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Lena Würgler Introduction à l’Ancien Testament BA 3ème semestre

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La tour de Babel

Histoire de sa symbolique

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Sommaire Introduction ............................................................................................................................................. 3

1. Le récit de Babel .................................................................................................................................. 4

1.1 Genèse 11, 1-9 ............................................................................................................................... 4

1.2 Le mythe de Babel ......................................................................................................................... 4

2. Origines du récit de Babel ................................................................................................................... 6

2.1 Origines orales et littéraires de Babel ........................................................................................... 6

2.2 Origines architecturales de Babel.................................................................................................. 8

3. Evolution de la symbolique de Babel ................................................................................................ 11

3.1 Les échos dans le Nouveau Testament ....................................................................................... 11

3.2 Renversement de la symbolique en littérature ........................................................................... 12

4. Évolution de la représentation de Babel dans l’art ........................................................................... 14

4.1 La première œuvre chrétienne................................................................................................ 14

4.2 La tour de Babel de référence ................................................................................................. 17

4.3 Monument à l’unité retrouvée ................................................................................................ 22

Conclusion ............................................................................................................................................. 27

Table des illustrations ............................................................................................................................ 29

Bibliographie.......................................................................................................................................... 30

Webographie ......................................................................................................................................... 32

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Introduction Les neufs versets du récit de la tour de Babel ne tiennent qu’une toute petite place dans le livre de la

Genèse. Pourtant, leur matière est extrêmement riche. Nous commencerons donc par étudier, dans

les grandes lignes, quels sont les thèmes traités dans le récit et pourquoi. Ensuite, l’objectif de cet

exposé sera en quelque sorte d’écrire la "biographie" de Babel. Nous chercherons en effet, en

premier lieu, à établir la genèse du récit biblique de Babel. Nous découvrirons que celle-ci s’est

réalisée par étapes, en s’inspirant de traditions orales, littéraires et architecturales plus anciennes. Il

sera intéressant de voir quelles sont les influences qui ont permis la naissance de ce texte. Cette

démarche permettra de mieux comprendre ce récit tout en apprenant beaucoup d’informations sur

la culture qui en fut le berceau.

Ensuite, nous étudierons l’évolution qu’a connue le thème de Babel à travers les siècles, à la fois dans

la littérature et dans les arts. Cette partie de l’exposé permettra de mettre en avant les nombreuses

interprétations faites au sujet du récit de Babel et de constater que sa symbolique varie au cours du

temps. Quelques exemples significatifs de l’évolution de ce thème dans la littérature et dans l’art

nous feront découvrir les différentes pensées, parfois opposées, qu’il a pu engendrer.

En conclusion, nous tenterons de donner une explication au succès qu’a connu le thème de Babel.

Nous verrons que celui-ci est lié, avant tout, à l’universalité des thèmes présentés dans le récit de

Babel, mais aussi à la grande part de silence contenue dans ce texte. En effet, comme le dit Hubert

Bost, « les interprètes affirment là où le texte suggère »1. Nous verrons donc que toute la part de

subjectivité sous-jacente à la lecture du texte est à l’origine du succès du thème de Babel et rend

possible l’importante variété des interprétations qui en sont données.

1BOST H., Babel, du mythe au symbole, p.84

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1. Le récit de Babel

1.1 Genèse 11, 1-9 Le récit de la Tour de Babel se trouve dans l’Ancien Testament, dans le livre de la Genèse. Il se situe

juste après « la table de peuples issus de Noé (Genèse 10) et précède celui de la descendance de Sem

(Genèse 11, 10-25) »2. Il représente, selon Uehlinger, un moment charnière entre le « récit des

origines » et l’histoire des Patriarches3. Il se trouve ainsi juste avant l’histoire du peuple d’Israël, en

Genèse 11, 1-9.

1La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots. 2Or en se déplaçant vers

l'orient, les hommes découvrirent une plaine dans le pays de Shinéar et y habitèrent. 3Ils se

dirent l'un à l'autre : « Allons ! Moulons des briques et cuisons-les au four. » Les briques leur

servirent de pierre et le bitume leur servit de mortier. 4« Allons ! dirent-ils, bâtissons-nous

une ville et une tour dont le sommet touche le ciel. Faisons-nous un nom afin de ne pas être

dispersés sur toute la surface de la terre. »

5Le SEIGNEUR descendit pour voir la ville et la tour que bâtissaient les fils d'Adam. 6« Eh, dit

le SEIGNEUR, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une langue et c'est là leur première œuvre !

Maintenant, rien de ce qu'ils projetteront de faire ne leur sera inaccessible ! 7Allons,

descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres ! » 8De

là, le SEIGNEUR les dispersa sur toute la surface de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. 9Aussi lui donna-t-on le nom de Babel car c'est là que le SEIGNEUR brouilla la langue de toute

la terre, et c'est de là que le SEIGNEUR dispersa les hommes sur toute la surface de la terre.

(TOB *Traduction Œcuménique de la Bible+)4

1.2 Le mythe de Babel Un mythe est définit ainsi : « récit fabuleux, souvent d’origine populaire, qui met en scène des êtres

(dieux, demi-dieux, héros, animaux, forces naturelles) symbolisant (…) des aspects de la condition

humaine »5. Ainsi, comme d’autres récits de la Genèse, celui de Babel prend la fonction de mythe, qui

est de décrire la condition humaine en faisant parfois intervenir des êtres surnaturels. Dans l’épisode

de Babel, les thèmes principaux traités, à savoir la construction de la ville, la confusion des langues et

la construction de la tour, servent à décrire trois aspects de la condition humaine : l’établissement

des hommes en société urbaine, la multiplicité des langues et le refus des hommes d’accepter un

aspect de leur condition, celui d’être limités à la vie terrestre. Ces trois phénomènes décrivent des

faits réels pour la civilisation mésopotamienne, d’où provient la thématique du récit biblique6. Le

rassemblement des hommes sur la plaine de Shinéar, dans le récit biblique, évoque l’établissement

des hommes en société urbaine. En Mésopotamie, en effet, les populations se concentraient dans de

grandes cités, afin de pouvoir exploiter au mieux les ressources naturelles à leur disposition. Ensuite,

le récit de Babel décrit aussi la confusion des langues, qui définissait déjà la situation des hommes en

Mésopotamie dès le IIIème millénaire avant J.-C. Jusqu’alors, d’après Bost, les sumériens

monopolisaient le pouvoir en Mésopotamie, grâce notamment à leur maîtrise de l’écriture, inventée

2PARROT A., Bible et archéologie, p.67.

3UEHLINGER C., « Genèse 1-11 », in : Introduction à l’Ancien Testament (2), p.201.

4 ABF (web), Lire la Bible.

5VARROD P. (Dir.), Le Robert illustré d’aujourd’hui, p.968.

6PARROT A., op. cit., p.68-69.

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par eux à la fin du IVème millénaire. Ensuite, dès 2334, les Akkadiens prirent le pouvoir. Ils créèrent

une nouvelle forme d’écriture, basée sur celle des Sumériens mais adaptée à leur langue7. « La

culture devient alors bilingue »8. La confusion des langues est dès lors attestée. Enfin, le récit de

Babel aborde un troisième aspect de la condition humaine : celui, justement, du refus par les

hommes d’accepter leurs limites spatiales, terrestres. En effet, si les hommes de la plaine de Shinéar

bâtissent une tour pour toucher le ciel, c’est avant tout par volonté de se rapprocher de Dieu,

d’établir un lien avec le ciel. Ce refus d’accepter les limites de la condition humaine se retrouve aussi,

par exemple, dans le mythe d’Adam et Eve. Dans ce récit, Dieu condamne le premier couple à quitter

le jardin d’Eden pour éviter qu’il ne cueille le fruit de la Vie éternelle. Les êtres humains sont dès lors

condamnés à mourir. Ce premier récit de la Genèse décrit, lui aussi, un aspect de la condition

humaine : les hommes sont mortels. De plus, cette limite temporelle de la vie humaine y est

présentée comme une malédiction. On peut observer le même phénomène dans l’épisode de Babel,

dans lequel ce sont les limites spatiales, terrestres qui sont perçues comme une malédiction. Selon

Uehlinger, ce mythe décrit « le potentiel à la fois créateur, inventeur et destructeur de l’homme (…).

C’est par sa capacité à envisager autre chose, et toujours mieux, que l’homme peut aller jusqu’à se

méfier de Dieu, voire vouloir prendre une place qui ne revient qu’au créateur »9. Les hommes de

Shinéar se voient arrêtés, par Dieu, dans leur volonté de conquérir le ciel. Par comparaison avec le

mythe d’Adam et Eve, on peut interpréter la réaction de Dieu aussi comme une malédiction. Ce que

Dieu semble condamner, ici, c’est la volonté des hommes de se rapprocher de lui. D’ailleurs, selon

Rose, l’auteur "yahviste" de la Genèse veut montrer que, partout où l’homme prend lui-même des

initiatives, « partout où l’homme commence à agir, la voie s’ouvre à sa défaillance fondamentale »10.

Les mythes de la Genèse servent donc à montrer, par comparaison avec l’histoire d’Abraham, que

« l’homme ne vit que de la grâce divine. »11

Nous avons relevé ici les différents thèmes (la construction d’une ville, la construction d’une tour, la

confusion des langues), liés à différents aspects de la condition humaine (l’établissement des

hommes en société, leur refus d’accepter les limites spatiales inhérentes à leur condition, l’existence

de plusieurs langues), contenus dans le récit biblique de Babel. Nous allons maintenant découvrir que

ces thèmes existaient déjà dans la culture orale et littéraire de Mésopotamie, bien avant la rédaction

du récit biblique. Nous étudierons ensuite comment ces thèmes ont étés exploités par la suite dans

la littérature et dans l’art occidental.

7BOST H., op.cit., p.87-88.

8Idem, p.88.

9UEHLINGER C., op.cit., p.215.

10ROSE M., Une herméneutique de l’Ancien Testament, p.376.

11Idem.

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2. Origines du récit de Babel

2.1 Origines orales et littéraires de Babel Pour prouver l’universalité des thèmes évoqués dans le récit de Babel, nous allons voir que plusieurs

de ceux-ci existaient bien avant sa rédaction. Nous allons étudier les origines orales et littéraires du

texte de Babel, en nous basant sur l’hypothèse rédactionnelle émise par Klaus Seybold12, selon

laquelle le récit de Babel se construirait sur un récit de base qui, au cours du temps, aurait subit des

ajouts, à des époques différentes.

L’hypothèse de Seybold provient du fait que le texte contient des éléments répétitifs, relevés déjà

par Gunkel13, qui laissent penser que plusieurs auteurs différents sont intervenus dans sa création.

Seybold partage l’hypothèse de W. Von Soden, selon laquelle l’histoire de la construction de la tour

de Babel serait issue avant tout d’une tradition orale, née après l’échec de la construction d’une tour

par Nebucadnezar Ier, à Babylone, au XIIème siècle av. J.-C14. L’origine première du récit biblique serait

donc issue de la ville de Babylone. Ensuite, selon Seybold, la légende aurait été mise par écrit

(« Grundtext »15) et organisée de façon claire par un auteur israélite au Xème siècle av. J.-C16. Ce

dernier aurait structuré le récit en deux parties distinctes, qui se répondent. La première, formée des

versets 2 à 4, décrit d’abord la réflexion, puis l’action des hommes, alors que la deuxième, constituée

des versets 5 à 8 décrit l’observation puis la réaction de Yahvé. De cette manière, l’auteur donne à la

légende un caractère paradigmatique qui met en avant la relation des hommes avec dieu.

Ensuite, Seybold estime qu’une couche rédactionnelle ultérieure (« Haupttext »17) vient compléter le

récit. Elle trouverait sa source dans un récit sumérien daté du IIIème millénaire av. J.-C., appelé

L’Epopée d’Enmerkar et le Seigneur d’Aratta18 :

(…) Ce jour là, les pays de Shubur et d’Hamazi

dont les langues étaient (à l’origine) opposées à celle de

[Sumer, le grand pays de noble culture.

(…)

- le monde entier, partout où il est habité -

parle à Enlil en une langue unique.

Ce jour-là, (…)

Enki qui est à la fois seigneur, noble et roi

(…)

lui qui est le chef de tous les dieux,

utilisant son esprit, lui, le seigneur d’Eridou,

aura changé dans leur bouche toutes les langues qui existaient :

le langage de l’humanité est unique.19

12

SEYBOLD K., Der Turmbau zu Babel, p.453-479. 13

Idem, p.456. 14

Idem, p.454. 15

Idem, p.466-471. 16

Idem, p.478. 17

Idem, p.477. 18

Idem, p.453 (note 1).

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Cette traduction n’est pas acceptée unanimement par tous les chercheurs20. Cependant, Seybold

relève que, malgré les différences, la plupart d’entre eux s’accorde sur le fait que ce texte sumérien

se rapproche du récit biblique de la tour de Babel sur plusieurs thèmes21 : l’unité linguistique, la

confusion des langues et le thème de « l’intervention divine dans l’état linguistique du monde »22 .

L’origine de tous ces thèmes est donc bien antérieure à celle du récit de Babel.

L’influence de cette thématique, présente aussi dans le récit d’Enmerkar, se trouverait donc, selon

Seybold, dans les parties rédactionnelles du récit qui traitent de la langue :

V.1, 6ag, ab23

On ressent l’influence du texte d’Enmerkar dans l’idée qu’un jour le monde entier ne parlait qu’une

seule langue et dans celle que l’intervention divine a changé l’état linguistique du monde. Selon

Seybold, cette couche rédactionnelle donne à l’événement un caractère préhistorique, qui

conditionnerait l’existence présente de l’humanité24. Ce caractère préhistorique serait de facture

« yahviste »25.

Enfin, Seybold pense qu’une dernière couche rédactionnelle (« Endtextredaktion »26) aurait été

ajoutée. Elle aurait pour but d’intégrer le récit de Babel dans le reste de la Genèse, en faisant écho à

d’autres récits de ce livre. Cette intervention servirait à harmoniser le récit à l’ensemble du livre dans

lequel il s’insère.

V. 4b, 8a, 9b27

Cette analyse permet de voir que le récit de Babel a des origines bien antérieures à celle de son

insertion dans la Bible. Il s’inspire de récits oraux et littéraires bien plus anciens, qui, après diverses

interventions, trouvent leur place dans le livre de la Genèse, dans une forme inédite. L’hypothèse de

Seybold fait remonter les débuts (oraux) du récit de Babel jusqu’au dernier quart du XIIème siècle av.

J.C. Cette datation reste hypothétique, n’étant ni vérifiée ni vérifiable. L’analyse de Seybold permet

de montrer que l’évolution du récit, de son stade oral initial à sa forme écrite finale, s’est réalisée en

plusieurs siècles. Elle démontre, surtout, que plusieurs motifs thématiques abordés dans le récit de

Babel existaient depuis bien longtemps dans la tradition littéraire sumérienne et certainement plus

encore dans la tradition orale en Mésopotamie.

19

BOST H., op.cit., p.110-111 (traduction d’après ALSTER B., « An aspect of "Enmerkar and the Lord of Aratta" », R.A. 67, 1973, p.101-110). 20

Certains chercheurs en donnent une interprétation opposée, considérant que les Sumériens, comme plus tard les Hébreux, pensaient que les hommes partageaient à l’origine une même langue et que la confusion des langues fut provoquée par l’intervention d’un dieu. La traduction de Bendt Alster laisse plutôt entendre que la confusion des langues précéda l’unicité linguistique. Seybold reconnaît que la question est discutée parmi les spécialistes (SEYBOLD K., Der Turmbau zu Babel, p.462-464). Y trouver une réponse dépasse mes compétences. 21

SEYBOLD K., op. cit., p.461-464. 22

BOST H., op.cit., p.113. 23

SEYBOLD K., op. cit, p.460: couche III. 24

Idem, p.472 : "(…) die Qualität eines die gegenwärtige Existenz der Menschheit bedingenden und bewirkenden Urzeitereignisse (…)". 25

Idem, p.477 : « den speziellen Beitrag des Jahvisten ». 26

Idem, p.475. 27

Idem, p.460 : couche IV.

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FIG.1 Reconstitution de la ziggourat d’Ur

2.2 Origines architecturales

de Babel Nous allons voir que le récit de Babel a

puisé son inspiration non seulement

dans la tradition orale ou littéraire,

mais aussi architecturale. En effet,

comme le démontre Parrot, le récit de

la tour de Babel s’inspire de

constructions très fréquentes en

Mésopotamie dès le IIIème millénaire

avant J.-C, les ziggurats28 [FIG.1]. Ce

sont des tours formées de plusieurs

étages devenant de plus en plus petits

à mesure que l’on monte. Elles contiennent en général deux temples, l’un dans le premier et l’un

dans le dernier étage. Les auteurs du récit biblique ont pu en observer partout en Mésopotamie, car

ce type de construction était très courant dans la région. En effet, Parrot explique que les fouilles

archéologiques ont mis à jour des ruines ou des documents qui attestaient de leur grand nombre29.

Elles ont aussi révélé que la technique de construction décrite dans le récit biblique, à savoir avec des

briques cuites et du bitume, est typiquement mésopotamienne. Cela permet de certifier que le récit

de Babel évoque bien des constructions de cette région. La plupart des chercheurs s’accordent

même aujourd’hui sur le fait que la tour du récit s’inspire, en réalité, d’une ziggurat bien précise :

celle de Babylone. Parrot affirme même à ce sujet que « la Tour de Babel ne saurait être que la

ziggurat qui s’élevait à Babylone »30

Selon André-Salvini, la ziggourat de Babylone fut restaurée par Nabopolassar (625-605) et son fils

Nabuchodonosor (604-562), entre la fin du VIIème siècle et le début du VIème siècle, au moment de

l’exil babylonien du peuple d’Israël. Il est donc possible que les Hébreux aient assisté, ou même

participé, à cette reconstruction et que cet épisode ait joué un rôle dans la rédaction du récit de

Babel31, dont la rédaction finale date, selon Uehlinger, du IVème siècle ou éventuellement du début du

IIIème siècle av. J.-C32. Ainsi, à cette période, après l’exil babylonien, la tradition orale de la

construction de Babel reprenait tout son sens, puisque la construction d’une haute tour redevenait

un sujet d’actualité pour le peuple hébreu.

La tour de Babylone sera décrite, au Vème siècle av. J.-C, par Hérodote d’Halicarnasse. Il s’agit du récit

d’un voyage fait à Babylone vers 460 av. J.-C. Il y décrit la ville et, surtout, sa tour.

« (…) le sanctuaire (…) ; au milieu, se dresse une tour massive longue et large d’un

stade, surmontée d’une autre tour qui en supporte une troisième, et ainsi de suite,

jusqu’à huit tours. Une rampe extérieure monte en spirale jusqu’à la dernière tour

28

PARROT A., op.cit., p.68-69. 29

Idem, p.77-78. 30

Idem, p.70. 31

ANDRE-SALVINI B., « La Tour de Babylone », in : Dossier d’archéologie, p.71 32

UEHLINGER C., op.cit, p.207.

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(…). La dernière tour contient une grande chapelle, (…). Le sanctuaire de Babylone

contient une autre chapelle, en bas, (…)»33

Ainsi, Hérodote décrit la tour comme ayant huit étages, dont le dernier est occupé par un temple. Il

explique aussi que l’on pouvait accéder à son sommet par une rampe montant de manière circulaire

autour de la tour. Ce texte corrobore les données archéologiques trouvées sur place et, en même

temps, les complète. Toutefois, au moment où Hérodote visite Babylone, la tour est réduite à une

ruine, car détruite par Xérès en 478 av. J.-C34. L’historien grec n’a donc certainement pas vu tous les

faits qu’il décrit, mais s’est basé à la fois sur ce qu’il a vu et sur ce qu’on lui a raconté pour évoquer la

ziggourat. Selon Barguet, « Hérodote a dit vrai pour tout ce qu’il a vu, et ce qu’il répète, faits ou

légendes, est ou vrai ou explicable »35. Selon Parrot, Hérodote fournit des « indications précises et

précieuses, dont l’archéologie contemporaine a reconnu le bien-fondé »36. Son récit peut donc

aujourd’hui servir à établir la forme de la tour de Babylone, ou du moins à la préciser. Ce récit

d’Hérodote est avant tout important pour nous car il va avoir, dès sa redécouverte à la Renaissance,

une grande influence sur l’iconographie de la Tour de Babel. C’est avant tout pour cette raison que je

le cite ici.

Cependant, pour traiter des origines de Babel, il est aussi essentiel de s’intéresser à la fonction des

ziggourats, car celles-ci démontrent, une nouvelle fois, que certains thèmes du récit de Babel

proviennent de traditions très anciennes. Plusieurs hypothèses ont tenté d’expliquer la fonction de

ces tours. L’une des plus plausibles semble être celle qui y voit une "halte", un "reposoir" pour le dieu

de la cité. La tour tenterait alors de rapprocher la terre du ciel, pour faciliter la descente du dieu sur

terre. Selon Parrot, le temple du haut servirait de lieu d’accueil pour la divinité, d’un endroit où elle

pourrait établir un "contact avec la terre". Selon cet archéologue, le temple du bas constituerait, lui,

une "résidence" pour la divinité37. Contenau ajoute que les étages de la tour, semblables à de grands

escaliers, permettraient au Dieu de descendre sur la terre, auprès des hommes, et de loger dans le

temple du bas38. Les ziggurats serviraient alors de « trait d’union »39 entre le ciel et la terre. Le nom

de la ziggurat de Babylone E-Temen-An-Ki, qui signifie La Maison du fondement du ciel et de la terre

confirme cette interprétation. Cette idée de relier le ciel et la terre apparait aussi dans le récit de

Babel. Ainsi, non seulement la technique de construction en briques et en bitume mais aussi l’idée de

se rapprocher du ciel se retrouvent à la fois dans le récit biblique et dans les ziggurats. Il est dès lors

évident que ces édifices ont joué un rôle dans la rédaction du récit de Babel. Ces tours reflètent,

concrètement cette fois, une réalité bien ancrée en Mésopotamie : la volonté humaine de se

rapprocher du ciel. Même si, comme le pense Parrot40, aucun orgueil ne dirigeait ce désir, ce dernier

semble tout de même avoir bien existé en Mésopotamie et avoir mené les hommes à construire des

ziggurats, que les différents auteurs du récit de Babel ont pu observer.

33

HÉRODOTE, « L’enquête, I », in : Hérodote- Thucylide, Œuvres complètes, p.125. 34

PARROT A., op. cit., p.91. 35

BARGUET A., « Introduction », in : Hérodote- Thucylide, Œuvres complètes, p.29. 36

PARROT A., op.cit., p.75. 37

Idem, p.107. 38

CONTENAU G. "La tour de Babel », in : Le Déluge Babylonien, Payot, Paris, 1952, p.246. 39

PARROT A., op.cit., p.108. 40

André Parrot considère les ziggurats comme une "main levée vers le ciel", comme une invitation aux dieux à venir sur terre, et non, comme cela est majoritairement le cas, comme le symptôme de la volonté des hommes de défier le ciel. Il développe cette théorie dans son livre Bible et archéologie déjà cité. (PARROT A., op.cit., p.107-112).

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Parrot relève un parallèle supplémentaire entre le récit de Babel et les ziggurats découvertes en

Mésopotamie. Selon lui, la vaste dispersion de ces édifices témoigne « d’un sentiment religieux

commun »41. Il en tire ensuite la conclusion suivante : il existait bien un peuple uni en Mésopotamie.

Seulement, cette unité n’était pas fondée sur un langage unique, comme le dit le récit biblique, mais

sur le partage d’une culture et d’un sentiment religieux semblables. Parrot démontre dès lors que

l’unicité du peuple de Mésopotamie (plaine de Shinéar) décrite dans la Bible était bien réelle, mais

plus « culturellement et religieusement, que sur le plan racial ou linguistique »42. Un parallèle peut

dès lors être établit entre cette unité et l’unité linguistique évoquée dans le récit de Babel. On peut

en conclure que le texte de Babel s’inspire encore une fois d’une réalité observée sur le sol

mésopotamien.

41

PARROT A., op.cit., p.86. 42

Idem.

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3. Evolution de la symbolique de Babel

3.1 Les échos dans le Nouveau Testament Dans le Nouveau Testament, Babel est rappelée, de manière implicite, à deux reprises. En premier

lieu, Babel trouve son pendant, son contraire, dans l’épisode de la Pentecôte. Ce dernier semble

"mettre fin", clore, le chapitre de Babel. À ce moment, tous les Chrétiens de tous pays sont

rassemblés. Ils parlent plusieurs langues et ne peuvent s’entendre lorsque, soudain, l’intervention du

Saint-Esprit leur permet de se comprendre.

1Lorsque arriva le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble en un même lieu. (…)

3Des langues leur apparurent (…) ; il s'en posa sur chacun d'eux.

4Ils furent tous remplis d'Esprit saint et se mirent à parler en d'autres langues, selon ce que

l'Esprit leur donnait d'énoncer.

5Or des Juifs pieux de toutes les nations qui sont sous le ciel habitaient Jérusalem.

6Au bruit qui se produisit, la multitude accourut et fut bouleversée, parce que chacun les

entendait parler dans sa propre langue.

7Etonnés, stupéfaits, ils disaient : Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?

8Comment se fait-il que chacun de nous les entende dans sa langue maternelle ? (…)

11Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons dire dans notre langue les œuvres

grandioses de Dieu ! (Actes 2, 1-11, NBS [Nouvelle Bible de Segond])43

Le schéma de Babel est répété ici, mais dans le sens inverse. Avant la Pentecôte régnait la confusion

des langues, dont l’origine remontait à la construction de Babel. L’intervention divine de la

Pentecôte, à l’inverse de celle de Babel, rétablit l’ordre entre les humains en leur permettant de se

comprendre malgré leurs différents langages. L’ordre d’avant Babel semble alors retrouvé. On peut

donc lire ces épisodes de manière typologique, en considérant que l’épisode de la Pentecôte

« apparait comme un remède apporté à la confusion des langues qui s’était produite lors de l’épisode

de la tour de Babel »44.

Ensuite, Babel est évoquée dans l’Apocalypse 18, où la cité de Babylone est condamnée à la

destruction à cause de son luxe et de sa démesure :

1Après cela, je vis un autre ange descendre du ciel. (…)

2Il cria avec force : « Elle est tombée, elle est tombée la grande Babylone ! Maintenant, c'est

un lieu habité par des démons, un refuge pour toutes sortes d'esprits mauvais ; (…)

3(…) Les rois de la terre se sont livrés à l'immoralité avec elle et les marchands de la terre se

sont enrichis de son luxe démesuré. »

43

ABF (web), Lire la Bible. 44

BOISMARD M.-E., LAMOUILLE A., Les Actes des deux Apôtres, p.203.

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5Car ses péchés se sont entassés jusqu'au ciel et Dieu n'a pas oublié ses ignobles actions.(…)

7Infligez-lui autant de tourment et de malheur qu'elle s'est accordé de gloire et de luxe. (…)

8Voilà pourquoi les fléaux qui lui sont réservés vont tous s'abattre sur elle en un seul jour(…).

Car il est puissant le Seigneur Dieu qui l'a jugée. »

14« Ah ! dit-on (…) toutes tes richesses et ton luxe sont perdus pour toi (…).

20(…) Car Dieu l'a jugée pour le mal qu'elle vous a fait ! (…) (BFC *Bible en Français courant+)45

Babylone et Babel ne sont donc qu’une seule et même ville, puisque « à l’époque sumérienne, la ville

[Babylone] portrait le nom de KA-DINGIR-RA, que la langue accadienne a transposé en Bab-ili (…),

reproduit (…) dans la Bible, sous la forme de Babel »46. Dès lors, la malédiction de Babylone confirme

celle de Babel, mais de manière beaucoup plus violente, comme si l’avertissement donné par Dieu

dans l’Ancien Testament n’avait pas été respecté et que la punition méritait de prendre, cette fois,

plus d’ampleur. De plus, le pêché est ici beaucoup plus explicite et semble plus important, plus grave.

On comprend réellement pourquoi la ville est condamnée et de quelle nature est la réaction divine.

Dans le récit de Babel, cela paraît beaucoup moins clair. Cependant par comparaison, il semble fort

probable que l’épisode de Babel annonce, de manière typologique, la chute de Babylone. Il est aussi

important de relever que la ville de Babylone dans l’Apocalypse évoque en réalité, pour l’auteur du

livre et ses lecteurs, la Rome Impériale de leur époque, responsable de la persécution des

Chrétiens47. Ce lien entre l’épisode de Babel de la Genèse et celui de Babylone dans l’Apocalypse aura

une grande influence sur l’iconographie du récit de Babel, où la tour sera souvent représentée en

pleine destruction.

Dans ces deux épisodes du Nouveau Testament, Babel est évoquée comme une malédiction. En effet,

l’épisode de la Pentecôte présente l’entente entre les hommes comme une bénédiction, puisqu’elle

est l’œuvre du Saint-Esprit en faveur de ses fidèles. La compréhension entre ces derniers, rendue

possible malgré leurs diverses langues, y est présentée comme un cadeau, comme un don divin. En

contrepartie, la confusion des langues y est perçue comme une malédiction dont l’origine remonte à

l’entreprise impie de Babel. Ensuite, Babylone, la « Babel du Nouveau Testament », est cette fois

clairement condamnée pour son orgueil, son luxe et sa démesure. Ces deux « échos » de Babel

démontrent que deux thèmes du récit de la Genèse, l’orgueil humain et la confusion des langues

sont repris déjà dans le Nouveau Testament. Ils semblent constituer des « suites », des dénouements

de l’histoire de Babel. On ressent aussi, dans ces deux passages, que la réaction divine face à Babel

est considérée comme une malédiction. Cette interprétation du récit de Babel connaîtra un grand

succès, même dans la littérature non chrétienne.

3.2 Renversement de la symbolique en littérature Bost traite, dans son livre Babel, du mythe au symbole, des différentes réinterprétations faites du

mythe de Babel par des écrivains48. Il évoque d’abord l’existence d’une symbolique qu’il appelle

45

ABF (web), Lire la Bible. 46

PARROT A., op. cit., p.91. 47

ROCHAIS Gérard (web), Comment lire la Bible. 48

BOST H., op.cit., p.151-206.

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"classique"49 chez plusieurs d’entre eux. Dante, tout d’abord, au début du XIVème siècle, traite, dans

ses ouvrages De Vulgari Eloquentia et la Divine Comédie, du langage idéal. Il considère le patois,

l’italien vulgaire, la langue maternelle, comme une langue plus parfaite et plus noble que le latin,

puisqu’elle est donnée à la naissance de l’enfant de manière naturelle50. Dante vise la « quête de la

langue originelle, pure et épargnée par cette distance caractéristique entre les mots et les choses »51.

Bost relève ensuite que, dès le XVIème siècle, les Utopistes imaginent à leur tour une langue parfaite,

univoque et unique52. Derrière ce désir de (re)créer une langue unique et idéale, se cache la nostalgie

du monde d’avant Babel, d’avant la confusion des langues, lorsque les hommes partageaient un seul

langage, idéal et divin. Ces auteurs se concentrent sur la question du langage, qui constitue l’un des

thèmes principaux du récit biblique de Babel. Selon eux, la situation d’avant Babel représente le

monde parfait et ils perçoivent donc l’échec de Babel comme une malédiction.

Ensuite, Bost démontre que, bien que la symbolique "classique" de Babel ne disparaisse pas, une

inversion complète de cette interprétation apparait chez certains auteurs. Plusieurs écrivains,

comme Swift53 au XVIIème siècle, Dostoïevski54 au XIXème, Kafka55 et Orwell56 au XXème voient dans la

confusion des langues et dans la dispersion des peuples une bénédiction, et non plus une

malédiction. Selon Bost, Swift et Orwell défendent l’idée selon laquelle une langue unique est

malléable à volonté par la politique, qui peut l’exploiter en n’importe quelle circonstance pour

rendre son discours favorable à ses actions57. D’après Bost, Dostoïevski voit dans Babel un

« monument à la servitude acceptée »58 et la « métaphore du pouvoir totalitaire »59. Kafka partage

cette opinion en considérant Babel comme « l’émanation et l’illustration du totalitarisme régnant »60.

Les auteurs "modernes" estiment donc que les hommes d’avant Babel vivaient dans une situation de

totalitarisme. L’action divine semble dès lors favorable aux hommes, les libérant du joug de ce

totalitarisme. De plus, ces quatre auteurs ne portent pas un regard nostalgique sur le passé, mais

plutôt critique sur le présent et l’avenir de l’humanité. Pour eux, la possibilité de revivre la situation

d’avant Babel constitue une menace permanente sur le monde. Le mythe de Babel est actualisé, dans

le sens où il devient une matière de réflexion sur le monde contemporain. Ainsi, Bost démontre que

certains écrivains "modernes" ont inversé l’interprétation "classique " de Babel, au point d’en

développer la théorie opposée..

À travers l’analyse que Bost donne des différentes interprétations du mythe de Babel, il nous est

possible de constater deux éléments fondamentaux : tout d’abord que les sujets principaux du

mythe, comme la confusion des langues et l’orgueil humain, rencontrent un fort succès dans la

littérature occidentale ; ensuite, que l’interprétation de l’épisode comme une malédiction subit une

inversion complète, donnant naissance à l’idée que l’échec de Babel peut être perçu comme une

49

BOST Hubert, op.cit., p.209. 50

Idem, p.151-156. 51

Idem, p.154. 52

Idem, p.157-163. 53

Idem, p.163. 54

Idem, p.175-179. 55

Idem, p.179-182. 56

Idem, p.193-194. 57

Idem, p.163 (Swift), p. 193-194 (Orwell). 58

Idem, p.178. 59

Idem, p.179. 60

Idem, p.180.

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FIG.2 Ivoire de Salerne, 1050-1080

bénédiction, ou du moins comme un bienfait pour les hommes. Nous verrons que ce phénomène

apparait aussi dans le traitement artistique du mythe.

4. Évolution de la représentation de Babel dans l’art Nous allons donc nous intéresser au dernier point de notre exposé sur l’évolution du mythe de

Babel : son interprétation dans l’art. Afin de ressentir au mieux l’évolution symbolique qu’a subit ce

thème dans le domaine artistique, nous nous arrêterons sur trois œuvres très différentes au niveau

de leur style, de leur iconographie et, enfin, de leur contexte historique. De cette manière, nous

survolerons plus d’un millénaire de création artistique. Il est dès lors évident que l’évolution du

thème de Babel ne sera pas exposée dans sa globalité. Cependant, la sélection de trois œuvres d’art

majeures de différentes époques permettra de se faire une idée claire de la richesse interprétative

offerte par le thème de Babel.

4.1 La première œuvre chrétienne

La première image à laquelle nous

allons nous intéresser date de

l’époque romane. Il s’agit d’un

ivoire sculpté de Salerne, en Italie,

daté entre 1050 et 1080 [FIG.2].

Cette œuvre s’insère dans un

cycle de plus de quarante ivoires

représentant des épisodes

successifs de la Bible, à partir de

la création du monde jusqu’à la

Pentecôte61. Selon Parrot, il s’agit

de « la plus ancienne

représentation »62 occidentale de

l’épisode de Babel. Toutefois,

Bergman démontre que les

images de Salerne concernant la

Genèse s’inspirent de manuscrits

enluminés byzantins plus anciens, disparus ou détruits, dans lesquels apparaissait la représentation

de Babel, comprise là aussi dans des cycles63. Selon Heber-Suffrin, la représentation des scènes de

l’Ancien Testament sous forme de cycle était très utilisée dans les programmes picturaux romans64. Il

semble donc que les premières représentations de la tour de Babel aient toutes appartenu,

traditionnellement, à un cycle, afin de mettre en avant des oppositions morales ou allégoriques, ou

encore des relations typologiques.

61

BERGMAN R.P., The Salerno Ivories, p.2. 62

PARROT A., op. cit., p.98. 63

BERGMAN R.P., op.cit., p.30-31. 64

HEBER-SUFFRIN F., « Les programmes picturaux romans », in : Histoire visuelle de l’art, p.129.

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FIG.3 Ivoire de Salerne, Construction de

l’Arche, 1050-1080

L’ivoire de Salerne respecte le récit biblique sur plusieurs

points : tout d’abord parce que « l’appareillage de la

construction en "opus reticulatum" est caractéristique

d’une réalisation en briques »65 ; ensuite parce que les

ouvriers sont représentés selon la description donnée

dans la Bible, à savoir en train de créer des briques et de

se passer du mortier ; enfin, Dieu, différenciable du Christ

grâce à son auréole66, apparaît sur l’image, la main droite

levée, sur le point de juger l’entreprise des constructeurs.

L’ensemble de ces éléments iconographiques se

modifieront au cours du temps, à mesure que les artistes,

tout comme l’on fait les écrivains, s’éloigneront du texte

original pour livrer de nouvelles interprétations du récit.

J’apporte ici cette précision avant tout pour souligner que

l’ivoire de Salerne respecte particulièrement le récit

biblique, par rapport aux œuvres ultérieures.

La série d’ivoires de Salerne s’inspire principalement, selon Bergman, du « Cotton Genesis

Manuscript » où trois illustrations étaient employées pour imager l’épisode de Babel : l’une

représentait la construction de la tour, la deuxième la confusion des langues et la troisième la

dispersion des hommes. Bergman estime que l’ivoire de Salerne condense ces trois images en une

seule. En effet, selon lui, les hommes portant les outils sont dérivés de la première, ceux qui pointent

leurs doigts sur leur bouche de la seconde et ceux qui font des gestes du haut de la tour de la

troisième67. Ainsi, sur l’ivoire, tous les thèmes fondamentaux du récit sont représentés et rendent

l’épisode immédiatement identifiable. La structure rectangulaire de la tour, qui restera traditionnelle

jusqu’au début du XVIème siècle, est aussi inspirée du « Cotton Genesis Manuscript »68. La grande

différence, d’un point de vue iconographique, entre l’ivoire de Salerne et le « Cotton Genesis

Manuscript » consiste en l’introduction de la figure de Dieu dans le premier, alors qu’elle

n’apparaissait pas dans le second69. De plus, ce nouveau personnage occupe une place importante

dans l’image et semble y jouer l’un des deux rôles principaux. En effet, sur l’œuvre de Salerne,

l’accent est mis principalement sur la construction de la tour et sur l’intervention de Dieu, deux

éléments emblématiques qui permettent au mieux d’identifier le récit. L’iconographie de l’image se

concentre sur l’instant où Dieu juge l’entreprise, ne faisant aucune allusion au thème de la

construction d’une ville, et n’évoquant les thèmes de la confusion des langues et de la dispersion des

peuples que de manière discrète.

Si seuls quelques motifs du récit sont réellement mis en avant, c’est avant tout parce que, à l’époque

romane, les images jouent un rôle important dans l’édification des fidèles70. En réalité, en Occident,

ce n’est qu’à partir de cette période que l’Église « reconnaît de façon définitive le rôle de l’image

65

VICARI J., La Tour de Babel, p.101. 66

Dans le cycle de Salerne, sur les images concernant le Nouveau Testament, le Christ est différenciable de Dieu uniquement grâce à son nimbe cruciforme (BERGMAN R.P., op.cit., p.2). 67

BERGMAN R.P., op.cit., p.31. 68

Idem, p.30. 69

Idem, p.31. 70

ERLANDE-BRANDENBURG A., L’art roman, un défi européen, p.78.

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Fig. 4 Schéma compositionnel de l’œuvre

de Salerne

pour une meilleure compréhension par les fidèles des mystères de la foi »71. Les images

représentent, selon François Heber-Suffrin, « l’affirmation d’un dogme dont il *le laïc+ ne peut

s’écarter sans risquer de verser dans l’hérésie » 72. Il semble dès lors tout à fait compréhensible que

le sujet principal de l’image soit la construction de la tour, qui symbolise une transgression des

hommes. L’ivoire représente, de manière allégorique, l’impiété de ces derniers, tout comme, par

exemple, l’image de la construction de l’Arche, dans la série d’ivoires [FIG 3], symbolise la piété et le

respect de la volonté divine. Par opposition entre la représentation de deux constructions, celle de

l’arche et celle de la tour, le fidèle distingue immédiatement le bien du mal. Le contenu

iconographique se limite donc aux éléments essentiels du récit biblique de Babel, car l’ivoire de

Salerne devait, comme les autres images de l’époque romane, répondre avant tout à des impératifs

de lisibilité et de clarté. Nous pourrons constater, à présent, que son style et sa composition

répondent à ces mêmes impératifs.

Au niveau du style, l’artiste ne semble pas avoir attaché beaucoup d’importance à la concordance

entre son œuvre et la réalité visible. En effet, les drapés sont schématisés, l’image ne comporte

aucune profondeur, les personnages n’ont pas d’identité unique et les volumes ne sont que peu

suggérés. Selon Bergman, il s’agit là de caractéristiques typiques de l’art roman73. Il ne faut pas y voir

une incapacité technique mais bien un choix volontaire. Les figures et les objets sont schématisés

pour rendre l’image plus claire. Car l’artiste du Moyen-âge « n’imite rien, la fonction de son art n’est

pas la mimesis classique »74. Il réalise des images « non mimétiques, qu’on dira plutôt

"indicielles" »75. De plus, cette représentation du récit de Babel n’a pas pour fonction de représenter

un événement historique, mais de servir d’exemple universel. Elle n’illustre pas la construction réelle

d’une tour, mais bien l’impiété générale des communautés humaines, destinées à être jugées par

Dieu. Pour que le fidèle saisisse rapidement que l’image renvoie à un concept, à un niveau supérieur

d’interprétation, il est nécessaire de s’éloigner de la représentation fidèle de la réalité. Le style sert

donc, lui aussi, la compréhension rapide de l’image.

En dernier lieu, la composition même de l’ivoire de

Salerne, c'est-à-dire sa "mise en page", sert le même

objectif de lisibilité. À l’époque romane, un

« vocabulaire gestuel est utilisé pour exprimer

l’importance et la fonction des personnages ainsi que la

nature de la relation qui les lient »76. Ainsi, comme les

autres images de cette période, celle de Salerne est

régie par une perspective symbolique, qui attribue une

taille plus ou moins grande aux éléments de l’image, en

fonction de leur importance dans la scène. Les motifs

principaux doivent être immédiatement identifiés

comme tels. À Salerne, ce sont Dieu et la tour qui

dominent, par leur hauteur, le reste de l’image, les

71

Idem, p.77. 72

HEBER-SUFFRIN F., op.cit., p.128. 73

BERGMAN Robert P., op. cit., p.85. 74

SCHMITT J.-C., « Imago : de l’image à l’imaginaire », in : L’image, p.32. 75

Idem 76

HEBER-SUFFRIN F., op.cit., p.129.

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FIG.5 Pieter Bruegel L’Ancien, Tour de Babel, 1563

hommes étant beaucoup plus petits. De plus, Dieu et la tour forment deux blocs rectangulaires qui

ressortent clairement du reste de la composition [FIG.4]. Ces deux éléments formels (la taille et la

forme de Dieu et de la tour) font de ces deux personnages les éléments principaux de l’image, ceux

que le spectateur aperçoit et reconnaît immédiatement et qui lui permettent d’identifier le sujet. En

outre, il y a des éléments du texte biblique qui semblent à première vue difficilement

représentables : les hommes veulent construire une tour qui atteigne le ciel et désirent égaler Dieu.

Pour traduire dans l’ivoire ces éléments, l’artiste sculpte une tour dont la taille est égale à celle de

Dieu et dont le sommet atteint presque le haut de l’image, celui-ci symbolisant le ciel. Ainsi, les

moyens syntaxiques77 employés par l’artiste permettent de rendre immédiatement compte du sens

de la scène : Dieu, la main tendue vers la tour, s’apprête à stopper l’entreprise des hommes, dont

l’objectif est d’atteindre le ciel et de se substituer à Dieu. Tout cela se lit dans l’image elle-même, par

l’ordonnance des motifs iconographiques.

Nous pouvons donc retenir que l’ivoire de Salerne suit très respectueusement le texte biblique.

Ensuite, il ne sélectionne que les éléments iconographiques essentiels à l’identification et à la

compréhension de la scène. L’ivoire de Salerne sert à évoquer un concept universel, celui de

l’impiété humaine. Cette volonté d’universalité explique dès lors la schématisation et l’absence de

détails que nous avons relevées. Étant donné que le thème principal de l’ivoire de Salerne est

l’impiété des hommes, il en ressort une interprétation traditionnelle du texte, selon laquelle

l’intervention divine constitue une punition. Nous verrons que d’autres interprétations, moins

respectueuses du récit biblique, feront leur apparition. Les artistes s’éloigneront à leur tour, comme

les écrivains, de l’interprétation traditionnelle du récit et donneront des significations sans cesse

inédites aux images de Babel.

4.2 La tour de Babel de référence

Pour prendre conscience de

ces évolutions, nous allons

analyser une œuvre ultérieure

à celle de Salerne et qui

constitue certainement la

représentation la plus célèbre

de Babel, au point d’être

restée gravée dans les esprits

comme une icône : La Tour de

Babel de Bruegel l’Ancien

[FIG.5]. Entre l’ivoire de

Salerne et cette œuvre

flamande du XVIème siècle, le

monde occidental et les arts

ont vécu un changement

fondamental historiquement :

la Renaissance. Cette période

explique en grande partie les

77

Terme employé par Jean With pour définir des procédés compositionnels utilisés par les artistes pour donner aux images un sens implicite. (WIRTH J., L’image à l’époque romane, p.80-87)

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FIG.6 Gravure de Hans Holbein le Jeune,

Bâle, 1526

changements iconographiques et stylistiques que l’on peut observer chez Bruegel par rapport à

l’image de Salerne. Toutefois, d’autres éléments du contexte historique influencent le contenu de

l’œuvre du maître flamand.

Au XVIème siècle, le monde occidental « s’humanise ». Dans les arts, cela se traduit par une volonté de

représenter le monde réel, le monde visible, tel qu’il apparaît aux yeux des hommes, et non plus des

idées, des concepts. La perspective linéaire, par exemple, basée sur des calculs géométriques,

remplace progressivement la perspective symbolique. Les artistes « s’attachent à représenter le réel

par le rendu de l’espace et des volumes, par la perspective linéaire, le modelé, la lumière. »78 Ils

cherchent aussi à donner de la consistance à leur personnages, à les individualiser, à rendre leurs

mouvements naturels. L’art ne vise alors plus à représenter une réalité supérieure, divine, mais bien

la nature visible, idéalisée parfois, mais de manière réaliste tout de même. Chez Bruegel, par

comparaison avec l’ivoire de Salerne, on ressent très clairement cette évolution.

En effet, l’image n’est cette fois plus du tout schématisée. La tour s’intègre dans un paysage réaliste

dans lequel évolue une multitude de personnages. Ces derniers se livrent à nouveau à des tâches

bien spécifiques au sein du chantier mais sont, cette fois, clairement différenciés les uns des autres

par des « singularités physiques »79. En plus d’exploiter les avancées de la Renaissance, nées en

grande partie en Italie, Bruegel livre ici une œuvre aussi très représentative de l’art flamand de son

époque qui, grâce à l’utilisation perfectionnée de la peinture à l’huile, présente des œuvres dont les

détails sont riches et précis80. Dans son œuvre, « le juste équilibre entre des contours nets et une

palette chromatique naturaliste lui permet un luxe de détails »81. Chez Bruegel, les moindres espaces

de sa toile sont en effet remplis de nombreux détails pittoresques. Nous pouvons donc déjà relever

plusieurs différences importantes, au niveau formel, entre l’œuvre de Salerne et celle de Bruegel: la

schématisation des motifs laisse la place à une représentation naturelle ; la perspective symbolique

se voit remplacée par la perspective linéaire ; les impératifs de lisibilité et de clarté disparaissent sous

une profusion de détails.

D’un point de vue iconographique, Bruegel retient

plusieurs motifs déjà présents sur l’ivoire de Salerne,

et que la tradition iconographique a conservés : la

tour et les constructeurs. La tour cependant a

changé de forme : elle n’est plus carrée mais ronde.

Cette manière de présenter la tour de Babel semble

devenue la règle, selon Vicari, depuis qu’une gravure

de l’artiste allemand Hans Holbein le Jeune [FIG.6],

ait été largement diffusée82. D’après lui,

« l’imprimerie fait de la tour ronde une image

omniprésente »83. De plus, dès le début de la

Renaissance, au XIVème siècle, les artistes

78

CITRON M., « Le XVe

siècle », in : Histoire visuelle de l’art, p.163. 79

WIRTH J., « Structure et fonctions de l’image chez Saint Thomas d’Aquin », in : L’image, p.51. 80

BLANC J., « Le style des Flandres », in : Histoire visuelle de l’art, p.186. 81

BLANC J., « Pieter Bruegel et la Flandre, in : Histoire visuelle de l’art, p.225. 82

VICARI J., op.cit., p.108. 83

Idem, p.109.

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commencent à s’inspirer du récit d’Hérodote, qui vient d’être redécouvert, pour donner « une forme

plausible à la Tour de Babel, anticipant de trois siècle les représentations "savantes" des

archéologues »84. La tour de Babel est dès lors représentée avec plusieurs étages superposés les uns

sur les autres, comme c’est le cas chez Bruegel. Selon Charron Pascal, la peinture hollandaise du

XVIème siècle exploite aussi une tradition iconographique qui représentait une rampe montant autour

de la tour, comme le fait Bruegel85. Cette tradition est elle aussi apparue après la redécouverte du

texte d’Hérodote.

Parrot relève encore un autre changement débuté à la Renaissance, qui transparait aussi chez

Bruegel : la tour prend des dimensions beaucoup plus imposantes86. En effet, dès la Renaissance,

« l’érudition suggère que l’entreprise dépassait, en moyens et en objectifs, les habitudes

courantes »87. Les artistes mettent dès lors l’accent, comme Bruegel, sur le gigantisme de l’entreprise

en représentant des tours monumentales, colossales, qui emplissent la majeure partie des images.

Selon Wegener, ils soulignent aussi le contraste entre la monumentalité de l’édifice et la dimension

réduite des humains, des bâtiments et des champs qui occupent le paysage, afin d’accentuer la

démesure de l’entreprise88. Wegener observe que la tour de Bruegel occupe deux tiers de la largeur

de l’image, tandis que son sommet atteint le haut du tableau89. Ainsi, l’édifice monopolise plus de la

moitié de la toile. Par rapport à la tour de l’ivoire de Salerne, qui partageait avec Dieu le rôle principal

et qui occupait moins d’espace dans l’image, celle de Bruegel attire à elle seule tous les regards et

semble faire disparaître tous les autres éléments du tableau.

Un autre grand changement s’est effectué progressivement dans l’iconographie de Babel depuis le

Moyen-âge : la disparition de Dieu. Toutefois, sa présence a continué à être suggérée par divers

moyens, par exemple en représentant la destruction de la tour par le souffle divin. Vicari relève que

cette solution, qui a été reprise par de nombreux artistes dès le XIVème siècle, s’est inspirée du texte

de l’Apocalypse 18, dans lequel Babylone est détruite par Dieu90, ce qui n’était pas le cas en Genèse

11, 1-9, où Dieu n’avait fait qu’empêcher l’achèvement de la tour. Bruegel, lui, atténue encore la

présence divine en ne la suggérant plus que par des nuages qui cernent le sommet de la tour, et par

l’atmosphère sombre et lourde dans laquelle est baignée la scène. On pressent alors qu’un

événement lugubre est sur le point de venir gêner le calme précaire de l’image. Bruegel suggère aussi

la future destruction de la tour, mais cette fois à travers la structure même de la construction.

Comme le relève Wegener, cette dernière est représentée en pleine construction, mais aucune

partie de l’édifice ne semble achevée, comme si la tour continuait à s’élever avant même que les

premiers étages ne soient achevés91. Cela donne le sentiment que l’entreprise est condamnée

d’avance à s’effondrer. Vicari résume clairement ces différentes remarques, en parlant d’une

« atmosphère de puissance négative » exprimée « par des ciels chargés de nuages menaçants (…) *et+

par la complexité de l’œuvre que les constructeurs ont visiblement de la peine à maîtriser. »92

84

Idem, p.105. 85

CHARRON Pascal, Dictionnaire d’histoire de l’art au Moyen-âge occidental, p.925. 86

PARROT A., op.cit., p.100. 87

Idem. 88

WEGENER U.B., Die Faszination des Masslosen, p.18. 89

Idem, p. 15. 90

VICARI Jacques, op.cit., p.104. 91

WEGENER U.B, op.cit., p.20 92

Idem.

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FIG. 7 Cornelis Antonisz, La Chute de la tour de Babel, Gravure,

Teunissen, 1547

Bruegel ajoute aussi deux motifs iconographiques qui n’apparaissent pas sur l’ivoire de Salerne : le

roi du premier plan et le paysage de l’arrière-plan. Selon Mansbach, le premier provient d’une

tradition iconographique qui intégrait Nemrod, descendant de Cham, lui-même fils de Noé, dans les

représentations de Babel93. Cette tradition est issue, elle, du rapprochement fait entre Genèse 10, où

Nemrod est présenté comme le futur roi des villes de la plaine de Shinéar, et Genèse 11, 1-9.

Gn 10,8 : Koush engendra Nemrod. Il fut le premier héros sur la terre (…)

Gn 10,10 Les capitales de son royaume furent Babel, Erek, Akkad, toutes villes du pays de

Shinéar. (TOB)94

Ce rapprochement entre les deux passages laisse alors penser que Nemrod est l’instigateur de la tour

de Babel et a poussé plusieurs artistes à intégrer ce roi dans leur représentation. Chez Bruegel, le roi

prend une signification différente. Instigateur de la tour, il forme avec elle le symbole du pouvoir

oppressant. Sa construction, en effet, semble écraser le monde qui l’entoure. Ce dernier ressemble

plus aux bords de mer flamands qu’aux paysages de la Mésopotamie. Selon Mansbach, ces éléments

laissent penser que Bruegel évoque, à travers sa toile, le monde qui lui est contemporain. Mansbach

relève qu’entre la fin des années 1550 et le début des années 1560, les Pays-Bas subissent la

domination de l’Espagne catholique alors que Bruegel, lui, partage plutôt les opinions des

Réformateurs. Mansbach estime

dès lors que le roi de l’image peut

représenter Philippe II

d’Espagne95. Pour Elliston Weiner,

cette assimilation entre Nemrod et

Philippe II peut servir à symboliser

« le tyran qui s’approprie, et le

pouvoir politique, et le pouvoir

religieux à l’aide d’un régime

répressif »96. Effectivement, le

souverain espagnol de l’époque se

veut « le plus fidèle défenseur du

catholicisme »97 et mène une forte

répression contre les Calvinistes

des Pays-Bas.

D’autres éléments de l’image

traduisent les opinions du maître

flamand. Marijnissen relève que la

tour est formée par un

entassement de plusieurs étages

93

MANSBACH S.A., "Pieter Bruegel’s Towers of Babel", in: Zeitschrift für Kunstgeschichte, p.44-45. 94ABF (web), Lire la Bible. 95

MANSBACH S.A., op.cit., p.46-48. 96

ELLISTON WEINER S., The tower of Babel in netherlandisch painting (1985). N’étant pas en mesure de consulter cet ouvrage, je ne le cite que d’après le résumé de Marijnissen (MARIJNISSEN R.H., Bruegel, tout l’œuvre peint et dessiné, p.211). 97

CITRON M., op.cit., p.200.

Page 21: La tour de Babel - University of Neuchâtel...En conclusion, nous tenteons de donne une explication au succès u’a connu le thème de abel. Nous verrons que celui-ci est lié, avant

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21

ayant la forme du Colisée98. Selon Vicari, Bruegel s’inspire ici d’une solution adoptée par un autre

artiste flamand, Anthonisz, quelques années plus tôt. Sur cette œuvre [FIG.7], on s’aperçoit que

l’édifice en pleine destruction est formé par un entassement de ruines de Colisées99. Le Colisée

constitue le monument emblématique de la ville antique de Rome. Il semble possible que Bruegel se

serve de cette forme architecturale pour faire une double allusion : à la Rome papale de son époque,

d’abord, à l’Antiquité ensuite. Cette allusion à l’Antiquité permet d’évoquer, indirectement, la ville de

Babylone. Au XVIème siècle, comme le note Bost, Luther, comme d’autres Réformateurs, identifie

Rome à Babylone100. Cette assimilation semble, selon Elliston Weiner, un « lieu commun de la

littérature réformée de l’époque »101. En réalité, ce lien entre Rome et Babylone apparait déjà, de

manière implicite, dans le livre de l’Apocalypse (chapitre 14). D’après Prigent, ce symbolisme repose

sur le fait que les deux villes « sont de fières capitales d’empire et toutes deux persécutent les saints

de Dieu »102. Il est dès lors probable qu’en utilisant pour sa tour la forme du Colisée, édifice

emblématique de la Rome antique, Bruegel traduise cette idée qui identifie la Rome papale du XVIème

siècle à la Babylone de la Bible. Tous les éléments cités ci-dessus (l’intégration de la tour dans un

paysage flamand ; la présence du roi ; l’allusion à la Rome papale, nouvelle Babylone, par la forme de

la tour) permettent en effet de penser que Bruegel dénonce la Rome papale de son époque, en lui

prédisant le même avenir que Babylone.

Bruegel suggère, par plusieurs moyens, la chute probable de Rome. Tout d’abord par l’atmosphère

pesante dans laquelle baigne la scène et par l’état d’inachèvement de la tour. Il souligne aussi le

caractère inutile de la tour. Il peint en effet un édifice inhabitable, labyrinthique, mais qui donne une

impression de sublime. De cette manière, il critique « la futilité de Rome, trop attachée aux richesses

selon Luther et ses adeptes »103. Tous les éléments que nous venons de voir permettent de

considérer la thèse de Mansbach, partagée par plusieurs auteurs, selon laquelle l’œuvre de Bruegel

représente une « métaphore picturale de l’état politique et religieux des affaires dans les Flandres

contemporaines telles que perçues par le cercle humaniste »104, comme plausible. En tout cas,

plusieurs éléments de l’œuvre concordent avec cette interprétation. Celle-ci garde aussi tout son

sens lorsqu’elle est mise en relation avec le contexte historique des Pays-Bas au XVIème siècle et avec

les opinions de Bruegel, semblables à celles des Réformateurs.

Toutefois, avant même de livrer cette signification profonde, l’œuvre de Bruegel traduit

immédiatement plusieurs impressions très claires : tout d’abord, la tour monopolise l’espace et

"écrase" le reste du paysage. Elle semble donc d’avance destructrice, envahissante. Les nuages et

l’atmosphère qui l’entourent connotent aussi une situation malsaine, négative. Au premier regard,

l’œuvre fait ressentir que cette construction a un impact néfaste sur le monde qui l’entoure. Son état

d’édifice à moitié en chantier, à moitié déjà en ruine traduit aussi un sentiment de malaise, comme si

cette tour ne pouvait tenir debout encore longtemps. On ressent immédiatement que son

achèvement ne sera pas possible et qu’elle s’effondrera si on l’élève encore, puisque ses assises ne

paraissent pas solides.

98

MARIJNISSEN R.H., op.cit., p.210. 99

VICARI J., op.cit., p.108-109. 100

BOST H., op.cit., p.145. 101

MARIJNISSEN Roger H., op.cit. p.211. 102

PRIGENT P., L’apocalypse de Saint-Jean, p.340. 103

CELLEMARE C., YUCEIL D. (web), La tour de Babel. 104

Traduction du texte de MANSBACH S.A., op.cit., p.48.

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Ainsi, l’interprétation première du mythe de Babel que nous donne à voir cette œuvre se révèle être,

dans tous les cas, une critique de cette tour. Comme le relève Elliston Weiner, l’œuvre de Bruegel

présente deux niveaux de signification105. Le niveau le plus profond consiste, comme nous l’avons vu

en la critique de la Papauté. Cependant, l’œuvre de Bruegel traduit aussi un niveau de sens plus clair,

plus apparent. Elle sert en premier lieu d’ « allégorie biblique moralisatrice »106.

Dès lors, tout comme celle de Salerne, l’œuvre flammande condamne l’entreprise orgueilleuse des

hommes, suivant ainsi la tradition artistique et interprétative du thème de Babel. Seulement, Bruegel

présente sa tour dans un paysage précis et la situe ainsi dans un espace particulier. Ensuite, il la situe

aussi dans le temps, en utilisant la figure de Nemrod pour représenter Philippe II et, surtout, en

donnant l’impression d’une scène prise sur le vif, comme une photographie. Ainsi apparait un

changement fondamental dans l’œuvre du maître flamand par rapport à celle de Salerne : Bruegel

actualise l’épisode de Babel. Sa peinture ne symbolise plus, comme dans l’ivoire de Salerne, l’impiété

et l’orgueil humain de manière universelle, mais un événement particulier. Bruegel présente le

monde d’avant Babel comme subissant une oppression, comme étant « écrasé » par l’orgueil d’un

roi. On peut dès lors rapprocher cette interprétation de celle des auteurs modernes, qui

considéraient que les hommes d’avant Babel vivaient sous le joug du totalitarisme. Bruegel rejoint

aussi ces écrivains par le fait qu’il actualise le récit pour dénoncer un état présent. Ainsi, en peinture

comme en littérature, l’épisode de Babel semble à nouveau d’actualité. Enfin, l’œuvre de Bruegel

poursuit la tradition artistique du thème de Babel en représentant « la dimension pécheresse de

l’entreprise »107. Elle condamne donc toujours la démesure et l’orgueil des hommes. Nous verrons

maintenant que cette tradition interprétative va connaître un bouleversement plusieurs siècles après

la création de la peinture de Bruegel.

4.3 Monument à l’unité retrouvée

Nous découvrirons maintenant que, quatre siècles après Bruegel, le thème de Babel est repris par un

artiste dans une perspective tout à fait novatrice. Il faut dire que le contexte historique qui sous-tend

cette œuvre est, lui aussi, totalement inédit. En effet, la tour que nous allons analyser devait prendre

forme en Russie, dès 1919, sous le récent régime communiste. D’après Simonov, un artiste, Tatline,

participe, à cette époque, à un mouvement de propagande lancé par Lénine108. Selon Strigalev, il se

voit charger, dans ce but, d’imaginer un monument commémoratif de la Révolution d’Octobre 1917

et qui, par là même, célébrait le nouvel état politique109. Tatline imagine alors un édifice gigantesque,

le Monument à la IIIème Internationale, de plus de quatre-cents mètres de haut, dont il crée la

maquette [FIG.8]. Avec ce monument, Tatline donne l’impulsion à un nouveau courant artistique,

dont il sera considéré comme le chef de file : le Constructivisme. Ce dernier, mêlant idéaux politiques

et artistiques, défend une théorie selon laquelle les artistes doivent ressembler à des ingénieurs en

créant des œuvres qui allient recherche artistique et utilité. Ils doivent, comme tous les travailleurs,

participer au bien-être de la nouvelle nation. Selon Loredana Parmesani, les œuvres constructivistes

105

MARIJNISSEN R.H., op.cit., p.210-211. 106

Idem, p.210. 107

Idem, p.211. 108

SIMONOV K. M., « An extraordinary man », in : Tatlin, p.10 109

STRIGALEV A. A., « From painting to the Construction of Matter, in : Tatlin, p.27.

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FIG.8 Tatline, Maquette du Monument à la IIIème

Internationale, 1919-1920

ne prennent pas seulement une fonction pratique, mais doivent jouer aussi un rôle social110. Une

œuvre d’art doit servir d’ « instrument fondamental pour la réussite de la révolution elle-même »111.

D’un point de vue formel, les artistes se tournent

vers les matériaux modernes, issus de l’industrie,

jusqu’alors exclus des œuvres d’art. De cette

manière, ils soulignent la nouveauté à la fois de leur

art, de leur fonction d’artiste-ingénieur et,

implicitement, de leur État. Construites avec des

matériaux industriels, les œuvres constructivistes se

rapprochent, formellement, d’objets ou d’édifices

fonctionnels. Elles ne s’en différentient plus que par

leur aspect artistique. Les constructivistes

s’intéressent encore au mouvement, qui symbolise

en lui-même le progrès. Leurs œuvres se

rapprochent alors plus encore de machines

industrielles. Elles évoquent donc réellement des

travaux d’ingénieurs et soulignent par là que les

artistes, comme tous les citoyens de la Russie,

veulent participer à l’édification et au

développement de la nation.

L’œuvre que Tatline propose en 1919 constitue la

figure emblématique du courant constructiviste.

Selon la description de Rowel, Tatline propose une

tour en verre de quatre étages de formes

différentes (un cube, une pyramide, un cylindre et

une demi-sphère), chacun tournant autour de son

propre axe à une vitesse différente. Il s’agit en réalité de quatre structures indépendantes en verre,

attachées les unes aux autres par une structure métallique externe, en forme de spirale112. Les

matériaux choisis symbolisent, selon Strigalev, qui s’appuie sur les dires de Tatline lui-même, le

« classicisme moderne », tout comme le marbre représentait le classicisme passé113. Strigalev relève

que la structure métallique externe de la tour, en forme de spirale, allie clairement la recherche

artistique à l’utilitaire, puisqu’elle apporte à l’édifice son aspect décoratif tout en lui servant de

support fondamental114. Ce monument devait en outre avoir une fonction dans la société : celle

d’accueillir plusieurs institutions étatiques. L’œuvre de Tatline allie ainsi les principes constructivistes

de mouvement, d’exploitation de matériaux industriels, d’utilité et de recherche artistique.

Tatline semble s’inspirer, pour l’apparence externe de sa tour, de la tradition iconographique du

thème de Babel. Strigalev pense même que la Tour de Babel de Bruegel forme l’une des principales

110

PARMESANI L., L’Art du XXe Siècle, p.32. 111

Idem. 112

ROWELL M., « Vladimir Tatlin : Form/Faktura », in : October, p.103-104. 113

STRIGALEV A. A., op.cit., p.29. 114

Idem, p.27.

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sources d’inspiration de Tatline115. L’édifice de ce dernier reprend effectivement la forme

traditionnelle, comme Bruegel, d’une tour constituée de plusieurs étages superposés les uns sur les

autres. De plus, Tatline suit aussi une représentation traditionnelle depuis la découverte du texte

d’Hérodote, qui ajoute une rampe autour de la tour. La spirale métallique qui cerne les structures

internes rappelle justement cette rampe. A première vue, la forme de la construction évoque celle de

la tour de Babel, telle qu’elle est ancrée dans l’imagerie populaire. Toutefois, l’aspect de la tour de

Tatline varie tout de même des représentations antérieures de Babel. En effet, comme le relève

Strigalev, jusqu’alors, la plupart des œuvres sur ce thème donnait à voir une tour de brique ou de

pierre, massive, lourde. Celle de Tatline, en revanche, laisse une place importante au vide, ce qui lui

donne un aspect léger et aérien116. De plus, sa forme spiralée donne à la tour une dynamique

ascensionnelle, comme si l’édifice s’élevait de plus en plus rapidement vers le ciel. Alors que les tours

précédentes, particulièrement celle de Bruegel, semblaient peser sur le monde alentour, celle de

Tatline ressemble plus à une colonne d’air, à une tornade qui s’élève vers le ciel. Chez Bruegel, la

tour, par l’inachèvement apparent de toutes ses parties, semblait condamnée d’avance à échouer

dans son objectif d’atteindre le ciel. Le chantier semblait impossible à terminer. Chez Tatline, cet

objectif paraît tout à fait réalisable : la tour n’a plus qu’à poursuivre son ascension et à continuer à se

déployer vers le ciel.

En réalité, Tatline reprend à la fois le thème de Babel et son iconographie, mais en renouvelant les

deux à sa manière à des fins tout à fait inédites. En effet, l’artiste russe n’évoque le mythe de Babel

ni pour condamner l’impiété humaine, comme à Salerne, ni pour dénoncer une réactualisation du

pêché d’orgueil, comme chez Bruegel, mais pour célébrer l’unité à nouveau retrouvée des hommes.

Chez Tatline, la représentation de Babel perd sa connotation négative. Au lieu de condamner

l’orgueil humain, elle semble le célébrer, et en constituer le symbole de manière positive. Tatline

cherche donc plutôt à glorifier le nouvel État communiste dont le peuple à nouveau uni, comme

avant Babel, est capable de bâtir de grandes choses. Tatline rejoint ici la symbolique littéraire

"classique", en considérant le monde d’avant Babel comme un idéal d’unité. En revanche, il agit

comme les écrivains "modernes", en ne regardant pas cette situation avec nostalgie, mais en

considérant qu’elle caractérise à nouveau le monde présent et à venir.

Tatline livre donc une symbolique tout à fait inédite du thème. En effet, toutes les interprétations

que nous avons évoquées jusqu’à maintenant considéraient le projet des hommes de manière

négative. Pour les auteurs "classiques", l’orgueil des hommes, dont la tour de Babel représente le

symbole, les a condamnés à quitter le monde idéal dans lequel ils vivaient. Pour les écrivains

"modernes", la tour de Babel représente le symbole du totalitarisme. L’œuvre de Salerne et celle de

Bruegel interprètent Babel comme un pêché. À l’inverse, Tatline symbolise la réussite d’un peuple et,

plus particulièrement, d’une idéologie. Ce que les hommes de Shinéar n’étaient pas parvenus à

réaliser, ceux du XXème siècle, unis par la IIIe Internationale, vont réussir à le construire. L’œuvre de

Tatline prend alors la forme d’un défi envers dieu. Si les hommes de la Bible avaient achevé leur

entreprise, plus rien ne leur aurait été impossible. Dieu le dit lui-même en Genèse XI, 1-9, lorsqu’il

observe le projet en cours de chantier :

Genèse 10, 6-7 6« Eh, dit le SEIGNEUR, ils ne sont tous qu'un peuple et qu'une langue et c'est

là leur première œuvre ! Maintenant, rien de ce qu'ils projetteront de faire

115

Idem, p.28-29. 116

Idem, p.28.

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FIG.9 Projection du Monument à la IIIème

Internationale, dans

l’environnement qui aurait dû l’accueillir.

ne leur sera inaccessible ! 7Allons, descendons et brouillons ici leur langue,

qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres ! »

C’est d’ailleurs ce qui semble le

pousser à agir. Dès lors, si

l’œuvre de Tatline avait été

achevée, elle aurait signifié que

tout devenait possible pour les

hommes du XXème siècle, sans

intervention divine. Gray

souligne d’ailleurs que les

constructivistes s’opposent

autant à « l’art pour l’art »,

c'est-à-dire à l’art inutile, qu’à la

religion, considérant que ces

deux usages éloignent les

hommes de la réalité117. On

peut dès lors lire dans cette

œuvre une sorte de message à

Dieu et aux autres peuples : avec

le communisme, tout devient possible pour les hommes, devenus autonomes. La tour de Tatline livre

alors un message politique à plus grande portée : elle veut montrer que le communisme peut réunir

à nouveau non seulement le peuple de Russie, mais aussi tous les peuples du monde. Comme le dit

Herschdofer, « Ce monument se veut l'antithèse de la Tour de Babel »118, puisque le premier

symbolise l’unification nouvelle des nations par le communisme, alors que le second symbolise la

division entre les hommes. Pour Strigalev aussi, la tour de Tatline veut montrer que les peuples

antagonistes peuvent être unis à nouveau sous l’ère de la IIIème Internationale119. La tour de Tatline

semble vouloir montrer à dieu, et au monde entier, que le communisme permet de tout réaliser.

Toutefois, le projet de Tatline prend pour nous, avec le recul historique, un sens encore totalement

différent. Sa tour constitue à nos yeux la réactualisation complète de l’épisode de Babel. Pour

Tatline, la fin de l’épisode aurait dû changer et la tour aurait, cette fois, dû être complètement

achevée. Seulement, cela ne fut pas le cas. L’histoire de la tour de Tatline connut la même fin que

celle de Babel. En effet, le monument gigantesque de Tatline ne sera jamais réalisé. L’édifice ne sera

jamais construit, et seule la maquette laissera un souvenir de ce projet, qui « est en bien des points

révélateur de leurs [Tatline et ses assistants] ambitions démesurées »120 [FIG.9]. Ainsi, tout comme la

tour de Babel de la Bible, cette entreprise, née de l’orgueil et de la fierté d’un homme pour son

peuple et pour une idéologie, ne sera jamais achevée. Gray souligne que cela fut d’ailleurs le cas de

la plupart des constructions architecturales constructivistes du début des années 1920, qui ne purent

voir le jour « en raison de la crise économique qui paralysait le pays. »121. Pour elle, « la tragédie de

ces artistes *les constructivistes+ réside dans la distance entre l’utopie qu’ils avaient envisagée et la

117

GRAY C., L’avant-garde russe dans l’art moderne 1863-1922, p.257 118

HERSCHDOFER N. (web), Monument à la IIIème Internationale de Tatline 1919-1920. 119

STRIGALEV A. A., op.cit., p.28. 120

GRAY C., op.cit., p.226-228 121

Idem, p. 264.

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Lena Würgler Introduction à l’Ancien Testament BA 3ème semestre

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réalité, entre la fin qu’ils voulaient atteindre et les moyens dont ils disposaient »122. En outre, le

monde idéal et unifié dont rêvait le communisme et qui devait répéter la situation d’avant Babel ne

verra jamais le jour. Le peuple russe s’était uni et s’était rassemblé en Russie, comme les hommes de

la Bible sur la plaine de Shinéar. Seulement, comme eux, il ne parviendra pas à achever son projet.

L’entreprise de Tatline ne put, elle aussi, de part sa nature utopique, jamais être réaliser. Avec le

recul, certains pourraient voir dans l’histoire du projet de Tatline, au XXème siècle, une répétition de

l’épisode de Babel dans son entier. La correspondance entre les deux histoires semble telle que l’on

peut se demander aujourd’hui si ce nouvel échec est à nouveau l’œuvre d’une volonté divine.

122

Idem, p.246

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Conclusion Nous avons pu constater plusieurs éléments fondamentaux : tout d’abord que les thèmes traités

dans le récit biblique de Babel sont nés bien avant la rédaction de ce texte et qu’ils ont ensuite, tous,

connus un succès plus ou moins important dans la littérature et dans les arts. Ensuite, nous avons pu

voir que l’interprétation du récit autour de ces thèmes a fortement changé, donnant naissance à des

symboliques parfois complètement opposées. Nous avons vu aussi que le thème de Babel a été

actualisé à plusieurs reprises, par des écrivains et par des artistes, pour traiter d’une situation propre

à leur époque.

Tous les récits bibliques de la Genèse n’ont pas connu un tel succès à travers les siècles. Tous n’ont

pas connu non plus de tels changements dans leur signification au cours du temps. Ces deux

spécificités de l’exploitation du thème de Babel s’expliquent par deux raisons fondamentales,

contenues dans le texte biblique même. La première se trouve dans le fait que le texte biblique de

Babel traite de plusieurs éléments de la condition humaine. Il semble dès lors compréhensible que

des thèmes tels que le langage, l’établissement des hommes en société, la relation des hommes à

Dieu, l’orgueil humain, la volonté des hommes de prendre la place divine, etc. soient repris par

d’autres hommes qui s’interrogent eux aussi sur leur condition. Nous avons vu que plusieurs de ces

thèmes ont traversé le temps, du IVème millénaire avant J.-C au XXème siècle. Il s’agit en effet de

thèmes universaux, qui, en tout temps, peuvent redevenir des sujets de réflexion ou d’actualité.

Cette universalité a conduit plusieurs auteurs ou artistes à réactualiser ce thème pour décrire,

dénoncer ou glorifier leur époque. Car quel que soit le contexte historique, les aspects de la

condition humaine décrits dans le récit de Babel ne changent pas et continuent à interroger.

En outre, le récit mythique de Babel offre une certaine marge de liberté dans l’interprétation,

puisque, comme le relève très justement Bost, aucun élément du texte ne permet d’interpréter

explicitement la réaction divine comme étant une malédiction ou une bénédiction123. En effet, dieu

établit un « diagnostic »124 et un « pronostic »125 mais n’émet aucun jugement de valeur. Dès lors, un

débat peut naître aussi autour de cette réaction et donner naissance à plusieurs interprétations.

Cette part de silence autour de la réaction divine permet au lecteur d’imaginer par lui-même la

raison pour laquelle Dieu veut empêcher les hommes d’être omnipotents. Dans ce récit, les causes

premières des différentes actions sont données explicitement : les hommes veulent se rassembler et

construire une tour pour se faire un nom et ainsi éviter d’être dispersés. Dieu, quant à lui, réagit à leur

entreprise pour éviter que toute œuvre leur devienne possible. Toutefois, aucune précision n’explique

pourquoi les hommes craignent d’être dispersés, ni ne définit la nature de la réaction divine (par

crainte, pour le bien de l’humanité, par jalousie, …). En réalité, le récit de Babel pose plus de

questions qu’il ne donne de réponses, et ce terrain fertile pour la réflexion semble aussi en grande

partie responsable de la multitude d’interprétations différentes dont le texte fait l’objet. Le récit de

Babel propose plusieurs sujets de réflexion qui se concentrent autour de la condition humaine, sans

donner d’explication contraignante. Ces thèmes sont dès lors destinés, par leur essence, à un bel

avenir dans la réflexion des hommes. Ainsi, le sujet de Babel doit son succès au fait que sa lecture

ouvre de nombreuses voies de réflexion autour de thèmes très riches et universaux. Le texte laisse la

possibilité au lecteur de les approfondir. À la fonction mythique à la base du récit s’ajoute alors une

123

BOST H., op.cit., p.81. 124

Idem, p.84. 125

Idem.

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Lena Würgler Introduction à l’Ancien Testament BA 3ème semestre

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fonction que nous pouvons appelée "philosophique", c’est-à-dire qui pousse à la réflexion sur l’état

du monde. Les réponses, elles, ne sont pas à rechercher dans le texte, mais dans l’esprit de ses

lecteurs. Chacun peut donc lire le récit de Babel d’une façon différente, sans que le contenu

sémantique ne doive être modifié. Cela explique les nombreuses interprétations parfois opposées

qui sont nées à partir de ce même texte et qui ont traversé les âges. Ainsi, il est possible de conclure

en disant que le récit de Babel doit son succès à l’universalité de ses thèmes et aux silences qu’il

laisse autour de la nature de la réaction divine.

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Lena Würgler Introduction à l’Ancien Testament BA 3ème semestre

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Table des illustrations P. titre : Dessin humoristique de la Tour de Babel

Artbiblique, 02 février 2011, La Tour de Babel, http://artbiblique.hautetfort.com/album/tour-de-

babel/403908739.html, dernière consultation : 04.01.2012

FIG.1 : Reconstitution de la ziggourat d’Ur

Clio La Muse, 19 juin 2010, Les ziggourats, http://www.cliolamuse.com/spip.php?article421, dernière

consultation : 04.01.2012.

FIG.2 : Sculpture romane sur ivoire, La tour de Babel, Cathédrale de Salerne, Italie, XIème siècle. RGmatic.be, Iconographie-Tour de Babel, http://membres.multimania.fr/gre21/icob.htm, 10 avril

2002, denière consultation : 04.01.2012.

FIG.3 : Sculpture romane sur ivoire, L’Arche de Noé, Cathédrale de Salerne, Italie, XIème siècle Académie de Créteil, 23 janvier 2011, « Illustrations du Déluge » dans La Bible et ses images,

http://lettres.ac-creteil.fr/cms/spip.php?article335, dernière consultation : 04.01.2012.

FIG.4 : Schéma compositionnel de l’ivoire de Salerne

FIG.5 : Peinture de Pieter Bruegel l’Ancien, Vienne, 1563

Emily Choe’s Blog, Tower of Babel by Bruegel, http://www.emily.fm/en/2007/12/tower-of-babel-by-

bruegel/, dernière consultation: 04.01.2012.

FIG.6 : Hans Holbein le Jeune, Gravure, Bâle, 1526

Art & AllPosters International B.V, 25.01.2011, Builders at Work on Tower of Babel by Hans Holbein the

Younger, http://www.allposters.com/-sp/Builders-at-Work-on-Tower-of-Babel-

Posters_i1867554_.htm, dernière consultation: 04.01.2012.

FIG. 7 : Cornelis Antonisz, La chute de la tour de Babel, Gravure, Teunissen, 1547

Guardian News and Media Limited 2011, 11 novembre 2008, A look around Babylon at the British

Museum, http://www.guardian.co.uk/artanddesign/gallery/2008/nov/11/babylon-british-

museum?picture=339551651, dernière consultation: 04.01.2012.

FIG.8 : Tatline, Monument à la IIIème Internationale, 1919-1920

RÉZETTE Alain, 11 juin 2010, Metz. Centre Pompidou. Exhibition 2010-2011.,

http://picasaweb.google.com/arezette/MetzCentrePompidouExhibition20102011#, dernière

consultation: 04.01.2012

FIG.9 : Montage : Projection du monument du Monument à la IIIème Internationale, dans

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