L’éditionoriginaledecetouvrageaparusousletitre:
ATHOUSANDBOYKISSES
Copyright©2016byTillieCole.Tousdroitsréservés.
Traduitdel’anglais(Royaume-Uni)parCharlotteFaraday.
Couverture:HangLe.
©HachetteLivre,2016,pourlatraductionetlapremièreéditionfrançaises.HachetteLivre,58,rueJean-Bleuzen,CS70007,92178VanvesCedex.
ISBN:978-2-01-161347-9
Àtousceuxquicroientaugrandamour.Celivreestpourvous.
PROLOGUE
Rune
Mavieaétémarquéeparquatremomentsclés.Envoiciletoutpremier.
*
BlossomGrove,Géorgie,États-UnisDouzeansplustôt
Àcinqans
—Jegvildra!Nå!Jegvilreisehjemigjen!J’aihurlédetoutesmesforces.Jevoulaispartir.Toutdesuite.Jevoulaisrentreràlamaison.—Non,Rune,arépondumamère.Maintenant,notreplaceestici.Elles’estagenouilléedevantmoi,dansnotrenouveaujardin,etm’aregardédroitdanslesyeux.—JesaisquetunevoulaispasquitterOslo,maistonpappaaunnouveautravailici,enGéorgie.Ellem’acaressélebraspourmecalmer.Rienn’yfaisait.JenevoulaispasvivreenAmérique.Jevoulaisrentreràlamaison.—Sluttåsnakkeengelsk!DepuisnotredépartdeNorvège,mesparentsnemeparlaientqu’enanglais.Moi,jecontinuaisàleur
répondredansmalanguenatale.—On est enAmérique,Rune. Ici, tout lemonde parle anglais. Tu connais bien cette langue. Il est
tempsdet’enservir.Mamère a soulevé un carton et l’a porté jusque dans lamaison. Je suis resté planté là, dans notre
nouvellerue.Ilyavaitsixgrandesmaisons.Lanôtreétaitrouge,avecdesfenêtresblanchesetunegrandeterrasse.Machambreétaitaurez-de-chaussée.Jel’aimaisbien.Elleétaitspacieuse,différentedecelled’Oslo.Là-bas,machambreétaitaupremierétage.Lesautresmaisonsétaientpeintesde toutes lescouleurs :bleuciel, jaune, rose…Celledesvoisins
étaitblanche,avecdesfenêtresnoires.Elleétaitquasimentcolléeàlanôtre.Nouspartagionsmêmeunpetitboutdepelouse.Iln’yavaitnibarrière,nimur.Sij’enavaiseuenvie,j’auraispucourirdansleurjardin.Ilyavaitdesfauteuilssurleurterrasseetunefenêtrejusteenfacedemachambre.Justeenface!Jen’aimaispasça.Jenevoulaispasvoirchezeux,etsurtoutpasqu’ilsvoientchezmoi.J’aiflanquéuncoupdepieddansuncaillouetjel’airegardéroulerensilence.J’allaisrejoindrema
mèreàl’intérieurquandunbruitaattirémonattention.Celavenaitdelamaisond’àcôté.C’étaitunefille.Elleestdescendueparlafenêtrefaceàmachambre.Elleasautédansl’herbeets’est
essuyélesmainssurlescuisses.Elleportaitunerobebleueetunnœudblancsurlatête.Elleavaitlescheveuxbruns,attachésenchignon.Onauraitditunnidd’oiseau.Elleacouruversmoiensouriant.—Bonjour!Jem’appellePoppyLitchfield,j’aicinqans,etjesuistavoisine.Ellem’atendulamain.Jel’aifixéeensilence.Elleavaitdelabouesurlesjouesetelleportaitdes
bottesjaunesencaoutchouc,avecdesballonsrougesdessinéssurlescôtés.Elleétaitbizarre.Etpuis,jenecomprenaispaspourquoiellemetendaitlebras.Poppyalevélesyeuxauciel.Ellem’a
attrapélamainetl’aserréedanslasienne.—Mamanditqu’ondoittoujoursserrerlamaindesinconnus.C’estunemarquedepolitesse.Jen’airienrépondu.J’étaisstupéfait.—Tut’appellescomment?m’ademandéPoppy.Elleapenchélatêtesurlecôté.Elleavaitdesbrindillesdanslescheveux.—Hé!Jet’aidemandétonnom.Jemesuiséclaircilavoix.—Jem’appelleRune.RuneErikKristiansen.Elleafroncélessourcils.—Tuesbizarre.—Neidetgjørjegikke!Jemesuisdirigéverslamaison.Jen’avaisplusenviedeluiparler.—Qu’est-cequetuasdit?—J’aiditquenon,jesuispasbizarre!C’estdunorvégien!Poppym’aregardéavecdegrandsyeux.—Tuesnorvégien?CommelesVikings?Mamanm’aluunlivresureux!TuesunViking,Rune?J’aibombéletorse.MonpèredisaitquetousleshommesdelafamilleétaientdesVikings.J’enétais
fier.—Ja,ai-jerépondu.JesuisunVikingdeNorvège.Unsourireailluminésonvisage.Elleaéclatéderireetavancéd’unpasversmoi.—C’est pour ça que t’as les cheveux longs et blonds et les yeuxbleus.T’es unViking !Avant, je
croyaisquetuétaisunefille…—Jesuispasunefille!
Elleapasséunemaindansmescheveux.Ilsm’arrivaientjusqu’auxépaules.Touslesgarçonsd’Osloétaientcoifféscommemoi.—TuesunvraiViking,commeThor.Ilalescheveuxblondsetlesyeuxbleus,luiaussi!—Ja.Thorestleplusfortdetous.Poppyaposélesmainssurmesépaules,l’airsérieux.—Neledisàpersonne,Rune…maisjesuisuneaventurière.Ellearegardéautourd’elle,commepours’assurerquepersonnenel’écoutait,puiselleaapprochésa
bouchedemonoreille.—D’habitude,jen’emmènepersonneavecmoidansmesaventures,maistuesunViking.LesVikings
sontfortsetcourageux.Ilspassentleurtempsàvoyageretàcapturerlesméchants.Jenecomprenaistoujourspasoùellevoulaitenvenir.—Tuvasêtremonmeilleurami,Rune.—Ahbon?Elleahochélatêteetm’aserrélamainunesecondefois.—Jesuistonmeilleurami?—Oui!PoppyetRune…PoppyetRune,meilleursamispourlavie!Elleavaitraison.Çasonnaitbien.—Montre-moitachambre!Ilfautquejeteracontenotreprochaineaventure!Ellem’aattrapéparlamain,etnousavonscourujusquedansmachambre.Poppys’estprécipitéevers
lafenêtre.—Elleestenfacedelamienne,Rune!Onpourradiscutertouslessoirsetsefabriquerdestalkies-
walkiesavecdesboîtesdeconserve!Onseraconteranossecretsquandtoutlemondedormira!Poppyn’arrêtaitpasdeparler,mais jem’enfichais.J’aimais lesondesavoix.J’aimaissonrireet
j’aimaislenœudblancdanssescheveux.Finalement, ce pays n’était pas aussi horrible que je pensais. Pas avec Poppy Litchfield comme
meilleureamie.
*
Voilàcommentnotrehistoireacommencé.PoppyetRune.Meilleursamispourlavie.Dumoins,c’estcequejepensais.C’estfoucommeleschosespeuventchanger.
1
CŒURBRISÉETBOCALDEBAISERS
Poppy
NeufansplustôtÀhuitans
—Qu’est-cequisepasse,papa?Monpèrem’apriseparlamainetm’aguidéejusqu’àlavoiture.J’aijetéunderniercoupd’œilvers
l’école,medemandantpourquoiilétaitvenumecherchersitôt.J’étaistristederentreràlamaison.Jenevoulaispasratermoncoursd’histoire.C’étaitmamatièrepréférée.J’adoraisl’école.J’aimaisapprendredenouvelleschoses.—Poppy!Oùvas-tu?Rune,monmeilleurami,étaitdel’autrecôtédelagrille.Nousétionsinséparables, luietmoi.Nous
nousennuyionsquandl’autren’étaitpaslà.J’aitournélatêteversmonpère,àlarecherched’unindice,maisiln’apasrépondu.—Jenesaispas,ai-jeditàRune.Je suis entréedans lavoiture, jeme suis installée sur le rehausseur et j’ai bouclémaceinture. J’ai
entendulecoupdesiffletdanslacour.Larécréationétaitterminée.Touslesélèvessesontprécipitésàl’intérieur.Tous, saufRune. Il étaitplantéderrière lagrille, le regard fixésurmoi.Ses longscheveuxblondsdansaientdanslevent.Est-cequeçava?ai-jelusurseslèvres.Ilavaitl’airinquiet.Monpèreadémarréavantquej’aieletempsderépondre.Runeacourulelongdelagrille,jusqu’àcequeMmeDavisleforceàretournerenclasse.—Poppy?—Oui,papa.—Tusaisquemamievitavecnousdepuisquelquetemps.J’aihochélatête.Magrand-mèredormaitdanslachambreenfacedelamienne.Mongrand-pèreétait
mortquandj’étaisbébé,etmagrand-mèreavaitvécuseulependantdelonguesannées,jusqu’àcequ’elle
s’installecheznous.—Tuterappellescequ’aexpliquémaman?Tusaispourquoimamiehabiteàlamaison?—Oui,ai-jemurmuré.Parcequ’elleabesoind’aide.Parcequ’elleestmalade.Rienqued’enparler,j’enavaisleventrenoué.Magrand-mèreétaitmameilleureamie.CommeRune.
Ellem’atoujoursditquenousnousressemblions,touteslesdeux.Avantdetombermalade,elleavécupleind’aventures.Touslessoirs,ellemelisaitdeshistoiresdeconquérants :AlexandreLeGrand, lesRomainset,nospréférées,cellesdessamouraïsduJapon.Jesavaisqu’elleétaitmalade,maisellen’enavaitpasl’air.Ellesouriaittoutletemps,ellemeserrait
fortdans sesbraset elleme faisait rire.Elledisaitqu’elleavaitunclairde lunedans lecœuretdesrayonsdesoleilsurleslèvres.Elleétaitheureuse.Etellemerendaitheureuse,moiaussi.Cesdernièressemaines,elledormaitbeaucoup.Elleétait trèsfatiguée.C’étaitmoiquilui lisaisdes
histoireslesoir,etellepassaitunemaindansmescheveuxensouriant.Lessouriresdemamieétaientlesplusbeauxdumonde.—Oui,machérie.Mamieestmalade.Trèsmalade.Tucomprends?—Oui,papa.—C’estpourçaquejesuisvenutechercheràl’école.Mamiet’attend.Elleveuttevoir.Jenecomprenaispaspourquoiilfallaitquejerentreplustôt.Aprèstout,c’étaitlapremièrechoseque
jefaisaisenrentrantdel’école:jefonçaisdanssachambreetjeluiracontaismajournée.Monpèreatournédansnotrerueets’estgarédansl’allée.—Jesaisquetun’asquehuitans,mapuce,maisilvafalloirêtrecourageuseaujourd’hui.D’accord?J’aihochélatête.Monpèrem’asouri.Unsouriretriste.—Tueslameilleure.Ilestsortidelavoitureetilaouvertmaportière.Maindanslamain,nousnoussommesdirigésversla
maison. Il y avait plus de voitures que d’habitude. J’allais lui demander pourquoi quandMmeKristiansen,lamèredeRune,atraversélapelouseavecungrandplatdanslesmains.—Bonjour,James.—Bonjour,Adelis.Elle s’est arrêtéedevantnous.Elleavaitde longscheveuxblondsqui tombaientencascade sur ses
épaules.Elleétaitbelleetgentille.Elledisaitquej’étaislafillequ’ellen’avaitjamaiseue.—C’estpourvous,a-t-elleconfiéenluitendantleplat.DisàIvyquejepensefortàelle.Papaalâchémamainpourl’attraper.MmeKristiansens’estaccroupiedevantmoietm’aembrassée
surlajoue.—Soiscourageuse,Poppy.Ellenous a souri, puis elle est retournée chez elle.Papa apousséun soupir etm’a fait signede le
suivre.À l’intérieur, le salon était rempli à craquer.Mesoncles etmes tantes étaient installés sur lescanapésetmescousinsjouaientparterre.MatanteSilviaétaitassiseavecmessœurs,Savannah–quatreans–etIda–deuxans–,surlesgenoux.Certainss’essuyaientlesyeux.D’autrespleuraient.Personneneparlait.Inquiète, jeme suis agrippée à la veste demon père.Ma tanteDella était à l’entrée de la cuisine.
C’étaitmatantepréférée.Jel’appelaisDeeDee.Ellemefaisaitrire.Elleétaitplusjeunequemamère,maisellesseressemblaientbeaucoup.Ellesavaientdelongscheveuxbrunsetlesyeuxverts,commemoi.Engrandissant,j’espéraisressembleràDeeDee.—Bonjour,mapuce.Elleavaitlesyeuxrougesetlavoixquitremblait.Elleaéchangéunregardavecmonpère,etelles’est
emparéeduplatdeMmeKristiansen.—C’estbientôtl’heure,James.ElleattendPoppy.J’ai suivimonpère, surprisequeDeeDeeneviennepasavecnous. J’ai jetéunœilpar-dessusmon
épaule.Matanteaposéleplatsurlatableetacachésonvisagedanssesmains.Elleaéclatéensanglots.Ellepleuraittellementfortquedessonsétrangess’échappaientdesabouche.—Papa…ai-jemurmuré.Ilaposéunemainsurmonépaule.—Toutvabien,mapuce.DeeDeeabesoind’êtreseule.Nousavonsmarchéjusqu’àlachambre,etmonpères’estarrêtédevantlaporte.—Mamanestàl’intérieur.ElleestavecBetty,l’infirmièredemamie.J’aifroncélessourcils.—Uneinfirmière?Ilaouvertlaporte.Mamèreétaitassisesurunechaiseàcôtédulit.Elleavaitlesyeuxrougesetelle
étaitdécoiffée.Mamèren’étaitjamaisdécoiffée.L’infirmièreétaitentraind’écriresurunbloc-notes.Ellem’asaluéedelamain.Magrand-mèreétait
allongéeavecuneaiguilledanslebras,reliéeàuntubetransparentetàunsacquipendaitàuncrochetenmétal.Mamères’estlevéeetmagrand-mèreatournélatête.Elleétaittouteblanche.Elleavaitl’airtrèsfatiguée.—Poppy?—Jesuislà,mamie.Jemesuisapprochéed’elle.Ellem’asouri.Unsourireréconfortant.—Jesuiscontentedetevoir,Poppy.Jemesenstoujoursmieuxquandmonpetitsoleilestlà.Ellem’appelaittoujoursson«petitsoleil»,oula«prunelledesesyeux».Unjour,ellem’avaitdit
quej’étaissapetite-fillepréférée.Jenedevaisenparleràpersonnepournepasvexermescousinsetmespetitessœurs.C’étaitnotresecret.Jemesuisassisesurlereborddulit.Magrand-mèreaserrémamaindanslasienne.Elleavaitlapeau
froide.Elleaprisunegrandeinspiration,etsapoitrineacrépitécommeunfeudecheminée.—Est-cequeçava,mamie?—Jesuisfatiguée,mapuce.Jel’aiembrasséesurlajoue.D’habitude,ellesentaitletabac.Ellefumaitbeaucoupdecigarettes.Ce
jour-là,ellen’avaitpasd’odeur.—Jevaisbientôtpartir,Poppy.J’aifroncélessourcils.
—Partiroù?Est-cequejepeuxveniravectoi?Aprèstout,nouspartionstoujoursàl’aventureensemble.—Non,mapuce.Làoùjevais,tunepeuxpasmesuivre.Pasencore.Maisunjour,dansdelongues
années,tumerejoindras.Derrièremoi,mamèreaéclatéensanglots.—Jenecomprendspas,mamie.Jenecomprendspasoùtuvas.—Àlamaison,Poppy.Jerentreàlamaison.—Maistuesdéjààlamaison.—Non,mabelle.Cen’estpasmavraiemaison.Jem’apprêteàpartirpouruneautreaventure.Laplus
grandedetoutes.Jemesuissentietriste.Trèstriste.J’avaisenviedepleurer.—Mais…tuesmameilleureamie!Onparttoujoursàl’aventureensemble.Tun’aspasledroitde
partirsansmoi!Deslarmesdévalaientmesjoues.Ellelesaessuyéesdureversdelamain.—Jesais,Poppy.Maispascettefois.—Tun’aspaspeurdepartirtouteseule?—Non,jen’aipaspeur.—Jeneveuxpasquetupartes.—Tumeverrasdanstesrêves,mapuce.J’aiclignédesyeux.—Commetoiavecpapy?Tudistoujoursqu’ilterendvisitedanstesrêves.Elleahochélatêteensouriant.J’aiséchémeslarmes.Magrand-mèreaéchangéunregardavecma
mère.—J’aiuneaventureàteconfier,Poppy.—C’estvrai?— Rappelle-toi, ma puce. Quel est mon souvenir préféré ? Celui qui me fait encore sourire
aujourd’hui?—Lesbaisersdepapy.Parcequ’ilsétaientbeaux,qu’ilsterendaientheureuseetquec’étaitl’homme
detavie.Mamère s’est approchée de nous en silence.Elle avait un bocal dans lesmains. Il était rempli de
petitscœursenpapier.Ellel’aposédevantmoi.—Qu’est-cequec’est?—C’esttonaventure,arépondumagrand-mère.Millepetitscœurs.Millebaisersdegarçon.J’aiessayédecompterlescœurs…Impossible.Ilsétaienttropnombreux.—Jenecomprendspas…Elleaattrapéuncrayonsurlatabledechevet.—Tuavaisraison,Poppy.Mesplusbeauxsouvenirssontlesbaisersdetongrand-père.Pasceuxde
tous les jours,mais lesplusmémorables.Ceuxque tonpapynevoulaitpasque j’oublie.Ceuxquiont
faillifaireéclatermoncœurdebonheur.Nosbaiserssouslapluie,devantlecoucherdesoleil,aubaldefind’année…quandilmeserraitfortdanssesbrasetmemurmuraitdesmotsdoux.Monregards’estposésurlebocalentremesmains.—C’estunbocaldesouvenirs,a-t-elleexpliqué.Grâceà lui, tu te rappelleras lesbaisersqui t’ont
rendueheureuse,ceuxauxquelstuvoudrasrepenserquandtuserasvieille,commemoi.Lesplusbeaux.Ceuxqui t’ont fait sourire.Chaque foisque legarçonque tuaimes t’offreunbaiser,ouvre lebocaletattrape un cœur. Écris l’endroit où il t’a embrassée. Quand tu seras grand-mère, tu raconteras tesaventuresàtespetits-enfants,commejel’aifaitavectoi.Tuaurasunbocalàtrésorsaveclesmilleplusbeauxbaisersdetavie.—Millebaisers?C’estbeaucoup,mamie!Ellearidoucement.—C’estmoinsquetunepenses,Poppy.Tuverras.Tuasdelonguesannéesdevanttoi.Elleasoupiréetelleafermélesyeux,commesielleavaitmalquelquepart.—Mamie?Elleaserrémamaindanslasienne.Unelarmeadévalésajouepâle.—Jesuisfatiguée,mabelle.Ilestbientôtl’heuredepartir.Jevoulaistevoirunedernièrefois,ette
donnercebocal.Jepenseraiàtoiauparadis.Jepenseraiàtoitouslesjours,enattendantdeterevoir.Mesyeuxsesontemplisdelarmes.—Nepleurepas,Poppy.Cen’estpaslafin.Cen’estqu’unepetitepausedansnosvies.Jeveillerai
surtoi.Jeseraidanstoncœur.Jeseraidanslacerisaiequej’aimetant,danslesoleiletlevent.Mamèreaposéunemainsurmonépaule.—Embrassemamie,Poppy.Elleestfatiguée.Elleabesoinderepos.Jemesuispenchéeetjel’aiembrasséesurlajoue.—Jet’aime,mamie.Elleapasséunemaindansmescheveux.—Jet’aimeaussi,mabelle.Tueslalumièredemavie.Jemesuisagrippéeàsamain.Jenevoulaispaslalâcher.Monpèrem’asoulevéedulitetm’aposée
par terre. J’ai serré le bocal fort contremoi. Jeme suis dirigée vers la porte, etma grand-mèrem’aappeléeunedernièrefois.—Poppy?Jemesuisretournée.Ellem’afaitungrandsourire.—N’oubliepas…Clairdeluneetrayonsdesoleil…—Jen’oublieraijamais.Ensortantdelachambre,j’aientendumamanéclaterensanglots.NousavonscroiséDeeDeedansle
couloir.Elleavaitl’airtriste,elleaussi.Jenevoulaispasresterlà.J’avaisbesoindesortirdelamaison.—Papa,est-cequejepeuxalleràlacerisaie?—Biensûr,mapuce.Jeviendraitechercherplustard.Faisattentionàtoi.Il a attrapé son portable et il a appelé quelqu’un. Je suis partie en courant, sans savoir de qui il
s’agissait.Jesuissortiedelamaisonetj’aicouru,monbocalàlamain.—Poppy!Poppy,attends!Runeétaitrentrédel’école.Ilm’acouruaprès,maisjenemesuispasarrêtée.Pasmêmepourlui.Je
voulaisvoir lescerisiersenfleur.C’était l’endroitpréférédemagrand-mère.Jevoulaisêtredanssonendroitpréféré.Parcequej’étaistristequ’elleparteauparadis.Savraiemaison.—Poppy!Attends!Lesbranchesdescerisiersformaientuntunnelau-dessusdematête.L’herbeétaitverteetlecielbleu.
Lesarbresétaientgorgésdefleursrosesetblanches.J’airemontélesentierjusqu’auplusgrandcerisier.Sesbranchesétaientlourdesetbasses.C’étaitmonarbrepréféré,etaussiceluideRuneetdemagrand-mère.Jemesuismiseàgenoux,j’aiserrélebocalfortcontremapoitrineetj’ailaisséleslarmescoulersur
mesjoues.Runes’estarrêtéderrièremoi.—Poppymin?C’était comme ça qu’ilm’appelait.Poppymin. «Ma Poppy » en norvégien. J’adorais quand ilme
parlaitdanssalangue.—Nepleurepas,Poppymin.J’auraisaiméluiobéir,maisc’étaitplusfortquemoi.Jenevoulaispasquemagrand-mères’enaille.
Jesavaisque,quandjerentreraisàlamaison,elleneseraitpluslà.Jenelareverraisplusjamais.Runes’estassisàcôtédemoietm’aserréedanssesbras.J’aiblottimonvisagecontrelui.—Mamamieestmalade.Ellevapartir,Rune.—Jesais.Mamanmel’aditenrentrantdel’école.Jemesuisredresséeetj’aiessuyémeslarmes.Runeaprismamaindanslasienneetl’aposéesurson
cœur.Sontee-shirtétaitbrûlant,chaufféparlesoleil.—Jesuisdésolé,Poppymin.Jen’aimepastevoirpleurer.D’habitude,tuestoujoursheureuse.J’aiposélatêtesursonépaule.—C’estmameilleureamie,Rune.—Moiaussi,jesuistonmeilleurami.Jemesuissentieunpeupluslégère.—Tuasraison.PoppyetRune,pourtoujours.—Pourlavie.Noussommesrestésassisensilence,jusqu’àcequeRunes’intéresseàmonbocal.—Qu’est-cequec’est,Poppymin?—Mamamiem’aoffertunenouvelleaventure.Uneaventurequidureratoutemavie.Confus,ilafroncélessourcils.Desmèchesdecheveuxblondssonttombéessursonvisage.Jelesai
glissés derrière ses oreilles, et il m’a souri. Rune ne souriait qu’à moi. À l’école, toutes les fillesrêvaientd’êtreàmaplace.Ellesmel’avaientdit.JeleurairéponduqueRuneétaitmonmeilleurami,etquejenevoulaispaspartager.
—Tutesouviensdessouvenirspréférésdemamamie?Jet’enaidéjàparlé.Runearéfléchiuninstant.—Lesbaisersdetonpapy?J’aihochélatêteetcueilliunpétalerosesurlabranche.Magrand-mèredisaitqueleschoseslesplus
bellesétaientéphémères.Lesfleursdecerisierétaientuniquesparcequeleurvieétaitcourte.Commelessamouraïs:beautéextrême,mortsoudaine.Ellem’aditquejecomprendraisengrandissant.Je savaisquemagrand-mèreétait trop jeunepourpartir.Un jour, j’avaisentendumonpère ledire.
C’étaitpeut-êtrepourcetteraisonqu’elleaimaitlesfleursdecerisier.Parcequ’elleétaitcommeelles.—Poppymin?LavoixdeRunem’atiréedemarêverie.—C’estvrai, ai-jemurmuréen lâchant lepétale.Cesont lesbaisersdemonpapyqui l’ont rendue
heureuse.Ilsluirappelaientàquelpointill’aimait.—Etlebocal,Poppymin?Runepinçait les lèvres, impatient d’en apprendredavantage. J’ai ouvert le bocal et j’en ai sorti un
cœurrose.—C’estunfuturbaiser,Rune.Mamamiem’enadonnémille.J’airemislecœuràsaplace.—C’estmaprochaineaventure,Rune.Jedoisrecevoirmillebaisersd’ungarçonavantdemourir.—Millebaisers?Runeavaitl’airencolère.Celaluiarrivaitparfois.J’aiattrapélecrayondansmapocheetjemesuis
levée.—Chaquefoisquelegarçonquej’aimem’embrassera,chaquefoisqu’ilm’offrira leplusbeaudes
baisers, jedevrai l’écrire suruncœur.Etquand je seraivieille, jepartageraices souvenirsavecmespetits-enfants.C’estcequemamamievoulait,Rune.Ilfautquejecommencebientôt!Jeveuxluifaireplaisir!Runes’estlevéàsontour.Leventasoufflédanslacerisaieetdespétalessesontenvolésautourde
lui.J’aisouri.Rune,lui,avaitl’airfurieux.—Tudoisembrasserungarçonpourremplirtonbocal?—Oui!Millebaisers,Rune!Mille!—NON!Monsourires’estenvolé.Runeafaitunpasversmoi.—Jeneveuxpasquetuembrassesungarçon,Poppy!Jenetelaisseraipasfaire!—Mais…Ilaprismamaindanslasienne.—Tuesmameilleureamie.Jeneveuxpasquetuembrassesd’autresgarçons!— Il le faut,Rune.C’estmanouvelle aventure.Tu resterasmonmeilleur ami. Je te le promets.Tu
comptesplusquetout.
Sonregards’estposésurmoi,puissurlebocal.—Poppymin…TuesmaPoppy.Pourlavie.J’allaislerassurerquandRunes’estpenchéversmoi.Sansprévenir,ilaposésabouchesurlamienne.
Ses lèvres étaient tièdes. Elles avaient un goût de cannelle. Ses cheveux blondsm’ont chatouillé lesjoues.QuandRuneaécartésonvisagedumien,j’étaisàboutdesouffle.Jemesentaisdifférente.Pluslégère.
Moncœurtambourinaitdansmapoitrine.J’aimisunemaindessuspourlesentirbattre.—Rune…J’aiposéundoigtsurmeslèvres,puissurlessiennes.J’étaisstupéfaite.—Tum’asembrassée.—Jetedonneraitesmillebaisers,Poppymin.Personned’autrequemoinet’embrassera.Jamais.—Mais…çavaprendredesannées,Rune!Ilfaudraqu’onresteensembletoutenotrevie!Runeahochélatêteensouriant.—Jesais.PoppyetRune,pourlavie.—Tumedonnerastousmesbaisers?Assezpourremplirmonbocal?—Tous!Ons’embrasseraplusdemillefois,Poppymin.J’aiouvertmonbocal,j’aiattrapéuncœuretjemesuisassisepourécrire.Runes’estmisàgenoux
devantmoi.Ilaglissésescheveuxderrièrelesoreilles.—Est-cequemonbaisert’arendueheureuse,Poppy?Est-cequetoncœuraéclatédebonheur?Tu
m’asditqueseulslesplusbeauxbaisersavaientleurplacedanstonbocal.—Biensûr,Rune.Jem’ensouviendraitoutemavie.J’aiposélecœursurlecouvercledubocal.Runes’estassisentailleuràcôtédemoi.—Qu’est-cequetuvasécrire?J’aiposélecrayoncontremaboucheenréfléchissant,puisj’aiécrit:
Baisern 1AvecmonRune.Danslacerisaie.
Moncœurapresqueéclaté.
J’airangélecœurdanslebocaletj’aifermélecouvercle.—Voilà!Montoutpremierbaiser.Runeaposéunemainsurlamienneetilm’aregardéedroitdanslesyeux.J’avaisdespapillonsdans
leventre.—Est-cequejepeuxt’embrasser,Poppymin?—Encore?Ilahaussélesépaules.—J’enaitoujoursrêvé.Etpuis,teslèvresontungoûtdesucre.
o
—J’aimangéuncookieauxnoixdepécan.Lespréférésdemamamie.Runes’estpenchéversmoietilm’aembrassée.Encore.Etencore,etencore,etencore.Àlafindelajournée,j’avaisquatrebaisersdeplusdansmonbocal.Quandjesuisrentréeàlamaison,mamanm’aditquemamieétaitpartieauparadis.J’aicourudansma
chambreetjemesuisdépêchéedem’endormir.Commepromis,ellem’arenduvisitedansmesrêves.JeluiairacontélescinqbaisersdemonRune.Ellem’asourietm’aembrasséesurlajoue.Laplusbelleaventuredemavievenaitdecommencer.
2
NOTESDEMUSIQUEETFEUXDECAMP
Rune
DeuxansplustôtÀquinzeans
Unsilenceesttombésurlasalledèsl’instantoùPoppyestmontéesurscène.Elleétaitmagnifiquedanssarobenoire,avecsonchignonetsonnœudblancdanslescheveux.Elle s’estassiseaucentrede la scèneetelleaposé l’archet sur lescordesduvioloncelle.Comme
chaque fois, mon cœur s’est emballé. J’ai attrapé mon appareil photo. J’adorais capturer cet instantprécis.Celuioùellefermaitlesyeux,justeavantdeselancer.Unvisageserein,inspiréparsapassion,parlessonsquis’apprêtaientàs’échapperdesoninstrument.J’aiappuyésurledéclencheur,etlamusiqueacommencé.J’aibaissél’appareilpourmefocalisersur
Poppy. Je n’arrivais pas à la photographier quand elle jouait. Je ne voulais rien rater de sesperformances.Poppy se balançait en rythme, ne faisant qu’une avec son violoncelle. C’était un de ses morceaux
préférés.Ellelejouaitdepuistoujours.Pasbesoindepartition.ElleconnaissaitGreensleevesparcœur.Ses fossettes se creusaient quand elle se concentrait sur les passages difficiles. Elle jouait les yeuxfermés,mais on devinait sesmoments favoris : elle penchait la tête sur le côté, et un sourire timideilluminaitsonvisage.Personnenecomprenaitqu’aprèstoutcetemps,Poppyetmoisoyonsencoreensemble.Depuisnotre
premierbaisersouslescerisiers,jen’avaiseud’yeuxquepourelle.Poppyétaitdifférentedetouteslesautresfilles.Ellesefichaitdecequelesgenspensaientd’elle.Elleaimait lamusique, levioloncelle,lire,étudieretseleveràl’aubepourregarderlesoleilselever.Poppyétaitunique.Ellenerêvaitpasdedevenirpom-pomgirl, ellen’aimaitpas lescommérageset ellenecouraitpasaprès lesgarçons.Ellesavaitqu’ellem’avaitmoi.Nousn’avionsbesoinderiend’autre.Lemorceautouchaitàsafin.J’aiprisunedernièrephotoaumomentoùPoppylevaitsonarchet.Les
applaudissementsontretenti.Elles’estlevéeetasaluélepublic.Sonregards’estposésurmoi.Ellem’a
souri,puiselleadisparuencoulisses.Les lumièresde la salle se sont rallumées.Poppyétait toujours ladernièreàpasser sur scène.Elle
était la meilleure musicienne de son âge. Un jour, je lui ai demandé quel était son secret. Elle m’aréponduque,pourelle,jouerduvioloncelleétaitaussinaturelquederespirer.Lesspectateurssesontdirigésverslasortie.Unemains’estposéesurmonbras.MmeLitchfieldavait
leslarmesauxyeux,émueparlaperformancedesafille.—IdaetSavannahsont fatiguées. Il fautqu’on les ramèneà lamaison.Est-ceque tupeuxprévenir
Poppy?—Biensûr.Lespetites sœursdePoppy– Ida, neuf ans, etSavannah,onze ans– s’étaient endormiesdans leurs
fauteuils.M.Litchfieldm’afaitunclind’œil,puisillesaréveilléeschacuneleurtour.MmeLitchfieldm’aembrasséetilssontsortisavecleursfillesdanslesbras.Enremontantl’allée,j’aientendudesmurmuresetdesgloussementsàmadroite.Ungroupedefilles
étaitentraindem’observerenriant.J’aibaissélatêteetj’aicontinuémonchemin.Celaarrivaitsouvent.Jenecomprenaispaspourquoielles insistaient. J’étaisavecPoppy.Lesautresnem’intéressaientpas.Jamaisellesneparviendraientànousséparer.J’aiquitté la salle et j’ai attenduPoppydevant l’entréedes artistes.Le tempsétait douxethumide.
Montee-shirtnoirmecollaitàlapeau.Lerestedematenue–jeannoiretbottesencuirnoires–n’étaitpasadaptéàlachaleurduprintemps,maisc’étaitmonstyle,peuimportelasaison.Lesmusiciensfiltraienthorsdescoulissespourrejoindreleursfamilles.J’aiposéledoscontrelemur
enbriquesblancheset j’aicroisé lesbrassur le torse,ne lesdécroisantquepourglissermescheveuxblondsderrièrelesoreilles.Lesfillesdetoutàl’heureétaientsortiesetm’observaientducoindel’œil.J’aidétournéleregard.Jenevoulaispasqu’ellesviennentmeparler.Jen’avaisrienàleurdire.Uneminuteplustard,Poppys’estjetéedansmesbras.Jel’aiserréefortcontremoi.J’étaisgrandpour
monâge.Jemesuraisdéjàunmètrequatre-vingts.Poppym’arrivaitàpeineauxépaules.J’aiaspiréuneboufféedesonparfum,etelleareculéd’unpasensouriant.Elles’étaitmisdumascara.
Ses yeux verts paraissaient encore plus grands que d’habitude. Elle venait d’appliquer son baume àlèvrespréféré,celuiàlacerise.Saboucheétaittouterose.Incapablederésisteràlatentation,j’aiplacélesmainssursesjouesetj’aiapprochémeslèvresdessiennes.Poppy s’est agrippée àmon tee-shirt. Je l’ai embrassée lentement, avec tendresse, puis j’ai déposé
troispetitsbaiserssurseslèvres.—Baisernumérotroiscentcinquante-deux.AvecmonRune,contrelemurduthéâtre.J’airetenumonsouffle,attendantlasuite.Poppys’estmisesurlapointedespiedsetaapprochéses
lèvresdemonoreille.—Moncœurapresqueéclaté.Ellen’ajoutaitdanssonbocalquelesbaiserslesplusbeaux,ceuxquilarendaient leplusheureuse.
Lesannéesavaientbeaupasser,cesmotsmetouchaienttoujoursautant.Jeluiaidonnéundernierbaiser,puisj’aiglisséunbrassursesépaules.Poppyaenroulélesienautour
dema taille. Le groupe de filles n’avait pas bougé, et elles ontmontré Poppy du doigt. J’ai serré lamâchoire. Je détestais la façon dont elles la traitaient. Elles étaient jalouses. La plupart des filles nevoulaientpasdevenirsonamieparcequ’ellesluienviaientnotrehistoired’amour.
—Ignore-les,Poppy.Ellem’asouri,maisjevoyaisbienqueleurattitudelablessait.—Ellesnemedérangentpas,Rune.J’aifroncélessourcils.Poppynesavaitpasmentir.—Jelescomprends,a-t-ellecontinué.Regarde-toi.Tuesbeau,grand,mystérieux,norvégien.Tuasun
airdemauvaisgarçonquelesfillesadorent.Tuesparfait,Rune.J’aiapprochémonvisagedusien.—Jesuisàtoi,Poppymin.Etjenesuispasmystérieux.Tumeconnaisparcœur.—Moi,oui.Maispaslesautres.J’aipousséunsoupird’agacement.—Peuimporte.Iln’yaquetoiquim’intéresses.Pourtoujours.—Pourlavie,a-t-ellemurmuréàmonoreille.—Jen’aimeque toi,Poppy.Depuisque j’aicinqans,depuis le jouroù tum’as serré lamain.Les
autresfillesnecomptentpas.—C’estvrai?—Ja,ai-jerépondu.Elleadoraitquandjeparlaisnorvégien.J’aidéposéunbaisersursonfront,puis je l’aiprisepar la
main.—Tesparentssontrentrésavectessœurs.Ilsm’ontdemandédeteprévenir.Elleahochélatête.—Qu’est-cequetuaspenséduconcert?—Horrible,commed’habitude.Elleaéclatéderireetm’adonnéuncoupdecoude.—RuneKristiansen!Tuesméchant!Jel’aiserréecontremoi.—Tuétaisincroyable,Poppy.Commetoujours.Tuétaisparfaite.Jesuisfierdetoi.—Tuexagères…—Pasdutout!Unjour,tujouerasauCarnegieHall.Turéaliserastonrêve.J’ensuiscertain.—Tuestropgentilavecmoi.—C’estlavérité.Ellem’aembrassé,etnousnoussommesdirigésverslasortieduparking,maindanslamain.—Onvaauparc?—Jenesaispas,Poppy.Jepréfèreêtreseulavectoi.—Toutlemondeyva!Joriem’adonnérendez-vouslà-bas.J’aipincéleslèvres.Jen’avaispasenviedevoirnosamis.J’avaisenvied’êtreseulavecPoppy.—Onestvendredisoir,Rune.Tuasquinzeansettuviensdepasserlasoiréeàécouterdelamusique
classique!Onaledroitdeseretrouverentreamis,tusais.Commedesadosnormaux.
—Commetuveux.Maisdemain,onsefaitunejournéeentêteàtête.—Promis.J’aipasséunbrasautourd’elle,etelles’estagrippéeàmataille.J’aientendulesfillesprononcermon
nomdansnotredos.J’aipousséunsoupird’exaspération.—Mets-toi à leur place, Rune. Tu es différent des autres garçons. Tu es un artiste, tu portes des
vêtementsnoirs…J’aiglissémescheveuxderrièremesoreilles.Poppyasouri.—Maisc’estsurtoutàcausedeça!—Àcausedequoi?—Quandtutouchestescheveux…C’estirrésistible.—Ja?J’airépétélegesteenluifaisantunclind’œil.Elleaéclatéderire.—Jenesuispasjalousedesautresfilles,Rune.Laseulequimefaitpeur,c’estAvery.Elleestprêteà
toutpourteconquérir.Jelesens.Averyfaisaitpartiedenotregrouped’amis.Toutlemondelatrouvaitbelle.Toutlemonde,saufmoi.
Jen’aimaispassonattitudeetjeluienvoulaisdefairedumalàPoppy.—Ellenem’intéressepas,Poppymin.Pasdutout.Nousavonsemprunté le sentierquimenaitauparc. Jorie, lameilleureamiedePoppy,acouruvers
nousets’estjetéedanssesbras.—Poppy!J’aimaisbienJorie.Elleétaittêteenl’airetelleneréfléchissaitpasavantdeparler,maiselleadorait
Poppy.—Tuessuperbe!a-t-elleditenadmirantsarobenoire.Nousavonsrejointnosamisautourdufeudecampqu’ilsavaientallumédanslebrasero.Jemesuis
assisparterre,contreunbancenbois,etPoppys’estinstalléeentremesjambes.Elles’estblottiecontremontorseetalovésatêtedansmoncou.Judson etDeacon,mesmeilleurs amis, étaient assis de l’autre côté du feu avecRuby, la copine de
Deacon.Ilsnousontsaluésdelamain.—Comments’estpasséleconcert?Poppyahaussélesépaules.—Plutôtbien.—C’étaitlameilleure,ai-jerépondu.Commetoujours.—Tuexagères,Rune.—Pasdutout!Tuascassélabaraque.Joriem’asouri.Averyalevélesyeuxauciel.Poppyachangédesujet,etlaconversations’esttournée
versM.Millen,notreprofdemaths.—Cemecestunextraterrestre!s’estécriéeJorie.Undémon.IlaétéenvoyésurTerrepourtorturer
leshumainsavecsesformulesd’algèbre.C’estcequilemaintientenvie.J’ensuissûre.Etilsaitqueje
l’aidémasqué.C’estpourçaqu’ilmedétesteetmedonnelespiresnotesdelaclasse!Poppyaéclatéderire.Elleagigotédansmesbras,etmonappareilphotoaglissé,s’écrasantcontrele
pieddubanc.Elles’estexcuséeensouriant.J’aiposéundoigtsoussonmentonpourl’embrasser.Poppya glissé une main dans mes cheveux, et notre baiser s’est enflammé. J’ai caressé sa langue avec lamienne.J’auraispupassermavieàl’embrasser.Quelqu’uns’estraclélagorge.J’aiécartémonvisagedusienetj’aicroiséleregarddeJudson,quise
retenait de rire. Poppy est devenue toute rouge. Je l’ai serrée fort contre moi. La conversation arecommencé,etj’aiinspectémonappareilpourm’assurerqu’iln’avaitpasprisuncoup.Mesparentsmel’avaient offert pour mes treize ans. Je ne m’en séparais jamais. J’étais passionné de photographie.J’aimaiscapturerdesinstantsuniques,touscespetitsmomentsquidéfinissentnotrevie.Pourmoi,c’étaitmagique.J’ai repensé à ceux qui remplissaient déjà cette pellicule : des photos de nature, des gros plans de
fleursdecerisieretlesportraitsdePoppysurscène.Àsesyeux,jecomptaisautantquesamusique.Unlienqueriennipersonnenebriserait.J’aiattrapémonportable, etPoppya levé la têteversmoi. J’ai tendu lebraspournousprendreen
photoensemble.Elleafaitsemblantd’êtreagacée.J’aiéclatéderire.Poppyadoraitlesphotosdenous.J’ai jeté unœil à notre selfie.Poppy était belle, avec sesgrandsyeuxverts et ce regard,celui qui
prouvaitque,malgrénotrejeuneâge,nousavionstrouvénotreâmesœur.—Faisvoir.Jeluiaimontrél’écran.Elleasouri.—Elleestparfaite,Rune.Voilàpourquoic’étaitmapassion.Enunéclairdeseconde,unephotographieexprimaitdescentaines
d’émotions.—Ilfautqu’onrentre,Poppymin.Ilesttard.Elleahochélatête,etnousnoussommeslevésenmêmetemps.—Vouspartezdéjà?ademandéJudson.—Oui.Onsevoitlundi.Je les ai saluésde lamain, etnous sommes rentrésà lamaison. J’ai accompagnéPoppy jusqu’à sa
porteetjel’aiserréedansmesbras.—Jesuisfierdetoi,Poppymin.TuseraspriseàJuilliardettujouerasauCarnegieHall.J’ensuissûr.Poppym’afaitungrandsourire.Sonregards’estposésurl’appareilphotoautourdemoncou.—EttuserasprisàlaTish,Rune.OnvivraensembleàNewYork,commeprévu.J’étaisen trainde l’embrasserunedernière foisquandM.Litchfieldaouvert laporte. J’ai lâché la
maindePoppyetj’aireculéd’unpas.Ilalevélesyeuxaucielavantd’éclaterderire.Poppyestdevenuetouterouge.—Bonnenuit,Rune.—Bonnenuit,monsieurLitchfield.J’aitraversélejardinjusquechezmoietj’airejointmesparentsdanslesalon.Ilsétaientassissurle
canapé.
—Hei!—Hei,Rune.J’aifroncélessourcils.L’atmosphèreétaittendue.—Qu’est-cequisepasse?Mamèreaéchangéunregardavecmonpère.—Rien,monchéri.Leconcerts’estbiendéroulé?—Poppyétaitparfaite.Commetoujours.J’aicruvoirdeslarmesdansleregarddemamère.Elleaclignédesyeuxpourlesfairedisparaître.
Mesparentsmecachaientquelquechose.—Jevaisdéveloppermesphotos,ai-jedit,pressédequitterlesalon.—Attends,Rune.Jemesuisarrêtéàl’entréeducouloir.—Demain,onvaàlaplage.Enfamille.—J’aiprévudepasserlajournéeavecPoppy.—Tulaverrasplustard.—Qu’est-cequ’ilya?Monpères’estlevé.Ilaavancéjusqu’àmoietaposéunemainsurmonépaule.—Jenetevoisjamaisàcausedemontravail.J’aimeraisresterplusdetempsavectoi.—Est-cequePoppypeutveniravecnous?—Non,Rune.Pascettefois.J’étaisencolère,maisjesentaisqu’ilnechangeraitpasd’avis.—Vadéveloppertesphotos.Onsevoitdemain.Jesuisdescenduausous-sol,danslapetitepiècequemonpèreavait transforméeenchambrenoire.
J’aidéveloppémesphotosetj’aiimprimécellequej’avaispriseavecmonportable.Vingtminutesplustard,jesuismontéàl’étage,notreportraitàlamain.Jel’avaisglissédansuncadreargenté.J’aitraverséle couloir et je suis passé devant la chambre d’Alton, mon petit frère. Sa porte était entrouverte. Ildormaitcontresongrosnounoursmarron,seslongscheveuxblondsétaléssurl’oreiller.Jesuisentrédansmachambre.Ilétaitplusdeminuit.LamaisondesLitchfieldétaitplongéedansle
noir.SeulePoppyavaitlaissésalampeallumée,signequelavoieétaitlibre.J’aifermémaporteàclé,j’aienfilémonbasdepyjamaetun tee-shirtavantdesortirpar lafenêtre.J’ai traversé lapelousequiséparaitnosmaisonsetjel’airetrouvéedanssachambre.Poppyétaitaulit,emmitoufléedanssacouverture.Elleavaitlesyeuxfermés.J’aiposélecadresursa
tabledechevetetjemesuisallongécontreelle.Nouspassionsnosnuitsensembledepuistroisans.Lapremièrefois,c’étaitarrivéparerreur.J’avaisrejointPoppypourdiscuteretjem’étaisendormisursonlit.Le lendemain, jem’étais réveilléassez tôtpour rentrerchezmoisanséveiller lessoupçonsdenosparents.Lelendemain,j’aifaitexprèsderester.Depuis,c’étaitnotresecret.Plus le temps passait, plus c’était compliqué. Maintenant que j’avais quinze ans, je la voyais
différemment…etelleaussi.Nosbaisersétaientdeplusenpluspassionnés.Nosmainsexploraientdesendroitsinterdits.Nousavionsdeplusenplusdemalànousarrêter.J’envoulaisdavantage.Jelavoulais
toutentière.Poppyaouvertlesyeux.Elleaglisséunemèchedecheveuxderrièremonoreille.—Jemedemandaissituviendrais.Tun’étaispasdanstachambre.—Jesuisallédéveloppermesphotos.Mesparentsétaientbizarres,cesoir.—Ahbon?—Ilsepassequelquechose.Jelesens.Poppyafroncélessourcils.J’aiserrésamainpourlarassureret j’aiattrapélecadrederrièreelle.
Poppyaeffleuréleverre.—Elleestsuperbe,Rune.Ellel’aremiseàsaplace,puiselleasoulevélacouverturepourquejelarejoignesouslesdraps.J’ai
déposédesbaiserssursesjouesetdanssoncou.—Rune!Tumechatouilles!Jeluiaisourietjemesuisallongécontreelle.—Qu’est-cequetuaimeraisfairedemain?J’aipousséunsoupir.—Mesparentsveulentqu’onailleàlaplage.—C’estvrai?J’adorelaplage!—Jesuisdésolée,Poppymin…maismonpèreainsistépourqu’onyailleenfamille.—Ahbon?D’habitude,tonpèrem’invitetoujoursavecvous.—C’estbiencequejedisais.Ilsmecachentquelquechose.Poppyavaitl’airdéçueettriste.J’aiposéunemainsursajoue.—Onpasseralasoiréeensemble,d’accord?—D’accord.Ellem’aregardédroitdanslesyeux.Lalueurdelalampedessinaitdesombressursonvisage.—Tuestellementbelle,Poppymin.J’aiécrasémabouchesurlasienne.Poppys’estagrippéeàmescheveux.Elles’estmisesurledoset
jemesuisallongé surelle. J’aidéposédesbaisers le longde samâchoireetglisséunemain sous sachemisedenuit.Elleaenroulésesjambesautourdemataille.J’aigrognédeplaisiretcaressésalangueaveclamienne.—Rune…J’aiposélatêtesursonépaule.Jelavoulaistrop.C’étaitindescriptible.Poppym’acaresséledos,et
jemesuisconcentrésurlerythmedesesdoigts.Lesminutessesontécoulées.J’étaisbiencontreelle,sansbouger.—Rune?Est-cequeçava?J’ailevélatête.Elleavaitl’airinquiète.—Toutvabien,Poppy.J’aijustetrèsenviedetoi.Quandons’emporte,commecesoir…j’aidumalà
mecontrôler.—Jesuisdésolée.
—Tuasraisondem’arrêter,Poppy.Tun’aspasàt’excuser.Jemesuisallongésurlecôté,etPoppys’estblottiecontremoi.—Jet’adore,RuneKristiansen.J’aiouvertlesyeuxetjel’aiembrassée.Unbaiserlongettendre.—Pourtoujours,ai-jemurmuré.—Pourlavie.Etnousnoussommesendormisl’uncontrel’autre.
3
DUNESDESABLEETLARMESSALÉES
Rune
—Ilfautqu’onparle,Rune.Nousétionsàtable,dansunrestaurantavecvuesurlamer.Monpèreétaitblanccommeunlingeetma
mèreavaitleslarmesauxyeux.—Vousallezdivorcer,c’estça?—Non,Rune.Monpèreaattrapélamaindemamère,commepourmeprouverlecontraire.—Alors,qu’est-cequ’ilya?—C’estmontravail,a-t-ilrépondu.Monpatronm’envoieàOslo.Ilsontbesoindemoilà-baspour
réglerunproblème.—Combiendetemps?Monpèreapasséunemaindanssescheveux.Ilapousséunsoupir.—Jenesaispas,Rune.Jediraisentreunettroisans.J’aiécarquillélesyeux.—Tuvaspartirpendantplusd’unan?Mesparentsontéchangéunregard,etmamèreaposéunemainsur lamienne.Je l’ai fixéeun long
moment,jusqu’àcequel’informationatteignemoncerveau.—Non,ai-jemurmuré.Impossible.Ilsn’avaientpasledroit.J’ailevélatêteetj’aivularéponsedansleurregard.C’étaitvrai.Voilàpourquoi ilsm’avaientemmenéà laplageseul, sansPoppy.Moncœurs’estemballédansma
poitrine.Ilsn’avaientpasledroit!—Non!ai-jerépété,attirantl’attentiondestablesvoisines.Jeresteici.Avecelle.
Mamèreabaisséleregard.J’aienlevémamaindelasienne.—Onestunefamille,Rune.Onnepeutpas resterséparéspendantaussi longtemps.Ondoityaller
ensemble.—Non!Cettefois,j’aicrié.J’aipoussémachaiseetjemesuislevé.—Vousn’avezpasledroit!Onhabiteici!PasenNorvège!JeneveuxpasretourneràOslo!—Rune…J’aitournéledosàmesparentsetjesuissortientrombedurestaurant.Lesoleiladisparuderrièreles
nuagesetlevents’estlevé.J’aicouruverslesdunes,levisagefouettéparlesgrainsdesable.Comment pouvaient-ils me faire une chose pareille ? Ils savaient à quel point j’avais besoin de
Poppy!J’aigrimpéladunelaplushauteetjemesuisassisausommet.Jetremblaisderage.J’airegardélecielgrisetj’aiessayéd’imaginermavieenNorvège,sanselle.C’étaitinsupportable.J’étaismaladeàl’idée de ne plus avoir Poppy à mes côtés, de ne plus tenir sa main dans la mienne, de ne plusl’embrasser…J’arrivaisàpeineàrespirer.Je connaissais mon père. Quand il décidait quelque chose, rien ne le faisait changer d’avis. Je le
suivrais enNorvège. Je l’avais vu dans son regard. Je n’avais pas le choix. Ils allaientm’arracher àl’amourdemavie,àmonâmesœur.J’étaisimpuissant.Monpèrem’arejointenhautdeladuneets’estassisàcôtédemoi.J’aifixél’océan.Jerefusaisde
regardercetraîtredanslesyeux.—Quand?ai-jedemandé,brisantlesilence.Quandest-cequ’onpart?J’aitournélatêteverslui.Monpèreavaitl’airtristeetgêné.—Demain,Rune.—Quoi?—On est au courant depuis unmois.On attendait la dernièreminute pour te l’annoncer.On savait
commentturéagirais.IlsontbesoindemoiàOslodèslundi,Rune.Tononcleapréparélamaisonpournotrearrivée.Desdéménageursvontenvoyernosaffairessurplace.Tuesdéjàinscritdanstonnouveaulycée.Pourlapremièrefoisdemavie,jehaïssaismonpère.Unevaguedecolères’estemparéedemoi.J’ai
serrélespoings.Ilaposéunemainsurmonépaule.—Rune…—Nemetouchepas!Nemeparlepas.Jenetepardonneraijamais.—Jecomprendstaréaction…—Non,tunecomprendspas!Tun’asaucuneidéedecequejeressens.Tunesaispasàquelpoint
Poppycomptedansmavie.Sinon,tunenoussépareraispas.Tuauraisrefusétamutation.Tuseraisrestéici!Ilapousséunsoupir.—Jesuisleuragenttechnique,Rune.Jen’aipaslechoix.Jedoisallerlàoùonm’envoie.Jemefichaisdesesexcuses.Jeluienvoulaisdenousforceràquitterlepays.Jeluienvoulaisdeme
l’annoncerauderniermoment.—Rejoins-nousà lavoituredans cinqminutes.Plus tôton sera rentrés,plus tôt tu reverrasPoppy.
C’estlemoinsquejepuissefaire.J’avaisleslarmesauxyeux.Pasdetristesse,maisdecolère.J’étaisfurieux.—C’esttemporaire,Rune.Nel’oubliepas.Dansquelquesannées,onseraderetour.Jetelepromets.
Notre vie est enGéorgie. Et puis,Oslo est une ville formidable. Tamère sera contente de revoir safamille,ettoiaussi.J’ensuissûr.Jen’airienrépondu.Quelquesannées…SansPoppy,celamesemblaituneéternité.Monpère a dévalé la dune et amarché jusqu’à la voiture. J’ai regardé les vagues s’écraser sur le
sable.IlmetardaitderevoirPoppy,maisjenesavaispascommentluiannoncerlanouvelle.J’allaisluibriserlecœur.Quelquesminutesplustard,monpèreaklaxonné.J’airejointmafamillesurleparking.Mamèrem’a
souri.Jel’aiignoréeetjemesuisassisàl’arrière,àcôtéd’Alton.Nousnoussommeséloignésdelacôteetj’airegardélepaysagedéfilerderrièrelavitre.Monfrèreaposéunemainsurmonbras.Ils’estagrippéàlamanchedemaveste,latêtepenchéesur
le côté. J’ai passé unemain dans ses cheveux, et il a éclaté de rire. Ilm’a observé du coin de l’œilpendanttoutletrajet.Ilsentaitquejesouffrais.Monpetitfrèrededeuxansmecomprenaitmieuxquemespropresparents.Quandmonpères’estgarédansl’allée,jesuisdescendudelavoitureetj’aicouruchezlesLitchfield.
J’aifrappéàlaporte.LamèredePoppym’aouvert.Elleasaluémesparentsdelamainetm’aserréfortdanssesbras.Elleétaitaucourant.Jelevoyaisdanssesyeux.—Poppyestlà?—Elleestà lacerisaie. Jesuisdésolée,Rune.Poppyvaêtredévastée.Tucomptesbeaucouppour
elle.Elleaussi,ai-jeeuenviederépondre,maisjen’enaipaseulaforce.J’aicourujusqu’àlacerisaie.
Poppyétaitassisesousnotrearbrepréféré.Jemesuisarrêtéauboutdusentieretjel’airegardéelire,avec son casque violet sur les oreilles. Des branches gorgées de fleurs roses l’abritaient comme unbouclier,laprotégeantdusoleil.Elleportaitunerobeblancheetsonnœudblancdanslescheveux.MavieentièretournaitautourdePoppy.Jelavoyaistouslesjours,jel’embrassaistouslesjoursetje
dormaisavecelletouteslesnuits.Commentsurvivrais-jesanselle?Commentrespirerais-jesansPoppyàmescôtés?Ellealevélatêteetm’asouri.J’airemontélechemind’unpaslourd.Ilétaitcouvertdepétales.On
auraitditunerivièreroseetblanche.Plusjem’approchaisdePoppy,plussonsourires’estestompé.Ellemeconnaissaitbien.Ellevoyaitquequelquechosen’allaitpas.Elleaenlevélecasquedesesoreilles,posésonlivreparterreetenroulélesbrasautourdesesjambes.Jemesuismisàgenouxdansl’herbeetjel’airegardéedroitdanslesyeux.Poppysavaitquecequisortiraitdemabouchechangeraitnosviesàjamais.—Jem’envais,Poppymin.Elleestdevenuetouteblanche.—Demain.JeparsàOslo.C’estàcausedemonpèreetdesontravail.Jenesaispaspourcombiende
temps.Entreunettroisans.—C’estimpossible,a-t-ellemurmuré.Ildoityavoirunesolution.Tupourraisresterici,vivreavec
nous…— Non, Poppy. Tu connais mon père. Il ne changera pas d’avis. Ils sont au courant depuis des
semaines.Ilsonttoutorganisé.Ilsm’ontdéjàinscritdansunlycée.Ilsmel’ontcachéparcequ’ilsavaientpeurdemaréaction.Jen’aipaslechoix,Poppymin.Jedoispartir.J’aidétournéleregard.Unpétales’estdétachéd’unebranche.Légercommeuneplume,ils’estécrasé
dansl’herbe.Désormais,chaquefoisquejeverraisuncerisier,jepenseraisàPoppy.J’aifermélesyeuxetjel’aiimaginéeseule,danslacerisaie,sanspersonneavecquirireetpartager
sesaventures…Sanspersonnepourl’embrasseretremplirsonbocal.J’ai tourné la tête vers Poppy. Elle était immobile, le dos contre l’arbre, les joues recouvertes de
larmes.—Poppymin…Jel’aiprisedansmesbras.Elleapleurécontremoi,etj’aifermélesyeux,sentantsadouleurautant
quelamienne.—Qu’est-cequejevaisdevenirsanstoi?J’aisecouéla tête.Jenesavaispas.Lesmotsrestaientcoincésdansmagorge.Poppyaenrouléses
brasautourdemataille,etnoussommesrestésl’uncontrel’autre,ensilence,pendantdesheures.Lesoleils’estcouchéàl’horizon,laissantderrièreluiuncielorangé.Lanuitesttombée.Lesétoileset
lalunesontapparues.Unventfroids’estengouffrédanslacerisaie,faisantdanserlespétalesautourdenous.Poppys’estmiseàtremblerdansmesbras.Ilétaittempsdepartir.—Rentronsàlamaison,Poppymin.Ellem’aserréfortcontreelle.—Jeneveuxpasquetupartes,Rune.J’aiposélesmainssursesjoues.Ellesétaientglacées.—Jevaisrevenir,Poppymin.Ettumeverrasdanstesrêves.Commetagrand-mère.Deslarmesontdévalésesjouesetglissésurmesdoigts.—Tuvasattraperfroid.Ilesttard.Jeneveuxpasquetutefassespunir.Poppyasouriàtraversseslarmes.—JepensaisquelesVikingsnerespectaientpaslesrègles.J’aiposémonfrontcontrelesienetjel’aiembrasséeaucoindelabouche.—Quandtesparentsserontcouchés,jeterejoindraidanstachambre.Commetouslessoirs.Tuvois?
Jesaisbriserlesrègles.—TueslepluscourageuxdesVikings,Rune.Jel’aipriseparlamainpourl’aideràserelever.Jemesuisjurédenejamaisoublierleplaisirqueje
ressentaisquandelleétaitcontremoi.Nousavonsempruntélesentierdepétales,etPoppyaposélatêtecontremonbras,leregardtourné
verslesétoiles.—Lecielesttoujoursplusnoirdanslacerisaie.Lanuit,lesfleursontl’airencoreplusblanches.On
secroiraitdansunrêve.J’ailevélatêteetj’aisouri.Elleavaitraison.C’étaitpresquesurréaliste.—Iln’yaquetoipourremarquercegenredechoses,Poppymin.Tuvoislemondedifféremment.—Ma grand-mère disait que c’était à nous de choisir notre paradis. La cerisaie était son endroit
préféré.Quandjesuisici,jel’imagineassisesouscemêmecerisier,auparadis,entrainderegarderlesarbres,lesfleursetlesétoilesenmêmetempsquemoi.—C’estlecas,Poppymin.Elletesouritdelà-haut,commepromis.Poppyacueilliunefleurdecerisieretl’atenduedevantelle,admirantlespétales.— Elle disait aussi que les plus belles choses sont éphémères. Elles meurent trop tôt pour nous
rappelerquelavieestcourteetprécieuse.Commelesfleursdecerisier.Commelesétoilesfilantes.Onest tellement habitué aux autres étoiles qu’on les oublie.Mais quand on voit une étoile filante, on sesouvientdecemomentàjamais.Poppyajetélafleurenl’air,etleventl’aemportée.—Toietmoi,onestcommelesfleursdecerisier,Rune.Commelesétoilesfilantes.Ons’estaimés
tropfortettropjeunes.Notreamourabrûlésifortqu’ils’éteinttroptôt.Notrehistoirenousauraapprisuneleçon.Ellenousauramontréqu’onestcapablesd’aimer.Poppyavaitlevisagerongéparlechagrin.J’aiposélesmainssursesjoues.—Écoute-moibien,Poppymin.JenevaispaspassermavieàOslo.Jereviendrai.Etons’appellera
touslesjours.Ons’écrira.Tuserastoujoursavecmoi.Cen’estpaslafindenotreaventure.Pasencore.Elleaclignédesyeux. J’étais terrifiéà l’idéequ’ellebaisse lesbras,qu’elle tireun trait surnotre
histoire.Jenel’avaismêmepasenvisagé.—Onestensemblepourtoujours,Poppymin.Pourlavie.Elles’estmisesurlapointedespiedsetm’aregardédroitdanslesyeux.—Tumelepromets,Rune?Parcequemonbocalestloind’êtrerempli.—Jetelepromets.Etjetedonneraiplusdemillebaisers.Jet’endonneraideux,trois,quatremille!Poppym’asouri.Jel’aiembrasséeavectendresse.—Baisernumérotroiscentcinquante-quatre.AvecmonRune,danslacerisaie.Moncœurapresque
éclaté.J’aipousséunsoupirdesoulagement.—Personned’autreque toine toucheraàmes lèvres,Rune. Je te lepromets.Elles sontà toi,pour
toujours.—Etlesmiennessontàtoi,Poppy.Pourlavie.Main dans la main, nous avonsmarché jusque chez elle. J’ai déposé un baiser sur son nez et j’ai
approchémabouchedesonoreille.—Jeterejoinsdansuneheure.Elleaplacéunemainsurmontorse.Ellel’aregardéeunlongmoment,l’airsérieux.—Est-cequeçava,Poppymin?Sansdireunmot,ellem’atournéledosetaouvertlaporte.Jesentaisencorelachaleurdesamain
contremapeau.La têteailleurs, jesuis rentréchezmoi.Enouvrant laporte, j’aiétéaccueilliparune
montagnedecartons.Mesparentsétaientdanslesalon.Monpèrem’aappelé,maisjen’aipasrépondu.J’ai traversé lecouloir jusquedansmachambreet j’ai rassemblé lesaffairesque jevoulaisemporteravecmoiàOslo.J’aiattrapéleportraitdePoppyetmoi,celuiquej’avaisimprimélaveille.Monpèrem’asuividansmachambre.—Jetedéteste,ai-jemurmuré.Jamaisjenetepardonnerai.Mamèreétaitlà,elleaussi.Elleavaitl’airaussichoquéequelui.Jamaisjeneleuravaisparlésurce
ton.—Rune…—Jenevouspardonneraijamais.Jamais!Mavoixétaitteintéederage.Uneragequigonflaitenmoi.Uneémotionquejen’avaisjamaisressentie
auparavant.J’étaisrenfrognédenature,maisilétaitrarequejememetteencolère.Cesoir,c’étaitellequimepossédait.Ellecoulaitdansmesveines.Mamèreavaitleslarmesauxyeux.Tantmieux.Jevoulaisqu’ilssouffrentautantquemoi.—Onpartàquelleheure?—À7heures,demainmatin.J’aifermélesyeux.SeulementhuitheuresàpasseravecPoppy,avantdelaissermoncœuretmonâme
ici.Seulemacolèreferaitlevoyageavecmoi.—Toutiramieuxavecletemps,Rune.Turencontrerasquelqu’und’autre…J’aijetémalampedechevetcontrelemur.L’ampouleaéclaté.—Neme dis plus jamais ça ! Plus jamais ! J’aime Poppy ! Seulement elle ! Et toi, tu oses nous
séparer!Monpèreestdevenutoutblanc.J’aiavancéd’unpasverslui,lespoingsserrés.—Jesaisquejen’aipaslechoix.Jesaisquejenepeuxpasrestericitoutseul.Jen’aiquequinzeans.
MaisjevoushaïraichaquejourquimeséparedePoppy.Jusqu’ànotreretour.Jamaisjenel’oublierai,etjamais je ne vous pardonnerai.À cause de vous, je vais perdre des années avec la fille que j’aime !J’aimePoppyplusquetout,maisvousvousenfichez!Jeleuraitournéledosetj’aiouvertmonplacard.—Voussavezquoi?Moiaussi,jemefichedecequevousressentez!Surtouttoi,papa.J’aijetémesvêtementsdanslavalisequemamèreavaitposéesurlelit.Monpèreestrestéimmobile,
têtebaissée.—Jesuisdésolé,Rune.JesaisàquelpointPoppycomptepourtoi.J’aidécidédetel’annoncerau
derniermomentpourt’épargnerdessemainesdesouffrance.J’aieutort.Unjour,tucomprendras.Ilafermélaportederrièrelui.Jemesuisassissurlelit.J’aipasséunemainsurmonvisageetj’ai
fixé le placard vide. La colère était toujours là, vive et brûlante dans mon ventre. J’ai enfoncé mesdernierstee-shirtsdanslavalise,sansprendrelapeinedelesplier,puisj’aijetéunœilparlafenêtre.LachambredePoppyétaitallumée.J’aifermémaporteàclé,jesuissortietj’aitraversélapelouse.J’aigrimpéàsafenêtreetjel’aiferméederrièremoi.Poppyétaitassisedanssonlit.Elleétaitbelledanssachemisedenuitblanche.Elleavaitlescheveux
détachés, lesbraset les jambesnuset les jouesrougiespar les larmes.Elle tenaitnotrephotodans lamain.Ellearemislecadreàsaplaceetposélatêtesursonoreiller.Jemesuisallongéàcôtéd’elle.Dès
l’instantoùj’aiplongémesyeuxdanslessiens,macolères’estapaisée.—Nepleurepas,Poppymin.Jen’aimepastevoirpleurer.—Mamèrem’aditquevouspartiezdemainmatin.J’aihochélatête.—C’estnotredernièrenuitensemble,Rune.—Ja.Elleaétudiémonvisage.—Qu’est-cequ’ilya,Poppy?Elles’estapprochéedemoi,frôlantmaboucheaveclasienne.Ellesentaitledentifriceàlamenthe.
Elleapasséunemainsurmonvisage,moncouetmontorse,s’arrêtantjusteenbasdemontee-shirt.Sansprévenir,Poppyaécrasésabouchecontrelamienne.Ellem’aembrasséavecpassion,glissantunemaintremblantesousmontee-shirt,surmonventre.—Qu’est-cequetufais,Poppymin?Elleadéposéunbaiserdansmoncou.—Rune…Je…J’aienviedetoi.Letempss’estarrêté.Ellem’aregardédroitdanslesyeux.—Non,Poppy…—Jeveuxêtreavectoiavantquetupartes.Jet’aime,Rune.Moncœurs’estemballé.Jesavaisqu’ellem’aimait,maisc’étaitlapremièrefoisqu’ellemeledisait.—Jegelskerdeg,Poppymin.Ellem’asouri.Jeluiaisourienretour.—Jet’aime,ai-jerépétéenanglais.Poppy s’est assise aumilieu du lit et elle a soulevémon tee-shirt. Ellem’a embrassé sur le torse.
Jamaisjenel’avaistrouvéeaussibelle.—Netesenspasobligée,Poppy.Jeveuxquetusoisprête.—Jesuisprête,Rune.—Onesttropjeunes…—Onabientôtseizeans.RoméoetJulietteavaientnotreâge.J’aiéclatéderire.C’étaitplusfortquemoi.—Jesuisprêtedepuislongtemps,Rune.Jen’étaispaspressée.Jepensaisqu’onavaitlaviedevant
nous.Maintenant,toutachangé.Notretempsensembleestcompté.Jet’aime,Rune.—Jet’aime,Poppy.—Pourtoujours.Elleapasséundoigtsouslesbretellesdesachemisedenuitetlesafaitglissersursesbras.Lehaut
desarobeluiesttombésurleshanches.Poppyétaitnuedevantmoi.J’étaisstupéfait.Jeneméritaispascebonheur.—Tuenessûre,Poppymin?
Elleaprismamaindanslasienneetl’aposéesursapeaunue.—Oui,Rune.J’ensuissûre.J’enaienvie.Jemesuislaisséalleretjel’aiembrassée.Jecomptaisprofiterdupeudetempsquinousrestaitavec
Poppy,detouteslesmanièrespossibles.Sansbrisernotrebaiser,elleaexplorémontorseduboutdesdoigts.J’aiglisséunemainsursondos,
laserrantfortcontremoi.J’aiposéunemainsursacuisseetjesuisremonté,lentement.Poppyaposélefrontcontremonépaule.—Continue,a-t-ellesoupiré.J’aiobéi,ravalantmapeur.Jel’aimaistellement…J’avaispeurdeluifairedumal,delaforcer.Je
voulaisqu’ellesesentebien.Qu’ellecomprenneàquelpointellecomptaitpourmoi.Noussommesrestésimmobiles,ensilenceetàboutdesouffle,attendantlasuite.Poppyaeffleuréles
boutonsdemonjean.—Jepeux?J’ai hoché la tête.Uneminute plus tard, nos vêtements étaient empilés par terre. Poppy était assise
devantmoi,lesmainssurlesgenoux,seslongscheveuxtombantencascadesursesépaules.Jenel’avaisjamaisvueaussiintimidée.Jenem’étaisjamaissentiaussinerveux.Elles’estallongéesurlecôté,etjemesuismisenfaced’elle.J’aidéposédesbaiserssursesjoueset
sonfront,puisje l’aiembrasséelonguementsurlabouche.Poppyapasséunemaindansmescheveux,m’attirantcontreelle.—Jesuisprête,Rune.Elle s’est penchée et a sorti un petit paquet du tiroir de sa table de chevet. Elle me l’a tendu en
rougissant.—Jesavaisquecemomentarriveraitbientôt.Jem’étaispréparée.Elleaouvertlesbrasetm’aguidésurelle.Jel’aiembrasséepourmedonnerducourage,appréciant
songoûtdeceriseetsapeauchaudecontrelamienne.J’aicroisésonregardetelleahochélatête.Jevoyaisdanssesprunellesqu’elleavaitenviedemoi.Jenel’aiplusquittéedesyeux.Pasuneseulefois.
*
Après,nousnoussommesallongésfaceàface,souslacouverture.Nosdoigtsétaiententrelacéssousl’oreiller.Aucundenousn’osaitparler.J’espéraisqu’elleneregrettaitpassadécision.Poppyapousséunsoupir.J’aiglisséunemèchedecheveuxderrièresonoreille.—Jet’aime,Poppymin.Cequ’onvientdevivre…C’étaittellement…Jen’arrivaispasàm’exprimer.Frustré,j’aifermélesyeux.Elleadéposéunbaisersurmabouche.—Jemesouviendraidecettenuittoutemavie,Rune.Jel’aiembrasséeavecpassion.J’aiécartémonvisagedusienetellem’asouri.— Baiser numéro trois cent cinquante-cinq. Avec mon Rune, dans ma chambre. Après avoir fait
l’amourpourlapremièrefois.Moncœurapresqueéclaté.Elleaposémamainsursoncœur.Jelesentaisbattresousmapaume.Elleavaitleslarmesauxyeux.—Jeneveuxpasquetupartes.—Moinonplus,Poppymin.Iln’yavaitplusrienàdire.J’aipasséunemaindanssescheveux,etelleacaressémonventredubout
desdoigts.Poppys’estendormie.Sonsouffletranquillem’abercé.J’aiessayédetenirlepluslongtempspossible, pour profiter d’elle jusqu’au bout, mais je me suis endormi à mon tour, à la fois triste etheureux.Jemesuisréveilléauleverdujour.Lejourdemondépart.J’aiclignédesyeuxetj’airegardéleréveil.Plusqu’uneheure.Poppydormaitencore,latêteposée
surmon torse.Elle étaitmagnifique.Nosmains étaient encore jointes surmonventre.Elle avait l’airtellementheureusedanssonsommeil…J’espéraisquecettenuitavaitétéaussibellepourellequepourmoi.Poppyasoulevélespaupières.Unsourireailluminésonvisage.Elles’estblottiecontremoncou,etje
l’aiserréedansmesbras,toutengardantunœilsurleréveil.Pluslesminutess’écoulaient,pluslacolèredelaveilles’emparaitdemoi.—Ilfautquej’yaille,Poppymin.—Jesais.Elleavaitlevisagesillonnédelarmes.Jemesuismisàpleurer,moiaussi.Poppyapasséunemainsur
majoue.Jel’aiadmiréeensilence,gravantsestraitsdansmamémoire,puisjemesuislevéetjemesuishabillé.Sansmeretourner,jesuissortiparlafenêtreetj’aitraversélapelouse,lecœurlourd.Jesuisentrédansmachambre.Laporteavaitétéouvertedel’extérieur.Monpèreétaitplantéàcôtédu
lit.Pendantuninstant,j’aieupeurdesaréaction.Puislacolèreaprisledessus.J’étaisprêtàentendreses reproches. J’étais prêt à me battre. Je n’avais pas honte d’avoir passé la nuit avec la fille quej’aimais.Ladernièrenuit,parsafaute.Ilestsortisansdireunmot.Unedemi-heureplustard,j’aibalayémachambreduregard,unedernière
fois.J’aisoulevémonsacàdosetjesuissorti,monappareilphotoautourducou.M. etMmeLitchfield étaientdehors, avec Ida etSavannah. Ils disaient au revoir àmesparents. Ils
m’ontrejointenbasdel’escalieretm’ontprisdansleursbras.IdaetSavannahsesontagrippéesàmataille.Laportedeleurmaisons’estouverte.Poppynousarejointsencourant.Ellesortaitdeladouche.Elle
avaitlescheveuxmouillés.ElleaenlacémesparentsetembrasséAltonsurlajoue.Ilssesontinstallésdanslavoiture,etlafamilledePoppyestrepartiepournouslaisserseulàseule.Jel’aiserréefortdansmesbras,j’aiposéundoigtsoussonmentonetjel’aiembrasséepourladernièrefois.Poppyétaitenlarmes.—Baisernumérotroiscentcinquante-six.AvecmonRune,devantchezlui…lejourdesondépart.J’aifermélesyeux.Madouleurétaitinsurmontable.Monpèreabaissésavitre.
—Ilfautqu’onyaille,Rune.Poppy s’est agrippée à mon tee-shirt et a étudié mon visage. On aurait dit qu’elle essayait d’en
mémoriserlemoindredétail.J’aisoulevémonappareilpourlaprendreenphoto.J’aicapturéunmomentrare:l’instantmêmeoùuncœursebrise.Lepas lourd, j’aimarché jusqu’à lavoiture. Jemesuisassisà l’arrière, incapabledecontenirmes
larmes.Poppyestrestéeplantéelà,sescheveuxmouillésdansantdanslevent.Monpèreafaitdémarrerlavoiture.J’aibaissélavitreettendulamain.Poppyl’aserréedetoutesses
forces.—Jeteverraidansmesrêves,Rune.—Jeteverraidanslesmiens.Mon père a faitmarche arrière. J’ai lâché lamain de Poppy et je l’ai regardéeme dire au revoir,
jusqu’àcequ’elledisparaissedemonchampdevision.Jemesuisaccrochéàcettedernièreimage.Jemesuisjurédelagarderenmoijusqu’àmonretour.Jusqu’ànosretrouvailles.
4
SILENCE
Rune
Oslo,Norvège
Lelendemain,j’atterrissaisàOslo,séparédePoppyparunocéan.Lesdeuxpremiersmois,nousnoussommesappeléstouslesjours.J’essayaisdem’encontenter,maischaqueminutepasséesanselleattisaitmacolère.Quelquechoses’étaitbriséenmoi.Jemesentaisvide.Aulycée,jerefusaisdemefairedesamis.Jenevoulaispasquecetendroitdeviennemanouvellemaison.MaplaceétaitenGéorgie.AvecPoppy.Pendantnosconversations,jem’efforçaisdecachermatristesse.Jenevoulaispasqu’ellesefassedu
souci.Puis,unjour,Poppyaarrêtéderépondreàmesappels,àmesemailsetmestextos.Elleadisparu.Sansunmot,sansunetrace.J’aiapprisqu’elleavaitquitténotrelycéeetnotreville.Pendantdeuxans,elle m’a abandonné de l’autre côté de l’Atlantique. Deux ans pendant lesquels je n’ai cessé de medemanderoùelleétait,cequis’étaitpassé,sij’avaisfaitquelquechosedemal,sijel’avaispousséetroploinlorsdenotredernièrenuit.Cettepériodeamarquémavie.UneviesansPoppy.Uneviesansrien.
5
AMOUREUXETÉTRANGERS
Poppy
BlossomGrove,GéorgieÀdix-septans
—Ilrevient.Deuxmots.Deuxsimplesmotsquiontbouleversémavie.Ilrevient.J’aiserréleslivrescontremapoitrineaumilieuducouloirbondéetj’aitournélatêteversJorie,ma
meilleureamie.Elleaposéunemainsurmonbras.—Çava,Poppy?Tuestouteblanche.—Qui…Quit’aditqu’ilrevenait?—JudsonetDeacon.Sonpèreestaffectéici.Pourdebon,cettefois.—Danslamêmemaison?—Oui,Poppy.Jesuisdésolée.J’aifermélesyeux.Ilseraitànouveaumonvoisin.Sachambredonneraitsurlamienne,commeavant.Jorieafroncélessourcils.—Tuessûrequeçava?Tuviensjustederentrer,toiaussi,etrevoirRune…—Net’inquiètepaspourmoi.Onnes’estpasparlépendantdeuxans.Runeestunétranger.—Poppy…—Ilfautquej’ailleencours.J’ai tourné le dos àmon amie, la seule avec qui j’étais restée en contact pendant ces deux longues
années.Les autres pensaient que j’avais quitté la ville avecma famille pour vivre auprès d’une tantemalade.SeuleJorieconnaissaitlavérité.Jemesuisarrêtéeaumilieuducouloiretj’aijetéunœilpar-dessusmonépaule.—Quandest-cequ’ilrevient?
—Cesoir.JudsonetDeaconontdemandéàtoutlemondedeserassemblerauparcpourl’accueillir.C’étaitcommerecevoiruncoupdepoignarddansledos.Personnenem’avaitinvitée,etjecomprenais
pourquoi. J’avaisquittéBlossomGrovesansunmot.Quand jesuis revenue,sansRuneàmonbras, jesuisdevenueinvisible.Lafillequiportaitunnœuddanslescheveuxetquijouaitduvioloncelle.JorieetRubyétaientlesseulesàs’êtreémuesdemonabsence.—Çavaaller,Poppy?Jemefaisdusoucipourtoi.—Net’inquiètepas.J’aiconnupire.J’aibaissélatêteetj’aitraversélecouloiràtoutevitesse.Jenevoulaispasdesapitié.Jesuisarrivée
justeàtempsàmoncoursdemaths.Pendantuneheure,jen’aipenséqu’àuneseulechose:ladernièrefoisquej’avaisvuRune.Notredernierbaiser.Notredernièrenuit.J’étaiscurieusedesavoiràquoi il ressemblait,deuxansplus tard.Ànotreâge,noscorpsévoluent
vite.Jelesavaismieuxquequiconque.Jemesuisdemandésisesyeuxétaienttoujoursaussibleus,s’ilavaitencorelescheveuxlongsets’ilpassaitsontempsàlesglisserderrièrel’oreille,ungestequifaisaitfondrelesfilles.Pendantunbrefinstant,jemesuisdemandés’ilsongeaitencoreàmoi,etànotredernièrenuit.Laplus
bellenuitdemavie.Puis les idéesnoiresontpris ledessus.Avait-iloffert ses lèvresàuneautrependantsonabsence?
Avait-ilbrisésapromesse?Pire:avait-ilfaitl’amouràuneautre?Lasonneriearetenti.Jemesuisdirigéeverslasortie,soulagéequelajournéetoucheàsafin.J’étais
fatiguéeet j’avais lecœurbrisé. JesavaisqueRuneseraitde retourcesoir-là. Jenepourraispas luiparler,niletoucher,niluisourire,nil’embrassercommej’enrêvais.Ilfallaitquejegardemesdistances.Detoutemanière,ilyavaitdegrandeschancespourqu’ilneveuillepasm’approcher.Pasaprèscequejeluiavaisfaitsubir.Jeneluiavaismêmepasditaurevoir.Je suis sortie du lycée et j’ai glissé les cheveux derrière mes oreilles. Mes cheveux longs me
manquaient.Avecmacoupeaucarré,jenemesentaispasmoi-même.Entraversantleparking,j’aiadmirélecielbleuetlesoiseauxdanslesarbres.Lanaturem’apaisait.Je
suispasséedevantJudsonetsesamis,attroupésautourd’unevoiture.J’aibaissélatêteetj’aiaccélérélepas.Troptard.Averym’avaitrepérée.Ellem’aappelée,etjemesuisretournée.Elleestdescendueducapot où elle était assise et elle s’est approchée de moi. Elle était toujours aussi belle. Maquillageimpeccable,delongscheveuxblonds…Touslesgarçonslavoulaient,ettouteslesfillesrêvaientdeluiressembler.—Tuesaucourant?m’a-t-elledemandé.—Dequoi?—RunerevientàBlossomGrove.Elleavaitl’airravie.J’aidétournéleregard.—Non,ai-jementi.Jen’étaispasaucourant.RubyetJoriesesontempresséesdenousrejoindre.Mesdeuxvraiesamies.—Qu’est-cequisepasse?avoulusavoirRuby.—JedemandaisàPoppysiellesavaitqueRunerevenaitcesoir.
Deaconnousarejointes.IlapasséunbrassurlesépaulesdeRuby.—Runen’apasparléàPoppydepuisdeuxans,Avery.Jetel’aidéjàdit.Ce n’était pas son intention,mais sesmotsm’ont brisé le cœur.Maintenant, je savais queRune et
Deaconétaientencontact,etqueRuneneluiparlaitjamaisdemoi.Jen’existaisplus.Averyahaussélesépaules.—Jevoulaisjustevérifier.Aprèstout,ilsétaientinséparables…—Ilfautquej’yaille,ai-jeditenleurtournantledos.J’aitraverséleparcjusqu’àlacerisaie.Lesbranchesétaientnuesettristes.Ellesétaientpresséesde
retrouverleursfleurs,unsouhaitquineseréaliseraitpasavantleprintemps.Jesuisrentréechezmoietj’airejointmamèreetmessœursdanslacuisine.IdaetSavannahfaisaient
leurs devoirs sur la table. J’ai pris ma mère dans mes bras et je l’ai serrée un peu plus fort qued’habitude.—Çava,machérie?—Oui,jesuisjustefatiguée.—Tuenessûre?Elleaposéunemainsurmonfront.—Oui,maman.Toutvabien.Jesuisalléedansmachambreetj’aijetéunœilparlafenêtre.LamaisondesKristiansenn’avaitpas
changé depuis leur départ. Ils ne l’avaient pas vendue. Mme Kristiansen avait dit à ma mère qu’ilsaimaienttropcequartier.Unefemmedeménagevenaitunefoisparsemainepourquelamaisonsoitenétatàleurretour.Ce jour-là, les fenêtres étaient ouvertes. Elle avait visiblement tout préparé pour leur arrivée. J’ai
fermélesrideaux,et jemesuisallongéesur le lit.J’enavaismarred’être tout le tempsfatiguée.Pourmoi,dormirétaitunepertedetemps.Jepréféraisexplorer lemonde,m’amuseretcréerdessouvenirs.Hélas,jen’enavaispaslechoix.JemesuisendormieenpensantàRune.Commechaquefois,j’airêvédelui.Runemeserraitdansses
bras,m’embrassait etmedisait qu’ilm’aimait.C’est unbruit de camionsquim’a réveillée.Desvoixfamilières me sont parvenues depuis le jardin. Mon cœur s’est emballé. Je me suis agrippée à macouverture.Ilétaitlà.Jeme suis levéeet jeme suis approchéede la fenêtre. J’ai reconnu lesvoixdemesparents etdes
parentsdeRune.Jen’aipasouvertmesrideaux,depeurqu’ilsmevoient.Jesuissortiedemachambreetje suis allée à l’étage, dans le bureau demon père.C’était la seule autre fenêtre qui donnait sur leurmaison.Jemesuiscolléeaumuretj’aisourienvoyantlesparentsdeRune.Ilsn’avaientpasbeaucoupchangé.MmeKristiansenétaittoujoursaussibelle,aveclescheveuxplus
courts.M.Kristiansenétaitgrisonnant,etilavaitunpeumaigri.Unpetitgarçonblondacourujusqu’àlaported’entrée.Alton.Ildevaitavoirquatreans.Ilavaitles
cheveuxaussilongsetblondsqueceuxdesonfrère.IlressemblaitàRunelejourdenotrerencontre.Lesdéménageursfaisaientdesaller-retourentrelescamionsetlamaison,lesbrasremplisdecartons.
AucunsignedeRune.Mesparentssontrentrés,etjesuisrestéeplantéelà,attendantl’arrivéedugarçon
demes rêves. Une heure plus tard, la nuit est tombée. J’allais baisser les bras quand j’ai aperçu dumouvementàl’arrièredeleurmaison.Unéclatdelumièreetunefuméeblanche.Unegrandesilhouetteasurgi de l’ombre, se dévoilant à la lueur du lampadaire.Veste en cuir, tee-shirt noir, jean noir, bottesnoires…etdelongscheveuxblonds.Il a passé une main dans ses cheveux. Je connaissais ce geste, cette mâchoire, ces épaules. Je le
connaissaisparcœur.Rune.MonRune.Unnuagedefumées’estéchappédesabouche.Ilfumait.Runefumait.MonRunen’auraitjamaisfumé.Magrand-mèreétaitmorted’uncancerdupoumon.Runeetmoinous
étionspromisquejamaisnousnetoucherionsàunecigarette.Runeavaitbrisénotrepromesse.Jel’aiobservéensilence.Ilétaitencoreplusbeauquedansmesrêves.Ilaécrasésacigarettedans
l’herbe, et sonpère l’a rejointdehors.Runea tourné la têtevers lui. Jen’aipascompriscequ’ils sedisaient,maisRuneavait l’airencolère.Il luiaréponduennorvégien.Sonpèreabaissélatêteetestretournédanslamaison.Runeluiafaitunbrasd’honneur.Laportes’estrefermée.J’étaischoquée,tristeetdéçue.Legarçonquejeconnaissaissibienétaitdevenuunétranger.Ilafait
lescentpasentrenosdeuxmaisons.Mêmedeloin,jesentaisqu’ilétaitfurieux.Ilatournélatêteverslafenêtre dema chambre.Un coup de vent a soulevé ses cheveux et, pendant un bref instant, j’ai vu ladouleuretlatristessedanssesyeux.MonRuneétaitencorelà.Jeconnaissaisceregard.Ilafaitunpasenavant,etj’aipresquecruqu’ilallaitgrimperàmafenêtre,commeavant.Maisilaserrélespoings,ilestrevenusursespasetilestrentréchezlui.Sachambres’estallumée.Ilaouvertlafenêtreets’estassissurlerebord.Tandisqu’ilallumaitune
autrecigarette,mamèreestentréedanslebureau.Ellem’arejointeàcôtédelafenêtre.—Runeachangé,Poppy.IlleuracausébeaucoupdeproblèmesàOslo.Eriknesaitpluscomments’y
prendre. Ils sont contents d’être de retour. Ils voulaient l’éloigner de sesmauvaises fréquentations enNorvège.Runefumaitsacigaretteenfixantlafenêtredemachambre.Mamèreaposéunemainsurmonépaule.—Tuasprislabonnedécision,machérie.Iln’auraitpassupportécetteépreuve.J’avaisleslarmesauxyeux.Jel’avaiscoupédemaviepoursonbien,pourleprotéger.Lesimplefait
de l’imaginer heureux, en Norvège, m’avait aidée à me battre.Mais ce n’était qu’une illusion. Runen’étaitpasheureux.Ilétaitperdu,dansl’ombre.Iln’étaitpluslemême.LavoituredeDeaconestapparuedansl’allée.LeportabledeRunes’estallumédanssamain.Ilest
sortidelamaisonetarejointDeaconetJudson.Ilsluiontserrélamain.Averyl’aprisdanssesbras.Elleportaitunejupecourteetunhautmoulant.Elleétaitparfaite.Ilsétaientparfaits.Grands,blondsetbeaux.Lavoitureadisparuauboutdelarue.LepèredeRuneétaitplantésurlepasdelaporte, leregard
danslevide.Ilalevélatêteverslafenêtreoùjemetenaisetilacroisémonregard.Ilm’asaluéedelamain.Ilavaitl’airtriste.Fatigué.Désespéré.Je lui ai souri avant de retourner dans ma chambre. Je me suis allongée et j’ai attrapé ma photo
préférée.Notredernierportrait.Jel’airegardéeenmedemandantcequiétaitarrivéàRune.Pourquoiilavaittantchangé.Etj’aipleuré.PleurépourRune,pourceluiquej’avaistantaimé.Pleurépournotrehistoire,aussibelleetéphémèrequelesfleursdecerisier.
6
COULOIRSBONDÉSETCŒURSTRANSPERCÉS
Poppy
Mamères’estgaréedevantlelycée.Leslarmesauxyeux,elleaposéunemainsurmonbras.—Est-cequeçava,mapuce?—Oui,maman.Toutvabien.—Tun’espasobligéed’alleraulycéeaujourd’hui.—J’aienvied’yaller.Jeneveuxpasratermoncoursd’histoire.—Tuescommetagrand-mère.Têtuecommeunemule,etuneéternelleoptimiste!Je lavoisentoi
touslesjours.Ces paroles ont suffi àme réchauffer le cœur. Ellem’a tendu lemot dumédecin, et j’ai ouvert la
portière.—Jet’aime,maman.Detoutmoncœur.Unsourireailluminésonvisage.—Jet’aimeaussi,Poppy.Detoutmoncœur.Jesuissortiedelavoiture, j’aifermélaportièreet jemesuisdirigéeversl’entrée.J’avaisratéma
premièreheuredecours.Unsilenceetuncalmedignesde l’apocalypseplanaientsur le lycée.Tout lecontrairedubrouhahahabituel.Jesuispasséeausecrétariatetj’aidonnélemotdumédecinàMmeGreenway,lasecrétaire.—Commentallez-vous,Poppy?—Trèsbien,merci.—Tantmieux.Ellem’afaitunclind’œilenmetendantmonmotd’excuse.J’aijetéunœilàmamontre.Moncoursde
littératurevenaitàpeinedecommencer.J’aitraversélecouloirjusqu’àmoncasieroùj’airécupéréleslivresdontj’avaisbesoin.Jel’aiferméetjesuisrevenuesurmespas,lesbraschargés.C’estlàquej’ailevélesyeuxetquejemesuisretrouvée…faceàRune.Legarçonquej’aimaisencore,plusquetoutaumonde.
Ilétaitplantéaumilieuducouloir,àquelquesmètresdemoi.Ilavaitlemêmestylequ’avant:tee-shirtnoir,jeannoiretbottesnoires.Sesbrasétaientplusmusclés,satailleplusfine,samâchoiredessinéeetsespommettessaillantes.Unefinebarbeblonderecouvraitsonmentonetsesjoues.Sessourcilsblondsse sont froncés au-dessus de ses grands yeux bleus. Des yeux que je n’avais pas oubliés, malgré ladistanceetlesannées.Moncœurs’estemballé.Sonregardsurmoiavaitchangé.Unregardaccusateur,enragé.J’airavaléma
douleur.Sonamourm’avaitréchauffélecœurpendantdesannées,maissacolèremeglaçaitlesveines.Plusieursminutessesontécoulées.Nilui,nimoin’avonsbougé.L’atmosphèreétaitélectrique.Runea
serrélespoings.Onauraitditqu’ilmenaitunebatailleaveclui-même.Laporteducouloirs’estouvertederrière lui. Le surveillant, William, s’est approché de nous, brisant la tension. Tant mieux. J’avaisbesoindemeressaisir.—Jepeuxvoirvosautorisations?J’ai posémes livres en équilibre surungenoupour lui tendre lamienne,maisRunem’adevancée.
Williamalusonmotd’excuse,puislemien.—Prendssoindetoi,Poppy.Je suis devenue toute blanche, puis j’ai compris que le papier disait que je revenais de chez le
médecin.Riendeplus.Iln’étaitpasaucourantdureste.—Merci.Runem’a observée, l’air inquiet. J’ai croisé son regard, et son visage s’est fermé. Il était pourtant
tellementbeauquandilsouriait…J’espéraisquesacolères’estomperaitavecletemps.William nous a fait signe de circuler. J’ai traversé le couloir, j’ai poussé la porte et je me suis
retournéeunedernièrefois.Runen’avaitpasbougé.Ilmefixaitencore,del’autrecôtédelavitre.Puisilm’atournéledos,etjesuispartieencours.Uneheureaprès,jetremblaisencore.
*
Unesemaine s’est écoulée.Unesemainedurant laquelle j’ai évitéRuneà toutprix.À lamaison, jem’enfermaisdansmachambre,rideauxtirésetfenêtrefermée.Aulycée,Runemedévisageaitcommesij’étaissapireennemie.Jenedéjeunaispasàlacantine.Jeprenaismesrepasdanslasalledemusique,etjepassaislerestedemapauseàjouerduvioloncelle.Lamusiqueétaitmonsanctuaire,monéchappatoire.Ellemefaisaitoublierlasouffrancedecesdeux
dernièresannées.Quandjejouais,lasolitude,leslarmesetlacolères’envolaient,laissantplaceàunepaixintérieurequejenetrouvaisnullepartailleurs.Pourtant,depuismesretrouvaillesavecRunedanslecouloir, la musique ne me suffisait plus. Chaque fois que je terminais un morceau, le désespoir merongeaitetmesuivaitjusqu’ausoir.Lasemaineétaitenfinterminée.Lacourgrouillaitd’élèvespressésderentrerchezeuxetdefêterle
débutduweek-end.Entraversantleparc,jesuistombéesurRuneetsesamis,assisdansl’herbe.JorieetRubyétaientlà,ellesaussi.AveryétaitassiseàcôtédeRune,quifumaitunecigarette,ledoscontreunarbre.J’aiaccélérélepas,maisJoriem’acouruaprès.—Poppy!
Jemesuisarrêtée,refusantd’ignorermonamie.Runem’observaitducoindel’œil.J’aifaitminedenepaslevoir.—Commentvas-tu?—Bien,ai-jemurmuré.Elleapousséunsoupir.—Tuneluiaspasencoreparlé?—Non,etc’estmieuxcommeça.Jenesauraispasquoiluidire.Runeachangé.Jenelereconnais
plus.—Jesais,Poppy.Toutlemondeparledeluidepuissonretour.Commed’habitude,lesfillesfonttout
pourattirersonattention.Saufqu’avantilétaitavectoi,onsavaitqu’ilnetequitteraitpaspouruneautre.Aujourd’hui,c’estdifférent.Jesuisdevenuepâledejalousie.Jorieaposéunemainsurmonbras,l’airdésolé.Jeneluienvoulais
pas.Elleavaitraison.—Qu’est-cequetufaisdemainsoir?—Rien.—Super!Deaconorganiseunefête.Onyvaensemble?J’aiéclatéderire.—Jedétestelesfêtes,Jorie.Tulesaisbien.Etpuis,jenesuispasinvitée…—Si!C’estmoiquit’invite.—JenesuispascapabledefairefaceàRune.Pasaprèstoutcequiestarrivé.—Ilneserapaslà.IladitàDeaconqu’ilavaitautrechosedeprévu.—Ahbon?—Jen’en saispasplus.Runeest toujours aussimystérieux.Maispeu importe…Allez,Poppy,dis
oui!J’aimeraispasserplusde tempsavec toi.Onadeuxansàrattraper.Rubysera làaussi.Onne telaisserapastouteseule,promis!J’aifixélesol,àlarecherched’uneexcuse.—D’accord.—Super!Unsourireailluminésonvisageetellem’aserréefortdanssesbras.Sonenthousiasmem’afaitrire.—Ilfautquej’yaille.J’aiunrécital,cesoir.—C’estvrai?Bonnechance!Onsevoitdemain.Jeviendraitechercher.—OK.Àdemain,Jorie.J’aitraverséleparcjusqu’àlacerisaie.Enempruntantlesentier,j’aientendudubruitdansmondos.
J’ai jeté unœil par-dessusmon épaule.Rune était à quelquesmètres demoi. J’ai détourné le regard,terrifiéeàl’idéequ’ilm’adresselaparole.Ets’ilmedemandaitdesexplications?Ets’ilmedisaitquenotrehistoirenecomptaitplusàsesyeux?Celamebriseraitlecœur.Jemesuisdépêchéederentreràlamaison.Ilm’asuiviejusqu’aubout,sanspourautantessayerdeme
rattraper. Il s’estplantéàcôtéde sa fenêtreet il apasséunemaindans sescheveux. J’aieuenviede
lâcher mon sac et de me jeter dans ses bras, de tout lui raconter. J’étais prête à tout pour qu’ilm’embrasseunedernièrefois.Jesuisentréechezmoietjemesuisallongéesurmonlit.Lesmotsdemamèreontdéfiléenboucle
dansmatête.Tuasprislabonnedécision,machérie.Iln’auraitpassupportécetteépreuve.Enfermantlesyeux,jemesuisjurédeneplusjamaisl’approcher.Jerefusaisd’êtreunfardeau.Jeleprotégerais,coûtequecoûte.Parcequejel’aimaistoujours.Mêmesiluinem’aimaitplus.
7
TRAHISONETVÉRITÉS
Poppy
Jemesuisétiréeencoulisses,monvioloncelleàlamain.Parfois,mesdoigtss’engourdissaient,etjedevais attendrequelquesminutesavantdepouvoir reprendre.Mais riennem’empêcheraitde jouercesoir.J’iraisjusqu’auboutetjesavoureraischaqueseconde.Michael Brown a terminé son solo de violon. Les spectateurs l’ont applaudi, puis le maître de
cérémonieaannoncémonnomaumicro.C’étaitlapremièrefoisquejeremontaissurscènedepuismonretour.Mesparentsetleshabituésm’ontapplaudie.Ilsontcriémonnom,m’accueillantànouveaudansleurmonde.Encoulisses,mesamisdel’orchestrem’ontencouragée.Lecœurbattant, j’airedressélesépaulesetjemesuisavancée.Mafamilleétaitautroisièmerang.Mesparents,mespetitessœurs,M.etMmeKristiansenetlepetit
Altonm’ontsouri.Runen’étaitpaslà.Avantsondépart,Runenerataitjamaismesrécitals.Mêmequandilsavaientlieuloind’ici,ilmesuivait,sonappareilvisséaucouetunsourireauxlèvres.J’aifermélesyeuxetj’aiposélesdoigtssurlescordes.J’aicomptéjusqu’àquatreavantdejouerun
prélude de Bach, un de mes morceaux préférés. La mélodie était complexe et rapide. Le son duvioloncellea résonnédans lasalle.Lamusiquecoulaitdansmesveinesetdansmoncœur.Jemesuisimaginée sur la scène du Carnegie Hall. Mon rêve ultime. Je voyais le public, des spectateurs quivivaientpourlamusique,pourlanoteparfaite.Desgenscommemoi.J’enaioubliéquej’avaislesdoigtsengourdis.J’ai toutoublié, jusqu’àcequeretentisse ladernièrenote.Alors j’aiouvert lesyeuxet j’aisouri,apaiséeparcemomentunique,cedouxsilencequiprécédait lesapplaudissements.Àcet instantprécis,jemesentaiscapabledeconquérirlemonde.Lesspectateursontapplaudi,etjelesaisalués.J’aibalayélasalleduregardetj’aicruapercevoirun
éclairdecheveuxblonds toutau fond,disparaissantderrière laporte.Unesilhouettenoireetdesyeuxbleus…Impossible,ai-jepensé.Runemedéteste.Monespritmejouedestours.Jesuissortiedescèneetj’airejointmafamilleàl’extérieur.Savannah,mapetitesœurdetreizeans,
s’estjetéedansmesbras,suiviedeprèsparIda.Ellesavaientleslarmesauxyeux.—Nepleurezpas,lesfilles.N’oubliezpasvotrepromesse.Savannahm’asouri,etIdaahochéla tête.Mesparentsm’ontserréedansleursbras.Ilsm’ontdità
quelpointilsétaientfiersdemoi.M.etMmeKristiansennousontrejoints.Pourlapremièrefoisdepuis
leurretourd’Oslo,j’allaisleurparler.—MapetitePoppy…QuandlamèredeRunes’estapprochéedemoi,jemesuisjetéedanssesbras.Elleadéposéunbaiser
surmonfront.—Tunousasmanqué,mabelle.Sonaccentnorvégienétaitplusprononcéqu’àl’époque.JemesuisdemandésiRuneavaitunaccent,
lui aussi. Son pèrem’a enlacée à son tour, etAlton s’est agrippé à sa jambe. Il a levé la tête etm’aregardéeàtraversseslongscheveuxblonds.—Bonsoir,Alton.Tutesouviensdemoi?Ilasecouélatête.—J’étaistavoisine.Parfois,Runeetmoit’emmenionsjouerauparc.Toutlemondem’aregardéeavectendresse.J’avaisprononcésonnomsansréfléchir.J’aieumalau
cœur,lamêmedouleurquequandjepensaisàmagrand-mère.Altonatirésurmarobe.—TuesamieavecRune?Je n’ai pas su quoi répondre. Sa mère a froncé les sourcils. J’ai poussé un soupir et je me suis
accroupiedevantlui.—Runeétaitmonmeilleurami.Jel’aimaisdetoutmoncœur…etjel’aimeraitoujours.—Tuveuxdireque…Runeteparlait?—Biensûr.Ilmeparlaittoutletemps.Ilalevélatêteverssonpère,l’airconfus.—C’estvrai,papa?Sonpèreahochélatête.—Oui,Alton.Poppyétaitsameilleureamie.Ill’aimaitbeaucoup.Altonavaitleslarmesauxyeux.Salèvreinférieures’estmiseàtrembler.J’aiposéunemainsurson
bras.—Qu’est-cequisepasse,Alton?—Runenemeparlejamais.Ilneveutjamaisjoueravecmoi!Jenecomprenaispas.Runeadoraitsonpetitfrère.—Est-cequetupeuxm’aider,Poppy?Tuessameilleureamie.Ilt’écoutera,toi.J’ai croisé le regard de ses parents, puis des miens. Tout le monde était choqué, attristé par la
confessiond’Alton.—J’aimeraisbeaucoupt’aider,Alton.Maisilnemeparleplus,àmoinonplus.Ilabaissélatête.J’aidéposéunbaisersursonfront,etils’estréfugiédanslesbrasdesamère.Mon
pèreainvitélesKristiansenàboireunverreàlamaisonlelendemain.Moi,j’airegardédanslevide,perduedansmespensées,jusqu’àcequ’unbruitdemoteurmetiredemarêverie.J’ailevélatêteetj’aivuungrandblondvêtudenoirmonterdansuneCamaro.LavoituredeDeacon,lemeilleuramideRune.
*
J’aiétudiémonrefletdanslemiroir.Jeportaisunerobebleueetmesballerinesnoires.J’ainouémonrubanblanc àmes cheveux, et j’ai enfilémesbouclesd’oreillespréférées.Runeme les avait offertespourmesquatorzeans.Ellesétaientenformedehuit:lesymboledel’infini.J’aiattrapémavesteenjeanetj’airejointJoriedevantchezmoi.Ellem’attendaitauvolantdelavoituredesamère.Elleportaitunerobenoiremoulanteetdesbottinesencuir.—Jenesavaispasquoimemettre,ai-jeditenouvrantlaportière.Elleabalayématenueduregard.—Tuesparfaite.Lerécitals’estbiendéroulé?—Oui.—Tutesenscomment?J’ailevélesyeuxauciel.—Arrêtedetefairedusoucipourmoi,Jorie.Tuespirequemamère!Ellem’atirélalangue,etj’aiéclatéderire.Pendantletrajet,ellem’aracontétoutcequis’étaitpassé
aulycéependantmonabsence.J’aisouriethochéla tête,mêmesiceshistoiresnem’intéressaientpasvraiment.Jories’estgaréedevantchezDeacon.J’aientendulafêteavantdelavoir.Descrisetdelamusique
s’échappaient des fenêtres.Nous sommes sorties de la voiture, et jeme suis agrippée au bras demameilleureamie.—C’esttoujoursaussi…bruyant?Jorieaéclatéderire.—Oui,Poppy.Àl’intérieur,lamusiqueétaittropforte.Nousnoussommesfrayéuncheminparmilafoule.Jen’aipas
quittéJoried’unesemelle.RubyetDeaconétaientdanslacuisine.Rubys’estjetéedansmesbras.—Salut,Poppy!Tuveuxboirequelquechose?—Oui,unCoca,merci.Elleafroncélessourcils.—T’aspasenvied’untrucplusfort?—Non,merci.—Commetuveux.Deaconm’asaluéed’unemain.Ilétaitentraindelireunmessagesursonportable.Rubym’atenduun
verre. Nous sommes sorties toutes les trois dans le jardin. Une poignée de personnes étaient assisesautourd’un feudecamp.C’étaitpluscalme,et celam’arrangeaitbien.DeaconaappeléRubydans lacuisine,etjemesuisretrouvéeseuleavecJorie,lesyeuxfixéssurlesflammes.—Jesuisdésoléepourhier,Poppy.ParrapportàRune.Jenevoulaispastefairedemal.Parfois,je
feraismieuxdemetaire.—Jenet’enveuxpas.Ellem’aregardéed’unaircurieux.—Tuletrouvescomment?J’aihaussélesépaules.
—Nemedispasquetun’aspasd’opinionsurl’hommedetavie!—Biensûrquesi.Ilesttoujoursaussibeau.Jorieaavaléunegorgéedebière.Lecœurlourd,jejouaisavecmongobeletquandlavoixd’Avery
s’estéchappéedelamaison.Joriealevélesyeuxauciel.—Lasorcièreestarrivée.—Lasorcière?—Jeplaisante!Averyn’estpasméchante.Elledraguejustetoutcequibouge.—EllenedragueraitpasJudson,parhasard?ai-jeditpourlataquiner.Joriem’ajetésongobeletvideàlafigure.J’aiéclatéderire.ElleétaitamoureusedeJudsondepuis
desannées,etellerefusaitdeleluiavouer.—Averyaessayédeleséduire,maisellelelaissetranquilledepuisqueRuneestrevenu.Mabonnehumeurs’estaussitôtenvolée.Jorieaprisconsciencedecequ’ellevenaitdedire.—Oh!Excuse-moi,Poppy!Jenevoulaispas…—Net’inquiètepaspourmoi.Elleaprismamaindanslasienne.—Est-cequeturegrettestadécision?—Touslesjours.Monamieavaitl’airtristepourmoi.Jeluiaisouripourlarassurer.—Ilmemanque…tun’imaginespasàquelpoint.Mais jenepouvaispas luiavouer lavérité.J’ai
préférégarderlesilence,lelaisservivresaviedesoncôté.Jorieaposélatêtesurmonépaule.—S’ilavaitsucequisepassait,ilauraitessayéderevenir.Jenevoulaispasqu’ilsouffre.Jedevais
leprotéger.—Qu’est-cequetuvasfaire,Poppy?Bientôt,toutlemondeseraaucourant.— J’espère que non. Je ne suis pas populaire comme toi, Ruby et Rune. Personne ne s’en rendra
compte.PasmêmeRune.Tuverraislafaçondontilmeregarde…Ilmedéteste,Jorie.—Tul’aimestoujours,pasvrai?Monsilenceétaitplusfortqu’uncri.Biensûrquejel’aimaistoujours.Jories’estlevéeengrimaçant.—Ilfautquej’aillefairepipi.Tuviensavecmoi?J’aiéclatéderireetjel’aisuivieàl’intérieur.Jel’attendaisdevantlaportedestoilettesquandj’ai
entendulavoixdeRubys’échapperdelapièced’àcôté.J’aiouvertlaporte.Jel’aiaussitôtregretté.C’étaitunpetit salonavec troiscanapés.RubyetDeaconétaientassis sur lepremier, Judsonet ses
amissurledeuxième,etAverysurledernier.Elleavaitungobeletàlamainetlebrasd’ungarçonsurlesépaules.Jeconnaissaiscebras.Jeconnaissaiscettemain.Runeatournélatête.
Jesavaisqu’ilavaittiréuntraitsurmoi,maiscetteimagem’adéchiréedepartenpart.—Çava,Poppy?m’ademandéRuby.—Oui,ai-jemurmuré.J’aireculéd’unpas,etAveryatournélatêteversRune.Pourl’embrasser.Je suis partie en courant. J’ai remonté le couloir et je suis entrée dans la première pièce que j’ai
trouvée.Labuanderieétaitplongéedansl’obscurité.Lafenêtredonnaitsurlejardinetlesflammesdufeudecampdessinaientdesombressurlesmurs.J’aifermélaportederrièremoietj’aiposélesmainssurlamachineàlaver.J’aiéclatéensanglots.Cetteimageresteraitancréeàjamaisdansmamémoire.Moiquicroyaisavoirenduréladouleursous
toutes ses formes…J’avaiseu tort.Runevenaitdebriser sapromesse. Il avaitoffert ses lèvresàuneautre.Quelqu’unatournélapoignée.Runeestentré,fermantlaporteàcléderrièrelui.Surprise,j’aireculé
contre lemur et je l’ai observéde la tête auxpieds. Il avait les brasmusclés, les poings serrés et levisagepâle.Ilapasséunemaindanssescheveuxpourdégagersonvisage.Ungestequejeconnaissaisparcœur.J’auraisaiméavoirlecouragedem’enfuir,maisRunemebloquaitlaroute.J’étaispiégée.Ilaavancéd’unpasversmoi.Jesentaislachaleurémanerdesoncorps.Sonodeurmerappelaitnos
joursd’étédanslacerisaie,etnotredernièrenuitensemble.Seshabitssentaientletabacetsonsoufflelamenthe.J’avaisenvied’effleurersesjouesmalrasées.Monregards’estposésurseslèvres,cellesquivenaientd’embrasserAvery.J’aitournélatêteetj’aifermélesyeux.Runeaplaquélesmainscontrelemurderrièremoi,encadrantmonvisageavecsesbras.Sesmèches
blondes m’ont caressé la joue. J’ai ouvert les yeux et je les ai plongés dans les siens. J’avais despapillonsdansleventre.Ilaétudiémonvisageet,sansprévenir,ilaposéunemainsurmajoue.—Poppymin.Unelarmeadévalémapeauets’estécraséesursesdoigts.Poppymin.J’étaissaPoppy.Pourtoujours.Pourlavie.Ce simple mot m’a transpercé le cœur. Rune a posé son front contre le mien, comme si ces deux
dernièresannéesn’avaientjamaiseulieu.Commes’iln’étaitjamaisparti.Toutàcoup,lapénombrequis’étaitemparéedemois’estenvolée,chasséeparlessouvenirsetparl’amourdeRune.Quelqu’unafrappéàlaporte,brisantcetinstantprécieux.—Rune?Tueslà?C’étaitAvery.Runeaouvert lesyeuxets’estécartédemoi.J’aiessuyémeslarmesdureversdela
main.—Laisse-moisortir,Rune.Jen’avaisplusde forces,pasassezpour faire semblant. Je l’ai contourné, et ilm’aattrapéepar la
mainavantquej’atteignelapoignée.—S’ilteplaît,Rune.
Averyafrappédetoutessesforcescontrelaporte.—Rune!Jesaisquetueslà!Ilaserrémamaindanslasienne.J’aiavancéd’unpasetjemesuismisesurlapointedespieds.J’ai
passéundoigtsurseslèvres,merappelantlasensationdesabouchecontrelamienne.—Tondépartm’abrisélecœur,Rune.Tonabsence,monsilence…C’étaitinsupportable.Maistevoir
embrassercettefille…c’estpirequetout.Runeestdevenutoutblanc.J’aipousséunsoupir.—Jen’aipasledroitd’êtrejalouse.Jesaisquetoutestmafaute,maisc’estplusfortquemoi.Laisse-
moisortir,Rune.Jet’enprie.Ilavaitl’airchoqué.J’enaiprofitépourretirermamaindelasienneetouvrirlaporte.Jesuissortie
entrombedelapièce,ignorantAvery,rougedecolère,etDeacon,Judson,RubyetJorie,quelacuriositéavaitpoussésdanslecouloir.J’aiquittélamaisonetj’airemontélarueencourant.—Rune!acriéDeacon.Qu’est-cequetufais,mec?Reviens!J’aitournéàdroite,endirectionduparc.C’étaitletrajetlepluscourtpourrentrerchezmoi.Leportail
étaitouvert.J’étaisessoufflée,épuisée.J’avaismalauxpieds.J’aientendudesbruitsdansmondos.J’aijetéunœilpar-dessusmonépaule.Runem’avaitsuivie.J’aiaccélérélepasetjesuisentréedanslacerisaie,monendroitpréféré.Notreendroitpréféré.J’ai
ralenti et je me suis arrêtée sous les arbres nus. Pas la peine de continuer. Rune aurait fini par merattraper.Jemesuistournéeverslui.Ilapasséunemaindanssescheveuxetils’estapprochédemoi.—Pourquoi,Poppy?Mesyeuxsesontemplisdelarmes.—Pourquoitum’ascoupédetavie?Réponds-moi!Son accent norvégien était prononcé, comme à son arrivée aux États-Unis, douze ans auparavant.
Comme lors de notre première rencontre. Depuis, tout avait changé. Notre innocence s’était envolée,Runeétaitencolèrecontremoi,etjenepouvaispasluiavouerlavérité.—Pourquoitunem’aspasrappelé?Pourquoituasdéménagé?Qu’est-cequis’estpassé?Ilfaisaitlescentpasdevantmoi.Uncoupdeventasoulevésescheveux.—Tum’avaispromis,Poppy!Tum’avaispromisquetum’attendrais!Toutallaitbienet,dujourau
lendemain,tuasignorémesappels!Pasunmessage!Rien!Ils’estplantédevantmoi.Lespointesdesesbottesonteffleurémesballerines.—Réponds-moi!J’ailedroitdesavoir!Savoixetsesmotsétaientremplisdevenin.L’ancienRunenem’auraitjamaisparlésurceton.— Je ne peux pas. Ne me force pas, Rune. S’il te plaît. Il faut tirer un trait sur nous, sur notre
histoire…Ilesttempsdepasseràautrechose.Il a reculé d’un pas, comme si je lui avais donné une gifle. J’étais triste de le voir dans cet état.
Quelquesannéesplustôt,samèrem’avaitavouéqu’avantnotrerencontreRuneétaitunpetitgarçonencolère,tristeetsolitaire.Ilachangégrâceàtoi,m’avait-elledit.Tuluiasmontréquelavieétaitbelle,quec’étaituneaventureetqu’ilfallaitprofiterdechaqueinstant.
Pendantsonabsence,Runeétaitredevenulegarçoncolériquequ’ellem’avaitdécrit.J’airepenséàladevisedemagrand-mère.Clairdeluneetrayonsdesoleil.J’aifermélesyeuxpourétoufferlatristessequimenaçaitdemeconsumer.Lavérité,c’étaitqueRuneétaitainsiparmafaute.—Regarde-moidanslesyeux,Poppy!Dis-moipourquoitum’asquitté!Leslarmesontdévalémesjoues.—Quies-tu?ai-jemurmuré.Oùestpassélegarçonquej’aimais?OùestmonRune?Ilalâchémonbras,commesijel’avaisbrûlé.—Tuveuxvraimentsavoir?TuveuxsavoiroùesttonRune?Ilestmortlejouroùtul’asabandonné.Jeluiaitournéledos,maisilm’abloquélepassage.—Jet’aiattendue,Poppy.J’aiappelétoutlemonde.J’étaisprêtàtoutpourteretrouver,maistuavais
disparu!Onm’aditquevousaviezdéménagéchezunetantemalade.Jesavaisquec’étaitfaux.Mêmetonpèrerefusaitdemerépondre!J’aiessayéd’êtrepatient,maislesmoisontfilé,etj’aiperduespoir.Parta faute, Poppy. J’ai laissé la douleur s’emparer de moi jusqu’à ce que l’ancien Rune disparaisse àjamais.Jenepouvaisplusleregarderdanslemiroir.CeRuneétaitàtoi,Poppy.CeRuneétaitheureuxetamoureux.Ettul’asabandonné!Tul’aslaissésombrerdanslasouffranceetlacolère!Ilacollésonvisageaumien.—C’esttoiquil’astué,Poppy.LeRunequetuaimaisestmortlejouroùtuasbrisétapromesse.J’aireculéd’unpas,choquéeparsacruauté.Aucunecompassiondanssesyeux.Seulementlatristeet
froidevérité.Inspiréeparsacolère,j’ailaissélamienneéclater.Jel’aipoussédetoutesmesforces.Ancrédansle
sol,Runen’apasbronché.J’aiéclatéensanglots.—Je tedéteste!Je tedéteste,Rune!Jedéteste legarçonque tuesdevenu!Jevoulais tesauver!
Jevoulaisteprotéger!J’avaispeurquetutesentesimpuissant,commemafamille.Jenevoulaispasquetumevoiesdanscetétat!Runeétaitimmobile,telleunestatue.—Ilfallaitquejemebatte,Rune!J’auraistellementaimét’avoiràmescôtés…maistuauraistout
quittépourmerejoindre.Jelesavais.TudétestaistesparentsettavieàOslo.Jelesentaischaquefoisqu’onseparlait.Tuétaisencolère.Tun’auraispassupportétoutça!Runemeregardaitfixement.Iln’avaitmêmepasclignédesyeux.Moi,j’étaisépuisée.—Ilfautquej’yaille.Restons-enlà,toietmoi.Danscettecerisaiequ’onaimetant.C’estmieuxainsi.
C’esttropdur,Rune.J’aibaissélatête,refusantdelirelatristessedanssesyeux.—J’aibesoindeclairsdeluneetderayonsdesoleil.J’aibesoindelumièreetd’espoir.C’estcequi
metientenvie.Jeveuxcontinueràcroirequelemondeestbeau.Jeneveuxplustefairesouffrir.Jeluiaitournéledosetjesuispartieencourant.Runem’asuiviejusqu’ànotrearbrepréféré.—Jenecomprendspas,Poppy!Dequoituparles?Dequoivoulais-tumeprotéger?—Laisse-moitranquille,Rune…—Réponds-moi!Ilaposé lesmainssurmesépaules.Pour lapremièrefoisdemavie, jevoulaisfuir lacerisaie.Un
endroitqui,d’ordinaire,m’apaisait.—J’aibesoind’explications,Poppy.—Jenepeuxpas…—Réponds-moi!—NON!—RÉPONDS-MOI,POPPY!—JEVAISMOURIR!Ma voix a résonné dans la cerisaie. J’ai posé une main sur ma poitrine, choquée par ma propre
confession.Jem’étaisjurédeleluicacherjusqu’aubout.—Jevaismourir,Rune.Je…vais…mourir.J’aifixélesol.Sesmainstremblaientsurmesépaules.Lachaleurdesespaumestraversaitmarobe.
J’ai plongémes yeux dans les siens. Ce regard troublé était la raison pour laquelle j’avais brisémapromessedeuxansplustôt.Laraisonpourlaquellej’avaisvoululelibérer,sanssavoirqu’aucontraire,jel’emprisonnerais.—J’aiuncancer,Rune.LamaladiedeHodgkin.Ilnemerestequequelquesmoisàvivre.Onnepeut
rienyfaire.J’aiattendu.J’aiattenduuneréaction,maisRunen’ariendit.Un«non»silencieuxs’estéchappédesa
bouche. Il m’a regardée une dernière fois et il est parti en courant, me laissant seule au milieu descerisiers.Je suis rentrée chezmoi en silence. LesKristiansen étaient dans le salon avecmes parents. Enme
voyantentrer,mamères’estlevée.Jemesuisjetéedanssesbrasetj’aiéclatéensanglots.J’avaisbrisélecœurdugarçonquej’aimais.Legarçonquej’auraisaimésauver.
8
SOUFFLECOUPÉETÄMESTROUBLÉES
Rune
Jevaismourir.J’aiuncancer,Rune.LamaladiedeHodgkin. Ilnemerestequequelquesmoisàvivre.Onnepeutrienyfaire…Jesuispartiencourant,hantéparlesparolesdePoppy.Jesuistombéàgenouxdansl’herbeet j’aiessayédereprendremonsouffle.Unedouleurvivem’atranspercélecœur.Elles’estrépanduedansmespoumons,puisdansmoncorpstoutentier,jusqu’àcequenousnefassionsplusqu’un.Jepensaisavoirdéjàconnulapiredessouffrances:lesilenceetl’absencedePoppy.J’avaiseutort.
Cen’étaitriencomparéàcequejeressentaismaintenant.J’aihurlédetoutesmesforces.J’airaclélesolavecmesmains.Desbrindillesm’ontarrachélapeauetlaterres’estglisséesousmesongles.J’aipenséàlaréactiondePoppyquandelleestentréedanslesalon,àsondésespoirquandelleavu
Avery assise à côté demoi. Je n’avaismêmepas prévudevenir à cette fête,mais quand Judsonm’aenvoyéunmessagepourmedirequePoppyétaitlà,c’étaitplusfortquemoi.Ilfallaitquej’yaille.Depuismonretour,Poppym’ignorait.Ellenem’avaitmêmepasadressélaparole.Moi,jen’attendais
qu’uneseulechose:qu’ellemediselavérité.Qu’ellem’expliquepourquoiellem’avaitrejeté.J’airavaléunsanglot.Jamaisjen’auraispenséqu’illuiarriveraitunechosepareille.Ellen’avaitpasledroitdemourir.Ellen’avaitpasledroitdem’abandonner.Ellen’avaitpasledroitdenousabandonner.Sanselle,plus rienn’auraitde sens.Poppyétait trop jeune.Elleétait censéeêtreàmescôtéspour
l’éternité.PoppyetRune,pourtoujours.Pourlavie.Jetremblaisdelatêteauxpieds.Unautrecris’estéchappédemabouche,m’arrachantlagorge.Des
larmesontdévalémesjoues,s’écrasantsurlaterresèche.Jen’avaispaslaforcedemerelever.Àquoibon?J’étaisperdu.Poppyavaitraison.J’étaisimpuissantfaceàsonsort.J’ailevélatêteverslecielétoilé.
—Poppy…Poppymin.Ilnemerestequequelquesmoisàvivre.Onnepeutrienyfaire.J’aiéclatéensanglots.J’aipleuré
enimaginantcequ’elleavaitendurépendantcesdeuxannées.Sansmoiàsescôtés.Sansmamaindanslasienne.Sansmesbaisers.Sansmesbraspourlarassurerquandletraitementlarendaittropfaible.Elleavaitsouffertsansmoi.Je me suis levé avec difficulté. J’avais l’impression d’être dans un cauchemar. J’aurais aimé me
réveillerdanslacerisaie,sousnotrearbrepréféré,avecPoppydansmesbras.Nousaurionsànouveauquinze ans. Elle aurait levé la tête vers moi, et je l’aurais embrassée. Elle m’aurait souri, les yeuxfermés…—Baisernumérodeuxmillecinquante-trois.Danslacerisaie,avecmonRune.Moncœurapresque
éclaté.J’auraisattrapémonappareil,attendantqu’elleouvrelesyeuxpourlaprendreenphoto.Jeluiaurais
ditquejel’aimaisenpassantunemainsursajoue.Plustard,j’auraisaccrochécettephotosurlemurdemachambrepourlavoirtouslesjours…Lecrid’unechouettem’aramenéàladureréalité.Poppyallaitmourir.Jen’arrivaispasàycroire.
J’ai levé lesyeux.Levent faisaitdanser lesbranchesdans lanuitnoire. Je suis rentréà lamaisonenpleurant.Jevoulaistesauver!Plusriennemesauverait.Lesimplefaitdel’imaginermalademebrisaitlecœur.Enremontantmon
allée, j’ai jetéunœilvers la fenêtredePoppy.Lamaisonétaitplongéedans lenoir.Jesavaisqu’elleétaitdanssachambre.J’aiavancéd’unpas,hésitantàlarejoindre,maisjenepouvaispasl’affronter.Jen’enétaispascapable.Jesuisrentréchezmoietj’aitraversélesalon.—Rune?Mamèreétaitplantéeaumilieudelapièce,lesjouescouvertesdelarmes.Ellesavait.Jemesuisprécipitédansmachambreet j’aiclaquélaportederrièremoi.J’aipasséunemaindans
mescheveux…etj’aicraqué.J’ailaissétoutemacolèresedéverser,meposséderetmeporter.J’aisoulevélecadredelitetjel’ai
retourné avec lematelas. J’ai balayé d’un coup de bras les affaires surmon bureau. J’ai attrapémonordinateurportableetjel’aijetécontrelemur.Jenemesuispassentimieuxpourautant.Ladouleurétaittoujourslà.Leslarmesaussi.J’aiserrélespoings,jesuistombéàgenouxetj’aicrié.J’aihurléjusqu’àcequemagorgemefassemal.Laportes’estouverte,etmamèreestentrée.Elles’estaccroupiedevantmoi.Elleaposélesmains
derrièremoncou.Jemesuisdébattu,maisellem’aattirécontreelle,etjemesuiseffondrédanssesbras.J’avaisbesoind’elle.J’avaisbesoinquequelqu’unmecomprenne.J’ailâchéprise,etelleapleuréavecmoi.Monpèreestentréàsontour,leslarmesauxyeux.L’hommequim’avaitarrachéàPoppy,quim’avait
empêchéd’êtreàsescôtéspendanttoutescesannées.Jemesuisécartédemamèreetj’ailevélatêteverslui.—Sorsd’ici.
—Rune…—SORSDEMACHAMBRE!—Tuesenétatdechoc.Jemesuislevé,propulséparlaragequimeconsumait.J’aiavancéd’unpasverslui.Mamèreavoulu
m’enempêcher.Monpèrel’aattrapéeparlebrasetl’atiréederrièrelui,danslecouloir.—Sorsdemachambre,ai-jerépété.—Jesuisdésolé,Rune.Unelarmeadévalésajoue.Ilavaitleculotdepleurerdevantmoi!Iln’avaitpasledroit!—Jemefichedetesexcuses!C’esttoiquinousasséparés!Poppyesttombéemaladeetmaintenant
elle…elleva…Jen’avaispas laforcedefinirmaphrase.Jerefusaisdeprononcercemot.Jemesuis jetésurmon
pèreetj’aiécrasélesmainssursontorse,lepoussantcontrelemur.—Rune!ahurlémamère.Jel’aiattrapéparlecoletj’aicollémonvisageausien.—Toutesttafaute!Tunousasvolédeuxans!Poppysavaitquejesouffriraisd’êtreaussiloin,dene
paspouvoirl’aider.Tum’asempêchéd’êtreàsescôtésalorsqu’elleavaitbesoindemoi!Maintenant,ilesttroptard.Ellen’aplusquequelquesmoisàvivre!J’ailâchésoncoletj’aireculéd’unpas.—Jenetelepardonneraijamais.—Rune…—Sorsdemachambre.Sorsdemavie.Jeneveuxplusteparler.Plusjamais!Monpèreafermélaportederrièrelui.Unsilencedeplombs’estabattusurlamaison.Jemesuisassis
par terre,sur lematelasretourné. Immobile,hagard.Malampedechevetavaitsurvécuàmonéclatderage.Mon regard s’estposé surunephotoaccrochéeaumur.Mamèreavaitdû la sortir envidant lescartons.C’étaitunephotodePoppy,quelquesjoursavantmondépartpourOslo.Elledansaitdanslacerisaie,
entouréedesfleursqu’elleaimaittant.Elletournaitsurelle-même,lesbrasenl’airetlatêteenarrière,unsourireilluminantsonvisage.MaPoppy.Cellequisouriait,courait,dansaitetriaitsouslescerisiers.Cellequivoulaitquejetireuntraitsurnotrehistoire.Impossible.Jamaisjenel’abandonnerais.J’avaisbesoind’elle,etelleavaitbesoindemoi.Jenela
laisseraispastraversercetteépreuveseule.Jeme suis levéet j’aimarché jusqu’à la fenêtre. Je l’aiouverte, je suis sortide la chambreet j’ai
traversélapelousejusqu’àlasienne.Ellenel’avaitpasferméeàclé.J’aigrimpésurlerebordetj’aifermélafenêtrederrièremoi.J’aipoussélerideauavantdebalayerlachambreduregard.LeparfumdePoppyachassélepoidsquiécrasaitmapoitrine.Elleétaitallongéedanssonlit.Salampedechevetétaitallumée,maiselledormaitpaisiblement.Croyait-ellevraimentquej’étaiscapabledegardermesdistances?Mêmesiellenem’avaitpasavoué
lavérité,etmalgrélafrustrationetlacolère,jeseraisrevenuverselle.J’étaisattiréeversPoppycommeunaimant.
J’aiadmiréseslèvresrosesetsesjouespâles.J’allaisperdrePoppy.L’amourdemavie.Denouvelleslarmesontdévalémesjoues.Sousmespieds,leplancheragrincé.Poppyaouvertlesyeux.Jemesuisapprochédulit,j’aiposélatêtesursesgenouxetj’aiéclatéensanglots.Elleaposéunemaindansmescheveux,etj’aipleuré,trempantsachemisedenuit.—Toutvabien,Rune.Toutvabien.Savoixétaitdouceetréconfortante,maisellen’apassuffiàapaisermadouleur.Jemesuisagrippéà
Poppy.J’avaispeurdelalâcher,peurqu’elledisparaisseàjamais.J’avaisbesoind’elle.—Non,Poppy.Toutvamal.Elleaposéundoigtsousmonmentonetelleaessuyémeslarmesdureversdelamain.Ellem’asouri,
leslarmesauxyeux.—Terevoilà,a-t-ellemurmuré.MonRune.Elleapoussé lescheveuxcollésàmonfrontetaexplorémonvisageduboutdesdoigts.Jevoulais
gravercetinstantdansmamémoire,commeunephotographie.—Jemedemandaisàquoi turessembleraisaprès toutescesannées,Rune.Quandje t’aivudansle
couloir, j’enai eu le souffle coupé.Tuétaisplusbeauquedansmes rêves lesplus fous.Tescheveuxblondssontpluslongsqu’avant,ettesyeuxbleusplusperçants.Tuesgrandetfort.MonViking.J’airavalélaboulequis’étaitlogéedansmagorgeetj’aicollémonfrontausien.—Poppymin…Cettefois,cesontleslarmesdePoppyquisesontécraséessursesgenoux.—Nepleurepas…—Jenesuispastriste,Rune.Cesontdeslarmesdebonheur.J’aiplongémesyeuxdanslessiens.—Jepensaisneplusjamaisentendrecemotdanstabouche.Jepensaisneplusjamaist’avoirprèsde
moi,neplusjamaisressentirçademavie.—Ressentirquoi?—Ça, a-t-elle répondu en posantmamain sur son cœur battant. Je ne pensais pasme sentir aussi
heureuse,Rune.Pasavantde…Ellen’apasterminésaphrase.Noussavionstouslesdeuxcequ’ellesous-entendait.Unelarmeacoulé
sursajoueetsonsourires’estenvolé.—PoppyetRune,enfinréunis.—Jesuisperdu,Poppy.J’aimeraist’aidermais…jenesaispascomment.Elleaposéunemainsurmajoue.—Iln’yaplusrienàfaire.Ilfautaffronterlatempête.Jen’aipaspeur,Rune.Elle le pensait vraiment.Ma Poppy était menue et fragile, mais elle était pleine de courage et de
lumière.J’étaisfierd’elle.Sonlitétaitbeaucoupplusgrandqueceluidanslequelelledormaitilyadeuxans.Assiseaumilieu,
on aurait dit unepetite fille.Poppy s’est décaléevers la gauche.Elle avait l’air à la fois heureuse etméfiante.Elleavaitraison.Jen’étaispluslemême.J’avaischangé.JenesavaispassijeredeviendraisunjoursonRune.
Ellem’afaitsignedem’installeràsescôtés.Moncœurs’estemballé.Malgrétoutcequinousétaitarrivé,ellevoulaitquejeresteauprèsd’elle.Jemesuis levé.J’avais les jambesquiflageolaient.Leslarmesavaienttachémesjouesetrâpémagorge.J’aienlevémesbottesetj’aigrimpésurlelit.Commeàl’époque,nousnoussommesallongéssurlecôté,faceàface.Maisplusrienn’étaitcommeavant.Toutavaitchangé.Plusieurs minutes ont passé. J’avais une question à lui poser. Une question qui me rongeait de
l’intérieur.—Dis-moi,Rune.J’aifroncélessourcils.Poppyahaussélesépaules.—Jeneconnaispeut-êtrepaslegarçonquetuesdevenu,maisjeconnaiscetteexpression.Tuasune
questionàmeposer.Elleaapprochésesdoigtsdesmiens,poséssurledrap,danslenoman’slandquinousséparait.En
regardantnosdeuxmains,siprochesmaissidistantes,j’aieuenviedesortirmonappareilphotopourlapremièrefoisdepuisdesannées.J’auraisaimécapturercetinstant.—Jesaiscequitetracasse,Rune.Tuasbeauavoirchangé,legarçonquej’aimeesttoujourslà.Je
saisqu’ilexisteencore,etj’aimeraislerevoir.Jepensequec’estmonplusgrandsouhait.Lerevoirunedernièrefoisavantdepartir.J’aidétournéleregard,refusantdel’entendreparlerdesamort.Poppyaposéunemainsurlamienne.
Unsourires’estdessinésursabouche.Jemesuisdemandécombiendesouriresilluirestait,etoùelletrouvaitcetteforce.—Tonsilence,Poppy…Est-cequec’était justeàcausedetamaladie?Ouest-cequ’ilya…autre
chose?Des images de notre dernière nuit ensemble ont défilé devantmes yeux.Moi allongé sur elle.Nos
baisersenflammés.Nosvêtementssurlesol.Sonvisagependantetaprès,quandelles’estendormiedansmesbras.—Est-cequejesuisallétroploin,cesoir-là?Est-cequejet’aiforcée?Est-cequetul’asregretté?Poppyavaitleslarmesauxyeux.J’aieupeurqu’ellem’avouequeoui,quetoutcequej’avaiscraint
pendantcesdeuxannéesétaitvrai.Jeluiavaisfaitdumal.J’avaistrahisaconfiance.Poppys’estredresséeetelleaattrapéquelquechosesouslelit.Sonbocal.Sonbocalremplidecœurs
enpapier.Millebaisers.Elleasoulevélecouvercleetelleafouilléparmilescœurs.Laplupartd’entreeuxétaientvides,etle
bocal était couvert de poussière. J’ai ressenti un mélange de tristesse et d’espoir. L’espoir, parcequ’aucunautregarçonn’avaittouchéseslèvres.Latristesse,parcequesonaventureavaitétémiseentreparenthèses.Poppyn’avaitplusquequelquesmoisdevantellepour remplir sonbocal.Ellen’écriraitpassurun
cœurlejourdesonmariage,commeelleenrêvait.Ellenedeviendraitpasmaman,etelleneliraitjamaissescœursàsespetits-enfants.—Rune?
J’ai essuyémes larmes, hésitant à croiser son regard. Jenevoulaispas la rendre triste.Poppym’atenduuncœur.Elleavaitécritdessusàl’encrerose,camouflantpresquelemessage.Je l’ai attrapé entremes doigts et je l’ai lu : «Baiser numéro trois cent cinquante-cinq.Avecmon
Rune,dansmachambre.Aprèsavoir fait l’amour.Moncœurapresqueéclaté.»J’ai retourné lecœurpourlirel’autrecôté:«Laplusbellenuitdemavie.»J’aifermélesyeuxetsoupirédesoulagement.Poppyavaitaimécettenuit.Jeneluiavaispasfaitde
mal.—Jepensaisquec’étaitmafaute,Poppy.Jepensaisqueturegrettais…—Pasdutout.D’unemaintremblante,elleaglisséunemèchedecheveuxderrièremonoreille.— Quand je suis tombée malade, quand j’ai subi tous ces traitements et quand ils ont arrêté de
fonctionner…j’aibeaucouprepenséàcettenuit.Tuasététellementdoux.C’étaitleplusbeaumomentdemavie,Rune.J’yrepensechaquefoisquej’aimalouquej’aipeur.J’aieutellementdechance.Enunenuit,j’aivécutoutl’amourdontmeparlaitmagrand-mère.Enunenuit,j’aisuquej’étaisaimée.—Personned’autrenet’aembrassée?—Non,Rune.J’aitenumapromesse.Meslèvressontàtoi.Ellesl’onttoujoursété.J’aieffleurésaboucheduboutdesdoigts.Seslèvresétaientencorelesmiennes.Pourtoujours.Poppy
arougietm’aregardéd’unairméfiant.—Combien,Rune?J’aifroncélessourcils.Jenevoyaispasdequoielleparlait.Àsontour,elleaposésesdoigtssurmes
lèvres.C’estalorsquej’aicompris.Elleregardaitmabouchecommesiellel’avaittrahie.—JesaisquetuasembrasséAvery.Est-cequ’ilyenaeud’autresàOslo?Combien,Rune?—Est-cequec’estvraimentimportant?Jemesuisagrippéaucœurenpapier,symboledenotrepromesse.Poppyahochélatête.—C’esttrèsimportant,Rune.Plusquetunel’imagines.—Jesuispartilongtemps,Poppy.—Jesais.—J’aidix-septans…—C’estbiencequejepensais.Tuasétéavecd’autresfilles.Poppys’estécartéedemoi.Elles’est levéeets’estdirigéevers laporte.J’ai repenséàcesannées
gaspillées, passées à noyermon chagrin dans l’alcool et les fêtes pendant quePoppy étaitmalade. Jesentaislacolèreressurgiraucreuxdemonventre.—C’estimportantparcequetuesàmoi,Rune.Malgrétoutcequis’estpasséentrenous,j’espérais
quetunebriseraispasnotrepromesse,qu’ellecomptaitautantpourtoiquepourmoi.—C’estlecas.Poppys’estarrêtée,lamainposéesurlapoignée.Jemesuislevéetjemesuisapprochéd’elle.—Jen’aipasoubliénotrepromesse,Poppy.Derrièrecettecolèreetcettefrustration,moncœurbat
pourtoi.Pourtoujours.Elleaplongésesyeuxvertsdanslesmiens.
—Jenecomprendspas.—J’aitenumapromesse.—Maisjet’aivuembrasser…—Jen’aiembrasséquetoi.Iln’yaeupersonned’autre,etiln’yenaurajamais.—EtAvery?—Jesavaisquetuétaisàcettefête.Jesavaisquetuseraisjalousedemevoiravecelle.J’aivoulute
fairesouffrircommetum’asfaitsouffrir,moi.Jemesuisassisàcôtéd’Averyenespérantquetunoussurprennes.Jevoulaistefairecroirequejel’embrasserais.Poppys’estmiseàpleurer.—Commentas-tupumefaireunechosepareille?—J’aichangé,Poppy.J’étaistellementencolèrequ’onnoussépare…Audépart,quandons’appelait,
j’aiessayédetelecacher.Unocéannousséparait,maistaprésenceettavoixmeréconfortaient.Quandtut’esmiseàignorermesappels,j’aibaissélesbras.J’ailaissétoutecetterageetcettefrustrationmeconsumer.Voilààquoijeressemblequandtun’espasdansmavie.Cettecolèreestnéeparcequej’étaisloindetoi,Poppymin.Etmaintenant,tum’annoncesquetuvasvraimentpartir…—Rune…J’airavaléunsanglot.Poppys’estjetéecontremoi,entourantmatailledesesbras.Pourlapremière
foisdepuisdeuxans,j’aieul’impressionderespirer.—Jeneveuxpasteperdre,Poppymin.Jenetelaisseraipaspartir.Jetesuivrai,oùquetuailles.J’ai
déjàessayédevivresanstoi.C’estimpossible.Poppytremblaitdansmesbras.—Làoùjevais,jenepeuxpast’emmener.J’aireculéd’unpasetjemesuisassissurlelit.Poppyétaitforte.Elleaffrontaitsapropremortavec
dignité.Moi, jemaudissais lemonde, prêt à tout détruire surmon passage. J’ai baissé la tête et j’aipleuré.Poppyminallaitmourir.Elleallaitvraimentmourir.Ellem’arejointsurlelit.Jemesuisblottidanssesbrasetjemesuisagrippéàsataille,gravantces
sensationsdansmamémoire.Soncorpschaudetsoncœurbattant.—Qu’est-cequis’estpassé,Poppy?Commentl’as-tuappris?Elleapousséunsoupir.—Peuimporte.—Jeveuxtoutsavoir.—Jesais,Rune.Jeteraconteraitout,maispascesoir.Cesoir,iln’yaquetoiquicomptes.Riende
plus.Jemesuispenchéverselle.Jevoulaissentirseslèvrescontrelesmiennes.Auderniermoment,j’ai
déposéunbaisersursajoue.Unbaisertendreetdoux.Cen’étaitpassuffisant.J’enaidéposéunautresurson front.Nous avions tous les deux changé.Rune et Poppy n’étaient plus lesmêmes.Notre prochainbaiserauraitlieuàleurretour.
Jel’aiembrasséesurleboutdunez,etelleaéclatéderire.Unesensationdelégèretéaprisplacedansmoncœur,éteignantmacolère.—Meslèvressontàtoi,Poppy.—Lesmiennesaussi,Rune.Ellem’aembrassésurlajoueetnousnoussommesblottisl’uncontrel’autre.J’étaisépuiséetmeurtri,
maislesommeils’estemparédemoi,commetoujoursquandPoppyétaitàmescôtés.Voilàletroisièmemomentquiamarquémavie.Lesoiroùj’aiapprisquej’allaisperdrelafilleque
j’aimais,quenosjourspassésensembleétaientcomptés.Jel’aiserréefortcontremoietnousnoussommesendormis,enlacés,commeunéchodecequenous
avionsété.
*
Àmonréveil,Poppyétaitplantéedevantlafenêtre.—Poppymin?Elleatournélatêteversmoi.Jemesuiséclaircilavoix,encoreenrouéeparleslarmes.Poppyportait
unegrosseparkapar-dessusunjoggingetunpull.Elleaposéunsacàdosàsespieds.Ilfaisaitencorenuit.—Qu’est-cequisepasse?Ellem’asouri,l’airmalicieux.Sabonnehumeurétaitcontagieuse.—Tuviens?—Oùça?—Voirleleverdusoleil.Tuasoubliéquej’aimaisça?Biensûrquenon.Jen’avaisrienoublié.Jemesuislevéenm’accordantunsourire.Jem’ensuisaussitôtvoulu.Poppyapousséunsoupir.Elle
s’estapprochéedemoietellem’aprisparlamain.—Tuasledroitdesourire,Rune.Tuasledroitd’êtreheureux.Jesaiscequeturessens.Mafamille
vit la même chose. Je déteste les voir souffrir. C’est pire que ma propre douleur. C’est pire qued’affronterlamort.Jeneveuxpasquemamaladiedétruiselajoieetlabonnehumeurdemesproches.Mesjourssontcomptés,etjeveuxqu’ilssoientuniques.Fantastiques.Elle m’a offert un grand sourire, de ceux qui ont le pouvoir de rendre heureux le plus triste des
hommes.Jeluiaisourienretour.J’ailaisséentrevoirlebonheurqu’elleprovoquaitenmoi.—Tuvois!m’a-t-elletaquiné.Tusaisencoresourire.Jepensaisquec’étaitunelégende,commele
monstreduLochNess.Maisilestbienlà.Jel’aivudemespropresyeux!J’ailevélesyeuxaucieletj’aiéclatéderire.Dehors,unoiseaus’estmisàchanter.Poppyatournéla
têteverslafenêtre.—Allons-y!Jeneveuxpasraterlesoleil.J’aienfilémesbottes,j’airamassésonsacetjel’aimissurl’épaule.Poppyaattrapéunecouverture
dansl’armoire.
—Tonmanteaunetesuffitpas?ai-jeditenouvrantlafenêtre.—C’estpourtoi,Rune.Tuesentee-shirt.Tuvasmourirdefroid.—Jesuisnorvégien,ai-jeditensouriant.—Jesais,maismêmelesVikingsattrapentdesrhumes.Elleestsortieparlafenêtre,etjeluiaiemboîtélepas.Elleavaitraison.Leventétaitglacé.J’aiattiré
Poppycontremoietj’airelevélacapuchesursatête.J’aiattachélecordonpourlamaintenirenplace.Ellem’aregardédroitdanslesyeux.—Tuesencorelà,Rune.Jetevois,derrièretoutecettecolère.Je ne voulais pas en parler. J’ai reculé d’un pas et j’ai levé la tête vers le ciel, qui commençait à
s’éclaircir.—Onyva?Poppym’asuivienpoussantunsoupir.J’aienfoui lesmainsdansmespochesetnousavonsmarché
jusqu’àlacerisaie.Poppyétaitfascinéepartoutcequil’entourait.Sonregardseposaitsurlemoindreoiseau,arbreoubrind’herbe.Ellevoyait lemondecommepersonned’autre.Ellepercevait la lumièredans la pénombre, le bon dans le mal. C’est pour cette raison qu’elle m’acceptait à nouveau auprèsd’elle.Nousavonstraversélacerisaiejusqu’ànotrearbrepréféré.Poppyaouvertlesacàdosetenasorti
uneautrecouverture.Ellel’aétaléeparterreetm’afaitsignedelarejoindre.J’aiposéledoscontreletroncducerisieretPoppys’estassisecontremoi.Elleabaissésacapucheetafixé l’horizon.Lecielétaitnoir,avecdestouchesderougeetd’orange.J’aiglisséunemaindansmapocheetj’aiattrapémonpaquetdecigarettes.J’enaialluméuneetj’aicrachélafumée.Poppyatournélatêteversmoi.—Tufumes.—Ja.—Tuneveuxpasarrêter?J’aisecouélatête.Fumermecalmait.—Est-cequeturegardaislesoleilseleveràOslo?—Non.Devantnous,l’horizonseteintaitderose.Lesétoilesdisparaissaientpeuàpeu.J’aiaspiréuneautre
boufféeetj’aijetélatêteenarrièrepourcracherlafumée.—Pourquoi?—Jen’yaijamaispensé.—Tuauraisdû,asoupiréPoppy.Jen’aijamaisvoyagé,jen’aijamaisvulesoleilseleverailleurs
qu’auxÉtats-Unis.Toi,tuétaisenNorvège,ettunet’espaslevépourenvoirun.—Ilsseressemblenttous,ai-jeditenhaussantlesépaules.Poppym’aregardéd’unairtriste,commesielleavaitpitiédemoi.—C’estfaux,Rune.Chaquematinestdifférent.Lescouleurs,lestons,l’émotionqu’ilprovoque.S’ily
abienunechosequej’aiapprisependantcesdeuxdernièresannées,c’estquechaquejourestundon.Elleafermélesyeuxetlevélatêteversleciel.—C’est comme levent.Plus l’hiver approche,plus lesgens le fuient. Ilspréfèrent rester auchaud
dansleursalon.Moi,j’aimesentirleventcontremonvisage,commelesoleilenété.J’aienviededansersouslapluie,dem’allongerdanslaneige,desentirlefroidjusquedansmesos.Elleaouvertlesyeux.Lesoleilcommençaitàapparaîtreàl’horizon.—Quandj’étaisàl’hôpital,j’aidemandéauxinfirmièresd’approchermonlitdelafenêtrepourvoir
lesoleilselever.Ilmeredonnaitespoir.Mescendressesontécraséesdansl’herbe.Poppyatournélatêteversmoi.—Quandjepensaisàtoi,quandtonabsencem’étaitplusinsoutenablequelachimio,jeregardaispar
lafenêtre.Jeregardaislesoleilseleverent’imaginantfairelamêmechoseenNorvège,etjemesentaisapaisée.Jen’aipassuquoirépondre.—Est-cequetuasétéheureuxpendantcesdeuxans,Rune?Aumoinsunefois?—Non.Jamais.Lacolères’estravivéedansmonventre.J’aiécrasémacigaretteparterre.Poppysesentaitcoupable.
Jelevoyaissursonvisage.— Je pensais que tu m’oublierais, Rune. J’ai arrêté de te répondre, parce que je ne pensais pas
survivreaussilongtemps.J’aidelachance.Jesuisencorelà.C’estunmiracle,commetonretour.Poppyparlaitdesamortdemanièredésinvolte.Moi, j’avaisdumalàgardermoncalme.Elles’est
colléeàmoietelleamissamainsurlamienne.Elleamontrél’horizondudoigt.Unnouveaujours’étaitlevé. J’aiposé la têtecontre l’écorce tandisque lacerisaie se teintaitde rose.Poppyadéplié l’autrecouvertureetl’aétaléesurnous.Nousavonsregardélesoleil,maindanslamain,jusqu’àcequ’ilgrimpedansleciel,jusqu’àcequelesnuagessedispersentetquelecielrosedeviennebleu.—Tum’asbrisélecœur,Poppy.Elle s’est mise à pleurer. J’avais besoin d’être honnête. De lui dire la vérité. Il fallait qu’elle
comprennepourquoi j’avaischangé.Pourquoi jemefichaisdescouchersdesoleil.Pourquoi j’étaisencolèretoutletemps.J’aiglisséunbrassursesépaules,etelles’estblottiecontremoi.—Jesuisdésolée,Rune.—Cen’estpastafaute.—Biensûrquesi.Jenevoulaispastefairedumal.Jevoulaisseulementteprotéger.J’ai plongémes yeux dans les siens et j’ai su qu’elle disait la vérité. Ellem’avait repoussé parce
qu’ellem’aimait.Pourmesauver.—Jesais,Poppy.—Çan’apasmarché.—Non.J’aidéposéunbaisersursonfrontetj’aiessuyéseslarmes.—J’aimeraisretrouverl’ancienRune.—Jepensequ’iln’existeplus,maislenouveaut’aimetoujoursautant,Poppymin.Mêmesituneveux
pasdelui.—Jesuisperdue.Jenetereconnaispas.Jenepensaispasterevoirunjour.Enmêmetemps,jesuis
remplied’espoir.L’idéedepassermesderniersinstantsavectoi…c’estincroyable.—Jesuislà,Poppy.Etjeseraitoujourslà.Jesaisquej’aichangé,maisjesuisàtoi.Pourtoujours.LevisagedePoppys’estdétendu.Elleaposélatêtesurmonépaule.—Jesuisvraimentdésolée.—Moiaussi.Jenesaispascommenttufaispourêtreaussicourageuse,oùtutrouvescetteforce.—J’aimelavie,Rune.J’aitoujoursaimélavie.Jesuislafillequiselèvetôtpourvoirlesoleilse
lever,cellequivoit lebienchez lesautres,que lamusique faitvoyageretque l’art inspire.Cellequibrave l’orage pour voir l’arc-en-ciel. Pourquoi être triste quand on peut être heureux ? Pourmoi, laquestionneseposemêmepas.J’aidéposéunbaisersurledosdesamainetelleaembrassélamienne.Elleadessinédesformessur
mapeau.Lesignedel’infini.—Jesaiscequim’attend,Rune.Jenesuispasnaïve.Maisjepenseaussiquelavienes’arrêtepas
quandonmeurt. Jecroisauparadis.Quand je rendraimondernier souffle,quand je fermerai lesyeuxdanscettevie,jemeréveilleraidansuneautre,enbonnesanté.J’ycroisdetoutmoncœur.Cette simple imagemenouait leventre,mais j’étais fierdePoppy.Ellem’a souri.Ellen’avaitpas
peur.—Toutvabiensepasser,Rune.Jetelepromets.—Jenepeuxpasvivresanstoi.—Biensûrquesi.Moi,j’ycrois.Poppyabalayélacerisaieduregard.—Ilmetardequelescerisiersfleurissent.Quandilssontenfleur,onsecroiraitdansunrêve.Elleapasséunemainsurunebrancheetelles’estlevée,sescheveuxdansantdanslevent.Elles’est
miseàtournersurelle-mêmeenriant,unrireinnocentetjoyeux.Jen’aipasbougé.Impossible.J’étaisfasciné.Onsecroiraitdansunrêve.Elleavaitraison.Poppy,emmitoufléedanssonmanteau,dansantdansla
cerisaieauleverdusoleil…Commeunoiseau,Poppyétaitbellequandellevolaitenliberté.—Tulesens,Rune?—Quoi?—Lavie!Lavie,Rune!Elleaarrêtédetourner,lesjouesrougiesparlefroid.Ellen’avaitjamaisétéaussibelle.J’auraisaimé
laprendreenphoto,immortalisercemomentàjamais.—Lavieestbelle,Rune!J’aimeraisquetoutlemondes’enrendecompte.Pourquoifaut-ilfrôlerla
mort pour en prendre conscience ?Pourquoi attendons-nous demanquer de tempspour accomplir nosrêves?Pourquoineregarde-t-onpasceluiqu’onaimecommesic’étaitladernièrefoisqu’onlevoyait?Sic’étaitlecas,notrevieseraittellementplusbelle,tellementplusintense!Ellem’aoffertleplusbeausouriredumonde.J’aisuivisonconseil.J’airegardélafillequej’aimais
commesic’étaitladernièrefoisquejelavoyais,etjemesuissentivivant.J’étaislapersonnelapluschanceusedelaplanète,parcequePoppyfaisaitpartiedemavie,etmoidelasienne.Jemesuislevéetjemesuisplantédevantelle.Unebourrasquenousaenlacés.
—Est-cequetulesens,Rune?—Oui,Poppymin.Je sentais le vent surmon visage et le soleil surmes joues. Et c’est à cemoment précis que j’ai
compris:jen’avaispasledroitdem’apitoyersurnotresort.Ilfallaitquejemeconcentresurleprésent.Quejel’aideàsesentirvivante.Quejeregagnesaconfianceetsoncœur.Poppyaglisséunemainsurmonbras.—Tuesglacé.Jem’enfichais.J’aiposéunemainsursanuqueetj’aiapprochémonvisagedusien.J’aicaressésa
joueavecmonnez.Cen’étaitpaslefroidquilafaisaitfrissonner,maislasensationdemapeaucontrelasienne. J’ai posémes lèvres dans son cou, laissantmon cœur battre en accord avec le sien. Poppy apousséunsoupirdeplaisir.—Allons-y,Poppy.Tuasbesoinderepos.J’airassemblénosaffaires,etnousavonsprislechemindelamaison.Lesimagesdesdouzedernières
heuresontdéfilédevantmesyeux.Toutescesémotions,nosretrouvailles,soncorpscontrelemien.Puisj’aipenséàsonbocal,remplidecœursvides.L’aventurequesagrand-mèreluiavaitofferte,interrompueparmondépart.J’aitournélatêteversPoppy.Elleobservaitunoiseauquichantait,perchésurunebranche.—Tuaimestoujourslesaventures,Poppy?—Bien sûr.Chaque jour est une aventure.Lesmois qui arrivent vont être difficiles. Je veuxvivre
chaqueinstantcommesic’étaitledernier.Ignorant ladouleurquecesmots avaient éveillée enmoi, j’ai commencéà élaborerunplan.Poppy
s’estarrêtéedevantlafenêtredesachambre.J’aiposélesacetlacouvertureparterre.— Je sais que j’ai changé,Poppy,mais laisse-moi une chance.Commençons une nouvelle aventure
ensemble.Unsourireailluminésonvisage.Ellem’atendulamain.Jel’aiattrapéeetellel’aserréedeuxfois,
commelejourdenotrerencontre.— Jem’appelle PoppyLitchfield et tu t’appellesRuneKristiansen.Maman dit qu’on doit toujours
serrerlamaindesinconnus.Maintenant,onestamis.Meilleursamis.J’aiéclatéderireen larevoyantàcinqans,sautantdesafenêtredanssarobebleue, recouvertede
boue,avecsonnœudblancdanslescheveux.—Sorsavecmoicesoir,Poppy.Jet’invite.—Tun’asjamaiseubesoindem’inviter.—Ilyaunepremièrefoisàtout.Jepassetechercherà18heures.Jeluiaitournéledosetj’aigrimpéàmafenêtre,neluilaissantpasletempsderefuser.J’avaisdécidédelarendreheureuse.J’étaisprêtàlareconquérir,moi,lenouveauRune.Jen’avaispaslechoix.C’étaitnotreaventure.Cellequilarendraitvivante.
9
SOURIRESETRENDEZ-VOUS
Poppy
—Tusorsavecqui?m’ademandéSavannah.Messœursétaientallongéessurmon lit,admirantmonrefletdans lemiroir. J’aienfilémesboucles
d’oreillespréféréesetj’aiappliquéunedernièrecouchedemascara.—AvecRune.—AvecRune?RuneKristiansen?—Oui.C’estsiétonnantqueça?—LenouveauRunen’estpasdugenreàinviterunefilleensoirée!aditSavannah.Ilpassesontemps
àfumeretàboireauparc.Ilneparleàpersonneetilnesouritjamais.—Touteslesfillesl’adorent,aajoutéIda.Quandellesvontapprendrequ’ilt’ainvitée,ellesvontêtre
mortesdejalousie!Toutàcoup,sonsourires’estenvolé.—Est-cequ’ilestaucourant,Poppy?Messœursm’ontregardéed’unairtriste.Jenesupportaispasdelesvoirainsiparmafaute.—Oui,ilestaucourant.—Commentilaréagi?J’aisourimalgréladouleurquimeperçaitlecœur.—Mal.Savannahavaitleslarmesauxyeux.—Jesuisdésolée,Poppy.—Jen’auraisjamaisdûlecouperdemavieilyadeuxans.C’estàcausedemoiqu’ilestencolère.
Je luiai faitdumal.Hier,quandje luiaiannoncé lanouvelle, je luiaibrisé lecœur.Pourtant, ilm’ainvitéeàsortiravecluicesoir.MonRune,aprèstoutescesannées!Maintenant,c’estIdaquiavaitleslarmesauxyeux.—Tuenasparléàmamanetpapa?
—Pasencore.Jeleuraifaitunclind’œil.Ellesontéclatéderire.—Tuesfolle!DepuisleretourdesKristiansen,papaparledeRunetouslesjours.Ilditquec’estun
mauvaisgarçon,qu’ilfumeetmanquederespectàsonpère.JesavaisquemesparentssefaisaientdusoucipourRune,maisjenepensaispasqu’ilslejugeaient
aussisévèrement.—Est-cequ’ilpassetechercher?m’ademandéSavannah.J’allais répondre quand la sonnette a retenti. Nous avons écarquillé les yeux. D’habitude, Rune
frappaitàmafenêtre,pasàlaporte.Savannahajetéunœilàmonréveil.—Ilest18heures,Poppy.J’ai inspecté mon reflet une dernière fois, j’ai attrapé ma veste et je suis sortie en trombe de la
chambre,suiviedeprèsparmessœurs.Depuislecouloir,j’aivumonpèreouvrirlaporteetseretrouvernezànezavecRune.Jemesuisarrêtéenet.Idaaprismamaindanslasienne.—Bonsoir,monsieurLitchfield.—Rune?Qu’est-cequetufaislà?Monpèreétaitpoli,commeàsonhabitude,maisjelesentaisméfiant.—J’airendez-vousavecPoppy.Monpères’estagrippéà lapoignée. Idaavait lesyeuxquipétillaient, intriguéepar la scènequi se
déroulaitdevantnous.Jeluiaisouri.Cesmomentsdecomplicitémetouchaientplusquetout.J’ai laissémes sœurs dans le couloir pour rejoindremon père à l’entrée. Il a balayéma tenue du
regard:marobejaune,lenœuddansmescheveuxetmonmaquillage.Ilestdevenutoutblanc.—Poppy?—Salut,papa.—Tuasrendez-vousaveclui?—Oui.J’ai entendumes sœurs chuchoterdans le couloir.Mamèreobservait la scènedepuis le salon. J’ai
profitédel’étatdechocdemonpèrepourmetournerversRune.Ilportaitsatenuehabituelle:tee-shirtnoir,jeannoir,bottesnoiresetvesteencuir.J’airougisousl’intensitédesonregard.L’atmosphèreétaittendue,électrique.Monpères’estéclaircilavoix.J’aiposéunemainsursonbras.—Jereviensplustard.Toutvabien,papa.Netefaispasdesoucipourmoi.J’ai rejoint Rune sur le pas de la porte, et nous avons remonté l’allée côte à côte. Ilme fixait, la
mâchoireserrée.J’aijetéunœilpar-dessusmonépaule.Monpèreavaitl’airinquiet.Runeaattrapédesclésdanssapoche.—Mamèremeprêtesavoiture.Jel’aisuivijusqu’àlaRangeRover.Ilaouvertlaportecôtépassager.Jeluiaisourienm’asseyant.Il
afermélaportièrederrièremoietaprisplacederrièrelevolant.Leregardnoir,ilatournélatêteversmonpère.—Ilveutjustemeprotéger,ai-jemurmuré.
Runeamislecontactetatournédansnotrerue,lesmainscrispéessurlevolant.Jesentaissacolère,etellemerendaittriste.Jen’auraispaspuvivreainsi,avecautantderageenmoi.—Çava,Rune?Ilahochélatêteeteffleurésescheveux.Jen’aipaspum’empêcherdesourire.—Qu’est-cequ’ilya?J’aiposéunemainsurlecuirusédesamanche.—Jecomprendspourquoi lesfillessontfollesde toi. Idam’aditqu’ellesseraient jalousessielles
savaientquejepasselasoiréeavectoi.Rune a levé les sourcils. Ma remarque l’amusait. Je le voyais dans ses yeux. Ses mains se sont
détenduessurlevolant.—Depuisquejesuismalade,monpèreesttrèsprotecteur.Ilnet’enveutpas,Rune.Ilvoitjustequetu
aschangé.Ilnesavaitmêmepasqu’ons’étaitparlédepuistonretour.Runen’ariendit.J’airegardélepaysagedéfilerderrièrelavitre.Jenesavaispasoùilm’emmenait,
maisj’étaisexcitéecommeunepuce.Pourbriserlesilence,j’aiallumélaradio.J’aichoisimastationpréférée.—Oh!J’adorecettechanson.J’ai fermé les yeux et je me suis mise à fredonner, laissant les notes du piano et des violons
m’emporter.Voilàpourquoij’aimaislamusique.Elleracontaitunehistoireetexprimaittouteunepaletted’émotions.—Elleparled’unefillequiestamoureused’ungarçon.Ilss’aimentencachetteetelleaimeraitquele
mondeentiersoitaucourant.—Continueàchanter,Poppy.Surpriseparsademande,jemesuisexécutée.Cettehistoireressemblaitàlanôtre.Runeetmoi.Notre
histoired’amouretnotreséparation.Lemorceaus’estterminéetalaisséplaceàunautre,quejeneconnaissaispas.—J’adorelamusique,ai-jemurmuré.—Jesais,Poppy.Savoixétaitteintéedetendresse.J’aiplongémonregarddanslesienetRuneapousséunsoupir.Ila
tournéàgauche,empruntantunejolieroutedecampagne.J’aiétudiésonprofil.Jemedemandaisàquoiilressembleraitdansdixans.Laisserait-ilpoussersescheveux?Queferait-ildesavie?J’espéraisqu’ildeviendraitphotographe. Ilaimait laphotographiecomme j’aimais levioloncelle.Pourtant,depuissonretour,jenel’avaispasvuavecsonappareil.Celamerendaittriste.Puis despensées interditesm’ont traversé l’esprit. Je nous ai imaginésnous, dans dix ans.Mariés,
vivantdansunpetit appartement àNewYork.Moi en traindepréparerun repas et dedanserdans lacuisine.Runeàmescôtés,capturantnotrequotidienavecsonappareilphoto.Desmomentsparfaits,fixéspourl’éternité.Maiscen’étaitqu’unrêve.J’aiverséunelarme.J’aienfouimadouleurauplusprofonddemoietje
mesuisconcentréesurl’avenirdeRuneentantquephotographe.Jemesuispromisdel’observerdelà-haut,etdeveillersurlui.—Tum’asmanqué,Rune.
Sentant la tristesse dansmavoix,Rune amis le clignotant et s’est garé sur le bas-côté. Jeme suisredresséedansmonsiège.Iladécollélesmainsduvolantetlesaposéessursonjean.—Toiaussi,Poppymin.Moncœurs’estemballé.Nesachantquoidire,j’aiposéunemainentrenous.Runel’arecouverteeta
entrelacénosdoigts.Cesimplecontactm’adonnédesfrissons.Cettesoiréereprésentaitunnouveaudébut.LesretrouvaillesdePoppyetRune.Nousétionstoujours
là,cachésderrièrecettesouffrance,cettetristesseetcettecolère.Amoureux.Ensemble.Jemefichaisdecequepensaientlesautres.Mesjoursétaientcomptés,maisilsn’étaientpasaussiprécieuxqueRune.Ilareprislarouteetj’aienfincomprisoùilm’emmenait:lacrique.Ils’estgarédevantchezTony,levieuxrestaurantquejeconnaissaissibien.Laterrasseétaitdécorée
de guirlandes bleues, et chaque table chauffée par un radiateur. C’était ici que ma grand-mère nousemmenait quand nous étions petits.Tous les dimanches soir.Elle adorait leurs langoustines.Elle étaitprêteàparcourirdeskilomètrespourenmanger.Runeétaitagrippéàmamain.J’aiessayédelaretirer,maisilm’enaempêchée.Jel’airegardéd’un
airamusé.—Tuneveuxpassortir?Ilm’alâchéecontresongré.J’aiattrapémonmanteauetj’aiouvertlaportière.Ilm’arejointedehors
etm’aarraché lemanteaudesmains. Jenevoulaispas leporter,mais ilm’ya forcée. J’aipousséunsoupirenglissant lesbrasdans lesmanches.Runearemonté la fermetureÉclairetposé lesmainssurmoncol.—Tuessublime,Poppy.—Merci.Ilaapprochéseslèvresdemonoreille.Moncœurabondidansmapoitrine.—N’attrapepasfroid,Poppymin.Jeneveuxpasquetutombesencoreplusmalade.—D’accord,Rune.Pourtoi.Ilm’aprisepar lamain.Laserveusenousaguidés jusqu’à la terrassequidonnait sur lacrique. Je
n’étaispasvenuedepuisdesannées,maisrienn’avaitchangé.L’eauétaitcalmeetplate,unpetitboutdeparadiscachésouslesarbres.Laserveuses’estarrêtéedevantunetableaufonddelaterrasse.J’aisouri,prêtem’asseoir.—Non,aditRune.Ilamontrédudoigtlatablelaplusprochedel’eau.—Celle-ci.—Commevousvoudrez,a-t-ellerépondu.Entraversant la terrassebondée,plusieursfillesdenotreâgeont tournélatêteversRune.J’aisuivi
leurregardetj’aiétudiésonvisage,commeuneinconnuequileverraitpourlapremièrefois.L’exercices’estavérédifficile,maisjesavaiscequ’ellesvoyaient:unbeaujeunehomme,mystérieuxettroublant.Laserveuseaposédeuxmenussurlatable.—Celle-civousconvient?Runeahochélatête.Laserveusenousalaissésseuls.Ils’estassisetatirémachaiseàcôtédelui.
Désormais, nos deux chaises étaient tournées vers l’eau.Rune a augmenté la chaleur du radiateur au-dessusdenous.Ilaprismamaindanslasienneetill’aembrassée,lesyeuxfixéssurl’eau.Lavueétaitsuperbe.J’admiraislesarbres,l’eau,lescanardsetlesgrues,maisc’étaitRunequimefascinait.Ilavaitchangédepuislaveille.Ilétaittoujoursaussifroid,cependantsonregardsurmoiavaitchangé.Commes’il voulait me protéger. J’adorais cette sensation. L’ancien Rune me manquait, mais le nouveau mecaptivait.Àcemomentprécis,danscetendroitquenousaimionstant,j’étaisravied’êtreencompagniedeceRune.Plusqueravie.Jemesentaisvivante.Unserveurestarrivé,unhommed’unevingtained’années.Runeaserrémamain.Jalousie?—Bonsoir.Vousvoulezboirequelquechose?—Unthésucré,s’ilvousplaît.—Unerootbeer,aréponduRune.Leserveuraprislacommandeetadisparudanslerestaurant.Runeavaitl’airfurieux.—Ilt’adévoréeduregard.J’aiéclatéderire.—N’importequoi!—Tuneterendspascompte,Poppy.—Dequoi?—Àquelpointtuesbelle.J’aicaressélescicatricessursonpoing.Jemedemandaiscequilesavaitcausées.—Toujoursaccroauthésucré,àcequejevois.—Ettoiàlarootbeer.Runeahaussélesépaules.—C’est introuvable en Norvège. Depuis notre retour, j’en bois tout le temps. Il y a beaucoup de
chosesquim’ontmanquépendantmonabsence.—Rune…J’aieuenviedem’excuserunenouvellefois,maisleserveurm’ainterrompueenposantnosboissons
surlatable.—Vousêtesprêtsàcommander?—Deuxplatsdelangoustines,aréponduRune.—Trèsbien.Leserveurestreparti.Runem’aregardée,lefantômed’unsouriredessinésurseslèvres.Ilapoussé
lescheveuxderrièremonoreille.—Tulesportestoujours.—Biensûr.Lesbouclesd’oreilles.Cellesqu’ilm’avaitoffertes.Lesymboledel’infini.—Tut’escoupélescheveux.—Non,Rune.Jelesaiperdus.Ilsontrepoussé.Sonvisages’estfermé.Jenevoulaispasgâcherlamagiedecettesoiréeenparlantdemamaladieet
delachimio.—J’aimebiencettelongueur.C’estplussimpleàentretenir.Etpuis,seulslesVikingsdevraientavoir
lescheveuxlongs.Etlesmotards.Dommagequetun’aiespasdemoto.Jeluiaisouri,maisRuneagardésonairsérieux.—Jepeuxm’enacheterune,sic’estcequ’ilfautpourtereconquérir.J’aiposéunemainsursajoue.—Tun’aspasbesoindemereconquérir,Rune.—Ahbon?—Tunem’asjamaisperdue.Jenesavaispascommentilréagirait.Jenem’attendaisniàdelatendresse,niàdeladouceur,niàce
quemoncœurfondedebonheur.Pourtant,Runem’aembrasséesurlajoueetafrôlémeslèvresaveclessiennes.—TuesunViking,Rune.Tun’aspasbesoindemoto.Cettefois,ilasouri.J’étaisfièredemoi.Leserveurestrevenuavecnotrecommandeetaposélesdeuxplatsdelangoustinessur lanappeen
papier.Runealâchémamain,etnousavonsdévorénotrerepas.J’aifermélesyeuxpourmieuxapprécierladouceurdeleurchairsurmalangueetl’aciditéducitronquimebrûlaitlagorge.Runes’estmoquédemoi.Jeluiaijetéunmorceaudelangoustine,quiaatterrisursesgenoux.Jeme
suisessuyélesmainssurlaservietteetj’ailevélesyeuxversleciel.Lesétoilesscintillaient.Pasunseulnuageenvue.—Cetendroitestmagique.Runeabalayélacriqueduregard.—Quandj’étaisàOslo,jepensaissouventàcerestaurant.Jemedemandaissituyretourneraissans
moi.—C’estlapremièrefoisdepuistondépart.Mesparentsn’aimentpasleslangoustines.Pasautantque
magrand-mère.Tutesouviensqu’elleemportaitsaflasquedewhiskyavecellepourenverserdanssonthé?J’aisourienl’imaginantassiseànotretable.—Elletemanque?ademandéRune.—Jepenseàelle tous les jours. J’imagine lesaventuresqu’onauraitpuvivreensemble.Onaurait
voyagéenItaliepourvisiterAssise,etenEspagnepourfairedurodéo.J’aiéclatéderireenrepensantàtousnosprojets.—Labonnenouvelle,c’estquejevaisbientôtlarevoir.Quandjerentreraiàlamaison.Commemagrand-mère, jesavaisquenotremortn’étaitqueledébutd’uneautreaventure.Monâme
retourneraitchezelle,àsaplace.Attristé par mes propos, Rune s’est levé brusquement. Il a traversé la terrasse, s’est allumé une
cigarette et a disparu dans le noir, au bout du ponton. Seul le nuage de fumée blanche trahissait saprésence.—C’estterminé?m’ademandéleserveur.
—Oui,merci.Est-cequ’onpourraitavoirl’addition?—Biensûr,mademoiselle.Jemesuislevéeetj’airejointRune.Ilavaitledosappuyécontrelarambarde,leregarddanslevide.—Jesuisdésolée,Rune,maisjenepeuxpasfairesemblant.Jenepeuxpasvivredansunrêve.Jesais
cequim’attend.Ilabaissélatête.—C’estinjuste,Poppy.Sadouleurmebrisait lecœur.J’aiposélesmainssur larambardeet j’aiaspiréunegrandebouffée
d’airfrais.—Tusaiscequiauraitétéinjuste,Rune?Denepaspouvoirvivrecesprochainsmoisensemble.Ona
delachance.Tuesrentréseulementquelquessemainesaprèsqu’onm’arenvoyéechezmoi.Onesticipouruneraison.J’ensuiscertaine.J’airegardélesétoiles,commesiledestinnoussouriaitdelà-haut.JemesuisapprochéedeRuneet
j’aiglisséseslongscheveuxderrièresesoreilles.Unelarmeacoulésursajoue.Jel’aiembrassée.Ilablottilatêtecontremoncou.—Jet’aiinvitéeicipourterappelerdebonssouvenirs,Poppy.Quandonétaitheureux,amoureuxet
inséparables…J’aisentiqu’ilavaitquelquechosesurlecœur.—Dis-moi,Rune.—J’aipeurquecesoitladernièrefois.J’aiattrapésacigaretteetjel’aijetéeàl’eau.Jemesuismisesurlapointedespiedsetj’aiposéles
mainssursesjoues.—Dans ce cas, on se souviendra de cette soirée pour toujours.On aura profité de chaque instant,
Rune.J’aiconnuungarçonquivivaitchaquejourcommesic’était ledernier,quipensaitqu’uneseulesecondepouvaitchangerlemondeoulaviedequelqu’un.Cettesoiréeétaitparfaite,Rune.Reveniriciavectoi,repenseràmagrand-mèreetmerappelerpourquoijel’aimaistant…Jemesouviendraitoujoursdecetinstant,celuiquetum’asoffert.Jel’emporteraiavecmoi,oùquej’aille.Runeafermélesyeux.Jel’aiprisdansmesbras.—Mercipourcecadeau.Onnepeutpaschangernotredestin,maisonpeutencorevivre.Vivreaussi
fortquepossible,etcélébrerlesjoursquimerestent.RedevenirPoppyetRune,commeavant.—Notredernièreaventure.Unevaguedebonheurs’estemparéedemoi.Runeaenroulésesbrasautourdemataille.—C’est la dernière dans cette vie,Rune.Pas dans la prochaine. Je sais qu’on sera réunis un jour.
Quandcelle-ciseterminera,uneautrenousattendradel’autrecôté.Leparadisn’existeraitpassitunemerejoignaispasunjour.Runes’estcrispédansmesbras.Jel’aiserréfortcontremoi,jusqu’àcequ’ilsecalme.—Alors,RuneKristiansen,monVikingvenudeNorvège…prêtpourunedernièreaventure?Rune a éclaté de riremalgré lui. Je lui ai tendu lamain et ilme l’a serrée deux fois, en guise de
promesse.Leserveurnousaappelésdepuislaterrasse,notreadditionàlamain.
—Çavaaller?ai-jedemandéàRune.Ilahochélatêteetfroncélessourcils.Jel’aiimitépourletaquiner,etilasouri.Ilm’apriseparla
mainetm’aguidéejusqu’aurestaurant.Aprèsavoirpayénotrerepas,noussommesretournésàlavoiture.—Ilyaunendroitoùj’aimeraist’emmeneravantderentrer.—Unautrebeausouvenir?Runeafaitdémarrerlavoiture.—Jel’espère,Poppymin.Jel’espèrevraiment.
*
Runen’apasditunmotdetoutletrajet.Ilavaittoujoursétésilencieux,mêmeavantsondépart.Celacollaitàsonimaged’artistetourmenté.Ilaallumélaradioetm’alaisséechoisirlastation.J’aifredonnéunechansonetilm’aregardéeavectendresse.Enapprochantdelaville,jemesuismiseàbâiller.J’étaisépuisée,maiscurieusededécouvriroùilm’emmenait.Lorsqu’ils’estgarédevantlethéâtredelaville,moncœurs’estemballé.C’était l’endroitoùjerêvaisdejouer,l’orchestremunicipaldontjerêvaisdefairepartie.—Qu’est-cequ’onfaitici?Runeacoupélemoteur.—Viensavecmoi.Confuse, j’ai ouvertmaportière et je lui ai emboîté le pas.Nous avonsmarchémain dans lamain
jusqu’à l’entrée. Il était tard, mais Rune n’a pas hésité à passer la porte. Depuis le hall, j’ai crureconnaîtreunairdePuccini.J’aiserrélamaindeRune.Ilm’asourietnousavonsgravilesmarchesdubelescalier.—Oùest-cequetum’emmènes?Il a posé un doigt surmes lèvres, puis il a poussé une porte qui donnait sur le premier balcon du
théâtre.La musique s’est écrasée sur nous comme une vague sur des rochers. J’ai suivi Rune jusqu’à une
rangéedesièges.Lasalleétaitvide.Lesmusiciensrépétaientsurscène,dirigésparlechefd’orchestre.Jelesaireconnusaussitôt:l’orchestredechambredeSavannah.—Rune…Commentas-tufait?Ilahaussélesépaules.— Je voulais t’inviter à leur concert, mais il était trop tard. Ils repartent en tournée demain. J’ai
contactélechefd’orchestre,etilm’aditqu’onpouvaitassisteràleurdernièrerépétition.Incroyable.Jenesavaispascommentleremercier.J’aiposélatêtesursonépauleetjemesuisblottie
contre lui, profitant du spectacle qui nous était réservé. J’étais captivée par les gestes du chefd’orchestre.JesentaisqueRunem’observait,maisjen’arrivaispasàdécollerlesyeuxdesmusiciens.Jemesuis imaginéesurscèneaveceux,à jouerdevantmafamille,mesamisetRune,sonappareilphotoautourducou.L’orchestres’esttu.Lepremiervioloncelleatiréunechaiseaucentredelascène.C’étaitunefemme
d’unetrentained’années.Elleaposésonarchetsurlescordes,lechefd’orchestrealevésabaguetteetla
premièrenotem’acoupélesouffle.C’étaitlaplusbellemélodiedumonde.LeCygneduCarnavaldesanimaux.Lavioloncellisteétaittranscendéeparlamusique,sonexpressiontrahissantsesémotions.J’auraisaiméêtreàsaplace.J’auraisaiméjouercemorceauavecautantd’aisance.J’aifermélesyeux
etj’ailaissélamusiquemeposséder.Deslarmesontdévalémonvisage.Runeaserrémamaindanslasienne. Il était inquiet, mais j’allais bien. Plus que bien. Je planais, emportée par cette merveilleusemélodie.Voilàpourquoij’aimaislamusique,pourquoic’étaitdevenumapassion.Ilsuffisaitd’unsimpleinstrumentpourinsufflerdelaviedansnosâmes.Jesuisrestéeimmobilejusqu’àlafindumorceau.Lavioloncellisteasoulevésonarchetetaouvertles
yeux. Commemoi, la musique l’avait transportée ailleurs. Le chef d’orchestre a hoché la tête et lesmusiciensontregagnélescoulisses.Runes’estassissurlereborddusiège.—Jesuisdésolé,Poppymin.Jepensaisqueçaterendraitheureuse.—C’estlecas.Cesontdeslarmesdebonheur,Rune.Ilapousséunsoupirdesoulagementenessuyantmesjouestrempées.—C’estmonmorceaupréféré.LeCygne,duCarnavaldesanimaux.Lavioloncelliste l’a jouéà la
perfection.C’estceluiquej’avaisprévudeprésenteràmonauditiondeJuilliard.Celuiquejemevoyaisun jour jouer au Carnegie Hall. Je le connais par cœur. Chaque note, chaque changement de tempo,chaquecrescendo…C’étaitincroyabledel’entendrecesoir,assiseàcôtédetoi.Runeapasséunbrassurmesépaulesetm’aattiréecontrelui.Iladéposéunbaisersurmonfront.—Promets-moiquelquechose,Rune.Promets-moique,quandtuvivrasàNewYork,tuassisterasàun
concertdel’OrchestrephilarmoniquedeNewYork.Promets-moiquetuécouterascemorceau,etquetupenserasàmoi.Commesij’étaissurscène,entrainderéalisermonrêve.J’aipousséunsoupirdebonheur,apaiséeparcetteimage.—Jen’aipasbesoindeleréaliserpourêtreheureuse,Rune.Jelevivraiàtraverstonimagination.—Poppy…—Promets-le-moi,Rune.—ÀquoibonalleràNewYorksanstoi?—Pourvivretapassionetréalisertonrêve.Ilaserrélamâchoire.Sonvisages’estfermé.—Pourquoias-tuarrêtélaphoto,Rune?—Sanstoi,jenevoyaispluslemondedelamêmefaçon.Toutachangé,Poppy.Plusrienn’avaitde
sens.J’étaisencolère.Mapassionestmortelejourdemondépart.Ses parolesm’ont rendue profondément triste. Rune fixait la scène, bâtissant un nouveaumur entre
nous. J’ai repensé à la soirée que nous venions de passer, et à la musique qui caressait encoremesoreilles.—Merci,Rune.Toiseulsaisàquelpointlamusiquecomptepourmoi.Lesprojecteurssesontéteints,plongeantlasalledanslenoir.Runeadéposéunbaisersurmajoue.—Tuétaisàmonrécitall’autrejour.—Biensûr,Poppymin.Jen’allaispasraterça.Ils’estlevéetm’atendulamain.Iln’apasprononcéunmotdeplus.Niendescendantl’escalier,nien
sortantduthéâtre,nienmontantdanslavoiture,nipendantletrajet.Runes’estgarédevantchezluietm’aouvert laportière.Ilm’araccompagnéechezmoi,nonpasjusqu’àlaporte,maisjusqu’àmafenêtre.Ilavaitl’airfrustré.Confus.J’avaisbesoindesavoiràquoiilpensait.J’aiposéunemainsursajoue.Sansprévenir,ilm’aplaquée
contre le mur, pressant son corps contre le mien. Mon cœur s’est mis à battre à tout rompre. Cetteproximitéetl’intensitédesonregardm’ontcoupélesouffle.—Jevoulaisêtrepatient,Poppy.Jevoulaisenêtrecapable,maisc’estplusfortquemoi.Ilaattrapémamainetl’aposéesursoncœur.—TuconnaislevraiRune,etjeteconnaismieuxquequiconque.Jeneveuxpasgaspillerletempsqui
nousreste.Tuesàmoi,Poppy,etjesuisàtoi.Jemefichedureste.—Rune…J’avaisenviedecrierquej’étaisàlui,etqueriend’autrenecomptait,maisj’enavaisperdumavoix.
J’étaissubmergéeparlesémotions.—Dis-le-moi,Poppy.Dis-moioui.Ilaeffleurémeslèvresaveclessiennes,prêtàmepossédertoutentière.Jel’airegardédroitdansles
yeux.—Oui,ai-jemurmuré.Il a écrasé sabouchecontre lamienne.Sachaleuret songoûtdementheont assaillimes sens.Son
torsebombém’apresséecontre lemur.Àtraverssonbaiser,Runenemedonnaitd’autrechoixquedem’offriràlui,aprèstoutescesannéesd’absence.Ilaglisséunemaindansmescheveux.J’aigémidebonheurquandsalangueatouchélamienne,tiède
etdésespérée.J’aipasséunemainsursondos.Runeagrognédeplaisiretm’aembrasséeavecpassion,balayantmesderniersdoutesd’unreversdelamain.Ilm’aembrasséejusqu’àcequechaquecentimètredemoncorpsluiappartienne.Jusqu’àcequenoscœursbattentànouveauenharmonie.J’aicommencéàfaiblirdanssesbras.Ilaécartésabouchedelamienneetilm’aembrasséesurles
joues,lamâchoireetdanslecou.—Baisernumérotroiscentcinquante-sept.AvecmonRune,contrelemurdemamaison.Quandilm’a
retrouvée.Moncœurapresqueéclaté.Pourlapremièrefoisdepuissonretour,Runem’aoffertunvraisourire.Undeceuxquiilluminaient
sonvisage.—Poppymin.—MonRune.Ilafermélesyeuxetpousséunsoupirdejoie.—Ilestl’heurederentrer,ai-jemurmuré.—Ja.Ilm’aembrasséeunedernièrefoisavantdemerelâcher.Ilareculéets’estdirigéverschezlui.—Situcontinuesàm’embrassercommeça,monbocalvaseremplirtrèsvite.Runeajetéunregardpar-dessussonépaule.—C’estlebut,Poppy.Millebaisersdemoi.
Jel’aisuividuregardjusqu’àcequ’ildisparaisse.Jemesentaislégèreetheureuse.J’aifoncédansmachambre,j’aiattrapélebocalsouslelitetj’aiouvertlecouverclepoussiéreux.J’aiattrapéuncœuretuncrayonetj’ainotélebaiserdecesoir.Uneheureplustard,mafenêtres’estouverte.Runeapoussélesrideaux.Ilaenlevésontee-shirtetl’a
jeté par terre. J’ai écarquillé les yeux à la vue de son torse nu. J’ai soulevé la couverture, et il s’estallongécontremoi,enroulantlesbrasautourdemataille.Jemesuisblottiecontresoncorpsetj’aifermélesyeux.Runeadéposéunbaisersousmonoreille.—Dors,Poppy.Jesuislà.Ilétaitlà,pourmoi.Etmoi,pourlui.
10
MAINSTENDUESETRÊVESÉVEILLÉS
Rune
Quandj’aiouvertlesyeux,Poppyétaitdéjàréveillée.Ellem’asouriets’estblottiedansmesbras.—Bonjour,Rune.J’aipassélamaindanssescheveux.Elleajetéunœilparlafenêtre.—Onaratéleleverdusoleil.—Désolé,Poppy.—Cen’estrien.Aucunleverdesoleilnevautunréveilàtescôtés.Jel’airetournéeetjemesuisallongésurelle.Elleaéclatéderire.J’aiécrasémabouchesurlasienne
etelles’estagrippéeàmescheveux.Notrebaiseraétéinterrompuquandquelqu’unafrappéàlaporte.—Poppy?aditsonpère.C’estl’heuredeselever.Jesentaissoncœurbattrecontremoi.Elleaéloignéseslèvresdesmiennes.—Jesuisréveillée,papa.Noussommesrestésimmobilesjusqu’àcequ’ils’éloignedelaporte.J’airoulédemoncôtédulitet
j’airamassémontee-shirtparterre.—Onadormitroptard,Rune.—Onferaattentionlaprochainefois.Même si nous ne faisions rien demal, il fallait être prudents. Je ne voulais pas prendre de risque.
J’avaisenviedepassertoutesmesnuitsavecelle.Poppyaposélementonsurmonépaule.—C’étaitmarrant.Pendantuninstant,jemesuissentievivante.—Tuesfolle,ai-jeditensouriant.Jemesuislevéetj’aienfilémesbottes.Poppys’estassiseauborddulit.Jenevoulaispasavoirune
mauvaiseinfluencesurelle.—Finalement,j’aimebientoncôtémauvaisgarçon.Jesensquecesprochainsmoisvontêtrepleinsde
surprises.Jemesuisdirigéverslafenêtre,etPoppyasortideuxcœursdubocal.Elleanoténosdeuxbaiserset
ellearefermélecouvercle.Desbruitsdepasontremontélecouloir.Poppyaécarquillélesyeuxetm’afaitsignedepartir.J’aisautédelafenêtreetj’aicourujusqu’àlamienne,accompagnédesonrire.Jesuisentrédansma
chambreetj’aifoncésousladouche.J’aiposélesmainssurlecarrelagedevantmoietj’ailaissél’eauchaude s’écraser surmondos.D’habitude, jeme réveillais triste et amer, rongépar la colère.Pas cejour-là.GrâceàPoppy.J’aiéteintladouche,jemesuisséché,j’aienfilémonjeanetjesuissortidelasalledebains.Mon
pèreétaitplantédanslecouloir,devantlaportedemachambre.—Bonjour,Rune.J’aimarchéjusqu’àmonarmoire.J’aienfiléuntee-shirtblancetmesbottes.Monpèren’avaittoujours
pasbougé.—Qu’est-cequ’ilya?Ilaavancéd’unpas,satassedecaféàlamain.—Comments’estpasséetasoiréeavecPoppy?Jen’aipasrépondu.Jeneluienavaismêmepasparlé.Ilneméritaitpasdesavoir.Mamèreavaitdû
leteniraucourant.Ils’estéclaircilavoix.—LepèredePoppynousarenduvisitehiersoir.Unevaguedecolèrefamilières’estemparéedemoi.J’airepenséàlaréactiondeM.Litchfieldquand
ilm’aouvertlaporte.Sonregardquandj’aiaccompagnéPoppyjusqu’àlavoiture.Ilétaitfurieux.IlnevoulaitpasquePoppyvienneavecmoi,maisiln’avaitpasoséluidirenon.—Ilsefaitdusouci,Rune.Ilapeurquevosretrouvaillesnesoientpasunebonnechose.J’aiserrélespoings.—Pourelleoului?—PourPoppy,Rune.Tusaisqu’ellen’apaslongtemps…—Jesais.Difficiled’oublierquelafillequej’aimeestentraindemourir.—JamesveutjustequelesderniersjoursdePoppysoientcalmes.Sansstress,sansproblèmes…—C’estmoi,leproblème?C’estça?Ilapousséunsoupir.—Ilveutquetulalaissestranquille.Quetupassesàautrechose…—Jamaisdelavie.J’airamassémonsacparterre,j’aienfilémavesteencuiretjemesuisdirigéverslaporte.—PenseàPoppy,Rune.—Jene faisqueça ! Jepenseàelle tout le temps.Tun’asaucune idéedecequ’onvit ensemble.
Arrêtezdevousmêlerdenosaffaires!—C’estsafille!
—Etalors?Moi,c’estl’amourdemavie!Jamaisjenel’abandonnerai.Etvousn’ypouvezrien,nitoi,nisonpère.Jesuissortientrombedemachambre.Monpèrem’aemboîtélepas.—Poppyestunegentillefille,Rune!Regarde-toi.Tuaschangé.Tufumes,tubois,tutemetsencolère
pourunrien!Penseàelle.Negâchepassesderniersinstants.Jemesuisarrêtéaumilieuducouloir.—Tusaisquoi?Poppyaimelesmauvaisgarçons.C’estellequimel’adit.Jesuispassédevantlacuisine.MamèreetAltonm’ontditbonjour.Jelesaiignorés.J’aiclaquéla
porte derrière moi et, à peine sorti, j’ai allumé une cigarette. J’étais furieux. M. Litchfield voulaitm’éloignerdesafille.Qu’est-cequ’ilcroyait?Quej’allaisluifairedumal?LaportedechezPoppys’estouverte,etelleestsortieavecSavannahetIda.Sessœursm’ontsaluéde
lamain.Idam’asouri,maisSavannahavaitl’airplusméfiante,commesonpère.Poppym’a rejoint avec ses sœurs.Elle portait une jupe rouge, des collants noirs, des bottines, une
chemiseblancheetunecravatenoiresousunmanteaubleu.Elleétaitadorable.J’ai jeté ma cigarette par terre, j’ai posé les mains sur ses joues et je l’ai embrassée. Un baiser
passionné,quiprouvaitaumondequ’elleétaitàmoi.Unbrasd’honneuràtousceuxquivoulaientnousséparer.—Undepluspourtonbocal,ai-jemurmuré.Elleestdevenuetouterouge.Idaaéclatéderire.Savannahenestrestéebouchebée.J’aiprisPoppy
parlamain.—Prête?Ellearegardénosdoigtsentrelacés.—Onvaaulycéecommeça?—Oui.Pourquoi?—Toutlemondevaêtreaucourant.Ilsvontparlerdenous…—Et alors ?Avant, tu te fichais de cequepensaient les autres.Ne commencepas à t’en inquiéter
maintenant.—Ilsvontcroirequ’ons’estremisensemble.—C’estlecas.Unsourireailluminésonvisage.Elleavaitl’airsoulagée,commesielleattendaitmaconfirmation.—Danscecas,jesuisprête.Nous avons remonté la rue, suivis de près par les sœurs de Poppy. Juste avant d’entrer dans la
cerisaie,j’aijetéunœilpar-dessusmonépaule.M.Litchfieldétaitplantédevantchezlui.Ilnousfixait,levisagefermé.J’aiserrélesdents.Jerefusaisdeperdrecettebataille.Idaaparlépendanttoutletrajet.Poppyriaitavecelle.Elleadoraitsapetitesœur.Idaluiressemblait
beaucoup,jusqu’auxfossettessursesjoues.Savannah,elle,étaitplutôtintrovertie,ettrèsprotectricevis-à-vis dePoppy.Au bout de quelquesminutes, nos chemins se sont séparés : les filles sont parties endirectiondeleurécole,etnousdulycée.—Savannahn’apasditunmot,s’estinquiétéePoppy.
—C’estàcausedemoi.—Non,Rune.Ellet’adore.—Ellem’adorait.Aujourd’hui,elleapeurquejetebriselecœur.Poppys’estarrêtéesousunarbreàcôtédulycée.—Tunemebriseraspaslecœur,Rune.Jelesais.Etpuis,silemiensebrise,letienaussi.Ilsbattent
àl’unisson.J’aipousséunsoupirdefrustration.Certainsélèvesnousavaientvus,et la rumeurse lisaitdéjàsur
leurslèvres.—Est-cequetuseraiscapabledemefairedumal,Rune?—Non.Jamais.—Alors,netesouciepasdecequepensentlesautres.J’étaissurprisetamuséparsadétermination.—J’aivraimentunemauvaiseinfluencesurtoi.J’aisourietj’aiposéunemainsursahanche.Jel’aiplaquéecontreletroncetjel’aiembrassée.Un
baiser langoureux, doux et sucré. Poppy en avait le souffle coupé. Elle a glissé une main dans mescheveuxhumides.—Jeteconnaisparcœur,Rune.Tuesquelqu’undebien.—Avectoi,Poppymin.Seulementavectoi.Elleaétudiémonvisage.—C’estpeut-être leproblème.Si tu t’ouvraisauxautres, si tu leurmontrais levraiRune, ilsne te
jugeraientpasaussisévèrement.Ilst’aimeraientpourcequetues.CommeAlton.Commentçasepasseentrevous?—Altonn’estqu’unenfant…—C’esttonpetitfrère.Ilt’adore,Rune.Ilaimeraitquetuluiparlesetquetujouesaveclui.Monventres’estnoué.—Commentlesais-tu?—Ilmel’adit.Ilétaittrèstriste.J’aiimaginéAltonentraindepleurer,maisj’aivitechassécetteimagedemonesprit.Jepréféraisne
pasypenser.C’étaittropdouloureux.—Ilt’admire,Rune.Ilalescheveuxlongscommetoi,etilimitetesfaitsetgestes.C’estadorable.—Ilalescheveuxlongsparcequ’ilestnorvégien.Poppyalevélesyeuxauciel.—Tous lesNorvégiens n’ont pas les cheveux longs,Rune. Tu le sais.Alton veut te ressembler. Il
t’imiteparcequ’ilt’aime,etpourattirertonattention.J’aibaissélatête.Poppyasaisimonvisageàdeuxmainspourmeforceràlaregarderdanslesyeux.—Ettonpère,Rune?Quandvas-tuluidonnerunechance?—Çasuffit,ai-jerépondusèchement.Jenevoulaispasparlerdelui.Jamaisjeneluipardonneraisdenousavoirséparés.Cesujetétaitclos.
Poppyn’avait l’airnichoquée,nivexéeparmaréaction.Ilyavaitdelapitiédanssonregard.C’étaitpire.Je l’aiprisepar lamain,etnousavonsmarché jusqu’auxbâtiments.Lesélèvesnousobservaientdu
coindel’œil.—Ignore-les,Poppy.Elles’estrapprochéedemoietnoussommesentrésdanslecouloir.Deacon,Judson,Jorie,Averyet
Rubyétaientrassemblésdevantlescasiers.Jen’avaisadressélaparoleàpersonnedepuislafête.Jories’estretournéeenpremier.Elleaécarquillélesyeuxetelleamurmuréquelquechose.Nosamis
nousontfaitface,l’airconfus.—Ilfautqu’onleurexplique,ai-jedit.—Ilsnesontpasaucourantdemamaladie,Rune.Jen’enaiparléqu’àJorie.—Tuluiasditàelle,etpasàmoi?Poppym’aregardéed’unairtriste.—Mets-toi à ma place, Rune. J’avais besoin d’elle. Besoin deme confier à quelqu’un. C’est ma
meilleure amie. Elle m’a aidée à rattraper les cours que je ratais et elle m’a soutenue pendant montraitement.Etpuis,Jorienem’aimepasautantquetoi.C’estdifférent.Jesavaisqu’elletiendraitlecoup,qu’elleneselaisseraitpasabattre.Majalousies’estaussitôtenvolée.J’aipasséunbrassursesépaules.—Ilssaurontunjouroul’autre,Poppy.—Jesais…maispasmaintenant.—Rune!acriéDeacon.—Prête?ai-jedemandéàPoppy.—Prête.Nousnoussommesfrayéunchemindanslecouloirbondé.Poppyaglisséunbrasautourdemataille,
etnousnoussommesplantésdevantnosamis.Deaconavaitlesourirejusqu’auxoreilles.—Alors?Vousvousêtesremisensemble?J’aihochélatête.Averym’alancéunregardnoir.Jem’enfichais.Ellenecomptaitpas.—C’estvrai?ainsistéRuby.—Oui,aréponduPoppy.J’aidéposéunbaisersursonfront.Jorieavaitl’airravie.—C’est lameilleure nouvelle de l’année. Poppy et Rune, enfin réunis. La vie peut reprendre son
cours.Jesuiscontentepourvous.—Merci,Jorie.Ellesontéchangéunregardlourddesens.Jorieavaitleslarmesauxyeux.—Bon,ilfautquej’yaille.Àplustard!Elle est partie à toute vitesse pour ne pas craquer devant les autres. J’ai suivi Poppy jusqu’à son
casier.—Tuvois?C’étaitfacile.
Elleaattrapéseslivres,etjel’aiplaquéecontrelecasierpourl’embrasser.Puisj’aiglisséunemaindanssescheveux.Quandj’aiécartémonvisagedusien,Poppyavaitlesyeuxquipétillaientetlesjouestoutesroses.—Baisernumérotroiscentsoixante.AvecmonRune,contremoncasier.Moncœurapresqueéclaté.J’aireculéd’unpasetj’airemontélecouloirensouriant,endirectiondemoncoursdemaths.—Rune?—Ja?—Quelesttonendroitpréféré?Jenem’attendaispasàunequestionpareille.Poppydevaitavoiruneidéederrièrelatête.—Lacerisaie,auprintemps.—Etlerestedel’année?—Laplage.Pourquoi?—Parcuriosité.—Onseretrouveaudéjeuner?—Jemangedanslasalledemusique.J’aimejouerduvioloncellependantmapause.—Parfait.Jeserailà.LevisagedePoppys’estilluminé.Noussommesrestésplantésaumilieuducouloir,ànousregarderen
silence.—Pourtoujours,amurmuréPoppy.—Pourlavie,ai-jerépondu.
*
Lasemaineestpasséeaussivitequel’éclair.Avant,jemefichaisdutempsquis’écoulait.Désormais,j’auraisaiméqu’uneminutedureuneheure,qu’uneheuredureunjour.Toutallaitvite.Tropvite.Les rumeursànotresujetsesontcalmées,maisonparlaitencoredenousdansnotredos.C’était le
cadetdemessoucis.J’étaisallongésurmonlitquandlasonnettearetenti.Jemesuislevéetj’aiattrapémavesteencuir.
Cematin-là,Poppym’avaitditqu’ellepasseraitmechercheràdixheures.Jenesavaispaspourquoi,nioùellecomptaitm’emmener,maisj’aiobéi.Ensortantdemachambre,j’aientendusavoixdanslesalon.—Bonjour,Alton.Commentvas-tu?—Bien,arépliquémonfrère.Elle était accroupie devant lui.Alton a passé unemain dans ses cheveux pour dégager son visage.
Commemoi. Poppy avait raison. Jeme suis arrêté dans le couloir, et j’ai regardémon petit frère sebalancerd’unpiedàl’autre.Ilétaittimideetsilencieux.Ilneparlaitquesionluiadressaitlaparole.—Qu’est-cequetufaisaujourd’hui?a-t-elledemandé.—Rien.
LesouriredePoppys’estenvolé.Altonl’aregardéed’unairtriste.—Ettoi,tusorsavecRune?—Oui.—Ilarecommencéàteparler?—Oui,Alton.Runemeparle.Elleapasséunemainsursajoue.Altonavaitl’airtriste,maiscesimplegestel’afaitsourire.Poppy
m’asurprisentraindelesobserver.Elles’estlevée,etjelesairejoints.Jel’aipriseparlamainetjel’aiembrassée.—Tuesprêt?J’aihochélatête.—Tuneveuxtoujourspasmedireoùonva?Poppyasecouélatête,l’airmalicieux,etm’aguidéverslaporte.—Aurevoir,Alton.—Aurevoir,Poppymin.Jemesuisarrêténet,choquéd’entendrecesurnomdanslabouchedemonpetitfrère.Poppyaposéune
mainsursabouche,àlafoissurpriseetattendrie.Elleacroisémonregard.Ellevoulaitquejeluidisequelquechose.—Aurevoir,Alton.Monfrèrealevélatêteetunsourireailluminésonvisage.Jeneluiavaispourtantditquetroismots.Ens’asseyantderrièrelevolant,Poppym’aregardéavectendresse.—Jesuisfièredetoi,Rune.Jemesuisassiscôtépassager,pressédechangerdesujet.—Tumedisoùonva?—Tudevinerasbienasseztôt.J’aiallumélaradioetj’aichoisilastationpréféréedePoppy.Elles’estmiseàchanterunechanson
quejeneconnaissaispas.Commequandellejouaitduvioloncelle,sesfossettessecreusaientquandellechantaitetquandellesouriait.J’avaislagorgeserrée.C’étaitunebataillequotidienne.J’aimaisvoirPoppyheureuseetinsouciante,
maisjesavaisaussiquesesjoursétaientcomptés.Celafaisaitrenaîtreenmoiladétresseetlacolèredecesdernièresannées.Elleaposéunemainsurmongenou.Jel’airecouverteaveclamienneetj’aidétournéleregardpourla
préserver.Lecanceravaitbeau la rongerde l’intérieur,c’était lechagrindesesprochesqui la faisaitsouffrir.Lorsquej’étaissilencieuxoutriste,sesyeuxperdaientdeleuréclat.Quandmacolèreprenaitledessus, je voyais la fatigue se dessiner sur son visage. Elle s’en voulait de causer tant de souffranceautourd’elle.J’airegardélepaysagedéfilerderrièrelavitreetj’aidéposéunbaisersursamain.Poppyatournéen
directiondelacôte.Quandj’aicomprisoùellem’emmenait,jemesuissentiplusléger.—Onvaàlaplage.—Tonendroitpréféré,Rune.Aprèslacerisaie.
J’aipenséauxcerisiersenfleuret jemesuis imaginésousnotrearbre,avecPoppyàmescôtés.Jen’étaispascroyant,maisj’aipriépourquePoppyvivejusqu’auprintempsetvoielesfleursunedernièrefois.Ilfallaitqu’elletiennejusque-là.—Jelesverrai,Rune.Jetelepromets.J’enaiperdumesmots.Poppyavait ludansmespensées.Elleaserrémamaindans lasienne.J’ai
comptélesmoisquinousséparaientduprintemps.Quatrelongsmois.—Jesais,Poppy.Jeteconnais.Quandtuveuxquelquechose,tul’obtiens.Jemesuisenfoncédansmonsiègeetj’aifermélesyeux.Quandelles’estremiseàchanter,jemesuis
agrippéàsamainetàchaquenotequis’échappaitdesabouche.
*
Nousapprochionsdelacôte.J’aiaperçulegrandphareblanc,perchéenhautdelafalaise.Ilfaisaitdouxetlecielétaitbleu.Pasunnuageàl’horizon.Poppys’estgaréesurleparking.—Tuasraison,Rune.Moiaussi,j’adorelaplage.Ona regardé les famillesdispersées sur le sable.Les enfants jouaient et lesmouettesplanaient au-
dessusd’eux,enattentedenourriture.Certainsadultes lisaient,assiscontre lesdunes.D’autresétaientallongés,lesyeuxfermés,profitantdusoleil.—Tutesouviensdesjournéesqu’onyapassées?—Ja.Poppyamontrélajetéedudoigt.—Ici, tum’asoffertmonsoixante-quinzièmebaiser.Ons’étaitcachésderrière la jetée.Tuavais le
goûtdesel.Tut’ensouviens?—Ja.Onavaitneufans.Tuportaisunmaillotdebainjaune.—C’estvrai!a-t-elleditenriant.Noussommessortisdelavoiture.Mescheveuxontdansédanslevent.J’aiattrapéunélastiqueàmon
poignetet je lesaiattachéspourmedégager levisage.J’ai rejointPoppyavantde l’aideràsortir lesaffairesducoffre.Elleavaitemportéunpanierdepique-nique,unparasoletunsacàdos.Jenesavaispascequis’ycachait.Poppyaessayédetoutportertouteseule.J’aiinsistépourlesprendreàsaplace.Ellealevélatêteversmoi,l’airsurpris.—Rune…Elleaeffleurémonvisageduboutdesdoigts,lelongdemesjouesetsurmonfront.—Qu’est-cequ’ilya?—Jevoistonvisage.Elles’estmisesurlapointedespiedspourinspectermonchignon.—Tuestellementbeau,Rune.Terends-tucompteàquelpointtucomptespourmoi?J’aisecouélatête.Jenem’enrendaispascompte,etj’avaisbesoindel’entendre.Poppyaplacéma
mainsursoncœur,etaposélasiennesurlemien.—C’estcommelamusique,Rune.Quandjeteregarde,quandtumetouches,quandons’embrasse…
moncœurchante.Ilaretrouvésamoitié.Cellequiluimanquait.—Poppymin…Elleamisundoigtsurmeslèvres.—Écoute-les,Rune.Elleafermélesyeux.Jel’aiimitée.Etjelesaientendus.J’aientendunoscœursbattreàl’unisson.—Quandtuesprèsdemoi,moncœurs’envole.Ilbatcommeuntambour.Ilchantenotrechanson.Poppyaouvertlesyeuxetj’aiécrasémabouchesurlasienne.Elleaappliquélesmainssurmataille
ets’estagrippéeàmontee-shirt.Jel’aiplaquéecontrelavoiture.J’entendaisencorel’échodesoncœurdansmapoitrine.J’aicaressésalangueetelleapousséunsoupirdeplaisir.—Baisernuméroquatrecenttrente-deux.Àlaplage,avecmonRune.Moncœurapresqueéclaté.Elleadéposéunbaiser surma joueet ellea soulevé le sacàdos sur sonépaule. J’aivoulu le lui
prendre,maisellem’enaempêché.—Jenesuispasfaible,Rune.Pasencore.Jemesuisemparédupanieretduparasoletjel’aisuiviejusqu’àuncoinisoléenboutdeplage,près
delajetée.J’aireconnul’endroitexactoùjel’avaisembrassée.Avantderepartir,jel’embrasseraisiciànouveau.Pascommeungarçondeneufans,maiscommeunadolescentdedix-septans.Uncœurdeplusdanssonbocal.—Ons’installeici?—Ja.Nous avons posé les affaires par terre. J’ai planté le parasol dans le sable et Poppy a étalé une
couverture. Je lui ai fait signe de s’asseoir. Ellem’a embrassée sur lamain en passant.Mon cœur achanté,commelesien.Elles’estassise,lesyeuxfermés.Elleavaitl’airheureuse.Sajoiedevivreétaitsanslimite.Sansle
savoir,ellemedonnaituneleçond’humilité.Jemesuisassisàcôtéd’elleetj’airegardél’océanetlesbateauxauloin.Jemedemandaisoùilsallaient.—Tucroisqu’ilspartentàl’aventure?ademandéPoppy.—Jenesaispas.—Moi,jepensequ’ilslaissentleurancienneviederrièreeux.Ilssesontréveillésunmatinetilsont
décidédepartir.Danscelui-ci,c’estuncoupled’amoureuxquiexplore lemonde. Ilsontvendu toutesleursaffairesetontachetéunbateau.Elleaimelamusiqueetilaimelaphotographie.Poppyasourienposantlementonsursesgenoux.—Ilsferontletourdumonde,Rune.Ilsvivrontdemusiqueetd’art.Ilss’embrasserontdesmilliersde
foisetilsserontheureux.L’aventureparfaite.Qu’est-cequetuenpenses?J’étaisincapablederépondre.Poppys’esttournéeversmoietsonregards’estarrêtésurmespieds.
Ellealevélesyeuxauciel.—Enlèvetesbottes,Rune!Ilfaittropbeaupourporterdeschaussures.Elles’estmiseàgenouxetellelesaenlevéesàmaplace,enroulantmonjeanjusqu’auxchevilles.—Voilà!C’estmieux,pasvrai?Elleaéclatéderireetnousnoussommesallongéssurlacouverture.Elleaplacéunbrassurmataille,
quej’aicaresséenregardantleciel.— J’ai commencé à me sentir fatiguée peu de temps après ton départ. Tellement fatiguée que je
n’arrivaisplusàmelever.Moncœurs’estemballé.Poppyallaitenfinmeracontersonhistoire.—Mamèrem’aemmenéechezlemédecin.J’aipasséplusieursexamens.Toutlemondepensaitque
tondépartm’avaitsecouée.Lespremiersjours,j’aifaitcommesituétaispartienvacances,commesituallaisrevenir.C’estcequim’aaidéeàtenir.Maispluslessemainespassaient,plusjesouffraisdetonabsence.Enmêmetemps,j’avaismalpartout.Jedormaistoutletempsetjen’avaisplusd’énergie.OnnousaenvoyésàAtlantapoursubird’autresexamens.OnavécuchezmatanteDeeDeeenattendantlesrésultats.Poppyalevélatêteetaposéunemainsurmajoue,meforçantàlaregarderdanslesyeux.—Jenevoulaispas t’enparler,Rune. J’ai faitmineque tout allait bien. Jenevoulaispas te faire
souffrir davantage. Je voyais que tu allaismal. Chaque fois qu’on échangeait sur Skype, je sentais tacolèreettonchagrin.—Tum’asditqueturendaisvisiteàtatante,maispasquetuétaismalade.Poppyahochélatête.Elles’envoulait.Jelevoyaisdanssesyeux.—Jeteconnaisparcœur,Rune.J’avaispeurdetaréaction.Quelquesjoursplustard,lediagnosticest
tombé.J’étaisatteintedelamaladiedeHodgkin.Lanouvellenousabouleversés.Unefoislechocpassé,j’aibeaucouprepenséàmavie,àmavisiondumonde.J’aitoujoursvécuchaquejourcommesic’étaitledernier. Ce jour-là, j’ai compris pourquoi. Au fond, je sentais ce qui allait m’arriver. Je savais quej’auraismoins de temps que les autres.Quand lemédecin nous a annoncé qu’ilme restait deux ans àvivre,malgrélestraitementsetlesmédicaments,j’étaisprêteàl’entendre.Poppyavaitleslarmesauxyeux.Jemesuisretenudepleurer.—OnavécuchezDeeDee,àAtlanta.IdaetSavannahontchangéd’école.Monpèrevoyageaitpour
sontravail.J’aiétudiéàlamaisonetàl’hôpital.Mesparentsespéraientunmiracle,maisjesavaisquec’étaitpeineperdue.J’aigardélatêtehautemalgrélachimio,malgrélachutedemescheveux.Lepiredanstoutça,c’étaittonabsence.Parmafaute.Jevoulaisteprotéger,Rune.Jenevoulaispasquetumevoiesdanscetétat.Jevoyaisl’effetquelamaladieavaitsurmafamille.Ilétaittroptardpoureux,maispaspourtoi.Jepouvaisencoret’offrircequejeleuravaisvolé.Uneviesanstristesseetsansdouleur.—Çan’apasmarché,Poppy.—Jesais.J’aipenséà toi tous les jours.J’aipriépour toi.J’espéraisque lacolèreque j’avaisvu
naîtres’étaitenvoléedepuismonabsence.Raconte-moi,Rune.Dis-moicequis’estpassé.J’aiserrélamâchoire.Jenevoulaispasrevivretoutecettesouffrance,maisjenepouvaispasluidire
non.—J’étaisfurieux,Poppy.Personnenerépondaitàmesquestions,etmesparentsnemelâchaientpas
d’unesemelle.Monpèrememettaitlapression.Jeluienvoulaisdenousavoirséparés.Jeluienveuxencore.Poppyaouvertlabouche,sûrementpourprendresadéfense,maisjel’enaiempêché.—Non,Poppy.S’ilteplaît.J’aifermélesyeuxetjemesuisforcéàcontinuer.
—Aulycée,jetraînaisavecdesmecsencolère,commemoi.Jemesuismisàfairelafête,àboireetàfumer.Toutlecontrairedecequevoulaitmonpère.C’estdevenumavie.J’aijetémonappareilphotoetj’aicachétoutcequimerappelaitnotrehistoire.Pourtant,rienn’yfaisait.Jepensaisàtoitouslesjours.PuisonestrentrésauxÉtats-Unis.Ici.Quandjet’aivuedanslecouloir,pourlapremièrefois,macolères’estdécuplée.Jemesuisallongésurlecôté,faceàPoppy,etj’aiposéunemainsursajoue.—Tuétaistellementbelle,Poppy.Riennem’avaitpréparéànosretrouvailles.Enuninstant,tousles
effortsquej’avaisfaitspendantdeuxanspourt’oubliersesontenvolés.Enunregard.Puistum’asparlédetamaladie…Tuconnaislasuite.—Merci,Rune.—Ettoi?Pourquoies-turevenue?—Parce que c’était terminé. Plus rien ne fonctionnait. Je voulais rentrer à lamaison et vivremes
derniersinstantsici,entraitementpalliatif,entouréedeceuxquej’aime.Ellem’aembrasséeavectendresse.—Maintenant, tues là, toiaussi.C’étaitnotredestin,Rune.Ondevaitse retrouveraprès toutesces
années,àlamaison.Unelarmeadévalémajoue.Poppyl’aessuyéeduboutdesdoigts.—Jen’aipaspeurdelamort,Rune.Jesaisquemasouffrances’arrêteraunjour,quejepartiraien
paix.Maispourceuxquirestent,cettesouffranceneferaques’accroîtreavecletemps.Elleaprismamaindanslasienne.—Jeneveuxpasquemamortvousrendetristes,Rune.Jeveuxqu’onsesouviennedemoicommede
quelqu’un qui a vécu une belle aventure et qui a profité de chaque instant. Pourquoi gaspiller notretemps?Ilestsiprécieux.Etlavieesttellementcourte.Ilfautprofiterdechaqueminute,chaqueseconde.Voilàlemessagequejeveuxlaisserderrièremoi,lecadeauquejeveuxfaireàceuxquej’aime.J’aimaiscettefilleplusquetoutaumonde.J’admiraissavisiondelavie,etl’espoirqu’elleessayait
dem’insuffler. Il y avait une vie après elle.Voilà ce qu’elle essayait deme dire. Je n’y croyais pasencore,maisPoppyétaittêtue.Elleétaitprêteàtoutpourmeconvaincre.—Voilà,Rune.Tusais tout.Maintenant,neparlonsplusdemamaladie.Pensonsànotreavenir.Ne
soyonspasesclavesdupassé.Promets-le-moi.—Jetelepromets.Jemesuisbattucontrelechagrinquimedéchiraitdel’intérieur.Jerefusaisdeluimontreràquelpoint
j’étaistriste.Aujourd’hui,jemedevaisd’êtreheureux.Pourelle.J’aipasséunemaindanssescheveuxetunebrisenousacaressélapeau,emportantavecellelepoids
denossoucis.J’étaisentraindem’assoupirquandPoppyamurmuréàmonoreille:—Àquoiressembleraittonparadis,Rune?—Jenesaispas…Unendroitpaisible.Unendroitoùjetereverrai.—Moiaussi.Elleadéposéunbaisersurmontorseetelles’estendormiecontremoi,lesourireauxlèvres.Unvieux
couples’estinstalléàquelquesmètresdenous.Levieilhommeaétenduunecouverturesurlesable.Ilaembrassésafemmeetl’aaidéeàs’asseoir.
J’étais jaloux. Poppy et moi n’aurions pas cette chance. Nous ne vieillirions pas ensemble. Pasd’enfants.Pasdemariage.Rien.J’airetournémonattentionsurPoppy,sursesbeauxcheveuxbrunsetsesmainsdélicates,et jemesuis senti reconnaissantde l’avoiràmescôtés. Jenesavaispascequinousattendait,mais je l’avaisaujourd’hui. Je l’aimais depuis que j’avais cinq ans.Voilà pourquoi j’étaistombéamoureuxsijeune.Commeelle,j’avaispeut-êtrepressenticequel’avenirnousréservait.Uneheureplustard,Poppydormaitencore.Jel’aiallongéeàcôtédemoietjemesuisassis.Lesoleil
descendait vers l’horizon et les vagues caressaient le sable. J’ai ouvert le panier et j’ai sorti lesbouteillesd’eauquePoppyavait emportées.Enbuvant,mon regard s’estposé sur lemystérieux sacàdos.Jemedemandaiscequis’ycachait.Jel’aiattrapéetjel’aiouvertsansunbruit.Ilyavaitunpetitsacnoiràl’intérieur.Moncœurs’estemballédèsl’instantoùj’aicomprisdequoiils’agissait.J’aiposélesacnoirsurlacouvertureetj’aipasséunemainsurmonvisage.J’aifixél’océanetles
bateauxàl’horizon,repensantauxparolesdePoppy.Moi,jepensequ’ilslaissentleurancienneviederrièreeux.Ilssesontréveillésunmatinetilsont
décidédepartir.Danscelui-ci,c’estuncoupled’amoureuxquiexplorelemonde.Ilsontvendutoutesleursaffairesetontachetéunbateau.Elleaimelamusiqueetilaimelaphotographie.Ilaimelaphotographie…J’avaisabandonnélaphotodeuxansplustôt.Cen’étaitplusmapassion,nimonrêve.Jenevoulais
plusétudieràNewYork.Jen’avaisplusenviedetenirunappareildanslesmains.Pourtant,j’aiouvertlesacetjetéunœilàl’intérieur.Onauraitditmonvieilappareil,monCanonnoir.Impossible,ai-jepensé.Jel’avaisjetéàOslo.Ildevaits’agird’unautre,qu’elleavaittrouvésurInternet.Parcuriosité,jel’aisoulevéetjel’airetourné.Monnométaitinscritdessous.Jel’avaisgravélejour
demestreizeans,lejouroùmesparentsmel’avaientoffert.Poppyavaitretrouvémonappareilphoto.Ilyavaitunepelliculeàl’intérieuretdesobjectifsdanslesac.Jelesconnaissaisparcœur.Jesavais
encorelesquelsutiliserpourphotographierunpaysage,unportrait,unescènedenuit,dejour,enstudio…Derrièremoi,Poppys’estréveillée.Elles’estredressée,leregardposésurl’appareilphoto.—C’estmoiquienaiparléàtonpère,Rune.Jesuisalléelevoirhiersoir.Ilm’aditquetuavaisjeté
tonappareiletqu’ill’avaitrécupérédanstondos.Ilétaitcassé,etplusieursobjectifsétaientfêlés.Ill’aréparé,ilaachetédenouvellespelliculesetdenouveauxobjectifs.Ill’agardépendanttoutescesannées,enespérantquetuyreprendraisgoûtunjour.Ils’enveutbeaucoup,Rune.Ilpensequetuasarrêtéàcausedelui.J’aieuenviedecrier,dehurlerqueoui, toutétaitsafaute…mais jemesuis retenu.Quelquechose
m’enaempêché.—Tonpèreétaitémuauxlarmes.Iln’enavaitmêmepasparléàtamère.J’aifixél’appareildansmesmains.L’imagedemonpèreentraindelenettoyeretdeleréparerme
rongeaitdel’intérieur.—Ilaremisenétatlachambrenoire,Rune.Elleestprête.J’ai fermé les yeux.Mon cœur battait à tout rompre. Jem’étais juré de ne plus jamais prendre de
photos,etvoilàquel’objetdemonaddictionétaitlà,devantmoi.L’objetquej’auraisaiméignorer,toutcommemonpèreavaitignorémessentiments.Macolèreamonté.Monventres’estnoué.J’étaissurlepointd’exploserquandPoppys’estlevée.
Je l’ai regardée marcher jusqu’à l’océan. Ses pieds s’enfonçaient dans le sable et ses cheveuxdansaientdanslevent.Elleasoulevésarobejusqu’auxgenoux,elleatournélatêteversmoietelleaéclaté de rire en pataugeant dans les vagues. Poppy était libre, insouciante. Sa peau et ses yeux vertsscintillaientausoleil.Elleétaitmagnifique.Belleàencouperlesouffle.Par réflexe, j’ai approché l’appareil de mon œil. J’ai choisi le plus bel angle pour photographier
Poppydanslesvagues…etj’aiappuyésurledéclencheur.Moncœurbattaitcommeuntambour,soulagédecapturerPoppyàcetinstantprécis.Ilmetardaitdéjà
de développer cette photo. Je préférais les vieux appareils. J’adorais l’anticipation dans la chambrenoire,lasatisfactionetlafiertédedécouvrirsesclichés.J’avaiscapturéunmomentmagique.Poppy,danssonélément,piedsnussurlesable,lesjouesrougies
parlesoleil.Ellea levélesmainsenl’airet lebasdesarobeest tombédansl’eau.Elleacroisémonregardet
s’estfigéetelleunestatue.J’aiattendulebonmoment.Etilestarrivé.Lorsqu’ellem’avuavecl’appareildanslesmains,sonvisages’estilluminédejoie.Elleafermélesyeuxetj’aiappuyé,gravantcetinstantàjamais.Poppym’afaitsignedelarejoindre.Jemesuislevéetj’aimarchéjusqu’àelle,monappareilautour
ducou.Jel’aipriseparlamain,etellem’aembrassé.Jemesuisperdudansnotrebaiser,brisantpeuàpeulebouclierquejeportaisdepuisdeuxlonguesannées.J’aisoulevél’appareilau-dessusdenousetj’aiappuyé,àl’aveugle.Mêmeaveclesyeuxfermés,j’étaisconvaincud’avoirprislaplusbellephotodelajournée.Noussommesretournésnousasseoirsurlacouverture.J’aipasséunbrassursesépaulestièdesetje
l’aiserréecontremoi.J’aidéposéunbaisersursonfrontetellem’aregardédroitdanslesyeux.J’avaisenviedelaremercierpoursoncadeau,maislesmotsnevenaientpas.—Derien,a-t-ellemurmuré,lisantdansmespensées.Jenem’étaispassentiaussibiendepuislongtemps.Depuisdeuxans.—Regarde,Rune.Nos tracesdepasdans lesable.Deuxpaires,quatreempreintes.Commedans le
poème.Ellealevélatêteetm’asouri.Jenecomprenaispasdequoielleparlait.—C’estmonpoèmepréféré,etaussiceluidemagrand-mère.—Qu’est-cequ’ilraconte?—C’esttrèsspirituel,Rune…Jenesaispass’ilvateplaire.—Dis-le-moiquandmême.J’avaisenvied’entendresavoix.J’adoraisquandellemeparlaitdechosesquilapassionnaient.—C’estl’histoired’unhommequifaitunrêve.Danssonrêve,ilmarchesurlaplage,àcôtédeDieu.J’ailevélesyeuxauciel.Poppyaéclatéderire.—Jet’avaisprévenu!—Excuse-moi,ai-jeditensouriant.Continue.Elleapousséunsoupirets’estmiseàdessinerdeshuitdanslesable,lesymboledel’infini.—L’hommevoitsavieentièredéfilerau-dessusdelui,danslecielnoir.Commeunfilm.Àlafinde
chaque scène, de nouvelles traces de pas apparaissent derrière lui, dans le sable. Quand le film est
terminé,ildécouvrequelquechosedetroublant.Pendantlesmomentslesplustristesdesavie,uneseulepaire d’empreintes s’est dessinée dans le sable.Les siennes.Et pendant lesmoments les plus joyeux,deuxpairesd’empreintessontapparues.JemedemandaisoùPoppyvoulaitenvenir.Ellealevélatêteversleciel,leslarmesauxyeux.—L’hommeestconfus.Après tout, leSeigneurprometàsesdisciplesderesterà leurscôtésdurant
touteleurvie.IlnecomprendpaspourquoiDieul’aabandonnédanslesmomentsdifficiles.Ildécidedeluiposerlaquestion.Poppyatournélatêteversmoi.Unelarmeadévalésajoue.— Dieu lui répond qu’il a toujours été là. Pendant les périodes les plus sombres, celles où ses
empreintesontdisparu,iln’apasmarchéàsescôtés.Ill’aporté.Elleablottisatêtecontremonépaule.—Jesaisque tun’espascroyant,Rune,maiscepoèmeestuniversel.Onconnaît tousdesgensqui
nous soutiennent dans lesmoments difficiles. Que ce soit Dieu ou un proche. Quand on ne peut plusmarcher,quelqu’unvientànotreaide,etnousportejusqu’àcequ’onaillemieux.J’aifixénosempreintesdanslesable.Jenesavaispasquiportaitqui.Poppyinsinuaitquec’étaitmoi
quil’aidaispendantcesderniersmois,maisjecommençaisàpenserl’inverse.C’étaitellequiétaitentraindemesauver.Ellealevélatête,lesjouescouvertesdelarmes.—C’estbeau,n’est-cepas?J’ai hoché la tête. Jenepouvaispasparler.Pas après cequ’ellevenait deme raconter. Jeme suis
concentrésurl’océanetellem’asouri.Elleavaitl’airfragile,toutàcoup.—Est-cequeçava?—Jesuisfatiguée,Rune.Ellemebrisait lecœur.Pluslesjourspassaient,plusellemanquaitd’énergie.Ellenes’enplaignait
pas,maisjelevoyaissursonvisage.—Tuasledroitd’êtrefatiguée,Poppy.—Jesais,maisjedétesteça.Dormir,c’estunepertedetemps.—Tuasbesoindesommeilpourreprendredesforcesetvivredenouvellesaventures.Etpuis,tusais
àquelpointj’aimequandtut’endorsdansmesbras.Poppyapousséunsoupir.—Iln’yaquetoipourmefaireaimercequejedétesteleplusaumonde.Jel’aiembrasséesurlajoueetj’airassemblénosaffaires.J’airegardélajetéeducoindel’œil,tendu
lamainversPoppy.—Tuviens?Ensouvenirdubonvieuxtemps.Je l’ai aidée à se lever, et nous avonsmarché,main dans lamain, jusqu’à l’endroit exact de notre
baiser.J’aiposé lesmainssurses joues tièdesavantde l’embrasser lentement, tendrement.J’aiécartémonvisagedusien,savourantlegoûtdecerisesurseslèvres.Poppyaouvertlesyeux.Elleétaitàboutdeforce.—Baiser quatre cent trente-trois, ai-je dit à sa place. AvecPoppymin, sur la plage.Mon cœur a
presqueéclaté.Parcequejel’aime.Jel’aimeplusquetout.Bouleverséeparmaconfession,Poppya écarquillé lesyeux.Des larmesontdévalé ses joues.Elle
s’estagrippéeàmamain,blottissantsajouecontremapaumefroide.—Jet’aimeaussi,RuneKristiansen.Jen’aijamaiscessédet’aimer.Elles’estmisesurlapointedespiedsetaposésonfrontcontrelemien.—Tuesmonâmesœur,Rune.Jemesuissenticalme,apaisé.Poppys’estjetéedansmesbrasetjel’aiserréecontremoi.—Rentronsàlamaison.Poppyahochélatête.Nousavonsrécupérénosaffairesetmarchéjusqu’àlavoiture.J’aiattrapéles
clésdanssonsacetj’aiouvertlaportièrecôtépassager.Jel’aisoulevée,jel’aiassisesurlesiègeetj’aiattachésaceinture.J’aidéposéunbaisersursonfrontetelleapousséunsoupir.—Jesuisdésolée,Rune.Tellementdésolée…—Dequoi?Elleavaitl’airtriste.J’aiglisséunemèchedecheveuxderrièresonoreille.—Det’avoirrayédemavie.Monventres’estnoué.Elleaéclatéensanglots.—J’auraisdûtedirelavérité,Rune.Onauraittrouvéunmoyendetefairerevenir.Tuauraisétéàmes
côtéspendantcesdeuxannées.Tum’auraissoutenueetaimée,etjet’auraisaiméenretour…Jesuisunevoleuse!J’aivolédeuxansdenotrehistoire.Pourrien.Elles’estagrippéeàmonbras,commesielleavaitpeurquejem’enfuie.Elleavaitbesoinquejela
rassure.—Toutvabien.Jesuislà,Poppy.J’aiposésamainsurmoncœuretj’aiséchéseslarmes.Ellearespiréenrythmeavecmoi.—Jen’acceptepas tesexcuses,Poppymin.Tun’as rienà te reprocher.Lepasséestderrièrenous.
C’est toiqui l’asdit.Cequicompte,c’est lemomentprésent.Notredernièreaventureensemble.Pourtoujours.—Pourlavie.Elleasourietj’aipousséunsoupirdesoulagement,heureuxd’avoirsularéconforter.—MaPoppyestderetour.—Jenesuisjamaispartie.Jesuistoujourslà.Amoureusedetoi.Ellem’a embrassé une dernière fois et s’est enfoncée dans son siège. J’ai fermé la portière et j’ai
entendusavoixfluettedansmondos.—Baiserquatrecenttrente-quatre.AvecmonRune,àlaplage.Quandilm’aditqu’ilm’aimait.Elleafermélesyeuxets’estendormie.Elleavait les jouesrougiespar les larmeset lesourireaux
lèvres.Elleétaitparfaite.Jemesuisassissurlecapotdelavoitureetj’aiattrapéunecigarettedanslapochedemonjean.J’ai
regardélesoleilsecoucheràl’horizon.Lecielétaitteintéd’orangeetderose.Laplageétaitquasimentvide.Levieuxcoupleétaitencore làmais,cettefois, jenemesuispassenti jaloux.J’ai tournéla têteversPoppy,quidormaitpaisiblementdanslavoiture,et jemesuissentiheureux.Moi.Heureux.Parcequ’elleétaitlà…amoureusedemoi…
Poppyminm’aimait.Etc’étaitsuffisant.C’étaittoutcequicomptait.J’aiécrasémacigaretteparterreetj’aiprisplacederrièrelevolant.Jemesuiséloignédelaplage,
convaincuquenousyreviendrionsunjourensemble.Etsicen’étaitpaslecas,commel’avaitditPoppy,nousaurionsaumoinsvécucettejournée.Cesouvenir.Cebaiser.Etellem’avaitoffertsoncœur.
*
Jemesuisgarédansl’allée.Lanuitétaittombéeetlesétoilesscintillaientdansleciel.Poppyavaitdormid’unetraite.Jesuissortide lavoiture, j’aiouvertsaportièreet j’aidétachésaceinture.Je l’aiprisedansmesbras.Poppyétaitlégèrecommeuneplume.Elles’estblottiecontremoitandisquejelaportais jusque chez elle. La porte s’est ouverte.M.Litchfield s’est décalé pourme laisser passer. LamèreetlessœursdePoppyregardaientlatélédanslesalon.Samères’estlevéeennousvoyant.—Toutvabien?—Trèsbien,ai-jerépondu.Elleestjustefatiguée.MmeLitchfieldadéposéunbaisersurlefrontdesafille.—Bonnenuit,mapuce.J’aitraversélecouloir,jesuisentrédanslachambreetj’aidéposéPoppysursonlit.Parréflexe,elle
atenduunbrasdemoncôtédulit.Jemesuisassisetjel’aiembrasséesurlajoue.—Jet’aime,Poppymin.Pourtoujours.Enmelevant,jemesuisretrouvéfaceàfaceavecM.Litchfield.Ilavaittoutentendu.J’aitraverséle
couloirensilenceetj’airécupérémonappareilphotodanslavoiture.JesuisrevenusurmespaspourrendrelesclésdePoppyàsesparents.M.Litchfieldestsortidusalonetm’atendulamain.Jelesluiaidonnéesetjeluiaitournéledos.—Vousavezpasséunebonnejournée?Saquestionm’asurpris.J’aihochélatêteetj’aisaluéMmeLitchfield,IdaetSavannahdelamain.—Ellet’aimeaussi,Rune.J’airegardélepèredePoppydroitdanslesyeux.—Jesais.Jesuissortide lamaisonet j’ai traversé lapelouse jusquechezmoi.J’aiposé l’appareilphotosur
monlit.J’étaiscurieuxdedécouvrirlesclichésdenotrejournée.LesportraitsdePoppy,dansantdanslesvagues.Je suis descendu dans la chambre noire. Quand j’ai ouvert la porte, une vague d’émotions s’est
emparéedemoi.Poppyavaitraison.Monpèreavaittoutpréparé.Monéquipementétaitenplace,commeàl’époque.Lescordesetlespincesàlingen’attendaientquemoi.J’aidéveloppémesphotosavecuneaisanceétonnante.Chaqueétapemesemblaitnaturelle.Jen’avais
rienoublié.Poppy savait que j’avais besoinde cette passiondansmavie. J’étais trop aveuglépar lepassépourm’enrendrecompte.Uneheureplustard,lesphotosontprisformesousmesyeux.L’uned’ellesaattirémonattention.Le
momentoùPoppyatournélatêteversmoi,fixant l’objectifpar-dessussonépaule.Elletenaitsarobe,pieds nus dans les vagues et les cheveux dans le vent.Le soleil illuminait son visage, tel un coup deprojecteurattiréparsabeautéetsajoiecontagieuse.J’aiapprochéundoigtdelaphoto,dessinantsonvisage,seslèvresetsesjoues.Ceportraitconfirmait
cequej’avaistoujourssu:unjour,jedeviendraisphotographe.Quelqu’unafrappéàlaporte.—Ja?Monpèreestentrédanslachambrenoire.Sonregards’estposésurlarangéedephotosaccrochées
devantmoi.Uneminutes’estécoulée.Uneminutedesilence.—Elleestmagnifique,Rune.Ilfixaitlaphotoquej’avaisadmiréequelquesinstantsplustôt.Monpèreétaitsurlepointderepartir
quandjemesuistournéverslui.—Merci,ai-jemurmuré.Ils’estarrêténet,lamainposéesurlapoignée.—Tun’aspasàmeremercier,Rune.Jamais.Ilafermélaporteetm’alaisséseul.J’aichoisideuxphotos,etjesuisretournéàl’étage.Entraversant
lecouloir,jesuispassédevantlachambred’Alton.Ilétaitassissursonlit,devantlatélé.J’aihésitéuninstant,puisjesuisentrédanssachambre.Altonm’asouri.—Hei,Rune.—Hei.Qu’est-cequeturegardes?—LeMonstredel’étang.Tuveuxleregarderavecmoi?Ilapasséunemaindanssescheveux.Ils’attendaitàcequejedisenon.Jelesentais.—D’accord.Ilaécarquillélesyeux.J’aiavancéd’unpas,etils’estdécalépourmefaireuneplacesursonpetitlit.
Jemesuisallongéàcôtédelui.Nousavonsregardélefilmensilence.Monpetitfrèrem’observaitducoindel’œil.J’aicroisésonregard,etilarougi.—J’aimebienpasserdutempsavectoi,Rune.—Moiaussi,Alton.Quelquesminutesplustard,ils’estendormi.J’aiéteintlatélévisionetjesuissortidesachambre.Ma
mèreétaitdanslecouloir,émueparlascèneàlaquelleellevenaitd’assister.Jeneluiairiendit.Jesuisentrédansmachambreetj’aifermélaporteàclé.J’aiposéunephotosurmonbureauavantdesortirparlafenêtrepourrejoindrePoppydanssachambre.Elledormaitencore. J’aienlevémon tee-shirtet j’aiposé l’autrephotoàcôtédesonoreiller,pour
qu’ellelavoiedèssonréveil.C’étaitcellequej’avaisprisedenousdeux,pendantnotrebaiser.Alors,jemesuisallongéàcôtédePoppy.Elleaposélatêtesurmontorse,enroulantunbrasautourde
mataille.Quatreempreintesdanslesable.
11
NUAGESETÉTOILES
Poppy
Troismoisplustard
—Poppy?J’aiouvert lesyeuxet jemesuis redresséedansmon lit. J’ai tendu l’oreille, espérantnepasavoir
rêvé.—DeeDee?Des voix ont retenti dans le couloir, la porte s’est ouverte, et ma tante est apparue. Elle avait un
chignonsurlatêteetportaitsonuniformed’hôtessedel’air.Elleétaittoutepimpanteetsouriante.Elles’estassisesurlereborddulitpourmeserrerdanssesbras.—Qu’est-cequetufaislà,DeeDee?—Jet’emmène,a-t-elleréponduenmefaisantunclind’œil.Deux semaines plus tôt, ma tante avait passé Noël et le Nouvel An avec nous. Je la savais très
occupée,cemois-ci.Moi,j’étaisaulitdepuisplusieursjours.J’avaispassédesexamens,etmonniveaude globules blancs était trop bas. On m’avait fait une transfusion et donné des médicaments. J’étaisconfinéedansmachambrepouréviterdetombermalade.Lesmédecinsvoulaientquejeresteàl’hôpital,maisj’avaisrefusé.Jenevoulaispasperdremontempsloindechezmoi.Jesavaisquemoncancerétaitentraindeprogresser.Chaquesecondeétaitprécieuse,etj’étaisplusheureuseàlamaison.Runeétaitlàpourmeprotégeretm’embrasser.Jen’avaisbesoinderiend’autre.J’aijetéunœilàmonréveil.Ilétait16heures.Runerentreraitbientôtdulycée.Jel’avaisforcéàaller
encours.C’était sadernièreannée. Il lui fallaitdebonnesnotespourentrerà l’université. Je refusaisqu’ilmettesavieentreparenthèsesàcausedemoi.Matanteabondidulit.—Àladouche,Poppy!Onpartdansuneheure.J’avaisdesdizainesdequestionsàluiposer,maisDeeDeeestsortiedelachambreavantquej’enaie
letemps.Jemesuislevéeetjemesuisétirée.Jemesentaismieux.Plusforte.Assezfortepoursortirde
lamaison.J’aiprismadouche,jemesuismaquilléeetjemesuisattachélescheveux,avecmonnœudblancsur
le côté. J’ai enfilé une robe verte et un pull blanc par-dessus. J’étais en train demettremes bouclesd’oreillesquandlaportes’estouverte.Runeestentré.Ilm’aprisedanssesbras,etj’aienroulélesmiensautourdesataille.Ilsentaitbon.Ilareculéd’unpasetilm’aembrassée.—Tuasl’aird’allermieux.—Jemesensmieux,Rune.—Super.Sinon,ilauraitfalluannuler.—Annulerquoi?Ilasourietapprochélabouchedemonoreille.—Notreprochaineaventure.Moncœurs’estemballé.—Uneaventure?Runem’adonnélamain,etnoussommessortisdemachambre.Iln’enparlaitjamais,maisjesavais
qu’ils’étaitfaitdusoucipourmoi,cesdernièressemaines.Jelevoyaisdanssesyeuxchaquefoisqu’ilmeregardait.Ilsedemandaitcombiendetempsilnousrestait.Ilétaitterrifié.Moi, j’étais prête à affronter les épreuves quim’attendaient. Je ne craignais pas lamort. Je savais
qu’unenouvellevies’ouvriraitbientôtdevantmoi.Pourtant,l’inquiétudedeRunesemaitledouteenmoi.Pluslesjourspassaient,plusj’avaispeurdelequitter.Peurdesonabsence.Peurdeneplussentirsesbrasautourdemoietsesbaiserssurmeslèvres.Runeacroisémonregard,commes’ilavaitludansmespensées.J’aihochélatêtepourlerassurer…
oupourmerassurermoi.—Ellenesortirapasdecettemaison!Lavoixdemonpèrearésonnéjusquedanslecouloir.Runeapasséunbrassurmesépaules.Toutle
mondeétaitdanslesalon.Monpèreétaitrougedecolère.Mamèreaposéunemainsursondos.Matanteavaitlesbrascroiséssurlapoitrine.—Poppy…amurmurémonpère.Ils’estapprochédemoi.Runeestrestéàmescôtés.—Qu’est-cequisepasse,papa?J’aiprissamaindanslamienne.Jemesuistournéeversmamère,quiapousséunsoupir.—On a organisé ce voyage il y a plusieurs semaines.Rune a demandé de l’aide à ta tante.On ne
pensaitpasquetasantésedétérioreraitaussivite.Tonpèreneveutpasquetupartes.—Partiroù?—C’estunesurprise,aréponduRune.Monpèrem’aregardéedroitdanslesyeux.—Tonniveaudeglobulesblancsesttropbas,Poppy,ettonsystèmeimmunitairetropfaible.Iln’est
pasprudentdeprendrel’avion.—L’avion?Jevaisprendrel’avion?
Runeahochélatête.Mamèreaposéunemainsurmonbrasets’estéclaircilavoix.—J’enaiparléaumédecin.Ilpensequ’àcestadedetamaladie…tudevraisyaller,situenasenvie.Jesavaiscequesous-entendaitlemédecin.Ilmeconseillaitdevoyageravantqu’ilsoittroptard.—J’enaienvie.J’ailevélatêteetRunem’am’embrassée.Devantmafamille.Ils’estdirigéversmatante.Ilyavait
unevaliseparterre.Ill’aramasséeetl’aportéejusqu’àlavoiture.Monpèreaserrémamaindanslasienne.Ilétaitmortd’inquiétude.J’aidéposéunbaisersursajoue.—Jesaisquec’estrisqué,papa.Jesaisquetutefaisdusoucipourmoi,quetuaspeurquejesouffre.
Maiscequimefaitsouffrir,c’estderesterenferméecommeunoiseauencage.J’aibesoindesortir.Jeneveuxpaspasserlepeudesemainesquimerestentcloîtréedansmachambre.J’aibesoindevivre…J’aibesoindecetteaventure.J’avaisleslarmesauxyeux.Ilahésitéuninstant,puisilahochélatête.Unevaguedebonheurs’est
emparéedemoi.Jemesuisjetéedanssesbrasetilm’aserréefortcontrelui.J’aiembrassémamère.Matantem’atendulamain.Monpèrel’aregardéed’unairméfiant.—Jetefaisconfiance,DeeDee.Prendssoind’elle.—Tumeconnais,James.J’adoremanièce.Rienneluiarrivera,fais-moiconfiance.—Trèsbien.Etjeleurinterdisdedormirdanslamêmechambre.J’ailevélesyeuxauciel.Monpères’estlancédansunelistedeconditionsàrespecter,maisjenel’ai
pasécouté.J’airegardéRuneàtraverslaporteentrouverte.Ilétaitdosaumurdelamaison,unecigaretteàlabouche,sesgrandsyeuxbleusfixéssurmoi.Ilasouffléunnuagedefuméeetécrasésacigaretteparterre.J’ailâchélamaindeDeeDeeetj’aifermélesyeuxpourgravercetteimagedansmamémoire.Monmauvaisgarçon.MonViking.Jel’airejointdehorsetjemesuisblottiedanssesbras.Ilm’asoulevée,décollantmespiedsdusol.
J’aiéclatéderire.—Prêtepourunenouvelleaventure?—Prête.Ilaposésonfrontcontrelemien.—Jet’aime,Poppymin.—Jet’aimeaussi,Rune.Ilm’asourienmereposantparterre.Mesparentssesontplantéssurlepasdelaporte.DeeDees’est
dirigéeverslavoiture.—C’estparti!Jeneveuxpasqu’onratenotreavion.J’aiditaurevoiràmesparentsetjemesuisassiseàl’arrièreavecRune.Maindanslamain,comme
toujours.J’aijetéunœilparlavitretandisquematantereculaitdansl’allée.J’airegardélecieletlesnuages,conscientequejevoleraisbientôtparmieux.Jepartaisàl’aventure.UneaventureavecmonRune.
*
—NewYork?ai-jerépétéenlisantl’écran.Runem’asourid’unairsatisfait.—Onavaitditqu’oniraitensemble,pasvrai?Ceserajustepluscourtqueprévu.J’en avais le souffle coupé. J’ai enroulémesbras autour de sa taille et j’ai posé la tête contre lui.
DeeDeeaéchangéquelquesmotsavecunehôtesseàlaported’embarquement.—Allez,lestourtereaux.C’estl’heure.Nousl’avonssuiviedanslecouloirquimenaitàl’avion.Ellenousaguidésjusqu’ànosplaces.Deux
siègesenpremièreclasse.Voyantmasurprise,matanteahaussélesépaules.—Àquoibontravaillerenpremièreclassesijenepeuxpasyfairevolermaniècepréférée?Jemesuisjetéedanssesbras,etellem’aserréeplusfort,pluslongtempsqued’habitude.Elles’est
écartéedemoi,leslarmesauxyeux,etelleadisparuderrièrelerideau.Runem’apriseparlamainetm’amontrélesiègecôtéhublot.—Pourtoi,Poppy.J’étaisexcitéecommeunepuce.Jemesuisassiseetj’aiobservélesgensquitravaillaientsurlapiste.
Touslesvoyageursontprisplace.L’avions’estmisàbouger.J’aipousséunsoupirdebonheur.—Merci,Rune.Ilm’aregardéedroitdanslesyeux.—JevoulaisquetuvoiesNewYork.Jevoulaisyalleravectoi.Ils’estpenchépourm’embrasser,maisjel’enaiempêché.—Tum’embrasserasdansleciel.Danslesnuages.Sonsoufflementholém’acaressélajoue.Ilafaitsemblantdebouder,alorsj’airitandisquel’avion
décollait. Une fois dans le ciel, Rune a plongé une main dans mes cheveux et m’a embrassée avecpassion.Jemesuisagrippéeàsontee-shirtetj’aicaressésalangueaveclamienne.—Baisernumérohuitcenthuit.Dansleciel,avecmonRune.Moncœurapresqueéclaté.Lorsquel’avionaatterri,j’avaisplusdedixbaisersàajouteràmonbocal.
*
—C’estpournous?DeeDeeavaitréservénonpasunechambre,maisunesuitedansunluxueuxhôteldeManhattan.Même
Runen’enrevenaitpas.—Tamèren’estpasaucourant,maisjesorsavecquelqu’undepuisquelquesmois.Disonsquec’est
uncadeaudesapart.Ellem’afaitunclind’œil.J’étaistellementcontentepourelle!Matanteétaitcélibatairedepuisdes
années,etjevoyaisàsatêtequecethommelarendaitheureuse.—Ill’aréservéerienquepournous?—Ilnel’apasréservée.Ilestpropriétairedel’hôtel.J’ensuisrestéebouchebée.Runeaposéundoigtsurmonmentonpourlafermer.
—Tuétaisaucourant?—DeeDeem’aaidéàtoutorganiser.—C’estbiencequejedisais!Tuétaisaucourant.Rune s’est contenté de hausser les épaules. Il a porté la valise dans la chambre, ignorant les
instructionsdemonpère.—Cegarçonestfoudetoi,aditmatante.—Jesais.J’étaisheureuse,malgrélapeurquiprenaitpeuàpeuplacedansmonventre.—Merci,DeeDee.—Jen’ysuispourrien.C’estRunequ’ilfautremercier.Jen’aijamaisvudeuxadosaussiamoureux
demavie!Profitedetontempsaveclui,mapuce.—Promis.Elles’estdirigéeverslaporte.—Onesticipourdeuxnuits.JeseraiavecTristandanssasuite.Appelle-moisi tuasbesoin.Jene
seraipasloin.—D’accord.Ellea fermé laportederrièreelle.Cetendroitétait incroyable.Lesplafondsétaient trèshautset la
pièceétaitgigantesque.LabaievitréeoffraitunevuepanoramiquesurNewYork.J’aireconnuleslieuxmythiquesquej’avaisvusdanslesfilms:l’EmpireStateBuilding,CentralPark,lastatuedelaLiberté,leFlatironBuilding,laFreedomTower…Ilyavaittellementdechosesàvoir!Devantmois’étendaitlaville dans laquelle j’aurais dû vivre, où jeme serais sentie chezmoi.Mes racines étaient àBlossomGrove,maisNewYorkm’auraitdonnédesailes.EtRuneauraitétéàmescôtés.Ilyavaituneporteàmagauche,quidonnaitsuruneterrasse.Curieuse,j’aitournélapoignée.Unvent
glacé s’est engouffrédans lapièce. J’ai fermémonmanteauet je suis sortie. Ily avaitunbancetdesfleursd’hiverenpots.Desfloconsdeneigetournoyaientautourdemoi.J’aijetélatêteenarrièrepourles sentir sur mon visage. Ils se sont écrasés sur mes cils, chatouillant mes paupières. J’ai marchéjusqu’au bout de la terrasse.Une plaque était fixée aumur, décrivant le panorama.Runem’a rejointedehors.Ilaenroulélesbrasautourdematailleetposélementonsurmonépaule.—Tuesheureuse,Poppy?Ilparlaitàvoixbasse,commepournepasperturbercehavredepaix.—Jen’arrivepasàycroire,Rune.Tum’asoffertNewYork!Ilm’aembrasséesurlajoue.—Ilesttard.Unegrossejournéenousattenddemain.Ilfautquetutereposes.Jemedemandaiscequ’ilavaitprévu.Toutàcoup,uneidéem’atraversél’esprit.—Rune?—Ja?—Est-cequejepourraiaussit’emmenerquelquepart?—Biensûr.
Ilaplongésesyeuxdanslesmiens,essayantdecomprendrecequejemanigançais.Ilnem’apasposédequestion.Tantmieux.Sijeleluiavaisdit,ilauraitrefusé.—Merci,Rune.Ilm’avaitoffert cevoyage, et je luioffriraisquelquechoseenéchange. Jevoulais lui rappeler son
rêve,unrêveréalisablemêmeaprèsmondépart.—Ilestl’heurededormir,Poppymin.—Avectoiàmescôtés.—Biensûr.Jet’aifaitcoulerunbainetj’aicommandéàmanger.Après,aulit.Jemesuisretournéeetjemesuismisesurlapointedespieds.J’aiposélesmainssursesjoues.Elles
étaientglacées.—Jet’aime,Rune.Je le lui répétais souvent, et je le pensais toujours autant. Je voulais qu’il sache à quel point je
l’adorais.Runeapousséunsoupiretm’aembrasséeavectendresse.—Jet’aimeaussi,Poppymin.Ilm’aguidéejusqu’àlasalledebains.Aprèsmonbain,nousavonsmangéetnoussommesallésnous
coucher.Jemesuisblottiecontreluiaumilieudel’immenselitàbaldaquin.Jemesuisendormiedanssesbras,unsourireauxlèvresetdanslecœur.
12
CŒURETBEAUTÉ
Poppy
Moiquipensaisconnaîtrelevent,rienn’étaitcomparableauxbourrasquesglacéesquifouettaientnosvisages au sommet de l’Empire State Building. Moi qui pensais avoir été embrassée de toutes lesmanièrespossibles, rienn’était comparable auxbaisersqueRunem’avaitoffertsdevant le châteauduBelvédère à Central Park, sur la couronne de la statue de la Liberté et au milieu de Times Square,entourésdepassantspressés.Lesgensallaienttropvite.Ilsavaientletempsdevivre.Pasmoi,etj’essayaisdeprofiterdechaque
instant.Desavourerchaqueexpérience.Derespireretd’entendrechaqueodeuretchaquebruit.Chaquebaiserétaitdifférent.Certainsétaient lentsetdoux.D’autresrapidesetpassionnés.Tousme
rendaientheureuse.Tousfiniraientdansmonbocal.Après avoirmangéundélicieux repas auStardustDiner–devenumon troisièmeendroit préféré au
monde–,noussommessortis,maindanslamain,surletrottoirenneigé.Runearemontémoncolautourducou.C’étaitàmontourdel’emmenerdansunendroitsecret.—Tuasdeuxheures,Poppy.Après,onreprendmonprogramme.Jeluiaitirélalanguepourletaquiner.Ilm’aembrasséeavecpassion.Ilaécartésonvisagedumienet
ilm’aoffertungrandsourire.—Tul’ascherché.Depuis son retour d’Oslo, nous n’étions pas allés plus loin.Au fil des semaines, j’ai senti l’envie
renaîtreenmoi.Lessouvenirsdenotrepremièrenuitensembledéfilaientdansmatête,vifsetpuissants.Je ne souvenais encore de son regard, de sa chaleur, de ses caresses. Jeme souvenais de son visageaprès.Nous savionsquecetteexpériencenousavait changésà jamais.Nousétions liéspour toujours,corpsetâmes.Runeaposéunemainsurmajoue.—Tuesbrûlante.—Jevaisbien.J’aiprissamaindanslamienneetj’aicontinuéàmarcher.Ilavaitl’airinquiet.—Poppy…
—Jetejurequejevaisbien.Ilaglisséunbrassurmesépaulesetj’aicherchélenomdelarue,essayantdemerepéreretdetrouver
monchemin.—Oùest-cequetum’emmènes,Poppymin?J’airefuséderépondre.Runes’estalluméunecigarette.J’enaiprofitépourregarderautourdemoi.
J’adorais New York. J’adorais ses habitants, ses artistes, ses hommes d’affaires et ses rêveurs, tousdifférentsmaistousliés.J’adoraislesruesbondéesetlescoupsdeklaxon,lasymphonieparfaited’unevillequinedormaitjamais.J’aiaspiréunegrandeboufféed’airet inhalé l’odeurdeneigefraîche,mêléeàcelledelafuméede
cigarette,désormaisfamilière.—C’estcequ’onauraitvécu,ai-jemurmuré.Runeatournélatêteversmoi.—On aurait exploré la ville, bu des cafés avec nos amis, traversé les rues pour aller en cours ou
rentreràlamaison.Tum’auraisserréecontretoi,commeaujourd’hui,ettum’auraisracontétajournée.L’imageétaitordinaire,maisellem’afaitsourire.Jen’avaispasbesoindegrandsgestesnidecontes
defées.Jenedemandaispaslalune.Toutcequejevoulais,c’étaitunevienormaleaveclegarçonquej’aimais.Rune est resté silencieux. Lorsque je parlais ouvertement d’un avenir qui n’aurait pas lieu, Rune
préféraitsetaire.Jelecomprenais.Ilessayaitdepréserversoncœurdéjàbrisé.Jesavaisquej’enétaislacausemaisj’espérais,aufonddemoi,êtreaussisonremède.J’aienfinaperçulabannièreaccrochéeaubâtiment.—Onyestpresque.Runearegardéautourdelui.Jenevoulaispasqu’ilcomprenneoùjel’emmenais.Pasencore.Ilafini
sa cigarette et l’a écrasée par terre. Je l’ai guidé jusqu’à l’immeuble en question avant de retirer nosticketsàl’accueil.Runeapayéàmaplace.Jel’aiembrassésurlajouepourleremercier.—Unvraigentleman.—Cen’estpascequepensetonpère.J’aiéclatéderire.Ilm’aattiréecontrelui.—Chaquefoisqueturis,j’aienviedeteprendreenphoto.—Jesais,Rune.Ilétaitheureuxavecmoi.Moi,jevoulaisqu’ilapprenneàêtreheureuxseul,mêmesijeresteraiàses
côtéslongtempsaprèsmamort.—Suis-moi.Maindanslamain,nousnoussommesdirigésverslesportesbattantesquidonnaientsurl’exposition.
Lasalleétaitimmenseetlesmursétaientrecouvertsdephotographies.Runes’estarrêtéàl’entrée.J’ailevélatêtejusteàtempspourvoirsaréaction.Ilavaitl’airàlafoissurprisetfasciné.Sonrêveétaitlà,devantlui.Uneexpositiondephotographiesquiavaientmarquéetchangélemonde.Ilm’aregardéedroitdanslesyeux.J’aiposéunemainsurl’appareilphotoaccrochéàsoncou.—J’aientenduparlerdecetteexpositionl’autrejour.Ilfallaitquetulavoies,Rune.Elleestlàjusqu’à
l’annéeprochaine,maisjevoulaislapartageravectoi.Ilaclignédesyeuxetserrélamâchoire.Jenesavaispassic’étaitbonoumauvaissigne.J’aiattrapé
unguide,etnousavonsavancéjusqu’à lapremièrephotographie, leportraitd’unmarinquiembrassaitune infirmièreaumilieudeTimesSquare. J’ai lu la légende :«NewYork.14août1945.V-JDay inTimesSquare,parAlfredEisenstaedt.»J’aisentil’excitation,laliesseetlajoiequisedégageaientdecetteimage.Commesij’yétais,commesijepartageaiscetinstantaveceux.Runeaétudiélaphoto,latêtepenchéesurlecôté.Sonexpressionn’apaschangé,maissamâchoire
s’estdétendue.Sesdoigtsontremuécontrelesmiens.J’aipousséunsoupirdesoulagement.Ilavaitbeaulecacher,jesentaisqu’iladoraitdéjàcetteexposition.Jel’aiguidéjusqu’àladeuxièmephotographie.J’aiétésecouéeparlapuissancedecetteimage.Un
convoidetanksetunhommeentraversdelaroute,leurbloquantlechemin.«PlaceTian’anmen,Pékin.5 juin1989.Unhommetentedebloquer laprogressiond’unecolonnedechars lorsdesmanifestationscontrelegouvernementchinois.»—C’esttriste,ai-jemurmuré.Runeahochélatête.Chaquephotographieprovoquaitenmoiuneémotiondifférente.Cetteexposition
prouvait qu’une simple image pouvait avoir un réel impact sur notre société, et que l’humanité étaitcapabledumeilleur,commedupire.Ellesoulignaitlaviedanssaformelapluspure.Jen’aipaspuregarderlasuivante.Ils’agissaitd’unenfantaffamé,amaigri,surveilléparunvautour.
Runes’estapprochéducadre.Jel’aiobservéentraind’étudierl’image.Sapassionétaitentrainderenaître.Enfin.—C’est une des photos les plus controversées de l’histoire, a-t-il dit sans la lâcher du regard.Le
photographecouvrait la famineenAfrique. Il est tombésurcet enfantquicherchaitde l’aide, aveccevautour qui rôdait autour de lui, attiré par lamort. En une image, il amontré l’étendue de la faminecommeaucunautrejournaliste.Grâceàcettephoto,lesgensontprisconsciencedel’ampleurdudrame.Onaenvoyédessecours,etlapresseenaparlédavantage.Cettephotoachangéleurmonde.Nousavonsmarché jusqu’à lasuivante.J’avaisdeplusenplusdemalàregarderces images.Elles
dégageaient tropdesouffrance.Jesavaisqu’unphotographecommeRunevoyaitenellesuneformedepoésie,aussichoquantessoient-elles.Unmessageprofondetinfini,capturéenuninstant.—Cemoine bouddhiste s’est immolé pendant unemanifestation contre la guerre duVietnam. Il est
restéimmobilejusqu’aubout.Ilaenduréladouleurpourfairepasserunmessagedepaix.Sonacteamisenavantlafutilitédecetteguerreetladétressequ’ellecausait.Runem’aracontél’histoiredechaquephotographie,jusqu’àlatoutedernière.C’étaitleportraitd’une
jeunefemme.Laphotoétaitennoiretblancetsacoupedecheveuxsemblaitdaterdesannéessoixante.Elledevaitavoirunevingtained’années.Ellesouriait.JeluiaisourienretouretjemesuistournéeversRune.Ilnelaconnaissaitpasnonplus.Iln’yavait
qu’untitre:«Esther.»J’aiouvertmonguideetj’ailul’explication,leslarmesauxyeux.—EstherRubensteinétaitlafemmedumécènedecetteexposition.Décédéed’uncanceràl’âgede
vingt-sixans,elleaétéplacéedanscetteexpositionparsonmariqui,depuissadisparition,nes’estjamaisremarié.C’est luiqui l’apriseenphoto,Rune. Ilditquecettephoton’apaschangé lemonde,maisqu’Estherachangélesien.Deslarmesontdévalémesjoues.Runeabaissélatête.J’aiglisséunemèchedecheveuxderrièreses
oreilles.Sonexpressionmebrisaitlecœur.—Pourquoim’as-tuemmenéici,Poppy?—Parcequec’estcequetuaimes.OnestàlaTish,Rune.L’universitédetesrêves.Jevoulaisquetu
voiesdequoituétaiscapable,dequoitonavenirestfait.Jemesuismiseàbâiller.—Tuesfatiguée.Ilavaitraison.J’étaisépuisée.J’avaisbesoinderepos.Runem’apriseparlamain.—Allonsreprendredesforcesavantcesoir.Jel’airetenu,refusantdemettrefinàcetteconversation.—S’ilteplaît,Poppymin.Jeneveuxpasenparler.NewYork,c’étaitnotrerêve.Àquoibonvenirici
sanstoi?J’aibaissélesbras.Jenevoulaispaslevoirsouffrirdavantage.Ilm’aembrasséesurlefront,etnous
sommessortispourappeleruntaxi.Deretouràl’hôtel,nousnoussommesallongéssurlelit,etjemesuisendormieaveclevisaged’Estherdanslatête.Jemedemandaiscommentsonmaris’étaitremisdesondépart.Jemedemandaiss’ilenétaitremistoutcourt.
*
—Poppymin?LavoixdeRunem’atiréedemonsommeil.Lachambreétaitplongéedanslenoir.J’aiallumélalampe
dechevet.Runeportaituntee-shirtblancsousunevestemarron,sonjeannoiretsesbottesnoires.—Tuestrèsélégant.Ilasourietm’aembrasséetendrement.Ilvenaitdeselaverlescheveux.Illesavaitmêmepeignés.Les
mèchesdoréesétaientdoucescommedelasoie.—Commenttutesens?—Unpeufatiguéeetcourbaturée,maisçava.—Tuenessûre?Onn’estpasobligésdesortircesoir.J’aiapprochémonvisagedusien.—Jeveuxsortir,Rune.Surtoutsituportescetteveste.Jenesaispascequetuasprévu,maisçaal’air
spécial.—Jepensequeoui.—Alors,allons-y.Ilm’aaidéeàm’asseoir.—Jet’aime,Poppymin.—Jet’aimeaussi,Rune.Ilétaitchaquejourdeplusenplusbeau,etsatenuedecesoirfaisaitbattremoncœurcommejamais.—Jenesaispasquoimemettre,ai-jeavoué.
Ilm’afaitsignedelesuivredanslesalon.Unedamenousyattendait.Desaccessoiresdecoiffureetdemaquillageétaientétaléssurlatabledevantelle.Surprise,jemesuistournéeversRune.Ilapasséunemaindanssescheveux.—C’esttatantequiatoutorganisé.Ellevoulaitquetusoisparfaite.Mêmesitul’esdéjà.Iladéposéunbaisersurmamain.—Vas-y,Poppy.Onpartdansuneheure.Ilm’aprésentéeàJayne,lastyliste,etils’estassissurlecanapéàl’autreboutdelapièce,avecson
appareil autour du cou. Jayne a commencé parme coiffer. Pendant lesminutes qui ont suivi, Rune acapturéchaqueinstant.Jamaisjenem’étaissentieaussiheureuse.
*
Jayneainspectésontravailunedernièrefoiset,aprèsunderniercoupdepinceau,ellem’asouri.—Voilà,Poppy.Tuesprête.Ellearassemblésesaffairesetm’aembrasséesurlajoue.—Profitebiendetasoirée.—Merci,Jayne.Jel’airaccompagnéeetj’aifermélaportederrièreelle.Runes’estlevéetapasséunemaindansmes
cheveuxfraîchementbouclés.—Tuesmagnifique,Poppymin.—C’estvrai?Ilasoulevésonappareiletaprisunephoto.—Parfaite.Noussommesretournésdanslachambre.Unerobenoiretailleempireétaitaccrochéeàlaporte,etune
pairedechaussuresàtalonsétaitposéesurlamoquette.Runeaattrapélarobeetl’aétaléesurlelit.—Habille-toi,Poppy.Ilestbientôtl’heure.Runeestsortidelachambreetj’aienfilélarobeetleschaussures.J’aiadmirématenuedanslemiroir
delasalledebains.Jenereconnaissaispaslafilledanslereflet.J’avaislescheveuxbouclésetlesyeuxmaquillés.Mespendantsd’oreilles étaientmis envaleurparmacoiffureet s’accordaientparfaitementavecmarobe.Runeafrappéàlaporte.—Tupeuxentrer,ai-jeditsansmedécollerdumiroir.J’aivusaréactiondanslereflet.Luinonplusn’encroyaitpassesyeux.Ilaposélesmainssurmes
épaules.Marobeétaitlégèrementdécolletée,avecdelargesbretelles.Runeadéposéunbaiserdansmoncou.J’aitournélatêteverslui,etilm’aembrassée.Ilaattrapélenœudblancsurlemeubledelasalledebainsetill’aattachédansmescheveux.—Tuessublime.Le désir dans sa voix m’a donné des frissons. Il m’a prise par la main et nous avons traversé la
chambre.Unmanteaum’attendaitdanslesalon.Commeunvraigentleman,ilm’aaidéeàl’enfiler.—Prête?—Prête.Unelimousinenousattendaitàl’entrée.Runearéponduàmaquestionavantmêmequejenelapose:—DeeDee.Nousnoussommesassissurlabanquettearrière.Lechauffeurafermélaportièreetlalimousines’est
frayéuncheminlelongdel’avenue.Lestrottoirsgrouillaientdemonde.J’airegardéManhattandéfilerderrièrelavitrejusqu’àcequenousapprochionsdenotredestination.J’aivulebâtimentavantmêmedesortirdelalimousine.Moncœurs’estemballé.Jemesuistournée
versRune,mais il était déjà sorti. Il a ouvert la portière etm’a tendu lamain. Je suismontée sur letrottoir,lesyeuxlevésversl’immensebâtiment.—CarnegieHall,ai-jemurmuré.Runeafermélaportière,etlechauffeurestreparti.—Suis-moi,Poppymin.Nousnoussommesdirigésversl’entrée.J’avaisbeauchercherunindicesurlesmurs,jenesavaispas
qui jouait ce soir-là. Rune a poussé la porte, et un homme nous a accueillis à l’entrée. Nous avonstraversélehalletsommesentrésdanslasalle.J’enaieulesoufflecoupé.J’étaisauCarnegieHall!Unedessallesdeconcertlesplusconnuesaumonde.J’aibalayélasalleduregard:lesbalconsdorés,lessiègesetlestapisrouges.Nousétionsseuls.Pasdepublic.Pasd’orchestre.Runeavaitl’airnerveux.Ilamontrélascènedudoigt.Unechaiseetunvioloncelletrônaientaucentre.
Jenecomprenaispas.Ilm’aguidéelelongdel’alléeets’estarrêtédevantdesmarchesprovisoiresquidonnaientsurlascène.—Tuauraisdûjouericientantqueprofessionnelle,Poppymin.Avecl’orchestredetesrêves.Lavie
estinjuste.Onsaittouslesdeuxqueçan’arriverapas,maisjevoulaisaumoinst’offrircettechance.Jevoulaisquetutouchesàtonrêve,quetubrillessouslesprojecteurs.Tulemérites,Poppy.Entantquemusicienne,etparcequejet’aimeplusquetoutaumonde.L’ampleurdesongestem’aémueauxlarmes.—Est-ceque…Comment…Commentas-tufait?Runen’apasrépondu.Ils’estcontentédemetendrelamainetilm’aaidéeàmonterlesmarches.—Cesoir,cettescèneestàtoi,Poppymin.Jesuisdésoléd’êtreseuldanslepublic,maisjevoulais
quetujouesdanscettesalle.Jevoulaisquetamusiquelaremplisseets’imprègnedanssesmurs.Ilaposélesmainssurmesjouescouvertesdelarmesetilaappuyésonfrontcontrelemien.—Tulemérites,Poppy.Tuauraisdûavoirletempsderéalisertonrêve,mais…mais…—Çavaaller,Rune.J’ai souri à traversmes larmes. J’entendaispresque l’échodesmusiciensqui avaient joué sur cette
scène,quiavaientembellicelieudeleurpassionetdeleurgénie.J’aiimaginélasallerempliedespectateurs.Deshommesetdesfemmespassionnésdemusique.Jene
trouvaispaslesmotspourdécrirecequejeressentaisàcetinstantprécis.Cecadeauétaitlepluspur,leplusdouxetleplusbeauqu’onm’aitoffert.
J’aimarchéjusqu’àlachaisequim’attendaitaucentredelascène.J’aipasséunemainsurlecuirnoiretsurlevioloncelle,cetinstrumentquejevoyaiscommel’extensiondemonproprecorps,quimerendaitheureuseetm’emplissaitdetranquillité,desérénitéetd’amour.J’aidéboutonnémonmanteau.Runel’arécupéré,ilm’aembrasséesurl’épauleetilestdescendude
scène.Unprojecteurs’estalluméet les lumièresdelasallesesont tamisées.J’aiavancéd’unpas.Leclaquement de mes talons a résonné dans la salle vide, redonnant vie à mes muscles affaiblis. J’aisoulevélevioloncelleetj’aiattrapél’archetdansmamaindroite.Jemesuisassiseaveccetinstrument,le plus bel instrument que j’ai vu de ma vie, et j’ai fermé les yeux. J’ai pincé chaque corde pourm’assurerqu’ilétaitaccordé.Ilétaitparfait.Jemesuisassisesurleborddelachaiseetj’ailevélatêteversleprojecteur,commes’ils’agissaitdu
soleil.J’aifermélesyeux,j’aiposél’archetsurlescordes…etj’aijoué.LespremièresnotesdupréludedeBachsesontenvolées,remplissantlasalled’unsondivin.Jeme
balançaisenrythmeavecl’instrument,laissantlamusiques’échapperdemoi,mettremonâmeànu.Dansmatête,chaquefauteuilétaitoccupé.Lesspectateursécoutaientmamusique,unairquilesfaisaitpleurerd’émotion,quitouchaitleurscœursetlesemplissaitdepassion.Lachaleurduprojecteurréchauffaitmesmusclesetatténuaitmadouleur.Lemorceautouchaitàsafin.
J’enaijouéunautre.J’aijouéjusqu’àcequej’enaiemalauxdoigts,jusqu’àcequ’unsilences’abattesurlasalle.Unelarmeadévalémajoue.Jesavaisquelmorceauviendraitensuite.Celuiquimetouchaitplusque
tout autre, et que j’avais toujours rêvé de jouer sur scène. Celui qui resterait ancré dans ces murslongtempsaprèsmondépart.Celuiquisigneraitlafindemonaventuremusicale.Aprèsavoirjouédanscettesallemagnifique,jenetoucheraisplusàunvioloncelle.Plusjamais.J’allaisdireadieuàlapassionquim’avaittenueenvie,cellequim’avaitsauvéequandj’étaisseuleet
perdue. J’allais laisser une partie demon cœur sur cette scène.Mes dernières notes danseraient danscettesallepourl’éternité.J’avais lesmainsqui tremblaient et les jouescouvertesde larmes.Cen’étaitpasde la tristesse. Je
pleuraispourdeuxamies : lamusique,et laviequiendécoulait. Ilétait tempsde leurdireau revoir,mêmesijesavaisquejelesreverraisunjour.J’ai posé l’archet sur les cordes et j’ai joué Le Cygne du Carnaval des animaux. Mes mains,
désormaisassurées,ontentonnécettemélodieque j’aimais tant.Lagorgeserrée, j’ai jouéchaquenotecommeuneprière,chaquecrescendocommeunhymne.J’airemerciéleDieuquim’avaitoffertcedon.J’airemerciél’instrumentquinefaisaitqu’unavecmoi.Enfin,j’airemerciélegarçonassisdanslenoir.Celuiquiaimaitlaphotographiecommej’aimaislamusique.Celuiquim’avaitdonnésoncœurilyatantd’années.Celuiquim’avaitoffertcettechance,cecadeau,cerêvequemonavenirm’interdisait.Monâmesœur.Ladernièrenotea retentietmes larmessesontécraséessur leplancherde lascène.Je l’ai laissée
résonner,undernieréchomontantauparadisetprenantplaceparmilesétoiles.Jemesuis levéeet j’ai salué, imaginant lesapplaudissementsdupublic. J’aiposé levioloncelleet
l’archetetj’aidescendulesmarches.Leslumièresdelasallesesontrallumées,éteignantlesvestigesdemonrêve.C’étaitfini.Runeétaitassis, lesjouesrougiesparleslarmes.Ilavaitcomprisquec’était ladernièrefoisqueje
jouerais.Ilyavaitdanssesyeuxunmélangedetristesseetdefierté.Ilm’a rejointedevant la scèneet ilm’aembrassée.Unbaiserpleind’amour.Unamourquepeude
jeunesdenotreâgeavaientlachancedevivre.Unamoursansfrontières,deceuxquiinspirentlamusiqueàtraverslesâges.Cebaiserauraitsaplacedansmonbocal,plusquetoutautre.Baisernumérohuitcentdix-neuf.Lebaiserquiatoutchangé.Lebaiserquiprouvaitqu’unjeuneNorvégienauxcheveuxlongsetqu’unejeunefilleduSuddesÉtats-Unispouvaients’aimer.Lapreuvequel’onpouvaits’aimerchaqueminute,chaquesecondequelavienousoffrait.—Jen’aipasdemots,Poppy.Dansaucunedemeslangues.Jeluiaisouri.Lesilenceétaitbienplusfortquedesparoles.Jel’aiprisparlamain,etnoussommessortisdelasalle.Nousavonstraversélehalld’entréeavantde
nousengouffrerdanslefroiddefévrier.Notrelimousinenousattendait.Nousavonsprisplaceàl’arrière.JemesuisblottiecontreRunetandisquelechauffeurnousramenaitàl’hôtel.Nousn’avonsrienditdetout le trajet, ni dans l’ascenseur. Le bruit de la carte électronique dans la serrure a résonné dans lecouloirvide,brisantlesilence.J’aiouvertlaporte,meschaussuresclaquantcontrelesol,etj’aitraversélesalonjusqu’àlachambre.Runem’asuivie,etnosregardssesontcroisés.J’avaisbesoindelui.Enviedelui.Ilaserrémamain
danslasienne.Unevaguedecalmes’estemparéedemoi,metraversantcommeunerivière.J’ailâchésamain et, le cœur battant, j’ai enlevé monmanteau et je l’ai laissé tomber par terre. J’ai enlevé meschaussures.Runerespiraitfort.Sontee-shirtblancmettaitenvaleursontorsemusclé.J’aiposélesmainssur ses épaules et j’ai enlevé sa veste.Rune était immobile commeune statue, le regard perçant. J’aipasséunemainsursonventre,sesbras,etj’aiembrassésesdoigts,entrelacésaveclesmiens.J’aireculéd’unpas,leguidantverslelit.Jemesentaisàl’aise.Enpaixavecmoi-même.Empreinte
dedésir,j’aisoulevéletee-shirtdeRune,etill’ajetéparterre.J’aiexplorésonventreetsontorseduboutdesdoigts.J’aiposémeslèvrespar-dessussoncœur.—Tuesparfait,RuneKristiansen.Leslarmesauxyeux,ilapasséunemaindansmescheveux.—Jegelskerdeg.Jet’aime.J’aienlevéunebretelle,puisl’autre,etj’ailaissétombermarobeàmespieds,dévoilantmoncorpsau
garçonque j’aimais. J’étaisnue, révélant lescicatricesdecesdeuxdernièresannées, symbolesdemabataille.Runeabalayémoncorpsduregard.Iln’avaitpasl’airdégoûté.Jen’aivuquedel’amoursursonvisage.Dudésir,etuneémotionplusfortequetout.Ilaplaquésontorsecontremapoitrineetilaglisséunemèchedecheveuxderrièremonoreille.Ila
effleurémoncouduboutdesdoigts.J’aifrissonnédeplaisir.Sonsoufflementholém’acaressélapeautandisqu’ildéposaitdesbaiserssurmesépaules.—Poppymin…—Fais-moil’amour,Rune.Il a posé sa bouche contre lamienne.Cebaiser était doux comme la nuit. Plein de promesses. Il a
glissélesmainsdanslacourburedemanuque,puissurmataille.Ilm’asoulevéeetm’aallongéesurlelit.Sansmequitterdesyeux,ilaenlevélerestedesesvêtementsets’estallongécontremoi.Moncœurbattaitlachamade.
—Jet’aimeaussi,Rune.Ilafermélesyeux,commes’ilavaitbesoind’entendrecesmots.Ilm’aembrasséeavecpassion.J’ai
caressésondosetsescheveux.Ilaenlevémessous-vêtementsetlesajetésparterre.—Tuenessûre,Poppymin?—Certaine.J’aisouri.Jel’ailaissém’embrasseretexplorermoncorps.Avecchaquebaiser,chaquecaresse,ma
peurs’estenvolée,jusqu’àcequenousredevenionsPoppyetRune,liésàjamais.Runem’afaitsienne.Moncorpss’estemplidelumière.Moncœurdébordaitd’amouretdebonheur.Puisnous sommes redescendus surTerre. Jeme suisblottie contre lui.Nospeauxétaientbrûlantes,
couvertesdesueur.J’aifermélesyeux,refusantdebriserlamagiedel’instant.Runealevélatêteetjel’aiembrasséavectendresse.—Baisernumérohuitcentvingt.AvecmonRune,àNewYork.Leplusbeaujourdemavie.Moncœur
apresqueéclaté.Runes’estallongéàcôtédemoietm’aprisedanssesbras.J’aifermélesyeuxetjemesuisassoupie.
Iladéposéunbaisersurmonfrontets’estlevédiscrètement.Laportedelachambres’estferméeetcelledelaterrasses’estouverte.Curieuse,j’aienfilélepeignoiraccrochéàlaporteet leschaussonsposésaupieddulit.J’aisouri,
enivrée par l’odeur de Rune sur ma peau. Je suis entrée dans le salon et je me suis dirigée vers laterrasse.Monsourires’estaussitôtenvolé.Runeétaitdehors,àgenoux.Enlarmes.Ilétaittorsenu,danslefroidetlaneige.Soncorpsétaitsecoué
desanglots.J’ai ouvert la porte. Mes pieds se sont enfoncés dans la fine pellicule de neige qui recouvrait la
terrasse.Runenem’apasentenduearriver.Ilétaitrongéparladouleur,lesmainsposéessurlesolglacé.J’aienroulémesbrasautourdelui,etils’esteffondré.Desmilliersdelarmescoulaientlelongdeses
joues et s’écrasaient par terre. Je l’ai bercépour le calmer, essayantmoi-mêmede respirermalgré ladouleur.LadouleurdevoirRunesouffrir,etdesavoirquejepartiraisbientôt.J’avaisacceptémonsort,maisj’avaisencoreenviedemebattrepourresteravecRune,pourRune,mêmesic’étaitpeineperdue.Mondestinétaitécrit.Meslarmesontdévalédanssescheveux.Runealevélatêteversmoi.—Jeneveuxpasteperdre,Poppymin.Jeneveuxpasteregarderpartir.Jenepeuxpasvivresanstoi.Ilavaitlevisagedéforméparlechagrin.—Tuestropjeune,Poppy!Notreamouresttropfort!—Jesais,moncœur.J’ai détourné le regard pour ne pas éclater en sanglots, moi aussi. Les lumières de New York
scintillaientànospieds.—C’est mon destin, Rune. Je veux croire que tout cela a un sens. Sinon, je serais rongée par le
désespoiràl’idéed’abandonnerceuxquej’aime.Det’abandonnertoi.Surtoutaprèscesoir.Runes’estlevéenpleurant.Ilm’aprisedanssesbrasetm’aportéejusqu’àlachambre.Jeluienétais
reconnaissante.J’étaisàboutdeforces.J’aiposéla têtecontresontorseet j’aifermélesyeux.Ilm’a
glisséesouslacouvertureets’estallongécontremoi.Ilavaitlesyeuxrougesetlescheveuxtrempés.—Quand tu as joué sur scène, ce soir… j’ai su que tu disais au revoir. J’ai pris conscience de la
réalité. Je ne peux plus respirer, Poppy. Chaque fois que j’imagine ma vie sans toi, je ne peux plusrespirer. J’ai déjà essayé, pendant deux ans… mais c’était différent. Je savais que tu étais vivante,quelquepart.Bientôt…Bientôt…Lessanglotsl’ontempêchédeterminersaphrase.J’aiposéunemainsursajoue.—Est-cequetuaspeur,Poppymin?—Jen’aipaspeurdemourir.J’aimeraisjustequ’onm’accordeplusdetemps,plusdejourspassés
danstesbras,plusdeminutesàt’embrasser.Runeaserrélesbrasautourdemataille.—J’aipeurdet’abandonner,Rune.Jen’aipaspeurdemourir,maisj’aipeurdepartirsanstoi.Quand
tuétaisàOslo,jepensaisàtoitouslesjours.Jejouaistesmorceauxpréférésetjelisaisnosbaisersdansmonbocal.Quandjefermaislesyeux,jesentaistabouchecontrelamienne.Jerepensaisàladernièrenuitqu’onapasséeensemble.Tun’étaispasavecmoi,mais tuétaisdansmoncœur.C’était suffisant,mêmesi j’étaismalheureuse.Aujourd’hui,c’estdifférent.Tuesrevenu,etc’estencoreplusfort.Jenesuisriensanstoi,Rune.J’aiéclatéensanglots.—Poppy…—Je t’ai blessé en t’aimant.Etmaintenant, je dois partir à l’aventure sans toi ! Je ne veux pas te
laisserseuldanstonchagrin…Çamebriselecœur,Rune.Ilm’a serréedans sesbras, et j’ai pleurépendantdesheures.Nous avonspartagénospeurs et nos
angoisses.J’aiposélesmainssursondos,réconfortéeparsachaleur.Quandnoslarmessesontséchées,Runeaguidémonvisageverslesien.—Àquoiressembletonparadis,Poppy?—Àunrêve.Unsourires’estdessinésursonvisage.—J’ailuquelquepartqu’àchaquefoisquel’onrêve,onvisitenotreparadis.Lemien,ceseratoiet
moiàdix-septans,danslacerisaie.Pourl’éternité.J’aiattrapéunemèchedoréeentrelesdoigts.—Est-cequ’ilt’arrivedefairedesrêvestellementréalistesquetuasl’impressionqu’ilsontvraiment
eulieu?—Ja.—C’estparcequ’ilssontvrais,Rune.Lanuit,quandtufermeraslesyeux, jeserai là.Jet’attendrai
danslacerisaie.Etquandilseratempspourtoidepartir,jet’accueilleraidansmesbras.Iln’yauraplusdetristesse,plusdesouffrance.Seulementdel’amour.J’aipousséunsoupirdebonheur.—Imagine,Rune!Unendroitsanstristessenisouffrance.Quandj’ypense,jen’aipluspeurdutout.—Tuasraison,Poppymin.C’estcequejeveuxpourtoi.—Notrehistoireestéternelle,Rune.Jelesais.Jelesens.
Ilm’asoulevéeetm’aallongéesurlui.J’aifermélesyeuxetjemesuislaissébercerparsarespirationetlesbattementsdesoncœur.—Qu’est-cequetuaimeraisfaireavanttondépart,Poppy?J’airéfléchiuninstant.—Jeveuxvoirlescerisiersenfleurunedernièrefois.Jeveuxdanseravectoiaubaldefind’année.
Jeveuxtevoirencostumecravate,aveclescheveuxpeignésenarrière.Ilm’asouri,amuséparmonsouhait.—Jeveuxvoirundernierleverdesoleil.Etsurtout,jeveuxpartiravectonbaiser.J’espèrearriver
dansmaprochainevieaveclachaleurdetabouchesurlamienne.Jeprietouslesjourspouravoircettechance.Vivreassezlongtempspouraccomplirtoutesceschoses.—Ellessontparfaites,Poppy.Ilm’acaressélescheveuxet jemesuisendormiedanssesbras.Enpriantpourquemessouhaitsse
réalisent.Heureuseetamoureuse.
13
NUAGESNOIRSETCIELBLEU
Rune
Jedessinaisdescerclessurmafeuillependantqueleprofdechimieparlaitdecomposéschimiques.JepensaisàPoppy.Jepensaistoujoursàelle,maisaujourd’hui,c’étaitdifférent.NousétionsrentrésdeNewYorkquatrejoursplustôt,etelleétaitdeplusenplussilencieuse.Chaque
jour, jeluidemandaiscequin’allaitpas.Chaquejour,ellemerépondaitquetoutallaitbien.Jesavaisqu’ellemementait.Ce matin-là, en marchant ensemble jusqu’au lycée, sa main était brûlante dans la mienne. J’avais
demandé à Poppy si elle se sentait malade. Elle m’avait assuré que non. J’avais un mauvaispressentiment.Pendant ledéjeuner,Poppys’étaitblottiedansmesbrasetn’avaitpasditunmotànosamis.L’après-midiétaitinterminable.Pluslesminutess’écoulaient,plusj’angoissais.J’avaispeurquelafinapproche.Jemesuisredressésurmachaisepourbalayermesidéesnoires.Ladernièresonnerieaenfinretenti.
Je suis sorti en trombe de la salle et j’ai foncé jusqu’à son casier. Jorie était en train de ranger sesaffaires.—Est-cequetuasvuPoppy?—Ellet’attenddehors.Ellenevapasbien,Rune.Jemefaisdusoucipourelle.J’airejointPoppydanslacour.Elleétaitdebout,sousunarbre,leregarddanslevide.Elleavaitle
teintpâleetunefinepelliculedesueursurlevisage.Enmevoyant,Poppyaclignédesyeuxetm’asouri.—Qu’est-cequisepasse,Poppy?—Rien.Jesuisjustefatiguée.Ilfallaitquejelaramènechezsesparents.J’aipasséunbrassursesépaulesbrûlantes.Elleaenroulé
unbrasautourdemataille.Jelasentaisfaible.Elletenaitàpeinedebout.J’auraisvoululaporter,maisjesavaisqu’ellerefuserait.Entraversantleparcàsescôtés,j’aiessayéd’étouffermapeur.Peurdelamaladie.Peurdelamort.
Poppynedisaitrien.Sarespirationétaitdeplusenplussaccadée.Àpeineentréedanslacerisaie,sesjambessesontdérobéessoussonpoids.—Poppy!
Jel’airattrapéejusteàtemps.J’aiglissésescheveuxderrièresesoreilles.Ilscollaientàsonvisage.—Qu’est-cequisepasse,Poppy?Dis-moi!Ellearrivaitàpeineàgarderlesyeuxouverts.Elleaserrémamaindanslasienne.—Rune…Ellemanquaitd’air.Ellen’avaitplusdeforce.J’aiattrapémonportableetj’aiappelélesurgences.Je
leuraidonnél’adressedePoppyet je leuraiparlédesamaladie.Je l’aiprisedansmesbraspour laporterjusquechezelle.Elleaposéunemainsurmonvisage.Unelarmeadévalésajoue.—Jenesuispasprête…Elleperdaitconnaissance.Malgrématerreur,j’aicouru,plusvitequejamais.Enpassantdevantchez
moi, j’aiaperçumamèreetAltondans l’allée.J’aientendulessirènesau loin.J’aicouru jusquechezPoppyetj’aidonnéuncoupdepieddanslaporte.Lesalonétaitvide.—Àl’aide!J’aiallongéPoppysurlecanapé.Samèreestarrivéeets’estaccroupieàmescôtés.—Poppy?MonDieu…Poppy!Elleaposéunemainsursonfront.—Qu’est-cequis’estpassé?—Jenesaispas.Elles’esteffondréedansmesbras.J’aiappeléuneambulance.Lessirènesapprochaient.LamèredePoppys’estprécipitéedanslarue.Jemesentaisimpuissant.J’ai
passéunemaindansmescheveux.Poppyluttaitpourrespirer.—Çavaaller,Poppymin.Jetelepromets.Avecdifficulté,elleaposéunemainsurmajoue.—Pasencore…Je…Jenesuispas…prête…Lesambulancierssontentrésdanslesalon.Jemesuisdécalépourleslaissertravailler.Ilsontposéun
masquesursonvisageetilsl’ontallongéesurunbrancard.Poppyatendulamainversmoi.—Rune…—Jesuislà,Poppy.Jeresteavectoi.Derrièremoi,IdaetSavannahétaientenlarmes.MmeLitchfieldadéposéunbaisersurlatêtedesa
fille.—Toutvabiensepasser,mapuce.J’aicroisésonregard.Ellen’ycroyaitpas.Ellepensaitquec’étaitlafin,elleaussi.Je les ai suivis jusqu’à l’ambulance. Poppy refusait de lâcher ma main. Mme Litchfield a couru
derrièrenous.—Vas-y,Rune.Jevoussuisaveclesfilles.Jelasentaishésitante.EllevoulaitresterauprèsdePoppy.Mamèrenousarejoints.—Monteaveceux,Ivy.Jem’occuped’IdaetdeSavannah.Noussommestouslesdeuxmontésdansl’ambulance.Poppyafermélesyeux,maisellen’apaslâché
mamain.QuandMmeLitchfieldaéclatéensanglots,jeluiaitendul’autre.
*
J’aisuiviPoppyjusqu’auserviced’oncologie.Lesmédecinsetlesinfirmièressesontactivésautourd’elle.J’avaislagorgeserréeetlecœurquibattait tropfort.Onluiafaituneprisedesangetprissatempérature.Poppysebattait.Ellen’arrivaitplusàrespirer,maisellegardaitsoncalme.Lesyeuxfixéssurmoi,ellemurmuraitmonprénomchaquefoisqu’ellesesentaitpartir.Jesuisrestéfortpourelle.Cen’étaitpaslemomentdecraquer.Elleavaitbesoindemoi.MmeLitchfieldmetenaitlamain.Sonmarinousarejoints,lacravatedetravers.—Qu’est-cequis’estpassé?MmeLitchfieldaessuyéseslarmes.—ElleaperduconnaissancedanslesbrasdeRune,enrentrantdulycée.Lesmédecinspensentque
c’estuneinfection.Sonsystèmeimmunitaireesttropfragilepourlacombattre.LepèredePoppym’aregardédetravers.—Rune a sauvé notre fille, James. Il l’a portée dans ses bras jusqu’à lamaison. Il a appelé une
ambulance.IlasauvéPoppy.J’airavalémasalive.M.Litchfieldahochélatêteenguisederemerciement,etilssesontapprochés
deleurfille.Lesmédecinsleurontdemandédes’écarter.Cinqminutesplustard,l’und’euxestvenunousparler.—Poppysebatcontreuneinfection.Commevouslesavez,sonsystèmeimmunitaireestdéjàfaible.—Ellevas’ensortir?ademandéMmeLitchfield.—Nousallonsfairedenotremieux,madame.Poppyavaitlevisagerecouvertparlemasqueetuneintraveineusedanslebras.Sesgrandsyeuxverts
étaientposéssurmoi.Lemédecinnousaexpliquéqu’ilsplongeraientPoppydansuncomaartificielpourl’aideràcombattrel’infection.Ilnousaproposédeluiparlerunedernièrefoisavantqu’elles’endorme.Jeme suis approché d’elle. Poppy a secoué la tête et une larme a dévalé sa joue. Elle amurmuré
quelquechosesoussonmasque.Pasbesoindel’enleverpourlacomprendre.Sapromesseétaitdanssesyeux:ellen’étaitpasprêteàpartir.Sonheuren’étaitpasencorevenue.M.Litchfieldnousarejoints.—Rune,est-cequ’onpeutpasserquelquesminutesavecPoppy?J’aihochélatêteetjeleurailaissémaplace.Elleagémietserrémamain.Ellenevoulaitpasqueje
parte.J’aidéposéunbaisersursonfront.—Jereviens,Poppymin.Jeresteavectoi.Promis.Jesuisalléàl’autreboutdelapièceetj’airegardésesparentsluiparleretl’embrasser.J’aiserréles
poings,meretenants’éclaterensanglots.Ilfallaitquejesoisfort.Elledétestaitmevoirpleurer.Mamère est arrivée avec Ida et Savannah.Mme Litchfield les a fait entrer. J’ai vu la douleur se
dessinersurlevisagedePoppy.Elleadoraitsessœurs.Ellenevoulaitpasqu’elleslavoientdanscetétat.—Poppy!s’estécriéeIda.Elles’estprécipitéeàsonchevetetl’aembrasséesurlajoue.Poppyluiafaitunclind’œiletIdas’est
blottiedanslesbrasdesamère.Savannah,elle,s’estmiseàpleurer.
—Jet’aime,Poppy.S’ilteplaît,neparspas…Pasencore.Poppyahochélatête,commeunepromesse.Elleajetéunœildansmadirectionetsafamillenousa
laissés tous les deux. J’ai avancé jusqu’à elle, le pas lourd. L’orage qui grondait enmoi s’est calméquandnosmainssesonttouchées.Jemesuisassisauborddulitetj’aiglissésescheveuxderrièresesoreilles.—Hei,Poppymin.Elleafermélesyeux.Ellesouriaitsoussonmasque.Jelesavais.— Ils vont t’endormir pour t’aider à combattre cette infection.Tuvas pouvoir rêver, Poppy.Rends
visiteàtagrand-mère,etquandtuserasassezforte,reviensmevoir.D’accord?Onaencorepleindechosesàvivreavanttondépart.Elleahochélatête.—Faisdebeauxrêves,Poppymin.Jeserailààtonréveil.Lemédecinestentré.—Jevousinviteàrejoindrelasalled’attente.Safamilleestsortie,maispasmoi.Jenevoulaispasl’abandonner.Lemédecinaposéunemainsur
monépaule.—Onvaprendresoind’elle.C’estpromis.J’aidéposéundernierbaisersursamainetjesuissortidelapièce.Lasalled’attenteétaitenface,
maisj’avaisbesoind’air.Jemesuisréfugiédanslepetitjardinauboutducouloir.Leventacaressémonvisage.Jemesuisassissurunbanc,jemesuisprislatêteàdeuxmainsetj’aipleuré.Laportes’estouvertederrièremoi.C’étaitmonpère.Jen’avaispaslaforcedel’affronter.Macolère
étaitenfouiesousmonchagrin.Ilestvenus’asseoiràcôtédemoi.Iln’apasessayédemeconsoler.Ilsavaitquejelerepousserais.Ilestjusterestéàmescôtésetm’alaissépleurerenpaix.Jenevoulaispasl’admettre,maisj’étaiscontentdenepasêtreseul.Auboutdequelquesminutes,j’aifiniparmecalmer.J’aipasséunemainsurmonvisage.—Ellevas’ensortir.Jelesais.Monpèrea tourné la têteversmoi. J’ai serré lamâchoire.LaviedePoppy touchaità sa fin. Jene
savaispascombiendetempsilnousrestaitàvivreensemble,etc’étaitsafauteàlui.Laportes’estouverteet,cettefois,c’estM.Litchfieldquiestsorti.Monpères’estlevéetluiaserré
lamain.—Jesuisdésolé,James.LepèredePoppyluiasouri.—Est-cequejepeuxparleràRune?—Biensûr.Monpèreestparti,etM.Litchfields’estassisàcôtédemoi.J’airetenumonsouffle.Iln’ariendit,
doncj’aiparléàsaplace.—Nemedemandezpasdelaquitter.Jenepartiraipas.Jen’abandonneraijamaisPoppy.—Pourquoi?Surprisparsaquestion,j’aiétudiésonvisage.Ilmeregardaitdroitdanslesyeux.Ilvoulaitvraiment
savoir.—Parcequejel’aimeplusquetout.Jeluiaipromisderesteràsescôtésjusqu’aubout.Moncœuret
monâmesontliésàPoppy.Jenepeuxpaslalaissermaintenant.Elleabesoindemoi.M.Litchfieldapousséunsoupir.Ilaposéledoscontreledossierdubanc.—Dèstonretourd’Oslo,j’aisuquetuavaischangé,Rune.Enunregard.J’étaisdéçu.Tufumais,tu
étaisencolèreettuneressemblaisplusaugarçonquej’avaisconnu.Celuiquemafilleaimait.Celuiquiétaitprêtàtoutpourelle.J’aiencaissélescoupsensilence.Ils’estéclaircilavoix.—Jenepensaispasquetul’aimaisencore.Pasautant.Jemesuisbattucontretoi.Quandjevousai
revusensemble,j’aitoutfaitpourlaretenir.Maisvousêtesattiréscommedesaimants,Rune.Lagrand-mère dePoppydisait que votre histoire était le fruit du destin, que vous vous aimiez pour une raisonprécise,quel’ondécouvriraitunjour.Elleavaitraison.Ilaposéunemainsurmonépaule.—Vousétiezfaitsl’unpourl’autre,Rune.Pourquetulaguidesetquetulasoutiennes,pourqueles
derniers jours dema fille soient remplis de bonheur. Un bonheur que nimoi, ni samère ne sommescapablesdeluioffrir.Unedouleurm’atranspercélecœur.J’aifermélesyeuxpourlacontenir.—J’aitoujourssuqu’ellet’aimait,Rune.Jen’étaisjustepascertainquetul’aimesautant.—J’aitoujoursaiméPoppy.Mêmependantmonabsence.— Je sais,Rune. Je l’ai compris dès votre retour deNewYork. Poppy est revenue changée de ce
voyage.Ellem’aracontécequetuluiavaisoffert.CarnegieHall.Tuasréalisélerêvedemafille.J’aibaissélatête.—Ellemelerendtouslesjours.—SiPoppys’ensort…—Quandelles’ensortira,l’ai-jecorrigé.Ilapousséunsoupir.—Quand elle s’en sortira, je nememettrai plus entre vous. Poppy ne s’est jamais remise de ton
départ,Rune.Jesaisquetuasbeaucoupsouffert,toiaussi,etjecomprendsquetuenveuillesàtonpère,maislavieestpleined’imprévus.Jenepensaispasquemafillepartiraitavantmoi.Poppym’aapprislagratitude.Elleacceptesonsort.Nousn’avonspasledroitd’êtreencolèreàsaplace.Jel’airegardéensilence.J’airevuPoppyentraindedanserdanslacerisaie.Jel’airevueàlaplage,
les pieds dans l’eau et les cheveux dans le vent. Poppy était heureuse.Malgré samaladie,malgré sasouffrance,elleétaitheureuse.—Jesuiscontentquetusoislà,Rune.Grâceàtoi,Poppyvasourirejusqu’àlafin.Ils’estlevéetilafermélesyeux,levisagetournéverslesoleilcouchant.Commesafille.—Tu es le bienvenu ici, Rune. Rends-lui visite aussi souvent que tu veux. Poppy veut passer ses
derniersjoursavectoi.Ellevas’ensortir.Jel’aivudanssonregardtoutàl’heure.Ellen’estpasprêteàpartir.Pasencore.Tusaisàquelpointelleesttêtue.Quandelleveutquelquechose,ellel’obtient.Je luiai souri,et ilm’a laisséseuldans le jardin. J’aiattrapémonpaquetdecigarettes. J’allaisen
allumerune,maisj’aipenséàPoppy.Jel’aiimaginéeentraindeplisserlenez,commechaquefoisquejefumais.J’aienlevélacigarettedemeslèvresetjel’aiécraséeparterre.—Assez.J’ai jetémonpaquet à la poubelle, jeme suis levé.Dans la salle d’attente, il y avait la famille de
Poppy,maisaussimamère,monpèreetAlton.Monpetitfrèrem’asouri,etjemesuisassisàcôtédelui,commel’auraitvouluPoppy.—Hei,Alton.Ilagrimpésurmesgenouxets’estagrippéàmoncou.Ils’estmisàpleurerdansmesbras.—Poppyminestmalade.J’aihochélatêteenretenantmeslarmes.—JeneveuxpasquePoppymins’enaille.Grâceàelle,tumereparlesettuesredevenumonami.Je
neveuxpasquetusoisencolèrecommeavant.Sesmotsonteul’effetd’uncoupdepoignarddansmapoitrine.Ilavaitraison.Poppym’avaitguidé
versmonpetitfrère.—Jeneseraiplusencolère,Alton.Etjecontinueraiàteparleretàjoueravectoi.Promis.Ilalevélatêteets’estessuyélesyeux.Jeluiaisouri,etils’estblotticontremoi.Ilestrestédansmes
bras jusqu’àceque lemédecinentredans lapièce.Poppyétait endormie.Nousavions ledroitde luirendrevisite,deuxpersonnesàlafois.M.etMmeLitchfieldsontalléslavoirenpremier,puismontourestvenu.Poppyétaitallongéeaumilieudelapièce,entouréedemachines.Elleavaitl’airminusculeetbrisée.
Aucunetracedesouriresursonvisage.Jemesuisassissurlachaiseàcôtédulit,j’aiprissamaindanslamienneetjel’aiembrassée.Lesilenceétaittroppesant.Jeluiaiparlédenotrepremierbaiser.J’aiénuméré tous les baisers dont je me souvenais. J’étais convaincu qu’elle m’entendait, et qu’elle lesrevivraitavecmoi.Lesneufcentdeuxbaisersà l’abridanssonbocalet lesquatre-vingt-dix-huitqui lesrejoindraientà
sonréveil.CarPoppyallaitseréveiller.Nousavionsunepromesseàtenir.
14
FLEURSETPAIX
Rune
Unesemaineplustard
J’étais en train de rattrapermesdevoirs dans la chambredePoppyquand Jorie, Judson,Deacon etRubyontfrappéàlaporte.—Salut,Rune.Jeleuraifaitsigned’entrer.Poppyétaitaulit,toujoursdanslecoma.Quelquesjoursaprèssonarrivée
àl’hôpital,lesmédecinsavaientditquelepireétaitdésormaisderrièreelleetqu’ellepouvaitrecevoirdesvisiteurs.Poppyavaitréussi.Elleavaitvaincul’infection.Jesavaisqu’elleenétaitcapable.Aprèstout,ellemel’avaitpromis.Lesmédecins avaientprévude la sortirducomaprogressivement,dans les joursqui suivraient.Ce
soir-là, ils réduiraient le dosage de l’anesthésiant. J’étais impatient. Cette semaine m’avait paruinterminable.Sanselle,plusrienn’avaitdesens.Désormais, touslesélèvesétaientaucourantdelamaladiedePoppy.Tout lemondeétaitchoquéet
triste.Nousétionsàl’écoleaveccesgensdepuislamaternelle.Lanouvelleavaitsecouélelycéeetlavilleentière.Lesgensdel’églises’étaientmêmemisàprierpourelle.LesmédecinsnesavaientpasdansquelétatPoppyseraitàsonréveil.Ilsnevoulaientpasnousdire
combiende temps il lui restait,mais onnous avait prévenus : l’infection l’avait affaiblie. Il fallait seprépareraupire.Ellen’avaitpeut-êtrequ’unepoignéedesemainesdevantelle.C’était cruel et j’avais le cœur brisé, mais j’essayais de me réjouir de la moindre victoire. Nous
aurionsletempsderéalisersesdernierssouhaits.J’auraisletempsdeluidireaurevoir,del’entendrerireetdel’embrasser.JorieetRubysontentréesenpremier.JudsonetDeaconontposéunemainsurmonépaule.Quandils
ont appris lanouvelle,mesamisont séché les courspourme rendrevisite etme soutenir. Ilsnous envoulaient de ne pas leur avoir dit la vérité plus tôt, mais ils comprenaient le choix de Poppy. Ilsadmiraientsaforceetsoncourage.Les jours où je n’allais pas en cours,mes amism’apportaient les devoirs. Ils s’occupaient demoi,
commejem’occupaisdePoppy.DeaconetJudsonrefusaientque jeratemonannée. Ilsvoulaient fêternotredépartàl’universitéensemble.Moi,jemefichaisdulycéeetdel’université,maisj’appréciaisleuraide.Enune semaine, j’avaisdécouvert àquelpointmesamis comptaientpourmoi.Poppyavaitmoncœur,maisj’aidécouvertquej’avaisdel’amourailleurs.Desamisprêtsàtoutpourmesoutenir.MesparentsrendaientvisiteàPoppytouslesjours.Sijeneparlaistoujourspasàmonpère,lesilence
neledérangeaitpas.Lesimplefaitd’êtreassisàcôtédemoiluisuffisait.—Commentva-t-elleaujourd’hui?ademandéJorie.—Demieuxenmieux.Jemesuisassissurlereborddulit.J’aiprislamaindePoppyetj’aidéposéunbaisersursonfront.—Nosamissontlà,ai-jemurmuré.Ilssontvenustevoir.J’aicruvoirsescilsbouger,maiscen’étaitquelefruitdemonimagination.Ilmetardaitqu’ellese
réveille.D’iciquelquesjours,elleouvriraitlesyeuxpourdebon.Mesamissesontassissurlecanapéàcôtédelafenêtre.—Lesmédecins vont commencer à la sortir du coma ce soir. Il lui faudra quelques jours pour se
réveiller.L’infectionestpassée.Elleestprêteàrevenir.Jevaisenfinlarevoir.—C’estunebonnenouvelle,aréponduJorie.Ellem’aoffertunsouriretriste.—Dansquelétatsera-t-elleàsonréveil?ademandéRuby.—Elleserafaible,maisderetourparminous.Jelaporteraipartouts’illefaut.Jeveuxjustelavoir
sourire.Jeveuxêtreàsescôtés,jusqu’àlafin.Rubys’estmiseàpleurer.Joriel’aserréedanssesbras.J’aipousséunsoupir.—Je saisque tu l’adores,Ruby,mais il fautque tu sois forte.Poppyne supportepasdenousvoir
tristes.Ondoitlarendreheureuse,autantqu’ellenousrendheureux.Rubyahochélatête.—Ellenereviendrapasaulycée?—Non,etmoinonplus.Pasavant…Jen’aipaspu terminermaphrase.Jen’étaispasencoreprêtàprononcercemot.Pasencoreprêtà
affrontercetteépreuve.—Qu’est-cequetuasprévupourl’annéeprochaine?s’estinquiétéDeacon.Est-cequetut’esinscrit
àl’université?Jemefaisdusoucipourtoi,Rune.—Jen’arrivepasàmeprojeteraussiloin.Mavieestici,maintenant,avecPoppy.Iln’yaqu’ellequi
compte.Jemefichedel’annéeprochaine.Unsilencepesants’estabattusurlachambre.Deaconavaitd’autreschosesàdire,maisils’estretenu.—Est-cequ’elleseralàpourlebaldefind’année?amurmuréJorie.— Je ne sais pas. Elle en avait envie, mais c’est dans six semaines… C’était un de ses derniers
souhaits.Poppynedemandepasgrand-chose.Elleveut justedanseraubalde find’année,commeunefillenormale.Avecmoi.JorieetRubyontpleuréensilence.Jen’aipascraqué.Jemecontentaisdecompterlesheuresquime
séparaientdePoppy,del’imaginerouvrirlesyeuxetmesourire.
Uneheureplustard,mesamissontrepartis.Judsonaposélesdevoirsdelajournéesurlapetitetablequimeservaitdebureau.—Mathetgéographie.Lesprofsonttoutnotépourtoi.Jelesairemerciésetjeleuraiditaurevoir.Aprèsleurdépart,j’aiterminémesdevoirsetjesuisallé
prendredesphotosdehors.Monappareilnemequittaitplus.Ilfaisaitànouveaupartiedemoi.Endébutdesoirée,lafamilledePoppyestarrivéeetlesmédecinsontsuivi.—Bonsoir,Rune.M.Litchfieldm’aserrédanssesbras.DepuisquePoppyétaitdanslecoma,unesortedetrêves’était
installéeentrenous.Ilmecomprenait,etjelecomprenais.MêmeSavannahavaitchangé.Ellesavaitqueje ne briserais pas le cœur de sa grande sœur. Je n’avais pas quitté son chevet depuis son arrivée àl’hôpital.Mondévouementleuravaitprouvéàquelpointjel’aimais.Idaaenroulésespetitsbrasautourdemataille.MmeLitchfieldm’aembrassésurlajoue.—Leniveaudeglobulesblancsestsatisfaisantàcestadedelamaladie,nousainforméslemédecin.
Nous allons réduire l’anesthésie dès ce soir. Poppy vamettre du temps à se réveiller. Elle risque deperdre et de reprendre connaissance, d’être différente, d’avoir des hallucinations.Tout devrait rentrerdansl’ordred’iciquelquesjours.Moncœurs’estemballé,maislemédecinalevélesmains,commepournousprévenir.—Poppyesttrèsfaible.Nousdevonsattendresonréveilpourdéterminersonétatetlesconséquences
del’infection.Ilestprobablequ’elleneretrouvepassonénergied’avant,etqu’ellesoitlimitéedanssesmouvements.Seulletempsledira.J’aifermélesyeuxetpriépourqu’elleaillebien.Etsicen’étaitpaslecas,jemesuisjurédel’aider.
J’étaisprêtàtoutpourelle.Le lendemain, Poppy a commencé à remuer les doigts et les cils. Le deuxième jour, elle a ouvert
lesyeux.Seulementquelques secondes,mais cela a suffi àme redonner espoir.Le troisième jour,uneéquipedemédecinsetd’infirmiersontcommencéàladétacherdecertainesmachines.Lecœurbattant,jeles ai regardés enlever le tubede sa gorge.Poppy était toute blanche et elle avait les lèvres gercées,cependantj’étaiscontentdelavoirànouveaulibre.J’étaisassisàsonchevet, leregardfixéauplafond,quandelleaserrémamaindans lasienne.J’ai
bondidesurprise.J’aiappuyésurleboutonpourappeleruneinfirmière.—Jepensequ’elleseréveille.LesparentsdePoppyetlemédecinsontarrivéspeuaprès.Poppyasoulevélespaupières,révélantses
grandsyeuxverts.—Bonjour,Poppy.Elleatendulamainetelleaessayédeparler.Lemédecins’esttournéversl’infirmière.—Allezchercherdesglaçonspourseslèvres.M.Litchfieldavoulumeretenir,maisc’étaitplusfortquemoi:ilfallaitquejelarejoigne.J’aiprisla
maindePoppyetelleatournélatêteversmoi.—Hei,Poppymin.Ellem’asourietelles’estrendormie.
Poppys’estréveilléeplusieursfoisdanslajournée.Ellen’étaitpaslucide,maisellemesouriait.Ellesentaitmaprésence.J’aiprofitédelavisited’uneinfirmièrepourluidemanderunservice.—Est-cequ’onpeutbougersonlitdevantlafenêtre?Poppyadoreregarderlesoleilselever.L’infirmièrem’aregardéavectendresse.Jenevoulaispasdesapitié.Jevoulaisjustequ’ellem’aide.—Biensûr,Rune.Soulagé, je l’ai aidée à faire rouler le lit face à la fenêtre, qui donnait sur le jardin du service de
pédiatrie.—Ici?a-t-elleditenactionnantlesfreins.—Parfait,ai-jeréponduensouriant.Merci.Cesoir-là,quandlesparentsdePoppyluiontrenduvisite,samèrem’aserrédanssesbraspourme
remercier.Lesjoursquiontsuivi,sesparentsontalternélagardedenuit.L’undormaitdansunepièceréservée
auxfamilles,àl’autreboutducouloir,etl’autrerestaitàlamaisonaveclesfilles.Moi,jerestaisdanslachambredePoppyjouretnuit.Unsoir,lamèredePoppyétaitentraindeluiracontersajournéequandquelqu’unafrappéàlaporte.
C’étaitmonpère.—Rune?Est-cequejepeuxteparleruninstant?Ilm’aattendusurlepasdelaporte.J’aihésité,puisjemesuislevéetjel’airejointdanslecouloir.Il
tenaitquelquechosedanssamain.— Je sais que tu nem’as rien demandé,mais j’ai développé tes pellicules. Je t’ai vu prendre ces
photos,Rune.Jesaisqu’ellessontpourPoppy.Maintenantqu’elleseréveille,jemesuisditquetuauraisenviedelesluimontrer.Ilm’atenduunalbumremplidetouteslesimagesquej’avaiscapturéesdepuisquePoppyétaitdansle
coma.Touslesmomentsqu’elleavaitratés.Jen’étaispasrentréchezmoidepuisunesemaine.Jen’avaispaseuletempsdelesdévelopper,etmonpèrel’avaitfaitàmaplace.—Merci.Ilapousséunsoupirdesoulagementetilaposéunemainsurmonépaule.J’aifermélesyeux.Pourla
premièrefoisdepuisl’arrivéedePoppyàl’hôpital,j’aieul’impressionderespirer.J’aihochélatêteetjesuisretournédanslachambre.Jemesuisassisàmaplace,l’albumsurlesgenoux.MmeLitchfieldnem’ariendemandé.ElleacontinuéàraconterdeshistoiresàPoppyjusqu’àtarddanslanuit.Quandelleestpartiesecoucher,j’aienlevémesbotteset,commechaquesoir,j’aiouvertlesrideaux
etjemesuisallongéàcôtédePoppy.Jemesuisendormienregardantlesétoiles.Quelquesheuresplustard,unemains’estposéesurmonbras.Surpris,j’aiclignédesyeux.Lesoleilétaitentraindeseleveràl’horizon.Unsoufflechaudmecaressaitlevisage.Poppyavaitlesyeuxgrandsouverts.—Poppymin?Elleabalayélachambreduregardetelleaessayédedéglutir.J’aiattrapéleverred’eausurlatable
et j’ai approché la paille de sa bouche. Poppy a bu quelques gorgées et soupiré de soulagement. J’aiappliquésonbaumepréférésurseslèvrescraquelées.Ellem’aoffertleplusbeausouriredumonde.Unevaguedebonheurs’estemparéedemoi.J’aidéposéunbaisersursaboucheetPoppys’estéclairci lavoix.
—Baisernuméro…Confuse,elleafroncélessourcils.—Neufcenttrois,Poppy.—Baisernuméroneufcenttrois.AvecmonRune,àmonréveil.Commepromis.J’aiblottimonvisagedans lecreuxdesoncou.J’avaisenviede laserrerdansmesbras,maiselle
était trop fragile. Comme une poupée de porcelaine. Elle a passé unemain dansmes cheveux et j’aiprofitédecetinstantmagique,desonregardetdesonvisage.—J’aidormilongtemps?—Unesemaine.—Combiendetemps…ilmereste?—Jenesaispas,Poppy.Personnenesait.Elleahochélatête,unmouvementàpeineperceptible.J’aijetéunœilparlafenêtre.—Regarde,Poppymin.Tut’esréveilléeenmêmetempsquelesoleil.Lesrayonsorangeluicaressaientlevisage.Unsourires’estdessinésurseslèvres.—C’estsublime.Onaregardélesoleilselever,baignantlachambredelumièreetdechaleur.—Jemesensfaible,Rune.—C’estnormal.—Lesoleilm’amanqué.—Tutesouviensdequelquechose?—Pasvraiment.Jemesouviensdetamaindanslamienne.C’esttout.—Ja?—Oui.J’aiattrapél’albumphotosurlatableetjel’aiouvertsurmesgenoux.Lapremièrephotoétaitcelledu
soleilquiselevaitderrièrelesnuages,sesrayonsrosestraversantlesbranchesdespins.—Tonpremiermatinàl’hôpital,Poppy.Jenevoulaispasqueturatesleleverdusoleil.Elleaposélatêtecontremonépaule.Ellen’avaitpasbesoindeparler.Jelasentaisheureuse.J’aitournélespagesdel’album.Jeluiaimontrélesarbresquicommençaientàfleurir.Lesgouttesde
pluiesurlafenêtre.Lesétoilesdansleciel,laluneetlesoiseauxquipréparaientleurnid.Quandj’aifermél’album,Poppyaplongésonregarddanslemien.—Tuasphotographiétouslesmomentsquej’airatés.J’aibaissélatêteetelleamisunemainsurmajoue.—Promets-moidecontinuer,Rune.Mêmequandjeneseraipluslà.Cesphotossonttropprécieuses
pournepasêtreprises.Penseàtouteslespossibilitésquis’offrirontàtoi.—Jetelepromets,Poppymin.—Merci.—Tum’asmanqué.
—Toiaussi,Rune.—Denouvellesaventuresnousattendentaprèstasortiedel’hôpital.Sonvisages’estilluminé.—Est-cequelescerisierssontenfleur?—Pasencore.Ilsdevraientfleurirdansunesemaine.Elleafermélesyeux.—Jetiendraijusque-là,Rune.J’ensuiscapable.—Tutiendrasbienpluslongtemps.—Jusqu’àmillebaisers.—Jusqu’àmillebaisers.—AvecmonRune.Pourtoujours.
*
Poppyestsortiedel’hôpitalunesemaineplustard.Lemédecinnousaannoncéqu’ellenemarcheraitplus.Mêmeenfauteuilroulant,Poppynes’estpaslaisséabattre.—Tantquejepeuxsortir,sentirlesoleilsurmapeauettenirlamaindeRune,jesuisheureuse.Le jour de son retour, j’ai grimpé à sa fenêtre, une enveloppe à lamain.C’était une surprise.Mon
cadeaudebienvenue.Undesesrêvesquiseréalisait.Poppyaouvertlesyeux.—Lelitétaitfroidsanstoi,a-t-elleditensouriant.Jemesuisassisàcôtéd’elleetj’aidéposéunbaisersurseslèvres.Poppyaattrapéuncœurdansson
bocaletelleyaajouténotrebaiser.Jeluiaitendul’enveloppe.—Qu’est-cequec’est?—Desphotos.—Moncadeaupréféré.Dèsl’instantoùelleaouvertl’enveloppe,sonvisages’estilluminé.—Ilssontenfleur?J’aihochélatêteensouriant.—Quandest-cequetulesasprises?—Ilyadeuxjours.Elleaposéunemainsursabouche.—Emmène-moi,Rune.Jemesuislevéetjel’aiprisedansmesbras.Elleaglissélesmainsderrièremoncou.—Prête?—Prête.Jel’aiinstalléesursonfauteuilroulantetj’aidisposéunecouverturesursesgenoux.Elleapenchéla
têteversmoi.—Merci,Rune.Je l’ai embrassée et je l’ai poussée dans le couloir. Son rire a résonné dans lamaison vide.Nous
avonstraversélapelouseendirectiondelacerisaie.Ilfaisaitbeau,lecielétaitbleuetlesoleilbrillait.Poppyafermélesyeuxetlesarouvertsensentantleparfumdescerisiers,avantmêmedelesvoir.—Rune…Elle s’est agrippée auxaccoudoirs. J’ai pris sa réaction enphoto.Ellene s’en estmêmepas rendu
compte.Elleétaitcaptivéeparlabeautédulieu.Elleacaressélespétalesd’unebrancheetelleaplongésonregarddanslemien.J’aisoulevémonappareiletcapturécetinstantprécis.Sonvisage,plusvivantque jamais, avec un océan rose et blanc en arrière-plan. Les fleurs de cerisier formaient un halo au-dessusdesatête.Poppyétaitunefleurdecerisier.Mafleurdecerisier.Unefleursanségale,tropbellepourdurer.Une
fleur qui embellissait nos vies pendant un court instant, avant de disparaître dans le vent. Poppynousrappelait qu’il fallait vivre.Que l’amour existait.Quenotre vie avait un sens et quenos jours étaientcomptés.—Jeveuxtraverserlacerisaieavectoi,Rune.J’aipoussésonfauteuillelongdusentier.Poppyrespiraitlentement,profitantdechaqueinstant.J’ai
étaléunecouverturesousnotrecerisierpréféré,j’aiportéPoppyetjel’aiinstalléesousl’arbrerose.Jemesuisassiscontreletroncetelles’estblottiecontremoi.—Onaréussi,Rune.J’aidéposéunbaiserdanssoncou.—Onsecroiraitdansunrêve.Dansunepeinture.J’espèrevraimentqueleparadisressembleàça.Aulieudemesentirtristeoublesséparsesparoles,j’aisouhaitélamêmechosequ’elle.Jevoulais
quePoppyaitdroitàcettebeautépourl’éternité.Elleneseplaignaitjamais,maisjevoyaisàquelpointelleétaitfatiguée,àquelpointellesouffrait.Elles’accrochait,commesielleattendaitquejesoisprêtàlalaisserpartir.—Rune?—Ja?Sonvisages’estassombri,commesielleavaitpeur.Poppyn’avaitjamaispeur.—Etsijevousoubliais?—Oublierqui,Poppymin?—Toi,mafamille…nosbaisers.—Tunelesoublieraspas.—J’ailuquelquepartquenotreâmeoublietoutaumomentdesondépart.C’estcequil’aideàaller
del’avant,àtrouverlapaixauparadis.Moi,jeneveuxpasoublier.Jeveuxmesouvenirdetoutcequej’aivécu.Ellealevélatêteversmoi,leslarmesauxyeux.—J’aibesoindetoi,Rune.Jeveuxtevoirvivretavie.Ellevaêtretrépidante.Jelesais.Jeveuxvoir
toutes lesphotosque tuprendras.Et jeveuxme souvenirdenosmillebaisers. Je refused’oublier cequ’onavécutouslesdeux.Jelesveuxavecmoi,pourl’éternité.
—Jeferaiensortedetelesmontrer.—C’estvrai?—Jetelepromets,Poppy.Jenesaispascomment,maisjetrouveraiunmoyen.—Etmoi,j’attendraidanslacerisaie.—Ja.Elleasouri,unsouriredistantetrêveur.—Tudevrasattendreunan,Rune.—Unan?—Ilparaîtquenotreâmemetunanàpasserdel’autrecôté.Jenesaispassic’estvrai,maisaucas
où,attendsunpeuavantdemerappelernosbaisers.Jeneveuxpaslesrater.—D’accord.J’avaisenvied’éclaterensanglots.Desoiseauxvolaientdebrancheenbranche,secachantderrière
lesgrappesdepétales.Poppyaserrémamaindanslasienne.—Merci,Rune.Mercid’avoirréalisémonrêve.Jel’aiserréedansmesbrasetjel’aiembrasséeavectendresse.Elleafermélesyeux.—Baiser numéro neuf cent trente-quatre.AvecmonRune, sous les cerisiers en fleur.Mon cœur a
presqueéclaté.J’aisouri,àlafoisremplidebonheuretdedésespoir.Nousyétions.Lafindenotreaventure.—Tuasarrêtédefumer,a-t-elleremarqué.—Ja.—Pourquoi?—Parce quequelqu’unm’a appris que la vie est précieuse, et qu’il ne faut pas la gâcher. Je l’ai
écouté.—C’estvrai,Rune.Chaquejourcompte.N’engaspillepasuneseconde.Noussommesrestésunlongmomentensilence,àadmirerlabeautédescerisiers.Poppyapousséun
soupir.—Jenepensepasquejeverrailebaldefind’année,Rune.Jemesensfatiguée.Trèsfatiguée.J’aifermélesyeuxetjel’aiserréedansmesbras.—Ilfautcroireauxmiracles,Poppy.—Jesais.J’auraisjusteaimétevoirencostumeetdanseravectoi,surunemusiquequinousrappelle
notrehistoire.Jelasentaisdeplusenplusfaibledansmesbras.—Viens,Poppy.Jeteramèneàlamaison.Ellem’atendulamainetjel’aiportéedansmesbras.—Jenesuispasprêteàtedireaurevoir,Rune.Pasencore.En lapoussant jusquecheznous, j’aipriépourqu’elle tienneencoredeuxsemaines. Jevoulaisque
toussessouhaitsseréalisentavantsondépart.
Illefallait.C’étaitmafaçonàmoidelaremercier.Leseulcadeauquejepouvaisluioffrir.
15
CLAIRDELUNEETRAYONSDESOLEIL
Poppy
Deuxsemainesplustard
J’étaisassisedansmonfauteuilroulant,danslasalledebainsdemesparents.Mamèrememaquillaitlesyeux.Jelaregardaisavecattention,soucieusedegraversonvisagedansmamémoire.Jem’éteignaispeuàpeu.Jelesavais.Toutlemondelesavait.Chaquematin,jemeréveillaisunpeu
plusfaible,unpeuplusfatiguéedanslesbrasdeRune.Maisaufonddemoi,jemesentaisforte.Unautremondem’appelait.Pluslesheurespassaient,plusjemesentaiscalme.Apaisée.J’étaispresqueprête.J’avaisbeaucoupobservéma famille, cesderniers jours. Je les sentaisprêts, euxaussi.Mes sœurs
étaientheureusesetcourageuses,etmesparentslesaimaientplusquetout.Runeétaitceluiquej’auraisleplusdemalàquitter.Ilavaitbeaucoupgrandi.Iln’étaitpluslegarçon
briséetmoroserevenudeNorvège.Ilétaitpleindevie.Ilsouriait.Ilprenaitdesphotos.Mieuxencore, ilm’aimaitouvertement. Il ne se cachait plusderrièreunmurde tristesse.Soncœur
s’étaitouvert.Sonâmeétaitlumineuse.Ilétaitprêt,luiaussi.Mamère s’est dirigée vers l’armoire. Elle est revenue dans la salle de bains avec une belle robe
blanche.J’aipasséunemainsurletissu.—Elleestjolie.—Jet’aideàl’enfiler?J’aiclignédesyeux,confuse.—Pourquoi?Qu’est-cequisepasse,maman?Ellem’asouri.
—C’estunesurprise,mapuce.Ellem’aaidéeàm’habilleretàenfilermesballerinesblanches.Laportes’estouverteetDeeDeeest
entrée,leslarmesauxyeux.—Tuessuperbe,Poppy.Elleaprismamèreparlamainetlesdeuxsœursm’ontadmiréeensouriant.—Jepeuxmevoir?Mamèrem’apousséejusqu’aumiroir.Jen’encroyaispasmesyeux.Larobeétaitencoreplusbelle
quecequej’imaginais.Mamèrem’avaitfaitunchignonetaccrochémonnœudblancpar-dessus.Commetoujours,mesbouclesd’oreillesscintillaient,symbolesdel’infinietdemonamourpourRune.—Jenecomprendspas…Jesuishabilléecommepouralleraubal.J’aicroiséleregarddemamèreetdeDeeDeedanslemiroir.Moncœurs’estemballé.—Jevaisaubal?C’estça?Mais…ilalieudansdeuxsemaines!Comment…Lasonnettem’a interrompue.Ellesontéchangéunregardcomplice.J’aientendulaportes’ouvriret
j’aireconnulavoixdemonpère.Desmilliersdepenséesm’onttraversél’esprit,maisjenevoulaispasmefairedefauxespoirs.Mamèrem’apousséedans le couloir.Monpèreetmes sœursétaientplantésdevant l’entrée.Rune
étaitsurlepasdelaporte.Ilavaitunebranchedecerisierdanslamain…etilportaituncostume.Monvisages’estilluminé.Ilexauçaitmonderniersouhait.Ils’estaccroupidevantmoi.—Tuesmagnifique,Poppymin.J’aipasséunemaindanssescheveuxblonds.—Tut’espeigné.Ettuportesuncostume.—Jetel’avaispromis.Ilm’atendulesfleurs.J’aiplongémesyeuxdanslessiens,etilm’aembrassée.—Est-cequec’estunrêve,Rune?—Non,c’estlavérité.Jet’emmèneaubal,Poppymin.Unelarmeadévalémajoue.Inquietdemaréaction,Runeafroncélessourcils.J’aiéclatéderire.—Cesontdeslarmesdebonheur,Rune!Tumerendsheureuse.Runeavaitfaitdemoilafillelaplusheureusedumonde,etpasseulementcesoir.Toutemavie.Je
voulaisqu’illesache.—Toiaussi,Poppymin.Monpères’estraclélagorge.—Allez,lesjeunes.Vousallezêtreenretard.J’aientendul’émotiondanssavoix.Runeaposélesmainssurlespoignéesdufauteuil.—Prête?—Prête.
Runeavaitréalisémonrêve,etjerefusaisd’enperdreunemiette.Ilm’apousséejusqu’àlavoituredemamère et ilm’a assise côté passager.Quelquesminutes plus tard, il s’est garé devant le lycée. Lamusiques’échappaitdesportesdugymnase.J’aifermélesyeux,savourantcetteimage:leslimousinesquidéposaientlesélèves,lesjoliesrobesetlesbeauxcostumes…Runem’aassisedansmonfauteuiletilm’aembrassée.Unbaiserpleind’amouretdepassion.Ilsavaitquenosbaiserstouchaientàleurfin.Celalesrendaitencoreplusuniques.Nousnousétionsembrasséspresquemillefois,maislesderniersétaientlesplusforts.—Baisernuméroneufcentquatre-vingt-quatorze.AvecmonRune,aubaldefind’année.Moncœura
presqueéclaté.Runem’aembrasséesurlajoueetm’apousséeendirectiondugymnase.Lesprofesseursnousontvus
arriver.Leurréactionm’aréchauffélecœur.Ilsm’ontsouri,enlacée…jemesuissentieaimée.Ilmetardaitdevoirl’intérieur.QuandRuneaouvertlaporte,jesuisrestéesansvoix.Legymnaseétait
décoréenroseetblanc.—Lesfleursdecerisier?C’estlethèmedelasoirée?Runeahaussélesépaules.—Quoid’autre?Toutlemondenousregardait.Pourbeaucoup,c’étaitlapremièrefoisqu’ilsmevoyaientdepuisqu’ils
avaient appris la nouvelle. Je me suis sentie mal à l’aise jusqu’à ce qu’ils viennent à ma rencontre,jusqu’àcequ’ilsmefassentlabiseetmenoientdecompliments.Runem’apousséejusqu’àunetablequidonnaitsurlapiste,oùnosamisétaientassis.Jorieabondidesachaiseets’estjetéedansmesbras.J’aiéclatéderire.—Tuessublime,Poppy.—Toiaussi.Judsonestapparuderrièreelleetl’apriseparlamain.Joriem’alancéunregardcomplice.—Ilfallaitbienqueçaarriveunjour.J’étaiscontentepourelle.Jorieméritaitd’êtreavecceluiqu’elleaimait.Ruby,JudsonetDeaconm’ont
prisedansleursbras.Runem’apousséejusqu’àmaplaceets’estassisàcôtédemoi.Ilnemequittaitpasduregard.—Est-cequeçava,Rune?Ilahochélatête.—Tuesmagnifique,Poppy.—Toiaussi.Lecostumetevabien.—Merci.J’aimisdutempsàmettrelenœudpapillon.—Tuasréussitoutseul?—Monpèrem’aaidé.—C’estvrai?Tul’aslaisséfaire?Moncœurs’estemballé.Runenesavaitpasqu’undemessouhaitsétaitqu’ilseréconcilieavecson
père.Sonpèrel’aimait,etRuneauraitbientôtbesoindelui.—Oui,jel’ailaisséfaire.
J’aiposélatêtesursonépaule.—Jesuisfièredetoi,Rune.J’aibalayélasalleduregard.Noscamaradesdansaientets’amusaient.J’aiobservétouscesgensavec
qui j’avaisgrandiet jemesuisdemandécequ’ilsdeviendraientplus tard,avecqui ilssemarieraient,s’ilsauraientdesenfants.MesyeuxsesontposéssurAvery,assiseàuneautretable.Jel’aisaluéed’unemainetellem’asouri.Lesheuresontdéfilé.J’aiprisplaisiràregardernosamispasserunbonmoment.J’aidemandéàRune
commentilavaitorganisécettesoirée.IlamontréJorieetRubydudoigt.—C’étaitleuridée,Poppymin.Ellesontavancéladatedubaletchangélethème.—Seulementelles?Tuenessûr?Runeestdevenutoutrouge.Ilavaitjouéunrôlebienplusimportantqu’ilnelelaissaitentendre.J’ai
posémesmainssursesjouestièdes.—Jet’aime,RuneKristiansen.Jet’aimeàlafolie.—Jet’aimeaussi,Poppymin.Plusquetout.—Jesais,Rune.Jesais.Ilm’ainvitéeàdanser,maisjenevoulaispasmontersurlapisteenfauteuil.JorieestalléevoirleDJ,
qui amis If I Could Fly des OneDirection. Elle nous a fait un clin d’œil. Je n’en croyais pasmesoreilles.J’avaisditàJoriequecettechansonmerappelaitmonhistoireavecRune.Je luiavaisconfiéquesinousnousétionsmariés,celaauraitéténotrechanson.Notrepremièredanseentantquemarietfemme.Runem’asoulevéeetm’aportée jusqu’à lapiste. Ils’estmisàdanseravecmoidanssesbras.J’ai
plongémesyeuxdanslessiens.Ilécoutaitattentivementlesparoles.Jenevoyaisquelui.Luietmoi,quidansionsparmilesfleursdecerisier.Deuxâmessœurs,uniespourl’éternité.Lachansonétaitsurlepointdeseterminer.J’aiapprochémabouchedesonoreille.—Rune?—Ja?—J’aimeraisquetum’emmènesquelquepart.Ilahochélatête,l’airinquiet,etilm’aembrassée,leslèvrestremblantes.Unelarmeadévalémajoue.—Baisernuméroneufcentquatre-vingt-quinze.AvecmonRune,sur lapistededanse.Moncœura
presqueéclaté.Ilaappuyésonfrontcontrelemien.J’aicroiséleregarddeJorie,quimefixait,immobile,leslarmes
auxyeux.J’aiposéunemainsurmoncœur.—Merci,ai-jemurmuré.Jet’aime.Tuvasmemanquer.Jorieafermélesyeux.—Jet’aimeaussi.Tuvasmemanquer,Poppy.Ellem’aditaurevoird’unemain,etjemesuistournéeversRune.—Onyva?Ilm’aassisedanslefauteuiletnoussommesretournésàlavoiture.—Jet’emmèneoù,Poppymin?
—J’aimeraisvoirlesoleilseleversurnotreplage.—Notreplage?C’estloin,Poppy.Etilestdéjàtard.—Peuimporte.Jemesuisenfoncéedansmonsiègeet j’aipris lamaindeRunedans lamienne,prêteàvivrenotre
toutedernièreaventure.
*
Quelquesheuresplustard,Runes’estgarésurleparkingquidonnaitsurlaplage.Lesoleiln’étaitpasencorelevé.—Tuveuxt’asseoirsurlesable?—Oui,ai-jeréponduenregardantlesétoiles.—Ilfaitfroid,Poppy.—Peuimporte,tantquejesuisavectoi.Ilm’aregardéed’unairattendri.—Attends-moiici.Ilestsortidelavoitureetilaattrapéplusieurscouverturesdanslecoffre.Ilenaétaléunesurlesable,
puisilaenlevésonnœudpapillon.Enl’observant,jemesuisdemandécommentj’avaiseucettechance.Lachanced’êtreaiméeparcegarçon,avectellementdeforcequetouteslesautreshistoiresd’amourmesemblaientpâlesencomparaison.Mavieavaitétécourte,maisj’avaisaiméetonm’avaitaimée.C’étaittoutcequicomptait.Runeaouvertlaportièreetm’aprisedanssesbras.—Jenesuispastroplourde?—Pasdutout,Poppymin.Jel’aiembrassésurlajoueetj’aiblottilatêtecontresontorse.Lebruitdesvaguesbrisaitlesilence
de la nuit et mes cheveux dansaient dans le vent. Rune s’est mis à genoux sur la couverture et m’aallongéedessus.J’aifermélesyeux,appréciantl’airsalédel’océan.Ilm’aenveloppéedansdegrossescouverturesenlaine.Jeluiaisourietjemesuisblottiedanssesbras.—Çava,Poppymin?—C’estparfait.—Tuesfatiguée?—Oui,Rune.Jesuistrèsfatiguée.Jenevoulaispasluimentir.Ilapousséunlongsoupir.—Tuasréussi,Poppy.Tuasvulescerisiersenfleur,lebaldefind’année…—Etnosbaisers.Rune?—Ja?—N’oubliepas,lemillièmeestréservéàmondépart.Tuestoujoursd’accord?—Biensûr,Poppymin.
Ilm’aserréedavantagecontrelui.J’aisentidanssavoixquemademandeluifaisaitdumal.—Ceseramoncadeaulepluscher,Rune.Partirenpaix,avectes lèvressur lesmiennes.Lafinde
notreaventure.Unelongueaventuredeneufans.Jel’airegardédroitdanslesyeux.—Jeneregretterien,Rune.Jeveuxquetulesaches.Toutaétéparfait.Promets-moiquetupartirasà
l’aventuredanslemondeentier,quetuvisiterasd’autrespays,quetuprofiterasdelavie.Runeahochélatête.—Jetelepromets,Poppy.Soulagée,j’aiposélatêtecontrelui.Lesminutesontpasséensilence.J’airegardélecieletlesétoiles
disparaîtrepeuàpeu.Runes’estéclaircilagorge.—Est-cequetuasétéheureuse,Poppymin?Est-cequetuas…aimétavie?—J’aiadorémavie,Rune.Absolument tout.Et je t’aiaimé toi.Tuasembellimesjournéesetmes
nuits.Tuétaisderrièrechacundemessourires.J’aifermélesyeuxetj’airepenséànotrehistoire.Àtouteslesfoisoùilm’avaitprisedanssesbras,
oùilm’avaitembrasséeetaimée.—Oui,j’aieuunebellevie.Ilapousséunsoupir,commesimaréponselesoulageaitd’unfardeau.—Moiaussi.J’aifroncélessourcils.—Latiennen’estpasencoreterminée.—Poppy…—Non,Rune!Écoute-moibien.Jesaisquemondépartvatebriserlecœur,maistun’aspasledroit
debaisserlesbras.Jeseraitoujourslà.Jemarcheraiàtescôtés.Jetetiendrailamain.Jefaispartiedetoi,commetufaispartiedemoi.Tuvasvivre,rire,explorerlemonde…pournousdeux.J’aiserrésamaindanslamienne,l’implorantdem’écouter.—Disouiàtout,Rune.Toujours.Disouiàdenouvellesaventures.Madéterminationl’afaitsourire.Ilapasséunemainsurmajoueetjeluiaisourienretour.—D’accord,Poppymin.Jetelepromets.—Tuastellementàoffriraumonde,Rune.Tueslegarçonquim’aofferttouscesbaisersetexaucé
mesderniersvœux.Cegarçonn’estpasdugenreàabandonner. Il se relève, comme le soleil tous lesmatins.Domptelatempête,Rune.Etsouviens-toid’unechose.—Quoi?—Clairdeluneetrayonsdesoleil.Runeaéclatéderire,unriremerveilleux.—Jesais,Poppymin.Jesais.Le soleil est apparu à l’horizon.Lagorge serrée, j’ai pris lamaindeRunedans lamienne et nous
l’avonsadmiréensilence.Celeverdesoleilsepassaitdecommentaires.J’avaistoutdit.Jel’aimais.Jevoulaisqu’ilvive.Etjesavaisquejelereverraisunjour.
J’étaisenpaixavecmoi-même.J’étaisprêteàpartir.Commes’ilavait ludansmespensées,Runem’aserréecontre lui.Lesoleilachassé la luneet les
étoiles,surgissanttelleunebouledefeuau-dessusdel’eau.Lespaupièreslourdes,jesuisrestéeblottiedanssesbras,heureuseetsatisfaite.—Poppymin?—Oui,Rune.—Est-cequejet’aisuffi?Ilavaitlavoixrauque,érailléeparlechagrin.—Biensûr.Plusquetout.Lesoleilaprissaplacedanslecielmatinal.—Jesuisprêteàpartir,Rune.Ilm’aserréeunedernièrefoiscontrelui,ils’estlevéetilm’atendulamain.—Non,Rune…Jesuisprêteàpartir.Ilafermélesyeuxuninstant.Ils’estaccroupidevantmoietaprismonvisagedanssesmains.—Jesais,Poppy.J’aisentil’instantoùtul’asdécidé.Ilm’aportéejusqu’àlavoiture.J’aitournélatêteversl’océan,unedernièrefois.—Regarde,Rune.Tesempreintesdanslesable.Cetteimagenousacoupélesouffle.—Tum’asportéedanslesmomentslesplusdifficiles,quandjen’avaispluslaforced’avancer.Tu
m’asportéejusqu’aubout.—Pourtoujours,Poppymin.Pourlavie.Jel’airegardéconduirependanttoutletrajet.Jevoulaisgravercesouvenirdansmamémoire,jusqu’à
cequ’ilsoitderetourdansmesbras.
16
RÊVESETSOUVENIRS
Rune
C’estarrivédeuxjoursplustard.DeuxjourspassésauchevetdePoppy,àluitenirlamainetàl’embrasser.Neufcentquatre-vingt-dix-
neufbaisers.Nousavions installéson litdevant la fenêtre,commeà l’hôpital.Poppyétaitdeplusenplus faible,
maistoujoursaussiheureuse.Ellenoussouriaitàlongueurdejournéepournousrassurer.J’étaisfierd’elle.Jemesuisisolédansuncoindelapièceetj’airegardéchaquemembredesafamilleluidireaurevoir.
J’aiécoutésespetitessœursetDeeDeeluidirequ’ellessereverraientunjour.Jesuisrestéfortpendantquesesparentsretenaientleurslarmes.Quandsamères’estécartée,Poppym’atendulamain.J’aimarchéd’unpaslourdjusqu’àelleetjeme
suisassissurlereborddulit.Poppyétaittoujoursaussibelle.—Hei,Poppymin.—Hei,Rune.J’aidéposéunbaisersursamain.Sonsourirem’abrisé lecœur.Dehors,unnuagedepétaless’est
envolédanslevent.—Regarde,Rune.Elless’envont.LedestinvoulaitquePoppypartelemêmejourquelesfleursdecerisier.Ellesguideraientsonâmeet
l’accompagneraientdanssonderniervoyage.—Jet’aime,Rune.—Jet’aimeaussi,Poppymin.—Jeteverraidansmesrêves.—Jeteverraidanslesmiens.Elle a poussé un soupir. Un sourire paisible s’est dessiné sur ses lèvres. Elle a fermé les yeux et
penché lementon versmoi, en quête de son dernier baiser. J’ai poséma bouche sur la sienne je l’aiembrassée.Unedernièrefois.Elleaexpiréparlenez,m’enivrantdesondouxparfum…etellen’aplus
jamaisrespiré.J’aiouvertlesyeuxetj’airegardéPoppy,endormiepourl’éternité.J’aidéposéunbaisersursajoue.—Milleetun,ai-jemurmuré.Puisj’enaidéposéunautre,etencoreuneautre.—Milledeux,milletrois,millequatre.Unemains’estposéesurmonbras.M.Litchfieldasecouélatêted’unairtriste.Unevagued’émotions
m’a traversédepart enpart.LamaindePoppyétait immobiledans lamienne. Jevoyaisqu’elleétaitpartie,maisjenevoulaispaslalâcher.—Poppymin…Dehors, lespétalesdecerisiervolaientaugréduvent.Mon regards’estarrêté sur lebocalqu’elle
avaitlaissésurlatabledechevet.Underniercœuretuncrayonétaientàcôté.Jemesuislevé,jelesaiattrapésetjesuissortisurlaterrasse.Lesjouescouvertesdelarmes,jemesuisassisparterre,dosaumur,etj’aiplacélecœursurmongenou.
Baisern 1000AvecPoppymin
Quandelles’estenvoléeMoncœuraéclaté
J’aiouvertlebocal,j’aimislederniercœuràl’intérieuretj’aifermélecouvercle.J’étaisperdu.Vide.J’airegardéautourdemoi,àlarecherched’unindice.J’aiposélebocalparterre
etj’aienroulélesbrasautourdemesjambes.Leplancheracraqué.J’ailevélatête.Monpèreétaitlà.Illuiasuffid’unregardpourcomprendrequePoppyétaitpartie.Sesyeuxsesontremplisdelarmes.J’aiéclatéensanglots,etilm’aprisdanssesbras.J’enavaisbesoin.J’avaisbesoindelui.J’ai abandonné les dernières traces de colère et je me suis effondré dans ses bras, libérant mon
chagrin.Ilestrestéàmescôtés,surcetteterrasse,jusqu’àcequelanuittombe.Iln’apasditunmot.Sij’avaistendul’oreille,sij’avaisécoutéleventsoufflerdansnotrerue,j’auraisentendulerirede
Poppy,souriantetdansantverssaprochaineaventure.
*
L’enterrementaeulieuunesemaineplustard.Lacérémonieétaitbelle,àl’imagedePoppy.Après,jesuisrentréchezmoietjemesuisisolédansmachambre.Mesparentsontfrappéàlaporte.Monpèreestentréetaposéuneboîtesurmonlit.—Qu’est-cequec’est?—Poppynousademandédeteladonneraprèssonenterrement.Ellel’apréparéeavantdepartir.Moncœurs’estemballé.—Tudoislirelalettreenpremier.Ilyaplusieursboîtesàl’intérieur.Ellessontnumérotées.Jemesuisagrippéàsamain.
o
—Merci.—Jet’aime,Rune.—Jet’aimeaussi.Etjelepensaisvraiment.Cettesemaine,notrerelationavaitchangé.S’ilyavaitbienunechosequela
courteviedePoppym’avaitapprise,c’étaitqu’ilfallaitapprendreàpardonner,àaimeretàvivre.J’enavaisvouluàmonpèretroplongtemps.Macolèren’avaitcauséquedeladouleurautourdemoi.Clairdeluneetrayonsdesoleil.Mamèrem’aembrassésurlajoue.—Appelle-noussituasbesoin.Ellese faisaitdusoucipourmoi,mais je lasentaisplussereinedepuismaréconciliationavecmon
père. J’ai attendu qu’ils sortent. Ilm’a fallu un quart d’heure avant de trouver le courage d’ouvrir laboîte.Lalettreétaitsurledessus.J’aiouvertl’enveloppeetjel’aidépliéelentement.Rune,Toutd’abord,sachequejet’aimeplusquetout.Tulesais,etpersonnesurcetteplanètenedirale
contraire : nous étions faits l’unpour l’autre.Cependant, aumomentoù tu lis cette lettre, je seraipartie.Sachequemêmeenécrivantceslignes,jen’aipaspeur.Cettedernièresemaineadûêtredifficile
pourtoi.Difficilederespirer,deteleverchaquejour.Jelesais,carc’estainsiquejemesentiraissiont’enlevaitàmoi.Jesuistristedesavoirquemonabsencetefaitsouffrir.C’étaitleplusdur,Rune.Lechagrindemesproches,ettacolère.Jet’enprie,nelaisseplusjamais
cettecolèreteguider.Continueàêtrel’hommequetuesdevenu.Leplusbelhommedumonde.Commetupeuxlevoir, j’aiunderniercadeauàt’offrir.J’aidemandéàtonpèredem’aider.Ila
accepté sans la moindre hésitation. Parce qu’il t’aime plus que tout. J’espère que tu le sais,désormais.Tutrouverasunegrandeenveloppedanslaboîte.Ouvre-lamaintenant,etjet’expliquerai.
J’aiposélalettredePoppysurlelit.Lesmainstremblantes,j’aiattrapélagrandeenveloppeetj’enai
sortiuneautrelettre.J’aifroncélessourcilsenlisantl’en-tête:«UniversitédeNewYork.TishSchooloftheArts.»M.Kristiansen,Aunomducomitéd’admission,nousavonsl’honneurdevousinformerquevousêtesadmisànotre
programmedePhotographie.J’ailulalettreenentier.Deuxfois.J’airamassélalettredePoppypourlirelasuite.
Félicitations!
Je teconnais,Rune.Tuessûrementen trainde froncercessourcilsblondsque j’aimetant.C’estnormal. Jem’attendaisàceque tu sois choqué,àceque tu résistes.Maisne résistepas,Rune.Turêvesdecetteécoledepuistoujours.Cen’estpasparcequejenesuispluslàpourvivremonrêvequetudoissacrifierletien.Jesavaisquetuabandonneraistesétudespourresteràmescôtéscesdernièressemaines.Jet’en
suisreconnaissante,Rune.Tut’esoccupédemoi,tum’asgardéedanstesbras,tum’asembrassée…Jet’enremercie,maisjenevoulaispasquetusacrifiestonavenirparamour.Tuesnépourcapturertouscesmomentsmagiques.Tuesdoué,passionné.Laphotographiefaitpartiedetoi.Cettefois,c’estmoiquit’aiporté.Avantdedécouvrir la suite, sacheque c’est tonpèrequim’aaidéeàpréparer tonportfolio et à
t’inscrireàl’université.Ilaaussipayélepremiersemestreettachambre.Ill’afaitavecamour,mêmequandtul’ignorais.Ilm’abeaucoupémue.Ilestfierdetoi,Rune.Maintenant,ouvrelaboîtenuméroun.
Il y avait un portfolio à l’intérieur. Poppy etmonpère avaient rassemblémesmeilleures photos de
paysage,deleversdesoleiletdecouchersdesoleil.Toutescellesdontj’étaisleplusfier.Quandjesuisarrivéàladernièrepage,monventres’estnoué.C’étaitPoppy.LaphotodePoppysurla
plage.Unephotoquimettaitenavantsabeautéetsagrâce.Mapréférée.J’airetenumeslarmesenpassantundoigtsursonvisage,puisj’aireprismalecture.
Impressionnant,n’est-cepas?Tuasundon,Rune.Jesavaisquetuseraisaccepté.Jenesuispas
une experte en photographie, mais je voyais que tu étais capable de capturer des images commepersonned’autre,quetuavaisunstylebienàtoi.La dernière photo est ma préférée. Pas parce qu’il s’agit de moi, mais parce qu’elle a redonné
naissanceàtapassion.Cejour-là,surlaplage,jel’aivuerevivreentoi.Cejour-là,j’aicomprisquetu survivraisàmondépart. J’ai retrouvé leRuneque je connaissais etque j’aimais tant.Celuiquivivraitsaviepournousdeux.LeportraitdePoppym’arappelénotrevoyageàNewYork,etl’expositionoùPoppym’avaitemmené.
Cejour-là,ellesavaitdéjàqu’onm’avaitaccepté.J’enétaiscertain.J’airepenséaudernierportraitdel’exposition.Esther.Lafemmedumécène.Leportraitqu’ilavaitprisdesa femme,partie trop tôt.Ceportraitn’avaitpaschangélemonde,maissafemmeavaitchangélesien.PoppyLitchfieldétaitunejeunefillecommelesautres,néedansunepetitevilledeGéorgie.Pourtant,
elleavaittransformémavie.Façonnémonmonde.Etaujourd’hui,mêmeaprèssamort,ellel’embellissaitencore.J’enarriveàladernièreboîte,Rune.Jetepréviens:ellerisquedenepasteplaire.Avantdetelaisser,jetiensàcequetusachesquelquechose.Mavieaététropcourte,etjen’aipas
passé autant de temps avec toi que je l’aurais voulu,mais pendant ces brèves années, pendant cesderniersmois,j’aiappriscequ’étaitl’amour.Grâceàtoi,Rune.Tum’asfaitsourire.Tum’asrendueheureuse. Et, surtout, tum’as offert tes baisers.Quand je repense à ces dernières semaines, à ton
retourdansmavie, jen’aipas ledroitd’être triste.Parceque tuétaisàmescôtés.Tum’asaiméeintensément,etjen’avaisbesoinderiend’autre.C’étaitsuffisant.Maisçanel’estpaspourtoi.Tuméritesencored’êtreaimé.Quandtuasdécouvertmamaladie,tu
t’en es vouludenepaspouvoirme sauver.Plus j’y pense, plus je sais que cen’était pas ton rôle.C’étaitàmoidetesauver,Rune.Grâceàmamort,grâceànotrehistoire,tut’estrouvétoi-même.C’estlaplusgrandeaventurequi
noussoitofferte.Tuasbrisélesténèbresettuasmarchéverslalumière.Unelumièrepurequiteferaavancer,etquitemèneraunjouràl’amour.J’imaginetaréactionàlalecturedeceslignes.N’oubliepasquelavieestcourte,Rune,maisque
l’amour est sans limites et nos cœurs sont immenses. Alors ouvre le tien. Accepte d’être aimé etd’aimerànouveau.Dansquelquesinstants,tuouvrirasladernièreboîte.Maisd’abord,jetiensàteremercier.Mercide
m’avoiraiméechaquejour,chaqueminute,chaqueseconde.Mercipourtessourires.Mercipourlesmillebaisersquetum’asofferts.Chacund’entreeuxétaitprécieux.Commetoi.Etsachequetun’espasseul.Tuneserasjamaisseul,Rune.Jeseraiàtescôtés.Mamaindansla
tienne,etmesempreintesdanslesable.Jet’aime,RuneKristiansen.Detoutmoncœur.Ilmetardedeteretrouverdansmesrêves.
J’aiposélalettresurlelit.Deslarmesdévalaientmesjoues.Jelesaiessuyéesdureversdelamain.
J’ai ouvert la dernière boîte. Elle était plus lourde que les autres. J’ai tout de suite su de quoi ils’agissait.Unbocal.Ilyavaitunmessageaccrochéaucouvercle.
Disouiàdenouvellesaventures.Poppyx
Lebocalétaitremplidepetitscœursenpapierbleu.Ilsétaienttousvides.Uneétiquetteétaitcolléeauverre:«Millebaisersdefille.»J’aiserrélebocalcontremoncœuretjemesuisallongé.Jenesaispascombien de temps je suis resté là, immobile, les yeux fixés au plafond, à revivre chaque instant quej’avaispartagéavecPoppy.J’aisourienrepensantàtoutcequ’elleavaitaccompli.Jemesuissentienpaix.JesavaisquePoppy
meregardaitdelà-hautensouriant…avecsonjolinœudblancdanslescheveux.
*
UnanplustardBlossomGrove,Géorgie
—Tuesprêt,Alton?Monpetitfrèreadévalél’escalieretm’aprisparlamain.
—Ja.—Allons-y.Noussommessortisdelamaisonmaindanslamain,endirectiondelacerisaie.Lecielétaitparsemé
d’étoiles. J’avais mon appareil autour du cou. J’en avais besoin. Je devais capturer cette image. Jel’avaispromisàPoppymin.J’aientendulafouleavantdelavoir.Altonm’aregardéavecdegrandsyeux.—Ilyabeaucoupdemonde.—Millepersonnes,ai-jeréponduenentrantdanslacerisaie.Lescerisiersétaientenfleur.Unocéanroseetblanc.Celam’arappeléladernièrefoisoùj’étaislà,
avecPoppy.Toutlemondeétaitrassembléaumilieudescerisiers.Celam’aréchauffélecœur.—Rune!Idaatraversélafouleencourantetelles’estjetéedansmesbras.J’aiéclatéderire.Ellealevélatête
et,pendantuninstant,j’aicruvoirPoppy.—Tunousasmanqué!Savannah,M.etMmeLitchfieldetmesparentsnousontrejoints.MmeLitchfieldm’aembrassésurla
joueetM.Litchfieldm’aserrélamain.—Tuasl’airenforme,Rune.—Merci.Vousaussi.—CommentçasepasseàNewYork?—Trèsbien.Poppyauraitadorécetteville.MmeLitchfieldavaitleslarmesauxyeux.Elleamontrélafouledudoigt.—Elleauraitadoréça,Rune.Jesuissûrequ’ellenousvoitdelà-haut.Jen’aipasrépondu.J’enétaisincapable.Altons’estagrippéàmoi.Depuismonretouràlamaison,ilmesuivaitpartout.Monpèreaposéunemainsurmonépaule.—Toutlemondeestprêt.Jemesuisdirigéverslapetiteestradeetlemicroquim’attendaientaucentredelacerisaie.Deacon,
Judson,JorieetRubym’ontbloquélepassage.—Rune!Jories’estjetéedansmesbras.Deaconm’adonnéunetapedansledos.—Onestprêts,Rune.Ilyaplusdemondequeprévu.J’aihochélatêteenbalayantlacerisaieduregard.Leshabitantsdelavilleavaientréponduprésent.
Chacunportaitunelanternechinoise,etàchaquelanterneétaitattachéundenosbaisers,écritengrandeslettresnoires:«Baisernumérodeuxcenttrois,avecmonRune,souslapluie,moncœurapresqueéclaté.Baisernumérovingt-trois,avecmonRune,danslejardin,moncœurapresqueéclaté.Baisernuméroneufcentun,avecmonRune,dansmonlit,moncœurapresqueéclaté.»Unelanternem’attendaitsurscène.Jemesuisdemandéquimel’avaitlaissée.J’aicroiséleregardde
monpère,quiabaissélesyeux,gêné.Lemillièmebaiser.AvecPoppymin,quandelles’estenvolée.Mon
cœuraéclaté.Ilavaitraison.C’étaitàmoid’envoyercelui-ci.C’étaitcequ’elleauraitvoulu.Jesuismontésurl’estradeavecAltonetj’aiattrapélemicro.Toutlemondes’esttu.Devantmoi,un
océandelanternes,prêtesàs’envoler.C’étaitparfait.Encoreplusbeauquecequej’imaginais.—Jenevaispasfaireunlongdiscours.Parlerenpublic,cen’estpasmonfort.Jetenaisjusteàvous
remercierd’avoirréponduàmonappelcesoir.Émuauxlarmes,j’aieudumalàcontinuer.J’aipasséunemaindansmescheveux.—Avantdemourir,Poppym’ademandédeluienvoyernosbaiserspourqu’ellelesvoiedelà-haut.Je
saisquelaplupartd’entrevousn’avezpaseulachancedelarencontrer.Toutcequejepeuxvousdire,c’est quePoppy était la plus belle personne que j’ai connue.Elle aurait adoré cette soirée. S’il vousplaît,allumezvoslanternesetaidez-moiàenvoyernosbaisersàmaPoppy.J’aiposélemicro.Lesflammesdesbriquetsontilluminélacerisaie.L’uneaprèsl’autre,leslanternes
sesontenvoléesdans lanuitnoire, illuminant leciel.J’ai ramassé lamienneet jemesuis tournéversAlton.—Prêtàl’envoyeràPoppymin?Mon petit frère a hoché la tête. J’ai allumé la lanterne et j’ai libéré notremillième baiser. Le tout
dernier.Jel’airegardésuivrelesautresets’envolerverselle.Altonamissamaindanslamienneet jel’aiserréedetoutesmesforces.J’aifermélesyeuxetj’ai
envoyé unmessage à Poppy.Voilà tes baisers, Poppymin. Je t’avais promis de te les envoyer. J’airéussi.—Rune?—Ja?—Pourquoiondevaitlefaireici,danslacerisaie?—Parcequec’étaitsonendroitpréféré.—Pourquoionaattenduquelescerisierssoientenfleur?—ParcequePoppyminétaitcommeune fleurdecerisier.Elleestpartie trop tôt,maispersonnene
l’oublierajamais.Parcequelesplusbelleschosessontéphémères.Poppyétaitunefleur,unpapillon,uneétoilefilante.Elleétaitparfaite.Elleétaitàmoi…etj’étaisàelle.
ÉPILOGUE
Rune
Dixansplustard
Jemesuisréveilléensursaut.J’étaisdanslacerisaie.Lesoleilréchauffaitmapeauetleparfumdescerisiersmecaressaitlesnarines.Lecielétaitremplidelanternes,millelanternesenvoyéesdesannéesplustôt,quiflottaientau-dessusdematête.Touslesarbresétaientenfleur.Ici,labeautéétaitéternelle.Commeelle.Jel’aientenduechanteravant
mêmedelavoir.Moncœurs’estemballé.Jemesuislevéetjel’aiattendue.Poppyestapparueauboutdusentier.Elledansaitetsouriait,caressantlesfleursaupassage.—Rune!Elleacouruversmoietaenroulésesbrasautourdemoncou.—Tum’asmanqué!—Toiaussi,Poppy.Elleavait les jouesroseset lesourire jusqu’auxoreilles.Je l’aiprisepar lamain.Commetoujours
dansmesrêves,j’avaisànouveaudix-septans.Poppys’estmisesurlapointedespieds.J’aiposéunemainsursajoueetjel’aiembrassée.Unbaiserpleindepassionetdetendresse.Jenevoulaispasqu’ilsetermine.J’aiécartémonvisagedusien.Ellem’asourietm’aguidéjusqu’ànotrearbrepréféré.Jemesuisassis
contreletroncetelles’estblottiecontremoi.J’aidéposédesbaisersdanssoncou.Quandjelarevoyaisici,jeprofitaisdechaqueinstant,sachantquejerepartiraisbientôt.Poppyregardaitleslanternesdansleciel.Elleslarendaientheureuse.Jelesavais.—Commentvontmessœurs,Rune?CommentvaAlton?Etnosparents?—Toutlemondevabien.Tessœursettesparentssontheureux.Altonestamoureux.Ilgagnetousses
matchsdebase-ball.Mesparentsvontbien.—Tantmieux.Un silence inhabituel s’est installé entre nous. J’ai froncé les sourcils. Dansmes rêves, Poppyme
posaittoujoursmillequestionssurmontravailetlespaysquejevisitais.Ellemedemandaitcombiende
mesphotosavaientétépubliées.Cesoir-là,elleétaitsilencieuse.Pluspaisiblequed’habitude.—Tuneregrettespasden’avoiraiméquemoi,Rune?Den’avoirembrasséquemoi,pendanttoutes
cesannées?Denepasavoirremplilebocalquejet’aioffert?—Non,Poppy.J’aimemafamille,j’aimemontravail,mesamisetmescollègues.Jesuisheureux,etje
n’aijamaiscessédet’aimer.Jen’aibesoinderiend’autre.Monbocals’estremplienmêmetempsqueletien.J’aiplacéunemainsoussonmenton.—Meslèvressontàtoi,Poppymin.Jetel’aipromis.Rienn’achangé.Unsourireailluminésonvisage.—Lesmiennesaussi,Rune.J’aimisunemaindansl’herbe.Cesimplecontactm’asurpris.C’était…différent.D’habitude,quand
jerendaisvisiteàPoppy,jesentaisl’herbe,maispassesbrins.Jesentaislabrise,maispassachaleur.Jesentaislesarbres,maispasleurécorce.Cesoir-là,toutmesemblaitplusréel,plusvif.Commesij’étaisréveillé.J’aiappliquéunbaisersur
l’épauledePoppyetj’aisentiladouceurdesapeaucontremeslèvres,lachairdepoulesursesbras.Poppym’aregardéavecdegrandsyeux.Etj’aicompris.Toutétaittropvrai.Tropréel.Moncœurs’estemballé.—Cen’estpasunrêve…n’est-cepas,Poppymin?Elle s’estmise à genouxdevantmoi et elle a posé lesmains surmes joues.Ellem’a regardé avec
tendresse.—Non,Rune.Cen’estpasunrêve.—Comment…—C’étaittrèsrapide.Tun’aspassouffert.Tafamillevabien.Tuasvécuunebellevie,Rune.Celle
quej’espérais.—Tuveuxdireque…—Tut’esenvolé.Tuesrevenudansmesbras.Unevaguedebonheurs’estemparéedemoi.J’aiécrasémabouchecontrelasienne.J’étaisenfinàma
place.—Jeresteavectoi?Pourtoujours?—Oui,Rune.C’estledébutd’unenouvelleaventure.Jel’aiembrasséeànouveau.Poppyafermélesyeux.—Unbaiseréternel.AvecmonRune,danslacerisaie.Quandilestrentréàlamaison.Nousavonséchangéunsourire,etelleaajouté:—Moncœurapresqueéclaté.
PLAYLIST
BEAUCOUPdechansonsontaccompagnél’écrituredecelivre,maisdeuxgroupesenparticulierenontformélabandeoriginale.J’ail’habitudedevarierlesgenresmais,cettefois,jesuisrestéefidèleàmon inspirationet j’aivoulupartageravecvous lesmorceauxquim’ontaidéeà façonner l’histoiredePoppyetRune.
OneDirection
InfinityIfICouldFlyWalkingintheWindDon’tForgetWhereYouBelongStrongFireproofHappilySomethingGreatBetterThanWordsLastFirstKissIWanttoWriteYouaSongLoveYouGoodbye
LittleMix
SecretLoveSongPtIIILoveYouAlwaysBeTogetherLoveMeorLeaveMeTurnYourFace
Autresartistes
EyesShut–Years&YearsHeal–TomOdellCan’tTakeYouWithMe–BahamasLetTheRiverIn–DotanAreYouWithMe–Suzan&FreekStayAlive–JoséGonzálezBeautifulWorld–AidenHawkenLeCygne(LeCarnavaldesanimaux)–CamilleSaint-SaënsWhenWeWereYoung–AdeleFootprints–SiaLonelyEnough–LittleBigTownOverandOverAgain–NathanSykesPourécouterlaplaylist,visitezmapage«AuthorTillieCole»surSpotify.
REMERCIEMENTS
Maman et papa, merci de m’avoir soutenue pendant l’écriture de ce livre. Votre bataille contre lecancernousabouleversés,moietnotrepetitefamille.Votrecourageetvotreoptimismeont transformémafaçondevoirlemonde.Cesdernièresannéesontétédifficiles,maisellesm’ontapprisàprofiterdechaque instant, et àvousapprécierdavantage.Vousêtes lesmeilleursparentsdumonde. Jevousaimetellement ! Merci de m’avoir autorisée à m’inspirer de votre expérience. C’est ce qui a rendu cettehistoireplusvraieetréaliste.Nanna,tuespartietroptôt.Tuétaismameilleureamie,etjet’aimeplusquetout.Tuétaisdrôle,une
présencepositiveetlumineuse.Lagrand-mèredePoppyestinspiréedetoi.J’étaisla«prunelledetesyeux»,tameilleureamie,etmêmesitun’espluslà,j’espèrequetuesfièredemonlivre!J’espèrequetusourislà-hautavecGrand-Père,danstapropreversiondelacerisaie.Jim,monbeau-pèrepartitroptôt.Tuasétécourageuxjusqu’aubout.Tonfilsettafemmesonttrèsfiers
detoi.Tunousmanquesbeaucoup.Àmonmari,mercidem’avoirencouragéeàécrirecelivre.Jet’aiparlédecetteidéeilyalongtemps,
et tum’as poussée àme lancer,même si c’était très différent de ce que j’ai l’habituded’écrire. Je tedédiecelivreenentier.Jet’aimepourtoujours.Pourlavie.Sam,Marc,Taylor,Isaac,ArchieetElias.Jevousaime.Àmespremierslecteurs:Thessa,Kia,Rebecca,RacheletLynn.Encoreunefois,MERCI.C’étaitdur,
maisvousvousêtesaccrochées,mêmesijevousaifaitpleurer!Jevousaime.Thessa,monétoileetmasuper-assistante.MercideprendresoindemapageFacebooketdet’occuper
demoi.Mercipourtescorrections.Etsurtout,mercidem’avoirpousséeàécrirel’épilogue.C’étaitunedécisionstressante,n’est-cepas?TRÈSstressante!Tuasétémonpilier.Jet’adore.Tun’ignoresjamaismesmessages,mêmetarddanslanuit,etjenepourraispasdemandermeilleureamie.Gitte,monVikingpréféré!Mercid’avoirparticipéàcetteaventure.Dèsl’instantoùjet’aifaitpartde
cettehistoire–etdèsque tuasapprisque lehérosseraitnorvégien!– tum’asencouragéeà l’écrire.Mercipourtestraductions.Mercipourl’inspiration.Runeestparfait!Etsurtout,mercid’êtretoi.Tuesunamiformidable.Tunem’asjamaisabandonnée.Jet’aime,PusPus!Kia!Quelleéquipenousformons!TueslaMEILLEUREéditriceetcorrectriceaumonde.Cen’est
queledébutd’unelonguehistoire!Mercipourtouttontravail,etmercipourl’inspirationmusicale.MesamisduGoldenBow,Rachel,quiauraitcruquetoutescesannéesàjouerduvioloncellenousserviraientàcepoint?
Liz,monformidableagent.Jet’aime.Fêtonsmonentréedanslemondedelalittératurejeunesse!GitteetJenny(encore!)duTotallyBookedBlog.Merci,jevousaime.Vousmesoutenez,quoiqueje
fasse,même quand je change de genre.Vous faites partie des plus belles personnes que je connaisse.Notreamitiém’estprécieuse.Ungrandmerciauxnombreuxblogsquimesoutiennentetfontlapromotiondemeslivres:Celesha,
Tiffany,Stacia,Milasy,Neda,KinkyGirls,Vilma…Lalisteestlongue!Tracey-Lee,ThessaetKerry,mercidedirigermonfanclub:[email protected]àmescôtés.Jevousadore,lesfilles!Àtouslesmembresdemonfan-club:JEVOUSAIME!!!JodietAlycia,jevousaime,lesfilles.Vousêtesmesmeilleuresamies.MacommunautéInstagram!!!Jevousadore!!!Àmes lecteurs.Merci d’avoir lu ce roman. J’imagine que vous avez les yeux gonflés et les joues
rougiespar les larmes,mais j’espèrequevousaimezPoppyetRuneautantquemoi.J’espèreque leurhistoireresteraàjamaisgravéedansvotrecœur.Jenepourraispascontinuersansvous.Jevousaime.Pourtoujours.Pourlavie.