Le contentieux pénal du
travail Exposé de Contentieux social
Estelle Navarrete, Victoria Drochon, Cindy Delespinay
07/11/2011
1 Le contentieux pénal du travail
TABLE DES MATIERES
Introduction : .................................................................................................................................. 2
I – Un contentieux faible d’un point de vue quantitatif ................................................................. 5
A – Le rôle de « filtre » joué par l'inspecteur du travail ............................................................. 5
1 – Le rôle essentiel de l'inspecteur du travail dans l'enquête et la constatation des
infractions ...................................................................................................................................... 5
2 – Les mesures alternatives au constat de l'infraction ........................................................... 7
B – Les tempéraments civil et administratif à l'action du juge répressif .................................... 9
1 – Le droit d'option de la victime ........................................................................................... 9
2 – Les alternatives administratives au procès pénal............................................................. 10
II – Un contentieux marquant d’un point de vue qualitatif .......................................................... 13
A – L’influence de l’action en justice des syndicats ................................................................ 13
1 – S’agissant de l’action syndicale : la défense de l’intérêt collectif ................................... 13
2 – S’agissant de l’action de substitution : la défense de l’intérêt individuel ....................... 16
B – Le contentieux pénal érigé en source de droit du travail ....................................................... 17
1 – La garantie du principe d’autorité du pénal sur le civil ................................................... 17
2 – La jurisprudence de la Chambre criminelle et son rôle « moteur » en droit du travail ... 18
Ouverture...................................................................................................................................... 22
Vers Une dépénalisation du droit du travail ?........................................................................... 22
Annexes : ...................................................................................................................................... 24
Sources : ....................................................................................................................................... 25
2 Le contentieux pénal du travail
LE CONTENTIEUX PENAL DU
TRAVAIL PAR ESTELLE NAVARRETE, VICTORIA DROCHON ET CINDY DELESPINAY
INTRODUCTION :
Les infractions peuvent se commettre en tout lieu, y compris sur le lieu du travail. Mais,
certaines infractions ne peuvent se concrétiser que sur le lieu du travail. Il a donc été nécessaire
d’établir une législation pénale du travail qui lui était spécifique, et qui prenait en compte certaines
nécessitées liées au monde du travail.
Dans un premier temps, les infractions concernaient surtout les ouvriers, la condition d’ouvrier
étant « érigé en circonstance aggravante de plusieurs infractions »1.
Au milieu du XIXème
siècle, on commence à rechercher la protection du plus faible, à incriminer
les abus de position dominante. Il y a eu un accroissement du droit pénal du travail qui était
l’unique moyen d’assurer le respect des règles nouvelles. En effet, la sanction pénale a avant tout,
une fonction dissuasive.
Ainsi, vont fleurir des infractions pénales du travail, tout au long du XXème
siècle.
Voyons quelles sont les sources du droit pénal du travail.
L E S S O U R C E S L E G I S L A T I V E S : Le droit pénal du travail se développe donc dans un
premier temps, avec la législation. Les premières lois pénales du travail, entrées en vigueur au
milieu du XIXe siècle, concernaient la règlementation du travail des enfants (loi du 22 mars 1841),
des filles mineures (loi du 19 mai 1892). Une loi du 2 novembre 1892, en plus de règlementer le
travail des enfants, des filles et des femmes dans les établissements industriels, a renforcé les
pouvoirs de l’inspection du travail, lui permettant de pénétrer dans les entreprises, et de transmettre
ses procès-verbaux au juge, pour obtenir la sanction des entraves à la législation constatées. Cette
loi s’efforce, en plus de poser des infractions, de donner les moyens aux autorités compétentes de
les déceler et de les réprimer.
Dans les années 1990, avec la publication du nouveau code pénal (1993), l’on constate une
pénalisation croissante du droit du travail. Entre autre, le harcèlement sexuel (loi du 2 novembre
1992), l’interdiction de fumer (loi du 29 mai 1992) ou encore les règlementations sur le travail
clandestin (loi du 31 décembre 1992), sont érigés en infractions (ou voient leurs sanctions pénales
aggravées). Aussi, le code pénal pour la première fois évoque la responsabilité pénale des personnes
morales.
Mais, le droit pénal du travail ne trouve pas uniquement sa source dans la loi.
1 Droit pénal du travail, Agnès Cerf-Hollender
3 Le contentieux pénal du travail
L E S S O U R C E S J U R I S P R U D E N T I E L L E S : Le droit pénal du travail prend aussi sa
source dans la jurisprudence. En effet, au fil du temps, la chambre criminelle a permis de renforcer
le droit pénal du travail. Elle a ainsi posé les bases de la responsabilité pénale du chef d’entreprise
« La responsabilité pénale pèse sur le chef d'entreprise auquel il appartient de veiller au respect de
la législation »2.
Mais c’est aussi la jurisprudence de la Cour de cassation qui a garanti le respect de la procédure
pénale quant aux infractions inscrites dans le code du travail. Elle a notamment appliqué le principe
de l’interprétation stricte de la loi pénale dans le cas où une obligation n’était pas expressément
qualifiée d’infraction3.
L E S S O U R C E S E U R O P E E N N E S E T C O M M U N A U T A I R E S : Le droit pénal du
travail trouve également sa source dans le droit communautaire et le droit européen. S’agissant des
sources indirectes, le droit européen ne crée pas, par lui-même, d’infractions. Mais les juridictions
et le législateurs s’en inspire pour rendre effectif ce droit. On citera par exemple le cas de
l’infraction interdisant le travail des femmes la nuit [ancien L213-1 du code du travail (aujourd’hui
modifié, article L3122-32)]. Les juridictions refusaient de déclarer l’infraction constituée, au visa de
la directive communautaire4 proclamant l’égalité entre hommes et femmes notamment au travail.
En effet, la Cour d’appel de Colmar5 a confirmé le jugement de relaxe d’un tribunal de police, au
visa de la directive.
Mais la législation française tend aussi à s’inspirer des règlementations communautaires,
notamment en ce qui concerne l’égalité entre hommes et femmes dans le travail, les discriminations
(loi du 27 mai 2008), la santé et la sécurité au travail (loi du 31 décembre 1991) etc.
A U T R E S S O U R C E S D I V E R S E S : Depuis la décision constitutionnelle du 10 novembre
19826, le code pénal érige en infraction pénale la violation de stipulations conventionnelles. En
effet, le droit du travail trouvant sa source de plus en plus dans les conventions et accords collectifs,
il était nécessaire que le droit pénal du travail s’y adapte également. Exemple : Constitue une
infraction de 4ème classe le fait de rémunérer une personne en dessous des dispositions
conventionnelles.
L’article L2263-1 du code du travail dispose que « Lorsqu'en application d'une disposition
législative expresse dans une matière déterminée, une convention ou un accord collectif de travail
étendu déroge à des dispositions légales, les infractions aux stipulations dérogatoires sont punies
des sanctions qu'entraîne la violation des dispositions légales en cause. ». Cet article généralise
l’incrimination des violations des dispositions conventionnelles.
Enfin, d’autres sources, bien qu’anecdotiques, peuvent être sources du contentieux pénal,
comme les règlements intérieurs des entreprises en ce qui concerne le délit d’entrave7.
2 Cass., Crim., 7 décembre 1981
3 Cass., Crim., 31/03/1992
4 Directive 76/207/CEE, 9 février
5 Cour d’appel de Colmar, 19 novembre 1992
6 A l’occasion de l’examen de la loi 82-957 du 13 novembre 1982
7 Cass., Crim., 8 juin 1995
4 Le contentieux pénal du travail
Le droit pénal du travail constitue une branche du droit pénal, en conséquence, il n’y a pas de
« code de droit pénal du travail ». De manière générale, les infractions peuvent être retrouvées
tantôt dans le code du travail, tantôt dans le code pénal. L’on distingue deux types d’infractions :
- Les infractions pénales de droit commun appliquées aux relations de travail et,
- Les infractions spécifiques au droit du travail.
Les premières (comme la discrimination au travail prévue à l'article 225-1 du code pénal)
figurent dans le code pénal. Les secondent sont, elles, regroupées dans le code du travail.
Cependant, quelques fois, des infractions se retrouvent dans les deux codes : prenons l’exemple de
la discrimination au travail, qui se trouve dans le code pénal à l’article 225-1 et dans le code du
travail à l’article L1132-1. Se pose alors la question d’une certaine harmonisation des infractions
pénales du travail. Il est dommage, selon A. Cerf-Hollender, que la recodification du code du travail
n’ait pas été l’occasion de cette harmonisation des textes.
L’étude du contentieux pénal du travail nous amène à nous demander, ce qui est principalement
jugé par les juridictions répressives.
Les infractions au droit du travail ne peuvent être que des contraventions ou des délits. En effet,
il n’y a pas de crime en droit pénal du travail. Les infractions les plus répandues dans le contentieux
pénal du travail sont8 :
- Le travail dissimulé (toutes infractions confondues, par exemple : L8224-2 du code du travail,
qui puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75000 € d’amende toute infraction aux interdictions
du travail dissimulé d’un mineur) :
4811 condamnations en 2005
4769 en 2006
2126 en 2007
- Accident du travail délits ou contraventions de 5e classe :
426 en 2005
408 en 2006
445 en 2007
- Emplois irréguliers d’étrangers :
312 en 2005
330 en 2006
349 en 2007
- Les délits d’entrave :
269 en 2005
272 en 2006
243 en 2007
Cette étude nous amène à un constat clair : il existe un faible contentieux du droit pénal du
travail, en plus d’une diminution au cours des dernières années (entre 2005 et 2007, le contentieux
8 Droit pénal du travail, Agnès Cerf-Hollender
5 Le contentieux pénal du travail
sur le travail dissimulé a été divisé par deux, les autres contentieux cités étant plutôt stables entre
2005 et 2007, bien que très faible).
Deux raisons sont couramment exposées :
D’une part, l’inspecteur du travail joue, dans le contentieux pénal du travail, le rôle de « filtre ».
En effet, si son statut lui permet notamment de pénétrer dans les entreprises et de constater les
infractions en dressant des procès-verbaux, il ne les transmettra pas tous au ministère public.
D’autre part, une certaine priorité est donnée aux alternatives au procès pénal. Inutile de
rappeler que le procès pénal est lent (30,8 mois en moyenne pour les délits liés au travail et à la
sécurité sociale, toutes juridictions confondues, en 20089), coûteux… Certes, agir au pénal permet
de « punir » l’auteur des infractions, mais ces sanctions sont-elles plus efficaces que celles des
alternatives ? Rien n’est moins sûr.
PAR CONTRE , IL NE FAUT PAS DEDUIRE DE LA FAIBLESSE QUANTITATIVE DU
CONTENTIEUX PENAL DU TRAVAIL , UNE FAIBLESSE QUALITATIVE .
En effet, la spécificité du droit du travail rend le contentieux intéressant, notamment avec la
possibilité pour des groupements comme les syndicats, de se porter partie civile devant les
juridictions répressives. De plus, les divers arrêts rendues par la chambre criminelle de la cour de
cassation ont permis de faire du contentieux pénal du travail, une véritable source du droit.
Seront donc étudiés, dans un premier temps, les raisons de la faiblesse quantitative du
contentieux pénal du travail (I), et dans un second temps, l’importance qualitative de ce même
contentieux (II).
I – UN CONTENTIEUX FAIBLE D’UN POINT DE VUE QUANTITATIF
Rappelons ici qu'au plan qualitatif, le contentieux pénal du travail se caractérise par une
évidente faiblesse. En moyenne, il recouvre moins de 3% de l'activité des tribunaux répressifs10
. Les
raisons de cette faiblesse sont multiples.
Tout d'abord, le rôle joué par l'inspecteur du travail dans la constatation de l'infraction conduit
inéluctablement à la réduction du nombre d'affaires portées devant le juge répressif, ce dernier
prenant soin de « régulariser avant de sanctionner »11
(A).
Il conviendra ensuite d'évoquer l'importance de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif dans
l'affaiblissement du contentieux pénal du travail (B).
A – LE ROLE DE « FILTRE » JOUE PAR L ' INSPECTEUR DU TRAVAIL
1 – LE ROLE ESSENTIEL DE L ' INSPECTEUR DU TRAVAIL DANS L 'ENQUETE ET LA
CONSTATATION DES INFRACTIONS
9 http://www.justice.gouv.fr/art_pix/1_stat_conda08_20091222.pdf - Les condamnations, année 2008
10 A. MAZEAUD
11 A. MAZEAUD
6 Le contentieux pénal du travail
Le Code du travail prévoit à son article L8112-1 que les inspecteurs du travail ont la charge de
constater les infractions à la législation du travail et ce, « concurremment avec les agents et officiers
de police judiciaire ». Toutefois, il faut souligner ici que le particularisme de l'action dans le
contentieux du travail tient au rôle essentiel donné à l'inspecteur du travail. Effectivement, son rôle
est considérable en ce qu'il influe considérablement sur la masse finale de contentieux.
Afin de comprendre l'influence que l'inspecteur du travail exerce sur les poursuites pénales, il
convient tout d'abord de s'attarder sur ses différentes missions que sont l'enquête et la constatation
des infractions. Le Code du travail attribue en ce sens une compétence de principe aux inspecteurs
du travail (article L.8112-1 al.2 C. trav. précité). Afin de remplir ses missions, l'inspecteur du travail
est par ailleurs doté de prérogatives légales larges et importantes.
Premièrement, il dispose d'un pouvoir d'enquête. A ce titre, l'inspecteur du travail a un droit
d'entrée et de visite dans les établissements qui sont soumis à son contrôle (autrement dit, les
entreprises du département où il est nommé, les établissements dépendants d'une entreprise située
hors du département ou même à l'étranger et les établissements séjournant temporairement dans le
département). Dans le cadre de son pouvoir d'enquête, l'inspecteur du travail a la possibilité
d'interroger les salariés de l'entreprise, qui ne sont toutefois pas tenus de répondre aux questions qui
leur sont posées. On peut ici, à titre indicatif, relever plusieurs exemples qui sont de nature à attester
de l'étendue de ce pouvoir dévolu à l'inspecteur du travail:
- La visite de l’inspecteur du travail peut avoir lieu de nuit dans les locaux où s'effectue
un travail nocturne12
- Ou encore, le contrôle s'étend à la partie de l'établissement réservé à l'habitation de
l'employeur13
De plus, l'inspecteur du travail dispose d'un droit d'effectuer des prélèvements, et ce, à fin
d'analyse.
Enfin, le Code du travail confère à l’inspecteur du travail un droit d'accès à certains
documents. Ce droit inclut le droit pour l’inspecteur du travail d'exiger de l'employeur qu'il lui
présente tous les documents dont la tenue et la conservation sont obligatoires (par exemple: le
registre du personnel, le registre des salaires, les documents permettant de comptabiliser les heures
de travail effectuées par chaque salarié etc.).
Il faut par ailleurs souligner qu'en matière de travail illégal, les droits des inspecteurs du travail
sont encore plus développés. Par exemple, en matière de travail dissimulé, l'article L.8271-11 du
Code du travail prévoit le droit pour les IT de procéder à l'audition de « toute personne rémunérée,
ayant été rémunérée, ou présumée être ou avoir été rémunérée par l'employeur ou par un
travailleur indépendant » et ce, afin de « connaître la nature de ses activités, ses conditions
d'emploi et le montant des rémunérations s'y rapportant, y compris les avantages en nature ».
Le rôle de l’inspecteur du travail dans la constatation de l'infraction est tel que le législateur a
prévu une protection pénale de sa fonction. En effet, l'article L.8114-1 du Code du travail
incrimine tout obstacle fait à l'accomplissement des devoirs de l'inspecteur du travail. On parle du
12
Cass., Crim., 11 mai 1999, n°98-83.772
13 Cass. Crim., 19 mars 1985
7 Le contentieux pénal du travail
délit d'obstacle aux fonctions de l'inspecteur du travail ou du délit d'entrave à l'action de l'inspecteur
du travail. Ce délit est caractérisé, par exemple, dans l'hypothèse où un employeur persiste à refuser
de présenter des documents nécessaires au décompte des heures travaillées que l'inspecteur du
travail sollicite à plusieurs reprises.
En principe, suite à cette enquête, et s'il relève que l'employeur n'a pas respecté la
réglementation du travail, le Code du travail prévoit que l'inspecteur du travail constatera
l'infraction commise par procès-verbal (PV). Ce procès-verbal répond à un formalisme particulier.
Il doit notamment être daté et signé par l'inspecteur du travail et il doit être dressé en triple
exemplaire (l'un étant transmis au procureur de la République, l'autre au préfet de département et le
troisième au contrevenant). Par ailleurs, une mise en demeure est parfois obligatoire en amont de la
rédaction du PV.
Cependant, la possibilité est donnée à l'inspecteur du travail de préférer des alternatives à la
rédaction du procès-verbal. Car, effectivement, l'inspection du travail, en présence d'une infraction,
n'a pas l'obligation de dresser procès-verbal.
2 – LES MESURES ALTERNATIVES AU CONSTAT DE L ' INFRACTION
Dans la constatation de l'infraction, l'inspecteur du travail dispose d'un pouvoir de « libre
décision ». Ce pouvoir particulier découle de l'article 17 (2°) de la convention n°81 de
l'Organisation international du travail (OIT) selon lequel « Il est laissé à la libre décision des
inspecteurs du travail des donner des avertissements ou des conseils au lieu d'intenter ou de
recommander des poursuites ».14
Ainsi, selon A. Cerf-Hollender, maître de conférence à l'Université de Caen, « l'objectif premier
de l'inspecteur du travail n'est pas la répression, mais le respect de la réglementation et la protection
des travailleurs ». Il s'agira donc de « régulariser avant de sanctionner »15
. Autrement dit,
l'inspecteur du travail va chercher à prévenir et empêcher la rédaction du PV.
Globalement, l'inspecteur du travail peut recourir à quatre mesures dans ce sens.
1 / L E S M I S E S E N D E M E U R E S O U O B S E R V A T I O N S
Dans un premier temps, l'inspecteur du travail peut demander à l'employeur de se mettre en
conformité avec les prescriptions légales ou réglementaires méconnues, en lui adressant des mises
en demeure ou des observations (aussi appelées lettres d'observation). Ces mises en demeure et
observations jouent bien le rôle d'alternatives à la constatation de l'infraction puisque si l'employeur
s'y soumet, l'inspecteur du travail ne dressera pas de PV.
Dans le cas des observations ou lettres d'observation, il s'agit pour l'inspecteur du travail de
signaler à l'employeur sa méconnaissance de certaines dispositions légales, réglementaires et
conventionnelles pénalement sanctionnées. Il invite par ailleurs l'employeur à s'y conformer. Il faut
ici souligner que cette pratique des observations n'étant pas réglementée par le Code du travail, elle
14
Ce principe de libre décision découle du « principe général de l'indépendance des inspecteurs du travail » qui leur
est reconnu quant à leur « action individuelle […] en matière de contrôle de la législation du travail » (C.E. 9 octobre
1996, Union nationale des Affaires sociales – CGT et autres).
15 A. MAZEAUD
8 Le contentieux pénal du travail
est caractérisée par une grande liberté de forme et de contenue. L'inspecteur du travail y a recours
de manière discrétionnaire.
La deuxième alternative au constat de l'infraction est constituée par la pratique des mises en
demeure. L'inspecteur du travail peut user de deux sortes de mises en demeure prévues par les
textes :
- Les mises en demeure préalables à l'établissement d'un PV.
Elles peuvent être obligatoires à l'établissement du PV (article L.4721-4 C. trav.). Cette
mise en demeure préalable est très fréquente en matière de santé et de sécurité.
Cependant, dans l'hypothèse d'un danger grave ou imminent pour l'intégrité physique
des travailleurs, l'inspecteur du travail a la possibilité de dresser immédiatement un PV
(article L.4721-5 C. trav.). A la fin du délai imparti par l'inspecteur du travail, si
l'employeur ne s'est pas mis en conformité avec les dispositions violées et que l'état
délictueux persiste, alors l'inspecteur, en dernier recours, dressera un PV.
Les mises en demeure présentant un caractère autonome par rapport au constat d'une
infraction par PV.
- Les mises en demeure préalables à l'édiction d'une décision administrative qui sont
beaucoup plus rares.
Ces mises en demeure se multiplient. Par exemple, depuis la loi du 17 janvier 2002 de
modernisation sociale, il existe une mise en demeure préalable à l'édiction d'une décision
administrative dans l'hypothèse d'un contrat d'apprentissage.
Par ailleurs, d'autres mises en demeure prévues par le législateur sont susceptibles d'être mises
en œuvre par les directeurs départementaux du travail, de l'emploi et de la formation
professionnelle.
Enfin, il convient de rappeler qu'il existe des mises en demeure spontanément émises.
Effectivement, l'autorité administrative a toujours la possibilité, même en dehors de tout texte l'y
autorisant expressément, d'adresser des mises en demeure, des injonctions, des mises en garde ou
des avertissements aux administrés.
2 / S A I S I N E D U J U G E D E S R E F E R E S E T A R R E T T E M P O R A I R E D E T R A V A U X
De manière plus coercitive, l'IT peut aussi saisir le juge des référés ou prononcer un arrêt
temporaire de travaux dans l'optique de régularisation.
Effectivement, l'inspecteur du travail dispose du pouvoir de saisine du juge des référés
principalement dans trois hypothèses :
Il peut saisir le juge des référés d'un référé hygiène et sécurité (article 4732-1 C. trav.) et ce,
notamment dans le cas où il constate un risque sérieux d'atteinte à l'intégrité physique des
travailleurs résultant de l'inobservation des règles de santé et de sécurité applicables dans
l'entreprise. L'exercice de ce référé permettra à l'inspecteur du travail de solliciter du juge toutes
les mesures qu'il juge utiles telles que l'immobilisation ou encore la saisie du matériel, des
machines etc.
9 Le contentieux pénal du travail
L'inspecteur du travail peut aussi saisir le juge des référés d'un référé accident du travail (art
L4741-11 C. trav.) Ce référé peut intervenir dans une situation bien particulière, à savoir, la
situation dans laquelle suite à la réalisation d'un accident du travail, il revient à l'entreprise de
prendre toutes les mesures nécessaires afin de rétablir des conditions normales d'hygiène et de
sécurité du travail. Elle devra présenter un plan de réalisation de ces mesures. Dans le cadre du
contrôle de l'exécution de ce plan, l'inspecteur du travail pourra solliciter du juge la fermeture
partielle ou totale de l'établissement pendant le temps nécessaire.
Enfin, l'inspecteur du travail pourra saisir le juge des référés d'un référé repos dominical (art.
L3132-31) qui est prévu lorsqu'est constaté l'emploi illicite de salarié le dimanche.
Pour finir, le Code du travail confère à l'inspecteur du travail le droit de décider de l'arrêt
temporaire de travaux, d'activités ou de la fermeture d'établissement (art.L4731-1). L'inspecteur du
travail peut user de ce droit dans l'hypothèse où les salariés sont exposés à une situation de danger
grave et imminent pour leur vie ou pour leur santé. Par exemple, dans le cas d'un défaut de
protection contre les chutes de hauteur.
S'il ne faut toutefois pas perdre de vue que ces mesures sont parfois parallèles à la constatation
des infractions, il est évident qu'elles participent à « filtrer » considérablement l'engagement de
poursuites pénales. Le rôle de l'inspecteur du travail n'est toutefois pas la seule cause de la faiblesse
quantitative du contentieux pénal du travail.
B – LES TEMPERAMENTS CIVIL ET ADMINISTRATIF A L 'ACTION DU JUGE
REPRESSIF
1 – LE DROIT D 'OPTION DE LA VICTIME
Il s'agit ici de rappeler que l'action civile de la victime n'est pas nécessairement exercée devant
les juridictions répressives. En effet, la victime d'une infraction dispose d'un droit d'option qui lui
permet de choisir d'exercer l'action civile devant les juridictions civiles ou répressives. Ce droit
d'option découle des articles 3 et 4 du Code de procédure pénale.
Selon l'article 3 du C.P.C. : « l'action civile peut être exercée en même temps que l'action
publique et devant la même juridiction ».
Selon l'article 4 du C.P.C. : « l'action civile peut être aussi exercée séparément de l'action
publique ».
Cette possibilité se justifie par la nature de l'action qui est une action en réparation d'un
dommage de caractère privé.
Autrement dit, il n'est pas certain que la victime joindra son action civile à l'action publique
exercée par le ministère public. D'autant plus qu'on observe une tendance à l'exercice de l'action
civile de la victime devant la juridiction civile (notamment pour des raisons d'aménagement de la
preuve). Ainsi, une partie du contentieux pénal du travail échappe à la juridiction répressive.
Toutefois, au regard de l'article 4 du Code de procédure civile (CPC), il nous apparaît que
l'autorité de la juridiction répressive soit largement maintenue. En effet, l'alinéa 2 de l'article 4 du
CPC dispose qu’ « il est sursis au jugement de cette action exercée devant la juridiction civile tant
qu'il n'est pas prononcé définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en
10 Le contentieux pénal du travail
mouvement ». Il s'agit ici de l'application du principe de l'autorité sur le civil de la chose jugée au
pénal. Le juge civil doit nécessairement surseoir à statuer, ce qui correspond au corollaire du
principe selon lequel « le criminel tient le civil en l'état ».
Par exemple, à l'appui d'un licenciement, un employeur argue de faits de harcèlement sexuel. Si
ladite discrimination sexuelle n'est pas retenue au pénal, la juridiction civile devra en tenir compte
pour rendre son jugement.
Mais plusieurs critiques ont porté sur la lenteur provoquée par ce sursis à statuer. Ainsi, une
réforme est intervenue par la loi du 5 mars 2007. Désormais, l'article 4 alinéa 3 du C.P.C. dispose
que : « La mise en mouvement de l'action publique n'impose pas la suspension du jugement des
autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu'elles soient, même si la
décision à intervenir au pénal est susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence
sur la solution du procès civil ». Autrement dit, désormais, le sursis à statuer n'est plus automatique
mais uniquement facultatif.
Il faut en conclure que l'autorité de la juridiction répressive est largement ébranlée. L'action
civile de la victime devant la juridiction civile constitue donc bien un tempérament à l'action du
juge répressif en ce qu'il se voit « amputé » d'une partie du contentieux portant pourtant sur la
même infraction.
2 – LES ALTERNATIVES ADMINISTRATIVES AU PROCES PENAL
a – L'essor des sanctions administratives et financières
Ces dernières années, il a été de plus en plus question de rechercher des alternatives à la
sanction pénale. On observe notamment aujourd'hui une augmentation considérable des sanctions
administratives et financières qui sont particulièrement efficaces, sans doute parfois même plus
efficaces que les sanctions pénales.
Selon le Conseil d'État, une sanction administrative est « une décision unilatérale prise par une
autorité administrative agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique ». Et il ajoute
que cette décision « inflige une peine sanctionnant une infraction aux lois et règlements »16
.
Il est inutile de préciser qu'il existe une pléiade de sanctions administratives. On peut toutefois,
à titre indicatif, en rappeler quelques-unes :
Par exemple, E N M A T I E R E D E R E G L E M E N T A T I O N D U T R A V A I L et plus
précisément concernant les sanctions afférentes aux conditions de travail, il existe le retrait
de l'autorisation d'emploi des mineurs de moins de 16 ans ou encore les sanctions
applicables en matière de durée du travail. Et concernant l'hygiène et la sécurité, il existe
notamment la sanction de retrait de l'agrément des organismes compétents en matière de
substances et préparations dangereuses.
Par exemple, E N M A T I E R E D E P L A C E M E N T E T D ' E M P L O I , et plus précisément
concernant les sanctions qui concernent le service public du placement, il existe la sanction
de radiation de la liste des demandeurs d'emploi. Ou encore, concernant l'emploi de
16
Les pouvoirs de l'administration dans le domaine des sanctions, Les études du Conseil d'État, la Documentation
française, 1995
11 Le contentieux pénal du travail
certaines catégories de travailleurs, la sanction de pénalité pour non-respect de l'obligation
d'emploi de travailleurs handicapés.
Depuis environ quinze ans, et en particulier avec la création des autorités administratives
indépendantes (AAI), de nombreuses sanctions administratives ont été créées. Ce développement
procède d'un choix des pouvoirs publics.
Deux autorités administratives indépendantes, la CNIL et la HALDE (devenue depuis le 1er
mai 2011, le Défenseur des Droits), disposent d'un important pouvoir de sanction.
En effet, la CNIL (Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés), créée par la loi du
6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, peut, en cas de manquement
sérieux au respect de ladite loi (modifiée en 2004), prononcer des sanctions administratives ou
financières particulièrement efficaces. A titre indicatif, son pouvoir de sanction s'échelonne : il peut
simplement s'agir d'adresser des avertissements et des mises en demeure de faire cesser un
manquement à la loi, mais cela peut aussi passer par une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à
300.000€ et aller jusqu'à une dénonciation au parquet des infractions dont elle a connaissance. A ce
titre, la CNIL édite par ailleurs chaque année un « Guide pour les employeurs et salariés » afin
d'informer ces derniers de leurs libertés mais aussi de leurs responsabilités.
La HALDE (Haute Autorité de Lutte contre la Discrimination et pour l'Égalité) devenue le
Défenseur des Droits par une loi organique du 29 mars 2011, a pour mission de lutter contre les
discriminations prohibées par la loi, et ce, y compris au travail. A ce titre, l'échelle de ses sanctions
va d'une simple recommandation au mis en cause, passe par la médiation ou la sanction pécuniaire
(pouvant aller jusqu'à 15000€ pour une personne morale), et peut conduire jusqu'à une transmission
au procureur de la République. Toutefois, il ne faut pas oublier que l'une des missions de la HALDE
est aussi d'identifier et de promouvoir les bonnes pratiques et ce, par le biais de testings, avis et
recommandations. La sanction est donc loin d'être immédiate.
b – Les raisons de cet essor
D'après le Conseil d'Etat, le développement des sanctions administratives « est bien plus le
résultat d'une prise en compte des nécessités pratiques (notamment du nécessaire désencombrement
des tribunaux judiciaires) que d'une réflexion théorique »17
. De manière plus globale, trois raisons
sont traditionnellement avancées pour justifier de l'importance de ce succès. Ces trois raisons
témoignent d'une tendance à préférer l'application de la sanction administrative plutôt que celle de
la sanction pénale.
Tout d'abord, et il faut bien l'admettre, cet essor s'est fait parallèlement à une véritable nécessité
de désencombrement des tribunaux judiciaires.
Il a été ensuite question d'efficacité. En effet, si prima facie la sanction pénale semble efficace,
il apparaît à terme que la sanction administrative est beaucoup plus efficace quant à son pouvoir de
répression. En effet, selon J. MICHEL18
, « la lenteur des procédures judiciaires finirait par priver
17
Les pouvoirs de l'administration dans le domaine des sanctions, Les études du Conseil d'Etat, la Documentation
française, 1995
18 Jean MICHEL, Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail (Tome I), La Documentation
française
12 Le contentieux pénal du travail
la sanction pénale de tout effet dissuasif ». Selon lui, cette lenteur favoriserait le maintien de la
situation irrégulière – le contrevenant étant susceptible de profiter de la longueur du procès pénal.
Cette lenteur découle de ce que la sanction pénale est subordonnée aux poursuites exercées par le
procureur de la République et à la condamnation prononcée par les juridictions répressives. A
l'inverse, la sanction administrative en appelle à une certaine célérité. Effectivement, contrairement
à la sanction pénale, la sanction administrative est mise en œuvre par l'Administration directement
après la constatation de la violation de son obligation par l'employeur.
De plus, elle est efficace en ce qu'elle possède un caractère préventif plus efficient que celui de
la sanction pénale. Effectivement, la rapidité de l'intervention de la sanction administrative peut se
révéler bien plus dissuasive que l'application des sanctions pénales – beaucoup plus lente et donc
risquant de laisser perdurer une situation illégale plus longtemps. Ainsi, la sanction administrative
tend à favoriser le retour à une situation régulière le plus rapidement possible. D'autant plus que ces
sanctions ont un caractère exécutoire, c'est-à-dire que le recours dirigé contre elle, n'est en principe,
pas suspensif. Leurs effets sont immédiats.
Enfin, il a été avancé que ces sanctions administratives étaient plus adaptées aux domaines
techniques du droit du travail que les sanctions pénales. En ce sens, le Conseil d'Etat a souligné
l'inadaptation régulière des sanctions pénales aux infractions commises en ajoutant que « la
répression administrative trouve parfois une légitimité dans la compétence technique de l'autorité
qui la prononce. L'appréciation de l'infraction implique parfois des connaissances juridiques et
techniques »19
. J. MICHEL, quant à lui, ajoute à cette maîtrise, la connaissance certaine de
l'Administration du milieu professionnel et de l'entreprise.
Par exemple, il semble légitime que ce soit l'inspecteur du travail qui décide de l'arrêt d'un
chantier, ce dernier étant plus à même de déterminer sur le terrain s'il y a bien dommage grave et
imminent. Notamment, il faut souligner que les juridictions répressives sont le plus souvent
confrontées aux infractions de droit commun. Ce qui selon le Conseil d'État peut avoir pour
conséquence qu'elles négligent « de sanctionner des infractions à [qu'elles leur appliquent] des
sanctions mal ajustées ».
Le développement de ces sanctions pose la question de l'articulation avec les sanctions pénales –
ici, les pouvoirs publics peuvent :
Soit instituer une sanction administrative exclusive de toute autre sanction pénale (J.
MICHEL parle du « régime exclusif de sanctions administratives »).
Soit doubler les sanctions pénales de sanctions administratives et ce, afin de renforcer
l'action répressive (J. MICHEL parle de « régime de coexistence de sanctions
administratives et pénales »).
Enfin, l'essor des sanctions administratives pose la question de la « dépénalisation ».
Effectivement, selon Jacques RIBS et Rémy SCHWARTZ, « le succès des sanctions
administratives et leur multiplication s'explique par le souci d'éviter une pénalisation excessive de
19
Les pouvoirs de l'administration dans le domaine des sanctions, Les études du Conseil d'Etat, la Documentation
française, 1995
13 Le contentieux pénal du travail
la société »20
. Il ne faut toutefois pas en déduire l'inutilité des sanctions pénales qui font tout de
même preuve d'une certaine efficacité sur le plan dissuasif et préventif.
De la même manière, il ne faudrait pas hâtivement inférer de la faiblesse quantitative du
contentieux pénal du travail un abandon par le juge répressif de sa vocation à rendre, en matière de
droit du travail, des décisions indéniablement effectives et influentes.
II – UN CONTENTIEUX MARQUANT D ’UN POINT DE VUE
QUALITATIF
Certes, on ne peut pas nier la faiblesse quantitative du contentieux pénal en droit du travail, mais
on ne peut pas non plus négliger sa qualité et ses conséquences sur le droit substantiel de la matière.
En effet, cette constatation est due à plusieurs éléments, dont deux qui sont essentiels et très
distincts, que nous allons traiter dans cette partie. D’une part, l’influence de l’action en justice des
syndicats (A), spécificité du contentieux pénal du travail, est une particularité qui permet d’aboutir à
des résultats convaincants. D’autre part, le contentieux pénal est une source en droit du travail (B), à
travers la jurisprudence de la chambre criminelle, mais aussi grâce à des principes garantis par les
textes et malgré tout enracinés.
A – L’ INFLUENCE DE L ’ACTION EN JUSTICE DES SYNDICATS
Les syndicats sont dotés de la personnalité juridique, leur permettant notamment d’ester en
justice. C’est un droit indispensable pour des organisations créées dans le but de défendre les
intérêts d’autrui, les salariés ou les employeurs. A ce titre, ils bénéficient de prérogatives
particulières : l’action syndicale (1) et l’action de substitution (2).
On notera également que la jurisprudence traite différemment l’action syndicale ouvrière de
l’action syndicale patronale. En effet, cette dernière est « le plus souvent déclarée irrecevable alors
que l’action syndicale ouvrière connait un accueil plus favorable »21
. C’est pour cette raison que
notre attention sera d’avantage portée sur l’action syndicale ouvrière.
1 – S’AGISSANT DE L ’ACTION SYNDICALE : LA DEFENSE DE L ’ INTERET COLLECTIF
L’action syndicale permet à tout syndicat, représentatif ou non, d’agir en justice au nom de
l’intérêt collectif de la profession qu’il représente. Cette faculté leur a été reconnue expressément
dans un arrêt des Chambres réunies du 5 avril 1913. Cette décision marque déjà l’importance de
l’action syndicale car le juge consacre pour la première fois le droit d’agir dans un intérêt collectif à
une personne privée. En effet, l’article L.2132-3 du Code du travail précise que les syndicats
peuvent « devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile
concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession
qu’ils représentent ». Par conséquent, les syndicats peuvent notamment agir devant les juridictions
20
Jacques Ribs et Rémy Schwartz, « L'actualité des sanctions administratives infligées par les autorités
administratives indépendantes » in Gazette du Palais, 28-29 juillet 2000, p.3
21 L’action en justice des syndicats et l’intérêt général, Marc Richevaux, magistrat
14 Le contentieux pénal du travail
pénales « contre tout fait pénalement répréhensible ayant porté atteinte directement ou
indirectement à l’intérêt collectif de la profession »22
.
Ainsi, le syndicat peut agir lorsque l’employeur a commis des faits qui constituent une
infraction, assortie de sanctions pénales. Et pour cela, ils disposent de plusieurs moyens, plus ou
moins efficaces et influents sur le procès pénal :
DEMANDER A L’INSPECTEUR DU TRAVAIL DE DRESSER UN PROCES-VERBAL et insister pour
qu’il le transmette au Parquet. En effet, on a vu qu’il existait des alternatives au procès-
verbal, seulement si le syndicat est partie, il peut exercer une pression sur l’inspecteur du
travail qui estimera que l’action en justice sur tels faits est utile.
PORTER PLAINTE PAR LETTRE SIMPLE AUPRES DU PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE qui n’est pas
obligé de poursuivre.
PORTER PLAINTE AVEC CONSTITUTION DE PARTIE CIVILE, qui oblige ici, le juge à ouvrir une
instruction, mais celle-ci peut aboutir à un non-lieu.
SE CONSTITUER PARTIE CIVILE PAR VOIE D’INTERVENTION, au cours de l’instruction, alors que
l’action publique a déjà été intentée par le ministère public.
CITER DIRECTEMENT L’EMPLOYEUR RESPONSABLE PAR HUISSIER DEVANT LA JURIDICTION
REPRESSIVE, ce qui met en mouvement l’action publique et oblige le tribunal répressif à
juger l’employeur.
Tous ces moyens montrent l’importance que peut avoir une action en justice du syndicat,
notamment à travers la constitution de partie civile par voie d’intervention et la citation directe,
que privilégient les syndicats.
Par ailleurs, l’intérêt collectif que doivent invoquer les syndicats se distingue de l’intérêt général
dont la défense revient au ministère public. Pourtant, la distinction n’est pas toujours évidente, car
la jurisprudence admet favorablement qu’il existe un intérêt collectif à agir, surtout pour les
syndicats ouvriers mais sa position est plus sévère pour l’action syndicale patronale.
De plus, le préjudice peut être seulement indirect, et il est le plus souvent moral. Il suffit alors
d’invoquer que les faits portent atteinte aux intérêts des salariés visés. Si l’on compare avec l’action
en justice du comité d’entreprise, qui détient aussi la personnalité juridique, il doit démontrer un
préjudice direct et personnel, et se heurte ainsi à une irrecevabilité lorsqu’il se constitue partie civile
pour défaut de consultation.
Également, l’ensemble des salariés visés peut être considérablement élargi si c’est une union
syndicale qui agit, car elle représente plusieurs professions. Tous ces éléments constituent des
spécificités du contentieux pénal en droit du travail, et sont perceptibles en jurisprudence.
En outre, si l’on scrute la jurisprudence de la Chambre criminelle portant sur la constitution de
partie civile des syndicats ouvriers, on peut analyser certains cas intéressants du point de vue de la
distinction entre intérêt collectif et intérêt général, notamment lorsque les salariés sont victimes de
violences.
22
Hypercours Droit du Travail 2012 ; Elsa Peskine et Cyril Wolmark.
15 Le contentieux pénal du travail
Dans un arrêt du 22 mai 198623
, le juge répressif considère que si « les violences exercées à
l’encontre d’un journaliste sont directement liées à son activité professionnelle dont elles tendent à
empêcher le libre exercice », il y a une atteinte à l’intérêt collectif de la profession journalistique.
Et plus encore, dans un arrêt du 15 février 199424
, la Haute juridiction soutient la position des
juges du fond qui accueillent la demande de trois syndicats constitués parties civiles après avoir
constaté notamment « qu'il existe, indépendamment des préjudices subis individuellement par
chacune des victimes de violences, et du trouble porté à l'ordre public dont le procureur de la
République a pour mission d'assurer la défense, un préjudice collectif commun à l'ensemble du
personnel de l'entreprise, résultant des graves désordres créés par les prévenus ». La Cour d’appel
explique ainsi « qu'à travers les violences individuelles ne s'expliquant par aucun motif d'ordre
personnel, c'est la collectivité de travail toute entière qui se trouvait menacée objectivement par
l'intervention d'un véritable groupe de combat ». Les juges considèrent que la demande est
recevable mais la rejettent sur son bienfondé, car elle avait pour objet l’indemnisation de dommages
corporels volontaires.
De même, en matière de blessures ou d’homicide involontaire, les syndicats, constitués partie
civile, sont déboutés si les fais en cause ne portent pas atteinte, « par eux-mêmes » à l’intérêt
collectif de la profession25
. Les faits doivent alors mettre en cause la sécurité des travailleurs,
comme l’affirment des arrêts de 198026
.
Au vu de ces arrêts, on pourrait croire que l’action syndicale n’est pas si efficace au profit des
salariés mais il faut bien voir que le juge tente de cantonner un minimum l’intérêt collectif, et il
dégage malgré tout un concept, la mise en cause de la sécurité des travailleurs, qui laisse une large
ouverture aux syndicats.
Ainsi, dans un arrêt du 11 octobre 200527
, la Chambre criminelle juge que « c'est à bon droit
que la chambre de l'instruction a déclaré recevables les constitutions de partie civile de
plusieurs syndicats de salariés dès lors que les manquements, constitutifs des infractions
poursuivies, ont pu compromettre la sécurité des travailleurs et causer ainsi un préjudice aux
intérêts collectifs des professions représentées par ces syndicats, sans qu'il soit nécessaire qu'un
des salariés représentés par ces syndicats ait subi un préjudice direct et personnel ». Cet arrêt fut
rendu suite à l’effondrement du terminal 2E de l’aérogare de Roissy et il précise bien que la
recevabilité de l’action du syndicat ne se fonde pas sur les préjudices directs et personnels subis par
les salariés mais bien sur les nombreux salariés défendus, qui traversaient chaque jour la structure.
Par conséquent, le juge peut tirer d’un préjudice personnel une atteinte à une profession entière,
comme en 1986, mais aussi refuser une telle interprétation et prendre plutôt en compte le nombre de
salariés représentés et exposés au même titre que l’un d’eux qui a subi le préjudice personnellement
(2005). Toutefois, s’agissant du harcèlement sexuel ou moral, et faits constitutifs de viol, le syndicat
23
Cass., Crim., 22 mai 1986
24 Cass., Crim., 15 février 1994
25 Cass., Crim., 10 mai 2011 n° 10-84.037
26 Notamment, Cass., Crim., 3 décembre 1981 n° 80-94.038
27 Cass., Crim., 11 octobre 2005 n° 05-82.414
16 Le contentieux pénal du travail
n’est pas autorisé à exercer les droits réservés à la partie civile, selon un arrêt de la Chambre
criminelle du 23 janvier 2002.
Le contentieux pénal du travail est alors assez riche d’actions formées par les syndicats devant
les tribunaux répressifs. Ces actions sont assez largement accueillies grâce à l’appréciation large de
l’intérêt collectif faite par un juge pénal compréhensif, et la loi qui dispose seulement de « faits ».
Or, ceci atteste la qualité du contentieux pénal car la partie faible reçoit un véritable soutien que ne
peut pas ignorer le juge, donc la solution se rapprochera éventuellement, plus de l’égalité, que de
l’équité, face à l’employeur. De plus, l’impact de ces décisions sur le contentieux pénal peut aussi
faire réagir la société, les autorités, car le syndicat, au rayonnement plus ou moins important, tentera
de frapper fort sur la scène publique. En effet, les actions de masse soutenues par le syndicat,
permettent de rendre compte que le contentieux pénal en droit du travail est utile, efficace, surtout
lorsque le procès est médiatisé, une médiatisation qui touche le plus souvent le procès pénal. Et dès
lors que l’intérêt collectif est atteint, c’est un préjudice reconnu à toute la profession, donc un vrai
poids supplémentaire à supporter pour l’employeur.
Néanmoins, on l’a vu, la demande est parfois rejetée, faute d’intérêt collectif suffisant aux yeux
des juges. Mais ce problème ne se pose plus lorsque le syndicat plaide directement pour les intérêts
individuels des salariés, par le biais de l’action de substitution.
2 – S’AGISSANT DE L ’ACTION DE SUBSTITUTION : LA DEFENSE DE L ’ INTERET
INDIVIDUEL
Selon le principe en procédure civile, « nul ne plaide procureur ». En effet, l’action de
substitution constitue une exception à ce dernier car le syndicat peut agir au nom des intérêts
individuels du salarié ayant subi le préjudice, ce qui constitue aussi une spécificité du contentieux
pénal. Cette faculté n’est pas générale mais limitée à des cas expressément prévus par la loi,
comme par exemple, lorsque le salarié est licencié pour motif économique. Mais ces cas se sont
multipliés et sont aujourd’hui nombreux.
On peut notamment remarquer les actions relatives à un harcèlement moral ou sexuel, que peut
exercer le syndicat en substitution du salarié victime. Cette action est prévue à l’article L1154-2 du
Code du travail qui dispose que « Les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise
peuvent exercer en justice toutes les actions résultant des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-
1 à L. 1153-4 ». Et, en vertu de l’alinéa 2 du même article, le syndicat peut agir ainsi « sous réserve
de justifier d’un accord écrit de l’intéressé (le salarié) ».
Donc, l’action de substitution se retrouve, en quelques sortes, « remède » à l’irrecevabilité d’une
action en défense de l’intérêt collectif à propos de harcèlements, moral et sexuel. En effet, même
s’il s’agit ici de défendre un intérêt individuel et non collectif, faire droit à la demande du syndicat
agissant en substitution a un impact sur le contentieux, dans la mesure où la portée des arrêts qui
avaient rejeté l’action au nom de l’intérêt collectif se trouve limitée aujourd’hui. Le champ d’action
des syndicats se nourri des biens fondé des actions en substitution, pour s’élargir, se diversifier.
Et pour exemple, la portée de l’arrêt du 23 janvier 2002 paraît limitée depuis la loi du 17 janvier
2002 et la loi du 1er mai 2008 (qui abroge et réforme cette disposition), qui consacrent cette faculté
dans le Code du travail. Dans cet arrêt, le juge déboutait les syndicats de leur demande relative à un
harcèlement sexuel (viol) au nom de l’intérêt collectif, ce dernier n’étant pas atteint directement ou
17 Le contentieux pénal du travail
indirectement. Mais avec cette action de substitution, le syndicat trouve intérêt à agir. Cette solution
ne vaut alors que dans le cas où le salarié n’a pas donné son accord (écrit). Le champ d’action du
syndicat se trouve limité dans ce seul dernier cas.
De plus, le syndicat doit être représentatif pour exercer une action de substitution. Or, la loi du
20 aout 2008 renforce la légitimité des syndicats en modifiant les critères de représentativité. Elle
n’est certes plus aussi facile à obtenir car la représentativité présumée est supprimée, mais elle est
un moyen d’être crédible devant le juge, d’autant qu’elle est méritée si elle est obtenue avec les
nouvelles modalités (la période transitoire maintient la présomption de représentativité jusqu’aux
prochaines élections dans l’entreprise). Ainsi, la représentativité peut avoir un poids sur la
recevabilité et le bien-fondé de la demande, le juge peut y être sensible.
Et ce qui est intéressant, est le fait que les syndicats peuvent aussi agir au nom de salariés dont
les professions sont concierges, employés de maison, assistantes maternelles. On peut alors se
demander ce qu’est une organisation syndicale représentative dans l’entreprise dans ces cas. Dans
tous les cas, cette exigence de représentativité témoigne d’une certaine qualité du contentieux en
plus d’une spécificité, car le syndicat sera légitime à agir au nom du salarié victime, le juge y verra
une fiabilité.
Par conséquent, les syndicats disposent d’un droit d’agir extensible au champ d’application
vaste. Dans la plupart des cas, ils vont agir au nom de l’intérêt collectif, ce qui va avoir un résultat
retentissant si la demande est accueillie. Sinon, ils peuvent agir en substitution du salarié victime
personnellement. Ce qu’il faut retenir est donc la force de cet acteur dans le contentieux pénal du
travail. Il dispose vraiment de deux actions différentes pour obtenir un résultat persuasif, à prendre
en compte dans la société actuelle. Et le contentieux pénal, qui témoigne notamment d’une
tolérance envers l’intérêt collectif, a acquis une valeur, une vertu en droit du travail, qui en fait sa
qualité. C’est en ce sens que l’on peut ériger ce contentieux en source de la matière.
B – LE CONTENTIEUX PENAL ERIGE EN SOURCE DE DROIT DU
TRAVAIL
On sait que le contentieux social est éclaté, et que le contentieux pénal en est une partie. Mais
on constate aussi que cet éclatement n’est pas synonyme de désordre et que le contentieux pénal du
travail, bien que faible quantitativement, peut faire preuve de qualité, qualité permise par le principe
d’autorité du pénal sur le civil (1) d’une part, et qualité que l’on retrouve d’autre part dans la
jurisprudence de la Chambre criminelle à travers son rôle « moteur » en droit du travail (2).
1 – LA GARANTIE DU PRINCIPE D ’AUTORITE DU PENAL SUR LE CIVIL
Ce principe a déjà été évoqué un peu plus haut dans nos développements mais il convient de le
réexaminer ici pour expliquer en quoi il constitue une garantie de la qualité du contentieux pénal du
travail. Le principe général d’autorité du pénal sur le civil présente deux aspects (distincts selon la
doctrine).
Le premier est l’affirmation de la primauté du juge pénal sur le juge civil qui oblige ce dernier à
surseoir à statuer lorsque le juge répressif est saisi. Il découle de l’article 4 alinéa 2 du Code de
procédure pénal. On dit alors que « le criminel tient le civil en l’état ».
18 Le contentieux pénal du travail
Le second aspect correspond à l’autorité absolue de la chose jugée au pénal sur le civil, qui
interdit au juge civil de remettre en question ce qui a été jugé au pénal sur des faits qui sont
identiques au civil, renversant alors la cohérence des deux jugements. Il fut affirmé par la Cour de
cassation, notamment dans un arrêt du 7 mars 1855, mais n’est consacré par aucun texte législatif.
Ce principe tient à une raison d’ordre public. En effet, selon M. de Gouttes, avocat général (dans ses
conclusions liées à l’arrêt de chambre mixte du 10 octobre 2008, affaire dite « Buffalo Grill »), il
s’agit « (d’) éviter qu’une juridiction civile (puisse) contredire un jugement répressif dans lequel
s’imprime une vérité publique, et dont la remise en cause pourrait susciter dans le peuple, au nom
duquel la justice est rendue, un doute sur la justice et son autorité ». Ce principe, dans ce second
aspect, est affirmé de manière constante par la Cour de cassation.
Si l’on reprend, de manière générale, ce principe d’autorité de la chose jugée par le criminel sur
le civil, le juge social ne doit pas méconnaitre ce qui a été jugé au pénal. Par conséquent, si un
salarié accusé de vol est relaxé au pénal, la chambre sociale ne peut pas juger que le licenciement a
une cause réelle et sérieuse liée à une perte de confiance de l’employeur, ce qui fut le contexte d’un
arrêt du 18 avril 199128
. De même, dans un arrêt du 27 mars 200129
, si une société est condamnée
pour travail clandestin, elle ne peut pas contester un éventuel contrat de travail devant le juge social,
impliquant nécessairement son existence.
Ainsi, ce principe avait pour corollaire l’obligation pour le juge civil de surseoir à statuer,
premier aspect du principe que l’on a évoqué pour reprendre l’avis de la doctrine.
Les nécessités et les conséquences de la réforme du 5 mars 2007 ont déjà été exposées (cf. I. B.
1.). Par conséquent, le juge civil dispose d’une faculté de surseoir à statuer, en raison de dérives
explicitées ci-dessus. Mais il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, un pouvoir d’opportunité car on
comprend bien l’utilité de ce principe qui constitue tout de même une garantie. La nécessité de
cohérence dans le contentieux social est prépondérante. Lorsque le juge civil décide ou non de faire
droit à la demande, il faut que sa solution soit conforme à la responsabilité pénale qui pèse ou non
sur les parties. Ce principe constitue donc une garantie de la qualité du contentieux pénal dans le
sens ou les décisions qu’il recouvre priment, et guident le juge social car contrairement à ce dernier
(et plus généralement au juge civil), le juge pénal « ne tranche pas le litige au vu des éléments qui
lui sont soumis par les parties mais conduit le procès et dispose de pouvoirs quant à la recherche
des preuves »30
.
En conséquence du développement précédent, le juge pénal doit interpréter le droit du travail
lorsqu’une question de fond lui est soumise, qui conditionne l’issue du litige en général. On
constate alors le rôle « moteur » de la jurisprudence de la chambre criminelle en droit du travail.
2 – LA JURISPRUDENCE DE L A CHAMBRE CRIMINELLE ET SON ROLE « MOTEUR »
EN DROIT DU TRAVAIL
a – Un apport normatif impliquant une interaction des jurisprudences
28
n°89-45069
29 n°98-45429
30 Semaine sociale Lamy, supplément 13 Paradoxes du droit du travail
19 Le contentieux pénal du travail
On peut constater un aspect normatif de la jurisprudence pénale par rapport au contentieux
social en général en raison de l’interprétation par le juge pénal du droit du travail, et qui a conduit
ce dernier à l’ériger en « véritable source de droit du travail », comme le soulignent Alain Coeuret
(ancien conseiller à la chambre sociale de la Cour de cassation) et Elisabeth Fortis (Professeur à
l’université de Cergy-Pontoise).
En effet, cette influence de la jurisprudence pénale est surtout visible dans les années 1970, car
elle instaure à cette époque de nouvelles règles que la chambre sociale que la Cour de cassation va
reprendre, ou qui vont même influencer le juge administratif, et plus encore qui vont être reprises et
consacrées par le législateur.
Au titre de l’interaction de la jurisprudence pénale avec la jurisprudence administrative et des
consécrations législatives, on peut prendre comme exemple le principe de non-discrimination en
droit du travail posé par la chambre criminelle dans un arrêt du 10 décembre 1970, Pierre
Fleurence c. / Aciéries du Forez. En l’espèce, ce principe s’appliquait à un délégué syndical qui
avait subi des pressions et des humiliations de la part de ses supérieures hiérarchiques. Or, dans son
arrêt du 5 mai 1976 SAFER d’Auvergne et ministre de l’agriculture c. / Bernette, le Conseil d'État
reprend ce principe pour l’appliquer au contrôle par le juge administratif de la procédure de
licenciement d’un représentant du personnel, et lui impose de vérifier que ce dernier n’est pas lié
avec « les fonctions représentatives normalement exercées ou avec l’appartenance syndicale » du
salarié. Le législateur a d’ailleurs tenu compte de ces jurisprudences et l’a consacré dans le code du
travail à l’article 1132-1.
On peut aussi citer l’arrêt du 14 février 1978, ou la chambre criminelle écarte le principe de
légalité de l’infraction et de la sanction pénale, pour consacrer le principe selon lequel, pour
reprendre les termes de J. PRADEL « les obligations nées d’un accord ont la même valeur que les
obligations fondées sur la loi ». Et ainsi, l’employeur est condamné pour délit d’entrave fondé sur la
méconnaissance d’une « obligation conventionnelle surajoutée à une obligation légale elle-même
pénalement sanctionnée ». Or, une loi du 13 novembre 1982 va instaurer ce principe dans le code
du travail, aujourd’hui présent à l’article L.2263-1.
En outre, la jurisprudence pénale et les principes qu’elle pose ont fortement influencé la
chambre sociale à bien des égards. A titre d’exemple très marquant, il y a l’arrêt du 23 avril 1970
Etablissements Herriau qui est à l’origine du concept d’Unité Économique et Sociale (UES). En
effet, le juge pénal constate le mécanisme d’entreprises distinctes créant une nouvelle entité chargée
de la gestion du personnel. Et il dégage plus ou moins le concept pour éviter des fraudes des
employeurs qui ne voulaient pas réorganiser des élections professionnelles. Sauf que la chambre
sociale reprend le mécanisme en retenant essentiellement que l’UES est un cadre d’élections
professionnelles, et préconisant alors le critère fonctionnel pour mettre en place ce groupement.
Puis, la loi Auroux du 28 octobre 1982 introduisit l’UES dans le code du travail, aujourd’hui
présente à l’article L2322-4. La chambre sociale va même plus loin dans un arrêt du 2 juin 2004 en
considérant que « Si la reconnaissance de l'existence de l'unité économique et sociale peut être liée
à l'action tendant à la mise en place de la représentation institutionnelle dans l'entreprise, les
parties intéressées peuvent également agir directement en reconnaissance de l'unité économique et
sociale avant la mise en place des institutions représentatives ». Ainsi, d’un arrêt de la chambre
criminelle, est imaginée une notion, dont le régime est ensuite construit par la chambre sociale, sans
20 Le contentieux pénal du travail
oublier qu’encore une fois, le législateur a tenu compte de l’initiative du juge, pénal en l’espèce, et
de l’évolution jurisprudentielle.
On note également que le droit du travail s’inspire de principes de droit pénal, notamment pour
ce qui est du disciplinaire. Ainsi, le principe de légalité des délits et des peines trouve à s’appliquer
dans la matière, comme le montre un arrêt du 26 octobre 2010 qui interdit à l’employeur de
prononcer une sanction alors qu’elle n’est pas prévue par le règlement intérieur de l’entreprise.
Également, dans un arrêt du 17 décembre 1996, l’employeur est tenu d’individualiser la sanction, et
de ne pas prononcer la même pour tous les salariés participant à un mouvement de grève illicite, le
principe d’individualisation des peines se retrouve ici.
Par conséquent, avec tous ces exemples, on peut relever la qualité du contentieux pénal du
travail. En effet, les juridictions s’inspirent de la jurisprudence pénale, pour l’appliquer directement
dans leurs affaires. C’est bien que les décisions du juge pénal font preuve de qualité, dans la mesure
où il propose de vraies solutions à des problèmes généraux, comme le cas de l’UES ou les
discriminations en entreprise, qui concernent toutes les juridictions administratives et civiles. Et
plus qu’un symbole, une véritable reconnaissance qualitative est apportée par le législateur qui
intervient et consacre dans le code du travail les solutions de la chambre criminelle. La qualité du
contentieux pénal peut aussi être perçue d’une autre manière lorsque la chambre criminelle choisit
elle aussi de modifier sa jurisprudence et de suivre la chambre sociale, signe de connivence et
« d’entraide ». On citera simplement le revirement du 11 décembre 2004, ou le juge répressif
reconnait que « le salarié qui, pour assurer sa défense, produisait des photocopies de documents
appartenant à l’employeur ne se rendait pas coupable d’un vol » comme le souligne Marie-France
Mazars (conseiller doyen à la chambre sociale de la Cour de cassation).
Si la jurisprudence pénale est marquante au niveau de sa qualité lorsqu’elle interagi avec
d’autres corps juridiques, il convient enfin de voir que son impact au niveau de la société, et le rôle
essentiel du juge pénal dans le respect du droit du travail.
b – Le rôle essentiel des juridictions répressives dans le respect du
droit du travail
Il faut achever notre développement en parlant du rôle essentiel tenu par le juge pénal dans
l’application du droit du travail mais en commençant d’abord par l’impact de ces décisions dans le
monde juridique. A ce titre, il existe un exemple assez significatif. Dans un arrêt du 11 décembre
2001, la chambre criminelle considérait que « le fait de s’occuper des tâches ménagères et des
enfants pendant la totalité de la journée ne saurait constituer à lui seul des conditions de travail
incompatibles avec la dignité humaine » ainsi que « le fait de ne pas avoir réservé d’espace
personnel à la salariée ne caractérise pas un hébergement contraire à la dignité humaine ». Sa
solution est très sévère et son regard sur la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH)
est très distant. Et par conséquent, la Cour Européenne des Droits de l’Homme est intervenue et a
condamné la France pour « esclavage moderne » si l’on peut dire. Mais ce qu’il faut retenir ici,
c’est que l’impact n’aurait pas été le même si le conseil des prud’hommes avait été saisi des faits : il
n’aurait pu qu’allouer une indemnisation.
En outre, le juge pénal eut un rôle prédominant dans la prise de conscience générale d’une
responsabilité pénale de l’employeur, notamment en cas d’accident du travail, élément sur lequel
insiste encore Marie-France Mazars. En effet, c’est dans un arrêt du 23 janvier 1979, où le juge ne
21 Le contentieux pénal du travail
condamne pas l’employeur, mais que sont évoqués pour la première fois, les moyens de délégation
de pouvoir et d’obligation de sécurité. La chambre criminelle consacrera ces principes par la suite,
que le législateur reprendra aussi en transposant une directive du 12 juin 1989. La chambre sociale
ira même plus loin dans les arrêts Amiante de 2002 en lui attachant la valeur d’obligation de
résultat.
La chambre criminelle a donc plus d’une fois influencé les autres juridictions et le
législateur. C’est donc également en cela que le contentieux pénal du travail présente une
« qualité ». En revanche, il faut quand même rappeler même si le contentieux pénal du travail éclate
dans le monde juridique, et dans la société en général, un impact de cette nature n’est plus si
fréquent, comme l’a d’ailleurs noté Asli Morin31
. Pourquoi une telle régression ? En raison d’un
mouvement de dépénalisation, issu d’un procès pénal trop lourd, de sanctions importantes qui sont
de moins en moins utilisées en faveur comme nous l’avons vu de sanctions financières ou
administratives.
31
Asli Morin, La convergence des jurisprudence de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat en droit du travail, Du
licenciement et de quelques autres questions, Droit social, mai 2008, p.546
22 Le contentieux pénal du travail
OUVERTURE
VERS UNE DEPENALISATION DU DROIT DU TRAVAIL ?
Déjà ici évoquée, depuis quelques années nous pouvons constater un mouvement de
« dépénalisation » du contentieux pénal du travail. Mais la véritable question est de savoir si cette
dépénalisation de fait constitue-t-elle une dépénalisation de droit.
Est constaté, parmi les auteurs, mais aussi parmi nos dirigeants, une volonté de dépénaliser le
monde des affaires.
Ainsi, G. Levasseur32
explique « les courants doctrinaux de politique criminelle insistent sur la
tâche de « décriminalisation » qui doit être entreprise afin de soulager de sa « mauvaise graisse »
un droit pénal bouffi au point de devenir trop souvent impotent ».
Également, dans la lettre de mission adressée à J-M. Coulon, le garde des Sceaux explique :
« L’un des fondements des sociétés démocratiques est que la loi ne doit édicter que des sanctions
pénales nécessaires et proportionnées. Le droit pénal n’a pas vocation à régler des conflits entre
personnes privées. […] Une pénalisation excessive de la vie économique produit des effets pervers.
Les procédures sont souvent longues. Elles ont souvent un retentissement économique hors de
proportion des faits. […] Ce risque pénal pèse sur l’attractivité économique de la France. »33
Nous constatons cependant, que le rapport remis par J-M. Coulon (en janvier 2008) ne concerne
pas le droit du travail.
La dépénalisation reste donc de fait (de plus en plus de sanctions administratives, et de moins en
moins de contentieux pénal). Mais les chiffres sont encore là pour montrer que certains types
d’infractions méritent encore une répression pénale, notamment en ce qui concerne le travail
illégal : en 2008, 5379 condamnations, dont 2309 à de l’emprisonnement, 3852 à des amendes34
.
Agnès Cerf-Hollender explique35
que la dépénalisation de droit du travail n’est plus à l’ordre du
jour, et plus aussi nécessaire qu’elle l’était il y a quelques temps. En effet, selon elle, la
précarisation du travail, ainsi que les difficultés économiques expliquent « sans nul doute la
nécessité de maintenir, grâce au droit pénal, un ordre public de protection tant des relations
individuelles que des relations collectives de travail. ».
De plus, un autre reproche pourrait-être fait concernant les sanctions administratives de type
« suppression d’aides d’états ». Arnaud Martinon36
rappelle que ces sanctions ne sont pas toujours
dissuasives car ces aides d’états ne touchent pas toutes les entreprises. Il préconise des sanctions
pénales pécuniaires plus importantes que les gains perçus par les entreprises illégalement (par
32
G. Levasseur, « Droit social et pénal »
33 Rapport sur « La dépénalisation de la vie des affaires », Groupe de travail présidé par Jean-Marie Coulon
Premier président honoraire de la cour d’appel de Paris, Remis au garde des Sceaux, Janvier 2008
34 Tableau numéro 6, les condamnations en 2008, http://www.justice.gouv.fr
35 Agnès Cerf-Hollender, Droit pénal du travail
36 Dans La semaine juridique Sociale n°21, 15 novembre 2005, « A propos de la répression du travail illégal ».
23 Le contentieux pénal du travail
fraude et utilisation du travail illégal), et des sanctions administratives de type « majoration des
cotisations sociales ».
Il rappelle également que la sanction pénale a pour avantage la protection des droits de la
défense, ce que ne procurent pas encore suffisamment les sanctions administratives.
24 Le contentieux pénal du travail
ANNEXES :
Source : Justice.gouv.fr
2%
98%
Contraventions de 5e
classe 2005
Travail et sécurité sociale = 1602
Autres contraventions = 92711 1%
99%
Délits 2005
Travail et sécurité sociale = 8220
autres délits = 823302
1%
99%
Contraventions de 5e
classe 2008
Travail et sécurité sociale = 508
Autres contraventions = 53240 1%
99%
Délits 2008
Travail et sécurité sociale = 6835
Autres délits = 571737
11%
79%
3%
6%
1% 0%
Délits du travail et de la
sécurité sociale, 2008 Hygyène et sécurité
= 720
Travail illégal =
5379
Entrave aux
fonctions de l'IT =
222
Fraude aux
prestations ou
cotisations sociales
= 400Entrave à la
représentation des
salariés = 92
3%
93%
2% 2% 0%
Condamnations à de
l'emprisonnement
selon la nature du délit
en 2008 Hygyène et sécurité
= 61
Travaille illégal =
2309
Entrave aux
fonctions de l'IT =
60
Fraude aux
prestations ou
cotisations sociales
= 54*Entrave à la
représentation des
salariés = 4
25 Le contentieux pénal du travail
SOURCES :
Ouvrages et cours:
- Droit pénal du travail, Agnès CERF-HOLLENDER, juillet 2010
- Les sanctions civiles, pénales et administratives en droit du travail (Tome I), Jean MICHEL, La
Documentation française
- Les pouvoirs de l'administration dans le domaine des sanctions, Les études du Conseil d'État, la
Documentation française, 1995
- Droit du travail, Hypercours, édition 2012, Elsa PESKINE et Cyril WOLMARK.
- L’action en justice des syndicats et l’intérêt général, par Marc Richevaux, Magistrat et enseignant à
la Faculté d’Amiens.
- Cours magistral de M. Antoine MAZEAUD
- Cours Magistral de M. Bernard TEYSSIER
- Cours magistral de Mme Carole HARDOUIN-LE GOFF
- Cours magistral de M. Yannick PAGNERRE
- Code du travail 2011
Revues / Doctrine :
- Alain COEURET, « Droit pénal du travail, Généralités », in Juris-Classeur Travail, « 5° Alternatives
au constat de l'infraction »
- In « Espace judiciaire et social européen, Actes du colloque du 5 et 6 novembre 2001, sous la
direction de Georges de Leval et Joël Hubin » ; La compétence d'attribution des juridictions du
travail : le cas français, Daniel BOULMIER
- « L'actualité des sanctions administratives infligées par les autorités administratives indépendantes »,
Jacques RIBS et Rémy SCHWARTZ, in Gazette du Palais, 28-29 juillet 2000, p.3
- Éléments de droit pénal du travail et de procédure pénale, L'action de l'inspection du travail 2009,
Pascal GUINOT, Thomas KAPP, Philippe LAGRANGE, Paul RAMACKERS
- Revue de science criminelle 2000 p. 25, La place du droit pénal dans le droit du travail, Alain
COEURET et Elisabeth FORTIS,
- La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 9, 11 Mars 1993, 226 « Droit pénal du travail » -
Etude par Odile GODARD
- La Semaine Juridique Social n° 5, 2 Février 2010, act. 46 À propos du rapport sur la « Refondation
du droit social » Libres propos par Françoise FAVENNEC-HERY
- La Semaine Juridique Social n° 21, 15 Novembre 2005, 1328 À propos de la répression du travail
illégal, Étude par Arnaud MARTINON
- La Semaine Sociale Lamy, Supplément Paradoxes du droit du travail, n°12 Un contentieux éclaté.
Réflexion sur la dispersion des contentieux pénal et civil. Marie-France MAZARS
- Droit social, mai 2008, p. 546, La convergence des jurisprudences de la Cour de cassation et du
conseil d'État – Du licenciement et de quelques autres questions, Asli MORIN
- Bulletin d’information de la Cour de cassation n°695
Sites Internet:
- http://www.travail-emploi-sante.gouv.fr/
- http://www.cnil.fr/
- http://www.legifrance.gouv.fr/
- http://www.halde.fr/
- http://www.justice.gouv.fr