dossier paris match : "la contrefaçon du vin", avec james de roany
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par ismatch.com
matchdocumentIl traque les faux
bourgognesBientôt vingt ans qu’il a découvert, stupéfait, la
première copie d’une de ses bouteilles, un fl acon du
domaine familial, le Clos Saint-Denis. Aujourd’hui, les contrefaçons se multiplient,
essentiellement en Asie. Laurent Ponsot met autant
d’énergie à piéger les faussaires qu’à vinifi er ses
nectars. Avec ses acolytes, il nous révèle les secrets de
cette chasse infatigable.
‘‘Pas touche à mesgrands crus !’’
LAURENT PONSOTVIGNERON BOURGUIGNON
PAR VALENTINE DE PANAFIEU ! PHOTOS THIERRY ESCH
Laurent Ponsot dans ses chais, avec une authentique
bouteille de son vignoble.
PARIS MATCH - 04/10/2012 - N° 3307
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CCe soir d’avril!2008, Laurent Ponsot reçoit un e-mail d’un ami américain, grand collectionneur de vin : « Une vente aux enchères se tient à New York dans deux jours, et des bouteilles de Clos Saint-Denis des années 40 et 50 sont au catalogue. » Le vigneron manque de tomber de sa chaise. Impossible que ces " acons soient vrais, il n’a commencé à!en!produire qu’en 1982 ! « Ce jour-là, j’ai pris le premier avion pour New York. »
Laurent Ponsot est né au-dessus d’une cave à vin. Il a connu ses premiers émois amoureux ici, au milieu des vignobles de Bourgogne, près de la célèbre route des grands crus. Son ancêtre s’appelait William. William Ponsot. Un
Bourguignon aussi. Mais, à l’époque, en 1850, il était de bon ton de donner des prénoms britanniques. C’était chic. Aujourd’hui, Laurent Ponsot règne sur les vingt appellations du domaine familial, dont douze grands crus qu’il vend en majorité à l’étranger et aux restaurants étoilés : Petrus à
Hongkong, Daniel Boulud à New York, La Tour d’argent à Paris… Membre du Grand
Conseil de la confrérie des chevaliers du Tastevin, vestige des confréries bachiques des XVIIe et XVIIIe siècles, il aime dire que le vin coule dans ses veines. D’ailleurs, dans huit ans, le 2 février 2020, il doit retrouver un ami à Singapour pour boire son Clos de la Roche 1995. Il se délecte : « Je lui ai dit qu’avant le vin serait trop adolescent, trop fermé, trop dur. » Alors, quand il apprend qu’on a copié ses bouteilles, le chevalier de la Côte-d’Or fulmine.
Ce 25 avril 2008, la salle du très couru restaurant new-yorkais Cru est pleine à craquer. Une centaine de collec-tionneurs ont traversé les Etats-Unis pour cette prestigieuse vente aux enchères Acker Merrall. Dans une ambiance feutrée, la vente a commencé depuis dix minutes quand, coup de tonnerre : arrivé de l’aéroport, le Bourguignon fait irruption dans la salle. Devant ses révélations et sa fureur, le commissaire-priseur se résigne à retirer de la vente les lots du domaine Ponsot, estimés entre 650 000 et 1,3 mil-lion d’euros… « L’expertise prouvera ensuite que, parmi les 84!bouteilles mises en vente, une seule était vraie ! »
En trente ans de périples à travers la planète, Laurent Ponsot a eu le temps de découvrir des copies de ses bouteilles. « La première fois, c’était en 1996, à Kuala Lumpur, et j’étais # er, confesse-t-il. Cela prouvait que mon vin avait de la valeur et de la renommée. Mais la gloriole ne dure qu’un temps. » Et quand le Bourguignon apprend la vente de 83 copies de ses grands crus, c’est l’affront ! Il veut en savoir plus.
Qui achète ces faux pour les revendre aux enchères ? Rudy Kurniawan, un homme incontournable dans le milieu. Il vit à Los Angeles depuis dix ans. Ce prétendu héritier indo-nésien débourse plus de 1 million de dollars par mois pour acquérir des vins, et sa collection atteint près de 50 000!bou-teilles, avec une prédilection pour les vieux " acons de bor-deaux et de bourgogne. Le « Los Angeles Times » lui consacre des articles, et les personnalités du show-business se pressent dans ses dîners. L’élégant trentenaire est proche des grandes maisons d’enchères, auxquelles il cède quelques " acons, et ses ventes lui permettent d’empocher des millions de dollars (36 en 2006, son année record).
Mais, ce soir, Rudy Kurniawan n’est pas présent. Laurent Ponsot veut le rencontrer, et l’invite à déjeuner le lendemain dans un trois-étoiles. « Où avez-vous acheté ces bouteilles ? » demande alors le Bourguignon. « Je ne m’en rappelle plus, répond Rudy Kurniawan, le nez dans son assiette. Je possède tellement de bouteilles ! » Au début du repas, Laurent Ponsot imagine que le collectionneur s’est fait avoir par un escroc.
Sur les bouteilles originales, les
étuis métalliques ont toujours
recouvert intégralement le
bouchon
Sur les vraies, la date n’est jamais
imprimée à cet endroit
Pourquoi le fond blanc est-il ici
immaculé, alors que le reste de l’étiquette fait
vieilli!?
Ce millésime n’a jamais été vendu
avec la mention «!Vieilles vignes!»
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POUR APPRIVOISER SON FAUSSAIRE, IL L’INVITE À DÎNER DANS UN TROIS!ÉTOILES
Avec le catalogue de la vente de grands crus qui lui a mis la puce à l’oreille.
Une copie d’un Clos de la Roche
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Mais, très vite, le doute s’installe chez le Français. « J’ai été surpris qu’il ne se rappelle pas où il avait acheté le fameux Clos Saint-Denis 1945. Comme ce vin n’existe pas, quand on en trouve, on s’en souvient forcément ! »
Sans laisser transparaître ses soupçons, Laurent Ponsot se lance alors dans une croisade en solitaire. Un soir, lors d’un dîner privé à Singapour, l’étiquette d’une bouteille l’in-trigue : « Elle était absolument fausse », se rappelle-t-il. Dessus ! gurent aussi deux minuscules initiales, R.K. Une piste de plus pour Laurent Ponsot qui, au cours de ses pé-riples, rencontre des collectionneurs ayant acheté des vins à Rudy Kurniawan, le plus souvent de vieilles... et fausses bou-teilles. Peu importe leur goût, leur bouquet n’est souvent qu’un souvenir. « Plus un vin est âgé, plus il a de chances d’être passé, précise-t-il. Le client qui achète une bouteille de 1945 sait qu’il y a le risque qu’elle soit mauvaise. Après avoir goûté le vin, il ne se dit pas : “C’est un faux.” Il se dit : “C’est dommage, j’ai joué à la loterie et j’ai perdu.” En co-piant de vieilles bouteilles, les faussaires misent là-dessus. »
Il y a quelques années, Laurent Ponsot avait permis aux autorités italiennes d’arrêter un faussaire. Un Sicilien qui achetait des bouteilles vides de Dom Pérignon à tous les
En France, la riposte s’organiseChâteau Lafi te Rothschild et d’autres
grands crus utilisent le code à bulles de
Prooftag, une protection visible par le
client. Chaque bouteille porte ainsi sur
sa capsule une languette de micro-
bulles, formées de manière aléatoire.
Chaque code a été photographié et
associé à un numéro qui identifi e le vin.
En tapant le numéro dans la base de
données Prooftag, on retrouve la photo
des bulles. Il su! t alors de comparer, à
l’œil nu, si les bulles correspondent.
D’autres dispositifs, plus discrets, sont
seulement connus des châteaux. Il y a
un an, le Comité interprofessionnel
des vins de Bordeaux a sorti Smart
Bordeaux, une application sur smart-
phone qui permet de vérifi er que les
châteaux sont bien référencés, en
scannant les étiquettes ou en tapant
leurs noms ou marques. A ce jour, plus
de 16"000 références sont enregistrées.
La répression est en marche, et les
châteaux travaillent souvent avec les
mêmes avocats. Ces deux dernières
années, Lafi te Rothschild a intenté une
vingtaine d’actions en justice dans des
provinces chinoises, et gagné plusieurs
procès. «"Mais nous n’avons pas les
moyens de campagnes aussi média-
tiques que les manufacturiers du
Comité Colbert, Louis Vuitton,
Lacoste, etc."», commente Christophe
Salin, directeur général des domaines
Barons de Rothschild, et je ne suis pas
sûr que la loi Evin, qui limite le droit de
faire de la pub pour de l’alcool, nous
permette de nous adresser au public."»
James de Roany (photo), président
de la commission Vins et Spiritueux du
Commerce extérieur de la France,
avertit": «"Il est crucial d’enregistrer sa
marque en Chine en français et en
caractères chinois, même pour de petits
volumes."» Le groupe Castel, un des
premiers producteurs de vins français au
monde, en a fait l’amère expérience. Il
avait protégé le nom et le logo Castel
en Chine dès 1998, mais pas sa traduc-
tion chinoise. En avril dernier, le groupe
a été condamné par la justice chinoise à
verser 4,12 millions d’euros à Li Daozhi,
qui, lui, avait eu l’habileté de déposer la
marque dans sa traduction. Ainsi, quand
Castel a créé, en 2005, le nom de sa
fi liale chinoise, Faguo Kasite Xiongdi
Gongsi signifi ant «"France Castel Frères
SAS"», Li Daozhi a poursuivi Castel
pour contrefaçon de marque"! ! V. de P.
« Guide pratique
de l’export du
vin », de James
de Roany et
Evelyne Resnick,
éd. Dunod.
grands sommeliers d’Europe. « Il avait fabriqué une machine artisanale de capsules de champagne et mettait du mous-seux dans les vraies bouteilles. Planqué dans sa petite cui-sine, l’homme avait plutôt des allures d’escroc sympathique », reconnaît le Bourguignon.
Au ! l de son enquête, Ponsot se rapproche de Kurniawan. Quelques mois après leur premier déjeuner, il l’invite « ami-calement » à deux reprises dans des grands restaurants de Los Angeles. Un jeu de dupes s’installe alors entre les deux hommes. L’Indonésien « confesse » qu’il a acheté les fausses bouteilles de la fameuse vente à un certain Pak Hendra, et lui donne deux numéros de téléphone en Indonésie. « Quand j’ai réalisé que Hendra était un nom aussi courant que Dupont en France et que les numéros ne donnaient rien, ma conviction était faite. Faussaire ou revendeur, j’ai su que Kurniawan était impliqué dans le tra! c. » Pourtant, Laurent Ponsot reste patient. Il souhaite accumuler des preuves pour multiplier ses chances de faire tomber le faussaire.
En décembre 2009, le FBI s’intéresse de près à Kurniawan et contacte le Bourguignon. Pendant deux ans, Laurent Ponsot travaille avec l’agent spécial Wynne sans jamais renoncer, même quand « Mister (Suite page 34)
L’entrepôt de sécurisation des bouteilles!: le client peut repérer le code
à bulles sur la capsule et le confronter aux données Prooftag sur Internet.
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Wynne » le prévient que la Ma! a peut être derrière cette his-toire. Il fournit alors au FBI les pièces de sa propre enquête, les fausses bouteilles ainsi que des factures de Kurniawan retrouvées en Bourgogne.
Pendant ce temps, l’homme d’affaires indonésien mène tranquillement sa vie de grand collectionneur. Mais l’étau se resserre autour de lui, et les présomptions de falsi! cation s’accumulent : un milliardaire américain l’accuse de lui avoir vendu de faux grands crus et lui intente un procès. « Rudy était devenu un faussaire obsessionnel. Il se croyait intou-chable ; il ne pouvait plus s’arrêter de copier. C’est ce qui l’a perdu. » En février 2012, l’escroc avait encore essayé de
vendre aux enchères 78 bouteilles de faux Romanée-Conti, estimées 736 500 dollars.
En! n, le 8 mars 2012, le FBI débarque dans sa luxueuse villa. Kurniawan ouvre la porte en peignoir de soie rouge. Seaux de capsules, piles d’étiquettes, tampons de millésimes, toute la panoplie du faussaire est bien là. « Des bouteilles trempaient encore dans l’évier de la cuisine pour que les éti-quettes se décollent, explique Laurent Ponsot. Il y avait du pinot noir de Californie et d’autres mélanges pour fabriquer un vin qui ressemble à mon Clos de la Roche. »
Rudy Kurniawan dort aujourd’hui en prison. La justice américaine a refusé toute libération sous caution – malgré
les 175 000 dollars proposés –, de peur qu’il ne quitte le pays.
Pourtant, une question obsède encore le Bourguignon : « Qui a créé cet homme ? Il n’a pas de parents milliardaires. Il n’est pas indonésien, il vient de nulle part. Il y avait bien quelqu’un pour lui donner tout cet argent en si peu de temps... » Les interrogatoires le diront peut-être. En atten-dant, Laurent Ponsot est sur la piste d’un autre faussaire « qui sévit surtout en Asie, mais utilise les mêmes méthodes que Rudy ». Il n’en dira pas plus, car l’enquête est en cours. L’homme préfère parler du ! lm que Hollywood prépare sur son histoire. « Johnny Depp est sur les rangs pour jouer mon rôle. On m’a contacté pour une série, mais j’ai refusé. Moi, je veux un vrai ! lm de cinéma ! » !
La Chine, l’eldorado des contrefaçons«%A la fi n des dîners et des dégustations,
j’encourage les Chinois à briser les
bouteilles de vin vides%», confi e
Christophe Salin, directeur général des
domaines Barons de Rothschild
(photo). Pour éviter que de la piquette
n’atterrisse dans les prestigieuses
bouteilles françaises et ne soit ensuite
revendue à prix d’or.
En Chine, la consommation de vin
a doublé en cinq ans. Pour les bordeaux,
le pays est devenu le premier marché à
l’export, soit 58 millions de bouteilles
expédiées en 2011 et un chi& re d’a& aires
de 334 millions d’euros. Produit de luxe
que les Chinois aiment o& rir en cadeau,
le vin rouge est aussi incontournable lors
de sorties entre amis que pour des
festivités professionnelles. Le gouverne-
ment, inquiet des e& ets dévastateurs de
l’alcool «%fort%» sur sa population, a
également lancé une opération de
promotion vantant les mérites du vin
pour la santé.
«%Les Chinois n’ont que très
récemment jeté leur dévolu sur “la bois-
son des Occidentaux”. Amateurs de
baijiu, l’alcool blanc corsé (entre 38°
et 65°) qui donne force et courage, ils
n’ont aucun palais et aucune idée de ce
qu’ils boivent%», se désole Ya Ding, ro-
mancier et président du Centre culturel
du vin français en Chine, qui se bat pour
familiariser les Chinois à la culture viti-
cole et leur «%apprendre à boire du vin%».
Revers de ce succès%: les faussaires
se spécialisent dans les grands crus
français. Ils récupèrent les bouteilles
vides auprès de restaurateurs peu
scrupuleux, pour copier ensuite les
fl acons et les étiquettes, de manière
grossière ou bien dans les règles de l’art.
«%Depuis le scandale du lait frelaté
en 2008, les autorités chinoises sont
extrêmement sensibles aux questions
alimentaires. Les alcools contrefaits sont
vendus très chers. La lutte se renforce et
bénéfi cie aux producteurs français%»,
précise James de Roany de la commis-
sion Vins et Spiritueux du commerce
extérieur de la France. «%Et puis, les
droits de douane sur les produits
importés s’élèvent en Chine à 54%%.
Quand le vin est copié, plutôt qu’im-
porté, ce sont autant de recettes
perdues pour le gouvernement.%»
Pourtant, une relative tolérance
persiste. Les copies approximatives des
grands crus français s’a' chent sans
complexe sur les panneaux publici-
taires ou dans certains supermarchés
chinois%: «%Château La' te%» ou «%Lafei%»
ou «%Châtelet Lafi te%», par exemple.
«%C’est justement ce détournement
de la marque contre lequel Château
Lafi te a beaucoup de mal à lutter%»,
souligne Christophe Salin. Il n’y a pas
si longtemps, le ministre chinois du
Commerce tente de le rassurer, expli-
quant que la propriété intellectuelle est
quelque chose de nouveau chez eux,
qu’il faut leur laisser un peu de temps.
«%Dans notre culture, il est hono-
rable de savoir imiter les plus grands,
explique Ya Ding. Les Chinois consi-
dèrent que reproduire le travail d’un
maître correspond à une étape néces-
saire pour maîtriser une technique ou
un art. L’exemple le plus ancien et le plus
prisé est la calligraphie, soit l’art d’imiter
au mieux les ancêtres.%» L’élève dépas-
sera-t-il alors un jour le maître%? «%Aucun
risque. Dans ce domaine, vous avez des
siècles d’avance sur nous.%» ! V. de P.Christophe Salin.
L’ESCROC INDONÉSIEN DORT AUJOURD’HUI DANS UNE PRISON AMÉRICAINE
Rudy Kurniawan, businessman indonésien, faussaire et revendeur, a été confondu. Mais d’autres contrefacteurs courent toujours.
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