Édition:NadineLauzonDirectionlittéraire:Marie-EveGélinasRévisionlinguistique:GervaiseDelmasCorrectiond’épreuves:JulieLalancetteCouverture:ChantalBoyerMiseenpages:ClémenceBeaudoinPhotodel’auteure:SarahScott*JESSKIKA*Cetouvrageestuneœuvredefiction;touteressemblanceavecdespersonnesoudesfaitsréelsn’estquepurecoïncidence.RemerciementsNous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activitésd’édition.Nous remercions leConseil desArts duCanada et la Société de développement des entreprises culturelles duQuébec (SODEC) dusoutienaccordéànotreprogrammedepublication.GouvernementduQuébec–Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres–gestionSODEC.Tousdroitsde traductionetd’adaptationréservés ; toutereproductiond’unextraitquelconquedece livreparquelqueprocédéquecesoit,etnotammentparphotocopieoumicrofilm,eststrictementinterditesansl’autorisationécritedel’éditeur.©LesÉditionsLibreExpression,2014LesÉditionsLibreExpressionGroupeLibrexinc.UnesociétédeQuébecorMédiaLaTourelle1055,boul.René-LévesqueEstBureau300Montréal(Québec)H2L4S5Tél.:514849-5259Téléc.:514849-1388www.edlibreexpression.comDépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanada,2014ISBN:978-2-7648-0911-2DistributionauCanadaMessageriesADP2315,ruedelaProvinceLongueuil(Québec)J4G1G4Tél.:450640-1234Sansfrais:1800771-3022www.messageries-adp.com
Àmamère,Francine,pourm’avoirrépétédesmilliersdefoisquelesrêvespeuventdevenirréalité.
Àmonpère,Jean,pourm’avoirdémontréconcrètementqu’ilfauttravailleretpersévérerpouraccomplirdegrandeschoses.
«Quandlecheminestdur,leDurcontinuesonchemin…»
–M
Chapitre1
AéroportdeMontréal(YUL)
esdames et messieurs, ceci est une annonce d’embarquement pour le vol VéoAir 762 àdestinationdeRome.Nousinvitonsmaintenanttouslespassagersàseprésenteràlaporte61.
C’estétrange.J’ail’impressionqueçafaituneéternitéquejen’aipasentenducemessage.Pourtant,j’ai déambulé des milliers de fois dans les couloirs de cet aéroport. L’habitude m’a sans douteimmunisée contre certains bruits. Avec le temps, ils se sont transformés en une douce ambiancesonoreàpeineperceptible.Jenelesremarquemêmeplus.Quoique,aujourd’hui,lasituationdiffèrelégèrement.D’un sourdmurmure à un cri strident, je perçois tout. Je suis nerveuse, car d’ici unedemi-heurejem’envoleraiversRome.D’ordinaire,toutescesannoncesretentissantesn’arriveraientguèrejusqu’àmoi,carjeneseraispasassisesurl’undecesbancsinconfortablesàréfléchiravantdemonteràbordd’unavion.Enfait,j’attendraisplutôtàl’intérieurdel’appareill’arrivéedespassagersetjen’auraisprobablementpasletempsdepenser.C’estquejesuisagentedebord.Maiscommeplusieursm’ontdéjàdemandé,incrédules:«Quoi?
Agentdebar?Tuesserveuse,tutravaillesdansunbar?»,jepréfèredirequejesuis«hôtessedel’air».Lesconfusionssontainsiévitéesetc’estdeloinbeaucoupplussexyque«agentdebord»qui,àmonavis,sonneuntantinetmasculin.Dansle temps,êtrehôtessedel’airrimaitavec«jenetombepasenceinte, jenegrossispaset je
voussersduPepsisansbroncher.Bref,jesuisparfaite».Etpuis,commetoutévolue,leschosesontchangé.Dorénavant,hôtessedel’air,aliasagentdebord,rimeavec«j’aidesbébés,jepeuxgrossir,etnemedemandezpasunsurclassementgratuitenpremièreclassecarlaréponseseranon,c’estmoileboss!».Décidément, le boulot a vraiment évolué !En revanche, un aspect reste inchangé : lemystère du
métier. Intrigant ?Évidemment !Monbureau est situé à 36000pieds dans les airs et se déplace à850kilomètresàl’heure.Ilestconduitpardeuxbonshommeshabillésdevestonsnoirsauxmanchesgarnies de larges lignes jaunes inspirant le respect. Ils jasent de femmes et emploient des termestechniquesquejenecomprendspas.Dans l’avion, derrière cette porte blindée qui leur fait dos, s’affairent de petites, moyennes et
grandes abeilles surnommées « agents de bord », « hôtesses de l’air », « stewards » ou « PNC »(personnelnavigantcommercial).Nouslesappelonslesjuniors,lesséniorsoulesvieillessacoches.Ellesbavardententreelles,sechicanentparfois,seconfient leursproblèmesouseméprisentselonleur ancienneté.Elles sont belles oumoches,massothérapeutes ou sportives, femmesd’affaires oucuisinières.Ellessepromènentdansuneénormeruchedemétalvolanterempliedepersonnagesdetoutessortes :deshommes,desfemmes,desenfants,desvieillards,desexilés,desprisonniers,desvoleurs. Certains de ces passagers sont gentils et courtois, mais d’autres sont furieux, malades,nerveuxoucomplètement intoxiquéspar l’alcool. Ilyenamêmequidonnent l’impressiond’avoirlaissétoutbonnementleurcerveauaucomptoird’enregistrementavecleursbagages.De plus, ces messieurs-dames parlent parfois. Entre eux, bien sûr, mais ils s’adressent aussi à
l’occasionàdespetitesabeillestellesquemoi.Lorsqu’ilslefont,ilsdemandent,exigent,chialentetinterrogent. «C’est quoi ton pays préféré ? » «Ah !Ça ne doit pas être évident pour fonder unefamille ! » « Ils sont comment les pilotes ? » « C’est quoi la pire chose que tu aies vécue dans
l’avion?»Passionnant!Parlerdemonmétierdivertitmespassagersetlesfaitrêver.Parpolitesse,jerépondstoujoursavec
unsourireàleursnombreusesinterrogations,etquelquefoismêmeavecunenthousiasmeinexpliqué.Àl’occasion,jemesurprendsavecdesrépliquescomme:«Wow,vousêtesvraimentlepremieràmeposerlaquestion!»,alorsquecen’estévidemmentpaslecas.Maispourêtrehonnête,j’airarementledésirderépondreàcetinterrogatoirerépétitif.J’enaidéjàsuffisammentpleinlesbrasdejoueràlabêtedecirqueenvolenmelaissantobserver
dansl’alléependantdesheuresparmespassagers.Onmeregardemangermonsandwichetonmescruteàlaloupelorsdesdécollages.Onmetirelajupettepourattirermonattentionouonmedérobemesmagazineslaissésunesecondesurlecomptoir.Etenbonus,onmefaituneinterviewsurmonmétier.Toutcomptefait,jedevraispeut-êtreallermereposeràRomequelquesjours.
***
Cesoir,jenesuisqu’unepassagère.J’accompagneJohn,l’hommequej’aime,pouruncourtséjourde trois journées en Italie. Il est pilote et il est déjà à bord de l’avion que je devrais prendre. Parcontre, moi, j’attends toujours sur ce banc inconfortable. C’est étrange, lorsque j’ai accepté soninvitation,j’étaisconvaincuequelessoixante-douzeprochainesheuresseraientlesplusbellesdemavie, et maintenant je ne sais plus. Je suis perdue dans mes pensées et je refuse de bouger. J’ail’impression que mon univers changera à jamais si je mets les pieds dans cet avion. Je préfèreréfléchirencoreunpeuavantdemonteràbord.Ilmerestedutemps,de toutefaçon, lespassagersfontencorelafileavecleurscartesd’embarquementetleurspasseports.
***
Bien quemonmétier regorge d’anecdotes divertissantes, être hôtesse de l’air, c’est plus que ça.Pourtoutdire,jesauvelemonde.Bon,jen’aipasencoreeuàsauverlaviedequiquecesoit,maisneserait-ce pas l’une demes tâches premières si jamais, par extrêmemalchance, l’avion s’écrasait ?J’avouequejenesouhaitepasdutoutqueçaarrive,maisd’unecertainefaçonj’aimebienpenserquejeseraiscellequipourraitfaireladifférencelorsd’unaccident.J’ouvriraislaporterapidementetjem’écrierais:«Sautez,glissez,dégagez!»Enunclind’œil,toutlemondeseraithorsdedanger.Ça,c’estmon scénario idéal.Mais personne ne peut prévoir comment il réagira une fois devant cetteéprouvanteréalité.L’autrescénariopourraitêtrelesuivant:j’ouvriraislaporteetjem’assureraisquelaglissièreest
bel et bien gonflée, je regarderais dehors puis à l’intérieur de la cabine pour regarder à nouveaudehors.Légèrementhésitante,jejetteraisencoreuncoupd’œilàl’intérieur,làoùlesflammesetlafuméecréeraientuntumulte,etdanstoutcebordeljem’écrieraisfinalement:«Venez,suivez-moi,paricilasortie!»Laparfaitehéroïne,non?Bon, il faut admettre qu’on a tous voulu un jour sauver lemonde à notre façon. Les petits gars
veulentêtredespompiersoudespolicierspouraiderlesplusfaiblesouarrêterlesméchantsbandits.Lespetitesfilles,elles,souhaitentdevenirvétérinairesouprofesseurespoursoignerlesanimauxous’occuperdesenfants.Jenefaisdoncpasexception,carj’essaieégalementdecontribueraubien-êtredemessemblables.Dans tous les cas, s’il devait y avoir une catastrophe, je souhaite de toutmon cœur participer à
l’évacuationdemespassagers.Pourlessauver,bienentendu,maisaussipouruneautreraison.Lorsd’une urgence, lorsqu’une personne se fige devant la porte et refuse de sauter sur la glissière,l’hôtessedel’airdoitcarrémentlapousserhorsdel’avion.C’estleseulmomentoùlepersonnelde
cabineestautoriséàpousserunpassager.Hon!Êtrehôtessedel’air,c’estavanttoutveilleràlasécuritédesespassagers(policière).Ensuite,c’est
s’amuser à leur plaire pour qu’ils reviennent voler sur nos ailes (séductrice). Mis à part ladistributiondecaféetdethé(serveuse),jesuislàpourpanserlesblessures(infirmière),écouterlesinquiétudesetlesconfidences(psychologue)et,tantqu’àyêtre,empêcherlapropagationd’infectionscontagieuses à bord (bactériologiste), régler les chicanes (gardienne d’enfants), faire des souriresforcés (comédienne)etdire :«Ah ! Jecomprends,monchermonsieur,vousavez raison», et ce,mêmesimonsieuratort.Toutçapourprévenirlesincidentsquipourraientnousmettreendanger.Etvoilà,c’estexactementcequejedisais,jesauvelemonde!Maisencore?En hiver, je voyage vers des destinations ensoleillées comme la Jamaïque, le Mexique ou la
Républiquedominicaine.MespassagersseprénommentCindy,PaulineouRoger,et je leursersduPepsioudu7Up.Durantcettepériode,jepasselamajoritédemontempsdansl’avion,loindesplagesidylliques. Ces vols sont en quelque sorte des vols d’agaces, comme j’aime bien les appeler. Parexemple,jevolependantquatreheuresversCancúnet,unefoisl’avionatterriettouslespassagersdébarqués,jerestedansl’appareil.Jenedescendspasaveceuxpourmefairebronzersurlesplagesde sable fin.Non, car jedois ramenervers leCanadadesvacanciersmaintenant tout brûléspar lechaud soleil mexicain. Pendant que l’avion se fait refaire une beauté pour le trajet de retour, jem’installeàl’extérieur,dansl’escalier,etjemefaisdorerausoleilunevingtainedeminutes.Ensuite,c’est reparti, d’autres passagers embarquent et bye bye Cancún. Si je suis encore plus chanceuse,quelquesagentsdebordayantbeaucoupd’anciennetédanslacompagnieaérienneresterontquelquesjoursauchaudet seront remplacéspard’autres séniorsqui auront égalementpasséquelques jourssouslestropiques.Enété,aumoins,jemegâte.JevoyageàParis,Madrid,Londresouailleurs,etcommelesvolssont
beaucouptroplongspourrevenirauCanadaimmédiatement,j’aileplaisirdepasserlanuitsurplace.Je fais donc le plein de confit de canard en France et j’achètemes souliers en Espagne. Je rentred’Italie avecdes tonnes et des tonnesdeparmesan, despâtes et de l’huilede truffe.Mespassagerss’appellentdésormaisArnaud,FabrizioouAgathapoulos,etjeleursersduvinrougeetdesjusplutôtquedesboissonsgazeuses.D’ailleurs, j’airemarquéunphénomèneuniversel liéà laconsommationdesjus.Àtoutcoup,été
comme hiver, de par le monde, d’une culture à l’autre, ce phénomène se répète et m’irritesincèrement.Jeneparlepasicidujusd’orangeoudujusdepommequi,laplupartdutemps,nemecontrarientvraimentpas.Parcontre,jen’aiaucunplaisiràservirdujusdetomate.Jedétesteça.Jel’avoue,lejusdetomatemerépugne.Voicipourquoi.Selonmoi,personneneboitdujusdetomateàlamaison.Parsanature,iln’estpasdésaltérant.On
enprendlorsqu’onafaim,ouonlecommandeentabled’hôteaurestaurantquandonn’aimepaslasoupedujour.Jenecroiraijamaisqu’unbonjusdetomateestlaboissonidéaleàboireentouttemps.Non!Pourtant,lorsqu’onpartenvoyage(etjem’incluslà-dedans),ondiraitquec’estsoudainementle rafraîchissement lepluspopulaire.Et le jusde tomateestcommelapeste.Quandquelqu’una lemalheur d’en demander un verre, c’est inévitable, tous les autres passagers en veulent aussi. Çam’énerve!C’estsimple,siM.A,assisauhublot,penseaufameuxjusdetomateetoseendemander,c’estbien
certainqueMM.BetC,danslamêmeallée,enréclamerontaussi.EnsuitesuivrontMmesDetE.Unpeuplustard,MllesF,GetHdelarangéeenarrière,quiaurontégalemententenduentrelesbranchesqu’onservaitdujusdetomateàborddecetavion,envoudrontaussi.Sijesuischanceuse,jeréussiraipeut-êtreàn’endonnerqu’unedizaine,sinonlemotseserarépanduàlavitessedel’éclairet,d’icià
la fin du vol, nous n’aurons plus de jus de tomate pour le trajet de retour. Merci beaucoup,monsieurA!
***
Finalement, je crois que la question de savoir si je dois embarquer ou pas dans cet avionm’angoisseplusquejenel’auraisimaginé.J’attendsdepuisplusd’uneheuremondépartversRome,maisjen’arrivepasàmedécider:jeparsoujereste?C’estquoimonproblème?Jesuisunejeunefemmedetrenteansquis’envaenItalieavecl’hommequ’elleaime.Iln’yariendemallà-dedans!Normalement, je devrais être debout, comme les autres passagers, à piétiner pour monter dansl’avion,maiscurieusementjenesuispasdutoutcertainedevouloirymettrelespieds.Moiquiessaietouslesjoursdemaîtrisermonempressementsansyarrivervéritablement,jeveuxmaintenantresterassiseàattendre?C’estlemondeàl’envers!Toute cette impatience qui serpentait dans mes veines hier, avant-hier ou le jour d’avant vient
soudainementdedisparaître.Mêmecesboufféesd’exaspérationquimepoussentnormalementàmeprécipiteràlarescoussedemespassagersmarchantlentement,troplentementversleurssiègeslorsd’unembarquementnesefontpassentir.Jesuislààréfléchirdansl’aired’attentedel’aéroportetjenesaistoujourspasquoifaire.Jeseraismêmeprêteàresterassiselesmainscroiséestoutelanuitàregarder les passagersmonter à bord un à un. Pour une fois, j’aurais le temps de faire un choixéclairé.Ilestbienévidentque j’ai la têteailleurs. Jeprends le tempsd’observerminutieusement tousces
hommes et ces femmes qui remettent leurs cartes d’embarquement à l’agente au comptoir. Je vaismêmejusqu’à lescompter.J’aivraimentbesoinde tempsavantdemedécider.Mais jenevoudraistoutdemêmepasenarriveràentendreprononceraumicro:«Attention,appelfinal!MmeScarlettLambertestinvitéeàseprésenterimmédiatementàlaporte61.Appelfinal!»Detoutefaçon,bienquejesoisimpatientedenature,j’aimeêtreladernièreàembarquer.Jepréfère
rester assise sur ce banc plutôt que d’avancer à pas de tortue vers la porte de l’avion. Agir ainsiménage mes nerfs, car je déteste par-dessus tout attendre en file indienne. C’est simple : avoirl’impression que rien ne bougem’exaspère.Bien sûr, les gens avancent,mais rarement assez vitepourmoi.Quelleestlavitessed’embarquementadéquatepourmesatisfaire?Difficileàdéterminer,maisdisonsqu’ellen’estpassouventaurendez-vous.C’estqueplusieursfacteursentrentenlignedecompte. Par exemple, sur une échelle de 1 à 10, la vitesse d’embarquement varie selon le typed’appareil, lenombredepassagers,d’enfants,depersonnesâgéeset,ultimement, lanationalitédespersonnesquimontentàbord.Sil’avionestremplideJaponais,lepointages’élèveratrèsrapidementpouratteindreunscoreparfaitde10sur10.Commepassagère,jen’hésiteraispasuneseulesecondeàmemettreenfileaveceux.Parcontre,sicesontdesItaliensquivoyagent,là,c’estuneautreaffaire.Sij’étaisl’unedeshôtessesdel’airquiopèrentcevolversl’Italie,pendantl’embarquement,j’auraisletempsdemerefaireunebeautédanslestoilettes,deprendreuncaféàl’arrièredel’appareilavecunecollègueetdelireledernierchapitreduplusépaisdesromans.Rares sont les vols remplis d’Italiens qui obtiendront un pointage plus élevé que 5 sur 10. Les
Italiens ne peuvent pas aller plus vite, car ils parlent à toute la famiglia en chemin ! Ils ontprobablementrencontrélepadrinod’unteldansl’aired’attenteoulamammad’unautreàlaboutiquehorstaxes.Difficilealorsdenepasfaireunbrindejasetteavecleurnouvelamitoutensedirigeantvers leur siège.Nuldoute, le tempspasseplusvite, etmême si j’essayaisde les fairebougerplusrapidement, l’un d’euxme répondrait quelque chose quime serait totalement incompréhensible engesticulant.Etlà,toutelaparentés’enmêlerait.
Jenebougerai pasd’un centimètre tant que la dameau comptoir ne ferapas son annonce finaled’embarquement.D’ailleurs,jesensqueçaapproche.Jedoisprendreunedécision.Enpréparantmesbagagescematin,jesavaiscequejevoulais.Maintenant,jenesaisplus.Finalement,jem’approchelégèrementdelaported’embarquement.Unpasenavant,c’estdéjàça!
Depuisunebonnequinzainedeminutes,j’entendslamêmephraseprononcéesurlemêmetonparladameaucomptoir:«Mercietbonvol!»Jelatrouvetrèsjoyeuse,celle-là.Elleadûêtreengagéerécemmentpourêtreaussirayonnantedebonheur.Jeluidonnedeuxmois,pasplus.Pire,lorsquelesvolsversleSudcommencerontverslemoisdenovembre,àpeinedeuxsemainessuffirontpourqueson humeur change. Comme d’habitude, munie de son grand sourire, elle imprimera les cartesd’embarquementdespassagers.Croyantavoirbienfait,elleleurremettrajoyeusementleurspapiersenleursouhaitantbonvoyage.Etpuis,sanscriergare,unhommebedonnantdéjàbourrégueulera:«Heille,toé!Ch’téditquejevoulaisunsiègeauhublot,pislà,tum’asdonnéunsiègeaumilieu.Mablonde estmêmepas assise avecmoé ! »Et la blondede renchérir enmâchant sagomme : «Pusjamais VéoAir, pus jamais ! » Ouais, cette employée souriante va le perdre bien vite, son beausourire,c’estgaranti.
***
Depuis un moment, je ne fais qu’observer alentour au lieu de réfléchir vraiment à mon choix.Pourquoi j’hésite ? Je devrais être heureuse de partir en voyage avec John.N’ai-je pas désiré cethommedèslepremierregard,dèslepremierjour?
I
Chapitre2
Montréal(YUL)–SanJosé(SJO)Dix-huitmoisauparavantl n’y a rien de plus satisfaisant que de rester blotti sous de chauds draps de flanelle lors d’unefroidenuitdefévrier.Leplaisirestpalpable,maisaussi trèsvolatil,surtout lorsquele téléphone
sonneà4heuresdumatin.Danscecas,aurevoirlesrêvesépiquesetbienvenuelecauchemar!Cematin-là,j’étaissurappel.Danslejargondel’aviation,c’estcequ’onappelle«êtreenréserve».
Je jouaispour ainsi dire lemême rôleque celui d’une rouede secours lorsd’une crevaisonpourpermettre à la voiture de se rendre à bon port. En fait, pour chaque type d’aéronef, un nombreminimum d’agents de bord est requis. Si l’un de ceux à qui un vol est déjà assigné tombesoudainementmalade,c’estmoi,lapetitehôtessedel’airsansancienneté,qu’ontentedejoindre.Jesuisdoncappeléequelquesheuresavantledépartduvoletobligéedemedépêcherpourmerendreàl’aéroport.Pasdemomentdedétenteoudetempspourmeprélasserdansmonlit.Voilàpourquoi,cejour-là,jeneressentaisaucunplaisiràl’idéededécrocherletéléphonequirésonnaitdanslesilenceglacialdemachambre.C’est drôle comme les chosespeuvent changer enpeude temps.Ça faisait deux ans et demique
j’étais agente de bord et je dois avouer que toute l’excitation éprouvée lors demes premiers volss’évanouissaitchaquefoisqu’unesonnerieretentissaitparcesfroidsmatinsd’hiver.Lorsdemonpremiercourrier,j’étaistrèsexcitée,carjevenaistoutjusted’emménageràMontréal
avec ma bonne amie Béa qui, elle aussi, avait été engagée comme agente de bord. Après notreformation,pourépargnerunpeu,nousavionsconvenudecohabiteretd’accueillirégalementparminous un autre collègue et maintenant ami, Rupert. Nouvel appartement, nouveaux colocataires,nouveau job. J’avaisdequoiêtreexaltée.Pourcouronner le tout, jem’étaisenvoléepourLondreslorsd’unchaudaprès-midid’été.Rienàvoiravecceque jem’apprêtaisàvivreen répondantàcesatanéappel.En fait, leschosesn’avaientpas tellementchangépourmoidepuiscettepremière journéeen tant
qu’agentedebord.J’étais toujourscélibataireet j’habitaisencoreavecRupertetBéadanslemêmeappartement.JevolaisencorepourVéoAir,saufquec’étaitmaintenantl’hiveretquejevenaisdemefaireréveillerenpleinsommeil.Etjesavaisquelorsquejerépondraisàmonami/ennemicrewsked,ilm’enverrait sansdoute auMexiquepour faire un aller-retour au lieudem’assigner unvol versLondres.Crewsked,surnomdonnéauBureaud’affectationdeséquipages,estchargédegérerlepersonnel
navigant. Il s’assure de remplacer un agent de bordmalade par un autre. Il réserve les chambresd’hôtellorsquenouspassonslanuitàl’étranger.IlnousappelleàParispournousdirequel’avionestenretardoubienretrouvemonportefeuillesi je l’oublieà l’aéroportetmelefaitparvenirparavionàl’hôtel…Crewskedaaussi lepouvoirdenousenvoyerquatrejoursàAthènesouenaller-retouràOrlandodansunappareilremplid’enfantsbruyants.Mieuxvautdoncêtresonamiquesonennemi.Avant d’attraper le combiné, je me pris à espérer que la chance me sourirait. Ce n’était pas
impossible, car la compagnie savait peut-être que je venais d’avoir vingt-neuf ans et pourraitm’assignerunvolversleSudpourquejedormesouslestropiques.Leplusbeaudescadeaux!Mais
peu importe la destination où onm’enverrait ou l’heure à laquelle on venait dem’appeler, jemedevaisderépondre.Jesortisunbrashorsdemacouetteetdécrochai.—Oui,allo?J’avaisessayéd’ymettreunpeud’intonationpournepassemblertropendormie.—Bonjour,j’aimeraisparleràScarlettLambert,s’ilvousplaît.Procédureoblige,moninterlocutricedevaitd’abords’assurerquec’étaitlabonnepersonneaubout
dufil.—Oui,c’estmoi,répondis-je.—Bonjour,Scarlett,c’estNancy,del’affectationdeséquipages.Nancymeparlaitdoucement,àvoixbasse,commepournepasmebrusquer,oupeut-êtresesentait-
ellegênéedemeréveilleràcetteheure-là.Lemalétantdéjàfait,j’espéraisqu’ellemediraitleplusrapidementpossibleoùj’allaispartirdansquelquesheures.—J’auraisbesoinde toicematinpourunaller-retouràSanJosé,décollageà7heures, retourà
18h45.Tutravaillesàl’allerettureviensendeadhead.—OK.Merci.Bye.Jen’étaispasdugenreàfairerépéteretj’avaistouteslesinformationsdontj’avaisbesoin.Jesavais
quejedevaisêtreàborddel’appareilà6heuresdumatin,soituneheureavantledépart,etquejenepartais pas pour longtemps. Je n’emporterais qu’une simple valise à roulettes (carry-on) avec unlunchpournepasavoiràdégusterlesdélicieuxrepasdel’avion,quisontremplisdesodiumetquidonnentde la cellulite.Et comme jene travaillaisquedurant levoldeMontréalversSan José, auCosta Rica, je partirais vêtue de mon uniforme et je mettrais dans ma valise des vêtementsconfortablespourletrajetderetour.Ce vol qu’on venait de m’assigner était loin d’être un vingt-quatre heures à Punta Cana, mais
revenirendeadhead,cen’étaitdéjàpassimalqueça.Enfait,commelesvolsentreleCanadaetleCostaRica sontbeaucoup trop longspourque lesmêmesagentsdebordopèrent le trajetdans lesdeuxsens,crewskeddésignedeuxéquipages.Àl’aller,pendantquelepremieréquipages’affaireàservir les passagers, lesmembres du second s’assoient dans l’avion et se reposent.Au retour, lesrôles s’inversent. Bref, revenir ou partir en passager, ou faire une mise en place vers une autredestinationsanstravaillerdurantlevol,c’estcequ’onappellefaireundeadhead.Cesoir-là,jereviendraisdoncduCostaRicaenfaisant«latêtemorte».Moncerveauseraitalors
misenveilleuseetjepourraisregarderunfilmouboireunverredevin.Entoutcas,c’étaitmieuxdetravaillerpendantcinqheuresàl’alleretderevenirenpassagerquedefairelecontraire.Jeremerciaicrewskedintérieurement.Aprèsavoirréponduàl’appel,jenedevaispastarderàmeleversijevoulaisavoirletempsdeme
préparer adéquatement sans trop me presser. Normalement, lorsque je suis seule à l’appartement,j’aimebienmettredelamusiquepourmeréveiller,mêmes’ilest4heuresdumatin.Cejour-là,jemerésignai à émerger du sommeil en silence, car Rupert et Béa dormaient dans leurs chambres quidonnaientdirectementsurlapièceprincipale.Béaétaitencongépouraumoinsdeuxjours,carellevenaitderentrerd’unesériedevols laveille.QuantàRupert, ilétaitégalementenréserve,maisiln’avaitpasencoreétéappelé.Je sautai leplusvitepossiblehorsdu lit et ramassaima robedechambre. Il faisait si froiddans
l’appartementque je risquais l’hypothermie.Si jen’allaispas sous ladouched’iciune seconde, jeresterais congelée toute la journée.D’ailleurs, je ne savais pas pourquoi il faisait si froid. J’avaispourtantmontélechauffageavantdemecoucher.CedevaitêtreRupertquiavaitencorejouéaveclethermostat.Mêmeaprès tout ce tempsde cohabitation, il n’arrêtait pasdemedireque je chauffais
tropetquelemontantdenotrefactured’électricitéétaittropélevé.Aumomentoùjemeposaistoutescesquestionsinutilesàproposduchauffage,Rupertfitsonapparitiondanslesalon.J’étaissurprisedelevoirdeboutàcetteheure-là.—Tunedorspas,Rupert?luidis-je,encoreàmoitiéendormie.—Crewskedvientdem’appeler.Ilsm’ontdonnéunvol,merépondit-ilensegrattantlatête.Ilavaitlescheveuxtoutébouriffésetsesyeuxétaientencorecollés.Letorsenusansaucunfrisson,
ilremontasoncaleçonetmeregardaentrerdanslasalledebain.J’étaisimpatientedemeréchauffersousladouche,maiségalementcurieusedesavoiroùilallaitpartir.—Tut’envasoù?chuchotai-je.—Je fais justeunaller-retouràSanJosé,mais je reviensendeadhead aumoins,me répondit-il
sansexcitation.Il était déçuet je le comprenais.Tout commemoi, il aurait préféré être appelépourunvolvers
Punta Cana afin de passer la nuit sur place et prendre du bon temps à la discothèque de l’hôtel.Évidemment, j’auraisaimépouvoirallerdanseravec lui,mais je savaisqueRupertaurait souhaitédormirenRépubliquedominicainenonpaspours’éclatersurlapistededanseavecsacolocataire,maispourrencontrerdebeauxagentsdebordeuropéensfraîchementinstallésauresort.Ilestvolage,ce Rupert, mais il demeure discret de ce côté-là. Il préfère s’amuser avec des hommes d’autrescompagniesaériennesplutôtquedejouerauconquérantavecdesagentsdeborddeVéoAir.Fautedefaireletourdelacompagnie,seshistoiresfontletourdumonde.Riendemoins.Décidément,Rupertavaitvraimentl’airmoinsenchantéquemoidepartiràSanJosé.Àvoirlatête
qu’ilfaisait,jemedevaisdel’encourager.—Nesoispastropdéçu,jeparsavectoietonpourraserelaxerensembleauretour.J’essayaisd’avoirl’airheureusedevoleravecmonami,maishonnêtementjecraignaisunpeude
fairepartiedumêmeéquipagequelui.Enfait,Rupertestletyped’agentdebordquiportemalheur,cartoutluiarrive.Soitsonavionestenretard,soitunpassagertombegravementmaladeetl’appareildoitatterrird’urgence,soitsesbagagessontperdus,etj’enpasse.Detouslesmembresd’équipagedeVéoAir,iln’yenapasunquiaitvéculamoitiédecequeRupertaexpérimentéendeuxansetdemi.Quelquesmoisauparavant, ilavaitétéappelépourunvolversFrancfort,enAllemagne.Iln’était
pascenséêtresurcevol,maisàladernièreminuteuneagentedebordétaittombéemaladeetcrewsked avait contacté Rupert-porte-malheur. L’avion devait décoller vers 9 heures du soir. Une foisl’embarquement terminé, l’homme qui remplissait les réservoirs d’eau de l’appareil avait fait unemauvaisemanœuvre avec son camion et accroché le fuselage de l’avion. Il avait créé une légèrebossequinepouvaitêtreignorée.Lecommandantavaitdoncétéaviséetn’avaiteud’autrechoixquede retarder le vol, le temps de réparer le bris. Comme la pièce était facile à remplacer, le retardn’avait duréqu’uneheure,mais je suis certaineque siRupert n’avait pas été à bordde l’avion, lecamionn’auraitpaseffleurélemoindrecentimètredefuselage.Maisattention, l’histoirene s’arrêtepas là.L’avionavait enfindécolléet avait atterri àFrancfort
sansincident.Rupertyavaitpassévingt-quatreheures,letempsdefaireunesiesteetdemarcherunpeudanslaville.Ilétaitallémangeravecl’équipagedansunpetitrestaurantprèsdel’hôtelets’étaitcouché tôt afin de récupérer son sommeil perdu. Le lendemain, il repartait vers le Canada. Deuxheuresaprèsquel’avioneutdépassélescôtesirlandaises,à36000piedsd’altitude,enpleinau-dessusde l’océan Atlantique, une femme était arrivée à l’arrière de l’appareil, là où Rupert s’affairait àpréparerleschariotsderepas.Elleavaitperduconnaissanceetluiétaittombéedanslesbras.Aprèsl’avoirdéposéesurlesol,illuiavaitsoulevélesjambespourl’aideràreveniràelle.Normalement,la techniquedes jambes en l’air fonctionnedans99%des casd’évanouissement,mais là, ladame
n’avaitpasreprissesesprits.Rupertavaitdemandél’aided’unautreagentdebordetappeléaussitôtledirecteurdevol.Dansletempsdeledire,lasituations’étaitdégradéeetlafemmeavaitcesséderespirer. Aucun médecin n’était à bord. Le point d’atterrissage le plus proche étant maintenantbeaucouptroploin,ilneservaitàriendes’yrendre.Ilfallaitagirvite.Unagentdebordavaitalorscommencélesmanœuvresderéanimation.Oxygèneetdéfibrillateuravaientétéutilisés.Sanssuccès.La dame étaitmorte. L’avion avait poursuivi sa route en direction duCanada. La femme avait étédéposéesurdessièges libresà l’arrièrede l’appareil, levisage recouvertd’unmasqueàoxygène,telleunemalade.L’équipageavaitcontinuésonserviceauxpassagerscommesiriennes’étaitpassé,etce,pendantlesquatreheuresrestantes.Heureusement,aucunvoyageurnes’étaitaperçudequoiquecesoit.Unefoisl’avionarrivéàMontréal,lessecoursétaientvenusrécupérerlecorpsdeladame.Comme
elleavaitétéassisependantplusieursheuresdanslamêmeposition,sesmembresavaienteuletempsdeseraidir.Lesambulanciersavaientdûluicasserlesarticulationsdesjambespourréussiràdéposersoncorpssurlacivière.Rupertenétaitrevenutraumatisé.Jel’avaisétéégalement.Leporte-malheuravaitfrappéfort.Voilà l’une des raisons pour lesquelles je n’étais pas très enjouée à l’idée de partir avec lui.
Néanmoins,jenepouvaisrienychanger,alorsj’essayaiautantquepossibledenepasm’inquiéter.Jesautaienfinsousladouche.Ensentantl’eauchaudesurmoncorps,jememis,commed’habitude,àrêvasser.Lorsquejeprends
unedouchequandjesuisencoresomnolente,jepensetrop.Lesremisesenquestionsesuccèdent.Sije m’écoutais, je changerais de vie. Je partirais à l’aventure au bout du monde loin de mesresponsabilités.Etpuis,uneheureplustard,unefoisàl’aéroport,jeredevienssereine,jeréalisequej’aimemonjobetqu’ilmeconviententouspoints.Cematin-là,lesmêmesréflexionsmetrottaientdanslatête.«Scarlett, tuveuxvraimentfaireçatoutetavie, televerà4heuresdumatinetavoir l’estomacà
l’enverspendantdesheures?»«Scarlett,tuasvingt-neufansettuestoujourscélibataire!Tuvisavecungaidevingt-cinqansqui
vad’aventureenaventureetunefilledevingt-sixansquin’estpasprêtenonplusàseranger.Cenesontsûrementpaseuxquiteprésenterontl’hommedetavie.Versquoitut’enlignes,là?»« Scarlett, reviens à toi, arrête de trop penser, tu sais qu’aussitôt que tu mettras les pieds dans
l’aviontutesentirasànouveaudanstonélémentetheureused’yêtre.»Mieuxvalait faire tairemonimagination,carde toutefaçon,aprèsavoirenduré lefroidhivernal
dansmavoitureetlanoirceurnocturnesurlaroute,j’allaisretrouverlesouriredèsmonarrivéeàl’aéroport.Mepréparerétaitdécidémentplusconstructif,alorsjemeconcentraisurmatoiletteplutôtquesurlesmauvaisesidéesquimepolluaientl’esprit.AprèsavoirlaissélasalledebainàRupert,jemedirigeaiversmachambre.Jen’aijamaisétéle
genredefillequiprendsontempspoursemaquiller,s’habillerousecoiffer.Jeconserveplutôt lamêmeroutinepourgagnerdutemps,surtoutlorsqu’ilest4heuresdumatinetqu’ilmefautquitterl’appartementauplusvite.Je montai mes longs cheveux bruns en chignon à l’aide d’un « beigne » que j’avais acheté en
Angleterre l’étéprécédent.Cepetit truc faitdesmerveilleset estdevenu l’accessoire indispensabledanslatroussecapillairedetoutesleshôtessesdel’air.Ilsuffitdepassersaqueuedechevalàtraversl’ouvertureet, ensuite,decoiffer sescheveux tout autour.Lechignonaalors l’airplusgroset estparfaitementégal.Unefoiscetteétapedûmentaccomplie,j’appliquaiuntraitdecrayonnoirsurmespaupièresetmis
dumascaraachetéàlaboutiquehorstaxesdel’aéroport.J’enfilaiensuitemonjumpernoir,lapièced’uniformequejepréfère,carsiparmégardeundégâtsurvient,machemiseblanche,cachéedessous,n’en subit pas les conséquences.Néanmoins, je dois avouer que j’aimebien ce vêtement pour uneautreraison:lederrièrequ’ilmefait.Voyons ! Je ne suis pas dupe. Je sais que les uniformes font fantasmer. Quiconqueme dirait le
contraire,jel’enverraispromener.JemesouviendraitoujoursdelaréponsedeBéalorsquejeluiaidemandécequ’ellepensaitdenotrefuturuniformelorsdenotreformationinitiale:«Jemefousdeceàquoiilressemblera,ununiformed’hôtessedel’air,c’esttoujourssexy,etjevaism’assurerdebienprofiterdecetavantage.Lespilotesnesegênentpas,alorsjevaisfairepareil!»Elleavaitbienraison: lesfilles tombentcommedesmouches lorsqu’ellescroisentdespilotesse
promenantfièrement,parésdeleursgalonsauxépaules,alorspourquoinepasséduireleshommesavecnotresourireetnotreélégantderrière?Entoutcas,Béas’ensert.Elleesttoujoursaccompagnéede richesmecsqui l’emmènent ici et là, surdesyachts àNiceoudansdes restos aux trois étoilesMichelin.Béaestuneprofessionnelleducharmeavecousansuniforme,maispasmoi.Jesaisseulementque
matenuemevabien.Jel’enfilaicematin-làennepensantàriend’autrequenepasarriverenretardàl’avion.D’ailleurs,ilétaittempspourRupertetmoidepartir.Soigneusement,j’enroulaimonfoulardautourdemoncouetmisàmatoiletteladernièretouchequiallaitfairedemoiunevéritablehôtessede l’air irrésistible : un rouge à lèvres rose fuchsia appelé « Envoûtée ». Allais-je en hypnotiserquelques-uns?
C
Chapitre3
Montréal(YUL)–SanJosé(SJO)–Montréal(YUL)
ommeRupertetmoiavionsétéappelésàladernièreminute,nousnousétionsprésentésenretardà l’aéroport cematin-là et nous avionsmanqué le briefing du commandant à l’équipage. Par
obligation,Justin,ledirecteurdevol,nousavaitfaitunrésumédesconditionsdevolànotrearrivéeàlabarrière.Nousavionsété informésqu’ilyavaitdespossibilitésde turbulencespour lapremièreheuredutrajet,quecedernierdureraitcinqheuresetquinzeminutesetque,commenousétionslesderniersarrivés,nousnepouvionspaschoisirnospositionsdansl’avionselonl’ordred’ancienneté.Nousétionsdonccondamnésàprendrecequ’ilrestait.Rupertseraitchargédefairel’embarquement,uneplacepeuenviéeenraisondesbonjoursetdesau
revoirqu’elleimpliquait,etjeseraisresponsabledelagalleyarrière,cettecuisineoùsesituent leschariotsderepasetdeboissons.Durant levol,Rupertetmoieûmes le tempsde jaserunpeu.Ils’était faitunmalinplaisirdeme
donnerdejuteuxdétailssurcertainsmembresdel’équipagequejeneconnaissaispas.Ilfautdireque,malgré le fait que Rupert soit un porte-malheur indésirable, il est le meilleur potineur de lacompagnie.Un rapide tête-à-têteavec luiavantchaquevolmepermet toujoursde savoiràqui j’aiaffaire.—Allez,Rupert,potine-moiça.—Hum,toutescesbelleshôtessesontunebonneréputation,misàpartpeut-êtreSuziequiacouché
aveclamoitiédelacompagnie,medit-ilavecdésinvolture.—Suzie?C’estlaquelle,ça?—C’estcellequichialaitaprèsl’embarquementparcequ’ilfaisaittropchauddanslacabineetqui
chialaitencorequandonadécolléetquandonacommencéladistributiondesboissons.—Ahoui,jevoisquic’est.Elleacouchéavectoutlemonde?Despilotes,jesuppose?—Àtonavis?Etilsavaienttousdesblondes,c’estçalepire.—Jen’enrevienspas!Commentunefemmepeut-ellefaireçaàrépétitionsansmêmeavoirune
petite pensée pour les copines de ces gars-là ? Si on s’entraidait un peu entre filles et qu’on necouchaitqu’avecdesgarscélibataires,jamaispersonneneseferaittromper!—Benvoyons,Scarlett,nemefaispascroirequetun’asjamaiscouchéavecunpilotequiétaiten
couple…Suzien’estsûrementpaslapremièreniladernière.Vousautres,lesfilles,vouslestrouveztousbeauxmêmequandilssontlaids.—Rupert!Onvitensembledepuisbientôttroisans,tudevraissavoirquejen’aijamaisfaitça!dis-
je,insultée.—Tun’enaspasembrassédeuxoutroisquandonacommencé?—Oui,maisjelesaijusteembrassésparcequej’étaissoûleetjen’aisuqueplustardqu’ilsétaient
encouple.En toutcas,aujourd’hui, jeconnais lachanson,alorsaucunechanceque jecoucheavecl’undecespilotesprétentieux.Rupert était fier de ma réponse. Il était sûrement ravi que je ne sois pas comme cette Suzie
mangeusedepilotes.Ilauraitpusecontenterdesourire,maisilmeposaunedernièrequestion:—Etsitutombaisenamouravecl’und’eux,lestrouverais-tuencoreaussiprétentieux?—Alorslà,çanerisquecertainementpasd’arriver!répondis-je,complètementconvaincue.
***
Aprèscetteséanceéclairdebavardage, jemeremisaussitôtau travail.PlusnousapprochionsdenotredestinationetplusjepensaisqueRupert-porte-malheuravaitlimitésoninfluencemaléfiquesurnotre avion en cette journée de février. Je m’en réjouissais déjà. Mon énergie avait peut-êtreneutralisélemauvaissort.Une fois la descente commencée, le commandant nous avisa que les vents auCosta Rica étaient
légèrementdetraversetqu’ilyavaitdeschancesqueçabrasseàl’atterrissage.Nousrangeâmesalorstousleschariotsetfîmeslesdernièresvérificationsencabineàl’avanceafindenousasseoirleplusrapidementpossible.J’avoueque,durantmacourte carrière, jen’avais jamais senti laqueued’unavionvalser autant.
J’avais d’ailleurs la certitude que cette danse était inhabituelle, car à mes côtés était assise unecollègue expérimentéequi semblait vraiment stresséepar la situation. J’aurais cruqu’après quinzeannéesdemétierelleauraitétépluscalmequemoi,maisaucontraire,c’étaitplutôtelle,l’angoissée.En fait, on ne peut pas savoir comment on réagira lors d’une situation d’urgence avant d’en
rencontrerune.J’imagineaussiqu’avecl’expérienceonconnaît lesconséquenceset lespossibilitésqu’unetellevalsepeutcomporter.Pourmoi,cen’étaitriend’autrequedefortsventspoussantdanstouslessenslacarlinguedemonavion.Jen’enétaispasaffolée.J’aimaismêmeça.Audébut,entoutcas.Lorsquenousfîmesnotreapprochefinale,monattitudechangeadutoutautout.J’avaismaintenant
peur, car je réalisais que ce balancement était plutôt extrême. Ayant déjà vu sur Internet desatterrissages effectués de peine et de misère avec des vents de travers, je pouvais visualisermentalement la position de l’avion. Le nez de l’appareil ne devait être aligné avec la piste quepartiellement.Depuismonmini-hublot,jeconstataiquelaqueuesemblaitquantàellehorspiste.Maisjevoulaiscroirequ’àladernièreminutelepiloteredresseraitletoutetposeraitcegrosoiseauausolavec succès. Restait quandmême que ces oscillations commençaient sérieusement àme donner lanausée.Jen’osaismêmepasimaginerl’étatdespassagers:mauxdecœurassurésetsansdouteaussiquelquesdéversementsindésirés.Il me fallait rester tranquille. Je demeurai bien agrippée à mon strapontin, ce siège rabattable
réservé aux agents de bord.Ma collègue, de son côté, était assez comique avec ses «Oh » et ses«Ah»émisentrechaquecoupdevent.Ilfautdirequenousétionsassisesdanslaqueuedel’avionetqu’il était donc normal que nous ressentions davantage les secousses. Quand les roues touchèrentenfinbrusquement,pournepasdireviolemment, lesol,nousétionsbouchebée.Lesilencerégnaitdans lacabine.Pasd’applaudissementscommeà l’accoutumée.Demonhublot, jepouvaisvoir lesborduresde lapiste s’éloigner et se rapprocherdangereusement. Jen’aimaispas cequi sepassait.Allions-nousquitterlapiste?Laqueuedel’appareilbougeaittropàmongoût.Unesecondepassa.Deux.Trois.Peut-êtreplus.Çameparutuneéternité.Etpuis lavalsecessa.L’avionétaitdésormaisbien droit.Ma collègue reprit son souffle etmoi également. Était-ce lamalédiction deRupert quivenaitdenoussecouer?Sansaucundoute,etj’espéraisquelemaléficeserésumeraitàcela.
***
Ledébarquementterminé,jepouvaisenfinretirermonuniformepourm’asseoirpaisiblementdansl’avioncommeunesimplepassagère. J’allaisme reposeretvisionnerun film. Jeprofiteraisdecedeadhead et prendrais un bon verre de vin pourme détendre. Jem’avançai vers les toilettes de lapremière classe pour m’y changer. Je m’étais précipitée à l’avant, car je n’utilise jamais celles à
l’arrièredel’avion.Surtoutaprèsunvoldeplusdecinqheures.Jepréfèreallerdansdestoilettespluspropres, et malheureusement pour les gens de la classe économique, ce sont souvent celles de lapremière classe qui répondent le mieux à ce critère. C’est uniquement parce qu’elles n’ont étéutiliséesqueparunequinzainedepersonnesqu’ellessontencoreàpeuprèsnettesetnonparcequeceuxquiyontaccèssontpluspropres.Unefoisàl’avant,j’aperçuslepremierofficierprèsdesescaliers.Ilprenaitunpeud’airfrais.Avec
seschaussuresàsemellesépaisses, ilmesuraitprobablement5piedset4pouceset ilse tenaitbiendroit,letorsegonflé.Ildevaitavoirvingt-cinqans,toutauplus.Commeilavaitl’airjeuneetqu’ilétait certainement peu expérimenté, je me dis que c’était sûrement lui qui avait effectué cetatterrissagetumultueux.Jem’approchaietluidemandaid’untonaimable:—Ouf!Onaétésecouéstoutàl’heure.Quiaatterri?—C’est quoi, cette question-là ! Ça ne se demande pas, ça ! T’as pas vu les vents dehors ?me
répondit-ild’unairhautain.—Justement,jelesaisentis,lesvents,etc’estpourçaquejeteledemande.Onauraitaimésavoir
cequis’estpassé.Jen’avais pasbesoindeparler davantage avec lui.C’était évident qu’il avait fait atterrir l’avion.
Sinoniln’auraitpasréagidelasorte.Encoreunefois,çameprouvaitquel’egodespilotesétaitgros.Insultéparmoncommentaire,ilmetournaledos,mesignifiantqueladiscussionétaitterminée.Jemeretournaimoiaussi,indifférenteàsonattitude,etpartismechangerdanslestoilettes.Lorsque je sortis, lecommandantdebord,que jen’avaispas rencontréàcausedemon retard le
matin même, demanda à tout le monde de venir à l’avant pour qu’il nous fournisse quelquesexplicationssurcetatterrissagemouvementé.Jem’assissurunsiègedepassageretl’écoutai.—J’aimeraisd’abordm’excuserauprèsdeceuxquisesontfaitbrasserenarrière.Lesventsétaient
trèsfortsetnousnepouvionsmalheureusementpasfaireautrement.J’avoue que je fus surprise par son humilité. Rares étaient les pilotes qui avaient le courage de
s’excuser ainsi. Ce commandant venait de me faire ravaler les propos que j’avais tenus quelquesheuresauparavantausujetdespilotesprétentieux.Entoutcas,ilyenavaitunquifaisaitexceptioncejour-là.Aprèsnousavoirexpliquécequ’étaientlesventsdetravers,ilnoussouhaitaunbonvolderetouret
regagna la cabine de pilotage. Je n’avais jamais vu ce commandant auparavant. À mon grandétonnement,iléveillaitmacuriosité.Biensûr,ilavaitétégentilennousfournissantdesexplications,mais il y avait autre chose qui retenait mon attention. Il avait l’air timide et discret. Il avait l’airinaccessible,etça,c’étaitintrigant.
***
Durantlevolderetour,Rupertmefitlaconversationpendantuneheuretoutenbuvantunverredevinrouge.Illesirotaitdepeurd’êtresoûltropvite.C’étaittoujourscommeça.Iln’avaitqu’àavalerdeux verres pour que l’alcool luimonte aussitôt à la tête. Je préférais donc le laisser boire à sonrythme.Comme j’étais crevée et que je savais qu’aprèsunpeudevin jem’endormirais rapidement, j’en
profitai pour demander immédiatement à Rupert s’il connaissait le commandant de bord avec quinousvolions.—Non,curieusement,jen’aijamaisentenduparlerdelui,medit-il.Cette réponse me surprit, car mon fidèle compagnon connaissait tout sur tout le monde, même
quandce«toutlemonde»n’étaitpersonne.
—C’estquoisonnom?luidemandai-je.—JohnRoss.Dumoins,c’estcequiestécritsurlerésumédenotreitinérairedevol.Pourquoi?
Qu’est-cequetuluitrouves?Iln’ariend’impressionnant,àpartpeut-êtreunbeausourire.—Jene lui trouve riende spécial.C’était juste pour savoir, lui répondis-je, désireusede cacher
monjeu.Je refusaisd’admettrequecethommem’attirait. Il avait certesunphysiqueavantageux,mais ily
avait autre chose.Était-ce son attitude de gars inaccessible ou son sourire timide ?En tout cas, jen’allaispasl’avoueràRupert,surtoutaprèsladiscussionquenousavionseueàproposdespilotes.La conversation n’alla donc pas plus loin. Je n’y tenais pas. Quelque peu troublée par l’intérêtinattenduquececommandantdebordéveillaitenmoi,jedécidaiqu’ilvalaitmieuxquejem’endormeauplusvite.
***
Ànotrearrivéeà l’aéroport,Rupert etmoipassâmes lesdouanes rapidementetnousdirigeâmesversl’arrêtdel’autobusquinousamèneraitaustationnementdesemployés.J’étaiscontentequenoussoyonsrentréssansvéritablesanicroches.«VoleravecRupertn’estpassipirequeça,aprèstout!»pensai-je.Pendant que nous attendions à l’extérieur, j’en profitai pour écouter mes messages sur mon
téléphoneportable.Le premier était deBéa, quim’informait queRachel nous avait invitées à souper chez elle avec
notre autre amie Paule. Sachant que je serais fatiguée au retour de mon vol, Béa lui avait plutôtproposédevenirà lamaison.Parcontre,cequeBéaavaitvolontairementomisde luimentionner,c’étaitquej’auraisdetoutefaçonrefusédemedéplacerchezellepournepasêtreobligéed’entendresonbébépleurertoutelasoirée.Aprèsunvol,c’étaitinévitable,j’avaisbesoind’unpeudesilence.Ilfautl’admettre,desbébésdansunavion,çapleure.Ilssonttoutcoincés,ressententlanervositéde
leursparentsetontmalauxoreilles.Leurscrisrésonnentdanslacabinetelsdesrugissementsdelionetiln’yaaucunendroitoùs’isoler.Larègled’orestd’endurerpatiemmentimpatiemment.Etpuisunbébé, ça reste un bébé.On ne peut pas lui en vouloir de pleurer lors de la descente à cause de lapressionexercéesursestympans.Malgrétout,aprèsunvol,jepréfèredeloinlecalme.Étantégalementagentedebord,Béacomprenaitbiencetétatd’âmed’aprèsvoletavaitdonceula
trèsbonneidéed’inviterlesfillesàl’appartement.Rienneservaitdeluiconfirmerqueleprogrammemeconvenait,carilétait19heures.RacheletPauledevaientdéjàêtrearrivées.J’avertisRupertqu’ilallaityavoirdesfemmescheznouscesoir.Ilsecontentadehocherlatête,indifférent,puisqu’ilavaitd’autresplanspourlasoiréeavecunex-petitami.J’écoutaiensuitelesecondmessage.Commed’habitude,mamèreavaitparlébrièvementsurmonrépondeur.N’aimantpas«jaseràune
machine», elle se refusait àme laisserdesmessagesdignesdecenom.Soit ellen’en laissait toutsimplementpasetrappelaitsansarrêtjusqu’àcequejeréponde,soitelleenvoyaitunmessagerapideetfroidàglacerlesang.Unmessageeffroyabledugenre:«Quelqu’unestmort,appelle-moi!»Mamère ne se doute probablement pas que l’une demes peurs est de partir travailler et de ne
pouvoir être là s’il devait arriver unmalheur à unproche.Mais ferait-elle plus attention si elle lesavait?Cettefoisencore,sontonétaitsec:—Scarlett!(Pasde«bonjourmachérie»oude«alloScarlett»,non,juste«Scarlett».)C’estta
mère.Appelle-moi!Cen’était pas le bonmomentpour lui parler, saufqu’encoreune fois elle venait dem’inquiéter.
Commelebusn’étaittoujourspaslà,jelarappelai.
—Allo?—Salut,maman,c’estmoi.—T’étaisoù?medemanda-t-elle enpanique, commesi ellene savaitpasque j’étaishôtessede
l’airetquejepartaissouventàladernièreminute.—JesuisalléeauCostaRicaaujourd’hui.—Oh!Chanceuse!—Jenesuispasrestéelà-bas.C’étaitunaller-retour.Jen’airienvu,précisai-je.—Ah!Chanceusepareil!insista-t-elle.Apparemment,ellenevoulaitriencomprendreàmonjob,alorsj’acquiesçai.—Maman,est-cequetuavaisquelquechosed’urgentàmedire?Parcequejeviensd’arriveretque
jedoisraccrocherdanspaslong.—Ah!Non,non.Jevoulaisjustetejaser.—Ehbien,jeterappelleraidemain,OK?—Enpassant, tononcleAlberta laissé ta tantePaulinepouruneautre femme,enchaîna-t-elleen
ignorantmonintentiondemettrefinàlaconversation.Tonpèreetmoin’enrevenonstoujourspas.Aprèstoutcequ’elleafaitpourlui.Leursenfantsvenaientdepartirdelamaison.Ellerecommençaittoutjusteàrespirerquandiladécidédelalaisserpouruneautre.Iln’apasdecœur!Mamèrecontinuaavecfouguesonmonologueàproposd’oncleAlbertetdetantePauline.Elleétait
enragée.Ellen’avait pasbesoind’endireplus sur le sujet, car je savaisdéjà cequ’ellepensait dudivorce.Pourlemoment,jen’avaispasd’énergieàluiconsacrerpourcomprendrelaraisondecettetristeséparation,nipourécouterl’opinionnégativequ’elleavaitdemononcle.Ànouveau,jetentaidemettrefinàlaconversation.—Tuas raison,maman, c’est unehorrible histoire.Mais là, comme je te l’ai dit, je n’ai pas de
tempspourjaser.Jeterappelledemain.—OK,mafille,àdemainalors.Mamèrevenaitdeprendresonpetit tonpiteux,probablementdéçuedenepaspouvoirmeparler
davantage.Aumoins,ellen’avaitplusdepaniquedans lavoixetmonangoisses’étaitévaporée.Jeraccrochaietm’apprêtaisàconsultermescourrielssurmoniPhonequand,soudain,monregardseporta vers le reste de l’équipage qui avançait vers l’arrêt d’autobus. Parmi eux se trouvait moncommandantdebord.Àsavue,jerépétaiinstinctivementsonnomdansmatête:«JohnRoss.»Jenepouvaistoujourspascroirequ’ilm’attirait.Unpilote!C’étaitimpossible!Jemeressaisisaussitôtetnousmontâmestousàborddubus.Rupert parlait avec un collègue, alors j’en profitai pour observer discrètement mon beau
commandantquis’étaitassisaufonddel’autobus,perdudanssespensées.J’espéraisquenosregardsse croiseraient, même si je me savais incapable de soutenir le sien, noir et profond.Incontestablement,ilmetroublait,etilnes’enrendaitmêmepascompte.Jepassaisinaperçue.Toutlelongdutrajet,ilnemeregardapasuneseulefois.Rien.Niente.Nada.Frustrant!Lorsque nous arrivâmes au stationnement, il sortit au premier arrêt. Il se leva, se tourna vers
l’équipageetnoussouhaitaunbonretouràlamaison.J’auraisaiméqu’ilmedise«Aurevoir»,maisje devais me rendre à l’évidence : ses paroles ne m’étaient pas personnellement adressées.Apparemment,mon rouge à lèvres « Envoûtée » n’avait pas fait effet ce jour-là, quoiqu’il s’étaitestompédepuisfortlongtemps…
E
Chapitre4
Montréal(YUL)AuretourdeSanJosé(SJO)
narrivantàlamaison,jesaluairapidementmesamiesetfilaisanstarderàlasalledebain.C’étaitunrituel.Enrevenantd’unvol,mêmesij’avaisdesinvités,jedevaissautersousladoucheillico
presto.Lesbisousdebienvenueetleverredevinpassaientaprès.D’ailleurs,lesfillesnedésiraientprobablement pas tant que çame faire la bise, car l’odeur d’un avionqui pénètre dans la peau estofficiellementdégoûtante.Aveclesannées,elleestdevenuel’unedesodeursquejedétesteleplusaumonde. J’exagère à peine. Un seul mot ne suffirait pas pour décrire cette puanteur. En fait, mescheveux, mes vêtements et ma peau empestent la vieille poussière sèche qui s’est imprégnéed’effluvesderepasbrûlés,devapeursdevomissuresetd’exhalaisonsdepiedshumidesmélangésàquelques flatulences de passagers évacuées au cours du vol. Loin d’être appétissant !Vite, sous ladouche!Quelquesminutes plus tard, propre et parfumée, j’enfilai des vêtements confortables et rejoignis
enfinmescopines.Béas’avançapourmedonnermonverredevin.Elleétait,commed’habitude,trèsbelleetstyléeavecsescheveuxcourtsmodeléssurlatête.Elleportaitdelonguesbouclesd’oreillesfabriquées par desMassaïs qu’elle avait rencontrés en Afrique lors d’un safari avec l’une de sesrichesconquêtes.—Tiens,Scarlett.Prendsunebonnegorgée,çavatedétendre.C’étaitcomment,tajournée?—Çaabienété.Jevousraconterai,maisavant,jevaisfairelabiseauxfilles.C’estgentildevous
êtredéplacéescesoir,dis-jeenregardantPauleetRachel.Je tenais à souligner que j’appréciais leur geste, car depuis que Paule avait une petite fille
maintenantâgéededeuxansetqueRachelavaitunbébédebientôtdixmois,c’étaittoujoursBéaetmoiquidevionsallerchezelles.J’étaisd’ailleurssurprisequ’ellesaientacceptél’invitation.—Quigardelesenfantscesoir?demandai-je.—Lesgars.Ilssontsortisensemblelasemainepasséeetilsnousendevaientune,m’expliquaPaule
avecunsourire.—Tantmieux,alors!Profitons-en!PauleetRachelétaientbeaucoupplusprochesdepuisqu’ellesavaientunefamillebienàelles.Béaet
moiaussinousétions rapprochéesdepuisquenous travaillionsdans l’aviation.Nos réalitésétaientdifférentesetc’étaitcompréhensiblequenousayonschacuneplusd’affinitésavectelleoutelleautreselonnoscentresd’intérêt.Seulement,jen’avaisjamaispenséquenoscheminspourraientseséparerautantaprèslanaissancedeleursenfants.J’avaisl’impressionquePaulemeregardaitdehautdepuisqu’elleétaitmaman.Desoncôté,Racheln’avaitpastropchangé,maisellefaisaitdescommentairesteintésdeméprisetdereprocheàproposdemonstyledevieetdemoncélibat.Béa,poursapart,semblaitsoustraitedecettesituation,etce,mêmesielleétaittoutcommemoicélibataireethôtessedel’air. Jesavaisque,d’unecertainefaçon, j’étaisdifférente,mais jen’avaispasnonplus ledésirdechanger, et Rachel essayait souvent de me faire entendre raison. Ce soir-là, encore une fois, laconversations’engageadanscettedirection.—Tuesalléeoùdéjàaujourd’hui?medemanda-t-elle.—Rupertetmoi,onestallésauCostaRica, répondis-jeavecunepointededégoûtdans lavoix,
commepoursignifierquej’avaistrouvédésagréabledevoler.—Ah!C’estcoolleCostaRica!Est-cequ’ilfaisaitchaud?s’enquitPaule.—Çaavaitl’airtrèshumide,maisjenesuispasrestéelongtemps.Justeletempsdesortirlatêteà
l’extérieurdeuxminutesetderefermerlaporteaussitôtpourrespirerl’airsecpressurisé,répliquai-jepiteusement.J’avaisprisl’habitudedeparlerainsidemontravaildevantlesfilles,carjepercevaistoujourschez
elles une envie à l’égard de mon emploi. En dénigrant mon métier, je sentais qu’elles ne mejalousaient plus autant et qu’elles se disaient qu’il était plus agréable pour elles de s’occuper descouches et des biberons que de voyager dans le monde entier. D’ailleurs, j’avais la curieuseimpressionquec’estcequ’ellesessayaientdemefairecomprendre.—Alors,Scarlett,as-turencontréquelqu’unrécemment?medemandaPaule.—Lesfilles,vouslesauriezsij’avaisrencontréquelqu’un.— Oui, sûrement, mais tu ne penses pas que si tu continues d’être aussi exigeante envers les
hommestunetrouveraspersonne?meditRacheld’untonmoralisateur.—Premièrement,jenecherchepas,jelaisseleschosessefaireparelles-mêmes.Etdeuxièmement,
enquoisuis-jesiexigeante,Rachel?Parcequejenecouchepasavecn’importequi,çafaitdemoiunefilleexigeante?Béaestaussicélibataire,quejesache,etvousneluimettezpassurledossoncélibatcommevouslefaitesavecmoi!m’exclamai-je.Fatiguée par le vol et lassée des critiques répétées de mes copines, j’avais bien l’intention de
remettrelespendulesàl’heurecesoir,àcetteminutemême,àcettesecondeprécise.Maintenant.—Béan’estpascommetoi,Scarlett.Ellerencontrepleindemondeetelleatoujoursunenouvelle
conquêteaubras.Aumoins,elleessaie.Toi,tunefaisrien,renchéritRachel.Maintenantimpliquéedansl’histoire,Béan’eutd’autrechoixqued’intervenir:—Wô,lesfilles,jen’essaiepas,jeprendsdubontemps.C’estmonchoixd’abaissermesexigences
pourm’amuser.Sijecherchaisl’hommedemavie,peut-êtrequejemelaisseraisguiderparcertainscritèresmoiaussi,maiscen’estpaslecaspourlemoment.JenecomprendspasenquoilefaitqueScarletttiennecompted’unminimumdegalanterieoudecioudeçaestunproblème.—Tuas justevingt-sixans,Béa, tuesplus jeunequeScarlett et tues loind’êtreaussiexigeante
qu’elle.Tuenasfréquentédesgarsquin’ouvraientpaslesportesetilsn’étaientpassiidiotsqueça.Nouslesavonsrencontrésetilsétaienttrèssympas…remarquaPaule.—Etçan’apasfonctionné!lacoupaBéa.—Calme-toi.OnessaieseulementdecomprendrecequiclochechezScarlett,répliquaRachel.Cettedernièresetournaaussitôtversmoi.—Sitescritèresserésumentàlagalanterie,pourquoiturefusesderencontrermonbeaucousin?Il
lesouvre,lesportes,etilestcélibatairedepuisplusd’unan,meprécisa-t-elle.—Parcequ’ilalaissésafemmealorsqu’ilsavaientunenfantensemble!Voilàpourquoi!Venais-jevraimentdedireça?Jamaisjenem’étaisexpriméesurcettequestionlorsqueRachelme
parlait de son cousin Marc. Je me contentais de l’écouter. Je connaissais son histoire et je ladésapprouvais. Ilavait trompésa femmeplusieurs foisavecdifférentes filles.Ellenes’enétaitpasdoutée.Etpuis,un jour, il l’avait laissée.C’était pour cette raisonque jenepourrais jamais sortiravecceMarc.Jeseraislaplusjalousedesfemmes.Pourquoicethommeseraitfidèleàunefillequ’ilconnaissaitàpeinealorsqu’ilnel’avaitpasétéaveclamèredesonenfant?Jegardaimespenséespourmoi,maisRachelentendaitbienmefairelaleçon.—OK.Pourmoi, c’est ça, être exigeante. Tu viens d’avoir vingt-neuf ans et bientôt tu en auras
trente.Leshommesdenotreâgeontdéjàunpassé,Scarlett.Etpuis,au-delàdetesmystérieuxcritères,
commenttuespèresrencontrerquelqu’unalorsquetuestoujourspartie?Rachel ne m’avait jamais autant rabaissée. Pourquoi voulait-elle absolument que je fréquente
quelqu’un?Êtrecélibatairefaisaitsipitiéqueça?Onauraitditquec’était lecas,parcequePaulehochait la têteàchaqueparolequ’elleprononçaitensigned’approbation.Béaavaitquantàelle lesyeuxsortisdesorbitesetlesjouesrougesdecolère.Elledevaitespérerquejemettraisunpointfinalàcesfâcheuxpropos.—Benlà,lesfilles,jen’enrevienspas!Mêlez-vousdoncdevosaffaires!Jesuisexigeante?J’ai
déjàétéencouplependantcinqansaucasoùvousl’auriezoublié!Jenerejettepas lesbonsgars.Reste seulement à les rencontrer. Je suis prête à attendre. Et puis j’ai tout demême dénichémonemploiderêveetilmeconvientparfaitement.Aumoins,j’aimemonjob.Sivotrevieparfaiteavecdes couchesvousplaît, tantmieuxpourvous autres. Jenevous faispas lamorale, alorsneme lafaitespasnonplus!Je ne pouvais pas croire que mes amies me disent des choses pareilles. Elles me connaissaient
depuis longtemps. Elles devaient bien savoir que j’avais toujours aimé voyager et que j’étaisbeaucoupplusépanouiedepuisque j’étaisdevenuehôtessede l’air.Pourquoi insinuaient-ellesqu’ilvalaitmieuxquejemetrouveunjobquelconqueafinqu’unnouvelamoureuxpuisseentrerdansmavie?—Net’énervepascommeça,Scarlett,cen’estpascequ’onvoulaitdire.Jevoulais justetefaire
comprendrequejenecroispasàl’amouravecungrand«A»etqu’ilfautparfoisdonnerunechanceauxcoureurs,affirmaPauledoucement.Comment pouvais-je suivre ses conseils alors qu’elle-même n’avait jamais donné la moindre
chance aux coureurs ? Paule avait rencontré son mari à dix-huit ans, ils s’étaient aimés, étaientdevenusdebonsamis,s’étaientinstallésdansunconfortbiendouilletet,avecletemps,elleavaitdûsecontenterdecequ’ilrestait.Malheureusement,l’amournesemblaitplusyêtre.Jepréféraisdonccontinuer de rêver au grand amour.Au pire,me dis-je, cet amour avec un grand «A » que nousconnaîtrionsmonfuturamoureuxetmoisetransformerapeut-êtreenunamouravecunmini«a».Jenedésiraispasleurfaireentendreraison.PauleetRachelvivaientdansuneautreréalitéqueBéa
etmoi.Parcontre,jesouhaitaistoutdemêmemettreleschosesauclair.—Lesfilles,jecomprendsvotrepointdevue.Rachel,tuasrencontrétonchumsurunsiteinternet.
C’estunemanièredeprocéderet j’admireceque tuas fait,maispourmapart, choisirmonchumdansunmenunemebranchepas.Jen’ycroispas.J’aidénichéunmétierquej’aime.L’hommedemavieviendraunjour,maisjen’aipasl’intentiondepartiràlachasseparpeurd’êtreseule.Jemaintiensmesexigences.Désolée.J’avais piqué leur curiosité. Ellesme demandèrent de décrire davantage ces fameuses exigences.
Ellessemblaientenfindisposéesàtenterdecomprendremonpointdevue.Connaissantdéjàmalistesecrète,Béaabaissalementonpourm’inciteràladévoiler.Sijevoulaisquemesamiescessentdemejuger,peut-êtredevais-jeleurrévélerquelques-unsdecescritèresdesélectionquimetenaienttantàcœur.Jemelançai:—Pourêtrehonnête,etbienquevouscroyiezqu’êtrecélibataireàmonâgeestunehonte,jereste
convaincuequ’ilvautmieuxêtreseulequemalaccompagnée.DepuisqueBéaetmoitravaillonsdansunavion,vousn’imaginezpasàquelpointnousavonsététémoinsdecomportementsindividualistesau sein des couples. Franchement, je n’aimerais pas devoir porter mon bébé et toutes les valisespendantquemonchumserendàsonsiègelesmainsdanslespoches.Toutcommejenevoudraispasnon plus qu’il porte tout tout seul. Un couple est une équipe et on devrait toujours s’entraider etconsidérerl’autre.Rachel,peut-êtrequ’enapparencetoncousinMarcestincroyablementséduisantet
qu’ilouvrelesportes,maiscegenredegalanteries’apprend.Cen’estpasparcequ’unhommetientlaporteàunefemmequ’ilestnécessairementmoinsindividualiste.Moi,cequejeremarque,cesontcesgestesquinoustrahissent,ceuxqu’onfaitinconsciemmentetquidénotentclairementunmanquederespectetdeconsidérationpourl’êtreaimé.JemedemandeparexemplesitoncousinMarcpasseraitlePepsiàsablonde…—Maisdequoituparles?s’exclamaPaule.C’estvraiquelesfillesneconnaissaientpaslesexpériencesauxquellesBéaetmoisoumettionsnos
passagerspourrigolerunpeu.J’expliquaiendeuxmotsquetoutavaitcommencéparhasard,lorsquenous avions remarqué certains gestes récurrents effectués par desmembres de la gentmasculine.Nous avions alors décidé de tester d’autres hommes pour voir s’ils agiraient pareillement. Jedemandai à Béa de décrire ce test tout simple en me disant que, si ma colocataire appuyait cettethéorie,RacheletPaulecommenceraientpeut-êtreenfinàcomprendremonpointdevue.—Bon,c’estuntestquenousavonsappeléle«TestduverredePepsipourlacourtoisie».Comme
Scarlettl’adit,nousn’avionsjamaispenséàtesternospassagers,maisilssesonteux-mêmessoumisàl’expérienceetnousyavonsprisgoût.Maintenant,lorsquenoustravaillonssurlemêmechariotetqu’un passager remplit les conditions nécessaires, nous le mettons en observation. La théorie estrarementdémentie,assuraBéa.— J’aime bien le nom que vous avez donné à votre théorie révolutionnaire, mais c’est quoi
exactement?l’interrompitRachel,impatiente.—C’estsimple.Nousaffirmonsqueleshommesdenotregénération,quis’avèrentdoncêtredes
prétendantspotentielspourScarlett,sontengénéralmoinsattentionnésenversleurdulcinéequeceuxquisontplusâgésoudenationalitéespagnole,italienneoufrançaise,parexemple,déclaraBéa.—C’estunpeufort,votrethéorie,maisj’avouequecertainsgarsdenotreâgesontmoinsenclinsà
payerl’additionaurestaurant,remarquaPaule,quisemblaitassezd’accordavecnous.—Etcommentfaites-vouspourtestervoscobayes?JenecroispasqueVéoAiraimeraitapprendre
quevousfaitesdesexpérimentationspendantvosheuresdevol,ditRachel,amusée.— Eh bien, expliquai-je, nous les testons à leur insu lorsque nous les servons. Pour faire
l’expérience, nous devons d’abord choisir des candidats. Premièrement, le candidat doit être unhommeetildoitêtreaccompagnéd’unefemme,qu’ellesoitsonépouse,sacopineousamaîtresse.Deuxièmement, ilsdoiventêtre installés l’unàcôtéde l’autre.Troisièmement, il fautque l’hommesoit assis près de l’allée et que sa compagne soit ainsi plus éloignée de l’hôtesse de l’air.Quatrièmement,lecoupledoitboirelamêmechose.—OK,maisquelestlerapportentrelacourtoisieetlePepsi?demandaRachel,quin’arrivaitpasà
comprendrelesensdetoutecettehistoire.Jetâchaideclarifier:—Imaginequetonchumettoi,vousêtesdansl’avion.Moi,jesuisvotrehôtessedel’air.Tonchum
s’appelleJonathan,commedanslaréalité.Detouteévidence,ilremplitlepremiercritèrequiveutquelecandidatsoitunhomme.Critèreno1respecté!Ensuite,vousêtesensembledansl’avion.Quevoussoyezmariésouconjointsdefait,jem’enfiche.Ilvoyageavectoi,c’estçal’important.Critèreno2respecté !Toi,Rachel, tu es assiseducôtéhublot et Jonathanest assisprèsde l’allée.Critèreno 3respecté!Lorsquejepasseavecmonchariotpourvousoffriruneboisson,jevousregardetouslesdeuxetvousdemandecequevousaimeriezboire.Vousmerépondezunanimement :«DuPepsi.»Critèreno4respecté!Etvoilà,tonJonathanestéligible!Letestpeutavoirlieu.—Etsijeneboisquedel’eau?blaguaRachelavecunsourireencoin.—Quetuboivesdel’eau,ducaféoujenesaisquoid’autre,l’importantestquetonJonathanprenne
lamêmechosequetoi.Sinonl’expériencenefonctionnepas,répliquai-je.—OK,OK.Alors,dis-moi,qu’est-cequemonchumvafairedesihorrible?—C’est làqu’il prouvera savraienature, répondis-jed’unairgrave.Une foisquevousm’avez
demandéduPepsi,jeverseladiteboissondanslepremierverre.Commejesuisdansl’allée,ilm’estnaturellementplus facilede ledonnerà lapersonnequiest assiseprèsdemoi, carellem’estplusaccessible.Etcommeça,j’évitederenverserduliquidesurlespassagers.C’estunelogiquequimesembleévidente.Jeparsduprincipequetoutlemondedevraitcomprendreçaetfaireladistributionparlasuite.«Malheureusement,cen’estpaslecasdetous,etsurtoutpasdetonJonathan, poursuivis-je.Jelui
donnedonclepremierverredePepsi,parcequ’ilestassisducôtédel’allée,maisaussiparcequ’ilest soumis à l’épreuve. Je teste la considération qu’il témoigne à sa douce Rachel. Il t’aime, sansaucundoute,maissait-ilvraimentquetuexistes?«Ehbien,ilsembleraitquenon!TonchumprendlepremierverredePepsidanssesmainsetilne
te le passe pas. Il le garde pour lui. Ce verre t’était pourtant destiné, belle éloignée. Pendant queJonathanse trempe les lèvresdans lePepsiglacé, toi, tun’as toujours rienàboire.Finalement,aurisque d’accrocher la tête de ton cher amoureux, j’allongemon bras vers toi afin de te servir lesecondPepsi.Etvoilà, toncopainvientd’échouerau«TestduverredePepsipourlacourtoisie».Alors,Rachel,aimerais-tuêtreaccompagnéeparceJonathanquejeviensdedépeindre?—Biensûrquenon!Maismonchumn’estpascommeça.Je te trouveduredepenserquesiun
hommenepassepasleverredePepsiilneméritepaslamoindrechanceenamour,rétorquaRachelqui,encoreunefois,n’arrivaitpasàvoirlebigpicturedel’expérience.—Est-ce que j’ai dit ça ? Je ne fais que t’exposer les observations queBéa etmoi avons faites.
C’était un exemple stupide pour te faire comprendre que les hommes d’aujourd’hui me semblentcentrés sur eux-mêmes et que c’est peut-être pour çaque je neperdspasmon temps avec certainsd’entreeux.Àpetiteéchelle,cen’estpasbiengrave,cen’estqu’unverredePepsi,maisensociétéouencouple,nepenserqu’àsoipeutfairedegrosdommages.Jemetiensloindecegenred’hommeparcequejecherchel’amouretnonpasàmedivertiraveclepremiermâleassisauborddel’allée.—C’estridiculecommetest,Scarlett.Entoutcas,monJonathan,jel’aimecommeilest,s’obstina
Rachel.Décidément, elle ne voulait rien comprendre. Je venais de lui dire que j’avais pris son chum en
exemplepour l’aiderà s’imaginer la situation. Jen’avais soudainementplusaucundésirdeparler.Béaleremarquaetsemitàraconterseshistoiresavecderichesconquêtespourdétournerl’attention.Elle commença par décrire comment elle avait rencontré Damien, un milliardaire français. En
escaledanslaVillelumière,elles’étaitassiseaucomptoird’uncaféparisien,unlivreàlamain,etils’était tout simplement installé à ses côtés. Béa avait cet air espiègle qui attirait les hommes. Sonregard perçant et sa bouche pulpeuse incitaient les gens à lui parler instinctivement.Damien avaitquarante-cinq ans et était bel homme. Il lui avait offert du champagne toute la soirée. Ils avaientdiscutédetoutetderien.Avantdeluidireaurevoir,illuiavaitproposédevenirsursonyachtancréàCannes.PourBéa,c’étaituneoccasionenor.Elleavaitaccepté l’invitationet,quelquessemainesplus tard, elle passait six jours de rêve avec ce riche inconnu sur un énormebateau aubordde laMéditerranée. J’admirais Béa pour son audace et je n’étais pas la seule. Paule et Rachel étaientabsorbéesparsonrécit.—Wow,Béa,jen’enrevienspasquetupuissesêtresiouverte.Quellehistoire!Voilàcequ’ilfaut
danslavie,êtreouverte,affirmaRachelqui,sansnuldoute,melançaitunmessagedétourné.—Commentpouvais-tusavoirquecethomme-làétaitcorrect?demandaPaule,effarée.Tuaurais
putefairevioleroutuer!— Tu as raison, mais dès la première seconde où je lui ai parlé, j’ai su qu’il était une bonne
personne.Cethommetranspiraitladouceur.Etjusqu’ici,monflairnem’ajamaistrompée.Béaétaitconvaincuedesonaffirmationetellen’avaitpastort.Lasemainequ’elleavaitpasséeen
France avait été extraordinaire, rien n’avait cloché. Cette confiance inexpliquée qu’elle avaitinstantanément ressentie à l’égard de Damien, j’étais moi aussi persuadée de l’avoir éprouvéequelquesheuresplustôtenverscebeaupilote.MoninstinctmedisaitqueJohnavaitunboncœur.Jenesavaispass’ilétaitgalantetjenem’ensouciaisguère.Sonénergiem’attiraitetjenepouvaispasexpliquer pourquoi. À cet instant, perdue dans mes pensées, je souhaitais sincèrement pouvoirconfirmermonimpressiondansunavenirrapproché.
J’
Chapitre5
Montréal(YUL)–Nantes(NTE)
avaispassélesjourssuivantsàlamaison.Bienque,entantqu’agentedebordde«réserve»,jerecevaisunsalairepourunminimumd’heuresvolées,jen’avaispasétéappeléedurestedumois.
D’uncôté, jem’enréjouissais,car jen’avaispaseuàeffectuercesheuresdevoletellesm’étaienttoutdemêmepayées.Maisdel’autre,j’auraisaimévolerdavantagepouravoirlachancederevoirmonmystérieuxpilote.Etpuisjecommençaisàmetournerlespoucesànerienfaire,carétantsurappel je devais demeurer disponible. Je ne pouvais donc pas m’éloigner trop longtemps del’appartement afin d’être enmesure deme rendre à l’aéroport enmoins de trois heures si j’étaiscontactée.Févriers’était terminé rapidementet j’avaisvolédavantagedurant lemoisdemars. Je fusmême
appeléepoureffectuerdesvolsdepuisHalifaxpendantunesemaine.J’aimecettevilleetseshabitants.C’estpeut-êtrelamerquiapportecetaspectsereinetchaleureuxàcecoindepays.Jem’ysensmieuxquedansbeaucoupd’autresvillesdanslemonde.Ilyadesendroitsquivouscharmentsansraisonévidente.CertainsdemescollèguesdétestentMadrid,parexemple.IlspréfèrentBarceloneetjepeuxfacilement comprendre pourquoi. Elle borde lamer et, grâce à ce cherGaudi, l’architecture est àcouperlesouffle.J’aimebiencetteville,maisjepréfèreMadridpourseshabitantsquifontlafêteàtoute heure du jour, pour son odeur de jambon et pour toutes sortes de raisons que je ne peuxexpliquer.C’esttoutsimplementindescriptible.Nuldoute,sonauramefaitvibrer.Commelorsqu’ontombeamoureux,çanes’expliquepas,çaseressent.
***
Aprèsquej’euspassél’hiveràfairedesallers-retoursdanslamêmejournée,labellesaisonarrivaenfinavecsesvolslong-courriersàl’étranger.Pourlapremièrefoisentroisans,j’obtinsunhorairedevolfixe.Jesavaismaintenantàl’avanceoùj’allaispartir.Jepouvaisenfinplanifiermavie!Loind’avoiruneroutinedebureautelleque«jetravaillede9heuresà17heuresdulundiauvendredi»,j’avaistoutdemêmelachancedeprévoirmesactivitésensachantlesjoursoùjeseraisabsente.Enayantunhoraire,jepouvaismêmeéchangerdesvolsavecd’autresagentsdebord.Si,parexemple,jen’avais obtenu que des vols vers Londres et qu’une collègue désirait se rendre dans la capitalebritannique et moi dans une autre destination, j’avais la possibilité de modifier légèrement monhoraireàmaconvenance.C’est ce queBéa avait fait pour voler avecmoi en cemois demai.Afin de fêter notre premier
horaire fixe, elle avait échangé un vol pourm’accompagner à Paris, viaNantes. En résumé, nouseffectuerionsunvolentreMontréaletNantes,enFrance,etparlasuitenousnousrendrionsentrainvers la Ville lumière. Nous dormirions à Paris et, le lendemain, nous opérerions un vol versMontréal.C’était un courrier réparti sur trois jours, mais en réalité nous n’allions nous absenter qu’une
quarantained’heures.Nousétionsjeudietledécollageétaitprévupour18heures.NousatterririonsàNantesvers6h30lelendemainmatinetprendrionsaussitôtletrain.NousarriverionsàParisversles11heures, uneheureparfaitepour faireune sieste satisfaisante et pouvoir ensuitedégusterunbonrepassanspresse.Toutallaitpourlemieux.
Afinquenousayonslachancedetravaillerensemble,Béaavaitchoisiunepositionducôtédroitàl’arrièrede l’appareil.Elleétaitdoncchargée,encasd’urgence,d’ouvrir laportearrièredroiteetelle devait s’occuper des passagers assis de ce côté de l’avion. Pourma part, j’avais choisi d’êtreresponsable de la porte droite située juste au-dessus des ailes.De cette façon, je pouvais travailleravecBéa,maisavec l’aidede l’hôtesseducôtégauche, jeveillaisaussisur lagrandemajoritédespassagersdurantl’embarquement.Cequimedéplaisaitdanstoutça,cen’étaitpasd’êtreentouréedepassagers,maisplutôt cequemaposition centrale impliquait. J’avoueque certainesdes tâchesquim’incombaientnem’enchantaientpasspécialement.Lorsdecetembarquement,j’étaisdeboutaumilieudelacabineavecmacollègueducôtégauche.
Nelaconnaissantpas,j’hésitaisàluifairelaconversation.Jenesavaisquedire,misàpartluiposerquelquesquestionsdebase.—Désolée,jenemesouviensplusdetonnom,luidis-jepourbriserlaglace.Je l’avaisvraimentoublié,etce,àpeinedixminutesaprèsquenousayonsfaitconnaissance.J’ai
toujours eu cette gênante habitude d’oublier le nom de mon interlocuteur lors de la premièreprésentation.Parbonheur,macollèguen’étaitpassoupeaulait.—Ah!Net’enfaispas!Jem’appelleNicole.Toi?—Scarlett,répondis-je,heureusedeconstaterqu’ellenonplusnesesouvenaitplusdumien.Çafait
longtempsquetuesdanslacompagnie?—Onzeans.—Wow!Onzeans!J’imaginequetuaimesvraimentçaaprèstoutcetemps.— Le job en tant que tel est OK, c’est le style de vie qui est incroyable. Quand je vole, j’ai
l’impressionqueletempspassesivite.Jeneréalisepasquejesuisaubureau.Çadoitvouloirdirequej’aimeencoreça.Surtoutquejepeuxfairetoutesmesheuresleplusvitepossibleet,ensuite,êtreencongépourlerestedumois.Jetemetsaudéfidetrouverunjobquitedonnedeuxsemainesdecongéparmois,tun’entrouveraspas!Elle avait bien raison : depuis que je travaillais dans l’aviation, le temps passait vite.Moi aussi
j’étaistombéeamoureusedecemétier.Loindem’êtreamourachéedemespassagersoudemesmauxde pieds intolérables causés par de longues heures à rester debout, j’adorais tout de même maprofession.Lorsquejepartaisvoler,curieusement,j’avaisl’impressionquejerevenaisaussitôt.C’estvraiquejen’effectuaisquasimentjamaisdetrajetslong-courriersdehuitjours,maismêmedanscescas-là,sil’équipageétaitagréable,letempsfilaitàlavitessedel’éclair.Nepasregardersamontreenétantaubureauvalaitunprixd’or.—C’estencourageant!J’espèrequej’apprécieraimonjobautantquetoidansdixans,répliquai-je
avecunsourireavantdem’éclipserpouraiderunpassageravecsonbagage.
***
Aider lespassagersàplacer leursbagagesàmaindanslescompartimentsn’estpasunetâchequim’importune.Jepréfèred’ailleursm’encharger,carjesaisrapidementoùlesmettrepournepastoutencombrer.Plusviteunbagageestrangé,plusvitelepassagerestassis,plusvitel’alléeestdégagée,plus vite les autres voyageurs prennent place et plus vite l’avion peut décoller. Mieux vaut êtreproactive.Vient ensuite le temps de refermer les compartiments et de m’assurer que tout est prêt pour le
décollage.Durantcettetournée,jenepeuxignoreraucunedemestâches,mêmecellesquejeneporteguèredansmoncœur,enl’occurrencelesbriefingsfaitsauxparentsaccompagnésd’unbébé!Il y a beaucoup d’agents de bord qui adorent les nourrissons, qui les cajolent et même qui les
bécotent.Maismoi,ScarlettLambert,jeneporteaucunintérêtauxbébésdespassagers.Jelestrouvemignons,certes,saufquelesbébésdesautresnem’attirentpas.Jesuisprêteà lesentendrepleurerparobligation,maisdelàà jouerà l’hôtessedel’airsalvatricequidétientLEremèdepourcalmermonsieurbébé,nonmerci!Parcontre,commejesuisresponsabledelasécuritédetous,jemefaisundevoirdem’assurerque
bébéseraprêtpourledécollagedanslesbrasdemamanoudepapa.Cejour-là,commeàl’accoutumée,jem’avançaiversl’unedesfamillesquiavaientprisplacedans
l’avion.Jeregardailepèreetlamèredroitdanslesyeuxetleurdemandaisanschichis:— Bonjour, avez-vous reçu les instructions pour savoir comment tenir votre enfant lors du
décollageetdel’atterrissage?—Non,merépondirent-ils,peuattentifsàmaquestion.—D’accord, je vais vous expliquer comment faire, alors, affirmai-je, décidée à leur livrermon
discoursleplusrapidementpossible.Jemebaissaiàlahauteurdelamèrepournepasparlertropfort.Jememisàluifairemonexposé,
carc’étaitellequitenaitlepoupon.Jepriségalementbiensoindeparlerde«l’enfant»sansplusdeprécisions.Àmoinsqu’unnourrissonaitdesbouclesd’oreilles et soithabillé tout en rose, jen’aiaucunflairpourdéterminerlesexedesbébés.Ayantdéjàétécomplètementàcôtédelaplaque,jeneprendsdorénavantpluslerisquedemetromper.Unepetitefilles’appellemaintenantun«enfant».Unpetitgarss’appellemaintenantun«enfant».Pasdegenre.Pasdesexe.Toutlemondeestcontent.—Premièrement,vousnedevezpasattachervotrebébéaveclaceinturedesécurité.C’estàvousde
tenirvotreenfant.La femmeme regardait tranquillement.Le bébé aussi était calme et bavait à peine.Mêmepas de
pleurs.Jusque-là,toutallaitbien.—Vousdevezletenirdansvosbras,contrevotrecorps,sonvisageversvous,lesjambesdechaque
côtédevotrebuste,danslapositiondurot,ajoutai-je.Àcetinstant,sanscriergare,lafemmeouvritsonchemisieretsortitsongrosseinmoelleuxrempli
delait.Commej’étaisaccroupieàlahauteurdesapoitrine,jevisparfaitementlemamelonbrunprêtà accueillir la bouchedubébé qui, pourtant, n’avait pas encore chigné pour demander à boire.Lafemmecontinuaitàmeregarderdanslesyeuxtoutenpointantmachinalementsonénormeloloverslabouchedesonenfant.Gênée,jetâchaidereprendremondiscourscommesiderienn’était.«Ilnemeresteplusquequelquesphrases»,medis-je.—Si,parmalchance,unedécompressionsurvenait,desmasquesàoxygènetomberaientau-dessus
devossièges…Lebébécommençaàtéterenproduisantunfortbruitdesuccion.Jepouvaisentendrelefiletdelait
pénétrerdanssaminusculeboucheécarlatedenourrissonet j’avaisunmalfouànepasposermesyeuxsurleseindecettefemme.Lebébésuçaitàlaperfection,maislamèrenesemblaitpassatisfaite.Elleenlevaalorssontétondelabouchedel’enfant.J’avaismaintenantunevuepanoramiquesursonmamelonhumide.Jepoursuivismonproposàlahâte:—…Donc,s’ilyavaitunedécompression,vousdevriezmettrevotremasqueenpremieretensuite
aidervotreenfant.J’avais presque terminé. Plus qu’une explication et je pourrais m’enfuir à tout jamais. Je me
préparais à clore mon exposé quand mes yeux se posèrent encore une fois sur cette extrémitémammaire humide. Mon regard oscillait entre les yeux de la mère et son sein qu’elle tripotait.J’espéraisqu’ellecomprendraitqu’unsein toutmouillémedérangeaitetqu’elleaurait trèsbienpupatienteraulieudemelefairejaillirenpleinefigure.Jeconclusavecundébitaccéléré:
—Pourterminer,latableàlangerestsituéedanslestoilettesarrière.Jevousdemandedejeterlacouchedanslapoubelleplacéeàcôtédulavaboetnondanslacuvette.Merci!Quelsoulagement!Jepouvaismaintenantpartiretneplusrevenir.Jemerelevaiavecl’impression
que la mère voulait me rendre mal à l’aise. J’étais peut-être paranoïaque, mais n’empêche qu’aumomentoù jem’étais redressée ellen’avait pashésitéune seconde à rebrancher la bouchede sonbébé sur sa tétine dégoulinante de lait frais.C’en était trop. «La prochaine fois,medis-je tout ensachantque jen’oserais jamais le faire, je leurdiraidepatienterunecourteetmodesteminuteparrespectpourmesyeux!»L’allaitementnem’avaitjamaisautantoffusquée.Ilfaudraitdesjoursàmesrétinespours’enremettre…Jeme dirigeai versmon strapontin. J’étais encore sous le choc lorsque j’entendis l’annonce du
commandantauxpassagers.—Bonjour,mesdamesetmessieurs,monnomestJohnRossetjeseraivotrecommandantdebord
aujourd’hui.JeseraiassistéparlecommandantensecondPhilippeBurns.Aunomdetoutl’équipage,jevoussouhaitelabienvenueàborddecevolVéoAir322àdestinationdeNantes.Letempsdevolaujourd’huiestdesixheuresetdixminutes,àunealtitudedecroisièrede37000pieds.JusteavantladescenteversNantes, jevous reviendrai avec les conditionsmétéorologiques.D’ici là, profitezdutrèsbonserviceàbord.Mercietbonvol!Avais-jebienentendu?Lecommandantquim’avaittantintriguéequelquesmoisauparavantpilotait
l’aviondanslequeljemetrouvais?Commentavais-jepunepasleremarquer?Jemesouvinsalorsquelespilotesnes’étaientpasprésentésdirectementàl’équipagecejour-là.C’étaitchosecourante.Ilarrivait souvent, pourdes raisonsd’efficacité, que lebriefing du commandant ne soit donnéqu’audirecteur de vol pour être ensuite partagé avec le reste de l’équipage. Je n’appréciais guère cetteprocédure,désirant toutdemêmevoir levisagedeceluiqui tenaitmavieentresesmains,mais jel’acceptais,carjesavaiscombienundécollageàl’heurepouvaitnousépargnerbiendesennuis.Brusquement, j’oubliai ma mésaventure avec la femme au gros mamelon. Mon attention était
désormaisdirigéeversquelqu’und’autre:mondiscretcommandant.Paréeaudécollage,jem’assissurmonstrapontin, le sourireaux lèvres, impatientede revoirceluiquiavait faitbattremoncœursansmêmes’enapercevoir.«Peut-êtrequ’ilmeremarquera,cettefois-ci»,mepris-jeàespérer.
E
Chapitre6
NantesdeadheadParis(NTEdhCDG)
nsortantdel’avion,jemontaiaveclerestedel’équipagedansunautobusprivéquiallaitnousconduireàlagareafindeprendreunTGVpourParis.Jepusvoirpourladeuxièmefoisdema
vieceluiquimecaptivait tant. Jene l’avaispasaperçucettenuit-là,car ilmesemblaitqu’iln’étaitsortiducockpitqu’uneseulefoispourallerauxtoilettes.J’étaisalorsàl’arrièreavecBéaàrangerdes chariots. En entendant la sonnerie unique caractéristique d’un appel du poste de pilotage, jem’étaisdoutéequel’undespilotesallaitfairesonentréedanslacabine.Maisjemevoyaismalcessertouteactivitéetcourirversl’avantpourvérifiersic’étaitbienmoncommandantquisortaitdupostepourfaireunbrindejasetteàl’équipage.SurtoutqueBéaignoraitencorequej’étaisfascinéeparl’undeces«prétentieux»pilotes.Elleauraitsansdouteridel’ironiedusortetm’auraitrappelémadureopinion sur eux. J’avais donc décidé de demeurer à l’arrière pour vaquer à mes occupations.Inévitablement,j’allaisvoirJohnaprèslevol.Ilmesuffisaitd’userd’unpeudepatience.Nous étions maintenant tous assis tranquilles dans l’autobus. Étrangement, les pilotes nous
accompagnaientjusqu’àParis.Biensouvent,unefoisàdestination,lespilotesetlerestedel’équipageseséparent.Moncommandant,parexemple,aurait trèsbienpupasser lanuitàNantessansnousetrejoindresonlieud’affectationlelendemain.Maisàmongrandplaisir,cen’étaitpaslecascejour-là.Parcontre,Johnetsonpremierofficiern’effectueraientpaslemêmevolderetourquemoiversMontréal.IlsserendraientplutôtàTorontoaccompagnésd’unautreéquipage.J’étaistoutdemêmeheureuse,carj’auraispeut-êtrel’occasiondeluiparler.Unefoisàlagare,nousnousdirigeâmestousensembleverslewagondenotretrain.Jem’assisà
droitede John,de l’autre côtéde l’allée.Béaparlaquelquesminutes avec lepremierofficierpuiss’assoupit. Elle semblait le connaître. Ça pourrait m’être utile. D’autres membres d’équipagebavardaientdiscrètementpendantque,moi,j’observaismonvoisinducoindel’œil.Ilregardaitparla vitre les terres verdoyantes défiler au loin. Je trouvais étrange qu’ilme plaise autant, car il necorrespondaitpasàmonidéal.Riendetoutcelanetournaitrond.Oùétaitpasséemonattirancepourles grands bruns bien bâtis et bavards ? Aux oubliettes, certainement, car John était discret etsilencieux.Sescheveuxétaientchâtainclairetiln’étaitnitrèsgrandnitrèsmusclé,maisildégageaitunevirilité impossibleà ignorer.Sesmainsétaientmassives, fortesetpuissantes.Mon imaginationfaisaitdéjàdessiennes.Sonregardétaitnoiretprofond,maisdoux.Saprestanceetsoncharisme,quej’étais peut-être la seule à percevoir, m’envoûtaient. Il devait être dans la trentaine avancée. Jefantasmaissurunhomme.Unvrai.Ilavaitl’aircrevéetilnem’avaitmêmepasremarquée.Pourtoutdire,nousn’avionséchangéniun
sourire ni même un regard depuis que je l’avais aperçu pour la première fois au Costa Rica.Décidément,jen’avaisaucunmoyendeluiparler.Ilétaittempsdedormir.«UnefoisàParis,medis-je,jenelaisseraipasmachancemeglissersifacilemententrelesdoigts.»
***
Comme d’habitude, un chauffeur nous attendait à notre arrivée à la gare Montparnasse. Nousmontâmes dans un nouveau bus, tous impatients de parvenir enfin à notre hôtel. Je me réveillaibrusquementlorsquelebuss’immobilisasurlequaidesGrands-Augustins,l’unedesrueslongeantla
Seine.Lafatiguem’avaitemportéeàmoninsu.J’étaispourtantrestéeassisebiendroite,maismatêtes’étaitposée sur le rebordde lavitre et j’avais sentimabouche s’entrouvrir légèrement.Ma joue,mouléedanslecoindelafenêtre,avaitdécidéd’épouserjoyeusementcetteforme.Unelargemarquecreusaitmapommette.«Trèsglamourqued’êtrehôtessedel’air.Oui,trèsglamour»,medis-je.Ilfautdirequ’avantd’êtredansl’aviationjeneconnaissaispasl’épuisement.J’avaisbiensûrdéjà
passé des nuits blanches à faire la fête avec des amis,mais ce n’était pas de la fatigue, loin de là.Aprèsunvol,etsurtoutunvoldenuit,jepeuxm’endormirenunclaquementdedoigts.Jen’aimêmepasbesoind’unlitnid’unoreiller.Seulementd’unappui.Êtreagentdebord,c’estaccepterd’êtresifatiguéquelorsqu’onestsecouéonneseréveillemême
pas.Souvent,l’équipagesedonnerendez-vouspourlesouper.Sanssurprise,certainsneseprésententtoutsimplementpasaupointderencontre.Nonqu’ilsnedésirentpasnousvoirniqu’ilsneveulentpasmanger,c’estseulementqu’ilsontpassétoutdroit,lafatiguelesayantemportés.Toutenm’évertuantàeffacercetteprofondeempreintedecoindevitresurmajoue, jepensaisà
unemanigancepourapprochermonpilote.Johnétaitaucomptoirdel’hôtelavecledirecteurdevolet l’aidait à récupérer les clés des chambres. Je vis alors Béa qui jasait encore avec Philippe, lepremierofficier.Jem’avançaiverseuxpourécouterlaconversation.Soudain,machanceseprésentasansquejel’aieprovoquée.—Vousprévoyezallermangerquelquepartcesoir?demandaPhilippeàmacraquanteBéa.—Ehbien,jenesaispas,dit-elle,incertainedecequ’elledevaitrépondre.Sachant très bien qu’elle et moi mangerions ensemble et présumant que je ne souhaitais
probablementpasdégustermonrepasavecun«prétentieux»pilote,elleposason regardsurmoidans l’espoir de lire une réponse sur mon expression faciale. J’acquiesçai alors d’un aircomplètement détendu. Surprise et incrédule devant ma soudaine ouverture d’esprit, Béame posadirectementlaquestion:—Qu’est-cequ’onfaitcesoir,Scarlett?Ellem’adressaunsourireétrange,l’airdedire:«Tuchoisis,maisj’aimeraisvraimentqu’ilvienne
parcequ’ilm’intéressecelui-là.»— Eh bien, oui, on pourrait aller souper ensemble, dis-je. Le commandant viendrait aussi, je
suppose?m’empressai-jededemanderinnocemmentaupremierofficier.—Biensûr,nousavonsdéjàconvenudenousretrouververs18heuresdanslehall.Çavousva?—C’estparfaitpournous!affirmai-je.Onsevoità18heures,alors.Bonnesiesteetàtantôt!JemetournaiversBéapourm’assurerqueçaluiconvenait.Elleavaitl’airtrèsheureusequej’aie
acceptécetteproposition,mais jecomprisaussiàsonregardque je luidevaisdesexplicationssurmonrevirementsubit.Nousprîmeslesclésdenoschambresrespectivesetnousmontâmesdansl’ascenseur.—Qu’est-cequi t’a pris tout à l’heure,Scarlett ?m’interrogea-t-elle sur le tonde la confidence
pourquejeluidévoilemonsecret.—Tuvasriredemoisijeteledis!m’exclamai-jeenricanant.—Ben non, franchement ! Je ne suis pas dupe. Je sais que tu n’apprécies pas la compagnie des
pilotes,etlà,tuasacceptél’invitationenunriendetemps.Qu’est-cequisepasse?insista-t-elle.Jegardailesilence,cequiapeuraBéa.—Tun’aspasunœilsurPhilippe,parhasard?—Bennon!Jetelelaisse.C’estplutôtl’autrequimeplaît!déclarai-jeenfin.—Wô!Qu’est-cequi t’arrive?Tuesdevenue folleouquoi?Toi,unpilote !Suzie, sorsdece
corps!blaguaBéa.
Elle n’en croyait pas ses oreilles. Moi, Scarlett, m’intéresser à un commandant ? Étais-jesoudainement possédée par Suzie, la mangeuse de pilotes ? Béa se bidonnait. Ma confession laravissait, c’était le moins qu’on puisse dire. La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur mon étage. Jem’empressaialorsdeclorelesujet:—Écoute,Béa,jeneleconnaispasetjeneluiaimêmepasencoreadressélaparole.Ilmeplaîtet
jenesaispastroppourquoi,alorsjetedemanderaisdenepasfaireallusioncesoiràcequejeviensdetedire.Onpasseunebellesoiréeetonverracommentleschosesvonttourner.Peut-êtrequ’aprèstroismotsilnemeplairamêmeplus.OK?—Bien sûr, Scarlett, je garde ça pourmoi. Je ne vais tout demême pas gâcher l’une des rares
occasionsoùunhommeteplaît,merassura-t-elle.Vafairetasieste.Toutvabiensepasser.Àtoutàl’heure!Jelaremerciaietrejoignismachambreaussitôt.Lorsquej’yentrai,l’airconditionnéétaitaumaximum.Étantdéjàgeléejusqu’auxosàcausedela
fatigueetde l’air froidde l’avion, je lebaissai auplusvite.Puis, commeaprèschaquevol, jemepréparaipourladouche.Jejetaimesvalisessurlebureauetsurleporte-bagagesquisetrouvaitprèsdumur.Jeprisbiensoindenerienmettreausolmisàpartmestalonshauts.Cetapispouvaitbiensemblerpropre,maisilnel’étaitprobablementpas.J’enlevaiensuitemonuniformeetl’accrochaisuruncintreafinqu’ilnesefroissepas.Jesautaisousladouche.L’eauchaudemefitleplusgrandbien.Jememisalorsàpenser,avecle
peud’énergiequ’ilmerestait,àlasoiréequejem’apprêtaisàvivre.J’avaishâtedeparleràJohnetd’ensavoirdavantageàsonsujet.Jesongeaiàcettesoiréejusqu’aumomentdememettreaulit.Jefermai les rideaux afin d’empêcher la lumière éblouissante du jour parisien d’entrer dans machambre et réglai le réveil de mon iPhone pour 16 heures. Dormir quatre heures me semblaitraisonnable,carplusjerestaiscouchée,plusilm’étaitdifficiledemerendormirensuitepourlanuit.Confortablementbordéeparlesdrapsblancsdulit,jesombraidansunprofondsommeil.
***
—Coin-coin!Coin-coin!Coin-coin!Lepetitcanardmeréveilla.Commentnepasouvrir lesyeuxenentendantune telle sonnerie? Je
n’avaispaslechoixderéglermonréveilenmode«canard»,parcequ’unedouceharpenem’auraitmêmepasfaitbroncher.—Allez,lève-toi,medis-jetouthaut.De peine et demisère, je sortismes jambes lourdes du lit. Jeme sentais commedroguée par la
fatigue. Par contre, je savais qu’après ma demi-heure de jogging je retrouverais toute l’énergienécessaire pour profiter de la soirée. Je m’habillai rapidement pour entreprendre ma routineparisienne.Je me souviendrai toujours de mon entrevue d’embauche chez VéoAir, durant laquelle
l’intervieweurm’ademandépourquoijedésiraisdeveniragentedebord.Parmitouteslesréponsesquejeluiaidonnées,l’uned’ellesaétéquejen’aimaispaslaroutine.Cemétierétaitassurémentfaitpourmoi.Pourtant, toutêtrehumain,aussivolagequ’il soit, abesoind’une routine.Notrecorps l’exigeau
boutd’unmoment.ÀRome,j’aimaroutine,àVancouveraussi.ÀPariségalement.Jel’apprécie.Jelademande.Etc’estpourçaque,normalement,nousconservons lesmêmeshôtelsd’équipage.Ainsi,nouspouvonsnoussentir,d’unecertainefaçon,àlamaison.Ce jour-là ne faisait pas exception. Notre hôtel étant situé dans l’un des plus beaux quartiers
parisiens,Saint-Germain-des-Prés,jenepouvaispasm’enplaindre.JepartisjoggersurleborddelaSeine.Béanem’accompagnaitpas.Ellepréféraitleyoga.Quelquesminutessuffirentàmerevigorer.À mon retour, je sautai à nouveau sous la douche et, après m’être habillée confortablement, jedescendisdanslehalldel’hôteletdégustaiunexpresso.Jepartisensuitedéambulerdanslesruellesavoisinantes pour faire mes courses. Je n’avais qu’une heure devant moi, il me fallait donc êtreefficace.JepassaifaireuntouràlalibrairieTaschensurlaruedeBuci.J’adoreleursbouquins,carcertainscontiennent lesœuvresdesplusgrandsphotographesenformatgéant.D’autresportentsurdesthèmesaussiinsolitesquelesgrossespoitrines.Unarrêtétaitdoncobligatoire.Je me dirigeai ensuite vers quelques-unes de mes boutiques favorites pour voir s’il y avait de
nouveauxarrivages.Jedénichaidejolispantalonsaustylebohèmeàtrèsbonprix.EnpassantsurleboulevardSaint-Germain,j’admirail’églisequisetrouvaitàmadroite.Puisjemeperdisuninstantdanslesruestransversalesavantdemerendreàl’épicerie.Jepassaidevantlaboutiquedessucculentsmacarons Ladurée sur la rue Bonaparte. À voir la file d’attente, je n’eus d’autre choix que depoursuivremarouteetjegagnaileMonoprixafindemeprocurerunesaladepourlevolderetour.J’enprofitaipourm’acheterdesdélicieuxyogourtsetquelquesfromagesfrançais.Enattendantàlacaisse,jeregardaimamontre.Ilétait17h30.Jedevaisviteretourneràl’hôtel;ilnefallaitsurtoutpasquejeratemonrendez-vous.
***
Aprèsavoirdéposémanourrituredanslemini-réfrigérateurdemachambre,j’enfilairapidementmon nouveau pantalon bouffant. Il avait été confectionné dans un tissu léger et soyeux, et surl’étiquette était inscrit FABRIQUÉ EN FRANCE. Voilà l’une des raisons pour lesquelles j’avaisprécisémentoptépourcemodèle-là.Ilmedonnaitaussiunlookàlafoisdécontractéetstylécommejel’aimais.Jel’agençaiavecmont-shirtpasse-partout.Jejetaiensuiteunderniercoupd’œilàmonrefletdanslemiroirafindem’assurerquemapromenadenem’avaitpasébouriffélescheveux.Toutétaitparfait.Jemesentaismoi-mêmeetc’étaitl’important.Jedescendisalorsdanslehall.Àmonarrivée,Béaétaitdéjàlà,assisesurunsofableuciel.Ellesemblaitenvoûtéeparlesparoles
desonbeaupilotePhilippequidiscutaitavecJohn.Jem’avançaiavecunsouriretimide.—Allo,vousautres!Biendormi?demandai-jeinstinctivement.Jenem’attendaispasàuneréponsedétailléedeleurpart,carposercettequestionàunagentdebord
ouàunpiloterevientà leurdemander le traditionnel«Çava?»dontpersonnenesesouciede laréponse.—Oui,bien.Toi?dirent-ilsàl’unisson.— Oui, merci ! répondis-je machinalement. En passant, je m’appelle Scarlett, ajoutai-je en
regardantlepremierofficieretlecommandant.—Salut,Scarlett.Moi,c’estPhilippe.JemetournaialorsversJohnpourqu’ilseprésenteàsontour.—Moi,c’estJohn.Enchanté,Scarlett,medit-ilavecleplusbeaudessouriresqu’ilm’aitétédonné
devoir.—Oùavez-vousprévuallermanger?demandai-jeaupremierofficier,tropgênéepourm’adresser
aucommandant.—Onavaitpenséallerdansunrestoquejeconnaisbien.C’esttrèsbonetilyauneterrasse.—C’estvraiqu’uneterrasseseraitcoolavecletempsqu’ilfait,remarquai-je.—Parfait,alors.Allons-y!déclaraPhilippe.Nouslesuivîmessansrienajouter.Pourévitertoutproblème,unleaderdevaitprendreleschoses
enmains.Combiende fois nous étions-nousdonné rendez-vouspourmanger tous ensemble avantquel’équipagefinisseparsediviserouvisiterplusieursadressesafindesatisfairetoutlegroupe?Ducoup,lorsquel’undenousaffirmaitconnaîtreunresto,personnenes’aventuraitàlecontrediretant qu’il maintenait ses convictions. Comme un troupeau de moutons, nous le suivions vers ladestinationsuggérée.Parcontre,s’ilfallaitqu’ilsemetteàdouterdesonchoixd’établissementpourplaireàtoutlemonde,alorslàlechaoss’installaitaussitôt.«Benlà,c’estencorelointonresto?»«Moi, jeconnaisunendroitpascher.»«J’auraisaimémangerdelapaella.»«Honnêtement,destapas,çanemetentepastrop.»Lesdoutesvenaientsemerlapaniqueet,commedansunavion,celle-ciétaitcontagieuse.Heureusement, ce n’était pas le cas ce jour-là. Tout allait pour le mieux, car notre leader avait
confianceensescapacitésdeguideculinaire.Uneconfianceexagérée,commecelled’unpilote.Ah!Maistiensdonc,c’estqu’ilétaitpilote,voilàpourquoi!Tandisquenousnousdirigionsvers lerestaurant,deuxgroupesseformèrentnaturellement.L’un
étaitformédeBéaetPhilippe,etl’autre,deJohnetmoi.EnmarchantsurleboulevardSaint-Michel,je remarquaique John s’était placéducôtéde la rue. Jene savaispas s’il l’avait fait exprès,maisj’appréciaiscettegalanterie.Béaétait à l’avantavec lepremierofficier.Nous les suivionsdeprès,maisjenepouvaispasentendreleurconversation.Johnetmoinousmîmesàparlerdetoutetderien.Ladiscussionétaitamicale.Jeluiposaimaquestionbrise-glacefavorite:—Çafaitlongtempsquetuesdanslacompagnie?—Dixansdéjà,ettoi?—Troisans.Jetrouveaussiqueletempsapassévite.TufaisaisquoiavantVéoAir?lerelançai-je
avecmadeuxièmequestionbrise-glace.Tout lemonde a un passé et j’ai toujours été intriguée par celui demes pairs. Certains ont des
enfants,une famille,etpuisun jour, réalisantqu’ilsont toujoursvouluêtreagentsdebord, ilsontpostulé.D’autresontétéinfirmiers.Fatiguésdusystèmedesanté,ilsontdécidédeprofiterdelavietout en prenant soin des autres. Parmi mes collègues, il y a aussi une styliste et une championnesportivecanadienne.Lesagentsdebordsont issusdemilieuxplusdifférents lesunsquelesautres.Plusieursontdesdiplômesuniversitairesendroit,enadministrationouenenseignementettravaillentdansl’aviationparchoix.Peut-êtrelespassagersposeraient-ilsunregarddifférentsurnouss’ilslesavaient…Pourlespilotes,avantVéoAir,laplupartavaientvoléloindanslatoundra,làoùiln’existequedes
caribousetquelquesarbresrabougris.D’autresavaientpilotédesjetsprivéspourderichesclientsenpaysétrangers.Ilyavaitaussilesretraitésdel’arméequi,poursetenirenforme,volaientmaintenantàtempspleinsurnosailes.Qu’enétait-ildeJohn?—Ehbien,j’étaisdansleNord,medit-il.J’aipassédesannéesàpiloterpourunepetitecompagnie
là-bas. J’accompagnais souvent des géologues qui devaient analyser la composition du sol. Ensurvolantlesterres,ilspouvaient,avecleurmachine,savoirsiellescontenaientdel’orouunautremétal.Moi,jevolais,c’estcequim’importait.Jen’avaisjamaisentenduparlerdecettetechnique.Bienquetoutçasoitinstructif,jenedésiraispas
vraimentenapprendredavantagesurlesujet.Jesouhaitaisplutôtensavoirplussurlui,sursavie.—Intéressant.Tupassaiscombiendetempsperdudanslesbois?Tudevaistrouverletempslong…— Je restais trois mois là-bas et, ensuite, je rentrais deux semaines chez moi pour retrouver
l’espècehumaine.Aprèstroismois,j’avaisbesoindevoirdumonde,desfemmes,jenepeuxpaslecacher.Malgré tout, j’adoraisvolerdans leNord.C’était le calmeplat.La saintepaix.Rienque lehurlementdesloups.Çan’avaitpasdeprix.
En l’écoutant, je m’imprégnais de ses mots et de ses pensées. Étant originaire des Laurentides,j’adoraismoiaussilanature.D’ailleurs,jemedemandaisd’oùilvenait.—Ross,c’estdequellerégion,ça?—D’Irlande.Monpèreestirlandaisetmamèreestquébécoise.—Ah!C’estpourça,tonpetitaccent?—Àpeineperceptible,non?dit-il,visiblementfierdebienparlerlefrançais.—Oh!Oui!Tuparlestrèsbien!J’espèrequejenet’aipasinsulté,répliquai-je,inquiète.—Justeunpeu!blagua-t-ilenaffichantunsouriredésarmant.L’entendre parler me confirmait tranquillement le bien-fondé de mon attirance inexpliquée.
J’espérais tellement que rien ne clocherait d’ici à la fin de la soirée, car pour une fois quelqu’unm’intéressait.—Scarlett,çavientd’où,ça?merelança-t-il.—D’unemoderidiculedesannées80!—Jenecomprendspas…—Justement,moinonplus!ris-jeavantd’apporterplusd’explications.Mamèreestquébécoiseet
elleneparlepas l’anglais.Monpèrenonplus.Malgréça, ilsontdécidédemedonnerunprénomanglophonepourfaire«international»!Sérieusement,qu’est-ceque«Scarlett»peutbienfaireavec«Lambert»?C’estunhorribleagencementdeprénometdenomdefamille.Tunetrouvespas?—Euh ! J’aimebien«Scarlett » et «Lambert » aussi.Mais ensemble, tu as raison, cen’est pas
l’idéal.—C’estça!C’esthorrible!—Etc’estunemode,ça?—Jenesaispaspourquoi,maisdesJohnnyDrouinetdesKevinPomerleau,j’enavaispleindans
mesclassesdeprimaire.Lesgensdevraientréfléchirunpeuplusavantdenommerleursenfants!—Wow !Tu es véritablement révoltée !En tout cas, tu es devenue internationale,mademoiselle
Scarlettl’hôtessedel’air,m’annonça-t-ilavecunéclatderire.—C’estvrai!Mercidem’encourager,monsieurlepilote!fis-jeavantderougirdegêne.Aprèsseulementquelquesminutesdemarche,nousarrivâmesdevantunrestaurantnomméLePré
Verre.Nousnous installâmesà la terrasse.Béa s’assitdevantmoi,Philippeàmescôtéset Johnenfacedelui,dansmadiagonale.Nouscommandâmesd’abordunebouteilledevinrougesuggéréeparnotreserveur.Aprèsquelquesgorgées,jemedégênaienfin.Jen’avaispasàêtretimide,d’autantqu’iln’yavaiteuaucunrapprochement.Jen’arrivaispasàsavoirsil’attiranceétaitréciproque.JevoyaisbienqueBéaplaisaitàPhilippe,maisàl’inverseJohnnem’avaitdonnéaucunsigneprécis,bienquejesentaisquelachimieétaitlà.Pendantlesouper,sanssurprise,nousparlâmesd’avions,depassagersetdepotinsconcernantnos
collègues. John riait avec nousmais demeurait discret, n’intervenant que pour donner son avis ouajouter une information pertinente. À unmoment donné, peut-être en raison de notre trop grandeconsommationd’alcool,laconversationbifurquaversuneautredirection:ledémondemidi.— Est-ce que c’est vrai que les hommes commencent à vouloir aller voir ailleurs lorsqu’ils
approchent de la quarantaine ? demanda Béa dans le but évident de tâter le terrain auprès de sonPhilippe.— Euh, John pourrait peut-être vous en parler ? rétorqua le premier officier pour esquiver la
question.De toute façon, nous apprendrions plus tard que Philippe n’avait que trente-quatre ans et était
célibataire, alors comment aurait-il pu répondre ?Wô là !Un petit instant ! Si Philippe refilait la
question à John, est-ce que ça voulait dire que ce dernier était en couple ? Jem’alarmai.Déjà, jesentaisladéceptionm’envahir.J’allaisavoirmaréponseincessamment.—Ah!Ledémondemidi!Ehbien,j’aitrente-neufanset,curieusement,plusjemerapprochede
quarante,plusj’ail’impressionquejepensedifféremment,affirmaJohn.Je venais d’apprendre son âge, et selon moi, vu sa belle gueule, il était impossible qu’il soit
célibataire.Jedevaisenavoirlecœurnet.—Etçafaitlongtempsquetuesavectablonde?luidemandai-jesansretenue.«Voilà,d’iciuneseconde,j’auraitouslesdétailsdesavie»,pensai-je.—Huitans.Cen’estpastantmafemmenimesenfantsquimefontvivrecefameuxdémondemidi.
C’estplutôtunmélangedetoutcequisepassedansmavie,nousconfiaJohnnaturellement.Jevoulaism’évanouir.Unefemme?Maisoùétaitpasséesonalliance?Peut-êtrenelaportait-ilpas
parpeurdelaperdre?Peuimporte,toutl’intérêtquejetémoignaisàmonbeaucommandantn’avaitd’autre choix que de disparaître immédiatement. Non seulement il était en couple depuis huit ans,mais il venait dementionner qu’il avait des enfants. Des enfants ! Pas un,mais DES enfants ! Le«des»évoquantofficiellementlepluriel,Johnenavaitdoncaumoinsdeux.Possiblementplus!Ledésastre!Commentavais-jepum’intéresserautantàunhommedontjeneconnaissaisrienetqui,desurcroît, étaitunpilote?Malheureusement, l’attirancenes’expliquantpas, jenepouvaisnullementm’envouloird’avoirétéséduiteparlui.Jeseraisdéçueunejournéeoudeuxet,ensuite,jepasseraisàautrechose.Enfin,c’estcequej’espérais.J’avais soudainement le goût de retourner à l’hôtel, mais Béa, après m’avoir jeté un regard
chagriné,entrepritdesoutireràJohnunquelconqueaveud’infidélitépourrestaurermonhumeur.Meconnaissant,elleauraitdûsavoirquetoutesmesespérancesétaientmaintenantanéantiesetque,mêmes’ilétaitprêtàbatifoler,jenem’embarqueraisjamaisdansunetelleaventure.Néanmoins,ellelançaavecladéterminationd’unSherlockHolmes:— À ce qu’on dit, le démon de midi n’a rien à voir avec le fait de penser différemment. Les
hommesveulent toutsimplementcourir lagalipetteavecdes fillesplus jeunes. Ilsveulentsauter laclôture,voilàtout!Pastoi,John?—Euh,lacrisedelaquarantainepeutimpliquerundésird’allervoirailleurs,maispasforcément.
Enfait,pourmapart,jeremetsbeaucoupdechosesencause.J’ail’impressionquejen’enaipasfaitsuffisamment dans le passé et je veux seulement que les prochaines années s’écoulent autrement.Certainssouhaitentseremettreenformeous’adonneràdesactivitésquileurplaisent.Mettonsqu’encequimeconcernejeveuxpenserplusàmoi,affirma-t-ilsincèrement.J’appréciaissonhonnêteté.Iln’avaitpasesquivélaquestion,carildevaitsedouterqueBéaetmoi
allionsfouinerdavantages’ilnedisaitrien.Etiln’avaitpastort.Nousétionsagentesdebord,ilnefallaitpas l’oublier.Entremembresd’équipage,nousabordions souventdes sujets trèspersonnels.Nousétions,enquelquesorte,unegrandefamille.Seulbémol:cettefamillenegardaitrienpourelle.Ellerépétaittoutaussitôtl’avionatterri.Entoutcas,Johnn’avaitrienconfiédetrèsjuteux.Toutallaitdoncresterbientapisouscettetableparisienne.Etpuisiln’avaitrienditdecompromettantàproposdel’infidélité.J’enétaissatisfaite.Aumoins,j’avaiseulebéguinpourungarscorrect.LaconversationfutpriseenchargeparPhilippe,soudaindécidéànousfairepartdesonavis.—Eh bien,moi, je crois qu’aller voir ailleurs de temps en temps peut sauver bien des couples,
déclara-t-il,letorsegonflé.J’aidéjàtrompémonex-blonde,etquandjeleluiaidit,elleacomprisparce que ça avait positivement joué surmon humeur.Une fois par-ci par-là, ça ne fait demal àpersonne.Je ne pouvais pas en croiremes oreilles. Voilà que Pilote-salopard voulait nous convaincre des
effetspositifsdel’adultère.Sic’étaitsonopinion,iln’étaitpasfaitpourBéa,carellecroyaittoutdemêmeà la fidélité.Elleme regarda, indifférenteà sespropos. Jecomprisqu’ellevenaitdeclasserPhilippe au rang de ses nombreuses conquêtes nocturnes. Une nuit en valait peut-être la peine.Maximumdeux.Jenepusm’empêcherd’attiserlefeulégèrement:—Enpassant,tun’esplusavecelle!(«Idiot!»)Alorsjenevoispascommenttupeuxaffirmerque
tromper l’êtreaiméà l’occasionsauvedescouples.Etpuis, tuaspenséàsonhumeuràelleen luiavouant ton infidélité ? Au lieu de te demander ce qui ne fonctionnait pas entre vous deux, tu aspréférémettreleproblèmesurlecomptedetalibido.C’estvraimentlâchedetapart.Décidément, ce débat n’allait pas améliorer la soirée. Je regardai notre serveur et lui demandai
l’addition. Jevoulaisdéguerpir auplusvite. Je laissaiPilote-salopard se justifierpendantquelquesminutes. Béa ne cherchait pas à en rajouter. John, pour sa part, écoutait son premier officier etrigolait avec lui de sa philosophie libertine. Je comprenais bien le regard qu’il posait sur lui. Iln’adhéraitpasàsaconceptiondesrelationsamoureuses,maiscommePhilippes’exprimaitavecuneassuranceetuneconfiancedémesurées,çal’amusait.Sonpremierofficieragissaitenquelquesortecommelegarsquidétailleseshistoiresdeculdansunvestiairedehockeypour impressionner lesautresjoueurs.C’étaitdivertissant,maisstupide.Machambred’hôtelm’attendait.Lorsquel’additionarriva,JohnsechargeadepayerlesbouteillesdevinavecPhilippe.Cefuttrès
apprécié,carbienquelespilotesgagnentlargementplusquelesagentsdebord,ilsn’offrentquetrèsrarement le vin. Ce soir, pilote n’était pas synonyme de radin. Nous nous dirigeâmes alors versl’hôtel.Malgré tout, j’aurais aimé prolongerma soirée avec John,même si aucun rapprochementn’étaitpossible.Sonénergiem’hypnotisait.Àmongranddésespoir…Quandnousparvînmesdevantlaportedel’hôtel,PhilippeproposademarcherprèsdelaSeine.«Si
Johny va, j’irai », pensai-je.Hélas, il refusa, préférant retourner à sa chambre afin de se reposerpourlevoldulendemain.N’ayantplusd’intérêtpourcettepromenadeauborddel’eau, jedéclinaiégalementl’invitationetjelaissaiBéadanslesbrasdePilote-salopard.Je pénétrai dans le hall de l’hôtel en m’assurant bien de devancer John de quelques pieds pour
montrermondésintérêtàsonégard.Jefilaidirectementverslesascenseursenm’imaginantqu’ilmesuivrait.Maissachambreétantsituéedansuneailedifférentedubâtiment,cenepouvaitêtrelecas.Jel’entendisalorsmesouhaiterbonnenuitdesavoixfermeetenvoûtante.Incapablederépondrequoiquecesoit,jenedisrien.Ducoindel’œil,jepusvoirsasilhouettefigéederrièremoidansl’attented’un « bonne nuit » réciproque. Devant mon silence, il finit par tourner les talons. À cet instant,sachantquejen’auraispasl’occasiondevoleravecluilelendemain,j’imprimaidansmessouvenirscette ombre remplie de charme qui s’éloignait. Seul l’avenir me dirait si je la reverrais bientôt.Malgrémoi,j’espéraisquecejourviendrait,etvite.
A
Chapitre7
Montréal(YUL)–Paris(CDG)–Québec(YQB)–Toronto(YYZ)–Barcelone(BCN)
yantététrèsoccupéeàvolertoutl’été, j’avaisenfouimonbéguinpourmoncommandantloindansmespenséeset jenem’attendaispasàcequ’ilresurgissedesitôt.Enseulementquelques
mois,j’avaisvoyagéaussiloinquelaTurquieetj’avaisvisitélesplusbellesvillesd’Europe.Avecunhorairedéfiniquimefaisaitpartirjusqu’àunesemaineentière,j’avaisperdulanotiondutempsetjefonctionnaismaintenant avec la bonne vieilleméthode des dates du calendrier pour planifiermessorties.—Tueslibresamediprochain?medemandaientmesamis.—Non,sic’estunsamedi,c’estcertainquejetravaille.—Alorsjeudiprochain?merelançaient-ils.—C’estquelledate,ça?Le19?Oui,jepensequejesuislibre.Etpuis,enregardantmonagenda,jeréalisaisquejerevenaisle19à18heures.Jeseraissûrement
trèsfatiguéeaprèsmonvol.Etcomme,desurcroît,unretardpouvaitsurvenir,jepréféraisfinalementnerienplanifier.Je n’avais pas revu Paule et Rachel, mes copines mamans, depuis notre dernière rencontre en
février.Ellesavaientbienorganiséunbarbecuedurantunchaudweek-enddejuillet,maisencoreunefoisjevolaisetjen’avaispufaireactedeprésence.J’étaisloind’enêtrepeinée.Quant à Béa, elle avait revu son pilote trois fois,mais avait ensuite cessé toute liaison lorsque,
durantunvol,unecollègueavait racontéqu’elles’était«amusée»avecuncertainPhilippeBurns,premierofficierdesonétat.Béan’avaitpas faitdescandale,maisnedésirantpasêtre l’hôtessedel’airno50surlalonguelistedesestrophées,elleavaitaussitôtcoupélespontsavecPilote-salopard.Jem’enétaisévidemmentréjouie.Rupert-porte-malheur, lui, nous fit rire tout l’été avec ses histoires rocambolesques.Un jour, un
passagermalade avait déversé tout son repas digéré sur sonbel uniforme en se dirigeant vers lestoilettes.Uneautrefois,Rupertavaitdûs’interposerentredeuxpassagèresfrustréesquiétaientprêtesàsebagarrerpourl’accoudoirqu’ellesnevoulaientpaspartager.Ilyavaitaussieucettesituationoùunhommeétaittellementsoûlqu’ils’étaittransforméenfouàlier.Lesprocédurespourprotégerlepostedepilotageavaientdoncétéappliquéesetl’avionavaitatterriàmi-parcoursenIslandepoursedébarrasserdupassagernuisible.Je ne pourrai jamais prouver scientifiquement que Rupert attire le malheur sur les avions qu’il
prend,mais jesuisconvaincuequ’ilenfutà l’origineence jourdumoisd’aoûtoù il fitpartiedemonéquipage.Quiplusest,moncharmantpiloteallaitêtretémoindenotremésaventure.
***
Pour moi, une valise en soute est synonyme de frustration constante. Après un vol, je suissuffisammentfatiguéepourm’offrirleluxedenepasattendrel’arrivéedemagrossevaliseauxcôtésdemespassagers.Évidemment,selonlesdestinations,lesagentsausolpeuvents’assurerderetirerenprioritélesbagagesdeséquipagesetnouslesrefilerenbasdel’escalieroudansunsecteurquinousestréservé,maiscommejen’aiaucuneenvied’angoisseraveclapertedemeseffetspersonnels(etçaarrive!),jepréfèren’emporterquemoncarry-onetleprendreavecmoiàborddel’avion.Cejour-
là,j’avaisdoncconvenuavecRupertqu’ilferaitdemêmepourquenouspuissionsnoussuivrel’unl’autresansdevoirattendre.Naturellement,ilavaitrouspété.—Maisjevaisdevoirroulermonlingeetjenepourraipasemportermesdeuxpairesdejeans!—Benvoyons,Rupert,simoij’airéussiàcompressertousmesvêtements,tudoisbienêtrecapable
delefaireaussi!rétorquai-je.Etpuistun’asbesoinqued’unepairedejeans,pasdedeux!—Ouais,maislà,jenepourraimêmepasrapporterdesouvenirs!s’était-ilobstiné.—Faisdonccequetuveux,c’est toiquivasstressersi tuperdstavalise.Onnefaitpasjusteun
Parisdirect,cettesemaine,tulesais.Pourladeuxièmeportionducourrier,onpartdeQuébec,onfaitunstopàTorontoetensuiteonfileàBarcelone. Ilva falloirattendre tagrossevaliseàPearsonetl’enregistrerdenouveauaucomptoir.Etça,c’estsielleestlà!J’étais décidée à le convaincre de voyager léger pour son bien, le mien et celui de mon futur
équipage,carc’étaitconnu,Rupertperdaitsesvalises.Ilavaitcédéauboutd’unedemi-heure.Nous partîmes unmercredi soir, pour ne revenir à notre basemontréalaise que le lundi suivant.
C’était un périple de six jours qui comprenait plusieurs vols et qui nous faisait traverser l’océanAtlantiquequatrefois.Lesdétailsdesvols,jenelesconnaissaispasetjecomptaissurmescollèguespourmelesexpliquer.NiRupertnimoin’avionsimpriménotreitinéraireetjenesavaisdoncpasàcemoment-làquemoncherJohnRosss’ajouteraitàmonéquipage.Pour toutdire, nousn’étionsquequatre ànous suivre tout le longde ce courrier.Àchaquevol,
nousnousjoindrionsàdesagentsdeborddifférents,cequivoulaitdireque,pendantsixjours,nousdevrionsnousadapteràtoutessortesdepersonnalités.Aumoins,jeconnaissaisbienlesdeuxautrescollèguesquinousaccompagneraienttoutletempsetjesavaisqu’aucunproblèmenesurgiraitavecelles. Ilyavaitd’abordAnna,unebellebrune,gentilleetdélicatequin’élevait jamais le tonetquis’entendaitavectoutlemonde.EtilyavaitIshma,unejolieIndiennenemesurantpasplusque5piedset3pouces.Elleportaitdestalonstellementhautsqu’unsimplecoupdeventlafaisaittrébucher.Elleavait l’airdouce,maisne s’en laissaitpas imposer.Elle sepermettait toujoursdemedemanderdefermerlescompartimentsàbagagesàsaplace,carelleétaittroppetitepourlefaire,mêmeavecsestalons.Sijen’étaispasdanslecoin,elledevaitsautillerdrôlementpouryparvenir.QuantàRupert,lederniermembredenotrequatuor,cen’étaitcertainementpasluiquiallaitsemerlapagailledanslegroupe,carilétaitunfidèleserviteurdesespassagers.Lors de la première portion du courrier, nous effectuâmes un vol vers Paris. Nous y passâmes
quelquevingt-quatreheureset,dèslelendemain,nousretraversâmesl’AtlantiqueendirectiondelavilledeQuébec.Jusque-là,touts’étaitbienpasséetRupert-porte-malheurétaitrestésagementblottidanssacachette.C’étaitinespéré,maisçan’allaitpasdurerlongtemps.Aulendemaindenotrearrivéedanslacapitalenationale,ilnousfallaitdéjàrepartir.Nousdevions
quitter l’hôtelà15heuresafindegagner l’aéroport.Le téléphonesonnacommeprévuà14heuresdansmachambrepourmeréveiller.Lavoixenregistréeannonça:—Bonjour,icivotreréveil.Hello,thisisyourwake-upcall.Jeraccrochaiaussitôt.Commed’habitude,j’avaisessayédefaireunesiesteavantmonvol,maisvu
quenousétionsenpleinjour,lesommeilnem’avaitpasemportée.J’étaistoutdemêmerestéesousles couvertures àme relaxer.Après l’appel automatisé, jeme levai promptement et sautai sous ladouche.C’estlàquelesmalheurscommencèrentàs’enchaîner.—Dring!Dring!Dring!Dring!Dring!Dring!Étantsousl’eau,jetendislamainverslecombinéquisetrouvaitdanslasalledebain.Commeje
venaisderépondreàl’appelduréveil,jecomprisrapidementquejen’entendraispasunemachineauboutdufil.
—Oui,allo?—Bonjour,Scarlett,c’estcrewsked.C’estpourt’informerqu’ilyaunretardd’uneheuresurton
vol.Ledépartdel’hôtelestmaintenantprévupour16heures,m’annonçauneemployée.Malheur no 1 ! Je n’étais pas surprise, ni déçue, ni rien. Des retards, ça arrivait. J’aurais aimé
recevoir l’appel avant ma sieste ou avant ma douche, mais bon, j’allais me préparer et restertranquilledanslachambreenattendantlenouveaudépart.À16heures,jedescendisdanslehallpourrejoindremestroiscollègues,etnouspartîmesensuiteendirectiondel’aéroport.Cequimedégoûtaitn’étaitpasce retard,mais le faitquenousdevionsentamernotre journéede
travail dans un avion sale. Malheur no 2 ! En fait, l’appareil arrivait de Paris et continuait versToronto.Quelquespassagersdescendaient àQuébec et d’autrespoursuivaient levoyage avecnousjusqu’enOntario.Quatremembresd’équipagedébarquaientégalementetétaientremplacésparnotrequatuor. Nous allions donc travailler une heure avec le reste de l’équipage arrivant de Paris et,ensuite, en rejoindre un autre à Toronto pour effectuer un vol en direction de Barcelone. J’étaiscomplètementmêlée.Mieuxvalaitmelaisserporterparlecourant.Ilvasansdirequecenefutpasunplaisird’embarqueràborddecetavion.Lespassagers,exténués,
n’affichaientpasuneminetrèschaleureuseetjen’osemêmepasparlerdel’odeurderenferméquiflottaitdans lacabine.Et les toilettes?Commentunagentdebordpeut-ilêtre remplide joieetdegaieté quand, avant d’entamer son vol, il doit ramasser sur le plancher de vieux bouts de papierhygiéniqueimbibésdepipi?L’aviationrequérantunetonne,voireunemégatonne,deflexibilité,jefis mon travail sans rechigner. Jusque-là, je n’appréhendais toujours pas la longue journée quim’attendait.N’embarquant pas d’autres passagers vers Toronto, nous attendions leOK du commandant pour
fermer la porte. Soudain, le directeur de vol fut appelé dans le poste de pilotage. Il en ressortitlégèrementcontrarié.—Problèmehydraulique.Retardd’aumoinsuneheure,nousdit-il.Malheurno3!Ilfitalorsuneannonceauxpassagersafindelesinformerdelasituation.Rupertvint
àl’avantdel’avionpourmeparler.—J’aidiscutéavecIshmaetAnnaetellesdisentqu’onvadevoircouriràToronto,parceque,si
nousnedécollonspasd’iciuneheure,onrisquedemanquernotrevolversBarcelone.Rupertgigotait.Ilétaitquasimentpaniqué.Commelasituationnepouvaitêtrechangée,j’essayaide
lecalmer:—L’équipagen’auraqu’àcommencerl’embarquementsansnous.Cen’estpasplusgravequeça.
De toute façon, crew sked sait qu’on est pris ici, quelqu’un du département n’a qu’à appeler desréservess’ilsneveulentpascréerderetard.Aprèspresqueuneheure,leschosessemblèrentévoluer.Unmécanicienvintparleraucommandant
etj’entendisun«OK».Nousallionspouvoirpartir.Nousfermâmesladernièreporteetdécollâmes.Envol,nous regardâmesnotre itinéraireet réalisâmesqu’en fait l’avionquidevaitnousameneràBarcelone était celui dans lequel nousnous trouvions.Personnenepourrait doncpartir sansnous.C’étaitdéjàça.Une fois l’avion atterri à Toronto, les passagers débarquèrent en un rien de temps. Il était
maintenant 19 h 30. Les autres membres d’équipage nous quittant, nous les saluâmes rapidement.Comme ce vol avait pour origine la ville de Paris, nous devions nous aussi passer les douanescanadiennes.Désormais, jenem’inquiétaisplusdenotreretard,carl’appareildevaitêtrenettoyéetravitaillé. Nous aurions, en théorie, tout le temps nécessaire pour traverser les douanes et nousredirigervers labarrière.D’ailleurs, jemedemandaisà laquellenousdevionsnousrendre,cardu
pontdedébarquementjenepouvaisvoiraucunnuméro.Pour le savoir, je regardai le tableau indicateur dans l’aire d’attente où se trouvaientmes futurs
passagers.Curieusement,ledécollageétaitannoncépour23heures.J’eninformaimescollègues:—Euh, c’est quoi notre numérodevol pourBarcelone ?Parceque, sur le tableau, il est inscrit
23heurescommeheurededépart…—Attends,jevaisvérifier,meditdoucementAnna.Ellepritalorsl’uniquecopiedenotreitinéraireetregardalenumérodevol.—642,répondit-elleenfin.—Hum, c’est bien lemême que celui sur le tableau, sauf quemaintenant le vol est prévu pour
23heuresetnon20heures.C’estquoileproblème?m’exclamai-je.Rupert,quiétaitdéjàsurlesnerfs,s’agitaencoreunefoisetnousditdel’attendre.Ilsemblaitdécidé
àéclaircirauplusvitecemystère.Ilsepostadevantl’immensevitretransparentequiséparaitlesdeuxaires, celle de l’arrivée et celle du départ. Il s’adonnait à être juste à côté du comptoird’enregistrement. Il cogna brutalement sur la vitre pour attirer l’attention de l’agente derrière lecomptoir.Songeste la fit sursauteretellese retourna,curieusedesavoirquiosait l’importuner. Ilapprochasonvisagetoutprèsdelavitreetcriatrèsfort:—PourquoilevolpourBarceloneestmaintenantà23heures?L’agente leva lesyeuxaucielet luisoupira, telleuneévidence,cequenous tousnevoulionspas
entendre:—Retard!Ilsontrepousséledépartdetroisheurespourréglerunproblèmemécanique.Malheurno4!Jenelecroyaispas.Encoreunretard!Moiquipensaisqueleproblèmehydraulique
avaitétérégléàQuébec…Nousétionsdéjàfatiguésetnousn’avionsmêmepascommencénotrevraivol. Rupert était rouge écarlate. Anna, muette. Ishma avait mal aux pieds avec ses talons. Notrejournéequi,d’unecertainefaçon,n’avaitpasdébutés’annonçaitillégalementlongue.Nouspassâmeslesdouanesencalculant.Selon notre convention collective, si nous dépassions un certain nombre d’heures en service, il
n’étaitplus légalpournousdevoler. Il fallaitparler immédiatementàcrewsked. «Peut-êtrequ’ilsnousontdéjàremplacésetquenousdormironsàTorontocettenuit»,pensai-je.Lorsque nous arrivâmes dans la salle d’équipage, nos futurs collègues étaient déjà là. Je ne
connaissaispersonne,maiscommetoutlemondeneparlaitqueduretardduvol,nousfîmespeudeprésentations.Étantnovicesencequiconcernaitlesrèglesdenotreconvention,nousfaisions,d’unecertaine façon, confiance à notre compagnie. Ishma, à peine plus expérimentée que nous, contactacrewsked pour s’enquérir de la situation. La conversation entre son interlocutrice et elle s’anima.Ishmanousinformaquecrewskedn’avaitpasappeléd’autresagentsdebordpournousremplaceralors qu’il était évident que, avec cette nouvelle heure de départ, nous dépassions notre temps deservice.On nous demandait d’effectuer le vol quandmême. Pour que nous puissions prendre unedécisionéclairée,Ishmademandaderecevoirunnouvelitinérairedevol.Enattendantd’ensavoirdavantage,jemedirigeaiverslestoilettes.Enressortant,jepassaidevantla
pièceréservéeauxpilotes.Saisie,jemefigeaibrusquementdevantlaporte.Làétaitassisquelqu’unquim’étaitfamilier.J’entraiinstinctivement.—Salut,John!dis-jetimidement.Ilrelevalatête.Sonregardinondalemien.Jesentisquecettevisite-surpriseluiplaisait,carilme
sourit.Mesjambesseramollirent.—Hey,toi!Commentvas-tu?medemanda-t-il.—Hum,plusoumoinsbien,notrevolaétéretardédetroisheures.Onvadépassernotretempsen
devoiretcrewskednenousapasremplacés,luiconfiai-je.—Commentça?Tun’iraispasàBarceloneavecmoi,parhasard?s’enquit-il,l’airheureux.—Euh!Ondiraitbien.Maisjenesaispasvraimentcommentcettehistoirevaseterminer…J’étaissoudainementunpeuplusmotivéeàl’idéed’effectuercevol,mêmesidanslescirconstances
nousnedevionspaslefaire.— Je ne comprends pas pourquoi ils ne vous ont pas remplacés, parce qu’ils ont appelé un
troisièmepilotepourqu’onsoit«légal»pourpartir,remarqua-t-il.Jen’enrevenaispas!Jecomprenaisqu’unpiloteaitbesoinde toutesaconcentrationpourvoler,
maiscen’étaittoutdemêmepasuneraisonpournégligerlesagentsdebordqui,euxaussi,seraientcrevésd’iciàladescenteversBarcelone.Silesyndicatavaitfixéunnombred’heuresmaximumenservice,cen’étaitpaspourrien.Malgrélaprésencedemonbeaucommandant,j’étaisbiendécidéeàréglercetteaffaire.Si,selonlaconvention,jenedevaispaspartir,jen’iraispas,etce,mêmesiJohnétait là. Je me dirigeai vers mon groupe. Ishma, Anna et Rupert venaient de recevoir la fameusetélécopie.—Crewskednousaenvoyéunitinérairedevolavecundépartprévupour20heures.Cen’estpasla
vraieheurededécollage.IlfautsavoirquandonvaarriveràBarcelonepourdécidersionrefusedefairelevol!meditIshma.—Jevaisallervoirlecommandant!répondis-jed’unairfaussementcontrarié.Je retournai auprès de John. J’étais heureuse de pouvoir lui parler deux fois en l’espace d’une
minute.Jeluidemandailetempsdevolprévujusqu’àBarceloneetrevinsavecl’information.—Lecommandantm’aditqu’ondevraitatterrirlà-basà12h50,déclarai-je,nesachantpasquoien
penser.Rupert posa alors ses deux mains sur ses tempes et baissa les yeux au sol. Il calculait. Anna
observait legroupeavecunregardvide.Moiégalement.Jusqu’àmaintenant, jen’avaisjamaiseuàcomprendremesloissyndicales.Jeconnaissaisquelquesrègles,bienentendu,maisjenesavaistropque faire dans ce genre de cas. Pendant cemoment de silence, je tentai tout demême de saisir lasituation.«À14heures,j’aiprismadouchecommeprévu.À15heures,j’étaiscenséealleràl’aéroport,mais
je suis finalement partie à 16 heures. À 17 heures, il y a eu un autre retard. Puis un autre. Il est21heures.Çafaitdéjàseptheuresqueje“travaille”,maisenfaitjen’aipasencoreeffectuémonvraivoldehuitheures.Ayoye!Çaveutdirequejevaistravaillerunejournéededix-septheures?Jesuismêlée!»medis-jeavantd’êtreinterrompuedansmespenséesparleverdictdeRupert.—Onn’estpaslégal!Il fallait rappeler crew sked. Ils avaient encore du temps pour contacter des agents de bord de
remplacement.D’ailleurs,pourquoinel’avaient-ilspasdéjàfait?Ishmapritlecombinédutéléphoneetcomposale9pourjoindredirectementl’affectationdeséquipages.Lamêmeemployéeréponditàl’autreboutdufil.—Vanessaàl’appareil,j’écoute.— Oui, c’est Ishma, à Toronto. Nous sommes programmés sur le vol de Barcelone qui part à
23heures.Nousavonscalculénotretempsendevoiretiln’estpasréglementaire,alorsnousrefusonsdefairelevol,déclara-t-ellesolennellement.—Ilesttroptardpourappelerdesréserves.Vousallezavoirvotreprime.Ilfautquevouslefassiez,
intimaVanessad’untonautoritaire.—Nous allons dépasser nos heures en service.Nous sommes crevés.Nous sommes en droit de
refuseretnousrefusons,renchéritIshma.
— OK. Je vais vous remplacer, répondit son interlocutrice, contrariée. Restez dans la salled’équipage,jevaisvousrappelerpourvousdireoùvousallezdormir.Ishmaraccrochaetnous résuma laconversation.D’unecertaine façon, j’étais soulagéequeçase
termine ainsi, car nous étions déjà exténués. Jem’imaginaismal en train de servir des Espagnolsbruyantsetderamasserdesplateauxsalesdurantlaprochainenuit.Enattendantdesavoirdansquelhôtelnousdormirions,jem’assissurunbancpourmerelaxer.JevisalorslasilhouettedeJohndanslapièced’àcôté.Unsentimentdedéceptionm’envahit.Maisjemedisqu’ilétaitpréférablequejenevolepasavec lui. Jenedésiraispasêtre tourmentéedavantage.Déjàqu’unsimple regardavait faitfléchirmesjambes…Surlebancétaientassisàmescôtésdesmembresd’équipage.L’und’euxseprésentaàmoicomme
étantledirecteurdevol.Ils’appelaitRobertoetparlaitenanglais.Ilserenseignasurlasituation.Ilavaitl’aird’accordavecnotredécisionetnousrassuragentimentennousdisantquenousétionsendroitderefuserd’effectuerlevol.Soudain,letéléphoneretentit.Ishmadécrocha.—Bonjour,c’estIshma.—Oui, c’estVanessa, decrewsked, j’aimerais parler àRoberto, tondirecteur devol, déclara la
voixféminine.Robertoagrippalecombiné.Jel’observais,intriguéeparlaconversation.Aprèsuncourtinstant,sa
gestuelle changea radicalement. Quelques minutes auparavant, ce même Roberto semblaitsympathique,compréhensifetagréableàcôtoyer.J’avaisappréciésasolidaritéànotreendroit,maiscurieusement je ne ressentais plus autant d’empathie de sa part. Son regard complice envers notregroupevenaitdesetransformerenunregardterrifiant.J’avaismaintenantpeurdecequ’ilallaitnousdire et je doutais que son opinion soit restée lamême.Après quelquesOK, il raccrocha d’un airdécidéetnouspointadurementdudoigt.—Thefourofyouarecomingwithme!Youareoperatingtheflight.Endofstory!GOTIT?Robertonenousposaitévidemmentpasunequestion.Iln’yavaitpasmatièreàdiscussionetj’avais
trèsbiendéchiffrésonmessage.Enclair,çavoulaitdire:«Vosgueulesetaudiablelafatiguepourcesoir!»Nousétionsabasourdis!Décidément,personnenenousavaitécoutés.Malheurno5!No6 !No7!No8!Aprèsnousavoirordonnédelesuivre,Robertoramassasavaliseettoussespapiersets’écria,tel
unchienenragé:—Let’sgo!Everybodyontheplane!NOW!Lerestedel’équipageluiemboîtalepas.Encoresouslechoc,jelesuiviscommelesautres,carje
ne voulais pas perdre mon emploi. D’ailleurs, peut-être Vanessa avait-elle menacé Roberto en cesens?Jenesavaispasquelavaitétésonargument,maischosecertaine,ilavaitfonctionné.Mespiedsavançaient, poussés par la peur. Je ne connaissais pas mes droits. Rupert non plus. Anna suivaitderrière et Ishma marchait de peine et de misère avec ses talons trop hauts. Légalement, nouspouvionspartir,maisenmêmetempsnousétionsconscientsquerefuserd’effectuerlevolrisquaitdecréerunretardsupplémentaire.Nouspoursuivîmesnotrecheminenécoutant lesmembresdenotreéquipageexprimerleursopinionssurlasituation.—Sivousentrezdanscetavion,vousnepourrezpasenressortiretvousserezobligésdefairele
vol,ditl’un.—Vousavezledroitdepartir.Ilfautrespecterlaconvention!ditunautre,prosyndicaliste.Ni les autres ni moi n’avions la volonté d’empirer la situation. Nous n’avions jamais voulu
offusquerquiquecesoit.Nousavionsfaitleschosescorrectementetsignalénotrerefusdecontinuerlorsqu’il était encore temps, en vain.Maintenant, nous étions tirés contre notre gré par une corde
invisibleverscetaviondemalheur.Monamourpource jobvenaitsoudainementdes’évaporer.JeméprisaisRobertod’agirainsi.JeméprisaisVéoAir,l’aéroport,lesavions,tout!Malgrécela,nousmontâmesàbord.J’avaisleslarmesauxyeuxensongeantquejenedormirais
pascettenuitetquejem’envoleraispourBarcelone.C’étaientdeslarmesd’impuissanceetderage;iln’yavaitplusdeplacepourl’argumentation.Jedéposaimavalisedansuncompartimentàbagagesetcommençaimes vérifications d’avant vol. Je tâtai à peine sous les sièges. J’oubliai de vérifiermatroussedepremierssoins.Jenerecherchaipasd’armesàfeudanslespochettes.Toutçan’avaitplusaucuneimportance.Jem’enfoutais!Commed’habitude,jepartissignerlafeuilled’urgencepourcertifierquemesvérificationsavaient
étéeffectuéesselonlesrègles.Lorsquej’arrivaienavant,Robertotenaitlepapierdanssesmainsetmeletendit.Avantd’yapposermasignature,jeleregardai,décidéeàl’affronter.— Je pourrais ne pas signer cette feuille si je le voulais ! déclarai-je dans le but de lui faire
comprendrequesescrisetsesordresn’avaientrieneuàvoiravecmadécisiond’embarquerdanscetavion.Roberto me scruta en arquant son sourcil gauche, puis il me lança avec un je-m’en-foutisme
exagéré:—Sorry,Idon’tspeakFrench!—Whatdoyoumeanyoudon’tspeakFrench?Jen’enrevenaispas!Ilneparlaitpasfrançais!Jesentaismonterlatensionentrenousdeux.Jeme
disquej’auraispeut-êtredûmetaire.Maisjen’enavaispasenvie.J’allaisluitenirtête,oudumoinsessayer.Enentendantmaquestionchargéededéfi,ils’approchaplusprèsdemoietdéposasesdeuxmainssurundossierdesiège.Ilfronçalessourcilsetrépliqua:—No,Idon’tspeakFrenchbutIspeakPolish,GermanandSpanish.Youhaveaproblemwiththat?Jemourais d’envie d’entamer une discussion à ce sujet. Car oui, son ignorance du françaisme
posaitbienunproblème.Iltravaillaitpourunecompagnieaériennecanadienneoùl’unedeslanguesofficielles était le français !Dans lemilieu du voyage, et surtout dans l’aviation, peu importe lesnombreuses langues qu’onparlait, connaître auminimum les deux langues officielles de sonpaysétaitnécessaire.Lemomentétanttoutefoismalchoisipourendébattre,jeluirépondisqueçanemedérangeaitpas.Parcontre,voulantavoirlederniermot,jeluirépétaimapremièreaffirmation:—Well,IjustwantyoutoknowthatIcouldrefusetosignthissheetifIwantedto!Commejem’endoutais,moncommentaireeut l’effetd’unebombenucléaire.Sesyeuxdevinrent
rondscommedesboulesdebillard,aupointquejepouvaisvoirdesveinulesrougeâtresyapparaître.Roberto se transformait en un véritablemonstre de l’air. Soudainement, il posa son regard sur savictime–enl’occurrencemoi–etrugitdetoutesapuissanceenallongeantsesgriffes:—Signthisfuckingsheet!NOW!Jerestaiimpassibleetbiendroite,maisàl’intérieurj’avaisvraimentpeurdecethomme.Malheur!
Malheur!Malheur!Jerenchérisencore,maiscettefois-cienfrançaispourêtresûrequ’ilnesaisiraitpaslesensdemaréplique.Etpeut-êtreaussipourlenarguer.—Jevaislasigner,tafeuille,maisjetedéfendsdemeparlerainsi!Jem’exécutaietm’éloignaiauplusvitepourmecacher.Jemedépêchaid’aller rejoindreRupert
pourluiraconterlascène.Àmonarrivée,Rupertsemblaitavoirreprisdelavigueur.Ils’affairaitdéjààcompterlesplateaux
danslagalleycentralesituéeentreladeuxièmesériedeportesdel’avion.Aprèsm’avoirécoutée,ilmeflattaledosetmeditquetoutallaitbiensepasser.Jen’enétaispassicertaine,maisj’abaissailatête en signe d’approbation. J’avais de nouveau les larmes aux yeux. Je posai mes coudes sur le
comptoirdanslebutdereprendremesesprits.JemeconcentraietvisionnailesterrassesbondéesdeBarcelone.Jem’imaginaiavecmonverrederiojaàlamain.Quelréconfort!Commej’étaisballottéeparmespensées,unemainseposasurmonépaule.Croyantquec’étaitencoreRupert,jelaserraidetout mon cœur. J’entendis alors derrière moi une voix amicale qui était loin d’être celle demoncolocataire.—Çavabienaller,Scarlett…Je reconnus très bien cette voix tendre et rassurante.Mes jambes fléchirent encore une fois. Le
commandantRoss sentit assurémentmadéfaillance.Les frissonsquemedonnaitRoberto-monstre-de-l’airn’égalaientmanifestementpasceuxprovoquésparmonbeaupilote.Ilcontinua:— Je sais que ce n’est pas évident présentement et que vous seriez en droit de partir. Pour vous
remercierdepoursuivrelarouteavecnous,j’aimeraisvousinviteràsouperlorsquenousseronsàBarcelone.Qu’est-cequetuendis?Lapropositionétaitplusqu’alléchante,elleétait irrésistible.J’étaisravie,maisjemegardaidele
luimontrer.Jeséchaimeslarmes.J’étaisprisedanscetavion,alorsmieuxvalaitenêtreprisonnièreaux côtés d’un attachant John Ross. Je souris et puisai au plus profond de moi toute l’énergienécessairepourlesprochainesseptheuresetquarante-cinqminutesdevol.
D
Chapitre8
2000piedsau-dessusdeBarcelone(BCN)
ansunavion,certainsindividussedonnentcommemissionpremièred’emmerderlepersonnelàbord. En fait, je fais référence ici à ces « sympathiques » passagers qui sauront se faire
remarqueretquis’arrangeronttoujourspournousdistrairedurantlevol.C’estimmanquable,mêmeendormi,lesyeuxfermésetblottisousunecouverture,l’und’euxtrouveralemoyendenousénerver.Ilaura lesdeuxpiedsdansl’alléeetnousdevronsleréveilleràchacundenospassages,oubienilviendra à l’arrière des heures plus tard nous signaler que nous l’avons oublié lors du repas.Évidemment,ceseraNOTREfauteetjamaislasienne.Biendespassagersonteneffetlafâcheusehabitudederejeterlafautesurl’agentdebord.Cedoit
être beaucoup plus facile de vivre avec soi-même lorsqu’on n’a rien à se reprocher, non ? Ilspréfèrentnousaccuseretnouspointerdudoigt:«Vousm’avezoublié!»ou«Vousn’êtespaspassédansl’alléeavecledutyfree!»Maisoùestdoncl’intérêtdes’enprendreànousdelasorte?Ilsuffitdedemanderetjereviendraileurvendreduparfum,toutsimplement.Pasdequoim’attaquer,carj’aidespreuvesdemoninnocence.C’estd’ailleursmoiquisuispasséedansl’alléeunpeuplustôtalorsque,étrangement,cettedameautonaccusateuravaitlesyeuxgrandsouvertsetjasaitavecsoncopain.Je l’ai vue zieuter mes parfums Chanel et Givenchy. Mais bon, la mémoire étant une faculté quioublie,jeneluimentionnepascelégerdétail.Lespassagers«je-me-moi»,commej’aimebienlesappeler,semanifestentgénéralementtrèstôt
lors d’un vol. Je dirais même qu’ils signalent leur présence dès l’embarquement. Bizarrement, levol642deTorontoàBarcelonenesemblaitconteniraucundecesindividus.C’était trèsbienainsi,caraprèslasériedemalheursquenousvenionsdevivrejen’étaispasd’humeurpourlescaprices.Detoutefaçon,cejour-là,j’avaissansdoutedéjàreçumapartdemaléfices«rupériens».Enfin,c’estcequej’espérais.Malgré le retard de trois heures, les passagers avaient sagement gagné leurs sièges lors de
l’embarquement. Aucun ne semblait avoir trimballé sa maison dans l’avion. Les compartimentsétaientpresquevidesquandnous lesavions fermés. Jen’avaismêmepaseuà jouer à l’hôtessedel’airhaltérophilequisoulèvetouslesbagagesdecabinedesespassagersprinciers.Jen’avaispasnonplusréponduàdesdemandesexcessivesdeleurpartpendantlevol.Ainsi,lorsquejem’assissurmonstrapontinenvuede l’atterrissageàBarcelone, j’avaispresque, jedisbienpresque, le sourire auxlèvres.Unefoisbienattachée,jememisàréfléchiràlasoiréequejepasseraisavecJohn.«Iln’yapasde
malàêtreamis»,mementis-jeàmoi-même.Penseràluim’aidaitàcombattrelesommeil.Commej’étais assise devant les passagers, il était important que j’aie l’air éveillée. Et je ne pouvaisévidemmentpasm’endormir,carmatâcheprincipaleétaitd’êtreàl’affûtd’unéventuelincident.Ladescentesefitrapidement.Enregardantparleshublots,jepouvaisvoirlaMéditerranées’étendreauloin.J’entendisalorsletraind’atterrissagesedéployer.Lesrouesétaientmaintenantsorties.Soudain, une femme assise trois rangées devant moi se leva brusquement et marcha dans ma
direction.Ellen’avaitpasl’airspécialementmalade.SonteintétaitroseetelleétaithabilléeàlaCocoChanel.En fait, elle avait seulement l’air d’une passagère « je-me-moi ». Jemedoutais bien qu’ilaurait étémiraculeux qu’aucun de ces spécimens ne semanifeste d’ici à la fin du vol. Par contre,
trentesecondesavantl’atterrissage,lemomentétaitparticulièrementmalchoisi.Jerestaiassisesurmonstrapontin.Jen’allaistoutdemêmepasmeblesserpourcetteMmeCoco.
Commeelleavançaitversmoi,jemedisquej’allaisl’arrêteraupassage.Ellemeregardaitàpeineetfixaitlestoilettesquiétaientsituéesjustederrièremonsiège.Jel’interpellaienanglais:—Ma’am,we’llbelandinginasecond,pleasegobacktoyourseat.MmeCocoChanelmetoisa,biendécidéeànepasretourneràsonsiègeafindemettresonplanà
exécution.Toutenposantsamainsursabouche,ellemedit:—I’mgonnapuke!Vomir? Jene lacroyaispas.Ellen’étaitpasmalade,c’étaitévident.Ellevoulait justeutiliser les
toilettes,là,maintenant,à2000piedsau-dessusdusol,à300kilomètresàl’heure.Jen’allaistoutdemêmepaslalaisserpasseralorsquec’étaitmondevoirdeveilleràcequ’elleneblessepassajoliepersonne.Jeluidemandaiplusfermementderetourneràsaplace:—Ma’am,youneedtobeseatedforlanding.MmeCocomefixasournoisementetjouaalorslerôledelafemmepiteuseetindisposéetoutenme
réaffirmantqu’elleallaitvomir.Àcetinstant,jefusprised’undésintérêtsoudainpoursasécurité.Jel’avaisinforméedesprocéduresetellerefusaitdelesrespecter.«Qu’ellesecognelafiguresurlacuvettedestoilettes!»pensai-je.Jeluifissignedepasserenlevantlesyeuxauciel.—Justgo!lançai-jeavecindifférence.J’avais l’impression de ne plus être moi-même. Non seulement la sécurité de cette femme ne
m’inquiétaitplus,maisjesouhaitaispresquequ’elleseblesse.J’avaisvraimentbesoinderepos.Alorsque je m’apprêtais à regarder à l’extérieur pour voir si la piste était proche, nous atterrîmesdoucement, sans choc. J’étais déçue. Un bon coup de vent aurait été apprécié. J’entendis alors lachassed’eaudelatoilette.MmeCocoressortitducabinetaprèsyêtrerestéeàpeineuneminute.Ellepassa devantmoi et, comme si atterrir dans les toilettes n’était pas suffisant, elle se retourna et seplanta face à moi. Comme j’étais assise sur mon strapontin, sa hauteur lui donnait un air desupériorité.Ellemepointadudoigtetgronda:—Don’tyoudarespeaktomelikethatagain!Jen’encroyaispasmesoreilles.C’étaitmoil’agentedebordetlafigured’autoritédanscetavion,
etvoilàqueMme-je-me-moim’ordonnaitdeneplus jamais luiparlersurce ton?Ellevoulaitmefairelaleçon?Jen’étaispasprêteàsortirmesgriffes,alorsjemejustifiaid’unevoixcalmemaisferme:—Ididthatforyourownsafety,ma’am.Cette dame avait probablement unproblème avec l’autorité et avait très certainement agi comme
unereinetoutesavie,carellerenchérit:—Irefusetobespokentothisway!Là,c’enétait trop !Elleavaitosé se leverpourutiliser les toilettesenpleinedescente.Elleavait
atterriàl’intérieur.Ellen’avaitpasvomi,j’enétaiscertaine,carj’avaislatêtecolléeàlacloisonducabinetet j’avaispuentendre lemoindrebruit s’enéchappant.MmeCocoétait ensuite sortieaprèsquelquessecondeset,aulieuderetourneràsonsiègesansriendire,elles’étaitpostéeenpleinmilieude lasortied’urgence,devant lespassagersquiétaientassisenfacedemoi.Etmaintenant,ellemesermonnaitdevanteuxcommesijen’étaisqu’unefillette,etce,alorsquenousroulionsrapidementsurlapiste.Jeperdispatience.Aussitôt, jeme transformai enunevilaine créature.Unedragonnede l’air était née.Mesnarines
s’écartèrent.De la fumée s’en échappait. Je crachais du feu. Jeme détachai et bondis littéralementdevant elle. Je dépassais désormaisMmeCoco d’aumoins trois têtes. Elle n’était qu’une brindille
pourmoi, unemiette de pain. Je redressai le torse et les épaules.Mes yeux devinrent rouges.Mavision s’aiguisa. Je pouvais voir lamoindre particule de poussière flotter dans la cabine.La bellehôtesse de l’air compréhensive avait disparu. J’étais désormais le diable en personne. Je nechuchotaisplus.Jehurlaiplutôtsansretenue:—ENOUGH!Gobacktoyourseat,NOW!Ma voix porta dans tout l’avion. Rupert, qui était assis à la porte voisine, me regarda avec un
mélangedestupeuretd’admiration.J’avaiscriétellementfortpourqu’elleparteserasseoirquemagorgeensouffrait.MmeCoco,minuscule,levasesyeuxversmoi.Elleavaitl’aird’unpauvrechienbattu.Sescernessemblaients’êtreaccentués.Ellehésitauninstant.Sesjambestremblaient.Sonpoilétaithérissé.Ellecherchauneréplique,envain.Ellefitdemi-tourensilenceetretournaàsonsiège.J’avaisgagné.Pourlemoment,entoutcas.L’appareilétanttoujoursenmouvement,jemerassissurmon strapontin. J’espérais que l’histoire s’arrêterait là. J’étais exténuée. J’avais vécu mon lotd’épreuves pour la journée.Mais je connaissais bien les «Mme Coco » et je savais que celle-làn’allaitpastirersarévérenceaussivite.Cen’étaitquel’entracteduspectacle.
***
—Mesdames et messieurs, VéoAir vous souhaite la bienvenue à Barcelone. Il est présentement13heuresetlatempératureextérieureestde28degrésCelsius.Nousvousdemandonsderesterassisavecvotreceintureattachéejusqu’àl’extinctiondesconsigneslumineuses.L’avions’immobilisaenfin.Jemedétachaiaussitôt,impatientedemelever.Jedésarmaimaporteet
m’assuraiqueRupert,monhomologuedel’autrecôté,enavaitfaitautantaveclasienne.Mesyeuxbrûlaient, j’étais sur le point dem’évanouir de fatigue. Bientôt, je pourrais m’étendre dans un litdouilletetronfleràmaguise.Maisjemedoutaisqu’avantdedormirjedevraisneutraliserpourdebonmonadversaire.Lespassagersallaientdébarquersouspeu.Rupertouvritsaporte.Uneannoncesefitentendre:—Mesdames etmessieurs, vous pouvezmaintenant sortir de l’appareil en utilisant la deuxième
porteducôtégauche.Merci!Jememisalorsàsaluermespassagersavecleplusgranddessourires.J’essayaisd’avoirl’airzen
et souhaitais de tout cœur queMmeCoco ait repris ses esprits. Je ne désirais pas que la partie sepoursuive.Elle avait joué avecmes nerfs et jem’étais emportée. J’étais prête à passer outre à sesagissementsetj’espéraisqu’elleferaitdemêmeengardantlesilencejusqu’àcequ’ellesoithorsdemavue.Jem’efforçaisdenepasregarderdanssadirection.Commesonsiègen’étaitsituéquetroisrangéesplusloin,ilm’était toutefoisdifficiledenepasremarquersonprofilaltierquisedessinaitdevantmoi.MmeCocoavaitredressésesépaules,soulevésonmentonetbienreboutonnésaveste.Jelasentais
prêteàbondirpar-dessus lespassagerspourm’atteindre,moi,saproie.Ellen’avaitpasdéposé lesarmes comme je l’espérais. Au contraire, elle était chargée à bloc, visiblement décidée à lancerl’offensive.Les passagers sortant de l’appareil au compte-gouttes, je regardais Mme Coco s’approcher
tranquillement. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle tramait. J’appréhendais une crise. Il ne restaitdésormais qu’un passager entre elle etmoi.Ce dernierme remercia et tourna à gauche, dévoilantainsiderrière luimachère ennemie.MmeCoco s’avançacommeprévu sur le cheminet, avantdebifurquerverslasortie,elles’immobilisa.Ellebloquaitmaintenantlepassageauxautresvoyageurs.Elleattendituninstant,puiselleexplosa:—Iwanttoseethecaptain!Iwanttocomplainaboutthesituation!Whatisyourname?
Je n’allais tout demêmepas lui fournirmon nompour qu’elle travestisse les faits en sa faveur.D’ailleurs,monniveaud’empathieétaitdepuis longtempsàsec. Jeprisalorsunairarrogantet luidis:—Sorry,butIwon’tgiveyoumyname.Monrefusdeluidonnermonnomlafitenragerdeplusbelle.Toutencontinuantdebloquerl’accès
àlasortie,elleinsista:—Iwanttoseethecaptainrightnow!Ellevoulaitseplaindreaucommandant!Elleneconnaissaitde touteévidencerienauxrèglesde
l’aviation,carunpiloten’estpaslàpourécouterlesplaintesdespassagers,maispourlesconduireàdestination.S’ilyadesagentsdeborddansunavion,c’estjustementpourgérerlescriseshumaines.Maiscommeellesouhaitaittantvoiruncommandant,jemedisquej’allaisluienprésenterunsur-le-champ.—Alright, you may see the captain. However, you will have to wait for all other passengers to
deplane.Haveaseat,luidis-jed’untonferme.Ellepritplacesurunsiège,follederagequejelafassepatienteravantdevoirle«commandant».
Enattendant,jecontinuaiàsaluermespassagersavecunmerveilleuxsourire.—Thankyou!Àbientôt!Gracias!Enjoy!Merci!Hastaluego!L’avion se vida enfin. Je fis signe à Mme Coco de me suivre et me dirigeai vers l’avant de
l’appareil.Jeluiordonnaides’asseoiràlarangée4,justederrièrelasectiondespremièresclasses.Elle s’exécuta. Je m’avançai alors vers Roberto-monstre-de-l’air et lui expliquai rapidement lasituation.Jesavaisquejen’avaisrienàmereprocher,carjen’avaisaccompliquecepourquoionm’avait engagée : faire respecter les règles de sécurité. Et puis les agents de bord appliquaienttoujoursentreeuxlaloinonécritedelasolidarité.Bienqu’ilsesoitcomportécommeunehorriblecréature, Roberto allait faire fi de notre léger conflit d’avant-vol et s’allier instinctivement àmoidevantlapassagère.Lavictoireétaitàmaportée.IlsedirigeaversMmeCocoquiattendaitsursonsiège.Jelesuivisdeprès.—Whatisgoingon,ma’am?luidemanda-t-ilpourconnaîtresaversiondesfaits.— I went to the restroom and that girl was impolite with me ! répondit-elle, la voix tremblante
d’émotion.—Ma’am,wastheseatbeltsignon? laquestionna-t-ild’unairinnocenttoutensachantque,sila
consignedesceinturesdesécuritéétaitallumée,MmeCocos’avéreraitêtreentort.—Hum,hum,it’sthatnobodyhaseverspokentomelikethatbefore!Iwanttomakeacomplaint
and…Robertol’interrompit:—Wastheseatbeltsignonwhenyougotuptousetherestroom?MmeCocobégayait.Ellerefusaitderépondreàlaquestion,maisRoberto,dorénavantsurnommé
Roberto-fidèle-complice,insistadeplusbelle:—Wastheseatbeltsignon,ma’am?Ellecédaenfin:—Yes,itwasonbut…Décidément,ellenevoulait riencomprendre. Ilétait tempsd’en finiraveccettesituationdevenue
ridicule.Ill’acheva:—Mycolleaguewasjustdoingherjob.Now,Iwillaskyoutoleavethisplane.Haveaniceday!MmeCocoétaitenragée.Robertovenaitde luicouper laparoleetde luiannoncerquej’avaiseu
raisond’userd’unpeud’autoritéenverselle.Ill’escortajusqu’àlasortie.Furieuse,elleposalepied
surlapasserelled’embarquement.Depuisl’intérieurdel’appareil,jepouvaisl’entendresedéfoulerethurlerdecolère.Etpuislescriscessèrent.L’orages’étaitdissipé.Jerécupéraiavecjoiemavalise,prête à laisser ces dix-sept dernières heures de malheur derrière moi. J’entrouvris la porte de lapasserelle qui donnait sur l’escaliermenant au tarmac.Le soleilm’éblouit.Distinguant à peine lesmarches,jem’arrêtaibrusquement,letempsquemavues’adapteàlalumièredujour.Etjelevistoutenbas.Johndéposasavalisederrièrenotreautobusprivé,seretournaversl’appareiletm’aperçut.Ilm’adressaunmagnifiquesourireetmefitsignedelerejoindre.Ilnemanquaitquemoi.Siprèsdelui,j’oubliaivitelesdernièresheurescauchemardesques.Jen’avaisjamaisétéaussiavidedemangerdestapas.
I
Chapitre9
Montréal(YUL)AuretourdeBarcelone(BCN)lmitsamainsurmanuqueetlaglissadansmachevelure.Ilmetiraversluiavecforce.Sonregardperçant sondait le mien. Ses pupilles noires et profondes atteignaient mon âme. Je me sentais
faiblir.Ilmepossédait.Telunaimant,j’étaisattiréeversluietmabouches’entrouvritinstinctivement.J’étaisprêteetillesavait.Ilmedésiraittoutautant.Noslanguess’impatientaient.Soncorpssecollaenfinaumien.Nousnefaisionsqu’un.Etpuis,brusquement,laportedemonappartements’ouvritetjemeréveillai.Béarevenaitdesoncoursdeyogarevigorée.Etmoiquim’étaisassoupiesurlesofaàmonretour
de Barcelone, j’étais vidée de toute énergie. Rupert dormait sur l’autre divan. Les vingt-quatredernières heures avaient passé si vite. Dans mes rêves, je m’étais efforcée de me remémorer lesrécentsévénements,nonsansmodifierquelqueséléments.Dixminutessupplémentairesdesommeiletj’auraisétéauxanges.Malheureusement,Béavenaitdemerameneràladureréalité.Johnn’étaitpas là. Il n’étaitpasdansmesbras,maisdansceuxd’uneautre femme.Sa femme.Malgré labellesoiréequenousavionspasséeensemble,lasituationrestaitlamême.Jenepourraisjamaisêtreaveclui.Jedevaisl’oublierimmédiatement.Jemefrottailesyeuxetm’assisbiendroitesurmoncoussindouillet.Rupertbâillait.Aprèss’être
excusée de nous avoir réveillés, Béa se dirigea vers la cuisine pour boire de l’eau. Je ne pusm’empêcherdepiquersacuriosité:—Tusaisavecquij’aipassélasoiréeàBarcelonehier?Elleavalaunegorgéeetmejetauncoupd’œilintrigué.—Non,qui?dit-elled’untonexagérémentintéressé.—J’étais tellementheureusequ’il soit là !déclarai-jeenmegardantbiendedévoiler lenomdu
mystérieuxinconnu.—Tuneveuxpasdire que tu as passé la soirée avecmonsieur Inaccessible ? demanda-t-elle en
agrandissant ses beaux yeux noirs et en pointant discrètementRupert du doigt afin de savoir si cedernierétaitdéjàauparfum.J’acquiesçaid’unhochementdetêteetenchaînai:—Ilconnaîttoutel’histoire.Ilétaitavecnous,alorsc’étaitdifficiledejouerlacomédie.Ilapromis
qu’ilnediraitrien.MonbéguinpourJohndoitresterunsecret,hein,Rupert?Je savais quemon colocataire demeurait le plus potineux des agents de bord, mais il lui fallait
comprendre que les histoires concernant Béa et moi devaient rester confidentielles. Il approuva,légèrementoffusqué:—Franchement,Scarlett!Fais-moidoncconfiance!Jenediraiàpersonnequetufantasmessurce
gars-là. Qu’est-ce que les gens pourraient penser de toi s’ils savaient que Scarlett-l’idéaliste s’estamourachéed’unpilotemariéetpèredefamille?ajouta-t-ilpourmetitiller.Jemecontentaiderigoler.Endedans,jesavaisqu’ilavaitraison.Jem’étaisvraimentéprised’un
homme à l’opposé demon idéal.C’était à n’y rien comprendre.Le commentaire deRupert venaitd’attirerdavantagel’attentiondeBéa.—Est-cequeçavoudraitdire,Scarlett,quetuaslaissédecôtétesprincipespourt’amuseraumoins
unenuitavecquelqu’unquiteplaît?mequestionna-t-elleavecunepointed’excitation.Béas’imaginaitdéjàlescénariorépandudel’adultère,maiscen’étaitpastoutàfaitcedontilétait
question.Ilfallaitquejeluirelatemasoirée.Jeluiproposaidevenirs’asseoiravecRupertetmoi,carjemedevaisd’éclaircirlemystère.Jem’apprêtaisàracontermonhistoirequandmontéléphonemecoupadansmonélan.C’étaitma
mèrequim’appelait.Jenerépondispas,parcequejesavaisqu’ellemebombarderaitdequestionssurmon dernier voyage et que je devrais interrompre la communication pour pouvoir poursuivre laconversation avec mes deux amis. Je me dis que je la rappellerais lorsque j’aurais fait le pleind’énergie.Enreposantmontéléphonesurlesofa,jenotaiquej’avaisquatreappelsmanquésdepuisuneheure.MoniPhoneétantenmodevibration,jenelesavaispasentenduspendantmonsommeil.Lesquatreprovenaientdechezmesparents.Passurprenant!Quandmamèrevoulaitquelquechose,elle s’acharnait. D’une certaine façon, j’avais l’impression qu’une partie de ma personnalité luiressemblait.Lorsquejemefixaisunbut,jemebattaispourl’atteindre.Aufonddemoi,j’espéraisqueJohnn’endeviendraitpasun.Quellesenseraientalors lesconséquences?J’aimaismieuxnepasypenserpourlemoment.Béas’impatientait,alorsjem’empressaidesatisfairesacuriosité:—Nousnoussommesd’abordrendusdans levieuxBarcelonepourprendreunapéro.Lasoirée
s’annonçait très bonne, car notre groupe s’entendait àmerveille. Il y avaitAnna, Ishma,Rupert ettroispilotes,dontJohn,bienentendu.—C’étaientquilespilotes?demandaBéapourmieuxcomprendreladynamiquedugroupe.—Euh!Jenem’ensouvienspastrop,maisjecroisqu’ilss’appelaientAntoineetCharles.—Hum,connaispas,dit-elle.Désoléepourl’interruption.Jet’écoute,là!—Honnêtement,Béa,j’étaistellementcontentequeJohnsoitavecnousquejenemepréoccupais
pas vraiment des autres. Je ne voulais parler qu’avec lui, précisai-je avant d’être interrompue parRupert.—Jeteledis,Béa,jen’avaisjamaisvuScarlettcommeça.Jeluiaiparlédeuxfoispendantqu’elle
discutait avec ce John et ellem’a complètement ignoré. J’aurais pu lui crier après qu’elle ne s’enseraitmêmepasrenducompte!—Voyons,tuexagères!C’estvraique,lorsqu’ilmeparlait,j’étaisunpeutropintéressée,maisj’ai
quandmêmejouéàl’indépendante,dis-jepouressayerdemeconvaincrequej’avaislemoindrementréussiàcachermonjeu.—Peut-êtreaudébut,durantl’apéro,maisaprès?Pendantlesouper?Dansl’ascenseur?rétorqua
Rupertpourmerafraîchirlamémoire.—Wôlà!Tuvasmevolermonpunch!Laisse-moiterminermonhistoire,mêmesitulaconnais
déjà,protestai-je.Unefoissermonné,Rupertserecouchasurledivanetcroisasesbrasderrièresatêtecommepour
signalerqu’ilseretiraitdeladiscussion.Ilavaitvraimentl’airdes’emmerder.«Qu’ilailleailleurs,s’iln’estpasintéressé!»pensai-je.Maisilnebougeapasd’unpoil.Jereprismonrécit:—Nousavonspartagéunpichetdesangriasuruneterrasse.Après lepremierverre,Rupertétait
déjà«cocktail»etmoi,prochedel’être.C’étaitcompréhensible,aprèslanuitquenousavionsvécue,ajoutai-jeenlançantunclind’œilcompliceàRupert.—Qu’est-cequis’estpassé?demandaBéa.—Ah!Unretard,maisnousteraconteronstoutçaplustard.Ilnefaudraitsurtoutpasinterrompre
laprécieusehistoiredeScarlett,réponditRupertpourmepiquer.J’ignoraisoncommentaireetcontinuai:—J’étaisdéjàtrèsfatiguée,alorsj’airapidementressentileseffetsdel’alcool.Enfait,nousétions
tousunpeudanslemêmeétat,donct’imagineslesconversations!m’exclamai-jeenmeremémorantlascène.—Vousneparliezpasdesexe,j’espère?mequestionnaaussitôtBéa.—Ha!Ha!Non!Pascettefois-ci.Justed’implantsmammaires!—OK…dit-elle.Lesgarsvoulaientsavoirsivousaviezlesseinsrefaits?—C’étaitridicule,cetteconversation-là!Jenepouvaismêmepasparticiper!intervintRupert.—Voyons!Tuastrouvéçadrôle.Etonn’enapasparlélongtemps.—D’ailleurs,jenesaismêmepaspourquoiilaétéquestiondesimplants,renchérit-il.—C’étaitquoilaconversation,aujuste?demandaBéa,intéressée.—Jepensequec’estIshmaquiamenélesujetendisantquesonchumadoraitsesseinsrefaits.Etlà,
l’undespilotesaditqu’ilaimaitçaaussi,etainsidesuite.—N’importequoi!s’exclamaBéa.EtJohn,lui?Ilpréféraitquoi?—Oh, John ! répondis-je, rêveuse. Il est restémuet pendant presque toute la discussion.En fait,
c’estmoiquiaidûluidemandersonopinion.—C’estbon,ça!Unpilotediscret.J’aimeça.Etalors,ilaréponduquoi?—Iladitqu’ilaimaitlesfemmesaunaturel.—C’esttout?—Ouais.Riendeplus.—Excellent!—Pourquoi?luidemandai-je,étonnéeparsonsoudainenthousiasme.—Ben,iln’yapasplusnaturellequetoi,Scarlett!Avectoi,c’estwhatyouseeiswhatyouget!— Donc tu penses que c’est possible que je lui plaise ? m’enquis-je, remplie d’un sentiment
d’insécurité.—Oui,maiscontinuetonhistoireetonverraensuite,medicta-t-elle.Jem’exécutai:—Aprèslesimplants,ladiscussionachangédutoutautout.Nousnousposionsdesquestionsde
base,genre«caféouthé?»ou«vinrougeouvinblanc?».Desquestionsbêtespourremplirlessilences.—Pantoute!m’interrompitRupert.Aumoins,jepouvaisparticiper!—Ouais,c’estvrai,confirmai-je.Ettantmieuxqu’onaitabordécessujets-là,parcequec’estàce
momentquej’aieuunesensationétrange.—Qu’est-cequis’estpassé?—Ehbien,onauraitditquejedevinaisàl’avancetoutcequeJohnallaitrépondre.Jemesentais
danssatête.Jenepeuxpasexpliquerexactementcequis’estpassé,Béa,çanem’étaitjamaisarrivé.— J’ai déjà lu quelque part que les âmes sœurs sont tellement connectées par l’esprit que,
quelquefois,ellesn’ontmêmepasbesoindeparler,ellessecomprennentenpensée.Voilàuneréflexionbienirrationnelle,maisj’aimaisl’idéequeJohnetmoipuissionsêtrefaitspour
êtreensemble.Ruperts’empressadecrevermabulledecourtbonheur:—MonDieu,lesfilles,vousn’avezpasdebonsens!Âmessœurs!Connectéesparl’esprit!C’est
delabullshittoutça!Jen’étaispasd’accordaveclui,maisjen’avaispasl’énergiepourlecontredire.Etpuisjesavais
pourquoiilétaitchoquéparcespropos.Rupertnes’étaitjamaisremisdesonpremieramouret,nevoulantpasl’admettremêmeaprèstoutescesannées,ilpassaitdeconquêteenconquêtepouroublier.Mieux valait ne pas lui rappeler ces lointains souvenirs. Jeme contentai de rouler des yeux poursoulignermonoppositionetcontinuai:
—Après l’apéro,nousavons trouvéunpetit resto toutprèsdu lieuoùnousétions.Riende troprecherché.C’était charmant commeendroit.Lumières tamisées, belle ambiance, pleindemonde. Iln’yavaitqu’uneseuletablelibreaufondduresto.Nousnousysommesalorsinstalléssansvraimentchoisiràcôtédequions’assoyait.Enfin,jepense…Jefisalorsunepause,songeuse.Puis,pourtenirBéaenhaleine,jelaquestionnai:—Ehbien,devinequis’estassisdevantmoi?—John!s’écria-t-elle.—Exactement!confirmai-jeavecunsourireencoin.—Ettucroisqu’ils’estassislàparhasard?demanda-t-elle,commesilaréponseallaitchangerla
donne.—Oui,sansdoute.Ilnerestaitqu’unechaiselibreetc’étaitcelleenfacedemoi.—Jenesuispassicertainedeça,moi!Jel’aivuteregarderàParisetilétaitloind’êtreindifférent
àtoncharme.Tunevoisrienaller,c’estévident.Rupert,qu’est-cequetuenpenses?—Ah!Maintenant,vousvoulezsavoirmonavis,lesfilles?répliqua-t-il,encorecontrariéd’avoir
étéunpeudélaissé.Décidément, Rupert était à fleur de peau. C’était sûrement la frustration d’après-vol qui se
manifestait.Etjelecomprenais,carj’étaismoiaussiàprendreavecdespincettesauretourd’unvol.Jelerassurai:—Biensûrquej’aimeraisavoirtonopinion,voyons!Tuétaislàavecmoi,alorstuascertainement
remarquéquelquechose.Non?—Ehbien,situveuxmonavis,jepensequetuesfolledelui!rit-ilauxéclatsenseredressant.—Euh…Oui!Ça,jelesavaisdéjà,Rupert.Etc’esttoutcequetuasremarqué?—Pourvrai,Scarlett,àvoircomment il te regardait, jepensequ’il t’aimebien,mais ilest resté
tellementconventionnelquec’estplutôtdifficiled’enêtreconvaincu.—Donc,s’ilétaitassisdevantmoi,cen’étaitquelefruitduhasard?demandai-je,déçue.—Jen’ensuispassicertainequeça,moi!insistaBéa.—Ouais,tuaspeut-êtreraison.Leproblème,c’estqu’àBarceloneetàParis,Johnetmoin’avons
parléquecommedescollègues,alorsjen’aiaucunepreuvedequoiquecesoit.Je sentais bien qu’il y avait eu une attirance réciproque, mais je n’arrivais pas à en avoir la
confirmation,mêmeaprèsnosdeuxrencontres-surprises.Etpuis,mêmes’ilétaitintéressé,iln’avaitpasl’airdugenredegarsprêtàtransgresserlesrègles.S’ilavaitprisplacedevantmoi,c’étaitjusteparcequelasoiréeseraitplusagréableainsi.—C’estvraiquetonJohnn’apasl’aird’unPilote-salopard,maisjenediraispasqu’ilneteparlait
quecommeàunecollègue,déclaraBéa.Ellen’avaitpeut-êtrepastort,maisjusqu’alorsJohnnem’avaitdonnéaucunindicemepermettant
depenserlecontraire.J’étaisprobablementlaseuledesdeuxquivoyaitunechimieentrenous.Sansdouteuneconnexionàsensunique.L’idéequ’iln’yavaitaucunepossibilitéavecluimerendaittriste.Enmême temps, bien que cela jouait contremoi, j’appréciais le fait qu’il nem’ait pasmontré designesd’ouverture.Jen’auraispasvoulud’untricheur,d’untrompeuroud’uninfidèle.Danstouslescas,j’étaisfoutue.Jepoursuivismonhistoire:—Lerepasétaitdélicieux.Johnetmoiavonsmêmepartagéuneentrée.C’estlàqueRupertm’ajeté
unregardinvestigateurquim’afaitrougir.—Ha ! Ha ! Ha ! s’esclaffa Rupert en regardant Béa. Je n’avais pas le choix d’allumer, c’était
beaucoup trop évident.Mêmeaprès trois annéesde colocation avecmoi,Scarlett refuse encoredeboiredansmabouteilled’eau,etvoilàque je lavoyais rireauxéclatsavec lecommandant touten
pigeantdanssonassiette.Lemondeàl’envers!Béaéclataderire.—Tut’estrahie,Scarlett!dit-elle.Lesautresagentsdebordontremarquéquelquechose?—Non,jenecroispas.Maisdetoutefaçon,qu’est-cequeçaauraitbienpufairequ’ilsremarquent
notrecomplicité?Nousn’étionspasentraindenousembrasser,quejesache!—Eneffet,cen’étaitpasde leursaffaires.MaisJohnest tellementbeaugossequ’ilsauraientpu
t’envier,rigolaBéa.—Ha!Ha!Ha!Rupert,peut-être!—Iln’estpasmongenre!répliquacedernier.J’avouequ’ilesttrèscharismatique,maisjepréfère
lesgrandscostauds,lesdursàcuire.—Ilestàmoi,detoutefaçon,répondis-jeinconsciemment.Ouf!Avais-jevraimentditça?«Ilestàmoi»?SiJohnétaitmien,jelepartageaispourlemoment
avecune autre femme. Je ne pouvais pas croire que jem’imaginais le posséder, et ce, sansmêmeavoir touché ses lèvres. Même si c’était exactement ce que je voulais, le posséder, même si jesouhaitais l’avoir juste à moi, il me fallait me rendre à l’évidence : c’était impossible. Laconversationayantquelquepeudévié,jerevinsauvifdusujet:—Aprèslerepas,nousnoussommestousdirigésversl’hôtel.Évidemment,jemarchaisàcôtéde
John.Nousdiscutionsdetoutetderien.C’étaitfaciledeluifairelaconversation.Iln’apasabordélesujetde sa femmeetde sesenfants, et jen’aipasvoulu lui enparlernonplus.S’iln’avaitpasétéintéressé,peut-êtreyaurait-ilfaitallusion?Jenesaispasetjeneveuxpaslesavoir.Nousavonsfaitunarrêtpourmangeruneglace.Ilapayémoncornet,maispasceluidesautres.Jefisunepausepourrespirer.Béaenprofitapourrécapitulermespropos:—Donc,ilapayétacrèmeglacée,maispascelledeRupertnidequiquecesoitd’autre?Ilvoulait
êtregentilavectoi,c’estévident.Jelesavaisqu’ilt’aimaitbien!—Tusautesviteauxconclusions,tunetrouvespas?rétorquai-je.—Non!Pasdutout!Pourquoicen’estpasl’undesdeuxautrespilotesquiétaientavecvousquia
payétoncornet?OubienpourquoiJohnn’apaspayéceluideRupert,d’Annaoud’Ishma?insista-t-elle.—Pourmemontrerunpeud’intérêt?suggérai-je.—Voilà!C’estundétail,maistoiquin’arrêtespasdedirequeleshommesinvitentrarement,ilt’a
prouvé le contraire, affirmaBéa, toutheureusedevoirquemoncommandant s’était préoccupédemoiletempsd’unecrèmeglacée.— En tout cas, c’était apprécié et je l’ai remercié. Il avait l’air très heureux de m’inviter pour
3euros,dis-jeàlablague.Rupert,encoresousl’effetdelafrustrationd’après-vol,semitaussitôtàjugernosraisonnements
defemmes.—Bah!Vousn’êtespaspossibles,lesfilles!Hilarantes,même!Ungarsn’aqu’àvouspayerune
glacepourvouscharmer!s’amusa-t-il.Jem’abstinsdemejustifier,carjesavaisqu’iladoraitluiaussicespetitesattentionsprodiguéesà
l’êtreaimélorsqu’ilétaitencouple.Jelesommaidesetaireetils’étenditunesecondefoisdetoutsonlongsurlesofa.Béamesuppliadecontinuermonhistoire.Lafinapprochait.—En fait, c’est de retour à l’hôtel que j’ai commencé à faiblir. Je n’avais pas de preuves, bien
entendu,mais j’avais de plus en plus l’impression qu’il y avait une vraie complicité entre John etmoi…—Siçapeutt’encourager,m’interrompitBéa,jepensequetun’aspasrêvé.
—Mêmesic’était lecas, jenepouvaisrienfaire!J’avais lesmains ligotées!Jen’allais toutdemêmepasluifaireunclind’œiletluidire:«Hey!SexyJohn,tumerejoinsdansmachambre?»—Pourquoipas?s’exclamaRupert.—Benvoyons!Çan’aaucunsens!Jesaisbienquejesuisdifficileetque,normalement,personne
nem’intéresse,maiscen’estpasune raisonpoursautersur lepremierquimeplaît, surtoutquandl’heureuxéluestunpilotedequaranteans,mariéetpèredefamille!—Ouin…soupirèrentmescolocataires.—Etpuis,misàpartlagalanteriedelacrèmeglacée,Johnnem’adonnéaucunsigne.Uneattirance
imaginaire,cen’estpasassezpouragir!déclarai-je,démoralisée.Mesdeuxamismeregardèrentaveccompassion.Sij’avaispurevenirenarrière,j’auraissouhaité
nejamaisavoirrencontréJohn.«Jen’auraispaslecœurenmiettesàl’heurequ’ilest»,pensai-je.Jepoursuivis:—Arrivésàl’hôtel,noussommestousentrésdansl’ascenseur.Jeréfléchissaisencoreàl’étrange
chimie que j’avais ressentie entre John etmoi. Jeme demandais si j’avais rêvé. L’ascenseur s’estalorsarrêtéauniveau1.RupertestdescenduavecIshma,etensuitelesdeuxpremiersofficierssontdescendus au niveau 2. À présent, il ne restait qu’Anna, John et moi à l’intérieur. La porte s’estrouverteauniveau3.—J’espèrequ’Annaadéguerpiauplusvite!s’écriaBéa,impatiente.—Ehbien,moi,jepensaisqueJohnsortirait.J’étaisdéjàprêteàluidire:«Bye,àdemain.»Mais
non!C’estAnnaquiestdescendueet laportes’estaussitôtreferméederrièreelle. Iln’yavaitplusqueJohnetmoidansl’ascenseur.J’étaistellementsurprisequejesuisrestéebouchebée.— Tu veux dire que tu étais gênée, précisa Rupert en se basant sur la version que je lui avais
précédemmentracontéedansl’avion.—Complètement intimidée.Et luiaussi l’était,parcequ’ilnedisaitpasunmot.J’aivitecompris
quenousétionslesseulsàdormirauniveau4.Justeluietmoi!Personned’autre.Béamecoupa:—Donctupouvaiscoucherdanssachambresansquepersonnetevoieyentrer?S’ilteplaît,dis-
moiquetul’asfait!Jesouris.—Enfait,lesilencequirégnaitdansl’ascenseurasoulevéundoutedansmonesprit.Parceque,si
j’avaisétéavecIshma,Annaoumêmelesdeuxautrespilotes,quelqu’unauraitforcémentprononcéunmot,unephrasepourallégerl’atmosphère.Maislà,rien!JenerespiraisplusetJohnnonplus.Jevousledis,ilyavaitunedecestensionsindescriptiblesdansl’air.L’effetdel’attirance?Jenesauraisdire,mais j’avais l’impression que les secondes s’étaient arrêtées et que cette foutue porte n’allaitjamaiss’ouvrir.Sijenesortaispasauplusvitedelà,j’allaisêtreattiréeversluicommeunaimant.Rupertm’interrompitsoudainement:—Tuveuxplutôtdirequetuallaistrahirtesfoutusprincipessiturestaistroplongtempsdanscet
ascenseur…Iln’avaitpas toutàfait tort.J’aimaispeut-être lesrisques,mais jen’étaispasprêteà trahirceen
quoi je croyais tant : la fidélité. Pourtant, les sentiments se bousculant enmoi, j’avais éprouvé undésir inexplicable d’exprimer mon attirance envers lui. Ma spontanéité n’allait pas tarder à toutcontrôler.Jem’interrompisquelquessecondespourreprendremonsouffleetcontinuaimonrécit:—Laportenes’étaitpasencoreouvertesurleniveau4,alorsj’aidécidéd’observersonlangage
corporel. Il restait bien droit, confiant, un sourire en coin. Il était si beau, simasculin.Mais il ne
faisaittoujoursrienpourmesignalerunequelconqueattiranceenversmoi.—Ouais,ditBéa,maisceschoses-làsesentent,Scarlett!Tun’asrienremarqué?—Ouietnon!Jesentaisbienquenousétionstouslesdeuxmalàl’aise,maisilrestaitmuet.Pasun
mot!Jemesuisraisonnéeàfairecommeluietneriendire.—Jetecomprends,m’encourageaBéa.Jepoursuivis:—Uneéternitéplustard,l’ascenseurs’estenfinarrêté.J’avaistellementhâtedesortirdelàqueje
mesuisfaufiléedanslafentedelaportepourmerendreversmachambre.Ilafaitlamêmechoseets’estdirigéàmadroite,àtroischambresdelamienne.Nouscherchionsnerveusementnosclésetjepouvais sentir cette chimie entre nous deux. Et puis, neme demandez pas pourquoi, j’ai perdu laraison.Jefisencoreunepause,cettefois-cipourreprendremesesprits.J’avaishontedecequej’avaisdit.
J’auraispu faire tellementmieux. J’hésitais à exposermonhumiliation àmes amis,maisBéam’yobligea:—Allez,Scarlett,qu’est-cequis’estpassé?Çanepeutpasêtresipirequeça,voyons!Avouernos
faiblessesenverslesexeopposén’estjamaisunehonte.Allez!—Bon,OK!Enfait,jevenaisderécupérermaclédansmonsacquandj’aivuducoindel’œilque
Johndéverrouillaitsaporte.Avantd’entrerdanssachambre,ilatournésatêteversmoi.Jel’aidoncregardéetjel’aientendumedire:«Bonnenuit!Àdemain!»Jevoulaisluirépondre,maisaulieudeluisouhaiterdebeauxrêvesj’aiditautrechose…—Maisencore?fitBéa,quiétaitsuspendueàmeslèvres.—Ben,j’airépondu:«Tum’énerves!»etjesuisentréedansmachambreauplusvitecommeune
lâche!—Wow!Tun’yvaspasavecledosdelacuillère,toi!—C’étaitspontané,commed’habitude.Aucuneidéedecommentj’aipusortirça!J’avais en effet une vilaine tendance à agir sans réfléchir. Une fois l’erreur commise, je devais
ensuite rectifier le tir,cequiétait trèsembarrassant.Ce« tum’énerves»nedevaitpasêtreprisaupieddelalettre,maisilétaitdéjàtroptardpournuancermespropos.Detoutefaçon,vulesourirequeJohnm’avaitfaitenentendantcesmots,ilavaitsansdoutecomprisquej’avaisunfaiblepourlui.J’enétaismêmecertaine.En entrant dans ma chambre, j’avais été envahie par un sentiment de ridicule mais aussi de
soulagement.Spontanément,jem’étaiscognélatêteaumur.Leboumavaitretentidanstoutelapièce.Jen’osaismêmepasimaginerlesondesdechocquiétaientparvenuesjusqu’auxchambresvoisines.«Pourvuqu’ellesnesesoientpaspropagéesjusqu’àlatroisièmechambred’àcôté»,avais-jepensé.Il me fallait me contrôler ! Je voulais cet homme ! Pas dans deux jours ni dans une semaine,
maintenant!L’impossiblequinousséparaitnem’importaitplus.Jebouillonnaisendedans.Jem’étaisalorsmiseà inspirerprofondément et àparcourir la chambrede longen large.Mespieds frottantcontre le tapis produisaient une fumée poussiéreuse sur mon passage. J’avais passé en revue lespossibilitésquis’offraientàmoi.1.J’allaisimmédiatementcogneràsaportepourleséduire.2.Jel’appelaisdanssachambrepourévaluermeschancesderéussite.3.Jerestaislàànerienfaire.J’avaischoisilatroisièmeoption.Béas’enoffusqua.—Scarlett!Ilnet’auraitpasditnon,c’estunhomme!Tunevaspeut-êtrepaslerevoiravantdes
mois,ettulesais.Malgrétout,tuaspréférénerienfaire?megronda-t-elle.
— Oui ! Exactement ! J’ai préféré ne rien faire ! Je n’aurais pas été bien avec moi-même,autrement!Ilestmarié,Béa!J’auraiscouchéaveclui,etaprès?Rien!C’estmoiquiauraiseulecœurbrisé.Etpuis,s’ilavaitvouluqu’ilsepassequelquechose,ilauraittentésachance,parcequejevenais de lui faire comprendre qu’il m’attirait, expliquai-je, convaincue d’avoir pris la bonnedécision.—Tuas raison.Desavancesd’hommesmariés, j’enai eudesdizaines, et ce, sans leur faire les
yeuxdoux.Quandilsleveulent,ilspassentàl’action,dit-elle.Béaétaitàlafoisfièredemoietdéçuequ’ilnesesoitrienpassé.Pourmapart,j’étaischagrinée,
maisaussisoulagéed’avoirétéfidèleàmesconvictions.JenesavaispasquandjereverraisJohnetmieux valait que cemoment n’arrive pas de sitôt. Il était temps pourmoi de rencontrer des gensnouveauxetdem’amouracherd’unautrehommeauplusvite.Jemejuraialorsd’acceptertouteslesinvitationsquiseprésenteraientàmoi.Certainementunsoupirantallaitconquérirmoncœur.Lejeuenvalaitlachandelle,ilsuffisaitd’essayer.
J
Chapitre10
Montréal(YUL)
el’avaisnommé«Lejeuduflirtextrême».J’étaisbiendécidéeàm’amuseravecleshommesetàlaisserpourunefoismesprincipescontraignantsdecôté.Cettecurededésintoximproviséeavait
pour but de me faire oublier le beau John Ross. Le choix des prétendants possibles était plutôtillimité, étant donné la courte liste de conditions auxquelles ils étaient soumis. Premièrement, lescandidats devaient être célibataires. Tous ceux étant divorcés, en instance de divorce ou en breakn’étaientpasadmissiblesàmesséancesdeflirt.Etdeuxièmement,ilsdevaientêtreâgésentrevingt-cinqetquarante-cinqans.Enrésumé:j’étaisprêteàrencontrern’importequi.Vu les nombreux candidats qui s’offraient à moi, les mois qui allaient suivre s’annonçaient
divertissants. J’étais prête à lancer les dés coûte que coûte. Qui sait, les sentiments de tendresseobsessionnellequej’éprouvaispourPilote-inaccessibleseraientpeut-êtrereléguésauxoubliettesunefoispourtoutes?Jel’espérais.Béa m’avait donc présenté des candidats au cours du mois de septembre. Bien qu’aucun n’ait
vraimentretenumonattention,jem’étaisprêtéeaujeucommeunegrandeetj’avaisacceptéquelquesinvitations.Cesrencontresn’avaientmenénullepart,maiscelaavaittoutdemêmecontribuéàallégermonmoral.J’avaisprisgoûtaujeuetjedésiraiscontinuer.C’estalorsquej’avaisreçuuncourrielinespéréd’uncollègueséniorappeléGuy.Ildisait:«Salut
Scarlett,nousnenousconnaissonspas,maisj’auraisunvolàt’échanger.Situesintéressée,c’estunNice72heures…»WOW!Unsoixante-douzeheuresàNice !Évidemmentque je levoulais !Enlisantdenouveausonmessage,j’avaisétéprised’unesoudaineinquiétude.Guyn’avaitsûrementpaspenséjusteàmoietavaitdûenvoyerdescourrielsàd’autresagentsdebordpourfairecetéchangeauplusvite.Jem’étaisdoncempresséede luirépondre,car jenevoulaispasmefairecouper l’herbesouslepied.Cet échange tombait juste à point, carmaintenant que j’avais adoptémanouvelle philosophie du
«flirtextrême»cespetites«vacances»pourraientcontribueràmefairerencontrerdescandidatsdel’autre côté de l’Atlantique. Qui sait ? Impatiemment, j’avais attendu sa réponse et, au bout d’unejournée, j’avaisapprisque l’échangeavaitétéaccepté !Pourune raison indéterminée,Guyprenaitmon Paris, pas de dodo, deadhead aussitôt à Istanbul, dix-neuf heures de repos, du vendredi audimanche (Beurk !), et moi, son soixante-douze heures direct à Nice (Yé !). J’avais l’impressiond’avoirgagnélegroslot,carmêmeaprèsunpeuplusdetroisannéesàvolercommeagentedebordjen’avaisjamaisvuuntelitinéraires’affichersurmonhoraire.Cesoir-là,jemepréparaidoncenpensantàNiceetàsaplagedegalets.J’espéraisqu’encemois
d’octobreilferaitassezchaudpourquejepuisseprofiterdelamerMéditerranée.J’avaisdéjàhâted’arriveretjen’étaismêmepasencorepartie.Enregardantmamontre,jeréalisaiqu’ilmerestaitunedemi-heureavantdemerendreàl’aéroport.
Jem’installaialorssurmondivanavecmonordinateuretconsultairapidementlalistedesmembresd’équipage quim’accompagneraient.Malgrémoi, j’espérais y voir apparaître le nom de John. Jem’en voulais d’y avoir même pensé, mais heureusement aucun nom ne m’était familier. J’étaistoutefoiscurieusedesavoirquiétaientSamanthaetCécile.Leursprénomsmedisaientquelquechose.Uneseulepersonnepouvaitm’éclaireràcesujetet,parchance,ellesetrouvaitdanslapièced’àcôté.
—Rupert,est-cequetupeuxvenirici,s’ilteplaît?l’interpellai-je.Je regardai encore une fois l’écran de mon ordinateur et lus les numéros d’ancienneté qui se
trouvaientàcôtédechaquenom:2,20,25,45,68,70etlemien,1014!J’avaisofficiellementaffaireàunegangdevieillessacoches!J’eussoudainementpeur.Depuis que j’étais dans l’aviation, j’avais entendu des rumeurs de toutes sortes. Plusieurs parmi
elles concernaient des agents de bord ayant beaucoup d’ancienneté. Nous les appelions « lessacoches»,etd’aprèscequ’onm’avaitdit,ilyenavaitdesbonnesetdesmauvaises.Jesavaisquelaréputationdecertainsdecesagentsdebordétaitvéridique,carj’avaistravailléavec
plusieursd’entreeux.Heureusement,j’étaistombéesurdebonsgroupes:deshommesetdesfemmesqui volaient depuis unevingtained’années et qui adoraient leur job.Par amourpour lemétier, ilsavaientserviunnombreinimaginabledepassagersetavaientendurélafuméedecigarettelorsqu’ilétait encorepermisde fumeràbord.Mêmeaprèsdesmilliersd’heuresdevol, ils étaient toujoursaussisouriantsetefficaces.«D’exceptionnellessacoches»,disait-on.Malheureusement,toutechosepossèdesoncontraire.Lejouretlanuit.Naîtreetmourir.Lefroidet
lechaud.Lesbonnesetlesmauvaisessacoches.Lesvigoureusesetlesmollasses.Àl’inversedessacochesvigoureuses,lesmollassesagissentdansleurpropreintérêt,dudécollage
jusqu’à l’atterrissage.Ce sont là aussi des hommes et des femmes qui volent depuis une vingtained’annéesetquiontservidesmilliersdepassagers.Parcontre,cesagentsdebordn’aimentplusleurmétier et ne le gardent que par nécessité. Ils n’apprécient pas non plus les passagers, et une seulerequêtedelapartdecesderniers lesenrage.Ilsnesourientpasetpréfèrents’asseoirsur lesbancsd’équipagedèsqu’ilsontfinileservicedansleuralléeplutôtqued’offrirleuraideàleurscollèguesdel’autrecôté.Desmauvaisessacochessanstonus!J’espéraisqu’aucuned’entreellesnesetrouvaitsurmonitinérairedevol.L’inquiétudem’envahitdeplusbelle.—Rupert!Qu’est-cequetufais?Viensici,etvite!m’affolai-je.Encoreàmoitiénu,moncolocsortitdesachambre.—Qu’est-cequetuasàcrierdemême?Iln’yapaslefeu!melança-t-il.—Lefeu?Non,maispresque.JeparscesoiràNiceetjeviensderegarderlesnomsdesagentsde
bordquivolentavecmoi.Ilssonttousséniors!J’aibesoindesavoirsitulesconnais.J’aipeurquecesoitdessacochesquinefontrien.—Ah!Jevois.Laisse-moijeteruncoupd’œil,medit-il.Rupertétaitderrièremoi.Ilsepenchaetposasatêtesurmonépauleenobservantl’écrandemon
ordinateur.—LedirecteurdevolestYvesMartin.Numéro2danslacompagnie.Ilestsuper.Ilvat’aimer.Ilest
unpeusérieux,maisilesttravaillantetilsaitsefairerespecter,m’expliqua-t-il.Quelsoulagement!Undirecteurdevoldevaitmontrerl’exempleetcréerunebonneambiancede
travail.Si,parmalheur,unemauvaisesacochesetrouvaitdansl’équipe,ellen’oseraitsûrementpastraînerdelapatteavecundirecteurpareil.«Quoiquelesrumeursexistentbienpouruneraison»,medis-je.Rupertcontinua:—Gillesesttrèsgentilaussi.Ilvapeut-êtreteparlerpendanttoutlevoldesfleursqu’ilcultivedans
saverrière,maisilyapirequeça.QuantàMartine,elleestdoucecommeunagneau,alorstun’asrienàcraindre.Elleapportetoujourssonlunchàbordetçaachaquefoisl’airdélicieux.Jusqu’àmaintenant,jesentaisquej’étaistombéesurungroupedebonnessacoches.J’avaispresque
hâtedelesrencontrer.Jedevaisbientôtpartir.J’encourageaiRupertàterminersonexposé.—Chanceuse!TuvolesavecMarieAllard.Unange!Elleesttoujoursprêteàdonneruncoupde
main.Tuvasl’adorer.—Ouais.Jevoisquetout lemondea l’aird’êtresympathique.C’estsuper!TuconnaisCécileet
Samantha?lequestionnai-jepourfinir.—CécileDuquet?EtSamanthaBlindfort?s’empressa-t-ildemedemander.Son regard venait de changer. Il avait l’air étonné de m’entendre prononcer ces prénoms. Je
consultaidenouveaulalistedesmembresd’équipage.—Oui.Exactement.DuquetetBlindfort,confirmai-je.—OhmyGod!OhmyGod!OhmyGod!s’exclama-t-ilvivement.Intriguéeparsaréaction,jefermaiimmédiatementmonportableetmelevaipourluifaireface.—Scarlett,cesdeuxfemmessont…sont…Ah!Jenesaispascommentt’expliquer…Jenevoyaispasoùilvoulaitenvenir.Ilsemblaitàlafoissurprisetmalàl’aise.J’avaisbesoinde
plusdedétails.—Rupert,qu’est-cequis’estpasséavecCécileetSamantha?Tun’asquandmêmepascouchéavec
elles?dis-jespontanément.—Voyons,Scarlett!Moi,coucheravecdesfemmes?—Qu’est-cequ’ellest’ontfait,alors?—Ehbien,c’estplutôtcequ’onafait…—OK!Qu’est-cequevousavezfait?lepressai-je.—Desvilaineschoses!dit-ild’unairgêné,toutenarborantunsourireencoin.—Comme…?—J’étaisjeune,stupideetsoûl,cesoir-là!sejustifia-t-ilsansmedonnerdavantagededétails.—Rupert, on a tous été naïfs à nos débuts chezVéoAir. Je vais comprendre.Allez, que s’est-il
passé?insistai-je.—Hum,jenesaispassijedevraisteledire!metitilla-t-il,soudainementamuséparmacuriosité.Ses cachotteries commençaient sérieusement àm’énerver. Pourquoi ne voulait-il pasme dire ce
qu’ilavaitfait?J’étaissacolocatairedepuistroisans!—Rupert!Dis-le-moi!C’estfatigant,cesuspense.Jesuistonamie.Çanedoitpasêtresipireque
ça. Je vais le leur demander ce soir pendant le vol si tu neme le dis pas, lemenaçai-je pour luisoutirersonsecret.—Net’avisepasdeleurdemanderquoiquecesoit.Etneleurmentionnesurtoutpasquejesuiston
ami.Sijeteracontel’histoire,tunedevrasjamaisyfaireallusiondansl’avion,m’avertit-il.—Pourquoi?Ellestedétestent?—Non !Mais ce qui s’est passé ce soir-là a créé toute une commotion.Depuis, elles ont laissé
courircertainesrumeurs,maismoijen’enaijamaisparlé.J’aidécidédecacherlavérité.Personnenedoitsavoir.—Rupert-le-potineurquigardeunsecret!Pourquoiest-ilsiprécieux?m’enquis-je.—Parcequ’ilimpliqueunpiloteetquel’histoireatournéauvinaigreaveclui.—Wô!C’estintéressant!C’estqui,cepilote?— Tu te rappelles le beau pilote qui, il y a quelques années, a démissionné sans raison après
seulementtroismoischezVéoAir?—CeluiquiadécidédenepaseffectuerunvolderetourdepuisParissanss’expliquer?demandai-
je,deplusenplusintriguée.—Oui,lui.—Tun’étaispaslà,justement?—Oui, et c’estprécisémentpour çaque je connais la raisonde sondépart, répondit-il, toujours
aussiévasif.—Maisraconte,voyons!Vite,Rupert,s’il teplaît!Jedoisêtrepartiedansquinzeminutes.Je te
jurequejenedirairienàpersonne.MêmepasàBéa,lançai-je,fatiguéequ’ilmefasselanguir.—ÀBéa,çava,maisàpersonned’autre!insista-t-il.—Promis!Juré!Craché!Je me rassis sur le divan et Rupert partit enfiler un chandail. Il revint aussitôt dans le salon et
s’installa àmescôtés.Sonhistoire avaitvraiment l’air étrangeet j’espéraisqu’ilme ladéballeraitrapidementpournepastropmeretarder.Ilselança:—Bon,jeterappellequ’àmesdébutsdansl’aviationj’aifaitdesconneries.Toi,tuasembrassédes
pilotesquiavaientdesblondes,etmoij’aifaitd’autreschoses.OK?—Oui,Rupert,jenetejugeraipas.Promis!lerassurai-jeavantqu’ilcontinue.— L’histoire se passe à Paris quelques mois après mon premier vol. Certains membres de
l’équipages’étaientrassemblésdansunechambred’hôtelaprèslesouper.Ilyavaituncommandant,unpremierofficier,Cécile,Samanthaetmoi.—Ellesressemblentàquoi,cesfemmes-là,pourquejemefasseuneidée?— Cinquantaine, cheveux blond platine, trop maquillées. Elles devaient être belles lorsqu’elles
étaientjeunes,maislàellesontjustel’aird’avoirtropfaitleparty.—Hum,jevois.Etc’étaitquil’autrepilote?—Ah!Ça,parcontre,jeneteledispas!répliqua-t-ilaussitôt.—Benlà!Ilfaudraitsavoir!Tumeledévoiles,tonsecret,outunemeledévoilespas?—Non!Jenetedispassonnom.Detoutefaçon,çanechangerarienàl’histoire,affirma-t-il.Jelelaissaipoursuivre.— Plus la soirée avançait et plus l’alcool coulait à flots. Quand nous avons été bien soûls, la
questiondusexeestarrivéesurlatable.—Quellesurprise!fis-jeironiquement.—Ehoui!Unsujetquirevienttoujours.Nousaurionspunouscontenterd’enparler,maisCécileet
Samanthaonteuunebienmeilleureidée.Rupertfitunepausevolontaire.—Allez!Àquoiellesontpensé?l’interrogeai-je,impatiente.—Elles nous ont proposé de participer à un concours de fellation ! s’exclama-t-il enme tapant
brusquementsurl’épaule.—Tumeniaises?Ellessontdoncbienperverses!m’exclamai-jeàmontour.—Çaoui,jetel’accorde!J’étais sous le choc. Jamais je n’aurais pu participer à une telle compétition pour prouver ma
performanceaubâton.Quoiquej’auraispeut-êtreaiméregarderlascèneparunebrèchedansunmur.Enmêmetemps,j’étaiscurieusedeconnaîtrelasuitedel’histoire.IlfallaitqueRupertlatermineauplusvite.Unpeudecirculationsurlarouteetj’arriveraisenretardàl’aéroport.—Lecommandantétaitmariéet,enentendantcetteproposition,iladécidédepartir,reprit-il.—Très responsabledesapart. Ila sûrementmanquéquelquechose.CécileetSamanthadevaient
êtredéçuesqu’ilnerestequetoietlepremierofficier,non?—Enfait,jepensequ’elless’enfoutaient.Puisquelebeaupiloteétaitnouveaudanslacompagnie,
elles le voulaient rien que pour elles depuis le début de la soirée. Elles allaient enfin pouvoirs’amuseraveclui.—Ettoi,danstoutça?Tunet’estoutdemêmepaslaisséamadouerpardeuxmadames?demandai-
je,perplexe.
—Évidemmentquenon ! J’aimoi aussipensé àpartir,mais lepremierofficier était vraiment àmongoût,alorsj’aiproposédejoueràl’arbitrepourobservercequiallaitsepasser.—Ouin,tuasdûterincerl’œil!—Mets-en !meconfirmaRupertavecunpetit souriregênéavantdecontinuer.Cécilea sortiun
bandeaudesonsacàmain.Commesielleavaitplanifiélecoup.Elleacouvertlesyeuxdupilote.Ilétaitdéjàprêtàcommencerleconcoursetavaitbaissésonpantalon.Danslecampdesrouges, ilyavaitCécileDuquet,etdansceluidesbleus,SamanthaBlindfort.—Oh!Arrête!Arrête!C’estdégradantcommehistoire.Jen’enrevienspasqu’ellesaientfaitça
pourimpressionnerungars,déclarai-je,scandalisée.—Tuveuxquej’arrête?Lameilleureparties’envient,Scarlett,m’appâtaRupert.—Bennon!Continue,voyons!C’estsûrquejeveuxconnaîtreledénouement!—Samanthaacommencé.Elles’estmiseàgenouxetafaitexactementcequ’ilfallait.Lepilotese
délectait.Elleacontinuéjusqu’àcequejecèdeletouràCécile.C’étaitmaintenantàellededonnertoutcequ’elleavait.Lepremierofficierétaitauxanges.J’aifinalementsifflélafindelapartie.Lerésultatsemblaitserré.—Quiagagné?demandai-je.—Lepiloten’arrivaitpasàsedécider,alorsilaréclaméuneprolongation.—Ah!Lesalaud!m’exclamai-je,outrée.—Brillant,tuveuxdire?mecorrigea-t-il.—Ouais,unrusépetitrenard…Ilfallaitvraimentquejeparte.JecommençaiàenfilermonmanteaupendantqueRupertcontinuaità
merelaterlacompétition.—Samanthaaalorsrecommencédeplusbelle.Elleyprenaitgoût.Puissontempss’estécoulé.Une
dernièrechanceétaitaccordéeàsonadversaire.Ilfallaitjouerletoutpourletout!—Etlepilote,danstoutça?Ilnedevaitpasluiresterlongtempsàtenir,dis-jedepuisl’entrée.—Ah!Ilétaitenextase.Samanthaavaittoutdonné.Maisc’estquandsonadversaireaprislerelais
qu’il avraiment ressentiun réelplaisir.Çayallaitpar là !Duvraiprofessionnalisme.Lepremierofficieraexploséendeuxsecondes!affirmaRupert,levisagetoutrouge.—Voyons!Pourquoit’esrougecommeça?C’estCécilequiaétédéclaréereinedelafellation?Jen’avaispasterminémaphrasequeRupertéclataitderire.Ilétaitpliéendeux.Jenecomprenais
paspourquoiilriaitainsi,maisjen’avaisplusdetempsàperdre.J’ouvrisalorslaporteafindeluisignalermondépartimminent.Me voyant partir sans même attendre le dévoilement de l’heureuse gagnante, Rupert tenta de
reprendre son sérieux en respirant profondément. Puis, après s’être calmé, il esquissa un sourireembarrassé,mefitunclind’œilcompliceetditenfin:—Etsic’étaitunroiquiavaitremportéleconcours?
L
Chapitre11
Montréal(YUL)–Nice(NCE)
orsque jemontai dans l’appareil, les pilotes n’étaient pas encore là. Seulement deux agents debordmasculinsétaientarrivés.J’endéduisisqu’ils’agissaitd’YvesetdeGilles.Ilsavaienttous
les deux l’air très sympathiques, comme Rupert me l’avait précisé. Yves était grand et mince etarboraitunebarbe. Ildevaitêtredans lacinquantaine.QuantàGilles, il semblaitunpeuplusâgé :cheveuxgrislissés,manièresefféminées.Ilparlaitdéjàdesesfleurslorsquejemeprésentaiàlui.Je ne m’entretins que brièvement avec eux, préférant m’asseoir sur un siège dans la troisième
rangée en attendant l’arrivée du reste de l’équipage. J’avais ridiculement hâte de voir à quoiressemblaientCécileetSamantha.Je me remémorai les dernières paroles de Rupert : « Et si c’était un roi qui avait remporté le
concours?»C’étaitdoncvrai,cetterumeurde«concoursdepipe»mettantenvedetteunpilote!Jen’arrivais pas à croire que Rupert y avait participé. Le premier officier pouvait bien avoirdémissionnésur-le-champ!Quellehontepourlui!Unefoissoulagé,ilavaitprobablementsoulevésonbandeaupourféliciterlatalentueusechampionneetrapidementréaliséquemoncherRupertavaitoutrepassésonrôled’arbitre.Quelchoc!Lesdeuxreinesdelacompétitionavaientdûbienrire…Aumoins, l’autre pilote avait été raisonnable en s’en allant avant même que le concours commence.«MonJohnaussiseraitparti»,pensai-je,convaincue.Pendant que je réfléchissais à cette histoire,mes autres collègues arrivèrent.Elles riaient de bon
cœur.Jelesobservai.Deuxjoliesfemmesauxtraitsfinsetauxcheveuxbiencoifféss’assirentdanslarangée devant moi. Comme elles parlaient de leurs enfants, j’en conclus que l’une était Marie etl’autre,Martine.QuantàCécileetSamantha,iln’yavaitpasdedoute,ellesvenaientdeprendreplacedans lapremière rangée.Leurschevelures respectivesétaientd’unblondplatineexemplaireet leurteintbruniparlesrayonsUVleurenlevaitlepeudeclassequileurrestait.Leursvisagespoudrésnementaientpas.Elles enavaientvécu,des expériences,dans leurvie.Et l’uned’elles étaitd’ailleurspassionnante!«Siseulementellessavaientquejesais»,medis-je.Le directeur de vol, à qui le commandant avait fourni personnellement les conditions de vol,
commençasansplusattendresonbriefing:—Bonsoir à tous ! Je peux voir que vous vous connaissez déjà, alors on va laisser tomber les
présentations…Était-ce parce que j’étais assise dans le fond qu’on m’avait ignorée ? Je m’étais pourtant bien
présentéeaudirecteurdevolenarrivant. Il fallaitque jememanifeste immédiatementpournepasprojeterunemauvaiseimageetavoirensuiteàensubirlesconséquences.Commejemepréparaisàparler,l’unedesblondesplatineinterrompitYvesenmepointantdesonlongindexenduitdevernisrouge.—Pardon,Yves,maiselle,jenelaconnaispas,dit-elled’untonméprisant.J’avaisl’impressiond’êtreuneintrusedanssonavionetquemapeauclaireetjeuneladérangeait
prodigieusement. Tous les yeux se tournèrent alors dansma direction comme si personne n’avaitencoreremarquémaprésence.Yvessereprit:—Ahoui!Désolé!J’avaisoubliélap’titenouvelle.Hého!Nouvelle?C’estvraiquejen’étaispasdanslemilieudepuisvingtans,maisj’yévoluais
quandmêmedepuisquelquesannées.Lemomentétanttoutefoismalchoisipourm’offusquer,jeprisleplussympathiquedessouriresetm’exprimaiavecconfiance:—Bonjour,moi,c’estScarlett!Je regardai alors lesdeux femmesdevantmoipourqu’elles seprésentent à leur tour.Ensuite, je
tournailatêteversledirecteurdevoletrépétaisonnompoursignalerquejem’ensouvenaisbien.JefisdemêmepourGilles,puisjeposaienfinlesyeuxsurlesdeuxblondesplatine.JemedemandaisquiétaitSamanthaetquiétaitCécile.Jesoupçonnaisquel’indexaccusateurappartenaitàSamantha.L’autreblondem’adressaungrandsourireetmedit:—Jem’appelleCécile.Enchantéedefairetaconnaissance,Scarlett.Jeluirendissonsourireetdirigeaimonregardverssavoisine.—Bonjour,Scarlett,jesuisSamantha,fit-elled’unairdésintéressé.Lesprésentationsétantterminées,Yvess’empressadereprendrelaparole:—Maintenantque tout lemondeseconnaît, jevais fairevite, car jedois lancer l’embarquement
danslesquinzeprochainesminutes.Commençonsparlespositions.«Quelle surprise !»pensai-je ironiquement.C’étaitchosecommune.Avantmêmed’entendre les
détailsduvol,chaqueagentdebordchoisissaitsapositiondansl’avionparordred’ancienneté.Étantla plus junior de l’équipage, je devrais me contenter du dernier choix, mais ça ne voulait pasnécessairementdirequ’iln’allaitpasmeplaire.Gillescommença.SuivirentMartineetMarie.PuisCécile,plusséniorquesa«meilleureamie»,
choisit de travailler à l’arrière avec Marie. Samantha avait maintenant le choix entre les deuxpositions restantes.L’une impliquaitde travaillerdans la cabine,maisausside s’asseoirdevant lespassagers aumilieu de l’appareil. Et l’autre permettait de s’asseoir complètement à l’arrière, sanspassagers,etdejaseravecsescollègues,maisnécessitaitaussidepréparertousleschariotsderepasetdeboissons.Àvoir saparfaitemanucure, jedoutaisqueSamantha se risqueà travaillerdans lagalleyarrièreetàsouleverdescontenantslourds.Ellepleureraitsansdoutesiellesecassaitunongle.Ellechoisitcommejelepensaislapositionassisedevantlespassagersetj’obtinscelledanslagalleyarrière.Ledirecteurdevolcontinuasondiscours:— Ce soir, nous opérons le vol 234 vers Nice, avec un temps de vol prévu de sept heures et
cinquante-cinqminutes.—Grrr!seplaignitSamantha.Voilàquinemesurprenaitpas.Ellem’avait tout l’airdugenred’agentedebordfaisantpartiedu
secondgroupedesacoches.Lesmollasses,quisetuaientrarementàl’ouvrage.C’estvraiquepresquehuitheuresdevolétaientuneduréeanormalementlonguepourunNice.Septheuresetdemieauraientétéraisonnables,etjecomprenaissadéception.Trenteminutesdeplussignifiaientpourmoiquej’enauraispourpluslongtempsàcombattrelesommeil.MaisjedoutaisqueSamanthas’exclamepourlamêmeraison.Pourelle,cettedemi-heuresupplémentairevoulaitplutôtdirequ’elledevraittravaillerpluslongtemps.Yvesignorasaréactionetpoursuivit:—Levolestplein.Troisfauteuilsroulantsetdeuxbébés.—Grrr!grognadenouveauSamantha.Lareinedugroupedevaitmaintenantseplaindreparcequ’ilyauraittropdepassagersàservir.Elle
auraitsansdoutepréféréquel’avionsoitvidepourdormirdurant tout levol.Maissanspassagers,aurait-elleencoreunemploi?Ellen’avaitsûrementpaspenséàcelégerdétail.Elles’empressadedemander:—Benlà!Est-cequ’onaaumoinsnossiègesd’équipage?—Oui,Samantha.Ne t’inquiètepas.Vousavezvos siègesà l’arrièrepourvous reposer lorsdes
pauses,précisaYves.Ellesecalmaenfinetlaissaledirecteurdevolterminersonbriefing.Curieusement,jen’avaispas
entenduCécilebronchercommesajumelleplatine.Jel’avaispeut-êtrejugéetropvite.Cécileoscillaitpossiblement entre les deux groupes.Vigoureuse ou sans tonus, selon les jours. Je le saurais bienassezvite.
***
Leservicede repas s’était fait enun tourdemain.Leschariots étaient remplisdeplateaux sales.J’étaisdégoulinantedesueuràforced’avoirouverttouscesfourspourrécupérerlesplatschaudsdespassagers.Jen’avaispaseuuneminutepourmerelaxer.Jenemesouvenaispasd’avoirdéjàétéaussioccupéeparlepassé.Lesautresagentsdebordavaient-ilsbiendéposélesplateauxsurlestablettes?Ou les avaient-ils seulement jetés à la figure des passagers pour aller plus rapidement ? J’étaisperplexe.Cécilearrivaàl’arrièrepourmangersonrepas.Jelaquestionnai:—Jen’aivraimentpasarrêtépendant le service.Est-cequec’estmoiouvousavez servi tout le
mondeenuntempsrecord?—Ouais,plusviteilssontservis,plusviteondébarrasseetplusviteonpeutdormir,m’expliqua-t-
elle,commesilachoseétaitévidente.—Ah!Jevois…Je n’avais pas rêvé. Je venais dem’échiner à la tâche pour permettre au reste de l’équipage de
dormirpluslongtemps!Jeravalaimacolèreetsortislechariotdesrepasquinousétaientréservésafinquemescollèguespuissentmanger.Àpeine lecompartimentétait-ilouvertqueSamanthas’yprécipita.Elle sortitunplateau,puisun
autre,etfitsonagencementpersonnel.Jecomprisquelasaladeauxpoischichesneluiplaisaitpas,car elle la remplaça par la laitue. Pour les feuilles vertes, la sauce à l’italienne déposée sur sonplateau semblait ne pas l’intéresser. Elle prit celle aux tomates séchées sur un autre plateau. Parcontre, le dessert lui convenait. J’avais l’impression d’observer une louve en train de chasser unebiche.Sesjolislouveteauxattendaientpatiemmentenretraitleurpartdufestin.La louve finit par s’asseoir pourmanger son repas. J’aurais bien aimé qu’elle s’installe sur les
siègesd’équipage,loindemavue,maisellepritplutôtplacesurlestrapontinàl’arrièredel’avion.Je la voyais me scruter d’un regard hautain entre chaque bouchée. Je ne m’en formalisai pas etcontinuaiànettoyerlescomptoirshumides.Soudain,ellesedécidaàmeparler:—Scarlett,c’estça?—Oui,c’estça,confirmai-je.—Çafaitlongtempsquetuesdanslacompagnie?—Unpeuplusdetroisans.—Tuasunchum?Jen’étaispassurpriseparsesinterrogations.Jelesappréciais,même.Samanthavoulaitassurément
mefairelaconversation.Sadernièrequestion,clé,pouvaitouvrirladiscussionsurdifférentssujets:où avais-je rencontré mon mec, qui était-il, que faisait-il, quels étaient nos projets…Malheureusementpour elle, il faudraitqu’ellemequestionne sur autre chose, car jen’avais rienàdireàcepropos.—Non,personne,répondis-je.—Ahouin…Unebellefillecommetoi!Célibataire!Commentça?medemanda-t-elle,commesi
j’avaisuneexplicationlogique.—Hum,apparemment,jesuistropdifficile,avouai-jeentouteconscience.
—Voyonsdonc!Tuasquelâge?Vingt-six?—Non,vingt-neuf,luidis-je,raviedeparaîtreplusjeune.—Bah!Sij’avaistonâge,jecroqueraisn’importequietjenemesoucieraispasdemedénicherun
mari.—Ouais,maisjevaisbientôtavoirtrenteans!—Voyons,mabelle!Thirty is thenewtwenty!Amuse-toidoncavantqu’ilnesoit trop tard,me
conseilla-t-elle.M’amuser ?OK !Mais croquer ?Wô ! «Certainement pas comme elle ! » pensai-je. Samantha
n’avaitpastort.Ilfallaitquejemelaissealler.Etc’estcequej’essayaisdefaireavec«Lejeuduflirtextrême».Jen’avaistoutsimplementpasencorerencontréquelqu’unquim’allumaitassezpourallerplusloin.«MisàpartJohn»,medis-je.Maisça,jen’avaispasledroitd’ypenser.J’aimaisbiencetteSamantha, en findecompte.Unecroqueused’hommes,peut-être,maisaussiune femmequi savaits’amuser!
***
Le vol s’était bien déroulé et mon équipage avait travaillé vigoureusement, mis à part les deuxsacochesmollasses qui s’étaient endormies pendant presquedeuxheures sur les sièges d’équipagesanslaisserlesautress’yreposer.Malgrél’attitudeégoïstequeSamanthaavaitadoptéetoutaulongdu vol, j’avais quandmême aimé notre conversation. Et puis les fâcheuses habitudes qu’elle avaitacquisesaufildesannéesn’allaientsûrementpaschanger.Rienneservaitdoncdes’enindigner.J’avais passéunepartie duvol à discuter de tout et de rien avecMarie etMartinedans lagalley
arrière.Ellesm’avaientfélicitéepourma«zénituded’esprit»concernantmoncélibatetm’avaientaussipréditquecetteattitudeattireraitinévitablementdeshommessurmonchemin,etce,sansquejelèvelepetitdoigt.Etsiellesavaientraison?
–M
Chapitre12
Nice(NCE)
esdamesetmessieurs, jevous souhaite labienvenueàNice. Il est présentement7heuresdumatin et la température extérieure est de 15 degrés Celsius. Nous vous demandons de
demeurerassisavecvotreceintureattachée…QuinzedegrésCelsius!C’étaitunpeufroidpouralleràlaplage.Quoiqu’ilétaitencoretôtetque
j’étaisicipourtroisjours.Lajournéeallaitsansdouteseréchauffer.«Unetempératureparfaitepourvisiterlaville»,medis-jeenrécupérantmoncarry-on.Lespassagersayanttousdébarqué,jem’avançairapidementverslasortie.J’avaishâtedem’asseoir
dansl’autobusd’équipage.Lesyeuxmepiquaient.«Lesvolsdenuitpeuventbiens’appelerdesred-eyesenanglais!»pensai-jeenposantlepiedhorsdel’avion.Jefuslapremièreàensortir.J’étaisétonnéequeSamanthanem’aitpasprécédée.Elleauraitétédugenreàpartiravantlespassagerspourêtrecertainedemonterlapremièredansl’autobus.Enarrivantauxdouanes françaises, je remarquaique lespassagersmebloquaient la route. Je les
contournai,remontailafilejusqu’audouanieretattendisquecelui-cimeregarde.Ilmevitetmefitsignedepasserimmédiatement.Jesoulevaimacarted’identitépourmembresd’équipageafinqu’illaregarde,maisilsecontentad’abaisserlatêteensigned’approbation.Àpeineyavait-ilposélesyeux.«Quec’estagréabled’arriverenFrance!»pensai-je.Commej’avaisprisl’habitudedevoyagerléger,jen’attendispasdevaliseaucarrouselàbagages.
Jerepérairapidementl’indicationdelasortieetm’ydirigeaisanstarder.J’approchaialorsdedeuxgrandes portes coulissantes argentées. Le matériau opaque m’empêchait de voir de l’autre côté,reflétant plutôt mon image. Plus je m’avançais et plus ma silhouette se dessinait fièrement, de lacourburedemeshanches jusqu’à lacarruredemesépaules.Macoiffuresemblaitencore intacteetlisse, car son éclatmiroitait dans la glace.Mes lèvres rougeâtres coloraientmon visage.Derrièremoi,pasâmequivive.Detouslespassagersetmembresd’équipage,j’étaislapremièreàutilisercesportes.Finalement, ces éblouissants miroirs s’ouvrirent et j’accédai à l’aire d’arrivée. Soudain, j’eus
l’impressiond’êtreunecélèbrestardecinémaarrivantàNicepourassisterauFestivaldeCannes.Lespaparazzism’attendaient.Desbouquetsdefleursm’étaientofferts.Onmedemandaitdesautographes.Touscesgensn’étaient làquepourmoi!Ilnememanquaitqu’unepairedelunettesfuméessur leboutdunezpourquejememetteàsaluermesfans.Hélas, je rêvais. Personne nem’attendait.Malgrémon désolant anonymat,mes faux admirateurs
s’écartèrent surmonpassage,me frayant ainsi un chemin. Je fendis la foule d’un air supérieur enregardantautourdemoi.Etlà,brusquement,monattentionfutattiréeparlevêtementrougeportéparl’und’eux.Machinalement,jelevailesyeuxpourregarderlevisagedelapersonneauchandailrouge.C’était
unhomme.UnAdonis.Sescheveuxbrunstombaientsursesépaules.Ilavait l’aird’unsplendideetdélicieuxhippie.Ilm’observaitluiaussi.Cethommemedisaitquelquechose.Commentpouvais-jeleconnaître?J’étaisàNice!Del’autrecôtédel’Atlantique!Ilmefixaitencore,etplusj’avançaisverslui,plussonvisagemesemblaitfamilier.J’arrivaiàses
côtésetjemesouvinsenfin.
—Euh…Arnaud?Salut!dis-jeenétatdechoc.—Scarlett?C’esttoi?Salut!merépondit-il,nonmoinssurpris.J’étais figée.Devantmoi se tenait le plusbeaugarsque j’aie côtoyépendantmapremière année
d’université.Ilétaitfrançaisetavaitparticipéàunéchanged’unanauCanada.Àl’époque,jen’auraisjamaisvouluvivreunequelconquehistoireavec lui,car jesavaisqu’ilétaitunvéritableCasanova.Telle la Scarlett réservée que j’étais alors, j’avais refusémaintes fois ses avances. Et puis il étaitretournévivreenFrance. Jen’avais jamais regrettédenepasavoirété l’unedesdizainesde fillesayant finidans son lit.Parcontre,maintenantque j’étaisengagéedans«Le jeudu flirt extrême»,j’étaissoudainementprêteàfairelesaut.—TuhabitesàNice?luidemandai-jevivement.—Enfait,jevisàMonaco.Toi,tufaisquoiici?«Quellequestion!»pensai-je.Commesimonuniformeet le foulardautourdemoncouétaient
monstylevestimentairedetouslesjours!Jem’empressaitoutdemêmedeluirépondregentiment:—Ben,jetravaille…Jesuishôtessedel’air.—Wow!Tubossesdansunavion?—Exactement,tuastoutcompris,dis-je,embêtéededevoirconfirmercetteévidence.Toi,tuviens
chercherquelqu’un?Manifestement, j’avais emmené dans mon avion la personne qu’il attendait. Qui était-ce ? Une
ancienne conquête ? Un ami ? Sa copine ? Cette dernière option me décevrait. J’étais impatiented’entendresaréponse.—Unclient,medit-ilenpassantsamaindanssachevelure.J’étaissoulagée.Lavoieétaitlibre.Etàvoirleregardqu’ilposaitsurmoi,jesentaisqu’ilavaitla
mêmeidéequemoientête.Jevisalors lesautresmembresd’équipagesortirpar lesportesargentées.Samanthadevançait le
groupe.Ellepassaprèsdemoietm’aperçuten traindediscuteravecArnaud.Ellenes’arrêtapas,maismefitunsourireencointoutenmelançantunclind’œilcomplice.Jecomprislemessage.—Arnaud,jedoispartir,monéquipageestarrivé,affirmai-jepouraccélérerlaconversation.Àmongrandsoulagement,jen’euspasbesoind’endiredavantage,carilpritlesdevants.—TuesàNicepourlongtemps?medemanda-t-il.—Troisnuits.—Ehbien,ceseraitdommagedenepaspouvoirse revoir !Écoute, je te laissemonnumérode
portable.Appelle-moiplustardetjeviendraiteretrouvercesoir,peuimporteoùtuseras,OK?—Parfait!Àcesoir!dis-jeavantderejoindrel’équipagedansl’autobus.
***
J’étais àpeineassisequehuitpairesd’yeux, incluant ceuxdespilotes, se tournèrentversmoi. Jesoulevai les épaules sans rien dire. J’étais bouche bée devant les hasards de la vie. Si j’avais eu àm’inventerunepersonnesurquitomber,Arnaudauraitétéledernieràquij’auraispensé.Lesilencerégnaitdansl’autobus,maisçanedurapaslongtemps.—Ouin,ouin,ouin,çaal’airquelap’titenouvelleadescontactspartoutdanslemonde,metaquina
Samantha.— Euh… Franchement, je ne sais pas quoi vous dire. J’ai connu ce gars il y a dix ans. Je ne
m’attendaisvraimentpasà lerencontrer toutbonnementà7heuresdumatinenatterrissantàNice,dis-je,commepourmejustifierd’êtrelavictimeduhasard.—Tuvaslevoircesoir,j’espère?
À entendre le ton de Samantha, je pensai immédiatement que, si ce n’était pasmoi qui profitaisd’Arnaud,elles’arrangeraitpourlefaireelle-même.Sonairmefitsourire,maisjenerépondisrien.—Entoutcas,Scarlett,tunepeuxpasdirequetonauranetel’apasservisurunplateaud’argent!
ajoutaMarieenréférenceauxproposqu’elleavaittenusunpeuplustôtavecMartine.—Wô,lesfilles!Onsecalme!Jevaisl’appeleraprèsmasiesteetonverras’ilvientmevoir.C’est
unvieilamid’universitéetnousallonsjusteprendredenosnouvelles,déclarai-jeenycroyantplusoumoins.—Bah!Monœil!lançaCécile.Ilestbeaucommeuncœur,tunevasquandmêmepastecontenter
dejaser!—Hum, onverra.Cegars-là est le pire coureur de jupons que j’aie jamais connu, rétorquai-je,
encoreincertainedesavoircommentenvisagerlasoirée.—Uncoureurde jupons, c’est parfait,Scarlett !Tunepouvais pasmieux tomber !On sait déjà
commentlasoiréevaseterminer.Amuse-toipourmoi,lap’tite!s’exclamaSamantha.Maintenant, tout l’équipage savait avec qui je passerais possiblement la nuit. Quel malaise ! Ils
étaienttouslààrigoleretàm’imagineraulitavecArnaud-l’Adonis!Ilsm’encourageaientmêmeenchœur!—Comeon,Scarlett!Comeon!criaient-ilsenfrappantdesmains.Décidément,j’avaisstimulél’espritd’équipe.Jeméritaisbienunprixpourcela,mêmesiç’avaitété
involontaire!Enlesentendant,jenepusm’empêcherd’éclaterderire.—Bon,bon,calmez-vous!Jevaisfairedemonmieuxpournepastropvousdécevoir!déclarai-je,
amuséeparlatournuredesévénements.—Goodgirl!melançaSamanthaavantdefermerlesyeux.J’inséraimesécouteursdansmesoreilles,allumaimoniPodetfermailespaupièresàmontour.
***
—Oui,allo?—Arnaud?—Oui,lui-même.—Salut!C’estScarlett!—Ah!Scarlett!Salut…—Jetedérange?—Enfait,jesuisavecunclient.Est-cequetupeuxmerappelerdansuneheure?—Hum…Oui,pasdeproblème.Àplustard,alors.«Quandtuserasprêt,rappelle-moi,toi!»grognai-jeaprèsavoirreposélecombiné.Sontonavait
été«net,frette,sec».Vraimenttoutlecontrairedeceàquoijem’attendais.Ilnem’avaitmêmepassaluéeen raccrochant. Jedétestaisqu’ungars fassecegenredechose, surtoutquandc’était luiquiavaitproposéqueje lecontactepourqu’onfixeuneheurederencontre.Nevoulantpasentirerdefaussesconclusions,jedécidaidelerappelerplustardetenprofitaipourallercourirlelongdelaPromenadedesAnglais.Àmon retour dans la chambre, je prismadouche, puis tentai un deuxième appel. Juste avant de
composer le numéro, jeme promis que, si Arnaud ne décrochait pas, l’histoire s’arrêterait là. Jen’avaispasl’intentiondeforcerleschoses,maisj’espéraistoutdemêmequ’ilrépondrait.—Dring!Dring!Dring!Lasonnerieretentissaitàl’autreboutdelaligne.—Dring!Dring!Dring!
Çasonnaitencore.—Dring!Dring!Dring!Toujourspasderéponse.Jeraccrochai.GRRRR!J’étaisfollederage!C’étaitluiquiavaitproposédevenirmevoiretvoilà
qu’iljouaitàl’indépendant.Jenevoulaispasluicouriraprès.Enmêmetemps,qu’avais-jeàperdre?Ma dignité ?Même pas ! Je reniaima promesse faite deux secondes auparavant et composai unetroisièmefoissonnuméro.—Dring!Dring!Dring!«J’ail’aird’uneaccro!»pensai-je.—Dring!Dring!Dring!«Çacommenceàêtrehumiliant,là!»—Dring!Dring!Dring!Etildécrochaenfin.—Allo?—Salut,Arnaud,c’estScarlett!—Salut,Scarlett!répondit-ilavecunpeuplusd’entrain.Voilàquiétaitunbrinrassurant.Peut-êtrem’étais-jeaffoléepourrien,finalement.—Tupeuxparler,maintenant?demandai-jeironiquement.—Oui,oui,t’inquiète.—Tuestoujoursdisponiblepourvenirmevoir?—Ouais,maisjenepourraiterejoindrequevers23heures.«Eille!Ilmeniaise,j’espère!Vingt-troisheures!C’estuneheureavantminuit,ça!m’emportai-je
intérieurement.Pourquoinepasmediredirectementqu’ilneveutpasmevoirdutout?Oubienqu’ilveut juste entrer dans mon lit ? » J’étais bouche bée. Je ne savais pas quoi lui répondre, car sij’acceptais,jesavaisoùçafinirait.Enconstatantmonsilence,Arnauds’efforçademeconvaincre:—C’est vraiment dommage, Scarlett,mais je dois dîner avecmon client ce soir. Je vais quand
mêmeessayerd’arriveravant,d’accord?—OK!Texte-moiquandtuaurasterminéetjeviendraiterejoindreàl’hôtel.JesuisauMercure
surlaPromenadedesAnglais,tuvoisoùc’est?—Ouais,parfaitement.Àcesoir,alors.—Àcesoir,dis-jeavantderaccrocher.Jenepouvaispascroirequ’ilavaiteuassezdeculotpourm’offrirdeleretrouveràuneheureaussi
tardive.Manifestement, ilnevoulaitpasjusteprendredemesnouvelles.Etdepuisquej’avaisparléaveccetteSamanthaBlindfort,j’avaismoiaussilegoûtdem’amuser.CetterencontrenocturneavecArnaud-l’Adonis, coureurde jupons,nepouvaitquecontribueràmacurededésintox. Je repris lecombinéetcomposailenumérodechambredeSamantha.—Ouiiii!répondit-elleavecprécipitation.—Samantha,c’estScarlett.Tudormais?—Non,non,mabelle.Qu’est-cequ’ilya?—Jevoulaissavoirsivousaviezprévuallersouperquelquepart,cesoir.—Ouais,onserejointà6heuresdanslehall.Tuveuxvenir?—Oui,jeserailà.—Maistunevoispastonétalon?s’exclama-t-elle.—Ouais,maisl’étalonveutvenirplustard…expliquai-jeensous-entendantl’évidence.—C’estsuperpourtoi,parcequ’unvraiétalonnedépensepasdel’énergiepourrien,Scarlett.Illa
gardepourêtreperformant,dit-elleencroyantsûrementmerassurer.—Hum,àplustard,Samantha!—Àplustard,mabelle.Voilà qui était loin d’être réconfortant. Un étalon ? Non ! Je savais très bien ce que les étalons
faisaientauxjumentslorsd’unaccouplement.C’étaitgros,duretçaallaitdroitaubut,sansfla-fla.Cen’étaitpasdutoutcequej’avaisentête.J’avaissoudainpeurdusortquim’attendait.«Tuparanoïes,Scarlett!Arnaudestdouxcommeunagneau!»tentai-jedemeconvaincreavantdetâcherdedormirpourrécupérerdesforces.
***
—Coin-coin!Coin-coin!Coin-coin!fitlepetitcanardduiPhone.Ilétaitdéjàpresque18heures.Jemelevaiaussitôtetm’habillaivitepourrejoindrel’équipagedans
lehall.Lorsque j’arrivai, tousm’attendaient etnouspartîmes sans tarder.Nousmarchâmesvers levieuxNice,làoùMariedisaitconnaîtreunbonrestaurant.Nousyparvînmesauboutdedixminutesetentrâmesàl’intérieur.JeprisplaceprèsdeSamantha,carj’avaisétrangementbeaucoupdeplaisiràl’écouterparler.Céciles’assitànoscôtés.Aprèsquenousayonsbuquelquesverresduvinmaison,laconversations’orientaànouveaudansmadirection.—Scarlett aunedate ce soir avec sonmec ! annonça fièrementma collègueplatine au reste du
groupe.—C’estsuper,ça!s’exclamèrent-ils.—Ouais,dis-je,gênée.—Ilnepouvaitpassouperavectoi?demandaladouceMarieaveccuriosité.—Bennon !C’est inacceptable, hein ? fis-je, conscienteque siArnaudavait vraimentvoulume
voirilseraitvenumangeravecmoi.—Ehbien,çaenditlongsursesintentions,répondit-elle.—Etqu’est-cequeçapeutbienfaire?s’exclamaCécileencoupantlaparoleàMarie.Legarsne
veutriend’autrequeçaetilnepassepasparquatrecheminspourleluidire.C’esttout!—Ilauraitaumoinspujouerlagame,dis-je,déçue.—Scarlett!Àquoias-tupenséquandtul’asvuàl’aéroport?medemandaCécile.—Ben…hésitai-je.—Ausexe!Voilààquoituaspensé!dit-elleenm’enlevantlesmotsdelabouche.—Ouin,reconnus-je,unpeumalàl’aise,commesic’étaituncrime.—Iln’yariendemallà-dedans!s’exclama-t-elledeplusbelle.Lesexe,c’estsibon!J’étaissouslechoc.JesavaisqueCécileraffolaitdesplaisirscharnels,maisdelààcequ’ellemele
confirmeentredeuxcoupsdefourchette!Personneneparlaitplus,misàpartYvesetGillesqui,aubout de la table, discutaient d’un tout autre sujet. J’en étais d’ailleurs soulagée.Marie était restéemuettedepuisqu’elles’étaitfaitcouperlaparoleetMartine,elle,semblaitentotalaccordavecCécile.Samantha,poursapart,préparaitsaréplique.—Miam!C’estvraiqu’iln’yariendemieuxquedubonsexe!—Leproblèmen’estpaslà,Samantha!C’estjustequ’Arnaudauraitpuaumoinsmefairecroire
l’espaced’unesoiréequej’étaisunique,expliquai-je.—Ah!Jevois!Tuesuneromantique.—Ben,unpeu.—C’estunhommequ’iltefaut,alors,pasunétalon!—Oui,peut-être,maiscrois-moi,j’aiaussibesoind’unétalon,affirmai-je,convaincuededevoir
mechangerlesidéesunefoispourtoutes.—Wô!Elleestvoraceetexigeante,lap’tite!déclaraCécile,impressionnéeparmoncommentaire.—Ah!Allez,lesfilles!Laissez-latranquilleàlafin,intervintMariepourveniràmarescousse.—OK!OK!Ontelâche,Scarlett!Maisest-cequejepeuxaumoinstedonnerundernierconseil?
mesuppliaSamantha.—Oui!acquiesçâmes-nousenchœur.Ellepassaalorssesdoigtsdanssachevelureblondplatine,commepoursoulignerl’importancede
sarévélationimminente.Elleposaensuitesesdeuxmainsàplatsur la table,dechaquecôtédesonassiette,etmechuchotaamicalement:—Àchaqueâge,ilfautprofiterdecequis’offreànous.Àvingtans,c’estletempsdedanseretde
flirter.Àtrenteans,dejouirdesabeautéetdesonentièreféminité.D’icicinqans,ceseralesbébés.Ilseraalorstroptardpourtoi.Monconseil:c’esttontour,Scarlett!Nelelaissepaspasser,parcequ’ilnereviendrapas.Ets’ilfautpourçaqueturencontresunétalon,alorsvas-y!Queljudicieuxconseil!Samanthaavaitbienraison.J’avaislachancedem’amuseravecunhomme
etd’êtreencore librede le faireàmaguise.Dansquelquesannées, les« flirtsextrêmes» seraientchoses du passé, alors autant en profiter maintenant. Comme je m’en convainquais, je reçus unmessagetextesurmontéléphone:«Salut,Scarlett.Enroute.Serailàdans15minutes.Arnaud.»«Justeàpoint»,pensai-je.Jepayaietquittai le restaurantausond’un«Bonnechance» lancéà
l’unisson.
***
Lorsquej’arrivaidevantl’hôtel,Arnaudm’attendait.Ilmefitlabiseetmeproposad’allerprendreunverredansunpubqu’ilconnaissait.J’acceptaideboncœur.Nousprîmesunetabledansuncoinsombre de l’établissement. La serveuse vint alors nous demander ce que nous aimerions boire. Jechoisisunverredevinrougeet lui,unebière.Nous trinquâmeset,aussitôtnotrepremièregorgéeavalée,Arnaudmeditsanslamoindregêne:—Alors,aprèsnosverres,onvadanstachambreouchezmoi?Moncœurfituntoursurlui-même.«Sérieusement?Paslapeinedemecourtiser,surtout!»me
dis-je,unbrincontrariée.—Hum,Arnaud,tunepourraispasêtreunpeuplusromantique…—Voyons,Scarlett,nemedispasquecen’estpascequetuavaisentête?Je ne répondis pas tout de suite.Même si, franchement, c’était exactement ce à quoi je pensais !
Désormais, il n’existait plus de règles. Ayant temporairement abandonné tous mes principes, jen’avais pas le droit de m’offusquer de quoi que ce soit. Je décidai de me soumettre au jeu sansréserve.—Machambre,alors!déclarai-jesolennellement.—Hum,j’aimeteslèvres,dit-ilaussitôtenmordillantlessiennes.Ohlà!J’avaisl’impressiond’avoiralluméunbrasier.JesentaisArnauds’enflammersursachaise
tandisqu’ilm’examinaitsous toutes lescoutures.Jenepusm’empêcherdemedemanderquelétaitmon rang sur sa longue liste de conquêtes. Serais-je la cinquantième ? La centième ? La deuxcentième?Jepréféraisnepastropypenser.J’admiraialorssabeautéetenconclusque,malgrésonattitude qui m’agaçait, je devais le voir comme un élément indispensable à mon évolution. Sanshésitation, je lui proposai de gagner immédiatement ma chambre. Il me regarda, complètementsurpris,etm’embrassasansavertissement.—Délicieux,murmura-t-ilaprèsunlongbaiser.
Eneffet,cen’étaitpasmaldutout.Pourquoim’enétonner?Ildevaitêtredoué.C’étaitsaspécialité.Fougueusement,ilm’embrassauneautrefois.—Ayoye!Ayoye!m’exclamai-je.Tumemordsunpeufort,là!—Ah!Désolé!C’estquejeteveuxtellement!sejustifia-t-il.—Ouin,jevoisça…Décidément, Arnaud était dominé par ses pulsions sexuelles, car en m’embrassant il perdait
totalement le nord. Je n’étais plus sûre de vouloir l’inviter dansma chambre.Si certaines femmesappréciaient la douleur pendant l’amour,moi, je n’en raffolais pas.Ou bien était-cemonmanqued’attrait pour sa personnalité qui affectait tout le reste ?Pour en avoir le cœur net, je l’embrassaiencore.—Tuvois!Jenemordsplus,medit-il.—Hum,eneffet.N’ayantmaintenantplusaucuneraisonderevenirsurmaproposition,jemedirigeaiavecluivers
monhôtel.Mesdoutess’étaientapaisésetcommençaientàs’envolercomplètement lorsqueArnaudmepoussacontrelemurd’unédificecommercialdonnantsurunesombreruelle.—Ah!Scarlett!Jeteveux!Là!Maintenant!medit-ilenmemordantcettefoisl’oreille.—Voyons,Arnaud!Ilyadespassants.Onvaarriverdansquelquesminutesàl’hôtel,calme-toi!le
suppliai-jetoutenlerepoussant.—Tuestropcanon,Scarlett!Montre-moitesnichons!m’ordonna-t-il.L’étalonenluiallaitbondirsursajument.Jelesentaisdurcontremacuisse.Ils’yfrottaitcomme
s’ilallaitjouird’uninstantàl’autre.Jenecomprenaispassaréaction.Etmoiquicroyaisqu’avoirdel’expérienceapportaitunminimumdemaîtrisedesoi.Merde!Jen’avaispasaffaireàuncoureurdejupons,maisàunobsédésexuel!Arnaud-le-pervers!Ilétaithorsdequestionquecetanimalviennes’accouplerdansmachambre!Jelerepoussaiviolemment.—Arnaud!Çasuffit!Jen’aipluslegoût!criai-je.—Voyons,tunedemandesqueça.—Jet’aiditquejen’avaisplusenvie!—Tuessérieuse?—Oui!—Jen’enrevienspas!Tun’esqu’uneallumeuse,melança-t-ilméchamment.—Jem’enfous!Jen’aipluslegoût!Etjem’éloignaiaussitôtdeluipourgagnerlarueprincipale.Comment cette situation avait-elle pu se retourner contre moi ? J’avais été remplie de bonnes
intentionsdepuis ledébutde la soirée.Auboutd’uneoudeuxminutesdemarche, je fisvolte-facepourvoirsiArnaudmesuivait. Iln’étaitpas très loinderrière.Toujoursaussidésireuxd’atteindresonobjectif,ils’empressades’excuser:—Désolé,Scarlett!Jepensaisquetuaimaisça!Jeneparlaipas.—Allez,poulette!Justeunpetitcoup!Jegardailesilence.—Ah!Putaind’allumeuse!hurla-t-ilàpleinspoumons.Toujoursmuette,jemeretournai,affichaiunsouriretriomphantetrentraiàl’intérieurdel’hôtel,
convaincued’avoirprislabonnedécision.
J’
Chapitre13
Montréal(YUL)–Orlando(MCO)
avaisdécidédemettre«Lejeuduflirtextrême»decôtépourlapériodedesfêtesafindefairelevide.AprèsmarencontreratéeavecArnaud,j’avaisdemandéàBéaetàRupertdeneplusjouer
auxentremetteurspourunmoment,carj’avaisbesoindedigérerlapilule.Ilnefallaitpasquejemedécourage.Quelquepart dans cemonde, il devait bieny avoir quelqu’unpourmoi. J’étais encorerésolueàcontinuermonjeu,maisunepauseétaitnécessaire.Jem’étaisditquejelereprendraisdèsjanvier.Sij’avaissucequelaprochainerencontremeréservait,j’auraisrenoncéimmédiatementàcestupideengagement.J’en étais à ma septième journée consécutive de vol depuis le 19 décembre et je n’avais
malheureusementpaspumerendrechezmesparentspourNoël.Mamèreenavaitététrèspeinéeetmoiégalement,maisjesavaisqu’obtenirdesjoursdecongéacceptablespendantlapériodedesfêtesétaitquasiment impossible lorsqu’onavaitencorepeud’ancienneté.Avantmonvol,encematindu25décembre,jeluitéléphonai.—JoyeuxNoël,maman!—Scarlett!JoyeuxNoëlàtoiaussi!Tonpèreetmoiaurionstellementaiméquetusoisavecnous
hier.Toutelafamilleétaitlà,ilnemanquaitquetoi.—Oui,jesais.J’auraisaiméêtrelàaussi.—Tuauraispudireàtespatronsquetuétaismalade,voyons!medit-elled’unevoixautoritaire.—Non,maman,tusaisquejen’aimepasça.—Mêmepourtafamille?—Maman!Jenet’appelaispaspourquetumeculpabilises.Jesuisdéjàcrevéeetjenesuismême
pasencorerendueàl’aéroport,alorss’ilteplaît,arrête!répondis-je,légèrementcontrariée.—Ah!Désolée,mafille.Tuvasoùaujourd’hui?—Hum…Jenesaispas.Jen’aipasregardéladestination,justelenumérodevol.— Je te souhaite un bon vol, alors ! Et joyeux Noël ! Je t’aime, dit-elle d’un ton empreint de
tendresse.—JoyeuxNoël.Je ne pouvais pas lui en vouloir d’être aussi directive. Elle me voulait près d’elle. C’était
compréhensible.Mamèrevenaitparcontredepiquermacuriosité.Jefouillaidansmonsacàmainetdépliai mon itinéraire de vol. En fait, depuis quelques mois, j’avais pris la mauvaise habitude devérifierlesnomsdemescommandantsavantchaquevolenespéranttombersurceluiquim’obsédaittant.«Pasaujourd’huinonplus»,m’étais-jeditunpeuplustôtennelevoyantpassurmonitinéraire,et j’avaisalorsoubliéde regarderoù j’allaispartir.Dans lavoiture, je lus ladestinationàcôtédunumérodevol:MCO.Soudain,jeréalisaidansquelpétrinj’étais:unOrlando,lejourdeNoël!Àl’aide!
***
Plusieursparcsd’attractionsexistentdans lemonde.L’undesplusconnus,DisneyWorld,sesituetoutprèsdelavilled’Orlando,enFloride.C’estunénormecomplexedeloisirsoùonpeutvoirtousles personnages fictifs de notre enfance, comme Mickey Mouse, Cendrillon et la Belle au Bois
Dormant. DisneyWorld attire tout le monde, moi y compris. Orlando est donc officiellement ladestinationrêvéepourlesfamilleset,surtout,pourlesenfants.J’adoreWaltDisneyetjeraffolemêmedeMinnieetdeMickey.Leproblèmen’estpaslà.Làoùje
m’affole, c’est plutôt enme rendant àOrlando.Dans l’avion lui-même.Dans les airs. Au sol. Audébarquement.Partout!Careffectuerunvolendirectiond’Orlando,c’estdéjàêtreàDisneyWorld.C’est voir des enfants courir, crier, lancer leurs jeux au visage de leurs parents, c’est les gronderpour qu’ils s’attachent, c’est sourire sans arrêt, car on ne peut évidemment pas être bête avec desbambins.C’esttoutçaàlafoisetplusencore.Entantqu’agentdebord,ilfautêtregonfléàbloccôtéénergie,cequi,encettebellejournéedeNoël,étaitloind’êtremoncas.Néanmoins, je tentai de rester positive. Peut-être seraient-ils tous très fatigués au lendemain du
réveillon, sages commedes images et heureux de rencontrer sous peuPinocchio etGeppetto ? Jegarai ma voiture, récupérai mon carry-on, pris une profonde respiration et m’acheminai versl’aéroport.Unefois la fouilleeffectuée, j’allai rapidementdans l’undescafésquise trouvaientdans lazone
internationale. Ilmefallait ingurgiterunremontant.Undoubleexpresso latte ferait l’affaire.Jemedirigeaiensuiteversl’avion.Arrivée dans l’aire d’attente, j’avançai d’un pas décidé vers la porte d’embarquement.
Normalement,jeneprêtaispasattentionauxpassagersassissurlesbancs.J’entraisplutôtdirectementdansl’avionensachantquejelesverraispendantdesheuresàbord.Pourtant,cejour-là,jejetaiunregarddiscretsur lafouleavantdem’engagersur lapasserelle.Et là, je lesvis tous. Ilscouraient,criaient,pleuraient.Commentsefaisait-ilqu’ilsnesoientpasentraindedormir?J’étaisterrorisée.«Scarlett,cenesontquedesenfants,ilsneteferontpasdemal»,medis-je.Évidemmentquejen’allaispasêtretuéeoumartyriséepardesbambins.Ilsétaientinoffensifs.Ce
quiallaitm’abattre,c’étaitplutôttoutcequ’unvolàOrlandoimpliquait:desenfantsrois,desparentsimpatients, desdemandes infinies.Si onbrassait et qu’on incorporait le tout dansun court lapsdetemps, on obtenait la bande-annonce d’un film d’action. En fait, enmatière de durée, un vol pourOrlando, c’étaitun touch-and-go.Un « posé-décollé » sur deux pistes différentes. J’avais le tempsd’attachermaceinture,deladétacher,deboireunverred’eau,decourird’unbordetdel’autreetdemerasseoirpourl’atterrissage.Aprèsavoirécoutélebriefingducommandanteteffectuénosvérificationsd’avantvol, lesautres
agents de bord et moi prîmes nos positions respectives. Les passagers commencèrent à monter àbord.Jen’apercevaispasdenourrissondansmasection,cequimerendaitheureuse.«Aumoins,medis-je,jen’auraipasàdébitermondiscoursdesécuritépourlesbébés.»C’étaitdéjàça!L’embarquementsefaisaittrèslentement.Quesepassait-il,àlafin?Jem’avançaijusqu’aumilieu
del’avionpourinvestiguer.Ah!Voilàcequin’allaitpas.Lesenfantsprécédaientleursparentsdansl’allée!Jem’approchaidupremierdesbambins.Commentunboutdechoudedeuxanspouvait-ilprogresseradéquatementdansuncouloirétroitentirantunemini-valiseàroulettesSpider-Manetens’arrêtantentrechaquerangéedesièges?C’étaitimpossible!Jeregardaisamèrequiétaitderrièreluietdemandaiàvoirsacarted’embarquementafindelesdirigerauplusviteversleursplaces.Ellefouilladanssapochedemanteauetmelatendit.—32D!C’estplusaufond.Suivez-moi!dis-je,déjàdésespérée.Sachantquel’enfantenavaitlongàmarcheretqu’ilcontinueraitd’avanceràpasdetortue,jeme
baissaiàsahauteuretluidemandaigentimentdemeprêtersamini-valisequi,selonmoi,étaitaussiencombrantequ’inutile.En fait, jene luidonnaiguère lechoix,car je la ramassai sansattendresaréponse.Ilmeregardaavecsesbeauxyeuxdouxetnebronchapas.«Parfait!medis-je.Uneaffaire
deréglée!»—Suis-moi,petit!l’exhortai-jed’unevoixenjouée.Jetournailestalonsetavançaidansl’avion.Quelquesrangéesplusloin,jemeretournai.L’enfant
étaitencoreloin.Lafamillesuivaitderrière,ainsiqu’ungroupedepassagersimpatientsd’atteindreleurssièges.Jem’accroupislégèrementtoutentenantsonbagagedansunemain.Lesgenouxpliés,jefrappai à quelques reprises ma cuisse de ma main libre pour l’inviter à venir vers moi. J’avaisl’impressiond’êtrecingléeetd’appelerunchiendansunealléed’avion.—Allez,petit!Encoreunpeu!insistai-je.Il cessaalorsde regarderautourde lui etmarchadansmadirection.«Nousallonsyarriver !»
Derrièrelui,lamèreânonnait:—Allez,fiston!Vavoirlamadame.Oui,c’estça.Unpeuplusloin,monchéri.Oh!J’avaisunedecesenviesderoulerdesyeux!«Commentsefait-ilqu’elleneprennepasson
enfant dans ses bras pour aller s’asseoir à sa place ? » pensai-je. Je continuai à bougonnerintérieurementpendantqu’elleencourageaitsonbravefils,résolueàluimontrercommentcheminerdanslecouloird’unavion.Priseaupiège,jen’eusd’autrechoixquedepoursuivremachorégraphie.Paschassésdroitdevant,
cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Parici,petit!Encoreunpeu!répétai-je.Puisjerecommençai.Paschassésdroitdevant,cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Nousysommespresque!J’approchaisdubut.Paschassésdroitdevant,cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Nousyvoilà(enfin)!déclarai-je,soulagée.La mère s’installa. Le père et l’enfant firent de même. Je remis alors la valise Spider-Man et
retournai à mes quartiers dans la queue de l’avion. Les autres passagers circulaient enfin et mescollèguesprirent la relève.Jedemeuraipostéeà l’arrièrepour le restede l’embarquement, toutengardantunœilvigilantsurlacabine.Rapidement, nous pûmes fermer la porte. C’était surprenant de voir à quelle vitesse les enfants
avaient sagement rejoint leurs places.Mais je pouvais tout demêmeentendre leurs voix stridentesrésonnerd’unboutàl’autredel’appareil.«Toutvabiensepasser,Scarlett.Iln’yariendepluscourtqu’unaller-retouràOrlando»,m’encourageai-je.
***
Nousétionssurlapisteetvenionsdefaireladernièrevérificationdanslacabine.Lessiègesétaientremontés. Les écouteurs, retirés. Les bagages, rangés. Les ceintures, attachées. Prête pour ledécollage,jepouvaismaintenantm’installersurmonstrapontin.Àmescôtés,uneautreagentedebordétaitassisesursonsiège.Elles’appelaitDebbie.Jenel’avais
jamais rencontrée auparavant. Belle femme, sans doute dans la mi-trentaine, elle avait l’air sagecomme une image. Son ton était à la fois doux, vulnérable et apaisant. Elle semblait discrète etbienveillante,cequimepoussaàluiconfiermessoucisimmédiats:—Jen’ai jamais fait unvolversOrlando le jourdeNoël. Jenem’attendaispas à cequ’il y ait
autantd’enfants.J’espèrequeleservicevabiensepasser.—Qu’est-cequetuveuxdire?medemanda-t-elle,l’airdenepassavoircommentinterprétermon
affirmation.—Avecunvol aussi court, nousn’avonsdéjà pas beaucoupde tempspour servir les passagers.
Alorslà,avectouscesenfants…Çarisqued’êtreundéfi,expliquai-je.
—Ha!Ha!Tuveuxdirequesilesparentsdécidentdetraiterleursenfantscommedesrois,çavanousprendreuneéternitéàlesservir?—Ouais,exactement!confirmai-je.Jedétestepatientercommeunedindedansl’alléeenattendant
quemamanproposelemenuentieràsespetitsprincesetprincesses!CommeDebbiesemblaitpartagerlamêmeopinion,jecontinuaiàvidermonsac:—Quandonavanceavecnotrechariotrangéeparrangée,lesparentspourraientaumoinstenterde
penseràceque leursenfantsvontboireau lieud’attendre ladernièreminute.Chaquefois,c’est lamêmechose.Jeleurdemandecequ’ilsveulent,etlà,lamèresetourneverssonenfantetluidéfileleschoix.Çamerendfolle!Amuséeparlesujet,moninterlocutricerenchérit:—C’estça!Ellesepenchevers luiet luiproposedu lait,du jusdepomme,du jusd’orange,de
l’eau!Etlà,lepauvrenesaitjamaisquoirépondre.Ilhésite.Ilnousregarde,ilregardesamèreetilfait…—Eeeeeeeuuuuhhhhh!terminai-jeenriant.Nousrigolâmesainsipendantquelquesminutes,puisl’annoncedudécollagesefitentendre.Les moteurs se mirent à bourdonner. Un puissant bruit parcourut la cabine. L’appareil vibrait
légèrement,commes’il s’apprêtait àexploser. Jebaissaialors lementonversmapoitrineetposaimesdeuxmainssurmesgenoux.L’intensitédubruitsourdàl’extérieuraugmentaet,brusquement,nouscommençâmesàavancer.Le
paysagedéfilaitparlehublot.Nousprenionsdelavitesse.Jedemeuraisolidementassiseaucasoùundécollage interrompu surviendrait. L’horizon s’étirait maintenant en une étroite bande blanche,comme si l’un de ces enfants à bord l’avait peinturé. Et puis, rapidement, nous nous envolâmes.«Quelleagréablesensation!medis-jeavantd’entendretouslesgaminscrierdecontentement.CettejournéedeNoëlneserapeut-êtrepassipirequeça!»Durantlamontée,nousreprîmeslaconversation.—Tunedoispasavoird’enfantsituaspeurd’euxcommeça,remarquaDebbie.—Non,pasencore.Maisj’aimeraisbeaucoupenavoirunjour.Plusieurs,même.Quandcesontles
tiens,c’estdifférent.Toi,tuenas?—Oui,deuxfils,affirma-t-elle,lesyeuxpétillants.—Ilsontquelâge?—Monplusgrandaseptansetmondeuxièmeenacinq.Ilssontadorables.Jelesaimetellement!
Et j’essaie tant bien que mal de ne pas les élever comme des enfants rois, précisa-t-elle avec unsourire.—Tun’espasaveceuxpourNoël.C’estdommage,luidis-je,compatissante.—Aumoins, j’étais làhier.Etpuisnousnerentreronspas trop tard,cesoir.Leurpères’occupe
d’eux.C’estmieuxquejenesoispaslà,jecrois.Étrange…Commentpouvait-ellepenserquedenepasêtreavecsesenfantsetsonmarilejourde
Noëlétaitpréférable?Jedésiraisensavoirplus.Elleavaitelle-mêmeamenélesujet.Peut-êtreavait-ellelegoûtdeseconfier?—Pourquoidis-tuça?Çanevapasbiendanstoncouple?Jeme doutais bien que le problème concernait sa relation amoureuse. Sans hésiter, elle se lança
dansuneexplication:—Monmari etmoi nous sommes distancés depuis quelque temps.Ondirait qu’on s’est oubliés
quand le petit dernier est arrivé. Et puis on a essayé d’avoir d’autres enfants, mais j’ai fait deuxfaussescouches.Çanousaaffectés.C’estpeut-êtrelaraisondenotreéloignement.Jem’ennuiedelui,
mais jenesaispascomment le luidire.Quelquefois, jenesaismêmeplussi j’ai legoûtqu’onseretrouve,etjepensequeluinonplus,d’ailleurs.—Jevois,répondis-jed’untonrespectueux.Tul’aimesencore?—Oui, je l’aime.Je trouveseulementqu’onestdevenusdifférents,et jenesaispassionpeutse
rapprocher.—Ehbien, si tu l’aimes, il faut travailler sur ton couple.Tunepeuxpas abandonner.Tu as des
enfantsaveclui,c’estunebonnemotivation,ça.Parle-lui.Jenesavaistropquedire.Monexpérienceenconseilconjugalétaitlimitée.Jeluisuggéraid’être
honnêteavecsonmarietdeluiavouersesinquiétudes.C’étaitselonmoilameilleurefaçondefaire.—Onverra.Aumoins, nous nous occupons bien des enfants. Je préfère laisser les choses aller
pourlemoment,déclara-t-elle,découragée.Soudain,laconsignedesceinturesdesécurités’éteignit.Ilétaittempsdecommencerleserviceaux
passagers. Avec seulement deux heures et quarante-cinq minutes de vol, nous n’aurions peut-êtremêmepasl’occasiondemangernotreproprerepasetnousdevrionsalorslefaireunefoisausol.Jemelevaietentreprismabesogne,oubliantlesconfidencesdeDebbie.
***
Lapremièreportionduvols’étaitrelativementbienpassée.JetravaillaisavecunagentdeborddunomdeTodd.Ilétaittrèsbeau.Ilavaitdemagnifiquesyeuxvertsàvousfaireramollirlesjambes,etildébordaitdecharismeetdegalanterie,cequi,bienentendu,étaitappréciédansunavion.Durant leserviceauxpassagers, iln’avaitpascessédem’aiderdans toutceque j’entreprenais. Il
couraitàl’arrièrepourchercherplusdejuspourlesenfants.Ilsoulevaitlesbacsremplisderepas.Ilme faisait mes cafés en urgence. Il avait même donné un coup de main à l’agente de bord quitravaillaitseuledanslagalleyarrière.Ilétaitpartoutàlafoistoutenaccomplissantsesproprestâchesàlaperfection.Jenepouvaisêtreenmeilleurecompagnie.Nousavionsétéefficacesetavionsréussiàterminernotrealléebienavantnos«rivales»del’autre
côté.Cen’étaitpasparcequenousétionsexagérémentrapides.Enfait,c’étaitplutôtellesquiétaientlentes.Unefoisarrivéeàl’arrière,j’avaiscomprisquemachèreDebbieavaittraînédelapatteduranttoutleservice,faisantragersapartenairedechariot.Ilarrivaitsouventquelerythmedesagentsdebordneconcordepas.Cetécartd’efficacitésuffisaità
créerdes tensions.Tel partenairequi jasait trop avec lespassagers titillait nosnerfs.Tel autrequiservait deux passagers pendant qu’on en servait dix était agaçant. Tel autre enfin qui poussait lechariotalorsqu’onn’étaitpasencoreprêtpouvaitnousfairepéterlesplombs.Chacunavaitsaproprelistenoired’agentsdebord.Moiycompris.Jemedemandaissimonnomfiguraitsurl’unedeceslistes.«CeluideDebbieestprobablemententraindes’inscriresurcelledesacoéquipière.»Le serviceétant terminé,nouseûmes la chancedenousasseoirdixpetitesminutespourmanger.
J’avaisfaimetjedésiraisavalerunvrairepas,etnonledéjeunerprévusurcevol.Jedécidaialorsdepigerdanslesrepasd’équipagequinousétaientréservéspourletrajetderetour.Toddsetenaitàmescôtéset,mevoyantfouinerdans lecompartiment, ilprit lepartidem’imiter.Je lus lesétiquettesàvoixhautepourqu’ilfasseunchoix:—Pouletaucurry,bœufStroganoff,lasagnevégétarienne,saladedujardin.Comme nous n’avions pas beaucoup de temps pour réchauffer les plats chauds, il opta pour la
salade.«Bonchoix!»pensai-je.Jeprislamêmechosequeluietrefermailaporteducompartiment.La descente étant imminente, Todd et moi nous installâmes sans plus attendre sur les siègesd’équipagepourmangerrapidementnotrerepas.C’estlàquel’imprévusurvint.
Les autres agents de bord avaient eux aussi terminé leur service. Ceux qui n’avaient pas faims’étaientdirigésvers l’avantdel’appareilpourfaireunbrindejasette.Quantauxautres, ilsétaientvenusàl’arrièrepourprendreunebouchée.Jelesentendaisparleretfouillerdanslescompartimentsàrepas.—Jevaisprendredescéréalesetunrepaschaud.Tumedonnesl’omelette,s’ilteplaît?ditl’un.—JepréfèrelesCornFlakes.Çateva,lesRaisinBran?dituneautre.Les portes des compartiments claquaient, s’ouvrant et se refermant. Soudain, une voix paniquée
s’exclama:—Oùsontlessalades?Jemefigeai.Iln’yavaitquedeuxsaladesàbordetellesétaiententraindesefaireengloutirpar
deuxmembres d’équipage, dont l’un était nul autre quemoi. Je regardai Todd, apeurée. Il tournaalorslatêtedansuneautredirection,mâchonnanttranquillementunetomate.Lecomprenantàl’aiseavec son choix, je réalisai que j’étais tout aussi en droit que lui demanger ces feuilles vertes. Jecontinuaiàbrouter.—QuiaprisMAsalade?s’exclamacettefoislavoix,enragée.—Jenesaispas,répondituneautre.—Jet’avaisditdemelamettredecôtéetellen’estpluslà!Ohlàlà!Quelqu’unavaitréservéunesalade?Jenemesouvenaispasd’avoirvuunnomécritsur
l’uned’elles,alors je regardaimoncouvercleetceluideToddpourvoirsiquelquechosem’avaitéchappé. Non, rien. Aucune inscription. Et les salades étaient rangées exactement là où elles setrouvaientnormalement.Laresponsabledesrepasavaitfailliàsatâche.Ilfautdirequ’elleavaitbiend’autreschatsàfouetter.Laconversationcontinua.—J’aicomplètementoublié,Debbie.Jesuisdésolée,déclaralafautivepiteusement.Debbie ? La gentille Debbie ? C’était donc elle, l’accusatrice ? Je pouvais bien ne pas l’avoir
reconnue, armée de cette voix ferme et menaçante. Où était passé son ton doux et vulnérable ?J’entendis alors des pas pesants se diriger vers moi. Ne sachant trop pourquoi, j’étais apeurée.J’avalaiauplusvitemadernièrebouchéeetattendis,telleunecondamnée,l’arrivéedemonbourreau.Uneombreseprofilaàmadroite.Jelevailesyeuxdanssadirection.—C’esttoiquimangesmasalade?Jen’enrevienspas!megrondaDebbie.Elle essayait de contenir sa colère pour ne pas alerter tout l’avion. Sa voix avait tout demême
montéd’uncranetelleétaitassurémentperceptibleàplusieursrangéesdelà.Jedevaismejustifier,mais je ne comprenais pas pourquoi. Todd mangeait lui aussi une salade, et pourtant elle ne luidemandaitaucuneexplication.— J’ai pris la salade dans le compartiment où sont rangés tous les repas d’équipage. Ton nom
n’était pas inscrit dessus. Elle était avec les autres plats. Je suis désolée, mais la prochaine foisfaudrait que tu le dises pour que personne ne te la prenne, déclarai-je, à la fois confiante etcompatissante.J’étaisfièredemaréplique.Jen’avaisrienàmereprocher.Commesij’avaischoisidélibérément
deluivolersonrepas!Commentosait-ellemeparlerainsi?Ellemesermonnaitcommeuneenfant,mais ignorait toujoursTodd qui avait la bouche pleine de laitue.Elle ne sembla pas appréciermaréponse,carelledevintrougeécarlate.—Toi,là!Viensdanslagalleyquejeteparle!melança-t-elle.Cettesituationcommençaitàêtreridicule.JeregardaiToddafind’avoirsonopinion.Ilhaussales
épaulespoursignalersonincompréhension,puismeconseillad’aller lacalmer.Jen’arrivaispasàsaisirlesraisonsdecettesoudaineattaquecontremoi.Ellem’avaitsemblésigentilleaudécollage.Et
puis pourquoi moi et pas Todd ? Je me doutais que ça avait quelque chose à voir avec monancienneté.Toddétantagentdeborddepuisdix-septans,ellen’auraitjamaisosél’importuner.Jeprisune profonde respiration, déposaimon plat vide sur la tablette du siège voisin et partis rejoindreFreaking-Debbieàl’arrière.Aussitôtquejefusdel’autrecôtédesrideaux,ellemepritàpartie:—Çafaitquoi,deuxansquetuesdanslacompagnie?Maximumtrois?Moi,çaenfaitdix,ma
belle!Alorstuneviendraspasmedirecommentjedoism’organiserpourmettremonlunchdecôté.OK,lajunior?Sonargumentnetenaitpaslaroute.J’étaiseneffetdébutantedanslacompagnie,maisjesuivaisles
mêmesformationsannuellesqu’elle.Malgrétout,j’étaispétrifiée,incapablederétorquerquoiquecesoit.«Lesrépliquesdoiventveniravecl’expérience!»pensai-je.Leslarmesmontaientpeuàpeuàmesyeux.Jevoulaisàtoutprixéviterdavantaged’humiliation.Ilmefallaitconclureauplusviteafindepouvoirfiler.— Écoute, tu as plus d’expérience que moi, j’en conviens. Je suis désolée, Debbie, mais mon
intentionn’étaitpasdetevolerta(foutue)salade,répondis-jesèchement.Jebaissaialorslatêtepournepluscroisersonregardetmedirigeaiverslestoilettesoùjelaissai
échapperquelqueslarmes.Jemesentaisstupidedepleurerpourunesituationaussianodine,maisenmêmetempsilnem’étaitjamaisarrivédemechicaneravecunecollègue.Apparemment,ilyavaitundébutàtout.Une fois mes larmes séchées, je retournai dans la cabine. Nous étions désormais en cours de
descente et je devais vérifier ma section avant l’atterrissage. Je mis de côté cette mésaventure etm’exécutai.J’étaissurprisequelesenfantsaientétéaussisagespendantcevol.«Laprochainefois,medis-je,jememéfieraiplusdemessemblablesquedestout-petits.»
***
Ledébarquementétantterminé,nousrécupérâmesnosvalisesetsortîmesdel’appareil.«Ah!QuejedétestevolerauxÉtats-Unis!C’esttoujourstropcompliqué»,pensai-je.LesAméricainsontsansdouteraisond’êtreaussivigilants,maisleursrèglesrestenttoutdemêmecontraignantesparrapportauxautresdestinationsoùunéquipagefaisantunaller-retourpeutdemeurerdans l’avion.Déjàquenousavionspeudetempsausolpournousreposer,ilnousfallaittraverserlesdouanesaméricaineset repasser l’immigration pour retourner à l’appareil. Pendant ce temps, la sécurité aéroportuairefouillaitl’aéronefpours’assurerquenousnecachionspasquelquechosededangereux.EncebeaujourdeNoël,jen’avaisaucuneenviedeparcourirl’aéroportdelongenlarge.J’aurais
préféré fermer les yeux et tenter d’oublier mon altercation avec Freaking-Debbie. Mais, n’ayantd’autrechoixquedemesoumettreauxlois,j’avaissuivilerestedel’équipagehorsdel’avion.Tandisquejemarchais,Toddvintmevoirpoursavoirsijemesentaisbien.Jeluiracontaicequi
s’étaitpassédanslagalleyarrière.Ilmeconseilladenepasm’enfaireetmeditqu’ilprendraitsoindemoipourlevolderetour.«Ahmerde!Levolderetour!»Debbieétaitassisesurlestrapontinvoisindumien.Sachantque,unefoislaported’unavionfermée,lestensionspouvaients’amplifier,j’étaisrésolueàneriendirepournepasaggraverlasituation.Jeneprononceraispasunmotpendantl’avancée sur lapistenipendant ledécollageet je resteraisensuiteplanquéeducôtédemonallée.«Toutvabiensepasser.»Deretourdansl’appareil,nousembarquâmesdenouveauxpassagers.Lecontentementselisaitdans
leursyeux.Lesvacancesavaientsansdouteétéextraordinaires.C’estvraiqueDisneyWorldrendlesgensheureux.Etpuis,c’étaitNoël,aprèstout.Poureux,iln’yavaitaucuneraisond’êtretriste.Leur
bonheurfitlemienetjeretrouvaiunpeud’énergie.Laportedel’avionseferma.Nousvérifiâmesnossectionsetnousassîmessurnosstrapontins.Je
memisalorsàregarderparlehublotenévitantdetournerlatêteducôtédeDebbie.Nosépaulessetouchaient.Unetensionrégnaitentremachemiseetsaveste.Ilfallaitdécollersanstarder.Soudain,Debbies’adressaàmoi.Sontonétaitredevenudoux,commeaumomentdudécollageà
l’aller.Freaking-Debbie avait disparu. J’inclinai la tête pour l’écouter tout en regardant bien droitverslacabine.— Je voulais m’excuser pour tout à l’heure, me dit-elle. Nous avons le vol de retour à passer
ensembleetjeneveuxpasqu’ilyaitdemalaiseentrenousdeux.Moinonplus,jen’appréciaisguèreunetelleambiancedetravail,alorsj’acquiesçai.Çanevoulait
pasdirequej’allaisoubliercetépisode,maisj’étaisprêteàjouerlacomédiepourlebiendetous.Latension s’évapora aussitôt et j’en fus soulagée, car je n’aimais pas avoir des différends avecmescollègues.Letrajetderetours’effectuaenunéclair.Levoln’avaitduréquedeuxheurestrente,alorspersonne
n’avaiteuletempsdes’asseoirpourserelaxer.Unefoisl’avionatterri,lespassagersdébarquèrentparlaporteavant.Tandisquel’appareilsevidaitpeuàpeu,jerécupéraimoncarry-onetenfilaimonmanteaud’hiver.J’avaistellementhâted’arriveràlamaison.L’avion étantmaintenant vide, tous les agents de bord se regroupèrent. Le directeur de vol nous
remerciapournotrefabuleuxtravailetnoussouhaitaunjoyeuxNoël.Impatientsdepartir,nousluiretournâmessesvœuxetsortîmesdel’avionenunriendetemps.Jefusl’unedespremièresàposerlepiedsurlapasserelle.Affaméedesilence,jemepressailelongducouloir.Malgrécela,j’entendaislesvoixdesautresagentsdebordderrièremoi,dontcelledeDebbie.—Ravied’avoirvoléavectoi,machère!Bonnesoirée!dit-elleàunecollègue.—Oh!Leplaisirétaitpourmoi!N’oubliepasdesaluerJohndemapart!réponditl’autre.«Quellecoïncidence.»Apparemment,Debbieetmoiavionsaumoinsunechoseencommun:son
marietmonbéguininaccessibles’appelaienttouslesdeuxJohn.Çamefitrigoler.Jecontinuaimoncheminetpassaienfinlesdouanes.Jemontaiensuitedansl’autobusquiallaitme
mener à ma voiture. Une fois assise sur un siège, je fus prise d’une panique soudaine. Était-cepossiblequemonJohnsoitceluideFreaking-Debbie?Non!Ilnefallaitpas!Jedevaissavoir, là,maintenant.Moncœurbattaitlachamade.Jesuaissousmachemise.J’avaischaudetfroidàlafois.Etsic’était
lecas?SiJohnétaitbienlemarideDebbie?Sijem’étaisengueuléesanslesavoiraveclafemmequej’enviaisdepuisdesmois?Freaking-Debbiedeviendraitalorsofficiellementmapireennemieets’inscriraitdesurcroîtsurmalistenoire.J’ouvris lapochettedemavalise.J’auraismaréponsed’iciquelquessecondes.J’inséraimamain
toutaufondetattrapaimonitinérairedevol.Jeledépliaienletenantfermemententremesdoigts.Monregardbalayaavecattentionchaquelignedudocument.Jen’enavaisplusrienàcirerdunomducommandant.Cequejerecherchaisétaitdelaplushauteimportance.Uneinformationprécieusequiallaitpeut-êtrebouleversermavie,moncœur.Etpuisjelevis.Unmot,uncourtmotdequatrelettresquimefoudroya.Jetranspiraistantquema
chemise blanche était trempée. Je voulais détacher mon manteau. Me refroidir immédiatement.«Respire,Scarlett,respire!»m’ordonnai-je.Assisesurcesièged’autobus,jelusunesecondefoissonnom:ROSS.DEBBIERICHARDROSS.
Q
Chapitre14
Montréal(YUL)
uel beau cadeau de Noël ! J’avais reçu une belle surprise emballée dans du papier rose etentourée d’un joli ruban en velours rouge. En l’ouvrant, j’avais découvert un présent
empoisonné. Ilm’avait presque dévorée tout rond dans l’avion etm’avait transpercé le cœur dansl’autobus.Freaking-Debbie était la femme de John Ross. La femme de mon beau commandant ! Le seul
hommequiétaitparvenuàfairebattremoncœurviolemment.J’avaismaintenant toutes lesraisonsd’oublierJohn.Jamaisjenepourraisêtreaveclui.Ilavaitdeuxenfantsavecelleetilenavaitmêmedésirédavantage.FonderunefamilleavecDebbieavaitétéinévitablementunedécisionréfléchie.La seule collègue avec qui jem’étais querellée était lamère de ses enfants. Enfin, disons plutôt
qu’ellem’avait réprimandée. Jamais jenevoudraism’immiscerdans savie et risquerdeme faire«ramasser»uneautrefois.Enplus,ellem’avaitexpliquécombienelleaimaitJohnetsafamille.Encore sous le choc, je pris la route en direction de mon appartement. J’avais l’esprit ailleurs.
Commentavais-jepum’imaginerconquérir lecœurd’unhommedont la femmes’avéraitêtreunecollègueavecquiilavaiteudeuxenfants?Quiétais-jepourm’êtreimaginéeentraind’embrasser(etunpeuplus)unhommemarié?J’étaissiheureusedenepasm’êtreempresséedecogneràlaportedesachambreàBarcelone…Plusquejamais,j’étaisdécidéeàreprendre«Lejeuduflirtextrême»làoùjel’avaisabandonné.À
cetinstant,jemejuraique,aussitôtlerushdesfêtesterminé,MlleScarlettsedévergonderait.Pariciladébauche!
***
Quelquessemainesaprèslanouvelleannée,jereçusuncourrielinattendu.
De:BrunoBergeron<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:22janvier2012Objet :NouvellesBonjourScarlett,Çafaitlongtemps!Commentvas-tu?Jenesaispassituestoujourscélibataire,maisj’aimeraisbienterevoir.Jeserai
depassageàMontréallasemaineprochaine.Nouspourrionspeut-êtreallerprendreunverre?Voicimonnuméro:604-387-4433.J’attendsdetesnouvellesavecimpatience!Bruno
Quelle surprise !Après presque deux ans sansme voir,BrunoBergeronm’écrivait. Il était sans
doutedevenucélibataireetmettaità joursoncarnetd’adressesde fillespossiblement intéressantes.Dansmessouvenirs,j’avaispassédubontempsaveclui,alorspourquoirefusersoninvitation?Deplus, j’avais lavolontéde tenirmonengagementconcernant le« flirtextrême». Ilmefallaitdoncaccepter.J’avais rencontré Bruno àmes débuts dans l’aviation. Il était l’un des premiers pilotes avec qui
j’avaisvolé.IlétaitbaséàVancouveretmoi,àMontréal.Durantmespremiersmoisentantqu’agente
debord, j’avais effectué quelques vols depuis l’Ouest canadien.Les villes du côté duPacifiquenedesservantpastoujourslesmêmesdestinationsquecellesdel’Est,j’avaiseulachancedeposerlespiedsenAllemagneetauJapon.Commelesvolsvers l’Europeétaientbeaucoupplus longsdepuisl’Ouest,ilm’étaitarrivéd’entrerdanslecockpitpourjaseraveclespilotesetm’exposeràlalumièredujour.C’est ainsique, lorsd’unvolversMunich, jem’étais liéed’amitié avecBruno,quivenait d’être
embauché en tant que premier officier.Comme la plupart des routes aériennes entreVancouver etl’Europepassaientpar leNord,nousavionsunevue imprenablesur lesglaciersduGroenland.Lepaysage était à couper le souffle.Contrairement àBruno, c’était la première fois que je voyais cedécormajestueuxdepuislepostedepilotage,maisilavait toutdemêmefaitminedes’émerveilleravecmoi.Ilétaitgentil,etunefoisenAllemagnenousétionsallésmangeravecl’équipage.Aumomentdenotrerencontre,Brunoavaitunecopine.Ilnes’étaitdoncrienpasséentreluietmoi.
Toutefois,s’ilm’avaitfaitdesavances,jelesauraisacceptées,caràl’époquejen’avaispasencorecôtoyésuffisammentdepilotespourlestrouverprétentieux.Sur la base de ces souvenirs, ce verre qui m’était offert ne pouvait être qu’apprécié. Nous
convînmesdoncqu’ilm’appelleraitdèsqu’ilatterriraitàMontréal.Cequ’ilfit.—Salut, Scarlett, je suis auSheraton à côté de l’aéroport. Je n’ai pas de voiture, alors ce serait
sympasitupouvaispassermechercher.Ensuite,oniraprendreunverreprèsdel’hôtel,meproposa-t-iltimidement.Naturellement, j’acceptai. Il n’était quedepassage àMontréal, alors jemevoyaismal refuser sa
demande.«Jen’auraiqu’àl’appelerunefoisarrivéeàl’hôteletilmerejoindradanslavoiture»,medis-je.Avantquejeparte,Béam’obligeaàemporterduvin.Ellevoulaitquetoutsoitparfait.— Voyons, Béa, nous allons dans un bar, je n’ai pas besoin d’une bouteille de vin, lui dis-je,
convaincuequejenelaboiraispas.—On ne sait jamais où la soirée peut temener, Scarlett !Garde-la donc au cas où tu en aurais
besoin,meconseilla-t-elle,touténervéepourmoi.Çafaitlongtempsqu’ilnes’estrienpassédanstavie,alorsilnefaudraitsurtoutpasgâchercettechance.Béaavaitraison.Jen’avaispasététouchéeparunhommedepuistroplongtemps.Cen’étaitpasles
occasionsquiavaientmanqué,maiscomme toujours jem’étaisdéfilée. Jemedisqueces temps-làétaientrévolusetque,commemacoloc,j’allaism’amuseraveclesexeopposé.J’espéraistellementque Bruno me plairait. Et puis, même si certains aspects ne m’emballaient pas chez lui, un peud’alcoolsechargeraitd’embellirmaperceptiondeschoses.J’étaisdécidéeàmelaisserporterparlecourant.
***
En route pour l’hôtel, je fis l’erreur de m’imaginer le scénario parfait. J’arriverais dans lestationnement et j’appellerais Bruno pour qu’il descende. Il entrerait dans la voiture et je seraisimmédiatement séduite en le voyant.Nous serions aussitôt à l’aise ensemble, commepar le passé.Nous irions dans un pub tout près. Nous prendrions une bière et, ne voulant plus partir, nouscommanderionsunpichet.Lasoirées’étirerait,puisnoussentirionsledésirmonterennousetnousdemanderions l’addition. Il paierait la note et, une fois de retour à l’hôtel, il m’inviterait dans sachambre.Avantd’accepter,jel’embrasseraispour«testerlamarchandise».Seslèvresépouseraientlesmiennesà laperfectionet jen’hésiteraispasunesecondeà lesuivrepourpoursuivre lasoirée.Nousouvririonsmabouteilledevinetcontinuerionsàboire.Jen’auraisplusnipudeurnigêne.Jeseraisenfinprêteàavoirduplaisir!Lachimieseraittellequej’enredemanderais.Encoreetencore,
jusqu’aupetitmatin.Lescénarioidéal.Ilnemerestaitqu’àsouhaiterquemonvœuseréalise…J’arrivai enfin dans le stationnement de l’hôtel. Un peu timide, je décidai d’envoyer un texto à
Brunoplutôtquedel’appeler:«Jesuisenbas,jet’attendsdanslavoiture.Tudescends?»Aussitôtaprèsavoirappuyésurlebouton«envoyer»,jeréalisailagrosseerreurquejevenaisde
commettre. Pourquoi avais-je posé une question ? J’étais agente de bord et je savais bien qu’il nefallait jamaisfaireçasiondésiraitobtenir laréponsequ’onvoulait.Lorsquejedevaisdéplacerunpassagerversunautresiège,jamais,augrandjamais,jenedisais:«Pardon,madame,accepteriez-vousdechangerdeplace,carj’aiunpassagerquinesesentpasbien,blablabla?»Àtoutcoup,laréponseauraitété«non»!Règleno1del’hôtessedel’air:nejamaisposerunequestion!Aulieud’interroger,ilfautpoliment
imposersavolonté:«Madame,jesuissincèrementdésolée,maisjedoisvouschangerdesiègepouraider un couple et leur bébé. Je vous remercie. Puis-je vous donner un coup de main avec vosbagages ? » Dit ainsi, j’obtenais à tout coup ce que je désirais. Il n’y avait pas de place pourl’argumentation.À l’inverse, cemessage que je venais d’envoyer ouvrait une immense porte à ladiscussion, ce qui, possiblement, modifierait le déroulement de la soirée. Impatiente, j’attendisnerveusementlaréponsedeBruno.Dixsecondesplustard,j’obtinscellequej’avaisredoutée:«Jenesuispastoutàfaitprêt,montedonc,machambreestla1102.»Je relus cette phrase. Elle était affirmative, aucun point d’interrogation. Décidément, Bruno était
plusintelligentquemoi.J’allaisdoncfairecequim’avaitétédicté:monteràsachambre.Grrrrr!Monscénarioparfaitsemodifiaitcontremongré.Jeramassaimonsacàmaincontenantlabouteilledevin,sortisdelavoitureetmarchaiverslaporteprincipale.Ayant l’impressiondenepluscontrôler lasituation, j’étaisdésormaisstressée. Jemedoutaisque
nouspasserionsprobablementplusrapidementaudessertmaintenantquej’avaisacceptédemonteràsachambre.VulessouvenirsquejegardaisdeBruno,jen’avaisaprèstoutaucunproblèmeavecça.Ilmesuffiraitd’engloutirundemi-litredevinettoutseraitréglé.«Audiablelebar!»medis-je.Monhôteavaitsansdoutelamêmeidéeentêtequemoi.J’allaisledécouvrirsouspeu.
***
J’arrivaiauonzièmeétageetmedirigeaiverssachambre.Jemepostaidevantlaporte1102,pasencoreprête à entrer.Qu’allais-je rencontrer de l’autre côté ? « Il s’enpasse, des choses, endeuxans ! » pensai-je. Je ne devais pasmedécourager. J’étais là pourm’amuser et je comptais bien lefaire.Jeprisdegrandesinspirationsetcognaienfin,lecœurbattant.Laportesedéverrouilla.J’arrêtaibrusquementderespirer.J’étais impatientederevoirmonvieil
amipilote.Magorgedevintsècheetmonpoulss’accéléra.Laportes’ouvriteneffleurant lespoilsdrusdutapisbeige.Etpuis je levis.Brunose tenaitbien
droit devant moi, visiblement heureux de me retrouver. Ses yeux pétillaient et je pouvais mêmeapercevoirunfiletdesueursursonfront.Ilmevoulaitdéjà.Moi?Finalementpas!J’avaisl’impressiond’avoiruninconnusouslesyeux.Lesimagesdubeaupiloted’ilyavaitdeux
ans s’étaientenvolées.Brunoétaitpetit.Troppetitpourmoi. Ilportaitun jeans taillehauteet avaitinsérésont-shirtblancdanssonpantalon.Çalerapetissaitencoreplus.Onauraitditquej’avaisunnain devantmoi. Bruno était unHobbit ! Plus je le regardais et plus je réalisais que j’avais rêvé.Brunoétaitlemêmequedanslepassé.Enfait,c’étaitmoiquiavaischangé:l’admirationaveuglequej’éprouvaisenverslespiloteslorsdemapremièreannéedansl’aviations’étaitvolatiliséedepuisbienlongtemps.J’étaispriseaupiège!—Bonjour,mademoiselleLambert.Toujoursaussibelle,dit-ild’unairconfiant.
Que pouvais-je bien répondre à ça ? «Bonjour,monsieurBergeron, je ne vous retourne pas lecompliment»?Jemecontentaiderougiravecunsourire.Ilmefitsigned’entreretajouta:—J’airegardésurInternetlesbarsauxalentoursetiln’yarienàpartuneCageauxSports.Jen’ai
pasenvied’uneambianceaussibruyante,jepréféreraisunendroittranquille,alorsj’aipenséqu’onpourraitrestericisic’estOKpourtoi.Je lesavais!Brunoétaitunpetit futé.Monplan tombaità l’eau.Jemedemandaisi j’arriveraisà
rester fidèle au but que je m’étais fixé avant d’entrer. Je regardai mon interlocuteur. Je voulaistellementme faireplaisir.C’étaitprimordialpourmonbien-être. J’enavaismaintenant l’occasion,alorspourquoiétais-jesihésitante?Brunonedevaitpasêtresipirequeça…Jel’examinaiavecplusd’attentionafindeprendreunedécision.Son regard était profond. Sa mâchoire était robuste et il arborait une barbe de quelques jours.
J’aimelesbarbes,c’étaitundébut.Sachevelureparaissaithumide.Ilavaitsansdouteprisunedouche.J’en étais rassurée. Son visage était potable. Je pouvais faire avec. Quant à sa petitesse, ce n’étaitqu’unlégerdétailquipouvaitrapidementseréglerunefoisàl’horizontale.J’étaisdécidée!J’allaismelaisserbercerparl’assurancedeBruno-le-Hobbit!Jeluiannonçailanouvelle.—Ouais,tuasraison.C’estvraiqu’iln’yarienautour.Etçatombebien,parcequej’aiapportéune
bouteilledevin,affirmai-jetimidement.Jedevaisaccepterlasituation.Jel’avaismoi-mêmesouhaitée.«Assume,Scarlett!Assume!»Brunosortitlesverresetj’ouvrislabouteille.Ils’étenditsurl’undeslitsdelachambreetmoisur
l’autre.Nousparlâmesdesévénementspasséstoutenbuvantnotrepotionmagique.Jesouhaitaisquel’alcool fasse son effet incessamment. Mais, gorgée après gorgée, ma perception demeurait lamême:Brunonem’attiraitpas.«Bois,Scarlett!Bois!»J’avalaimondeuxièmeverredevinenuntempsrecord.J’eussoudainementlaparolefacile.C’était
aumoins ça. « Et puis nous sommes encore installés sur nos lits respectifs, pensai-je. Je pourraitoujoursmedéfilersijelesouhaite.»Detoutefaçon,j’enavaisl’habitude,non?—Alors,tuasunchum,Scarlett?sedécida-t-ilàmedemander.Pourquimeprenait-il?J’étaisévidemmentcélibataire!Jenemeseraispasdonnétoutcemalsiun
hommem’attendaitàlamaison.—Non,Bruno,jen’aipersonnedansmavie.Toi?Toujoursaveccettefilleavecquitusortais?Jen’auraispasdûluirépondreaussivite.Etsurtoutpas luidemanders’ilétait libre.Ilallaitsans
doutes’imaginerdeschosesobscènes.—Biensûrquenon,Scarlett.Pourquoit’aurais-jeinvitéeicisij’étaisencouple?répliqua-t-il.«Euh…Parcequetuesunpilote!»Jesentaisquelaconversationallaitsedirigerversdessujets
plusintimes,commejel’avaishonnêtementdésiréplustôt.Qu’allais-jefaire?Jen’avaisplusenviedejouer.J’étaisunestupidecélibataireentraindeboiretropdevindanslachambred’hôteld’ungarsquimedévoraitdesyeuxetquiétaittoutaussiseulquemoi.Maisilnem’attiraitpasdutout.J’avaisdécidémentbesoind’unepause.—Jepeuxutilisertestoilettes?demandai-jeavecempressement.—Oui,pasdeproblème,répondit-il,unpeudéçuquejecoupelefildesonstratagème.—Jen’enauraipaspourlongtemps,lerassurai-je.Quelplaisir je ressentisune foisdans la salledebain !Enfin seule ! Ilme fallait reprendremes
esprits et oublier cette pression écrasante sur mes épaules. Je m’imaginai ce que Rachel et Paulediraientsiellesétaientlà.Ellesriraientsansdoutedemonridiculeetmeconseilleraientdefermerlesyeuxetdem’amuserquandmêmeavecBruno-le-Hobbit.Etellesauraientraison,carj’étaisd’abordunefemmeetj’avaisdesbesoinsphysiquesàcombler.J’iraisjusqu’aubout.
Je me penchai alors vers le miroir et fixai mon reflet dans la glace. Mon regard étincelait dedétermination. J’appliquai un baume à la framboise sur mes lèvres afin d’incarner mon rôle deséductrice. Désirant éponger un surplus de gloss, je me dirigeai vers le siège des toilettes pourprendreunmorceaudepapierhygiénique.C’estlàque,subitement,jelesvisflotter.ATTENTION !HAUT-LE-CŒUR !Desmiettes ! Plusieursmiettes ! Des grosses et des petites !
Valsant partout dans la cuvette des toilettes. Dans ses toilettes ! J’étais terrorisée et complètementdégoûtée par ces corps brunâtres fraîchement expulsés d’un certain Bruno-le-Hobbit ! Ou plutôtdevrais-jedireBruno-le-brun?Lemêmequim’attendaitimpatiemmentdel’autrecôtédelaporte.Jen’yarriveraispas.Impossible!Pasaprèscequejevenaisdevoir.D’unbond,jemeredressai.J’allaismedéfiler.Encore.Jeprisunegranderespirationetactionnaila
chassed’eau.Ilnefallaitsurtoutpasqu’ilpensequecesimmondesmiettesbrunesm’appartenaient.Jemelavaiensuitelesmainsetretournaidanslapièceprincipale,prêteàdéguerpirsur-le-champ.Lorsque je le rejoignis,Brunoétait toujoursétendusur le lit. Ilmeregardaitdroitdans lesyeux,
souhaitantmefairefondrededésirpourlui.Maisc’étaitdéjàtroptard.—Bon,Bruno,l’heurefile.Jedoispartir.J’auraisvraimentadoréresterpluslongtemps,maison
remettraça,déclarai-jeàlahâte.Jemedirigeaiverslelitpourrécupérermonmanteau,maisjemedoutaisbienquemonhôteneme
laisseraitpasm’éclipsercommeça.—MademoiselleLambert!Vousn’allezpasmedirequevousêtesvenuejusqu’icipourmeglisser
entrelesmains?melança-t-ilmielleusement.Il se levaetvintmerejoindreentre lesdeux lits. Il se tenaitbiendroitdevantmoi,unsourireen
coin. « Peut-être que si je l’embrassais un peu ilme laisserait partir ? »me dis-je.Quelle naïve !Commentcetteidéeavait-ellebienpumetraverserl’esprit?C’estalorsqu’ilinclinasoncorpsversmoietque,detoutsonpoids,ilmejetaavecbrusqueriesur
le lit. Ses mains étaient posées de chaque côté de mon visage et ses jambes me coinçaientpuissammentcontrelui.Ilmefixaittoutendégageantunevolontéincontrôléedemedominer.« Je suis venue ici pour ça, pensai-je. Peut-être devais-je au moins essayer ? L’appétit vient en
mangeant,non?»Jelevaialorsmatêteverslasienneensigned’approbation.Jeluioffrisgentimentmabouchepourfaireunessai.Ilentrepritplutôtdel’assaillir.Maboucheétaitsouslechoc.J’avaisl’impressiond’êtreagresséeparunelanguepiquantepointant
vers le fond de ma gorge. Au lieu de m’approcher de Bruno, je reculais afin d’éviter d’êtretranspercée.—Humm,tuembrassessibien,medit-il.Jenerépondispas.C’étaituneabomination.Riendetoutcelan’étaitagréable.Jeluidonnaitoutde
mêmeuneautrechance.Envain.Carauboutdequelquestentativesd’invasionbuccaleilentraplusagressivement à l’intérieur de ma bouche. Bruno semblait avoir perdu le contrôle et respiraitétrangement. Entre chaque baiser, il exhalait un souffle saccadé et faisait vibrer ses lèvres commepourmesignalersonexcitationgrandissante.J’étaisdégoûtée.Riennes’améliorait.CesonqueBrunoproduisaitétaitloind’êtreexcitant.J’avais
plutôtl’impressiond’écouteruneémissiondeNationalGeographicetd’entendreuntigreémettrecefeulementutilisélorsd’unerencontreavecundesessemblables.—FFFFFFEEEEEUUUHHHH!FFFFFEEEEEUUUUHHHH!laissait-iléchapperentresesdents.Sansdouteconvaincuquej’adoraissaperformance,ils’empressadesoulevermonchandailetde
tâtermapoitrine.—FFFFEEEEEEUUUHHHH!FFFFFEEEEEEUUUUUHHHH!continuait-il.
Cesonmerendaitfolle!Plusjeparticipaisàl’actionetplusceFEUHétaitprononcé.Brusquement,monattention fut dirigéeversmamain.Bruno la tenait fermement et la guidait vers sonpantalon.«Non!Jeneveuxpas!»m’écriai-jeintérieurement.Jevis alors réapparaître en esprit le contenubrunâtrequi serpentait harmonieusement dans l’eau
brouilléeetsaledestoilettes.C’enétaitassez!Bruno-le-brunn’iraitpasplusloinavecmoi.«Qu’ilrâle avec quelqu’un d’autre ! » Sans plus d’hésitation, je repoussai le tigre agonisant, me levai,attrapai monmanteau et, avant de franchir le pas de la porte, telle une tigresse désillusionnée, jedécidaideluidonnerunpetitconseil:—Laprochaine foisque tu invitesune fille àmonterdans ta chambre, assure-toique tadate ne
verrapastagrossecommission!
AChapitre15
prèsmesdécevantesexpériencesavecArnaudetBruno,jedécidaidemettrefinau«Jeuduflirtextrême».Plusjamaisjen’allaism’obligeràfréquenterdeshommesquinemeplaisaientpas.
Je retournai donc à mes réconfortantes habitudes auprès de mes amis, de ma famille et de mescollègues. Mon existence était bien plus agréable et beaucoup moins stressante ainsi. Je devaisaccepterl’évidence:çanemeservaitàriendeforcerleschoses.Laviesechargeraitd’arrangerlasituation.Enfin,jel’espérais.Monanniversairenepouvaitpasmieuxtomber.C’étaitcommesij’entamaisunnouveauchapitreen
melaissantbercerparlavie.Cejour-là,lorsquej’ouvrislaportedemonappartement,mesamism’attendaient.—SURPRISE!s’écrièrent-ilsenchœur.Jefigeaiàl’entrée.JemedoutaisqueBéaprévoyaitunefêtepourmestrenteans,maisjenepensais
pasqu’elleinviteraitautantdemonde.Rupertétaitaccompagnédetoussesamisgais,dontuneséried’anciennes conquêtes.Béa avait invité sonmilliardaire français,Damien. Je ne savais pas qu’ellel’aimait autant.Quelques-unsdemescollèguesyétaient, ainsiquePaule etRachel.Tout cemondeétaitlàpourmoi!—Bonnefête,mafille!s’exclamamamère.—Maman?Papa?Vousêtesvenusdunordjustepourmoi?demandai-je,souslechoc.—Trenteans,Scarlett,cen’estpasrien!Maisonneresterapas longtemps, tusaiscomment ton
pèren’aimepassortirdesonbois.—Ohoui,jelesais!Jesuissicontentequevoussoyezlà!Jetenaisàleursoulignermonappréciation:jesavaiscombienildevaitavoirétédifficilepourma
mèredeconvaincremonpèredevenirenville.Elle s’ennuyait tellementdemoiqu’elleavait sansdouteinsisté.Alorsquejeparlaisavecelle,PauleetRachelnousrejoignirent.—Bonnefête,Scarlett!mesouhaitaPaule.—Bonnefête!répétaRachel.—Merci,lesfilles,dis-jesincèrement.—Trenteans,c’esttouteuneétapedansunevie!s’exclamaRachel.—Ouais,lafameusecrisedelatrentaine.Quandlesfemmesremettenttoutenquestionetressentent
l’appeldelamaternité…ajoutai-je.Curieusement, j’avais l’impression d’avoir vécu cette remise en question il n’y avait pas si
longtemps. L’année de mes vingt-neuf ans, qui venait de se terminer, avait été une dure période.J’avais désespérément tenté deme dénicher un partenaire etm’étais engagée à rencontrer presquen’importe qui.Maismonplande vie idéal était tombé à l’eau,même si j’avais tenté d’ouvrirmeshorizons.Rienn’avaitfonctionnécommejel’avaisimaginé.Maintenantquej’avaisacceptéça,ilétaittempsdetournerlapage.J’étaisprêteàavancerversl’inconnu,unjouràlafois,etàl’apprécier.Rachelsepermitalorsdejouerànouveauàl’entremetteuse.—Scarlett,jenet’aipasencoreprésentémoncompagnonpourlasoirée,Marc.Monchumvoulait
rester avec notre petit homme, alors je l’ai invité, précisa-t-elle, probablement inquiète de maréaction.«Ellem’énerveavecsoncousin»,pensai-je.EllesavaitquejenevoulaisriensavoirdeceMarcet
voilàqu’elle tentaitencoredeme leprésenter.Pournepas lamettremalà l’aise, je la réconfortai
avantdelesaluer.—C’estunpartysurprise,Rachel!Lesinvitésfontpartiedelasurprise!affirmai-jeavecironie.Jeregardaiensuitesoncousinavecunfauxsourire:—Salut,Marc.—Bonnefête,Scarlett!dit-ilgentiment.Mamère,quiétaittoujoursparminous,s’infiltradanslaconversation.—C’estquicebeaujeunehomme?demanda-t-elleàRacheltoutenleregardantcommes’ilétaitun
sacàmaindansuncatalogueSears.—Marcestmoncousin,madameLambert.Ilvitdansvotrecoin,àMont-Tremblant.—Intéressant,ajoutamamère,déjàentraindetomberamoureusedelui.Tufaisquoidanslavie,
moncher?— Je suis dans la restauration, répondit-il avec fierté. Je possède un café très à lamode dans le
villagedeTremblant.—Encoreplusintéressant!renchérit-elleavantdesetournerversmoi.Scarlett,onpourraitaller
prendreuncaféàTremblantlaprochainefoisquetuviendrasmevoir!Jen’encroyaispasmesoreilles.Voilàquemamère s’ymettait aussi.EtRachel, toute souriante,
semblaitpenserqu’elleavaitmiséjuste.Jesavaisquemamèreétaitinquiètedemoncélibat,maisjene m’attendais pas à ce qu’elle m’organise une date avec le premier venu. Il me fallait clore ladiscussion:ilétaithorsdequestionquejepassemontrentièmeanniversaireaveclui.J’avisaiMarcetRachelquej’allaisreveniretdemandaiàmamèredemesuivredansmachambreenprétextantquej’avaisunesurprisepourelle.Innocemment,ellemesuivit.Unefoislaportebienreferméederrièrenous,j’explosai:—Maman,tuasl’airdepenserquejefaispitiéparcequejesuiscélibataire,maisjesuisheureuse,
alorsarrêted’essayerdemeprésentern’importequi,OK?hurlai-jepresque.—Jem’excuse,Scarlett, jenepensepasque tu faispitié. Je saisbienqu’aujourd’hui lesgensse
casentplustard.C’estjustequejeletrouvaisintéressant,cep’titgars-là.Pastoi?—Non,iln’estpasfaitpourmoi,annonçai-jesansvouloirenrajouter.—Ah ! Comment ça ? Tu le connais à peine. Il est très séduisant et vous iriez bien ensemble,
affirma-t-elle,déçuequejen’appréciepassasuggestion.Mamanétaittenace.SijeneluidisaispasimmédiatementlaraisondemondédainpourMarc,elle
s’acharneraittoutelasoirée.C’étaitmonpartyetj’avaisl’intentiondem’amuser,alorsjemedécidaiàluiexposerlesfaits.—Ilétaitmarié,ilaunenfantetilatrompésafemmeplusieursfois,voilàpourquoi!—Oh ! Je ne savais pas… Jamais je n’accepterais que tu sois avec un homme comme ça, sans
honneur,sansvaleur,sanscœur!Qu’avais-je fait ? Je savais que maman était scandalisée par ce genre de tricherie. Je venais
d’allumerunénormefeu.Ilfallaitquejel’arrête.—Bon,çava.Deserreurs,çapeutarriver.Marcn’estsansdoutepasunbongars, j’enconviens,
maisjepensetoutdemêmequ’onpeutavoirunesecondechancedanslavie.Comment pouvais-je dire ça ?Moi qui prônais toujours la fidélité, j’étais en train de parler de
secondechance?Quiplusest,jen’éteignaispaslebrasier,jel’alimentais.—Ahbienlà,Scarlett,franchement!Iln’yapasdesecondechancequandonchoisitdemarierune
femmeetd’avoirdes enfants.Onassumeetonprend ses responsabilités.Une famillen’estpasunobjetaveclequelonpeuts’amuserpours’endépartirensuitecommeunvieuxchandail!Sesargumentsétaientforts.Lesmiens,faiblesetsanstonus.Jenesavaisquerépondreetn’euspasà
lefairecarmonpèrearrivaàmarescousse,ouvrantlaporteentrombe.—Agathe!Ont’entenddel’autreboutdelapièce.Çasuffit!LaisseScarletttranquille.C’estsafête,
là.Ons’envabientôtdetoutefaçon,dit-ilenregardantmamèredurement.Papa agissait souvent ainsi. Il laissait ma mère m’attaquer et, quand la situation dégénérait, il
intervenaitpourlacalmer.Pourtant,iln’yavaitpassilongtemps,j’adhéraisàladoctrinedemamère.Jene comprenaisd’ailleurspas la raisondema soudaineouvertured’esprit.Eny réfléchissant, jesavais,maisjenevoulaispasypenser.Pasmaintenant,entoutcas.Unefoismesparentspartis,jerejoignismesamisetmemisàboireallègrement.Marctentabiende
reprendrelaconversation,envain.Quelquesverresplustard,jem’avouaienfinlepourquoidemesproposcontradictoirestenusplustôtavecmamère.Aufonddemoi,blottieprèsducœur,maraisons’appelaitJohn.
L
Chapitre16
PuertoPlata(POP)–Montréal(YUL)
a réalitépeutparfoisêtredifficileàaccepter.De retourde leursvacances,une foisàbord, lespassagersseplaignentsouvent:ilsmaudissentlelundisuivantetbénissentleshôtelstoutinclus.
La plupart préféreraient rester allongés une année entière sur une plage des Caraïbes. Ils seraientenfinheureux,seloneux.Mais ilyenad’autres,une infimeminorité,quiapprécient le retourà lamaison,contentsde retrouver leurspetitsbonheurs,qu’ilsnechangeraientpour rienaumonde. Ilsont hâte de revoir leurs enfants, leur chien, et même de retourner au travail. « Bénis soient leslundis!»disent-ilspeut-être.Ilyaaussiceuxqu’unrienrendheureux.Ilspeuventsurprendreparleursingularité,maissurtout
ilsfontréfléchir.Certainsréussissentmêmeàéveillerenmoidesdésirsquej’avaisenfouisauplusprofonddemonêtre.CommecettepassagèretrèsparticulièresurunvolauretourdePuertoPlata…
***
Nous étions en avril et volions vers le Canada. Les mois précédents avaient été fort occupés.N’ayant pas encore suffisamment d’ancienneté pour passer quelques jours dans le Sud, j’avaiseffectué des allers-retours tout l’hiver. Au moins, je revenais à la maison chaque soir et je nesubissaispaslesméfaitsdudécalagehoraire.Jesavaisquelesvolsoutre-merapprochaient,alorsjenem’enfaisaispastropavecça.J’avaismêmeréussiàconserverunjoliteintbronzéenm’asseyantdanslesescaliersàl’extérieur
de l’avion pendant les minutes de pause au sol. Parfois, sur les vols de retour, mes pommettesrougissaient,mefaisantpresqueressembleràtouscespassagersbrûlés.Cejour-là,auretourdePuertoPlata,j’étaisoccupéeàservirlesboissonset,commejefaisaisface
aux passagers depuis mon côté de chariot, j’avais une vue panoramique sur la cabine et sur descentaines de têtes. Souvent, j’en profitais pour flairer l’humeur demes protégés. J’observais leursfrontsplissés,leurssourcilsarquésoul’inclinaisondeleurstêtes.Étaient-ilsentraindelireunlivreouderegarderunfilm?Semblaient-ilssoucieuxoureposés?Mais,avanttout,étaient-ilsbrûlésoucalcinés?AuretourduSud,jeprenaisunmalinplaisiràobserverlebronzagedemespassagers.Jecroyais
sincèrementavoirtoutvu,maisj’avaistort.Ilyatoujourspire.Jevenaisdeservir ledernierpassagerà la limitedemonchariot. J’avisaimacollèguequenous
pouvionsavancerpournousoccuperdenouvellesrangées.Nousarrêtâmesplusloinetjemetournaiverslespassagersquisetrouvaientàmadroite,côtéhublot,pourleurdemandercequ’ilsdésiraientboire.Lepassagerdufondmeréclamaunverred’eau.Jeregardaiensuitelapassagèrecôtéallée,et là,
j’eusl’impressiondevisionnerunfilmd’horreur.—JevaisprendreunPepsi,medit-elle.Jefigeaiuninstantavantd’assimilersarequête.Commentcettefemmepouvait-ellecommanderun
Pepsid’untonaussicalme?Sonteintétaitnoir,rouge,brunetblanc.Toutçaenmêmetemps!Àsaplace,j’auraiscriépouravoirdescompressesd’eaufraîche,unbarildeglace,despansementsetdela crème antibiotique à profusion. Cette passagère n’était pas brûlée mais plutôt carbonisée,
«pleumée»,tropcuite.Lapauvre!Ilfallaitquejeluioffremonaide.—Pardon,madame,est-cequevousvoussentezbien?Ladamelevalesyeuxversmoi.Soncous’étira.J’aperçusdeslambeauxdepeausèchetombersur
sonbeauchandailnoir.Ellemeregardaavecungrandsourirequilaissavoirsesdents,trèsabîmées.«Quellemalchanced’avoiruneaussimauvaisedentition»,pensai-je.—Oui,oui, jemesensbien.J’ai justeoubliédemettredelacrème,répondit-elleenhaussant les
épaules.Sonmouvementfittomberd’autreslambeauxdepeaumais,cettefois-ci,ilsprovenaientdesesbras.
Jeressentissoudainementbeaucoupdecompassionpourl’hommeassisauhublot.Unenouvellefois,jem’assuraiquelagrandebrûléen’avaitbesoinderien.—Unecompressed’eaufraîchesurvotrecoupdesoleilpourraitvousapaiser,luiconseillai-je.—Ah!OK!Merci!Jeprisuneservietteabsorbantedansmontiroiretydéposaidesglaçons.Jel’aspergeaiensuited’un
peud’eauetlaluitendis.Avectoutescesattentions,j’enavaisoubliésonbreuvage.—Quevoulez-vousboire,madame?—VousavezduPepsi?s’enquit-elle.—Oui,bienentendu.Je saisis alors un verre vide sur mon chariot. J’avais l’impression d’avoir passé une éternité à
servir cettepassagère.Maintenant, il était tempsd’être efficace. Juste comme jedirigeaismamainversletiroirdeboissonsgazeuses,lagrandebrûléem’interpellaencore.—VousavezvraimentduPepsi?—Oui,nousenavons,confirmai-je.—DuvraiPepsi?dit-elle,deplusenplusexcitée.—Oui,duvraiPepsi.Qu’est-ce qui était si difficile à comprendre ? Parlais-je une langue qu’elle ne connaissait pas ?
Dansmon chariot, j’avais du Pepsi !Du vrai Pepsi de lamarque Pepsi !Qu’aurais-je pu préciserdavantagepourqu’ellemecomprenne?Enfait,rien.Ladamen’avaitpasperdul’ouïe.Non,elleétaitseulementépriseduPepsietheureusedeleretrouver.—Hiiiiiii!JesuistellementcontentedeboireenfinduPepsi!Hiiiii!Mme Pepsi s’exclamait de joie. Ses jambes et ses bras s’agitaient, c’était l’hystérie totale. Je ne
comprenaispascommentuneboissongazeusepouvaitrendreunepersonneaussiexaltée.—VousaimezlePepsi,àcequejevois.Çafaitlongtempsquevousn’enavezpasbu,c’estça?la-
questionnai-je.—C’estça ! J’avaisapportémesdeux litresdePepsimais,aprèsunesemaine, ilnem’en restait
plus.J’aiétéobligéedeboirelemauditCokemaisondel’hôtel!Dégueulasse!Et moi qui avais prisMme Pepsi en pitié lorsque j’avais vu ses dents cariées. J’en connaissais
maintenant l’origine. Encore sous le choc, je devais jouer la comédie, le temps de lui servir saboissonpréférée.Jem’empressaideramasserunecanetteetcommençaiàverser le liquidedans leverre.Lagrandebrûléedevenaitdeplusenplushystérique.—Hiiiiii!Hiiiiii!Hiiiiii!Jedevaisdirequelquechose.Unmotgentilafindenepasavoirl’airdelajuger.—Ah!C’estvraiquec’estbon,lePepsi…J’avaisl’impressiond’avoirétévictimed’unmauvaistour.Maisnon.Etcurieusement,saréaction
futpourmoiunerévélation.Mon Pepsi à moi, celui que je voulais consommer avidement, avait déjà croisé ma route. Il
s’appelaitJohnRoss.Deboutdansmonallée,toutenservantMmePepsi,jemejuraialorsqu’unjourje tenterais au moins de goûter à ma boisson préférée. Ne serait-ce que pour une nuit, histoired’étancherunpeumasoif.
L
Chapitre17
Montréal(YUL)–Madrid(MAD)–Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)
esvolsoutre-meravaientmaintenantcommencéetj’avaisdéjàvoléplusieursfoisendirectiondeParis et Barcelone. Par contre, en cette soirée du début de juillet, je travaillais sur un long-
courrierdesix jours.D’abord, j’iraisàMadridet, le lendemain, jepasserais lanuitàToronto.Lejoursuivant,jem’envoleraispourDublin,enIrlande,etypasseraiségalementunenuitpourreveniràMontréal le lendemain.C’étaitunbeau trajetcar jeneferaisquedesvolsdirects.Aprèsquatreanscomme agente de bord, je commençais à obtenir demeilleurs vols. J’étais donc très heureuse departir,etcesnouvellesconditionsmeremplissaientd’énergie.Unefoisarrivéedanslasalled’équipage,j’appuyaimavalisecontrelemuretallaiimprimermon
itinéraire. Il était importantd’enavoirunecopiepapier cary étaient affichés lesdétailsde chaquevol : heures précises de décollage et d’atterrissage, numéros de vol, nom des hôtels où nousséjournions,demêmequelalistedesmembresd’équipageprévuspendanttoutlecourrier.Aussitôtledocument imprimé, je leconsultai rapidement.Une informationme fit sursauter.Le soufflecoupé,j’enlaissaiéchapperleboutdepapier.Puisjeprisuneprofondeinspiration,ramassaimonitinérairedevol,lepliaienquatreetleglissaidansmonsacàmain.Jemedirigeai ensuitevers la sécurité réservée auxmembresd’équipage.Tout enmarchantdans
l’aéroport,j’eusl’étrangel’impressionquemonénergiememanquait.Chancelante,j’arrivaisàpeineàposerunpieddevantl’autre.Finalement,auboutd’uneminute,jem’approchaidesdeuxhommesenuniformebleumarine qui contrôlaient le passage. Ilsm’apparaissaient flous. Ilsme regardèrent etprononcèrentunmotquej’entendisauralenti.—Booooooonsoooooir!Je me sentais prête à m’évanouir. Avais-je été mordue par un serpent venimeux entre la salle
d’équipageetlasécurité?Depeineetdemisère,jeleurrépondisetapposaimonindexsurlecapteurd’empreintesdigitales.Lalumièreviraauvertetjepassaidel’autrecôté,dansl’aireinternationale.J’enavaispouràpeinedixminutesdemarcheavantd’atteindrel’appareil.Nesachantplusoùpuiser
mesforces,jemerendisauxtoilettesdesfemmes.J’avaisbesoindem’aspergerdel’eaufraîchesurlafigure.«Audiable,lemascaraquicoule»,medis-je,etjeplongeaimonvisagedansl’eauglacéequiremplissaitmesmains.Quelquespurificationsplustard,mafièvreétaittombée.J’effaçaialorslestracesnoiressousmes
yeux, séchai ma peau et fis le nécessaire pour recouvrer mon éclat. Je rejoignis la barrièred’embarquementàl’heureprévue.Àmonarrivée,touslesmembresd’équipageétaientdansl’avion.J’étaisheureusedevoirquejeles
connaissais, je n’aurais donc pas à fournir d’effort pour me rappeler leurs noms. J’avaissuffisammentlatêteailleurs.Jesortismoncarnetblanccontenantlesannoncesauxpassagers.NousvolionsversMadrid,enEspagne,aussiavais-jeétéassignéecommeétantl’agentedebordqualifiéedans la langue du pays. Je devrais traduire en espagnol chacune des annonces tout le long du vol.Normalement, j’appréciais cette tâche, car elle me permettait de mettre en pratique les cours quej’avais suivis à l’université enÉtudes internationales.Pourtant, ce soir-là, je la considérais commeunelourdecorvée.J’espéraisreprendremesespritsauplusvite.L’embarquementcommençaet lespassagersentrèrentdans lacabine.Jeme tenaisdeboutprèsde
ma porte et, pour ne pas tomber, je gardais la main posée sur l’appuie-tête de mon strapontin.Camille,macollègueducôtédroitdel’appareil,mefitsignedelarejoindreaumilieudelacabine.Elle aidait une vieille dame à prendre place. Je m’avançai vers elle en oubliant un moment monobsédantmalaise.—Jenecomprendsriendecequ’elledit,Scarlett !Elleparle tropvite!Tupeuxtraduire,s’il te
plaît?melançaCamille,déjàlesnerfsàvif.—Oui,oui,pasdeproblème,luidis-je,etjeprislerelais.Jeregardailavieilledamequisetenaitcourbéedansl’allée.Elleportaitunbonnetenlainesurla
tête.Elleagrippaitfortementsonsacencuirbrund’unemainet,del’autre,tenaitunecanne.—¿Disculpeseñora,senecesitaayuda?luidemandai-jegentiment.—¡Sí! ¡Claro que sí! ¡Mimarido está enfermo y no estamos sentados juntos! ¡No se puede!me
rabroua-t-elle,frustréedenepasêtreassiseavecsonmarimalade.Leproblèmen’étaitpastrèsdifficileàrésoudre.J’attendraisquetouslespassagersaientprisplace
etjeferaislesmodificationsnécessairespoursatisfaireladame.Ilmesuffisaitdeleluiexpliquer.—¡Bien!Nohayningunoproblema.Yovoya…euh!Voya…euh!hésitai-je.Quesepassait-il?Jen’arrivaisplusàm’exprimer!C’étaitimpossible,jeconnaissaisparfaitement
cettelangue!Jetentaiànouveaumachance.—Loquequeriadeciresque…euh!eteuh!répétai-je,embarrassée.Mon malaise me faisait oublier mon espagnol. J’étais terrorisée ! Dans une minute, je devrais
m’exprimeraumicroetdicter les règlesdesécuritéà tous lespassagers.«Jen’auraiqu’à les liremotàmotettoutirabien»,pensai-je.Jesoupiraietreprismesesprits.Jeparvinsfinalementàexpliqueràladamecommentjecomptais
régler son problème et lui conseillai de s’asseoir à sa place en attendant. Elle me remercia ets’installa,ledoscourbé,auborddel’allée.Soudain,j’entendisl’annonced’embarquementprononcéeenfrançaisetenanglaisparledirecteurdevol.Jefusalorsprised’unenervositéincontrôlable,etdessueursfroidesinondèrentmanuque.Je courus jusqu’àmon strapontin et ramassaimon carnet d’annonce. Barry, le directeur de vol,
terminasondiscours.C’étaitàmontourdefairelemien.Jeprisl’interphoneetpressaisurleboutonrouge qui allait diffuser ma voix dans toute la cabine. J’étais paniquée. « S’il faut encore que jebafouillecommeunedébutante,dequoijevaisavoirl’air?»Jen’avaisplusletempsderéfléchir.Jemelançai:—Señorasyseñores,lesdamoslabienvenidaabordodeestevuelodeVéoAircondestinoaMadrid.
Enpreparaciónpara…Jefussoudainementabsorbéeparmespensées.Encoreunefois.«Cen’estpasletempsderêvasser,
Scarlett!Continue!Parle!»—…eldespegue,lespedimosquepongansu…Jem’arrêtaiunefoisdeplus.Quellehorribleannonce!J’étaissansdoutelapiredeslectricesque
macompagnieavaiteulemalheurd’engager.Enplus,lacabineétaitremplied’Espagnolset,pourlapremièrefoisdemavie,j’avaisl’impressionqu’onm’écoutait.Ilmefallaitredresserlasituation.—…equipajedecabinadebajodelasientodelanteroodentrodeloscompartimientossuperiores.
Noestápermitidofumarduranteelvueloylasbotellasdebencolocarsedebajodelasiento.¡Gracias!J’étaissoulagée.Enfinuneannonceterminée!Maintenant,jedevaisreprendremesesprits.Jepartis
fermer les compartiments des bagages et faire les changements nécessaires pour réunirma dameespagnoleetsonmarimalade.Leschosessemblaientenfin revenirà lanormale,et jemedirigeaià l’arrièrede l’appareilpour
prendre un verre d’eau avant le décollage. Camille parlait avec Esther d’un voyage au Pérou. Entempsnormal,j’auraisétélapremièreàm’introduiredanslaconversationmais,cettefois-ci,jen’enavais pas envie. J’avais d’autres soucis. Je bus mon verre d’eau et retournai m’asseoir sur monstrapontin.Une fois assise, j’essayai de ne pas regarder les passagers qui se trouvaient devant moi. Je les
voyaisme fixer,mais je n’avais pas le désir de leur parler. J’avais besoin d’être concentrée pourrevoirmesprocéduresde sécuritéencasd’urgence,maisaussipourpenseràmes inquiétudes.Cemomentétaitlemienetjenecomptaispasmelaisserenvahirparl’entourage.Jefixaileplafond,leregardvide.J’orientaiensuitemesyeuxverslefonddelacabine,puisversletapisdel’allée,etenfinverslehublotpourvoirlapiste.Bref,jeregardaispartoutsaufdevantmoi.Nous roulionssur lapiste,et lecommandantn’avaitpasencore fait l’annoncedudécollage. J’en
avaispourquelquesminutesàpouvoirjouerl’indifférente.Jecontinuaisdefixerlesalentours,sansexpression. Du coin de l’œil, je pouvais voir la dame assise en face demoi. Elleme dévisageaitdepuistroisbonnesminutes.Jelasentaishésitanteetjesavaisqu’elleneseretiendraitpaslongtemps.Comme je l’avais prédit, elle posa ses deuxmains sur ses genoux et avança son torse dansma
direction afin d’attirer mon attention. La voyant inclinée à quarante-cinq degrés, je n’eus d’autrechoixquedelaregarderpoliment.Ellem’interpella.—Est-cequevousrestezdesfoisdanslesautrespays?medemanda-t-elle,heureused’avoirenfin
réussiàmeposersaquestion.—Oui,lorsquenousvolonsenEurope,nousrestonsaumoinsunenuit,précisai-jeavecunléger
sourire.—Ouais,çadoitpasêtreévidentcommejob,hein?ajouta-t-elle.—Çadépenddesvolsetdespassagers,luirépondis-je.—Pis…Tun’aspaspeurdelaturbulence?As-tudéjàpognéunegrossepoched’air?insista-t-elle.Lefameuxmythedespochesd’air!J’enavaissoupédecettequestion.J’avaislegoûtd’expliquerà
cette dame toute l’insignifiance de son interrogation.Ça n’existe pas, des poches d’air !Un avionn’avancepasdans l’airpour toutàcouparriverdansun trousansair !L’airestpartout, entourantcomplètementlaTerre.Iln’yaquedescourantsd’airchaudetfroid,commelameravecsesremoustourbillonnants.Jemecontentaidelarassurer.—Non,madame,jen’aijamaisrencontrédelagrosseturbulence,quedelapetite,etc’esttoujours
toutàfaitnormal.—Ah!conclut-elleenfinavantdedirigersonregardversl’extérieur.J’entendisalorsl’annonceducommandantetnousnousenvolâmes.
***
Deuxminutesaprèsledécollage,Barryrecommençasesannonces.Jerécupéraimoncarnetblancetjem’arrêtaiàlasection«Aprèsledécollage».Lesyeuxrivéssurleslignesquej’avaisàlire,jememisdenouveauàangoisser.Jevoyaisladamedevantmoiquim’observaitattentivement.Cettefois-ci,j’espéraisdébiterlesconsignesdesécuritédansunespagnolimpeccable.Barrytermina.C’étaitàmontour.Jesaisislemicro:—…lespedimosquepermanescansentadosconelcinturondeseguridadabrochadohastaquela…Jem’arrêtaibrusquement.Maisquem’arrivait-il?Jamaisjen’avaishésitéàprononcercemotdanslepassé.Ilétaitpourtant
facileàdire.«SEÑAL!S-E-Ñ-A-L!»répétai-jeintérieurementavantdeleprononceràvoixhaute.J’étaisrougedehonte.J’avaisl’aird’uneétudianteàsonpremiercoursdelangue.Jeterminaimon
discours en bégayant et me jurai qu’immédiatement après l’extinction du signal des ceintures jem’arrangeraispourenfiniraveccettehumiliation.Quelquesminutesplus tard, jepusme lever. Jedevaisme rendreà l’arrièrepouraccomplirmes
tâches,mais au lieude cela jemontai à l’avantpourparler audirecteurdevol.Barry était encoreassis à son strapontin et fouillait dans ses documents. En voyant ma tête, il se leva d’un bond ets’inquiéta.—Ma pauvre Scarlett ! Tu es blanche comme un drap. Ça ne va pas, hein ? me demanda-t-il,
préoccupé.—Non,Barry,vraimentpas!confiai-je,paniquée.—Cesontlesannoncesquitestressent?—Non, c’est autre chose,mais çavient chambouler tout le reste. Jenepeuxpas continuer àme
ridiculisercommeçadevantlespassagers.C’estcommesij’avaisoubliécommentmarcher!dis-je.—Écoute,j’avouequ’aujourd’huitesannonceslaissentàdésirer,alorsnelesfaisplus,m’ordonna
monsauveur.Jenel’écriraipassurlerapportdevol.—Oh!Merci!Tum’enlèvesungrospoids,là!Demain,jeteprometsqueçairamieux,assurai-je,
soulagée,etjeretournaiàmesoccupations.Mevoyantconfuseetempotée,Camilleentrepritdetravaillerdeuxfoisplusfort.Pendantleservice
derepas,elles’installadefaçonàtournerledosauxpassagersetainsipouvoirenservirdixalorsquejen’enservaisquetrois.Jenemereconnaissaisplus.Pourquoicevolmemettait-ildanscetétat?IlfallaitquejeparleàBéaauplusvite.Elleseulepouvaitmesoigner.Après l’atterrissage, je saluaimes passagers dans un état comateux. J’avais hâte dem’entretenir
avecmameilleure amie.C’était décidé, j’allais l’appeler, oùqu’elle soit.Une fois l’avionvide, jeramassaimavaliseetsortisdel’appareilentraînantdelapatte.Camille,parsolidaritéouparpitié,m’attenditetm’accompagnajusqu’àl’autobusd’équipage.—Tuvasvoir, çava te fairedubienunebonnesieste.Ensuite,on se rejoindrapour l’apéro.La
sangriavateredonnerdupep!m’encouragea-t-elle.—Ah!Merci,Camille,tuesfinemais,honnêtement,jepensequec’estmieuxquejeresteseulece
soir,répondis-je.Je n’arrivais pas à croire ce que je venais de lui répondre. Passer la soirée seule à Madrid ?
Normalement,jepartageaistoujoursdedélicieuxtapasavecmonéquipage.Cettevilleétaitfaitepourlafête.Maisjen’enavaispasledésir.JevoulaisréfléchiretsurtoutdiscuteravecBéa.Lorsque j’arrivai au point de rencontre, l’équipage était regroupé à l’arrière de la camionnette.
Chacun remettait sa valise au chauffeur, qui les rangeait stratégiquement dans le compartimentarrière.Àmontour,jem’approchaipourylaisserlamienneetentraiensuitedanslevéhicule.Unefois assise, je mis mes écouteurs sur mes oreilles et me laissai absorber par une mélodie pourdécompresser.J’avaisenfindu tempspour réfléchir.«Quelplaisirquedepenser !»medis-je.Enregardantlesmontagnesaridessurlaroute,monmalaises’estompaenfin.Monpetitcœursesentaitmieux.L’espoirlecomblait,leremplissait,etilbattaitdeplusbelle.J’ouvrismonsacàmainetyramassaimonitinérairedevol.Jeledépliaietreluscequim’avaittant
chavirée.VÉOAIR144Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)–commandantdebord:JOHNROSSVÉOAIR419Dublin(DUB)–Montréal(YUL)–commandantdebord:JOHNROSS
J
Chapitre18
Madrid(MAD)
evenaisdesortirde ladoucheet j’avaisenfiléunconfortableensembleencotonouatégris.Lafatiguemedonnaitfroid.J’ouvris laportedubalconpourfaireentrerunpeudechaleurdansla
pièce.J’entendaislaviemadrilènes’activerdehors.J’adoraiscebruit.Iln’étaitpastoutàfaitl’heurede la sieste et quelques commerçants fermaient déjà leurs portes. Je percevais le grincement despanneaux coulissants qui s’abaissaient devant les vitrines. Des conversations entre amisrebondissaient jusqu’à moi. Je suivrais le rythme des citadins et ferais la sieste. À mon réveil,j’appelleraisBéa.Pourlereste,l’ambiancedelavillesecontenteraitdemeredonnerl’énergiedontj’avaisbesoin.Lorsque j’ouvris les yeux, il était 18 heures. L’envie de dormir encoreme rongeait mais il me
fallaitmelever.C’était lafaimquim’avaitréveilléeet j’avaisenvied’allermarcher.Maisavant, jevoulaisparleràmacoloc. Jem’assisauborddu lit, sortismon iPhoneetouvrisune sessionavecSkype.Jel’appelaisursontéléphoneportable.Unesonnerieeuropéenneretentit.Béaneréponditpas.Jecherchaidansmesdocumentspourvoirsij’avaisprisennotesonhoraire.J’entrouvaiunecopie
danslapochettedemavalise.Eneffet,elleretournaitàMontréaldemain.ElleavaitatterriàToulouseenmêmetempsquejemeposaisàMadrid.Elleétaitpeut-êtredanssachambreentraindeseprépareravantd’allermangeravecl’équipage.Jedénichailenumérodel’hôteloùelleséjournaitetcomposailenuméro.—LeNovotelToulouse,bonsoir!réponditlaréceptionniste.—Bonsoir,j’aimeraisparleràBéatriceHamelin,s’ilvousplaît.—Oui,bonsoir,madame!Àquidésirez-vousparler?demanda-t-elle,légèrementconfuse.Cedevaitêtremonaccentquébécoisqu’ellenecomprenaitpas.Jerépétaimarequête.— J’aimerais parler àBéatriceHamelin. Elle fait partie de l’équipage deVéoAir, précisai-je en
articulantdavantage.—D’accord.Uninstant,madame.Jevoustransfère.Aurevoir!La sonnerie retentit. Personne ne décrochait. Le timbre persistait. Peut-être Béa était-elle sous la
douche?Auboutd’unmoment,jelâchaipriseetraccrochai.Elledevaitêtresortie.Jelarappelleraisplustard.Jechangeairapidementdevêtementsetsortislenezsurmonbalcon.Lesruellesétaientbondéesde
monde.Lavillerevivaitetlesoleiln’étaitpasencorecouché.Ilétaittôt;àcetteheure,lesrestaurantsn’étaient pasouverts. J’avais donc toutmon tempspourmarcher dans la ville avant dem’installerconfortablementquelquepart.Aussitôt sortie de l’hôtel, je me dirigeai vers la Puerta del Sol, là où les festifs Madrilènes se
réunissenthabituellementpourcélébrerlenouvelan.CetteplaceestleTimesSquaredelavilleetestentouréedeplusieursruellestoutesaussianiméeslesunesquelesautres.JelatraversaiendirectiondelaPlazaMayor.Toutenmarchant,j’essayaisdedemeurerconcentréesurmadestinationpournepasmeperdre.Jetenaisfermementmonsacàmainsousmonbras,conscientedunombreélevédepickpockets.Jemedirigeai ensuite vers le quartier deLaLatina.Lorsque j’arrivai enfin là où je désiraisme
rendre,monespritétaitencoreembrouillé.J’entraidansuncharmantcafé-barpourm’yprocurerun
mojito à la crème glacée. Le serveur me le remit dans un contenant pour emporter et je partism’asseoirsurunbancpourobserverlespassants.Mapremièregorgéefutl’unedesplusdélicieusesexpériencesgustativesquej’aieulachancedevivre.Uneglaceàlamentheavaitétémélangéeàdeuxoutroisoncesderhumbrun.Étonnamment,plusjebuvaisetplusmesidéesdevenaientclaires.«Quevas-tufairequandtuverrasJohndansdeuxjours?»medemandai-je.J’avaisrêvédecejour
descentainesdefoisetm’étaisimaginéeentraindel’embrasser.Etpuissonvisages’étaiteffacépeuà peu. J’étaismême convaincue quemon beau commandant n’avait été qu’un fantasme éphémère,englouti par le passé.Mais à voir comment le nom de JohnRossm’avait chavirée en lisantmonitinérairedevol,ilétaitdécidémentincrustédansmapeau.Pourquoimoi?Jenepouvaispastomberamoureused’unhommemarié!J’avaismaintenantbulamoitiédemonmojito.Lafaimfaisaitgargouillermonestomac.Jemelevai
etmedirigeaiverslaruellequej’avaisempruntéepourarriverjusque-là.J’avaisremarquéplusieursbarsàtapasenchemin.Lorsquejeprisplacesurl’undessixbancsenboisprèsducomptoird’unetaberna,jepensaisencoreàlui.«Scarlett, tu t’étaisditque tuferaisquelquechosesi tu le revoyaiset, là, tuneveuxplus?»me
questionnai-je.C’étaitvrai.AprèsBarcelone,j’avaisentrepris d’oublierJohn.Parcontre,jem’étaisensuitejuréeques’ilrecroisaitmoncheminetquej’étaisencoreaussitroubléeparluij’allaisagir,etce,mêmes’ilfallaitquejetrahissecertainsdemesprincipes.« Les choses ont changé depuis, Scarlett. Tu ne peux plus penser juste à toi. Tu as rencontré sa
femme!»merabrouamonsubconscientd’unevoixangélique.«Ons’enfoutd’elle!Ellet’apresquesautéàlafiguredansl’avion.Suistoncœuretpenseàtoi!»
m’ordonnaunevoixdémoniaque.Mesvoixintérieuressebousculaient.Ellesétaientencompletdésaccord.Mapetitevoixangélique
mevoulaitraisonnable,m’obligeantàignorermesémotions.Lavoixdémoniaque,elle,medictaitdeprofiterdel’occasionetd’êtreenfinégoïste.Jenesavaispasquiavaitraison.«Maisest-cequeJohnvavouloirdemoi?»medemandai-je.« Il n’amontré aucun signe ladernière fois àBarcelonealorsqu’il en aurait eu l’occasiondans
l’ascenseur.Ilneferarien,Scarlett,tutefaisdesidées!»«Allume,Scarlett!Johnrêvaitdet’avoirdanssonlit.IltedévoraitdesyeuxàParisetàBarcelone.
S’ilteregardeencorecommeça,ceseratonsigneettudevrassaisirl’occasion.»J’étaisconfuse.Riendetoutçanem’éclairait.Jecommandaiunverredevinrougeetquelquestapas
etcontinuaiàm’interroger.«Maispourquoicen’estpas luiquim’approche?S’ilveut trompersa femme,c’està luideme
fairedesavances!»«Scarlett,cethomme-làadesbonnesvaleurset ilneveut toutsimplementpas les trahir. Ilades
enfantsetilassumesesresponsabilités.Ilneferajamaislepremierpas.Iln’yamêmepaspensé»,m’expliqualavoixangélique.«Pfft!Johnyacertainementpensé!Regarde-toi,tuescraquante!Faislepremierpas,maScarlett,
ettuvasvoirquetuneseraspasdéçue.Ilattendjusteça!Commeça,ilnepourrapass’envouloird’avoirprovoquédélibérémentleschoses»,m’expliquaàsontourlepetitdémon.La voix démoniaque commençait réellement à me charmer. Elle m’entraînait dans le vice. Des
images de John et moi couchés l’un contre l’autre prenaient forme dans mon esprit. Je pris unegorgéedevinrougeetengloutisunmorceaudefromageavecdujambonencontinuantmaréflexion.«Mais si je décide de faire les premiers pas et qu’il acceptemes avances, j’aurai encouragé un
hommemariéàtrompersafemme!»merévoltai-je.
«Exactement,Scarlett,ettuneveuxpasavoirçasurlaconscience.Ilyaassezd’hommessurcetteplanètepournepasavoiràvolerceuxdesautres»,meditl’angeprotecteur.« Excuse-moi ! Si jamais il se passe quelque chose entre John et toi, c’est bien parce que ton
commandantt’auralaissélechamplibre.Tuneluiauraspastorduunbras.Laculpabilité,cen’estpastoiquil’auras!»rétorqualedémon,quivenaitderemporterlapartie.J’avaismaréponse.J’avaisenviedevivreàfondlesémotionsfortesquemeprocuraitunesimple
pensée pour lui. Toute cette anticipation ne faisait qu’embrouiller mon esprit inutilement. J’étaisdécidée.Moncœurmedicterait lameilleurechoseàfaire.Jemelevai,payai l’additionetrentraiàl’hôtel.
***
Aussitôtquejefranchislepasdelaportedemachambre,jesautaisurmoniPhoneetouvrisunenouvelle session Skype. J’avais besoin d’encouragements et je savais que Béa était la meilleurepersonnepourça.Elledevaitêtrederetouràsachambreet jerisquaisdelaréveiller.Jecomposaimalgrétoutlenumérodesonhôtel.Unhommerépondit.—LeNovotelToulouse,bonsoir!—Bonsoir,monsieur,puis-jeparleràMmeBéatriceHamelin,s’ilvousplaît?dis-jepolimentd’un
accentfrançaisimpeccablepourêtrebiencomprise.—Oui,certainement.Jevoustransfèreàl’instant,madame!—Merciinfiniment,monsieur!Aurevoir!J’avaishâtedeparleràBéaetd’avoirsabénédiction.Cettefois-ci,elledécrochalecombiné.—Oui,allo?dit-elled’unevoixendormie.—Ah!Désolée,Béa,est-cequejet’airéveillée?—C’estqui?—C’estScarlett!Tusais,tacoloc!— Scarlett ? Pourquoi tu m’appelles ici ? Tout va bien ? me demanda-t-elle, un soupçon
d’inquiétudedanslavoix.—Oui,oui,çava.Jet’appelledeMadrid.Jesuisinquièteàproposd’untrucetj’aimeraisavoirton
avis.Maissituestropendormie,onpeutseparlerdemainàtonretour.—Non,non!Jeviensdemecoucher.Levoldécolletarddemain.J’aitoutmontemps.Qu’est-ce
quisepasse?— Eh bien, demain je vole à Toronto, et le lendemain, j’opère un vol vers Dublin et ensuite
Montréal,dis-je.Rienqu’àypenser,monmalaisereprenait.Peut-êtreétait-ceplutôtl’alcoolquej’avaisconsommé
entropgrandequantité?Béavoulaitsavoirlasuite.—Ouais,c’estquoileproblèmeaveccethoraire-là?Ilestbeau.Desvolsdirects,c’estsuper,me
rassura-t-elle.—Non,non,lesvolssontbeaux.Cen’estpasçaquim’inquiète.—Qu’est-cequit’embêted’abord?demanda-t-elle,insistante.—En fait,mon beau commandant sera surmon vol de Toronto-Dublin et il va passer la nuit à
l’hôtelavecmoi.—Hein !Tu veux dire que vous avez décidé de vous revoir et qu’il va dormir avec toi dans ta
chambre?Wow,Scarlett,c’estmalade!s’exclama-t-elle,folledejoie.—Non,Béa!Jerecommence.Johnseralecommandantsurmonvolettoutl’équipagedormiraau
mêmehôtel.Ilaurasachambreetmoilamienne.
—OK ! C’est quand même une bonne nouvelle, tu ne trouves pas ? Tu auras enfin ta chance,Scarlett!Fonce!meconseillaBéa,pleined’entrainetdeconfiance.—Tucrois?—Oui!C’estridiculedelaisserpartirunhommequinousperturbeautant,Scarlett!Peuimporte
d’oùilvient,peuimportesavieetsonpassé.Tudoissuivretoncœur!chantaBéa.—Est-cequ’ilvoudrademoi?—Tuvasleliredanssesyeux.Etjepensequeoui,merassura-t-elle.J’étais soulagée. J’avaismaintenant son approbation. Je pouvais dormir en paix. Aumoment où
j’allaislaremercieretraccrocher,j’entendisunevoixd’homme.CettesacréeBéa!Elleavaitramenéquelqu’unàsachambre.—Tun’espasseule,coquine?demandai-jecurieusement.—Non,jesuisavecDamien.Ilestvenumerendrevisitepourunenuit.—Damien?LeFrançaisauyacht?—Oui,répondit-elletimidement.—Ah!Ilfallaitmeledire,voyons!dis-je,aussitôtembêtéed’avoirracontémesstupidesangoisses
depiloteaussiouvertement.—Iln’arienentendu,Scarlett.Etjetel’auraisditsiçal’avaitdérangé.Dorsbienetnet’inquiète
plus.Son ton était si rassurant que dès qu’il parvint àmes oreilles ilm’apaisa.Mes paupières étaient
lourdes.Ilétaittempsdem’assoupir.—Merci,Béa.DissalutàDamiendemapartetbonnenuit!luisouhaitai-jetendrement.—Bonnenuit,Scarlett,etbonnechanceàDublin!Je fermaima session Skype et réglaimon réveil pour le lendemain. J’éteignis la lumière etme
glissai sous les draps. Juste avant de m’endormir, une pensée me traversa l’esprit : « Les deuxprochainsjoursdurerontuneéternité.»
U
Chapitre19
Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)
nsiècles’étaitécoulédepuismonarrivéeàToronto.J’avaiscomptélesheures,lesminutes,lessecondesetlesmillisecondes.Monimpatiencem’avaitempêchéedebienmereposerlorsdema
siested’avant-vol.Jenetenaisplusenplace,etdèsquejem’asseyaissurlecoindemonlit,majambedroitefaisaitdessiennes,s’agitantdehautenbas.Cematin-là,lorsquej’étaissortiedemachambrepourallerchercheruncafélatteprèsdel’hôtel,
j’avais souffert d’hallucinations. Dans la file d’attente du Starbucks, un homme à l’allure trèssimilaire à celle de John m’avait pratiquement fait faire un arrêt cardiaque. Réalisant que ça nepouvait être lui, j’avais reprismes esprits et, une foismon café récupéré, j’étais partie au centrecommercial. J’avais essayé unmagnifique chandail dansma boutique préférée et, en sortant de lacabine,j’avaisencorefaillifaireunesyncopeenpensantavoiraperçuJohndansuneautreboutique.Moncœurenavaiteumarredes’activerpourrienetilm’avaitsuppliéederetourneràl’hôtelsur-
le-champcar ilnetiendraitpaslaroute.Je luiavaisobéi.Bientôt,meshallucinationsdeviendraientréalité.
***
Lorsque notre autobus nous déposa devant l’aéroport, mon cœur recommença à s’affoler. « Lepauvre!Ildevras’yfairecarcen’estqu’undébut»,pensai-je.Aprèslepassagedelasécurité,Barry,ledirecteurdevol,nousavisaqu’ildevaitpasseràlasalled’équipagepourrécupérerdesdocuments.Il nous précisa l’heure à laquelle nous devions tous être à bord et nous laissa à nos propresoccupations.L’équipage sedivisa.Certainsagentsdebordpartirent faireunarrêt auDutyFreeetd’autres, au
Starbucks. Camille et moi n’avions envie de rien alors nous décidâmes de nous rendreimmédiatementàl’avion.—IlparaîtqueDublinestvraimentcoolcommeville.Jen’ysuisjamaisallée.Toi?medemanda-t-
elle,énervée.—Unefois,mecontentai-jederépondre.—Pis?Tuconnaisuneplacepourallersouper?Sortir?Unpubtraditionnel?Unsilences’ensuivit.Jenerépondaispas.Jecomprenaislesensdesaquestionmaisjen’arrivais
pasàtraiterl’information.J’entendaisseulementdesmotsprononcésl’unaprèsl’autre.Sortir.Pub.Traditionnel. Et puis, en bruit de fond, le son produit par ses talons aiguilles qui martelaient leplancher.Camillem’interpellaànouveau.—Hého,Scarlett!Tum’écoutes?—Désolé,Camille,jepensaisàautrechose.Tudisais?—Ah!Oublieça!J’auraibienletempsdetejaserdurantlevol.Ç’al’airquecequitemettaità
l’enverssurlevoldeMadridn’estpasencoreréglé,hein?medemanda-t-elleàlafoisparcuriositéetparsympathie.—Non,pascomplètement,avouai-jesansendiredavantage,etnouscontinuâmesnotrecheminsans
parler.J’aimaisbienCamille.Elleétaitcharmante,sourianteet,surtout,ellesemêlaitdesesaffaires.Elle
respectaitsescollègues,attendantplutôtqu’ilsseconfients’ilsledésiraient.Elleavaitétéengagéeunpeu après moi et devait avoir vingt-quatre ans. Très féminine, elle se maquillait toujours à laperfection. Ses hauts talons aiguilles en cuir vernis noir lui allaient comme un gant. À la voirdéambulersurlapasserelleendirectiondel’avion,jesouhaitaiavoirautantdeprestancequ’elle.Merde, la passerelle !Nousy étionsdéjà.Allais-je avoir la forcedemonter àbordde l’avion ?
J’avaischaud.Tropchaud.«Cen’estplusletempsdefairelalâche»,mesermonnai-jeetjeposailepiedàl’intérieur.JesuivisCamilleversl’avantdelacabine.Despremièresrangées,nouspouvionsentendre des hommes parler dans le poste de pilotage. « John est déjà arrivé ! »Ma collègue sedirigeaverslagalleyavantetjel’entendisjaseraveclesdeuxpilotes.—Salut!Jem’appelleCamille.Lerestedel’équipagen’estpasencorearrivémaisçanedevrait
pastarder.Une pause suivit. Puis un homme parla. Je ne pouvais entendre ce qu’il disait. Camille, de son
humeurresplendissante,conclut:—Oui,OK!Parfait!Àtantôt!Puisellevints’asseoiràmescôtés.Maintenantqu’elles’étaitprésentéeànospilotes,jemedisque
c’était lamoindredeschosesquejefassedemême.D’ailleurs, jen’enpouvaisplusdepatienter.Jemelevaietm’approchaidupostedepilotage.J’entendaisdiscuter.JenereconnaissaispaslavoixdeJohn.Aprèsunan,j’avaissûrementoubliéà
quoielleressemblait.Commeuneespionne,jerestaiscachée,ledoscollésurlesfoursmétalliques.«C’estvraimentridicule!J’aitrenteans,voyons!»Jedécidaideprendremoncourageàdeuxmainsetentraidansleposte.—Allo!dis-jeensouriantd’unaircomplètementdécontracté.Lesdeuxpilotestournèrentlatêtedansmadirection.Jeregardairapidementlepremierofficieret
m’empressaideposerlesyeuxsurlecommandantdebord.Àsavue,monsouffles’arrêtad’uncoup.Johnétaitdevantmoi.—Salut!merépondirent-ilsenparfaitesynchronisation.Lepremierofficieraffichaunsourirediscretenmesaluantmaisjel’ignoraitotalement.Quantau
commandant,ilmefitleplusbeausourirequej’avaisvudemavie.Cesourireétait,deloin,encoreplus ensorcelant que ceux de Paris. Même plus électrisant que le dernier qu’il m’avait fait avantd’ouvrir la porte de sa chambre à Barcelone. Les sueurs froides m’envahirent. Mes jambesramollirent. Il fallaitéviterd’êtredémasquée.Jem’empressaidedireunephraseinsignifiantepourpouvoirensuitem’éclipser:—Vousêtesarrivésbientôt?bafouillai-je.Qu’avais-je dit ? Je priai pour quema question passe incognito. John allait captermonmalaise.
Certainement, une tellemaladresse n’allait pas lui passer sous le nez.Àmongranddésarroi,monbeaucommandantprofitadecetteoccasionpourmetaquiner:—Bientôt?Je devais répondre et reprendre immédiatement le contrôle de la situation. Le sourire de John
m’hypnotisait.Sonvisageetsonregardaussi.Sonodeurmerendaitfolle.Jebafouillaiencore:—Euh!Jeveuxdire:çafaitbientôtquevousêtesarrivésdansl’avion?Maisoùétaitdoncpassémonvocabulaire?Bientôt?JevoulaisdireLONGTEMPS!Cen’étaitpas
compliqué!L-O-N-G-T-E-M-P-S!Monvisageviraaurougeécarlate.Johndevaitêtrecontentdemevoir perdre ainsi tous mes moyens devant lui. En constatant que les deux pilotes se moquaientgentimentdemoi,jememisàrireégalement.Jesoulevailamaindansleurdirectionpoursignifierqu’ilsn’auraientaucuneautreexplicationdemapartetpartism’asseoirsurunsiègedepassageren
attendantlerestedel’équipage.J’étais embarrassée d’avoir agi de manière aussi confuse mais, bon, je devais vivre avec. « Je
finiraibienparm’habitueràsaprésence»,medis-je.Illefallait,parcequej’enavaispourdeuxjoursaveclui.Alleretretour.Justeàypenser,jemesentaisàlafoisterroriséeetprivilégiée.Unefois l’équipagearrivéàbord,Barryeninformalespilotes.Johnsepostadevant lapremière
rangéedesiègesetcommençasonbriefing:—Bonjour à tous !Voici StéphaneCormier, le premier officier, dit-il en levant lamain dans la
directiondupilote.Moi,jesuisJohnRoss,ajouta-t-il,l’airconfiant.L’équipagelessaluatouslesdeuxetilcontinua:— Aujourd’hui, nous opérons le vol 144 vers Dublin avec un temps de vol de 6 h 30. Pas de
turbulenceprévue.En terminant sa phrase, ilme jeta un coupd’œil rapide. Je buvais ses paroles.Après nous avoir
fourni quelques détails, il posa à nouveau ses yeux surmoi et nous souhaita un bon vol avant deretournerdansleposte.Barrypoursuivitaveclesinformationscomplémentaires.Commeàl’habitude,ilnousfitchoisirnospositionsdansl’avion.Lorsquemontourarriva,j’avais
lechoixentretroisd’entreelles,dontl’uneimpliquaitdetravailleravecBarryàl’avant,enpremièreclasse.MêmesijeneraffolaispasdepréparerdesBloodyCaesaroud’offrirdupoivrefraîchementmouluàmespassagers,jechoisiscettepositionpouruneraisonquemoiseuleconnaissais.En fait, comme elle impliquait de passer tout le vol à l’avant de l’appareil et d’être, par le fait
même, près du poste de pilotage, j’avais comme tâche supplémentaire de veiller au confort despilotes. Je leur apporterais leurs repas, préparerais leurs cafés etm’occuperais de satisfaire leursmoindrespetitscaprices.Par le passé, j’avais rarement choisi cette position car, bien entendu, je ne voulais pas servir de
prétentieux pilotes.Camille, quime connaissait, fut surprise parmon choix etme fit une grimacedéçue.Jecomprisqu’elleauraitaimétravailleravecmoietjeluisuggéraidevenirmerendrevisitependantlevol.Lebriefingterminé,Barrylançal’embarquement.Jemetenaisdansmagalleyetpréparaisquelques
verresdechampagnepourmesprécieuxinvités.J’avaishâtedelesvoir!Quiallais-jeservir?UneMmeCoco?Jepriaipourquecenesoitpaslecas.Jemedirigeaiensuitedansl’alléepouraiderunepassagère.Àmonretour, j’avaisunevueimprenablesurlepostedepilotageetdoncsurmonbeaucommandant.Jel’espionnaidiscrètementenespérantnepasmefairepiéger.Juste comme je venais de tourner la tête vers la porte d’embarquement, j’entendis John
m’interpeller.« Il a sansdoutecaptémondésirde luiparler»,medis-je. Je flottais surunnuage.J’avançaiversluietmeprésentaidevantlaporte.Qu’allait-ilmedire?«Ah!MadélicieuseScarlett,jesuissicontentde tevoir !»ou«Depuisunan, j’attendscemoment,Scarlett, j’espèrequec’estréciproque.»Oui!Oui!C’esttrèsréciproque!Tum’obsèdes!—Est-cequetupourraisdemanderaudirecteurdevoldevenirmevoir,s’ilteplaît?Jedoislui
parler,medit-ilsansexpression.Quelledéception!Jelesavais!Jerêvaisencouleurdepuisledébut.Etmoiquinepensaisqu’àlui!
Ilfallaitquejeprennesurmoietquejememetteauboulot.Évidemmentquesaprioritén’étaitpasdes’amuseravecl’unedesesagentesdebord.Ilavaitunavionàpiloter.Peut-êtreserait-ilplusréceptifunefoisàDublin?Jel’espéraisettransmislemessageàBarry.L’embarquementétaitmaintenantterminé.J’avaiscommencéàservirlesflûtesdechampagneàmes
passagers et leur avais offert des journaux. La porte venait de se fermer. Ma collègue Dianes’approchaetmeremitunefeuille.
—Barryfaitdireque lachanteuseHelenaHébertestassiseenclasseéconomique,à9K,etqu’ilaimeraitquetuaillesluisouhaiterlabienvenueenluidisantqu’onvabiens’occuperd’ellependantlevol.—Euh…Cen’estpasàluidefaireça?—Oui,maisiln’apasletempspourlemoment,précisa-t-elleavantderetourneràsesoccupations.Grrr!Jedétestequandquelqu’unfaitça:déléguer!Barryétaittropoccupé,vraiment?Ildevait,
toutcommemoi,nepasvouloirjouerautêteuxets’étaitempressédemerefilercettetâcheingrate.C’étaitlui,ledirecteurdevol,etc’étaitmoiquidevaisagirentantquemaîtressedecérémonie?Jeregardailafeuillequem’avaitdonnéeDiane.HelenaHébert!Jehaiscettechanteusequébécoise.D’ailleurs,pourquoivolait-elledepuisToronto?
Peut-être était-elle devenue internationale et divisait son temps entre le Québec francophone et leCanadaanglais?Honnêtement,jem’enfoutais.Toutcequejesavais,c’estquejenesupportepasdedevoir faire des courbettes à des artistes juste parce qu’ils s’appellent Untel ou Unetelle. Bon, jedevaisseulementaccomplirlatâchequ’onm’avaitdonnée.Jemedirigeaidoncverslesiège9K.Lorsque j’arrivaià laditerangée, je réalisaique lesiègeenquestionétaitvide.Personne!«Yé!
pensai-je,ellen’estpas là,c’estuneerreur !»JecherchaiBarrypour luidirequ’ilavait reçuunemauvaiseinformation.—Hey,Barry!l’interpellai-je.TonHelenaHébertn’estpasàbord.Lesiège9Kestvide.—Impossible!Jel’aivuetoutàl’heure,c’estmoiquiairécupérésonbilletd’embarquement.—OK…elledoitêtreauxtoilettes.Jevaisattendrequ’ellereviennealors,dis-je,convaincueque
c’étaitlecas.—Oui,OK!Merci!répondit-ilavantd’aviserlepersonneldecabined’armerleurportepourle
décollage.Jem’exécutaietmepostaidansl’alléependantquelavidéodesconsignesdesécuritéétaitprojetée.
Je restais bien droite et tentais d’afficher un sourire courtois. Plusieursme regardaient au lieu deregarder devant eux.Dansma tête, jem’amusai à prononcer les consignes enmême temps que lecommentateur:«Danslecasd’unedépressurisation,unmasqueàoxygènetomberaautomatiquementà votre portée. Tirez le masque pour libérer l’oxygène et placez-le sur votre visage. Respireznormalement…»À chaque mot réussi, je me félicitais. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour se désennuyer ! Je
continuaimonpetitjeutoutenobservantunàunlespassagersdansmasection.«Lemasquepeutnepassegonflermaisundébitd’oxygèneesttoutdemêmeprésent.Ajustezvotre
masqueavantd’aiderlesautres…»«Encoreunpointpourmoi!»pensai-jeencontinuantd’examinermespassagers.Lafemmeau2B
me sembla familière.Elleportait un énormechapeaubeige.Elle était trèsbelle et parlait avec sonvoisin.Elledevaitavoirtrente-cinqansetj’avaisvraimentl’impressiondelaconnaître.Intriguée,jevérifiaisonnomsurlemanifestedespassagers.En feuilletant le document, je repérai rapidement la section de la première classe. Aucun nom
n’apparaissait au siège 2 B. Je comptai alors les passagers sur ma liste. Quinze. Je retournai meposterdansl’alléepourcompterlenombreexactdepassagersassisdansmasection.Résultat:dix-sept.Detouteévidence,çaneconcordaitpas.Commelemanifesteprimaitsurtout,j’endéduisisquedeuxdemespassagerss’étaienttrompésdesiège.L’und’entreeuxétaitsanslemoindredoutecettefausse actrice de cinéma. «Elle peut bien se cacher derrière son sombrero ! »Comme j’allais eninformerBarry,jecomprisenfin.Cette femme quim’était familière était Helena Hébert ! Je ne la connaissais pasmais je l’avais
aperçueàlatélévisionetc’étaitpourçaqu’ellemedisaitquelquechose.Maiscommentpouvait-elles’êtretrompéeainsi?Le9Kétaitsituéenclasseéconomique!Rienàvoiravecle2Benpremièreclasse!Àlavoir jaseravecsonvoisin, j’enconclusque luiaussis’était introduitdansmasection.J’eninformaiimmédiatementmondirecteurdevol.—Barry,j’aitrouvéoùestassiseHelenaHébert.—Super!Alorstuesalléelavoir?medemanda-t-il,soulagé.—Non,pasencore.Enfait,ilsembleraitqu’ellesoitassisedansmasection,à2B,luiavouai-je,un
peuchoquée.—Hum,bizarre.J’aibienvusonbilletetelleétaitassiseavecsoncopainà9J-K.MmeSombrerovoyageait avec sonamoureux !Étaient-ils tous lesdeuxdes idiotsou totalement
aveugléspar l’amourpournepas s’être renducompteque2B-Cne ressemblait en rienà9 J-K?Apparemment,deuxtêtesnevalaientpasmieuxqu’une!J’étaisimpatientedeconnaîtrelaraisondecechangementdeplace.Décidé,Barryselevaetsedirigeaverselle.—Bonjour,madameHébert.Jeneveuxpasvousparaîtreinsultantmaisvotrenomn’apparaîtpas
surma liste en première. Puis-je voir votre billet d’embarquement ? s’enquit-il avec une extrêmepolitesse.Àlevoirmettredesgantsblancsaveccetteapprentievedette,j’enrageai.J’avaishâted’entendresa
réplique,carjenelavispassortirsonbilletmaisplutôtarboreruneminedésolée.D’unegentillessedébordante,elles’expliqua:— En fait, la fille au comptoir d’enregistrement nous a dit qu’il y avait des sièges libres en
premièreetnousasuggérédenousyinstaller.J’aidoncsuivisonconseil.Barryhésitait.Jepouvaisbienvoirqu’ilnesavaitpasquoiluirépondre.CetteHelenausaitdeson
charme.Mondirecteurdevolétaitcomplètementdéstabiliséparelle.MmeSombreroétaitentouréed’angeslumineuxvirevoltantetchantantseslouanges.EtpuisBarrycéda:—Bon,c’estd’accordpourcettefois-ci,madameHébert,maisj’aimeraisseulementvousdirequ’il
n’esthabituellementpaspermisde s’approprierde tels sièges, clarifia-t-il afinde s’assurerqu’unetellesituationnesereproduiseplus.Ilrevintdanslagalleyavant,oùjel’attendaisdepiedferme.—Tumeniaises,j’espère?explosai-je,insultée.—Non,c’estcorrect,jelalaisses’asseoirenpremière,Scarlett.Jeneveuxpasdeproblèmesavec
lesmédias,m’expliqua-t-il.—Benvoyons,Barry!Cen’estpasparcequ’elleestpopulairequ’ilfautlalaisserprofiterdesa
célébrité!C’estinjuste!Etjesuissûrequecen’estmêmepasvraiquelafemmeaucomptoirluiaditça!continuai-je,révoltéedecefavoritismeinjustifié.—Jecomprends,Scarlett,maislà,j’aipriscettedécisionetonvafaireavec,OK?Jevaismettre
touslesdétailsdel’événementdanslerapportdevol.Aumoins,lacompagniesauracequ’elleafait.Cette affirmation me calma un peu et je partis vérifier la cabine une dernière fois avant de
m’asseoir surmon strapontin pour le décollage. «De toute façon, c’est Barry qui la servira, pasmoi!»Puismespenséesfurentredirigéesversmonobsession:Johnmeparlait.Savoixrésonnaitdansmesoreilles.Ils’adressaitàmoi.Enfin,enquelquesorte.—Inpreparationfortakeoff,flightattendantstoyourjumpseats.Enpréparationpourledécollage,
agentsdebord,àvosstrapontins.Haveagoodflightetbonvol!J’abaissai monmenton vers ma poitrine, posai mes mains sur mes genoux et laissai mon beau
commandantmesouleverdanslesairs.
***
Nous étions en vol depuis trois heures et demie. Je devais entrer dans le poste de pilotage pourrécupérer les plateauxde repasque j’avais servis à John etStéphanequelque temps auparavant. Jeleurapportaisenmêmetempsleurcafé.J’avisaiBarryquej’allaisentrerdansleposteetfermailesrideauxdelagalley.Jecomposaiensuitelecoded’accèsetattendisquel’undespilotesdéverrouilleélectroniquementlaporte.Jelapoussaifortementetentraienrefermantderrièremoi.—Vousavezbienmangé?—Hum,tusaiscommec’estbon,labouffed’avion!meréponditStéphane,unpeudégoûté.—Ouais,çafaitlajobaumoins!répliquai-jeenramassantlesdeuxplateaux.Jen’avaispasenviedeparleraveclepremierofficier.J’auraisplutôtaiméentendrelavoixdeJohn,
maisilsecontentadesourireànotrebrèveconversation.Jeregardaiensuiteparlejudasdelaporteafindem’assurerqu’iln’yavaitpersonnede l’autrecôtéquipourrait s’introduiredans leposteetsortisporterlesplateaux.Ensuite,jeramassailesdeuxcafésetentraiànouveauenrefermantencoreunefoisderrièremoi.JedonnailepremiercaféàStéphaneenprenantbiensoindeleluiremettresursadroitepouréviter
defaireunhorribledégâtetd’abîmerlesinstrumentsencasdesecousse.JefisdemêmepourJohn,en le lui donnant sur sa gauche. Il me remercia avec un «Merci,Miss » quime fit rougir. Il neremarqua rien car il faisait encore nuit et seule la lumière projetée par la centaine de boutonsilluminait leposte.Pourdemeurerunpeuplus longtempsprèsde lui, jedemandaiàStéphanesi lejour se lèverait bientôt. En fait, je m’étais adressée au premier officier uniquement pour ne pasparaître trop intéressée.Je faisais toutcequiétaitenmonpouvoirpouravoir l’air indépendanteetregardaisdoncàpeineJohn.Unegamestupide,j’enconviens,maisjenepouvaispasm’enempêcher.CommejepensaisqueStéphanerépondraitàmaquestion,Johnluivolalaparole:—D’ici trenteminutes, tu verras le soleil se lever devant nous. Je t’appellerai si tu veux venir
prendredesphotos,m’offrit-ilgentiment.—Ohoui!J’aimeraisbeaucoupça.Sijenesuispastropoccupée,répondis-jeenespérantqueçane
soitpaslecas.Comme dix minutes avaient déjà passé, je demandai à John de rappeler Barry pour l’aviser de
guetter laporteafinque jepuisse sortir.Lesprocéduresde sécurité recommencèrentalorsdeplusbelle.Essoufflant?Toutà fait !Procédureno 1 : appeler le commandantpourdirequ’onentredans le
postedepilotage.Procédureno2:s’assurerqu’aucuncingléneveutdétournerl’avion.Procédureno3:composer lecode.Procédureno4 :appeler ledirecteurdevolpoursortirdupostedepilotage.Procédureno5:regarderdanslejudaspourvoirsipersonneneveutpénétreràl’intérieurduposte.Procédure no 6 : sortir au plus vite. Procédure no 7 : refermer d’un bon coup la foutue porte.Procédureno8:merde,j’aioubliéd’apporteruncaféaucommandant!Etçarecommence.Bref,çan’enfinitplus.Lorsque j’arrivaidans lagalley,Barry etCamille jasaient.Elle lui posait lamêmequestionqu’à
moiauparavant.—Çaseraitcoold’allersouperavecl’équipage.C’estmapremièrefoisàDublin.Apparemment,
c’estLAplacepourallerdansunpub.Tuconnaisunresto?—Oui, j’en connais quelques-uns. Je suis partant pour sortir.On regardera ça une fois rendu à
l’hôtel,luirépondit-il,enthousiaste.Voilà qui était parfait. Déjà, desmembres d’équipage planifiaient de sortir souper ensemble. La
soiréerisquaitd’êtreplusaniméeainsi.J’espéraisqueJohnetsonpremierofficiersejoindraientànous.«Jetâteraileterrainentempsetlieu»,medis-je.JemedemandaiscommentallaitMmeSombrero.J’interrogeaiBarry.—Ah!Parle-moienpas!Ellen’estpasendurable!Unevraieprincesse!chuchota-t-il.—Jetel’avaisditqu’ellesecroyaittoutpermis!Soncopainestaussipirequ’elle?J’étaiscurieusedesavoiravecquiellevoyageait.—Non,ilesttrèsgentil.IlvitàDublinetilnecomprendpaslefrançais.—Ahouin?Madameestinternationalealors!Etcommeilnesaisitpasnotrelangue,ilpensepeut-
êtrequesadouces’estfaitinviterenpremière!— Tellement ! D’ailleurs, je pense même qu’il lui a dit quelque chose comme : « Wow, tu es
vraimentconnuedanstonpays!»—Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Tu la trouves encore aussi charmantemaintenant ?me
moquai-je.—Jeladéteste!Jen’achèteraiplusjamaisundesesCD.—Tuauraisdûlesavoir,Barry.Commentçasefaitquetun’aspasflairésonattitude«jesuisune
chanteusecélèbreavecmonsombrerosurlatête,obéissez-moi!»?—Ouin…Cesontsescheveuxblondsquim’ontfaitcraquer.—Hé oui ! Toujours seméfier des blondes ! conclus-je en rigolant et enme levant pour aller
récupérerlesdéchetsdansmasection.Ilnerestaitquedeuxheuresetdemiedevol.Lesoleilétaitentraindeselever.Unappeldupostede
pilotagesefitentendre.Jedécrochaiaussitôt:—Oui,allo,Scarlettàl’appareil.—Salut,Scarlett,c’estJohn,toncommandant,quiparle.Était-il en train de me taquiner ? Je ne savais pas trop. Peut-être était-il en fin de compte un
prétentieuxpilote?Impossible!Jemecontentaiderépondreavecconfiance:—Oui,John…Jesaisquitues,affirmai-jeenprononçantparfaitementchaquemot.—Jeteniaise,Scarlett,dit-il,amusé.Jevoulaisjustetedirequelesoleilselève,alorssituveux
venirprendredesphotos,tueslabienvenue.Je regardai l’heure et démarrai les fours pour chauffer les casseroles des repas. J’avisai ensuite
Barry que j’allais prendre des photos dans le poste de pilotage avant de commencer le service dupetit-déjeuner.Jecomposailecode,ouvrislaported’uncoupdehancheetentrai.—Wow,c’estdoncbenbeau !m’exclamai-jecommesic’était lapremière foisque jevoyaisun
leverdesoleildepuislepostedepilotage.—Ouais,c’estmagnifique!confirmalepremierofficier.—Cesontlesnuagesquifonttouteladifférence,tunetrouvespas?medemandaJohn.—Oui,tuasraison,ilssonttoutcotonneux!Jusqu’àmaintenant,j’aimaisbiennotreinteraction.Ilm’avaittaquinéeetnem’avaitpasignoréeen
répondantàmescommentaires.Quisait,j’avaispeut-êtreunechance?Jem’assisalorssurl’undesstrapontinsquiétaientà l’intérieurduposteetcommençaiàphotographiersansdireunmot.Aprèsquelques clichés, Stéphane communiqua avec le contrôleur aérien et je décidai de flatter l’ego deJohn.—Àquiilparle?chuchotai-jepournepasdérangerlepremierofficier.—AucontrôleuraérienenIrlande.—Ahoui?Etpourquoi?demandai-jecommesijeneconnaissaisrienàl’aviation.—Pourluisignalernotreposition.
—Hum, lecontrôleuraérienest làpourêtrecertainqu’onn’entrepasencollisionavecd’autresavions,c’estça?— Oui, entre autres. C’est aussi lui qui nous donne l’autorisation pour changer d’altitude, par
exemple.—Wow!Ilfautquetuensachesdeschoses,hein?—C’estdrôlequetudisesçaparcequejeparlaisjustementavecunagentdebordl’autrejouràce
sujetet ilm’asorti l’éternel«vousautres, lespilotes,vousêtespayés tropcherpour fairecequevousfaites».Çam’afaitrire.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Onnemepaiepaspourcequejefaismaispourcequejesais.—Ah,tuasraison!Décidément,jesavaiscommentfairebomberletorsed’unhomme,etçafonctionnaitcarJohnme
parlaitdefaçonbeaucoupplusfluide.Jeleremerciaidem’avoiréclairéesurlemondedel’aviationsansqu’ilsedoutequejeconnaissaisdéjàtouteslesréponsesàcesquestions.Lesoleilétantmaintenantbienlevédevantnous,jemedevaisderetournerautravail.Unefoisque
jefusdeboutprèsdelaporteblindée,Johnm’interpellaunedernièrefois:—Stéphaneetmoiparlionsd’unbonrestoqu’ilconnaîtàDublin.Vousêteslesbienvenussiçavous
tentedenousaccompagner,dit-ilenutilisantle«vous»poursignifierl’équipage.—Jesaisdéjàquequelquespersonnesveulentsortir,alorsçadevraitfonctionner.Jevais leuren
parler,répondis-je,touténervéed’allersouperaveclui.—Super!Ildécrochalecombinédel’interphonepourcommuniqueràBarrymasortieduposte.—Merci!Àtoutàl’heure!Barryetmoicommençâmesleservicedupetit-déjeunercarilnerestaitquedeuxheuresdevol.Il
fituneannoncepourréveillerlespassagers.«Mesdames et messieurs, bonjour. Sachez qu’il ne reste que deux heures avant notre arrivée à
Dublin. Il estprésentement9heures,heure locale.D’iciquelquesminutes,nouspasseronsdans lesalléespourvousoffrirunpetit-déjeunercontinental…»Quejedétestaiscetteannonce!Unevraiefanfaremilitaire!Laminuted’avant,c’étaitlecalmeplat,
et là, l’action recommençait.Des passagers àmoitié endormis bâillaient en laissant s’échapper demauvaisesodeursdanslacabine.D’autresétaientplutôtfousderagedes’êtrefaitbrusquerparcettefoutuetrompetteetmefusillaientduregard.«Désolée!Nousn’avonspaslechoix!»pensai-je.Ilfallait aussitôt débuter car le service en première classe était beaucoup plus élaboré que celui enclasseéconomique.Les plateaux distribués, nous servîmes des pains chauds, de la marmelade et du café. Mme
Sombrero,quivenaitdese réveiller, soulevaalors sonmastodontedechapeauetmedemandaunetassedecafé.—Pourriez-vousdéposervotretassesurmonplateau?lapriai-je.Elledéposasatasseetjeversaileliquide.Unefoislatasseremplie,j’avançaimonplateauverselle
pourqu’ellepuisselarécupéreretluiconseillaid’êtreprudente:—Attention,lecaféesttrèschaud.Ellerouladesyeuxetpritimmédiatementunegorgée.—Aïe!Aïe!s’écria-t-elle,réveillantlacabineenentier.C’estbrûlant!—Vousallezbien,madame?m’empressai-jedeluidemander.—Non!Jemesuisbrûlélalangue!Tum’asserviducafébouillant!
Si j’avais pu lui déversermon pot de café sur la tête, je l’aurais fait. J’en avais tellement envie.«Sonchapeaubeigeseraitplusbeauenbrun.»Ilfallaitlacalmer.—Pardon,madameHébert. Je ne savais pas qu’il était aussi chaud.Désirez-vous unverre d’eau
glacéepourvoussoulager?proposai-je,nesachantquediredeplus.—Non!Riendutout!Mescordesvocalessontenflées!Toutçaàcausedetoi!m’accusa-t-elle.Quelleinsolence!Sescordesvocales?Selonmoi,ellechantaitdéjàcommeunpieddetoutefaçon.
Ce malencontreux incident ne pouvait qu’être une belle occasion pour envisager une nouvellecarrière.Pourquoinepasconsidérerlethéâtre?Elleavaittoutàfaitl’aird’uneactrice,carsapetitescèneavaitattirél’attentiondetouslesspectateursenpremièreclasse.Enl’entendantm’accuserainsi,jemesentissoudainementbrave.Jedevaiscontinuermonserviceet,
quoiquejefasse,jesavaisquecegenredepassagerneseraitjamaissatisfaitdemesexcuses.«Tantqu’àyêtre,autantluiendonnerpoursonargent!»—Encoreunefois,pardon,madameHébert,dis-jed’untonextrêmementcompatissant.Je fis semblant d’avancer dans l’allée pour servir le passager derrière ellemais jem’arrêtai. Je
reculaid’unpaset,toutentenantmonpotdecaféd’unemainetmonplateaudecrèmedel’autre,jemepenchaitranquillementverssonoreillepourluichuchoter:—Detoutefaçon,madame,chaudoubrûlant,çanevousferapaschantermieux.Jeneregardaimêmepassaréaction,maisjesavaisqu’elleétaitbouchebée.Soncopain,assisàses
côtés,n’avaitbiensûrriencomprisdenotreéchangeetellesegardabiendeleluiexpliquer.Ellenedésiraitsansdoutepasseridiculiserdavantage.Jel’ignoraipourleresteduvol,neluioffrantriendeplusquecequ’ellemedemandait.Enterminantmabesognedanslagalley,j’étaisenvahieparunetriomphantefierté.J’avaisclouéle
becàMmeSombrerosansempirer la situation. Jecommençaià fredonner toutbasennettoyant lecomptoirsale.Enm’entendantchanter,Barrym’interpella:—Tuasl’airjoyeuse.Jepeuxsavoirpourquoi?—D’icitrenteminutes,2Bserafinalementhorsdemavue!m’exclamai-jeengesticulant.Cen’est
pasunebonneraisonpourchanter,ça?—Ohoui!Çal’est!UnebonneGuinnessetelleneseraplusqu’unvieuxsouvenir!—Pourmoi,uncidreBulmers!ajoutai-jeavantdecontinueràfredonner.Perdue dansmes pensées, je dédiai cettemélodie à la soirée dont j’avais tant rêvé.Allait-elle se
terminercommejeledésirais?Johnmedonnerait-ilunsignetangibledesonintérêtpourmoi?
–T
Chapitre20
Dublin(DUB)
outlemondequivoulaitvenirsouperestlà?demandaBarryaugroupe.—IlmanqueDiane,répondis-je.
— Elle s’en vient, précisa Camille. Elle m’a appelée juste avant que je descende pour me direqu’ellen’étaitpasencoreprête.—OK!Onl’attend,ditBarry.Ilyavaitdecesagentsdebordquiarrivaienttoujoursenretard,quoiqu’ilsfassent.Dianeétaitl’une
deceux-là.Dansl’avion,nouslacherchionspourcommencerlesservices.Àl’hôtel,ellefaisaitsoncheck out à la dernière seconde. L’équipage était déjà assis dans l’autobus depuis dix minuteslorsqu’elle montait finalement à bord, les cheveux encore mouillés. Toujours la même raison :l’insomnie.Quoirépondreàça?Cettecalamités’étaitunjouroul’autreabattuesurchacund’entrenous.Tousavaientdéjàsouffertdeproblèmesdesommeilet,sachantcommentilpouvaitêtrepénibledecompterlesmoutonsenpleinmilieudelanuit,nousnepouvionsluientenirrigueur.Cettefois-ci,parcontre,jemedemandaisbienquelleseraitsaraison.Ellefinitparapparaître,joggantversnous.—Désolée, tout lemonde ! Jeme suis endormieenarrivant et le réveil n’apas sonnéà l’heure
prévue,dit-elle,essoufflée.—Pasdeproblème!nousdîmesenchœur.—Alors,oùallons-noussouper?demandaBarry.—Stéphaneconnaîtunrestotoutprès,siçavoustente,réponditJohn.—Ouais, et c’est situé juste en face d’un petit pub traditionnel. Nous pourrions y aller ensuite,
proposaStéphane,nousvendantimmédiatementl’idée.—Parfait!Ontesuit,ditBarryaunomdetous.Ensortantdel’hôtel,noustraversâmesdel’autrecôtédelarueetentrâmesdansleparcoùj’avais
faitmonjoggingunpeuplustôt,aprèsmasieste.Ils’appelaitStStephen’sGreenetétaitl’undesplusgrandsparcsdelaville.Nousempruntâmeslesentiercentral.Devantmoi,jeremarquaiqueCamilleparlaitaveclepremierofficier.Ilsavaient l’airdebiens’entendre.J’espéraisquecettesoiréefassepartiedecellesdontj’allaismesouvenir.Quelquesmètresplusloin,nousarrivâmesaucentreduparc.Unebellefontained’eaujaillissaitet
desenfantss’ychamaillaientpourrigoler.Johnsetrouvaitàmadroiteetnousn’avionspasencoreéchangéunmotdepuisnotredépartdel’hôtel.—Quec’estbeau,desenfants!Sansaucunemalice.Ilsnepensentqu’àjouer,dit-ilavecémotion.—Ilstefontpenserauxtiens?demandai-je,curieusedesavoirdequoiavaientl’airsesenfants.—Biensûr!C’estdifficiledenepasypenserquandonestloind’eux,meconfia-t-il.—Tutesenscoupabledepartir?—Toujours!S’ilfallaitqu’ilm’arrivequelquechose…—Tuveuxdireunaccidentd’avion?—Oui, entre autres. C’est d’ailleurs stupide de penser ça parce que je suis le premier à savoir
combienmamachineestsécuritaire.—Justement,John!L’avionestlemoyendetransportleplussûrquiexiste!Jepensequ’onatous
lesdeuxplusderisquedemourirfrappésparunevoitureirlandaiseenoubliantderegarderdubon
côtédelaruequedes’écrasersurlapiste!m’exclamai-jeenpointantlaruelleàproximité.Johnsouritets’assuraquenoustraversionsprudemment.Ilposasamainderrièremondosetme
laissapasserdevantlui.Jelesentaisattentifàmespas.«Quellegalanterie!»pensai-je.—De toute façon, à voir comment tu as fait atterrir cet avion, je n’aurai jamais peur pourma
sécurité!ajoutai-jeenletaquinant.—Sijecomprendsbien,tutesensensécuritéavecmoi?medemanda-t-ild’untonmielleux.Wô là ! Ilme faisait dire des choses que je n’avais pas dites ! Était-il en train d’essayer deme
séduire?Voulait-ilvraimentsavoirsijemesentaisensécuritéavecluiouétait-ilironique?Iljouaitsûrementaumême jeuquemoiet ilne fallait surtoutpasque lechatsortedusac.Jamais jene luidévoileraismespenséesprofondes,tantetaussilongtempsquejenerecevraispasunsignetangibledesapart.Iln’étaitpasquestionquejemeridiculiseenrépondantsérieusementàcettequestion.Jecontinuailestaquineries.—Oh!Tellement,John!Tuesleseulavecquijemesensenconfiancedansunavion!Sanstoien
avant,jesuisperdue!Jen’arriveplusàtravailleretmespassagersensouffrent!Voleauprèsdemoi,John!Vole!chantai-jesurletrottoirdeMerrionRow.Mapetitescènecaptatoutesonattention.Ilsemblaitm’admirer.Plusjegesticulaisetplusilsouriait.
J’étaisdonc loindevouloiren finiravecmesmimiquesmais, fauted’imagination, jecessaienfin.Johns’arrêtanet,commepourmesermonner.— Belle comédie, Scarlett ! Mais totalement irréelle. Je ne te crois pas ! dit-il en feignant la
déception.Nousriions tous lesdeuxauxéclats lorsquenousarrivâmesdevant le restaurant.Lorsquenousy
entrâmes,uneambiancebranchéerégnait,cequinousconfortadansnotrechoix.Unejeunefemmenousaccueillitdepuissoncomptoir.—Goodevening!—Hello!Wewouldliketoknowifyouhaveavailabilityforapartyofsix?ditlepremierofficier.—Hum!LetmecheckwhatIcando,réponditlajeunefemmeavantdesedirigerversl’arrièredu
restaurant.Uneminuteplustard,ellerevintnousvoir.—Pleasefollowme!annonça-t-elleavecenthousiasmeennousguidantjusqu’ànotretable.Nous la suivîmes, bien heureux d’avoir obtenu une place dans ce restaurant bondé de monde.
J’auraisaimém’asseoirtoutprèsdeJohn,maisjenevoulaispasnonplusparaîtretropintéressée.Jedécidaideprendreplaceaumilieudela tableetdoncd’avoir leplusdechancespossiblequ’ilsoitassisàproximité.ÀmagauchesiégeaitCamilleetàmadroite,Diane.Stéphanes’installaenfacedeCamilleetBarry,devantDiane.QuantàJohn,ilpritplacedevantmoi.«Yé!»Rienn’auraitpumerendreplusheureuse.Camille,amuséeparnotredrôlededisposition,pritlaparole:—Ouais,onn’auraitpaspuêtreplusordonnésqueça!—Cetagencementmeconvientparfaitement,réponditStéphaneenluisouriant.Ce commentaire la fit rougir et nous fit rigoler.En entendant cette remarque, jemedemandai si
JohnavaitpensélamêmechosequeStéphaneenmevoyantassisedevant lui.Jeredressai la têteetson regard croisa le mien. Ses yeux pétillaient autant qu’avant et je n’arrivais pas à savoir s’ilsbrillaientnaturellementouuniquementlorsqu’ilsétaientposéssurmoi.J’étaisintimidée.Ilavaitl’airsiconfiant.Jenepouvaispassoutenirsonregardbienlongtemps.Jebaissailesyeuxverslemenu.
***
Troisbouteillesdevinplustardetledessertterminé,aucund’entrenousn’avaitledésird’allerse
coucher.Lasoiréeétantencorejeune,nousnousdirigeâmesverslepubquiétaitsituéjusteenface,leO’Donoghue’s. En entrant, nous vîmes deux hommes qui étaient installés au fond de la salle etjouaientdelamusiqueirlandaisetraditionnelle.Nousallâmesaussitôtaucomptoirpourcommanderàboire.Johnsepenchaalorspourmeparler.—Tuveuxboirequoi?mesouffla-t-ilàl’oreille.Sa proximité suffit à faire accélérer mes pulsations cardiaques. Heureusement que les sons
folkloriquesdébordaientd’intensitécarnuldoutequeJohnauraitentendumoncœurs’emballer.Àmontour,jemepenchaiversluipourluicommuniquermonchoix.—Uncidre,dis-jeavantdedirigermonregardailleurspournepasluimontrermagêne.Ils’approchaducomptoiretcriaauserveursarequête.Ilrevintensuitelesmainschargéesdedeux
pintes, l’une contenant de la bièreGuinness et l’autre, du cidre. Je le remerciai et l’avisai quenoscompagnonsavaienttraversédanslapartiemoinsbruyante.Nouslesrejoignîmes.Unefoisassissurnosbancsrespectifs,jemeremémorailesparolesdeBéa:«Tuvasleliredans
sesyeux»,m’avait-elledit.Elleavaitpeut-êtreraisoncar,peuàpeu,j’avaisl’impressionqueJohnmedévoilaitdans son regardsonattirancepourmoi. Jenepouvaisexpliquerpourquoi,mais je lesentais.Ce regardposésurmoi ressemblaitétrangementàceluideParisetdeBarcelone,saufquecettefois,unpointdifférait:saprofondeur.Sesmagnifiquesperlesnoiresmetransperçaientlecœurentrechaqueclignementet,deminuteen
minute, d’une conversation à l’autre, elles brillaient davantage. Par contre, j’attendais toujours unsigne.Sansindicetangible,jen’étaispasprêteàavouermasoifdelui.«Allez,fais-moiunseulpetitsigne,John!Unseul!»luicommandai-jementalement.Jeprisunegorgéedecidreetm’adressaiàlui:—Tesparentssesontrencontréscomment?demandai-je.—Hum,drôledequestion,dit-il,surpris.Pourquoituveuxsavoirça?—Parcuriosité.Jemedemandaispourquoi tonpère irlandaisauraiteu legoûtdedélaissercette
délicieusemusiquepourallervivreauQuébec.—Paramour,Scarlett.Seull’amourpeutnousfaireprendredetellesdécisions.Johnmesouritetcontinua.—Àdix-huitans,mamèreestvenueavecunecopineenIrlande.C’estlàqu’ellearencontrémon
père.L’ététerminé,ellel’aramenéavecelleetilssesontmariésl’hiversuivant.—Wow!Unvraicoupdefoudre!m’exclamai-je,rêveuse.—Oui,c’estlemot!Leplusbeaudansleurhistoire,c’estqu’ilssontdécédésensemblelejourde
leuranniversairedemariage,unpeuavantNoël,meconfia-t-ild’untonserein.—Oh!MonDieu,John!C’esttellementtriste!Tuasperdutesparentsenmêmetemps!Tuavais
quelâge?—Ilssontdécédésquandj’avaisquinzeansdansunaccidentdevoiture,ajouta-t-il,toujoursaussi
calme.Son histoire m’attristait profondément. Quelle horrible cruauté du destin ! Le pauvre John ! Je
l’aimaisencoreplus.J’auraisvoulul’embrassertendrementpourleconsoler.Jedevaisavoirunetêted’enterrementcarc’estluiquicommençaàmeréconforter.—Voyons,Scarlett !Tudevraisvoir la têteque tuas !Ne t’inquiètepas, lesbeaux souvenirsne
s’envolerontjamaisetjen’airetenuquelesmeilleurs.—Oui,sûrement…Maisqu’est-cequit’estarrivéensuite?«Merde,Scarlett, tu n’en finis pas avec tes questions ! »megrondai-je. Je nepouvais pasm’en
empêcher.Monbeaucommandant!Quelletristehistoire!Jevoulaissavoirlasuite.
—Lasœurdemamèreetsonmariontprissoindemoi.—C’estpourçaquetun’espasretournéenIrlande?demandai-je.—C’estça.Aprèslamortdemonpère,j’aiperducontactavecmafamilleirlandaise.Jeviensici
seulementlorsqueletravaill’oblige.Wow!C’était laconversation laplusprofondeque j’avais jamaiseueavecuncollègue. Ilparlait
avectantdesérénité…J’éprouvaismaintenantuneréelleadmirationpourcethomme,etjemesentaisprivilégiée.Johnsedévoilaitàmoi,assissuruninconfortablebancenboisdansunpubirlandais.Ildevaitmefaireconfiancepours’ouvrirautant.Saprésenceetsesparolesmefascinaient.D’ailleurs,quelqu’unavait-ilremarquécetteévidenteproximité?Etsionl’avaitconstatée?CommentréagiraitFreaking-Debbiesiellesavait?Personnenedevaitapprendremonbéguinpourlui.Jefisrapidementuntourdetable.Camille parlait encore avec Stéphane, ce qui ne me surprenait pas. Ils n’avaient pas l’air de se
préoccuper dema présence, ni de celle de John. Barry et Diane s’étaient éclipsés. Tout était souscontrôle.Pourfairediversion,jem’inquiétaidel’absencedemesdeuxcollègues:—Voussavezoùsontpasséslesautres?—Ilssontallésfumer,précisaCamille.Jecroisqu’ilsveulent,aprèslebar,allerprendrel’airdans
leparcenfacedel’hôtel.—Ahoui?demandai-je,unpeudéçuequelasoirées’achèveaussivite.—Ilestdéjà11heures,maisçapourraitêtrecooldesebaladerdansleparcavantdesecoucher.Ça
voustente?Déjà11heures!Letempsavaitpassésivite!Camilleattendaituneréponsedenotrepart.Jen’avais
paslegoûtdebougerdelà,etce,mêmesimonderrièresouffraitdumanquedeconfortdubanc.Sinous partions, peut-être que John en profiterait pour retourner à l’hôtel comme il l’avait fait àParis… Je devais gagner du temps. Peut-être qu’avec une Guinness de plus il me montrerait unepreuvedesonintérêt?Nedésirantpasdévoilermesintentions,jelelaissaidécider.—Hum,jeprendraisbienuneautreGuinness.Ensuite,onverrapourleparc,dit-ilenmeregardant
enquêted’approbation.—Oui,jesuisd’accord.JeproposaialorsàJohndepayerlaprochainetournée.Ilacceptaetm’accompagnapourrécupérer
lesverres.Denouveauassissurnotrebûche,j’enprofitaipourluiexprimermareconnaissance:—En tout cas,merci dem’avoir raconté l’histoire de tes parents.C’est vrai que c’est une belle
histoired’amour.— Bien content qu’elle t’ait plu. Tu crois au coup de foudre, Scarlett ? murmura-t-il pour que
personned’autrenel’entende.Quellequestion!«Biensûrquej’ycrois!Jel’aivécuavectoi!»pensai-je.Jemecontentaidelui
répondresimplement:—Oui,j’ycrois.Ettoi?—Biensûr,c’estcommeçaquemesparentssesontrencontrés.—Tuenasdéjàvécuun?lerelançai-je.—Oui.—Avectafemme,j’imagine?Pourquoi j’avais posé cette question ?Bien sûr que c’était avec sa femme, sinon il ne serait pas
mariéavecelleàl’heurequ’ilest!Jen’avaispaslegoûtd’entendreparlerdeFreaking-Debbie!EtsurtoutpasdelabouchedeJohn.Jedevaiscorrigerlasituationimmédiatement.—Ah!Désolée,John,c’étaitunequestionstupide.Évidemmentquec’estavecelle,dis-jeenroulant
lesyeux.—Hum,situledis,dit-ilensoupirant.Quoi?«Si tu ledis»?Riendeplus?Aucunautredétail?Commentpouvait-ilmelaisserainsi
dans le doute ? De la vraie torture mentale ! Devais-je en conclure queFreaking-Debbie et Johnn’avaientpasétéfrappésparlafoudre?Etsicen’étaitpasellel’heureuseélue,quiétait-ce?Moi?Voilàque j’hallucinaisencore.Etmonsigne tangibledans toutça? Iln’étaitnullepart !Argh! JecalaimoncidreenunriendetempsetaperçusBarryetDianes’avancerversnous.—Nousallonscontinuerlasoiréedansleparc.Vousvenez?demandaDiane.—Oui!Onestprêts!confirmaCamilleenparlantaussipourStéphane.Commejevenaistoutjustedeterminermapinte,jen’avaismalheureusementplusaucuneexcuse.Et
puisj’avaiségalementbesoind’air.J’espéraisquemonbeaucommandantenauraitbesoinautantquemoi.—Ouais,jesuisprêteaussi.Çavanousfairedubiendeprendreunpeud’air,dis-jepourvendre
l’idéeàJohn.—OK!Allons-y!lança-t-il,décidé,enselevantd’unbond.Noussortîmesdupub.JeledevançaietmarchaiseulederrièreCamille.J’étaisdéçuedelatournure
de la soirée et je n’avais plus envie deparler.Malgré notre profonde conversation sur le coupdefoudreetlesautressujetstrèspersonnelsquenousavionsabordés,rienneconfirmaitsonattirancepour moi. « Tu vas le lire dans ses yeux ! » Mon œil, Béa ! Ses yeux étaient tout simplementmagnifiques. Rien de plus ! Je n’avais aucun repère. « Pourquoi aller au parc ? Pour investiguerencoreetencore?J’abandonne!»décidai-jeensuivantlegroupesurlecheminduretour.
***
Perduedansmespensées,jerevinssoudainementàlaréalitélorsqu’unechaleurentouramamain.Jebaissailatêtepourlaregarder.Desdoigtsfermesetpuissantss’étaientintroduitsentrelesmiens.Johnmetenait lamain!J’étaisfigéeet j’arrivaisàpeineàfaireunpasdevantl’autre.Ilralentitsacadence, en m’obligeant à l’imiter. Puis il s’arrêta. Je fis de même. Mon cœur était sur le pointd’exploser.Qu’allait-ilfaire?M’embrasser?Là,devantlerestedugroupe?Ilnefallaitpaséveillerlessoupçons.«Etpuis,tantpis!pensai-je.Fais-le,John!Embrasse-moi!»Ilmefixadroitdanslesyeuxpourcaptermonattention.Pourtant,j’étaistrèsattentiveàsesgestes
depuisunbonmoment.Depuisuneéternité,même.J’attendaisqu’ils’avanceversmoipourl’imiter.«Saboucheseramienned’iciuneseconde»,rêvai-je.Etpuisilbougeadélicatementleslèvres.«Çayest,Scarlett!Tuasenfinréussi.»Desfeuxd’artificess’allumèrentàl’intérieurdemoi.Moncorpsseréchauffait,bouillonnait.Johnouvritlabouche:—Jesuisvraimentcontentque tusois là,Scarlett,murmura-t-ilavantde relâchermamainetde
continuersaroute.Quoi?C’esttout?Pasdejeudelangue?Mêmepasunpetitbaiser?Quelledéception!Comment
espérait-ilque jecomprenne lesensdesonmessage?Ilétaitvraimentcontent.Donc j’avais le feuvert ? Je n’en étais pas convaincue. Je recommençai àmarcher, les épaules basses. Lorsque nousarrivâmesenfinàl’entréedeStStephen’sGreen,labarrièreétaitfermée.—Ah!Merde!Ilestsûrementtroptard,s’exclamaDiane.— Il y a de la lumière à l’intérieur, peut-être que l’entrée située devant notre hôtel est encore
ouverte,suggéraBarry.—Ouais,j’espère,renchéritCamille.Nous longeâmes leparcpour rejoindre l’autre entrée. Johnmarchait toutprèsdemoi.Aucunde
nous deuxne parlait.Les derniersmots qu’il avait prononcés retentissaient dansma tête. « Je suisvraimentcontentquetusoislà,Scarlett.»Jelesrévisaisunàun,syllabeparsyllabe,lettreparlettre.Quepouvais-jebienendéduire?Etpuis,sanscriergare,jecompris:lejugementavaitétérendu!Jel’avais,monsigne!Johnvenaitdemel’exprimer.Jen’avaispluslechoix,jedevaisagir.Moncœursemitàbattrelachamade.Toujoursplusfort,iltentaitdes’échapperdemapoitrine.Je
transpiraisdepeur.Cetinfimeindicenemepermettaitenriend’évaluermeschancesderéussite.Unedéfaiteétaitenvisageable.Jeredoutaiscettepossibilité.Auboutdequelquesminutes,nousarrivâmesàlabarrière.Elleétaitégalementfermée.—Bon,alors,qu’est-cequ’onfaitmaintenant?demandaDiane,décidéeànepasallersecoucher.—Onpourraitalleraupubjusteàcôté,iln’estmêmepasminuit,proposaStéphane.En regardantBarryetCamille, jecomprisqu’ilsapprouvaientcetteproposition. Jenesavaisque
direcarJohnnes’étaitpasencoreprononcé.Jedésiraisattendrequ’illefasseavantdeprendreunedécision.—Jevaisrentrer,dit-il.Jevoussouhaiteunetrèsbellefindesoirée.Ilsaluatoutlemonde,meregardaettraversalarueendirectiondel’hôtel.«Wô!Jenel’aipasvue
venir,celle-là!»pensai-je.VoilàqueJohnmeglissaitentrelesdoigtssansquejepuisserienfaire!Detouteévidence,j’avaisencorehalluciné.Iln’yavaiteuaucunsigne.J’étaisdémolie.Jecommençaiàmarcheraveclerestedugroupe.Depuislafenêtredel’hôtel,jevisJohnemprunter
l’escalierpourmonteràl’étage.Jemeremémoraialorstoutcequis’interposaitentreluietmoietmedisquec’étaitsûrementmieuxainsi.Jepassailafaçadedel’immeubleetcontinuaid’avancerverslaruelleadjacente.Entrechaquepas,des imagesmerevinrent.Paris.Barcelone.Sesconfidences.Sonregard. Sa main dans la mienne. Cette chimie inexpliquée entre nous deux. Soudain, une voixm’interpella.Jel’entendisclairements’adresseràmoi.«Scarlett!Tun’aspasrêvé.Johnteveut.Saisistachance!C’estmaintenantoujamais!Vas-y!»Mesdoutesvenaientdedisparaître.Jedevaisretourneràl’hôtel.Jem’arrêtaibrusquement.—Hey,lagang!Jesuisfatiguée.Jenevousaccompagneraipas,finalement.Onsevoitdemain!
Bye!Aussitôtdit,jeleurtournailedossansmêmeattendreunaurevoir.Jemarchaisd’unpasprécipité,
toutenévitantdecourir,depeurd’êtredémasquée.J’atteignislaporteprincipaleenuntempsrecord.J’avaisl’impressiondem’êtretransforméeenuneredoutableprédatrice.Maproieétaitproche.Je
la flairais. J’empruntai à mon tour les escaliers. En montant, je sautai quelques marches, ce quim’essouffla rapidement.Jepassai leniveau1.J’entendaisdespasdevantmoi,mais jen’apercevaistoujourspasJohn.Jesautaiencorequelquesmarches.Lespassemblaientproches.J’étaisàboutdesouffle.Ilfallaitquejeralentisse.Jenedésiraispasavoirl’aird’unanimalaffaméenpleinechasse.Jerespiraiprofondément,réussissantàpeineàreprendremonsouffle.Jemontaiensuiteunpeuplus
haut et, voyant les escaliers s’ouvrir sur le niveau 2, je l’aperçus enfin. Johnme vit également. Ilsemblaitsurpris.—Finalement,jevaisallermecouchermoiaussi,dis-je,haletante.Je le rejoignis. J’espérais tant qu’il me dise : « Scarlett, j’aimerais te serrer dans mes bras,
t’embrasserettefairel’amourtoutelanuit!»maisilnefitévidemmentriendecela.Ilsecontentademesourire.Jerestaimuette.Nouspassâmesunepremièreporte,unedeuxièmeetencoreuneautre.Mon cœur n’en pouvait plus d’attendre. Mes artères pompaient. D’ici une seconde, l’une allaitlittéralementexploseretjesuccomberaisàunehémorragieinterne.Johns’arrêtaàsachambre.—Bonnenuit,Scarlett,àdemain,mesouhaita-t-ilgentiment.
«C’estmaintenantoujamais!»mesoufflaunepetitevoix.Jedevaisl’écouter.«Moninstinctnepeutsetromper»,pensai-je,etjemeplantaidevantsaportepourl’empêcherd’entrer.—John!Tunepeuxpaspartircommeça!Ilsepassequelquechoseentretoietmoi.Jen’arrivepas
àl’expliquermaisjelesais.S’ilteplaît,dis-moiquejenesuispasfolle!Voilà ! Le chat était sorti du sac. Jem’étaismise à nu, là, en pleinmilieu du couloir de l’hôtel.
Qu’allait-ilmerépondre?Àmagrandesurprise,jenedétournaipasmonregarddusiencommejel’avaisfaittantdefoisauparavant.Moninstinctdechasseprimait.Désormais,magêneosaitaffrontersoncharismeetsaprestance.Ilbaissalesyeuxensoupirant.Unsoupirdesoulagement?Dejoie?D’exaspération?—Bonnenuit,Scarlett,répéta-t-il.Argh!Argh!Argh!«Bonnenuit»?Uncoupdepoingenpleinefigure,tantqu’àyêtre!Quelle
humiliation ! Je soupirai àmon tour. Ilnemanquaitque lesdeuxbecs sur les jouespourqu’ilmemettecomplètementK.O.Etc’estexactementcequ’ilentrepritdefaire.Argh!Johns’approchademoietavançasonvisageverslemienpourm’embrasserplatoniquementsurla
jouegauche.Jefixaislesol.Ilreculasatêtepours’occuperdemasecondejoue.Etpuis,enroute,ilfitunehalteinattendue.Curieuse,jelevailesyeux.Etjesentissadélicieusebouchecouvrirlamienne.Johnm’embrassait!ENFIN!Notrepremierbaiser!Leplusbeaudesbaisers!Etpeut-êtreaussiledernier?Non!J’envoulaisencore!—John!Allonsdanstachambre,ilnefaudraitpasqu’onnoussurprenne,murmurai-je.Ilmeregarda,lesyeuxpétillants.Savirilitéledominait.Tantmieux,carjevoulaisjustementêtre
dominée.Lesdoutesn’existaientplus.Pasce soir-là en tout cas. Ilpassa la clémagnétiquedans laserruredelaporte.J’entendisledéclicetnouspassâmesenunriendetempsdel’autrecôté.La chasseuse que j’étais il y avait quelques instants à peine n’existait plus. Les rôles venaient de
s’inverser.Àmongrandplaisir,j’étaismaintenantlaproie.—Scarlett !Sais-tudepuis combiende temps j’attends cemoment ? rugit-il tout enmepoussant
passionnémentcontrelemur.—Depuistoutàl’heure?répondis-je,perplexe.Ilsourit.—DepuisParis,medit-iltoutens’appropriantdenouveaumabouche.—Moiaussi,soufflai-jeavantd’êtreattiréesurlelit.Avais-jebienentendu?Johnmedésiraitdepuistoutcetemps?Ehbien,sicettenuit-làétaitlaseule
qu’ilm’étaitpermisdevivre, j’entendaisbien la savourerdans lesmoindresdétails. Jecontemplaimon trophée,pris sa tête entremesmainset, tout engardantmacible envue, lui commandaimesdésirs.—Jeteveuxtellement,dis-jeavantd’êtredéshabilléecommejel’avaistantespéré.
***
John, torse nu, m’attirait contre son sexe encore dissimulé sous son pantalon. Il m’excitait, merendaitfollededésir.Depuisdéjàunbonmoment,j’étaisnue,toutémoustillée.Mapatienceavaitseslimites.Je levoulaisenmoi,etuniquementcelamecomblerait.Pourtant, ilnesemblaitpasencoreprêt, repoussant ma main à chacune de mes tentatives pour baisser sa fermeture éclair. Lecommandantenluivoulaitgarderlecontrôle.Sesyeuxperçantsobservaientmesréactions.Rienneluiéchappait.Avecforce,ilsaisitmonmenton
pourquej’arrêtedebouger.Jecessaidepenser.Intrigué parmon corps, il dirigea sa bouche versma gorge puis versma poitrine. Je sentais sa
barbem’érafler délicatement la peau. Ilme dégustait sensuellement, tout enme soulevant vers luiavecforce.Enleregardantmedévorerainsi,j’enfonçaidemanièreincontrôlablemesonglesdanssapeau.—Prends-moi,John.Aussitôtmon vœu exprimé, John braqua les yeux surmoi.Une seconde passa. Peut-être deux. Il
esquissaun léger sourire,approchasonbeauvisagedumienetm’embrassa. Ilme faisaitpatientermaisjesavaiscequisetramait.Seslèvresm’hypnotisaientetpendantquemonimaginationfaisaitdessiennes, il s’éloigna demoi pour se tenir bien droit près du lit. Ilm’admirait. Je fis demême. Jesentais grandir son désir. Puis il détacha ses jeans, qui tombèrent sur le plancher. Il approcha soncorpsdumien,avançasaboucheverslamienneetm’exauçaenfin.Alléluia!
***
Lesoleilvenaitdeseleveretunedoucelueurroséetraversaitlachambre.Jen’avaispasrêvé.Johnétait bien là, près demoi, m’enlaçant tendrement. Je n’éprouvais pas le désir de partir mais il lefallait.Pluslongtempsjeresteraisallongéeprèsdeluietplusintenseseraitcesentimentd’incarnersamaîtresse.Jemeretournaipourleregarderdormir.Jesavaisquecemomentprivilégiéentre luietmoiétaitsansdouteledernier.Jeposaidélicatementmeslèvressurlessiennesenguised’aurevoiretmeglissaiensuitehorsdulitensilence.J’enfilaimesvêtementset,surlapointedespieds,jeregagnaimachambre.J’auraisaimésavoircequ’iladviendraitdenous,maisj’avaispréférésortirencatiminipouréviter
deleluidemander.J’avaisétésonamantel’instantd’unenuit, jen’avaispasledroitd’enréclamerdavantage.Aucunregretnem’habitait.Pasencore.J’espéraisqueJohnn’éprouveaucunremords.Ladouceurdesesbaisersnepouvaitpasmentir,maisjevoulaisenavoirlaconfirmation.J’avaisunvolderetouràopéreraveclui;jen’avaisdoncqu’àattendrelebonmomentpourluiparler,enespérantbiensûrqu’ilseprésente…
N
Chapitre21
Dublin(DUB)–Montréal(YUL)
ousavionscommencéledernierservicedeboissonsavantl’atterrissageàMontréal.Duranttoutlevol,j’avaisflottésurunnuage.Ànotrearrivéedanslelobbydel’hôtel,Johnm’avaitdemandé
si j’avais bien dormi. En entendant mon « merveilleusement bien », il m’avait souri et m’avaitrépondu que lui aussi. Ses yeux brillaient et lesmiens également. Jeme sentais triomphantemaisconscientequejen’avaisriengagné,etquejen’ygagneraisrien.Néanmoins,jevoulaisprofiterdubonheurquecettenuitm’avaitprocuréet,pournepascréerde
malaise entre nous deux, j’avais opté pour une autre position dans l’avion et avais travaillé avecCamilleenclasseéconomique.Mespassagersétaientchoyésparmajoieextrêmecarjeleursouriais,rigolais et répondais à leurs moindres caprices. Mon état d’esprit frôlait la frénésie. J’en fusconvaincuelorsquej’eusàservircequim’irritaittant:lejusdetomate.—Qu’aimeriez-vousboire?demandai-jeaumonsieurassisausiège18A,prèsduhublot.—Qu’est-cequevousavez?Entempsnormal,cettequestionm’auraitagresséeauplushautpoint.«Bordel!Çafait troisfois
que jepassedans l’allée en sixheures, j’ai encore lamêmechoseque la foisd’avant, et lamêmechose que l’autre fois d’avant, et la même chose que l’autre fois d’avant l’autre fois ! » J’auraisensuiteregardél’hommeavecunsourireexaspéréetluiauraisénuméréquelquesitemsdemanièreexpéditive:«Eau,jus,boissonsgazeuses,caféetthé.»Parcontre,cejour-là,cenefutpaslecas.—J’aidesjus,desboissonsgazeuses,del’eau,ducaféetduthé,dis-jelentement.—Vousavezquoicommeboissonsgazeuses?medemanda-t-ilencore.—Du7UP,duPepsi,duGingerale,duDietPepsi.—Vousavezquoicommejus?D’ordinaire, j’aurais prononcé précipitamment deux choix : pomme et orange. Et j’aurais, bien
entendu, évité de mentionner le jus de tomate, consciente de ses répercussions inévitables.Étrangement,cenefutpaslecas.—J’aidujusdepomme,dujusd’orangeetdujusdetomate.—Ah!Jevaisprendreunjusdetomatealors,déclaraM.A.—Trèsbien,dis-je,toutsourire.Jeservisleditliquidesansbroncheretleluioffris.Jepassaiauxpassagersvoisins.—Etpourvous?demandai-jeenregardantlecoupleassisàBetC.—Hum,pourquoipasunjusdetomate?Allons-ypourdeux!Toujours sur mon petit nuage, je servis deux verres de jus de tomate, tout en en éclaboussant
légèrementsurmachemise.J’essuyailestachesd’uncoupdeserviettesansm’eninquiéteretremislesdeuxverresàMmeBetM.C.Jemechargeaiensuitedespassagersassisaumilieudelacabine.—Qu’aimeriez-vousboire?—Unjusdetomate,meditlademoiselleassiseen18D.—D’accord,unjusdetomatepourvous!m’exclamai-je,annonçantofficiellementquenousavions
dujusdetomateàbord.JeversailejusdansunverreetleremisàMlleD.Jeservisensuitelevieilhommeassisderrière
elle.
—Qu’aimeriez-vousboire?—Unjusdetomate,répondit-il.Toujoursaussisereine,jecommençaiàverserleliquide.Soudain,moncartondejusdetomatese
vida et me laissa avec un verre à moitié rempli. Normalement, j’aurais soupiré et j’aurais toutsimplementavisélepassagerquejen’avaisplusdejusdetomatedansmonchariotetluiauraisoffertunjusdepommeouautrechose.Aucontraire,jechoisisledurlabeur.—Camille,tuasdujusdetomate?demandai-jeàmacollègue.—Non,jevienstoutjustedelevider.Sans doute était-ce le résultat demon annonce publique. Il était encore temps, et ce, sansmême
mentir,d’aviserM.19Dquej’étaisàcourtdejusdetomate.Maisnon!J’étaisdécidéeàsurmonterlesobstacles.J’interpellaimacollèguedansl’alléevoisine:—Diane!Pasderéaction.—Diane!Diane!Diane!Elle ne m’entendait pas du tout. J’aurais dû m’en douter. Elle était toujours perdue, celle-là. Je
m’adressaiàsoncollègue:—Éric!Ilsetournaversmoi.Jeremuaileslèvrespourexprimermarequête.«Jusdetomate»,murmurai-
je.Enfin,jevenaisderetombersurterreenréalisantquecesmotsnedevaientpasêtreprononcéstropfort. Éric saisit le sens dema demande etme remit discrètement le carton du précieux liquide. JeservisM.19Detrevinsàlaréalité.«Commentvais-jeparleràJohn?Etquevais-jeluidire?»Jenepouvaisrienluidemander,rien
qu’il nem’eût déjà donné. Je terminaimon service etme résolus à ne rien tenter. J’en avais déjàbeaucouptropfaitdetoutefaçon.«Etpuis,siJohnenveutplus,iln’auraqu’àmeledire.»
***
—Qu’avez-vousachetépourcinquantedollars?medemandaladouanière.—Del’huiled’oliveetunchandail.—C’est tout ? insista-t-elle d’un ton investigateur à la « je ne te crois pas, espèce d’hôtesse qui
voyagepartout!».—Oui,confirmai-je.ElleinscrivitungrosR11enhautdemacartededéclarationetmelaremit.Jen’allaispasmefaire
fouiller.D’ailleurs,c’étaitlaseuleinscriptionquejecomprenais,n’ayantjamaisréussiàéluciderlasignificationdecescodesfatidiques.Jedescendisàl’airedesbagagesetmedirigeaiverslasortie.Jemarchais rapidement, car John était passé devantmoi aux douanes.Nous n’avions pas échangé unseulmot.Quedessouriresquinevoulaientsûrement riendire. Ilmedevançaitdequelquesmètresseulementetmarchaitlentement.Peut-êtrem’attendait-il?Entoutcas,nousnoussuivionsdeprès.Lorsquenousarrivâmesàl’autobusdesemployés,nousétionsseuls.«Quellebellecoïncidence!
pensai-je.Nousaurons le tempsdenousparler.»Nousprîmesplace l’unenfacede l’autre.J’étaisnerveuse.Quepourrais-jebienluidire?«John,j’enveuxencore»?Etensuitequoi?«Jeveuxêtretonamanteetpasserendeuxième»?Était-cevraimentcequejevoulais?Non!Biensûrquenon!Commelaporteallaitsefermer, jevisentrerStéphane,lepremierofficier.«Etmerde,ilvatout
gâcher!»Ils’assitàcôtédeJohnetsemitàluifairelajasette.—Wow!Quelbeauvolonaeu!Pasunegrainedeturbulence,onamêmeétécapablesd’atterrirà
l’avance.
—Ouais,secontentaderépondreJohntoutenmeregardant.—Turetravaillesquand?l’interrogeaànouveauStéphane.—Dansunesemaine,répondit-il,sanslequestionneràsontour.«Ah!Qu’ilm’énerve,ceStéphane!»JehaussailesépaulesendirectiondeJohnpourluisignifier
monindifférencefaceauxproposdesonpremierofficier.Ilmefitunsourirediscret.—Ouin,tueschanceuxd’avoirunesemainedecongé.Moijetravailledemain,continuaStéphane.—Ah!Ouais,c’estdommageça,ditJohn,désintéressé.—Enplus,jeretourneàDublin!—Hum.Detouteévidence,moncommandantavaitlesidéesailleurs.Etàlevoirmefixer,jesavaisoùelles
setrouvaient.Stéphane,neremarquantrien,monologuaduranttoutletrajet.J’espéraisseulementqueJohndescendeaumêmearrêtquemoipourquejepuisseluiparler.Lorsque nous entrâmes dans l’aire de stationnement, ilme fixait toujours intensément. Il profita
d’unmomentdedistractiondelapartdesoncoéquipierpourmefaireunderniersourire.Unsourireempreintdedésolation.Etpuis,discrètement,ilbougealeslèvrespourmedirequelquechose.Jelussonmessage.«Tuesbelle»,prononça-t-ilsansunson.Jecomprisqu’ilneregrettaitrien.Jeserrailes lèvrescommepour luisoulignerqu’iln’yavait riendeplusàdire. Ilavaitsavie,etmoi jenepouvaispasyentrer.Jenelevoulaispas.Pascommeça.Lebusfitsonpremierarrêt.Laportes’ouvritmaispersonnenesortit.Jeréalisaialorsque,bientôt,
ce seraitmon tour,ou le sien.Qui sait quand je le reverrais ?Unmois, sixmois, unan,peut-êtredeux?Jen’enavaisaucuneidée.Etçam’attristait.Brusquement,lebuss’arrêtaaudeuxièmearrêt.C’étaitlemien.Johnrestaassis.J’avaislegoûtde
demeurer dans l’autobus et de l’accompagner jusqu’à sa voiture mais j’étais déjà debout. Je nevoulaispaséveillerdavantagedesoupçons.Stéphaneselevaégalement.Ilnoussaluaetsortitaussitôt.Jeréalisaialorslapossibilitéquis’offraitàmoi:jepouvaismerasseoir.J’hésitais.Cen’étaitplusàmoideprovoquerleschoses.J’avaisfaitmapart.JesaluaiJohntelleunecollègueetmedirigeaiverslasortie,maisavantquejepuissedescendrela
porteserefermadevantmoi.Nem’ayantpasaperçue,lechauffeursepréparaitàrepartir.«Retournet’asseoir,Scarlett !C’estunsigne!»me lançamapetitevoix.«Scarlett,c’està luideprendre lesdevants,va-t’en!»medictaunesecondevoix.J’hésitaisencore.«Sors!»m’ordonna-t-elleencore.—Hey!Monsieur!J’aimeraissortir!Ouvrezlaporte!criai-jedepuislemilieudubus.Johnm’observait toujourssansdireunmot,etmesouritunedernière foisavantdemeregarder
descendredubus,laminebasse.En posant le pied à l’extérieur, je ressentis un vide extrême. Celui qui m’obsédait depuis si
longtempss’éloignaitdemoiencoreune fois. Jenesavaispasquand je le reverrais. Jen’étaispasprête à compter les jours ou lesmois avant de revoirmonbeau commandant. Pas plus que j’étaisprête à m’engager dans une nouvelle cure de désintox. Il fallait me rendre à l’évidence : j’étaisassoifféedeJohn.Jevoulaisboirechaqueparcelledesoncorps,desespensées,desespropos.Sonabsencem’était déjà insupportable et je venais à peine de le quitter. J’en avais assez d’attendre. Jedevaistrouverunesolutionàmasouffrance.Àprésent,monseulbien-êtreimportait.Ilétaithorsdequestionquejeviveuneautreannéesanslui.Nonmerci!
***
Lorsque je franchis le pas de la porte,Béam’attendait avec impatience. Ellem’avait laissé deuxmessages surmaboîtevocale,m’implorantde l’appeleraussitôtque j’auraisatterri afinque je lui
racontetoutcequis’étaitpassé.Jeluiavaisalorsmentionnéquejeluidiraistoutunefoisrendueàl’appartement,cequejefis.Aprèsdelonguesetprécisesexplications,Béameserradanssesbras,mefélicitantpresqued’avoirtrahimesconvictionspoursuivremoncœur.Elleétaitfièredemoi.Pourmapart,jenesavaistropquoipenser.Jesavaisseulementquej’avaisJohndanslapeauetquej’étaisbiendécidéeàassouvirmesdésirs.Jedemandaiconseilàmameilleureamie:—Béa,qu’est-cequejefaismaintenant?—Est-cequetucroisqu’ilveutterevoir?—Jenesaispas.Pourlemoment,toutcequejesais,c’estquej’enveuxplus.—Ilfautquetuluiparlesetquetuluidisescequeturessens.—Qu’est-cequeçavachangeràlasituation?—Benlà,Scarlett!Tuviensdemedirequetuenveuxplus.Ilestmariéetilvasûrementlerester.
Maissituenveuxplus,ilfautquetusachessiluiaussienveutplus.Ensuite,jenesaispas,moi…tuverrasentempsetlieu.Non?—Tuasraison,approuvai-je.—Tuassonnumérodetéléphone?—Non.—Sonadressedecourriel?—Non.Béaréfléchit.—Ilyatoujourslecourrieldejob,m’informa-t-elle.—Oui!Commentjefaispourleconnaître?—Riendeplusfacile!C’estnotrenomcomplet,séparéparunpoint,[email protected].—Super!Tuesgéniale,Béa!m’exclamai-jeenm’assoyantdevantmonordinateurportable.Par où pouvais-je bien commencer ? « Je m’ennuie de toi, John » ? « Je considère devenir ta
maîtresse»?«Jesuisentraindefoutreenl’airmesprincipesetmesrèglesdebonneconduitepourtoi»?Jedécidaidelaissermoncœurmedicterlesmots.Souvent,j’entiraislesmeilleursrésultats.Unefoislecourrielterminé,jelelusàhautevoixàBéa.De:[email protected]À:[email protected]:07juillet2012Sujet :…SalutJohn,Jenesaispassijefranchislalimitepermiseent’écrivantcecourriel.J’aiessayédenepaslefairemais,vraiment,c’est
plusfortquemoi.J’aiattenduunanavantdeterevoiret jenepeuxpasattendreuneautreannée.Jesuisbouleverséecommejel’aiétéaprèst’avoirvuàParisetàBarcelone,maislàc’estencorepireparcequejesaiscequejemanque.Jepenseàtoietjemedemande:allons-nousrevivreunjourcettedernièrenuitensemble?Scarlett
JeregardaiaussitôtBéa,espérantrecevoirsonapprobation.—Excellent!C’esttouchantetçavadroitaubut,merassura-t-elle.—Ahoui?—Oui!Allez,envoie!m’ordonna-t-elle.—Tuescertaine?hésitai-jeencore.—OUI!Centpourcentcertaine!Envoie!J’avançaimoncurseurverslebouton«envoyer».Jefermailesyeuxet,toutensouhaitantnepas
faireunegrossebêtise,jepressaisurlatouchefatidique.
P
Chapitre22
Lyon(LYS)
leurer.Quec’estdrainantdepleurer!Surtoutlorsqu’onpleureplusieursfoisparjour,pendantunmois. Parce que c’est exactement ce que je venais de faire : pleurer toutes les larmes demon
corpspourunhomme.PourceJohnRossquin’avaitmêmepaseulagentillessederépondreàmonmessage. «Le salaud ! Ils sont touspareils, ceshommes ! avais-jepensédesmilliers de fois.Dèsqu’ilsontobtenucequ’ilsveulent,ilsnousjettentàlapoubelle!»J’étaisdémoliemaisjen’avaispasvraiment ledroitde l’être.Malgrécetteseulenuitensemble, jevivaisunevéritablepeined’amour.Cetétatd’âmetombaitmalcarjevolaisintensémentdepuisunmoisetcen’étaientpaslesmeilleuresdestinationsquim’accueillaient,cequi,dejourenjour,empiraitmonétat.Cetrop-pleind’émotionsatteignitsonparoxysmeunmoisaprèsl’envoidemoncourrielsansréponse.Nous venions d’atterrir à Lyon. Je détestais cette destination et j’avais tenté tant bien que mal
d’éviterdevoirapparaîtreleslettresLYSsurmonhoraire.Jen’avaispasréussi.Laraisondecetteappréhensionnerésidaitpasdanslavilleelle-même.Pasdutout.NousmangionstrèsbienàLyonetles vins du Rhône étaient délicieux. Ce profond dédain prenait plutôt racine dans l’hôtel où nousséjournions:leChâteauPerrache.Pourêtrehonnête,jelecroyaishanté.Toutessortesd’histoiresàsonsujetcirculaientauseindela
compagnieaérienne.Certainscollèguesdisaientavoirvuunefemmelesregarderenpleinmilieudela nuit, d’autres avaient aperçu une ombre humaine dans la télévision enneigée, et d’autres encoreremarquaient,àleurréveil,desobjetsdisposésauxmauvaisendroits.Toutcequejesavais,c’estquecethôtelm’horrifiaitàunpointtelquejeneparvenaisjamaisàyfermerlesyeux.Mondésirdepleurer ressurgit lorsque j’entraidans lehallce jour-là.Lamoitiédecette tristesse
avaitpourcauseunhommeetl’autremoitiéémanaitdeceterrifianthôtel.Celieumefaisaitpeur.Etpour cause : il avait déjà été réquisitionné par les autorités allemandes durant la SecondeGuerremondialepourenfairelesiègedelaGestapo.Lachambreoùj’allaisdormiravaitpeut-être,sil’onsefiaitàl’histoire,ététémoindenombreuxinterrogatoiresfaitsauxopposantsdurégimehitlérien.Pire, un juif avait peut-être été torturé oumême tué dans cette pièce.Mon imagination faisait dessiennes.J’entrai dans la douche. Je sentais l’avion ; il fallaitme purifier. Sous l’eau, je réfléchissais ou,
plutôt, je me faisais des remontrances : « Scarlett, tu aurais dû savoir que John n’allait pas terépondre.Pourquoil’aurait-ilfait?Ilnepeutpas.Iln’ajamaispu.C’estuniquementparcequetuétaislà,cejour-là,àDublin,qu’ils’estlaissétenter.Unpeud’alcoolacontribuéàtonsuccès.C’esttout.Ilfautquetul’oubliesmaintenant.C’estchosedupassé.Aumoins,tuyaurasgoûté.»Leproblèmerésidaitjustementlà!J’yavaisgoûté.J’avaistouchéseslèvres,soncorps.J’avaissenti
cettefouguequim’avaitprocuréuntelsentimentdebien-êtrequejen’arrivaisplusàm’enleversonsouvenirdelatête.Mondésirn’avaitqu’augmenté.Ilétaitloind’êtreassouvicommejel’avaispensé.Jesavaisque lePepsipouvaitcréerunedépendance,mais j’étais loindemedouterqueJohn,monPepsiàmoi,obséderaitmespenséesaussitôtconsommé.J’étaisfollementéprisedelui.Jepleuraiunemillièmefoisenfermantlesrobinets.Lorsquejeposailepiedsurletapis,monattentionsedirigeabrusquementailleurs.Devantmoi,le
miroirétaitembué.Unélémentutiliséàtoutcoupdanslesfilmsd’horreur.Soudain,j’hallucinaiun
doigt invisible tracer un cœur dans la vapeur d’eau.Mes larmes coulèrent de plus belle. Pourquoimoi?Àcetinstant,jesouhaitainejamaisavoirrencontréJohn.Jamais!Lanuittombée,jetentaidedormir,maisenvain.Jen’yarrivaispas.Peut-êtreétait-ceparcequela
lumièreétaitdemeuréeallumée?Jenevoulaispasl’éteindrecarlanoirceurmeterrifiait.Lachaleurdumoisd’aoûtm’étouffaitetl’airconditionnén’arrivaitpasàrafraîchirlapièce.Jedécidaidoncdemeleveretdescendisenpyjamafaireuntourdanslehall.Mespasfaisaientcraquerleboisancienduplancherdescouloirs.Ayantl’impressiond’êtresuivie
parquelqu’un,j’accéléraimacadenceetatteignislaréceptionenuntempsrecord.— Bonjour, monsieur, est-ce possible d’utiliser les ordinateurs à cette heure ? demandai-je à
l’hommederrièrelecomptoir.—Biensûr,madame,merépondit-ilavantdemedirigerversuneminusculepièce.Jepensaisvisiterdesbloguesdevoyagepourmefairerêveretmechangerlesidéesmais,avantça,
je décidai de regardermes courriels. Je n’avais probablement aucun nouveaumessage car j’avaisvérifiémaboîtedemessagerieavantdepartirdel’aéroport,maisc’étaitdevenuunehabitudedelefaireenouvrantunordinateur.J’accédaiàmaboîte.Àmongrandétonnement,deuxnouveauxmessagess’affichèrent.Jecessaide
respirer.EnfinunmessagedeJohn!Mieux:deux!Moncœursemitàpomperoutrageusementetjecommençaiàtranspirer.Jen’avaisrienluetdéjàj’étaisheureuse.J’avaisenfinuneréponse!Quellequ’ellesoit,jel’accepterais.J’ouvrislepremiermessage.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:14août2012Sujet :Re:…Scarlett,Jeprendscecourrielalorsquejeparsenvol.Désolépour ledélai, jeneregardecescourrielsqu’unefoisparmois.
Pourrépondreàtonmessage,oui,jesuisencorebouleversédenotresoiréeensemble,etoui,jepenseàtoi.Jen’avaispasprévucequiestarrivéentrenousetladernièrechosequejeveux,c’esttefairemalettefairecroireàdeshistoiresqui teblesseraientdavantage.Mesenfantssontmapriorité,et j’auraisdû fairepreuvederetenuepouréviter toutcela.Facile,mediras-tu,maiscen’estpaslecas.Tuesarrivéeparsurprisedansmaviepouruneraisonquej’ignoreencore.Maiscrois-moi,j’aibeaucoupàperdredanstoutcelaetj’enprendsl’entièreresponsabilité.Scarlett, j’espère tevoirbientôtpour tedire toutçadevivevoix.Jepenseà toiet tesouhaite tout lebonheurquetu
mérites.John
J’étais soulagée. Cette réponse n’était pas celle que j’avais espéré, mais je devais l’accepter.
J’appréciaisqueJohnmesoulignesesinquiétudesfaceàl’impossibilitédelasituation.Ilnepouvaitpasm’endonnerdavantage.Jeneluienvoulaispas.Aumoins,jesavaisqu’ilpensaitàmoietm’avaitrépondu. D’ailleurs, il l’avait fait aussitôt qu’il avait lu mon message, contrairement à ce que jecroyais.Jerelustroisfoissoncourriel.Etpuissoudain,jemerappelaiquej’avaisunautremessage.Commentavais-jepul’oublier?Sansplusattendre,j’enprisconnaissance.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:15août2012Sujet :PenséesScarlett,toutaulongdelatraversée,j’aipenséàtoi.Jeveuxconnaîtretespensées.J’imaginequ’onvasûrementse
revoiravantunan.John
Ilvoulait«connaître»mespensées?Onallait«sûrement»serevoiravantunan?J’attendaisce
momentdepuisunmois,etmaintenantque j’avaisenfinceque jevoulais, jenesavaispasquoi luirépondre.Enfait,jen’avaisqu’àrépondreàsademande.Toutsimplement.De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:15août2012Sujet :Re:PenséesSalutJohn,Tuvoulaisconnaîtremespensées,alorslesvoici…Aprèsnotrenuitensemble,j’aipenséàtoisansarrêt.Unmoisplustard,jereçoisdetesnouvelles.Jem’étaisfaiteà
l’idéequecettenuitavectoiseraitlaseuleetuniqueetquec’étaitmieuxcommeça.Mêmesijesaisqu’ilestpréférabledenepasallerplusloin,jesuispersuadéeque,lorsquejetereverrai,ceseralamêmehistoire.Onvasedésirerautant.Jesuiscomplètementd’accordaveclefaitquetuastoutàperdredanscettesituation,etjeneveuxpasbrisertavieni
celledetafamille.Tumeparlesencodealorsj’aiunpeudedifficultéàsavoircequetuveuxvraiment.Tonpremiermessageestclair,tu
nevaspaslaissertafemmepourmoi.Ça,jelesaisetjeneveuxpasnonplusqueçaarrive.Laquestionestplutôt:TOI,qu’est-cequetuveux?Tondeuxièmemessagemeditquetuveuxencoredemoi.Moiaussijeteveux…J’attendraidetesnouvelles.Scarlett
Lorsque je pressai sur « envoyer »,mon cœur se remplit de bonheur. J’ignorais quelle serait sa
réponseàmonmessage,maisjesavaisqueJohnvoulaitsincèrementmerevoir.Moiaussi.J’avaissihâtedeleregarderetdel’embrasser.Restaitàsavoirquand.Cettenuit-là,jeretournaiaulitsereineetdormisenfincommeunbébé.ÀmonretouràMontréal,j’avaisreçuunnouveaucourrieldeJohn.DemonJohn.Cemessages’avéreraitêtrelepremierd’unelonguesériequi,peuàpeu,allaitmerendreencoreplusfolledelui.Etluidemoi?De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:16août2012Sujet :Re:Re:PenséesScarlett,Jesuisconscientquetun’espasheureusedanstoutcelaetjetiensàm’excuserencorepourt’avoirfaitpatientersans
le savoir pendant unmois.Sache que cette situationmebouleverse autant que toi et que tout ce que je sais pour lemomentc’estquejetedésireetquej’aiduplaisiravectoi.C’estlapremièrefoisquejetrompemafemmeetjedoisvivreavec.J’aitoujoursévitédememettredansdessituationscompliquées.Jeneveuxsurtoutpasteblessermaisjeveuxterevoircarjesaisqueceseraencoremeilleurquelapremièrefois,suis-jeassezclair?John
De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:17août2012Sujet :TrèsclairSalutJohn,Jeteremerciedet’excuserpourm’avoirfaitpatienterpendantunmois.JToutestmaintenantplusclair.Àquandnotre
prochainerencontre?Scarlett
De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:17août2012
Sujet :Jaser?J’aimerais entendre ta voix… Est-ce qu’on peut se parler ? Si c’est OK pour toi, j’aimerais t’appeler ce soir. Ton
numéro?John
Ohlàlà!Nedevions-nouspasnousfixerunrendez-vousuniquementpours’amuseraulit?Voilà
queJohnm’affirmaitvouloirentendremavoix!J’étaisperdue.Jemouraisd’enviedeluiparlermaisje me sentais fragile de m’aventurer dans une telle proximité. Si nous commencions à échangerquotidiennement des courriels et des appels, allais-je être capable de me contenter de quelquesplaisirscharnels?J’endoutais.Néanmoins,désirantégalemententendreletimbredesavoix,jeluilaissaimonnumérodetéléphone.Commeprévu,jereçussonappeldanslasoirée.—AlloScarlett.—SalutJohn,répondis-jetimidement,lecœuraffolé.—Comments’estpasséetajournée?—Trèsbien.JesuisalléemefairebronzerprèsducanalLachineavecmonamieBéa.Toi?—Jemesuisbaignéaveclesenfants.—Ah,jevois.Ettafemme?demandai-jespontanément,sansréfléchir.—Elleestpartietravailler.Est-cequ’onpeutparlerd’autrechose?—Évidemment!Jene savaispaspourquoi j’avaisamenéce sujetdès ledébutde laconversation.Quellehorrible
erreur!J’avaisprismadécision.Sexepoursexe.Rienqueça.Lesdoutesetlaculpabilitén’avaientpluslieud’être.C’étaittroptard.Jechangeaidesujet.—Quandcrois-tuqu’onpourrasevoir?—Ehbien,j’airegardétonhoraireetjenevoispasdecompatibilitéaveclemienpourlasemaine
prochaine.Tutravaillesbeaucoupetmoiaussi,dit-il,déçu.—Ouais,jesais.—Jepensequelemieuxseraitd’essayerdedemanderlesmêmesvolslemoisprochain…—Bonneidée!Onfaitça,affirmai-je,heureusequ’unetelleoptionsoitpossible.—Onsetientaucourantalors,belleScarlett.—Tusaisquoimedirepourmefairerougir,hein?—Jenelefaispaspourça.Jepensesincèrementquetuesbelle.J’aiunedélicieuseimagedetoien
tête,dansmonlitàDublin,continua-t-ild’unevoixgraveetpuissante.—Oh!Ettucroisquejen’enaipasunedetoi?—Jel’espèrebien.Çagarderatespenséesoccupéesjusqu’ànotreprochainerencontre.—N’endoutepasuneseconde.—Lesmiennesaussiresterontoccupéesavectoi.Cette dernière affirmation souleva enmoiun réel inconfort.Qu’en était-il de sa relation avec sa
femme?Quesepassait-ilentreeuxaulit?J’étaisjalouse.Jetentaitoutdemêmedenepaslelaisserparaître.Lorsquenous terminâmes la conversation,mon envie de le revoir avaitmontéd’un cran.C’étaitmauvaissigne.
***
Aulendemaindenotreentretientéléphonique,jereçusunnouveaumessage.Johnétaitsicharmantetattentionné.Sans lesavoir, il s’approchaitdemon idéal.Pourtant, lasituationétait loinde l’être.J’avaisl’impressiond’êtretombéedanslessablesmouvantsetjen’arrivaispasàm’ensortir,etce,mêmesi seulesmeschevillesenétaient recouvertespour lemoment.Déjà, j’étais incapabledeme
raisonnerpourcessertoutecommunicationaveclui.J’envoulaisencore.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:18août2012Sujet :ParisBonmatin,Contentdet’avoirparléhiersoir.J’aifaitdebeauxrêvesenpensantàtoi…EssaiededemanderParispourlemoisde
septembre.Avectonancienneté,tudevraispouvoirl’avoir.Sinon,Lyon.John
De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:19août2012Sujet :PasLyon!SalutJohn,J’aidemandéd’avoirParismaispasLyon.Jedétestecethôtel!Ilfaittropchaud,l’airconditionnénemarchaitpasetily
adesfantômes…JesouhaitequeParisfonctionne.Àbientôt,Scarlett
De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:20août2012Sujet :Hou!Hou!Jevaisteprotéger,belleScarlett.Maissitun’aimespasLyon,c’estOK.Pariscesera.JequittepourIstanbulcesoir.Je
t’écriraidepuislaTurquie.Jet’embrasse,John
De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:23août2012Sujet :HoraireJ’aireçumonhoraireetj’aieudeuxParismaistun’espassurmesvols.Ondevratrouveruneautresolution.Tune
m’aspasencoreécritdepuisquetuesparti.Jen’aimepasça…Scarlett
De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:24août2012Sujet :NouvellesSalut,Jevoisquetuattendsdemesnouvellesquotidiennement…etj’enattendsaussidetoi!LeréseauWiFicoûtaitlapeau
desfessesàl’hôtelalorsj’aidécidédem’enpasserpourunejournéeetdetefairelanguirdemoi.DommagepourParis.Est-cequetueslibrele28?Dorsbien.Jet’embrasse,John
De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:25août2012Sujet :LSalut,Tuespardonnépourl’attente.Jesuishabituée.J’espèrequetonvols’estbienpassé.C’estbeauIstanbul,hein?JesuisdéçueaussipourParisetjenepeuxpasle28.
Peut-êtrequec’estmieuxainsi…Scarlett
De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:25août2012Sujet :Mieuxainsi?Tupensesvraimentcequetuviensdem’écrire?Moinon.Jeteproposeuneautreoptionalors.J’aieuunvolpourRome72heuresaumilieudumois.Tum’accompagnes?J’ai
vuquetuétaislibre…John
Quelle proposition alléchante ! Rome, ma ville préférée ! Et tellement romantique… J’étais, en
effet,disponiblepourl’accompagner.Parcontre,j’hésitais.Partiravecluisignifiaitaussimentirtoutaulongdelatraverséepournepasmefairedémasquerparlesautresmembresdel’équipage.UnefoisàRome,ilnousfaudraitêtreprudentspourquepersonnenenousvoie.Sanscompterquej’allaispassertroisjourscompletsaveclui.Etsiaprèsdeuxheuresilnepouvaitplusmesupporter?Pire,sicestroisjourss’avéraientmerendrefollementplusamoureusedeluiquejenel’étaisdéjà?Jedevaisréfléchir avant de prendre une décision. Je restai donc muette durant quelques jours, ce qui,curieusement,affolaJohnplusquejenel’auraisimaginé.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:30août2012Sujet :C’estàmontourd’attendreScarlett,tumebrasseslatêteplusquetupeuxlepenser.Alorsqu’onnes’estpasencorerevus,jepenseàtoitousles
joursetjesuishonnêteavectoi.Tucroisquec’estplusfacilepourmoid’êtredanscettesituation?Ehbiennon!Tumerendslamonnaiedemapiècepourlepremiermoisenmefaisantattendresansréponse.Tudevraissavoirquejenejouepasàunjeuavectoi.Jeveuxterevoiretj’essaiedumieuxquejepeux.J’attendstoujoursuneréponsepourRome.Johnxxx
De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:30août2012Sujet :RomeSalutJohn,Tumebrasseslatêteaussi,situveuxsavoir.Non,jen’essaiepasdeterendrelamonnaiedetapièce.Jenejouepas
degamemoinonplus,maisilnefautpasoublierquelaraisonpremièredenosfuturesrencontresdevaitêtrepurementphysique,sansattachement,et làçan’apas l’airdes’enlignerpourça.Jeneveuxpasm’embarquer là-dedans. Ilmesemblequec’esttoiquiasmisçaauclairdèsledépart.Jen’aipasencoreprismadécisionpourRome.J’airegardétonéquipageetjeconnaispresquetoutlemonde.Nous
devronsêtreprudentspournepaséveillerlessoupçons.Maissij’yvais,çavaêtreparfaitpourqu’onpuisseprofiterl’undel’autreautantqu’onleveut…Jeterevienslà-dessus…Scarlettxxx
Pendantdesjours,j’hésitaiàdonneruneréponsedéfinitive.EtpuisBéaréussitàmeraisonner:—Scarlett,turêvesdeJohndepuistroplongtemps.VaàRome,sinontuvastoujourstedemander
commentçaseseraitpasséettuvasleregretter,m’avisa-t-elle.—Jesais,Béa,maisj’aipeur.—Peurdequoi?—Peurderevenirencoreplusfollementamoureusedelui.Jeneveuxpasêtreunemaîtresse,niune
belle-mère,nibriserunefamille.
—Personneneveutça,Scarlett,maistunesouhaitespasallerpassertroisjoursderêveavecceluiquihantetespenséesdepuisunan?—Oui…—Alorsvas-y!Parsaveclui.Fais-toitraiterenprincesseetprofites-en.Ensuite,situneveuxpas
t’embarquerdansunehistoirerocambolesque,tudevrascouperlesponts,carplustucontinuerasetplusceseratoiquisouffriras,meconseilla-t-elle.—Tuasraison.C’estcequejeferaialors!MaisseulementaprèsRome,répondis-je,convaincue
d’avoirlaforced’agirainsiletempsvenu.JeprisletéléphoneetappelaiJohn.Madécisionétaitprise.J’allaisl’accompagneràRome!
–M
Chapitre23
AéroportdeMontréal(YUL)
esdames et messieurs, ceci est une annonce d’embarquement pour le vol VéoAir 762 àdestinationdeRome.Nousinvitonsmaintenanttouslespassagersàseprésenteràlaporte61.
Ilmesemblequ’ilesttôtpourcommencerl’embarquement…Ledépartestprévupour22heures.Jeconsultemamontre.Ouf!Eneffet,c’estl’heure.Jen’aipasvuletempspasser.Distraite,sansaucundoute.Encettechaudenuitdeseptembre,sileplanrestelemême,jem’envoleraisousuncielétoilévers
l’Italieavecmonbeaucommandant.Jesuisnerveuseet,honnêtement,jenesaisplustropquoifaire.Enarrivantauterminaltoutàl’heure,jemesuisaussitôtdirigéeversl’airedesdépartspourlesÉtats-Unis. Johnm’y attendait sur unbanc.Lesprobabilités quenous rencontrionsnos collègues étaientmincescarlesdépartsinternationauxsetrouventdansunsecteurdifférent.J’étaisfébriledelerevoir.Lorsquejel’aiaperçu,mesjambesontfaiblipourlamillièmefois.—Salut,John,ai-jedit.—Ah!BelleScarlett,a-t-ilsoupiré.Jemesuisassiseàsescôtéssans le toucher. Ilaposésamainsur lamienneet ilm’asouri. J’ai
rougi.—Tudevrast’yfaire.Tumeverraspendantlestroisprochainsjours,m’a-t-iltaquinégentiment.—Jesais.Jesuisnerveuse,c’esttout.—Net’inquiètepas,toutvabiensepasser,m’a-t-ilréconfortéeenmeserrantlamain.—Tucrois?John,nousnousconnaissonsàpeine.Etsiçanesepassepascommenouslepensions
etquetumedétestesaprèsuneheure?—Impossible!s’est-ilexclamésansendouterlemoindrement.Johndégageunetelleassurancequetoutesmesinquiétudess’envolentlorsquejeluiparle.Auprès
delui,jesuisrassurée.Loindelui,c’estl’opposé:jem’affole.J’aipeurdeluidonnermoncœuretque lui se refuse à me donner le sien. Je ne voulais pas lui exprimer mes craintes et je me suiscontentée de lui sourire. Son visage s’est approché du mien et nous nous sommes embrasséstendrement.—Jedoismerendreàl’avion,Scarlett.OnserevoitàRome.Lesseptprochainesheuresserontles
pluslonguesdetoutemacarrièredepilote!m’a-t-ilditavantdepartir.Jesuisrestéeassiseseulesurcebanc,uncourtinstant,pensive.VoirJohnm’aprocuréunsigrand
bonheur,etlorsqu’ils’estéloignédemoi,j’airessentitoutlecontraire.Sondépartm’arappelémadureréalité.Dansquatrejours,jesouffriraidesonabsencetoutcommejel’aifaitpendantunanetdurantcemoissansréponse.Vais-jerevenirdeRomebouleverséeouenfinrassasiéeetsatisfaite?Jenedevraispasmeposertropquestions.Aprèscetterencontreéclair,jemesuisdirigéeverslasalled’équipagepourrécupérermesbillets
stand-by. Lorsque j’ai ouvert la porte, quelques membres de l’équipage étaient encore là. Je lesconnaissaistousetilm’aétédifficiledepasserinaperçue.—Allo,Scarlett!m’ainterpelléeDiane,l’hôtesseinsomniaque.—Salut!—Hey!Salut!aajoutéTodd,lebelagentdebordauxyeuxvertsenramassantsoncarry-on.
— Allo, Todd ! l’ai-je salué, heureuse de le voir tout en me rappelant que notre dernier volensembleremontaitàmarencontreavecunecertaineFreaking-Debbie.—Tuvasoù?m’ademandéDiane,toujoursaussicurieuse.—Rome.Jeparspourtroisjoursvisiteruneamie,ai-jementi.Encoreunefois,jevenaisdetrahirmesprincipescarmoi,ScarlettLambert,jenemensjamais.Il
sembleraitqueJohnainvolontairementchamboulémonsystèmedevaleurscarm’inventerunmotifpourcevoyagem’estvenuspontanément.JesuispresqueconvaincuequejevaisenItaliepourvisiterunevéritableamie.Aprèsavoirramassémonbillet,j’aisouhaitéunbonvolauxagentsdebordetjesuisdescenduem’enregistreraucomptoirdeVéoAir.Mon billet récupéré, j’ai passé la sécurité. En déambulant dans l’aire internationale, j’ai
recommencéàdouter,àmesermonner,àm’envouloir.«Scarlett,tuterendscomptequetuparsaveclemarid’unecollègue?Tuesengénéralunebonnepersonne,maislà,tunel’espasdutout.»Jeneveuxpasm’envouloirdesuivremoncœur.J’ailedroitdelefaire,maisilm’estdifficilede
l’accepter.EtsijetombevraimentamoureusedeJohnàRome?Parceque,jedoismel’avouer,lesprobabilitésqueçaarrivesontremarquablementélevées.Vais-jepouvoirensuitecessertouterelationcommemel’aconseilléBéa?Jen’osepasrépondreàcettequestion.Jesuisdésormaisassisedansl’aired’attentetoutprèsdelabarrière61etjerefusedebouger.J’ai
prisplacesurunbancenretraitdesautrespassagers.Ainsi,jepeuxréfléchiràmaguise:j’embarqueoupasdansl’avion?Lesjambestremblantes,j’observelesalentours.Parmilafoule,desItaliens.Beaucoupd’Italiens.Ilsparlentfort,s’agitent,incapablesdedemeurer
assisplusd’uneseconde.Quellesurprise!Pendantuninstant,ilsmefontaumoinsrigoleretoubliermesinquiétudes.Jetournelatêtepourregarderl’appareil.Mesyeuxsedirigentrapidementverslepostedepilotage.
Demonbancinconfortable,jepeuxapercevoirlafenêtreouverteducôtédupiloteetunfaisceaudelumières’enéchappe,dessinantleprofild’unhomme.Moncommandantestlà,àquelquesmètresdemoi.Seulsdescentainesdepassagers,uncomptoir,uneagenteausol,unepasserelleetdixansdevienousséparent.Jenesaisplusquoifaire.Jen’enauraipasfiniavecluiaprèsRome.Jelesens.J’enailaconviction.L’embarquementvientd’êtrelancé.Unefiledegenss’allongejusqu’àmoi.Jedemeureassise.Jene
suispasprête.J’aibesoindetempspourréfléchir.Depuistoujours,j’airêvédefonderunefamille,d’avoir des enfants et d’être avec le même homme toute ma vie. Monter à bord de cet avion nem’apporterariendecela.Commentpuis-jem’êtreimaginéeheureusedansunetellesituation?Biensûr, je peux partir pourRome et profiter de John trois jours durant.Mais ensuite, j’en reviendraidémolie.Sijel’aimeautantquejelepense,jevaisenredemander.Jelevoudraijusteàmoi.Pourtant,êtreavecluisignifieégalementdevenirbelle-mèrededeuxenfantsqu’ilaeusavecuneautrefemme.Detouteévidence,jevoistroploinenavant.John,lui,doits’imagineruniquementdansunlitavecmoi. Pourquoi ne puis-je pas, une fois dans ma vie, penser comme un homme et vivre la viesimplement, étape par étape ? Oh là là ! Je viens de revenir à la réalité en regardant la file depassagerss’écourter.L’agenteaucomptoirparleaumicro.—Mesdamesetmessieurs,ceciestledernierappelpourlespassagersvoyageantàdestinationde
RomesurlevolVéoAir762.Veuillezvousprésenterimmédiatementàlaporte61.Appelfinal!Letempspresse:qu’est-cequejefais?Ilesthorsdequestionquej’embarquedanscetavionavec
autant d’hésitation.Me connaissant, je vais gâcher notre séjour à Rome si je n’ai pas la certituded’avoirfait lebonchoix.«Respire,Scarlett,etfermelesyeux.»Àprésent, jenevoisquedunoir.«Concentre-toi!»
J’imaginemaintenantnotrehistoire.CelleentreJohnetmoi.Jemeremémorelapremièrefoisqueje l’ai vu auCostaRica. Il avait l’air tellement inaccessible. Je l’ai désiré depuis le premier jour.Assise dans cet aéroport, un an et demi plus tard, j’ai enfin obtenu ce que je voulais. Je n’ai qu’àsauterdanscetavionpoursavoiroùledestinnousmènera.Ilesttempsdefaireconfianceàlavie.Çanesertàriendevouloirtoutcontrôler,detoutsavoiràl’avancepourmeprotéger.Jedoisvivrecettehistoire,sinonjeleregretteraipourlerestedemesjours.Unevoixfémininesefaitentendreànouveauaumicro.«NousdemandonsàMmeScarlettLambertdeseprésenterimmédiatementàlaporte61.Merci.»J’ouvrelesyeuxetjeregardeladameaucomptoir.L’aired’attenteestmaintenantvide.Jemelève
d’unbond.Mesjambesnetremblentplus.Monespritestclair.Jemonteraiàbordetpersonnenem’enempêchera.Personne.Jetendsmonbilletd’embarquement.—MadameLambert?medemandel’agenteausolenlerécupérant.—Oui,c’estmoi,désoléepourlecontretemps,dis-je,souriante.—Pasdeproblème,madameLambert.Lecommandantvenaitdem’aviserqu’iln’allaitpaspartir
sansvous.Vousleconnaissez?—Oui,etjel’accompagneàRome.
J’
Remerciements
aimeraisd’abordremerciermafamille,mamère,monpère,masœuretmonfrère,d’avoircruenmoi.Merci àmamère dem’avoir quasiment forcée à créer un blogue qui auramené à la
publicationdece livre.Merciàmasœur,Dominique,dem’avoirunjouroffertunguided’astucesutilespourêtrepubliée.Lacourteinscriptionquetuasécriteàl’intérieur,«pourqueturéalisestonrêve»,m’aencouragéeàpersévérer.MerciàGroupeLibrexdem’avoirdonnémapremièrechancecommeécrivaine.Jevousavaismoi
aussidansl’œiletjesuiscontentequelesétoilessesoientalignées.Merciégalementàmonéditrice,NadineLauzon,poursapatiencefaceàmesnombreusesinsécuritésetpouravoirsumedirigerdansleboncheminlorsquelesidéesmanquaient.Tescommentaires,tafranchiseettessuggestionsm’ontété indispensables. Merci à Marie-Eve Gélinas d’avoir pris le relais sans me brusquer. J’ai eul’impressiondetravailleravecuneamie.Merciàmescollèguesagentesdebordet,avanttout,amies:JolyaneCloutier,pouravoir lumes
chapitreslesunsaprèslesautresetpourm’avoirsoutenuelorsdesmomentsdifficiles.Tuastoujoursété àmon écoute et je t’en remercie.Merci àAnnie-PierCoutu, SarahRoy-Tanguay etMarie-ÈveGaranddecroireenmesnombreuxprojets,aussifarfelussoient-ils.Merciaussi,Marie-Ève,pourlestraductions.JevoudraiségalementremerciermononcleMarcdem’avoiraidéedeboncœuravecsestalentsde
graphistedansmesprojets.MerciàRobertPiché,collègueetami,d’avoirréponduavecprécisionàmesinterrogationstechniquesconcernantlaréalitédespilotes.MerciàPatrickLeimgruberd’avoircalmémesangoisses.Quelquefois,ilfautfairelegrandsautetselaisserporterparlecourant.MerciàAnamCarapourm’avoirpermisd’écrirepaisiblementdansundécorderêve.Lamern’apassonpareilpourinspirer.J’aimeraisaussiremerciertousleslecteursdemonbloguequi,parleurscommentaires,ontorienté
mesécritsversunedirectionplushumoristique.UnmerciparticulieràYvesdeDestination-Terre,quimesuitetm’encouragedepuisledébut.Merciégalementàmespassagers,quimeréserventtoujoursquelquessurprisesd’unvolàl’autre.MmesCocoetPepsin’existeraientpassansvous!Pourterminer,merciàtousmescollèguesdansl’aviationpourêtreaussidivertissantslesunsque
les autres et pourm’avoir raconté vos histoires rocambolesques sans vraiment savoir où elles seretrouveraient.Peut-êtreavez-vousreconnucertainesd’entreelles…
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