiredesfaçons.Onparleradeçaplustard,quandtuserasremisesurpied.Quandtavoix…quandtutesentirasmieux.
J’envisage brièvement de lui demander d’appeler le médecin, finalement— ils peuvent sûrement m’administrer assez de morphine pour atténuer ladouleurquim’attend.
Àlaplace,jedétaillesesyeuxfatigués,samâchoirecrispée.— Je ne crois pas qu’il y aura un « plus tard » pour nous, Tate. Je me
trompe?—Charlotte,tune…jene…Jeveuxqu’ils’arrêtelà.Maisilpoursuit:—Tunesauras jamaisàquelpoint jesuisdésolédecequeje t’ai fait,ce
soir.Maisjenepeuxpastelaisserabandonnerlafacpourmoi.Tesrêves,toutcepourquoituastravaillétoutetavie.Tuasditquetum’aimaiset,crois-moi,çasignifieénormémentpourmoi.Maisquesepassera-t-il,quandtuenaurasmarred’êtresurlaroute,devivreàl’étroitdansuncardetournée,depasserdesheuresencoulissesoudanslefoyerdesacteurs,traversanttantdevillesetdepaysque
tu en perdras le fil ? Quand chaque salle de spectacle sera identique à laprécédente ? Que se passera-t-il, quand le sentiment de nouveauté se seraévaporéetquetucommencerasàm’envouloirdet’avoiréloignéedelaviequetuétaiscenséemener?Etquisaitcombiend’autresfanscinglésilya,dehors?Ilfautbienadmettrequejen’aipaseudechancedanscedomaine.Tucroisquej’aienviedeprendrelerisquequecequit’estarrivécesoirsereproduise?Çanepeutpasmarcher,Charlotte.TudoisalleràStanford,oùtuastaplace.Oùtuserasensécurité.
Il serre la barre demétal demon lit d’hôpital si fort que ses articulationsdeviennentblanches.
Je devraisme sentir soulagée d’entendre l’explication que je n’ai pas eueavantleconcert:qu’ils’estinquiétédemasécurité,demaprotection,mêmesi,pourcela,iladûmebriserlecœur.Mais,àlaplace,jeressensseulementdelacolère,pire,uneragedévorantequ’unefoisdeplussacraintedemeblessernoussépare.
—Tuprendsladécisionpourmoi,c’estça?Peuimportecequejeveux,cedontj’aibesoin,ouquejet’aieassuréquejepouvaislesupporter.C’esttoiquidécides,unefoisdeplus.
Illâchelabarredemétaletseredresse.Ilesttellementbeau…Mêmemaintenant,alorsquechacundesesmotsmefaitmal,jenepeuxpas
m’empêcherdel’admirer.Çarendleschosesencoreplusdouloureuses.—J’aimeraisqu’ilensoitautrement,dit-il,leregardfuyant.Maisc’estplus
simplesi…Ilsemordillelalèvre.—…Onenrestelà,jeconcluspourlui,ladouleurbattantàmestempes.Ilhochelatête.—Jenepeuxpasvivreenteregardantsacrifiertonavenirpourmoi.Ettuas
raison,tuméritesmieuxqu’unweek-endpar-cipar-là.Iln’yapasdecompromispossible,Charlotte.
L’espaced’un instant, je suis incapablede lui répondre.Les larmesque jem’efforcederetenirbrûlentmesyeux,meslèvrestremblent.
—Iln’yajamaiseudecompromispossibleavectoi.C’esttoujourstoutourien.
J’agrippe le drap, le serre fort dansmes poings, et prendsmon courage àdeuxmains.
—Va-t’en,s’ilteplaît.
Unfaiblesons’échappedeseslèvres,moitiéprotestation,moitiésoupir.—Jesuisdésolé,Charlotte.Pourtout.Ses doigts parcourent le bord du lit, si près qu’il pourraitme toucher, les
faire glisser le long demon bras nu etm’embrasser.Mais il n’en fait rien. Ilretiresamainetsetourneverslaporte.
Puisils’arrête,ledosrigide.Jepensequ’ilvaseretournerunedernièrefois,ajouter autre chose, juste une dernière parole pour tout arranger, pour faire ensortequeçanefassepassimal.
Maisilsortdanslecouloir,ilsortdemavie.Etjem’effondre.
Chapitre24
Grand-mèreetMiameramènentcheznous,lelendemain.Assisesurlesiègepassager, je ne dis pas unmot. Tout semble atténué autour demoi, telles desaquarellessurunepageblanche.Enarrivant,jetraverselesalonetlecouloirenrasantlesmurs.
Mêmecettemaisonmeparaîtétrangère,l’ancienneCharlottequivivaitlàestdevenueunepersonnequejenereconnaisplus.
—Est-cequeçava?medemandeMia,quim’asuivie.J’entendsgrand-mère,auboutducouloir,quicoucheLeopoursasieste.—Non,dis-je,m’effondrantsurmonlitetluitournantledos.Je l’entends respirer, senssaprésence,mais jene la regardepas.Elle finit
pars’enallerenrefermantlaportederrièreelle.Jepassetroisjoursaulit.Miam’apporteàmanger,medemandecommentje
vais,essaiedem’inciteràmelever,maisjen’enaitoutsimplementpaslaforce.Ellem’amèneLeo,pourmeremonterlemoral.Ilattrapemondoigtetjemesensuntoutpetitpeumieux.Grand-mèreestétonnammentcompréhensive.Ellen’apasmentionnéTateuneseulefois.
Carlos passeme voir tous les jours après les cours. Il n’essaie pas demeremonter le moral, comme il l’aurait fait en temps normal. Il se contente deresterassislà,avecmoi,sansmeforceràparler.
Lentement, je retrouve la Charlotte d’autrefois. Je ressors mes romanspréférés de ma bibliothèque, en relis des passages, laisse les mots meréconforter. J’allumemonordinateurportable, fais défiler lesphotosd’anciensprojetspourleBanner,essayantdemerappelerquij’étaisquandjelesaiprises,dedécouvrircequiachangéenmoi.Jerelèvemesmails,parcourslesdevoirsquemesprofesseursontenvoyés,travailleunpeu.
J’aiencoreduretard,maismonconseillerd’orientationpensequelebureaudes admissions de Stanford sera compréhensif, qu’ils ne me pénaliseront paspourdesnotesquiontbaisséaprèsunséjouràl’hôpital.Jemedisquec’estunebonne chose que je n’aie pas encore fait de demande de report, que tout peutmaintenantreprendresoncoursnormal:Stanfordl’annéeprochaine,l’écoledemédecineensuite,l’avenirquej’aisiméticuleusementplanifié.
Jedevraisêtrecontente;aufond,çaauraitpuêtrepire.Aumoins,jen’aipasgâchémavie.
***
Lejeudisoir,Miafrappelégèrementàmaportepourvoirsijesuisréveillée.Elle s’assied sur le lit et me caresse les cheveux. Mes yeux s’emplissent delarmes.Jefermelespaupières,pouressayerdelesretenir.
—Tatêtetefaittoujourssouffrir?—Non.Cen’estpasça.—Jesais,dit-elledoucement.Ilt’abrisélecœur.Jehochelatêteetmecouvrelesyeuxdesmains.Ungémissements’échappe
demeslèvres.—Ilsnesontpastouscommeça,poursuit-elle,touchantmonépaule.Maisjeris:unrireameretdouloureux.— Je suis désolée, Mia, dis-je, levant les yeux vers cette sœur que
j’idolâtraisquandnousétionsenfants.—Pourquoi?— Je n’ai pas été très sympa avec toi. Depuis Leo, je veux dire. Je ne
comprenaispas…Jemesouviensdetouteslesfoisoùjel’aijugée.J’auraispul’aider,maisje
n’enavaispasenvie.—Onatouteslesdeuxcommisdeserreurs,Charlotte.Lepardonquejelisdanssesyeuxmefaitpresquem’effondrerànouveau.Jebaisse lesyeuxvers labaguedenotremère.Je laportaispouréviterde
reproduire les mêmes erreurs qu’elle, mais je suis tombée aussi éperdumentamoureuse.
Jelafaisglisserdemonannulaire.—Jecroisquejen’enaiplusbesoin.Sansmeregarder,Mialapasseàsondoigt.Elleluivaàlaperfection,peut-
êtreencoremieuxqu’àmoi.Sapeauestplusmate,plusprochedelacarnation
denotremère.Des souvenirsdenotremère surgissent alorsdansmonesprit. Je la revois
portant la bague. Elle était si belle, mais si perdue ! Destinée à aimer deshommesquinepouvaientpas,ounevoulaientpasl’aimerenretour.
Jeluiressembleplusquejenelepensais.
***
AprèsledépartdeMia,jemelèveetvaisjusqu’àlachambredegrand-mère.Assiseauborddesonlit,elletientsurlesgenouxunvieilalbumphoto,quej’airarementvu.
J’entred’unpaslent.—Jepeuxteparler?dis-je.—Biensûr.Jem’assiedsprèsd’elle.Sesdoigtstracentlescontoursd’unephotodema
mère et d’elle, quand maman n’était encore qu’un bébé. Grand-mère était sijeune,justeuneadolescente!Onseressemblebeaucoup.
—J’auraisdût’écouter.Alorsquejecroyaisenavoirterminé,jepleuredenouveau.—Non,Charlotte.Ellesecouelatêteetmeprendlamain.—C’estmoiquiauraisdût’écouter.Jepensaisquejeteprotégeais,maisje
faisaisfausseroute.—Jenecomprendspas.Ellesouritetlèveunsourcil.—Tumérites d’être aimée, comme tout lemonde. Tumérites le plus bel
amour…celuiquidure touteunevie.Peut-êtrequeçan’apasété le casavecTate,maisjesaisquetutrouveraslegrandamourunjour.Jeveuxseulementquetusoisheureuse,c’esttoutcequej’aitoujoursdésiré.
Tate…Sonvisageflottantau-dessusdumien,sesyeuxtourmentéscommel’océan,justeavantqu’ilmesoulèvedupavé.
Je pensais qu’ilm’aimait—même s’il ne savait pas comment le dire—,maiscetamourétaitprisonnierdesespeurs,desonbesoindemeprotéger,detoutcontrôler.
—J’aiquelquechoseà tedire, je reprends, fixant sesyeuxbleu-vert. J’aiprisunedécision…Jesouhaiterepoussermonentréeàl’universitéd’unan.J’aid’abord cru que cette enviem’était venueparce que je voulais être avecTate,
maisenfaitjelefaispourmoi.J’aibesoind’uneannéesabbatique.J’aibesoindedécouvrirquelestmonvéritableprojetdevie.Jesaisquec’estangoissant,vude ton côté,mais je te promets que non. Je ne perdrai pasmes bourses.Ellesseronttoujourslààmonretour.Jeveuxjusteêtrecertained’êtreprête.
Sonsourires’affaisseunpeu.—Qu’est-cequetuvasfaire?demande-t-elle.— Je ne suis pas complètement décidée… J’ai encore besoin de réfléchir.
Peut-êtrequejeprendraiunautreboulot,peut-êtrequejemeserviraidel’argentque j’ai économisé pour voyager et quitter la Californie pendant plus d’unejournée.Maisjeveuxprendreletempsdedécouvrirquijesuisetcequejeveux.
C’est étrange d’être si honnête avec elle, d’admettre quelque chose de sipersonnel.Mais,encetinstant,j’ail’impressionquejepourraistoutluidire.
J’attendsqu’ellemeréponde.Ellerestesilencieuseunmoment,puisprendmamaindanslasienne,lesyeuxbrillantsdelarmes.
—Jerêvaisd’allerenEurope…Puisjesuistombéeenceintedetamamanetjen’enaijamaiseul’occasion.
—C’estmachance,dis-je.Jedoislasaisir!Lelitcraquesousnotrepoids,commeellepivotepourmeregarder.—D’accord,dit-elle.—D’accord?—Prendscetteannée.Faistoutesleschosesquejen’aipaspufaire.—Vraiment?Ellehochelatêteetm’attirecontreellepourmeserrerdanssesbras.Jesens
ses larmes mouiller mon T-shirt avant même de prendre conscience qu’ellepleure.
—Merci.Jen’aijamaisétéplusreconnaissantedemavie.
Chapitre25
Sixmoisplustard
Nous sommes fin septembre et, sur l’insistance de grand-mère, je suisrentréeàL.A.pourlafêted’anniversairedeMia.Lesbruitset lachaleurdelavillesontàlafoisfamiliersetécrasants.
Aprèslaremisedesdiplômes,enjuin,jesuispartie.J’aiutilisél’argentquej’avais économisé en travaillant auBloomRoompour acheter un aller simplepourl’Europe.Jen’étaispasrentréedepuistroismois—troismoisquejen’aipasvuspasser.
Carlos est allongéen traversdemon lit. Il enrouleundemesélastiques àcheveux autour de ses doigts, tout enme regardant préparer une pile de lingesale.
—Jen’arrivepasàcroirequetusoispartieexplorerl’Europetouteseule!—Jeterassure,cen’étaitpasaussitémérairequetulepenses.J’étaisdans
unbus,laplupartdutemps,avecdesgroupesdetouristes.—Ouais,maistuasprobablementmangédelabaguetteetdufromage,ettu
asdormidansdesaubergesdejeunesse.— Carrément ! dis-je, avec un grand sérieux. Tu me connais. Une vraie
rebelle!Onrittouslesdeux.—Ettureparsdéjà?J’acquiesceetlèvelatêtedemapiledelingesale.—J’aitrouvéunjobàtempspartielchezunpetitfleuriste,etunechambre
adorableetpaschèreàVernazza,surlacôte.C’estsuperbe,Carlos.Tudevraisvenirmevoir.
Ilsoupire.—J’essaierai.Tuyserascombiendetemps?—Jusqu’àlafindel’hiver,peut-êtreunpeupluslongtemps.Puisjerentrerai
travailler pour Holly pour me reconstituer un pécule et ferai ma rentrée àStanford cet automne.Mais je veux absolument voyager encore un peu, pourprendreautantdephotosquepossible.
Une passion qui a commencé par une simple habitude touristique : pourdocumenterceque jevoyais,pourmesouvenirde tout,une fois rentrée.Mais
c’estdevenuplusqueça.Voir lemondeà travers l’objectifde l’appareilphotom’adonnéuneautreperspective.
—Alors,maintenant,tuvisenItalieettuesphotographe?demandeCarlos.ChaquefoisquejecroisavoircernélavraieCharlotte,jemerendscomptequej’aitoutfaux.
Jem’affalesurlelitàcôtédelui.—Ouais,moiaussi.Malgrénosparoles, rienn’achangédansnotre amitié.Çame faitdubien
d’êtreavecquelqu’unquejeconnaissibien,aprèsplusieursmoisd’absence.Jemeblottiscontrelui.Carlosmetouchelepoignetetlèvemamainenl’air.—Plusdetriangle?Jefaiscourirmesdoigtssurmonpoignet,làoùj’avaisl’habitudededessiner
le symbole. Ma peau est claire et bronzée, sans la moindre trace d’encre. Jedessinaisletrianglepresquereligieusement,pensantqu’ilmeprotégerait.
—Jecroisquejen’enaiplusbesoin.—Ondiraitquenon.Ilmepresselamain,puislareposesurlelit,avantdeselever,d’attraperson
sacàdosetd’enfilerseschaussures.—C’estquand,lagrossefêtedeMia?—Aujourd’huià16heures.J’ai passé la matinée à décorer la maison, à gonfler des ballons et à
accrocher des banderoles dans les encadrements de porte, pendant que grand-mèrepréparait legâteau.Miaetelleontchangé.Ellesont l’airplusheureuses.Mia a repris les cours à temps partiel, et grand-mère fréquente un dénomméPaul,quejerencontreraitoutàl’heure.
—Jereviendraiplustardpourlesfestivités,ditCarlos,avantdesortir.J’enfilemesbottesetparsquelquesminutesplustard.J’aiquelqu’und’autre
àvoir.
***
Quandj’entredanslaboutique,Hollyseprécipiteversmoietmeserredanssesbras.
—Raconte-moitout!m’ordonne-t-elle.Nous nous asseyons au comptoir, et je lui parle de mon voyage en train
d’Espagne jusqu’au sud de la France ; du couple de retraités qui sillonnait
l’Europedepuisplusd’unanetm’alaissévoyageraveceuxjusqu’àGênes,puisau sud de l’Italie. Je lui parle de l’eau turquoise, et des villes accrochées auxfalaisesblanchesquis’élèventdelamer.DesmuséesenFrance,deskilomètreset kilomètres d’art sublime, qui m’ont inspirée, du carnet à dessins que jetrimballepartout,demesphotos.
Elle est folle de joie d’apprendre que je travaille chez un fleuriste à desmilliersdekilomètresd’ici.
Etpourtant,quandj’aiterminé,ellesepencheetdemande:—EtTate?Jen’aipasentendusonnomprononcéàvoixhautedepuissilongtempsque
çam’endonnelachairdepoule.Voyageràtraversl’Europem’apermisdemechanger les idéesde façonagréable.Çam’aaidéeà résister à l’enviede tapersonnomsurGooglepourvoircommentsepassesatournée,dequoiilal’air,s’ila reprissesvieilleshabitudes : les fillessexy, les longuessoirées, lesexcèsentoutgenre.
Ladernièrefoisqu’ons’estvus,c’étaitdanslachambred’hôpital.Maisj’aipenséàluiplussouventquejenevoudraisl’admettre.
—Jenel’aipasrevu,dis-je.—Maisiltemanque?Jehochelatête.—C’estplusfortquemoi.—C’esttonpremieramour.Cesonttoujourslesplusdifficilesàoublier.En
toutcas,tuasfaitlemaximumpourt’éloignerdelui.—Jen’aipasquittéL.A.pourlefuir.— Ce n’est peut-être pas l’unique motif de ton départ, mais, sans votre
histoire, tu n’aurais peut-être jamais réalisé que tu avais besoin d’explorer lemonde.
Elle a raison, évidemment, mais c’est quandmême compliqué d’admettreque quelque chose de positif est ressorti dema relation avec Tate. J’ai plutôtl’impressionqu’ilm’aarrachélecœuretl’apiétiné.
—Continuedem’envoyerdescartespostales,ditHollyquandellemeserredanssesbraspourmedireaurevoirdevantlaboutique.Monréfrigérateurenestcouvert.
Ellem’embrassesurlefront,etnousavonsdumalàretenirnoslarmes.Je me balade en voiture à travers les vieilles rues. Je ne peux pas
m’empêcherdemesouvenirdestrajetsavecTatesurcesmêmesroutes,ettous
lesendroitsoùnousavonsétéensemble.J’aivécuicitoutemavie,pourtanttoutmerappellecesquelquesmoisaveclui.
J’aimeraispouvoiroublier.Maisjen’yarrivepas.Jecroisquejen’yarriveraijamais.
Chapitre26
Après cinq jours à lamaison, je repars,une fois encore. Jevaisd’abordàNewYork,puis,delà,jecontinueraijusqu’àRome.
Jeparcourslatravéedel’avion,ettrouvemonsiège:avant-dernièrerangée,côté hublot. Je suis soulagée de repartir. Je ne suis pas encore prête à rentrerdurablementàL.A.,pasencoreprêteàaffronterlemonderéeletlerestedemavie.Yêtrependantcinqjoursaétésuffisammentéprouvant.
Unehôtessedel’airsefraieuncheminverslefonddel’appareil,aumilieudespassagersentrainderangerleursbagagesdanslescompartimentsau-dessusdes sièges. J’attachema ceinture et, quand je relève les yeux, je constate quel’hôtesses’estarrêtéeauniveaudemonsiège.
Ellesepenchepar-dessusmonvoisin,unhommeencostume.—CharlotteReed?Elletientunmorceaudepapierpliédanslamain.—Oui?—Vousavezétésurclassée.—Pardon?—Vousavezété surclasséeenpremière.Voulez-vousmesuivre, s’ilvous
plaît?Jenebougepas,abasourdie.Monvoisinmesourit.—Çadoitêtrevotrejourdechance!Jemecontentedeclignerdesyeux.—Vousêtessûre?jedemandeàl’hôtesse.—VousêteslaseuleCharlotteReedsurcevol,alorsoui,jesuissûre.— Ne discutez donc pas, me conseille l’homme en haussant un sourcil
broussailleux.Acceptez,avantqu’ilsn’enfassentprofiterquelqu’und’autre.
Ilselèveets’écartepourmelaisserpasser.J’attrapemonoreillerdevoyageetmonsacremplidelivrespourlevol,etsuisl’hôtesseàl’avant.
Jem’attendsàcequ’elleseretourne,réalisesonerreuretmereconduiseàmonsiègeétroit.Mais,quandontraverselerideaubleuquiséparelacabinedepremière classe du reste de l’appareil, je commence àme sentir nerveuse,merappelantladernièrefoisquej’aivoyagédanscesconditions.
Est-ceTatequiafaitça?L’hôtesses’arrêteetpointemonsiège;larangéeestvide.PasdeTate.J’en soupire de soulagement, et m’installe près du hublot. Elle réapparaît
quelques instants plus tard avec une bouteille d’eau fraîche et une serviettehumideparfuméeauconcombre.Jepenchelatêteenarrièreetfermelesyeux.
J’entendsdeuxhôtessesquidiscutentdiscrètementau-devantde l’avion,etj’ouvrelesyeuxpour lesobserver.Leursvisagessontrapprochéset jen’arrivepasàcomprendrecequ’ellesdisent.Puisellessourientaupassagerdedernièreminutequientredansl’avion.
C’est alors qu’il apparaît, et mes doigts se resserrent autour de la partiemétalliquedesaccoudoirs.
Ilm’a trouvée.Le surclassement, c’est bien lui.Aprèsde longsmois sansnouvellesl’undel’autre,nousvoicidenouveaufaceàface.L’airdétendu,ilselaisse tombersur lesiègeàcôtédumien. Ilporteunsweat-shirt foncéavec lacapucherelevéesurlatête—commesiçasuffisaitàgardersonidentitécachée.Je reconnais instantanément son odeur, subtile et fraîche, une odeur presqueimperceptiblepourceuxquinelaconnaissentpas.
L’hôtessequim’aconduiteenpremièreclasses’approcheetdemandeàTates’ilsouhaitequelquechose,maisill’éloigned’unsignedelamain.Ilaleregardfixédevantlui,commesionétaitdeuxinconnusplacéssurlemêmevol,danslamêmerangée,parhasard.
Maisalorsquejesuissurlepointdeluidemanderàquoiiljoue,ilsetourneversmoietsemetàparler:
—Tum’asmanqué.Voirsesyeuxsombresmedéstabilise.J’avaisoubliélepouvoirqu’ilsontsur
moi.Jesuisincapabledelefixer,alorsjepivotelatêteverslehublot;jenepeux
pas croiser son regard, si pénétrant qu’il me transperce. Sur le tarmac, despersonnesengilets rougesàbandesréfléchissantesdirigentnotreavionvers lapiste.
—Charlotte…
Jecomprendsàsonintonationqu’ilsouhaitequejemetourneverslui,maisjem’yrefuse.
— Je n’arrête pas de penser à toi. J’ai essayé de partir en tournée— jecroyais que c’était ce que je voulais—,mais, sans toi, ça n’avait plus aucunsens.Toutesleschansonsétaientpourtoi,ettun’étaispaslàpourlesentendre.
Ilinspiredoucement.—Quandj’aidécouvertquetuétaisàL.A.,j’aisuqu’ilfallaitabsolument
quejetevoie.Jemedécide à lever lesyeuxvers lui.Moncœurbat la chamaded’être à
nouveau près de lui, de sentir son corps à quelques centimètres dumien. Lessouvenirs sont encore vifs dansmon esprit, etmon corps se languit de lui aupointd’enavoirmal.
—NeretournepasenItalie.Resteici,resteàL.A.Sescheveuxontpoussé,probablementunenouvelleimagepoursatournée.
Çaluivabien,trèsbien.Maisjechassecettepensée.— Pourquoi est-ce que j’accepterais ? Tu ne crois pas que tu as eu ta
chance?dis-je,lavoixtremblanteetbriséeparl’émotionquimeserrelagorge.—Ceseradifférent,cettefois.Çapeutmarcherentrenous.—C’estmarrant.Jesuisquasimentsûrequetuasdéjàditcesmotsavant.
Maisjenesuispluslafillequej’étais.Tum’asblessée,Tate,tuastoutgâché.Tum’aslaisséetomberquandjet’aiditquej’étaisamoureusedetoietprêteàtoutabandonnerpourtoi.Pire,tuasprétendulefairepourmonbien!Tupensaismeprotéger,alorsquec’étaittoiquetuprotégeais.
—Tutetrompes.Il secoue la têteet sepencheenavant, sesmainssecontractantcontre ses
genoux.—Jenevoulaispasquetuabandonnestesprojetspourmoi.J’aiessayéde
fairecequ’ilyavaitdemieuxpourtoi.—Etmoi, j’aiécoutémoncœur.Jevoulaisêtreavec toi, j’enavaisenvie.
C’était la première fois que je faisais quelque chose pour moi, pour monbonheur.
Çafaitmaldel’énonceràvoixhaute,deréalisercombienj’étaisaccro.—Maistoi,tuasestiméquejenesavaispascequejevoulais.Tuaspensé
quetoiseulpouvaisprendremesdécisions.L’hôtessedel’airpasseprèsdenousetjebaisselavoix.—Tum’as brisé le cœur, Tate. Et il n’y a rien que tu puisses faire pour
réparerça.
Sansréfléchir,jedétachemaceinture,mebaissepourattrapermonsacetmelève.
—Tunemerécupéreraspasenm’achetantunsiègeenpremièreclasse.Çanemarchepascommeçadanslemonderéel!
Jetentedenelaisseraucunepartiedemoncorpsfrôlerlesienquandjepassedevant lui pour rejoindre le couloir. Mais, même sans le toucher, ma peaus’enflammeausouvenirdesesmainssurmoi,deseslèvressurmoncou,demoncœurfrémissantsoussesdoigts.Ilm’alaissédescicatricespartout,desmarquesinvisiblesquejenepeuxeffacer.EtDieusaitsij’aiessayé!
Jemarqueunepausedanslecouloir.Quelquespassagersm’observent.—Etnemesuisplus!Ilnelèvemêmepasleregardversmoi.Quandjeretourneàmonsiègeenclasseéco,letypeencostumefronceles
sourcils.—Pasaiméletraitementpremièreclasse?—Totalementsurfait,jeréponds.Jenesuispluslafillequej’étais.C’estvrai.J’aichangé.Ilm’abrisélecœuretj’ensuisressortieplusforte.
Plusfortesanslui.Jenelelaisseraiplusjamaismefairedemal.
Chapitre27
Assise, les jambesen tailleur, sur levieuxmurdepierrequi surplombe leport, je regarde les mouettes tourner en cercle au-dessus des bateaux. Il faitchaud, aujourd’hui, l’air iodéme poisse légèrement la peau, et je me fais unchignonpourquemescheveuxnecollentpasàmanuque.
Le train qui passe toutes les heures vient juste d’arriver à Vernazza.J’entends les touristes quimarchent vers la baie, s’arrêtent pour acheter de lacrèmeglacéeàlamentheetdesgobeletsd’expresso,avantdefilersurleborddemer. Des enfants poussent des cris perçants et rient en nageant ; quelquespersonnesbronzentsurlesrochers,leurpeaucuivréeetdorée.Unedoucebriseaccompagnelesvagues.Jeprendsunephotodesmaisonspastelaccrochéesàlafalaise.
Cesoir,j’enposteraiquelques-unessurmonnouveaublog,GirlBesidetheSea.Jen’aipasencorebeaucoupd’abonnés—j’aicommencéavecCarlos,MiaetHolly—,maisjecommenceàtrouverpeuàpeuunpublic.C’estsatisfaisantdesavoirquedespersonness’intéressentàmesphotosetàmesdessins.
J’aiétéinspiréeparmonnouveaupatron,Lucca,quipossèdeIlnomedellarosa,àunpâtédemaisonsdel’océan.Iltientunblogdanslequelilprésentelesqualitésmédicinalesdesfleursqu’ilvend,etexpliquecommentcertainstypesdepollenpeuventvousfairesuccomberaudeliriodiamore.Maismonitalienn’estpas très bon, etLucca parle très peu anglais, alors, jeme trompe peut-être ausujetdupollen.Jenesuispasnonpluscertainequ’ilmepaieleprixjuste,maisj’arrive à payer mon loyer et à m’offrir quelques repas par semaine dans lesmerveilleuxrestaurantsenville,etjem’encontente.
J’aitrouvéiciuneroutineréconfortantequiremplacelesouvenirdouloureuxdeTateparquelquechosequinefaitpassouffrir.
Souvent, le soir, quand le port est calme, j’avancedans l’océan etmets latête sous l’eau. Jeme laisse emporter par le courant, essayant de noyer toutepenséedelui.Çacommenceenfinàmarcher,bienquetrèslentement.
Jephotographieunepetitefillequiporteunmaillotdebainroseetjauneetquiseprécipitedansl’eauensuivantunchien,dansunegerbed’éclaboussures.Lechienaboie,laqueuefrétillante.
—Miscusi,ditsoudainunevoixderrièremoi.Je posemon appareil etme retourne en souriant. Il n’est pas rare quedes
touristes, pressentant que je parle anglais, m’abordent pour me poser desquestionsausujetdelaville.Maisquandjevoislapersonnequisetientàcôtédemoi,jemesensétourdieetmavuesetroublemomentanément.
—Avantquetudisesquoiquecesoit…,déclareTate,jeveuxquetusachesque tu avais raison, dans l’avion. Je suis désolé d’avoir mis si longtemps àprendreconsciencedemeserreurs.
Mon sourire s’évapore, et je descends dumur de pierre. Je n’arrive pas àcroirequ’il soitvraiment là. Iln’est tellementpasdanssonélément,parmi lestouristes, lesmaisonsminuscules, le sable et lamer. Ce lieu est devenumoncocon,monendroitsecret,etlevoirlà,danssonT-shirtquisoulignesesmusclesetsalargecarrure,m’ébranleprofondément.
—Jevoulaisêtrecertaindebienfaireleschosesavectoi,d’êtreprudent…maisj’aiquandmêmefiniparteblesser,ajoute-t-il.
Unoiseaunoiretblancseposesurlemuràcôtédemoi.Jeleregarde,puis,étourdieparlechoc,fixeunpointauloinverslamer.
—Lavérité,c’estque…Soudain,jenepeuxregarderautrechosequelui.—…jesuisamoureuxdetoi,Charlotte.Mes lèvress’entrouvrent.Malgrémoi,malgré tout, je suisstupéfaite. Ilne
me l’a jamais dit avant. Je pensais que c’était parce qu’il ne m’aimait pasvraiment,qu’ilenétaitincapable.J’avaistort.
—Jesuisamoureuxdetoidepuisledébut,peut-êtremêmedepuislepremiersoiroùtuasacceptédesortiravecmoi.Jesaisqu’ilesttroptard,quej’aitoutgâché,mais je suis toujours amoureuxde toi. J’ai essayédevivre sans toi, det’oublier,maisjenepeuxpastesortirdelatête.Jen’enaipasenvie.
Un cerf-volant orange traverse rapidement le ciel au-dessus de nous, saqueue flottant dans le vent. Je place la main en visière pour me protéger dusoleil.
Tates’avanced’unpas.
—Jet’aiblessée…et j’ensuisdésolé.Toiseuledonnesdusensàmavie.Mêmelamusique,quejepensaisvouloirplusquetout,neveutriendiresanstoi.Je… j’aimerais qu’on reparte de zéro. Plus de règles, plus de contrôle. Je nelaisseraiplusmespeurssedresserentrenous.Jeneprendraiplusdedécisionsàtaplace.Jeveuxfaireleschosescorrectementcettefois,enfin.
Ilmarqueunepause,puisreprend:—Qu’est-cequetuendis?Ilamistantdetempsàcomprendrequ’ilrendaitnotrehistoireimpossible.
Jedevraisledétesterpourça.Maisj’ensuisincapable.Aulieudeça,jeréaliseque j’attendais cesmots. J’ai besoin qu’il reconnaisse qu’ilm’a blessée, qu’ildise qu’il est désolé, et qu’ilm’a toujours aimée. Les larmes coulent surmesjoues,chaudesetsaléescommel’air.
Il fait un autre pas vers moi. Ma peau frémit, avide qu’il me touche ànouveau.Iltendlamainenmeregardantdanslesyeux.
—Salut,fait-il,commesinousnousrencontrionspourlapremièrefois.Jevoyageais le long de la côte italienne, quand j’ai remarqué la fille la plusincroyable assise près de l’océan, en train de prendre des photos. Et je medemandaissijepouvaisl’inviteràsortir,riendesophistiqué,biensûr.J’espèrequecen’estpascegenredefille.
Sesyeuxténébreux,quibrillentdanslalumièredel’après-midi,mesontsifamiliers.
Jebaisselesyeuxverssamain,suspendueentrenous.J’ai tellement envie de le toucher, d’enlacermes doigts aux siens, de dire
quelque chose qui le feramien à nouveau,mais j’en suis incapable. J’ai troppeur.Alorsjemetais.
Aprèsunmoment,ils’éclaircitlagorge.—OK.Ilrelâchelebrasendétournantleregard.—Jen’essaieraiplusdeteretrouver.Je t’aime,Charlotte,et je tesouhaite
unevieheureuse.Cartuméritesd’avoirunebellevie.Il s’éloigne— les épaules voûtées, abattu— et remonte la rue pavée en
directionducentre-ville.Unsouvenirlointainmerevientalorsenmémoire: ilyaquelquesannées,
Carlosetmoiavonsdéboursédixdollarspourqu’onnous lise les lignesde lamain,àVeniceBeach.Malignedudestinétaitparaît-ildivisée,présentantdeuxvoiespossibles; lemomentvenu,jedevraischoisirlaquelleemprunter.J’avaistrouvéçastupide,dessornettesqueseulemamèreauraitcrues.Maispeut-êtrela
médiumavait-elleraison.Peut-êtrequemonchoixserésumeàça,finalement:unevieavecTateousanslui.
Malgrétouteladouleuretlapeine,jel’aimetoujours.Moncœurexplosesoudaindepeurdeleperdreànouveau,etjememetsà
courir.Dèsque jeme suis suffisamment rapprochée, je lui attrape lebras.Sesmusclesseraidissent.Letempssembleavancerauralenti,s’arrêter…Puisilseretourneversmoi.
Jeneveuxpasleperdre.Ilpose lesmainssurmonvisage,essuie les larmesqui ruissellent surmes
joues.Ilexpirelentementetsestraitss’illuminent.Jemehaussesurlapointedespiedsetpresseleslèvrescontrelessiennes.Ilmerendmonbaiserenm’attirantcontrelui.Ilyadansnotreétreintetoutescellesquenousavonsratées,lesmoisperdus,lesnuitsquej’aipasséesàpenseràlui,allongéedansmapetitechambredelocation,lesfenêtresouvertespourlaisserentrerl’airmarin.
Ilpasselesdoigtsdansmescheveux,etm’embrassecommes’ilnecomptaitplusjamaismelâcher.Jevoudraisresterblottiedanssesbraspourtoujours.Finiles limites, les règles, les ordres, les restrictions. Nous en sommes aucommencement.
Cemomentestceluidenotrepremierbaiser.Denotrepremierjet’aime.Maintenantetàjamais.
REMERCIEMENTS
ElizabethCraft
Waouh.Denombreusespersonnesontaidéàdonnernaissanceàcelivre,etlaplupartméritentmêmeplusd’accoladesquemoi.
Toutd’abord,merciàmonamiLesMorgenstein,dechezAlloy,d’avoirditouiàceprojet.Immensesmercisauxautresmembresdel’équiped’Alloy:JoshBank, Lanie Davis, Elaine Damasco, Romy Golan, Joelle Hobeika, SaraShandler,etsurtoutAnnieStone,éditriceextraordinaire.
Je suis infiniment reconnaissante envers l’équipe d’Harlequin-TEENqui aencouragéceprojetavecunenthousiasmeincroyable,surtoutNatashyaWilsonetMargo Lipschultz. Faire partie de la familleHarlequin est la concrétisationd’unrêve.
Merciàmonagent,ChristyFletcher—jejurequejefiniraiparenécrireunautre.
Commetoujours,merciàmesamisetàmafamille,quin’ontdecessedemesoutenir. Merci tout particulièrement à Adam Fierro, Sarah Fain, GretchenRubin, etMindyWilson, qui a lu les toutes premières pages et les a trouvéespalpitantes.
SheaOlsen,Flowern’existeraitpassanstoi.Merci,merci,merci.
SheaOlsen
Écrire un roman est un travail d’équipe. Et écrire ce livre a demandé unesacrée équipe. Tout d’abord, merci à Elizabeth Craft qui a eu l’idée d’écrireFlower.Sanstonidéededépart,ceprojetn’auraitjamaispuvoirlejour.
Merciàl’équipedechocd’Alloy,unevraieforcedelanature.AnnieStone,tuesunrayondesoleil.Mercipourtescorrectionsbrillantesettesintriguesdegénie.Sanstoi,celivreseraitentraindemoisirau29eétage,àManhattan.Merciégalement à tous les autres cerveaux brillants d’Alloy : Josh Bank, SaraShandler, Lanie Davis, Joelle Hobeika, Romy Golan. Vous me coupez lesouffle…delameilleurefaçonquisoit.
ÀMargoLipschultz,éditricedutonnerre,quiavulecœurdecettehistoireet a aidé à la rendre palpitante. Tes compétences sont impressionnantes ! ÀNatashyaWilsonetàtoutel’équiped’HarlequinTEEN,mercid’avoircruenceprojet,mercipourvotrepassion,votreengagementdurantcettelongueaventure.
À mon agent et bonne fée, Jess Regel, brillante et dotée de pouvoirsmagiques.
Merciàmonmari,lemeilleurpartenairedontunefillepouvaitrêver.À mes parents, qui m’ont élevée dans une maison remplie de livres,
d’imaginationetd’art.Vousm’impressionneztouslesjours.ÀAndee,AndraetMel:voussavezpourquoi.
Traductionfrançaise:A.H.SOPHIE
TITREORIGINAL:FLOWER
©2017,AlloyEntertainment,LLC.
©2018,HarperCollinsFrancepourlatraductionfrançaise.
ISBN978-2-2804-1018-2
Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.
Toutereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.
Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationdel’auteur,soitutilisésdanslecadred’uneœuvredefiction.Touteressemblanceavecdespersonnesréelles,vivantesoudécédées,des
entreprises,desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.
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83-85,boulevardVincent-Auriol,75646PARISCEDEX13.
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