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DOSSIER GEORGES
DE LA TOUR
Mme Mareau Magalie et M. Lecaillon Dominique Enseignants Chargés de Mission au Musée Départemental de Vic-sur-Seille
Résumé Georges de La Tour est un artiste qui, malgré un siècle de recherches par les historiens de
l’art, demeure énigmatique. Son succès auprès du public est toujours important. Ce dossier propose de découvrir le peintre Lorrain à travers une approche de son
environnement historique et d’éléments biographiques. Il présentera aussi des liens avec des artistes contemporains et des œuvres présentées au Musée Départemental Georges de
La Tour de Vic-sur-Seille.
Figure 1 : Saint Jean Baptiste dans le Désert -
Musée Départemental Georges de La Tour
1
Service pédagogique du musée départemental Georges de La Tour
Vic-sur-Seille
Georges de La Tour
Dossier Enseignants
1 : Contexte historique
2 : Chronologie 1570 - 1680
3 : Le Tour de Georges en 10 dates
4 : Georges de La Tour : éléments biographiques
5 : Choix d’œuvres dans des musées du monde
6 : Choix d’œuvre dans des musées français
7 : Bibliographie succincte et subjective
8 : Trois œuvres contemporaines inspirées par Georges de La Tour
2
Figure 2 : Sébastien Vrancx - Scène de pillage
Comment m’entendez-vous ? je parle de si loin…
René Char
LE CONTEXTE HISTORIQUE
Georges de La Tour a connu au début de sa vie une Lorraine prospère et riche puis
brutalement, à partir des années 1630, il a vécu les horreurs de la Guerre de Trente ans et ses
suites funestes pour le duché.
Ce contexte historique même si il est, le plus souvent, invisible dans les toiles du peintre, a
pesé et a influencé sa production artistique.
Figure 3 : Le Reniement de Sant Pierre - Georges de La Tour - Musée des Beaux-Arts à Nantes
3
Figure 4 : Lotharingia 1588
UNE LORRAINE PROSPERE 1590 - 1630
« En 1593, quand naît La Tour, le duc
de Lorraine s’appelle Charles III. Il
règne depuis 1545 et mène une
politique aussi prudente
qu’ambitieuse. Il va bientôt perdre
ses derniers espoirs de devenir roi de
France et une suite de mauvaises
récoltes, de 1592 à 1595, entrainera
quelques années difficiles. Mais la
reprise est rapide, et la Lorraine va
connaître ses années les plus
brillantes. »1
La Lorraine de cette fin du XVIe siècle
est un espace hétérogène où se
côtoient d’anciennes terres d’Empire,
des principautés et des domaines plus
ou moins indépendants ainsi que des
zones dans la mouvance de la
couronne de France.2
1 Page 15, Jacques Thuillier, Georges de La Tour, édition Flammarion
2 Le duché politique comprend trois parties, un espace avec Nancy comme capitale ainsi que le duché de Bar, divisé en
Barrois mouvant et Barrois non mouvant. Pour le Barrois mouvant, le duc rend hommage au roi de France.
4
Figure 5 : Carte de l'espace Lorrain vers 1580
Depuis plus d’un siècle, les ducs de Lorraine cherchent à affirmer leur pouvoir, à agrandir leurs possessions et
à conserver leur indépendance. Ils mènent une politique équilibrée entre leurs deux puissants voisins,
l’Empereur et le roi de France.
Cependant, plusieurs crises montrent la fragilité de l’équilibre. En 1552, en échange de son appui militaire, les
princes allemands offrent au roi de France les Trois Evêchés. Charles Quint attaque alors la ville de Metz qui
résiste. Metz, Toul et Verdun, ainsi que les territoires liés à ces villes et à leurs évêques, tombent
définitivement dans l’escarcelle des rois de France. Plus tard, le duc Charles III est entrainé dans les combats
de la Ligue (contre Henri III puis Henri IV). Champion du catholicisme, il espère obtenir la couronne de France.
Le Saulnois est le théâtre de plusieurs affrontements militaires. La paix est rétablie en 1593. Le bilan est assez
sévère pour Charles III, les populations ont beaucoup souffert, les finances sont au plus bas. Abandonnant sa
politique agressive, il participe au rétablissement de la prospérité de la Lorraine.
Vers 1550, les duchés comptent 300 000 habitants. Nancy, entre 1500 et 1550, passe de 1300 à 4300
habitants. Metz en compte 20 000 habitants, Verdun 7000 et Toul 5000.
Figure 6 : Plan de Nancy vers 1633
Figure 7 : Plan de Metz vers 1638
La société est fortement hiérarchisée : clercs, nobles de race, anoblis et roturiers. Il existe encore quelques
serfs. Les anoblissements sont fréquents, de 10 à 20 par ans, pour services rendus ou achat de titre. Les
anoblis peuvent perdre leur titre s’ils ne vivent pas noblement. Les archives révèlent aussi de nombreux
procès mettant en cause de « faux nobles ».
Plus de 90 % de la population vit de la terre. Sur les terres pauvres des Vosges, la culture temporaire se
pratique encore, exploitation d’un lieu durant deux ou trois années puis sa mise en friche durant deux ou trois
décennies. Pour les autres terres, l’assolement triennal se généralise (blé d’hiver, céréale de printemps, friches
avec pacages. Les rendements sont de 4 à 5 pour un. Les arbres fruitiers sont présents partout, et vers 1570, le
mirabellier apparait. La vigne est une culture importante qui bénéficie de l’apport de nouveaux cépages. Suite
à des défrichages, de nouvelles communes sont créées.
5
Les corporations règnent sur les métiers. Elles régulent le fonctionnement et l’installation de leur groupe
professionnel. Les responsables des corporations font également respecter le règlement sur la qualité. Les
cordonniers de Marsal sont regroupés en corporation en 1612.
Les verreries se développent, elles sont souvent « mobiles ». Elles exploitent les ressources quelques années
(bois et sable) puis se déplacent.
Le sel est exploité à Marsal, Moyenvic et Rosières, Château-Salins et Dieuze. Le duc loue les salines à l’évêque
tout au long du XVIe. Les profits sont très importants. Les 5 salines représentent une bonne part de l’apport
financier du duc. Le muid de sel (529 litres) est produit pour 5 à 13 francs et est vendu 70 francs aux Lorrains.
Des contrats sont aussi passés avec les villes de Berne, Luxembourg.
Une industrie du fer se développe. Il existe de nombreux points de production. Moyeuvre est un grand centre.
Des mines d’argent sont exploitées dans les Vosges. Elles produisent, au plus fort de leur production, vers
1550/1570, 1300 kg d’argent par an. Vers la fin du siècle, des filons de cuivre sont découverts.
Figure 8 : 3 parties du Frontispice de la Pompe Funèbre de Charles III – La métallurgie, les salines, les verreries
Des collèges religieux sont créés au XVIe : Mirecourt (1504), Pont-à-Mousson 1574, Metz 1590,…
L’Université de Pont-à-Mousson fondée en 1572, est confiée aux jésuites dès 1574. Elle connait un très grand
succès. En 1575, elle accueille 400 étudiants, 800 en 1588, 1500 en 1604 et 2000 en 1607. Ils sont originaires
de Lorraine, des Pays Bas, d’Allemagne et des îles britanniques.
Peu avant 1500, Metz possède des presses d’imprimerie. Tout au long
du XVIe siècle, la ville conserve sa prééminence. Des humanistes comme
Agrippa de Nettersheim ou Rabelais séjournent à Metz.
A partir de 1550/60, de nouveaux ateliers d’imprimerie s’ouvrent :
Nancy (1566), Pont-à-Mousson (1582) puis, au début XVIIe siècle, à
Saint-Mihiel et Mirecourt.
Les Lorrains sont attirés par la religion du voir. Les grands spectacles, les
mystères, attirent les foules de fidèles. Dans les églises, les grands
décors peints se déploient. Les saints intercesseurs sont représentés –
comme à l’église de Sillegny. Le gothique flamboyant domine toujours
l’architecture et la figure de la Vierge est très présente. Les images du Figure 9 : Piéta de l'église Saint Laurent
de Lunéville - XVIe siècle
6
Christ souffrant ont aussi les faveurs du public : en croix, aux liens, en piétas ou en mise au tombeau.
Cette religion du voir, intimement liée à la mort du Christ s’accompagne d’une piété de la demande
d’intercession des saints.
Les idées de Luther apparaissent à Metz en 1518 (Luther sera excommunié en 1522). Et malgré une répression
irrégulière, une forte communauté calviniste se développe. Dans le duché, la Réforme, interdite, ne prend pas.
Durant les Guerres de Religions, la Lorraine connait de quelques batailles rangées : Pont-à-Mousson en 1567,
Moyenvic et Nomeny en 1590.
Peu à peu la Contre-Réforme prend pied en
Lorraine. Des ordres religieux sont réformés
(les prémontrés entre 1605 et 1613). Les
Jésuites s’installent à Verdun puis à Nancy
1616. Les ordres mendiants connaissent de
nouvelles fondations, ainsi, en 1613 les
Capucins s’installent à Vic-sur-Seille. Alix Le
Clerc (1576-1622), aidée par Pierre Fourier,
fonde en 1597 des écoles destinées aux filles.
Cependant, la population est souvent attachée
aux anciennes pratiques qu’elle souhaite
maintenir. A Vic, le Beau Bernard bénéficie des
faveurs populaires (mort en 1458, il est béatifié
en 1481) ; il est invoqué pour soulager les
possédés et les déments. En 1560, l’évêque fait
enlever les ex-voto qui encombrent l’église de
Vic. En 1595, elles sont toujours aussi
nombreuses. Nicolas Rémy écrit : « je me souviens d’avoir vu dans l’intérieur de ce temple des colonnes
garnies de petits linges où pendaient des morceaux de pots cassés, de charbon, de pelottes d’étoupe ou de
cheveux, de vieilles serviettes, des débris de vitres, des pointes d’épées, de peaux de lézards et de crapauds
vomis ou rendus de quelques parties du corps par les malades qu’on y avait amenés pour retrouver la santé. Il
y avait en outre, un grand nombre de béquilles et de bâtons qu’ils avaient laissé après leur guérison. »
Figure 10 : Façade renaissance de l’ancienne Université de Pont-à-
Mousson
7
LE TEMPS DES MALHEURS : LA LORRAINE DANS LA GUERRE 1631 - 1661
En ce début de XVIIe siècle, la Lorraine est un espace de prospérité. Les ducs mènent une politique de
neutralité et d’équilibre qui préserve partiellement leurs terres de la guerre et de la misère. Mais ce bel
équilibre se lézarde dès les années 1620 et s’écroule en 1630.
<<La Lorraine, si riche si heureuse, si respectée sous les règnes des ducs Charles III et Henri II allait voir succéder à tant de prospérité des calamités inouïes. La peste, la famine et la guerre devaient s'unir pour faire un désert du plus beau pays d'Europe>>.
Auguste Digot
La Lorraine est un espace ouvert parsemé de forts, places fortes, châteaux,… Les villes et places fortes
bastionnées les plus importantes sont Thionville, Montmédy, Metz, Toul, Verdun, Nancy et La Mothe.
Durant la première phase de la Guerre de Trente ans la Lorraine n’est pas épargnée. Le Saulnois est traversé
par les troupes et Vic est pillée en 1622 par les hommes du général protestant Mansfeld. En 1625, la peste
refait surface.
De plus, une crise dynastique envenime les relations entre la France et la Lorraine.
En 1624, Nicole de Lorraine, la fille d’Henri II hérite du duché. Son époux Charles, qui est aussi son cousin,
complote contre elle et parvient à l’éliminer de la succession. François frère d’Henri II prend le titre de duc et
abdique rapidement en faveur de son fils Charles (1626). Rapidement, il prend position pour l’Empire et quitte
la neutralité qui avait partiellement protégée le duché.
Figure 11 : Portraits de Henry II, Nicole de Lorraine, François II et Charles IV
Charles IV est un personnage très controversé. L’historien Philippe Martin le décrit comme « Traite à sa parole,
versatile, capable de mener de front des intrigues contradictoires, il réussit à indisposer toutes les cours
d’Europe et ses propres amis. » 3
3 Une guerre de Trente ans en Lorraine – 1631-1661 Philippe Martin - Editions Serpenoise
8
A partir de 1630, l’armée de Louis XIII mène plusieurs campagnes dans le duché. Chacune se termine par des
traités 4 qui ne seront pas respectés par Charles IV. A partir de 1634, la Lorraine subit une occupation militaire.
Figure 12 : Le siège de La Mothe 1634 - Abraham Brosse
A partir de 1634, le duc est plus un entrepreneur de guerre, sillonnant l’Europe, qu’un duc légitime. Son duché
devient l’enjeu de luttes qui opposent Français alliés aux Suédois (Bernard de Saxe-Weimar) aux Impériaux,
Espagnols, Lorrains, Polonais,…
A Metz, la France resserre son emprise administrative et symbolique. Elle
instaure une cour souveraine, supprime les anciennes juridictions et
impose la création de baillages sur le modèle français.
En 1635, le Saulnois devient un vaste camp de stationnement des lorrains
et des impériaux. En automne et hiver, cette armée souffre de la peste et
les morts sont nombreux, le ravitaillement manque. Les populations sont
très éprouvées par les pillages et les massacre. Les destructions sont
nombreuses.
« L'an 1635 apporta encore de plus grandes
calamités que la précédente et acheva de ruiner ce
malheureux pays, parce la Lorraine fut inondée de
toutes les bêtes dont parle l'Apocalypse, savoir
l'écume des nations polonaises, hongroises,
bohémiennes, suédoises, allemandes, lorraines,
françaises, italiennes, espagnoles, à qui le duc Charles IV la laissa à l'abandon ».
Le marquis de Beauvau
Le pillage et les massacres à Saint-Nicolas de Port marquèrent particulièrement les esprits.
1636 peut être considérée comme l’année la plus terrible. La Lorraine est sillonnée par toutes les troupes.
4 Traité de Vic (1632), Traité de Liverdun (1632) et Traité de Charmes (1633)
Figure 13 : Médecin se protégeant
de la peste - XVIIe siècle
9
"Les habitants sont contraints de fuir à tout moment de lieu à aultre pour se soustraire des mains inhumaines de ceux qui les questent comme loups ravissans et les pourvans surprendre les tuent et massacrent, les bourellent par toutes sortes de gehennes et martirs, pour les rançonner sur leurs immeubles et les forcer à découvrir les trésors qu’ils imaginent cachés, ou bien encoires par le seul plaisir de veoir leurs morts et tourments, de rostir et bruler a petit feus hommes faits, femmes, enfants, jusques a lever et escorcher les semelles ou la peau des plantes, percer les extremitez des doigts et au travers des ongles avec des fers aigus, planter des épingles entre les ongles et le vif, déchiqueter et détrancher le corps à coups menus, lents, et dispenser, verser de l’eau bouillante dans l’estomach et les entrailles par une corne percée enfoncée dans le gosier, les brusler avec des fers ardens et embrasez aux parties viriles et aultres endroits du corps, les crever en leur marchant et frappant sur le ventre, les pendre aux foyers, fumiers et cheminées pieds en contre-haut, testes contrebas, les fouetter par tout le corps et les meurtrir avec des nerfs de bœufs…… et de toutes ces vilainies faire suivre la mort, ce sont espèces et exploits de leur cruaulté desquels les exemples sont advenus et adviennent encoires".
Jean Delhotel, curé d'Avioth5
En 1638, les troupes du duc s’avancent jusqu’à Lunéville. Les Français la reprennent puis la quitte après l’avoir
incendiée. Puis, la ville est à nouveau occupée par les troupes françaises.
En 1641, le duc de Lorraine se rend à Paris et signe le traité de Saint-Germain-en-Laye. Il s’engage à ne plus
combattre au côté de l’Empire et de l’Espagne. Il retourne à Nancy où il est fêté comme un libérateur.
Figure 14 : Callot - Soldats pillant un village
5 http://lissey.e-monsite.com/pages/annexe/campagne-du-m-de-chatillon.html article avec nombreux témoignages cités
10
Mais, il ne respecte pas ses engagements et passe aux Pays-Bas espagnols avec son armée. L’armée française
entre en Lorraine et reprend Bar-le-Duc, Pont-à-Mousson, Neufchâteau,… Dieuze résiste.
Richelieu meurt fin 1642. Louis XIII le suit de peu. Mais leur politique se poursuit.
1643 : les français prennent Thionville puis Sierck.
Ils organisent l’administration du duché. Henri, marquis de La Ferté-Sénectère occupe le poste de gouverneur
jusqu’en 1661. C’est un soldat, il continue à participer aux guerres de Louis XIV. Il a la réputation d’aimer
l’argent et les honneurs et se livre à la prédation financière. Il cherche cependant à organiser le retour au
calme et à redresser l’économie.
Charles IV installe sa maigre cour à Luxembourg. Puis, à partir de 1655,
elle s’installe à Trèves et en 1660 à Bitche.
En 1648, le traité de Munster affirme l’appartenance de Metz, Toul et
Verdun à la France. Mazarin après avoir envisagé l’annexion complète,
s’oriente vers une organisation de type état vassal, zone tampon entre
la France et les états germaniques.
Charles IV, toujours indécis et versatile, est lâché par l’Espagne et
l’Empereur.
Après les Traités de Westphalie (1648), la paix s’impose dans les états
allemands mais la guerre continue entre la France et l’Espagne. La
Fronde relance aussi le conflit.
De 1650 à 1653, la Lorraine est à nouveau prise dans la spirale de la
guerre entre Espagnols, Lorrains, troupes des princes révoltés contre
Mazarin, Français.
Durant la seule année 1652, Marsal fut prise et reprise trois fois.
Le 26 février 1654, à la surprise générale, Charles IV est arrêté par les
Espagnols. Il restera prisonnier jusqu’en 1659.
Peu à peu, les Lorrains se rapprochent de la France, en 1657, des troupes Lorraines participent, aux côtés des
Français, à la prise de Montmédy. En septembre, le roi Louis XIV est acclamé à Metz, Thionville et Nancy.
Figure 15 : Portrait de Charles IV
par Claude Deruet
11
Au Traité des Pyrénées (1659), Louis XIV reçoit de nombreuses places fortes dont Moyenvic. « Charles IV était
remis en possession de ses Etats, mais devait accepter que les troupes françaises puissent les traverser, raser
les fortifications de Nancy et fournir du sel au Trois-Evêchés. 6»
En octobre 1659, il rencontre Mazarin puis se rend à Paris. De longues discussions s’en suivent qui se
terminent par la Traité de Vincennes en 1661.
En mars 1661, Charles IV rend hommage au roi, à genoux, tête nue et sans épée.
Puis, il regagne ses états.
Figure 16: Médaille commémorative du Traité de Vincennes
urant ces longues années de conflit, la vie quotidienne est très difficile du fait de la présence des
soldats, de l’imbroglio administratif, des destructions, des contributions demandées, de la famine…
L’économie s’est effondrée. Les bâtiments ne sont plus reconstruits, les pillages succèdent aux
destructions. La population est déplacée. L’agriculture est dans un état pitoyable, les animaux de trait ont
disparu, les champs sont pillés ou ne sont plus exploités.
Les lorrains doivent faire avec le manque de nourriture. Entre pillage, réquisitions et incendie, la famine se
développe. Des cas de cannibalisme supposé sont signalés à Château-Salins ainsi que dans le Saulnois.
Les épidémies se développent facilement dans ces corps affaiblis. En 1623, la peste est signalée dans le
Saulnois. A partir de 1630, c’est la « peste de Hongrie » qui se développe. Les premiers cas sont signalés dans
le Saulnois. En 1632, lui succède une épidémie de typhus. En 1635, c’est la peste suédoise…
L’émigration, la mobilisation et la chute de la natalité se joignent aux massacres, à la famine et aux épidémies
pour provoquer un effondrement démographique.
Entre le début XVII et 1660, la région a perdu environ 60% de sa population. 4 villages ont complètement
disparu dans le Saulnois.
6 Une guerre de Trente ans en Lorraine – 1631-1661 Philippe Martin - Editions Serpenoise
D
12
Offices Evolution de la population entre 1585 et 1668
Pop. de la campagne Pop de la ville
Blâmont
Sarreguemines
Epinal
Dieuze
Nancy
- 78 %
- 76 %
- 76 %
- 74 %
- 56 %
- 85 %
- 51 %
- 72 %
- 12 %
+ 118%
La situation désespérée des Lorrains émeut toute l’Europe,
on peut noter l’aide apportée par Vincent de Paul qui
distribue plus de 2 000 000 livres d’aumônes de 1639 à 1649.
Pour expliquer ou justifier leurs malheurs, les populations
lorraines ont tendance à se tourner vers des explications
surnaturelles. Tout événement naturel devient signe. La
guerre retrouve ainsi sens dans un dessein qui dépasse les
humains. La croyance aux miracles permet d’entretenir
l’espoir d’une aide divine.
La protection de la vierge est la plus ardemment
recherchée.
Pour une partie des clercs, la guerre montre la colère de
Dieu contre l’humanité pécheresse. Des processions sont
organisées afin de demander la fin des épidémies, le
retour à la paix, la protection des récoltes,… Les reliques
sont mises en avant. Contre la peste, on implore Saint
Sébastien et Saint Roch.
La dévotion à Saint Joseph se développe, Père humain du
Christ et patron de la Bonne mort. On l’implore car il peut
intercéder facilement et son fils ne peut lui refuser son
aide.
La Vierge est, elle aussi, l’objet d’une dévotion renforcée
(Notre Dame d’Avioth, Notre Dame de Lorette, Notre
Dame de Benoite-Vaux, Notre Dame de Sion,…).
Figure 18 : Saint Roch par Siméon Drouin 1645
Figure 17 : Les restes de la Guerre - Le Lorrain et l'Espagnol
transformés en mendiants - Pierre Bertrand 1659
13
Quelques artistes ont représenté le conflit.
Jacques Callot (1592-1635) – représente le Siège de Bréda pour l’Infante d’Espagne. Louis XIII lui demande de
réaliser des gravures sur ses principaux faits d’armes. La série de 17 gravures des Misères et malheurs de la
guerre décrit de façon saisissante, les horreurs de la guerre (travail terminé vers 1632).
Dans la toile Job et sa femme, longtemps appelée Le Prisonnier, Georges de La Tour peut chercher à décrire la
condition humaine face aux horreurs de la guerre. « La tension entre la lumière et l’ombre, la contraction des
corps dans l’attente, le vide des arrière-plans traduisaient parfaitement le climat des années de guerre
lorraine : un univers dans lequel les repères habituels n’existaient plus, où l’homme se sentait livré à lui-même,
incapable de prévoir ses lendemains et s’interrogeant sur son destin cruel. »
14
Claude Deruet (1588-1660) peint le portrait de Madame de Saint-Baslemont. Il représente aussi un monde qui
a subi un renversement. Une femme lettrée, guerrière, qui défend arme au poing à la fois ses paysans et les
objets de piété.
La paix de 1661 permis au duc de retrouver ses terres. Mais il revenait dans un espace meurtri, ruiné, exangue.
Le royaume de France renforçait sa position en obtenant de vastes portions de territoires qui formait un
couloir de circulation vers les possessions alsaciens.
Peu à peu, la mémoire de ce conflit se transforma. Historien, mémorialistes, conteurs accusèrent les
« cravate7s » et les « suédois » d’être à l’origine de toutes les destructions.
7 Mot sans doute issu d’une déformation du mot « croate »
15
Puis, au milieu du XIXe siècle, certains évènements ressurgirent, l’histoire de Madame de Saint-Baslemont,
celle de Charles IV qui se para de nuances romantiques. Les recherchent des érudit locaux se concentrèrent
aussi sur les témoignages d’époque. Le site de La Mothe devint un symbole de la résistance Lorraine, tout
comme la citadelle de Bitche avait tenu face aux Prussiens en 1870.
Les érudits cherchèrent aussi des traces dans la mémoire populaire. Ils en retrouvèrent dans la toponymie (le
trou des Suédois, la mare des Suédois) et dans des histoires transmises oralement (en général souvenirs de
massacres et d’actes de cruauté). Quelques légendes se développèrent dont celle du « pilier qui pleure » de
Saint-Nicolas-de-Port : « Lors du sac de la ville en 1635, les soudards pillèrent l’église avant d’y mettre le feu.
Face au danger, sur le point d’être capturé, Dom Moye chercha à protéger le Saint-Sacrement en se cachant
derrière un pilier de la Tour Saint-Pierre. A sa plus grande surprise, la colonne s’ouvrit pour l’accueillir avec son
précieux dépôt, puis brutalement se referma ; jamais on ne revit le courageux bénédictin. Cependant, selon
Emile Badel en 1930, les vieilles personnes assuraient entendre sortir de la pierre une voix lointaine, suave
toute céleste qui chante les hymnes et les antiennes en l’honneur de l’Eucharistie, en souvenir du miracle de
1635. Si les fidèles voyaient de l’eau qui suintait à travers la pierre, c’est encore l’emmuré de 1635 qui fait
savoir que de graves évènements sont proches. 8»
De nos jours, des romanciers continuent à placer leur intrigue au sein des misères du XVIIe ainsi Michel Caffier
dans L’arbre aux pendus, Pierre Pelot et son magistral Est-ce ainsi que les hommes vivent (2016), Jean Henrion
dans Moi, Georges de La Tour, peintre fameux (2000)…
« Mais la guerre rodait et ne me laissait pas de répit. Je devais survivre. Voilà la cause
de mon égoïsme. Au fond mon Art était en lutte contre l’Histoire. Tandis que mon Art
apaisait, l’Histoire détruisait. La nuit de mes peintures, c’est l’homme avec son histoire,
pleine de sang et de fureur, et mes personnages sont l’éternité de la foi.9 »
Figure 19 : La Madeleine à la veilleuse - Georges de La Tour
8 Une guerre de Trente ans en Lorraine – 1631-1661 Philippe Martin - Editions Serpenoise
9 Jean Henrion dans Moi, Georges de La Tour, peintre fameux, Editions Appoline (2000)
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Georges de La Tour
1 : Chronologie et contexte artistique
2 : Le tour de Georges en10 dates
3 : Eléments biographiques
4 : Choix d’œuvres dans les musées du monde
5 : Choix d’œuvres dans les musées français
6 : Bibliographie succincte et subjective
7 : Trois œuvres contemporaines inspirées par
Georges de La Tour
17
Rois de France
Henri III (1574-1589) Henri IV (1589-1610) Louis XIII (1610-1643) Louis XIV (1643-1715)
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- - - -
Ducs et duchesse de Lorraine
Charles III (1545-1608) Henri II (1608-1624) Nicole de Lorraine (1624-1625)
François II (1625)
Charles IV (1625-1675)
- - - -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Chronologie
1580 1590 1600 1610 1620 1630 1640 1650 1660 1670
Vie de Georges de La Tour
1593 : Naissance 1617 : Mariage avec Diane Le Nerf – Il est qualifié de « maître Georges de la Tour paintre »
1620 : Installation à Lunéville
1621 : Naissance d’Etienne
1634 : Il prête serment de fidélité à Louis XIII, il est qualifié de noble
1638 : Lunéville pillée et brulée par les troupes françaises
1639 : il est à Paris, qualifié de « peintre ordinaire du roi »
1641 : retour à Lunéville
1647 : Mariage d’Etienne
1652 : décès Diane puis de Georges
Vie artistique
- - - ----------------------------------------------------------------------------------------Jacques Bellange 1575 – 1616
Jacques Callot 1592 – 1635------------------------------------------------------------------------------------------
Nicolas Poussin 1594-1665-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Claude Gellée vers1600-1682------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Philippe de Champaigne 1602-1674----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Rembrandt 1606-1669----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Charles Le Brun 1619-1690----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- - - -
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Le Tour de Georges en 10 dates
1593
Le 14 mars : fils de Jean de la Tour et de Sybille Melian, Georges est baptisé à Vic-sur-Seille. Il est le second d’une
famille qui comptera 7 enfants. Il est issu d’un milieu d’artisans aisés : son père est boulanger.
Figure 20 : Extrait du registre des baptêmes
1617
Le 2 juillet : il épouse Diane le Nerf, fille de l’argentier du duc de Lorraine. A cette occasion, Georges de La Tour
est qualifié de « maître Georges de la Tour paintre ». Parmi les témoins de ce mariage figure Alphonse de
Rambervilliers, lieutenant général du baillage, collectionneur et fin lettré. Le jeune couple s’installe à Vic-sur-Seille
et y vivra 3 années.
1620
Le 10 juillet : il obtient du duc de Lorraine un statut social privilégié et l’exemption de tous impôts « sa vie
naturelle durant ». Il s’installe à Lunéville.
Le 19 aout : il prend comme apprenti Claude Baccarat. Durant quatre ans, il s’engage à lui « monstrer et
apprendre fidellement et diligemment (…) l’art de la peinture (…) luy fournir les couleurs nécessaires à faire son
apprentissage dudit art. ».
1638
Septembre-octobre : Lunéville est pillée, dévastée et incendiée par les
troupes françaises. Georges de La Tour avait à plusieurs reprises montré
son allégeance au roi de France alors qu’une bonne partie des notables et
de la population de la ville se sentaient toujours proche du duc de Loraine.
1641
15 août : après avoir vécu à Nancy et Paris, La Tour est à nouveau résident
à Lunéville, il est qualifié de « peintre ordinaire de sa Majesté ». Figure 21 : Louis XIII par Philippe de
Champaigne
19
1646
7 avril : un acte mentionne comme témoins « les sieurs de La Tour père et fils, peintres demeurant à Lunéville ».
C’est la première fois qu’Etienne, âgé de 25 ans est qualifié de peintre.
18 juillet : les habitants de Lunéville adressent à Charles IV de Lorraine une
requête dans laquelle ils protestent contre les privilèges dont jouissent
certains lunévillois, dont Georges de La Tour. Ils l’accusent de ne pas
participer aux contributions financières alors qu’il est très riche, d’élever des
chiens en grande quantité et de gâter les récoltes lors des chasses.
1650
Janvier : comme chaque
année depuis 1645, Georges
de La Tour livre au
gouverneur de Lorraine,
Henri de la Ferté-Senneterre
un tableau. L’achat est à la charge de la municipalité de Lunéville
(700 francs pour une représentation d’un Saint Sébastien).
1652
15 janvier : La femme du peintre disparaît brutalement : son
acte de décès, à Lunéville, indique simplement « Janvier, Le 15e
mourut Dam (ois) elle Diane Le Nerf, femme de Sr Georges de La
Tour, de fiebvre accompagné d’un battement de cœur ».
30 janvier : « Janvier. Le 30 Le sieur Georges de La Tour mourut
d’une pleurésie. »
1670
19 mars : Charles IV de Lorraine accorde à Etienne des lettres
d’anoblissement qui sont enregistrées le 26 juin suivant.
1915
Hermann Voss publie un article décisif pour la redécouverte de
Georges de La Tour. Après plus de deux siècles d’oubli, l’artiste lorrain
se prépare à faire un retour triomphal.
Figure 22 : Charles IV de Lorraine
Figure 23 : Saint Sébastien soigné par Irène –
Musée du Louvre
Figure 24 : Catalogue de l'exposition
de 1934, Les Peintres de la Réalité
20
Georges de La Tour : Eléments
biographiques
Célèbre et apprécié de son vivant, Georges de La Tour tombe rapidement dans l’oubli après sa mort en 1552. De
nombreuses de ses œuvres ont été anéanties et nous disposons de peu d’informations sur sa vie. Il ne fut
redécouvert qu’au début du XXème siècle.
Le Nouveau-né exposé au musée de Renne en 1900 interpelle de nombreux critiques d’art dont Hermann Voss,
Hippolyte Taine, etc. Les critiques émirent de nombreuses suppositions avant de l’attribuer à Georges de La Tour.
Mais c’est Hermann Voss qui ressuscite Georges de La Tour grâce à ces « mystérieuses signatures de Nantes ».
Hermann Voss rend sa grandeur et sa gloire à George de La Tour après trois siècles d’oubli. « Nous rencontrons en
lui un artiste qui maintient, de façon quelques peu provinciale mais originale et personnelle, la tradition du clair-
obscur propre aux peintres caravagesque, […]. Le traitement rigide de la ligne et le dessin dur des membres de ses
personnages est compensé par d’admirables couleurs […]. »
Au début, les critiques ne lui attribuent que des scènes nocturnes. Mais en 1931, Hermann Voss bouleverse cette
idée en lui attribuant des tableaux diurnes. Il mentionne le tableau le Tricheur rattaché à Georges de La Tour par
la signature distinctement calligraphiée : « Georgius De La Tour Fecit ». Un véritable engouement se développe
autour de Georges de La Tour. Les publications se multiplient. De nouvelles œuvres sont découvertes. Les
historiens d’art et les amateurs avertis se passionnent pour ce peintre redécouvert.
Figure 25 : Ouvrage de François-Georges Pariset Figure 26 : Hermann Voss
21
L’exposition de 1934 à l’Orangerie des Tuileries date pour Georges de La Tour. L’artiste est exposé au milieu de
chefs-d’œuvre. Il est avec Le Nain au centre de l’exposition. Georges de La Tour gagne encore en importance dans
l’histoire de l’art grâce à la thèse soutenue en Sorbonne par François Georges Pariset en 1948.
1. Georges de La Tour un artiste Lorrain, un jeune peintre natif de Vic-sur Seille
Georges de La Tour est né en 1593 à Vic-sur Seille. Il est issu d’une famille de boulanger, fils de Jean de La Tour et
Sybille de Crospaux. Il est le deuxième des sept enfants du couple.
La formation de Georges de La Tour
Les historiens ne possèdent aucun document direct sur la formation initiale de notre peintre. Aussi, plusieurs
hypothèses s’affrontent ou se complètent.
Jacques Thuillier, grand spécialiste du peintre lorrain, propose plusieurs hypothèses.
Alphonse de Rambervillers, lieutenant général de baillage et collectionneur passionné, se serait intéressé
au jeune Georges de La Tour qui aurait réalisé son apprentissage de 1605 à 1611. Mais on ne retrouve
aucune trace, aucun document, aucun de contrat signé chez un notaire attestant ce fait.
A partir de l’observation de sa signature, il déduit que Georges de La Tour a pu être formé chez le peintre
nancéien Jacques Bellange.
Il postule aussi pour un voyage de formation de notre peintre lorrain en Italie. Tous les peintres
importants de l’époque partaient pour l’Italie. Il serait étonnant que Georges de La Tour ne s’y soit pas
rendu. Jacques Thuillier met également en lumière son absence de Vic-sur Seille de 1613 à 1616 alors que
la Lorraine à ce moment-là, entretien des relations très privilégiées avec Rome.
Figure 27 : Jacques Thuillier
22
La carrière de Georges de La Tour
Georges de La Tour est présent en Lorraine en 1616. Il a alors 23 ans. Il se marie le 2 juillet 1617 à Vic-sur-Seille
avec Diane Le Nerf, membre d’une famille noble de Lunéville. Georges de La Tour et Diane eurent 10 enfants (3
survivront à leurs parents). En plus de son travail de peintre, il gère de nombreux biens fonciers hérités de son
père, de sa mère et de sa belle-famille. A sa mort, il sera à la tête d’une belle fortune.
1620 est une année déterminante : il s’installe à Lunéville, le duc de Lorraine lui accorde un statut privilégié ainsi
qu’une exemption de tous impôts, il prend son premier apprenti Claude Baccarat.
Ce qui démontre que Georges de La Tour possède déjà un atelier et qu’il bénéficie d’une activité régulière à
Lunéville. C’est dans cette ville que l’essentiel de sa carrière va se construire.
La Tour, un artiste provincial
Il est un artiste moderne, en rupture partielle avec les productions de son temps. Il ne propose pas de grands
décors pour les palais ou des retables pour les églises. Georges de La Tour réalise des œuvres que son inspiration
lui dicte. Il sait aussi réutiliser des thématiques bien maîtrisées : la série des saints Jérôme, celle des Magdeleine.
Il acquiert ainsi une bonne renommée et la solide fortune qui l’accompagne. Jacques Thuillier, dans son ouvrage
intitulé Georges de La Tour, indique que « son pinceau lui a beaucoup rapporté ».
2. Un peintre réaliste
Beaucoup d’œuvres de Georges de La Tour ont disparu suite à la Guerre
de Trente Ans, aux pillages et à l’incendie à Lunéville en 1639. .
Actuellement, une trentaine d’œuvres seulement a pu être authentifiée.
Lors de ces évènements tragiques, le peintre fuit Lunéville et trouve
refuge à Nancy et/ou à Paris.
Le réalisme brut
Jacques Thuillier parle de « réalisme caravagesque » à propos des
Apôtres d’ALBI. Pour cette série, que les experts s’accordent à considérer
comme une des premières réalisations du peintre, deux portraits sont
Figure 28 : Saint Jacques le mineur -
Musée Toulouse-Lautrec à Albi
23
attribués à notre artiste lorrain : Saint Jacques Le Mineur et Saint Jude Thaddée. Les dix autres sont des copies
anciennes. Jacques Thuillier suppose que La Tour fit poser des paysans pour ces toiles. L’artiste montre des
visages travaillés par le temps, des doigts déformés. Il peint sans indulgence. Il a la volonté de saisir le particulier,
le singulier.
Chez Georges de La Tour, la lumière met en avant la réalité, elle ne sert pas à dramatiser la scène.
Il montre la difficulté du quotidien, les miséreux, les gens du peuple. En cela, il appartient à une « école » dont les
artistes, à partir de 1600, mettent en avant la pauvreté, la guerre, la laideur. Mais Georges de la Tour, montre au-
delà de cette simple exhibition, il représente des personnages dignes, habités.
Les séries
La Tour a une particularité. Il reprend sans cesse ses sujets, les répète, les modifie jusqu’à la perfection totale.
Jacques Thuillier le qualifie de « peintre des variations et des séries ». L’illustration parfaite de cette particularité
se trouve dans ses différentes versions du Tricheur à l’as, des Madeleine, etc. Pour cette dernière série, six
compositions sont connues. L’artiste la dévoile au « regardeur » à la fois, comme une femme et une pècheresse.
Figure 29 : Trois exemples de Madeleine
24
Les scènes de genre à mi-corps
Georges de La Tour réalise également des scènes de genre. Leur composition est souvent en largeur et contient
plusieurs personnages à mi-corps : La Rixe des musiciens, La Diseuse de bonne aventure,….
Georges de La Tour se détache du Maniérisme et du Baroque. Ses toiles représentent des sujets populaires traités
sans fioriture, sans ornementation, une réalité brute mise en avant par la lumière.
Figure 30 : La Diseuse de bonne aventure - Metropolitan Museum of Art
Figure 31 : La Rixe des musiciens - The Paul Getty Museum
25
Les grandes figures isolées
Georges de La Tour ne dessine pas. Il représente son sujet le pinceau à la main, multipliant les versions du même
sujet jusqu’à la perfection.
Le Joueur de vielle ou Le Vielleur est une de ses grandes figures isolées. Le réalisme de ce tableau s’inscrit dans la
tradition de Caravage et des peintres espagnols. Les yeux clos, la bouche ouverte et édentée, la barbe grise, des
cheveux rares et hirsutes sur le côté, donnent à ce visage une expression de souffrance infinie. Le réalisme est
renforcé par le manteau élimé, la culotte déchirée au genou,…
Figure 32 : Trois œuvres de la série des Vielleurs
3. La peinture et sa gloire
Georges de La Tour subit les vicissitudes de la Guette de Trente Ans en Lorraine. Après la destruction de Lunéville, il
se réfugie à Nancy et voyage à Paris.
Peintre ordinaire du Roi
Dès 1630, Georges de La Tour se tourne vers Paris pour organiser la vente de ses œuvres. Il semble y trouver une
reconnaissance publique de son travail. La présence de sa signature sur des toiles est liée à l’organisation du
commerce des objets d’art. En effet, il était de coutume de signer ses toiles lorsque celles-ci passaient par des
marchands pour des audiences lointaines.
Vers 1638-1639, il aurait offert au Roi Louis XIII un Saint Sébastien et un Saint Jérôme à Richelieu. « La Tour
présenta au Roi : « un tableau à sa façon qui représentait un Saint Sébastien dans une nuit, cette pièce était d’un
goût si parfait que le Roi fit ôter de sa chambre tous les autres tableaux pour n’y laisser que celui-là. » Pascal
Quignard, Georges de La Tour
26
Les grands chef-d ‘œuvres diurnes
« Toutes lumières chez La Tour désigne et déclare ; elle est à la fois symbole et révélation »
Marcel Arland, Georges de La Tour
Figure 33 : Saint Jérôme pénitent - Musée de Grenoble
Les toiles de Georges de La Tour sont difficiles à dater Les scènes diurnes sont nombreuses : Saint Thomas, le
Veilleur, Saint Jérôme, etc. Elles mettent en avant une analyse clinique d’un corps souvent vieillissant, une
« décrépitude de la chair ».
27
Le développement des nocturnes
« Un tête à tête de l’homme avec lui-même à l’aide d’une flamme »
Pascal Quignard, Georges de La Tour
Figure 34 : L'Argent versé - Musée des Beaux-Arts de Lviv
Vers 1638 – 1642, les nocturnes représentent l’essentiel de sa production. L’Argent versé serait la première
nocturne de Georges de La Tour. Les scènes nocturnes sont peu présentes chez Caravage qui travaille le clair-
obscur pour lui-même. Georges de La Tour représente ses sujets à la lumière de la chandelle. La lumière d’une
chandelle ne peut se définir sans l’ombre, ce qui dramatise les scènes nocturnes et dévoile une spiritualité
affective. Ses scènes nocturnes montrent une grande maîtrise technique et propose un questionnement religieux
sur la place de l’homme dans l’univers et son rapport à Dieu.
28
La géométrisation des formes
Job est le tableau le plus audacieux et le plus cruel de Georges de La Tour selon Jacques Thuillier. Les personnages
sont enfermés, encastrés par les limites du format. Le corps de la femme est complètement courbé. Georges de
La Tour géométrise au maximum les volumes dans ce tableau. Les formes sont simplifiées laissant place aux jeux
des couleurs, au rouge spécifique à Georges de La Tour et à la puissance de la lumière.
De Georges de La Tour à Etienne de La Tour
A la fin de sa vie, La Tour semble produire essentiellement des scènes religieuses. Il est sans doute marqué par les
horreurs de la Guerre de Trente Ans et peut avoir participé au regain de la religiosité en Lorraine. Il meurt le 30
janvier 1652 quelques jours après sa femme Diane, et son valet Jean « dit Montauban ».
Son fils Étienne (né en 1621) qui a été son apprenti, seul héritier du peintre avec deux sœurs qui ne se marieront
pas, va alors réaliser le rêve de son père : acheter le domaine franc de Mesnil près de Lunéville, et gagner ses
lettres de noblesse. L’atelier de peinture n’y survivra pas et Georges de La Tour sombrera dans l’oubli jusqu’au
début du XXe siècle.
Figure 35 : Job raillé par sa femme - Musée
départemental d'art ancien et contemporain
à Epinal
29
Choix d’œuvres dans les musées du monde
Figure 36 : La Rixe des musiciens - Musée de Malibu en Californie
Figure 37 : Les Mangeurs de pois - Staatliche Museen - Berlin-Dalhem
30
Figure 38 : La Diseuse de bonne aventure - Metropolitan Museum - New York
Figure 39 : Saint Jérôme lisant - Musée du Prado – Madrid
31
Choix d’œuvres dans les musées français
Figure 40 : Le Tricheur à l'as de carreau - Musée du Louvre – Paris
Figure 41: Job raillé par sa femme - Musée d'Epinal
32
Figure 42 : Le Nouveau-Né - Musée des Beaux-Arts de Rennes
Figure 43 : La Femme à la puce - Musée historique Lorrain - Nancy
33
Bibliographie succincte et subjective
Georges de La Tour De Jacques Thuillier
2013
318 pages
Flammarion
L'ABCdaire de Georges de la Tour De Olivier Bonfait et Béatrice Sarrazin
1999
119 pages
Flammarion
Georges de la Tour Album De Li-An et Laurence Croix
2015
56 pages
Glénat
Saint Jérôme et Georges de la Tour Collectif
2013
270 pages
IAC Editions
34
Georges de La Tour : Histoire d'une redécouverte De Jean-Pierre Cuzin et Dimitri Salmon
1997
176 pages
Gallimard – Découvertes Gallimard
Georges de La Tour Broché
De Pierre Rosenberg et Jean-Pierre Cuzin
1997
319 pages
Réunion des Musées Nationaux (RMN)
La Malédiction de Zar Georges de La Tour
De Hélène Kérillis et Xavière Devos
32 pages
L'Elan vert
La Tour du bout des doigts Un livre animé pour découvrir une œuvre avec
tous ses sens.
De Monique Voisin
2013
30 pages
Circonflexe et CNED
35
Lei III 04 de Jean-Luc Tartarin 103 x 128 x 4,7 cm
2005
« En regardant ces portraits, on ne peut qu’être saisi par la ressemblance de Lei avec certains
portraits de Georges de La Tour. Eclairage de côté, la source lumineuse est souvent identifiable
comme chez le peintre (…) A l’image de La fillette au brasier du peintre, au contact de cette source
lumineuse les couleurs deviennent chaleureuses, le visage de Lei émergeant des ténèbres est tout en
nuance de rouge. »10 Muriel Enjalran
Jean-Luc Tartarin est un photographe né en 1951 à Metz. Il vit et travaille en Lorraine. En
1979, il reçoit le prix Niepce. Il a exposé dans de nombreux lieux : galeries, musées. Son œuvre
est principalement consacrée à la nature, plus rarement à l’homme. Un entretien sur le site
actuphoto permet de mieux cerner son travail et son parcours.11
10 Murie Enjalran : Lei Jean-Luc Tartarin, Lei, catalogue d’exposition Musée départemental Georges de La Tour, 2005
11 http://fr.actuphoto.com/23220-entretien-avec-jean-luc-tartatin-dans-le-cadre-de-son-exposition-a-la-maison-europeenne-
de-la-photographie.html
36
Sylvain Lang Installation vidéo
2015
Sylvain Lang est né en 1965. Il vit et travaille à Nancy.
Son travail est varié : peinture, installation vidéo, art numérique.
« Depuis 2008, Sylvain Lang incorpore les codes du Street-art dans ces tableaux, il s’inspire directement de
l’art de la rue. Il pose un regard anachronique sur la peinture traditionnelle dite de chevalet et l’art urbain,
mélangeant ainsi graffs, tags, pochoirs, chef d’œuvres de la renaissance et peinture figurative : la Vénus de
Botticelli, tatouée et peinte sur un mur taggé, la dame à l’hermine de Léonardo Da Vinci avec pochoirs, tags,
graffs, la Sixtine de « Mike Angelo » sans oublier ses « danseuses-graffeuses »12
Son site Internet présente l’installation vidéo « La Toussaint 2007». Il indique que « la surface de l’écran d’un téléviseur est peinte au silicone transparent (…). Une vidéo est réalisée avec des figurants jouant une scène dont la lumière, la mise en scène, les costumes les décors se confondent avec l’époque(…). Un ralenti donne une touche de poésie à l’ensemble. L’écran du téléviseur est encadré avec un cadre à moulures dorées. Il est accroché au mur du musée comme un tableau.
12 http://xinart.fr/artistes/sylvain-lang/
37
Cette touche de silicone épaisse, transparente laisse apparaître à l’écran une image animée floue, (…), modifiant ainsi la perception du réel. Le concept de cette œuvre réside dans la transposition d’un mouvement pictural vers un médium de notre époque (la vidéo) avec des matériaux contemporain (le silicone). »13
Plusieurs sites permettent de découvrir les œuvres de cet artiste foisonnant. 14
13 https://www.slang-artiste.com/musee-des-beaux-arts-de-nancy
14 http://www.artjingle.com/contemporary/fr/expositions/sylvain-lang-95.html et le site dédié à l’artiste, un incontournable : https://www.slang-artiste.com/
Figure 44 : Béjart Crew - 1,10 m sur 0,84 m
38
PATRICK NEU
Patrick Neu est né en 1963. Formé à l’Ecole supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, il obtient son diplôme en 1986. Depuis la fin des années 80, il mène deux activités en parallèle : un emploi salarié aux cristalleries de Saint-Louis, où il conçoit des prototypes et, un parcours d’artiste multiforme qui l’a conduit de la villa Médicis (Italie) à la villa Kujoyama (Japon), des musées de Strasbourg au musée Bourdelle, du Louvre au Centre Pompidou-Metz où trois œuvres ont été exposées dans le cadre de l’exposition inaugurale « Chefs d’œuvre. En 2015, il a exposé seul au palais de Tokyo à Paris. Cependant, installé dans les Vosges du Nord où il a passé son enfance, Patrick Neu vit loin de toute vie culturelle mondaine. Il ignore les grandes foires et des vernissages importants de l’art contemporain.
Figure 45 : Patrick Neu - Détail de Job raillé par sa
femme Verre en cristal et dessin – Artothèque de Metz
- 2007
39
Patrick Neu travaille les matières fragiles. Lorsqu’il emploie des matériaux nobles, c’est moins pour leur préciosité que pour explorer un décalage, par exemple entre la feuille d’or et la mie de pain, le cristal et la plume. Lorsqu’il dessine, Patrick Neu a recours à des supports inattendus : ailes de papillon, noir de fumée déposé à l’intérieur d’un verre de cristal, papiers carbonisés. Ses œuvres travaillent aussi bien la mémoire de l’art que la série et les faux-semblants. Elles demandent souvent une maîtrise parfaite du geste créateur et placent le spectateur en situation de recherche, l’oblige à envisager l’œuvre selon différents points de vue, sensuellement et intellectuellement.
«Je crois que je travaille très vite. Mais je reviens souvent sur un travail, pour le reprendre, pour le refaire, pour faire mieux, et c’est ce qui donne l’impression de lenteur. Je n’ai pas à prouver
quelque chose, une virtuosité, ou... c’est juste de la rigueur. Voilà. Je n’ai pas à être virtuose, je m’en fous. C’est pas mon problème. Ce qui est important, c’est l’objet final, le concept, ou
l’idée. [...]dans mon travail, on ne voit pas tout d’un coup. C’est important qu’on soit obligé de chercher, qu’on découvre.» (Patrick Neu)
Quelques vidéos :
https://vimeo.com/134591112 Présentation de l’exposition du Palais de Tokyo http://www.artube.fr/fr/video/show/visite-guidee-patrick-neu-l-homme-minutieux-qui-sculptait-avec-des-ailes-d-abeilles Patrick Neu présente quelques œuvres https://www.youtube.com/watch?v=Pc82FIwPh4c Patrick Neu explique et montre sa technique du dessin sur cristal et suie de bougie. http://www.filmsdocumentaires.com/films/4257-le-complexe-de-la-salamandre Bande annonce d’un film qui lui est consacré http://www.francefineart.com/index.php/14-agenda/agenda-news/1789-1655-palais-de-tokyo-patrick-neu Interview de Katell Jaffrès, commissaire de l'exposition du Palais de Tokyo
40
JOB Le Livre de Job est un texte de l’Anicien Testament. L’histoire met en scène un homme puissant et intègre qui, suite à un pari entre Dieu et Satan, est frappé par le malheur. Sa situation donne lieu à des échanges avec sa femme puis avec ses amis qui cherchent à comprendre. A la fin de l’ouvrage, Job est récompensé pour sa fidélité. Sa femme intervient dans le récit à un moment particulièement tragique : Job a perdu ses enfants, ses richesses, il est malade et seul. Il « s'assit au milieu du tas des cendres et ramassa un débris de poterie pour se gratter. Sa femme lui dit : « Tu persistes à rester irréprochable. Mais tu ferais mieux de maudire Dieu et d'en mourir ! » « Tu parles comme une femme privée de bon sens, lui répondit Job. Si nous acceptons de Dieu le bonheur, pourquoi refuserions-nous de lui le malheur ? » Dans cette nouvelle épreuve Job ne prononça aucun mot qui puisse offenser Dieu. »
Le poète René Char a vu dans ce tableau, au temps où on l’appelait simplement Le Prisonnier, tout autre chose : un prisonnier
réconforté dans sa cellule par une figure féminine. Pour lui, il s’agirait d’une allégorie intemporelle, donc applicable aussi à un contexte historique déterminé, ici l’oppression nazie.
« La reproduction en couleur du Prisonnier de Georges de La Tour que j’ai piquée sur le mur de chaux de la pièce où je travaille, semble, avec le temps, réfléchir son sens dans notre condition. Elle serre le cœur mais combien désaltère ! Depuis deux ans, pas un réfractaire qui n’ait, passant la porte, brûlé ses yeux aux preuves de cette chandelle. La femme explique, l’emmuré écoute. Les mots qui tombent de cette terrestre silhouette d’ange rouge sont des mots essentiels, des mots qui portent immédiatement secours. Au fond du cachot, les minutes de suif de la clarté tirent et diluent les traits de l’homme assis. Sa maigreur d’ortie sèche, je ne vois pas un souvenir pour la faire frissonner. L’écuelle est une ruine. Mais la robe gonflée emplit soudain tout le cachot. Le Verbe de la femme donne naissance à l’inespéré mieux que n’importe quelle aurore. Reconnaissance à Georges de La Tour qui maîtrisa les ténèbres hitlériennes avec un dialogue d’êtres humains !
(Feuillets d’Hypnos, 1943-1944)
Léon Bonnat dont le musée expose plusieurs œuvres, a représenté Job en 1880. Il choisit la vision d’un vieillard solitaire, nu et dépouillé, installé à même le sol. Les marques de l’âge accentuent la dimension dramatique même si sa longue barbe lui confère un reste de dignité. Les yeux levés et les bras écartés, il donne à la fois l’impression de questionner et de se remettre totalement à Dieu.
Figure 46 : Job raillé par sa femme – Musée
départemental d’Epinal
Figure 47 : Job, Léon Bonnat - Musée d'Orsay
41
D’autres œuvres de Patrick Neu font écho aux collections du musée de Vic. (A voir les œuvres présentées par une galerie hollandaise : https://www.dezaal.nl/en_GB/kunstenaar/15/patrick-neu )
Figure 51 : Petit Prince et Poupée Rose - Patrick Neu
2002 - cristal
Figure 48 : Le Christ Mort, d'après Holbein le Jeune - 2008 - gouache sur papier brulé - 31 sur 14
cm
Figure 50 : Ne bouge pas poupée - Françoise
Petrovitch – Cristal et argent
Figure 49 : Le Christ mort- Anonyme - XIXe siècle -
Huile sur toile