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Doit-on monétariser les services écologiques ? 1 Olivier SORIA - Master 2 Ethique et Développement Durable - Faculté de Philosophie Lyon 3 [email protected] Doit-on monétariser les services écologiques ? Olivier Soria - Année universitaire 2012/2013 Master 2 « Ethique et Développement Durable » - Université Jean Moulin Lyon 3 Sous la direction de Cyrille Harpet, enseignant chercheur EHESP, chercheur associé UMR 5600 EVS

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

1

Olivier SORIA - Master 2 Ethique et Développement Durable - Faculté de Philosophie Lyon 3 [email protected]

Doit-on monétariser les services écologiques ?

Olivier Soria - Année universitaire 2012/2013

Master 2 « Ethique et Développement Durable » - Université Jean Moulin Lyon 3

Sous la direction de Cyrille Harpet, enseignant chercheur EHESP, chercheur associé UMR 5600 EVS

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Remerciements

Je tiens à remercier :

Cyrille HARPET pour son accompagnement pédagogique précieux ;

Romain FERRARI pour son accompagnement bibliographique et humain ;

Claire HARPET pour son aide tout au long de cette année universitaire ;

Jean-Philippe PIERRON pour ses qualités humaines et professionnelles et pour ces retours

concernant de nombreux aspects qui me préoccupent ;

L’ensemble des formateurs et des intervenants du Master EDD qui m'ont fait partager leurs

savoirs, leurs sensibilités et leurs approches de la philosophie et du développement durable ;

Ma promotion avec qui nous avons créé de nombreux liens et partagé une tranche de vie qui

ne nous laissera pas indifférents ;

Enfin, je souhaite remercier l’altérité dans son ensemble pour les nombreuses prises de

conscience qu’elle suscite chaque jour en moi ;

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Résumé (français):

Le présent mémoire traite de la question des services écologiques sous un angle philosophique. Depuis la publication de l'article de Costanza et Al. en 1997, nous savons qu'il sera difficile d'encadrer correctement les services écologiques si nous ne les valorisons pas à leur juste valeur. Cependant, l'évaluation croissante des écosystèmes ouvre également la porte à une marchandisation de la planète. Une question morale majeure se pose donc, l'évaluation doit-elle conduire à la monétarisation des services écologiques? Après avoir identifié le cadre culturel et géopolitique dans lequel les services écologiques sont apparus dans le débat académique, ce mémoire pose les contours contemporains de cette problématique. La valorisation peut poursuivre des intérêts variés et parfois même divergents. Le monde économique souhaite valoriser pour exploiter, le monde écologique souhaite valoriser pour préserver et enfin, le monde politique souhaite valoriser pour décider. En fonction de la finalité poursuivie, cette évaluation donne lieu à différents type de monétarisation. Afin de répondre à la problématique posée, le présent mémoire analyse les conséquences positives et négatives de cette monétarisation et pointe notamment les raisons d'une récupération probable à des fins spéculatives sur les marchés. Par ailleurs, en fonction du niveau de responsabilité depuis lequel on se place (société, humanité, biosphère), une analyse éthique apporte quelques éléments de réflexion sur les éventuels devoirs correspondants. Enfin, en confrontant cette possible monétarisation à la pénurie des ressources, une succincte analyse du système de création monétaire actuel nous montre que la monétarisation des services écologiques ne pourra permettre de les préserver que si nous trouvons en parallèle les moyens d'écologiser les services de création monétaire.

Mots-clés: Services écologiques, biodiversité, évaluation, valorisation, monétarisation, compensation, préservation, restauration, responsabilité, devoir, philosophie, économie

Summary (anglais):

The present Master degree thesis examines, from a philosophical perspective, the topic of ecological services. Since Costanza and Al. article publication in 1997, we are well aware that it will not be possible to properly regulate ecological services if we do not estimate them at their fair value. However, the increasing assessment of ecosystems is also opening the door to a commodification of planet earth. A major ethical issue therefore arises, should this assessment lead us to the monetization of ecological services? After identifying the cultural and geopolitical context in which ecological services appeared in the academic debate, the following research outlines a contemporary overview of this terminology and its involvments. Assessment of ecological services can pursue different interests and they can sometimes be conflicting. The economic sphere needs evaluation in order to exploit the biosphere, the ecologic sphere needs evaluation in order to preserve it and finally, the politic sphere needs evaluation in order to decide. Depending on the intended purpose, the assessment leads to different types of monetization. To provide answers, this paper analyzes both - positive and negative - consequences of monetization and especially points out the important risk of appropriation by speculative financial markets. In addition, it presents an ethical analysis providing some reflections on potential duties according to the level of responsibility from which we look at the topic (human societies, humanity, biosphere). After comparing the potential costs and benefits of ecological services monetization and the corresponding ethical duties, it is explained why upon those aspects, this approach seems very unlikely to solve resources shortage if we don't simultaneously reform the actual financial system. To the question should we monetize ecological services, this report tends to show that it is very unlikely to be enough to preserve our biosphere if we don't protect them efficiently against speculation and if we don't come up at the same time with a sustainable way of creating money.

Key-words : Ecosystem services, biodiversity, evaluation, promotion, monetization, compensation, preservation, restoration, responsability, duty, philosophy, economics

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Table des matières

Remerciements .......................................................................................................................... 2

Résumé / Summary .................................................................................................................... 4

Préambule .................................................................................................................................. 7

Introduction ................................................................................................................................ 9

Partie I - Analyse des termes de la problématique .................................................................. 13

A/ Qu’entend-on par services écologiques ? ....................................................................... 13

1) Définition des services écologiques (SE) ....................................................................... 13

2) L’air - La forêt comme puits de carbone ....................................................................... 15

3) L’eau - La végétation comme station d’épuration ........................................................ 16

4) L’alimentation - Les pollinisateurs comme agriculteurs ............................................... 16

B/ Qu’est-ce que la monnaie ? ............................................................................................. 18

1) Le rôle de la monnaie ................................................................................................... 18

2) L’évolution historique de la monnaie ........................................................................... 20

3) La monnaie dématérialisée ........................................................................................... 22

4) La monnaie et la morale ............................................................................................... 24

C/ Qu'est-ce que la notion de devoir pour l'humanité......................................................... 26

1) Quel devoir vis-à-vis de la survie de notre espèce ? .................................................... 26

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2) Quel devoir vis-à-vis de notre société/civilisation ? ..................................................... 27

3) Quel devoir vis-à-vis de la stabilité sociale ? ................................................................ 28

4) Quel devoir vis-à-vis de notre conscience morale individuelle et collective ? ............. 29

Partie II - Valoriser les SE, une nécessité ................................................................................. 31

A/ Vers une prise de conscience de la valeur des SE ........................................................... 31

1) Remise en question de notre anthropocentrisme culturel .......................................... 31

2) Prise en compte internationale de la finitude des ressources ..................................... 32

3) Naissance d’une volonté d’adapter notre système économique ................................. 33

4) Biodiversité - Compréhension des interconnections vitales qui unissent les

écosystèmes, les espèces et les gênes .............................................................................. 34

5) Apparition du concept de « Services Ecologiques » dans l’économie écologique ....... 35

6) Prise en considération de l’urgence de la situation ..................................................... 36

B/ 1997 - On ne protège que ce que l'on valorise ................................................................ 37

1) La polémique de Costanza ............................................................................................ 38

2) La valorisation des SE et le système économique ........................................................ 38

3) Comprendre les différentes valeurs d’un SE ................................................................ 41

4) Comment valoriser les SE ............................................................................................. 43

5) Quelques exemples de valeurs des SE .......................................................................... 45

C/ Quelles sont les différentes valorisation des SE possibles? ............................................. 46

1) Une approche patrimoniale .......................................................................................... 46

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2) Une approche utilitariste .............................................................................................. 47

3) Une approche politique ................................................................................................ 47

4) La monétarisation des SE et les différentes applications possibles ............................. 48

Partie III - Doit-on monétariser les SE ? ................................................................................... 54

A/ Oui, nous devons monétariser les SE ............................................................................... 54

1) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de la stabilité sociale ........................... 55

2) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de la survie de notre espèce ............... 57

3) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de notre société/civilisation ................ 59

B/ Non, nous ne devons pas monétariser les SE .................................................................. 63

1) Vis-à-vis de la survie de notre espèce, nous ne devons pas monétariser les SE .......... 63

2) Vis-à-vis de notre société/civilisation, nous ne devons pas monétariser les SE .......... 66

3) Vis-à-vis de notre conscience collective, nous ne devons pas monétariser les SE ...... 68

C/ La monétarisation des SE ne guérirait-elle pas seulement un symptôme? .................... 70

1/ Le développement des êtres humains dissipe toujours plus d'énergie ....................... 71

2/ Nous dissipons de manière exponentielle une énergie qui s'épuise ........................... 76

3/ Comment fonctionne notre système de création monétaire? .................................... 80

Conclusion ................................................................................................................................ 83

Bibliographie ............................................................................................................................ 86

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Préambule

Dans le cadre de ce mémoire rattaché à une faculté de philosophie et validant un Master 2

éthique et Développement Durable, il peut être utile de démarrer cet exercice par une mise

en perspective anthropocentrique. Les historiens sont assez unanimes pour parler de culture

judéo-chrétienne à l’heure de cristalliser les racines de notre civilisation européenne et

occidentale. Ces racines trouvent donc leurs premières origines dans les textes sacrés de

l’ancien testament. Dans la première partie de la Genèse, nous pouvons lire que « Dieu dit :

Faisons l’homme à notre image selon notre ressemblance, pour qu’il domine sur les poissons

de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui

rampent sur la terre. » « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez

là »1. Au cours des deux derniers millénaires, la population mondiale est passée de 100 000

à 7 milliards d'individus. Quand à la civilisation occidentale, elle ne s’est pas contentée

d’apprendre à soumettre la nature, elle a également cherché à comprendre les éléments qui

la compose. Suite à la renaissance culturelle, la révolution cartésienne nous a propulsé en

« maître et possesseur de la nature»2 . Malheureusement, grâce à un progrès technique et

scientifique continue, nous sommes aujourd'hui en train de la détruire.

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », cette courte phrase prononcée en 2002

par Jacques Chirac lors du IVe Sommet de la Terre à Johannesburg, en Afrique du Sud,

reflète la difficulté de l’humanité à prendre conscience collectivement de la réalité et de

l’urgence de la situation qui est la nôtre en ce début de 21ème siècle.

Pourtant, la communauté internationale ne conteste plus l’impact majeur de l’être humain

dans les dérèglements naturels observés et la communauté scientifique en prend acte

formellement en considérant que l’espèce humaine est entrée dans une «ère

1 Inconnu. (1978). La Sainte Bible. Villiers-le-bel: Société Biblique Française. p.2

2Descartes, R. (1637). Le discours de la méthode .

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Anthropocène ». Le dessein auto-réalisateur de la prophétie biblique cité plus haut a

participé à l'émergence d'une civilisation occidentale impériale faisant entrer l’humanité

dans cette nouvelle ère dans laquelle nous sommes devenu la principale force

« Biogéochimique » de la planète. Une force capable de modifier les grands équilibres de

notre Biosphère au risque de voir l’humanité s’auto-exterminer. Après plusieurs millénaires

d’un développement social et économique centré sur l'exploitation de la nature au service

de l’Homme, il semblerait que le défi contemporain consiste à comprendre comment

cohabiter avec la Terre plutôt que de vouloir continuer à la dominer. Le travail qui suit

s'inscrit dans cette volonté.

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Introduction

A partir de la révolution industrielle du 18ème siècle, le développement économique

européen s’est intensifié grâce à des gains de productivité sans précédent dans l’histoire

humaine. Cet essor se concrétise à partir de 1774 grâce à la machine à vapeur améliorée et

fabriquée industriellement par James Watt. Deux ans plus tard, en 1776, Adam Smith publie

«Recherches sur la nature et sur les causes de la richesse des nations »3. Ce livre lance

l’avènement des « sciences » économiques. Les nations occidentales s’approprient alors les

fondements de l’économie politique et décuplent leur capacité de production dans tous les

domaines. De très nombreuses machines viendront dynamiser cette course effrénée au

rendement et à l’innovation technique. Alimentées par des ressources naturelles alors

disponibles en grande quantité (charbon, gaz, pétrole etc.), une autre course sans limite

démarre ; l’identification, l’appropriation et l’exploitation intensive des énergies fossiles

disponibles sur Terre. Depuis, cette frénésie s’appuyant sur deux jambes, l’inventivité du

genre humain ainsi que l’ensemble des ressources accessibles sur Terre alimenteront un

progrès époustouflant.

Parmi l’ensemble des inventions développées, les machines thermiques permettant la

mobilité des êtres humains seront décisives. Le train, la voiture, le bateau et l’avion sont

autant de bonds technologiques qui ont et qui bouleversent encore notre pratique des

distances géographique et donc, notre perception de la planète. Les moyens de transports

ne sont cependant pas les seuls à articuler la métamorphose occidentale, le transport de

l’information est essentiel et très rapidement, le secteur des télécommunications s’impose

lui aussi comme une pierre angulaire du développement moderne. Même si l’ubiquité

physique reste encore un défi à relever, l’ubiquité intellectuelle est d’ores et déjà devenue

3 Smith, A. (1776). Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations.

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une réalité. Du livre au téléphone en passant par le satellite et jusqu’à Internet, l’Homme

perfectionne sans-cesse sa capacité à se relier. Nous habitons un monde global dans lequel il

est possible de se déplacer comme dans un village local.

Deux siècles et demi après le début de cette révolution industrielle, force est de reconnaître

que l’exploitation économique des ressources naturelles grâce à la technique, aux transports

et aux outils de télécommunications a grandement permis d’améliorer les conditions

d’existence de la civilisation occidentale. A titre d’exemple, la population française a presque

doublé son espérance de vie au cours du dernier siècle. Cependant, ce système connu sous

l’appellation de « libéralisme économique » semble aujourd’hui atteindre certaines limites

remettant en cause sa pérennité en tant que système de développement viable pour

l’humanité. La première limite est vitale plus que sociale car elle concerne notre habitat. Par

l’exploitation intensive et destructive des ressources disponibles, nous mettons en péril

l’équilibre de l’environnement qui nous nourrit. La pénurie s’exacerbe quotidiennement, au

cours des 30 dernières années, l’humanité a déjà consommée 30% des ressources naturelles

disponibles sur Terre. Vu le développement continuel de nos activités industrielles et la

diffusion du modèle de consommation occidental, le scénario le plus communément

envisagé pour 2100 est un doublement de la concentration de CO² dans l’atmosphère par

rapport à l'ère préindustrielle. La température de la Terre s'élèverait alors de 3°C en

moyenne4 ce qui représente un véritable scénario catastrophe pour notre survie. Pouvons-

nous continuer notre développement sans rien remettre en question? Ne faut-il pas

anticiper un épuisement des ressources et les conflits qui en découleront? N'allons nous pas

franchir un seuil d'irréversibilité déréglant les grands équilibres de la planète à jamais?

Avons-nous le droit de jouir des progrès des générations passées en laissant une Terre

désolée aux générations suivantes?

4 GIEC (2007). Climate Change 2007 - Synthesis report. p.44

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Dans ce contexte, beaucoup de philosophes, économistes, scientifiques, ingénieurs et autres

s’accordent sur le fait qu’il est difficile de protéger ce dont nous ignorons la valeur et

l’incidence. C’est sans aucun doute l’ouvrage « Nature’s Services »5 de Gretchen Daily, en

1997, qui marque la naissance du concept de « services écologiques ». Grâce à ce livre, les

sphères académiques prennent alors conscience que notre développement économique et

humain repose entièrement sur des services rendus par notre biosphère et que nous

sommes en train de les épuiser. La même année, l’article de Costanza et al. dans la revue

Nature postule que l’absence d’intégration marchande des services environnementaux est à

l’origine de leur mauvaise gestion. Contrairement aux autres facteurs de production (travail,

capital, progrès technique), l’apport des services fournis par les écosystèmes est sous-évalué

en raison d’une absence d’évaluation monétaire. Costanza identifie clairement que le coût

lié à la déforestation par exemple, est bien supérieur au simple coût capital/travail

nécessaire à son exploitation. Cet article lance une vive polémique et fera naître une

nouvelle nécessité, évaluer les services environnementaux à leur juste valeur. Cette

nécessité de valoriser les services rendus par notre environnement pose une question

éthique majeure et c'est de cette problématique que nous allons traiter dans ce mémoire;

Doit-on monétariser les services écologiques ?

Afin d'aborder cette problématique complexe, nous allons dans une première partie prendre

le temps d’appréhender le sens profond des mots qui la compose, qu'est-ce qu'un service

écologique, qu'est-ce que la monnaie et qu'est-ce que le devoir pour un être humain ou pour

l'humanité? Cela nous permettra de partager le sens que nous leur attribuons dans ce

mémoire.

Nous évaluerons dans une deuxième partie pourquoi il est nécessaire, pour tendre vers un

équilibre renouvelé avec notre habitat global, de valoriser quantitativement et

qualitativement les services écologiques (SE). Pour cela nous verrons d'abord comment s'est

5 Daily, G. C. (1997). Nature's Services. Island Press.

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construite la prise des conscience progressive de l'importance de la biosphère, ensuite nous

verrons qu'il est possible de protéger seulement ce qui est valorisé. Enfin, nous expliquerons

les différents intérêts que représentent la valorisation des services écologiques (SE).

Dans la troisième et dernière partie, nous étudierons quels sont les aspects permettant de

plaider en faveur d'une valorisation financière et monétaire des services écologiques (SE).

Puis nous parlerons des aspects permettant de plaider en défaveur de cela et enfin, nous

verrons pour terminer si la monétarisation des services écologiques (SE) n'est pas seulement

un remède adapté au symptôme plutôt qu'à la cause réelle de la crise écologique.

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Partie I - Analyse des termes de la problématique

Dans cette première partie, nous allons tout d'abord prendre le temps d'appréhender

correctement la signification des différents termes qui composent notre problématique afin

d'en partager le sens ; Doit-on monétariser les services écologiques?

A/ Qu’entend-on par services écologiques ?

1) Définition des services écologiques (SE)

Depuis l’invention de l’agriculture il y a 12.000 ans, l’Homme travaille la terre et l’exploite

pour faciliter son développement. Cette association forcée avec la nature a vu naître des

civilisations organisées maitrisant de manière toujours plus efficace les éléments naturels

environnants. Cependant, cet espace monde perçu comme infini pour les premiers homo-

sapiens sortant d’Afrique semble, suite à la colonisation du globe par le genre humain,

minuscule face à la voracité de nos besoins contemporains. Victime de surexploitation

depuis la révolution industrielle, les ressources naturelles disponibles s’épuisent. En se

confrontant à la rareté, nous prenons conscience que notre développement repose sur de

multiples « services » que nous tirons des écosystèmes qui nous entourent. C’est ainsi qu’à

l’aurore de ce 21ème siècle, une partie de l’humanité semble prendre acte de la valeur de ces

écosystèmes et du respect que nous devrions leur accorder en toutes circonstances.

Effectivement, Kofi Annan, Secrétaire Général de l'ONU en l'an 2000 a demandé à ce que

soit effectuée une « Évaluation des écosystèmes pour le millénaire » (Millenium Ecosystems

Assessment6). Démarré en 2001, ce travail a duré quatre ans et a réuni les contributions de

plus de 1360 experts issus de près de 50 pays différents. Cette étude avait pour seul objectif

6 Millenium Ecosystems Assessment (2003). Ecosystems and human well being. Island Press.

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d’évaluer sur des bases scientifiques l’ampleur et les conséquences des modifications subies

par les écosystèmes dont dépend le bien-être de nos sociétés mais plus important encore,

dont dépend notre survie en tant qu’espèce. Il incite l’humanité à prendre conscience de la

nécessité de restaurer et de conserver notre environnement pour une utilisation durable par

l’Homme. En dehors des conclusions de ce rapport, ce travail très largement consensuel a

permis à la communauté internationale de s’accorder sur une définition conjointe des SE.

Vous trouverez ci-dessous la définition officielle proposée dans ce rapport :

(Rapport final WWF – 20107)

7 Global Footprint Network (2010). Rapport Planète Vivante. p.12

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Pour illustrer ce que peuvent être les SE et nous permettre d’appréhender plus précisément

leur fonction et leur utilité, nous allons présenter ci-dessous trois SE clés pour l’humanité.

Concernant l’oxygène vital à la vie sur Terre, nous allons présenter la forêt comme puits de

carbone. Concernant l’eau nécessaire à notre hydratation, nous allons présenter la

végétation comme station d’épuration. Enfin, concernant les calories nécessaires à notre

métabolisme, nous allons présenter les pollinisateurs comme reproducteur de la végétation

qui nous nourrit.

2) L’air - La forêt comme puits de carbone

A l'échelle de la biosphère, les forêts jouent un rôle prépondérant dans le climat et dans la

composition de l’atmosphère. Les arbres séquestrent du carbone (gaz à effet de serre) par le

processus de la photosynthèse. Une partie se retrouve capturée dans les matières

organiques et l'autre partie est rejetée par la respiration ou indirectement par la

décomposition de feuilles mortes, débris et racines mortes. Le bilan de ce flux voit une

quantité de CO2 fixée supérieure à celle rejetée, c’est pour cette raison que nous

considérons les forêts comme étant des « puits de carbone ».

Selon la FAO, plus de 1,6 milliards d'individus dépendent des forêts comme source de

revenus8. C’est ainsi que chaque année 13 millions d'hectares de forêts disparaissent et avec

elles leur capacité à "puiser le carbone". La déforestation est ainsi responsable de 15% des

émissions totales de gaz à effet de serre (Convention sur la diversité biologique, 2011).

8 Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Situation des forêt du monde 2011

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3) L’eau - La végétation comme station d’épuration

La nature et surtout les zones denses en végétation comme les forêts agissent comme une

station d'épuration traitant l’eau. Elle filtre les polluants, les métaux lourds, les azotes grâce

aux systèmes racinaires puis, purifiée, l’eau se dépose dans les nappes phréatiques pour

poursuivre son cycle. 75% de l'eau douce accessible sur Terre provient des bassins versants

des forêts.

4) L’alimentation - Les pollinisateurs comme agriculteurs

La catégorie des pollinisateurs se compose d’insectes comme les papillons, les abeilles,

certaines mouches, les charançons, mais aussi d’oiseaux comme le colibri ou encore de

mammifères comme certaines chauves-souris. Grâce à leur travail naturel ils pollinisent

environ un tiers de la production mondiale de nourriture (fruits, légumes, oléagineux,

certaines légumineuses, café, cacao, épices...), soit une part considérable !

A travers ces trois exemples, choisis parmi une multitude de services écologiques, il est aisé

de prendre conscience du rôle majeur des services écologiques pour garantir notre bien-être

présent. Il est également évident que pour permettre aux générations futures de bénéficier

des mêmes services écologiques, nous avons le devoir de les préserver. D’après le Global

Footprint Network 2010, l’empreinte globale de l’humanité a plus que doublé entre 1961 et

20079. En 2007, l’humanité consomme 1.7 fois la capacité globale de la planète à se

régénérer. L’humanité se rapproche chaque jour un peu plus d’un seuil d’irréversibilité que

nous ne connaissons pas et qui pourrait engendrer une série d’avalanche en chaîne créant

tout autant de catastrophes écologiques et humaines. Ci-dessous, le Global Footprint

9 Global Footprint Network (2010). Rapport Planète Vivante. p.13

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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Network 2010 présente une vue schématique permettant de visualiser les contours de

l’ensemble des services écologiques dont l’humanité tire profit.

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B/ Qu’est-ce que la monnaie ?

Après avoir compris plus en détail le sens et le rôle des services écologiques (SE) pour

l’Homme, nous allons à présent comprendre le rôle de la monnaie, son évolution au cour de

l’histoire et sa relation avec la morale pour mieux cerner les implications de la

problématique qui nous anime, à savoir, une éventuelle monétarisation des SE.

1) Le rôle de la monnaie

Comme nous pouvons l’observer dans le schéma ci-dessous, il est admis que la monnaie

possède trois rôles majeurs pour l’économie, c’est à la fois un intermédiaire des échanges,

une unité de compte et une réserve de valeurs :

Un intermédiaire des échanges

Au sens général, le terme « échange » s'applique à tout mouvement d'intention réciproque

entre deux parties. En économie, on appelle « échange » les différents modes de transferts de

biens et de services exécutés en contrepartie et en équivalence les uns des autres.

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CLAUDE MEILLASSOUX – ENCYCLOPEDIE UNIVERSALIS

→ La monnaie est un bien directement échangeable contre tous les autres biens, c’est donc

le principal intermédiaire des échanges de biens et services.

→ La monnaie a un cours légal pour pouvoir également s'échanger contre d'autres

monnaies.

→ La vitalité d'une monnaie repose sur la confiance accordée en celle-ci.

Une unité de compte

Une unité de compte standardisée permet de mesurer la valeur des flux et des stocks de

biens, de services ou d'actifs. Avant l’échange, cette évaluation s’appelle un calcul

économique et après l’échange, cela devient une comptabilité.

→ La monnaie est une unité de compte.

→ La monnaie permet de transformer chaque bien et service en valeur monétaire.

→ La monnaie sert ainsi de dénominateur commun entre des biens hétérogènes.

Une réserve de valeur

Comme nous le verrons dans la partie 2, l’économie connaît des affectations très variées

concernant le sens du mot « valeur ». Nous pouvons principalement distinguer la valeur

d’échange (elle s’établit en fonction de la rareté), la valeur d’usage (elle s’établit en fonction

de l’utilité) et enfin la valeur de non usage (elle s’établit en fonction de la culture). Ces

valeurs sont liées mais non corrélées. La valeur d’échange, d’usage ou de non usage que

chaque agent économique accorde aux biens varie en fonction des acteurs et des situations.

Un verre d’eau peut servir à désaltérer un être humain mais isolé dans un désert, ses

différentes valeurs seront probablement supérieures qu’à proximité d’une rivière d’eau

douce.

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Si la monnaie est considérée comme une réserve de valeur c’est qu’elle représente un

pouvoir d'achat immédiat permettant d’acquérir quasiment n’importe quel autre bien :

→ La monnaie peut se conserver dans le temps. C'est ainsi un actif facilement transférable

du présent vers l'avenir.

→ La détention de monnaie est l'une des formes d'accumulation de richesse elle est donc

aussi un actif. La monnaie est un actif qui présente très peu de risque.

→ La monnaie est une forme de liquidité absolue.

2) L’évolution historique de la monnaie

« La monnaie apparaît d’abord comme une convention : est monnaie ce qui est considéré

comme telle, quelle que soit sa matérialité, sa valeur propre, sa forme. »

La monnaie marchandise

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A l'origine des temps, les êtres humains n’avaient pas besoin de monnaie a proprement

parler. Avec les premières formes de sociétés organisées, le troc de biens est devenu le

mode d’échange, c’est ce que nous pouvons appeler la « monnaie marchandise ».

Au sens de Léon Walras, la marchandise est une monnaie de paiement ou une monnaie de

règlement numéraire. Les biens matériels qui sont choisis comme base d’échange le sont en

raison de leurs qualités fondamentales. Ils nécessitent diverses qualités en fonction des

situations donnant lieu à l’échange.

Le sel est en ce sens un excellent exemple qui nous relie encore aujourd'hui aux origines de

la monnaie marchandise. Le sel est un minéral indispensable à la bonne santé de notre

organisme. De plus, il permettait et permet toujours la conservation des aliments. A ce titre,

le sel a toujours fait l'objet de convoitise et de commerce. Grâce à ces propriétés, ce minéral

a ainsi servi de monnaie d'échange à plusieurs reprises dans l'histoire de l'humanité.

Remarquons par exemple que sous l'empire Romain, le travail s'échangeait contre du sel.

Salarium en latin désignait à une quantité de sel donnée aux soldats, puis il désigna plus

tardivement une somme d'argent (salarium argentum) leur permettant d'acquérir le sel et la

nourriture. Le terme salaire hérité de cette monnaie marchandise est aujourd'hui présent

dans toutes les langues romanes.

La monnaie métallique

Toutes les civilisations ayant existé depuis la découverte de l’agriculture disposaient d’une

économie très développée et échangeaient de nombreux biens agricoles ou artisanaux.

L’intensification des échanges et l’accumulation de ressources qui en découle a alors conduit

à l’apparition de l’argent. Cette « monnaie métallique » a facilité le commerce car c’est une

sorte de bien magique qui permet d’acheter tous les autres biens.

La Monnaie métallique est apparue dans l’Antiquité. En Grèce, à Rome en Asie mineure mais

aussi en Chine, en Inde et dans le monde Islamique. Les métaux puis les métaux précieux

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sont devenus la base de la monnaie métallique. L’or en est le plus bel emblème grâce à sa

nature inaltérable. La monnaie métallique est passée par 3 étapes, la monnaie pesée, la

monnaie comptée, la monnaie frappée. Aujourd’hui la monnaie métallique est utilisée sous

forme de pièces ou de monnaies divisionnaires.

La Monnaie dématérialisée

Le progrès technique des 500 dernières années, la révolution industrielle et la croissance

exponentielle des échanges commerciaux ont provoqué l’apparition de la « monnaie

dématérialisée ». Comme son nom l’indique, c’est une forme de monnaie virtuelle qui ne

repose que sur la confiance que les acteurs économiques lui portent. A ce jour, nous

pouvons distinguer trois étapes majeures dans le développement de la « monnaie

dématérialisée », d’abord l’invention du billet de banque, puis de la monnaie scripturale et

enfin de la monnaie électronique.

3) La monnaie dématérialisée

Le Billet de Banque

Le billet est un « rectangle de papier illustré portant l'indication d'une valeur monétaire, émis

par la banque centrale ou nationale d'un pays, et destiné à servir d'instrument pour le

paiement. Connu en Chine dès le VIIIe siècle, l'usage du billet de banque ne s'introduisit en

Europe qu'au XVIIe siècle, d'abord en Allemagne, puis surtout en Grande-Bretagne après la

création de la Banque d'Angleterre en 1694. En France, après l'échec de la tentative de Law

en 1720 et la faillite des assignats pendant la Révolution, le véritable billet de banque ne

commença à circuler qu'en 1803 après la fondation de la Banque de France. Avec le

développement du système bancaire et la création des banques centrales, tous les pays ont,

depuis, suivi cet exemple.

GEORGES BLUMBERG – ENCYCLOPEDIA UNIVERSALIS

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Au début de l’histoire du billet de banque, celui-ci représentait un équivalent en métal

précieux stocké par une banque comme par exemple la Banque d’Angleterre créée en 1694.

Très rapidement, ces Banques Centrales ont compris qu’il était possible d’émettre une

quantité de billets bien supérieure à la valeur de métal précieux détenue dans « le coffre »

car les utilisateurs ne retiraient que très rarement, et encore moins au même instant, leur

équivalent or ou argent de ce lieu très bien gardé. Progressivement la masse de billets de

banque en circulation est donc devenu largement supérieure aux métaux précieux

disponibles en réserve. Autrement dit, le billet de banque était toujours convertible en or ou

en argent mais il n’était plus le reflet exact d’une quantité de métal précieux en réserve.

Progressivement, la valeur nominale de la monnaie (inscrite sur le billet) est devenue

supérieure à la valeur intrinsèque (réserve réelle de métal précieux).

Aujourd’hui le billet de banque n’est plus convertible en métal précieux. Le 15 août 1971, le

président des Etats-Unis Richard Nixon a annoncé de manière unilatérale sa volonté de

mettre fin à la convertibilité du dollar en or. Cette fin de la convertibilité a été actée

officiellement le 8 janvier 1976 suite aux accords de la Jamaïque. Depuis 43 ans, la masse

monétaire mondiale en circulation n’est donc plus liée aux ressources naturelles précieuses

et inaltérables détenus par l’Homme comme cela fut le cas pendant plusieurs siècles.

La monnaie scripturale

La monnaie scripturale n’est pas une monnaie physique comme la monnaie marchandise ou

comme les pièces et les billets. Elle est une écriture comptable qui apparait sur les relevés de

compte bancaire, sur les chèques à encaisser ou encore dans les livres de comptes de la

banque. Elle intervient surtout pour les échanges monétaires conséquents.

Il existe une grande variété de monnaie scripturale : Le chèque bancaire est émis par le

détenteur d’un compte de dépôt et il est payable en espèces. Le virement est un ordre de

paiement par transfert d’une somme sur un compte. Mais il y aussi les effets de commerce,

la lettre de change etc.

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La monnaie électronique

La monnaie électronique désigne les moyens de paiement électronique qu’un agent

économique peut solliciter pour effectuer ses paiements. Les découvertes numériques ont

permis l’apparition du virement automatique puis du prélèvement automatique mais la

monnaie électronique la plus populaire est sans aucun doute la carte de paiement. Le

détenteur peut retirer des espèces, acheter en magasin et même obtenir un crédit sur ses

achats. Aujourd’hui, les cartes de paiement nationales ou internationales sont très

populaires, les cartes Mastercard et Visa en sont un bel exemple. La monnaie électronique

représente une avancée considérable de plus dans la dématérialisation de la monnaie

physique. Cette flexibilité nouvelle dans les transferts financiers a grandement facilité

l’intensification des flux de matières dans le monde.

4) La monnaie et la morale

Depuis sa création la monnaie occupe une place dominante dans nos considérations

morales. Elle fait partie de notre environnement réel. Elle permet aux individus de répondre

à leur besoins vitaux et aux sociétés d’échanger pour vendre et acheter les biens nécessaires

au maintien et à l’expansion de leur civilisation. L’argent alimente donc tous les fantasmes

car il peut financer les fantaisies les plus folles. Cette puissance vitale aussi bien

qu’imaginaire pour la culture humaine a fait de l’argent un symbole qui en ce début de 21ème

véhicule une forme de puissance ultime. La détention de capital est probablement

aujourd’hui plus que jamais auparavant dans l’histoire de l’humanité, l’élément permettant

de hiérarchiser le niveau de pouvoir des hommes et de leurs sociétés respectives. Mais

depuis très longtemps il éveille la réflexion de grands philosophes. Pour Platon, l’argent

« produit l’insatiable désir de posséder ». Pour Rousseau : « l’argent à la fois divise la cité en

classes ennemies, celles des riches et celle des pauvres et délite pour tous la notion même de

bien commun ».

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Il semble compréhensible que l’argent agite ainsi les passions les plus folles. Effectivement,

l’argent nous détourne souvent de la notion d’être au profit de celle de l’avoir. De plus,

l’argent est aliénant, il nous engage dans une hétéronomie qui nie notre liberté. Cependant,

grâce à l’argent, le pouvoir peut aussi organiser une justice corrective et re-distributive. Il est

également un formidable facteur de paix. Le commerce permet de rivaliser autrement que

par la guerre. La construction de l’Union Européenne n’est-elle pas un merveilleux exemple

de pacification par le développement d’intérêts financiers réciproques ?

« S’il est vrai que notre époque se caractérise par une monétarisation sans précédent des

rapports sociaux, on ne voit pas très bien quel idéal lui opposer : l’Antiquité reposait sur

l’esclavage, l’Ancien Régime sur des campagnes misérables, violentes comme jamais, et les

débuts du capitalisme, moins monétaire qu’aujourd’hui, furent d’une brutalité sans nom.»10

PIERRE ZAOUI

10

Zaoui, P. (2012). L'abstraction matérielle, l'argent au-delà de la morale et de l'économie. p.39 édition La

Découverte

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C/ Qu'est-ce que la notion de devoir pour l'humanité

Considérer une éventuelle monétarisation des services écologiques pose une question

morale plutôt de type anthropocentré puisque cela consiste à intervenir sur un système

économique inventé de toute pièce par l’Homme. Pour nous aider à dresser les contours de

notre responsabilité et répondre à cette problématique, il peut être intéressant de

comprendre plus en détail la relation d’un être ou d’une société humaine avec la notion de

devoir. Chez les stoïciens, le devoir est l’action qui convient, qui est appropriée, qui est

conforme à la nature. Samuel von Pufendorf distingue lui trois types de devoirs : les devoirs

envers soi, les devoirs envers autrui et les devoirs envers Dieu11. Que ce soit vis-à-vis de la

nature, de soi, des autres ou d’une divinité, le devoir semble quoi qu’il arrive être une sorte

d’obligation à l’égard de ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire en fonction de la subjectivité

depuis laquelle on se place. C’est pourquoi nous proposons ci-dessous une synthèse

subjective et non exhaustive de la typologie du devoir humain qu’il serait possible de

convoquer en fonction de l’échelle de grandeur où nous positionnons notre responsabilité

(du macro au micro) :

1) Quel devoir vis-à-vis de la survie de notre espèce ?

Pour Kant, le devoir est un impératif catégorique, il se présente comme un commandement,

une obligation. Cet impératif est catégorique en ce sens qu’il est inconditionné, autrement

dit qu’il n’est pas soumis à des conditions sensibles, empiriques.

« Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. »12

EMMANUEL KANT

11

Samuel Pufendorf (1706). Le droit de la nature et des gens.

12 Emmanuel Kant (1788). les Fondements de la métaphysique des mœurs. p.421 édition de la pléïade 1980

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La conception kantienne s’est vue opposer de nombreuses critiques notamment d’être une

morale abstraite, désengagée des conditions effectives de réalisation du devoir et de la

liberté. Cependant, à la question de savoir si nous avons le devoir de garantir la survie de

notre espèce, il est envisageable de faire appel à l’impératif catégorique de Kant. Sans la

survie de l’espèce humaine, toute réflexion sur la durabilité de notre système de

développement perd son sens et son intérêt. Il est possible d’en conclure que nous avons

effectivement le devoir d’adapter notre espèce pour la préserver en vie comme le fait

l’ensemble du vivant depuis son apparition.

→ Vouloir s’émanciper de cet impératif catégorique de survie pourrait-il engendrer autre

chose que notre extinction ?

2) Quel devoir vis-à-vis de notre société/civilisation ?

La France et plus globalement la civilisation occidentale repose en grande partie sur

l’héritage du siècle des Lumières. Pourtant, la poursuite d’un progrès infini semble

aujourd’hui nous éloigner de l’idéal poursuivi initialement, à savoir plus de liberté, plus

d’égalité et plus de fraternité. Pour en comprendre les raisons, il est probablement

nécessaire de questionner nos méthodes économiques, politiques et culturelles. Devons-

nous émanciper notre société de ces dogmes hérités d’une soif de croissance économique

infinie ? C’est une volonté pour certain et ce sera certainement une obligation pour

beaucoup d’autres. Rousseau distinguait deux types de devoirs. Les devoirs relevant de

l’obligation et les devoirs relevant de la volonté. Les premiers sont exigibles des individus, les

seconds ne le sont pas. En tant que citoyens français et européens, ne devons-nous pas en

ces temps de transition de paradigme renouveler ensemble nos volontés et identifier les

obligations et les devoirs qui en découlent ?

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« Le siècle des Lumières tenta de nous libérer de Jupiter, je veux dire de l'emprise du divin. Y

réussit-il? Passé le second conflit mondial, quelques hommes de talent et de bonnes volontés

inventèrent une Europe sans frontières pour tenter à leur tour, de libérer les nations de

l'emprise de Mars, je veux dire des horreurs mortelles de la guerre. Réussiront-ils? Faut-il

désormais nous affranchir des affrontements déclenchés par l'emprise de Quirinus, je veux

dire par la production, le travail, l'épuisement des ressources, le commerce, l'économie, la

circulation volatile des biens et des signes? Quelles nouvelles Lumières libéreront l'humanité

de ces 3 faux dieux? »13

MICHEL SERRES

Hegel montre que seule l’inscription du devoir dans les institutions, dans une communauté

éthique, permet de se dégager de la morale subjective et abstraite pour ouvrir sur une

liberté objective. Pour Hobbes, c’est le contrat social qui instaure le devoir en ce sens que

ceux qui ont accepté ce contrat ne peuvent s’en dégager.

→ Pour poursuivre l’œuvre émancipatrice de notre civilisation, ne faut-il pas réinventer

notre contrat social pour notamment y intégrer, comme le préconise Michel Serres dans Le

Contrat Naturel (1990), le vivant et l’environnement ?

3) Quel devoir vis-à-vis de la stabilité sociale ?

Pour Hume, les devoirs sont des conventions adoptées par les hommes en raison de leur

utilité (le respect de la propriété d’autrui permettant par exemple à chacun de jouir de ses

biens sans inquiétude). Pour Bentham et Mill, les seules actions obligatoires sont les actions

qui provoquent un accroissement du bonheur. Ce n'est que d’après les conséquences des

actions que l’on peut juger de leur statut de devoir.

13

Michel Serres (2008). Le mal-propre: Polluer pour s'approprier?

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→ Afin de s’assurer que chacun respecte les devoirs qu’impose une société stable et unie, les

représentants du peuple n’ont-ils pas la responsabilité de garantir, ne serait-ce que par

utilitarisme, le droit à la dignité pour tous (et donc permettre à tous de boire, manger et se

loger correctement) ?

4) Quel devoir vis-à-vis de notre conscience morale individuelle et collective ?

Les conceptions du devoir ne prennent le plus souvent leur sens qu’à la lumière des

conceptions du Bien. On peut identifier le bien au plaisir (hédonisme) ou au bonheur

(eudémonisme). On peut encore considérer que le Bien est purement moral et s’identifie à

la vertu.

« Toutes les fois où nous délibérons pour savoir comment nous devons agir, il y a une voix

qui parle en nous et qui nous dit : voilà ton devoir. (…) Et quand nous avons manqué à ce

devoir qui nous a été ainsi présenté, la même voix se fait entendre, et proteste contre notre

acte. Parce qu'elle nous parle sur le ton du commandement, nous sentons bien qu'elle doit

émaner de quelque être supérieur à nous ; mais cet être, nous ne voyons pas clairement qui il

est ni ce qu'il est. (…) quand notre conscience parle, c'est la société qui parle en nous. Or, le

ton dont elle nous parle est la meilleure preuve de l'autorité exceptionnelle dont elle est

investie. »14

EMILE DURKHEIM

14

Emile Durkheim (1902). L'éducation morale. p.66 édition électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay

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→ Comment expliquer à mes enfants, avec une bonne conscience individuelle, que notre

société avait une parfaite connaissance de la problématique environnementale mais que je

n’étais personnellement pas disposé à questionner ma volonté de satisfaire mes besoins

égoïstes et court-termistes ?

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Partie II - Valoriser les SE, une nécessité

Après avoir pris le temps de partager le sens des mots qui donnent corps à notre

problématique, nous allons dans cette deuxième partie dresser les contours qui ont permis à

la communauté internationale de prendre progressivement conscience de la biosphère et de

la nécessité de la valoriser pour espérer pouvoir la protéger.

A/ Vers une prise de conscience de la valeur des SE

1) Remise en question de notre anthropocentrisme culturel

Comme nous l’avons vu en préambule de ce mémoire, notre civilisation s’est construite sur

un rapport de force entre l’Homme et la Nature. Comme l’ancien testament pouvait le

laisser entendre dans la genèse, notre émancipation et notre bon développement

dépendrait en partie de notre capacité à soumettre les éléments hostiles et naturels qui

nous entourent. Environ deux millénaires plus tard, en 1637, René Descartes publie Le

discours de la méthode dans lequel il présente le pouvoir de la science. Il explique qu’en

l’utilisant, il devient possible de se “rendre comme maîtres et possesseurs de la nature”15.

Cette révolution cartésienne ne fait qu’intensifier le dessein testamentaire de notre

civilisation judéo-chrétienne. Cependant, au 19ème siècle, un nouveau courant prônant les

vertus de la nature à l’état sauvage est venu s’opposer à l’approche historique de notre

civilisation. Ce nouveau courant de pensée a réellement pris son essor aux Etats-Unis avec

les défenseurs de la « wilderness ». Il se compose de ceux qui, comme par exemple le

naturaliste d’origine écossaise John Muir, voyaient dans la nature un « domaine sauvage »

qu’il fallait préserver en l’état et à l’abri de l’influence des hommes. Ce mouvement a

15

Descartes, R. (1637). Le discours de la méthode .

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notamment permis la création des premières réserves naturelles aux Etats-Unis et est venu

s’opposer à une vision plus conservatrice. Celle de Giffort Pinchot par exemple, pensant que

l’homme devait être « l’intendant de Dieu », et gérer en bon père de famille ce « patrimoine

naturel » qui lui avait été confié.

Cette confrontation idéologique écocentrée versus anthropocentrée semble encore

aujourd’hui difficilement conciliable. Nous pouvons d’ailleurs retrouver cette opposition

historique entre les tenants actuels d’une écologie « forte », voulant placer l’intérêt de la

nature au dessus de notre système de développement et les tenants d’une écologie

« faible », voulant conserver une place prédominante pour les intérêts économiques de

l’homme. Cf. schéma ci-dessous :

2) Prise en compte internationale de la finitude des ressources

En 1972, Le Club de Rome, un groupe de réflexion réunissant des scientifiques, des

économistes, des fonctionnaires nationaux et internationaux, ainsi que des industriels de 53

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pays, a rendu un rapport intitulé « Halte à la croissance »16. Il explique la finitude des

ressources naturelles et l’impasse de notre système de développement économique fondé

sur l’exploitation des ressources. Si aucune mesure n’est prise, Il prévoit l’effondrement en

2030. Ce rapport provoque un retentissement international.

Lors de cette même année 1972, la Conférence des Nations unies sur l'environnement

humain à Stockholm place pour la première fois les questions écologiques au rang des

préoccupations internationales.

En 1974, soit deux ans plus tard, l’écologie politique française connaît ses balbutiements

avec la candidature de René Dumont aux élections présidentielles françaises. Il recueille

1.32% des voix. Agronome de formation, il perçoit alors en précurseur l’importance qu’il est

nécessaire d’accorder à l’environnement et porte l’action politique que cela implique.

3) Naissance d’une volonté d’adapter notre système économique

En 1979, le grand économiste français René Passet préconise une "prise en compte

simultanée des lois relatives à l’économique, au vivant et au monde inanimé". Pour lui, il faut

que l'économique soit "reconsidéré en fonction de son insertion dans un ensemble de

mécanismes qu’il ne saurait bouleverser sans se détruire lui-même". Il est de la responsabilité

des économistes de "pourfendre le fétichisme des choses mortes, pour participer à l'œuvre de

vie qui se poursuit à travers l'espèce humaine et peut seule donner un sens à l'acte de

production"17.

RENE PASSET - L’ECONOMIQUE ET LE VIVANT

Il fait partie des précurseurs de la sphère économique. Il fut, comme le montre ces quelques

mots, l’un des premiers à travailler sur les manières d’adapter notre système économique

aux limites et au fonctionnement de l’écosystème Terre.

16

Club of Rome (1972). Halte à la croissance?

17 René Passet (1979). Léconomique et le vivant

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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4) Biodiversité - Compréhension des interconnections vitales qui unissent les

écosystèmes, les espèces et les gênes

En 1984 Edward O. Wilson invente un nouveau mot, « biodiversity », par contraction de «

biological diversity ». Cette idée bouleverse notre approche d’une nature considérée comme

étrangère et/ou sauvage pour nous immerger et nous relier à un « tissu vivant ». La

biodiversité se compose des écosystèmes, des espèces et des gènes, ils sont interconnectés,

interagissent et coévoluent. Cette étape n’est pas un simple glissement sémantique, elle

renferme aussi une prise de conscience majeure et complexe, notre avenir est lié de fait à la

Biodiversité car tout est interconnecté. Notre civilisation se trouve soudain en mesure de

comprendre que réellement soumettre la Biodiversité reviendrait à soumettre l’espèce

humaine elle-même. Les répercussions sont philosophiques. L’homme ne doit plus dominer

la nature par la science mais il doit réapprendre à s’imbriquer vertueusement en elle car nos

destins sont liés. L’apparition d’une nouvelle terminologie permettra d’intégrer plus

facilement ce nouveau paradigme dans chacun des aspects de notre société ; la science,

l’économie, la culture, le social, la politique etc.

En 1993, Edgar Morin publie Terre-Patrie. Dans ce livre au titre évocateur, il retranscrit

l'enseignement des découvertes survenue au cours des décennies précédentes. "Ainsi la vie,

née de la Terre, est solidaire de la Terre. La vie est solidaire de la vie. Toute vie animale a

besoin de bactéries, plantes et autres animaux. La découverte de la solidarité écologique est

une grande et récente découverte. Nul être vivant, même humain, ne peut s'affranchir de la

biosphère."18

EDGAR MORIN

18

Edgar Morin (1993). Terre-Patrie. p.61 édition du seuil

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5) Apparition du concept de « Services Ecologiques » dans l’économie écologique

En 1997, Gretchen Daily publie Nature’s Services19. Ce livre marque l’apparition du concept

de « services écologiques » dans la littérature académique. Il les définit comme « les

conditions et processus par lesquels les écosystèmes naturels et les espèces qui les

construisent soutiennent et permettent la vie humaine ». Produits par des réseaux d’espèces

en interaction avec leur environnement, les services écologiques « offert » à l’homme par la

biodiversité comprennent par exemple :

• La purification de l’air et de l’eau ;

• la génération et l’entretien des sols, et de leur fertilité ;

• le maintien de la diversité biologique, notamment nécessaire à l’agriculture et à la médecine ;

• la dispersion des graines et des nutriments ;

• le contrôle de la grande majorité des ravageurs de cultures ;

• la détoxification et la décomposition des déchets organiques ;

• la modération des crues et des sécheresses ;

• la stabilisation partielle du climat ;

• le support de nombreuses cultures humaines ;

• le plaisir, la récréation, la stimulation intellectuelle et l’inspiration spirituelle liés à l’immersion dans la nature.

GRETCHEN DAILY

19

Gretchen Daily (1997). Nature's Services

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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6) Prise en considération de l’urgence de la situation

La contribution de la biosphère nous semblait inépuisable. Mais aujourd’hui, avec la

dégradation et la destruction croissante des habitats et des écosystèmes, les services offerts

par la biodiversité commencent à diminuer. Devenus un frein à la croissance, la

communauté internationale a pris conscience de l’urgence de la situation. Il faut désormais

évaluer, préserver et internaliser le coût des « services » délivrés par les écosystèmes dans

nos économies. Ci-dessous, un schéma détaille la complexité parfois nécessaire pour

« fabriquer » un œuf. Il est apposé à côté de deux graphiques du Global Footprint Network.

Le premier montre l’évolution à la hausse de l’empreinte écologique globale de l’humanité,

celle-ci a plus que doublé entre 1961 et 2007. En 2007, l’humanité a consommé 1.7 fois la

capacité globale de la planète à se régénérer et la tendance continue encore d’empirer. En

parallèle, le deuxième graphique Indice Planète Vivante montre, lui, l’évolution fortement

négative de la diversité animale sur Terre. Le constat est sans appel, notre modèle de

développement industriel est destructeur pour la biosphère.

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L’empreinte écologique globale

(Global Footprint Network 2010)20

L’indice Planète Vivante Globale

(Global Footprint Network 2010)

B/ 1997 - On ne protège que ce que l'on valorise

Si cette année là, Gretchen Daily lance le concept de services écologiques avec son livre

« Nature’s services », c’est Robert Costanza et son équipe qui abordent le sujet de leur

nécessaire valorisation.

20

Global Footprint Network (2010). Rapport Planète Vivante.

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1) La polémique de Costanza

« Il n’existe pas de synthèse globale de l’ensemble de ces données permettant d’obtenir une

approximation de la valeur économique totale de l’ensemble des SE fournis par la biosphère.

Ces données sont la plupart du temps affectées à des écosystèmes particuliers, des méthodes

particulières et pour des situations spécifiques (estimation des avantages nets liés à la

création d’un parc, évaluation de la déforestation, évaluation de la disparition de la

mangrove…). »21

COSTANZA ET AL.

Ces services écologiques ont longtemps été abondants et gratuits, il n’était donc pas utile de

les évaluer. Cependant, avec la dégradation de la biodiversité, la rareté a fait son apparition

et a déclenché une montée des conflits d’appropriation. Après la prise de conscience de

l’existence et de l’importance des services écologiques, cet article et la polémique qu’il

déclenche initient donc, à partir de sa publication en 1997, une nouvelle phase ; la nécessité

de connaître la valeur économique des services écologiques. Cette valorisation est

essentielle pour se les approprier, les protéger et/ou les restaurer efficacement.

2) La valorisation des SE et le système économique

Depuis la polémique provoquée par l’article de Costanza, de très nombreuses évaluations

des services écologiques ont été réalisées. Par exemple, grâce à un travail publié en 2005 par

le Millenium Ecosystem Assessment, nous savons aujourd'hui que la diversité biologique et

les ressources naturelles vivantes produites par les écosystèmes contribuent directement à

plus de 40% de l’économie mondiale. Ce chiffre reflète à quel point l’ensemble de notre

système économique dépend des services offerts par la Biosphère. Le constat qui en découle

n’est pas sans incidence. Pour la plupart des économistes, le grand intérêt d'une économie

21

Costanza et Al. (1997) The value of teh world's ecosystem services and natural capital. p.1

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de marché est d’allouer de manière optimale les ressources disponibles. Ce système de

marché repose sur quatre préalables, le droit de propriété, une théorie de la valeur, le

principe de l’offre et de la demande et enfin, l’usage d’une monnaie pour faciliter la

circulation. L’irruption des services rendus par la nature pose donc quatre nouvelles

questions majeures pour assurer de manière optimale leur allocation économique :

→ A qui appartiennent les services écologiques ? (Le concept de propriété)

→ Comment calculer la valeur de la biodiversité et des services écologiques ? (Le

concept de la valeur)

→ Comment faire face à l’érosion de l’offre de services écologiques tout en

répondant à l’augmentation de la demande ? (Le concept de l’offre et de la

demande)

→ Comment internaliser/monétariser ces services dans le système économique ? (Le

concept de la monétarisation)

Le WBCSD (World Business Council for Sustainable Development) est un groupe de réflexion

réunissant quelques 200 grandes multinationales (Lafarge et Véolia pour ne citer que

quelques entreprises françaises membres). Il a été créé en prévision du sommet de la Terre à

Rio en 1992 afin de pouvoir représenter les intérêts des entreprises et peser sur les

orientations à prendre. Depuis, cette organisation s'est structurée pour aider le monde de

l’entreprise à répondre au phénomène de rareté des ressources et de dérèglement

climatique. Ils sont à présent regroupés autour de « leur engagement commun en faveur

d’un développement durable, au moyen de la croissance économique, la protection de

l’environnement et l’équité sociale ». Nous observons à la lecture de leur finalité que leur

volonté consiste à s'engager pour un développement durable en priorisant avant tout

l'économique. Comme signifié plus haut, cette approche peut être identifier de durabilité

faible car elle défend une volonté de conserver la croissance et notre système de

développement économique actuel au cœur de notre paradigme.

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« Il apparaît de plus en plus évident que la dégradation continue des écosystèmes a un

impact direct sur les entreprises compromettant leurs performances et leurs profits, leurs

renouvellements de permis d’exploitation et leurs possibilités d’accès à de nouveaux

marchés. » Ils décrivent ce guide comme « un outil ou un processus permettant à l’entreprise

de prendre des décisions plus éclairées en attribuant explicitement des valeurs, notamment

monétaires, à la dégradation des écosystèmes et aux bénéfices tirés des services

écosystémiques. ».22

WBCSD - GUIDE CEV (COMPRENDRE, EVALUER ET VALORISER) P.6

Dans ce guide, nous pouvons lire les trois principales motivations qui conduisent le WBCSD à

vouloir comprendre, évaluer et valoriser les SE afin d’améliorer la prise de décision en

entreprise :

22

World Business Council for Sustainable Development. (2011) Guide CEV

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WBCSD - GUIDE CEV (COMPRENDRE, EVALUER ET VALORISER) P.15

En ce début de 21ème siècle, évaluer correctement les services rendus par la biosphère

semble effectivement devenir un pré-requis essentiel à tout processus de décision voulant

prendre en considération l’impact environnemental. Cette évaluation qualitative,

quantitative ou monétaire peut permettre par exemple de comparer le coût nécessaire à la

conservation des écosystèmes au coût supporté si ces mêmes écosystèmes disparaissaient.

L’évaluation peut également permettre d’identifier quels sont les milieux devant être

conservés en priorité. Cet élan pour évaluer correctement la valeur que nous accordons aux

services rendus par la Biosphère est en ce sens nécessaire et donc souhaitable.

3) Comprendre les différentes valeurs d’un SE

Si l’intérêt pour une valorisation semble général, la difficulté est double :

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*Comment valoriser correctement les SE alors que nous méconnaissons la plupart de leur

fonction au sein de la Biosphère ?

*Ensuite, comment s’accorder sur des méthodes et modèles consensuels et partagés pour

toutes les sphères concernées ?

A ce jour, en 2013, les chercheurs en sont au stade de l’expérimentation et de l’élaboration

de système de modélisation. Le défi consiste à comprendre comment valoriser efficacement

les SE. Pour comprendre la difficulté de l’exercice, nous allons tout d’abord regarder les

différentes valeurs qu’il est possible d’attribuer aux SE. Ci-dessous une compilation d’Eve

Massicotte réalisé sous la direction de M. Yves Bourassa, Program Manager chez R3D

(Canada). Il est possible, à travers l’exemple très significatif de l’eau, de comprendre les

différentes valeurs envisageables pour un même bien en fonction de l’usage ou du non-

usage que l’on souhaite en faire :

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4) Comment valoriser les SE

Cette nouvelle « donne » globale conduit tous les acteurs (scientifiques, économiques,

politiques et écologiques) à considérer l’évaluation, la valorisation et parfois la

monétarisation des services écologiques afin de pouvoir décider, exploiter, préserver,

restaurer ou encore compenser. Pavan Sukhdev, directeur du département des marchés de

la Deutsche Bank à Bombay, a été sollicité pour diriger l’étude de la TEEB (The Economics of

Ecosystems and Biodiversity, TEEB23). Cette étude est connue en français sous le nom de

L'économie des écosystèmes et de la biodiversité et ses résultats ont été présentés en 2008

23

TEEB (2010) L'économie des écosystèmes et de la biodiversité

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lors de la 9ème Conférence des signataires à la Convention sur la diversité biologique à Bonn

(Allemagne). Etant ignorés par les systèmes classiques de la comptabilité, les services

écologiques sont en déclin et le TEEB présente comment prendre en compte leur valeur pour

endiguer leur perte. Ci-dessous, nous pouvons observer un schéma très instructif tiré des

travaux de Pavan Sukhdev présentant comment évaluer les services rendus par les

écosystèmes. Il identifie quatre étapes dans cette évaluation. Tout d’abord l’identification

des services écologiques, ensuite l’évaluation qualitative, puis l’évaluation quantitative et

enfin, l’évaluation monétaire.

PAVAN SUKHDEV, DIRECTEUR DE L’ETUDE DE LA TEEB

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5) Quelques exemples de valeurs des SE

TEEB (2010) L'ECONOMIE DES ECOSYSTEMES ET DE LA BIODIVERSITE P.20

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C/ Quelles sont les différentes valorisation des SE possibles?

Ci-dessous, nous pouvons comprendre schématiquement l’intérêt de l’évaluation des

services écologiques :

En synthèse de notre analyse il est possible d'affirmer qu’il faut valoriser les SE. Pour

simplifier ici les enjeux qui se cristallisent autour de ce sujet nous pouvons identifier trois

grandes raisons permettant de comprendre pourquoi il faut valoriser les SE.

1) Une approche patrimoniale

La sphère écologique a davantage une approche écocentrée de l’évaluation des SE. L’objectif

consiste plutôt à faire une comptabilité quantitative et qualitative des SE afin de pouvoir

règlementer et piloter leur restauration, leur préservation et si possible, parfois, leur

sanctuarisation. Cette sphère s'appuie davantage sur la valeur de non usage des SE et le coût

de maintien que cela implique.

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2) Une approche utilitariste

La sphère économique a plutôt une approche anthropocentrée de l’évaluation des SE.

L’objectif est « utilitariste », il consiste à donner une équivalence monétaire grâce aux

calculs économiques afin de pouvoir exploiter, compenser et restaurer les SE

convenablement. Cette sphère s'appuie davantage sur la valeur d'usage des SE et sur le

calcul du prix nominal que cela implique.

3) Une approche politique

La sphère politique souhaite majoritairement évaluer les SE afin de pouvoir analyser

l’ampleur de la crise écologique et ainsi rendre ses arbitrages et orienter le développement

par des politiques plus ou moins volontaristes. Pour cela, cette sphère s'appuie à la fois sur

l'approche utilitariste et patrimoniale vue précédemment.

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" 1. la biodiversité est menacée ; 2. elle l’est à cause des activités humaines ; 3. lesquelles

n’intègrent pas les coûts et les avantages liés à la biodiversité dans les processus de prise de

décisions (analyse coûts-avantages). 4. Pour sauvegarder la biodiversité, il convient de

l’évaluer monétairement de manière à l’intégrer dans la prise de décision. CQFD. "24

SERENA (SERVICES ENVIRONNEMENTAUX ET USAGE DE L'ESPACE RURAL)

Nous pouvons constater que pour être pris en considération dans le système économique

actuel, il est nécessaire d’évaluer les SE. Comme nous l’avons vu dans la première partie de

ce mémoire, la monnaie est une valeur d’échange « universelle ». La monétarisation semble

donc incontournable pour rendre possible cet exercice.

4) La monétarisation des SE et les différentes applications possibles

La monétarisation des SE peut contenir trois réalités très différentes en fonction de l'objectif

qui est poursuivi:

*La valeur : Il est tout d'abord envisageable de définir la valeur que nous accordons aux SE

et leur équivalence en valeur monétaire.

*Le coût : Il est également possible d'évaluer le coût monétaire nécessaire à la restauration

ou à la compensation des SE exploités et/ou endommagés.

24

SERENA (2010) Les services environnementaux en économie, revue de littérature / Document de travail

2010-05 - p.10

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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Olivier SORIA - Master 2 Ethique et Développement Durable - Faculté de Philosophie Lyon 3 [email protected]

*Le prix : Il est enfin possible de monétariser les SE pour identifier leur juste prix en vue de

permettre leur transaction.

Ces trois méthodes de monétarisation des SE peuvent poursuivre les 6 grands objectifs

suivants ; Sensibiliser / Décider / Comptabiliser / Assurer / Exploiter / Gérer :

Comprendre / Sensibiliser

Comme l'a montré la polémique initiée par l'article de Costanza et Al, "on ne protège que ce

que l'on valorise". Malheureusement, notre société matérialiste accorde surtout de la valeur

aux biens matériels et à l'argent permettant de se les procurer. Afin de sensibiliser

massivement l'humanité sur la valeur des services écologiques, il est probablement

nécessaire de retranscrire leur valeur en équivalence monétaire pour comprendre à quel

point ils nous sont précieux. Savoir par exemple que 40% de notre économie repose sur ces

services aide chacun d'entre nous à réaliser l'importance de la biosphère pour notre bien-

être et notre confort. En ce sens, la monétarisation est peut-être l'outil le plus

universellement partagé pour comprendre globalement la valeur de notre biosphère.

Décider / Orienter

Donner une valeur quantitative, qualitative et monétaire des SE permet de comparer entre

eux des SE très variés grâce à une valeur universelle, la valeur monétaire. Cette équivalence

permet de hiérarchiser les enjeux actuels et futurs, de décider politiquement et d'orienter

l'économie (notamment par la fiscalité, la régulation de l'exploitation et la comptabilisation

de l'impact) en connaissant correctement la valeur en cas d’utilisation et le coût en cas de

préservation. La monétarisation est clairement un outil d'aide à la décision.

Comptabiliser

Les entreprises et les nations comptabilisent l'ensemble des flux économiques mais

n'intègrent pas dans cette comptabilité les critères écologiques et sociaux. Aucune donnée

n'est disponible pour attester l'impact environnemental et social de l'économie et valoriser

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la virtuosité des acteurs œuvrant à l'amélioration des bienfaits humains et écologiques de

certaines activités.

Introduite en 1890 pour caractériser les divergences entre l’intérêt privé et l’intérêt public,

l’externalité est définie dans le contexte de la comptabilité comme étant l’absence de

traitement d’un coût (social ou écologique), par le système comptable (Bréchet, 2005).

L'ONU développe actuellement le projet SEEA « System of environmental economic

acounting ». L'objectif consiste à intégrer dans les systèmes de comptabilité les coûts

écologiques non payés afin de contribuer à « l'inversion des raretés ». Il est pour cela

nécessaire de valoriser les SE.

Assurer / Restaurer

Beaucoup d'activités économiques impliquent du risque. L'exemple du pétrole est encore

une fois très parlant. Nous pouvons voir dans la carte ci-dessous les 10 plus grands accidents

en quantité de pétrole déversé depuis la guerre du Golfe en 1990. Les incidences de ces

accidents sur la biodiversité sont considérables. Nous avons tous en tête les images de

faunes prisonnières de ces déversements accidentels. Quelle est la valeur détruite par ces

marées noires ou autres accidents pétroliers? Quelle est la valeur des services écologiques

détruits ? Quel est le coût de leur restauration si la restauration est possible? Que se passe-t-

il si la restauration est impossible ?

Les bénéfices issus de l'activité pétrolière sont majoritairement privatisés mais les risques

écologiques et sanitaires inhérents à cette activité sont eux supportés par l'ensemble de

l'humanité et de la biosphère. Afin d'appliquer le principe de pollueur/payeur, il est

nécessaire d'identifier la valeur monétaire de ces services écologiques pour calculer une

police d'assurance reflétant correctement le risque induit et il est également nécessaire de

connaître le coût monétaire de leur restauration en cas d'accident.

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SOURCE : LIVE SCIENCE.COM.2010 NOAA

Exploiter / compenser

Comme nous pouvons le constater dans l'exemple présenté ci-dessous par la multinationale

Rio Tinto (spécialisée dans l'extraction de ressources naturelles), la volonté de comptabiliser

l'impact environnemental de l'activité économique permet de structurer une approche

visant à le limiter. Minimiser l'impact si celui-ci est inévitable tout en s'engageant à

réhabiliter la biodiversité affectée. Idéalement, l'objectif de Rio Tinto et du concept de

l'impact positif net consiste à compenser la biodiversité au delà des impacts provoqués par

l'entreprise. Cette approche souhaite montrer qu'il est possible de créer davantage de

biodiversité que celle détruite afin d'alimenter l'activité économique nécessaire à la bonne

santé de l'entreprise. Quoi qu'il en soit dans la réalité, la quantification, la qualification et la

monétarisation des SE peut devenir, correctement utilisée, un outil permettant de remplacer

un cercle vicieux de destruction en un cercle vertueux de création de biodiversité.

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TEEB (2010) L'ECONOMIE DES ECOSYSTEMES ET DE LA BIODIVERSITE P.29

Gérer

La monétarisation des SE permettra bientôt de dimensionner d'éventuels paiements pour

services écosystémiques. Cela pourrait dans un futur proche devenir un outil de gestion

permettant d'orienter les services écologiques consommables en fonction de leur "santé".

De la même façon qu'au cour d'un long processus de sédentarisation et de découverte de

l'agriculture, les hommes ont appris à laisser en jachère des terres trop cultivées, peut-être

saurons-nous exploiter certains services écologiques tout en préservant certains autres pour

garantir le renouvellement.

En conclusion de cette partie, nous pouvons de nouveau faire référence au Club de Rome. En

2012, à l’occasion du 40ème anniversaire de la publication du rapport Meadows (Halte à la

croissance), le Club de Rome a publié une actualisation des prévisions faîtes à l’époque.

Malgré le faible retentissement médiatique de cette publication, son contenu n’en reste pas

moins alarmant. Il ressort de cette étude qu’à défaut d’avoir pris en considération les

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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avertissements du premier rapport, les scénarios pessimistes calculés à l’époque

correspondent exactement à l’évolution de la situation observée au cours des quatre

dernières décennies. Ce n'est pas simplement le changement climatique qui alarme les

rapporteurs mais surtout “la destruction du monde” par une exploitation intensive de la

planète. Pour empêcher l’ensemble des catastrophes en chaîne identifiées si rien n’est fait, il

faudrait non seulement réduire les émissions de gaz à effets de serre, mais surtout, imposer

une décroissance radicale. Le Club de Rome confirme que si rien n’est fait, l’effondrement de

notre système actuel de développement devrait avoir lieu en 2030.

Notre système économique organise la distribution des biens et services sur un marché

virtuel grâce à des prix calculés sur l'évaluation des ressources nécessaires à cette

distribution. Afin d’agir efficacement, nous venons d’observer que notre système de

développement doit internaliser la valeur des SE nécessaires à notre activité. Pour cela, il est

non seulement pertinent d’évaluer quantitativement et qualitativement les SE mais il faut

également trouver leur équivalence monétaire pour intégrer cette nouvelle variable dans

l'ensemble des calculs économiques. C’est pourquoi il devient nécessaire de monétariser les

SE pour mener une politique volontariste à la hauteur du défi et de l’urgence de la situation.

Effectivement, cela permettra une plus grande justice économique car il devient urgent pour

toutes les raisons évoquées d'internaliser le coût des SE dans l'économie de marché. De plus,

cette monétarisation peut également permettre au politique de transformer la fiscalité afin

d'en faire un outil de transition écologique. Cela permettrait par la contrainte d'utiliser la

variable monétaire pour orienter les flux de matières autrement. Enfin, elle peut également

devenir un outil de stimulation en donnant un avantage comparatif aux entreprises

vertueuses qui limitent leur impact environnemental et s'impliquent dans une économie

respectueuse de la biopshère.

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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Partie III - Doit-on monétariser les SE ?

Dans ce mémoire, nous souhaitons comprendre dans quelle mesure nos sociétés devraient,

au stade de développement qui est le leur, monétariser les SE. Dans la partie II, nous venons

de voir que dans la continuité de notre modèle de développement, il est nécessaire et

incontournable de monétariser les SE. Cependant, cette démarche suscite de nombreuses

réticences car elle pose une question éthique. Est-il réellement souhaitable de calculer la

valeur, le coût ou le prix d'un arbre? En d’autres termes et suite à l'analyse que nous venons

d'effectuer, qu'est ce qui justifie une approche utilitariste visant à donner une équivalence

monétaire aux SE afin de pouvoir les exploiter, les compenser et les restaurer efficacement?

Cette volonté découle naturellement d'une double problématique, alimenter une croissance

économique vitale pour notre système actuel de développement tout en en essayant

d'intégrer les contraintes inhérentes à l'érosion accrue de la biosphère. Pour nous permettre

de discerner depuis quelle position il semble nécessaire et responsable de monétariser les SE

et depuis quelle position il semble préférable de ne pas enclencher une telle approche

utilitariste des SE, nous allons nous appuyer sur les différentes approches philosophiques du

devoir présentées dans la Partie I C.

A/ Oui, nous devons monétariser les SE

Comme nous l'avons vu dans la deuxième partie, d'après le Millenium Ecosystem

Assessment, la diversité biologique et les ressources naturelles vivantes produites par les

écosystèmes contribuent directement à plus de 40% de l’économie mondiale. Cette

structure naturelle est donc vitale à l'économie mondiale cependant, elle n'est absolument

pas intégrée au calcul économique permettant d'allouer de manière optimale les ressources

nécessaires à son activité. Cette incohérence reflète l'énorme lacune du système actuelle car

si les services écologiques sont exclus du calcul économique, comment ce dernier pourrait-il

allouer ces ressources offertes par la biosphère de manière optimale? Le fait de ne pas

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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considérer et intégrer ces services dans le calcul économique pose un double problème.

Tout d'abord, il ne permet pas d'allouer ces ressources de manière pertinente et de plus,

cela ne permet pas non plus d'identifier quels sont les seuils d'insoutenabilité à ne pas

dépasser (risque direct d'une surconsommation inconsciente des services écologiques).

1) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de la stabilité sociale

FRANÇOIS RODDIER

Pour son développement, l'être humain a besoin de consommer énormément d'énergie.

Comme nous pouvons le voir dans le schéma ci-dessus25, les sociétés humaines en dissipent

une quantité bien supérieure à toutes structures auto-organisées ayant existé dans l'univers.

25

François Roddier (2012) La thermodynamique de l'évolution. p.50 Parole éditions

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Doit-on monétariser les services écologiques ?

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Au cour du dernier siècle, nous pourrions citer plusieurs exemples de guerres ayant été

conduites dans l'objectif de s'approprier et de capter les ressources naturelles. L'exemple du

pétrole est très parlant et plusieurs travaux montrent à quel point les réserves d'or noir

agissent comme force centrifuge de la géopolitique mondiale. Récemment, la guerre de

2003 lancée par les Etats-Unis en Irak n'est qu'un exemple parmi une multitude de

précédents. Il est donc important ici de considérer que la pénurie des ressources naturelles

va démultiplier les conflits d'appropriation. L'accès à l'énergie est vitale pour le bon

développement de toute société humaine. Pour nos sociétés dites modernes, cet accès est

encore plus crucial car nous avons opté pour un système de développement économique

littéralement énergivore.

Si les Etats-Unis jouissaient d'une forme d'hégémonie mondiale d'un point de vue

économique et militaire, nous constatons au 21ème siècle une répartition des zones

d'influences. Suite à la crise financière des Subprimes en 2007, des forces émergentes

réclament davantage de pouvoir. Le G8 laisse progressivement place au G20 et des pays

comme la Chine, l'Inde, le Brésil etc. s'invitent dans les discussions internationales et pèsent

de plus en plus dans les processus de décision. Cette multi-polarisation des zones

d'influences, l'érosion de la pénurie de ressources naturelles et les besoins colossaux

d'énergies nécessaires à la satisfaction des économies croissantes comme celles des BRIC

(Brésil, Inde, Chine) laissent entrevoir des conflits de captation majeurs.

Il est reconnu que les sociétés actuelles se livrent une guerre économique sans merci plutôt

qu'une guerre militaire. La création de l'Union Européenne suite à trois conflits armés entre

l'Allemagne et la France en moins d'un siècle démontre cette possibilité de tisser des liens

économiques pour articuler les rivalités et les conflits autour de la création de richesse

financière plutôt que par la destruction de vie humaine. Comme nous l'avons vu, pour

Hume, les devoirs sont des conventions adoptées par les hommes en raison de leur utilité. Il

est donc important de souligner ici que la qualification, la quantification et la monétarisation

des SE peut avant toute autre chose apporter un bénéfice vital pour la stabilité du monde.

Dans le contexte actuel, nous pouvons considérer qu' il est effectivement souhaitable et très

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utile de permettre aux acteurs du système de pouvoir régler les inévitables conflits

d’appropriation des ressources par des guerres économiques plutôt que par des guerres

militaires. En ce sens, il est envisageable et même urgent de procéder à une monétarisation

utilitariste des SE.

2) Oui, nous devons monétariser les SE en considération de la survie de notre

espèce

Depuis que nous avons pris conscience de la finitude du monde une question simple en

apparence mais profonde dans ses implications se pose et nous la devons à Pierre Rabhi ;

"Quelle planète laissons-nous à nos enfants et quels enfants laissons-nous à notre planète?".

En stimulant un monde où la compétition est devenu le maître mot, le chacun pour soi

articule un mécanisme difficilement réversible de destruction inconsciente de ressources.

Ces destructions de ressources naturelles ont une double incidence;

*D'après les rapports du GIEC, les émissions humaines de gaz à effet de serre dans

l'atmosphère ont des conséquences directes sur la température de la planète Terre. Cette

perturbation du climat est très difficilement modélisable cependant, sans même parler des

modèles de projections. De causes humaines ou non, la constatation d'un réchauffement

inquiétant de la température moyenne de la planète fait cependant l'unanimité.

*D'autre part, la biosphère se compose d'un maillage vivant d'écosystèmes, d'espèces et de

gênes en perpétuelles évolutions. La capacité de la biosphère à se régénérer est

particulièrement admirable. Pour autant, nous constatons aussi qu'au delà d'un certain seuil

d'exploitation, un écosystème ou une espèce donnée s'effondre. Les spécialistes ont

beaucoup de difficultés à identifier quels sont les seuils d'irréversibilité à ne pas dépasser.

Si notre avarice matérielle nous pousse à surexploiter la biosphère et ses réserves fossiles au

point de dérégler les grands équilibres et fragiliser voire anéantir certains écosystèmes, c'est

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notre survie même que nous remettons en question. Fragiliser la biodiversité c'est nous

fragiliser nous même et dérégler le climat c'est perturber notre environnement direct.

La nécessité de ne pas détruire la planète est parfois évoquée. Cependant, si nous voulons

être honnête intellectuellement, nous savons que la planète survivra à l'humanité. Nous

pouvons dérégler tous les grands équilibres de la biosphère jusqu'au point de rendre la Terre

insupportable pour toutes formes de vie complexe comme celles des mammifères,

l'inébranlable Gaïa comme l'évoquait James Lovelock, continuera malgré tout sa route dans

les méandres de l'univers.

Nous pouvons donc ici invoquer le devoir catégorique de Kant mentionné dans la Partie I C.

Sans la survie de l’espèce humaine, toute réflexion sur la durabilité de notre système de

développement perd son sens et son intérêt. Nous avons effectivement le devoir d’adapter

notre espèce pour la préserver en vie comme le fait l’ensemble du vivant depuis son

apparition.

« Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée en loi universelle. »26

EMMANUEL KANT

Cet impératif catégorique nous condamnant à garantir notre survie est abordé depuis un

angle différent par Hans Jonas. Dans son livre le plus célèbre, Le Principe de responsabilité

(1979), il explique pourquoi la survie de l'humanité n'est plus assurée. Grâce au progrès sans

limite de la technique nous avons désormais la capacité de nous autodétruire. En dressant ce

constat, il nous invite à reconsidérer notre éthique du progrès et de la technique. Pour

garantir notre survie, cette refondation de l'éthique devra probablement s'émanciper de la

destruction des ressources naturelles qu'implique notre développement culturel et

26

Emmanuel Kant (1788). les Fondements de la métaphysique des mœurs. p.421 édition de la pléïade 1980

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technique. Pour cela, il est entre autres choses nécessaire de valoriser et de monétariser les

SE pour enclencher une exploitation raisonnée afin d'éviter les grands dérèglements

identifiés. Comme nous l'avons vu dans la partie II, seule une valorisation financière pourrait

éventuellement permettre à la sphère politique d'orienter correctement une exploitation et

une allocation raisonnée des SE.

3) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de notre société/civilisation

Comme nous venons de le voir, il semble nécessaire de monétariser les SE pour ne pas

dérégler la biosphère et conserver un équilibre favorable à la vie sur Terre. D'autre part il est

aussi vital de monétariser les SE pour limiter au maximum les guerres d'appropriation des

ressources.

Au delà de ces deux raisons déjà évoquées, Hegel montre que seule l’inscription du devoir

dans les institutions, dans une communauté éthique, permet de se dégager de la morale

subjective et abstraite pour ouvrir sur une liberté objective. Pour Hobbes, c’est le contrat

social qui instaure le devoir en ce sens que ceux qui ont accepté ce contrat ne peuvent s’en

dégager. Pour poursuivre l’œuvre émancipatrice de notre civilisation, ne faut-il pas

réinventer notre contrat social pour notamment y intégrer, comme le préconise Michel

Serres dans Le Contrat Naturel27, le vivant et l’environnement ?

De la même façon que nous avons des devoirs vis-à-vis de nos sociétés respectives et des

sociétés passées, nous avons très probablement le devoir de respecter la biosphère car c'est

en quelque sorte elle qui nous a enfantées et c'est aussi elle qui nous héberge. De plus, de

nombreuses études montrent que nous sommes face à une pénurie de ressources menaçant

très sérieusement la pérennité de notre système de production. Pour identifier comment

réintégrer notre système de développement humain aux ressources de l'écosystème Terre,

27

Michel Serres (1990) Le contrat naturel

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le "biomimétisme" semble incontournble. Le fonctionnement circulaire des flux de la

biosphère peut devenir une source d'inspiration. L’éco-conception de notre système ou de

nos besoins matériels peuvent représenter une solution d'avenir. « Un produit conçu pour

être déconstruit n’a rien à voir avec un produit classique », soutient Ellen MacArthur. Ces

alternatives principalement connues sous le nom "d'économie circulaire" ou "d'économie de

la fonctionnalité" souhaitent dépasser un modèle linéaire qui consiste à exploiter, fabriquer

et jeter pour rentrer dans un modèle circulaire qui consiste à optimiser, réduire et recycler.

TOWARD CIRCULAR ECONOMY - FONDATION ELLEN MACARTHUR28

Comme nous pouvons le voir dans ce schéma présenté en page 24 du rapport Toward

circular economy de la fondation Ellen MacArthur, Il est possible de repenser notre modèle

économique pour développer une économie plus soutenable. Cependant, malgré

l'alternative pertinente et souhaitable d'une économie circulaire, il est primordial de

28

Fondation Ellen MacArthur, Toward circular economy, p.24

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souligner ici l'article de François Grosse29, Le découplage croissance / matières premières. De

l'économie circulaire à l'économie de la fonctionnalité : vertus et limites du recyclage. Dans

cette analyse, François Grosse démontre que la transition d'une économie linéaire vers une

économie circulaire n'est pas suffisante pour endiguer la rareté si nous ne parvenons pas au

préalable à découpler le développement économique et la consommation totale de matières

premières. En suivant son raisonnement, nous comprenons qu'il est nécessaire de réduire

très fortement la quantité de matériau par unité de produit tout en s'orientant

parallèlement vers une économie de la fonctionnalité pour optimiser l'usage des produits.

Pour faire face à la rareté des ressources, l'état actuel des recherches nous conduit à penser

que notre future émancipation d'une économie linéaire doit poursuivre les trois objectifs

suivants :

Relocaliser pour réduire la consommation d'énergie

Circulariser pour réutiliser et recycler la consommation de matière

Fonctionnaliser pour optimiser notre activité

Ces alternatives peuvent sembler lointaine de la problématique qui nous anime dans ce

mémoire cependant, ces sujets sont, me semble-il, intimement liés. Il est effectivement

nécessaire de monétariser les SE pour permettre de piloter ces nouveaux modèles

économiques. Sous le prisme de ces trois critères, le défi consiste à valoriser chaque flux de

matières et à corréler le calcul de la valeur monétaire au parcours plus ou moins soutenable

de ces flux au sein de l'économie humaine. La monétarisation des SE permettrai ici de

favoriser financièrement les ressources naturelles qui s'intègrent dans une économie

vertueuse au détriment des ressources naturelles dévalorisées et gaspillées dans les circuits

29

François Grosse, Le découplage croissance / matières premières. De l'économie circulaire à l'économie de la

fonctionnalité : vertus et limites du recyclage, Revues Futuribles, Juillet-Aout 2010

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d'une économie linéaire. "Dans la nature, nous l'avons vu, tout est circulaire, tout est recyclé

à l'infini, et l'énergie est utilisée de façon efficace. L'économie circulaire cherche donc à

s'inspirer du fonctionnement des écosystèmes, où rien n'est déchet et tout est ressource."30

EMMANUEL DELANNOY

Notre société européenne et la civilisation occidentale reposent sur le progrès et la création

de valeur ajoutée. Pour insuffler un nouvel élan à notre modèle de développement en fin de

cycle et dans une impasse suicidaire, nous devons nous réinventer. Au cœur de toutes les

crises se trouve celle de notre modèle de développement économique qui s'appuie sur des

ressources naturelles en "voie de disparition". La transition de l'économie linéaire actuelle

vers un nouveau modèle économique semble nécessaire et à défaut de remettre en

question le rôle de la monnaie, elle implique une nécessaire monétarisation des SE.

30

Emmanuel Delannoy (2011 L'économie expliquée aux humains, p.91 édition Wildproject

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B/ Non, nous ne devons pas monétariser les SE

Comme nous venons de le voir tout au long de ce mémoire, il est impératif de valoriser les

SE ne serait-ce que pour les considérer à leurs justes valeurs. De plus, pour limiter les

nombreux abus du système économique vis-à-vis de ces SE, il semble nécessaire de les

monétariser pour les intégrer aux différents calculs économiques afin de permettre à notre

système de s'orienter vers une exploitation plus raisonnée. Malheureusement, même si les

évidences nous conduisent à penser jusque là qu'il serait très bénéfique de les monétariser,

nous allons à présent voir qu'il est également possible d'invoquer des arguments en

défaveur d'un tel processus.

1) Vis-à-vis de la survie de notre espèce, nous ne devons pas monétariser les SE

Holmes Rolston est un philosophe américain ayant développé une pensée environnementale

profonde31. Il est considéré comme le patriarche de l'éthique environnementale anglo-

saxonne. Tout d'abord, il positionne par opposition à la "valeur instrumentale" que nous

donnons aux choses, le concept de "valeur intrinsèque" des structures naturelles. La "valeur

intrinsèque" qu'il nous présente ne questionne pas seulement notre pensée sur le regard

que nous devons porter sur l'environnement mais plutôt sur la philosophie de ce que peut

être la relation entre deux structures naturelles terrestres. Cette approche s’oppose

clairement à une conception "anthropocentrique" de la valeur. Contrairement à nos

habitudes instinctives, il ne nous conduit pas à identifier l'utilité que nous autres humains

pouvons retirer de la nature et des éléments qui la composent. Il propose de dépasser notre

volonté d'identifier l'usage que nous pouvons faire de la nature, les ressources que nous

pouvons lui soutirer ou même encore la beauté des émotions qu'elle peut nous procurer. En

31

Holmes Rolston III (2007) Nature, Value, Duty

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définitive, avec le concept de valeur intrinsèque, Rolston nous invite à dépasser notre

anthropocentrisme utilitariste pour renouveler notre éthique environnementale.

Cependant, Rolston va encore plus loin car il considère qu'au delà de la "valeur intrinsèque"

de toutes choses, il existe également une "valeur systémique" des écosystèmes. Ceux-ci ne

sont effectivement pas de simple agrégats d'espèces vivantes mais composent eux-mêmes

une structure vivante à part entière. Ils sont un ordre auto-organisé complexe duquel nous

ne saurions retirer ni une "valeur instrumentale" ni une "valeur intrinsèque", mais une

"valeur systémique". La "valeur systémique" de l’écosystème est justement ce qui permet

d'engendrer l'apparition d'espèces et d'êtres vivants et donc de la diversité naturelle. Cette

valeur ajoutée systémique est alors essentielle mais plus important encore, elle est

littéralement fondatrice car notre capacité à penser le monde et à éventuellement "se

rendre maître et possesseur de la nature" n’est qu’un des résultats récent de la valeur

systémique. La valeur créatrice démontrée de cette complexité systémique nous conduit à

reconsidérer notre volonté de nous positionner en évaluateur. L'intelligence humaine n'a

pas encore totalement identifié le fonctionnement des écosystèmes et la puissance des

nombreuses interactions qui surviennent à chaque instant entre les milliards de milliards de

structures qui co-évoluent au sein de la biosphère et pourtant, nous avons déjà la prétention

de nous auto-consacrer maître et évaluateur des grands équilibres qui sous-tendent cette

évolution.

nonfiction.fr : Comment définiriez-vous cette valeur systémique ?

Holmes Rolston : J’entends par valeur systémique une valeur d’un autre ordre que la valeur

instrumentale ou la valeur intrinsèque. La valeur instrumentale est celle qui est conférée à

une chose lorsqu’elle sert de moyen à une fin : par exemple, les organismes individuels sont

capables de valoriser de façon instrumentale ce qui contribue d’une manière ou d’une autre

à la réalisation de la fin qu’ils poursuivent, à savoir se maintenir dans l’existence et se

reproduire. La valeur intrinsèque est celle que l’on trouve à même le monde naturel lorsque

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nous rencontrons quelque chose qui comporte une valeur en soi-même : par exemple, une

vie se défend pour ce qu'elle est en elle-même, sans qu'il soit nécessaire de faire entrer en

ligne de compte aucune autre référence que cette vie même. Aucun de ces deux concepts

traditionnels n’est pleinement satisfaisant au plan des écosystèmes. Un écosystème est une

matrice d’interconnexions où les composantes biotiques et abiotiques évoluent

solidairement, où les organismes individuels sont instrumentalisés pour servir le système,

comme lorsque les fauvettes servent à réguler la population des insectes, rendant par là

même possible l’édification d’équilibres écosystémiques provisoires. La valeur systémique de

la nature désigne la créativité qui opère au sein de la nature en vertu de laquelle viennent au

jour la plus grande diversité et la plus grande complexité des formes de vie dans le cadre

d’un système où rien n’est laissé au hasard, où tout joue un rôle, aussi discret soit-il, et où

pourtant tout peut advenir.

NONFICTION.FR - ENTRETIEN AVEC HOLMES ROLSTON III [MARDI 10 JUIN 2008 - 15:00]

Le mot Humus est à la fois la source étymologique du mot homme et du mot humilité.

L'humilité ne consisterait-elle pas, pour nous autres les êtres humains, à nous rappeler que

nous ne sommes sortis de terre que par le génie créatif des écosystèmes? Le progrès

technique nous aurait-il à ce point fait perdre toute notion d'humilité? Face aux

gigantesques troubles anthropocènes que nous avons semé, n'est-il pas triste de constater

que nous avons la prétention d'y remédier par davantage d'arrogance? Pour espérer garantir

la survie de notre espèce, est-il réellement salutaire de vouloir devenir évaluateurs de

quelque chose dont nous ne comprenons pas vraiment la complexité et qui nous a enfanté,

la biosphère? Le temps ne serait-il pas plutôt venu, pour l'humanité, de sortir de

l'adolescence et de la crise identitaire qui l'accompagne pour essayer, à la façon d'un

homme apaisé, de se fondre dans cette harmonie que la biosphère a patiemment créée tout

au long de plusieurs milliards d'années ? Depuis les perspectives de cette éthique

environnementale, il semble moralement déconseillé de vouloir monétariser les SE.

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2) Vis-à-vis de notre société/civilisation, nous ne devons pas monétariser les SE

Au delà d'une approche écocentrée plaidant clairement en défaveur d'une monétarisation

des SE, nous pouvons également identifier des raisons anthropocentrées de ne pas vouloir

procéder à une telle démarche. Effectivement, si pour le WBCSD (Organisation citée plus

haut regroupant plusieurs multinationales), la valorisation des SE est un moyen de

pérenniser la croissance économique, différents mouvements loin d'être alternatifs prônent

de manière très argumentée une nécessaire réduction de cette même croissance

économique. En français, le rapport publié en 1972 par le Club de Rome s’intitulait « Halte à

la croissance ». Aujourd’hui, les partisans de la « décroissance » ont sensiblement changé la

terminologie pour des raisons psychologiques mais la finalité économique semble très

similaire. Patrick Viveret, titulaire d’un Capes en philosophie et d'un doctorat de l'Institut

d'études politiques de Paris explique que notre modèle de croissance « va dans le mur » et

parle alors de « sobriété heureuse ». Ce concept surgit face au constat sans appel de

la convergence des crises. Une réflexion sur nos modes de vie s’impose, nous allons devoir

faire le choix de la simplicité et d’un « art de vivre affranchi de sa boulimie consommatrice ».

En 2010, Pierre Rabhi publie « Vers la sobriété heureuse », un récit qui fait lui aussi l'éloge de

la nécessité de modérer nos besoins et désirs car il n’est pas possible de prélever plus de

ressources que celles disponibles. Il propose également le choix d'une sobriété libératrice et

volontaire pour rompre avec cet ordre anthropophage que nous nommons globalisation

économique. Cette vision est partagée par de nombreux citoyens désespérés face à l'appétit

vorace et incontrôlé du monde économique et financier.

C'est d'ailleurs là que réside probablement le plus grand risque de la monétarisation des

SE; dans son accaparement par les sphères économiques et financières. Effectivement, une

fois que les SE ont leur équivalence monétaire, il devient aisé pour n'importe quel

économiste de transformer cette valeur en prix nominal afin de permettre la transaction et

l'échange de ces mêmes SE voire leur spéculation. Lors du sommet de la Terre à Rio de

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Janeiro, en juin 2012, l'économie verte était à l'honneur. Malheureusement le constat

semble partagé, la puissance économique semble avoir repris à son compte le potentiel de

renouveau incarné par l'idée d'une autre mondialisation et d'un développement durable.

Pour solutionner l'aspect destructeur de notre système, nous sommes entrain de penser la

propriété privée des biens naturels et leurs valeurs monétaires pour les intégrer au libre

échange. Le risque est évident, les fonctions écologiques de la planète comme le stockage de

carbone, la purification de l'eau ou encore la pollinisation pourraient être transformées en

services écologiques valorisables et échangeables. Les créateurs de richesse financière ont

identifié le potentiel lucratif d'une telle évolution et le WBCSD en fait partie. Le commerce

des services écologiques renferme un potentiel de croissance gigantesque qu'il est urgent de

capter. Le risque de marchandisation de la biosphère est réel et comme le montre les

conclusions du sommet de la Terre de 2012, le rapport de force ne penche clairement pas en

faveur de la biosphère. Nous avons vu qu'au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle,

l'humanité a pris conscience de la biosphère et de la nécessité de réintégrer les mécanismes

de notre système de développement humain et économique aux logiques éco-systémiques

de la planète. Au lieu de cela, l'économie verte en développement use de son pouvoir pour

transformer le monde en usine productrice de SE commercialisables. Cette marchandisation

en cours est très clairement présentée dans le livre « la nature n’a pas de prix , les méprises

de l’économie verte »32 publié en 2012 par ATTAC. Attac est une association qui lutte pour

que les citoyens puissent, par l'action démocratique, se réapproprier ensemble l'avenir de

notre monde, aujourd'hui soumis à la loi de la spéculation et des marchés financiers. Cette

approche de la monétarisation, conduit, par le travail de lobbying des sphères économiques

et financières mène à une marchandisation des SE. Depuis cet angle de vue, il n'est pas

souhaitable de considérer la monétarisation des SE sauf si la garantie de leur non

marchandisation accompagne cette démarche. Malheureusement cela ne semble nullement

être le cas actuellement. L'exemple des bons carbone est parlant. Ces quotas d'émissions de

32

ATTAC (2012) La nature n’a pas de prix , les méprises de l’économie verte

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CO² échangeables sur les marchés sont finalement devenus des outils de spéculation pour

des banques d'affaires comme Goldmann Sachs. Le sujet de ce mémoire est davantage

philosophique que technique, nous ne rentrerons donc pas dans ces détails, cependant, la

monétarisation des SE pourrait très rapidement se transformer en marchandisation de la

biosphère. Une biosphère échangeable en petits morceaux sur n'importe quelle place

financière du monde, cela augure de bien tristes tropiques pour une civilisation censée

prendre conscience des méfaits de son anthropocentrisme destructeur.

Alors que nombreux sont ceux qui tentent de nous alerter sur la fin d'un cycle pour notre

civilisation, n'est-il pas simplement irresponsable d'accélérer le processus de

marchandisation du monde en monétarisant la biosphère?

3) Vis-à-vis de notre conscience collective, nous ne devons pas monétariser les SE

La crise écologique, mais également économique, financière, institutionnelle et sociale

représente une opportunité historique pour changer de paradigme, redistribuer les cartes et

répartir sur un modèle de développement humain différent. Dans son livre intitulé "La cause

humaine"33, Patrick Viveret explique en p.93 la nécessité "d'apprendre aux humains à passer

du logiciel égo-compétitif au logiciel alter-coopératif". Cette formule développée

initialement par Edgar Morin transpire le bon sens et l'impérative nécessité qui se présente à

l'humanité. Dans ce même livre, Patrick Viveret identifie six grandes menaces auxquelles

l'humanité doit faire face en ce 21ème siècle, "La destruction de l'habitabilité humaine...

L'autodestruction par des armes... Le cocktail explosif de la misère et de l'humiliation... La

démesure de l'économie financière... Le risque d'une guerre de civilisations... La béance entre

science et conscience".

En connaissant l'ampleur des défis à relever et le pouvoir sans limites de la finance

internationale, est-il réellement possible de penser et de croire que la monétarisation des SE

33

Patrick Viveret (2012) La cause humaine

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Olivier SORIA - Master 2 Ethique et Développement Durable - Faculté de Philosophie Lyon 3 [email protected]

pourrait servir une transition vers plus de respect écologique, plus de respect humain et

davantage de dignité pour tous ? Comme nous pouvons le voir dans le schéma ci-dessous,

les échanges financiers représentent plus de 97% de l'économie mondiale. La spéculation est

le maître-mot sur lequel repose notre système de développement et les conséquences

seront bientôt dramatiques si des mesures à la hauteur des défis ne sont pas prises.

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La biosphère a créé le vivant, le vivant a créé l'homme, l'homme a créé l'agriculture,

l'agriculture a créé l'économie et l'économie a créé la finance. Aujourd'hui, nous constatons

que notre modèle de développement n'est pas soutenable. La crise financière des Subprimes

aux Etats-Unis et la crise de la Dette Publique en Europe ont montré les limites d'un modèle

dominé par la finance internationale. Alors même que la communauté mondiale s'accordait

publiquement sur l'impérative nécessité de réformer ce système en profondeur, seulement

quelques réformes marginales ont été mises en place pour encadrer les échanges financiers.

Dans ce contexte, penser que la monétarisation des SE va servir "la cause humaine" (pour

reprendre le titre du livre de Patrick Viveret) et non une marchandisation de la biosphère

semble peu probable. Sans réforme structurelle de fond, il est possible de penser que

l'ensemble des aspects favorables à la monétarisation des SE représentera une part

marginale face aux effets néfastes induits par une réappropriation de ces initiatives par le

capitalisme de marché.

Vis-à-vis de notre conscience individuelle et de la "planète que nous voulons laisser à nos

enfants", il est permis de penser que le devoir de la génération actuelle ne consiste pas à

conserver son rythme de vie en mettant à jour son logiciel égo-compétitif grâce à la

monétarisation des SE mais plutôt à installer ce nouveau logiciel qu'Edgar Morin nomme

alter-coopératif en arrêtant d'exploiter la biosphère pour essayer davantage de coopérer

avec elle.

C/ La monétarisation des SE ne guérirait-elle pas seulement un symptôme?

La monétarisation des SE ne serait-elle pas une solution apportée à un symptôme plutôt qu'à

une cause? Comme nous allons le voir ci-dessous, même si la non valorisation des SE a des

conséquences dramatiques sur la biosphère, la crise écologique trouve probablement ses

racines dans une cause structurelle beaucoup plus profonde, la création monétaire.

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1/ Le développement des êtres humains dissipe toujours plus d'énergie

« Le processus économique n’est qu’une extension de l’évolution biologique et, par

conséquent, les problèmes les plus importants de l’économie doivent être envisagés sous cet

angle. »34

NICHOLAS GEORGESCU-ROEGEN

Roegen serait-il un précurseur? Son approche thermodynamique de l'économie ne semble

pas dénué de tout fondement même si plusieurs critiques peuvent lui être opposées. Ses

réflexions présentent des orientations possibles pour aborder scientifiquement le système

de développement de l'Homme. Plus récemment, François Roddier, dans son livre la

thermodynamique de l'évolution publié en 2012 démontre que la thermodynamique

s'applique sans distinction à tous les pans de la science. Il explique que les différentes

structures (astrologiques, physiques, chimiques, biologiques, culturelles etc.) présentes dans

l'univers s'auto-organisent toutes pour optimiser leur dissipation d'énergie (cf. schéma ci-

dessous).

34

Nicholas Georgescu-Roegen ( 1971) The entropy law and the economic process

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FRANÇOIS RODDIER

"Ainsi la vie s'auto-organise en formant des structures vivantes de plus en plus complexes,

capables de mémoriser de plus en plus d'information, de façon à dissiper toujours plus

d'énergie."35

A la lecture de ces évidences, il est aisé de comprendre que l'homme continue ce processus.

Comme l'explique François Roddier dans son livre, le développement du cerveau des

hominidés a permis d'augmenter notre capacité à mémoriser de l'information. De plus, le

développement des outils de communication (du langage à Internet), permet de faire

circuler toujours plus rapidement l'information mémorisée. Cette double révolution semble

répondre à l'inévitable processus thermodynamique consistant à accumuler de l'information

35

François Roddier (2012) La thermodynamique de l'évolution

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pour accroitre et optimiser notre capacité à dissiper de l'énergie. Il explique que l'homme est

une machine thermique nécessitant toujours plus d'énergie pour fonctionner. D'un point de

vue thermodynamique et toujours d'après François Roddier, l'homme semble accumuler de

l'information dans le but inconscient d'améliorer sa capacité à dissiper de l'énergie. Afin de

satisfaire nos besoins de consommation, nous exploitons les ressources énergétiques,

halieutiques, fossiles, les terres arables etc. Comme nous pouvons le voir dans le schéma ci-

dessous, grâce à l'accumulation d'information, cette production dissipe toujours plus de

ressources:

Par ailleurs, une fois produites, ces ressources exploitées doivent être distribuées aux

individus. Ces consommateurs se trouvent disséminés aux quatre coins de la planètes, il est

donc nécessaire de transporter l'ensemble de cette production jusqu'à eux. Dans le schéma

ci-dessous nous constatons l'évolution des méthodes permettant d'organiser les flux de

matières sur les océans et dans le monde entre 1950 et 2000. Là encore, comme pour la

production de ressources, nous pouvons voir que la distribution dissipent toujours plus

d'énergie:

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Comme nous avons pu le constater, pour satisfaire le développement des hommes nous

produisons, distribuons et consommons une quantité croissante de biens et services. Ces

besoins nécessitent une dissipation croissante d'énergie. C'est ainsi que depuis des

millénaires, les civilisations accumulent de l'information et progressent dans leur capacité à

faire circuler cette information. Cette logique thermodynamique alimente le système

économique et dissipe toujours plus d'énergie. Jean-Marc JANCOVICI est un ingénieur

spécialisé dans le changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre, l'intensité

énergétique des organisations et autres. Sur son site www.manicore.com il propose

quelques données très intéressantes dont le graphique ci-dessous présentant l'évolution du

PIB mondiale avec la consommation d'énergie. Nous comprenons à sa lecture que toute

croissance du PIB implique une progression presque identique de notre consommation

d'énergie. Cela pose une double problématique;

* Comment obtenir de la croissance sans épuiser les ressources?

* Comment rembourser l'énorme dette privée et publique sans croissance économique?

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PIB mondial en milliards de dollars constants de 2011 (axe vertical) en fonction de la consommation

d'énergie mondiale en millions de tonnes équivalent pétrole (axe horizontal), pour les années 1965 à 2011.

La corrélation entre les deux grandeurs apparaît clairement. Compilation de l'auteur sur sources primaires BP

statistical review, 2012, Shilling et al. 1977, EIA, 2012, et Banque Mondiale (PIB), 2012.

http://www.manicore.com/documentation/transition_energie.html

Nous venons de constater que la croissance économique est très étroitement liée à la

consommation d'énergie, et plus généralement, à l'épuisement des ressources. Monétariser

ces ressources pour les allouer de manières optimales ne sera pas de nature à solutionner la

rareté. Si nous souhaitons remédier aux nombreuses incidences dues à l'érosion de la

biosphère, ne faut-il pas prendre le temps de comprendre pourquoi la croissance

économique est à ce point impérative?

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Source : http://economiepositive.org/

(Selon les chiffres de l'Economist Intelligence Unit - EIU - The Economist)

En étudiant le niveau de la dette globale en % du PIB mondiale présenté dans le graphique

ci-dessus, nous voyons que la dette représente aujourd'hui environ 70% du Produit Intérieur

Brute mondiale (PIB). Le constat qui en découle peut se résumer en disant que sans

croissance, le monde économique créé par l'homme est en faillite car il est incapable de

rembourser sa dette. Cependant, cela ouvre une nouvelle question, comment se fait-il que le

niveau de la dette globale soit si important? C'est ce que nous allons voir dans la partie

suivante.

2/ Nous dissipons de manière exponentielle une énergie qui s'épuise

Afin d'assurer l'optimisation de la production, la distribution et la consommation de l'énergie

nécessaire à notre développement, les hommes ont inventé la monnaie. Comme nous

l'avons vu dans la première partie, la monnaie est une valeur d'échange qui fluidifie la

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circulation des flux et grâce à la monnaie électronique, cette circulation peut opérer

plusieurs milliers de transactions financières par seconde. De plus, afin de financer

l'augmentation de la circulation de flux matériels, il est nécessaire de créer davantage de

masse monétaire. Nous pouvons voir ci-dessous que la masse monétaire mondiale a ainsi

augmenté de manière exponentielle entre 1971 et 2009.

Cette croissance de la masse monétaire correspond à l'augmentation de nos besoins et à

l'augmentation de notre capacité croissante à dissipé l'énergie. Là réside tout le problème de

notre crise écologique. Notre système de développement est conçu pour décupler notre

capacité à dissiper de l'énergie alors qu'en parallèle, nous prenons conscience que les

ressources et l'énergie pouvant être dissipés s'épuisent. Comme nous pouvons le voir sur le

schéma ci-dessous réalisé selon les prévisions de l'ASPO (Association for the Study of Peak

Oil and Gaz), nous avons dépassé le pic de production pétrolier. Cela signifie que la quantité

de pétrole produit annuellement devrait à présent diminuer de manière constante. Notre

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système de développement est énergivore et il est en train d'épuiser la planète de

l'ensemble de ses ressources disponibles. D'ailleurs, il en est de même pour l'ensemble des

autres ressources fossiles alors qu'il a fallu plusieurs milliards d'années à la biosphère pour

les produire.

Nous pouvons constater en observant ces deux derniers schémas que la masse monétaire

augmente alors que les ressources naturelles nécessaires à la création de richesse

s'épuisent. Si la finalité d'une monétarisation des SE consiste à identifier comment trouver

les mécanismes d'une développement soutenable pour l'homme, alors, il est pertinent de se

demander comment régler cette fâcheuse incohérence. Nous créons de la masse monétaire

de manière exponentielle en sachant qu'elle permettra de dissiper une quantité équivalente

d'énergie alors que nous avons par ailleurs conscience d'une pénurie croissante des

ressources naturelles disponibles.

Comme nous l'avons expliqué en Partie I, depuis 1971 et la déclaration du président

américain Nixon, le dollar n'est plus convertible en or. Cela signifie que depuis cette date, la

création monétaire mondiale n'est plus rattachée à la quantité disponible de métal précieux

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en stock et quand nous observons la production d'or et le pic de production, nous

comprenons les raisons d'une telle décision, il y a là aussi pénurie.

Ce tournant historique implique que depuis lors, notre système de développement

économique est devenu totalement "hors sol" et déconnecté des réalités écosystémiques de

la biosphère. Si la finalité de ce mémoire consiste à se demander dans quelle mesure il serait

nécessaire de monétariser les SE afin de solutionner la crise écologique majeure que nous

devons affronter, alors, il est possible de répondre que sans réforme structurelle permettant

de reconnecter la création monétaire aux SE disponibles à l'exploitation, ceux-ci seront

malgré leur monétarisation surexploités.

En observant que les ressources naturelles et les réserves fossiles diminuent de façon

inversement proportionnelle à l'évolution du PIB mondiale, il est permis de considérer que

pour régler la crise écologique actuelle, il faut d'une part améliorer notre efficacité

énergétique et matérielle en articulant la transition d'une économie linéaire vers une

économie légère et circulaire. D'autre part, en sachant que depuis 1971 notre économie est

"hors-sol", nous devons reconnecter la création de masse monétaire à la capacité de notre

biosphère et donc à l'évolution des ressources qui sous-tendent notre économie. Seule cette

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reconnexion du monétaire au réel permettra de jeter les bases d'un véritable

développement soutenable pour la vie sur Terre.

3/ Comment fonctionne notre système de création monétaire?

Pour comprendre comment s'organise le système qui nous permet de dissiper autant

d'énergie, nous devons d'abord comprendre notre processus de création monétaire. Dans

un document appelé "Modern money mechanics"36 publié par le centre d'information public

de la réserve fédéral de Chicago, il est expliqué quel est le processus de création monétaire

actuel dans la plupart des pays du monde. Nous comprenons à la lecture de ce document

que si une banque privée dispose d'une valeur de monnaie égale à 10 en fonds propres, elle

est alors légalement en mesure de pouvoir créer jusqu'à 90 de monnaie dématérialisée. Le

processus est simple, il consiste à créer ex-nihilo de l'argent en contrepartie d'une

reconnaissance de dettes. En contrepartie de ce service, ces institutions financières

facturent des intérêts aux clients ayant besoin de l'argent ainsi créé. Plus les banques créent

d'argent plus elles obtiennent de bénéfices. Pour le formuler de manière très simpliste, une

banque gagne de l'argent en vendant de la dette. Là encore pour simplifier ce sujet

complexe, il est possible de dire que si la banque centrale accepte de créer une valeur

monétaire égale à 10 au profit d'une banque privée, alors cette dernière pourra

potentiellement créer ex-nihilo 90 de masse monétaire. De part ces règles internationales,

c'est très logiquement que le secteur financier privé est à l'origine de la création d'environ

90% de la masse monétaire mondiale. Il n'est pas nécessaire de rentrer dans le détail du

processus d'expansion monétaire institutionnalisée, cependant, comme nous pouvons le

voir ci-dessous dans un schéma présenté dans "Modern money mechanics",un dépôt initial

de 10.000 aura créé en fin de vie, grâce à un mécanisme structurel exponentiel, 100.000 de

masse monétaire.

36

Federal Reserve Bank of Chicago (1994) Modern Money Mechanics

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Du mot latin rex (rix en langue celte), les droits régaliens sont les droits du roi découlant de sa

souveraineté et, par extension, ceux de l'État souverain. Quelle que soit la nature du

souverain et quelle que soit la source reconnue de son pouvoir, ces droits lui sont clairement

reconnus à partir du moment où existe dans un corps social la notion d'un droit public.

ENCYCLOPEDIE UNIVERSALIS SOLANGE MARIN

Historiquement, la création monétaire était un droit régalien. Aujourd'hui, la création des

deux principales monnaies mondiales, le dollar et l'euro ne sont plus sous l'autorité directe

du souverain politique mais sont le privilège d'institutions financières privées. Plus important

encore, non seulement la création monétaire ne dépend plus du souverain mais si le

représentant du peuple de ces deux monnaies souhaite créer de l'argent, il doit le faire

contre intérêts. Au cours des derniers siècles, nous avons assisté à une privatisation de la

création monétaire. Sauf exception, quand le gouvernement fédéral américain emprunte à la

Réserve Fédérale Américaine (La FED), celui-ci doit le faire contre intérêt. Quant à la Banque

Centrale Européenne (BCE), le dispositif est encore davantage privatisé. Les Etats peuvent

uniquement faire appel aux banques privées. La BCE ne dispose tout simplement pas du

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droit de faire crédit aux Etats membres. Dans l'article 104 du Traité de Maastricht entré en

vigueur le 1er novembre 1993 nous pouvons lire :

Article 104

1. Il est interdit à la BCE et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées

“banques centrales nationales”, d'accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux

institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités

régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises

publics des États membres; l'acquisition directe, auprès d'eux, par la BCE ou les banques

centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

LE TRAITE DE MAASTRICHT 1992

En conclusion de cette partie, nous pouvons souligner qu'une initiative visant à réformer

et/ou à reconnecter la création monétaire aux SE ne peut venir que des institutions

financières privées car ce sont elles qui disposent du droit de créer la monnaie. Pour

récupérer la souveraineté nécessaire à solutionner la crise écologique, il faudrait donc

s'intéresser aux propositions de Maurice Allais, l'unique français ayant reçu le Prix Nobel

d'économie (1988). Avant sa mort en 2010, il avait évoqué la nécessité d'une réforme

structurelle de fond permettant de limiter l'ampleur des fluctuations et des crises

systémiques. Pour lui, il fallait notamment s'assurer que la création monétaire relève de

l’État et de l’État seul. Il considérait effectivement que toute création monétaire autre que la

monnaie de base créée par la Banque Centrale devait être rendue impossible. Tant que

notre système de développement ne questionnera pas ce système de création monétaire,

toute transition écologique enclenchée au niveau national ne pourra servir que plus de

justice économique mais en aucun cas résorber la crise écologique que nous devons

affronter.

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Olivier SORIA - Master 2 Ethique et Développement Durable - Faculté de Philosophie Lyon 3 [email protected]

Conclusion

A partir d'une prise de conscience sur les services écologiques offerts par la biosphère, nous

avons abordé dans ce mémoire la problématique de leur éventuelle monétarisation. Afin de

traiter convenablement les contours de cette vaste question, "doit-on monétariser les

services écologiques", nous avons dû parcourir des notions complexes et variées.

Pour appréhender le sujet convenablement, il fut impératif de comprendre le

fonctionnement éco-systémique de la planète, le fonctionnement intrinsèque de notre

système économique ainsi que les ressorts moraux qui stimulent les comportements

individuels et collectifs. En abordant ces différents sujets, il ressort de l'analyse que nos

sociétés doivent intégrer, pour leur bien être, les contraintes de l'environnement dans leur

fonctionnement économique. Que nous en soyons conscients ou non, notre développement

repose sur la valeur systémique de notre biosphère. Il est pour cela primordial de valoriser

cette réalité pour l'intégrer à notre modèle de développement. Effectivement, nous avons

pu voir qu'à l'heure actuelle, les services écologiques sont totalement absents des calculs

économiques alors même qu'ils soutiennent 40% de notre activité. Pour réparer cette

injustice à la fois économique et environnementale, il est urgent de réadapter notre

approche. Depuis la fin du 20ème siècle, nous avons pris conscience qu'il ne sera possible de

protéger notre biosphère qu'en la valorisant à hauteur des très nombreux bienfaits qu'elle

nous procure. Dans une société ou tous les flux sont retranscrits dans un équivalent

monétaire, nous avons également constaté que toute dynamique consistant à valoriser les

services écologiques devait entre autre impliquer une monétarisation. Malheureusement,

nous avons aussi vu que cette monétarisation pouvait être une dangereuse porte d'entrée

vers une marchandisation de la planète. Effectivement, en sachant la toute puissance des

marchés financiers, il ne semble pas lucide de croire que cette valorisation monétaire ne

conduira pas à terme à une marchandisation plutôt qu'à une réelle préservation. De plus, s'il

apparaît de manière évidente qu'il faut monétariser ces services écologiques pour allouer les

ressources naturelles de manières optimales dans l'économie comme pour permettre aux

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décideurs d'orienter leur choix politiques, économiques et écologiques, il ressort également

que la croissance de la masse monétaire est proportionnelle à la destruction de ressource

naturelle. En ce sens, la seule monétarisation des services écologiques ne représente pas

une manière d'infléchir la corrélation de ces deux courbes. En sachant que pour éviter

l'effondrement de tout le système suite à la plus importante crise financière depuis 1929,

nous avons procédé à une création monétaire massive par émission de dettes, il va

désormais falloir rembourser ces crédits en créant de la croissance et donc en détruisant

davantage de ressources naturelles. Dans le contexte économique et géopolitique actuel, il

serait illusoire de penser que la monétarisation des services écologiques servira à leur

protection plutôt qu'à leur captation pour sortir de cette crise économique sans précédent.

D'après les informations que nous avons pu réunir, il faudrait pour protéger les services

écologiques, corréler la création monétaire à la quantité de services écologiques pouvant

être détruits sans compromettre notre développement futur. Cependant, comme nous

l'avons également vu, les échanges financiers représentent 97% des échanges mondiaux. De

plus, les institutions financières privées et internationales semblent détenir le privilège le

plus important qui soit dans un capitalisme de marché, le droit de créer la monnaie. Cette

souveraineté suprême ainsi accaparée par la finance privée laisse peu de place à la société

pour faire valoir le bien commun et donc le bien de la biosphère. Dans une économie

mondialisée ou la guerre économique se gagne grâce à la captation des ressources et à la

compétitivité des agents, il serait contre-intuitif d'attendre de ces acteurs une dynamique

d'autorégulation. Effectivement, en considérant ce qui les anime, ce serait une attitude

suicidaire bien éloignée de leur appétit sans limite.

Nous pouvons donc dire en conclusion de ce mémoire que même si la monétarisation des

services écologiques est une démarche très positive pour les nombreuses raisons évoquées,

cette initiative ne saurait nullement être un solution suffisante pour faire face à l'ampleur de

la crise écologique qui nous menace.

Arnold Toynbee était un historien économiste d'origine britannique. Il a écrit qu'une

« civilisation ne meure pas assassinée, elle se suicide. ». A l'inverse, il explique également

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que "quand une civilisation arrive à relever des défis, elle croît". C'est pourquoi, même s'il

peut paraître pertinent de monétariser les services écologiques, il est permis de penser que

l'urgence consiste davantage à écologiser les services monétaires.

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Bibliographie

La Bible

La Sainte Bible

Société Biblique Française- 1978 Edgar Morin

Terre-Patrie

Edition du Seuil- 1993

François Roddier

La thermodynamique de l'évolution

Parole édition- 2012

Patrick Viveret

La cause humaine

Les liens qui libèrent 2012 Pierre Zaoui

L'abstraction matérielle, l'argent au-delà de la morale et de l'économie

Editions la Découverte 2012

Michel Serres

Le contrat naturel

Editions François Bourin 1990 Le mal-propre: Polluer pour s'approprier?

Editions Le Pommier 2008 Adam Smith

Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations 1776

René Passet

L'économique et le vivant 1979

WilliamMac Donoough & Michael Braungart

Cradle 2 Cradle

North Point Press- 2002 Federal Reserve Bank of Chicago

Modern Money Mechanics 1994 Gretchen C. Daily

Nature's Services

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Island Press 1997 René Descartes

Le discours de la méthode 1637

Emile Durkheim

L'éducation morale 1902 Nicholas Georgescu-Roegen

The entropy law and the economic process 1971 Holmes Rolston III

Nature, Value, Duty

Springer 2007 Emmanuel Kant

Les Fondements de la métaphysique des mœurs 1785 Edition de la Pléiade 1980

Samuel Pufendorf

Le droit de la nature et des gens 1706

ATTAC

La nature n’a pas de prix , les méprises de l’économie verte 2012

Global Footprint Network

Rapport Planète Vivante 2010 Club of Rome

Halte à la croissance? 1972 Services environnementaux et usage de l'espace rural (SERENA)

Les services environnementaux en économie, revue de littérature 2010

Intergovernmental Panel on Climate Change (GIEC)

Climate Change 2007 - Synthesis report 2007 Costanza et Al.

The value of the world's ecosystem services and natural capital 1997 Millenium Ecosystem Assesments

Ecosystems and human well being, Island Press- 2003 The Economics of Ecosystems and Biodiversity

L'économie des écosystèmes et de la biodiversité 2010

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World Business Council for Sustainable Development

GUIDE CEV (Comprendre, évaluer et valoriser) pour améliorer la prise de décision en

entreprise 2011

François Grosse

Le découplage croissance / matières premières. De l'économie circulaire à l'économie de la fonctionnalité : vertus et limites du recyclage, Revues Futuribles- Juillet-Aout 2010 Fondation Ellen MacArthur

Toward circular economy- 2012 Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture

Situation des forêt du monde FAO 2012

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Table des matières

Remerciements .......................................................................................................................... 2

Résumé / Summary .................................................................................................................... 4

Préambule .................................................................................................................................. 7

Introduction ................................................................................................................................ 9

Partie I - Analyse des termes de la problématique .................................................................. 13

A/ Qu’entend-on par services écologiques ? ....................................................................... 13

1) Définition des services écologiques (SE) ....................................................................... 13

2) L’air - La forêt comme puits de carbone ....................................................................... 15

3) L’eau - La végétation comme station d’épuration ........................................................ 16

4) L’alimentation - Les pollinisateurs comme agriculteurs ............................................... 16

B/ Qu’est-ce que la monnaie ? ............................................................................................. 18

1) Le rôle de la monnaie ................................................................................................... 18

2) L’évolution historique de la monnaie ........................................................................... 20

3) La monnaie dématérialisée ........................................................................................... 22

4) La monnaie et la morale ............................................................................................... 24

C/ Qu'est-ce que la notion de devoir pour l'humanité......................................................... 26

1) Quel devoir vis-à-vis de la survie de notre espèce ? .................................................... 26

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2) Quel devoir vis-à-vis de notre société/civilisation ? ..................................................... 27

3) Quel devoir vis-à-vis de la stabilité sociale ? ................................................................ 28

4) Quel devoir vis-à-vis de notre conscience morale individuelle et collective ? ............. 29

Partie II - Valoriser les SE, une nécessité .................................................................................. 31

A/ Vers une prise de conscience de la valeur des SE ........................................................... 31

1) Remise en question de notre anthropocentrisme culturel .......................................... 31

2) Prise en compte internationale de la finitude des ressources ..................................... 32

3) Naissance d’une volonté d’adapter notre système économique ................................. 33

4) Biodiversité - Compréhension des interconnections vitales qui unissent les

écosystèmes, les espèces et les gênes .............................................................................. 34

5) Apparition du concept de « Services Ecologiques » dans l’économie écologique ....... 35

6) Prise en considération de l’urgence de la situation ..................................................... 36

B/ 1997 - On ne protège que ce que l'on valorise ................................................................ 37

1) La polémique de Costanza ............................................................................................ 38

2) La valorisation des SE et le système économique ........................................................ 38

3) Comprendre les différentes valeurs d’un SE ................................................................ 41

4) Comment valoriser les SE ............................................................................................. 43

5) Quelques exemples de valeurs des SE .......................................................................... 45

C/ Quelles sont les différentes valorisation des SE possibles? ............................................. 46

1) Une approche patrimoniale .......................................................................................... 46

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2) Une approche utilitariste .............................................................................................. 47

3) Une approche politique ................................................................................................ 47

4) La monétarisation des SE et les différentes applications possibles ............................. 48

Partie III - Doit-on monétariser les SE ? ................................................................................... 54

A/ Oui, nous devons monétariser les SE ............................................................................... 54

1) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de la stabilité sociale ........................... 55

2) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de la survie de notre espèce ............... 57

3) Oui, nous devons monétariser les SE vis-à-vis de notre société/civilisation ................ 59

B/ Non, nous ne devons pas monétariser les SE .................................................................. 63

1) Vis-à-vis de la survie de notre espèce, nous ne devons pas monétariser les SE .......... 63

2) Vis-à-vis de notre société/civilisation, nous ne devons pas monétariser les SE .......... 66

3) Vis-à-vis de notre conscience collective, nous ne devons pas monétariser les SE ...... 68

C/ La monétarisation des SE ne guérirait-elle pas seulement un symptôme? .................... 70

1/ Le développement des êtres humains dissipe toujours plus d'énergie ....................... 71

2/ Nous dissipons de manière exponentielle une énergie qui s'épuise ........................... 76

3/ Comment fonctionne notre système de création monétaire? .................................... 80

Conclusion ................................................................................................................................ 83

Bibliographie ............................................................................................................................ 86