1 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
2 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Français : La production audiovisuelle a énormément évolué depuis quelques décennies. Après le cinéma et la télévision, c’est aujourd’hui le web qui offre un terrain d’expression aux créateurs de contenus audiovisuels. Un terrain encore fertile et vaste qui promet de nouveaux horizons à un secteur en crise. Au point de se demander si l’avenir n’est pas dans cet espace de liberté que commencent à coloniser certains précurseurs. D’abord amateurs autodidactes puis professionnels avisés, ces prophètes du web dessinent une création native web ambitieuse et qualitative. Ce mémoire propose des interrogations sur l'état actuel du secteur et sur le futur de la production audiovisuelle. Des questionnements d’actualités puisqu’ils rejoignent le mouvement de convergence des supports, connectés et sociales. English : Audiovisual production has evolved enormously in recent decades. After theatre and television, Today the web provides an expression field for creators of audiovisual content. A fertile and vast land that promises new horizons for a sector in crisis. The future is probably in this space of freedom that begin to colonize some precursors. Initially self-taught amateur then aware professional, these prophets of the web start to design a big and qualitative native creative web is. This thesis proposes questions about the actual health and the future of audiovisual production. Topical questions as they join the movement of media convergence, social and connected.
3 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Introduction ---------------------------------------------------------------- p.05 I - Interrogations sur les frontières entre les médias
A - Au cœur du sujet : Le conflit des contenus par leur support --------- p.07
Le recyclage des créations et créateurs du web
Méthodologie de recherche
L'approche difficile des médias classiques par les créateurs du web
Une mauvaise adaptation au support ? B - Les sources de ces collaborations houleuses --------------------------- p.12
Des caractéristiques créatives proches Les modes de consommation de contenus vidéo par l'internaute Le degré d'implication de l'internaute
La qualité initiatrice du succès
L'ajout progressif d'amateurs au secteur professionnel II - Les caractéristiques de la création sur internet
A - La mise en place de « règles » de réussite --------------------- p.18
Les indispensables de la vidéo web
La vidéo native web : des créations amateurs en formation
L'arrivée de plateformes professionnelles dans le laboratoire de
création du web
B - Une liberté esclave du marché --------------------------- p.26
L'origine amateur des créateurs du web
L'autonomie de la création sur internet
L'intrusion de la publicité dans la création web
La complexification du système de création
Une liberté temporelle relative
Des circuits de promotion empruntés par les médias classiques
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III – Participation à la création sur internet
A - L’apport grandissant des internautes dans le financement --------- p.33
Le principe du crowdfunding
Un moyen de financer des projets indépendants
Le détournement des plateformes de financement participatif
L'intelligence émotionnelle de l'internaute
B - Vers un système de financement normalisé --------------------------- p.41
Des professionnels au secours de l'univers créatif connecté
Au delà du financement, des acteurs de la création
Youtube, une participation accru à la création
Des formats publicitaires innovants au centre du modèle
économique
IV – Participation à la diffusion et promotion
A – Le rôle de l'internaute dans la relation entre diffusion, ---------------- p.50
revenu et amateurisme
Comportement de l'internaute face à l'utilisation de la publicité
comme mode de revenu
L'internaute au cœur de la distinction amateur/professionnel dans le
cadre des revenus générés
Utilisation des produits dérivés dans l'industrie du web
Internet, liberté et gratuité
B – La transformation des canaux de diffusion ------------------------ p.56
Des offres foisonnantes, légales et payantes
Les plateformes existantes face à l'exception française
Aperçu de l’offre vidéo de demain Conclusion ---------------------------------------------------------------- p.66 Bibliographie ---------------------------------------------------------------- p.68 Webographie ---------------------------------------------------------------- p.69 Références sites internet -------------------------------------------------------- p.72 Annexes ---------------------------------------------------------------- p.75
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Avec l’implantation progressive du haut débit et la révolution du Web 2.0, l'ancrage
d'une économie participative de l'audiovisuel sur internet est devenu une réalité à ne
pas négliger. L’augmentation des capacités de stockage offertes et la rapidité des
connexions a permis de mettre en ligne des fichiers vidéos lourds. Avec l'arrivée de
l'internet participatif, c'est désormais chaque internaute qui peut librement
communiquer au public ses vidéos. C’est à ce moment que des œuvres
audiovisuelles ont commencé à être diffusées à grande échelle sur Internet.
Depuis c'est la multiplication et la mutation des supports d'accès au contenu internet
qui a de nouveau redistribué les cartes. Tablettes, smartphones, télévisions
connectées et ordinateurs utilisent massivement la technologie streaming pour le
visionnage de vidéos en ligne. La lente adaptation des intervenants de la sphère
audiovisuelle à ces bouleversements dans la création, production et diffusion de
contenus audiovisuels a poussé le secteur à revoir sa copie. Et les créateurs de
contenus à étudier ces nouvelles possibilités, qu'ils soient professionnels ou
amateurs.
Ainsi, alors que les prix des tickets de cinéma ne font qu'augmenter pour palier
l'embarras du secteur du cinéma, ce sont les solutions de "Home entertainment" qui
montrent la voie réduisant les écarts entre les différents médias. Elles répondent aux
nouvelles attentes des consommateurs de contenus sur internet : Une offre
foisonnante, rapidement accessible et sur plusieurs interfaces, de qualité et à
moindre coût.
Avec ces turbulences récentes dans l'économie de l'audiovisuel, le déversement des
professionnels dans le secteur web est omniprésent. Au point qu'il est actuel de se
questionner sur la fin de l'indépendance dans le divertissement vidéo sur le web,
suite à l'intervention de plus en plus pressante de ces professionnels de la vidéo
dans des contenus autrefois réservés aux amateurs. Sans parler de fin d’une
époque, il ne semble pas prématuré d’évoquer l'amenuisement d’une frontière
virtuelle entre professionnels et apprentis, aux initiatives indépendantes. Qui sera
l'objet d'une réflexion générale sur la distinction entre ces deux termes.
Avec l'établissement d'une nouvelle organisation de la création audiovisuelle
s'impose la question des moyens de financement offerts à ceux qui créent pour le
web. Mais la production c’est également un aspect de création et développement qui
ne saura être négligé.
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Deux types de contenus, symptomatiques, seront étudiés : les fictions (web-séries,
court métrages, films) et les émissions (divertissements, informations, astuces). Ce
mémoire est un essai de photographie de l'état actuel du secteur et de ce qu’il pourra
être demain. En France, en particulier. Certaines spécificités de notre pays (légales
notamment) font que le marché de l'audiovisuel sur le web est encore en pleine lutte.
Alors que nos homologues américains proposent déjà une offre riche.
Le web est-il condamné à un format et un ton précis ? Quels sont les mécanismes de
financement et de diffusion qui régissent ces créations ? Quel est l’état des frontières
entre les médias et que peut-on envisager pour l’avenir ? Comment la création web
s’intègre dans un marché audiovisuel multi-support ?
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Jusqu'il y a peu, internet n'était qu'un sous-média dans le domaine de la production
audiovisuelle. Le petit frère pauvre du cinéma et de la télévision. Ainsi aux premières
prémisses, à l'aube des changements, les réfractaires peuvent penser que les
productions audiovisuelles du web ne proposent que des compléments aux contenus
délivrés par d'autres médias. Et que les créations du web ne sont faites qu'avec
l'espoir d'attirer d'autres médias. En clair, les contenus audiovisuels sur internet ne
seraient que des annexes ou des introductions aux médias traditionnels. Il est
également souvent affirmé que la vidéo web n’est qu’une sous forme de création.
Mal imaginées, réalisées, elles souffriraient du manque de compétences et de
moyens de ses créateurs. Mais face aux changements fondamentaux dans le
paysage de l’industrie des médias et la mise en place d'une véritable industrie de la
création sur internet, fondée sur le partage, peut-on aujourd'hui soutenir ces propos
sans rougir ?
Le recyclage des créations et créateurs du web
Aujourd'hui, les vidéos destinées à internet, qui rencontrent une large adhésion du
public, sont souvent récupérées par d'autres médias. Pour exemple, les émissions
reprenant les vidéos qui font le "buzz" sur internet pullulent sur les chaînes de
télévision. De même, comme nous verrons plus tard, les chaînes de télévision
n'hésitent pas à approcher ces internautes créateurs avec l'objectif de mettre en
place des collaborations. Ces constatations pourraient effectivement faire penser
qu'internet n'est qu'une échelle permettant l’ascension vers d’autres médias, mais ce
serait faire une analyse bien superficielle que d'en rester là. La relation des médias
classiques avec la communauté créative du web est beaucoup plus complexe.
Qu'il s'agisse du programme dans son ensemble ou bien de la réaffectation des
personnes à l'origine du succès (comédiens, créateurs...) sur d'autres projets,
l'intrusion des acteurs du web vers d'autres médias est donc souvent expérimentée.
Et il s'agit bien là de tentatives car il est courant que la greffe ne prenne pas.
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En effet, ce n'est pas parce qu'une célébrité du web, avec sa base de fans,
s'approche d'un autre média que la réussite du projet est garantie. Le public habituel
ne regardera pas forcément la personne qu'elle suit sur internet dans un contenu
différent et sur un autre média.
Méthodologie de recherche
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé, dans le cadre de ce mémoire, de sonder les
ressentis et apprécier les usages de ces personnes à l'origine de ces changements :
le public internaute. Ces derniers, friands de créations audiovisuelles et visiteurs
réguliers des plateformes de partage de vidéos, ne sont pas nécessairement des
professionnels du web. Cependant ils s'y intéressent, en sont les décideurs et parfois
les créateurs. C'est leur ressenti, vierge de toute analyse, qui sera le fondement des
conclusions faites. Ce sont eux qui font la réussite ou non d'un projet audiovisuel sur
internet.
Dans cette optique, j'ai choisi de créer un questionnaire en ligne à destination
principalement d'une population jeune et connectée. J'ai utilisé Google Doc. Pour
obtenir un maximum de réponses, j'ai opté pour un questionnaire assez court, sur les
thèmes forts de ce mémoire : la concurrence du web face aux autres médias, les
catégories de contenus propre à remporter du succès sur internet, la participation
des internautes à la création sur internet, le financement participatif et la
rémunération des contenus audiovisuels sur internet de manière plus générale. J'ai
choisi de poser des questions qui s’intéressent à des aspects précis et moins
exploités de ce mémoire. J'ai fait ce choix afin de faire de ce questionnaire une
matière secondaire pour enrichir ces points complémentaires, mais cependant
importants, du sujet principal. La connaissance des sites de financement participatif
par la génération dites Y, leurs habitudes de consommation et création ainsi que leur
opinion sur le financement par la publicité.
De même, les études de cas concrets ponctueront les différentes parties. En effet,
beaucoup d'entre eux me semblent symptomatiques des changements importants
dans l'usage d'internet et des médias en général. Ainsi, ils serviront à étayer ou
réfuter les hypothèses prononcées.
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L'approche difficile des médias classiques par les créateurs du web
Pour en venir à l'intrusion parfois ratée de ces créateurs du web dans d'autres
médias, plusieurs cas se détachent. Pour commencer, le premier rôle de Norman
Thavaud, le célèbre Youtubeur, au cinéma dans le film "Pas très normales activités".
Adepte des podcasts, les vidéos postées sur sa chaine atteignent en moyenne 5
millions de vus. Pourtant il n'a pas permis au film de dépasser les 200 000 entrées
au cinéma. Des chiffres bien faibles comparés au nombre de fans et followers que le
jeune homme a su engranger sur Youtube et sur les différents réseaux sociaux. Mais
puisqu'il existe déjà un public comment peut-on expliquer cette difficulté à mobiliser ?
En premier lieu, on peut s’interroger sur le contenu du film en lui-même. C’est ici que
s’impose la difficulté de passer d’un média à l’autre. Le réalisateur, Maurice
Barthélémy, a fait le choix de puiser dans les codes de la production web, du moins
en apparence. D’abord, les vidéos sont censées être filmées avec des dispositifs
qu’on pourrait qualifier d’amateur (téléphones, Gopro). Dans l’aspect car ce n’est pas
le cas en vérité. Le spectateur assiste à des sketches en rafale, sur un ton décalé. Et
Norman reprend ici son rôle habituel largement exploité dans ses vidéos youtube : le
jeune moyen et maladroit féru de nouveautés, un peu à côté de ses pompes. En
bref, le film reprend quelques « normes » du web, qui seront étudiées dans la suite
de ce mémoire.
Mais ce n’est pas parce que l’on utilise les règles du web, un visage familier des
internautes et l’humour que l’on peut se
permettre de proposer un film reposant
sur un scénario douteux. De plus,
l'acteur principal du film a été pointé du
doigt car il n'aurait pas su persuader
l’audience de l’intérêt du projet sur les
plateaux télévision. Lors de la phase de
promotion, il aurait visiblement été peu
à l’aise dans l’exercice et ses passages
auraient été « mal calibrés » 1 (en illustration Norman et Stéfi Celma venues
défendre "Pas très normales activités" sur le plateau de "On n'est pas couché" sur
France 2 le 26 janvier 2013).
1 Mathieu Géniole – Le nouvel observateur - « Norman, Cyprien, 10 minutes à perdre : le naufrage des
"Youtubeurs" hors du web » - 01 février 2013
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La raison principale des déboires du film semble être le langage adopté. Le ton
internet n’est pas forcément adapté à la télévision ou au cinéma. Pour le spectateur,
ce n’est pas la même démarche ni la même implication. Par conséquent, ce n’est pas
la même attente. Pour l’audiovisuel, comme pour les autres modes de
communication emportés par les évolutions d’internet (le journalisme en tête), le
contenu doit répondre aux attentes en coïncidant avec le format. Ce sont deux
médias où l’audiovisuel tient une place centrale mais avec des codes de
communication différents qui ne sont pas facilement interchangeables. Un film aux
ressorts web au cinéma et un acteur du web à la télévision ne seraient donc pas des
combinaisons gagnantes.
Une mauvaise adaptation au support ?
Ainsi l’échec du film pourrait en grande partie tenir à la difficulté d’adaptation des
contenus aux supports. Cependant, on ne peut pas tirer de conclusions de ce seul
exemple étant donné la qualité discutable du film examiné. L’échec pourrait en effet
être en très grande partie le résultat d’une réalisation et d’une écriture hasardeuse.
Proposer une production passable sous prétexte qu’il y a un public potentiel
nombreux, du fait de la présence de Norman et d’un membre des robins des bois à la
réalisation, n’était visiblement pas la stratégie à adopter.
La shortcom "La question de la fin",
qui a été diffusée dans le Grand
Journal de Canal +, a subit les
mêmes revers. C’est un projet issu de
l'imagination du collectif humoristique
10 minutes à perdre, sévissant sur
Youtube depuis plusieurs années.
C’est d’ailleurs l’un des premiers
collectif français lancé sur le site.
Après deux mois d'antenne à la
rentrée 2012, la série est déprogrammé "pour permettre de développer" le concept
selon les producteurs de l'émission. Le groupe a récemment été dissous,
abandonnant un possible développement.
Là aussi c’est le support qui semble être en cause et le manque d’adaptation de
l’écriture au format télévisuel pointé du doigt. De même que l’abandon du volet web
de leur carrière, ainsi que toute la stratégie de communication qui l’entourait, suite à
leur arrivée à la télévision. C’est en effet une décision discutable étant donné que les
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admirateurs du collectif sont fondamentalement des internautes. De plus, il est vrai
que c’est un programme qui aurait mérité d’être développé mais pour la télévision.
L’absurde des épisodes, diffusés sur la Canal +, n’avait d’égal que ses équivalents
web. Avec un humour particulier, vraisemblablement destiné à un public jeune et
masculin, mais qui cependant rassemble sur le web. La différence c’est que, sur
internet, le contenu est laissé à la disposition de l’internaute qui est libre de regarder,
partager ou d’aller voir ailleurs. Les créateurs peuvent se permettre d’oser une
écriture particulière, de tester de nouvelles choses car ils ne sont pas étroitement liés
à des impératifs de résultats. Une liberté qui fait la richesse de la création internet. Et
qui en fait un adversaire de taille face aux autres médias, par son potentiel
d'innovation.
Au contraire, le Grand Journal est une émission grand public, avec des impératifs
d’audimat en lien direct avec la pérennité du programme. Et, s’ils sont habitués au
ton sarcastique, il faut néanmoins que les programmes proposés conviennent au
plus grand nombre. D’autant qu’avec des prédécesseurs comme "Bref" ou le "SAV
d'Omar et Fred", la barre semblait bien haute.
Ainsi, selon les médias, des enjeux différents existent et ils influent sur le contenu. Et
même si certains sont très proches (audimat, nombre de vues), ils n'ont cependant
pas le même degré d'importance car ils n'impliquent pas les même conséquences.
Cette constatation laisserait à penser que la création web est nettement moins
influencée par des impératifs extérieurs, ce serait de la création "pure". Et internet
serait le berceau de la diversité de contenus audiovisuels. Cependant, à mesure que
les professionnels s'emparent du terrain d'expression web se sont les mêmes
exigences qui s'installent. Financières surtout. Et c'est, peut être, le début d'une
uniformité de contenu. Ou du moins d'un polissage de celui-ci.
Faut-il pour changer sa ligne artistique pour répondre aux sirènes d'autres médias ?
Ne serait-ce pas perdre son identité et renier la particularité qui a fait le succès sur
internet ? Avec la mise en place progressive d’un écran unique, la distinction des
formats ne va t-il pas disparaître ? Est-ce que ce rapprochement va servir la création
sur internet ou provoquer la perte de sa richesse créative ? A l’image de séries
télévisées qui, à mesure que l’univers de la production réalise le potentiel créatif de
ces formats, approchent d’une qualité cinéma. Ces échecs ne seraient-ils pas les
prémisses de futures grandes réussites ? Ce sont des interrogations qui seront
abordées plus loin dans ce mémoire. En attendant, il serait judicieux de voir plus en
avant les sources de ces difficultés au crépuscule de la convergence des supports.
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Les origines des difficultés ont été évoquées plus tôt, dans l’étude de cas concrets.
Mais il est important d’aller plus loin qu’une simple évocation pour pouvoir
comprendre les rouages de cette économie nouvelle. Comme on a pu le voir plut tôt,
la qualité des projets et l’adaptation au support est le premier point. Ce n'est pas
parce qu'il existe une base d’amateurs importante qu'ils sont prêts à tout voir
aveuglement.
Des caractéristiques créatives proches
Ainsi, on pourrait prendre comme exemple de
réussite la courte série "Groom service", avec
Jérôme Niel et diffusé au Grand Journal de Canal +.
Avant d’être diffusée sur cette chaîne, une première
"saison" de la série a été diffusé lors du Montreux
Comedie Festival. L'histoire prend place autour de 4
épisodes contant les péripéties d'un Groom dans un
grand hôtel durant cet événement. Plusieurs
célébrités font leur apparition dans cette série. Elle a
été imaginée pour une diffusion web sur Youtube et
Dailymotion. La série a d’ailleurs été sélectionnée
au Web Programme Festival de La Rochelle, festival
international de télévision sur internet. Son volet
télévisuel est donc une suite, une adaptation de
cette web-série pour la télévision et pour un autre
événement : le festival de Cannes. Elle répond à la
volonté de Canal + de créer des pastilles humoristiques autour de cet événement
alors que le plateau du Grand Journal a été délocalisé sur place et que les invités
prestigieux s'y bousculent.
La série est réalisée par Ludoc qui n’est autre que le réalisateur en chef du Studio
Bagel, chaîne web française de comédies créée à l’initiative de Youtube. On retrouve
également Monsieur Poulpe à l’écriture. Il a fait ses armes dans des émissions web
comme le célèbre Golden Show lancé sur Ankama et aujourd’hui repris par Golden
Moustache. Jérôme est lui un Youtubeur célèbre. Il a également participé aux vidéos
du Studio Bagel et fait des chroniques pour MTV où il décortique les clips vidéo.
C’est donc une équipe très web qui pilote le volet artistique de ce projet. Une équipe
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qui s’imprègne ici d’un style différent de ce qu’ils ont l’habitude de faire. Même si on
retrouve le ton absurde qui les caractérise et une réalisation très reconnaissable.
Il est peu pertinent de comparer cette série à son homologue "La question de la fin"
précédemment évoqué. Car même si les programmes ont été diffusés dans la même
case horaire et pour la même émission, "Groom service" a été programmé sur une
période bien plus courte et dans le cadre d'un événement important pour le cinéma.
Cependant, cette production a su séduire le public contrairement à la première et
cette approche événementielle exceptionnelle ne saurait intégralement expliquer
cette différence de traitement. Ce nouveau programme court a pourtant lui aussi une
naissance web et les entités créatrices sont elles mêmes des enfants du web. Pour
la plupart autodidactes passionnés.
La différence tient probablement dans le fait que c’est ici un programme qui s’adapte
aussi bien au petit écran qu’à une diffusion en ligne. Il reprend les caractéristiques de
la série courte précédemment diffusées dans cette case horaire « Bref » qui avait
été plébiscitée par le public. Un format court et dynamique, un personnage central et
un ton décalé et absurde. Cet exemple va à l’encontre de l’hypothèse selon laquelle
une production doit avoir été imaginée pour son support pour pouvoir pleinement s’y
mouvoir. "Groom service" est une web-série cependant elle s'adapte très bien à la
télévision. Il existe des modalités d’écriture et de format (durée par exemple)
différentes d’un média à l’autre mais elles ne sont pas nécessairement incompatibles
et se recoupent parfois. Les programmes web tendent à rejoindre les programmes
télévisuels en termes de qualité, d’ambition et de moyens. La web-série n'est plus la
petite sœur désordonnée de la série télévisée. Elles se rejoignent dans leurs
caractéristiques alors que les attentes des internautes et des téléspectateurs
évoluent pour se croiser.
Les modes de consommation de contenus vidéo par l'internaute
Le second point est le changement du mode de consommation des spectateurs. Il
tient donc aux caractéristiques évolutives des internautes évoquées plus haut. Ceux
qui ont l'habitude de consommer du contenu audiovisuel sur internet n'iront plus
forcément faire l'effort d'allumer leur télévision ou de se déplacer au cinéma pour
pouvoir voir ce qu'ils pourront consommer devant leurs ordinateurs. Ils ont acquis de
nouvelles habitudes de consommation à mesure que les contenus convergeaient
vers un accès en ligne. Replay, live, téléchargement et streaming (légal ou non)
ponctuent désormais leurs habitudes quotidiennes concernant le visionnage de
contenus. Et c'est faire preuve d'une obstination enfantine que de fermer les yeux
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face à ces changements irrémédiables. De même que de penser qu'un retour en
arrière est possible. Là où il y a quelques années les chaînes "émettaient sur Internet
un échantillon quotidien de leurs programmes" 2, c'est aujourd'hui presque toute leur
grille que l'on retrouve en ligne.
Ces contenus sont donc accessibles en quelques secondes, ce qui demande une
implication et une réflexion moindre quand au choix de ces derniers. Il est plus
simple de voguer vers d'autres contenus lorsqu'il y a une offre foisonnante, diverse et
variée à portée de clic. Une facilité d'accès qui implique des conséquences sur les
caractéristiques des vidéos que nous verrons dans une autre partie. Elle oblige aussi
à la performance technologique des moyens de visionnement pour pouvoir garder un
internaute devenu impatient et spécialiste de la recherche de contenus vidéos. Cela
semble également obliger à une qualité grandissante des contenus pour se détacher
face à la multitude. Ainsi, les éléments dégagés peuvent être rangés dans un
principe unique : l'immédiateté. Immédiateté dans l'accès et immédiateté dans la
qualité et l'aptitude à convaincre.
Le degré d'implication de l'internaute
Le troisième point rejoint le précédent, il s'agit de l'implication financière et
personnelle que requiert cette nouvelle proposition. Faire une vidéo sur Youtube peut
rapporter de l'argent mais c'est une création qui sera vue gratuitement. "Et les
internautes ne sont pas des bienfaiteurs : il ne faut pas compter sur eux pour
dépenser 10 euros au cinéma alors que votre film sera disponible en torrent (ou en
streaming) dans les jours qui viennent." 3 Avec l'augmentation des prix des places,
aller au cinéma est devenu un acte réfléchi. Grâce à des plateformes comme
Allociné, le spectateur peut rapidement savoir si le film mérite le temps et l'argent qui
sera dépensé grâce aux avis postés par les internautes. C’est l'ère de la
recommandation sociale. De nouveaux comportements dû au web participatif qu’on
ne peut pas faire semblant d’ignorer. Ce sont des éléments concrets de la manière
de consommer des contenus aujourd’hui et le futur va vers d’avantage de ces
composantes plutôt qu’à leur diminution.
2 Yves Thiran – « La télévision et Internet, entre concurrence et complémentarité » - 1996
3 Mathieu Géniole – Le nouvel observateur - « Norman, Cyprien, 10 minutes à perdre : le naufrage des
"Youtubeurs" hors du web » - 01 février 2013
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Cependant il ne faudrait pas en déduire que l’internaute est allergique à toute forme
d’implication. Bien au contraire, l’internaute est un être fidèle à son contenu
audiovisuel favori dès lors qu’une proximité, un lien affectif s’est installé dans la
relation. Communauté d’intérêts, identification et échange en sont les maîtres mots.
Une fidélité qui peut sembler volatile au vu des exemples précédents.
En pleine mutation, on pourra bientôt en évaluer à nouveau la force dès lors qu'il y a
une transposition vers un autre média. En effet, Norman Thavaud travaille
actuellement sur un scénario destiné au cinéma, en collaboration avec un autre
youtubeur célèbre Cyprien Iov. Il s’agit, à priori, d’une histoire détachée de tout
contenu web déjà existant. Et il faudra voir si ces habitués du poadcast sauront faire
évoluer leur écriture pour un film de cinéma. Et sauront offrir un moment de qualité à
leurs spectateurs.
La qualité initiatrice de succès
Car au final, c'est peut être essentiellement le facteur de qualité qui fait la différence
entre réussite et échec. Sans considération du média d’origine, de l’entité créatrice
et de sa popularité : on attend des productions une qualité équivalente à leur média
de diffusion. Surtout que, à la faveur du regroupement vers l’écran unique, on
converge vers un niveau de qualité lui aussi unique. Les séries télévisées atteignent
la qualité des films de cinéma et les web-séries rivalisent avec les séries télévisées.
Mais il existe encore des différences dans la manière d’aborder la création, qui, sans
forcément jouer sur la qualité, font varier la forme.
Concernant les aspects de téléchargement et visionnement en ligne qui touchent à la
sphère légale de la création et la diffusion d'œuvres audiovisuels sur internet, j'ai
volontairement souhaité ne pas trop approfondir ces volets législatifs. En effet, le
sujet n'est pas l'encadrement des processus mais bien l'évolution de ces derniers.
Même si la législation joue et jouera un rôle important dans les mutations
prochaines, l'analyse de l'économie souterraine existante détachée des contraintes
légales me semble déjà révélatrice des habitudes des internautes et de ce qu’est
amenée à devenir la consommation légale de contenus audiovisuel dans le futur. De
plus, l'aspect légal pourrait faire l'objet d'un mémoire à lui seul tant le sujet est vaste
et ancré dans l'actualité. Ainsi, j'aborderai ces points seulement s’ils ont un rôle
primordial dans le jeu des hypothèses et je ne chercherai pas à être exhaustive sur
ce thème.
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L'ajout progressif d'amateurs au secteur professionnel
Le quatrième point à prendre en compte dans le jeu des médias est le progressif
passage d’amateurs au rang de professionnels. Leur intégration dans un contexte
professionnel, avec des attentes précises et des enjeux financiers, prend du temps.
Nous en sommes encore à la phase d’expérimentation dans notre pays. Aux Etats
Unis, où le culte de la réussite et le storytelling sont rois, la production audiovisuelle
web est devenue un média de création à part entière. Professionnels et amateurs s’y
côtoient. Par exemple, nombre de chanteurs déjà signés sont lancés sur Youtube
avec des vidéos « covers », reprises de chansons accompagnées d’une guitare. Ce
processus est une technique de promotion empruntée aux musiciens amateurs
assoiffés de reconnaissance. Les histoires de jeunes artistes américains repérés par
des maisons de disques sur cette fameuse plate-forme vidéo sont monnaie courante.
"Les success stories de musiciens qui sortent de l'anonymat se multiplient"4. Et sont
cultivées par la communauté qui pratique le culte de l’amateurisme.
Cependant le courant est parfois inversé puisque des artistes signés empruntent
cette technique, à l’initiative des maisons de disque, en postant des vidéos à l’aspect
amateur et spontané. Et les initiateurs de la vidéo, les décideurs du labels, sont
souvent volontairement oubliés. Pour laisser croire à une initiative amateur. Les
internautes s’approprient ainsi le personnage avant de le découvrir sur d’autres
médias dans un contexte plus professionnel. Ils ont l’impression d’avoir participé à sa
découverte, d’avoir été des acteurs de la réussite. Un sentiment important dans un
environnement internet participatif et social. Ces techniques provoquent parfois un
rejet du public car elles font entrer un professionnel diabolisé dans le processus. Il y
a suspicion de recherche de profit et d’entrave à la créativité. Ce qui va à l’encontre
des principes de base d’internet. Comme la gratuité et la liberté.
Ces méthodes ne sont pas seulement utilisées dans le domaine de la musique mais
aussi dans la création audiovisuelle (web-séries, courts métrages …). C’est une
manière de promouvoir un artiste, ou une marque, à moindre coût ainsi que de le
faire adopter par une communauté d’adeptes en recherche constante de
nouveautés, de talents inconnus et de qualité. Mais c’est aussi la disparition de la
frontière professionnel/amateur. Des amateurs sont élevés au rang de professionnels
et des professionnels se font passer pour des amateurs.
4 GERVAIS Jean-François, « Web 2.0 - Les internautes au pouvoir - Blogs, Réseaux sociaux, Partage de vidéos,
mashups… », Edition Dunod, 216 pages, 2006
17 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
En France, les débuts sont encore timides. Les précurseurs attisent la curiosité par
leur marginalité mais ils ne sont pas encore pris très aux sérieux par les décideurs
des médias classiques. Probablement de part l’origine amateur (ou apprenti) de ces
personnalités émergentes du web. C'est une distinction qui sera plus longuement
étudiée dans la suite de ce mémoire.
Ainsi les transpositions réussies de produits et acteurs d’internet vers d'autres
médias existent mais sont encore délicates au cœur d’un processus de
« convergence avec l'Internet »5 en pleine phase d’expérimentation. Aussi ceux qui
débutent sur internet reviennent souvent vers leur premier amour, emprunt de
liberté : l'espace web. Ils répondent ainsi aux sollicitations de leur premier public : les
internautes. Leur démontrant un attachement commun. Car, en effet, c’est un public
qu’il faut soigner. Sans eux ces artistes ne sont pas grand-chose. Et c’est ce que
dépeignent les exemples évoqués.
Ce qui est certain c'est que ces célébrités du web attirent vers eux d'autres médias
avides d’investir ce nouveau format et d’apprendre ces nouvelles règles dans un
intérêt économique commun. On assiste donc à la mise en place d'une véritable
économie de la production audiovisuelle en ligne qui effrite petit à petit le mur
séparant les médias. Des chaînes, comme M6, l'ont compris. Cette dernière a créé, il
y a quelques mois, le site Golden Moustache qui est voué à la création audiovisuelle
destinée à internet. Mais puisqu’il semble y avoir des règles d’écriture, de format et
de diffusion différentes d’un média à l’autre, qu’elles sont celles de la création web ?
Les exemples de réussite répondent-ils à un modèle précis ?
5 Léo Scheer – "Canal+ n'a plus 20 ans d'avance, mais 10 ans de retard !" - Le point – 23 Juillet 2013
18 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Alors que les professionnels s’investissent d’avantage chaque jour dans l’avenir du
web en tant que vecteur de création, on assiste à la mise en place de règles de
réussite. Elles ne sont pas créées par ces nouveaux acteurs car elles étaient
auparavant tacitement suivies par les premiers artisans du contenu audiovisuel sur
internet. Mais avec l’établissement d’une économie de la création sur le web, elle est
aujourd’hui formulée et appliquée. C’est la théorisation du succès de la vidéo sur
internet, jusqu’à en faire une véritable discipline. En témoigne les livres, parus ces
dernières années, expliquant comment réussir son entreprise de vidéos sur internet.
"Le Web 2.0 est friand de concepts, plus pour rassurer les investisseurs que pour le
bien des internautes, soulignerons les mauvaises langues."6
Les indispensables de la vidéo web
Ainsi, il semblerait que les thèmes et formats développés sur le web doivent suivre
des standards pour espérer attirer un public devenu exigeant face à la quantité mais
désormais habitué à une certaine catégorie de contenus. Et ce sont les web-séries,
créatrices de véritables univers fictionnels, qui sont les plus plébiscitées. Ou des
successions de courts métrages avec des personnages et thèmes récurrents. Ils sont
généralement réalisés par une équipe identifiée faisant de ces travailleurs de l’ombre
de véritables célébrités. C’est un tout, un collectif qui permet d'envisager un public
plus nombreux car il réunit des personnalités distinctes.
Ce choix répond à un souci d’identification, d’appropriation en même temps qu’il met
en avant le talent multidisciplinaire des personnes qui composent le groupe. C’est la
valorisation du petit génie, artiste et disciple des nouvelles technologies.
6 GERVAIS Jean-François, « Web 2.0 - Les internautes au pouvoir - Blogs, Réseaux sociaux, Partage de vidéos,
mashups… », Edition Dunod, 216 pages, 2006
19 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Autrefois moqué, il symbolise aujourd’hui une catégorie de jeunes. Ultra connectés,
acteurs du web et avides de nouveaux savoirs, ils sont le moteur du changement.
Dans leurs créations, on met en avant ces personnages centraux qui sont mis en
scène dans diverses situations. Et on n’oublie pas de filmer le processus de création
pour faire partager à l’internaute l’envers du décor. Jusqu’à faire des live de plusieurs
heures sur Youtube pour faire partager, en direct aux internautes, des moments de
complicité et de création. C’est encore une fois un moyen de créer une relation
privilégiée avec lui, de proposer un lien, une conversation sans intermédiaire. Même
si l’approche reste virtuelle.
C’est le cas du site Golden Moustache créé par la filière M6 Web. Pour fêter les
300 000 abonnés sur leur chaîne, la plate-forme a proposé un live de 10 heures, en
streaming sur Youtube. Golden Moustache propose des créations audiovisuelles
humoristiques avec un noyau de créateurs, bien connu des amateurs.
On citera notamment le collectif
"Suricate" formé par Raphaël
Descraques, Julien Josselin, Vincent
Tirel et Florent Bernard (Flober). Tous
issus du web, ils ont cependant chacun
fait leurs preuves dans des réalisations
financées par des chaines et sociétés
(Ankama, France Télévisions, M6).
Mais ces derniers restent de grands
débrouillards. Ils ont démarrés sur
internet avec des créations
personnelles, peu de moyens. Les
créations Golden Moustache utilisent
les codes récurrents de la vidéo web. A
juste titre puisque c’est un contenu
destiné à internet. Même si certaines
vidéos sont ensuite diffusées sur W9.
En effet les vidéos constituent des
courts métrages humoristiques à part
entière, même si ils sont calibrés pour
internet. Leurs vidéos sont courtes, de
nouvelles créations sont ajoutées
régulièrement, des personnages
identifiés sont présents à chaque vidéo.
Page d'accueil du site Golden Moustache
Page Suricate du site
20 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
On retrouve aussi un ton décalée et absurde. Puis, dans l’écriture, des thèmes
chers aux créations du web: cinéma, nouvelles technologies, culture geek et science
fiction. Une sorte de CollegeHumor à la Française.
C’est une véritable organisation autour de la création internet qui a été créée par M6
Web. Adrien Labastire, Directeur Général Adjoint chez Golden Moustache rencontré
en février dernier, a exprimé la volonté d’utiliser leur nombre de vues croissants, leur
visibilité et leur sympathie comme des arguments commerciaux. Proposant ainsi à
des marques leurs compétences audiovisuelles adaptées à internet et appréciées
des internautes à leurs fins. C’est l’espoir pour ces marques d’attendre un public
difficilement prévisible. Et, donc, un nombre de vues important pour un contenu qui
promeut, de manière plus ou moins direct, un produit. Ce vœu de la direction a été
exaucé puisqu’ils ont réalisé un véritable court métrage pour Orangina, « Mission
404 », en collaboration avec le Studio Bagel.
La recette, pour pouvoir s’adapter à internet et aux exigences internautes, semble
être celle-ci : un format court et feuilletonnant, une régularité d'ajout, une écriture fine
et décalée. Il est également primordial de créer des contenus percutants dès la
première minute car il faut savoir capter l’attention tout de suite sous peine d’être
zappé. Les premières images sont déterminantes.
Le public visé est en majorité jeune et présent sur les réseaux sociaux, dont il se sert
pour partager les contenus qu'il a apprécié. Twitter et Facebook sont ces outils de
communication favoris car ils permettent de partager les vidéos appréciés avec ces
amis proches tout en cultivant une certaine proximité avec les créateurs de contenus,
également présents sur ces sites communautaires. C'est d'ailleurs grâce à ces
plateformes que ces chaînes se font connaître, c'est ce que nous verrons dans la
partie suivante.
Concernant le genre dans lequel classer ces contenus, on remarque que les œuvres
de création plébiscitées sont souvent des comédies. Comme c'est le cas pour
Golden Moustache, Studio Bagel et autres Youtubeurs évoqués précédemment. De
même, le questionnaire réalisé pour ce mémoire montre que, pour plus de la majorité
des personnes interrogées, ce sont les clips musicaux puis les fictions humoristiques
qui sont leurs contenus favoris sur internet. Cette information recoupe celle donnée
21 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
par Youtube selon laquelle la catégorie la plus appréciée est « Humour ». « Car la
plupart des utilisateurs utilisent les plateformes de vidéos pour se divertir»7.
La vidéo native web : des créations amateurs en formation
Selon certains, les plateformes de partage de vidéos proposent cependant du
divertissement de mauvaise qualité. Il est vrai qu'Internet ne propose pas que du
contenu de création "pure", comme nommé plus haut. Mais, les exemples
précédents tendent à prouver que les contenus qualitatifs sont une réalité et qu'il
existe même des festivals pour les récompenser. Il faut effectivement savoir faire le
tri dans cet océan de contenus. Mais, grâce aux réseaux sociaux, les initiatives de
qualité finissent par immerger. Le contenu audiovisuel web est également vecteur
d’apprentissage. Des connaissances nouvellement acquises qui vont elles même
nourrir la création web en terme de qualité.
En effet, le principe du « Do it yourself » est favorisé par cette offre foisonnante de
formations en ligne, dont une grande part est disponible en vidéo. Sur Youtube, les
vidéos astuces, tutoriels et démonstrations pullulent et remportent un certain succès.
Notamment dans le domaine de l'audiovisuel. Les formations, en libre accès,
permettent de maitriser les différents outils disponibles et proposent de créer du
contenu vidéos à moindre coût.
C'est le cas du site VideoCopilot, référence dans l'industrie des effets spéciaux mais
pourtant accessible à tous. Le site propose des tutoriels et des outils d'une qualité
impressionnante pour des logiciels permettant l'édition de contenus vidéos (After
effects ...). Ces ressources sont utilisés par les professionnels du film partout dans le
monde. Le fondateur du site n'est autre qu'Andrew Kramer. Web designer de
formation, il travaille aussi pour le cinéma et la télévision. Il a par exemple réalisé le
générique de la série "Fringe" ou travaillé sur le film "Star Trek: Into Darkness".
Dans une moindre mesure, l'émission Film Riot se penche également sur ce
domaine. Mais en ce concentrant d'avantage sur les éléments à prendre au compte
au moment du tournage. L'émission est proposée par le réalisateur Ryan Connolly,
pour la chaîne web Révision 3.
7 Maek R.Robertson – “Types and Categories of Videos On YouTube” – ReelSEO.com
22 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
L'arrivée de plateformes professionnelles dans le laboratoire de création du
web
La WebTv Révision 3 est spécialisée dans le domaine
des innovations technologiques et digitales. Crée il y a
plus de huit ans, cette entreprise de vidéos sur le web
est considérée comme une pionnière. Le nom lui-
même révèle une volonté d’innover. Les fondateurs
Jay Adelson et David Prager considéraient que la
convergence des supports vers internet constituait
une modification de la manière de visionner des
vidéos (revision en anglais). Le troisième
bouleversement, dans l’ordre chronologique
d’apparition, après les chaines câblées notamment.
D’où le choix de Revision3.
Basée à San Francisco, la compagnie atteignait les
100 millions de vues par mois en avril 2012 et a été
reprise par Discovery Communications en mai 2012.
Certaines émissions sont produites et détenues par
Revision3 mais la plupart le sont de façon
indépendante. Revision3 ne gère que la distribution
(iTunes, Discovery.com, BitTorrent, YouTube,
Android, Xbox …), la commercialisation et ne produit
pas le contenu.
Un contenu qui s’adresse une catégorie de spectateurs avisés, une niche de
passionnés. Cette niche se rapproche pour une part de celle des exemples cités plus
haut : jeune, connectée et insatiable des nouvelles technologies. Cependant elle
diffère sur la spécialité de ces derniers. La chaîne s’adresse à un public de véritables
initiés. Ils doivent souvent posséder des connaissances particulières de bases pour
pouvoir comprendre le langage technique utilisé. Même dans ce qu’elle fait de
comédies.
Si l’humour Golden Moustache est fédérateur et qu’il peut potentiellement s'adresser
à n'importe qui, ce n’est pas le cas de Révision 3. C’est un choix éditorial qui le prive
d’un certain public mais qui en fait une véritable référence dans son domaine
d’exercice. A titre de comparaison, à l’heure actuelle Revison 3 cumule 19 800 fans
23 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
sur Facebook contre 85 800 pour Golden Moustache, pourtant chaîne française. Un
écart qui prouve que l’humour est une catégorie vidéo qui répond bien aux attentes
des internautes et qui encourage l'interaction sociale.
Mais rien ne dit que la création web doit nécessairement être tout public et faire de la
sous-pédagogie ou du sous-divertissement. S'il est vrai que certaines vidéos
simplistes accumulent un nombre de vues colossal, il ne faut pas penser que c’est un
critère de réussite. Il n’est pas nécessaire d’enfanter de sous-créations
audiovisuelles, populaires et ineptes, pour avoir du succès sur internet. Et c’est ce
que prouvent à nouveau ces exemples.
Les chaines de télévision
qui se lancent sur le web
l'ont bien compris. Ainsi le
studio 4.0, crée par la
chaine France 4, promeut
sur internet, et grâce à
Dailymotion, "Le meilleure
de la jeune création, en
série ou en format court"
comme l'indique la tag
line. Le studio 4.0 c’est un
: « Véritable laboratoire de
la fiction pour les jeunes
auteurs, réalisateurs et
producteurs. Studio 4.0
héberge les coproductions
développées au sein de la
direction des Nouvelles
Ecritures et du
Transmédia de France
Télévisions ainsi qu’une
Page du Studio 4.0 sur le site France 4
sélection de projets internationaux. Qu’ils soient produits en France, en Suède, en
Espagne, au Brésil, au Canada ou aux Etats-Unis, Studio 4.0 offrira cette année plus
de 450 épisodes de web séries, plusieurs heures de programmes et de court-
métrages, sans aucune restriction de genre: humour, fantastique, animation, science
fiction, comédie sentimentale… »8.
8 Studio 4.0 – Dailymotion - http://www.dailymotion.com/Studio-4-0
24 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Cette initiative reprend donc des critères déjà évoqués : une nouvelle forme
d’écriture, de la fiction, des formats courts dans l’optique d’un adaptation multiécrans.
Une tentative d'immersion dans l'univers du web, débordant d'idées et de possiblités,
en s'associant à une nouvelle vague d’acteurs du web (auteurs, réalisateurs,
producteurs) qui ont émergé en ligne et qui sont à l'origine de ses codes.
Autre chaine à avoir franchit le pas depuis quelques
années : Canal +. La série Kaira shopping a été
repérée par les producteurs de Save Ferris sur le
web en 2008. La chaîne s’enthousiasme alors et fait
du programme sa première web-série, en
partenariat avec Pepsi qui devient le parrain du
programme sur le web. S’appuyant sur les 4
millions d’internautes fans de la série, la marque de
soda fait des Kaïra les ambassadeurs officiels de la
marque et démarre une série de spots TV déjantés
au printemps 2009. Poussé par le succès, la
websérie est adaptée au cinéma. Le concept se
transforme alors en un film « Les kaira », film
français le plus rentable de 2012).
Malgré ce succès, la chaîne n’a pas tenté de nouveaux projets dans le domaine de la
création web. Léo Sheer affirme dans Le Point que « Au départ, Canal avait 20 ans
d'avance, aujourd'hui, elle a 10 ans de retard, dans un monde où tout va trop vite
pour elle »9. Il est vrai que, si dans le domaine de la diffusion multi-écrans et à la
demande le groupe fait des propositions, ce n'est pas vraiment le cas en terme de
contenus web inédits.
Il semblerait donc qu'effectivement les nouvelles plateformes suivent implicitement
un schéma de création, des normes misent en place par les premiers colons de la
création audiovisuelle web. On s’aperçoit que ce sont surtout des initiatives
« professionnelles » qui ressortent lorsqu’on recherche une itération. Elles sont
initiées par des sociétés déjà bien établies dans le domaine de l’audiovisuel et
intègrent dans leurs équipes les acteurs immergeant d'internet.
9 Léo Scheer – "Canal+ n'a plus 20 ans d'avance, mais 10 ans de retard !" - Le point – 23 Juillet 2013
25 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Dès lors, on peut s'interroger sur la liberté de création propre à internet. Est ce qu’on
ne s’enferme pas dans des normes restrictives dès lors qu’il y a institution d’une
véritable organisation de la création sur le web? N’est-ce pas la fin de la liberté de
création propre à internet, en même temps que l’arrivée de considérations
financières ? L’ère de l’amateurisme est-il révolu ? Le paysage ne devient-il pas trop
étroit pour des initiatives « amateurs », dans le sens où elles sont personnelles et
non motivées par la recherche de profit ?
26 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Dans l’idée, ces productions du web possèdent leur propre façon de créer et
promouvoir leurs contenus : utilisation des réseaux sociaux, accessibilité, créativité et
rejet des méthodes marketing classiques. Dans le domaine de l’audiovisuel, ces
points composeraient donc la liberté propre à internet. Dans la réalité, ils s'expriment
de plusieurs manières.
L'origine amateur des créateurs du web
Tout d’abord, il n'est pas nécessaire d’avoir des compétences spécifiques pour se
lancer. Pour beaucoup, les créateurs du web se sont formés en autodidacte et
utilisent leurs propres matériels. L'ajout de vidéo sur internet se fait en total liberté et
n'est soumis à aucun pré requis. Il n'est pas demandé d'avoir un CV dense pour
tenter sa chance. Ni même d’avoir un matériel professionnel. Avec l'accès à une
multitude de tutoriels, formations en ligne et l'arrivée d'équipements abordables sur le
marché, la création est à la portée de presque tous.
Car il y a un critère qui ne peut s'acheter ou s'apprendre, c'est la créativité. Le
principal vecteur de qualité, critère déterminant dans la réussite de la création sur le
web. Ainsi les créateurs connectés qui sont récupérés par les nouveaux acteurs
professionnels du web ont quand même fait leur preuve chacun à leur façon. Il n'y a
certes pas encore de schéma tracé, de voie à suivre mais ces nouveaux ouvriers de
la création web ont tous un point commun : ils ont fait leur preuve dans des créations
novatrices du web et parfois dans d'autres médias.
Il se crée donc une véritable hiérarchie, communauté organisé selon des principes
d’expérience, de connaissances, de recommandation. Un noyau dur, formé par les
premiers colonisateurs, qui occupe une grande partie de l'espace. C'est une sphère
de la création web qui se construit petit à petit. Il reste à savoir si celle-ci restera
encore longtemps ouverte.
27 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
L'autonomie de la création sur internet
Le second révélateur de la liberté du web, c’est l’autonomie dans la création. Sévir
sur internet c'est s'offrir la possibilité d’écrire selon ces envies. Dans des formats ou
des thèmes choisis. « Faire une vidéo sur Youtube peut rapporter de l'argent, mais
cela n'inclut pas toujours un contrôle, une intervention extérieure »10. De par cette
indépendance, on peut créer des contenus qu’on ne pourrait diffuser à la télévision.
Mais c'est aussi la possibilité de faire n'importe quoi. Et c'est un aspect que les
détracteurs de la création web mettent souvent en avant.
Décelant le potentiel des plateformes de vidéos, les premières organisations
audiovisuelles du web ont justement tenté d'y insuffler de la substance et une
orientation. Avec leur installation dans le paysage, on peut alors s'inquiéter d'une
possible uniformisation de la création. Un modèle web dont il serait difficile de se
détacher. De plus avec l'arrivée d'enjeux financiers, il y a une possibilité de censure.
Ou du moins d'un contrôle, qui est une atteinte directe à la liberté.
Si on reprend un exemple déjà évoqué, le court
métrage « Mission 404, internet doit rester vivant »
coproduit par Orangina, Golden Moustache et Studio
Bagel. La liberté de création semble avoir été préservée
dans ce cas selon les auteurs du projet. En effet dans
la vidéo Making of, le scénariste affirme avoir eu une
certaine liberté de proposition. Il fallait intégrer le produit dans la création et selon lui
Orangina a été « ouvert pour placer le produit intelligemment et de façon décalée »11.
Il aurait donc profité des avantages de la production professionnelle (budget,
organisation) sans les inconvénients (contraintes artistiques). Cependant, dans son
discours, il semble bien évoquer une phase d'approbation de la marque quand aux
choix d'écriture.
10
Mathieu Géniole – Le nouvel observateur - « Norman, Cyprien, 10 minutes à perdre : le naufrage des "Youtubeurs" hors du web » - 01 février 2013 11
Mission 404 – Making of – Chaîne Orangina France - http://www.youtube.com/watch?v=FAGdLGt0gvI
28 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
L'intrusion de la publicité dans la création web
A l'instar d'Orangina, la grande distribution tente des intrusions timides. Par ces
initiatives, elle démontre une volonté de communiqué avec ces nouveaux outils, de
prendre la parole sur le web. Au delà de la création pure, la vidéo du web devient un
moyen d'interpeler le consommateur d'une manière originale et créative. A la
différence de la publicité classique, il y a une volonté de créer un véritable dispositif
adapté au support. Même si ils sont encadrés par un but mercantile, la création et
l'originalité sont requis.
Carrefour est l'une des premières enseignes à avoir imaginé un dispositif web
reposant sur de la création audiovisuelle de divertissement. C'est la web-série "C'est
la course ! " crée pour la rentrée 2013. Carrefour reprend les critères de la création
web pour proposer un
programme adapté au
support : un format court,
une expérience
interactive, des
personnages récurrents
et identifiables. Mais,
dans l'écriture, la
créativité déployée reste
limitée. La marque mime
ses homologues web mais son objectif n'est pas de proposer du contenu audiovisuel
mais de faire de la publicité. Et c'est assez évident.
Contrairement à Orangina qui a proposé un véritable court-métrage avec "Mission
404". Le produit devient secondaire. Ainsi, le paysage audiovisuel de divertissement
vidéo sur le web se retrouve bouleversé par ces offensives marchandes. L’intégration
de ces sociétés dans le secteur web ainsi que leurs possibles partenariats avec des
auteurs du web peuvent potentiellement impliquer un contrôle, une surveillance de
l’image selon des principes dictés par la marque. Internet pourrait incontestablement
perdre ce qui en fait sa spécificité pour ne devenir qu'un support supplémentaire,
contraint par des règles identiques. Il rencontrerait ainsi des difficultés que la
télévision, et à plus forte échelle, le cinéma doivent aujourd'hui affronter.
29 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
La complexification du système de création
George Lucas s'est récemment confié à des étudiants d'une université californienne,
dénonçant la « volonté de fédérer, de faire des films consensuels qui plaisent à tous,
et de la nécessité de marketer, à prix d'or, les films. (…) Certaines idées sont trop
téméraires pour être acceptées par les producteurs. » . Ainsi, si ces producteurs et
créateurs se tournent vers internet c’est surement pour contourner cet écueil dans
lequel est tombé le cinéma. Et la télévision a produit des contenus d’une qualité
croissante à mesure que le cinéma se déversait vers ce média.
Comme l’indique Spielberg (dont le dernier film, Lincoln, a failli devenir un téléfilm
HBO et être privé de sortie en salles) « La télévision est en revanche plus
audacieuse». Finalement, internet serait un nouvel eldorado, pour éviter ces
préoccupations, un nouvel espace de liberté pour ces acteurs de la création
audiovisuelle. Cependant, les professionnels emmènent avec eux des
préoccupations de résultat et de profit ...
Une liberté temporelle relative
Pour revenir aux caractéristiques de cette liberté, un troisième point émerge.
L'internaute est libre de diffuser quand il le souhaite. Il n'a pas d’obligations liées à un
planning. Il crée, réalise et propose selon l’inspiration. Il n’a pas d’impératifs
d’écriture ce qui est peut sembler plutôt bénéfique pour la création. car l'écriture est
souvent moins aisée et convaincante sous la contrainte.
Cependant, pour entretenir la fidélité du public, il faut adopter une certaine
constance. La création web n'est pas détachée de tout impératif temporel et c'est un
point que les nouveaux professionnels du web ont bien compris. Si, au contraire de
la télévision, les impératifs d'horaires et de dates sont parfois fluctuants, avec la
théorisation du succès sur le web vient la mise en place d'un véritable calendrier de
création. La liberté de diffusion s'estompe.
30 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Des circuits de promotion empruntés par les médias classiques
La création web s'affranchit des
circuits classiques de promotion et
de consommation de masse en
misant sur le viral, le dynamisme et
la personnalisation. De nouvelles
méthodes qui leurs permettent d'être
au cœur des discussions, de former
des communautés et d'être relayé par la télévision et la presse sans dépenser des
sommes importantes. Contrairement aux autres médias, qui ont longtemps misés sur
la publicité, la création web marche au "Buzz". C'est le principe du bouche à oreille,
amplifié par l'utilisation des réseaux sociaux. Des réseaux sociaux qui ont une place
importante dans leur stratégie de promotion.
Le levier principal de celle ci est la proximité. Le créateur est proche de son public,
échange avec lui et lui fait partager le processus de création. Via Youtube,
Facebook, Twitter ou encore des blogs tenus à la première personne. Le maître mot
est la spontanéité. Du moins apparente car elle n'est parfois que fabriquée.
Envieux de cette visibilité, les médias classiques empruntent de plus en plus à ces
nouvelles plateformes. A l’instar du web, convergeant vers les médias traditionnels,
les productions télévisuelles et cinéma cherchent à envahir l’espace internet en
imitant les stratégies de promotion et pratiques du web participatif. C'est bien
souvent la recherche d'une communauté qui les pousse à emprunter ces techniques.
C'est ici la volonté d'attirer un public fidèle et collaboratif. On assiste donc à une
utilisation grandissante des réseaux sociaux populaires mais aussi à des copies de
leurs mécanismes.
C'est par exemple le cas de la société de production et diffusion Warner Bros avec
sa plateforme lancée fin 2012, My warner. Elle est destinée à fédérer et récompenser
les fans. En jouant, partageant du contenu issu de Warner Bros sur les réseaux
sociaux, les personnes inscrites sur le site gagnent des points qu'elles peuvent
ensuite échanger contre des cadeaux. En bref, en faisant ce qu’ils font
habituellement sur internet, les membres de la communauté, fervents amateurs de
cinéma, peuvent gagner des cadeaux. Produits dérivés et téléchargements de films,
ces présents ne font qu'entretenir cette passion pour le cinéma et plus
spécifiquement pour les productions Warner.
31 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Cette plateforme démontre une volonté de
« prendre correctement le virage du numérique
en accompagnant les clients là où ils se
situent »12. Elle s’imprègne d’une vision du
marketing, portée par la recommandation
sociale et la valorisation de celle-ci dans un
secteur d’activité où elle joue aujourd’hui un
rôle primordial. Elle influence
considérablement le choix d'un film. Le site est
pensé comme une alternative plus «sociale» à
Allociné. My Warner est une idée française et
devrait s’étendre sur d’autres territoires. Le
programme compte actuellement 200 000 membres actifs et devrait dépasser le
million de membres d’ici fin 2013.
D’autre part, l'expérience My Warner n’est pas seulement destinée à satisfaire le
consommateur. Le dispositif permettra, à termes, de conserver un relationnel grâce à
l’analyse des données générées par les interactions de la communauté. Ce qui leur
permettra de mieux connaitre le public, de comprendre son comportement pour
ensuite personnaliser les messages. Pour passer de l’intrusion hasardeuse à la
recommandation personnalisée. Un avantage sur les nouveaux acteurs du marché,
de plus en plus nombreux grâce à la dissolution des barrières qu’entraine le
numérique.
Une dissolution qui a conduit les
chaînes de télévision à vouloir prendre
une place considérable sur internet.
Proximité, partage et sollicitation sont au
cœur de l'expérience sociale offerte au
public. C'est ce qu'on appel la Social
TV. Avec une communauté de plus de
15 millions de fans sur tous les réseaux,
TF1 a souhaité mettre en place cette
expérience utilisateur enrichissante,
avec son service MyTF1 Connect.
12
Vincent Puren – Presse-Citron.net – « Comment le ‘digital’ a transformé Warner Bros en créateur de lien social » – 17 avril 2013
32 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Pendant la diffusion des émissions bénéficiant de ce dispositif, l'internaute peut
profiter de bonus vidéos et d'instants replay. Ils permettent de visionner des extraits
de quelques minutes venant d'être diffusés et de les partager. Il y a également la
participation aux discussions sociales, via Twitter. Mais aussi un aspect gamification
et interactivité. Régis Ravanas, Directeur Général adjoint Groupe TF1 a déclaré «
Avec Connect, nous sommes très heureux de proposer une expérience inédite qui
permet d’aller encore plus loin dans l’interactivité avec notre public et s’inscrit dans
notre ambition d’activer et développer le lien social autour des programmes de TF1.
Par son caractère innovant, immersif et intuitif, Connect s’impose comme la première
véritable expérience de second écran en France et comme le produit le plus complet
et qualitatif du marché ».
Et des start-up se spécialisent dans la conception de ces dispositifs proposant une
véritable expérience digitale. Campfire est l'une des agences les plus connus dans
ce domaine. Start-up New-Yorkaise créée par Mike Monello, elle a notamment
proposé de la narration sociale et des dispositifs transmédia pour HBO autour des
séries "Game of Thrones" et "True Blood". Elle est devenue une véritable référence
dans sa spécialité.
En France, l'agence Darewin, fondée en 2011 par Wale Gbadamosi-Oyekanmi, est
l'une des premières à proposer des services entièrement social TV. Entre autres,
pour la diffusion des différentes séries programmées sur NT1 ("The Walking Dead",
"Vampire Diaries"). Une grande partie de leurs stratégies sont pensées autour de
Twitter. Avec la création la création de comptes officiels et la possibilité d'agir en
temps réel lors de la diffusion des émissions grâce à cette plateforme. D'autres
agences verront inévitablement le jour dans les mois prochains. Car, malgré la
réticence de certains, il apparait que ces stratégies répondent à la nécessité de
fidéliser, de proposer des expériences. Des considérations devenues indispensables
à l'ère du web social.
Pour résumer, La liberté du web est conditionnelle et évolue. C'est l'arrivée de
processus de création professionnels, accompagnés d'objectifs, qui provoquent ces
mutations. Ainsi que la mise en place de véritables stratégies digitales autour du
marché de la production de contenus. Et ce sont les schémas de financement et de
diffusion qui évoluent en conséquence, à mesure que se dévoile le potentiel
d'innovation du web dans ses diverses phases d'expression.
33 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Le principe du crowdfunding
L'étape suivant l'expression d'un concept est la recherche de financements. La
meilleure façon de s'assurer un total contrôle sur sa création est de la financer avec
ses propres fonds. Mais de telles dépenses ne sont pas à la portée de tous. Surtout
lorsque les projets deviennent ambitieux et créatifs. Le crowdfunding est alors un
moyen d'obtenir un budget pour des projets indépendants, à l'initiative "d'adeptes du
Do it yourself"13. En tout cas en théorie. Cette méthode permet d'intégrer l'internaute
au processus de création sans qu'il ai pour autant son mot à dire sur celle ci. L'auteur
garde une responsabilité complète sur sa création. On parle ici de création en
général. Car la plupart des plateformes abandonnent la spécification et ne proposent
pas seulement de financer des idées formulées par des acteurs du secteur
audiovisuel. Même si des plateformes comme TousCoProd restent centrées sur le
contenu vidéo, des projets différents se côtoient sur d'autres. Comme sur KickStarter
où musiciens, écrivains et designers se partagent l'attention des internautes
contributeurs.
Pour sa partie audiovisuelle, la contribution financière des internautes est destinée à
financer la production. Mais elle peut également servir aux dépenses de distribution
d’un film selon les sites Internet. La contribution des internautes évolue par paliers,
de 1 à 1500 euros et plus en fonction des projets. En contrepartie, les contributeurs
obtiennent des avantages en nature. Produits dérivés, nom au générique, contenus
exclusifs, rencontres avec les participants, implication dans l’une des phases de
création (figuration en général) : la valeur financière ou émotionnelle des
récompenses augmente en même temps que les paliers franchis. Il y a également
quelques projets destinés au cinéma qui font profiter le contributeur de retours
13
Fibre Tigre - Le NouvelObservateur - 29 Juillet 2013 - Kickstarter, Ulule & co : avec le crowdfunding, le pigeon, c'est toujours l'internaute - http://leplus.nouvelobs.com/contribution/914320-kickstarter-ulule-co-avec-le-crowdfunding-le-pigeon-c-est-toujours-l-internaute.html
34 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
financiers sur investissement, suite à l'exploitation du film en salle. Ce qui semble
augmenter considérablement le nombre de contributeurs. Le don simple, sans
contrepartie, est aussi prévu.
Les montants collectés auprès des internautes sont reversés à condition que le
minimum du montant total fixé par le créateur soit atteint. À défaut, le site Internet
rembourse aux internautes leurs contributions. En échange de ses services, le site
Internet perçoit une commission sur les sommes collectées. Sur Kickstarter par
exemple, une taxe de 5% est appliquée.
Les bénéficiaires des avantages de ces plateformes affirment que « C'est une
manière démocratique de faire de l'art »14. En donnant le pouvoir au peuple. En effet,
les internautes choisissent les idées auxquels ils croient et misent en fonction. Un
projet intéressant, un plan de communication bien pensé et c'est la possibilité de voir
son idée se concrétiser. Les projets audiovisuels les plus populaires sur ces
plateformes sont généralement des courts métrages, séries et web-séries. Même si
les films de cinéma y trouvent leur compte. Effectivement, le questionnaire mené
montre bien que la participation au financement de films destinés au cinéma attire les
personnes interrogées. C'est donc aussi un champ de possible pour les créateurs de
contenus pour le cinéma, au même titre que les films et séries destinés à la
télévisons.
Un moyen de financer des projets indépendants
La production communautaire, c'est une opportunité de se débarrasser de certaines
contraintes de créations liées à l'implication d'une ou plusieurs sociétés de
productions dans le processus. Mais pour certains projets, où une société de
production est impliquée, c’est devenu une manière comme une autre d’obtenir des
subventions.
A la base, le financement participatif était un moyen de soutenir des projets non
appuyés par des structures professionnelles, de s’affranchir de l’approbation de ces
organismes. Et donc de voir aboutir des réalisations qui n’auraient jamais vu le jour.
Un coup de pouce à la créativité, dans le principe.
14
Kickstarter.com - Page d'accueil - Propos de Stephen Heleker
35 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Ces sociétés sont utiles pour leur savoir faire, leur force d'organisation, leur apport
en financement, en ressources humaines et techniques. Mais elles sont aussi
susceptibles d'avoir un impact artistique sur le projet. Négatif ou positif selon le point
de vue. De plus, les campagnes de financement participatif permettent, dans la
théorie, de réduire le temps de développement d'un projet. Car il est souvent rallongé
par la recherche de financements multiples dans un processus classique de
production (Soutiens du CNC, des régions ...). Entre autres, avec ces nouvelles
solutions, c'est le créateur qui pose directement la question au spectateur de savoir
si oui ou non il souhaite voir ce projet aboutir. C’est une première phase de test
auprès du public.
Dernièrement c'est la Web-
série française Noob qui a
reçu l'incroyable aide de la
communauté de
contributeurs sur le site
Ulule. Les créateurs du
programme souhaitaient
obtenir un budget proche
de ce qui est proposé aux
web-séries produites de
nos jours, soit 35 000
euros. Finalement, ce
projet de films, issus d’une série du web, a été financé à 1945%, soit plus de 682 161
euros en 70 jours ! Devenant ainsi le plus gros financement participatif jamais réalisé
en Europe Et laissant, comme ils le disent eux même sur leur page de soutien, "une
trace indélébile dans l’audiovisuel français créé par et pour Internet"15.
C'est en effet un budget plus que conséquent pour du contenu audiovisuel destiné au
web et la mobilisation sans précédent marque effectivement un tournant dans le
crowdfunding pour ce type de projets. Noob est à l'origine une web-série crossmédia
(bande-dessinées et romans disponibles en grande distribution) à petit budget crée
par une bande d'amis. Elle a pris de l’ampleur au fil des saisons et a réussi à réunir
une communauté importante en reprenant quelques uns des thèmes fort de la
culture geek : humour, super héros et jeux vidéo. Il s’agit bien d’un projet
indépendant mais ce n’est pas toujours le cas. Suite aux bouleversements récents,
les premiers doutes sur la légitimité et le processus de fonctionnement de ces
plateformes commencent à immerger.
15
Corentin Courtois - Ecrans.fr - « Noob », la guilde star du crowdfunding européen » - 20 juin 2013
36 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Le détournement des plateformes de financement participatif
L’exemple suivant pose justement des questions intéressantes sur les mécanismes
de ces nouvelles plateformes de financement et les dérives qui peuvent y être
attachées. Il concerne le
financement d'un film pour le
cinéma, dérivé de la série
"Veronica Mars". Le projet est
imaginé et défendu par son
créateur depuis plusieurs
années sans avoir été amorcé
faute de financements, résultat
de la frilosité des studios. Car
en effet la Warner (qui détient
les droits) accepte la mise en chantier du film mais ne souhaite pas participer à son
financement. Rob Thomas décide alors de lancer une campagne de financement sur
le célèbre site de crowdfunding : Kickstarter. Et c'est en moins de quelques jours que
l'objectif de 2 millions de dollars fut atteint. Et même dépassé puisque un mois après
le lancement de la campagne, c'est presque le triple de la somme à atteindre qui a
été récolté. Ce record historique, c'est à la communauté de fan qu'il le doit. Le chiffre
n’aurait pas été atteint sans cette communauté préexistante et investit
émotionnellement dans le futur de cette série.
Dans ce cas, le soutient sans précédent couplé à la volonté du créateur de
concrétiser son projet, même sans l’aide financière de cette énorme société de
production et de distribution, sont à l'origine de sa concrétisation. Mais l'implication
de la Warner dans le projet peut amener à se poser des questions sur les "dérives"
actuelles de ces sites. Car si elle ne finance pas le projet, Warner Bros participe
néanmoins à sa réalisation avec Warner Bros Digital. Cette branche de la société
s’occupe des petits budgets, essentiellement des films destinés au streaming ou au
téléchargement.
Ainsi, de nombreux projets intègrent une société de production dès l’origine. « Le
crowdfunding s’éloigne alors fortement de ses racines. »16 En effet, lorsque la
démarche n'est pas indépendante, on peut se questionner sur la légitimité de ces
collectes de fonds auprès des internautes.
16
Fibre Tigre - Le NouvelObservateur - "Kickstarter, Ulule & co : avec le crowdfunding, le pigeon, c'est toujours l'internaute" - 29 Juillet 2013
37 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
La production communautaire devient une réponse à des craintes émissent par ces
sociétés. Ou une façon de compléter son budget lorsque le projet est déjà en
développement ou préacheté par une chaine.
En effet, ces procédés permettent d’éviter de prendre des risques, artistiques et
financiers. On produit seulement les projets ayant suscité l'adhésion des internautes
et après que ces derniers aient eux même participé au financièrement. Selon Fibre
Tigre qui s’exprime sur le site du Nouvel Observateur « L’entreprise est une prise de
risque, mais que les risques incombent à 100% au client est une ineptie ! »17.
De plus, les programmes présentés avec l’appui des ces entités sont souvent
vendues de manière identiques aux internautes. On leur propose le projet en
mettant en avant des noms célèbres, l'appui de grandes chaînes reconnues et des
promesses de compensation alléchantes. Mais ce n’est absolument pas une garantie
pour réussir à financer son projet. Il s'agit d'une relation fondée sur l'implication
financière de l'internaute, ce qui rend le degré de cette implication difficile à prévoir.
C'est pourquoi le succès des campagnes de financement est complexe à anticiper et
provoque de belles surprises, comme de jolies déceptions. Même si les projets les
plus porteurs ont un point commun : l'existence d'une communauté préexistante à la
recherche de financements.
Ainsi les internautes sont difficilement prévisibles dans leur soutien et ses initiatives
peuvent être dangereuses au niveau des propositions artistiques. Dangereuses car
on court le risque de faire stagner la création audiovisuelle. En la restreignant à des
contenus populaires mais pas novateurs. Au lieu d'oser une écriture innovante, sans
avoir la garantie de réunir les spectateurs, on propose une ébauche de projet sur un
site de financement participatif et on observe si les internautes suivent.
Même si un financement participatif réussi ne garantit pas le succès une fois le
produit délivré au public, c'est tout de même une prise de risque diminuée. Rob
Thomas s’exprimait d’ailleurs sur le sujet concernant Veronica Mars en indiquant que
« Avec ce modèle, c'est presque un dispositif de marketing, un moyen de juger s'il y
avait suffisamment d'intérêt pour un film de cette taille. »18.
17
Fibre Tigre - Le NouvelObservateur - "Kickstarter, Ulule & co : avec le crowdfunding, le pigeon, c'est toujours l'internaute" - 29 Juillet 2013 18
Hudson Laura - Wired.com – Interview de Rob Thomas – 12 avril 2013
38 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Alors que, avec la difficulté de défendre des projets novateurs devant les médias
classiques, internet est justement le moyen de proposer des idées qui ne pourraient
exister sur d'autres supports. Les sociétés de production sont encore réticentes à
produire pour le web et si le financement participatif leur permet de s'ouvrir à ce
nouvel horizon de création alors ces sites de production communautaire remplissent
leur rôle.
Car l’activité de production n'est pas uniquement constituée d'un volet monétaire.
C'est également une influence artistique, des compétences et une force nécessaire à
l’aboutissement d’un projet. Utilisées par eux, ces plateformes deviennent alors
vectrices de création car elles sont entre les mains des décideurs du secteur de la
création audiovisuelle.
De plus, si ces professionnels existent depuis des décennies dans le système de
production c'est qu'ils apportent un savoir utile à la finalisation du projet. Amputé de
ces compétences, les indépendants peuvent rencontrer des difficultés de production
qu'ils n'ont pas l'habitude de gérer. Ce qui pourrait jouer sur la durée de
développement du projet, en rallongeant les différentes étapes de création. Une
constatation qui va à l'encontre de l'hypothèse selon laquelle les productions
indépendantes sont plus rapidement délivrées au public.
Malgré les avantages cités, on peut se demander si la fonction première de ces
plateformes est de participer au financement de films déjà soutenus par des
producteurs. Et qui pourraient se satisfaire d'autres financements si les
décisionnaires étaient plus audacieux. Là où des projets non soutenus ont réellement
besoin de fonds pour pouvoir exister, l'objectif de ces sites est détourné pour
permettre à des sociétés de production, et à des chaines de télévision, d'éviter des
investissements risqués. Ou de réduire leur implication financière.
Au niveau des différents médias de destination des créations proposées sur ces
sites, on peut aussi se demander si tous les supports y ont leur place. Si des web-
séries ou court métrages semblent indiqués puisqu'ils évoluent sur leur support, on
peut se questionner sur la légitimité des films de cinéma ou des programmes pour la
télévision. Mais, avec la convergence des supports, connectés entre eux, n'est pas
nier l'effondrement des barrières entre les médias que de s'interroger sur ce point ?
39 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
De plus, si les acteurs du cinéma et de la télévision ont permis au web de proposer
du contenus d'une qualité exponentielle de part leur implication, l'ouverture d'esprit et
le potentiel d'implication des internautes pourrait en retour permettre aux créateurs
de ces deux médias de bâtir des expériences audiovisuelles qu'il aurait été
impossible de proposer sans leur l'implication financière. Finalement, le web participe
aux changements dans la proposition de contenus faite par le cinéma et la télévision.
Le financement participatif est une collecte de fond améliorée, dématérialisée, qui ne
s’embarrasse pas des supports. Cependant, comme le montre le questionnaire
proposé dans le cadre de ce mémoire, ce sont bien les projets web qui séduisent le
plus les internautes. Ce qui rejoint les constatations faites en visitant les divers sites
de financement participatif.
L'intelligence émotionnelle de l'internaute
En effet, l'internaute a une préférence pour les projets initiés par et pour le web.
Probablement car ce sont des créations à petit budget. Exception faite des projets
avec une communauté préexistante. Car, comme nous le disions plus haut, ils ont
une facilité à fédérer quelque soit le support ou le budget de part l'implication
émotionnelle déjà présente.
Plusieurs idées soutenues par des chaines et des sociétés de productions n'arrivent
pas à obtenir les financements attendus alors que des initiatives plus modestes
obtiennent l'aide du public internaute. Et c'est le cas sur My Major Company avec
plusieurs projets.
Financement à 1% de la série animée Starz,
de Canal +, après deux mois de campagne.
Financement à 112% de la Web-série Super-
Héro'hic porté par un groupe d'amis.
40 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Cette orientation dans le choix des contributeurs est probablement motivée par le
sentiment de faire réellement la différence. Avec une participation financière moindre,
leurs dons ont un véritable impact sur l'avenir du projet. C'est cette impression d'être
un des moteurs du projet qui les pousse à préférer ces petites campagnes de
financement. Ils ne sont pas des pions dans un échiquier mais des acteurs de la
création, même s’ils ne s'impliquent que dans l'aspect financier. Avec toujours l'envie
de dénicher les talents de demain.
Ainsi, il semblerait qu'il suffit de faire confiance aux contributeurs pour que les
internautes ne constituent pas un porte monnaie dans lequel puiser, à renfort de
noms connus et de promesses. Il faudrait faire confiance à l'intelligence émotionnelle
et collective des internautes pour analyser la qualité du projet. Dans ce cadre, les
individus trouvent un avantage à collaborer au sein d'une communauté. Leur analyse
est meilleure que s'ils avaient été seuls.
Malgré l'intérêt des médias pour le phénomène crowdfunding, la génération actuelle
est peu passionnée par ces plateformes, qui restent confidentielles. C'est ce que
montre le résultat de l'enquête en annexe. Les personnes interrogées connaissent
tous au moins un site de financement participatif mais l'écrasante majorité n'a jamais
participé au financement d'un projet et ne l'envisage même pas.
Même si ce moyen de financement ne pèse pas encore lourd dans le système
mondial, les récents records historiques peuvent nous faire penser qu'à court terme
le secteur audiovisuel sera durablement influencé par le crowdfunding. En attendant,
d’autres moyens de financements moins conditionnels, et effectifs dès aujourd'hui, se
dégagent.
41 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Au delà de la production participative les modes de financement de la création
audiovisuelle, destinée aux nouveaux médias, se rapprochent des procédés de
création affectés aux médias traditionnels. Par conséquent, les opportunités de
financer du contenu destiné au web augmentent de manière croissante. Par la
création de sociétés vouées à l'avènement de la création numérique mais aussi par
la mutation des organismes déjà existants. A l'image des sociétés de production qui
se dotent de pôles nouveaux médias, la télévision et le cinéma s'investissent
considérablement sur le marché audiovisuel d'internet. Car Il est intéressant dans ce
qu'il peut apporter de créatif et de participatif. Comme nous l'avons vu plus tôt, ils
créent des dispositifs et imaginent des stratégies multimédias pour promouvoir leurs
créations et leurs médias d'origine. Mais aussi des créations uniquement destinées à
internet.
Des professionnels au secours de l'univers créatif connecté
Ankama est l'une de ces nouvelles sociétés françaises dédiées à la création
numérique et artistique. Il s'agit d'un groupe indépendant dans le domaine du
divertissement, qui s'est déployé sur divers supports. Dans la sphère audiovisuelle, il
a participé au virage pris par la création web, en s'impliquant dans le financement de
la populaire web-série de science-fiction "Le visiteur du futur". Réalisé par François
Descraques, "Le visiteur du futur" est une œuvre de fiction, dans un premier temps
amateur, proposée sur le web depuis avril 2009 via le site FrenchNerd. Les vidéos
sont hébergées sur Dailymotion.
Après deux saisons tournées en auto-
production, Ankama décide de s'investir
dans l'aventure dès la troisième salve
d'épisodes. En effet, suite au succès
rencontré par ces courts épisodes
racontant l'histoire de Raph, un jeune sans
histoire qui rencontre un homme affirmant
venir du futur afin d'empêcher la fin du
monde, Ankama propose de participer au
financement. Apportant à la série une
crédibilité indéniable. Les acteurs du projet
sont même invités à présenter la série, dès 2010, au Comic Con Paris, véritable
rendez vous et consécration de la culture Geek.
42 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Alors que la société Ankama supprime, pour des raisons inconnues, ses apports
financiers à l'émission "Le Golden show" (depuis repris par Golden Moustache et
produit par Alexandre Astier), elle a récemment renouvelé sa confiance en participant
au financement d'une quatrième saison : "Le visiteur du futur : Néo Versailles". Cette
participation financière est complétée par celle de France télévisions dans le cadre
de leur pôle "Nouvelles écritures".
Ces ajouts de financement au fil des saisons montre une nouvelle fois l'intérêt pour
"la fiction, au delà de simples pastilles humoristiques"19. Mais aussi une implication
des professionnels des médias de plus en plus tournée vers un potentiel jeune et
créatif sévissant sur un espace web ouvert et ambitieux.
François Descraques s'exprimait, fin juillet, sur son blog concernant le tournage
imminent de la saison 4 de la série. Et s'expliquait plus particulièrement sur
l'implication des producteurs dans le processus de création : "Un peu comme nos
copains de Noob, nous sommes en train de repousser les limites de la production de
fiction web en France et le plus fou dans tout ça, c'est qu'en plus d'un budget
confortable, j'ai eu une TOTALE liberté sur le scénario. En effet, contrairement au
modèle de Noob, nous sommes financés par des gens extérieurs qui pourraient nous
contraindre dans nos idées. Mais ce n'est pas le cas." Il ajoute que " Ankama et
France TV Nouvelles Ecritures (...) me donnent les avantages de la production sans
les inconvénients"20.
Ainsi, à l'instar de Raphaël Descraques qui parlait de la liberté dont il avait bénéficié
malgré l'intégration d'Orangina dans le mécanisme, son frère François Descraques
affirme aussi que le modèle de production web laisse une relative liberté de création
absente d'autres projets.
A l'heure actuelle, malgré la mise en place de véritables sociétés vouées au contenu
vidéo web de qualité, il semblerait que se sont toujours les créateurs qui sont maitres
de leurs créations. Probablement car ce sont les premiers à avoir su rassembler
autour d'univers fictionnels sur le web. Ils sont devenus des sortes d'experts de la
réalisation vidéo pour le web, porte-paroles des auteurs natifs web auquel les dites
organisations font confiances.
19
Manuel Raynaud - Blog Arte "Dimension-series" - "Il imagine les aventures du Visiteur du Futur depuis trois ans" - 07 juillet 2012 20
François Descraques - FrenchNerd.com - "Le Visiteur du Futur : Saison 4 - Le tournage approche !" - 28 juillet 2013
43 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Pour poursuivre avec le prolifique, et décidément gâté, créateur du web François
Descraques, "Le visiteur du futur" n'a pas été sa seule collaboration avec France
Télévisions. Un autre de ces projets marque un tournant dans la production de
divertissement pour le web. Imaginée et écrite avec Slimane Berhoun, la web-série
"Les opérateurs" est la première web-série co-produite par France Télévisions dans
le cadre du projet « Nouvelles Écritures ». Telfrance complète la partie production. La
série raconte les déboires de
Slim, nouvellement embauché en
tant qu'opérateur référent dans
une mystérieuse entreprise
multinationale. Une entreprise
dont il ne connaît rien des
activités. Et un métier dont il ne
saisit pas les objectifs. Au point
de soupçonner l'implication des
extraterrestres ... (image
d'illustration : page facebook
officielle de la série).
France 4, avec sa plateforme de diffusion le studio 4.0, est une chaine intéressant
dans le cadre de son approche des modes d'écritures propres au web. Mais elle l'est
aussi dans le rôle de moteur qu'elle a pris dans le financement de contenus vidéo
produit pour le web.
Au delà du financement, des acteurs de la création
Ces plateformes ne sont pas crées pour ériger des barrières entre les médias. Au
contraire, elles démontrent une approche transmédia et cross-médias de la création.
Les web-séries présentées sont diffusés à la télévision en complément de leur
diffusion web. Par exemple "Les opérateurs" a été diffusé sur France 4 et "Le visiteur
du futur" sur NoLife. Après l'adhésion des internautes, on propose le contenu aux
téléspectateurs. Peut être est-ce une première étape dans la production de comédies
de science fiction à la télévision française, difficilement possible aujourd'hui. Cette
difficulté s'explique probablement par la peur de ne pouvoir amener à la télévision un
public geek fidèle mais déjà massivement tourné vers la consommation de contenus
sur le web.
44 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
A l'opposé, la plateforme du studio 4.0 sert aussi à proposer des contenus
complémentaires aux programmes télévisuels. Ainsi, la webcréation "Quand les
parents sont pas là" dérivée de la série "Fais pas ci, fais pas ça" diffusé sur France 2
a été proposé sur le site. Une stratégie transmédia de plus en plus privilégiée par
France Télévisions.
Ainsi, ces nouveaux dispositifs et acteurs permettent de produire du contenus qui
n'aurait pu être produit sur d'autres supports. En raison de leurs thèmes ou encore
de leurs origines relativement amateurs. Même si, comme nous l'avons vu plus tôt,
en vérité ce ne sont pas des novices qui proposent les projets. Amateur signifie plutôt
que ce sont des créations faites en indépendance, avec les moyens du bord, pas mal
d'astuces et l'aide des proches. Mais ça ne veux pas dire qu'ils ne possèdent pas de
compétences ou d'expériences antérieurs dans le domaine de l'audiovisuel.
Cependant ce sont des contenus et initiateurs de projets qui, encore aujourd'hui,
arrivent difficilement à trouver leur place dans une grille télévisuelle fermée. Ils
n’arrivent à s'imposer que dans des programmes ponctuels. Des créations courtes et
ambitieuses sont diffusées mais dans des cases horaires tardives. Ce qui les rend
confidentiel.
Comme c'est le cas de l'émission "Libre courts" diffusé sur France 3 en troisième
partie de soirée le jeudi. Les courts métrages diffusés lors de l'émission ont d'abord
été soumis à la sélection d'un jury puis au vote des internautes. Encore une fois, on
recherche l'adhésion des internautes avant de proposer des programmes courts à la
télévision.
Mais les portes ne sont pas hermétiques. Comme nous l'avons vu avec Canal + qui,
à défaut de proposer du contenus de création pour internet, propose aux créateurs
du web d'imaginer du contenus pour la télévision. Ludoc est l'un de ceux à qui ils ont
fait confiance. Ce dernier est un habitué de Youtube.
45 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Youtube, une participation accru à la création
Ludoc est le réalisateur et directeur artistique attitré du collectif Studio Bagel, qui
fonctionne sur un autre mode de financement. Plusieurs podcasteurs sévissant sur
Youtube sont réunies par une société de production, Black Dynamite, pour la
réalisation de courts métrages humoristiques et parodiques. "Permettant ainsi de
mutualiser les moyens et d’offrir une puissance marketing supérieure"21.
Une collaboration à l'initiative de Youtube qui souhaitait lancer treize chaines
thématiques. Une partie des frais est donc avancée par la plateforme de Google via
son programme de contenus originaux. Car chez Youtube "on croit à l’émergence
des fictions Web, sous la forme de courts-métrages". En effet, c'est sur cette
plateforme que la vague de création web sans précédent a fait le plus de ravages. Et
si ces derniers n'y croient pas, qui le pourrait.
Un concours a même été lancé en Janvier dernier. Nommé "Académie SACD
YouTube" il a été crée à l'initiative de Youtube et de la SACD avec "la volonté de
faire émerger et de promouvoir les auteurs web natifs et leurs créations originales " 22. Il a "récompensé et valorisé des œuvres déjà existantes au travers d’un prix puis
accompagné et soutenu de nouveaux projets grâce à une bourse incluant
notamment une formation". C'est la reconnaissance, le financement mais aussi la
professionnalisation par la formation qui est recherchée. Car la reconnaissance des
activités d'auteur pour le web comme profession ne viendra-t-elle pas de l'émergence
de cursus de formation destiné à apprendre ces métiers ?
21
Nicolas Rauline - Site Les Echos - "L’humour, un modèle gagnant pour YouTube et les jeunes talents" - 31 Juillet 2013 22
SACD.fr - Académie SACD YouTube - Février 2013
46 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Des formats publicitaires innovants au centre du modèle économique
Avec l'intervention de ces immenses acteurs du web, c'est une véritable entreprise
de créations originales qui se met en place. Avec une régularité, une structure, une
communication réfléchie et conceptualisée. Pour rentabiliser ses compétences de
créateurs du web, le collectif Bagel propose de mettre sa visibilité et sa notoriété au
service des marques. Leur offre de création est crédibilisée par le nombre de vues
engrangées par leurs vidéos.
Elle peut donc sembler intéressante pour les marques dans ce qu'elle promet en
terme de créativité, de visibilité et de partage. D'autant plus que ce sont des vidéos
qui s'adressent à un public cible difficile à approcher mais pourtant vecteur de
communauté, les 15-25 ans.
Pour les auteurs du web, c'est une manière de financer la création et de rémunérer
les personnes à l'origine de celle-ci. Une façon de créer un écosystème viable de
création sans renier la liberté propre au web. C'est un contenu créatif qu'ils délivrent
à la marque. Avec en vedette les visages du collectif. Mais il est distinct du catalogue
de leurs créations. Pour imager, les vidéos ne sont pas disponibles sur la chaine du
groupe mais sur celle de la marque uniquement. Cependant, le parcours vers un
modèle économique équilibré est encore long. Le Studio Bagel "serait l’une des rares
chaînes originales lancées par YouTube à l’automne dernier à être rentables en
France."23
C'est encore une fois Orangina qui est l'une des premières marque à s'investir dans
la réalisation de publicités créatives pour et par le web. Elle invite le studio à crée des
publicités destinées à Youtube avec les stars du collectif en vedette. Mais sous une
forme différente que celle du court-métrage "Mission 404", qu'Orangina a coproduit.
L'aspect de création a à nouveau son importante pour intéresser le public cible, mais
il est beaucoup moins poussé. Contrairement au court métrage évoqué, ce ne sont
pas des créations originales mais bien de petits films publicitaires. De courtes
séquences diffusés avant les vidéos du Studio Bagel sur Youtube.
23
Nicolas Rauline - Site Les Echos - "L’humour, un modèle gagnant pour YouTube et les jeunes talents" - 31 Juillet 2013
47 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Ces vidéos reprennent les codes des
créations qu'elles introduisent et
permettent de toucher cette fameuse
cible difficile à cerner. Elles empruntent
le ton absurde, le format des vidéos
visionnées et sont jouées par les
acteurs du Studio Bagel. Elles invitent
ensuite à poursuivre vers d'autres
vidéos. C'est une véritable série de
petites films publicitaires parodiant le
cinéma qui est proposé. Des films qui
correspondent aux vidéos qu'elles
introduisent. Cette nouvelle pratique
publicitaire vise à intégrer un contenu
éditorialisé, sponsorisé par
l’annonceur. Cette publicité, non
intrusive, s’adapte au mode de lecture.
Une publicité Orangina précédent une vidéo du Studio Bagel en juin 2013.
Cette offre de "Native advertising" propose un contenu de qualité qui incite au
partage sur les réseaux sociaux, grâce à une diffusion facilitée sur tous les devices
digitaux. Elle répond à cette envie de trouver une publicité adaptée au contenu et à
la personne qui la visionne. Une envie exprimée à plusieurs reprises dans le
questionnaire d'enquête de ce mémoire. En effet, concernant les publicités sur
Youtube, la principale réflexion était que les publicités sont trop envahissantes et pas
toujours en adéquation avec la vidéo. Ce qui a tendance à détériorer l'expérience
utilisateur dans la consommation de contenus vidéos sur le web. Orangina répond ici
à cette problématique : la publicité est désormais en adéquation avec le contenu et
s'intègre mieux à la création qu'elle précède.
Pour Yannick LACOMBE, Directeur général adjoint Marketing et Stratégie de
Lagardère Publicité qui s’exprime sur cette offre, « L’objectif est de permettre aux
annonceurs de se positionner au coeur de l’expérience utilisateur et d’engager une
attention et une interactivité maximales sur leurs messages. » 24
24
Lagardère publicité – Communiqué de presse –« Lagardère Publicité lance sa 1ère offre de « Native Advertising » sur PUBLIC » - 13 mai 3013
48 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
"Google insiste d’ailleurs sur la nécessité de créer des formats publicitaires
innovants, capables d’accrocher l’internaute." 25 Surtout avec la possibilité de
"Passer l'annonce" qui est offerte lors du visionnage sur Youtube. Dans ce contexte,
il est d'autant plus important de miser sur la créativité et la curiosité, pour happer
l'attention du visiteur. Et l’humour est l'un des appâts favoris des internautes et a
toujours été une ficelle appréciée des publicitaires.
Ces nouveaux espaces publicitaires, en plus de prendre diverses formes, constituent
un champ des possibles pour les annonceurs présents à la télévision ou au cinéma.
Ou pour ceux qui justement ne peuvent y avoir accès. Certains n’ont pas le droit de
diffuser leurs campagnes publicitaires sur la télévision classique pour des raisons
d’ordre public. Ces interdictions réglementaires touchent par exemple l’alcool, le
tabac et le cinéma. Ils pourraient ainsi contourner ces interdictions et diffuser
librement via internet. Et par conséquent sur la télévision connectée.
D'abord uniquement présent sur Youtube, c'est depuis peu qu'un site internet a été
crée pour présenter le Studio Bagel et ses réalisations. Mais cela ne change pas leur
fonctionnement puisque toutes les vidéos de création sont hébergées sur Youtube.
Cette plateforme de partage de vidéos reste au centre de leur stratégie de
communication. Au même titre que l'utilisation des réseaux sociaux. Leur site est
même difficilement trouvable puisque très mal référencé sur Google. Il ressort loin
derrière leur présence sur les réseaux sociaux et le lien vers leur chaine.
Page d'accueil du site internet du Studio Bagel, avec Youtube et Facebook en vedette
25
Nicolas Rauline - Site Les Echos - "L’humour, un modèle gagnant pour YouTube et les jeunes talents" - 31 Juillet 2013
49 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Ainsi, c'est le bouche à oreille et le partage qui remplacent les moyens de promotion
classiques. D'un point de vu financier, l'utilisation de Youtube leur permet un revenu
publicitaire important sans générer de coûts de diffusion. Si les sommes engrangées
sont difficiles à estimer, c'est cependant une mine non négligeable de ressources.
C'est ce que nous verrons plus tard.
Quoi qu'il arrive, ces stars du web sont aujourd'hui du pain béni pour les sociétés de
productions digitales et les annonceurs. Ce sont les visages de la création native
web. Les deux collectifs présentés et soutenu par des professionnels, Golden
Moustache et Studio Bagel, représentent les deux groupes de production
audiovisuels français les plus populaires sur Youtube. La vidéo la plus populaire de
Juin 2013 sur Youtube est le fruit de leur collaboration.
Au final, les professionnels sont attirés pas cette réussite et ce talent né sur le web.
Ils empruntent la popularité de ces acteurs du web à leur profit, pour être les
premiers à innover dans cette sphère internet primordiale. En théorisant et en
appliquant les critères de la vidéo web, ils arrivent à mettre en place une véritable
industrie de la vidéo du net. Ce qui n'entrave pas leur créativité et leur ton décalé. Du
moins pour le moment. De leur côté, ils facilitent la production en apportant le
matériel et la crédibilité nécessaire à toute expansion. L'internaute semble entrer
dans le jeu des professionnels puisque ces vidéos n'ont jamais été aussi populaires.
Mais jusqu'ou sont-ils prêt à s'investir dans la consommation de ces contenus ?
50 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Comportement de l'internaute face à l'utilisation de la publicité comme mode
de revenu
Depuis 2007, Youtube a mis en place un programme de partage de revenus
publicitaires. Ce système permet de générer de l'argent avec l'utilisation de la
publicité. Et de partager ensuite les sommes perçus avec le créateur. Au départ la
publicité restait discrète, avec un bandeau publicitaire en bas de page, et le partage
n'était proposé qu'aux meilleurs créateurs indépendants présents sur la plateforme.
Aujourd'hui, un écran publicitaire précède le lancement des vidéos lorsque les
créateurs ont souhaité adhérer du programme. Un programme ouvert à tout créateur
de contenu original. Car seules les vidéos de création peuvent profiter de ces
revenus.
Mais que pensent les internautes visiteurs de la généralisation de la publicité sur la
plateforme et de la génération de revenus qu'elle entraine ? Dans le cadre du
questionnaire d'enquête, il ressort que 20% des gens interrogés trouvent que la
publicité est un moyen intelligent de rémunérer les vidéos mais qu'elle est trop
envahissante. Et cette possibilité offerte à tous de voir sa vidéo rapporter une
certaine somme d'argent ne va pas aider à inverser les choses. Au contraire, nous
nous dirigeons vers plus de publicité. Avec l’utilisation massive de la publicité sur
toutes les plateformes qui diffusent des vidéos (replay, plateformes de partage vidéo)
on peut se demander si la publicité vidéo ne serait pas déjà excessive sur internet.
Du point de vu du contenu en lui même, il est vrai que cette ouverture permet à
n'importe qui de gagner de l'argent grâce à la vidéo sur le web. Une vidéo montrant
deux chatons en train de jouer peut alors permettre au propriétaire de la chaine de
gagner un peu d'agent, étant donné la popularité de ce type de contenus sur la
plateforme. On peut alors penser que ces partenariats ne vont pas aider la création
sur le web mais plutôt entrainer la mise en ligne d'un nombre considérable de vidéos
51 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
"Buzz", sans véritable intérêt créatif. Pour pouvoir générer du contenu, les créateurs
vont uploader des contenus populaires et délaisser la création et la prise de risque.
Cependant, il permet au créateurs de contenus de création pure d'envisager un
retour financier sur leur création sans avoir à s'impliquer personnellement dans des
partenariats, des régies publicitaires ou chercher l'aval de sociétés de production.
C'est la plateforme qui gère la transaction avec les annonceurs Et la décision
d'accepter l'intégration de publicité n’a aucune influence sur le contenu. Ce partage
aide la création dans le sens où il entrouvre une porte vers un véritable modèle
économique sans pour autant la brider. Un modèle dans lequel l'amateurisme à sa
place.
L'internaute au cœur de la distinction amateur/professionnel dans le cadre des
revenus générés
Si l'arrivée de nouvelles plateformes et moyens de financement professionnalisent la
production de vidéos pour le web, il n'en reste pas moins que ce sont des moyens de
financement ouverts aux amateurs. La différence entre amateurs et professionnels
semblait se jouer dans le rapport entretenu avec l’aspect financier et dans la
participation de sociétés dédiées à la création audiovisuelle au cours des étapes
conduisant à délivrer le produit final. Mais la possibilité pour les amateurs de générer
du revenu pousse à se questionne.
Selon Wikipédia, un professionnel est une personne exerçant un métier ou une
profession. Celle-ci « procure un salaire, une rémunération, des revenus à celui qui
l'exerce. Il constitue également un rôle social. »26 Dès leur que des revenus sont
dégagés et que la personne s’inscrit dans un processus social reconnu, il semblerait
donc qu'on puisse le qualifier de professionnel. Concernant le "rôle social", peut être
que la sollicitation des entités établies dans le domaine de l’audiovisuel constitue
cette acceptation sociale. Des initiatives amateurs deviennent professionnelles avec
l’apport en numéraire et l’arrivée d’entreprises. Car il semblerait que ce second point
soit primordial et qu'il distingue un amateur d'un professionnel. Une personne peut
générer du revenu sur les plateformes de partage vidéo mais ne pas être un
professionnel car il n'est pas reconnu par ces tiers.
26
Wikipédia - http://fr.wikipedia.org/wiki/Profession
52 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Comme nous l'avons vu, la différence ne semble pas tenir à des critères de formation
ou d’expérience. Alors que ce sont les critères primordiaux dans le monde du travail.
Sur le web, elle tient à des revenus permettant de vivre et surtout à la
reconnaissance en tant que professionnel. Mais par qui et comment doit s'exprimer
cette reconnaissance ?
Le cas du Youtubeur Norman Thavaud, 26 ans, peut aider à préciser ce point.
Evoqué plus tôt, ce poadcasteur crée de manière totalement indépendante tout en
gagnant sa vie. Il imagine, tourne et monte ses vidéos « dans sa chambre », comme
aime le dire les médias. Serait-il pour autant un professionnel du web ?
En effet, il affirmait déjà, il y a quelques mois, « gagner confortablement sa vie »
grâce aux vidéos postées sur YouTube. Avec le reversement d’un pourcentage sur
les recettes publicitaires perçus par le site. Il faut se rappeler que ses vidéos,
publiées à peu près toutes les trois semaines, sont vues en moyenne 5 millions de
fois. Ainsi, il remplit l'un des deux critères du professionnel, la perception de revenus
permettant de vivre. Mais qu'en est t-il de la reconnaissance dès lors qu'il travaille de
manière indépendante ? C'est-à-dire qu’il n’y a pas l’implication de société dédiée à
la production dans le processus. Il est autodidacte.
Cependant, il n’est pas totalement détaché du milieu professionnel et obtient des
revenus supplémentaires grâce à des contrats signés avec diverses sociétés. En
2010, il est embauché par Digital Games, pour jouer dans une mini web-série :
« Nouvelle série Geek ». Ce qui lui permet d'être rémunéré grâce à leurs vidéos. Il a
également prêté son image à la marque "Crunch" dans une série de vidéos intitulée
« Crunch sort Norman de sa chambre ». Le principe était de le faire voyager vers
quatre destinations différentes autour du monde et de filmer ses aventures. De plus,
Norman est choisi en 2011 par Orange pour tourner des vidéos virales en faveur de
l'opération Orange Cineday. Les vidéos nommées « Norman fait son cinéma » sont
diffusées à partir de juillet 2011. C'est la première fois que des vidéos où il est
l'unique acteur ne sont pas réalisées par ses soins.
Mais contrairement à une grande majorité de ses collègues Youtubeur, qui se sont
rapprochés de collectifs chapeautés par des sociétés de production, lui n’a pas pris
part à de véritables entreprises naissantes de création vidéo pour le web.
Probablement très occupé et satisfait de son sort, il reste autonome dans la création
de ses vidéos. Ce qui ne l’empêche pas de saisir les opportunités publicitaires. Et,
tout en restant loin de la télévision, il s’est essayé au cinéma avec le film de Maurice
Barthélémy évoqué plus tôt. Et tentera bientôt sa chance avec son propre projet.
53 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Décrit par le journaliste de Liberation Éric Loret, comme « des jeunes artistes
hyperbons en business et en com, maîtrisant toutes les stratégies avec la plus
grande innocence » 27, ces stars du web cumulent revenus, reconnaissance
professionnel et populaire. Dès lors malgré la décontraction apparente, c’est bien la
une nouvelle profession qui s’impose. Au-delà d’un simple hobby, la réalisation de
vidéo sur Youtube, peut devenir un véritable métier dès lors que le public est au
rendez-vous. Car avec l’intérêt des internautes vient celui des professionnels.
On peut de toute façon se questionner sur la nécessité de l’implication des
professionnels dès lors que les revenus peuvent être possibles avec la seule
intervention des internautes, lorsqu’ils visionnent la vidéo. Les annonceurs n’ont pas
de contact avec les créateurs mais seulement avec les gérants de la plateforme.
Bien sûr les revenus sont plus importants avec l’intervention d’acteurs extérieurs et la
mise en place de processus organisés. Mais avec ces nouveaux modes de revenus
publicitaires sans contact direct, la simple reconnaissance du public suffirait-elle à
constituer le rôle social ?
Même en autodidacte, ces créateurs multitâches constituent une nouvelle vague de
professionnels qui ne répondent pas forcément aux critères habituels du monde du
travail. Et ce n’est parce qu’ils ne conceptualisent pas leur activité et pratique en
toute « innocence » que ce ne sont pas de véritables créateurs de contenus. Si
certaines sociétés considèrent ces visages du web comme des produits marketing
susceptible de toucher une cible 15-25 ans difficile à atteindre, il n’en reste pas
moins que ce sont de vrais créateurs de contenus. Une puissance créative que
semble réaliser de grandes marques, comme Orangina.
Finalement ces courts métrages à l’initiative des marques, comme "Mission 404",
sont amorcés dans le but, mercantile, de promouvoir les produits plutôt que celui,
altruiste, de faire avancer la création web. Mais ils constituent une avancée dans le
statut de ces créateurs du web. Au delà de leur image, c’est leur créativité qui est
sollicitée. Et ces requêtes font de ces organisations du web une véritable économie
de création reconnue. Mais ce n’est pas la seule façon de gagner de l’argent offerte
aux internautes créateurs. Dès lors qu’ils arrivent à réunir une communauté, une
autre possibilité en particulier s'impose.
27
Éric Loret - « Norman : Tête à clics » - Liberation.fr - 26 octobre 2011
54 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Utilisation des produits dérivés dans l'industrie du web
Si Revision 3 a choisi de faire sponsoriser ses programmes par des marques, ce
n'est pas le cas de toutes les émissions, web-séries, poadcast et suites de courts
métrages. Sur internet, la promotion passe par les réseaux sociaux et autres sites
communautaires. Les acteurs du web l'ont bien compris et c'est un moyen pour eux
de créer et entretenir une communauté. Une communauté susceptible de
consommer d'autres formes de contenus ou encore des produits identitaires. C'est la
porte ouverte au cross-média et aux produits dérivés, qui permettent de générer des
recettes tout en stimulant la communauté.
Faire vivre la création sur le principe du merchandising est un modèle économique
un peu expérimental. Mais ce sont des systèmes adoptés en masse par les géniteurs
de ces espaces de divertissement du web. On assiste à l'ancrage d'une économie
marchande autour de la création audiovisuelle web. Bien sûr les productions
audiovisuelles n'ont pas attendus internet pour décliner leurs œuvres en produits
complémentaires destinés aux fans de l’univers crée. Dans ce lien étroit entretenu
entre télévision, cinéma et internet, le web transpose en fait des concepts éprouvés
par ses prédécesseurs. Le divertissement du web n'est plus une sous création et
n'est pas non plus une sous économie.
Exemple de la bande dessinée « Le visiteur du futur », disponible sur la boutique Ankama, proposant
un scénario se déroulant entre la saison 1 et la saison 2.
55 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Internet, liberté et gratuité
Ainsi, si les contenus sont généralement accessible librement, et que l’internaute ne
débourse rien pour visionner ses émissions web préférées, il participe d’une manière
détournée à l’économie encadrant la création. L’abonnement n’est que rarement
choisi car les internautes ne seraient pas disposés à payer pour voir du contenu
audiovisuel sur internet. Ce serait la gratuité qui primera toujours.
Donc les internautes ne sont pas prêts à payer de manière traditionnelle pour
accéder au contenu. Mais ils le sont avec la promesse d'obtenir quelque chose en
échange, avec l’impression de participer à la réussite d’un projet ou encore le
sentiment d’appartenir à un groupe. Comme c’est le cas avec le financement
participatif et l’achat de produits dérivés. Sollicité, mis en valeur et intégré dans une
communauté l'internaute est prêt à soutenir la création. Un état d'esprit qui n'est pas
étonnant, internet est un lieu de création, une nébuleuse en perpétuelle mouvement.
Mais, en laissant de côté la participation des internautes, beaucoup d'argent est
dépensé par certaines marques pour des productions audiovisuelles exclusivement
destinées au web. Cartier par exemple. Ceci semblerait prouver que le web est bien
devenu le nouveau terrain de jeu des professionnels. Un terrain de jeu qu'il est
judicieux de ne pas négliger dans la création de production audiovisuelle.
Car au-delà de ces plateformes de création naissantes, des géants de la diffusion de
contenus sur internet pourraient bien totalement chambouler le paysage audiovisuel
du net. De nouvelles plateformes et services connectés, bien implantés dans d'autres
latitudes mais dont l’amarrage est délicat en France Sans attendre notre pays, ils
passent du statut de simples canaux de diffusion à de véritables acteurs décisionnels
du secteur audiovisuel. Et remettent en cause certaines hypothèses évoquées
jusqu’ici.
Et dans ce schéma évolutif, comment l’internaute réagit-il ? Un internaute que l'on
peut nommer spectateur dans ce paysage connecté et multi support. Face au tout
gratuit d'internet, semble-t-il prêt à payer pour un service unique, riche et abordable ?
56 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Des offres foisonnantes, légales et payantes Certaines plateformes remettent en question les hypothèses précédemment
évoquées concernant la participation financière des internautes pour accéder aux
vidéos. Ces derniers seraient-ils prêt à participer dès lors qu’ils ont accès à une offre
qui répond à leurs attentes tels que définies plus tôt ? C'est à dire une offre
foisonnante, rapidement accessible, sur plusieurs interfaces, de qualité et à moindre
coût. La concurrence des sites illégaux est colossale puisqu'ils promettent
l’abondance des contenus, rapidement et pour un coût souvent nul. Si, pour le
streaming, on ne compte pas les éventuels frais d'abonnement pour un accès illimité
aux sites hébergeant les vidéos. Face à ces opportunités très attractives, ces
plateformes tentent de faire contrepoids.
Dans le secteur de la musique, certaines offres parviennent à amener les utilisateurs
vers le légal et participent à la réduction du téléchargement illégal. C'est le cas de
Deezer ou Spotify. Freiné par des contraintes contractuelles et réglementaires, le
secteur audiovisuel n’arrive pas à convaincre et les offres légales sont souvent moins
compétitives. Car ces plateformes de musique ont l’avantage de proposer une partie
de leur service gratuitement. Ce que ne proposent pas les plateformes de diffusion
de films et séries. Au mieux, les abonnés se voient offrir un mois d’essai gratuit.
Mais la gratuité est-elle une fatalité sur internet ? Et par extension sur les supports
connectés ? Il ne semble pas au vu d’outils fonctionnant sur le principe de
l’abonnement et pourtant extrêmement populaires. Hulu, Amazon et Netflix en sont
les fers de lance. Mais ne sont pas accessibles en France …Gardons l’exemple de
Netflix pour s’intéresser au positionnement de ces plateformes sur le marché français
et mondial. D’autant qu’en plus d’être un diffuseur c’est un créateur de contenus.
Plateforme Netflix, inaccessible depuis la France mais accessible depuis les Etats unies par
exemple.
57 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Netflix est un service de films sur internet, dans un premier temps service de location
de films par courrier, créé en 1997. C'est un catalogue de 100 000 titres, séries
télévisées et films. Le site comptait 29,2 millions d’abonnées en avril 2013 pour un
chiffre d’affaire de 1,02 milliards de dollars. L’entreprise exploite des licences
émanant des studios de cinéma et télévision mais propose aussi des créations
originales.
Il passe du statut de loueur à celui de producteur en se lançant dans le
développement de séries. « Hemlock Grove» ou « Orange is the new black »,
l’intégralité de la saison est disponible au même
moment pour ces productions made in Netflix.
L’entreprise va même jusqu’à racheter des
concepts abandonnés par la télévision, donnant
une seconde vie au programme. C’est le cas
avec la série Arrested Development dont la
saison 4 a été proposée sur le site. « House of
Cards », l’une de leur dernière série, sera bientôt
diffusée sur Canal + ! Et elle a reçu pas moins
de 9 nominations aux Emmy Awards 2013, dont
une dans la catégorie de "meilleure série
dramatique". Ce sont donc des productions de
valeur et reconnus comme tels, au-delà de leur
origine web. Un pas franchit dans la création du
secteur.
D’autres projets prometteurs sont à venir. Ce rôle de créateur modifie
considérablement la proposition et les caractéristiques générales de la vidéo
d’internet. Si l’immédiateté est de mise, le format diverge incontestablement des
exemples évoqués dans la première partie de ce mémoire. Ce sont de véritables
séries, aux caractéristiques télévisuelles. Avec des offres multi supports et
connectées comme celle-ci, la création n’est plus seulement web mais télévisuelle.
Elle n’est plus définie et contrainte par son support puisqu’elle se promène d’un
média à l’autre.
Pourtant accessible depuis de nombreux pays d’Europe, Netflix ne l’est pas entre
nos frontières. La France se contente d'offres chères et lacunaires. Les services de
VOD par abonnement identiques à Netflix existent dans notre pays. Canal Play
Infinity en tête. Mais ils semblent bien pauvres face au catalogue proposé aux
abonnés par leur grand frère américain.
58 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
En effet, Canal Play Infinity est beaucoup moins fourni que son collègue d'outre
atlantique. De plus, les films proposés gratuitement dans le cadre de l’abonnement
ont au minimum 36 mois, afin de respecter le cours de la chronologie des médias.
Car si l’internaute ne jure que par l’immédiateté, un ordre de diffusion de la création
audiovisuel existe toujours dans le système légal. Et il faut payer le prix d'une
location supplémentaire pour espérer visionner des films plus récents. Soit une
somme approchant les 5 euros par film pour 24 heures de location !
Un prix exorbitant quand on le compare au prix d’un abonnement mensuel sur ces
plateformes. Pour une contribution légèrement inférieure à Netflix (6,99 euros
mensuel pour Canalplay Infinity contre 7,99 euros pour Netflix), le petit frère français
propose une offre nettement moins intéressante.
Aperçu du catalogue cinéma de Canal Play Infinity en juillet 2013
Si le spectateur du net choisit le légale payant à la place d’offres pirates mais
gratuites c’est probablement car la somme demandée reste très abordable compte
tenu de la richesse du contenu proposé. De plus, ces plateformes leurs sont
accessibles facilement depuis tout leurs devices, sans connaissances techniques
préalables, sans limite et sans manipulations complexes ou risques d’infections pour
les supports. En bref, la consommation se fait en toute tranquillité. Une tranquillité qui
à un coût acceptable puisqu’il ne dépasse pas la barre symbolique de 10 euros.
59 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Ainsi, l’initiative française dans le secteur de la location vidéo, autre qu’à l’acte, est
encore timide en raison de barrières légales. L’offre n’est pas fondamentalement
moins bonne que les propositions faites pas nos voisins. Mais leur catalogue
s’empêtre simplement dans des contraintes imposées par le schéma d’exploitation
des films en vigueur sur notre territoire.
Mais les films ne sont pas les seuls contenus proposés. Les séries ont une forte
attractivité sur les spectateurs et sont des incontournables d’un inventaire de VOD.
Et elles ont l’avantage de ne pas s’insérer dans une chronologie des médias
restrictive. Cependant, là aussi, l’offre reste inachevée. Le lobbying des chaînes
semble en être la raison. Nous l’aborderons plus tard.
En conséquence, le bilan de ces tentatives semble plutôt mitigé. Canal Play Infinity
n’a pas encore franchi le cap des 300 000 abonnés. Ce serait donc l’exception
française avec son délai de 36 mois pour les films, qui freine le développement des
services de vidéos à la demande par abonnement (SVOD) français.
Les plateformes existantes face à l'exception française
En quoi ces modérateurs légaux ralentissent l’implantation de ces géants de la vidéo
à la demande sur le sol français ? Car la chronologie des médias organise
l’apparition des films sur les différents supports et selon leurs modes de diffusion. La
programmation télévisuelle, la sortie DVD ou la mise disposition sur Internet ne peut
se faire à n’importe quel moment. Il y a une chronologie dans l’exploitation de
l’œuvre. Et la SVOD, c’est le dernier maillon de la chaîne.
En France, c’est donc un délai de 36 mois qu’il faut respecter avant d’envisager la
SVOD. Pour la VOD avec paiement à l'acte, c’est quatre mois contre 48 mois pour la
VOD gratuite. C'est-à-dire sur les plateformes de Replay accessibles par tous. C’est
pourquoi une première diffusion sur une chaine n’entraine pas nécessairement la
mise en ligne sur les sites de rattrapage rattachés. Ces délais sont extrêmement
lourds face à l’instantanéité du web.
60 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
A la faveur de ce calendrier, Netflix en France ce serait des films comme
« Inception », sorti en juillet 2010 pour les plus récents. Ou dans peu de temps,
« Les petits mouchoirs » pour les films français. Une proposition beaucoup moins
actuelle que sur le sol américain. Le rapport Lescure préconise des changements
pour permettre une exploitation des films plus tôt. Cette chronologie pourrait donc
être chamboulée, pour limiter l’envie de télécharger illégalement un film. Le délai
pour la SVOD pourrait être divisé par deux, passant de 36 mois à 18 mois. Un
période encore longue entre l’exploitation en salle et la disponibilité par
abonnement.
« Ce volet chronologique des médias correspond à une époque où l’audiovisuel était
régi par le temps et l’espace. L’espace, c’était l’attribution de fréquences. Le temps:
la chronologie des médias. Sur Internet, il n’y a plus de contraintes, ni de temps ni
d’espace. »28
Aux Etats-Unis, le temps d’attente est de 4 mois en moyenne. En fait, la plateforme
peut négocier directement la date de mise en ligne des films avec les studios
auxquels elle les achète. Une date contractuellement fixée qui dépend de chaque
film. Et l’entreprise n’a pas à contribuer au financement de quoi que ce soit.
28
Charlotte Pudlowski - Slate.fr - « Pourquoi Netflix n'est pas encore en France » - 15 juillet 2012
61 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Comme c’est le cas en France avec le décret SMAD qui contraint les services de
médias audiovisuels à la demande, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 10
millions d’euros, à contribuer au financement des films. Des obligations qui
pourraient ne pas être évidentes pour Netflix. Mais pas incontournables étant donné
le chiffre d’affaire de la société. « En fait, la question n’est pas uniquement de savoir
si Netflix a envie de s’installer en France, c’est aussi de savoir si on va lui ouvrir la
porte. »29
Devant l’inquiétude des acteurs de l’audiovisuel et des politiques français face aux
changements, ce sont les plateformes pirates qui se délectent. Et les
consommateurs qui s’impatientent. L’appréhension principale c’est l’ascension d’une
plateforme étrangère et la fragilisation des acteurs français du cinéma, chaînes
publiques et privées.
« L’intérêt aujourd’hui du secteur, c’est que l’on ait des plateformes qui financent la
création originale française et européenne et qui la mettent en valeur. Mais c’est
encore mieux si ce sont des plateformes locales: on sait qu’elles auront d’autant plus
envie de mettre la création française et européenne en avant », estime Eric
Garandeau, ancien président du CNC.
Les changements possibles effraient les forces en présence. Sous couvert d’avoir
peur pour la création et le rayonnement des œuvres françaises à l’internationale, ils
semblent ne vouloir envisager ces nouvelles plateformes que si elles sont taxées et
participent financièrement à la création. Et pour des plateformes aussi riches que
Netflix, pourquoi pas.
Les dirigeants ont déjà montrés leur volonté de participer à la création avec des
contenus originaux proposés aux utilisateurs. Si pour le moment la création
estampillée Netflix n’est ni française ni européenne, peut être est-ce là un moyen de
devenir un acteur incontournable de la création partout dans le monde. Un vaisseau
mère américain, avec des antennes de création locales déconcentrées. Et quoi de
mieux qu’une plateforme mondialement utilisée pour ensuite diffuser, mettre en
valeur et promouvoir la création française et européenne.
29
Charlotte Pudlowski - Slate.fr - « Pourquoi Netflix n'est pas encore en France » - 15 juillet 2012
62 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Cependant, au lieu de prôner l’évolution les décideurs missent sur la protection.
Ainsi, pour Bertrand Méheut, président de Canal+ « Il faut prendre le problème à
l'envers et préserver les acteurs qui financent : les salles de cinéma, la télévision
payante et la télévision gratuite. (…) La réforme de la chronologie des médias, qui
permettrait une diffusion des films en vidéo à la demande plus rapidement après leur
sortie, pourrait bousculer l'équilibre du secteur. »30 .
Ils l’ont démontrés à de multiples reprises, l’une des priorités du groupe Canal + est
la création. Ils ont fait évolués le paysage télévisuel en proposant notamment des
séries françaises de qualité, avec une popularité qui dépasse les frontières. A l’image
de la création originale « Les revenants ». Mais ils ne le font pas par altruisme. Des
craintes financières qui les font redouter I ‘apparition de nouveaux grands acteurs
internet de la création. Ils monopolisent déjà une grande partie du marché et sont
allégés des contraintes qui les entravent. Le président de ce groupe, dont l’offre a
pris un sérieux coup de vieux du fait de l’évolution du paysage audiovisuel, ajoute
que pour lui « La régulation des acteurs d'Internet est très difficile, voire illusoire ».
La France a manqué le tournant légal et créatif à prendre et s’en mord aujourd’hui
les doigts face à l’ombre menaçante de ces colosses de la VOD. Ils en appellent au
nationalisme et au protectionnisme pour faire reculer l’échéance. Reculer pour mieux
sauter ? Car il faudra finir par faire face aux lobbys actuels de l’audiovisuel et
accueillir sur le territoire ces plateformes immigrées tant désirées par les utilisateurs.
Des utilisateurs qui peuvent facilement trouver des moyens de détourner les
interdictions.
Comme nous l’avons vu, au delà d'une simple plateforme NetFlix est aussi un acteur
de la création sur internet. L'entreprise a crée six séries originales depuis 2012 ne
faisant qu’enrichir leur offre, déjà très complète, par du contenu inédit. Le choix de la
série n’est pas étonnant car c’est un contenu fidélisant et détaché des contraintes de
temps, qui a permis aux services de SVOD de progresser. Cependant, en France
elles étaient jusqu’ici jalousement protégées par les directions des programmes,
obligeant le spectateur à attendre un an ou plus après la diffusion américaine. Ce
qui a eu pour seule conséquence de faire les beaux jours des sites pirates. En effet,
les chaînes de télévision bénéficient dans leurs contrats avec les producteurs de
clauses d'exclusivité régionale, qui interdisent aux plateformes de VOD de proposer
les séries TV américaines, dont ils ont acquit les droits, aux internautes français.
30
Alexandre Piquard - LeMonde.fr – Interview de Bertrand Méheut - 04 juin 2013
63 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Pour que Netflix et ses homologues s’installent en France, il faudrait que les chaînes
de télévision acceptent d'assouplir ces clauses d'exclusivité, en échange de
compensations financières. Des accords, semblables à ce qui existe aux Etats unies
qui permettraient de fournir aux utilisateurs un vaste choix de productions récentes,
au moins pour la catégorie des séries. Mais les chaînes françaises semblent
actuellement tournées vers le développement de leur VOD à l’acte sur leurs propres
portails. Les systèmes de vidéo à la demande illimités sont souvent soumis à un
abonnement à une chaîne de télévision câblée. Comme c’est le cas pour le bouquet
OCS (ex Orange Cinéma Séries).
Un bouquet intéressant dans l’évolution de la télévision vers un format non linéaire,
affranchit des contraintes de temps. Et qui répond au besoin d’instantanéité cultivé
par internet. En effet, certaines séries américaines sont disponibles le lendemain de
leur diffusion aux Etats-Unis et pendant plusieurs jours sur leurs compléments
streaming. Ce service « US+24 » a été expérimenté avec des séries comme « Game
of Thrones » ou « The Walking Dead ». La chaîne Canal + Séries, lancé à la rentrée,
proposera les mêmes avantages. Mais cette offre n'est pas encore généralisée. Alors
que des séries sont disponibles massivement quelques heures après leur diffusion
US sur internet, il faut attendre parfois plusieurs mois pour un offre légale ou une
diffusion télé.
Concernant les initiatives créatives des sites de streaming légaux, ils permettent de
se projeter dans l’avenir en envisageant dans le futur la production de long-métrages
web par Netflix. Si on peut encore appeler ces productions « Web ». Car dans cet
environnement multi support, si elles sont diffusées par internet, elles sont autant
accessibles via un ordinateur que sur d’autres supports. La Xbox, par exemple,
permet de visionner sur la télévision. La création se détache du support. Créations
web, films de cinéma et séries télévisées se confondent, se côtoient et peuvent être
consommées de la même manière. Et légalement.
« Netflix exception…, ou d’avenir ? Difficile de prévoir, mais son modèle est
suffisamment efficace, prometteur et bénéficiaire pour que d’autres s’y conforment et
essaient de suivre son chemin. »31. Ces plateformes disposent pour le moment d’un
monopole qui pourrait bientôt se voir chahuter. Par de nouveaux arrivants dans le
secteur et par de nouvelles offres. Pendant que la France tente de se mettre au
niveau, une course vers la prochaine offre innovante se déroule. Une course dont les
vainqueurs pourraient gagner beaucoup d’argent.
31
Lorraine Besse – Konbini.com - Netflix : l’avenir de la télévision – 28 avril 2013
64 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Aperçu de l'offre vidéo de demain
Avec ce besoin d’immédiateté, l’avenir de la télévision de divertissement se joue
probablement dans la VOD, indubitablement connectée et multi support. L'internaute
d'aujourd'hui, et davantage celui de demain, est un téléspectateur. Le support qui lui
permet d'accéder à internet devient son moyen de visionner du contenus vidéos, qu'il
soit télévisuel, cinématographique ou web. Avec la convergence des supports, l'offre
sera de toute façon connectée. Tout comme elle l'est de plus en plus aujourd'hui. La
création ne sera plus pensée pour son support mais pour une diffusion sur divers
devices. C’est déjà le cas avec les créations Netflix.
Des rumeurs ne cessent d'annoncer l'implantation de Netflix et de ces homologues
en France avant la fin de l'année pour finalement être démentie quelques jours plus
tard. Il ne reste qu'à espérer que le paysage français évolue rapidement pour pouvoir
faire de notre pays un marché, de diffusion et de création, intéressant pour ce géant
de la vidéo à la demande. Peut être passons-nous à côté d’un futur grand acteur de
la création, par peur pour celle-ci justement. De quoi enfoncer un peu plus la France
dans le gouffre créatif qu’elle peine aujourd’hui à remonter alors que le reste de
l’Europe évolue de concert.
Une telle offre répondrait à une demande grandissante des consommateurs alors
que l'audiovisuel français fait la sourde oreille. En attendant, c’est un paysage
français de la vidéo à la demande vieillissant qui nous est proposé, loin de répondre
à la problématique du téléchargement et plateformes de streaming illégales. Tandis
que les internautes, toujours avides d’actualités et de nouveautés, contournent
l'exception française en trouvant des moyens technologiques, légaux et gratuits de
détourner l'interdiction d'accès à Netflix depuis la France. Ainsi se dessine le futur de
la production audiovisuelle sur internet.
Comme le montre l'immense succès des plateformes illégales, l'internaute ne se
cantonne pas à regarder des programmes courts sur son support connecté. Sa
tablette, son ordinateur ou son téléphone deviennent les centres névralgiques de sa
consommation vidéo. Sans considération de la source. Il reste à savoir dans quelle
chronologie ces contenus seront disponibles. Car de nouvelles offres tendent à se
rapprocher de la réalité des sites de streaming illégaux où certains films sont diffusés
dès leur sortie en salle.
65 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
C’est le cas d’un nouveau projet baptisé Super Premium VOD et testée en Corée du
sud par Walt Disney et Sony Pictures Entertainment. Ce service, c’est la VOD en
quasi simultanée avec la salle. Le consommateur peut donc voir légalement un film
encore en salle. Il a le choix de payer sa place de cinéma ou de louer le film pour le
regarder de chez lui. Une tentative de limiter un piratage à un niveau record dans ce
pays où le très haut débit est présent partout. La location en ligne coute environ 9$,
soit presque 7 euros. Un prix s’approchant de celui d’une place de cinéma en
France. Et peut être un coup fatal porté à l’exploitation des films en salle si le service
venait à se généraliser.
En France, le rapport Lescure préconise d’ailleurs des expérimentations de sorties
quasi simultanées de films en salle et en ligne via des dérogations pour des longs-
métrages à petit budget ou en situation d'échec en salle.
Ces plateformes peuvent faire changer complètement le paysage et ces
recommandations tentent de les envisager légalement. Le gouvernement, à défaut
de se positionner, s’interroge. La ministre de la culture a également convoqué des
Assises de l'audiovisuel, mercredi 5 juin. Mme Filippetti voudrait une "grande loi" en
2014. Pour concilier spectateur et marché de l’audiovisuel.
66 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Avec internet, les pratiques de consommation et de communication évoluent. Un
véritable microcosme d’experts s’est mis en place. Des acteurs incontournables ont
immergé créant une hiérarchie du secteur de la production audiovisuelle sur internet.
Les nouveaux précurseurs de la création, installés dans le paysage depuis quelques
années, ne sont bien souvent pas des professionnels dans leurs moyens d'acquérir
leurs compétences. Ce sont des autodidactes ou de jeunes professionnels à l'aube
de leur carrière qui n'ont pas encore fait leurs preuves dans le monde du travail
classique. Mais ils ont compris le système et ont emprunté aux professionnels pour
mettre en avant leurs talents, brouillant ainsi la frontière entre professionnel et
amateur.
Bien conscient de ces changements radicaux, les professionnels s'allient donc à ces
prophètes du web franchissant ainsi un palier dans la proposition de contenus. Car
avec l'arrivée des professionnels, c'est l'argent qui pousse la porte accompagné de
ses enjeux et problématiques. Et si l'argent ne remplace pas le talent et que les
contraintes cultivent la créativité, il permet d'offrir du matériel et des ressources aux
auteurs, avec un intervalle de création exponentiel.
Jean Michel Ben Soussan interviewé pour le site France Télévision se pose la
question de savoir si "le marketing, la publicité est vraiment en train de disparaitre,
diminuant peu à peu les fossés entre blockbuster et petit film internet ?"32. Dans cette
vidéo de 2009, il exprime cette certitude. Si la publicité semble s'adapter, il est
certain que dans le secteur audiovisuel internet actuel, de grosses productions
côtoient des productions de séries internet ambitieuses, comme c'est le cas sur
Netflix. Des séries ambitieuses qui, elles, coexistent avec des web-séries plus
modestes comme Noob.
Si elles ne fonctionnent pas sur le même modèle économique, la cohabitation de ces
contenus brouille la frontière qualitative entre séries télévisées et web-séries.
D’autant plus que dans le mouvement de convergence des médias, les moyens de
diffusion se confondent. Streaming ne veut plus dire piratage et abonnement ne veux
plus dire télévision.
32
" Internet révolutionne la production audiovisuelle " - Site de France Tv éducation - 2009
67 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Avec la professionnalisation des métiers de l'audiovisuel sur internet, c’est
l’adaptation du modèle internet aux standards télévisuels et cinématographiques. Les
créations du web ne sont plus des petits films mais de véritables productions à faire
pâlir le monde de la télévision. Les caractéristiques de la vidéo web tendraient à
rejoindre celles de la création télévisuelle. En termes de format, d’ambition et de
moyens engagés. Avec la formation de ce système internet, sera t-il aussi facile pour
un amateur de créer librement sur internet dans les années à venir ? Le talent saura
t-il toujours se tracer un chemin entre les campagnes publicitaires empruntant les
nouveaux codes du web, les armées de community manager et les productions web
aux budgets conséquents ?
Internet restera t-il un espace d'expression et de création privilégié ? Les problèmes
rencontrés par les autres médias vont-ils venir se déverser dans cet eldorado de la
création ? Dans tous les cas, ce n'est plus un combat mais une association des
médias qui s’installe. Si d’ 'irréductibles Gaulois résistent encore, il faudra bien finir
par s’aligner sur le reste du monde. Pour la création. Et l'individu, au centre de l'offre
convergente nouvelle, dans cette économie unique de l’audiovisuel distincte du
support.
68 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
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THIRAN Yves - Serendib.com - "La télévision et Internet, entre concurrence et complémentarité " http://www.serendib.com/geo/tvinter.html
72 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Canal Play Infinity
Plateforme de VàD illimité par abonnement.
http://www.canalplay.com/
« C’est la course ! » - Web-série
Série de vidéos pour Carrefour, présentant les produits phares de la rentrée.
http://www.rentreedesclasses.carrefour50ans.fr/
Frenchnerd par François Descraques
Site et blog du créateur de la web-série « Le visiteur du futur », entre autres.
http://www.frenchnerd.com/
Golden Moustache par M6 Web
Site répertoriant les vidéos et articles Golden Moustache.
http://www.goldenmoustache.com/
Kickstarter par, Perry Chen, Yancey Strickler, and Charles Adler
Site de financement participatif crée en 2009.
http://www.kickstarter.com/
73 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
My major Company
Site de financement participatif, dans un premier temps label, crée en 2007.
http://www.mymajorcompany.com/
My Tf1
Site internet de la chaine TF1 proposant replay, expériences sociales et interactives, via Connect.
notamment.
http://www.tf1.fr/
My Warner
Plateforme communautaire autour des produits Warner.
http://www.warnerbros.fr/mywarner
Netflix
Service de visionnage de films et séries via internet.
http://www.netflix.com/
Revision 3 fondé par Jay Adelson et David Prager
Chaine web proposant des émissions dites « Geek ».
http://revision3.com/
74 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Studio 4.0 de France 4
Plateforme de diffusion de créations web à l’initiative de France 4 lancée en 2012.
http://www.france4.fr/studio-4-0/
Studio Bagel – Le site
Site web du collectif humoristique français « Studio Bagel » crée en 2012.
http://www.studiobagel.com/
Ulule crée par Alexandre Boucherot et Thomas Grange
Site de financement participatif crée en 2010.
http://www.fr.ulule.com/
Video Copilot par Andrew Kramer
Tutoriels vidéo After Effects de haute qualité.
http://www.videocopilot.net/
75 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Annexe 1 : Carte du monde du Crowdfunding - Volume total du crowdfunding
MasSolution - Crowd Powered Business - 2013CF Crowdfunding Industry Reports
Annexe 2 : Chronologie des médias pour les films sorties en salle
76 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Annexe 3 : Les conséquences de la révolution du numérique envisagées en 2008
"Les actes des ateliers. Médias audiovisuels : contenu et concurrence" - CSA -
Septembre 2008 - Site Economie.gouv.fr
77 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
Annexe 4 : Questionnaire
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79 L'avenir de la production audiovisuelle est-il sur internet ? - Charline Chasseriaud- Master CPEAM
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